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Cet entretien a eu lieu à Paris il y a quelques années à l’occasion d’un séminaire de deux jours et demi donné par Carl Whitaker à l’invitation de l’Institut d’Etudes de la Famille et des Systèmes Humains de Bruxelles. Cette rencontre s’est tenue dans le cadre de l’ancienne faculté de médecine au boulevard Saint Germain. Carl Whitaker, qui aime bien se remémorer son passé d’obstétricien, en était ravi. L’orateur va mentionner dès les premières minutes sa visite au musée Picasso à Paris, en précisant qu’il lui avait fallu le quitter précipitamment. En effet, Carl Whitaker, qui avait entrepris la visite du musée d’une manière très sereine avait, au fur et à mesure que nous progressions de salle en salle, traversant les différentes périodes de l’oeuvre de Picasso, commencé à se sentir mal. Il m’avait alors demandé de le faire sortir le plus vite possible du musée. Plus tard, installés confortablement dans un petit restaurant voisin, il me confia qu’il avait vécu un envahissement semblable à celui qu’il éprouvait quelquefois avec certains schizophrènes. Cette confidence me remit en mémoire une de ses déclarations en faveur de la cothérapie, déclaration faite lors d’un entretien avec Jay Haley et résonances n°7 - 5 Lynn Hoffman en 1967 (1, p. 307) : « Je doute fort qu’il soit possible de s’occuper d’une famille lorsqu’il n’y a qu’un thérapeute. Je ne pense pas qu’un thérapeute unique puisse posséder assez de pouvoir pour induire le changement dans la famille et en ressortir sans y rester enlisé... Même quand je pense que c’est possible, je ne souhaite pas en général courir ce risque. C’est pour cela que je préfère la sécurité que m’offre une bonne équipe constituée de deux thérapeutes ». L’entretien simulé que vous allez lire est typique de l’approche de Carl Whitaker. La longue négociation préalable à la première séance est sa manière de créer « un champ stérile avant de commencer l’intervention » (1, p. 268). Pour lui, «la thérapie ressemble à une opération chirurgicale. Je sais qu’il y aura de la douleur. Ce qui rend cette douleur supportable, c’est la relation entre le thérapeute et les membres de la famille. Et je fais ce que je peux pour ne pas aller plus loin que ce qu’ils peuvent tolérer ». (1, pp. 289 et 290). Il ne veut nullement contrôler la vie des membres de cette famille, il s’agit de leur propre vie, mais il estime par contre qu’il doit être en charge du cadre de la psychothérapie. Loin de rentrer dans les conflits qui déchirent les familles, il préfère en allier les membres dans une bataille commune contre lui. Il pense que le but d’une psychothérapie digne de ce nom est de faire tomber le masque de la famille, autrement il ne s’agirait plus que de thérapie de soutien. Son but est de permettre aux membres de la famille d’accéder à leur propre épanouissement plutôt que de répondre étroitement à la demande portant sur le symptôme. Carl Whitaker estime aussi qu’il ne peut aider les membres de la famille à réaliser leur propre importance qu’à la condition qu’il s’autorise à compter pour lui même en psychothérapie, d’où son refus fréquent de certaines alliances que les membres de la famille lui proposent. Enfin, ici comme dans d’autres entretiens, il va tenter d’amplifier certaines règles dysfonctionnelles dans l’espoir que ces dernières, semblables à des tours de Pise imaginaires, atteignent une taille telle qu’elles s’écroulent d’elle- mêmes. C’est ainsi que pour mieux séparer les générations, il propose à un fils d’épouser sa mère pour que son père, libre de nouveau, puisse se marier à sa propre mère. Interrompant les séances au moment de la plus grande intensité affective, il compte sur le déséquilibre créé pour que de nouvelles voies s’ouvrent avant que l’impact dû à la situation thérapeutique ne soit dilué. Aujourd’hui, cruellement diminué par la maladie, Carl Whitaker ne peut plus être à nos côtés pour nous enrichir de sa créativité et de sa « folie ». La publication de ce texte ainsi que celle de la simulation d’un second entretien avec la même famille qui paraîtra dans notre prochain numéro sont notre manière de dire notre reconnaissance et notre affection à la figure la plus originale et sans doute la plus attachante de notre champ. Mony ELKAIM 1- Haley, J. et Hoffman, L., « The Growing Edge : An interview with Carl A. Whitaker, M.D. », Techniques of Family Therapy, New York, Basic Books, 1967. La thérapie familiale symbolique-expérientielle de Carl Whitaker Mony Elkaïm et Carl Whitaker.

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Cet entretien a eu lieu à Paris il ya quelques années à l’occasiond’un séminaire de deux jours etdemi donné par Carl Whitaker àl’invitation de l’Institut d’Etudesde la Famille et des SystèmesHumains de Bruxelles. Cetterencontre s’est tenue dans le cadrede l’ancienne faculté de médecineau boulevard Saint Germain.Carl Whitaker, qui aime bien seremémorer son passéd’obstétricien, en était ravi.L’orateur va mentionner dès lespremières minutes sa visite aumusée Picasso à Paris, enprécisant qu’il lui avait fallu lequitter précipitamment. En effet,Carl Whitaker, qui avait entreprisla visite du musée d’une manièretrès sereine avait, au fur et àmesure que nous progressions desalle en salle, traversant lesdifférentes périodes de l’œuvre dePicasso, commencé à se sentirmal. Il m’avait alors demandé dele faire sortir le plus vite possibledu musée. Plus tard, installésconfortablement dans un petitrestaurant voisin, il me confiaqu’il avait vécu un envahissementsemblable à celui qu’il éprouvaitquelquefois avec certainsschizophrènes. Cette confidenceme remit en mémoire une de sesdéclarations en faveur de lacothérapie, déclaration faite lorsd’un entretien avec Jay Haley et

r é s o n a n c e s n ° 7 - 5

Lynn Hoffman en 1967 (1, p. 307) :« Je doute fort qu’il soit possiblede s’occuper d’une famillelorsqu’il n’y a qu’un thérapeute.Je ne pense pas qu’un thérapeuteunique puisse posséder assez depouvoir pour induire lechangement dans la famille et enressortir sans y rester enlisé...Même quand je pense que c’estpossible, je ne souhaite pas engénéral courir ce risque. C’estpour cela que je préfère la sécuritéque m’offre une bonne équipeconstituée de deux thérapeutes ».L’entretien simulé que vous allezlire est typique de l’approche deCarl Whitaker. La longuenégociation préalable à lapremière séance est sa manière decréer « un champ stérile avant decommencer l’intervention »(1, p. 268). Pour lui, « la thérapieressemble à une opérationchirurgicale. Je sais qu’il y aurade la douleur. Ce qui rend cettedouleur supportable, c’est larelation entre le thérapeute et lesmembres de la famille. Et je faisce que je peux pour ne pas allerplus loin que ce qu’ils peuventtolérer ». (1, pp. 289 et 290). Il neveut nullement contrôler la vie desmembres de cette famille, il s’agitde leur propre vie, mais il estimepar contre qu’il doit être en chargedu cadre de la psychothérapie.Loin de rentrer dans les conflits

qui déchirent les familles, ilpréfère en allier les membres dansune bataille commune contre lui. Il pense que le but d’unepsychothérapie digne de ce nomest de faire tomber le masque dela famille, autrement il ne s’agiraitplus que de thérapie de soutien.Son but est de permettre auxmembres de la famille d’accéder àleur propre épanouissement plutôtque de répondre étroitement à lademande portant sur le symptôme.Carl Whitaker estime aussi qu’ilne peut aider les membres de lafamille à réaliser leur propreimportance qu’à la condition qu’ils’autorise à compter pour luimême en psychothérapie, d’oùson refus fréquent de certainesalliances que les membres de lafamille lui proposent.Enfin, ici comme dans d’autresentretiens, il va tenter d’amplifiercertaines règles dysfonctionnellesdans l’espoir que ces dernières,semblables à des tours de Piseimaginaires, atteignent une tailletelle qu’elles s’écroulent d’elle-mêmes. C’est ainsi que pourmieux séparer les générations, ilpropose à un fils d’épouser samère pour que son père, libre denouveau, puisse se marier à sapropre mère.Interrompant les séances aumoment de la plus grandeintensité affective, il compte sur ledéséquilibre créé pour que denouvelles voies s’ouvrent avantque l’impact dû à la situationthérapeutique ne soit dilué.Aujourd’hui, cruellement diminuépar la maladie, Carl Whitaker nepeut plus être à nos côtés pour nousenrichir de sa créativité et de sa« folie ». La publication de ce texteainsi que celle de la simulation d’unsecond entretien avec la mêmefamille qui paraîtra dans notreprochain numéro sont notre manièrede dire notre reconnaissance etnotre affection à la figure la plusoriginale et sans doute la plusattachante de notre champ.

Mony ELKAIM

1- Haley, J. et Hoffman, L.,« The Growing Edge :

An interview with CarlA. Whitaker, M.D. »,Techniques of Family

Therapy, New York, BasicBooks, 1967.

La thérapie familiale symbolique-expérientiellede Carl Whitaker

Mony Elkaïmet Carl Whitaker.

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Carl Whitaker

Carl Whitaker Simulation d’un entretien familialdu Nord, j’ai eu un choc culturel :nous avons quitté notre ferme pourla grande ville. Comme je le comprends maintenant, il m’a fallutrente ans pour le réaliser ; je penseque j’étais schizophrène pendantles quatre années suivantes. Et jele pense sérieusement, pasdramatiquement. Heureusementpour moi, en1927, il n’y avait pastellement de ces gens qui vouscatégorisent, pour vous mettre uneétiquette dessus. Et j’ai fait quelquechose que je peux recommanderà quelqu’un qui veut étudier :j’ai trouvé un thérapeute nonprofessionnel. Je pense qu’il y a euhuit ou neuf d’entre eux, d’un typeou d’un autre. Aussi, quand je suisarrivé à l’âge de 22 ans, j’avais

abandonné la folie,et j’avaiscommencé àapprendrecomment devenirun sociopathe. Un des thèmesdont je voudraisvous parler est larelation dialectiqueentre folie etmanipulation. Une fois qu’on a

tenu ces deux éléments, folie etmanipulation, d’une manièreéquilibrée, cela vous reste à toutjamais. Une manipulation, parexemple, c’est : « Je m’arrange pourque tu sois assez fou avec moi, pourqu’on vive ensemble une folie àdeux...» Pourquoi suis-je ici ? Cela n’a rien à faire avec vous et,pendant longtemps, je me suisdemandé ce qui fait que je continueà donner des ateliers. Il y a vingt-cinq ans que je le fais,maintenant... pourquoi quelqu’un va-t-il me réinviter, alors que je raconteencore et encore la même chose ?(Rires.) Alors, je me suis dit : peut-être le fait que moi je sois fou leurdonne-t-il, à ces gens, la possibilitéde l’être aussi. Et, pendant les dixannées suivantes, je me suisdemandé pourquoi je revenais de

Mony ElkaïmMesdames et messieurs, je suistrès heureux de vous accueillir pources journées avec Carl Whitaker.On va commencer ; à toi, cher Carl.

Carl Whitaker

« Nous sommes tous desschizophrènes »

Je vais vous parler de qui je suisréellement. Et je vais vous parler unpetit peu de mon épistémologie :comment j’en suis arrivé là où jesuis ; et je vais essayer de faire passerpendant ces deux jours et demi,pendant lesquels nous seronsensemble, quelque chose à proposde mon système de croyances etdevaleurs. Je n’aipas pour autantle sentimentparticulier qu’ils’agisse de vérité.Je voudraiscommencer parvous dire que j’aitrouvé unnouveau cliché.Vous connaissezce cliché qui veutque la jeunesseest quelque chose de tellementmerveilleux qu’il est dommage degaspiller cette jeunesse avec lesjeunes. J’ai trouvé récemment que lavieillesse était quelque chose detellement merveilleux qu’il estdommage de devoir attendretellement pour pouvoir la vivre. Jevoudrais vous parler un petit peu demon attente... Pendant les treizepremières années de ma vie, je n’aipas eu de contact avec le mondesocial. J’ai vécu dans une ferme, oùl’on produisait du lait, dans l’Etat deNew York. Je suis allé à l’écolequand j’avais seulement huit ans,mais je devais revenir vite à lamaison pour m’occuper des pouletset des cochons, etc. J’ai joué avec lesanimaux, et mon père et ma mère.A l’âge de13 ans, au même âge quecelui auquel Mony a quitté l’Afrique

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Carl Whitaker

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nouveau donner ces ateliers. Et c’està ce moment-là que j’ai réalisé quela raison pour laquelle je suis ici, c’estque je deviens votre patient.Et je reviens encore et encore, pouren savoir toujours plus sur moi,en vous utilisant. Cela a peu à voiravec vous...

Je pense que dans notre manière decroire les choses, de comprendre leschoses, nous sommes tous desschizophrènes. Que la plupartd’entre nous sommes schizophrènesau milieu de la nuit, quand nousdormons profondément. Et ce n’estpas un papillon de nuit qui seréveille en pensant qu’il est unhomme, c’est un homme qui seréveille en pensant qu’il avait rêvéqu’il était papillon de nuit.

Mony Elkaïm : C’est joli, papillonde nuit.

Carl Whitaker : Si nous ne sommespas étiquetés cliniquement commeschizophrènes, c’est grâce à l’aidenon professionnelle que nousrecevons régulièrement pendantnotre vie quotidienne. Mes psychothérapeutes ont joué unrôle important.

Je pense que cela a à voir avec laliberté de se désarmer devantquelqu’un d’autre, de se laisser allercomplètement, de se mettre endanger en s’ouvrant. Je repasse parce même processus. Il y a environcinq jours, j’ai commencé àm’inquiéter à votre sujet. Je suisarrivé il y a deux jours ; or, justeavant d’arriver, j’étais tout à fait

anxieux, juste comme les patientsavant leur entretien... Je me suisréveillé à deux heures du matin,complètement paniqué. J’ai alorsdécidé de prendre quelques notes,je me suis réveillé de mon sommeilcomplètement schizophrènique etj’ai commencé à travailler pendantvingt minutes... Et puis je me suistrompé sérieusement, parce que j’aiinsisté pour que Mony m’amènevoir Picasso. J’étais dans laschizophrénie jusqu’aux oreilles...Il fallait partir... Une partie de mon épistémologietient à mon entraînement, à maformation. Comme je dépassais laschizophrénie, je ne me sentais pasencore assez guéri pour rester horsdu domaine médical : je suis allé àl’école de médecine. Un de mespsychotérapeutes était le doyen del’école de médecine ; je suis allé levoir pour réfléchir avec lui à monprojet d’y entrer, et je suis arrivé àle manipuler pour qu’il me permetted’y entrer relativement tôt. Etapparemment, je suis devenu sonpatient. Alors, comme étudiant àl’école de médecine, je me suisarrangé pour échouer, je risquaisd’être mis dehors. Je suis allé le voir,et je lui ai dit : «Mais que vais-jefaire ? » Il m’a dit : «Va à la maison,prends tes bouquins, étudie pendantl’été, et je te referai passer unnouvel examen à l’automne. »Ainsi, mon psychothérapeute m’adit : « Je t’aime, même si tu es unmauvais garçon. » Et je crois quececi a été la fin de ma psychose.Cela a été la fin de cette sorte dedéséquilibre entre mon aspectmanipulatoire et ma psychose. Ayant grandi dans une ferme, je n’aifait aucune connexion entre le sexechez les animaux et le sexe entrehumains. Je vous raconte ceci pourque vous vous rendiez compte àquel point est profonde cettecapacité que nous avons de nouscacher à nous-même, de nousdéguiser par rapport à nous-même.Aussi, après l’école de médecine, je suis devenu obstétricien. En1937,j’aurais pu être ici, en train de faire

un césarienne pendant que vousobserveriez. Après que j’ai fini cela,j’ai cherché un endroit pourpratiquer... Et j’ai décidé de prendreune année de psychiatrie... Je suistombé complètement amoureuxde la schizophrénie, et cela duredepuis1950. Voilà ce qui m’est arrivéavec Picasso : je suis entré dans sapsychose avec lui, et j’ai eu la mêmeexpérience que celle que j’ai euependant douze ans en travaillantavec les schizophrènes. J’ai osé fairecela parce que j’ai passé une annéeà jouer avec des petits enfants quiétaient tous des schizophrènes : ils ne parlaient à personne et nedisaient pas un mot. Quand j’aiquitté l’obstétrique pour lapsychiatrie, il n’y avait personnepour me former, tout le mondeétait parti à la guerre, c’était en1941.J’étais trop jeune pour partir à laguerre, et comme j’avais uneformation d’obstétricien, bien sûr,on a pensé que je pourraisenseigner la psychiatrie. Donc, onm’a forcé à enseigner quelquechose dont je ne connaissais rien.Après quelques années de ces trucsstupides, on m’a invité à être chefdu département de psychiatrie,parce qu’il n’y avait toujourspersonne d’autre pour le faire.

« Ce qu’il fallaitapprendre, je l’ai appris

de mes patients »

Donc, j’ai passé trente ans à faire ça,mais je n’ai jamais eu de formation.Et je vous fais part des avantagesqu’il y a à ne pas avoir unesupervision. Ce qu’il fallaitapprendre, je l’ai appris de mespatients, qui étaient simplement desêtres humains, qui n’avaient pas desmots savants, qui ne savaient riendes mécanismes intra-psychiques... Quand il s’est avéré que messchizophrènes s’amélioraient,rentraient chez eux, et redevenaientfous, j’ai décidé que j’étais devant unéchec et qu’il fallait traiter lesfamilles. Il y a vingt ans, j’ai fait une

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Muriel Whitaker,

Carl Whitaker.

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sorte de vœu solennel : je neverrais plus d’individus, je verraides familles directement. A cemoment-là, a émergé un nouvelépisode de schizophrénie. Ma première schizophrénie, à quinze/seize ans, était isolation,terreur, inadéquation, et une sortede soutien extrêmement particulierde la famille dans laquelle je vivais.Famille parmi laquelle je vivais, etfamille à laquelle je ne me laissaispas aller à appartenir. Ils m’ontsoutenu, réconforté, mais je suisresté isolé. Ma seconde psychose(la première n’avait pas de nom)...la seconde psychose, qui acommencé il y a dix ans, estdifférente : isolé mais adéquat, jeme sens en sécurité, je me sens àl’aise et amoureux. Quand je quittaisma tête jadis (c’est ainsi : on quittesa tête pour rentrer en soi), mamanière de tenter de retourner àmoi, c’était par exemple de passerpar le doyen de médecine, ou,quand j’étais petit, de passer parmon petit chien. Il y a dix ans, aprèsquarante ans de vie en communavec la même épouse, ayant eu sixenfants et dix petits-enfants, jequitte ma tête pour aller vers moi...et je reviens au nous, à l’union entreMuriel et moi. L’autre élément dialectique que jevoulais présenter, c’est cemouvement d’aller-retour entre unedifférenciation-individualité et uneappartenance. Plus vous vivez uneappartenance, plus vous pourrezvous individuer, et plus vous vousindividuez, plus vous pouvez vivreune appartenance ; et ceci est pourmoi la croissance, l’épanouissement.Plus de l’un et plus de l’autre. Si vouscontinuez à vous différencier, vousdifférencier, vous différencier... vousfinissez par devenir schizophrène. Et si vous continuez à vous attacher,vous attacher, vous attacher... vousrestez avec votre famille d’origine, et vous devenez esclave. Leproblème est : vous ne pouvezjamais gagner, dans cette dialectique. Je suis encore paniqué par le faitd’être avec vous ici : peut-être

n’allez-vous pas m’accepter commepatient ; mais si je n’essaye pas, jen’apprendrai rien de plus sur moi. La seconde psychose est aussidifférente parce qu’elle inclut desmots. Il y a dix ans, j’ai commencé àpouvoir penser différemment àpropos des choses que je faisaisdepuis quarante ans. La plus grandepartie de cette réflexion n’arrivaitqu’à quatre heures du matin, et jeme reveillais avec seulementquelques mots, à partir d’un rêvequ’il m’était difficile de me rappeler...Si je restais étendu tranquillement,quelque chose commençait à sedévelopper... Si j’étais assezcourageux pour me lever et allumerla lumière, cela commençait à sedévelopper et une sorte de cadreconceptuel surgissait pendant vingtminutes... Et c’est devenusuffisamment acceptable et tolérablepour que, ces derniers mois, jepuisse faire l’effort de créer un cadreconceptuel, même pendant lajournée. Et la raison pour laquelle jesuis content d’être parmi vous, ici aujourd’hui, en dehors du plaisirde me retrouver à l’intérieur d’uncontexte, médical, que j’avais quittéil y a tellement longtemps, c’estque cette dialectique à propos dela nouvelle folie ne m’est apparueen réalité qu’hier matin.Je commençais à vous utiliser avantmême d’être ici.

« De l’action à la pensée »

Je dis tout cela parce quemaintenant je suis un vieillard ; parceque, aussi, dans ce métier qui est lenôtre, il faut savoir comment allerde l’action à la pensée, passer del’intuition que j’appelle la folie à lapensée. J’ai mis longtemps avantd’avoir le courage de penser à toutcela. Cinq ans après que j’ai décidéque j’étais fou – il y a vingt ans, àpeu près – il y avait cinq ans quej’osais le dire à quelqu’un. Et ce quiest merveilleux, quand on est vieux,c’est qu’on se fout complètementde ce que l’autre pense. Maintenant,je peux vous dire ce que je crois et

vous pouvez croire ce que vousvoulez. Je n’ai pas besoin de medemander si je vais devenirprofesseur... je n’ai même plusbesoin d’écrire. Ce que je ne saispas, c’est pourquoi je suis assez bêtepour venir ici quand je peux resterchez moi sur mon lac, dans moncanoë. Je pense que c’estgénétique... Je pense que c’est ungène social. Mon grand-père avaitune scierie dans les bois, il travaillaitcomme un dingue ; mon père avaitune grande ferme laitière à côté duSaint-Laurent, et il travaillaitégalement comme un fou ; et moi jesuis allé à la ville et j’ai travaillé aussi ;et j’ai dit à mon fils quand il avaitseize ans : «Vas-tu aller à l’école demédecine ? » Il a dit : «Pas du tout,travailler comme tu travailles,jamais. » Alors il n’est pas allé àl’école de médecine, il dirige unesorte de bureau pour des transfertsde dirigeants d’exécutifs à Houston,mais si je veux l’appeler le dimanchematin, je l’appelle au bureau...Donc voici quatre générations detravailleurs acharnés. J’ai des

nouvelles de mon petit-fils : il esten train de commencer déjà àreconstruire ses jouets.

Un participant : Dans votrepremière psychose, vous avezparlé de quatre éléments :isolation, inadéquation, terreur,mais je n’ai pas compris lequatrième élément...

Carl Whitaker : Le soutien. Je n’avaispas ce qui rend tellement difficile laschizophrénie, car moi, j’avais un

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Carl Whitaker

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soutien, ma famille, mais je n’arrivaispas à leur appartenir. C’est peut-êtrepour cela que je ne suis pasréellement devenu fou. Je l’ai ditd’une autre manière. Avec unschizophrène, ce n’est pas la folie quifait la différence ; « le problème avecvous, monsieur, n’est pas que vousêtes fou... Le problème avec vousest que vous êtes stupide. Picassoétait fou, et avait une viemerveilleuse. Je suis fou, et j’en vis,je fais ma vie grâce à cela. Vous,monsieur le schizophrène, vous vouscomportez d’une manière telle avecle policier du coin que vous luiparlez comme si vous étiez un bébé,un enfant, parce que vous nesupportez pas votre mère ; alors lebrave policier ne comprend pas dequoi il retourne. » Si vous voulezêtre fou, soyez fou avec quelqu’un.Ma seconde folie est une folie avecmon épouse. Dans cinq mois, celafera cinquante ans. Elle me maintientensemble, quand je quitte ma têtepour aller vers moi. Alors, si vousvoulez continuer à rester fous, etque vous avez besoin de quelqu’un,venez me voir à moi, j’adore cela.Bien sûr, cela est un mensonge,parce que je ne vous verrais passans votre mère, votre père, votrefrère, votre sœur... et la mère devotre mère, et le père de votrepère, et le frère de votre mère, et lasœur de votre père, et le partenairehomosexuel de votre père.

(Carl Whitaker propose alors unentretien avec une famille simulée.)

Un participant : C’est une questionà Mony Elkaïm, je voudrais savoirpourquoi, quand le premierintervenant a posé une questionsur la folie, vous vous êtesrapproché de Carl Whitaker ?J’ai eu l’impression que vous alliezle protéger.

Mony Elkaïm : Parce que je penseavec les pieds. Quand j’étaisenfant, j’étais un jour dans la rueavec ma mère. Nous avonsrencontré la femme de ménage.Ma mère lui a demandé : « Oùvas-tu ? » La femme de ménage

a répondu à ma mère : « Là oùme mènent mes pieds. »Quand j’étais petit, je me suis dit :« C’est ridicule. Depuis quand lespieds dirigent-ils la tête ? »Maintenant que je suis un peumoins petit, je commence àcomprendre comment on penseavec les pieds.

Carl Whitaker : Et maintenant laquestion est : qui pense qu’on peutsuivre sa tête ? Seul un hommestupide pense qu’il a sa tête. Je vaisvous raconter une histoire à proposde la meilleure psychothérapie dontj’ai entendu parler.Il y avait un homme sur un pont,il voulait sauter pour se tuer. Il yavait un policier, en bas du pont,qui essayait de convaincre lemonsieur qui voulait se suicider dene pas se jeter : «Pensez à votrefemme, à vos enfants, etc. Mais lemonsieur qui voulait se suicider s’enfichait complètement ; pour lui, toutétait déjà résolu. A la fin, le policieren a eu marre ; il sort son flingue, et il dit : « Si vous ne descendez pas,je vous tire dessus. » L’homme estdescendu. Ça, c’est lapsychothérapie. Pourquoi ça amarché ? Je ne sais pas. Je diraismême plus : je ne pense pas qu’ilpourrait le refaire. L’important pour« le faire avec ses pieds», c’est de nepas y penser. Si vous y pensez, il estprobable que vous ne pourrez plusle refaire.

Faisons une simulation.

Est-ce qu’il y a quelqu’un ici dont letravail est de répondre au téléphonedans une clinique, un hôpital ? Je voudrais faire une simulation oùquelqu’un va simuler qu’il est unpatient qui me téléphone. J’ai quatrelangages : le langage du patient, le langage de la souffrance, lelangage du thérapeute et la languede l’inférence. Le thérapeute est entrain d’essayer de faire sens de cequ’on lui raconte, et il tente d’inférer,à partir de ce qu’on lui raconte, ce qui se passe et ce qu’il y a ; le langage du patient est celui de la

souffrance, celui du thérapeute estcelui de l’inférence. C’est l’entréedans l’infrastructure de laschizophrénie.

Mony Elkaïm : Je vais simuler lepatient qui vient demander de l’aide.

Carl Whitaker : Allez-y, parlez.

Mony Elkaïm (simulant le patient) :Parler de quoi ?

Carl Whitaker : (Silence.) Ce quevous voulez.

Patient : Je ne peux pas parler.

Carl Whitaker : Moi non plus.J’écoute simplement.

Patient : Mais vous devez m’aider.

Carl Whitaker : Il faudrait aller toutseul, je ne serais pas content d’alleravec vous.

Patient : Je ne comprends pas.

Carl Whitaker : Je n’aime pas l’enfer,je n’irais pas.

Patient : J’ai besoin d’aide.

Carl Whitaker : J’espère que vous latrouverez.

Patient : C’est comme cela quevous aidez, docteur ?

Carl Whitaker : Non, moi je n’essaiepas d’aider.

Patient : C’est ridicule.

Carl Whitaker : Je ne suis pasencore devenu aussi ridicule quevous, mais j’essaie.

Patient : Mais je veux vous parler,il faut que vous m’aidiez. Je medisais que les docteurs étaientsupposés aider.

Carl Whitaker : Moi, je pense quevous avez tort. Je suis seulementsupposé être médecin, et des fois,je ne suis même pas sûr que j’aienvie d’être cela.

Patient : Comment se fait-il quevous soyez encore au téléphone.

Carl Whitaker : Parce que vousparlez encore.

Patient : Je pensais que je neparlais pas ?

Carl Whitaker : Ce n’est pasnécessaire.

Patient : Merci, quel soulagement !

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Carl Whitaker : Vous pouvezraccrocher.

Patient : Je n’ai pas envie deraccrocher maintenant, j’ai envied’un peu de silence. Alors,comment va la vie ?

Carl Whitaker : Horrible.

Patient : Alors, je ne suis pas toutseul à me sentir si horrible ?

Carl Whitaker : Il me semble que vousêtes très seul, de mon point de vue.

Patient : Oh, en fin de compte je nesuis pas si seul.

Carl Whitaker : Alors, pourquoivous m’avez appelé ?

Patient : Parce que mon père, mamère, tout le monde me persécute.

Carl Whitaker : Il se peut qu’ils aientraison !

Patient : Comment pouvez-vousdire quelque chose de pareil ?

Carl Whitaker : C’est facile.

Patient : Pourtant, je fais de monmieux !

Carl Whitaker : C’est bien.

Patient : Que devrais-je vous dire,docteur ?

Carl Whitaker : Vous pouvezraccrocher, si vous voulez.

Patient : Je pense que j’ai besoind’aide.

Carl Whitaker : Ah, mais je n’ai pasentendu cela avant...

Patient : Je suis fou.

Carl Whitaker : Moi aussi, maisqu’est-ce que vous voulez dire ?

Patient : Ils disent que je suis fou,mais je ne suis pas sûr d’être fou.

Carl Whitaker : Oh, ils disent quemoi aussi je suis fou, et moi j’y crois.

Patient : Comment pouvez-vousêtre médecin, si vous êtes fou ?

Carl Whitaker : Ça me plaît.

Patient : Comment ça peut vousplaire, d’être fou ?

Carl Whitaker : C’est plus drôle qued’être sain.

Patient : Vous dites des bêtises.

Carl Whitaker : Vous n’êtes pasobligé d’écouter.

Patient : Ecoutez docteur, j’ai besoind’aide pour arrêter tout ceci.

Carl Whitaker : Ah, je ne pensaispas que c’était vrai. Je pensais quevous aviez dit que vous vouliez del’aide, pour votre père et votre mère.

Patient : Bon, pour de vrai,j’aimerais bien qu’ils arrêtent dem’embêter. Mais je pense, peut-être, que j’ai quelque chose moiaussi.

Carl Whitaker : Vous voulez que jevous prête mon pistolet ?

Patient : Vous me faites peur !Ne me faites pas peur commecela, docteur.

Carl Whitaker : Comme cela, ils nevont plus vous embêter.

Patient : Qu’est-ce que cela peutvouloir dire, de me donner unpistolet ?

Carl Whitaker : Je ne sais pas. Je nel’ai pas encore fait.

Patient : Vous me faites sentirtellement de peur.

Carl Whitaker : Bien.

Patient : J’ai besoin d’aide, docteur.

Carl Whitaker : Alors ?

Patient : Est-ce que je peux vousvoir ?

Carl Whitaker : Je ne sais pas si vouspouvez me voir. Il faut contactervotre père et votre mère, et leurdire que je ne vous verrais pas sanseux.

Patient : Mais c’est eux qui disentque je suis fou. Ils ne vont pasvenir.

Carl Whitaker : Donc, vous nepouvez pas me voir.

Patient : J’ai besoin d’aide.

Carl Whitaker : Moi aussi....

Patient : J’ai besoin de quelqu’unqui m’écoute et qui m’aide. Pasquelqu’un pour m’embêter...

Carl Whitaker : J’espère que vousallez trouver quelqu’un.

Patient : Bon d’accord, je vaistrouver mon père et ma mère, etje vais leur dire de venir vous voir.C’est assez, j’espère ?

Carl Whitaker : Il faut leur parler,il faut qu’ils m’appellent.

Patient : Donc il faut que jedemande à mes parents de vousappeler, pour que moi, je puissevous voir ?... Non...

Carl Whitaker : Vous pouvezsimplement leur dire que moi je nevous verrai pas sans eux. Et puis,vous pouvez allez voir, parler avecquelqu’un d’autre.

Patient : Je ne comprends pas votredernière phrase.

Carl Whitaker : Moi, je ne vouscomprend pas non plus.

Patient : Vous voulez que, moi, jedemande à mes parents de vousvoir ?

Carl Whitaker : Mais non, pas dutout. Ça m’est égal si vous leurdemandez ; j’ai simplement dit que,moi, je ne vous verrai pas sans eux.

Patient : Bon, je vais leurdemander. Au revoir docteur.

Carl Whitaker : Bonne chance.Au revoir.

(Deux participants se proposent poursimuler les parents.)

Simulation d’une

entrevue familiale

lors d’un congrès

organisé par

l’I.E.F.S. de

Bruxelles en 1981.

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Carl Whitaker

12 - r é s o n a n c e s n ° 7

« Je ne vois les gensqu’avec leurs parents »

La mère : Docteur Whitaker, monfils m’explique que je dois voustéléphoner.

Carl Whitaker : Oh, il a tort.

La mère : Mais pourquoi faut-il queje vous appelle ? Comment avez-vous rencontré mon fils ?Comment est-ce qu’il a eu votrenuméro de téléphone ?

Carl Whitaker : Je ne sais pas, il m’atéléphoné et je lui ai dit que je nevois les gens qu’avec leurs parents.

La mère : Je ne comprends paspourquoi il vous a téléphoné.

Carl Whitaker : Je ne comprendspas non plus.

La mère : Ecoutez docteur, vousêtes un psychiatre, vous devriezpouvoir me dire pourquoi mon filsvous appelle ?

Carl Whitaker : Non.

La mère : Mon fils est un peurenfermé, mais enfin, de là àappeler un psychiatre à 17 ans, je trouve que cela va un peu vite.

Carl Whitaker : Mais, je ne sais pasce que vous voulez. Pourquoim’appelez-vous ?

La mère : C’est mon fils, qui pourune fois m’a adressé la parolegentiment, qui m’a demandé devous appeler, je vous appelle...Et maintenant vous me demandezpourquoi je vous appelle... Enfin,c’est une histoire de fou !

Carl Whitaker : Je sais... Je suis foumoi aussi !

La mère : Je suis désolée docteur,je vous passe mon mari, çam’énerve un peu...

Le père : Docteur Whitaker...Je suis le père, excusez-moi, je suisun petit peu confus. Je voudraisque vous m’expliquiez. Je penseque c’est mieux qu’il aille parlertout seul, s’il veut parler à unpsychiatre, mais pourquoi, alors,est-ce que vous me demandez ?Il a, semble-t-il, dit à ma femmeque nous devions vous parler aussi.

Carl Whitaker : Je ne comprends pas.

Le père : Nous voulons l’aideraussi, il a des problèmes à l’écoleet nous ne sommes pas trèscontents de ses résultats à l’école.

Carl Whitaker : Donc, comme ila ses problèmes à l’école, peut-êtrequ’il devrait en parler avecquelqu’un qui pourrait lecomprendre... Peut-être est-ce lesystème scolaire qui a besoind’aide...

Le père : J’ai aussi pensé cela moi-même.

Carl Whitaker : Alors, appelez cesgens-là, au lieu de m’appeler moi.

La mère : Ecoutez docteur, c’estsûr que notre fils à des problèmesà l’école, il est très renfermé, etaprès tout, s’il a votre téléphone,on peut peut-être venir vous voiraussi avec lui, puisqu’il nous l’ademandé, cette fois.

Carl Whitaker : Mais, il semble quevotre mari a plutôt parlé deproblèmes à l’école... Alors peut-être, il vaut mieux ne pas venirparler avec moi...

Carl Whitaker : Oui, mais enfin, je letrouve très renfermé, et c’est sûrqu’à l’école ça ne va pas bien, niavec ses amis, ses professeurs... Il netravaille pas...

Carl Whitaker : Et...

La mère : Et comme cela faitplusieurs mois, plusieurs semaines,que cela dure... Depuis la rentrée...Comme cette fois-ci il a trouvévotre adresse... Après tout, c’estune idée, et pourquoi pas ?

Carl Whitaker : Donc, vous voulezque je sois le nouveau père ?

La mère : C’est un peu rapide,mais si vous voulez...

Carl Whitaker : J’ai des enfants moi-même.

Le père : Cette conversation, cettehistoire... De père... Vous ditesd’un côté c’est l’école, mais l’écolene peut pas aider... Qu’est-cequ’on doit faire ?

Carl Whitaker : Il me paraît assezinutile de voir tout le monde, sichacun n’est pas d’accord avec ça.Or il semble que tout le monden’est pas d’accord.

Le père : Je ne suis pas sûr, mais jepensais qu’il était peut-être mieuxqu’à 17 ans, il voit quelqu’un seul.

Carl Whitaker : Vous voulez direque vous m’appelez simplementpour voir si vous pouvez tranquilliservotre femme ?

Le père : Je n’ai pas vraimentpensé de cette façon-là... Mais jevoulais discuter, parce que vousêtes quand même supposé être unexpert, pour savoir comment aidermon fils, notre fils...

Carl Whitaker : Ah, moi je pensaisqu’on parlait du fait que vous étiezle petit garçon de votre femme...

Le père : Je ne sais pas pourquoivous devenez presque agressif,attaquant... par rapport à cela,docteur.

Carl Whitaker : Ah, j’essayaissimplement de dire la vérité.

Le père : Ma femme veut direquelque chose.

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r é s o n a n c e s n ° 7 - 13

La mère : Docteur, je pense quel’on peut venir vous rencontrer,pour aider notre fils, il ne s’agitpas de nous...

Carl Whitaker : Mais je ne vousverrai pas tant que vous ne venezque pour votre fils et que vous nevenez pas chacun de vous pourvous.

La mère : Ah, mais alors il n’y aplus de limite... A ce moment-là,il faut parler de toute la famille...

Carl Whitaker : Bon, alors parlez àquelqu’un d’autre... Moi, je ne veuxpas de limite, si vous venez me voir...

La mère : Hum... Hum...

Le père : Donc, si je comprendsbien, vous proposez que, si nousvoulons de l’aide pour notre fils,il faut que nous venions aussi...

Carl Whitaker : Je commence à medemander s’il y a quelqu’un d’autrequi ne devrait pas venir aussi...

Le père : Ben, il y a encore lerestant de la famille, si c’est à celaque vous pensez...

Carl Whitaker : Vous voulez direque vous me cachiez celasimplement...

Le père : Excusez-moi docteur,je n’ai pas compris...

Carl Whitaker : Moi je pensaissimplement que vous me cachiezles autres personnes qui sontimpliquées.

Le père : Je ne pensais pas qu’ilsétaient importants aussi. Il y aune petite sœur...

« Vous voulez dire qu’ellen’appartient pas à

la famille ? »

Carl Whitaker : Vous voulez direqu’elle n’appartient pas à la famille ?Elle vient d’un autre père ?Ou d’une autre mère ?

Le père : Non, certainement pas !Il y a aussi un petit garçon...

Carl Whitaker : Il ne compte pas, lui.

Le père : Mais bien sûr ! Et il y aun chien aussi.

Carl Whitaker : Et qui d’autreencore ?

Le père : C’est tout, nous vivonsensemble.

Carl Whitaker : Personne d’autren’habite à la maison ?

Le père : Non, en tout cas pas laplupart du temps...

Carl Whitaker : Et encore... C’estde votre mère que vous parlez ?

Le père : Les parents de mafemme viennent nous rendre visitetrès souvent.

Carl Whitaker : Et vous êtes leurpetit garçon, juste comme vous êtesle petit garçon de votre femme ?

Le père : Je me sens agressédocteur. Je ne comprends pas.

Carl Whitaker : Bon, je vais devenirde mal en pire.

Le père : Je commence à medemander pourquoi mon fils vousa téléphoné.

Carl Whitaker : Peut-être que vousvoudriez lui parler à ce propos ?

Le père : Peut-être doit-on lui parlermaintenant, il doit être dans lamaison.

Carl Whitaker : Merveilleux !

(Les parents appellent l’enfant.)

Le fils : Oui papa.

Le père : Nous avons parlé avecle docteur Whitaker ; c’est lui, lemédecin à qui tu as téléphoné ?

Le fils : J’ai rien fait de mal, ce n’estpas moi...

Le père : Si je comprends bien,tu veux toujours le voir, c’est celaque tu veux ?

Le fils : Je ferai ce que tu veux,père.

La mère : Tu exagères. Tu luitéléphones et, après, tu nous disde l’appeler, on lui téléphonependant une demi-heure, etmaintenant tu nous dis que c’estde notre faute, et que tu vasnous suivre...

Le fils : Mais papa, tu m’asdemandé de lui téléphoner, je lui

ai téléphoné, et il m’a dit de tetéléphoner et je t’ai téléphoné...

Le père : Mais je voulais juste m’enassurer, parce que cela m’a l’air unpeu étrange. Je veux juste parler

un petit peu à ta mère... Oui, enfait, c’était il y a une semaine...C’était une recommandation del’école... Alors, je l’ai envoyé chezun expert, semble-t-il...

La mère : Mais je n’étais pas aucourant.

Le père : Eh bien, je te le dismaintenant...

La mère : C’est formidable, quandmême...

Le fils : Il m’a dit d’appeler cedocteur, et je l’ai appelé... Mais ilne m’a pas dit de te le dire à toi...

Le père : Le docteur a dit qu’ondevait venir seuls pour parler...Mais maintenant, il sembles’intéresser à la petite sœur...

Le fils : Je n’ai rien dit sur mapetite sœur ; et sur mon frère,je n’ai rien dit...

Le père : Mais de toute façon,tu as parlé avec le docteur ?

Le fils : Je ne sais pas ? Peut-êtreque j’ai entendu sa voix ?

Carl Whitaker : Bonjour, bonjour,il me semble que, tout d’un coup,ton père a fait quelque chosederrière le dos de ta mère...

Le fils : C’est lui, j’entends sa voix...

Le père : Attends, laisse-moi luiparler d’abord... Docteur Whitaker,pourquoi avez-vous demandé deschoses à propos des autres

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Carl Whitaker

14 - r é s o n a n c e s n ° 7

bruits... Tu entends, papa ?

Le père : Je ne sais pas ce que tuveux dire...

Le fils : Il y a des bruits... Desbruits...

Le père : Est-ce que tu as dis celaau docteur au moins....

Le fils : Quoi ?

La mère : Que tu entends desbruits, souvent...

Le fils : Mais quand j’ai parlé aveclui, je n’ai entendu aucun bruit.

Carl Whitaker : Ah, c’est très gentil àtoi, d’enlever la pression de ton pèrequand j’allais justement lui demanderd’amener sa mère.

Le père : Ma mère est très âgée.

Carl Whitaker : La mienne aussi.

Le fils : Qu’est-ce que tu dis,papa ?

Le père : Ce que tu entends, cen’est que le bruit des voitures dansla rue, tu te fais de drôles d’idées...

Carl Whitaker : Il semblerait quemaman pense qu’il ne devait pas yavoir de circulation dehors... Peut-être que c’est elle qui l’a arrêtée...

La mère : Non, mais ! Là, ça neva pas du tout. Je commence àen avoir assez de leur discussionà tous les deux.

Carl Whitaker : Bon, retéléphonezsi vous voulez revenir...

Le père : Est-ce qu’on ne peut pasarranger cela maintenant,puisqu’on est là. Vous parliez dema mère, elle est très vieille etfaible... Je ne pense pas que c’estbon pour elle de venir seule dansune telle situation... Je seraisinquiet pour elle.

Carl Whitaker : Plus vous en parlez,plus elle me semble importante....

Le père : Qu’est-ce que vousvoulez dire ?

Carl Whitaker : Il me semble que laguerre entre votre maman et votrefemme ne fait que commencer...

Le père : Je commence à croire quel’on ferait mieux d’avoir un petit

entretien avant, vous et moi,comme cela nous pourrons voircomment nous allons discuterensemble... Je suppose que cen’est pas ce que vous faiteshabituellement.

Carl Whitaker : Bon, parlez-en entrevous. Et si vous voulez en fairequelque chose, retéléphonez moi.

La mère : Je pense que ce n’estpas la peine d’aller tout seul pourdemander à ta mère de venir...Je pense qu’on peut lui demandertous les deux de venir... Elle aimebeaucoup son petit-fils, et elle estinquiète aussi.

Le père : D’accord... Merci docteur,nous vous rappelons.

Carl Whitaker : Bonne chance.

(Trois personnes se proposent pourjouer les rôles de la grand-mère,du jeune frère de10 ans et de lapetite sœur).

« Je ne suis pasresponsable de vos nerfs »

Le père : Allo... Docteur Whitaker...

Carl Whitaker : Oui.

Le père : C’est la famille à laquellevous avez parlé l’autre jour... Mafemme et moi, nous avons parlé àma mère... Elle veut venir elle-mêmeaussi... si cela ne dure pas troplongtemps, et si ce n’est pas tropénervant, vous comprenez sansdoute ce que je veux dire...

Carl Whitaker : C’est juste pendantune heure. Et sa mère et son père ?

Le père : Ils sont loin, ils viventdans un autre endroit...

Carl Whitaker : Quand est-ce qu’ilsvont revenir ?

Le père : Ils vont rentrer dans deuxsemaines à peu près...

Carl Whitaker : Bon, on prendrendez-vous, dès qu’ils seront deretour.

Le père : Ils ne seront jamaisd’accord pour venir.

Carl Whitaker : Bon, rappelez-moipour savoir quand vous décidez que

membres de la famille ?

Carl Whitaker : Je ne vois personnesi ce n’est pas toute la famille.

Le père : Bon, je dois discuter decela avec ma femme...

Le père à sa femme : Le docteurveut que nous venions tousensemble, même les petits, etpeut-être même le chien... Je nesais pas. Qu’est-ce que tu enpenses ?

La mère : Je suis d’accord pouraller voir ce docteur, puisquevraiment ce gosse ne veut pastravailler à l’école, et que c’estvraiment ennuyeux... Mais je nesuis pas très contente que l’onn’en ait pas discuté ensembleavant d’aller voir un psychiatre...Parce que c’est quand même ungros truc...

Le père : Oui, mais je nem’attendais pas à ce que cela sedéroule comme ça se déroule...

Carl Whitaker : Peut-être que c’estpour ça, que vous n’en n’avez pasparlé à votre femme avant...

Le père : Ça, c’est une autrequestion, je ne vais pas en discuteravec vous. Bon, si on peut aider,on est prêt à venir tous ensemble...Maintenant on en a discuté...

Carl Whitaker : Ah, nous n’avonspas parlé des autres grands-parentsencore...

Le père : Mon père est mort, il nereste que ma mère.

Le fil : J’entends des voix, des

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r é s o n a n c e s n ° 7 - 15

vous avez besoin de moi...Vousdevez aussi penser à laissersérieusement tomber tout ceci,parce que peut-être vous êtescapables de faire mieux vous-mêmes. Quelquefois, les psychiatresrendent les gens moins bien, au lieude les rendre en meilleure santé.

Le père : Il semble étrange de vousentendre dire cela. Mais voussavez, ils n’ont pas grand-choseà voir avec tout cela, on pourraitvous voir maintenant... ?

Carl Whitaker : Je sais. Je ne croispas beaucoup dans les grands-parents non plus, mais je ne peuxpas être utile sans eux... Et peut-êtreça ne marcherait pas, même s’ilsviennent...

Le père : Je ne sais pas exactementquand ils vont rentrer... Et on atout organisé pour venir vous voircette semaine.

Carl Whitaker : Je me contenteraid’attendre.

La mère : Mais c’est tout à faiténervant, cette situation ; on a déjàdécidé ma belle-mère à venir,d’abord nous, après les enfants...après la belle-mère... maintenantmes parents... C’est quand mêmeénorme !

Carl Whitaker : Je ne suis pasresponsable de vos nerfs.

Le père : Mais maintenant, est-ceque vous allez promettre quevous n’allez pas encore reculerle rendez-vous, quand les parentsde ma femme vont revenir ?Est-ce qu’on pourrait vous voir lasemaine où ils reviennent ?

Carl Whitaker : Je ne sais pas.Attendons qu’ils arrivent, et puisappelez-moi.

La mère : Vous jouez avec nous !D’abord on croit que vous alleznous aider ; après, on n’y croitplus ; après, il y a ma belle-mère ;après, ça ne va pas marcher...Alors, jusqu’où on va allercomme ça ?

Carl Whitaker : Je n’en sais rien. Moi,je pensais que vous jouiez avec moi.Moi, je me protège contre l’échec.

La mère : Oui, bon, on vademander à mes parents de venir.

(Long silence.)

Le père : Docteur Whitaker...Le temps a passé depuis notredernier coup de fil, et les parentsde ma femme sont rentrés et sontprêts à venir... C’est à propos duproblème de notre fils aîné.

Carl Whitaker : Il y a une questionque j’ai oublié de vous poser ladernière fois : est-ce que vous avezdéjà été en thérapie ?

Le père : Non, nous n’avons pasété en psychothérapie, mais nousavons un ami lointain qui est unesorte de psychologue.

Carl Whitaker : Et c’est lui qui vousa dit de m’appeler ?

Le père : Non, c’est par la relationde mon fils avec l’école que nousarrivons maintenant.

Carl Whitaker : Papa a dit, avant,qu’il pensait que c’était l’école quiavait un problème avec son fils...

Le père : Non, l’école se plaintde lui, mais nous ne sommes passatisfaits de ses résultats... Donc...

Carl Whitaker : Donc, vous avez faittout cela pour essayer de résoudreun problème, qui est le problèmede l’école ?

Le père : Non, non, c’est le nôtreaussi... Nous sommes inquietsà son propos, parce qu’il sembleavoir aussi d’autres problèmes...

Carl Whitaker : Vous ne pensez pasque ce soit l’école qui mette cesproblèmes sur vous ?

Le père : Vous voulez dire quel’on doit juste le mettre dans uneautre école ?

Carl Whitaker : Je n’en sais rien,mais je ne voudrais pas que vousfassiez tout ceci si c’est eux qui ontun problème...

Le père : Mais, en fait, il était déjàdans une autre école, avant ; etcette école-ci paraît être unemeilleure école que la précédente.Il semble que ces derniers mois,il est déprimé, il est étrange, il nenous obéit plus... A la maison, il est

toujours muet, et quand il parlec’est toujours pour être en colère.

Carl Whitaker : Vous ne pensez pasqu’il faudrait voir le psychologue del’école ?

Le père : Non, vraiment pas. J’aiparlé avec plusieurs professeurs,avec le psychologue... Je ne saispas s’ils ont vraiment des contactsavec lui.

Carl Whitaker : Bon, alors, quel estle meilleur moment pour venir ?

Le père : Nous pourrions venirdemain après-midi.

Carl Whitaker : C’est bon. Est-cequ’il y a des complications à causedu travail de certains membres dela famille... Je peux vous voir verscinq heures... Si cela convient ?

La mère : Oui, ça marche.

Carl Whitaker : Alors, quatre heures ?

La mère : Quatre heures, non,cinq heures ça va !

Le père : Cinq heures.

(La famille arrive chez Carl Whitakerpour la consultation.)

Carl Whitaker : Bonjour.

(Carl Whitaker offre au fils aîné unesorte de disque jaune en mousse.)

Carl Whitaker : Commencez parparler de la famille.

Le père : Ma femme et moisommes mariés depuis vingt ans...Et, ce sont ses parents... Je pensequ’il leur a fallu du temps pourm’accepter comme étant le maride ma femme...

Carl Whitaker : Ils l’ont fait,maintenant ?

La mère : Oui, je pense.

Le père : Là, c’est ma mère.

Carl Whitaker : Comment se fait-ilque votre femme soit si loin devous ?

Le père : Qu’est-ce que vous voulezdire ?

Carl Whitaker : Pourquoi n’êtes-vous pas à côté ?

« Donc vous êtes vraiment toute seule ? »

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Carl Whitaker

16 - r é s o n a n c e s n ° 7

Le père : C’est seulement arrivécomme ça.

Carl Whitaker : Est-ce que vousaccepteriez de changer de place ?

Le père : Et peut-être que mafemme pourrait s’asseoir à côtéde moi.

Carl Whitaker : Ce serait parfait. (Au patient :) Pourrais-tu changerde place avec ta mère ?

Le patient : Non, non, je veux resterici, je ne veux pas aller là-bas.

Carl Whitaker : Va t’asseoir avec tonfrère et ta sœur s’il te plaît.

Le patient : Docteur, docteur, ils sonten train de m’ennuyer de nouveau.

Carl Whitaker : Je le regrette.

(La famille se réinstalledifféremment.)

Carl Whitaker (au père) : Je suiscontent que vous puissiez avoir unpeu de soutien, je suis content devous voir assis entre votre femmeet votre mère.

parfois inquiet à propos de notrefils aîné.

Carl Whitaker : Vous pouvez m’endire davantage sur la famille, et lelaisser de côté.

Le fils aîné : Docteur... Ceciressemble à un demi-sein.(Le patient fait référence auplafond de la salle en demi-sphère.)

Carl Whitaker : Il devrait y en avoirdeux, un ne suffit pas... Et si vousavez un peu de chance, voustrouverez quelqu’un qui en a trois.

Le fils aîné : Je ne vois qu’un demi-sein.

Carl Whitaker : Peut-être y a-t-ilquelque chose qui ne va pas avectes yeux ?

Le fils aîné : Il n’y a qu’un demi-sein...

Carl Whitaker : Moi, j’en vois untout entier.

Le fils aîné : Alors, il y a quelquechose qui ne va pas avec vous,docteur.

Carl Whitaker : Il ne faut pas le dire,moi j’essaye de garder cela secret...Allez monsieur, vous deviez parlerde la famille.

Le père : Voilà ma mère, il faut enprendre soin. Elle doit rester dansun home pour personnes âgées.

Carl Whitaker : Vous avez dit quela famille de votre femme a finipar vous accepter comme un maricomme il faut. Mais est-ce quevotre famille a considéré votrefemme comme une femmeacceptable aussi ?

Le père : Je pense ça sûrement.Carl Whitaker : Vous voulez le luidemander ? Mamie, vous pouvezdire ce que vous ressentez à proposde la famille... Il a dit que vous étiezmalade et vieille.

La grand-mère : Oui, je n’ai pasgrand-chose à dire sur la famille...On ne me laisse pas beaucoup ledroit de parler, de toute façon.

Carl Whitaker : Vous vous trouvezvieille et maladive ?

La grand-mère : Oui, j’ai le cœurqui ne va pas très bien.

Carl Whitaker : Et vous pensez quevotre fils vous abandonne un peu...Il ne voulait pas que vous veniezaujourd’hui.

La grand-mère : Non, je crois quemon fils voulait bien que je vienneaujourd’hui.

Le père : Excusez-moi docteur, jen’ai jamais dit cela...

Carl Whitaker : Parlez-moi de lamort de votre mari.

La grand-mère : Mon mari estmort il y a longtemps, il y a vingtans à peu près.

Carl Whitaker : Comment cela est-ilarrivé ?

La grand-mère : Accidentellement.

Carl Whitaker : Encore...La grand-mère : C’était un accidentde voiture.

Carl Whitaker : Est-ce qu’il tentaitde se suicider ?

La grand-mère : Non, je ne croispas.

Carl Whitaker : Vous avez une idéede pourquoi cela s’est produit ?

La grand-mère : Oui. C’est parcequ’il y a un camion qui a déboîtéet qui a embouti la voiture qu’ilconduisait.

Carl Whitaker : Vous avez miscombien de temps avant de vousen remettre ?

La grand-mère : Je ne sais pas sij’en suis encore remise.

Carl Whitaker : Vous pensez encoreque vous êtes à blâmer, que c’estde votre faute ?

La grand-mère : Non, je n’ai jamaispensé cela.

Carl Whitaker : Vous pouviez enparler avec votre fils ?

La grand-mère : Difficilement.Parce qu’il s’est marié à cetteépoque...

Carl Whitaker : Donc il semble quevotre fils et votre mari vous ontquittée en même temps ?

La grand-mère : C’est à peu prèscela, oui.

Carl Whitaker : Et il n’y avaitpersonne dans le monde entier

2e dispositionde la famille

simulée.

CarlWhitaker

chaisevide

le pèrede la mère

le mèrede la mère

le père

le patient

la fille

le filsde 11 ans

la mèredu père

la mère

1ère dispositionde la famille

simulée.

CarlWhitaker

chaisevide

le prede la mère

le mèrede la mère

le père le patient

la fille

le filsde 11 ans

la mèredu père

la mère

Carl Whitaker : Vous pouvez m’endire davantage sur votre famille,maintenant ?

Le père : Notre plus petite fille estjuste comme il faut, et notre filsde11 ans travaille bien à l’école,on est content de lui. Mais je suis

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r é s o n a n c e s n ° 7 - 17

pour vous toute seule ?La grand-mère : Si, il y a les gens,les voisins, et aussi les petits-enfants quand je peux les voir.

Carl Whitaker : Vous voulez direque l’on essaye de les garderéloignés de vous ?

La grand-mère : Je ne pense pas.Comme je suis vieille, de toutefaçon, je suis dans une maison deretraite, et je ne peux pas medéplacer facilement.

Carl Whitaker : Pourquoi êtes-vousrestée toute seule ? Pourquoi nevous êtes-vous pas remariée ?

La grand-mère : Parce que je penseque ça ne m’est pas venuà l’esprit, je n’y ai pas pensé.

Carl Whitaker : Vous vous gardiezpour votre fils ?

La grand-mère : Peut-être, oui.Carl Whitaker : Parce que si safemme le quitte, il faudrait qu’ilrevienne vous soigner, je suppose...

La grand-mère : Je n’ai jamaispensé que sa femme pourrait lequitter.

Carl Whitaker : Qu’est-ce quevous pensez qui ne va pas avec lafamille, il me semble qu’ils ont desdifficultés ?

La grand-mère : Oui, je pense qu’ilsont des difficultés avec leursenfants.

Carl Whitaker : Et vous ne pensezpas que vous y êtes pour quelquechose ?

La grand-mère : J’ai du mal à direquoi que ce soit sur l’éducation desenfants, parce qu’ils ont leur façonde voir les choses, et on n’est pastoujours d’accord...

Carl Whitaker : Donc, vous êtesvraiment toute seule ?

La grand-mère : Dans un sens, oui.Carl Whitaker : Et quand vos petits-enfants viennent vous voir, qu’est-cequi se passe?

La grand-mère : J’aime bien lesvoir, quand ils viennent, on peutjouer un peu dans le parc...

Carl Whitaker : Et pourquoi neviennent-ils pas plus souvent ?

La grand-mère : Il faut que mon filspuisse les conduire, comme ila beaucoup de travail, ce n’est quede temps en temps... Et puis il ya aussi les parents de ma belle-fillequ’il faut voir de temps en temps.

Carl Whitaker : Votre belle-fille nepense pas que vous devez avoir lesenfants un peu avec vous ?

La grand-mère : Si, peut-être, jepense qu’elle aime bien voir lesenfants aussi avec ses parents...

Carl Whitaker : Je vois, mais c’estdifficile pour vous.

La grand-mère : C’est difficile oui...

Carl Whitaker : Est-ce qu’il y ad’autres choses que je devrais savoir,au sujet de la famille. Je voudrais bienles connaître dans le but deles aider...

La grand-mère : Je pense que c’estpeut-être dommage que je n’ai paseu plus l’occasion de rencontrerles parents de ma belle-fille.

Carl Whitaker : Il y a une raisonpour cela ?

La grand-mère : La raison, je pense,c’est que, d’abord, ils habitent loinde la maison de retraite, et qu’il n’ya pas beaucoup d’occasions pourque l’on se rencontre.

Carl Whitaker : Je vois. Vous pensezqu’ils sont fâchés contre votre fils,d’avoir piqué leur fille ?

La grand-mère : Je ne pense pas.

Le père : Je n’ai pas dit que mamère était malade, mais enfinj’avais peur qu’elle ne s’énerve unpetit peu trop.

Carl Whitaker : J’avais l’impressionque vous aviez parlé comme si elleallait mourir.

La grand-mère : Non, ce n’était pasça. Je suis contente.

« C’est une conférence defamille, pour voir si on va

envisager unepsychothérapie »

Carl Whitaker : On va parler avecl’autre grand-père.

La grand-mère : Oui, mais, docteur,je voudrais quand même vous direqu’on est là pour notre aîné, qui neréussit pas à l’école, et on voudraitquand même que cela s’améliore...Il entend des bruits, il a descomportements pas normaux...Je suis très inquiète... On ne va pasfaire comme cela l’histoire de lafamille pendant des heures etdes heures...

Carl Whitaker : Moi, je suis là pourposer des questions...

La mère : Mon père ne sait rien,tellement, sur la question.

Carl Whitaker : Je sais. Il sembleraitque votre mari non plus. Alors,qu’est-ce qui ne va pas avec cettefamille ?

Le grand-père : Je suis aussi trèssurpris que vous me fassiez venirici... J’étais dans la maison decampagne, avec ma femme...Et puis, je me retrouve en thérapieici, je ne comprends pas très bien.

Carl Whitaker : Ce n’est pas encoreune psychothérapie, c’est uneconférence pour savoir s’il estpossible d’en faire une, ou si c’estquelque chose à envisager.

Le grand-père : Ce n’est pas ce quej’avais compris. Moi, on m’avait ditque c’était pour soigner mon petit-fils que vous nous faisiez venir.

Carl Whitaker : Non. C’est votrepetit-fils qui a téléphoné, et moi j’aidit que je ne pouvais pas le voir sion ne voyait pas toute la famille,c’est une conférence de famille pourvoir si on va envisager unepsychothérapie.

Le grand-père : Mais qu’est-ce quenous faisons ici? Parce qu’en fait onest très peu souvent à la maison.

Carl Whitaker : Qu’est ce que vouspensez de la famille ? Parce que jevoudrais que vous m’aidiez un peu.

Le grand-père : D’après ce que jecomprends, mon petit-fils à desproblèmes à l’école, il a de temps entemps des comportements un peuétranges ; je ne sais pas quel autreproblème il y a à la maison, mais àmon avis, c’est surtout à l’école.

Page 14: CouvN�7Title CouvN�7 Author P02 Created Date 1/27/2003 5:30:13 PM

Carl Whitaker

18 - r é s o n a n c e s n ° 7

Carl Whitaker : L’école n’est pas là.Donc on ne peut pas parler del’école à propos de ce problème, etjusque là, je n’ai aucune indicationque la famille ait envie de fairequelque chose sur ce problème.C’est pour ça que je vous demandevotre aide.

Le grand-père : Et comment puis-jevous aider ?

Carl Whitaker : Je n’en sais rien.Vous avez une idée de ce qui sepasse derrière les scènes ?

Le grand-père : Non, pasparticulièrement.

Carl Whitaker : Il n’y a pas uneguerre dans la famille, dont on nenous a pas encore parlé ?

Le grand-père : Ah non ! C’est lagrande entente, à la maison.Ma fille s’entend très bien avecson mari. Vraiment, je suis ravi decette union.

Carl Whitaker : Ça, c’est suffisantpour rendre n’importe quicomplètement fou...

Le grand-père : Mais non, nousc’est surtout pour voir tout lemonde heureux... Et tout lemonde à l’air heureux.

Carl Whitaker : Oui, pour moi aussic’est horrible...

Le grand-père : Je ne comprendspas bien pourquoi, d’ailleurs, cesquestions ne se règlent pas enfamille. Pourquoi il faut demanderde l’aide comme cela.

Carl Whitaker : Moi, je pense quevous avez raison.

Le grand-père : Qu’est-ce qu’il ya de si terrible à être heureuxen famille ?

Carl Whitaker : Des fois cela renddes gens fous... Quant à moi, ça nefait rien... Il y en a qui ne supportentpas tout ce bonheur... Ils peuventpenser que ce n’est pas vrai.

La grand-mère : Pourtant, nousavons tout fait pour notre fille,et apparemment elle est heureuse.Elle a réussi ses études, elle s’estbien mariée, elle a une famillenombreuse, et elle est heureuse...

Carl Whitaker : Il n’y a qu’un fils, quiest fou.

Le grand-père : Mais regardez lesautres, comme ils sont bien.

Carl Whitaker : C’est horrible.Est-ce que vous avez une idée dece qui se passe dans la famille ?

« Ton père pourrait êtrelibre, pour épouser sa

mère, si toi tu épousesla tienne »

Le père : Depuis que grand-mèrea été envoyée dans sa maison deretraite, les choses ne vont plusdans la famille... Elle me manque.

Carl Whitaker : Combien de tempscroyez-vous qu’il faut attendre pourqu’elle meure ?

Le père : Mais, je ne veux pasqu’elle meure.

Carl Whitaker : Bien sûr que vousne voulez pas... Mais je crains quecela n’arrive, même si vous ne levoulez pas...

Le père : Depuis qu’elle est partie,il y a des disputes dans la maison...

Carl Whitaker : Est-ce que tu asune idée de la raison pour laquelleton père a laissé partir sa mèredans une maison de retraite ?

Le fils : Maman avait l’habitudede dire qu’il préférait sa mère.

Carl Whitaker : Tu ne penses pasque c’est vrai ? Si ton père avait

vraiment divorcé de sa mère, alors,elle aurait épousé quelqu’un d’autre,la mère de ton père ?

Le fils : Elle a toujours dit qu’ellen’allait plus se marier.

Carl Whitaker : C’est peut-êtrepour cela. C’est parce que ton pèreest toujours marié avec sa mère.Moi, j’ai une pensée folle, est-ce quetu as des pensées folles ? Est-ce quetu penses que ta mère s’attend à ceque toi tu l’épouses ?

Le fils : Elle n’a jamais dit ça.

Carl Whitaker : Parce qu’alors tonpère pourrait être libre, pourépouser sa mère, si toi tu épousesla tienne.

Le fils : Moi, je crois qu’ils doiventvivre séparés, et moi j’irais vivreavec grand-mère.

Carl Whitaker (à la fille) : Ça faitrien, ce ne sont que des pensées unpeu farfelues... Qu’est-ce que tupenses qu’il va se passer dans lafamille ?

La fille : Je ne sais pas bien, maismoi, je suis contente d’aller àl’école. A la maison je ne suis pastrès bien... Je crois que ça ne sepasse pas très bien entre papa etmaman, mais ça ne se dit pas,ça va, ils ne se disputent pas.

Carl Whitaker : Vous pensez qu’ilsvont tous partir seuls, et qu’ils vontmourir ?

La fille : Je ne sais pas. Je n’y pensepas, mais j’ai un peu peur, c’estvrai. C’est pour cela qu’à l’école jeme sens bien, parce qu’il y a dumonde.

Carl Whitaker : Ah, j’ai pensé à tousces mariages ; alors toi, il faudraitque toi tu épouses ton frère aîné.

La fille : Oui, je l’aime bien.

Carl Whitaker : Mais tu sais, c’estune idée, il faut y penser...

Le fils aîné : Docteur, docteur...

Carl Whitaker : Je veux parler avecta mère. Madame, j’ai attendu unpetit peu, mais maintenant est-ceque vous pouvez me dire ce qui sepasse ?

Page 15: CouvN�7Title CouvN�7 Author P02 Created Date 1/27/2003 5:30:13 PM

r é s o n a n c e s n ° 7 - 19

La mère : Aujourd’hui, on apprendqu’il n’y a rien qui va dans cettefamille, et je trouve cela un peuviolent quand même !

Carl Whitaker : Bon, il n’est pasnécessaire de revenir...

« On dirait que c’estl’arrière-grand-père »

La mère : Oui, mais ça c’était autéléphone déjà... Cela fait un moisque ça dure, alors maintenant, jevoudrais qu’on parle de ce grandfils, qui est très malheureux, etqui ne parle pas à la maison...Et c’est vrai que c’est un problème,mais enfin, on ne peut pas direqu’il y ait des problèmes partout.

Carl Whitaker : Moi, je dois voirdes problèmes partout. Et je neveux même pas parler avec lui,à propos de la famille. Si la famillene se montre pas capable deréfléchir sur elle-même, je ne veuxrien avoir à faire avec ce garçon.Jusque là, on dirait que c’est l’arrière-grand-père, lui.

Le fils aîné : Docteur, docteur...

Carl Whitaker : J’écoute ta maman.

La mère : C’est vrai que ma mèredit qu’on est une famille heureuse,et qu’elle vient pour voir que l’onest heureux. Mais c’est vrai qu’il ya des problèmes entre nous. Queles enfants ne sont pas faciles.

Carl Whitaker : Vous pouvez parlerde cela un peu ?

La mère : Oui. C’est vrai que l’aînéest complètement renfermé, qu’ilest très hargneux quand il parle,ou alors complètement fou. C’estvrai que l’on s’occupe de ma belle-mère, on s’en est beaucoupoccupé au moment de notremariage, quand elle étaitdéprimée, et elle est toujoursdéprimée... Et c’est quelqu’un qu’ilfaut soutenir... C’est vrai que lespetits sont agités ou, au contraire,ils ont des soucis avec l’école...Bon, c’est vrai aussi, avec monmari, des fois je m’énerve, maisaprès tout, cela fait partie de la

vie. Mais c’est lourd aussi. Quandmes parents viennent une semainetous les trois mois, il me sembleque c’est plus léger pour moi à lamaison.

Carl Whitaker : Bon, il me sembleque des choses sont encore piresque je ne le pensais. Il me sembleque votre fils, que vous ne trouvezpas en forme, est vraiment le pèrede votre mari. Et vous avez misvotre belle-mère dans un foyer, avecsuccès. Le père de votre mari quevous appelez votre fils, si vouspouvez mettre celui-là à l’hôpital,alors vous pouvez vous débarrasserde votre mari et retourner chezvos parents.

La mère : Non, il n’en est pasquestion. Qu’est-ce que vousracontez... C’est invraisemblable...J’en ai vraiment assez. Je veuxque mon fils redevienne commeil était avant.

Carl Whitaker : Il faut arrêtermaintenant. Vous n’en parlez pasentre vous. Pendant au moins deuxjours. Et, si vous voulez faire autrechose après, appelez-moi... Et nousverrons s’il faut continuer à serencontrer. Si vous le décidez, c’estvotre mari qui doit appeler. Bonnechance.

Le fils aîné : Je n’ai pas parlé.Carl Whitaker : Je suis content quevous n’ayez pas parlé.

(Fin de la simulation.)