11
1 Bulletin mensuel de l’Institut Musulman - n° 5 - Avril 2016 E n ces temps sécuritaires où une vingtaine de terroristes ont été arrêtés où des dizaines de victimes ont péri, des centaines blessées ou invalidées, la guerre annoncée par Manuel Vals bat son plein dirait-on. Les musulmans de France observent avec une tristesse mêlée d’appréhension le défilé de tous ceux qui, avec détermination et une volonté mémorable, égrènent leur programme de destruction dans une folie meurtrière. Devant ces attitudes taciturnes et ce silence accablé, la vie continue malgré tout et les mêmes incertitudes assaillent la vie quotidienne de cette morte-saison qui n’en finit plus de multiplier les difficultés de la vie de tout à chacun. Pour apporter sa pierre à l’édifice, La Mosquée de Paris a décidé de faire appel aux femmes musulmanes qui ont manifesté leur sentiment de ras-le-bol, leurs désarrois et leur douleur face à ces terribles évènements qui ravissent, à certaines, un fils, parti en Syrie, à d’autres, des enfants, fauchés par des rafales de kalachnikov. Le silence ne peut plus durer. Nous avons réuni un groupe de mères de famille, de journalistes, présidentes d’association pour élaborer un dialogue qui donne aux femmes la possibilité de dire haut et fort leur condamnation du terrorisme, leur jugement quant à la situation actuelle et leur proposition d’action. Chacun à son niveau est amené à payer des années de laxisme et de naïveté devant un fondamentalisme politique agressif, violent et mortel. Une participante à notre réunion, dénonce le rôle d’une ministre afghane chargée de distribuer les coups de fouet aux femmes qui n’ont pas respecté tel ou tel point de la charria. Mme Nadia Remadna, jette l’opprobre sur les prêcheurs de rue qui n’hésitent pas à insulter et menacer une musulmane, citoyenne d’un pays libre mais « terrorisé parfois par leur propre fils », comme nous l’apprend Madame Remadna. Vanessa, journaliste à Beur FM, lutte sans cesse contre les préjugés archaïques et sans fondement rationnel ou religieux, et tente de rétablir l’idéal républicain en faisant appel à la mémoire de tous ces ancêtres qui ont donné leur sang et leur sueur pour la France. Quant à une élue de la Ville de Paris, de confession musulmane, elle met en avant les excès de la « mode pudique » qui attire les appétits des profiteurs commerciaux visant des consommateurs mondialisés représentant pas moins de 1.2 milliard d’euros. Beaucoup de sujets, d’expériences, ont besoin d’être communiqués pour mieux cerner le monde et améliorer notre quotidien ainsi que l’avenir de nos enfants. Et les femmes ont leur mot à dire. Nous ajouterons pour clore ce papier, l’enregistrement des premiers MOOC de la Mosquée de Paris, prochainement en ligne, ayant pour thème ce mois-ci la mémoire, l’aumônerie pénitentiaire et certains points théologiques. Recteur Dalil Boubakeur Editorial SOMMAIRE Actualités de la Mosquée p2 Point de vue p10 Contes et textes arabes p 11

Editorial · Déjeuner du Recteur avec M. Anouar Kbibech, Président du CFCM et M. Amar Lasfar, Président de l’UOIF. Lors de cette rencontre, la deuxième tenue,

Embed Size (px)

Citation preview

1

Bulletin mensuel de l’Institut Musulman - n° 5 - Avril 2016

En ces temps sécuritaires où une vingtaine de terroristes ont été arrêtés où des dizaines de victimes ont péri, des centaines blessées ou

invalidées, la guerre annoncée par Manuel Vals bat son plein dirait-on.Les musulmans de France observent avec une tristesse mêlée d’appréhension le défilé de tous ceux qui, avec détermination et une volonté mémorable, égrènent leur programme de destruction dans une folie meurtrière.Devant ces attitudes taciturnes et ce silence accablé, la vie continue malgré tout et les mêmes incertitudes assaillent la vie quotidienne de cette morte-saison qui n’en finit plus de multiplier les difficultés de la vie de tout à chacun.

Pour apporter sa pierre à l’édifice, La Mosquée de Paris a décidé de faire appel aux femmes musulmanes qui ont manifesté leur sentiment de ras-le-bol, leurs désarrois et leur douleur face à ces terribles évènements qui ravissent, à certaines, un fils, parti en Syrie, à d’autres, des enfants, fauchés par des rafales de kalachnikov. Le silence ne peut plus durer.Nous avons réuni un groupe de mères de famille, de journalistes, présidentes d’association pour élaborer un dialogue qui donne aux femmes la possibilité de dire haut et fort leur condamnation du terrorisme, leur jugement quant à la situation actuelle et leur proposition d’action. Chacun à son niveau est amené à payer des années

de laxisme et de naïveté devant un fondamentalisme politique agressif, violent et mortel.Une participante à notre réunion, dénonce le rôle d’une ministre afghane chargée de distribuer les coups de fouet aux femmes qui n’ont pas respecté tel ou tel point de la charria. Mme Nadia Remadna, jette l’opprobre sur les prêcheurs de rue qui n’hésitent pas à insulter et menacer une musulmane, citoyenne d’un pays libre mais « terrorisé parfois par leur propre fils », comme nous l’apprend Madame Remadna.Vanessa, journaliste à Beur FM, lutte sans cesse contre les préjugés archaïques et sans fondement rationnel ou religieux, et tente de rétablir l’idéal républicain en faisant appel à la mémoire de tous ces ancêtres qui ont donné leur sang et leur sueur pour la France.Quant à une élue de la Ville de Paris, de confession musulmane, elle met en avant les excès de la « mode pudique » qui attire les appétits des profiteurs commerciaux visant des consommateurs mondialisés représentant pas moins de 1.2 milliard d’euros. Beaucoup de sujets, d’expériences, ont besoin d’être communiqués pour mieux cerner le monde et améliorer notre quotidien ainsi que l’avenir de nos enfants. Et les femmes ont leur mot à dire.

Nous ajouterons pour clore ce papier, l’enregistrement des premiers MOOC de la Mosquée de Paris, prochainement en ligne, ayant pour thème ce mois-ci la mémoire, l’aumônerie pénitentiaire et certains points théologiques.

Recteur Dalil Boubakeur

Editorial

SOMMAIREActualités de la Mosquée p2Point de vue p10Contes et textes arabes p 11

2

JEUDI 10 MARS MOSQUÉE Rencontre du Recteur avec M. Jean-Christophe Camba-délis, Premier Secrétaire du Parti Socialiste accompagné de son directeur de cabinet Maxime des Gayets. Monsieur Cambadélis a évoqué avec le Recteur la préoccupation nationale de l’influence minoritaire de l’islamisme radical en France qui cherche à fanati-ser la jeunesse, en soulignant le rôle et l’action fondamentale de la Grande Mosquée de Paris dans l’intégration des musulmans à la communauté nationale.

MARDI 15 MARS MOSQUÉE

Rencontre du Recteur avec le Pr Brigitte BASDE-VANT-GAUDEMET, Professeur et vice-doyen de la Recherche - Université Paris-Sud (droit et société religieuse) et Mme Isabelle SAINT-MARTIN, Directrice de l’IESR (Institut européen en sciences des religions), directrice d’études à l’EPHE (École pra-tique des hautes études) en présence de M. Djelloul SEDDIKI, Directeur de théologie de la Mosquée de Paris (l’Institut al-Ghazali) qui forme des imams et des aumôniers. La conversation a porté sur le nouveau cursus universitaire (DU) de formation civique et civilisationnelle dé-diée aux personnels religieux (imams et aumôniers) et le suivi des imams de la Mosquée de Paris et des élèves imams de l’Institut de théologie inscrit dans ce DU destiné à la formation à la laïcité.

JEUDI 17 MARS MOSQUÉE

Rencontre du Recteur avec M. Olivier Schramek, Président Directeur Général du CSA avec qui il a évoqué le traitement de l’islam et de l’islamophobie dans les médias et le souci de donner à la société les très nombreux exemples positifs de l’intégration citoyenne des musulmans en France en évoquant, notamment, la problématique des «écrans pâles» à la télévision, c’est à dire le vide d’expresison de la communauté des musul-mans de France.

Dîner-Débat avec les avocats de la Fraternité du Barreau de Paris, association regroupant tous les avo-cats épris de justice et de liberté qui partagent des valeurs de fraternité, quelle que soit leur croyance ou leur

Actualités de la Mosquée

3

Actualités de la Mosquéephilosophie de vie. Un dîner d’échanges et de débat dans la Salle d’Honneur avec le Recteur D. Boubakeur. Des échanges fort intéressants ont tourné autour des notions de droit positif et de la jurisprudence musul-mane, à la source de la loi en islam et des quatre écoles du droit. MARDI 22 MARS MOSQUEE

Les trois grandes mosquées habilitées à la certification halal ont signé à la Mosquée de Paris la « Charte Halal du Conseil français du culte musulman (CFCM) ». Ici avec le Recteur D. Boubakeur, M. Anouar Kbibech (président du CFCM) et M. Kamal Kabtan, Recteur de la Grande Mosquée de Lyon, M. Aslam Timol, de la Grande Mosquée de la Réunion. La Grande mosquée d’Evry-Courcouronnes, absente sur la photo, est égale-ment signataire de cette charte.

MERCREDI 23 MARS MOSQUÉE Déjeuner du Recteur avec M. Anouar Kbibech, Président du CFCM et M. Amar Lasfar, Président de l’UOIF. Lors de cette rencontre, la deuxième tenue, lundi 21 mars au Ministère de l’intérieur, de l’Instance de dialogue avec les musulmans initiée par le gouvernement a été évoquée ainsi que la situation des musulmans en France et les actes islamophobes.

MERCREDI 30 MARS MOSQUÉE Rencontre avec M. Francis Kalifat, vice-président du Crif, prochain président du Conseil représentatif des institutions juives de Frances (CRIF)

Unique candidat à la présidence du CRIF en mai prochain, M. Francis Kalifat s’est entretenu avec le Recteur sur les relations anciennes, actuelles de la Mosquée de Paris avec la communauté juive de France et ses grands dignitaires religieux ainsi que leurs positions communes sur le respect et le dialogue inter-religieux en France dans le cadre des va-leurs de la République. Ils ont convenu de rester vigilant et mobilisé sur les actes islamophobes et antisémites d’où qu’ils

4

viennent. La Grande Mosquée de Paris est co-fondatrice de la Fraternité d’Abraham en 1967, au lendemain de la Guerre de Six Jours, et co-fondatrice des Amitiés judéo-musulmanes en 2010.

SAMEDI 19 MARS 2016

Le Recteur Dalil BOUBAKEUR a participé samedi 19 mars 2016 à la commémoration par le Chef de l’État du cessez-le-feu du 19 mars 1962 en Algérie. M. François HOLLANDE est le premier Président de la République à avoir choisi cette date-là pour rendre hommage aux victimes de cette guerre. À cette occasion, le Président a prononcé un discours au Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, quai Branly à Paris : « Le 19 mars 1962 ce n’était pas encore la paix, c’était le début de la sortie de la guerre, dont l’histoire nous apprend qu’elle est bien souvent la source de violence, ce qui fut tragiquement le cas en Algérie» Le Recteur a écouté avec intérêt les paroles de paix et d’amitié qui grandit entre la France et l’Algérie ainsi que le reste des pays du Maghreb.

Actualités de la Mosquée

5

Actualités de la Mosquée

Appel aux citoyennes musulmanes

Nous voulons assurer les citoyennes de confessions musulmanes que la France, pays de liberté, n’acceptera jamais une quelconque sujétion ou marginalisation de la Femme musulmane qui dans l’Islam est considérée comme l’égal de l’Homme devant Dieu.

La femme de confession musulmane souffre du poids de certaines traditions, des traditions fausses et vexatoires qui n’ont aucun rapport avec le message religieux authentique, et qui font d’elles les éternelles secondes au sein de la vie et de la société.

La citoyenne musulmane, protégée par les lois de la République, doit exprimer librement ses doléances ou ses revendications et manifester son droit à l’exercice plein et entier de ses libertés : liberté d’expression liberté économique et liberté de combattre tout ce qui l’aliène. Liberté également de rejeter toutes ces fausses interprétations du Coran qui font croire que la polygamie ou encore le mariage forcé de filles parfois mineures, sont autorisés, que les mutilations génitales sont signes de pureté. Tout ceci est faux, ce ne sont que des subterfuges qui croient protéger « la mode pudique » et constituent une déformation honteuse des paroles du Prophète (SAWS).

Il est intolérable qu’aujourd’hui encore des citoyennes doivent vivre dans la crainte de caïds de banlieue endoctrinés. Il est intolérable qu’on refuse à une citoyenne diplômée, qualifiée, la considération et le respect qui lui est dû sous prétexte qu’elle est une femme. Il est intolérable que les femmes soient reléguées au second plan qu’il s’agisse de la sphère professionnelle, médiatique, économique ou familiale. Enfin, il est intolérable que des mères craignent que leurs enfants tombent entre les mains du terrorisme.

Mues par ces combats quotidiens, par une formidable énergie de citoyennes engagées, de mères de famille bien décidées à se battre pour leurs enfants, ce sont bel et bien les femmes qui motiveront les musulmans de France à sortir de leur silence.

Les femmes donnent le jour, éduquent et protègent nos fils et nos filles. C’est en menant ce processus de libération sociale, familiale, personnelle, artistique, professionnelle, qu’elles pourront pleinement transmettre aux générations futures le respect de l’autre, le rejet de la haine, l’égalité entre les êtres et ainsi, relever le défi de la modernité qui reste le combat à mener pour notre communauté.

6

Actualités de la Mosquée

Intervention de Monsieur le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur

La radicalisation est aujourd’hui une menace grave pour notre société, notre vivre ensemble et pour les musulmans de France. Plusieurs dizaines d’armes de guerre ont été saisies par les forces de l’ordre depuis la promulgation de l’état d’urgence. La menace de nouvelles attaques telles que nous en avons vécues en 2015 est toujours d’actualité et pèse lourdement sur notre nation.Il nous incombe de réfléchir et de proposer des solutions concrètes et actives contre le fléau du radicalisme qui menace notre jeunesse ainsi que son devenir en France.

Nous en appelons donc à un véritable réarmement moral et psychologique contre la barbarie. Les massacres et le terrorisme de masse doivent être combattus avec détermination et les moyens sécuritaires nécessaires mis en place. Monsieur Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, abonde dans ce sens en affirmant que les moyens en terme de sécurité sont non seulement une priorité mais également qu’ils ne sauront aller à l’encontre du respect de la communauté musulmane et de la vie privée. Nous félicitons cette démarche. Combattre le terrorisme en assurant l’unité nationale et

le respect constitue un réel engagement de civilisation. C’est pour cette raison que nous devons, nous, musulmans de France, apporter notre soutien et notre assistance à cette nécessité qu’est la lutte contre le radicalisme et le terrorisme.

Tout d’abord notre expression et notre réprobation totale de la violence doivent être audibles et refléter notre condamnation ainsi que notre combat contre toutes les entrées de la manipulation djihadiste à nos portes.

Le Numéro Vert mis en place par l’État est un moyen immédiat de répondre à l’appel au secours des familles, des témoins, et de tous ceux qui refusent de laisser les recruteurs continuer leur sinistre « moisson » sur Internet dans le but de changer nos jeunes brusquement ou insidieusement. Ils agissent parfois en secret, il faut alors veiller à la moindre modification de comportement chez nos adolescents et jeunes adultes : changement d’habitudes alimentaires, vestimentaires, rejet du sport et de la musique, retrait social, détachement envers les amis et la famille, modification des résultats et comportements scolaires doivent nous alerter et nous devons en parler.

Prévention de la radicalisationLundi 21 mars 2016 - Ministère de l’Intérieur

Instance de dialogue avec les musulmans

Le 21 mars dernier s’est tenue l’Instance de dialogue avec les musulmans de France au Ministère de L’intérieur. Plusieurs représentants d’institutions religieuses ainsi que le Premier ministre, Monsieur Manuel Valls, et le ministre de l’Interieur, Monsieur Bernard Cazeneuve, sont intervenus au cours de cette journée dédiée à la lutte contre le radicalisme. Nos lecteurs trouveront ci-dessous un résumé de l’intervention de Monsieur Cazeneuve, qui a conclu cette journée d’étude, ainsi que le discours de Monsieur le recteur de la Grande Mosquée de Paris, présent également et qui a inauguré la séance.

7

Cette forme d’intoxication par les réseaux sociaux peut être combattue sur le même terrain que celui sur lequel jouent les radicaux, c’est-à-dire Internet. Cet empoisonnement 2.0 peut trouver son antidote par la mise en place de plateformes multimédias pédagogiques telles que les « Massive on line open course » ou MOOC, cours sur internet dispensés par des universitaires du monde entier totalement libres et gratuits, qui comptent un grand nombre de participants.

Ces cours interactifs à distance répondent à la soif de connaissance de nos jeunes et permettent, même au plus démuni, de s’informer de manière sérieuse sur différents sujets allant de l’histoire à la sociologie, répondant de manière indirecte à ce qu’ils peuvent vivre, à ce qu’ils peuvent croire. Autant d’informations grossièrement déformées sur les sites radicaux.

En ce qui nous concerne, à la Grande Mosquée de Paris, nous mettons en place différents MOOC qui constitueront le support au travail pédagogique que nous menons depuis plusieurs années ; à savoir la connaissance de l’Histoire musulmane, du sens véritable de l’Islam et la transmission de notre héritage de paix et de raison aux jeunes générations. Autant de connaissances qui serviront de moyen de lutte contre les messages fallacieux des radicaux.

Nous pensons ainsi contribuer sur Internet à la lutte contre la radicalisation au-delà du rôle indispensable de la surveillance parentale.

Nous tenons également à encourager la formation des imams et particulièrement à leur fournir tous les moyens pédagogiques et les connaissances nécessaires pour valoriser le véritable message de paix et de tolérance de l’Islam Vrai, et de combattre à tous les instants les argumentaires néfastes et faux des salafistes. Des Diplômes universitaires sont d’ors et déjà mis en place pour permettre aux personnels religieux d’élargir leurs connaissances et s’imprégner au mieux des lois de la République, de l’histoire et de la sociologie de France.Former l’imam procède de l’essentiel dans le

combat efficient contre la radicalisation, ce ministre du culte devant en être le rempart. Il faut le doter des moyens suffisants pour contrecarrer les idées nuisibles, véhiculées par des semeurs de morts qui travestissent le message divin.

Il s‘agit ni plus ni moins que d’engager nos religieux sur la voie de l’aggiornamento de la pensée religieuse de nos traditions en réfléchissant au temps, au contexte et au lieu où nous vivons.

Cette véritable réforme appelée dans le Coran XI-88 (Hûd) est une invitation à l’éveil et à la renaissance de notre tradition religieuse ligotée par des siècles de salafisme ou de wahhabisme. Nos penseurs et théologiens tels Ikbal, Kawakibi, Afghani, Abdûh, Rida et les plus récents tels que Arkoun, Sohroush, Talbi, Ansari ou Ashmawi appellent à cet effort d’aggiornamento de notre pensée religieuse contre nos blocages et retards, facteurs de recul, d’obscurantisme et de violence.

« Vivez avec votre temps comme témoins des hommes », tel que nous le commande le Coran (II.113). En effet, c’est en se modernisant, en favorisant les évolutions sociales, scientifiques et institutionnelles que les pays musulmans pourront à leur tour renaître et trouver toute leur place dans le monde moderne.

Dans le Coran, il est également dit que celui-ci a été envoyé pour un peuple qui raisonne. Et dans la sourate Ha-mim (Az-zoukhrouf) 43 : «Par le livre explicite, nous en avons fait un Coran arabe afin que vous raisonniez ». L’éducation, l’instruction des nôtres est nécessaire pour faire prendre conscience à notre communauté que notre civilisation et notre religion sont profondément humanistes, que la raison, la mesure et le progrès furent constamment encouragés et le meurtre toujours prohibé.

Le musulman aujourd’hui doit absolument exprimer et relever le défi de la modernité. C’est ce que le Monde attend de nous. Ce processus de réforme, de modernisme, ne peut s’opérer que par les musulmans eux-mêmes et constitue la condition pour que la communauté évolue

Actualités de la Mosquée

8

Actualités de la Mosquéefavorablement et vive en accord avec la réalité du progrès. Cette évolution est notre devoir à tous.

C’est pour cette raison et dans cette dynamique que les prisons où sévissent des groupes radicaux ainsi que les mosquées salafistes doivent faire l’objet de surveillance accrue et d’une répréhension ferme et systématique. Développer les moyens de repérages des foyers radicaux, mettre au point des protocoles d’action pour en venir à bout et surtout sauvegarder nos jeunes générations abandonniques frappées par l’illettrisme, le chômage et la misère sociale, doivent devenir des priorités.

Mesdames Messieurs chers Amis

Les quatre tables rondes qui sont réunies aujourd’hui vont donc nous éclairer en apportant leurs points de vue concernant les territoires où la radicalisation prend racine ; la radicalisation en elle-même et ses opportunités en milieu carcéral ; la prévention de cette radicalisation dans le cadre de la laïcité et des messages que l’État peut envisager dans le cadre éducatif, médiatique, scolaire et plus généralement social. Et enfin, la prise en charge de notre jeunesse, première proie et victime des radicaux.

Je laisse la parole aux différents représentants des quatre instances de dialogue et d’études ici présents et vous remercie de votre attention.

Résumé du discours de clôture de Monsieur le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve :

« Aux musulmans de France, je veux dire en re-tour que la République a vocation à les prendre dans ses bras, à leur donner la place qui est la leur en son sein. Je veux leur dire que la Répu-blique les protègera toujours contre ceux qui voudraient les atteindre et qu’elle leur garantira toujours le droit constitutionnel d’exercer leur culte dans des conditions dignes et paisibles. Car ces droits sont ceux précisément que la République doit garantir à tous les citoyens, par-delà leurs confessions et leurs convictions. C’est là aussi que se situent mon engagement et

mon devoir à l’égard de chaque citoyen, dans ma responsabilité de ministre de l’Intérieur. » Ainsi s’est exprimé le ministre de l’Intérieur lors de son discours de clôture de l’instance de dia-logue avec les Musulmans de France.

« Vous avez ainsi été aujourd’hui les porte-pa-roles de tous ceux qui se sont exprimés par milliers, lors de ces débats préparatoires en pré-fecture sur le thème de la prévention de la radi-calisation, et qui se sentent mobilisés par cette cause d’intérêt public. » a-t-il poursuivi. Cette mobilisation des représentants musulmans a mené à plusieurs groupes de travail instaurés par le ministère afin d’endiguer la menace du radica-lisme. Conséquence possible de cet engagement, la baisse des actes islamophobes en 2016 (33 actes en janvier-février 2016 contre 196 actes en janvier-février 2015) encourage les pouvoirs publics à poursuivre leur lutte et maintenir « leur très grande fermeté » sur le sujet.

Le ministre est revenu sur les applications concrètes mises en place suite aux différentes réunions de concertations avec les musulmans de France et l’Etat.

« Chaque préfecture dispose désormais d’une cellule de suivi et d’accompagnement des per-sonnes radicalisées et de leur famille. Ce sont donc 101 structures de premier niveau qui existent et qui ont permis la prise en charge effective de près de 1 600 personnes. (...) Il me semble souhaitable que les préfectures cherchent à s’appuyer sur des « référents religieux » pour aider à la prise en charge de certains individus radicalisés et de leur famille. Ce faisant, il ne s’agit pas pour l’Etat de dire quel est le «bon islam », mais de permettre à de jeunes esprits imprégnés de la propagande de DAESH d’avoir accès, dans le dialogue avec une personne de confiance, à une compréhension plus large des questions théologiques. »

Ces référents religieux, tout comme les au-môniers pénitentiaires ainsi que les Imams des Mosquée, devront désormais justifier un diplôme universitaire de formation civile et civique.

« L’objectif consistant à doubler le nombre des formations « civiles et civique » de façon à per-mettre aux aumôniers et aux imams (...)été at-teint et même dépassé. Ces formations sont ren-dues obligatoires pour les aumôniers ainsi que pour les imams étrangers détachés. (...)L’Etat

9

Actualités de la Mosquée

continuera à soutenir leur formation profane, à travers le développement continu des DU de formation civile et civique sur tout le territoire, complété par la création d’un DU qu’il sera possible de suivre à distance. »

Avec justesse, le ministre a également souligné le rôle des mosquées dans la prévention de la radicalisation.

« Les responsables de l’islam de France doivent être en mesure d’opposer un exemple, une sa-gesse, une autorité morale et théologique qui permette de dénoncer les mensonges et les im-postures au nom de la connaissance, du savoir, au nom de l’islam des Lumières que vous chéris-sez. »

Pour mener à bien ces principes, « des pro-grammes d’accueil et d’éducation destinés aux convertis » seront instaurés, « de façon à leur donner rapidement les bases d’une culture reli-gieuse leur permettant de faire preuve de discer-nement à l’égard des discours qui se trouvent sur internet. » Evoquant les rares cas de radicalisa-tion au sein de mosquées prônant le salafisme, le ministre s’est engagé à prendre « dans le respect rigoureux du droit, toutes les mesures destinées à fermer les lieux où se prêche la haine. »

Après avoir souligné la multiplicité des profils des jeunes radicaux ou en voie de radicalisation, le Ministre a insisté sur les prosélytes prêcheurs de mort et de haine, rendus «d’autant plus actifs qu’ils décèlent des fragilités chez celles et ceux qu’ils manipulent.(...) A l’évidence, la dimension religieuse de la radicalisation, si elle n’est pas le seul facteur de ce phénomène, constitue le cadre de mobilisation proposé aux djihadistes à travers une lecture littéraliste dévoyée de la reli-gion, transformée en idéologie totalitaire. Cette dernière prône le combat contre les non-mu-sulmans, mais aussi contre les musulmans eux-mêmes, qualifiés de « faux musulmans » quand ils n’adhérent pas à ce dogmatisme de la haine. »

Reconnaissant également la responsabilité de l’Etat, Monsieur le ministre a appelé à la lutte « contre le sentiment de relégation et de discri-mination dont se sentent victimes nombre des jeunes tentés par des engagements radicaux et violents. », rappelant que la première vocation de l’Etat « est bien entendu de montrer que les

jeunes Français ont tous rigoureusement les mêmes droits, quelles que soient leurs origines, leur convictions ou leur confession. ».

Enfin, Monsieur Cazeneuve a appelé à l’éviction de tous les « amalgames destructeurs » et s’est réjoui de la création d’un « Conseil religieux de l’islam de France, qui aurait vocation à nourrir la réflexion sur la contextualisation de la pratique religieuse dans notre pays, ainsi qu’à élaborer un contre-discours fondé sur un argumentaire théologique solide, afin d’apporter une réponse aux thèses djihadistes qui prolifèrent sur les réseaux sociaux. »

Monsieur le ministre a conclu son intervention par une citation de Abdelwahab MEDDEB

« Au lieu de distinguer le bon islam du mauvais, il vaut mieux que l’islam retrouve le débat et la discussion, qu’il redécouvre la pluralité des opinions, qu’il aménage une place au désaccord et à la différence ; qu’il accepte que le voisin ait la liberté de penser autrement ; que le débat intellectuel retrouve ses droits et qu’il s’adapte aux conditions qu’offre la polyphonie ; que les brèches se multiplient. »

10

POINT DE VUE

L’ennemi « ne va plus de soi ». C’est un nouveau genre de terroriste que ces dernières années ont vu naître. Il est multiple, nouveau, hybride. Le guerrier à l’autre bout du monde, l’étranger qui menace, est un modèle quasi dépassé. Désormais, l’ennemi est à l’intérieur de nos frontières. Certes il part assouvir sa soif de violence et de fanatisme en Syrie mais il est né sur notre sol.Bauer s’appuie sur les exemples des terroristes des dix dernières années qui ont sévit sur notre sol : Les frères Kouachi, Merah et Coulebaly. Tous sont passés du statut de délinquant à celui de terroriste. Tous se sont radicalisés en prison. Plutôt que de terrorisme pur et dur, Alain Bauer parle de « gangsterrorisme ». Un néologisme qui trouve tristement sa place dans notre monde actuel. Kelkal, l’auteur des attentats des 1995, soit près de dix ans avant ceux de 2015, Lionel Dumont, militaire français radicalisé membre du gang de Roubaix en 1996, voici les premiers « hybrides » que l’Etat n’a pas su identifier. Leur parcours, leurs actes, ont été classé comme des actes isolés alors qu’, hélas, ils inauguraient en réalité une nouvelle forme de terreur. Bauer souligne une autre mutation dans l’organisation du terrorisme à grande échelle. Les Kouachis ont revendiqué leur massacre de Charlie Hebdo au nom d’un Islam radical mais également en hommage sordide à Anwar Al Awiki, affilié à Al Qaïda. Quant à Coulibaly, on l’a vu, après sa mort, se draper dans un drapeau de l’Etat Islamique sur la vidéo revendiquant ses actes. Deux organisations différentes, deux opérations différentes qui se retrouvent et s’unissent pour une même cause. Depuis le 11 septembre 2001, Al Qaeda, connue pour être formée de différents groupes regroupés autour d’une lecture radicale du Coran, se sont regroupés pour mener leurs attaques. Autre mutation essentielle à prendre en compte dans la lutte contre le terrorisme actuel : Si à la base l’idéologie radicale constituait le ciment du terrorisme, la revendication d’un Etat islamique entre désormais en ligne de compte.

Alain Bauer cible l’Occident qui n’a pas su – ou n’a pas voulu- voir cette souche hybride et complexe qu’est le nouveau terrorisme. Pourtant, selon l’auteur, la chose était prévisible. Avec la chute du Shah

d’Iran et l’exacerbation des tensions entre Sunnites et Chiites, la fin du mur de Berlin, le retrait des anciennes puissances coloniales, on ne pouvait s’attendre qu’à une résurgence d’anciens « clans », d’anciennes identités que la colonisation et l’interventionnisme occidental avait étouffé et qui, désormais, trouve un nouveau souffle.La mondialisation a sa part de responsabilité. L’occident n’a pas su repérer ni conjuguer avec les différences de fonctionnement entre un Occident rationnel et un Orient pour qui la religion garde une primauté depuis longtemps relayée au second plan en Europe notamment. A vouloir modeler le monde à leur image, les puissances occidentales ont malgré elles éveiller des résistances en forme de repli identitaire communautariste qui, parfois, se révèle radical.L’auteur parle d’une véritable « bataille de Kerbala » pour évoquer le bouleversement mondial qu’a vu s’opérer la fin du XX.Quelles que soient les erreurs du passée, l’important aujourd’hui est d’agir. Bauer préconise de nouveaux outils pour contrer de nouveaux terrorismes. En plus des services de renseignements « classiques », il encourage le renseignement à l’échelle territoriale de la part des policiers, l’anticipation opérationnelle au niveau des antennes de gendarmerie, la participation des administrations pénitenciers ainsi que celle de la police municipale et des opérateurs de service, y compris privés, dans les secteurs tels que les transports et les communications. Ainsi, tous ses services deviendront « les yeux et les oreilles de la Nation », propre à repérer et lutter contre un terrorisme aux multiples visages.Fort de son expérience dans ce domaine, Alain Bauer propose une formation adaptée et spécifique pour faciliter les opérations de contrôle liées au renseignement ainsi que la mise en place d’un magistrat spécialisé apte à délivrer mandats et autorisations au-delà de la procédure classique afin d’agir de façon plus ciblée et surtout plus rapide, sans craindre l’erreur de jugement et les poursuites.Enfin, Alain Bauer conclut avec justesse qu’ « il ne s’agit pas de faire la guerre au terrorisme. Il faut lui faire la police. »

Alain Bauer : « Sortir de la logique du prêt-à-penser pour combattre un ennemi qui ne va plus de soi… »

Conseiller de Nicolas Sarkozy et Manuel Valls sur les questions de sécurité et de terrorisme, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers, auteur d’une trentaine d’ouvrage sur le sujet, Alain Bauer s’exprime sur son appréciation du terrorisme moderne dans son livre paru aux éditions du CNRS et préfacé par Michel Rocard, suite aux attentats de janviers 2015. Avec un titre évocateur, Qui est l’ennemi ? », Alain Bauer décrypte les nouveaux visages du terrorisme actuels et proposent des moyens de lutte adaptés contre cette menace aux nombreuses facettes.

11

POINT DE VUE

Illustration de Gustave Doré

La souris du logis et la souris du désert

AL-IBSHÎHÎ (1388-1446, XIV°-XV° Siècle)

On raconte que la souris du logis vit la souris du désert dans la gêne et la peine ; elle lui dit : -« Que fais-tu ici ? viens avec moi au logis car il y a toutes sortes d’opulence et d’abondance ». Alors la souris du désert

vint avec elle. Mais voici que le propriétaire du logis qu’elle habitait lui tendit un piège, constitué par une brique au-dessous de laquelle il avait placé un bout de graisse. Elle se précipita pour prendre le gras, la brique lui tomba dessus et l’écrasa. La souris des champs s’enfuit, hochant la tête et, étonnée, elle dit : -« Certes, je vois une grande abondance, mais aussi une grande affliction ; par conséquent, la santé avec la pauvreté me sont plus douces que la richesse qui conduit à ma perte. » Puis elle

s’enfuit vers le désert.

Le rat de ville et le rat des champs

La Fontaine

Autrefois le rat de ville Invita le rat des champs, D’une façon fort civile, A des reliefs d’ortolans.

Sur un tapis de Turquie Le couvert se trouva mis. Je laisse à penser la vie Que firent ces deux amis. Le régal fut fort honnête ; Rien ne manquait au festin : Mais quelqu’un troubla la fête Pendant qu’ils étaient en train. A la porte de la salle Ils entendirent du bruit : Le rat de ville détale ; Son camarade le suit. Le bruit cesse on se retire : Rats en campagne aussitôt, Et le citadin de dire : « Achevons tout notre rôt. - C’est assez, dit le rustique ; Demain vous viendrez chez moi. Ce n’est pas que je me pique De tous vos festins de roi ; Mais rien ne vient m’interrompre : Je mange tout à loisir. Adieu donc : fi du plaisir Que la crainte peut corrompre ! »

contes et textes arabes