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U N E R É F É R E N C E S A N S É Q U I V A L E N T L’art du monde entier exposé avec une clarté exceptionnelle L A P L U S G R A N D E C O L L E C T I O N D A R T J A MA I S R A S S E M B L É E D E 3 0 0 0 0 A V . J . - C . À N O S J O U R S

É F É U IVALENT S R U O J S O N À C J V A DD E R AM A IS R ... · de Rembrandt, Les Ménines de Velázquez ou le Guernica de Picasso côtoient des céramiques chinoises, les estampes

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NE RÉFÉRENCE SANS ÉQUIVALENT

L’art du monde entier exposé avec

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Art de l’âge de pierre

Salles 1-3

Proche-Orient ancien

Salles 4-14

égypte ancienne

Salles 15-24

Grèce ancienne

Salles 25-46

Art étrusque et préromain

Salles 47-53

Rome ancienne

Salles 54-66

Cultures de l’Europe antique

Salles 67-69

Asie centrale

Salles 70-75

Chine et Corée

Salles 76-96

Japon

Salles 97-112

Art byzantin

Salles 113-121

Art de l’Islam

Salles 122-135

Europe médiévale

Salles 136-160

Renaissance italienne

Salles 161-192

Asie du Sud-Est

Salles 225-230

Asie du Sud

Salles 214-224

Cultures amérindiennes

Salles 231-247

Baroque et rococo

Salles 248-277

Art du xixe siècle

Salles 285-313

Néoclassicisme

Salles 278-284

Afrique

Salles 314-323

Australie et Océanie

Salles 324-331

L’art de 1900 au milieu du siècle

Salles 332-372

Renaissance du Nord

Salles 193-213

L’art depuis le milieu du xxe siècle

Salles 373-452

Conçu et élaboré par Phaidon, ce musée imaginaire abrite la plus prestigieuse collection d’art jamais rassemblée. Libres de toute contrainte d’espace, ses salles exposent quelque 3 000 peintures, sculptures, fresques, photographies, tapisseries, frises, installations, performances, vidéos, estampes, paravents, céramiques et manuscrits qui ensemble racontent l’histoire de l’art du monde.

Flânez dans ses 25 galeries et ses 450 salles et prenez le temps d’admirer les chefs-d’œuvre, célèbres ou moins connus, sélectionnés parmi des collections publiques et privées du monde entier. Accordez-vous un moment de détente dans ses vastes couloirs et visitez l’une des expositions dont les œuvres issues de notre collection permanente mettent en lumière des sujets et des thèmes particuliers.

Il s’agit du seul endroit au monde où La Joconde de Léonard de Vinci, les plus beaux autoportraits de Rembrandt, Les Ménines de Velázquez ou le Guernica de Picasso côtoient des céramiques chinoises, les estampes d’Hokusai, des pièces d’orfèvrerie péruviennes, des peintures rupestres de Lascaux ou encore les œuvres de Cy Twombly ou de Brice Marden.

Grâce à ses galeries identifiables par leur couleur, à ses textes muraux apportant des éclairages pertinents sur le mouvement, la culture ou le thème présenté dans chaque salle, ainsi qu’à ses cartels explicatifs accompagnant chaque œuvre, Le Musée absolu offre un parcours aisé, aussi exaltant qu’instructif, et une expérience visuelle d’une exceptionnelle richesse.

Ouvert à toute heure du jour et de la nuit et 365 jours par an, il est le premier musée au monde à être accessible sans aucune restriction.

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Égypte ancienne

15-24

L’Égypte est née le long de la vallée du Nil : pendant des millénaires, les rives fertiles du fleuve majestueux, coupant à travers les vastes déserts du plateau nord-africain, ont attiré les hommes. La civilisation de l’Égypte antique recouvre une immense période, depuis ses débuts à l’ère prédynastique (v. 5300-3000 av. J.-C.) jusqu’à son annexion par l’Empire romain (v. 30 av. J.-C.-395). Le style caractéristique de repré-sentation des formes humaines apparut avec l’émergence d’un État et d’une monarchie unifiés, aux environs de 3000 av. J.-C. Dès le début, ce style fut créé spécifiquement pour représenter les pharaons.

En Égypte, toutes les statues, bas-reliefs, sculptures et peintures étaient amenés à la vie, « activés » par des rituels. En conséquence, l’image devait être complète et le mode de représentation égyptien tendait par tous les moyens à offrir une représentation « réelle » plutôt qu’une recréation du visible. Pour cette raison, les éléments les plus reconnaissables et fonction-nels étaient combinés dans une image : le visage de profil montre que le nez est complètement formé et qu’il peut respirer ; l’œil, lui, doit pouvoir regarder – ainsi, il est dessiné entièrement. Le reste du corps alterne des profils et des sections. De telles représentations du corps humain apparurent sur les bâtiments à une époque précise, de toute évidence comme le résultat d’une volonté rituelle raisonnée. Ce style fut rapidement adopté pour toutes les représentations. Toutefois, des licences existaient suivant le statut social. Sur les stèles funéraires, par exemple, le défunt et sa famille étaient peints selon ces canons formels, mais les règles n’étaient pas aussi scrupuleuse-ment suivies pour les classes sociales inférieures, décrites dans toute une palette de positions et d’activités.

La seule entorse majeure à ce style idéalisé dans les représentations de la royauté a lieu sous le règne d’Akhenaton (v. 1352-1336 av. J.-C. ; Salle 16), quand le pharaon se fit représenter sous des traits exagérés : visage long et

étroit, taille mince, hanches larges et jambes grêles. Bien que ces images puissent paraître radicalement éloignées de la tradition, elles s’inscrivaient néanmoins dans le style égyptien. C’est ce qui confère à l’art égyptien antique, toutes périodes confondues, cette impression d’immuabilité : la façon de représenter l’humain défini en 3000 av. J.-C. perdura pendant plus de trois millénaires jusqu’à la période romaine. Chaque dynastie et chaque règne apportaient certes quelques subtiles variations dans les proportions, les traits du visage et autres détails, mais toutes restaient subordonnées aux visées essentiellement religieuses de l’image sur lesquelles se construisit l’ensemble du style égyptien.

Intimement liés, l’art et l’écriture se développèrent simultanément en Égypte. Dans de nombreux cas, l’image pouvait être lue comme un grand hiéroglyphe dont elle gardait fréquemment la fonction. Cela s’appliquait en particulier aux représentations de la faune, de la flore et des objets. Les coffres, par exemple, étaient montrés de façon tout à fait caractéristique, vus de côté ; les objets qu’ils contenaient étaient rangés par-dessus. Que ce soit dans les scènes narratives, l’art figuratif ou la représentation d’objets, la clarté et la lisibilité restèrent les clés du style égyptien.

Au iiie siècle av. J.-C., le prêtre Manéthon établit une chronologie des rois égyptiens que l’on utilise encore de nos jours, en regroupant les pharaons en fonction de leurs dynasties selon trois « Empires » – l’Ancien, le Moyen et le Nouveau – durant lesquels l’Égypte aurait été stable et unifiée. Chacun de ces Empires est suivi d’une période de troubles, nommée « Période inter-médiaire ». À la Troisième Période intermédiaire succède la Basse Époque, qui prit fin quand Alexandre le Grand conduisit les Perses à travers le pays en 332 av. J.-C. D’origine grecque, la dynastie ptolémaïque prit pour capitale Alexandrie plutôt que Thèbes (aujourd’hui Louxor), et se termina lorsque sa dernière héritière, Cléopâtre VII, fut vaincue par Octave, le futur Auguste, fondateur de l’Empire romain.

15 Sculpture divine et royale16 L’étrange nouveau monde du pharaon Akhenaton17 Sculptures privées18 La vie quotidienne au bord du Nil19 La peinture : l’art de s’assurer une belle vie après la mort20 La faune du Nil21 Les arts décoratifs22 Exposition : la tombe de Toutânkhamon23 La sculpture en relief : des histoires dans la pierre24 Le royaume nubien de Méroé

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19 LA PeInTuRe : L’ ART de s’AssuReR une BeLLe VIe APRès LA MORT

21

Les tombeaux égyptiens étaient décorés de scènes qui, une fois « activées » par les rituels appropriés, permettaient la perpétuation des plus beaux aspects de la vie du défunt et assuraient que les cérémonies idoines se poursuivraient pour toujours. À partir du nouvel empire, appa-rurent également des papyrus peints nommés « Livres des morts » qui illustraient les hymnes, sorts et recommandations censés accompagner le défunt dans son voyage outre-tombe.

L’idéal égyptien de la mort était une tombe décorée de bas-reliefs peints. Ce n’était pourtant pas toujours possible, car dans de nombreuses régions d’Égypte, la qualité de

la pierre ne le permettait pas, sans même parler de la dépense que cela représentait. À Thèbes (l’actuel Louxor), le calcaire, bien que fin, est très friable et les tombes gravées sont rares. En général, on recouvrait les murs de plâtre épais, puis d’une couche plus fine sur laquelle on peignait ensuite à sec.

Bien que la peinture – murale ou sur papyrus – suive les mêmes conventions stylistiques que la sculpture en relief égyptienne, il s’agit d’un support différent qui se prête à d’autres usages. Toutefois, les techniques restent souvent très formelles. Les artistes ne disposaient que d’une palette réduite de couleurs (terre et ocre) qu’ils conservèrent même quand d’autres pigments furent découverts.

Le fait de recréer le monde en peinture (ou en sculpture) est sous-tendu par un dessein religieux : la représenta-

tion est ainsi rendue « vivante » et ne cherche pas à dépeindre le monde tel qu’il est. Ceci mène à toute une série de conventions. Datant de la xviiie dynas-tie (v. 1550-1294 av. J.-C.), cette peinture d’un jardin, retrouvée dans la chapelle funéraire de Nébamoun, à Thèbes (2), le montre bien : il n’y a pas de perspective et le bassin est vu de haut, à plat. Les arbres sont rangés de la même façon autour du bassin ; les poissons flottent à la surface. Le but véritable de cette scène est visible en haut à droite, où la figure de la déesse Nut émerge du tronc d’un sycomore, arbre auquel elle est associée ; à sa droite, dans la partie brisée, devaient se trouver les images du propriétaire de la tombe et de son épouse recevant la nourriture et l’eau fraîche qu’elle leur tend. il ne s’agit pas seulement de la belle représentation du

jardin d’un dignitaire : c’est un élément important de sa survie dans l’au-delà.

Le lien au monde naturel est encore plus frappant dans la scène qui montre Nébamoun chassant des oiseaux dans les marais (1). C’est une scène conven-tionnelle des tombeaux égyptiens, liée à la victoire sur les forces sauvages et chaotiques pour s’assurer un environ-nement sûr pour la renaissance dans l’autre monde. La scène est en général symétrique ; ici, on ne dispose que d’un fragment correspondant à une moitié. L’autre partie montrait Nébamoun pêchant au harpon – dont on voit une partie en bas à gauche. La scène mélange des images formelles avec ce qui semble être des représentations réalistes d’oiseaux, de poissons et d’un chat dressé pour la chasse. De fait, ces créatures sont très stylisées et

parfois même purement hiéroglyphiques, représentées de façon peu naturelle, mais très compréhensible.

Les plus beaux « Livres des morts » étaient écrits et enluminés par des scribes spécialisés et des artistes ; celui du scribe royal de la xixe dynastie Hounéfer (3) est l’un des plus riches. Ses illustrations détaillées des rites funéraires et des sorts magiques ainsi que les passe-temps favoris du défunt accompagnent des hiéroglyphes semi-cursifs très finement dessinés ; certains textes sont si obscurs que les Égyptiens eux-mêmes y ont ajouté des gloses explicatives.

1. nébamoun chassant les oiseauxv. 1380 av. J.-C. ; peinture sur plâtre 98 x 83 cm

Les papyrus sauvages des marais sont représentés en une touffe stylisée. De haute taille, le personnage de Nébamoun est peint en à-plats qui contrastent vivement avec les fourrures, les plumes et les écailles du chat, des oiseaux et du poisson. Malgré l’apparente précision de ces représentations, celles-ci restent hiéroglyphiques : les poissons flottent à la surface de la rivière, elle-même couverte de lignes en zigzag, symbole de l’eau ; le chat n’est pas en position de saut, mais accroupi à mi-hauteur ; les ailes des oiseaux ne sont pas attachées naturellement à leur corps. Ce ne sont toutefois que des détails secondaires. L’intention de l’artiste, en effet, n’était pas de représenter un paysage, mais de souligner le contraste entre le calme de Nébamoun et de sa femme (vêtue d’une tenue très élaborée

pour la chasse) avec le chaos autour de lui, qu’il apaise.

2. Le Jardin de nébamounv. 1380 av. J.-C. ; peinture sur plâtre 72 x 62 cm

L’utilisation de différents points de vue pour cet arrangement décoratif d’arbres et de plantes donne l’image d’un beau jardin ; pourtant, rien n’est peint au naturel. Le bassin est recouvert du zigzag qui désigne l’eau en hiéroglyphe ; les arbres sont schématiques, et les oiseaux et poissons sont posés à la surface. Cette image est pourtant facile à comprendre. Les peintures de Nébamoun ont été prélevées des murs du tombeau en 1820, quand il a été découvert par l’agent britannique Giovanni d’Athanasi ; mais comme ses notes sur la tombe n’ont pas été retrouvées, on ignore où elle se situe.

3 (double-page suivante). Livre des morts d’Hounéferv. 1275 av. J.-C. ; encre et pigments sur papyrus ; 45 x 90,5 cm

Scribe royal durant le règne de Séti ier (v. 1290-1279 av. J.-C.), Hounéfer a peut-être écrit lui-même sa version du « Livre des morts ». Cette scène représente le jugement de mort devant Osiris, dieu de l’au-delà. À gauche, Anubis, le dieu à tête de chacal, mène Hounéfer au jugement où son cœur, représenté dans un vase, est pesé contre une plume. Le cœur, censé être le siège des émotions, de l’intellect et du caractère, représentait donc la vie du défunt. S’il pèse plus lourd que la plume – qui symbolise l’ordre établi du monde, le « bien » –, alors le mort est dévoré par la créature féroce, à la fois crocodile, lion et hippopotame, représentée ici. Après le jugement d’Hounéfer dont il sort vainqueur (comme on peut s’y attendre sur sa propre stèle

funéraire), il est amené en présence d’Osiris par Horus, son fils à tête de faucon. Osiris est montré assis sous un dais avec ses sœurs, isis et Nephthys. En haut du papyrus, Hounéfer (à gauche) est en adoration devant une rangée de divinités qui supervisent la procession.

ÉGyPTe AnCIenne sALLe 19 sALLe 19 ÉGyPTe AnCIenne

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des envolées de drapé dramatiques, des muscles en tension et des corps contorsionnés dans la violence caractérisent le Grand Autel de Zeus à Pergame, chef-d’œuvre rescapé de la sculpture hellénistique.

Pergame était une petite ville située sur le sommet d’une colline dans l’ouest de l’Anatolie (l’actuelle Turquie), si sûre que Lysimaque, un général d’Alexandre le Grand,

en fit le site de son trésor. Philétairos, le lieutenant de Lysimaque laissé en charge de la place, finit par trahir son chef et utilisa les richesses entreposées à Pergame pour faire de la ville un des plus splendides royaumes de la période hellénistique. Philétairos et ses succes-seurs devinrent des mécènes de la philosophie et des arts, commandant d’impressionnants monuments pour célébrer leurs victoires militaires sur les tribus hostiles auxquelles ils imposèrent leur mode de vie. Le plus beau de ceux-ci fut le Grand Autel de Zeus.

Commandité par le roi de Pergame, Eumène ii (règne : 197-160 av. J.-C.), l’autel constitue une œuvre impression-nante à laquelle s’attelèrent plus de 40 sculpteurs. La structure de marbre était disposée sur un socle haut dans une cour intérieure, entourée par une colonnade ionique ; depuis l’ouest, un escalier y menait. Sur sa base se trouve une frise continue en haut-relief, l’élément le plus célèbre de l’autel, qui montre une gigantomachie, la bataille entre les Géants et les dieux. il s’agissait d’un thème populaire chez ceux qui, à l’instar des Pergaméniens, se considéraient

comme des protecteurs de l’héritage culturel grec, car les dieux de l’Olympe symbolisaient les institutions de la Grèce classique tandis que les Géants représentaient les barbares qui constituaient pour eux une menace. Bien que la gigantomachie constitue un sujet de prédilection (on la trouve par exemple au Parthénon d’Athènes), c’est le seul exemple connu à une telle échelle.

Depuis sa découverte dans les années 1870 par une équipe d’archéologues allemands, l’autel constitue un défi pour les savants. Si certaines inscriptions nomment

46 exPOsITIOn : Le GRAnd AuTeL de PeRGAMe

sALLe 46 GRèCe AnCIenne

1

les dieux, tous ne sont pas facilement identifiables. Une interprétation populaire veut que le sujet de la frise pro-vienne de la Théogonie, un poème du grec Hésiode qui décrit les origines et les généalogies des dieux. Certains ont suggéré que les dieux de la frise se répartissent parmi les trois grandes familles décrites au début du poème : les descendants de Pontos, la Mer, sur l’aile nord du côté ouest ; les descendants de Nyx, la Nuit, sur le côté nord ; et les descendants de Gé et d’Ouranos, la Terre et l’Océan, respectivement au sud et à l’est. Cette vue

montre la projection nord de l’autel, sur laquelle trois titans – Nérée, père des Néréides, les nymphes de la mer, son épouse Doris et Océanos, personnification de la faune de l’océan – se battent contre des Géants nus dans un combat terrible.

Le style de la frise présente tous les canons de la sculpture hellénistique. Des expressions théâtrales et tragiques crispent les visages des monstrueux Géants aux jambes de serpent, dont l’artiste a exagéré les traits. Les cheveux ondulés sont marqués par d’épaisses bandes

semblables à des cordes, les muscles et les tendons saillants, et les sourcils broussailleux engendrent des ombres dramatiques. Le drapé des vêtements des dieux est rendu par des tourbillons qui masquent leur corps, se démarquant du plissé classique subordonné à la structure anatomique. Le seul élément stylistique classique sub-sistant est la sérénité sur le visage des dieux. À l’image de l’assurance des figures du Parthénon, leur majesté divine contraste fortement avec les émotions sauvages des Géants terrestres.

1. Grand Autel de Pergamev. 180 av. J.-C. ; marbre ; H. : 2,3 m

GRèCe AnCIenne sALLe 46

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JAPOn sALLe 100

100 L’ART POuR sTRuCTuReR L’esPACe : Le PARAVenT

sALLe 100 JAPOn

1

en japonais, paravent se dit byôbu et s’écrit avec deux idéogrammes chinois qui signifient « barrière contre le vent ». si le paravent vient de Chine, au cours des siècles, les Japonais en firent un sym-bole culturel typique de leur civilisation en l’uti-lisant comme support pictural polyvalent.

Bien que les paravents existent sur le continent asia-tique depuis le iiie siècle, le modèle japonais le plus ancien date de 686 et est un présent d’un émissaire coréen à l’empereur Tenmu.

Les paravents sont composés de deux à huit panneaux, chacun étant formé d’un treillis de bois de Cryptomeria recouvert de papier ou de soie. Les premiers modèles, qui imitaient les pièces chinoises, étaient renforcés de cadres en bois et les panneaux étaient assemblés les uns aux autres à l’aide de lacets en soie. Un spécimen célèbre – le spécimen japonais le plus ancien à nous être parvenu – date du milieu du viiie siècle et est composé de six panneaux représentant des femmes de cour de la dynastie Tang sous des arbres en fleurs. Des paravents de ce type étaient cou-ramment utilisés jusqu’au xive siècle, époque à laquelle

les artisans japonais découvrirent que, en remplaçant les lanières en soie par des charnières en papier, les panneaux n’avaient plus besoin d’être renforcés. De cette manière, le paravent devenait plus léger, mais aussi plus facile à ajuster et à transporter ; en outre, il offrait une plus grande surface ininterrompue à peindre. C’est vers cette époque que les panneaux commen cèrent à être réalisés en diptyque et décorés de sujets associés, les compositions progressant de la droite vers la gauche.

Les paravents avaient un rôle dans les célé-brations religieuses japonaises telles que les rites

d’ordination des prêtres ou pour l’intronisation d’un nouvel empereur. En ces occasions, un paravent était disposé pour servir de fond à la cérémonie. Cependant, la grande majorité des pièces étaient utilisées à des fins domestiques. Les demeures de l’élite étaient traditionnellement composées d’un grand espace intérieur ouvert et entouré à l’extérieur d’une véranda profonde. De lourdes portes en bois séparaient les deux éléments architecturaux tandis que, à l’intérieur, les pièces étaient définies par des portes coulissantes : dans les salles de réception, par exemple, les paravents servaient de décorations

destinées à impressionner le visiteur tandis que, dans l’espace dédié au sommeil, ils prodiguaient plutôt un surcroît d’intimité.

Afin de rehausser leur effet décoratif, les pan-neaux des paravents japonais sont aujourd’hui souvent disposés dans un alignement parfait et selon le même angle. Les illustrations des rouleaux horizontaux narratifs suggèrent cependant que, avant l’avènement de l’ère moderne, l’arrangement des panneaux était moins rigide : le dernier pouvait être agencé selon un angle plus ouvert que les autres, ou une paire de panneaux pouvait être installée paral-

lèlement à une autre afin de créer un espace fermé.Le sujet et les matériaux des paravents évoluèrent

avec les époques. Pendant les ères Nanbokuchô (1336-1392) et Muromachi (1392-1568), la peinture à l’encre monochrome prédominait, remplacée lors de la période Momoyama (1568-1615) par une explo-sion de couleurs et d’or. Si leur aspect éblouissant fit des panneaux dorés un cadeau diplomatique et une marchandise commerciale d’exception pen-dant la majeure partie de l’ère prémoderne, encore aujourd’hui, le paravent représente un point culmi-nant de la création artistique nippone.

1. Ogata KôrinGrues, fin du xviie au début du xviiie siècle ; encre, couleurs, or et argent sur papier 1,66 x 3,71 m (chacun)

Le sujet peu banal et le fond doré sont typiques de l’approche innovante de Ripa, l’école d’Ogata Kôrin (1658-1716), qui eut une influence à la fois au Japon et en Occident. La grue à cou blanc (Grus vipio) se reproduit dans le nord-est de la Mongolie et migre pour l’hiver dans l’île de Kyûshû et ses environs. Les adultes présentent un plumage blanc à la tête et à l’arrière du cou, gris foncé sur le corps et gris argent tirant sur le blanc sur les ailes. Quant aux yeux, ils sont cernés de rouge.

2. Maître du cachet I’nenForêt d’arbres, début du xviie siècle ; encre, malachite et or sur papier ; 1,54 x 3,58 m (chacun)

Associant un cadrage puissant à des matériaux luxueux, ces panneaux ont apporté un nouveau souffle au motif du feuillage saisonnier. Les pins noirs, les sapins blancs, les cèdres et les micocouliers sont représentés avec un réalisme tout botanique, tandis que le point de vue change d’un panneau à l’autre. Les arbres peints en malachite, un pigment onéreux, se détachent d’un fond rehaussé à la feuille d’or. L’audace du dessin stylisé est représentative de l’atelier de Tawaraya Sôtatsu (mort v. 1643), dont l’innovation technique et compositionnelle inspirera plus tard Ogata Kôrin (1).

2

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euROPe MÉdIÉVALe sALLe 158

158 VITRAux : des IMAGes en LuMIèRe

sALLe 158 euROPe MÉdIÉVALe

1

3 4

2

1. duccio di Buoninsegna (attrib.)Scènes de la vie de la Vierge, 1287-1288 ; vitrail Diam. : 7 m

En italie, le vitrail s’est développé plus tard qu’en France. En outre, il n’a jamais été aussi pleinement intégré à la structure d’un édifice. Bien que réalisé par un maître verrier, ce vitrail, provenant du chœur de la cathédrale de Sienne, a parfois été attribué à Duccio, dont on pense reconnaître la main dans certaines touches de grisaille (peinture en gris monochrome). Les scènes centrales montrent l’enterrement, l’Assomption et le Couronnement de la vierge, en présence des saints et des quatre évangélistes.

2. La Vierge Marie et les saints1320-1340 ; vitrail ; H. : env. 6,3 m

Réalisés par un atelier local, ces vitraux de la cathédrale de Fribourg, dans le sud de l’Allemagne, évoquent le style des cathédrales de Cologne et Strasbourg. Les scènes présentées dans des médaillons rubanés bénéficient d’une large gamme de couleurs, avec un emploi dominant du rouge et du bleu, courant en Rhénanie à cette époque. ils relatent la vie de sainte Catherine, dont l’âme est portée par un Christ en gloire. Des fenêtres en ogive furent commandées par différentes corporations locales, ici les boulangers, dont on voit l’emblème, un bretzel, à la base et dans les écoinçons supérieurs.

3. Le Prophète danielAprès 1132 ; vitrail ; H. : 2,2 m

Ce type de vitrail est attribué à des ateliers dont l’existence est avérée à Augsbourg à la fin du xie siècle. Le style est comparable à celui des manuscrits romans du début du xiie siècle, mais il exprime également l’évolution indépendante du vitrail en tant qu’art, avec un sertissage épais faisant partie du motif. Cette figure coiffée d’une calotte juive occupe l’une des cinq fenêtres consacrées aux prophètes, au sein d’une série originale de 22 personnages de l’Ancien et du Nouveau Testament.

4. L’ Arbre de Jessév. 1220-1230 ; vitrail ; H. : 6,7 m

L’Arbre de Jessé se prête à merveille au format allongé des fenêtres en ogive. ici, quatre mandorles bleues présentent le patriarche Jessé, le roi David, la vierge et le Christ, surplombés par l’Esprit saint. Des feuilles de vigne soutiennent les figures des prophètes tenant des rouleaux. Les couleurs intenses sont obtenues par la technique du verre coloré dans la masse, et non par l’application de la couleur sur une base transparente. La proximité de Cantorbéry porte à croire que ces vitraux furent réalisés par des experts.

5-6 (double-page suivante). Transepts sud et nord, cathédrale notre-dame de ChartresVitrail (5) v. 1224-1225 ; Diam. (rosace) : 10,6 m (6) v. 1230-1235 ; Diam. (rosace) : 10,2 m

Dans la rosace du transept nord (6), Marie, reine du Paradis, est entourée de panneaux figurant colombes et anges, ainsi que des rois et prophètes de l’Ancien Testament. La vierge apparaît aussi dans le vitrail central en ogive, avec les armes royales de France, entourée, de gauche à droite, de Melchisédech et du roi Saül, des rois David et Jéroboam, des rois Salomon et Nabuchodonosor, d’Aaron et du Pharaon. La rosace du transept sud (5)

présente un thème du Nouveau Testament, avec le Christ de l’Apocalypse en gloire en son centre. Au contraire des vitraux de Saint-Denis, les figures, massives, sont visibles de très loin. Leur iconographie simplifiée est destinée à être comprise par tous.

Au Moyen Âge, l’essor des vitraux en couleurs figurant des personnages fut l’un des principaux facteurs de la mutation des arts picturaux. si les conflits répétés et l’évolution des goûts nous ont légué peu de vitraux de style roman, la plupart des vitraux gothiques ont subsisté en dépit de leur fragilité.

Dès le xe siècle, certains textes évoquaient des fenêtres peintes. vers le milieu du xiie siècle, cet art était déjà bien établi, ce qui témoignait de la prospérité grandissante des villes d’Europe occidentale. Les premiers vitraux étaient de simples fenêtres en ogive présentant des figures sobres, tels ceux d’Augsbourg, dans le sud de l’Allemagne, qui datent des années 1130 (3). En France, grâce aux progrès techniques, de nombreux vitraux se caractérisent par des médaillons à figures sur fond rouge ou bleu intense, comme ceux de la basilique de Saint-Denis lors la décennie

suivante, qui sont probablement l’œuvre d’artisans laïcs attachés à des ateliers itinérants. Mécène et homme d’État influent, l’abbé Suger (v. 1081-1151) évoqua la présence de « nombreux maîtres de divers pays » à Saint-Denis. Cette importante abbaye royale fut le premier édifice pure-ment gothique dont les vitraux constituaient un élément essentiel. L’iconographie complexe suggère l’intervention de théologiens érudits, dont l’abbé lui-même, élevant le créateur au-dessus du statut de simple artisan. Ailleurs, des vitraux furent attribués à des spécialistes d’autres techniques, comme le peintre Duccio di Buoninsegna avec ses Scènes de la vie de la Vierge (1, voir Salle 162/1-2 pour ses célèbres peintures).

Pour certains spécialistes, l’évolution du vitrail répon-dait en partie à une quête de lumière, surtout pendant la célébration des offices. Toutefois, le rôle grandissant du vitrail fut également attribué au lien qu’établirent les théologiens médiévaux entre la lumière, la protection divine et la figure du Christ, une philosophie parfois exprimée

en termes néoplatoniciens. L’abbé Suger accordait une importance primordiale à la couleur et à la lumière. Tout porte à croire qu’il a voulu assimiler la basilique de Saint-Denis à la Jérusalem céleste et que les couleurs des vitraux correspondent à une description des 12 portes de la ville.

Presque tous les vitraux gothiques ont fait l’objet de restaurations souvent importantes. La cathédrale de Chartres n’en présente pas moins une superficie de 1 950 m2. La structure architecturale sert, en effet, de cadre à une grande série de vitraux, avec une nef occupée sur toute la hauteur par deux rangées d’imposantes fenêtres qui filtrent la lumière. Les vitraux du transept (5 et 6) qui reflètent les sculptures des portails illustrent la conception des églises gothiques.

Les vitraux étaient si onéreux qu’il fallait prévoir leur financement avant même leur réalisation. La présence grandissante de portraits de donateurs dans ces œuvres témoigne d’un mécénat plus ouvert aux marchands, bourgeois et autres notables. Ainsi, plusieurs vitraux de

Chartres sont des donations de monarques, telle la rosace nord, offerte en 1230 par la reine Blanche de Castille. Seigneurs locaux et négociants n’étaient pas en reste : les vitraux de Fribourg (2) figurent divers attributs et scènes de corporations.

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RenAIssAnCe ITALIenne sALLe 182

182 LA sCuLPTuRe de MICHeL-AnGe

sALLe 182 RenAIssAnCe ITALIenne

1. Pietà1497-1500 ; marbre ; 1,75 x 2 m

Sujet courant dans les pays du Nord mais pratiquement inconnu en italie, cette Pietà est une commande du cardinal Jean Bilhères de Lagraulas. Michel-Ange a su résoudre avec grâce et maîtrise la difficulté de placer un homme adulte sur les genoux d’une femme en créant une composition en pyramide dont le sommet est le visage étonnamment juvénile de la vierge. Les drapés de la vierge enveloppent le corps lisse du Christ tel un linceul.

2. david1501-1504 ; marbre ; H. : 4,3 m

Commandée par le conseil de la cathédrale de Florence, cette statue était destinée à une niche située à l’intérieur de l’édifice. La grande taille de la partie supérieure du corps et de la tête devait compenser l’effet d’optique produit par la situation de l’œuvre au-dessus du sol. Une fois terminée, la statue fut installée près de l’entrée principale de l’hôtel de ville, le Palazzo vecchio, lieu le plus prestigieux de la ville. En partie inspiré par des statues de la cathédrale et de l’église d’Orsanmichele, ce David rappelle aussi des statues antiques

par sa posture en contrapposto, le poids du corps reposant sur la jambe droite, la gauche étant légèrement fléchie (voir Salle 36/2, 3, 8 et 9). Semblable à celui du Saint Georges de Donatello (Salle 168/2), le visage de David est tendu, prêt à défendre Florence.

3. L’esclave Atlasv. 1520 ; marbre ; H. : 2,5 m

il s’agit de l’un des quatre esclaves non achevés destinés au tombeau de Jules ii, toujours prisonnier de son bloc de marbre. Ses efforts apparents pour se dégager de la pierre évoquent la méthode de travail de Michel-Ange,

qui affirmait libérer ses sculptures de leur prison de marbre.

4, 5. Tombeaux des ducs Julien et Laurent de Médicis1519-1534 ; marbre ; H. : 6,3 m

Michel-Ange et ses assistants n’ont achevé que deux des quatre tombeaux prévus pour la chapelle Médicis, flattant deux ducs assez insignifiants en les représentant tels des nobles romains. Julien (4) arbore une tenue de général romain, avec une cuirasse et un bâton de commandant posé sur les genoux. Si les jambes sont détendues, le torse est légèrement

tourné vers la gauche, la tête vers la droite, et il semble sur le point de bondir. En contrebas figurent des allégories du jour et de la nuit.

Par contraste, le tombeau de Laurent (5) évoque la méditation. Également vêtu en Romain, Laurent est assis, la mine sombre, la tête appuyée sur la main. Michel-Ange a su exprimer à merveille le caractère pensif du sujet dans un portrait héroïque, au-dessus d’allégories de l’aube et du crépuscule.

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Peintre, sculpteur, architecte, ingénieur et poète, Michelangelo Buonarotti, dit Michel-Ange, était aussi conscient de son génie que ses contempo-rains, qui l’appelaient Il divino (« le divin »). Il fut le premier artiste à faire l’objet de biographies de son vivant : trois ouvrages parurent, dont deux placent Michel-Ange au sommet de l’art de la Renaissance, où il demeure à ce jour.

Né à Caprese, en Toscane, dans une famille de fonction-naires et de banquiers, Michel-Ange (1475-1564) entama sa formation auprès de Domenico Ghirlandaio (Salle 171/2 et 4, Salle 183/2), le maître le plus en vogue de Florence à l’époque. De 1489 à 1492, toujours apprenti, le jeune homme commença à fréquenter l’entourage de Laurent de Médicis.

Dans le jardin de ce dernier, il étudia la sculpture et bénéfi-cia d’une instruction humaniste aux côtés de Giovanni, fils de Laurent le Magnifique, futur pape Léon x, et de Jules, neveu de Laurent, futur pape Clément vii. Tout au long de sa vie, cette éducation néoplatonicienne influencera son art.

En 1494, quand les Médicis furent chassés de la ville par les forces de Savonarole, Michel-Ange quitta également Florence. En 1496, à l’âge de vingt et un ans, il s’installa à Rome où il sculpta ses premières œuvres majeures, un Bacchus (1496-1497) et une Pietà (1) qui firent sa renom-mée. Dès 1501, il regagna Florence, où Savonarole avait été exécuté, et se vit confier une sculpture, David (2), qui devint le symbole de la liberté florentine. Pour Michel-Ange, la sculpture représentait une « libération de la figure emprisonnée dans le marbre ». Au contraire des autres maîtres de la Renaissance, il se rendait régulièrement

dans les carrières pour choisir lui-même le matériau qu’il souhaitait sculpter. il affirmait même avoir découvert l’amour du marbre grâce au lait de sa nourrice, qui était issue d’une famille de tailleurs de pierre.

Le plus prestigieux projet sculptural de Michel-Ange fut le tombeau du pape Jules ii (pontificat : 1503-1513), imposant monument composé de 40 figures, dont Moïse (1513-1515) et six esclaves (3). S’il y travailla pendant quelque quarante ans, le projet ne fut jamais achevé et ne constitue aujourd’hui qu’un monument mineur dans l’église San Piero de vincoli.

il connut également un revers avec la façade de l’église San Lorenzo à Florence, une commande du pape Léon x (pontificat : 1513-1521), successeur de Jules ii. Michel-Ange conçut une structure sur deux niveaux, en marbre massif, ornée de 12 statues également en marbre,

six personnages assis en bronze et 19 reliefs. il travailla à ce projet pendant quatre ans, passant des mois dans les carrières de Carrare et de Seravezza. En 1520, Léon x annula la commande et renvoya Michel-Ange à l’intérieur de l’église pour créer la nouvelle chapelle Médicis (4 et 5). En 1524, le pape Clément vii (pontificat : 1523-1534), cousin et successeur de Léon x, chargea Michel-Ange de concevoir la bibliothèque laurentienne adjacente à l’église. Destinée à accueillir les livres des Médicis, elle devint une bibliothèque publique.

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BAROque eT ROCOCO sALLe 251

251 Le PALAIs FARnèse : ÉROTIsMe PAïen dAns LA deMeuRe d’un CARdInAL

sALLe 251 BAROque eT ROCOCO

en 1597, le cardinal Odoardo Farnèse confia à Annibale Carrache le décor du plafond voûté de la longue galerie Farnèse, qui donnait sur le jardin arrière de son palais à Rome. dynamique, érotique et insolent, l’ensemble des fresques représentant les amours des dieux sera le pla-fond peint le plus influent de Rome depuis la chapelle sixtine.

En concevant le projet, Carrache eut l’accomplissement de Michel-Ange à l’esprit. Un dialogue intime s’établit entre les deux œuvres : les ignudi (nus masculins assis) d’Annibale sont des variations ludiques sur les per-sonnages de Michel-Ange, et l’intégration d’éléments architecturaux feints à l’architecture réelle renvoyait aussi à la chapelle Sixtine (Salle 183/5). Comme cette dernière, le plafond de la galerie Farnèse comportait plusieurs niveaux illusionnistes superposés. Annibale Carrache (1560-1609) peignit une fausse galerie de tableaux sur

la corniche existante, en les entourant de chérubins, de statues, d’ignudi et d’éléments architecturaux feints. Certains éléments, comme les chérubins qui passent le nez devant les cadres, doivent être perçus comme réels ; d’autres, comme les statues, sont censés se lire en conjonction avec les sculptures antiques en contrebas. L’effet d’ensemble n’est pas celui d’un plafond peint, mais d’un espace rempli de lumière, de mouvement et de vie. Un élément clé de l’art baroque se voit dans l’abolition des barrières entre l’œuvre et le spectateur, et l’implication de

ce dernier dans le spectacle. La galerie Farnèse constitua l’apothéose de cette idée. Le point focal du plafond est le grand quadro riportato (tableau entouré d’un cadre feint) représentant le triomphe de Bacchus et d’Ariane. Autour du dieu de l’ivresse et de sa femme, un joyeux cortège évolue dans un espace baigné de soleil. L’abandon et la débauche règnent : Silène, ivre, est rattrapé par deux jeunes satyres alors qu’il allait tomber de son âne. On a noté que Carrache parodia le Triomphe Romain, généralement présenté comme un sommet de

vertu et de bravoure, pour le réduire à une recherche tru-culente de luxure et d’abandon. Autour du tableau central sont dépeints les ridicules exploits amoureux des dieux romains : l’un après l’autre abandonnent leurs devoirs célestes pour succomber à l’amour. Jupiter piétine son aigle pour atteindre Junon ; même la chaste Diane accepte la laine blanche que lui offre Pan. Ce triomphe scandaleux de l’amour sur tous les devoirs est aux antipodes de la dignité et de la grandeur des scènes bibliques de Michel-Ange. il faut rappeler toutefois que

le plafond de Carrache ne fut pas réalisé au sommet ver-tigineux de l’humanisme renaissant, mais à la toute fin du xvie siècle, en pleine Contre-Réforme, alors que Sixte v menaçait de retirer du vatican les statues de dieux païens. En 1601, il fut même question de brûler des peintures luxurieuses à Rome. Dans ce contexte, la commande par un cardinal d’une œuvre ouvertement érotique pour son palais reste un mystère. Peut-être prouve-t-elle le carac-tère exceptionnel de la ville de Rome, où les iconographies chrétiennes et païennes se côtoyaient depuis longtemps.

Pendant les deux siècles qui suivirent son achève-ment, ce plafond fut considéré comme un chef-d’œuvre de la fresque, non seulement pour son vaste répertoire de personnages héroïques, mais aussi pour les centaines de dessins préparatoires réalisés par Carrache. Ce travail exhaustif allait devenir une étape incontournable de la création de toute peinture d’histoire de grandes dimensions.

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1. Annibale CarracheLe Triomphe de Bacchus et d’Ariane, v. 1597-1600 ; fresque L. (galerie) : 20,2 m

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quand le peintre eugène delacroix vit Le Radeau de la Méduse dans l’atelier de Théodore Géricault, il s’enfuit, horrifié. en effet, ce tableau de grandes dimensions choqua à la fois les institutions et le public, et fut à l’origine d’un scandale politique. dans un même temps, il marqua la sortie du néoclas-sicisme et l’entrée véritable dans le romantisme.

Le tableau s’inspire de l’histoire véridique du naufrage de la Méduse, le 2 juillet 1816. La frégate était alors à la tête d’un convoi qui acheminait des soldats et des passagers vers la colonie française du Sénégal. En raison de l’incurie du capitaine, le vicomte de Chaumereys, émigré royaliste nommé à ce poste pour des raisons politiques et non pour ses compétences maritimes, le navire s’échoua sur un banc de sable au large des côtes africaines. Le nombre de canots de sauvetage étant insuffisant, 149 hommes et une femme furent contraints d’embarquer sur un radeau de fortune, devant être halé jusqu’à destination, à quelque 97 kilomètres de là, par le reste de l’équipage réparti à bord des canots. L’instable radeau ralentissant

dangereusement leur progression, l’équipage coupa les cordages, abandonnant les passagers du radeau à leur sort. Ceux-ci dérivèrent pendant quinze jours avant d’être localisés. La plupart des naufragés avaient alors péri ou s’étaient suicidés, les derniers ne devant leur survie qu’au cannibalisme. Seuls 15 hommes en réchappèrent, dont cinq moururent peu après le sauvetage. L’affaire fut étouf-fée mais deux jeunes survivants (le docteur Savigny, l’un des chirurgiens du navire, et Alexandre Corréard, un ancien officier de la garde impériale napoléonienne) rapportèrent les faits à la presse. En 1817, ils relatèrent la tragédie dans un ouvrage qui fit sensation dans toute l’Europe, mettant en lumière la corruption d’un gouvernement favorisant des émigrés incompétents pour leur seule loyauté envers le roi, et qui éveilla l’intérêt du jeune Géricault (1791-1824).

Géricault faisait déjà figure d’artiste maudit, attiré par des sujets d’une rare violence et multipliant les études de blessés et d’exécutions. Alors qu’il travaillait au Radeau de la Méduse, il entra dans une sorte d’ascèse, se rasa la tête et s’enferma jusqu’à l’achèvement de l’œuvre. Dans le cadre de ses recherches préalables, il interrogea des survivants du naufrage et réalisa de nombreuses esquisses

avant de décider quel épisode de l’événement représenter. il choisit finalement le moment où les passagers aperçoivent l’Argus au loin, et où le soulagement se mue en désespoir quand ils voient que le brick français ne les a pas repérés.

La composition pyramidale classique reproduit à la fois l’intense soulagement et le profond désespoir, quand toute chance de sauvetage semble perdue. Bien que l’œuvre rappelle les immenses tableaux héroïques du xviiie siècle, Géricault rompt avec le formalisme néoclassique par la peinture réaliste des cadavres, la facture énergique et le rendu de toute l’émotion de la scène. Certes, les poses des sujets se fondent sur des études académiques et la palette n’est pas sans rappeler celle d’un Caravage ou d’un Rubens. Mais si les corps à demi-nus sont empreints de grandeur et de vigueur, l’entassement des dépouilles est bien loin de l’idéal du Beau du siècle précédent. Dans son rejet de la philosophie classique des Lumières en faveur d’une expression humaine dramatique et d’une émotion affichée, le tableau s’impose comme une œuvre majeure du romantisme (fin du xviiie au milieu du xixe siècle).

Exposé au Salon de 1819, Le Radeau de la Méduse reçut une médaille d’or et les compliments du roi, mais

suscita autant de louanges que d’opprobre. Géricault fut pourtant déçu de ne pas rencontrer plus d’hostilité. Le tableau attira un public nombreux à chaque exposition, notamment à Londres en 1820, et devint un point de ralliement des libéraux, marquant un tournant dans l’art français.

ART du xIxe sIèCLe sALLe 285

285 THÉOdORe GÉRICAuLT : Le RAdeAu de LA MÉduse

sALLe 286 ART du xIxe sIèCLe

Après la mort prématurée de son ami Théodore Géricault à l’âge de trente trois ans, eugène delacroix devint pour beaucoup la figure emblématique du romantisme. La Mort de Sardanapale est l’un des exemples les plus éblouissants du style.

Le tableau illustre la légende de Sardanapale (viie siècle av. J.-C.), le dernier roi assyrien. Ce prince efféminé et décadent, assiégé par des rebelles et sentant la défaite approcher, fit égorger ses femmes, ses esclaves, ses chiens et ses chevaux, avant de se donner la mort par le feu. Le roi est étendu sur son lit, dans une pose typiquement romantique, dominant un bûcher constitué de ses trésors, impassible, alors que ses gardes et ses esclaves exécutent ses ordres. Une femme nue est prostrée à ses pieds, une autre au pied de la couche est sur le point d’être assassinée, dans une scène de désolation et d’effusions de sang.

Delacroix (1798-1863) tira le sujet de son œuvre de la pièce de théâtre Sardanapalus que le poète roman-tique anglais Byron écrivit en 1821, elle-même inspirée

de l’histoire de Diodore, historien grec qui a connu un grand succès au ier siècle av. J.-C. Delacroix était un grand admirateur de Byron, dont il découvrit l’œuvre en 1825 lors d’un séjour en Angleterre. Dans la pièce, le suicide du roi est présenté comme un acte héroïque, tandis que le peintre en fait un épisode d’une extrême cruauté. Dans cette scène de débauche et de violence, rien de ce qui a servi au plaisir du roi ne doit lui survivre.

La Mort de Sardanapale fut le plus grand des six tableaux que Delacroix exposa au Salon de 1827, et le plus fustigé par les critiques, dont ingres. On estima que le tableau manquait de perspective réaliste, que la composition diagonale était incohérente, les couleurs trop vives et le premier plan désordonné. Le sujet fut jugé épouvantable et subversif, les femmes beaucoup trop voluptueuses. Les corps entremêlés, le premier plan confus et la perspective fantaisiste furent perçus comme une atteinte au rationalisme de l’académisme néoclassique si bien qu’après l’exposition, le tableau resta presque une vingtaine d’années dans l’atelier de Delacroix. Ce mauvais accueil valut même au peintre un avertis-sement officiel et les commandes publiques tardèrent

à revenir. Cependant, malgré ces critiques sévères, le tableau sera plus tard très apprécié, notamment pour son rythme, ses courbes et ses couleurs éclatantes. Achevé peu après la mort de Louis xviii (règne : 1814-1824), il fut interprété comme une révolte romantique contre la Restauration.

À l’instar de Géricault, Delacroix disposait d’une formation classique, qui transparaît ici clairement. La femme cambrée au premier plan rappelle le portrait d’une néréide du Débarquement de Marie de Médicis au port de Marseille (1622-1623) de Rubens, et la palette évoque les verts, les rouges et les ors de véronèse. ici, Delacroix propose cependant une utilisation très personnelle de couleurs riches et chaudes, qui témoigne déjà d’une attirance pour l’exotisme qui caractérisera ses œuvres ultérieures (voir Salle 292/6), et exprime une audace et une énergie qui surpassent de loin celles de Rubens. Avec La Mort de Sardanapale, Delacroix choisit une scène de confusion et de chaos extrêmes servie par une virtuosité technique et une compréhension des effets optiques des couleurs qui inspirera des impressionnistes tels que Cézanne et Matisse.

286 euGène deLACROIx : LA MORT de sARdAnAPALe

1. Le Radeau de la Méduse1819 ; huile sur toile4,91 x 7,16 m

1. La Mort de sardanapale1827 ; huile sur toile3,92 x 4,96 m

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ART du xIxe sIèCLe sALLe 307

307 VInCenT VAn GOGH

sALLe 307 ART du xIxe sIèCLe

1. Le semeur au soleil couchant1888 ; huile sur toile73 x 92 cm

Motif récurrent dans l’œuvre de van Gogh, ce semeur diffère de versions précédentes peintes en Arles par le contraste renforcé entre le premier plan, avec sa silhouette esquissée et la diagonale de l’arbre, et les couleurs saturées du soleil et du ciel. Le thème doit beaucoup à l’œuvre de Jean-François Millet (Salle 295/5), que l’artiste appréciait. De façon inhabituelle chez van Gogh, le tableau est signé, ce qui révèle sa satisfaction particulière vis-à-vis de cette œuvre.

2. Intérieur d’un restaurant1887 ; huile sur toile ; 45,5 x 56,5 cm

van Gogh acheva ce tableau durant l’été 1887, peu après son arrivée à Paris. il y côtoya le pointillisme postimpressionniste dont l’influence est ici manifeste. Une abondance de couleurs complémentaires ou presque, ainsi que des taches dynamiques animent cette salle de restaurant vide.

3. Portrait de Joseph Roulin1888 ; huile sur toile81 x 65,3 cm

Comme il avait l’habitude de le faire lorsqu’un sujet le captivait, van Gogh exécuta de nombreux portraits de son ami Joseph Roulin dans son uniforme de postier. ici, Roulin a un bras posé sur une table verte tandis que l’autre, reste en suspens contre le dossier de la chaise. Avec une grande économie de moyens, van Gogh représente Roulin dans un moment d’équilibre, entre mouvement et immobilité.

4. Portrait de Trabuc1889 ; huile sur toile 61 x 46 cm

Dans ce portrait de Charles-Elzéard Trabuc, l’un des surveillants de l’asile de Saint-Rémy, les ondulations noires et bleu gris de la veste imitent la gravure sur bois. L’arrière-plan semble avoir été peint à la va-vite, avec des bandes sinueuses de peinture comme appliquées au doigt. La tête de Trabuc, au regard sombre et intense, émerge avec force, traduisant ce que le peintre appela « l’expression indéfinissable de contemplation tranquille » du sujet.

5. La Berceuse1889 ; huile sur toile 92,6 x 73,6 cm

van Gogh réalisa cinq versions de la femme du postier Roulin, Augustine, qui remue un berceau uniquement suggéré par la cordelette dans sa main. Le sujet est massif et statique et un contour noir et épais rehausse le buste et la chaise, tandis que le mur, derrière, est animé par les épais empâtements des fleurs du papier peint. Cette opposition du rouge et du vert crée un effet dérangeant dans Le Café de nuit (8), mais confère ici harmonie et confort.

6. L’ Arlésienne1888-1889 ; huile sur toile91,4 x 73,7 cm

Marie Ginoux et son époux tenaient le café de la place Lamartine, où van Gogh logea à son arrivée en Arles. En 1888, il peignit un portrait rapide de Mme Ginoux sur une toile à sac, tandis que Paul Gauguin en exécutait un au fusain. van Gogh retravailla ensuite la composition, montrant la propriétaire assise à une table devant un livre ouvert, dans une pose qui rappelle à la fois des images traditionnelles de contemplation et celles de la vierge Marie interrompue dans sa lecture dans des scènes de l’Annonciation (par exemple Salle 177/2).

7. La salle des malades de l’hôpital d’Arles1889 ; huile sur toile74 x 92 cm

van Gogh fut admis à l’hôpital d’Arles en décembre 1888 après avoir menacé Paul Gauguin avec un rasoir et s’être tranché lui-même un morceau d’oreille. il y séjourna jusqu’en janvier 1889. il représente ici une salle de l’hôpital depuis un point de vue surélevé. On y retrouve la perspective en entonnoir du Café de nuit (8) mais pas les couleurs bilieuses ni les ombres menaçantes. ici, van Gogh associe des tonalités bleues froides et des bruns de même valeur qui projettent une douce pâleur sur cette scène montrant patients rassemblés autour du poêle.

8. Le Café de nuit1888 ; huile sur toile71,6 x 92 cm

À l’aide d’une perspective enroulée qui déstabilise le spectateur et d’un contraste audacieux entre le rouge et des verts et jaunes bilieux, van Gogh peint l’intérieur du café arlésien, « un endroit où l’on peut se ruiner, devenir fou, commettre des crimes », comme il l’écrivait dans une lettre. Les couleurs, la silhouette spectrale du propriétaire derrière

la table de billard qui projette son ombre immense et inquiétante, ainsi que la facture énergique s’allient pour créer « une atmosphère de fournaise infernale ».

9. Autoportrait1889 ; huile sur toile64,7 x 54,9 cm

Les autoportraits de van Gogh exprimant une intensité psychologique qui ne réside pas dans la ressemblance physique mais dans une surface animée et un mélange chromatique qui traduisent la personnalité et l’état d’esprit de l’artiste plus que son apparence. Les volutes et les vagues bleu vert ondulent à travers la toile, animant l’arrière-plan et les vêtements de van Gogh. Le même bleu vert répété dans les yeux de l’artiste, tranche avec le rouge orange de la barbe, contribuant à ancrer le sujet dans l’espace et renforçant l’intensité fascinante de son regard et de son immobilité parmi le bouillonnement des coups de pinceau.

10 (double-page suivante). La nuit étoilée1889 ; huile sur toile73,6 x 92 cm

Peint pendant son séjour à l’asile de Saint-Rémy, La Nuit étoilée est un amalgame

d’observation directe et de souvenirs. Les coups de pinceau jaunes tourbillonnent sur le bleu sombre du ciel. Les volutes nocturnes sont coupées par la verticale du clocher et le cyprès, symbole de mort, qui s’élève telle une flamme au premier plan. Si la signification de ce tableau n’est pas réductible à la sphère personnelle de l’artiste, il est toutefois tentant de l’interpréter comme une rumination sur la mort, au moins en partie. van Gogh mourut suite à une blessure par balle qu’il s’infligea l’année suivante.

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Peu reconnu de son vivant, Vincent Van Gogh est aujourd’hui l’un des peintres les plus célèbres au monde. Prolifique, il produisit environ 900 tableaux et près de 1 100 dessins et esquisses, au cours d’une carrière qui dura à peine une décennie avant sa mort due à une blessure par balle qu’il s’infligea lui-même. ses œuvres, où l’expression émotion-nelle prend le pas sur le naturalisme, influencèrent des générations d’artistes.

Fils de pasteur, van Gogh (1853-1890) marcha d’abord dans les pas de son père et fut brièvement prédicateur dans la région minière du Borinage avant de se consacrer à l’art à temps plein. Avec leur tonalité sombre et terreuse et leurs sujets ruraux, ses premières œuvres, tels les Mangeurs de

pommes de terre (1885), reflètent l’influence de la peinture de genre hollandaise du xviie siècle (Salle 252) et du réalisme de Jean-François Millet (Salle 295/5).

En 1886, van Gogh partit pour Paris, afin de se rap-procher de son frère Théo, marchand d’art, et côtoya la richesse chromatique des œuvres impressionnistes. Lors de la dernière exposition impressionniste qui se tint cette année-là et qui eut sur lui un effet immédiat et profond, van Gogh découvrit le divisionnisme de Georges Seurat (Salle 309/1). il commença à employer des couleurs plus vives et à expérimenter une forme modifiée de la facture discontinue des impressionnistes et du pointillisme des néo-impressionnistes (Salle 309), comme en témoigne Intérieur d’un restaurant (2). Bien qu’il partageât l’enthousiasme des impressionnistes pour le paysage, ses tableaux sont moins une description

de ce qu’il voit qu’un témoignage de l’intensité de ses sentiments face à ses sujets.

Après quelques années à Paris, van Gogh partit pour Arles. il rêvait d’y fonder une colonie d’artistes, une communauté fondée sur une perception romantique du Japon. Les motifs et l’esthétique japonais prirent une place grandissante dans les œuvres de cette période (voir aussi Salle 308/1, 2 et 6), qui fut aussi une époque de plus en plus trouble pour le peintre. il se fit lui-même interner à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence, près d’Arles, où il peignit certaines de ses œuvres les plus célèbres, dont La Nuit étoilée (10), qui se caractérise par des distorsions spatiales, une échelle et des proportions chaotiques et une animation qui semble faire frémir toute la surface.

van Gogh s’efforça de traduire ses pensées et ses sentiments à l’aide d’éléments formels et d’une icono-

graphie très riche incluant des étoiles, des cyprès, des semeurs et le symbolisme des couleurs. Ses tableaux assimilent diverses influences, du didactisme du baroque hollandais aux impératifs sociaux et à l’ennoblissement du paysan rencontré chez Millet et d’autres réalistes. Dans un même temps, il expérimenta les couleurs riches et la facture discontinue des impressionnistes à côté des taches plus strictes des pointillistes. Mais surtout, van Gogh imprégna chacun de ses tableaux de sa gestuelle singulière, mue par un besoin profond de communiquer ses émotions.

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AFRIque sALLe 317

317 AFRIque OCCIdenTALe : IMAGes de POuVOIR eT d’IdenTITÉ

sALLe 317 AFRIque

1. duein FobaraFin du xixe siècle ; bois d’Odumdum, raphia et pigment ; H. : 95,3 cm

Pour les Kalabari ijo, l’esprit réside dans le front, et peut être transféré après la mort vers des objets, tel cet écran commémoratif commandé par une riche famille de négociants. Pour inviter l’esprit à rejoindre le duein fobara (le front du mort), la famille dispose l’œuvre sur un autel à l’intérieur de la maison et l’entoure d’offrandes de nourriture et de boisson. La coiffure du personnage central, celui qui est honoré, permet de l’identifier comme un membre de la société masculine ekine, associée à des puissants esprits aquatiques.

2. AkuabaFin du xixe-début du xxe siècle ; bois H. : 40 cm

Selon la tradition orale des Asante, après avoir essayé en vain de concevoir, une femme nommée Akua consulta un prêtre qui lui conseilla de s’occuper d’une figure en bois comme d’un enfant vivant, et donna naissance à une fille ravissante. Les filles sont fortement valorisées chez les Asante, un peuple matrilinéaire implanté dans le Ghana moderne. L’histoire d’Akua incita d’autres femmes sans enfants à commander de petites figures aux grandes têtes rondes et aux hauts fronts, attributs de la beauté chez ce peuple.

3. Couple assisxvie-xixe siècles ; bois et métal H. : 73 cm

Le sculpteur de cette œuvre dogon a insisté sur les similarités entre les deux personnages (taille, traits du visage, attitudes et scarifications), mettant même en parallèle le plateau labial de la femme et la barbe de son époux. Néanmoins, certains détails rappellent qu’ils sont dotés de rôles spécifiques. Leurs têtes légèrement inclinées s’écartent l’une de l’autre, comme pour creuser l’écart entre leurs mondes et ils sont aussi assis aussi loin l’un de l’autre que le permet le siège.

4. Gwandusuxve-xxe siècle ; bois H. : 1,24 m

Dans la langue mande des Bamana du Mali, gwan évoque la chaleur, la dureté, le défi, tandis que dusu est traduit par cœur, esprit, courage, passion, essence ou caractère. Certaines gwandusu ont été identifiées comme des représentations de Muso Koroni, force créatrice féminine qui donne la vie et sème le trouble et la destruction. Cette gwandusu est capable d’engendrer des enfants, et les amulettes fixées à sa coiffure et à sa taille évoquent des forces puissantes qui contribuent à ses capacités créatrices et destructrices.

5. Gwantigixve-xxe siècle ; bois H. : 89,9 cm

Ce gwantigi a sans doute été réalisé pour l’une des associations jo du peuple bamana, chargées d’offrir une formation éducative et un environnement social aux plus jeunes. Assis sur une chaise de conception élaborée, il porte un couteau et tient une lance et un cor, objets associés aux qualités de meneur et aux pouvoirs des chefs.

6. Olowe d’IsePilier de véranda de palais, avant 1938 ; bois et pigment ; H. : 1,8 m

Parmi les sculpteurs actifs à la fin du xixe et au début du xxe siècle, le maître Olowe d’ise (v. 1873-1938) se distingue par son œuvre exceptionnelle et par les poèmes d’éloges à son sujet transmis par la tradition orale. Ce pilier appartient à une grande série réalisée pour la cour extérieure d’un palais yoruba. À sa base, une femme agenouillée est entourée de deux personnages plus petits ; elle porte un cavalier qui soutient à son tour le toit de la véranda.

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L’iconographie de la statuaire ouest-africaine comporte des rappels constants mais souvent subtils de l’importance de différencier les rôles sociétaux masculins et féminins. Les figures féminines et masculines partagent cepen-dant quelques caractéristiques communes, par exemple le fait d’être systématiquement repré-sentées (quel que soit leur âge, y compris les enfants) comme des adultes en bonne santé, dans la fleur de l’âge.

Les représentations de la femme sont axées sur la force, la générosité et, dans bien des cas, la maternité. La gwandusu, figure féminine idéalisée des sculpteurs

bamana du Mali, est étroitement associée au jo, une société d’initiés hommes et femmes, et en particulier au gwan, une branche de cette société dédiée à la fécondité et à l’enfantement. La gwandusu (4) tient un enfant sur son ventre, mais il est réduit au rang d’attribut ; c’est le corps féminin qui domine la composition, avec ses grands seins, son cou puissant et ses larges épaules. Bien que les femmes soient rarement associées à la chasse, cette figure porte une coiffure de chasseur incrustée d’amulettes ; le couteau sur le haut de son bras est un signe de pouvoir et d’agressivité. Les gwantigi (5), équivalents masculins des gwandusu, illustrent la force, l’habileté et la protection nécessaires au chasseur pour s’aventurer dans la forêt, capturer une proie et revenir sans encombre. Ce gwantigi assis droit sur sa

chaise, avec sa lance dans la main droite, sa trompe dans la gauche et son couteau sanglé au bras, est prêt à prendre la tête d’une chasse. Les cornes inversées sur son couvre-chef sont de puissants objets protecteurs. Les gwantigi et les gwandusu étaient huilés et parés de vêtements et de bijoux à l’occasion des fêtes annuelles des sociétés jo et gwan, où ils étaient parfois exposés par couples, afin de transmettre des principes de comportement.

Le couple assis (3), réalisé par les Dogon, peuple implanté au sud-est du Mali et au nord-ouest du Burkina, semble destiné à clarifier la distribution des rôles sexués. L’homme est caractérisé par l’action et l’initiative ; il passe son bras autour de la femme et désigne son sein pour indiquer son rôle maternel et nourricier, confirmé par l’enfant qu’elle porte sur le dos. De l’autre main, il montre

son sexe pour s’identifier comme géniteur. Son carquois le caractérise comme un chasseur qui subvient aux besoins de la famille.

Le duein fobara ou « écran commémoratif kala-bari » (1) honore un homme qui subvient aux besoins de sa famille par l’activité commerciale : il s’agit du chef d’une maison de négociants du delta côtier du Niger. À partir du xve siècle, les ijo échangèrent des esclaves, de l’ivoire et de l’or contre des biens et des matériaux européens. La figure commémorée est au centre de la composition, sans doute entourée de parents. L’œuvre est un assemblage de petites pièces de bois clouées, agrafées ou chevillées entre elles.

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« un Picasso étudie un objet comme un chirur-gien dissèque un cadavre », écrivait le critique et poète Guillaume Apollinaire en 1913. Cinq ans plus tôt, les peintres Pablo Picasso et Georges Braque (amis, confrères et rivaux) avaient com-mencé à rejeter le réalisme de la perspective pour réaliser une forme d’autopsie artistique : un style résolument révolutionnaire attaché à observer à l’intérieur et l’extérieur des objets, et à les présenter de façon analytique, objective et totalement impersonnelle. C’était sans doute le changement le plus profond qui affectait l’art depuis la Renaissance.

Picasso (1881-1973), Braque (1882-1963) et d’autres artistes qui gravitèrent d’abord autour des ateliers du Bateau-Lavoir à Montmartre s’inspirèrent des sculptures en vogue venues de la péninsule ibérique, d’Afrique et d’Océanie exposées au Louvre et au musée d’Ethnographie du Trocadéro (voir aussi Salle 344), ou vendues aux puces ou aux enchères. Dans Les Demoiselles d’Avignon (1), les visages féroces, agressifs et masculins des deux femmes sur la droite témoignent de l’assimilation par Picasso des statuettes et masques tribaux d’Afrique de l’Ouest (voir Salles 314-318), tandis que les visages de gauche possèdent les paupières épaisses des têtes sculptées ibériques. La distorsion des formes en une surface

multifacette de plans plats et de lignes entrecoupées choqua les spectateurs d’autant plus qu’elle subver-tissait la notion de sujet féminin passif.

Braque et Picasso débutèrent une étroite collabora-tion à l’hiver 1908, et développèrent simultanément un style hautement géométrique inspiré des tableaux de Cézanne (Salle 310). ils conféraient à leurs paysages et à leurs personnages une apparence presque sculptée et leur palette s’assourdit peu à peu. Leurs œuvres de 1910-1911 se caractérisent par leur façon de définir la forme à travers les lignes et les surfaces et par le refus d’un point de vue unique, préférant « la perspective à points de vue multiples ». Ce « cubisme analytique », comme est appelée parfois cette phase de leur travail,

permet au spectateur de tourner autour de l’objet, qu’il voit de tous côtés : le haut d’une bouteille ou d’un verre est vu du dessus (sous forme de cercle) et de côté (sous forme d’ellipse). Les formes saillantes ressemblent à des vides, et vice versa. Un réseau complexe de lignes et de formes, qui paraît d’abord confus, se dessine, en l’absence de perspective depuis un point de vue unique. Les objets sont disséqués pour révéler leur intérêt formel sous-jacent, non dans un but narratif, mais pour eux-mêmes. Toutefois, même les tableaux cubistes les plus complexes, qualifiés d’hermétiques pour leur apparence indéchiffrable, ne sont pas strictement abstraits. ils demeurent concentrés sur des objets réels, vus et représentés de façon nouvelle.

L’ ART de 1900 Au MILIeu du sIèCLe sALLe 335

335 PICAssO eT BRAque : LA PeInTuRe CuBIsTe

sALLe 335 L’ ART de 1900 Au MILIeu du sIèCLe

1. Pablo PicassoLes Demoiselles d’Avignon, 1907 ; huile sur toile 2,43 x 2,3 m

Ce tableau choqua même les amis de Picasso les plus avertis, pour son agressivité et son sujet ambigu et dérangeant. Des esquisses préalables au format paysage montrent un marin en arrière-plan, suggérant un lupanar. Ce n’est pas immédiatement évident dans la composition finale, qui hésite entre une scène théâtrale (la femme de gauche semblant tirer un rideau) et une combinaison indéchiffrable de nature morte et de nus dans un intérieur non identifié. S’il s’agit d’un lupanar, le retrait du personnage masculin installe le spectateur dans le rôle du client. Ce tableau illustre la notion de primitivisme comme une forme de sauvagerie à la fois stimulante et libératoire pour les artistes.

2. Pablo PicassoPortrait d’Ambroise Vollard, 1910 ; huile sur toile92 x 65 cm

Le marchand d’art moderne Ambroise vollard (1867-1939) commandait des portraits de lui-même aux artistes qu’il soutenait : Renoir, Cézanne, Bonnard, entre autres. Celui exécuté par Picasso souligne son front arrondi et dégarni qui semble saillir de la toile, démontrant le potentiel de la technique cubiste à créer un effet de relief saisissant.

3. Pablo PicassoL’ Accordéoniste, 1911 ; huile sur toile1,3 x 0,9 m

Picasso et Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), le marchand d’art de Braque, attribuaient souvent des noms aux tableaux afin de les rendre plus accessibles au public,

davantage susceptible de les acquérir si le sujet était explicité. Le ton métallique miroitant de ce tableau est créé par des points de peinture savamment placés, rappelant le pointillisme (voir Salle 309) mais avec des couleurs plus sourdes. La composition ’estompe vers les bords de la toile, qui sont plus pâles et moins remplis. Picasso se tourna bientôt vers des compositions ovales, supprimant complètement les angles.

4. Georges BraqueLe Violon et la cruche, 1909-1910 ; huile sur toile ; 1,17 x 0,73 m

En 1912, Picasso, Braque et Juan Gris (Salle 338/3) s’associèrent au marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler. Se référant peut-être à ce tableau, Kahnweiler évoqua dans La Montée du cubisme (1920) l’inclusion au centre supérieur de la composition d’un clou totalement naturaliste projetant son ombre sur

un mur. Le clou provoque l’illusion à la façon d’un trompe-l’œil, mais les autres objets sont brisés et réordonnés. Cette juxtaposition démontre la capacité du cubisme à évoquer le style illusionniste traditionnel, en le replaçant dans une approche nouvelle, plus fidèle d’un point de vue analytique et donc « réaliste », puisqu’il utilise la matérialité de la toile pour analyser et reconstruire les objets.

5. Georges BraqueLe Portugais, 1911 ; huile sur toile1,17 x 0,81 m

Dans cette œuvre difficile, le triangle vertical composé de quelques lignes fortes place la tête du guitariste portugais en haut. Plus bas, les bras tiennent une guitare, dont on voit l’ouïe et les cordes au centre, vers le bas de la composition. Braque souligne la superposition des plans en incluant des

fragments de texte. « D BAL », dans le coin supérieur droit, semble faire partie d’une affiche annonçant un « grand bal ». La guitare paraît déplacée pour un bal, pourtant ’ordonnancement des plans invite à lire l’inscription comme un titre, sur lequel se greffe un jeu de mots caractéristique du cubisme. Le prix de 10,40 francs, visible plus bas, renvoie peut-être au prix des tickets, bien que son emplacement indique qu’il pourrait aussi s’appliquer au guitariste, assimilant le musicien à un article dans une vitrine. Les lettres « OCO » sur la gauche, probablement extraites de « chocolat », situent la composition dans un café, cadre de nombreuses œuvres cubistes. Ces éléments typographiques annoncent les collages (voir Salle 336) employés par la suite dans ce type de tableaux.

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L’ ART dePuIs Le MILIeu du xxe sIèCLe sALLe 396 sALLe 397 L’ ART dePuIs Le MILIeu du xxe sIèCLe

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Formes plates, lignes nettes, touche invisible : la peinture d’ellsworth Kelly explore la structure et la couleur pure, loin de la gestualité lyrique de l’action painting ou de la spatialité de l’abstraction géométrique.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Kelly (né en 1923) étudia l’usage des formes, de la texture et de la couleur dans les techniques de camouflage, au sein d’une unité spécialisée de l’US Army. il se rendit à Paris une première fois quand son bataillon fut déployé en Europe. il y revint en 1948, après deux années à l’école du musée des Beaux-arts de Boston et rencontra des artistes maniant l’abstraction – Constantin Brancusi (Salle 345), Joan Miró (Salle 357), ou encore Alexander Calder (Salle 383). Kelly emprunta alors une voie abstraite en rupture avec la peinture gestuelle de l’expressionnisme abstrait américain, optant pour une facture délibérément impersonnelle, pour faire

de ses créations des « objets, sans signature, anonymes ». Souvent cité comme figure clé du hard-edge (« arête

dure »), Kelly est resté réservé à l’égard de ce terme : les contours tranchants auxquels il renvoie ne sont pas sa priorité, précise-t-il, mais plutôt la conséquence de l’importance première donnée à la structure. À Paris, il fut très influencé par Cézanne (Salle 310), et les cubistes (Salles 335-336 et 338) qui font cohabiter sur un même plan toutes les facettes d’un objet, exposant ainsi la vérité matérielle du tableau : une surface plane à deux dimensions. La notion d’espace et de profondeur reste néanmoins présente à travers l’interaction des formes, des volumes, des couleurs. Dans l’abstraction radicale de Kelly, en revanche, l’image se fait purement et simplement surface.

À l’instar de minimalistes tels Donald Judd (Salle 395), qui mettent à distance tout anthropomorphisme, Kelly déplore la place, à ses yeux excessive, de la forme humaine dans l’art depuis la Renaissance. il s’inspire de motifs non figuratifs antérieurs : pyramides d’Égypte et voûtes

romanes. Ses compositions en déclinent parfois les structures, ou celle d’une architecture moderne comme celle de Le Corbusier – sans jamais qu’elles ne priment sur la réalité qu’il veut inscrire sur la toile. « La création artistique a avant tout à voir avec l’honnêteté. Ma pre-mière leçon fut de voir objectivement, d’effacer toute signification de la chose vue. Alors seulement peut-on comprendre et sentir sa signification véritable. »

De retour à New York en 1954, l’artiste dut lutter pour imposer sa nouvelle veine abstraite sur une scène largement occupée par l’expressionnisme abstrait. Avec succès, la prestigieuse galerie Betty Parsons exposa son travail dès 1956. À la fin des années 1960, Kelly associe ses aplats de couleur à des toiles de formats irréguliers : un style qu’il continue d’explorer et qui affirme le tableau comme objet (voir Salle 434/6).

De la fin des années 1950 au milieu des années 1960, le peintre réalisa une série d’œuvres où s’abolit le rapport classique entre figure et fond, et dans laquelle s’inscrit Red Blue Green. On peut tenter d’y voir deux formes rouge

et bleue sur fond vert, mais les effets vibratoires créés par les frontières nettes des surfaces, les lignes droites et les courbes, ainsi que la rencontre des couleurs annulent la « composition » ; il n’y a plus ni formes qui avancent ni fond qui recule mais trois pièces d’un puzzle posé à plat sur le plan pictural. Kelly a évacué tout contenu et fait de la peinture – couleur pure, forme, structure – l’objet même du tableau.

397 eLLswORTH KeLLy : Red BLue GReen

1. Red Blue Green1963 ; huile sur toile 2,12 x 3,45 m

L’art naît de « la divergence entre le fait physique et l’effet psychique », affirmait Josef Albers. ses effets ne reposent pas simplement sur la couleur et la forme, mais sur leur perception par le spectateur. À travers son enseignement, ses théories et son œuvre, en particulier les centaines de variations de la série Hommage au carré, déployée sur trois décennies, Albers contribua grandement à transformer le cours de l’art et la pédagogie des arts plastiques au xxe siècle.

Albers (1888-1976), né en Allemagne, débuta comme instituteur avant d’obtenir un diplôme d’enseignant en arts plastiques et d’explorer les techniques de l’estampe et de la peinture, dans un style d’abord expressionniste. Entré comme étudiant au Bauhaus (Salle 350) en 1920, à trente-deux ans, il fut nommé maître en 1925, et prit en 1928 la direction du cours préliminaire destiné aux

nouveaux étudiants (sur le modèle duquel s’appuient les cours préparatoires de nombreuses universités et écoles d’art). Après la fermeture du Bauhaus par les nazis en 1933, Albers émigra aux États-Unis ; il enseigna quinze ans au Black Mountain College en Caroline du Nord, puis devint en 1950 directeur du Department of Design de Yale, dont les Presses universitaires allaient publier en 1963 son célèbre ouvrage, L’Interaction des couleurs.

De sa formation au Bauhaus, Albers a retenu l’inté-rêt des formes géométriques simples dans l’étude des relations chromatiques. il maintint cette concision de la forme après son exil aux États-Unis, malgré la tendance à une touche libre et affirmée qui s’imposa alors avec l’expressionnisme abstrait. Sa série la plus célèbre, Hommage au carré, débutée en 1950 et poursuivie jusqu’à sa mort en 1976, déclina l’unique forme du carré dans des compositions concentriques totalement vouées à l’exploration du rapport des couleurs.

Les jeux chromatiques d’Hommage au carré n’ont pas une simple valeur picturale mais bien une visée expéri-

mentale essentielle, axée sur les effets psychologiques et physiques de la couleur, ses qualités optiques et les variations de perception qu’elle induit chez le spectateur. Selon celle qui lui est associée, la couleur d’un carré apparaîtra plus chaude ou plus froide, par exemple, ou créera l’impression que la forme avance ou recule dans l’espace. Dans le tableau apparaissant ici, le carré gris semble s’éloigner et son cadre jaune se rapprocher, les effets de vibration produits par les différents tons de jaune rappelant les rayons solaires (évoqués par le titre). Albers pensait l’art comme « la formulation visuelle de notre réaction au monde, à l’univers, à la vie ». Les perceptions et illusions chromatiques étaient pour lui la preuve que les couleurs, comme la lumière, changent en permanence ; l’art a pour but de le révéler à l’artiste et au spectateur à travers l’expérience visuelle.

Albers contribua activement à la mutation de l’enseignement des arts plastiques aux États-Unis en y important la pédagogie et les théories du Bauhaus. Son influence considérable en tant que professeur, en

Europe et outre-Atlantique, est visible dans diverses salles de ce musée ; Robert Rauschenberg (Salle 388), Jacob Lawrence (Salle 387/12), Kenneth Noland (Salle 390/2), Richard Serra (Salles 394/4, 413 et 451) et Eva Hesse (Salle 401/1) comptè rent, entre autres, parmi ses élèves ou ses disciples. Des mouvements artistiques d’après-guerre tels le color-field (Salle 390), l’Op Art (Salle 384) et le minimalisme (Salle 394) n’auraient pas pu s’épanouir sans les théories et expérimentations d’Albers sur la relation des couleurs et la simplicité des formes.

396 JOseF ALBeRs : ÉTude POuR HOMMAGe Au CARRÉ

1. Étude pour Hommage au carré 1959 ; huile sur panneau de fibres 1,22 x 1,22 m

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L’ ART dePuIs Le MILIeu du xxe sIèCLe sALLe 425

425 LA PHOTOGRAPHIe-TÉMOIGnAGe

sALLe 425 L’ ART dePuIs Le MILIeu du xxe sIèCLe

1. Mathew BradyGeneral Ulysses S. Grant, 1864 ; tirage argentique albuminé 18,4 x 12,1 cm

Mathew Brady (1822-1896) était déjà un photographe reconnu lorsqu’il décida de faire la chronique des batailles et des protagonistes de la guerre de Sécession (1861-1865). Le général Grant était un ami de sa famille et fut son passeport pour aller sur le terrain. Cette photographie de Grant à City Point, en virginie, au siège du PC de l’armée de l’Union et sa base durant la guerre, démontre le talent de Brady pour révéler la psychologie de ses sujets, même vus de loin.

2. walker evansAlabama Farm Interior (Fields Family Cabin), 1936 ; tirage gélatino-argentique 24,1 x 30,4 cm

Cette photographie, prise alors que Walker Evans (1903-1975) était en congé de son engagement par la Farm Security Administration, traite un sujet similaire à celui dont il était chargé par le gouvernement de réaliser. Accompagnant James Agee, journaliste pour le magazine Fortune, Evans photographie trois familles rurales vivant dans une extrême pauvreté en Alabama. Ce travail n’a finalement pas été retenu par Fortune, mais fut publié en 1941, sous le titre Louons maintenant les grands hommes. Le porte-couverts en bois au centre de la photographie était fixé plus haut chaque année à mesure que les enfants grandissaient ; les traces noires marquent les emplacements précédents.

3. Manuel Alvarez BravoLos Agachados, 1934 ; tirage gélatino-argentique 22,4 x 29,5 cm

S’il connut un succès international comme surréaliste, le photographe mexicain Manuel Alvarez Bravo (1902-2002) considérait son travail beaucoup plus profondément enraciné dans la vie et l’art mexicains que dans le modernisme européen. Cette image d’ouvriers pendant leur pause déjeuner est encadrée par l’entrée du restaurant, créant un espace sans profondeur. Les chaînes reliant les tabourets produisent une certaine étrangeté, comme si ces hommes étaient prisonniers, et l’ombre masquant les têtes cache leur identité.

4. Roy deCaravaMan Coming up Subway Stairs, 1952 ; tirage gélatino-argentique 27,9 x 35,6 cm

Roy DeCarava (1919-2009), né dans le quartier de Harlem à New York, photographiait les rues de la ville, son métro et ses musiciens de jazz. La richesse tonale de cette image forte révèle la fatigue d’une longue journée de travail de cet homme qui s’aide d’un bras pour avancer, comme si ses jambes ne pouvaient plus le soutenir. Comme la plupart des photographies de DeCarava, ce qu’elle raconte va bien au-delà de son sujet.

5. James nachtweySurvivor of Hutu Death Camp, 1994 ; tirage pigment de longue durée 40,64 x 50,8 cm

« Je suis un témoin, et ces images sont mon témoignage. Les événements que j’ai enregistrés ne doivent jamais être oubliés ni se répéter. » Le plus grand photographe de guerre vivant, James Nachtwey (né en 1948) consacra sa vie à montrer les atrocités que l’homme fait subir à son semblable. Atroces et pleines d’humanité, les images des victimes du génocide rwandais de 1994 sont un cri de mobilisation, et sans doute les photographies les plus efficaces jamais prises. Ce Hutu n’a pas soutenu le génocide en cours, il fut donc emprisonné, affamé et attaqué à la machette. Rescapé, il fut pris en charge par la Croix-Rouge.

6. Lewis HineChild Laborer, 1908 ; tirage gélatino-argentique 19,1 x 24,1 cm

instituteur, sociologue et photographe, Lewis Hine (1874-1940) a été engagé entre 1908 et 1918 par le National Child Labor Committee (« Comité national contre le travail des enfants ») aux États-Unis, entre 1908 et 1918, pour montrer les enfants exposés au danger dans des usines et des mines, et exploités par la culture du coton. ici, une fillette dans une filature. Cette utilisation de la photographie comme outil de réforme sociale fait de Hine un précurseur du projet de la Farm Security Administration lancé dans les années 1930.

7. dorothea LangeMère migrante, 1936 ; tirage gélatino-argentique34 x 27 cm

Durant la Grande Dépression, Dorothea Lange (1895-1965) documente la situation dramatique

de ces Américains pour les organismes gouvernementaux Resettlement Administration et Farm Security Administration. Les États agricoles du Midwest furent très durement touchés par la sécheresse en 1935, et les ouvriers agricoles, dont cette famille, prirent la route vers la Californie dans l’espoir d’y trouver du travail. Parue dans le quotidien San Francisco News en 1936, cette photographie est devenue emblématique de cette époque.

8. Gordon ParksAmerican Gothic (Ella Watson), 1942 ; tirage gélatino-argentique 27,9 x 35,6 cm

Photographe et réalisateur afro-américain, Gordon Parks (1912-2006) prit cette image d’Ella Watson, femme de ménage la nuit dans les bureaux de la Farm Security Administration, où il travaillait. il la photographia pendant un mois, au travail, à l’église et chez elle. Cette image évoque American Gothic de Grant Wood (Salle 367/1). La détermination des personnages de Wood est présente, avec la sobre réalité de la rude vie d’Ella Watson.

9. Martín ChambiMariage de Don Julio Gadea, Cuzco, 1930 ; tirage gélatino-argentique 20,3 x 25,4 cm

Chambi (1891-1973) était un photographe péruvien qui enregistrait la vie des gens de Cuzco et des villages andins. D’origine indigène, il est devenu membre d’un mouvement d’artistes et d’intellectuels qui ont promu la renaissance de la culture indigène au Pérou.

Sur les photographies de Chambi, indiens et mestizos, métis d’indiens et d’Européens, possèdent une dignité généralement absente sur les photographies occidentales des peuples des Andes à cette époque.

10. Bill BrandtParlourmaid and Under-Parlourmaid Ready to Serve Dinner, 1933 ; tirage gélatino-argentique 22,8 x 19,5 cm

Né à Hambourg d’un père anglais et d’une mère allemande, Brandt (1904-1983) fit une série de photographies illustrant la vie britannique, après son installation à Londres, en 1931. The English at Home (1936) observe la vie des riches et de leurs domestiques ; ces deux femmes de chambre ont été prises au flash, une nouveauté technique dans l’Angleterre des années 1930.

11. eugene smithDes membres de la Guardia Civil, 1950 ; tirage gélatino-argentique 25,1 x 32,1 cm

Cette image d’une série du photojournaliste américain Eugene Smith (1918-1978) prise à Deleitosa, en Espagne, fut publiée dans le magazine Life en 1951, pour un reportage photographique intitulé Spanish Village. Smith disait qu’il voulait montrer la peur et la misère provoquées par le régime fasciste du général Franco. ici, nous sommes face au regard proche et inquiétant des soldats de Franco, fusils sur le dos.

12. Hiroshi HamayaBoys Singing to Drive Away Harmful Birds, v. 1942 ; tirage gélatino-argentique 30 x 20 cm

Cette image est issue de Snow Land (« Pays de neige »), une série d’Hiroshi Hamaya (1915-1999) montrant le quotidien, les rituels et les fêtes dans un village de montagne de la préfecture de Niigata au Japon. Le titre (« Enfants chantant pour chasser les oiseaux dangereux ») suggère qu’en dépit de la modernisation rapide du pays après la Seconde Guerre mondiale, les rituels anciens demeurent.

13. Robert CapaDébarquement, Omaha Beach (Colleville- sur-Mer), 6 juin 1944, 1944 ; tirage gélatino-argentique ; 22,8 x 35 cm

Robert Capa (1913-1954), américano-hongrois, fut très connu pour ses images de la guerre civile espagnole, à l’origine de sa réputation de photographe de guerre majeur. il travaillait pour le magazine Life lorsqu’il a pris cette image de la première vague de soldats américains débarquant en Normandie. Le flou désormais emblématique des photos du jour J par Capa provient de l’erreur d’un laborantin qui a failli détruire tous les négatifs. La puissance des photographies de Capa naît de leur atmosphère intime : « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près. »

depuis l’invention de l’appareil photographique au xixe siècle (voir salle 311), les photographes utilisent leur art comme outil de critique sociale et pour témoigner de la souffrance humaine. si toutes les images apparaissant ici ont un attrait esthétique, elles sont moins concernées par des objectifs artistiques que par le désir de montrer l’humanité dans son contexte souvent inhumain.

C’est la nature documentaire du support – la réalité captée sans l’intervention de la main de l’artiste – qui donne au témoignage photographique une force particu-lière. L’histoire de la photographie de guerre remonte au xixe siècle, avec les images obsédantes des champs de bataille de Crimée. Mathew Brady (1) commença à photo-graphier les camps et les champs jonchés de cadavres de la

guerre de Sécession américaine en 1861, et put approcher des responsables, obtenant ainsi des portraits éclairant la psychologie d’officiers et de soldats des deux bords. Aux xxe et xxie siècles, des photographes comme Robert Capa (13) et James Nachtwey (5) affrontèrent également les horreurs de la guerre, Nachtwey réussit à redonner leur humanité aux victimes de la guerre, et l’empathie déclenchée par ses images les transforme en manifeste efficace contre la guerre.

L’ Américain Lewis Hine (6) se servait de la photographie pour montrer la situation tragique des immigrants et sti-muler les réformes contre l’injustice sociale, par exemple la loi contre le travail des enfants. Durant la grande crise des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale, le gou-vernement des États-Unis s’appuya sur la puissance de la photographie pour faire évoluer l’opinion publique. Des photographes furent officiellement chargés de produire

des images de la misère qui ont servi à soutenir les pro-grammes sociaux du New Deal proposé par le président Franklin Roosevelt. Et lorsque le pays entra en guerre, les photographies d’ouvriers stimulèrent le patriotisme.

En témoignant des réalités sociales vécues par les groupes ethniques marginalisés, les artistes de pays ayant été colonisés produisirent des images antidotes des stéréotypes occidentaux dominants. Ainsi, les œuvres de Martín Chambi (9) et Manuel Alvarez Bravo (3) sont intimement liées à leurs identités respectives, péruvienne et mexicaine. Chambi est sans doute l’auteur des pre-mières photographies de peuples indigènes prises d’un point de vue indigène, à l’opposé du regard colonisateur des représentations européennes « objetisantes » voire méprisantes. Gordon Parks (8) et Roy DeCarava (4) illus-trèrent la vie de la classe ouvrière noire aux États-Unis, répondant aux stéréotypes souvent racistes de la culture

blanche dominante. Leur travail fut l’un des éléments de la naissance d’une prise de conscience politique noire amplifiée par le travail concomitant d’écrivains comme Langston Hughes et Richard Wright.

Nombre de ces photographies, toutes choisies au sein d’œuvres importantes, furent d’abord publiées par des journaux, ou des magazines comme Life, fondé en 1936, et firent rapidement le tour du monde. Pour le philosophe Walter Benjamin, la photographie à l’âge des médias de masse avait la capacité de rencontrer le spectateur partout où il se trouvait. Comme avec bien des formes d’art contemporain, le spectateur devint alors acteur et élément de l’œuvre.

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L’ ART dePuIs Le MILIeu du xxe sIèCLe sALLe 450

450 OLAFuR eLIAssOn : THe weATHeR PROJeCT

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Les installations de l’artiste danois Olafur eliasson et ses projets conçus in situ transforment l’espace en recourant à des éléments fondamentaux : eau, lumière, température, pesanteur. Il crée des expé-riences multi-sensorielles qui montrent sa fas-cination pour la perception et encouragent les spectateurs à réfléchir à leur propre conscience d’eux-mêmes dans le monde qui les entoure. selon l’artiste, ce travail traite du fait de « se voir res-sentir ». La science et la technologie, dans ses œuvres, sont au service d’une expérience esthé-tique qui requiert toujours la participation active du spectateur.

Olafur Eliasson (né en 1967) s’intéresse à la phénoménolo-gie, une branche de la philosophie concernant la perception humaine et l’expérience de la subjectivité, c’est-à-dire la conscience de soi propre à chaque individu. Le sujet central de la phénoménologie et du travail d’Eliasson est notre relation à l’environnement. L’artiste appelle cela la « cinquième dimension », une dimension d’engagement dans l’espace et le temps du spectateur, qui suit la qua-trième dimension du temps. Pour Eliasson, l’importance de cette cinquième dimension n’est pas exagérée car, sans elle, l’œuvre ne peut exister : « Sans la participation de l’utilisateur, il n’y a rien. L’utilisateur est la source de l’œuvre d’art, et la psychologie, – les souvenirs, les attentes, l’humeur et les émotions – qu’une personne apporte à l’œuvre en est une part importante. »

La perception du spectateur était un thème expli-cite du Curious Garden (« Le jardin curieux », 1997), à la Kunsthalle de Bâle, où les visiteurs traversaient les espaces du musée transformés par Eliasson, notamment par la couleur. La première pièce, annonçant The Weather Project, présenté ici, était baignée d’une lumière jaune monofréquence. Le spectateur traversait un couloir habillé de plastique bleu, couleur semblant très différente selon que l’on vienne de la pièce jaune ou, de l’autre côté, de la pièce éclairée par la lumière naturelle.

L’auteur de The Weather Project transforma la Turbine Hall de la Tate Modern, à Londres, en la saturant de la lumière jaune d’un soleil fait de lampes monofréquence. La lumière était diffusée par un écran puis rendue arti-ficiellement brumeuse. Le soleil était constitué d’un demi-cercle de lampes reflété par le plafond couvert de miroirs, donnant l’illusion d’un cercle complet. Les miroirs doublaient la hauteur de la Turbine Hall et permettaient aux spectateurs de se voir en train de regarder, pris dans la lumière jaune et l’atmosphère brumeuse. La machinerie à l’origine de la brume était visible, encourageant les visiteurs à voir l’expérience comme une construction qui les incitait à s’interroger sur elle et à apprécier son effet. Les œuvres d’Eliasson ne concernent pas seulement la perception visuelle, elles demandent aussi à être appréhendées par tous les sens, puis de s’impliquer intellectuellement dans l’expérience.

Certains projets d’Eliasson se situent en plein air. Ainsi, Green River Project (« Projet fleuve vert », 1998-2001) consistait à colorer des rivières dans plusieurs villes, dont Los Angeles, Stockholm, Tokyo et Johannesburg, avec une teinture vert vif et, en 2008, il installa les quatre Waterfalls (« Cascades ») dans le port de New York. Mais Eliasson ne partage pas le scepticisme des artistes du Land Art concernant les musées. Pour lui, le musée n’est pas simplement un lieu de stockage d’objets « éternels », mais un lieu où le spectateur pose un autre regard sur lui-même et sur son environnement : « Je ne crois pas que le musée doive être une collection ou un forum […] ses collections peuvent devenir un forum, c’est-à-dire un sujet de discussion. Je crois que c’est possible et j’ai foi dans le spectateur et dans l’expérience réflexive. »

1. The weather Project2003 ; technique mixte ; H. : env. 35 m

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