[ MAINE DE BIRAN ] ······ MÉMOIRE DÉCOMPOSITION PENSÉE II --LNPR

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  • 8/2/2019 [ MAINE DE BIRAN ] MMOIRE DCOMPOSITION PENSE II --LNPR

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    Maine de BIRAN

    1852

    IIMmoire sur

    la dcompositionde la pense

    Notes critiquespar

    Pierre Tisserand

    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvoleProfesseure la retraite de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubec

    et collaboratrice bnvoleCourriel: mailto:[email protected]

    Site web: http://slsj.areq.qc.net/Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"

    dirige et fonde par Jean-Marie Tremblay,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Site web: http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_socialesUne collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

    Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    Maine de Biran, Mmoire sur la dcomposition de la pense (tome II) (1952) 2

    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvole,professeure la retraite de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubeccourriel: mailto:[email protected] web : http://slsj.areq.qc.net Secteur Chicoutimi-Valin

    partir de :

    Marie Franois Pierre Gontier de Biran, dit Maine de Biran, (1766-1824),Mmoire sur la dcomposition de la pense, tome II et Notes crit iques par PierreTisserand.

    Une dition lectronique ralise partir du texte publi en 1952 : Mmoire sur ladcomposition de la pense, tome II, par les Presses Universitaires de France, 108,Boulevard St-Germain, Paris, 282 pp.

    Polices de caractres utiliss :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition complte le 28 juin 2004 Chicoutimi, Qubec.

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    Maine de Biran, Mmoire sur la dcomposition de la pense (tome II) (1952) 3

    Maine De Biran

    Mmoire sur la dcomposition de la pense

    Tome II

    Paris : Presses Universitaires de France, 1952, 282 pp.

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    Table des matires_______

    Deuxime section. D'une analyse des sens considre sous le rapportd'origine et de drivation de deux ordres de Facults et d'ides

    lmentaires.

    Chapitre I. De l'association premire de l'effort avec les affections simples.Comment celles-ci sont rapportes aux organes. Fondement de diffrentesclasses de sensations. Comment on pourrait driver de l'exercice d'un sens,tel que l'odorat, diverses facults et ides.

    Chapitre II. Continuation du prcdent. Analyse et drivation des facults etdes ides lmentaires qui peuvent se rapporter l'exercice d'un sensparticulier. Premier exemple pris de l'odorat.

    Chapitre III. Des fonctions de l'oue et de la voix. Des facults et des ideslmentaires qui peuvent en tre drives.

    Chapitre IV. Analyse de la vision. Des facults originelles et des ides qui s'yrapportent.

    Chapitre V. Des fonctions du toucher. Analyse des facults et des ides

    lmentaires qui s'y rapportent.

    Rsum gnral. Tableau et projet d'une division et d'une numration desfacults humaines.

    Rflexions sur les rsultats de la mthode de dcomposition prcdemment

    explique. Projet d'analyse des mmes difficults considr dans un ordresuprieur d'exercice.

    Troisime section. D'une analyse des facults humaines considres dansleur exercice gnral. L'association commune des sens entre eux et de leurs

    produits composs des signes artificiels.

    Chapitre I. Fondement de l'institution des signes. Second ordre de facultsintellectuelles. Paralllisme de cet ordre avec le premier tableaucorrespondant de leur division.

    Chapitre II. Ordre passif intellectuel. Premire classe de composs de cetordre

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    Chapitre III. Ordre actif intellectuel. Premire classe de composs. (Voyez letableau.)

    Chapitre IV. Ordre actif intellectuel. Deuxime classe de composs. (Voyez

    le tableau.)

    Chapitre V. Ordre actif intellectuel. Deuxime et troisime classes. (Voyezle tableau.)

    Rsum gnral.

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    Deuxime sectionD'une analyse des sens considre sous le rapport

    d'origine et de drivation de deux ordres de facultset d'ides lmentaires

    _______

    Chapitre I_____________________________________________

    De l'association premire de leffort avec les affections simples. Comment

    celles-ci sont rapportes aux organes. Fondement de diffrentes classesde sensations. Comment on pourrait driver de l'exercice d'un sens, tel

    que l'odorat, diverses facults et ides.

    Retour la table des matires

    Rduit au sentiment absolu de l'existence ou aux impressions purementaffectives qui le constituent, l'tre organis vivant soutient bien, comme tel, desrelations essentielles avec divers agents appropris qui l'environnent. Il estmme dirig suivant de tels rapports , avec une assurance et une sorted'infaillibilit, signes certains du physique des lois qui le rgissent etl'entranent dans le cercle assez uniforme d'une vie toute sensitive, presquesansperturbation, comme sans connaissance.

    Les sphres roulantes suivent dans les espaces clestes, les lois invariablesde l'attraction qu'elles ignorent ; les molcules des corps, places dans lesmmes circonstances, manifestent toujours les mmes affinits lectives. Lesaffinits organiques ou animales, plus compliques, paraissent avoir, il est vrai,bien moins de constance et de fixit ; mais la fibre vivante, l'lment sensible,et les combinaisons qui s'en forment, n'en suivent pas leurs lois avec moinsd'aveuglement et de ncessit.

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    L'tre intelligent seul connat les rsultats des rapports auxquels il estsoumis par sa nature ; lui-mme se donne une direction et un but, se rendcompte des moyens, les veut et en dispose.

    Or, l'tre intelligent n'est pas tel, uniquement, parce qu'il est susceptible, envertu de son organisation, d'tre affect et de se mouvoir, mais parce qu'il estcapable d'apercevoir les modifications qu'il prouve comme sentant, et lesactes qu'il dtermine comme moteur. Or, le seul fait de la dtermination de sesactes est essentiellement li l'aperception, tandis que la simple rceptivitsensitive des modes peut en tre spare : voil le principe. Ces deux sortes defacults commencent-elles ensemble, ont-elles mme origine, mmesconditions, mmes instruments organiques ? Voil ce qu'il fallait rechercherd'abord.

    S'il tait permis maintenant de rendre sensible, par quelque comparaison, la

    diffrence relle qui peut exister entre la force vitale ou sensitive, quidtermine les actes automatiques de l'instinct, et celle qui dirige la locomotionet les actes de conscience, ne pourrait-on pas hasarder de dire que cettediffrence est comparable peut-tre, jusqu' un certain point, celle qui existeentre les forces chimiques d'une part, qui, travaillant les lments de la matire,transformant leurs composs les uns dans les autres, amnent tant dervolutions successives dans le sein ou sur la surface du globe, et celles degravitation ou d'impulsion tangentielle d'autre part, dont les rapportsdterminent la forme constante de l'orbite, et l'ordre rgulier des mouvementsplantaires ?

    La dynamique intellectuelle serait-elle plus fonde, que la dynamique descorps, rduire des forces si diverses une seule ? et l'observation intrieurene motiverait-elle pas des distinctions aussi ncessaires que celles quiressortent, en astronomie, de l'observation et du calcul ?

    Poursuivons l'analyse de ces forces distinctes et non spares, qui animentle microcosme, dans celles de leurs produits mixtes et composs, puisque c'estsous cette forme seule que les forces mmes rentrent dans le champ propre etnaturel de notre observation.

    I. Dans le dploiement constant et rpt de la mme force motrice,

    directement irradie d'un centre unique, et le mode d'effort, seul primitivementrelatif, qui lui correspond, se trouve constitu le sujet, par rapport au termeorganique inerte, qui rsiste son action. Lorsque ce terme multiple a tcirconscrit dans ses parties comme immdiatement soumises la mme force,alors seulement, les impressions reues par ces dernires, en vertu de leuraffectibilit propre, deviennent particulires etrelatives de gnrales etabsolues qu'elles pouvaient tre dans l'origine ; alors aussi seulement, elles ontle caractre de vritablessensations composes du premier ordre, o entre un

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    lment individuel constant, savoir la forme une de l'aperception ou dujugement, suivant laquelle les impressions sont rapportes un sige organiquedtermin.

    Le premier acte, par lequel les impressions, sensibles sont rapportes auxorganes qu'ils affectent, n'a pu chapper, malgr toute l'intimit des habitudes,aux esprits profondment rflchis, qui ont tent d'analyser l'intelligencehumaine, jusque dans ses lments constitutifs. Mais ds qu'ils l'attribuaient quelque vertu inne, ou le considraient comme une forme inhrente lasensibilit, insparable absolument de son exercice, ils devaient bien l'admettresans conditions, ou mme repousser l'ide qu'il ft possible dassigner quelquecondition particulire, sur laquelle, un tel acte peut originairement se fonder.Une observation assez simple et premptoire, ce me semble, leur chappait ;c'est, que si ce rapport primitif des affections aux parties, qui les souffrent, taitaussi naturel, aussi ncessaire et invariable qu'ils le supposaient, et qu'il devrait

    l'tre, en effet, s'il tait inhrent la sensibilit, ils n'eussent jamais pul'observer ni le noter, quelle que ft leur sagacit ou leur finesse de tact dansces matires.

    Ce raisonnement confus, ou ce jugement naturel, dit Malebranche, quiapplique au corps ce que l'me sent, n'est qu'une sensation qu'on peut direcompose. On trouve ici la profondeur d'une premire analyse qui devait, cesemble, en amener beaucoup d'autres car puisqu'il y a un compos, il y a doncaussi des lments simples, ou des affections qui ne sont pas encore dessensations, comme des jugements qui n'en sont pas non plus, Mais touteanalyse ultrieure se trouve bien arrte par le point, de vue qui considre ces

    jugements comme naturels (ce qui signifie ici inns), et qui, d'une autre part,les taxe d'illusions ou d'erreurs : chose pourtant assez difficile concilier ; carla dmonstration de l'erreur suppose la preuve d'une vrit contraire 1. Il faut aumoins deux chances relles ou intelligibles ; or quelle est celle o l'me, le moiapercevrait, jugerait que c'est lui qui souffre une douleur physique, sansrapporter cette impression quelque partie du corps ?

    Locke, partant des ides de sensation, et les prenant toutes faites, telles qu'illes trouvait dans notre exprience, ne parat pas douter que la sensation ait pujamais exister autrement que sous la forme d'ide. Il tait si loin de souponnerun compos dans ce premier ordre de sensations, que l'cole cartsienne avait

    pourtant signal comme tel, qu'il ne le reconnt mme pas dans lesperceptionsqui reprsentent les objets hors de nous.

    Mais lorsque Condillac eut conu le projet de remonter jusqu' l'origine detoute ide et d'anatomiser, pour ainsi dire, les diffrentes espces de sensations,pour assigner la part contributive de chacune d'elles dans l'entendement

    1 Recherche de la Vrit, liv. I, chap. I.

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    humain, qui est cens en tre le rsultat, ce philosophe, se plaant trs prs dupoint o tout commence, dut reconnatre d'abord que les affections premireset simples de la sensibilit, n'ayant dans leur caractre intrinsque rien quiportt, pour ainsi dire, le cachet de l'objet qui les occasionne, ni du sige

    qu'elles occupent, cette connaissance ou ce jugement qui se trouve en effet uniactuellement avec toutes nos sensations, devait avoir dans quelqu'une d'elles unfondement ou un mobile particulier. (C'est ainsi que le point de vue cartsienput tre ramen dans les limites de l'exprience.)

    Mais puisque Condillac ne tenait aucun compte des lments perceptibles,qui pouvaient se rapporter la motilit des organes, il dut ncessairementmconnatre la condition premire dans laquelle se fonde la circonscription desparties du corps et en assimiler les moyens ceux de toute autre connaissanceobjective. S'il tait remont jusqu' cette condition, il aurait vu qu'il ne s'agitplus que de chercher dans ce domaine rel, quelle peut tre la sensation,

    immdiatement relative par elle-mme, qui communique ce caractre tous lesmodes qui concident ou s'associent avec elle. Condillac croit trouverexclusivement un tel caractre dans la sensation de solidit dont la main estl'organe propre ; la main seule, s'appliquant d'une manire immdiate l'objetsolide, tendu comme elle, peut en reconnatre l'existence comme objet hors dumoi , en circonscrire les limites ; en dterminer, en crer, pour ainsi dire, lesformes. C'est ainsi que les parties de notre propre corps, confondues dans lesentiment fondamental, se dveloppent, s'tendent et se figurent en relief, sousle moule sensible qui les parcourt. Tant que le sentiment prouve une rplique,c'est toujours le mme moi qui se retrouve et se rpond lui-mme ; ds que larplique cesse ce n'est plus le moi, etc.

    Je vois bien l un module universel, un instrument qui sert connatre, mesurer des objets, mais cet instrument lui-mme comment est-il connud'abord, car lui aussi est objet pour le moi qui commence s'en servir, et avantqu'il l'ait encore appliqu aucune autre partie, ni rien d'tranger ? L'analystene remonte pas encore assez haut. Le caractre fondamental de relationextrieure, qu'il assigne l'exercice particulier d'un sens, il l'a suppos dj et ilen a fait usage longtemps avant de mettre le toucher en jeu. Toutes les fois qu'ils'est agi, par exemple, de la locomotion ou de la direction d'un organe, tel quela vue, comment a-t-il pu ne pas en driver quelque sensation relative ? ;comment le sujet de l'effort a-t-il pu se confondre entirement avec le terme

    organique ? ; comment un organe mobile quelconque a-t-il t constammentdirig sans tre connu ? il fallait donc que les actes et mouvements fussentaussi automatiques qu'ils peuvent l'tre sous la loi de l'instinct. Mais alors quelest le fondement de toutes ces oprations intellectuelles dans la statue, borneaux odeurs, aux couleurs, etc. ? Quel est avant tout, le fondement de sapersonnalit, qui ne saurait tre constitue pour elle-mme, hors d'une relationquelconque ? Et s'il n'y a pas une personne identique, o va se rattacher la

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    chane commune des modalits successives qui se transforment, o est le pointd'appui de toute l'existence 1 ?

    Ds qu'il y a dploiement d'effort, il y a un sujet et un terme constitus l'un

    par rapport l'autre, et toutes les impressions deviennent plus ou moinsparticulires ou, relatives, proportionnellement au degr de liaison, deproximit, de dpendance o elles sont l'gard de ce mode relat iffondamental. Sans lui, tout est passif et absolu, les impressions du touchercomme les autres ; avec lui, tout se rapporte une personne qui veut, agit, jugedu rsultat des actes, distingue, par le contraste, les modes forcs de lasensibilit passive de ceux qu'elle produit par un vouloir, et peut ainsi acqurir,soit directement par le toucher, soit par une sorte d' induction (dans l'exercicede tout autre sens) l'ide de quelque existence ou force trangre, conue sur lemodle de la sienne propre.

    Il s'agissait donc de remonter jusqu' ce mode fondamental premier, auquella personnalit est essentiellement inhrente, ou dont le moi est indivisible,d'en rechercher les conditions gnrales ou particulires, de voir comment ilpeut concourir avec l'exercice de divers sens, ou en faire partie essentielle,composer ainsi les affections immdiates et les fconder en les levant lahauteur de l'ide. Avant de chercher le passage de nos sensations laconnaissance des objets extrieurs qui n'en sont pas toujours les causes, nimme les occasions, la mtaphysique avait donc rsoudre une questionpremire et plus gnrale, o tait mme renferme cette dernire comme uncas plus particulier : ctait de s'informer avant tout du passage d'un tatpurement affectif (tel qu'il peut tre conu approximativement par plusieurs

    signes pris dans notre existence mme) celui d'aperception personnelle, quiest bien ncessairement le fondement, le premier degr de toute intelligence.Ce problme conduisait directement chercher, et trouver peut-tre, lacondition commune qui, servant effectuer dans l'origine le dploiement d'uneforce vivante, sert aussi circonscrire dans son domaine propre, et par autantd'actes relatifs de conscience, les termes multiples de son application, distinguer ainsi, dans leurs limites rciproques, les termes inertes qui obissent la mme puissance motrice, et ceux qui lui rsistent sans obir. Ainsi, lamme cause, qui localise les impressions et constitue un moi qui les aperoit distance, localise aussi un objetlorsque le terme de l'effort s'loigne davantage,ou que la rsistance trangre, l'inertie absolue, remplace l'inertie propre des

    organes et s'ajoute avec elle (ceci s'claircira mieux l'article du toucher)2

    .1 C'est du principe ou de l'origine du sentiment de causalit qu'il fallait soccuper d'abord,

    parce qu'en fait ce sentiment, qui est celui de la personnalit mme, une fois constitu, on levoit s'associer de diverses manires avec les diffrentes impressions, soit par un rapport dedrivation si ces impressions ressortent de la volont, soit par un simple rapport decoexistence ou de simultanit, si elles sont passives par leur nature.

    2 La ncessit d'une influence motrice, ou d'un effortactuel exerc sur des parties sensibles,pour que les impressions faites sur ces parties puissent y tre directement rapportes, me

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    Sans doute les deux passages, dont il s'agit, ont pu tre franchis dans lemme temps ; et les limites du moi ou de ce qui lui appartient en propre, n'ontpu nettementse circonscrire, que par la connaissance relative de ce qui est en

    dehors. Les deux connaissances personnelle et objective, ou les conditions etmoyens qui les effectuent dans l'origine, ne sont point rellement spares ;mais il s'agit de savoir s'il n'y a pas une sparation possible ou seulement une

    parat confIrm par un fait curieux rapport dans un ouvrage peu connu intitul Histoirenaturelle de l'me, par M. Rey REGIS, mdecin de la Facult de Montpellier). Ayant vu,dit ce mdecin, un malade qui paraissait paralys de la moiti du corps, aprs une attaquercente d'apoplexie, je fus curieux de savoir s'il lui restait quelque sentiment et quelquemouvement dans les parties affectes. Pour cela, je pris sa main sous la couverture du lit, etpressai fortement un de ses doigts, ce qui lui fit jeter un cri ; en ayant fait autant chaquedoigt, il sentit chaque fois une douleur trs vive, mais sans la rapporter nulle part. Je mis

    alors ma main dans la sienne et lui dis de me serrer, il ne le put, etc. Cet homme eut besoinde plusieurs jours d'exprience pour apprendre de nouveau se servir de sa main, remuerles doigts les uns aprs les autres, et ds lors aussi, il sut rapporter parfaitement la douleurau doigt press. Lauteur conclut que, dans des paralysies de ce genre, l'me perd laconnaissance ou le souvenir de sa force motrice, de la proportion de son effort aumouvement requis, ce qui revient dire que le sujet de cet effort moi perd lide ou lesentiment immdiat de celui des termes particuliers de son application, qui se trouveorganiquement ls. Et si tous les termes partiels, ou le corps en masse tait dans mmetat, toute aperception ne se trouverait-elle pas compltement suspendue, comme dans lesommeil, quoique l'affectibilit passive pt subsister ? Le rapport direct des impressions un sige tiendrait donc originairement aux mmes conditions que la motilit volontaire ; ilpourrait donc tre spar de la partie affective. Or, si lon reconnat cette sparation dans lepremier sans doute de tous les jugements, il faudra bien l'admettre dans les autres ; nesommes-nous pas d'ailleurs, quant aux impressions des organes internes, dans le cas du

    paralytique de M. Rgis ?Condillac na point cherch en aucune manire comment le moi pourrait acqurir

    directement la connaissance intrieure des organes ; il ne soccupe que d'une connaissanceobjective et secondaire de leurs formes extrieures. Autrement, il aurait vu que la rpliquede l'effort, dans des organes soumis la mme volont, a le pas avant la rplique dusentiment, comme le confirme le fait prcdent. Cette observation premire en auraitamen bien d'autres contraires plusieurs rsultats du Trait des sensations, notammentcelle-ci que je trouve l'article du toucher : La main franchissant des parties intermdiairesdu corps (propre) qu'elle parcourt, se retrouvera dans chacune comme dans autant de corpsdiffrents et ne saura pas encore que toutes ensemble n'en forment qu'un seul, parce que lessensations qu'elle a prouves ne les lui reprsentent pas comme contigus ou formant unseul tout continu. Non sans doute, la main ne le sait pas, mais l'individu le sait , s'il aquelque sentiment fondamental ou quelque aperception dexistence, s'il est capable de se

    locomouvoir et de diriger ses organes ou son corps en masse, s'il n'est pas enfin sous la loide l'instinct, exclusive de toute intelligence. La connaissance de la forme, des dimensions,de l'tendue des diffrentes parties du corps, mesures par la main aide de la vue, diffrebien srement de cette connaissance intime, relative au dploiement du mme effort sur unterme inerte, qui est insparable de l'existence mme du moi, et qu'on supposencessairement ds qu'on admet un sujet individuel qui les modes et les actes se rfrent.Cette distinction ressort mme clairement du dernier passage pris du Trait des sensations.Je ne finirais pas si je voulais noter tous les rsultats compars de ces deux points de vuefondamentaux ; mais je crains de paratre dj insister beaucoup sur des objets quonnaime gure ordinairement creuser.

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    distinction relle et intelligible ; il s'agit de savoir, si pour fixer les limites desdeux domaines de moi et de non-moi, nous prendrons notre point de dpart endehors ou en dedans, si nous remonterons de l'existence suppose des objets etdes impressions dont ils sont censs tre les seules causes actives, la

    connaissance ou laperception personnelle, indivisible, par hypothse, de cesimpressions passives ; ou si nous descendrons au contraire de cetteconnaissance intrieure (et des conditions qui lui sont propres) la perceptiondes objets et des qualits ou modifications qui s'y rapportent, en distinguanttoujours ces deux ordres de connaissance, et leur mode de gnration par lessens ; en un mot, si, dans le rapport primitif de causalit sur lequel touteperception se fonde, nous prendrons pour antcdent une force extrieure souslaquelle nous sommes passifs, ou une puissance toute intrieure qui prdomineles objets mmes 1. De ce premier pas dpend tout progrs ultrieur, et le choixde l'une ou l'autre alternative dcide du reste. Je nai pas besoin de justifier icil'ordre qui me parat tabli par la nature mme du sujet pensant, dans les

    progrs de la connaissance, et la distinction des deux espces de cetteconnaissance. Tout ce qui prcde et tout ce qui suit parle assez pour ou contrele parti que j'ai cru devoir adopter.

    II. Le principe de la vie de relation et de conscience, une fois en activitet en pleine possession de son domaine, se reproduit constamment sous unemme forme. Son exercice priodiquement suspendu, pendant que celui de lavie absolue ne s'interrompt point, le fait renatre toujours gal ; c'est toujours lamme force qui lutte contre le mme terme rsistant, il ne peut y avoir l devariations que dans le degr.

    La veille du moi est constitue par cet tat d'effort immanent. Tant qu'ellesubsiste, la personne est plus ou moins, mais toujours identiquement prsente elle-mme ; alors et hors des vives exacerbations de la sensibilit quiobscurcissent quelquefois l'aperception personnelle, les impressionssuccessives de toute nature concident avec le mme mode fondamental, etpeuvent participer, quoique trs ingalement, la lumire de la conscience.Mais les unes ne font rellement qu'y participer, et dans le plus faible degr, raison de leur loignement de la source de toute lumire ; les autres s'enrapprochent davantage, et viennent se teindre de ses rayons ; d'autres enfinl'apportent avec elles ou sont irradies de la mme source.

    1 Dans la premire classe se rangent toutes les impressions purementpassives de la sensibilit, dont le sige est entirement hors des limites de lapuissance motrice, et toute la force impulsive ou ractive dans les organes dela vie intrieure, ou le centre qui leur est sympathiquement uni. Ces affectionsorganiques ou animales, dans le plus bas comme dans le plus haut degr, nesont point par elles-mmes dans la conscience ; elles forment en quelque sorte

    1 Ne plagis omnia fiant externa quasi vi (Lucret, Voyez l'pigraphe).

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    la matire de lasensation, ou plutt, comme dit Locke, de l'ide de sensation ;mais aucune ide proprement dite ne peut maner exclusivement de cettesource. Telles sont toutes les impressions qui naissent directement du bon oumauvais tat de la machine ; celles qui se rapportent uniquement l'apptit,

    etc. Il faut observer que ces affections ne s'associent, pour ainsi dire, quecollatralement avec le mode fondamental ou avec ceux qui drivent de notreactivit, mais sans entrer en combinaison intime avec eux, sans faire partie desmmes composs perceptifs. Cela parat bien, en ce que de telles affections nesont jamais directement rapportes un sige dtermin, et sont toujours horsde la sphre du jugement comme du souvenir. Dans tous les cas, le nom desensations ne peut leur tre qu'improprement appliqu, et il me paratncessaire de les distinguer sous celui d'affections que je leur conserverai.

    2 La seconde classe comprend les impressions faites sur les sens externespar des causes trangres. Les organes de ces sens ayant chacun un mode

    d'affectibilit qui leur est propre, mais participant d'un autre ct, quoique dansdes degrs diffrents, l'action d'une mme force motrice qui les active, leursfonctions sont susceptibles d'tre considres sous ces deux rapports.

    A. Lorsque l'affectibilit, mise en jeu par la cause extrieure, estprdominante, la matire de la sensation prvaut sur l'acte perceptif, toujoursinhrent au dploiement de l'effort. Cette prdominance est bien exprime parle terme sensation qui convient alors cette classe. On reconnat ici unvritable compos et deux lments qui se rapportent deux sourcesdiffrentes, mais qui sont intimement unis dans le mme sige, et non passeulement agrgs, pour ainsi dire, comme dans le cas prcdent, c'est ce

    point aussi qu'on peut commencer l'analyse de dcomposition. Comme dansl'tat de veille, les organes particuliers de ces sensations sont plus ou moinstendus par la volont, et participent directement l'effort gnral, elles sonttoujours, hors les cas extrmes, accompagnes de quelque aperceptionrapporte leurs siges, et composes de divers jugements d'exprience. Maiscette exprience a eu un commencement, elle repose sur certaines conditionsqui l'ont rendue possible. Or, ces conditions ne sont point inhrentes ce quifait ici la matire de la sensation, et lorsqu'on la conoit spare de la forme,toute lumire disparat.

    B. L'organe peut tre tellement constitu, et l'agent externe auquel il est

    soumis, d'une telle nature, que les impressions reues soient trs peu affectivesd'une part, pendant que l'effort est comme inaperu dans son dploiement peuintense, d'autre part. Il y a l un certain rapport entre les deux forces, qui nepermet gure d'assigner quelle est celle qui appartient l'initiative ou laprdominance. La nullit d'affection directe exclut le caractre sensitif, lafaiblesse de l'action motrice exclut presque le caractre aperceptif, l'individu nesentni n'agitet pourtant le phnomne de la reprsentation s'accomplit, il y aun objet extrieur ou intrieur passivement peru. C'est ici que l'ide de

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    sensation parat exister par elle-mme et venir toute faite du dehors ; cephnomne mrite bien d'tre analys dans ses circonstances et conditionsparticulires ; nous le distinguerons sous le nom de perception simple ouobjective (intuition).

    C. Il y a un mode de sensations o la volont motrice prendessentiellement l'initiative, quoiqu'elle ne conserve pas toujours laprdominance sur la force extrieure. Le sens va chercher son objet qui nevient point tout seul au devant de lui pour le provoquer. Ici la perceptionobjective, active expressment par le vouloir renferme l'aperception dansl'acte mme qui se distingue de son rsultat, et l'analyse n'a aucune peine ysignaler deux lments. Ici l'on trouve encore le premier fondement de deuxsortes d'observations. Cette manire de percevoir doit tre distingue de laprcdente par son caractre constitutif ; nous l'appellerons perception active(ou aperception externe mdiate).

    D. Il est enfin une espce de sensations que la volont produit seule, sans leconcours d'aucune force trangre, et en fournissant elle-mme, pour ainsi dire,la matire et la forme. Ici est le mobile premier et la source pure de larflexion1.

    La distinction relle tablir entre les sens est donc toute fonde sur ladpendance o se trouve plus particulirement plac chacun d'eux, en vertu desa constitution, l'gard de deux forces, l'une en dehors, l'autre en dedans dumoi. Ces forces peuvent agir sparment dans tels sens particuliers, plussouvent elles concourent leur exercice. Mais tantt elles s'quilibrent, tantt

    elles se prdominent de diverses manires, de l des produits essentiellementdivers, que le terme sensation peut bien exprimer gnriquement, mais enlaissant confondus les titres des espces. De l aussi deux ordres de facults etdeux modes de leur gnration. Il ne suffit pas de dire que tout vient des sens,il faut savoir encore comment et par quel canal les ides et les oprationsintellectuelles peuvent en venir ; autrement, on ne fait gure, si je puis ainsiparler, que l'ontologie de la sensation, au lieu d'en faire l'analyse ; mais cetteanalyse peut encore suivre deux mthodes diffrentes indiques par la divisionmme que nous venons d'tablir. On peut prendre, par exemple, un sensquelconque pour type gnrateur ; et en ayant gard aux deux sortes defonctions qui concourent son exercice, trouver ainsi une division relle des

    produits, modes ou oprations lmentaires qui se rapportent, en effet, cettesource mixte. Mais comme l'espce et les caractres des lments, ainsiassigns, dpendent de la nature de l'une des deux forces prdominantes dansle sens qui a servi de modle, il serait dangereux et souvent illusoire degnraliser trop promptement ces caractres particuliers, ou de les affirmer des1 Cette division relative aux fonctions des sens se trouvant reproduite dans un tableau qui est

    la fin de cette partie du Mmoire, ne devait pas entrer ici o elle ne peut servir qu'annoncer ce qu'on verra ailleurs avec plus de prcision.

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    autres sens qui ont aussi leurs produits lmentaires, lesquels ne peuvent treapprcis ni connus si l'on ne remonte jusqu' cette origine spciale. L'analysedes facults intellectuelles n'est donc pas celle de lasensation en gnral, maisbien celle de chaque sens en particulier, des conditions et circonstances qui

    forment son exercice, des produits qui en drivent, etc.

    On pressent nanmoins que si cette mthode nous offre d'une part unemultitude effrayante de distinctions et de variations noter dans le jeu desorganes et les modes passifs qui s'y rfrent immdiatement, elle doit nousoffrir, sous le ct qui est le plus rapproch de notre point de vue intrieur,beaucoup plus d'uniformit et de constance, de telle sorte que nous noustrouvions fonds ensuite tendre l'exercice commun des sens les titres et lescaractres des modes actifs signals dans l'un d'eux, non en donnant ces titresune valeur gnrale ou commune, mais en leur conservant l'individualitprcise qu'ils ont toujours dans notre rflexion (voyez la premire partie). C'est

    dans un tel point de vue que nous allons en entreprendre l'analyse.

    C'est dans le but d'une distinction et d'une drivation de ces facultsintellectuelles que nous allons entreprendre l'analyse suivante et refaire dans unnouveau point de vue le Trait des sensations.

    ________

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    Chapitre II_____________________________________________

    Continuation du prcdent.

    Analyse et drivation des facults et des ides lmentaires qui peuvent se

    rapporter lexercice d'un sens particulier. Premier exemple pris del'odorat.

    Retour la table des matires

    L'entreprise de reconstruire, pour ainsi dire, l'entendement humain aveccertains lments artificiels hypothtiques (donns souvent par les seulesclassifications de notre langage) ne serait peut-tre gure moins tmraire que

    ne le serait celle de recomposer chimiquement un produit naturel du rgnevgtal ou minral, altr et rsous dans ses lments par le creuset.

    La nature qui seule dispose de deux grands instruments, le temps etl'espace, peut seule aussi combiner et agencer dans des touts parfaits lesmatriaux lmentaires qu'elle a lentement prpars s'unir, par une infinitd'laborations successives et imperceptibles. En appliquant nos sens, nosinstruments, ces composs extrieurs, comme notre rflexion ou noshypothses cet autre compos qui est nous-mmes, nous les brisons, noussaisissons quelques-uns des fragments pars les plus grossiers, mais lapuissance agrgatrice nous manque, et les lments, qui ont ncessairement

    chapp nos analyses, ne sauraient entrer dans nos compositions artificielles.

    Il faut le dire : indpendamment des difficults extrmes attaches unprojet, tel que l'avait conu le clbre auteur du Trait des sensations, le pointde vue o il se plaa, ds son dbut, devait en rendre l'excution impossible outout fait illusoire.

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    Pour qu'un tre soit impressionnable ou affectible par un sens quelconque,il faut bien d'abord qu'il vive ; or, il ne peut vivre hors du concours de diversinstruments organiques plus ou moins nombreux, qui se correspondentsolidairement et font, pour ainsi dire, un change perptuel de leurs

    impressions. Cette vie commune est insparable d'un sentiment fondamentalabsolu, qui est bien modifipar les impressions accidentelles du dehors, maisnon constitu par elles, puisqu'il leur donne le ton au lieu de le recevoir. Dansle point de vue physiologique, l'hypothse de Condillac serait doncinadmissible ; mais en prenant la chose d'un autre ct, admettons que lesentiment gnral absolu qui fait la vie de l'tre fictif (et que l'on peut ds lorsconsidrer comme rel) dont il s'agit, soit modifi, suivant le ton appropri une odeur de rose, nous pourrons dire en effet qu'il la devient, et cetteexpression nous reprsente trs fidlement l'une des conditions de l'existencesensitive absolue, et non encore relative un sujet individuel et permanent quil'aperoive 1.

    Mais mieux je saisis ainsi cet tat affectif, pour ainsi dire, dans sa puretoriginelle, moins je conois qu'on puisse driver d'une telle source exclusive, etpar simple transformation, quelques modes intellectuels de nature gale ceuxdont nous retrouvons le type complet en nous-mmes. Or, c'est prcisment deceux-l qu'il est question, c'est notre intelligence, notre tre pensant tel qu'ilest, ou s'apparat lui-mme dans sa propre rflexion, qu'il s'agit dereconstruire s'il est possible, et non un fantme hypothtique, que nous ayons habiller ou crer.

    Si nous sommes obligs de feindre des hypothses pour atteindre la ralit

    et en vue de la ralit seulement tchons du moins de les rapprocher le pluspossible de la nature.

    Supposons donc aussi un tre vivant de notre espce, dou de toutes lesconditions de l'existence sensitive absolue et par consquent irrductible uneseule espce d'impressions accidentelles venues du dehors, qui puissent trecenses constituer cette existence ; prenons-le au sortir de l'instinct, au momento l'ordre des mouvements va changer, o l'influence d'un centre d'actiondirecte de la vie de conscience va succder celle du centre de raction

    1

    Approchez, dit BONNET (Essai analyt., chap. VI, 35) une rose du nez de la statue ; aumme instant elle devient un tre sentant, son me est modifie pour la premire fois, elleest modifie en odeur de rose, elle devientune odeur de rose, elle aperoit, se reprsentecette odeur ; toutes ces expressions sont synonymes. Non pas, sil vous plat, car l'acted'aperception et la reprsentation surtout suppose un sujet et un objet qui ne sont pointidentifis, mais trs distincts dans la pense. Or, c'est prcisment une telle distinction quise trouve exclue par le terme propre, et pour ainsi dire technique devient. Bonnet qui avaitt prcd par Condillac dans l'exposition d'une hypothse sur le choix de laquelle ilss'taient rencontr, emprunte de lui cette expression sans en avoir, je crois, bien pes lavaleur.

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    sympathique d'une vie toute intrieure 1, par suite au moment o l'affectionsimple va revtir la forme de la sensation ; cartons pour un instant touteoccasion externe d'impressions autres que des odeurs, ou supposons tous lessens, hors l'odorat, momentanment paralyss pour le sentiment, quoique les

    conditions d'un effort gnral sur le corps en masse subsistent ; faisons enfinabstraction du rapport sympathique, qu'entretiennent surtout certaines odeursparticulires avec les organes de la sensibilit intrieure, pour considrer cessensations dans un autre ordre de produits drivs, et cherchons obtenir, sousune forme hypothtique, des rsultats que l'observation intrieure puissejustifier.

    I Origine des facults actives.

    Retour la table des matires

    L'odorat est essentiellement li la respiration qui commence avec la vie,et ne finit qu'avec elle. Cette fonction est d'abord purement organique et, tantqu'elle s'accomplit uniquement sous la loi de l'instinct, elle demeure, pour l'trevivant qui s'ignore, aussi obscure dans ses effets que dans son principe. Lesimpressions d'odeurs, qui peuvent tre lies ces mouvements respiratoiresinstinctifs, ne sortent point du cercle des affections simples ; il n'y a point depersonne qui les aperoive ou les sente ; la combinaison organise les devient

    comme tout le reste, c'est elle qui respire. Mais lorsque cette dernire fonctiona pass avec d'autres mouvements sous l'empire de la volont, qui concourt dumoins la modifier, sinon la produire, elle s'approprie ds lors comme acte laperceptibilit et la connaissance, elle devient mme, par ses rsultats, unmoyen de connaissance ; d'o il suit que si le mouvement respiratoire instinctifest un accessoire indiffrent l'effet de l'impression d'odeur, ce mouvementconverti en effort volontaire d'odoration en est, une circonstance et mme unecondition trs notable, puisque cette impression peut avoir des caractres tout fait diffrents, suivant qu'elle est spare ou accompagne de ce mode d'effortqui peut tre mme ncessaire pour la produire 2

    Cela pos, nous concevrons qu'au sortir de l'instinct, lorsqu'un sujetcommun a t constitu dans le rapport de la force la rsistance organique, etavant mme qu'il n'y ait rien de connu au dehors, une impression d'odeur quiconcidera pendant la veille avec l'effort gnral (quoique non encore liexpressment avec l'acte inspiratoire, suppos inaperu) aura quelque caractrede plus que celui de simple affection ; l'individu ne la deviendra pas

    1 Voyez le chapitre II de la section prcdente.2 Voyez chap. II, Ire section.

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    entirement, mais il pourra tre dit la sentir, peu prs comme nous sentonsnous-mmes une douleur intrieure qui ressort, pour ainsi dire, du sentimentfondamental et absolu de l'existence.

    Mais supposons qu'un effort d'inspiration, lev au-dessus du ton instinctifordinaire, soit dtermin d'abord par une cause quelconque, l'individu sentiracet acte en rsultat, non comme tout autre mode permanent passif1, maiscomme un mouvement li en partie au dploiement de la force qui le constituemoi , il peut le rpter ds lors par une dtermination proprement volontaire,pour exercer sa puissance, s'imiter lui-mme, et sans y tre forc par de vivesaffections qui effaceraient tout vouloir; en changeant l'ordre des mouvements 2

    dans cet exercice rpt, le terme de l'effort inspiratoire peut se circonscrire, etl'individu se prparer sentir les impressions comme lui venant par cet organe, les transformer ainsi en vritablessensations.

    Pendant que l'action d'inspirer s'accomplit de cette manire, plaons distance une fleur dont l'odeur agrable ne puisse tre sentie ou parvenir l'individu qu' la suite d'un effort soutenu d'inspiration, il se trouvera ainsimodifi par le rsultat d'un acte dont il dispose ; mais tout entier cettenouvelle sensation qui devient alors le mobile et la cause dterminante, del'acte continu et renforc, il pourra cesser d'apercevoir ce dernier, et ignorerpar consquent que la sensation en elle-mme en est une dpendance partielle.

    Cependant l'effort s'affaiblit, revient son ton ordinaire et l'odeurs'vanouit, laction recommence et la sensation avec elle, tant que les chosesdemeurent au dehors dans le mme tat. L'tre moteur et sentant n'ayant

    actuellement, par l'hypothse, aucun moyen de connatre ni de souponnerqu'une cause extrieure agit sur son organe pour le modifier, mais ayantl'aperception immdiate de l'effort et par lui du rsultat affectif qui le suit oul'accompagne, devra s'accoutumer, aprs quelques rptitions et expriences3

    de ce genre, lier ensemble l'acte et son produit dans un seul et mme mode,qu'il attribue sa puissance ou sa force constitutive. Le mode actifd'inspiration se trouvant comme identifi avec l'impression reue du dehors, ilvoudra celle-ci comme il veut et parce qu'il veut l'autre, il sera pourlui-mmecomme s'il exerait sur tous deux un pouvoir gal. Je dis pour lui-mme parcequ'il y a ici deux points de vue trs distincts pris, l'un en dedans, l'autre endehors de l'tre dont il s'agit ; il importe de bien noter cette diffrence avant

    d'aller plus loin. Si nous considrons ce qu'est un tel tre par rapport lui, ennous mettant sa place, autant qu'il est possible dans notre hypothse, il serapour nous, ou nous serons en lui, une puissance qui veut et produit telle

    1 Voyez chap. II, Ire section.2 Nous verrons bientt, que l'acte peut recommencer par une, double dtermination.3 En admettant une personne doue de quelque degr d'aperception, nous avons la condition

    fondamentale de toute exprience, le passage immdiat de la loi de l'instinct celle delhabitude exclut l'exprience relle.

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    modification sensitive, comme elle produit le mouvement associ dont elledispose. Si nous le jugeons avec nos yeux du dehors, il ne sera plus pour nousqui connaissons parfaitement sa passivit, sous l'action de la cause odorifredont nous nous servons pour l'impressionner, il ne sera plus, dis-je, qu'une

    simple vertu sentante, qu'une sorte d'automate organis de manire recevoirdes impressions, et ragirncessairement en consquence pour en amplifierles effets. Alors cette raction organique, tant prise pour signe de la volont,est bien subordonne une action premire qui a commenc au dehors. Lavolont mme ne diffre donc point, dans son principe, de la sensibilit, ets'identifie avec le dsir, avec les plus aveugles dterminations de l'instinct.

    Mais, en prenant les faits uniquement dans la conscience de l'tre sensibleet moteur, il en est tout autrement. D'abord, ft-il encore plus passifrelativement nous, sous l'impulsion d'une cause trangre modifiante, dsqu'il ne peut avoir aucune connaissance de cette cause, elle est pour lui comme

    n'existant pas. D'un autre ct, il suffit qu'il ait le sentiment intrieur d'unepuissance moi, dploye librement dans certains cas, et non exerce dansd'autres, pour que la distinction qui s'tablit au-dedans de lui, par le contrasteentre un tat actifde vouloir et tatpassif d'affectibilit, ait le fondement leplus rel, le seul qu'il soit possible d'obtenir d'une part, et impossible de nier del'autre, moins qu'on ne se place dans un point de vue tout fait extrieur l'tre dont il s'agit, ou qu'on ne prtende juger de ce qu'il est absolumentsanstenir aucun compte de ce qu'il est pour lui-mme 1.

    1 Rien n'est plus propre montrer la diffrence de ces deux points de vue et tenir en garde

    contre les msentendus auxquels cette diffrence peut donner lieu dans la science des

    facults de l'tre pensant, que la manire dont Condillac distingue les deux tats actif etpassif de la statue. Elle est active, dit-il, quand la cause qui la modifie est en elle-mme(ou dans son organisation) ; elle est passive, quand cette cause est extrieure. Je dirai,moi, qu'elle est active toutes les fois qu'elle est ou se sent comme cause ou force productivede certaines modifications, et passive, toutes les fois qu'elle est modifie sans (ou mmecontre) le dploiement d'une telle force. D'ailleurs, si l'on n'avait gard qu' ce que peut trela statut pour elle-mme, comment pourrait-on tablir, par rapport elle, quelquedistinction solide fonde sur l'extriorit d'un objet ou d'une cause, qu'elle est censeinvinciblement ignorer ?

    La statue serait-elle donc active quand elle prouve actuellement une douleur intrieure etpassive, quand elle prouvera dans la suite unesensation de solidit ?C'est aussi pour avoir voulu se placer tout fait en dehors des faits de conscience, et jugerainsi extrieurement de ce qui peut tre avant la premire dtermination du vouloir, avant le

    moi lui-mme, que les mtaphysiciens me paraissent avoir lev tant de questions oiseuseset interminables au sujet de sa libert, question qui ne peut trouver de rponse hors dusentiment intrieur de nos actes et qui devient ncessairement frivole, par cela mme qu'onl'agite. Je citerai un exemple qui me parat assez propre justifier la mthode que je croisexclusivement approprie la science de nos facults.

    Ne comprenez-vous pas clairement, dit BAYLE (Questions d'un provincial, p. 764)qu'une girouette qui l'on imprimerait tout la fois le mouvementvers un certain point del'horizon et le dsir de se tourner de ce ct, serait persuade qu'elle se mouvrait d'elle-mme pour accomplir ses dsirs ? (je suppose qu'elle ne saurait point qu'il y a des vents etqu'une cause extrieure fait changer tout la fois sa situation et ses dsirs) ; nous voil

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    En nous en tenant ce dernier point de vue, l'tre, qui n'odore qu'autantqu'il agit et qu'il veut le mouvement inspiratoire, est donc galement actif pourlui-mme, et dans la production de ce mouvement et dans le mode affectif quil'accompagne (par hypothse) d'une manire constante et invariable, quoique

    ce dernier dpende par le fait objectif (ou relativement notre point de vueextrieur) d'une cause trangre qui concourt le produire, et que lemouvement lui-mme puisse se rattacher encore, sous le dernier rapport, quelque circonstance organique inconnue, quelque tre invisible qui effectuele dbandementd'un ressort et de l'activit matrice, etc., car tout cela ne changerien ni au vouloirni au sentiment rel du pouvoir.

    Je dis donc que notre tre fictif voudra l'odeur, comme le mouvementmme, tant qu'il n'aura pas encore eu l'occasion de sentir, par quelquecontraste, qu'il est subordonn dans la sensation une puissance diffrente decelle qui produit l'effort. Ainsi l'ide d'un but, auquel tend le vouloir, ne sera

    point distincte dans le cas prsent de ce vouloir mme, comme elle l'est pournous qui, connaissant, des causes modifiantes extrieures, dirigeons vers ellestoute notre action, les appelons, quand elles sont loignes, de tous nos dsirsou nos vux, et employons, quand elles sont prsentes, tous les moyensdisponibles pour nous mettre porte de recevoir leur entire influence. Or,ces moyens ne sont autres que des mouvements volontaires 1 et la puissance

    naturellement dans cet tat, nous ne savons point si une cause invisible ne nous fait paspasser successivement d'une action ou d'une pense une autre, etc. Bayle admet, dans cet endroit, l'opinion des Cartsiens comme la plus favorable aux doutessceptiques, dont il prtend envelopper le sentiment de nos actes volontaires ou libres (voirla note sur Hume) : savoir que ce n'est point l'me ou le moi pensant qui excute ses

    vouloirs, qui meut les organes, etc. Aussi, c'est-il le dsir qu'il suppose toujours pouvoirtre effectu comme le mouvement mme parune cause invisible. Mais le dsirest-il doncidentique avec le vouloir, le sentiment ou l'ide du pouvoir se trouve-t-il essentiellementcompris dans l'un comme dans l'autre ? Or, d'o vient cette ide (de pouvoir) ? pourquoi serfre-t-elle certains actes et non d'autres ? existerait-il un tre voulant, s'il n'y avait pasun tre moteur ? ter au sujet pensant l'excution relle des actes dont il est assur parconscience, n'est-ce pas anantir avec le sentiment de sa puissance celui mme de sapersonnalit ? et si c'tait Dieu qui excutt les propres mouvements que nous nousattribuons, ne serions-nous pas compltement identifis avec lui ou lui avec nous ? On peutremarquer, au surplus, lanalogie de l'hypothse de Bayle et de celle que j'emploie.Quoique pour l'tre qui n'exercerait d'autres sens externes que l'odorat, la cause modifianteft aussi inconnue que le vent l'est la girouette, le sentiment de sa propre causalit, dansl'effort inspiratoire librement dtermin, n'en serait pas moins un fait rel de conscience, un

    fait primitif du sens intime dont on ne pourrait demander l'explication.1 Je sais bien que chaque partie de l'organe sensitif s'tend aussi, s'avance, se tumfie commepour chercher la cause approprie son affectibilit spcifique, ou se mettre entirement sa porte, et c'est l une image de ce qui se passe sous la loi de l'instinct, dans lacombinaison organise entire ou le tout vivant ; mais comme ce jeu d'affinits animalessaccomplit entirement sans conscience et dans des cas o nous ne pouvons absolumentsupposer quil y ait de moi, plus on rapproche le dsir de semblables modificationsorganiques ou plus on lidentifie avec les dterminations purement instinctives, plus aussion le spare de ce mode fondamental de notre existence individuelle et aperue que nousnommons vouloir; le dsir, en un mot, considr surtout dans les limites o il se confond

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    que nous appelons volont, tant tout entire dans la production immdiateinfaillible, s'arrte l sans aller plus loin.

    Le, dsir, au contraire, activ uniquement par lobjet ou son image, stend

    au dehors, et ltre qui le dsire se sent par l mme constitu en rapport dedpendance dune cause trangre qui cde ou rsiste. L'individu suppos neconnaissant encore rien hors de sa puissance constitutive et de la modificationinfailliblement associe jusqu prsent son exercice, naura donc que desvouloirs, tant que rien ne changera autour de lui, il sentira comme il mouvrapar un seul et mme acte, et le dsirn'aura pas le temps de natre.

    Cependant, l'intimit d'association suppose entre le mode actif de leffortinspiratoire et limpression d'odeur qui le suit, tant que la mme cause(ignore) demeure prsente, cette intimit dis-je, ne saurait tre conuepermanente et invariable, sans forcer toutes les hypothses ; les deux lments

    de la sensation, appartenant deux sources diffrentes, ne pourront longtempsdemeurer entre eux dans un parfait et constant quilibre. L'effort et la causeextrieure restant les mmes, les dispositions sensitives ou la capacitimpressionnable de l'organe viendront ncessairement changer dans uncertain intervalle, et feront passer la modification par divers degrs de force oude faiblesse. Ds lors les lments du compos peuvent commencer ressortirl'un hors de l'autre, et l'individu absolumentsimple dans la vitalit, simple aussid'une autre manire dans l'exercice de son activit, peut reconnatre qu'il estdouble, ou qu'il y a en lui, dans ce qui le constitue (sujet individuel permanent)une source de constance, et hors de lui ou dans le terme organique de sonaction, une source de changements ; ds lors aussi il apprend rapporter ce

    dernier l'lment qui varie ; car quoiqu'il le connt auparavant comme terme del'effort, il ne pouvait (ne) pas le reconnatre comme impressionnable, tant quela modification sensible tait indivise de l'acte, ou qu'il n'apercevait l'une quedans l'autre, en les attribuant galement une puissance moi qui ne se localisepoint 1, ds lors enfin naissent, pour le mme sujet moteur et sentant, deuxordres de facults, des actes qu'il aperoit en les produisant et desmodifications qu'il prouve sans les produire.

    A. Origine de la rflexion et de l'attention. Quoique par l'hypothse (quenous continuerons encore sous la mme forme), la sensation d'odeur, dont la

    avec les premiers besoins, est aussi distinct de la volont que la sensation animale lest dela perception et cette distinction est fonde des deux parts sur la mme base. (Voyez chap.II, Ire section.)

    1 Nous rapportons bien aux pieds, dit un philosophe (D'ALEMBERT Mlanges delittrature), la douleur (comme le mouvement effectif) mais nous ne leur rapportons pointla volont de marcher. Cette observation est trs juste, et, en l'approfondissant, il mesemble qu'on peut en faire ressortir bien des vrits sur lesquelles nous sommes tropenclins nous faire illusion. Il en rsulte, par exemple, que la volont ntant pas diffrentedu moi, ce moi ne peut absolument pas se concevoir comme objet, comme chose, oucomme un compos d'organes.

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    cause agit de loin et faiblement sur l'organe, demeure toujours subordonne un effort inspiratoire au-dessus du ton naturel de la respiration, les dispositionsvariables de l'organe peuvent nanmoins devenir telles, dans certains cas, quela modification s'avive ou s'exalte par les plus faible degr de cet effort

    volontaire. Quelquefois, au contraire l'action la plus nergiquement soutenuene dterminera quune affection trs obscure. Ds que nous supposons unepersonne constitue, il est impossible qu'elle confonde deux tats ou deuxmodes d'existence aussi diffrents, et, si elle tait capable de se faire unlangage, elle ne les noterait pas probablement par le mme signe. Lorsquel'impression, altre en quelque sorte par l'organe, dj mont de lui-mme surun certain ton sensitif, suit immdiatement, si elle ne prvient pas encore, l'actele plus lger d'une volont naissante, la conscience de l'individu est presquetout entire la modification affective. L'acte de son vouloir disparat ous'obscurcit, tant par la promptitude et la faiblesse de l'effort, que par la vivacitrelative de l'impression ; le rsultat seul persiste comme sensation ; mais par

    cela que cette sensation est le rsultat d'un acte, le moi ne peut trecompltement identifi avec elle comme avec le vouloir seul, il ne la devientpas non plus, ou n'y est pas envelopp comme dans une affection purementpassive. Au contraire, lorsque l'impressionnabilit de l'organe sensitif se trouverabaisse au-dessous du ton ordinaire, il faudra un dploiement d'effort trsnergique, pour que l'manation odorante puisse parvenir au sens, qui n'en seraque lgrement effleur. C'est donc alors l'acte mme qui ressort de lasensation ; et l'lment affectif, s'obscurcissant son tour, n'est aperu quedans le rapport de sa subordination la puissance qui concourt l'effectuer.

    B. Passage de l'aperception la rflexion. En nous mettant la place de

    l'individu suppos, et lui prtant nos signes, nous disons qu'il aperoit sa propreforce ou qu'il s'aperoit lui-mme dans une simple dtermination volontaire,spare de tout mode sensitif rsultant. Ainsi, dans l'hypothse prsente, il y aaperception personnelle dans le seul mode d'effort inspiratoire, sparment detoute odeur sentie, il y a un fondement au motje et au verbej'agis, synonymedej'existe, je m'aperois existant.

    Aperception immdiate interne et mdiate externe. Lorsque cet effort oucet acte est suivi ou accompagn d'un mode quelconque, que l'individu attribueuniquement sa puissance, mais en distinguant le rsultat de l'acte lui-mmequi prdomine simultanment dans la conscience, nous appellerons rflexion

    cette aperception redouble dans le mouvement d'une part, et son produitsensible de l'autre (tel serait le fondement de cette formule employe par ungrand matre,je sens une sensation, une ide, un rapport), etc. Tel est le lien dela modification passagre au sujet permanentje.

    C. De l'attention. Quand le sentiment propre de l'acte se cache ous'obscurcit sous celui du rsultat sensible (modal ou objectif) qui prdominedans la sensation, l'lment de celle-ci provenant d'une force trangre (connue

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    ou inconnue), dont l'action ne commence point hors de la volont, maisconcourt toujours essentiellement avec elle et peut mme se continuer hors deson influence : nous donnerons le nom d'attention la force qui dtermine ettransforme ainsi lasensation, en ne s'apercevant plus elle-mme que dans le

    rsultat transform. L'attention exclut la passivit complte, car le modeaffectif n'a pas en lui-mme la force transformatrice ; mais le caractre passifentre toujours plus ou moins en rsultat dans l'exercice de la puissance ou lafacult que nous nommons ainsi, tandis que la rflexion est minemment etexclusivement active.

    Nous verrons mieux, en avanant, que les signes, d'aprs lesquels nouscaractrisons ici ces facults originelles et lmentaires, ne sont pas purementhypothtiques et conventionnels. Aprs les avoir prises ainsi dans leur sourceet leurs conditions les plus simples, cherchons signaler de la mme manirecelles qui en drivent ou qu'on peut considrer comme les transformes.

    D. Mmoire et imagination. Diffrentes espces de rminiscence. Dansles intervalles, o la force d'inspiration volontaire serait absolument inactive,notre tre fictif, plac toujours dans les mmes circonstances, se trouveraitrduit au sentiment fondamental absolu ou l'tat purement affectif, maisl'activit personnelle d'une part, et la sensibilit organique ou animale del'autre, une fois mises en jeu, trouvent leur propre mobile en elles-mmes oudans les conditions qui leur sont respectivement inhrentes.

    Les modes de l'existence sensitive et intellectuelle se lient entre eux dansune mme chane continue ou dont les anneaux tendent toujours se renouer ;

    un tat premier en amne presque toujours un autre qui en diffre le moinspossible ; l'exercice antrieur d'une facult fait natre une srie de produitshomognes leur source. Si l'individu, par exemple, n'est parvenu impressionner son organe et se donner une faible sensation d'odeur qu' lasuite d'un effort intense et prolong, la rflexion propre de l'acte ayantprdomin ainsi sur l'attention modale du rsultat sensible, et supposant qu'il yait ensuite un intervalle d'inaction ou de sommeil pour le centre moteur, ce seraencore par une dtermination active que commencera le rveil, l'individuvoudra encore plutt le mouvement que la sensation, le moyen prsent que lebutloign ; ce sera moins le besoin de sentirque celui d'agirqui remettra enjeu les facults, et l'exercice prcdent de la rflexion appellera encore la

    rflexion.

    Si l'attention et prdomin dans le rsultat sensible de l'acte presqueinaperu, en lui-mme, soit par la faiblesse et la facilit de l'effort, soit par lavivacit que les dispositions de l'organe auraient donne l'impression, ceserait par une dtermination sensitive propre ce dernier que commenceraitl'veil ; l'odeur serait recherche encore, attire comme par une sorte d'affinitanimale, et l'on pourrait assigner l un instant o le besoin, le dsir iraient

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    avant le vouloir; mais dans cette hypothse, la cause approprie est toujours l,son influence se proportionne mme l'exaltation sensitive qui fait le besoin, etcomme il n'y a point d'effort inutile, ce besoin, satisfait en naissant, n'a pas letemps encore de se transformer en dsir.

    Nous appellerons mmoire ou rappel la dtermination active, conserve eteffectue de nouveau par le centre moteur, qui rpte un effort ou un acteentirement excut. Nous appellerons imagination, la dterminationconserve dans l'organe sensitif ou dans le centre de raction sympathique, quipersiste ou tend se remettre au ton d'une impression passe.

    Puisque, dans l'hypothse actuelle, toute sensation est prcde et amenepar un acte volontaire, quoique la vivacit du rsultat puisse obscurcir plus oumoins la conscience du principe, les deux dterminations prcdentes devronttoujours concourir ensemble, suivant des rapports, il est vrai, trs ingaux ; la

    mmoire ne pourra tre compltement spare de l'imagination, pas plus quel'exercice de la rflexion ne l'a t d'abord de celui de l'attention. Il ne s'agitdans les deux degrs que de noter la prdominance du sentiment ou de ladtermination propre de l'acte sur le sentiment et la dtermination quicorrespondent son rsultat modal.

    Pour nous, qui distinguons ou croyons si bien distinguer nos impressions denossouvenirs, il n'y aurait point lieu de donner ce dernier nom de souvenirune sensation dont la cause serait actuellement prsente. Mais supposez quenous ignorions absolument qu'une telle cause extrieure concourt nousmodifier ; supposez aussi que nous ayons, dans certains cas, la conscience trs

    claire d'actes volontaires, la suite desquels naisse infailliblement la sensation,et, dans d'autres cas, seulement la conscience vive ou obscure de cette dernire,il est certain que nous distinguerons trs bien alors les modes rsultant de notreactivit rflchie, de ceux qui sont passivement produits en nous, comme nousdistinguons actuellement le son mis par notre organe vocal, du mme son quivient du dehors frapper l'oreille. Mais quant aux modes passifs, il n'y auraitabsolument aucune raison de les sparer en deux classes de sensations et desouvenirs ; car que fait la prsence ou l'absence d'une cause qui n'existe paspour nous ? Eh bien, l'individu, qui agit et sent par l'odorat seul, est, parrapport aux modes qui rsultent directement de linspiration qu'il veut etaperoit, peu prs, comme nous sommes par rapport aux sons articuls, dont

    nous avons la facult dimpressionner volontairement notre oue : et noussommes, relativement plusieurs modifications passives et spontanes de lasensibilit, (telles que le chaud, le froid et aussi certaines odeurs qui nouspoursuivent, certains tintements qui frappent nos oreilles, sans que nouspuissions savoir si la cause est en nous, c'est--dire dans l'organe mme ou horsde nous), nous sommes, dis-je, dans la mme position que notre tre fictif,lorsque la dtermination sensitive prvaut ; cette diffrence prs que, suivantnotre hypothse, il ne peut jamais tre compltement passif dans l'odoration

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    relle, quoiqu'il puisse l'tre par rapport au mobile qui la met en jeu. C'est ainsique nous sommes encore dans les articulations, les cris, et les autresmouvements sentis, que les passions quelconques arrachent la volont.

    Maintenant, en quoi un acte d'odoration, rpt ou effectu pour la secondeou la ne fois, suivant une dtermination motrice ou sensitive, diffre-t-il de lamodification premire, active ou passive, puisque la cause extrieure esttoujours prsente, que c'est toujours le mme effort qui s'exerce avec plus oumoins d'nergie, la mme impression qui vient exciter avec plus ou moins devivacit ? Quelle raison avons-nous (surtout en nous mettant la place del'individu suppos, et non en le mettant la ntre) de distinguer sous des nomsdiffrents la mme puissance, lorsqu'elle rpte son acte ou lorsqu'ellel'excute pour la premire fois, son effort tant toujours suivi de succs ? S'iln'y a jamais que sensation dans divers degrs pourquoi distinguer unsouvenir ? Quelle est enfin la circonstance qui nous dterminera, dans

    l'hypothse o nous sommes, diffrencier sous les titres de mmoire etd'imagination les deux facults fondamentales, caractrises en premier lieusous ceux d'aperception et d'attention ? Ici l'on voit bien videmment que sil'tre moteur et sentant ne pouvait avoir, chaque rptition du mme actevolontaire, et chaque renouvellement de l'odeur qui suit, accompagne ouprvient cet acte, le sentiment intrieur de cet te rptition ou de cerenouvellement (comme tels), il agirait ou sentirait la ne fois comme lapremire ; toute la diffrence que nous voulons noter ici s'anantirait ou nepourrait tre que relative un point de vue pris tout fait en dehors de l'tredont il s'agit.

    1. Le fondement de la diffrence consiste donc ici uniquement en ce quel'tre, qui rpte l'effort et qui prouve une modification, se reconnat, oucomme la mme puissance qui a dj excut cet acte, ou comme la vertusentante qui a t modifie de telle manire. Or, 1 par cela seul que l'acte estrpt volontairement, la puissance excutrice se reconnat pour la mme dansla seconde dtermination, et il est impossible de sparer ici le sentiment dereconnaissance ou de rminiscence de l'effort librement renouvel, puisque cerenouvellement mme le suppose. Il faut en dire autant de la modificationaperue ou rflchie, comme rsultatde l'acte rpt, puisqu'elle est renfermedans le sentiment de la mme puissance ou dans le mme vouloir; d'o il suitque la mmoire ou le rappel de tout mode actif comprend essentiellement la

    rminiscence, qui distingue seule une seconde dtermination d'une premire, etque cette rminiscence n'est elle-mme que lapersonnalit (laperception ou lesentiment de moi) inhrente au premier dploiement de la force sur larsistance organique, continue dans ce dploiement effectu toujours par lemme principe, et suivant les mmes conditions, etc.

    2. Quant la vertusentante, pour qu'elle pt reconnatre sa modification,c'est--dire se reconnatre pour la mme, dans telle modification, il faudrait

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    bien videmment d'abord qu'elle ft constitue comme personne individuelle.Or, comment serait-elle constitue ainsi, lorsqu'elle n'est autre chose que lamodification sensible ? Nous avons d'ailleurs la preuve d'exprience que nosaffections les plus vives, quand elles sont spares du sentiment personnel ou

    des actes sur lesquels il se fonde, sont aussi comme non avenues dans notreexistence successive, et que nous ne pouvons jamais savoir directement si ellessont nouvelles ou anciennes : tmoins toutes nos douleurs intrieures, lesdegrs de froid, de chaud, de bien ou mal-tre, etc. Nous pouvons doncaffirmer qu'il n'y a point de rminiscence inhrente aux affections pures de lasensibilit. Dans l'hypothse o nous sommes, si l'odeur venait seuleimpressionner l'organe, sans tre lie aucun sentiment de l'action ncessairepour la produire, l'tre, qui la deviendrait chaque renouvellement, n'auraitdonc aucun moyen de la reconnatre pour la mme, ou ce qui est gal, dereconnatre en elle l'identit de sa propre vertu sentante. Mais ici, la sensationest toujours accompagne d'un acte volontaire, et, quoique la conscience

    propre de cet acte puisse tre observe indfiniment dans le rsultat sensible, ladtermination n'en subsiste pas moins un degr quelconque. De l lesentiment de moi ou l'lment personnel, qui, renferm dans la sensationpremire, se retrouvera encore, dans son renouvellement effectu suivant lesmmes lois. L'individu qui exercera encore l'attention dans le rsultatde l'acte,presque imperceptiblement rpt, pourra donc se reconnatre, non comme lamme puissance qui veut et excute un acte, dont elle a conserv ladtermination ou l'ide, mais plutt comme tre sentant modifi, dans sonorganisation, de la mme manire dont il l'a dj t.

    La rminiscence inhrente l'acte volontairement rpt 1, je l'appelle

    rminiscence personnelle ou rflchie, parce que c'est par l que nous sommes1 Afin de mieux analyser la rminiscence, dit CONDILLAC, dans l'Essai sur l'Origine des

    connaissances humaines (chap. III), il faudrait lui donner deux noms, l'un en tant qu'ellenous a fait connatre notre tre, l'autre en tant qu'elle nous fait reconnatre les sensations quis'y rptent ; car ce sont l des ides bien distinctes. De cette observation bienapprofondie et analyse jusque dans ses fondements, pouvait, je crois, ressortir un autreTrait des sensations ; mais combien ne se trouve-t-elle pas efface dans ce dernierouvrage, o il n'est plus mme question de la rminiscence, et o la mmoire se trouvecaractrise par le simple effet de l'branlement sensitif, qui se prolonge, aprs que la causea cess d'agir ? Assurment la mmoire est bien confondue l avec la sensation oul'affection la plus simple, et on voit s'vanouir toute distinction ultrieure sur les deuxsortes de rminiscences, qui peuvent se joindre, de diffrentes manires, l'effet d'un tel

    branlement organique, ou mme tre tout fait spares. Cependant, notre philosophe, enabandonnant son ancien point de vue, a bien senti la ncessit de donner sa statue unpoint d'appui dans l'existence, ou de lui constituer un principe d'identit, par consquentune rminiscence. Ce qu'on appelle moi, dit-il dans le Trait des sensations, ne me paratconvenir qu un tre qui remarque que dans le moment prsent, il n'est plus ce qu'il a t.Tant qu'il reste le mme, il n'y a point de personnalit en lui, mais ds qu'il change, il jugequ'il est le mme qui a t auparavant, et il dit moi. Assurment, pour pouvoir faire unetelle remarque, il faut bien tre dj une personne constitue, un moi, et ce n'est pasd'ailleurs la statue n'existant que par les odeurs, et devenant toutes les modificationssuccessives, qui est capable de regarder ainsi en arrire, il lui faudrait un point fixe qu'elle

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    capables de reconnatre l'identit propre de notre tre ou d'apercevoir notreexistence continue ; la rminiscence, qui, s'attache seulement aux rsultats denos actes, et en apparence aux modifications passives de notre sensibilit, jel'appellerai rminiscence modale (et dans la suite objective). Ces deux espces

    doivent tre soigneusement distingues, comme la rflexion et l'attention, dontelles sont drives ou respectivement transformes. C'est la distinction de cesdeux espces, qui sert de base unique celle qu'on doit tablir entre l'exercicede la mmoire, et celui de l'imagination ; nous trouvons ainsi que tout va serallier aux deux modes fondamentaux de notre tre, trs distincts, sans trespars ; sentiment ou aperception de l'acte lui-mme, prdominant sur celuidu rsultat ou se confondant avec ce rsultat sensible qui prdomine sontour ; conditions de cette prdominance alternative ; jusqu'ici voil tout, et horsde l ce n'est que l'instinctqui n'est lui-mme que l'absence de toute facult.Nous verrons s'il en est de mme ailleurs.

    La rminiscence personnelle dans l'acte rappel ou dans l'exercice de lammoire, est assure infaillible. La rminiscence modale , dans ladtermination sensitive effectue, ou l'exercice de l'imagination, est souventincertaine, illusoire. On pourrait mme caractriser cette dernire facult par laprivation complte de rminiscence qui a lieu le plus souvent dans lareproduction spontane d'un mode quelconque ; mais il n'y aurait point alors deraison pour la distinguer de l'exercice directde la sensibilit, du moins dansl'hypothse o nous sommes et dans le point de vue intrieur. C'est ainsi que levaporeux, l'homme en dlire ou dans le sommeil sont bien rellement affects,quoique nous affirmions qu'ils imaginent.

    Mais pour claircir encore cet article important de la rminiscence modaleen particulier, il faudrait faire quelque changement dans l'hypothse simpleemploye jusqu' prsent. Si nous cartons, par exemple, toute causeodorifrante, l'tre, qui veut se donner la sensation accoutume, prouve unersistance bien inattendue ; il dploie de nouveaux efforts ; prolonge ou

    n'a pas. Au surplus, en faisant dpendre ici l'identit personnelle de la mmoire, Condillacabonde encore sur ce point dans le sens de Locke, qu'il abandonne dans tout le reste, peuprs. Mais la mmoire, telle que la dfinit ce dernier philosophe (Essais sur l'entendementhumain , livre II) suppose bien dj aussi l'identit personnelle ou la personnalitconserve ; en donnant l'une pour terme d'explication de l'autre, c'est expliquer le mme parle mme. On s'aperoit bien ici qu'il manque un commencement; on le voit encore mieux

    par ce qu'ajoute Condillac dans le mme article Tant qu'un tre ne change pas, il existesans aucun retour sur lui-mme, il ne peut dire moi. la bonne heure, mais pourrait-il ledire davantage s'il changeait toujours, si tout changeait en lui sans que rien demeurt. Deplus, je demande si l'tre, qui est suppos exister ainsi tout entier par un seul modeinvariable, et sans aucun retour sur soi, trouvera plutt, dans l'un des modes qu'il devientensuite, la possibilit ou la condition ncessaire pour effectuerce retour. Si toutes lesmodifications sont gales sous ce rapport, je ne vois pas comment la conditiond'aperception personnelle, qui n'est dans aucune en particulier, pourrait se trouver dans lepassage de l'un l'autre. Si cette condit ion est inhrente quelque modificationparticulire, pourquoi ne pas la distinguer des autres ?

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    amplifie les mouvements inspiratoires ; sa rflexion prend un plus grand essoret peut-tre pourra-t-il remarquer alors dans ses actes mmes, des circonstancesqui lui avaient chapp, quand son attention tait absorbe dans le rsultatsensible ; mais bientt il est distrait par des affections de malaise, d'inquitude,

    d'ennui, qu'il devient sans pouvoir s'en rendre compte ; la sensibilit, porte parl'habitude un certain ton, rclame ses aliments propres, des besoins inconnusse font sentir, ils dterminent des mouvements brusques, prcipits et d'unenergie suprieure ceux qui taient accompagns auparavant de rflexion etde volont ; cette dernire force est opprime, ce n'est plus la mme quidirigeait et commandait ; si le moi peut s'apercevoir ou se retrouver dans cetumulte des affections, il sent bien qu'il est mal, qu'il n'est pas comme il a t,comme il voudrait tre, il sent son impuissance et par suite sa dpendance, ilsent le besoin, il est bien prs de sentir de vritables dsirs.

    Dans cet tat, si nous substituons une odeur diffrente de la premire et qui

    soit encore plus faible, ou qui demande un effort d'inspiration plus marqu etplus soutenu, cette odeur sera sentie dans le rapport l'action forte, que lebesoin dtermine, et, quoique la sensibilit ne soit point entirement satisfaite,l'tat de malaise qui a prcd, la nouveaut de l'impression qui compense safaiblesse relative, y attacheront de nouveau toute l'attention, la volont seradtermine, hors du besoin mme, soutenir le mouvement inspiratoire dans ledegr ncessaire pour conserver la sensation, la rappeler quand elle s'chappe,ce qui demandera alors un effort plus pnible, et pourra contribuer dvelopper la rflexion.

    Dans ce passage d'une modification ou d'une odeur particulire une autre,

    qui en diffre par le caractre sensitif et le degr d'effort plus intense qu'ellencessite, on pourrait croire qu'il y a une comparaison faite entre les deuxmodes affectifs, dont l'un se reproduit par la mmoire, dans le mme instantque l'autre est prsent au sens externe, ce qui fait reconnatre l'anciennet del'une, la nouveaut de l'autre, et fonderait ainsi la rminiscence, et par elle,l'identit personnelle. Mais nous pouvons observer, et notre exprienceconfirme assez, que la rminiscence modale s'exerce trs peu sur les odeurselles-mmes ; la comparaison et la distinction de ces modes se fondant en noussur plusieurs perceptions ou circonstances simultanment associes 1. Dansl'hypothse actuelle, pendant que l'attention sapplique la sensation nouvelle,la rflexion peut s'exercer dans le dploiement plus nergique de l'effort

    ncessaire pour la produire ; c'est toujours la mme puissance qui veutet quiagit, mais suivant une dtermination diffrente de celle dont elle avaitcontract l'habitude. Voil la base relle de la comparaison et de cetterminiscence qui se rflchit, de deux actes identiques dans leur cause, sur les

    1 Sous ce rapport, Bonnet et Condillac ne pouvaient pas plus mal choisir leur point de dpart,

    pour distinguer dans la sensation l'origine de toutes les facults.

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    modes divers rsultants qui leur correspondent, et part ainsi de la constancemme pour apprcier et mesurer les changements.

    Si chaque odeurdpendaitainsi d'un mouvement distinct appropri, il me

    semble que les modifications de cette espce se distingueraient entre elles dansleur succession ou leur ensemble deviendraient la matire de comparaisonsrflchies, et seraient enfin dans notre mmoire, peu prs comme d'autresperceptions dont nous parlerons. Mais ces impressions se lient desmouvements instinctifs continuels, et presque toujours inaperus, et (sansparler de la manire dont les molcules odorantes affectent, comme pardiffusion, les extrmits nerveuses et quelquefois tout le systme sensible), lamme inspiration volontaire est accompagne ou suivie des sensations les plusopposes. Il ne saurait donc y avoir de distinction ou de rappel des odeurscomme des sons, par autant de mouvements dtermins avec intention, avec uneffort rflectible.

    Cette circonstance mme de la passivit, rellement inhrente aux odeurs,nous fera concevoir comment l'tre fictif, qui a commenc dployer sonactivit sur de tels modes, et qui, dans la situation hypothtique o nous l'avonsplac, se serait accoutum les sentir sous un rapport de subordinationncessaire aux mouvements dont il dispose 1, comment, dis-je, cet tre tir decette situation force, et rendu l'ordre commun des choses, pourrait partir dela rflexion pour entrer dans une sorte de monde extrieur invisible imaginaireo il est attir par l'exercice de facults d'une autre espce.

    II. Nouvel ordre de facults passives.

    Retour la table des matires

    En cartant et rapprochant tour tour de l'odorat diffrentes causesd'impressions, qui agissent toujours assez faiblement, ou une distance assezgrande, pour exiger un effort inspiratoire plus ou moins marqu, nousdonnerions un plus grand dveloppement aux facults prcdentes.

    L'individu, qui se sent toujours une puissance identique, invariable etconstante, dploye sur un terme organique, diversement modifi, devraperdre, aprs un certain nombre d'expriences, l'habitude, qu'il avait contracted'abord, de s'attribuer les sensations comme les mouvements, et de vouloirlesunes comme les autres. L'action se spare pour lui du rsultat sensitif ; il veut

    1 C'est l'inverse de l'hypothse de Condillac et Bonnet, et en cela plus conforme la ralit

    des choses, mais non point la gnration des facults qu'ils avaient en vue.

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    toujours celle-l, il sent qu'il en dispose, mais il est incertain de l'autre. Si nousavons tenu pendant un certain temps la mme odeur sa porte, puis, si nousl'avons carte, pour la lui rendre encore, il aura plus ou moins d'assurance dela reproduire, suivant que son effort aura t plus ou moins souvent suivi de

    succs, ou inutile. Il peut exister pour lui dj des chances, des probabilits, quimotivent ses craintes, ses esprances, il sent qu'il est dpendant ou subordonndans ses sensations, libre dans ses actes, et il commence souponnerl'existence d'une cause invisible, qui a, pour le modifier, un pouvoir gal ousuprieur celui qu'il retrouve en lui-mme dans ses actes libres. C'est l qu'ilfaut rapporter l'origine du phnomne que nous appelons croyance, et nonpoint aux perceptions directes du toucher, de la rsistance, etc.

    Entourons-le, maintenant, de diverses odeurs fortes ou fcheuses quin'attendent pas l'effort inspiratoire pour pntrer l'organe ; ici, sa dpendancen'est plus douteuse, il sent sa passivit complte parce qu'il a le souvenir d'un

    tat d'activit, dont nous pouvons mme lui laisser, par alternatives, lesentiment immdiat. Il se reconnat alors comme une vertu sentante, commeune puissance inactive ou dgrade, parce qu'il a t auparavant et qu'il sereconnat encore unepuissance.

    Quand son attention est tout entire une odeur agrable, et que tous sesefforts tendent la retenir une force invisible la lui enlve subitement et laremplace par une odeur repoussante, cet agent mystrieux quel qu'il soit, qui lepoursuit, quand il veut le fuir, lui chappe quand il le cherche, lui rsiste quandil l'appelle, est diffrent de son moi ; c'est une puissance comme lui, mais plusforte que lui, d'o dpend tout son bonheur ou son malheur. C'est elle qui sera

    dsormais l'objet de ses dsirs, c'est en elle qu'il espre, c'est elle surtout qu'ilcraint, il lui portera des vux, lui dressera des autels.

    Une imagination naturellement superstitieuse 1 dirigerait donc les premierspas que ferait, pour sortir de lui-mme, l'tre sensible et moteur, qui sent sadpendance, non pas avant, mais aussitt qu'il a conscience de sa causalit,c'est--dire l'aperception de son existence. La rsistance au dsirdoit amener,non pas la connaissance, mais la croyance de quelque chose qui existe hors deltre sentant, non pas la perception, mais la persuasion d'un non-moi. Cepremier pas est ncessaire, il est vrai, mais il ne l'est que lorsque l'on part d'uneactivit rflchie qui se prend elle-mme pour terme de comparaison, et non

    1 Diderot, dans une de ces saillies philosophiques qui lui taient si communes, et qui l'ont

    quelquefois si bien servi, personnifie aussi chaque sens spar et lui assigne un certaincaractre moral qui le distingue. Cest le palais qui est le superstit ieux, et l'odorat levoluptueux. Mais le premier sapplique immdiatement son objet, il pourrait donc bientre tax de matrialisme comme le toucher. Le deuxime, au contraire, devine ou imagineson objet comme dans une sorte de vague. La volupt comme la superstition est amie dumystre. Aussi vont-elles souvent ensemble.

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    point quand on part des affections simples, qui ne se comparent ni ne sepensenttoutes seules.

    Je ne pousserai pas plus loin une hypothse, dont l'invraisemblance auradj peut-tre trop rvolt mes juges. Elle rappelle d'ailleurs celle de deux

    grands matres avec qui je ne prtends srement pas soutenir le parallle, enentrant dans cet ordre de modifications et de facults qui se rapportententirement la sensibilit, subordonne elle-mme l'action des objets. Jereconnais la supriorit de la plupart de leurs analyses, et je ne tenterai pas d'yrien ajouter, en suivant encore une mthode hypothtique que je crois bieninsuffisante, et dont je ne tirerais pas assurment le mme parti qu'eux. Maisc'est le point de dpart qu'il m'a paru trs important de fixer.

    En admettant avec ces matres qu'il pouvait y avoir des facults ouoprations intellectuelles exerces, dveloppes hors de la connaissance dumonde extrieur1, et des ides acquises hors de toute reprsentation objective,

    je n'ai pas cru que ces facults dussent se rapporter une seule et mmecondition, ni que ces ides ressortissent uniquement des modifications passivesoccasionnes par ces objets inconnus. En donnant hypothtiquement l'initiative l'action que la volont exerce plus ou moins sur tous les sens externes, et dontles analystes n'ont tenu aucun compte, j'ai voulu signaler un lment essentieltrop nglig, qui, entrant dans tous les produits de lintelligence humaine, doitchanger les caractres conventionnels, sous lesquels on nous reprsentait nosfacults, et les rendre plus conformes au modle que la rflexion nousdcouvre.

    J'observerai en finissant, et pour justifier le point de dpart que j'ai choisi :

    1. Que l'tre sentant et moteur, une fois livr aux excitations passives, etmultiplies des causes dont nous l'entourons, affect, impressionnincessamment sans agir ou sans s'apercevoir qu'il agit, perdrait l'usage de ses

    1 C'est ce qu'avait ni en premier lieu un philosophe qui a profondment creus la mine

    ouverte par Condillac. Voyez les Mmoires et lIdologie de M. DE TRACY.) Cephilosophe pensait alors, que hors de l'exercice de la motilit, c'est--dire de la facult defaire des mouvements et d'en avoir conscience, il ne pourrait y avoir lieu l'action dujugement, ni par consquent aucune des facults intellectuelles dont il est la base. Lemode, qu'il introduisit le premier dans l'analyse, sous le nom de sensation de mouvement,ne fut envisag ds lors par lui que dans la locomotion du corps en masse, ou dans celle de

    l'organe propre du toucher, et le mouvement contraint par un obstacle lui parut renfermer lacondition premire de la connaissance de corps rsistant, du jugement, et par suite de toutle reste. En partant du mme principe de motilit, je l'ai suivi depuis, de mon ct, danslexercice de chaque sens en particulier, et je me suis convaincu que l o s'applique lafacult du mouvement volontaire, l seulement est la connaissance, la perception. J'aisubstitu la rsistance ou l'inertie organique la rsistance trangre, et j'ai vu lu facultsoriginairement constitues, non pas exclusivement dans ce mouvement contraint qui nousapprend qu'il existe quelque chose hors de nous, mais plus gnr