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DOI: 10
V A R I A
AURÉLIEN ACQUIERVALENTINA CARBONEESCP EuropeDAVID MASSÉ
i3-SES, Télécom ParisTech ;i3-CRG, École polytechniqueÀ quoi pensent lesinstitutions ?
Théorisation et institutionnalisationdu champ de l’économie collaborativeCet article développe une approche cognitive et discursivedes institutions. Par une analyse des discours d’entrepreneurs,les auteurs identifient quatre traditions théoriques qui sous-tendent l’émergence de l’économie collaborative. Ils révèlentainsi les tensions qui traversent ce champ, et formulent despropositions pour l’analyse des processus d’institutionnalisationde champs émergents marqués par la coexistence de plusieursréférentiels théoriques et normatifs.
.3166/rfg.2017.00120 © 2017 Lavoisier
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L’ampleur de la croissance de l’éco-nomie collaborative est un desphénomènes marquants de ces
dernières années. En s’appuyant surdes technologies permettant de partagerdes ressources et des compétences à grandeéchelle entre particuliers et de décentraliserla production de biens et de services(Botsman et Rogers, 2010 ; Schor, 2014),l’économie collaborative transforme enprofondeur de nombreux secteurs d’activi-tés tels que l’hôtellerie, les transports,l’alimentation, la conception de produits,la réparation ou la réutilisation d’objets(Anderson, 2012 ; Christensen, 2014 ;Lallement, 2015). Au-delà de ces impactséconomiques, l’économie collaborative estporteuse de profondes transformationssociales, touchant la relation à la consom-mation, au travail et au concept de salariat,à la conception de produits, au concept depropriété intellectuelle ou celui d’entreprise.Pourtant, l’interprétation de ce mouvementest rendue particulièrement malaisée par sonhétérogénéité et la difficulté à en clarifier lesfrontières. Le champ est en effet traversé pardes promesses multiples et des interpréta-tions contradictoires. Plusieurs auteursdécrivent l’économie collaborative commeun mouvement réformiste et militant,constituant un terreau propice à l’innovationen matière de gouvernance politique etorganisationnelle (Bauwens, 2005 ; Laloux,2014 ; Sundararajan, 2016) et à de nouvel-les solidarités. Ils y voient une opportunitéd’émancipation individuelle et de progrèsenvironnemental face au pouvoir hiérar-chique des grandes institutions économi-ques traditionnelles, telles que la grandeentreprise héritée de la Seconde Révolutionindustrielle (OuiShare, 2015). D’autresvoient l’économie collaborative comme
une économie potentiellement plus respec-tueuse des ressources, permettant la réduc-tion de l’empreinte écologique de notreconsommation (Demailly et Novel, 2014).Certains s’écartent radicalement de tellesvisions, les jugeant idéalisées et considérantl’économie collaborative comme une éco-nomie de l’accès « low-cost » (Bardhi etEckhardt, 2012) reposant sur des « businessmodels » qui précarisent la relation d’em-ploi et remettant en cause le concept mêmed’entreprise ou de salariat (Slee, 2016). Enréaction aux controverses suscitées parcertaines initiatives, des auteurs proposentenfin de redéfinir la notion d’économiecollaborative pour en exclure des acteurstels qu’Uber (Meelen et Frenken, 2015).Témoin de cette hétérogénéité, le champ esttraversé par des débats sémantiques etconceptuels concernant sa définition et saterminologie. Le concept d’économie col-laborative entretient en effet des relationsfloues avec des notions voisines telles quel’économie du partage (la ‘sharing eco-nomy’, terme de référence en anglais),l’économie du pair à pair (peer to peereconomy), la production ou consommationcollaborative, l’économie sociale et soli-daire, le mouvement coopératif, l’économiede l’accès ou de la fonctionnalité, ou la« gig economy » (Friedman, 2014) – enréférence à l’activité fragmentaire desnouveaux travailleurs indépendants –, cesdifférents concepts se recoupant sans jamaiscomplètement se recouvrir. Finalement,comme le reconnaissent certains de sespromoteurs, cette économie manque d’unedéfinition partagée (Botsman, 2014), ce quiparticipe à la perception de l’économiecollaborative comme « … un grand fourre-tout qui voit se côtoyer des jeunes poussesdu web aux dents longues, des entreprises
À quoi pensent les institutions ? 27
qui valent des millions en Bourse et des« néobabas » aux ambitions autant politi-ques que sociales » (Turcan et Sudry-le-Dû,2015, p. n.d.). L’une des spécificités del’économie collaborative réside ainsi dansla multiplicité de ses promesses, et lerattachement d’initiatives à des traditionsconceptuelles, théoriques et idéologies dela création de valeur très variées.Ces ambiguïtés font de l’économie colla-borative un objet d’étude à la foisparticulièrement intéressant et complexepour les sciences de gestion. En adoptantune perspective à la croisée entre per-formativité et néo-institutionnalisme, cetarticle développe une approche cognitiveet discursive de l’émergence de nouveauxchamps organisationnels. Considérantl’économie collaborative comme un champorganisationnel émergent, nous analysonsles processus de théorisation multiplesinitiés par les acteurs du champ. L’objectifde cet article est ainsi d’explorer lescourants théoriques – en explicitant leurssoubassements normatifs ainsi que leurvision de la création de valeur – mobiliséspar les acteurs qui construisent le champde l’économie collaborative. Sur la basede ces résultats, il s’agit de comprendrecomment la diversité et l’hétérogénéitéde ces référentiels théoriques et normatifsimpactent la dynamique de constructiond’un champ organisationnel.Nous identifions ces courants théoriquessur la base d’entretiens avec des entre-preneurs – classiques et institutionnels –,ainsi qu’une analyse de contenu deplusieurs ouvrages de référence dans lechamp de l’économie collaborative. Prisensemble, ces matériaux permettent d’ap-préhender les discours qui font sens etréférence pour les acteurs de l’économie
collaborative, et la manière dont cesacteurs se les approprient, les exprimentet les confortent comme discours fonda-teurs et structurants.Nos résultats révèlent différents courantsthéoriques dans lesquels les acteurs del’économie collaborative inscrivent leursactions : l’économie de la fonctionnalité, lalogique du don, la culture internet (influen-cée par la contre-culture américaine liber-taire et libertarienne), les biens communs.Ces différents corpus fonctionnent commedes répertoires de légitimation qui peuventêtre alternativement mobilisés et hybridéspar les entrepreneurs du champ. Nousdiscutons ensuite des effets ambivalentsde cet œcuménisme théorique sur l’institu-tionnalisation du champ de l’économiecollaborative : si la diversité théoriqueouvre des opportunités d’action et d’hybri-dation pour les entrepreneurs, elle créeaussi des problèmes d’identité, de cohérenceet de compréhension externe, générant unrisque de controverses et de fragmentationdu champ.Ce faisant, nous proposons dans cet articledeux contributions : premièrement, nousprésentons une cartographie des fondementsthéoriques de l’économie collaborative.Nous éclairons la complexité du champà travers ses ancrages théoriques et socio-historiques. Ceci nous permet d’envisagerde manière conjointe le développementdes pratiques et de leur problématisation,en interrogeant leur origine historique etleur filiation théorique (Audet et Déry,1996 ; Déry, 2007, 2013 ; Hatchuel, 2012).Puis, à la frontière entre théorie néo-institutionnelle et performativité, nousexplorons le rôle de la fragmentationthéorique d’un champ émergent dans sadynamique d’institutionnalisation.
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L’article est structuré en quatre parties.La première partie inscrit notre démarchedans une vision discursive et cognitivedes institutions. La deuxième partie pré-sente la méthodologie de la recherche.La troisième présente les résultats et lescourants théoriques mobilisés par lesacteurs de l’économie collaborative. Ladernière partie analyse ces résultats enexplorant les effets de la fragmentationthéorique de ce champ émergent sur sadynamique d’institutionnalisation.
I – UNE APPROCHE DISCURSIVEET COGNITIVE DE L’ÉMERGENCEDE NOUVEAUX CHAMPSORGANISATIONNELS
1. L’émergence de champsorganisationnels
Après avoir identifié la notion de champorganisationnel et étudié les effets dedomination (Bourdieu, 2000) et les pres-sions institutionnelles qui les caractérisent(DiMaggio et Powell, 1983), les théoriesnéo-institutionnelles se sont attachées, aucours de ces dernières années, à mieuxappréhender leur dynamique d’émergence(Fligstein et McAdam, 2012 ; Hoffman,1999 ; Maguire et al., 2004), en s’efforçantde mieux rendre compte des logiquesd’action et des capacités d’agence desacteurs qui construisent et transformentces champs.Selon DiMaggio et Powell (1983, p. 148-149), un champ organisationnel est leproduit d’« un ensemble d’institutions etde réseaux, qui, pris dans sa globalité,constitue une forme reconnue de la vieinstitutionnelle ». Lorsqu’il est reconnu etstabilisé, un champ organisationnel fournit
un champ d’action cadré, par lequel lesacteurs partagent un ensemble d’institu-tions coercitives, normatives et mimétiques(Scott, 1995). Par contraste, les chosesdiffèrent largement dans le cas de champsorganisationnels émergents (Fligstein,1997 ; Maguire et al., 2004). Marcus etAnderson (2008, p. 4) indiquent ainsi qu’unchamp organisationnel émergent est « typi-quement confronté à des controverses et desdoutes sur ce qu’il produit en termes dequalité, de performance et de confiance ».De même, pour Maguire et al., 2004,l’absence de « valeurs largement partagées »limite l’existence de pressions normativesqui feraient converger les acteurs du champvers un modèle dominant et/ou homogène.Un champ émergent est plutôt caractérisépar la coexistence de plusieurs « proto-institutions » (Lawrence et al., 2002), plusou moins homogènes, qui sont diffusées demanière plus locale et moins articulées quedans des champs stabilisés.Au sein de cet article, nous explorons ladimension discursive et cognitive de cesproto-institutions. Ce faisant, nous noussituons dans le sillage de l’anthropologueMary Douglas (2004), qui, en posant laquestion « comment pensent les institu-tions ? », s’interroge sur la manière dont seconstruit une unité des croyances et desmodes de pensée, et souligne l’importancedes systèmes de catégorisation et declassification, qui constituent des outilscentraux de structuration et de codificationde champs institutionnels. En posant laquestion « à quoi pensent les institutions ?», nous souhaitons compléter cette réfle-xion en interrogeant la variété des systèmesde croyances et des modes de pensée quipeuvent traverser un champ organisationnelémergent.
À quoi pensent les institutions ? 29
Le cadrage cognitif et discursif joue un rôlecentral dans les dynamiques d’institution-nalisation d’un champ (Maguire et Hardy,2009). Dans un champ émergent, cesprocessus de cadrage permettent de gagnerle soutien des parties prenantes publiques etprivées (régulateurs, entrepreneurs, entre-prises classiques, grand public, etc.) et derendre le champ désirable, intelligible,compréhensible, et cohérent (Phillipset al., 2004 ; Zilber, 2008). La théorienéo-institutionnelle a exploré, à traversla notion de théorisation, la manière dontles entrepreneurs institutionnels cadrent lespratiques qu’ils souhaitent promouvoir,systématisent des discours, justifient etconvainquent du bien-fondé de leur innova-tion ou du champ institutionnel (Greenwoodet al., 2002). Cette activité de théorisationconstitue un élément clé d’un processus dechangement institutionnel à l’intérieur d’unchamp organisationnel, car elle fournit unrégime discursif qui cadre les rôles, lespratiques, et définit les frontières du champ(Mena et Suddaby, 2016). Ainsi, Rao et al.(2003) ont montré comment la théorisationde nouvelles pratiques autour du conceptde nouvelle cuisine a constitué un élémentclé dans la construction d’un mouvement,la création d’une nouvelle école, et l’or-chestration d’un changement institutionneldans un champ organisationnel très struc-turé et stabilisé.
2. Théorisation et performativité
La notion de théorisation, telle que définieet mobilisée dans la théorie néo-institution-nelle, a jusqu’ici largement négligé laplace particulière des sciences sociales(économie, sociologie et management) dansles processus d’institutionnalisation. Ceci
invite à un rapprochement avec les travauxdu courant de la performativité (Austin,1962), qui explorent la capacité de certainsdiscours – notamment théoriques – àproduire la réalité qu’ils énoncent. À lafrontière entre sociologie des sciences etsociologie économique, Michel Callon amobilisé la notion de performativité poursouligner la manière dont les théorieséconomiques constituent des éléments cen-traux dans l’émergence de marchés (Callon,1998). Ces travaux – essentiellement déve-loppés dans l’étude des marchés financiers –ont montré comment les théories économi-ques fournissent des outils et un appareil-lage cognitif et normatif permettant deconcevoir, planifier, prévoir et valoriserdes marchés (MacKenzie et Millo, 2003).L’un des apports de ces travaux est demontrer que les théories économiques etmanagériales ne sont pas seulement des-criptives, mais ont aussi des dimensionsprescriptives et organisantes : elles véhicu-lent une idéologie de l’organisation et de lacréation de valeur (Callon, 1998 ; Ghoshal,2005) et peuvent fonctionner comme desprophéties auto-réalisatrices (Ferraro et al.,2005). Comme le souligne Callon (2006),l’étude des processus performativité neréduit pas la notion de « théorie » auxseuls énoncés académiques, mais tient aussicompte du rôle d’acteurs nonacadémiques,tels que les consultants, gourous et prati-ciens qui expérimentent et traduisent cesénoncés dans l’univers des pratiquesmarchandes.Plusieurs travaux néo-institutionnalistesrécents, qui analysent la construction sym-bolique, discursive et cognitive de nou-veaux champs organisationnels (Thorntonet al., 2012 ; Zilber, 2008), invitent à mieuxappréhender le rôle des théories sur la
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structuration de champs. Ainsi, Thorntonet al. (2012, p. 150-155) suggèrent quel’émergence de logiques institutionnellespropres aux champs est le résultat d’inte-ractions entre 1) des théories, 2) desstratégies de cadrage rhétorique (qui consti-tuent des formes de théorisations intermé-diaires) et 3) des récits (« narratives »). Eninteraction avec les pratiques, ces dernièresparticipent aux processus d’interprétationet de construction de sens interne à unchamp. Dans cette perspective, les théories« constituent les formes les plus abstraiteset systématiques de représentation symbo-lique et contiennent leur propre cohérenceinterne ». Ces théories constituent deséléments centraux de légitimation du chan-gement, en fournissant « des principesd’orientation généraux expliquant pourquoiet comment les structures et pratiquesinstitutionnelles doivent fonctionner ». S’ilsne correspondent pas nécessairement auxpratiques (il peut exister des formes dedécouplage), ils cadrent les problématisa-tions, discours et les récits des acteursau sein d’un champ. Comme le soulignentles auteurs, « les théories accroissent lacohérence de chaque logique institution-nelle et l’adoption rapide de pratiquesinstitutionnelles ».Dans cet article, nous explorons la manièredont le travail de théorisation passe, pourles entrepreneurs du champ de l’économiecollaborative, par le rattachement de leursactions et projets à des courants théoriquesen sciences sociales, qu’ils utilisent afinde justifier et faire sens de leurs actions.Nous considérons ces théories comme desproto-institutions cognitives, permettant delégitimer l’existence de projets. Les acteursde l’économie collaborative font en effetréférence à des valeurs, idéologies, et
courants de pensée par lesquels ils « théo-risent » leur innovation, c’est-à-dire cadrentles problèmes, justifient et convainquentdu bien-fondé de leur innovation. Dans laphase d’émergence d’un champ organisa-tionnel coexiste une multiplicité de réfé-rentiels théoriques et normatifs qu’il estnécessaire d’étudier. L’objectif de cetarticle est ainsi d’explorer les courantsthéoriques – en explicitant leurs soubasse-ments normatifs ainsi que leur vision dela création de valeur – qui sont mobiliséspar les acteurs qui construisent le champde l’économie collaborative. Sur la basede ces résultats, il s’agit de comprendrecomment la diversité et l’hétérogénéité deces référentiels théoriques et normatifsimpactent la dynamique de constructiond’un champ organisationnel.
II – MÉTHODOLOGIE
Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projetde recherche visant à analyser la diversitédes logiques d’action et des modèlesd’affaires (« business models ») dans lechamp de l’économie collaborative, qui apermis de collecter différents types dedonnées entre 2014 et 2016. Au-delà dela diversité des modèles d’affaires, cettephase de collecte de données a révélé lagrande diversité des valeurs et des modèlescognitifs mobilisés par les porteurs deprojets. Elle se matérialise par une variétéd’objectifs (environnementaux, sociaux etéconomiques) associés aux démarchesd’économie collaborative, et par une hété-rogénéité d’influences intellectuelles etthéoriques des porteurs de projet. Notredémarche de recherche se caractérise parune visée compréhensive (Dumez, 2013) etorientée objet (Acquier, 2016) qui se donne
À quoi pensent les institutions ? 31
pour objectif de comprendre l’action (et lesenjeux de sa légitimation à travers unensemble de discours et d’ancrages théori-ques) des acteurs du champ de l’économiecollaborative.Les données collectées proviennent dedifférentes sources que nous avons structu-rées en deux niveaux (cf. encadré 1) :1) les récits d’entrepreneurs présentant leurdémarche et la justifiant (typiquement« pourquoi ai-je créé ce projet ? ») – ceniveau correspond aux « narratives » dansle modèle de Thornton et al. (2012) – 2) lesthéorisations intermédiaires, correspondantà des stratégies de cadrage rhétorique, selonThornton et al. (2012). Ces théorisationsintermédiaires offrent des répertoires dis-cursifs plus larges et systématiques, quiconstituent des cadres de référence pour lesacteurs du champ, associés à des courantsde pensée et des idéologies de création devaleur. Elles émanent notamment d’entre-preneurs institutionnels, c’est-à-dire d’ac-teurs qui mobilisent des ressources (temps,moyens financiers, relationnels, politiques)afin de structurer le champ en promouvantdes arrangements institutionnels compatiblesavec leur projet et leur intérêt (DiMaggio,1988 ; Maguire, Hardy et Lawrence, 2004 ;Garud et al.,2007 ;Hardy etMaguire, 2008).Dans le champ de l’économie collaborative,il peut s’agir de gourous, de consultants,d’essayistes (ou dans une moindre mesured’académiques), ou d’organisations publi-ques et privées qui cherchent à promouvoirune vision particulière de l’économiecollaborative.Des organisations telles que Shareable aux
États-Unis ou OuiShare en France et enEurope jouent un rôle central d’entrepreneurinstitutionnel. Ces acteurs créent et animentdes réseaux, publient des ouvrages et
organisent débats et échanges publics.Fondée en 2012 à Paris, OuiShare se définitcomme « un collectif, une communauté, unaccélérateur d’idées et de projets dédié àl’émergence de la société collaborative :une société basée sur des principes d’ou-verture, de collaboration, de confiance et departage de la valeur » (ouishare.net/fr).La communauté organise notamment leOuiShare Fest, un évènement annuel detrois journées, organisé à Paris depuis2013 autour de l’économie collaborative –
actuellement en cours d’internationalisationen Espagne, et au Brésil depuis 2015 –, quise présente comme « un festival interdisci-plinaire qui réunit des leaders créatifs, desentrepreneurs, des initiateurs de mouve-ments, des organisations à mission et descommunautés de différents secteurs et pays,cherchant à initier des changements signi-ficatifs et systémiques » (ouisharefest.com,notre traduction). Par les choix de théma-tiques et les initiatives mises en avant, cetévènement occupe une place importante entermes de synthèse, de cadrage, de théorisa-tion du champ de l’économie collaborativeet peut être analysé comme un évènementconfigurateur de champ (Hardy et Maguire,2010 ; Lampel et Meyer, 2008 ; Leca et al.,2015).Une première source de données provient del’exploitation de 32 entretiens, menés enface à face entre 2014 et 2015 avec desentrepreneurs ayant initié des projets colla-boratifs dans le domaine de la production etde l’échange de biens matériels, qui étaitsous-étudié par rapport à la location et lamobilité collaboratives, et surtout à mêmed’investir des enjeux environnementaux etsociétaux variés en fonction des différentespratiques (FabLab, plateformes de vente,échange et don d’objets, sites de partages de
DISPOSITIF DE COLLECTE DES DONNEES
Les données collectées proviennent de différentes sources structurées en deux niveaux.
1. Récits d’entrepreneurs : discours d’entrepreneurs visant à présenter/scénariser l’histoire
de leur démarche et la justifier
Trente-deux entretiens en face à face avec les entrepreneurs de 29 initiatives collaboratives
(nom de l’initiative, durée de l’entretien) :
Comment Reparer, 128 min ; Recup.net, 79 min ; Co-recyclage, 134 min ; Vestaire
Collective, 79 min ; Share Voisin, 57 min ; Mutum, 100 min ; Repair Café Cœur d’Alsace,
61 min ; Leroy Merlin, 97 min ; Brocante Lab, 63 min ; Peerby, 71 min ; Peuplade, 41 min ;
Open source Ecologie, 20 min ; L’Etablisienne, 37 min ; Ici Montreuil, 62 min ; Place de la
loc, 82 min ; La Nouvelle Fabrique, 46 min ; C’est bon esprit, 83 min ; Mon atelier en Ville,
62 min ; Kikawa, 62 min ; FabLab de Rennes, 109 min ; Volumes, 51 min ; ElectroLab,
114 min ; A little market, 53 min ; Hall couture, 54 min ; Woma, 47 min ; FacLab, 66 min ;
DressWing, 60 min ; maforladies, 58 min ; La ruche qui dit oui, 88 min.
2. Théorisations intermédiaires (entrepreneurs institutionnels)– Entretiens avec 4 co-fondateurs (44-84 min) et 3 membres actifs de l’organisation Ouishare
(60-92 min)– Évènements configurateurs du champ (« Field Configuring Events ») : observation non
participante aux « OuiShare Fest » 2015 et 2016 et analyse des thèmes des programmes
des « OuiShare Fest » 2014, 2015, 2016.– Ouvrages de vulgarisation offrant un cadrage spécifique de l’économie collaborative :
Botsman et Rogers (2010) ; Gansky (2012) ; De Fillipova (2015) ; Bauwens M. (2015).
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connaissances pour la réparation des objets,etc.). L’échantillonnage a été construitpour représenter la diversité interne duchamp, couvrant à la fois des logiqueslucratives ou nonlucratives. L’identificationdes acteurs a été réalisée à partir de listesd’entrepreneurs participant à des conféren-ces et à des évènements publics regroupantles acteurs du monde collaboratif, puis pareffet boule de neige. Les chercheurs ontcontacté directement les entrepreneurs paremail (ou via Linkedin) et ont réalisé lesentretiens en binôme. Ces entretiens sontstructurés autour de trois thématiques :trajectoires individuelles et motivations
des porteurs de projet, choix en termesde modèles d’affaires et prise en compted’éventuels impacts environnementaux etsociaux dans leur démarche. Ils fournissentun accès privilégié aux discours et récitsdes entrepreneurs, permettant d’identifierou d’induire les courants théoriques danslesquels les porteurs de projets puisent pourfaire sens et justifier leur démarche. Lesentretiens ont été enregistrés et retranscritsintégralement afin de préserver la qualitédes données. Un codage de type inductif(Thomas, 2006) a permis de faire émergerdes catégories de discours représentativesdes acteurs du champ. Le rattachement de
À quoi pensent les institutions ? 33
ces discours à des courants de pensée s’estfait lorsque les interviewés faisaient expli-citement référence à un ouvrage/courantprécis, à un documentaire, à un « gourou »représentatif d’une école de pensée, ouexprimaient leur adhésion à une « vision dumonde » et des échanges caractéristiqued’un courant.Afin d’approfondir la compréhension desracines théoriques du champ de l’économiecollaborative, nous avons complété cettepremière source de données par trois autressources permettant d’accéder à des théori-sations intermédiaires plus systématiqueset formalisées : premièrement, nous avonsconduit, transcrit et codé une série d’en-tretiens avec quatre co-fondateurs et troismembres actifs du collectif Ouishare. Cesentretiens formels ont été complétés par denombreuses interactions informelles pen-dant l’année 2015. Deuxièmement, nousavons participé à deux éditions (2015 et2016) du Ouishare Fest à Paris et avonsanalysé les programmes du Ouishare Festentre 2014 et 2016 ainsi que les résumés dessessions pour les rattacher à des courantsthéoriques. Enfin, nous avons lu et analyséplusieurs ouvrages de vulgarisation ratta-chés au mouvement de l’économie colla-borative et explicitement mentionnés parles entrepreneurs interviewés. Ces ouvra-ges, mis en avant dans la libraire del’économie collaborative desOuishare Fest,peuvent être le fait de « gourous » et autresconsultants cherchant à formaliser lesprincipes de l’économie collaborative,d’académiques observateurs du champou des membres fondateurs du collectifOuishare eux-mêmes (tels que l’ouvrageSociétés Collaboratives, Fillipova, 2015).L’analyse de ces ouvrages s’est faite par unelecture approfondie avec prise de notes,
nous permettant d’identifier des liens avecdes courants de pensée, qui constituent desthéories de plus large portée véhiculant desidéologies alternatives de création de valeur.
III – QUATRE COURANTSDE PENSÉE QUI IRRIGUENTL’ÉCONOMIE COLLABORATIVE
Nous avons identifié quatre courants depensée mobilisés par les acteurs du champde l’économie collaborative afin de cadreret justifier leur action : l’économie de lafonctionnalité, l’économie du don, lescommuns ainsi que la culture internet(dérivée notamment de la contre-culturelibertaire et libertarienne américaine). Dansles lignes qui suivent, nous développonsces quatre courants de pensée et montronscomment ils se manifestent dans le champde l’économie collaborative à travers lesdiscours des porteurs de projets, ceux desentrepreneurs institutionnels, les débatsanimant les évènements configurateurs duchamp et les ouvrages du champ del’économie collaborative (cf. tableau 1).
1. L’économie de la fonctionnalité :le passage de la propriété à l’usage
Pour le courant de l’économie de lafonctionnalité, la valeur d’un produit neréside plus dans la possession d’un bien,mais dans les bénéfices de son utilisation.En pratique, il s’agit d’un changement deparadigme fondé sur l’usage plutôt que lapropriété, qui renvoie à « une économiede services dans laquelle le bien au sensphysique du terme est considéré commeune immobilisation et non plus comme un‘consommable’ » (Lauriol, 2008, p. 33). Cefaisant, l’économie de la fonctionnalité
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se présente comme un changement delogique de création de valeur, laissant placeà de nouveaux modes de consommation etde production, et permettant d’optimiserl’usage des ressources (Du Tertre, 2008 ;Lauriol, 2008).Cette approche est étroitement liée à lanotion d’économie circulaire, qui vise àminimiser les impacts environnementauxd’un bien ou service le long de son cyclede vie (Braungart et McDonough, 2009).Suivant cette perspective, le producteur doitrester aussi longtemps que possible pro-priétaire et responsable de la qualité desproduits afin d’optimiser l’usage de res-sources naturelles et accroître la durée devie et la qualité de ses produits. Il s’agitégalement d’anticiper la fin de vie dès laconception des produits, afin de faciliter laréutilisation de matériaux sans en dégraderla valeur. Parmi les solutions mises en avantpar l’économie circulaire, les modèlesd’affaires fondés sur la location et laprestation de service apparaissent alorscomme un moyen d’inciter à l’optimisationenvironnementale des produits, en rendantéconomiquement moins pertinentes desstratégies d’obsolescence programmée. Demême, les démarches favorisant la revente,la réparation ou la réutilisation des produitsen fin de vie sont perçues comme des leviersde limitation des déchets et de réintégrationdes biens dans de nouveaux cycles d’usage.L’économie de la fonctionnalité est uncourant de pensée souvent mobilisé dansle cadre de la consommation collaborative(Robert et al., 2014). À titre d’exemple,Botsman et Rogers (2010) utilisent lanotion de product-service system (PSS)pour définir l’un des trois grands domainesde la consommation collaborative. CesPSS peuvent prendre deux formes : une
organisation centralisée organisant l’accès àune ressource physique pour de multiplesusagers (cf. Techshop, Zipcar, Vélib, Auto-lib, espaces de « co-working » ou les Openlibraries), ou une plateforme de locationde biens entre particuliers (Belk, 2014). Cedernier modèle correspond à une conceptiontrès répandue que l’on retrouve dans unemajorité de définitions de l’économiecollaborative, car elle recouvre d’un pointde vue empirique des exemples de plate-formes à succès (Airbnb, Blablacar, Zilok,LeBonCoin) devenues emblématiques del’économie collaborative, qui intègrent plusou moins explicitement une promesseenvironnementale et sociale dans leur offrede valeur.
2. L’économie du don : l’importance du« lien social »
La pratique du don est l’un des modesd’échange les plus anciens de notre société.Loin d’être obsolète, elle reste très répanduedans le monde des affaires (Alter, 2010 ;Bureau, 2014). Le don se définit comme untransfert qui n’implique aucune contre-partie (Athané, 2011). Par conséquent, ils’oppose à toute forme d’échange monétaireou de troc, qui supposent une compensationinstantanée de l’échange par de l’argent ouun objet ou service de valeur similaire. Dansl’économie du don, la réciprocité immédiatequ’implique l’échange d’argent ou le trocaurait pour effet de détruire le lien social(Boyle, 2012). Pour Mauss (1924), le donsuppose une triple obligation de « donner,recevoir, et rendre » qui fonctionne grâceau pouvoir presque spirituel de ce qui estdonné. Dans et par le don s’articulent lapoursuite de l’avantage individuel et l’ou-verture à autrui par des actes généreux
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(Bureau, 2014). Les individus sont en effetinterdépendants et reliés par les biens quicirculent entre eux et qui incarnent unepartie de l’identité du donateur venant seloger à l’intérieur des objets donnés.L’économie du don est mobilisée parles acteurs de l’économie collaborative,notamment a
travers la promesse de sensau-delà de l’échange marchand, et d’unlien social renouvelé et renforcé (Belk,2010). Comme l’illustrent Bostman etRogers (2010), ces nouvelles pratiquespermettraient de retrouver une convivialitéperdue. Cette promesse s’illustre parexemple via des magasins gratuits quisont des espaces pour donner et recevoirdes objets sans aucun retour. Les objetsdéposés sont donnés à la personne à quices objets peuvent être utiles. Le donneurdevra toutefois vérifier que ce qu’il donneest propre et en état d’usage, et le receveurne prendre que ce qui lui est utile et nonn’importe quel objet sous prétexte degratuité. Elle peut aussi s’illustrer auniveau global avec des initiatives tellesque les « Repair Café », concept apparu en2009 aux Pays-Bas où Martine Postma,une militante écologiste, a proposé cetteinitiative au conseil municipal de la villeOost-Watergraafsmeer. Le principe reposesur la rencontre périodique de personnesdans un lieu déterminé (place de village,salle des fêtes, etc.) où des outils et descompétences sont mis à disposition gra-tuitement afin de réparer des objets1. Demême, Couchsurfing permet à des voya-geurs de passer du temps, un dîner, unevisite de ville avec les personnes qui les
1. Une association a été fondée pour définir une charte présend’initiatives locales. Aujourd’hui, il existe plus de 750 Repair Cdisponible sur le site de l’initiative : repaircafe.org.
hébergent gratuitement, favorisant dedéveloppement de liens sociaux nouveaux(Germann Molz, 2012). Ces exemplesillustrent la promesse d’un nouveau terreaurelationnel porté par l’économie collabo-rative, entre des personnes qui ne sont pasuniquement membres de la même commu-nauté, amis ou voisins de palier.
3. Les communs : vers unegouvernance décentralisée, partagée,favorisant la création collective
La réflexion sur les communs a étélargement marquée par les travaux d’ElinorOstrom (1990) sur l’étude des formes depropriété et de gestion collective – c’est-à-dire ne reposant ni sur une régulationpar la propriété privée, ni par l’État – desressources en pool commun (Common PoolRessources). Si les travaux d’Ostrominscrivent ces formes de gouvernancecollective comme un mécanisme de pré-servation et de régulation des bienscommuns « rivaux » (tels que les ressourcesnaturelles dont l’usage est limité), cesréflexions ont été reprises et prolongéespar toute une série d’approches qui s’ap-puient sur une gouvernance auto-organiséepour créer et gouverner l’émergence debiens communs immatériels non rivaux etnon exclusifs – tels que des connaissances,un logiciel ou des savoirs – (Benkler etNissenbaum, 2006). Les exemples lesplus emblématiques viennent de l’informa-tique, via l’open source (Aigrain, 2005 ;Raymond, 2001) comme le projet GNUqui donnera naissance à Linux, un système
tant les principes de la démarche et soutenir l’éclosionafés à travers le monde. Une charte des Repair Cafe est
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d’exploitation libre (Stallman et al., 2011).Le mouvement du logiciel libre se caracté-rise ainsi par le passage d’une logiquehiérarchique et propriétaire fondée sur lesdroits de propriété fermés, à une logiqueouverte, distribuée et contributive favorisantun libre accès gratuit et universel pour lesutilisateurs. De même, Wikipedia, fondésur un modèle d’auto-régulation, puise sesprincipes de gouvernance dans la régulationdes biens communs (Cardon et Levrel,2009). Ainsi, la gouvernance des bienscommuns vient fonder les principes deproduction par les pairs (peer production)via la mise au point de principes coopératifset d’une gouvernance alternative (Demil etLecocq, 2006) qui permettent la créationet le partage de ressources.La gouvernance des communs constitueun cadre de référence important dans lechamp de l’économie collaborative, explo-rant l’émergence des formes de gouvernanceplus coopératives et décentralisées. Dans uneapproche technologique et militante, MichelBauwens, l’un des architectes de la plate-forme P2P foundation, plaide pour l’émer-gence d’un « mode de production et decréation de valeur qui soit gratuit, juste etdurable », favorisant la diffusion et la co-créationde la valeur entre les « commoners »(Bauwens, 2005, 2015 ; Bauwens et Kosta-kis, 2014). Dans cette perspective, il s’agitde diffuser le plus largement possible lesconnaissances et combattre les barrières –
jugées artificielles – à la diffusion et au libreaccès aux ressources caractéristiques desmodèles d’affaires fermés. Cette réflexionsur la gouvernance s’accompagne égalementde création d’outils de management colla-boratifs autour de la prise de décision(par exemple, Loomio) ou de la comptabilitépropre à ce type d’initiative.
Dans une perspective complémentaire, etdans la lignée des travaux de Benkler(2004), Rifkin (2015) montre commentl’évolution des systèmes d’information etle développement de l’internet des objetspeut aboutir à créer une « société du coûtmarginal zéro », fondée sur la montée enpuissance de « biens communs collabora-tifs » et marquée par la réduction drastiquedu coût de l’accès aux biens et services, lacoproduction des contenus, de produits etde services, la décentralisation des systèmesde production énergétiques et faire basculernos sociétés vers des systèmes distribués etdécentralisés, qui s’avéreront plus efficacesd’un point de vue environnemental.
4. La culture internet : start-upet disruption des grandes institutionsbureautiques
La culture internet constitue un quatrièmepôle attracteur des entrepreneurs de l’éco-nomie collaborative. Les acteurs qui serevendiquent de ce courant mettent en avantune logique de type business et start-up,prônent la disruption comme logique asso-ciée, et mettent en avant le ‘peer to peer’ etla décentralisation comme modèle organi-sationnel privilégié.Si internet véhicule des imaginaires diffé-rents, plusieurs travaux ont exploré sesorigines culturelles aux États-Unis dansles années soixante, à la confluence dephilosophies libertaires, communautaires,et libertariennes (Cardon, 2010). Selon FredTurner (2008), le développement d’interneta été marqué par la contre-culture hippieapparue dans les années 1960 aux États-Unis, dont les idéologies – d’abord libertai-res et communautaires puis libertariennes –se retrouvent dans le développement des
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nouvelles technologies du web et pluslargement de la Silicon Valley. Turnerillustre ces évolutions et hybridations àtravers l’histoire de Stewart Brand, ancienhippie, militant environnementaliste, jour-naliste, homme d’affaires et aujourd’huifigure de pointe de la Silicon Valley. Dansson analyse, Turner décrit l’émergence d’unmonde qui refuse les formes de régulation etles rentes des grandes entreprises bureau-cratiques, symbolisées dans les années 1970par IBM. On assiste alors à un renouveaude la pensée libertarienne qui s’appuie surla liberté d’action de l’individu dans unmarché libre, dérégulé, débarrassé desmonopoles et de l’intervention de l’État.Le développement d’internet ou du mou-vement des hackers (Lallement, 2015)participe à la montée en puissance de cetteidéologie, s’appuyant sur une technologiedécentralisée, remettant en question leshiérarchies établies, où toute personne peutbâtir de nouvelles formes d’organisationpolitique basées sur la participation et lacollaboration. Ce mouvement valorise aussil’entrepreneur individuel et met en avantune volonté de faire du profit irriguant unepensée construite sur l’individualisme etle culte de l’inventivité.Les entrepreneurs de l’économie collabora-tive empruntent à l’idéologie de la contre-culture américaine une volonté de changerle monde et de casser les rentes des grandesinstitutions établies (États et grandes entre-prises). Cette perspective est caractéristiqued’initiatives explicitement disruptives tellesqu’Uber (dont le fondateur Travis Kalanickse revendique explicitement de la philoso-phie libertarienne d’Ayn Rand) ou Airbnb,mettant en avant une vision entrepreneurialeet libérale, n’hésitant pas à prendre à reversles régulations nationales ou à s’attaquer à
des positions qu’elles considèrent commedes monopoles de rente. Cette perspectiveest aussi sous-jacente à des innovationstechnologiques telles que le blockchain,qui constitue une technologie décentraliséed’enregistrement, de comptabilisation etde maintien de registre de transactions,ouvrant la perspective d’organisations etde transactions régulées sans institutioncentralisée (Wright et De Filippi, 2015).
IV – LOST IN FOUNDATIONS ?HÉTÉROGÉNÉITÉ THÉORIQUE ETINSTITUTIONNALISATION D’UNCHAMP ÉMERGENT
En mettant en évidence quatre courants depensée, nos résultats témoignent de l’hété-rogénéité des courants théoriques mobiliséspar les entrepreneurs du champ de l’éco-nomie collaborative pour faire sens etlégitimer leur action. Dans cette section,nous discutons nos résultats et formulonsdes propositions de recherche sur les effetsde cet « œcuménisme théorique » surla dynamique d’institutionnalisation d’unchamp organisationnel émergent.Les différents courants théoriques identifiés(économie de la fonctionnalité, communs,don, culture internet) véhiculent des visionstrès différentes de la création de valeur.Comme le suggèrent Thornton et al. (2012),ces répertoires théoriques fonctionnentcomme des logiques institutionnelles àl’échelle d’un champ (field level logics),car ils véhiculent un socle normatif et desidéologies différentes en matière de créationde valeur. En tant qu’institutions normati-ves, ces courants de pensée constituent desbases de légitimité dans lesquelles puisentles porteurs de projets afin de « théoriser »leur initiative (Greenwood et al., 2002) et
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cadrer les registres normatifs à traverslesquels ils souhaitent être jugés. Ainsi,des initiatives revendiquant une proximitéà l’économie de la fonctionnalité ou àla culture internet sont compatibles avecune vision classique de la création et del’appropriation de la valeur par l’entrepre-neur (l’économie de la fonctionnalité sedistingue néanmoins par une mise en avantplus forte de ses bénéfices environnemen-taux et un modèle organisationnel pluscentralisé). Les logiques du don ou descommuns s’orientent vers une logique dedistribution collective de la valeur et desformes de gouvernance alternatives ou nonmarchandes. Cette hétérogénéité peut êtreperçue comme une opportunité pour lesentrepreneurs (classiques et institutionnels)du champ, qui peuvent jouer de cesdifférents répertoires de légitimation dansla problématisation de leur projet enfonction de leurs auditoires et de l’évolutionde leur projet.Proposition 1. Dans un champ émergent,l’hétérogénéité des courants de pensée offredes répertoires de légitimation variés àses entrepreneurs.Malgré leur hétérogénéité, les quatre cou-rants de pensée présentés ci-dessus nesont évidemment pas totalement herméti-ques, inconciliables ou exclusifs. Ainsi,de nombreux projets collaboratifs puisentsimultanément et « bricolent » en combi-nant plusieurs courants de pensée : àtitre d’exemple, une initiative telle queCommentReparer.com (qui se présentecomme un forum d’entraide pour la répara-tion d’objets cassés), emprunte simultané-ment aux courants de la fonctionnalité etde l’économie circulaire (favoriser la répa-rabilité, lutter contre l’obsolescence desproduits), à la logique du don et celle des
« commons » (partager gratuitement etpropager les connaissances en matière deréparation des objets). De même, un projettel que La Ruche qui dit Oui (plateformeorganisant des micro-marchés de distribu-tion alimentaire afin de relocaliser l’alimen-tation et favoriser des échanges plusdirects entre consommateurs et producteurs)emprunte simultanément des éléments dela culture internet tout en revendiquantune mission sociale et une vision élargiede la création de valeur (Acquier et al.,2016). Enfin, un projet tel que POC 21, unespace de prototypage de solutions répon-dant aux grands défis planétaires, hybridedes logiques de biens communs (solutionsen opensource), mouvement des makers,et création de valeur environnementale.Chaque projet collaboratif peut ainsi seconstruire en combinant et en hybridantplusieurs logiques. À ce titre, l’économiecollaborative, qui réunit des idéologiesvariées en matière de création de valeur,offre des opportunités de créativité etapparaît comme un terrain d’investigationparticulièrement favorable à l’éclosiond’organisations hybrides (Battilana etDorado, 2010 ; Haigh et al., 2015), quicombinent différentes logiques institution-nelles et visions de la création de valeur(Friedland et Alford, 1991 ; Thornton etOcasio, 1999).Proposition 2. Dans un champ émergent,l’hétérogénéité des soubassements théori-ques est propice à l’émergence d’organi-sations hybrides, qui innovent en combinantdifférentes logiques institutionnelles.Si la diversité des courants de pensée peutoffrir une palette variée de stratégies delégitimation, comment cette diversité théo-rique et idéologique est-elle gérée au niveaudu champ ? Cette question nécessite d’être
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instruite en analysant de manière plusapprofondie les formes d’entrepreneuriatinstitutionnel qui s’y déploient. Commenous l’avons souligné, des organisationstelles que Shareable aux États-Unis ouOuiShare en Europe jouent un rôle impor-tant d’entrepreneur institutionnel (DiMag-gio, 1988 ; Greenwood et al., 2002 ;Maguire et al., 2004). En effet, ces acteursthéorisent le champ, en organisent lesfrontières, le structurent à travers la consti-tution de réseaux, la publication d’ouvragesou l’organisation d’événements qui véhicu-lent certains courants de pensées et quiconfigurent le champ (Lampel et Meyer,2008 ; Leca et al., 2015). L’observationde ces organisations suggère des formesoriginales d’entrepreneuriat institutionnel :plutôt que d’homogénéiser le champ, leuraction suggère une division du travailentre entrepreneurs institutionnels. À titred’exemple, les fondateurs de Ouisharetendent à se spécialiser individuellementsur certains champs spécifiques de l’écono-mie collaborative. De même, plutôt quede réguler, homogénéiser et définir lesfrontières du champ et leurs fondementsnormatifs, ils tendent à instaurer des arènes(tel le OuiShare Fest) permettant de mettreen avant et d’organiser sa diversité interneet son instabilité.Proposition 3. Dans un champ organisa-tionnel émergent, l’hétérogénéité des sou-bassements théoriques appelle des formesd’entrepreneuriat institutionnel spécifiques,compatibles avec l’instabilité qui caracté-rise le champ.Dans un champ émergent tel que celuide l’économie collaborative, la diversitéthéorique permet « d’adresser » différentescommunautés, qui s’identifient aux diffé-rentes idéologies de la création de valeur qui
les caractérisent. Dans la perspective de lasociologie des sciences, elle peut êtreanalysée comme un dispositif d’intéresse-ment (Callon, 1981, 1986). Mais ses effetsapparaissent plus ambigus lorsque l’onconsidère ses publics « externes » (grandpublic, organismes de régulation, État,associations professionnelles). Bien que ladiversité théorique interne au champ puisseaccroître l’attractivité du champ, en facili-tant le rattachement d’un grand nombrede parties prenantes (Marcus et Anderson,2013), elle diminue sa cohérence idéolo-gique et empirique, rend sa coordinationplus complexe et peut aboutir à multiplierles controverses et incompréhensions liéesaux promesses du champ et à remettre enquestion son unité. À titre d’exemple, lespromesses véhiculées par l’économie col-laborative en matière de progrès environne-mental, d’apprentissage, de partage ou decoopération entre individus sont largementquestionnées par la croissance très rapidedes plateformes d’intermédiation de typeUber ou Airbnb qui soulèvent de nombreu-ses controverses en termes de précarisationdes travailleurs ou de fiscalité. L’hétérogé-néité conceptuelle et théorique d’un champpeut ainsi fragiliser sa légitimité, en l’expo-sant à des critiques pointant les écarts entrepromesses, discours, et pratiques.Proposition 4. L’hétérogénéité des courantsde pensée accroît la visibilité du champorganisationnel émergent, mais soulève desproblèmes d’intelligibilité et de compréhen-sion pour ses publics externes.
CONCLUSION
En explorant les soubassements cognitifset normatifs mobilisés par les entrepreneursde l’économie collaborative, nous avons
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identifié quatre traditions théoriques (éco-nomie de la fonctionnalité, du don, lagestion des communs, culture internet) quisous-tendent le développement de ce champorganisationnel émergent. Ce faisant, notrearticle propose des contributions de diffé-rentes natures : une première série decontributions concerne la compréhensiondes dynamiques propres au champ del’économie collaborative. Notre travailrépond ainsi au besoin de cartographiedes fondements théoriques et normatifs del’économie collaborative (Borel et al.,2015). De plus, en explorant les originesconceptuelles et théoriques du champ, sesdifférentes promesses et les visions parfoisantagonistes de la création de valeur quis’y déploient, notre travail permet de mieuxcomprendre les débats et paradoxes quitraversent ce champ émergent et contesté.D’un point de vue théorique, notre approchecognitive et discursive contribue à lacompréhension des processus d’institu-tionnalisation de champs organisationnelsémergents. Notre analyse fournit toutd’abord une illustration empirique de lamanière dont les acteurs d’un champpeuvent mobiliser des théories en sciencessociales comme levier de légitimation. Ceciinvite à poursuivre ce travail de rappro-chement entre le concept de « théorisation »dans la littérature néo-institutionnelle(Greenwood, Suddaby et Hinnings 2002 ;Mena et Suddaby, 2016) et les approches entermes de performativité en sociologie dessciences (Callon, 1998 ; Gond et al., 2016).Notre analyse contribue aussi aux travauxen termes de complexité institutionnelle, quis’interrogent classiquement sur les tensionset changements entre deux logiques domi-nantes à l’intérieur de champs déjà consti-tués (Greenwood et al., 2011). En mettant
en évidence la coexistence de plusieurscadres théoriques et normatifs au seind’un même champ, notre étude révèle lamanière dont une constellation de logiques(Goodrick et Reay, 2011) peut traverser unchamp émergent et explore les effets d’unetelle hybridité dans la dynamique d’institu-tionnalisation du champ. À ce titre, nousavons montré comment la fragmentationthéorique du champ de l’économie colla-borative créé un contexte d’action spéci-fique, pouvant représenter une opportunitépour les acteurs de ce champ en offrant demultiples registres de légitimation et desperspectives d’hybridation. Réciproque-ment, la coexistence d’une multiplicité delogiques et de référentiels normatifs limiteaussi l’intelligibilité du champ pour lesacteurs externes et accroît les risques decontroverses face aux nombreux paradoxeset tensions existants. Nos résultats suggèrentenfin, l’existence de formes d’entrepreneu-riat institutionnel spécifiques dans ceschamps hybrides, consistant à créer desespaces de confrontations et de débat plutôtqu’à homogénéiser des comportements.Ces éléments d’analyse pourraient êtreconfrontés à d’autres « champs hybrides »qui s’efforcent d’articuler différentes doc-trines de la performance et de l’intérêtgénéral, telles que l’entrepreneuriat social,le social business, le nouveau managementpublic, etc.Notre travail comporte certaines limites etperspectives de recherche. Une premièrecatégorie de limites concerne la naturedes données, essentiellement constituéesde discours recueillis auprès d’entrepre-neurs – classiques et institutionnels – duchamp dans le cadre d’interviews ou detextes et « manifestes » fondateurs dumouvement de l’économie collaborative.
À quoi pensent les institutions ? 43
Ce type de données induit un biais dedésirabilité et peut fournir une visionidéalisée de l’économie collaborative. Sice biais est acceptable dans le cadre del’étude de stratégies de légitimation, uneperspective de recherche complémentaireconsisterait ainsi à confronter les théori-sations des acteurs du champ avec lescontre-discours critiques de l’économiecollaborative (cf. par exemple Slee,2016). En outre, faute d’accès aux prati-ques non discursives, il est difficile destatuer sur le degré de couplage entre lesdiscours des entrepreneurs et leurs prati-ques. Une réelle analyse des processus deperformativité devrait ainsi se pencher demanière plus systématique dans l’analysedes pratiques. Une autre catégorie delimites concerne le caractère synchroniquede notre analyse. Une perspective derecherche intéressante serait d’analyserl’évolution des problématisations misesen avant par les acteurs de manièredynamique, afin d’analyser la stabilité oul’évolution des racines théoriques auxquel-les les acteurs se réfèrent en fonction del’évolution du champ.Enfin, en analysant les discours et enappréhendant les racines théoriques en tantqu’outil de légitimation, nous n’avons pasexploré de manière systématique les enjeuxsocio-matériels (de Vaujany, 2015) sous-jacents aux pratiques collaboratives. Cesenjeux n’en sont pas moins des élémentscentraux, comme en témoignent les débats
sur la gouvernance algorithmique (Cardon,2015 ; Benavent, 2016), l’émergence du« digital labour » (Cardon et Casilli, 2015),ou l’importance des dispositifs réputation-nels et de gestion de la confiance (Origgi,2015). En effet, l’une des spécificités duchamp de l’économie collaborative tient àl’omniprésence de l’artefact technologique(plateformes internet, algorithmes, block-chain, imprimantes 3D et autres machines-outils dans le cas des makers). À ce titre,nos travaux invitent à de futures recherchesexplorant le rôle de ces artefacts techno-logiques dans la structuration du champ. Ils’agirait de comprendre quel est le rôlejoué par ces artefacts dans la coexistencede plusieurs référentiels normatifs dans lechamp de l’économie collaborative, et siun même artefact peut être investi différem-ment en fonction des courants de penséedes acteurs du champ. À titre d’exemple, uneplateforme collaborative peut être interprétéecomme un bien commun dans certains casou un dispositif de disruption des marchésdans d’autres. Des travaux ultérieurs pour-raient explorer les interactions complexesentre artefacts technologiques et référentielsnormatifs ou idéologies de la création devaleur, afin d’analyser les modes d’appro-priation des outils en fonction de cesréférentiels, ou le degré de « plasticitéidéologique » des technologies qui suppor-tent les pratiques collaboratives, et analyserles luttes d’interprétation sur le rôle etl’apport de ces artefacts dans la société.
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