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Supranationalité et intégration africaine : comment y parvenir dans l’Union économique en zone CEMAC ? Réflexions à la lumière de la construction européenne. REMERCIEMENTS Nous adressons notre reconnaissance et nos remerciements à la BAD, au PNUD et à la CEA/ONU pour l’initiative qui est devenue une tradition sur le continent africain. Celle-ci donne l’opportunité aux jeunes chercheurs que nous sommes de contribuer au débat sur l’intégration en Afrique au lendemain des cinquantenaires de l’Unité africaine en apportant notre part à la construction de l’édifice de ce processus en Afrique. 1

 · Web viewDaniel Bach, « La crise des OIG et le besoin de repenser les grands schémas de l’intégration en Afrique » synthétisé in Résultats de la conférence internationale

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Supranationalité et intégration africaine : comment y parvenir dans l’Union économique en zone CEMAC ? Réflexions à la lumière de la construction

européenne.

REMERCIEMENTS

Nous adressons notre reconnaissance et nos remerciements à la BAD, au

PNUD et à la CEA/ONU pour l’initiative qui est devenue une tradition sur le continent

africain. Celle-ci donne l’opportunité aux jeunes chercheurs que nous sommes de

contribuer au débat sur l’intégration en Afrique au lendemain des cinquantenaires de

l’Unité africaine en apportant notre part à la construction de l’édifice de ce processus

en Afrique.

1

Résumé :

L’intégration européenne constitue un modèle pour les autres processus, qui

copient l’architecture institutionnelle de l’union sans toutefois prêter une attention

particulière à l’un des éléments clés de cette réussite : la supranationalité. La

construction européenne démontre que les institutions communes sans

supranationalité ne sont pas capables d’agir, de décider et d’impacter. Cet article a

donc pour projet de montrer d’une part, que l’absence de supranationalité des

institutions et organes encerclés par l’interétatisme limitent leur rôle et leur place

dans la construction communautaire africaine notamment en Afrique

centrale .D’autre part, il a pour ambition de proposer une approche supranationale

sectorielle adaptée aux réalités et aux besoins des acteurs centrafricains. Cette

option est possible et bénéfique pour la réalisation des objectifs d’intégration de

l’Union économique en zone CEMAC. Puisque rendant visible les gains des Etats à

transférer des compétences sectorielles vers les institutions communes .C’est

pourquoi nous militons pour l’adoption d’une Politique Agricole Commune (PAC) par

les Etats membres de la CEMAC à l’image de la PAC européenne qui est l’une des

voies pour passer à un modèle supranational de l’intégration nécessaire pour l’avenir

de ce processus dans cette zone.

Mots clés : intégration, supranationalité, Europe, compétence, transfert, agriculture,

CEMAC.

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INTRODUCTION

Le 25 Mai 2013, l’Afrique célébrait le cinquantenaire de l’Unité africaine, de

l’OUA/UA marquant ainsi la place particulière de l’intégration dans les relations inter

africaines. Historiquement, cet engouement pour l’intégration ne date pas

d’aujourd’hui et s’est accru au lendemain des indépendances des Etats africains. La

croissance de l’intérêt pour l’intégration régionale, offre 50 ans après la création de

la première organisation panafricaine, une cartographie originale des organisations

d’intégration sans équivalent sur les autres parties du monde. L’Afrique compte une

quinzaine de processus d’intégration qui partagent les mêmes régions, certaines

étendant leurs périmètres au-delà de leurs aires telles que définit par le Plan d’Action

de Lagos en 19801.

Le débat sur la méthode d’intégration entre le groupe de Casablanca et celui

de Monrovia s’est soldé par l’adoption d’un schéma par étapes successives faisant

des communautés économiques régionales, les piliers de la construction de cette

intégration. Cette logique a aboutit à une intégration qui se fait à des échelles

différentes notamment à trois niveaux. Il s’agit du niveau continental, régional et

sous-régional. L’objectif final étant l’établissement d’un marché commun africain

africaine à l’horizon 2028 telle que définie par le traité d’Abuja du 3 juin 1991 portant

création de la Communauté économique africaine. L’intégration africaine est aussi

marquée par avec une cohabitation entre des organisations d’intégration ayant

pour fondement les fédéralismes coloniaux et celles créées à l’initiative des pays

africains eux-mêmes. L’une des régions concernées par cette cohabitation est

l’Afrique Centrale.

L’Afrique Centrale est une zone géographique qui sur le plan institutionnel est

structurée en trois organisations : la CEEAC, la CPGL et la CEMAC2. Si la CEEAC

1 Celui-ci avait divisé l’Afrique en cinq régions : l’Afrique centrale, occidentale, orientale, septentrionale et

méridionale. Or, les organisations comme la SADC recrutent ses membres dans presque toutes les régions. C’est

aussi le cas du COMESA, de la CENSAD. On parle alors d’organisations transrégionales.2CEEAC : Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale avec 10 Etats membres : les 6 de la CEMAC

plus l’Angola, le Burundi, Sao-Tomé et Principe, la République Démocratique du Congo.

CPGL : Communauté des Pays des Grands Lacs.

CEMAC : Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale avec six Etats : Tchad, Cameroun,

Gabon, République centrafricaine, Congo et Guinée Equatoriale ayant une monnaie commune le Franc CFA.

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est la seule reconnue officiellement par l’UA3, il reste que le processus est en

construction dans la CEMAC en dépit de la rationalisation en cours dans la région.

La CEMAC, objet de notre analyse, est au sens de Mvomo Ela un « continuum

historique dont les leviers sont tenus par la France4 ». L’histoire de l’intégration dans

ce qu’il appelle l’ « Afrique centrale latine » montre que la première initiative remonte

le 07 Décembre 1959 avec la signature de la convention de Brazzaville portant

création de l’Union Douanière Equatoriale (UDE), qui elle s’enracine dans le

fédéralisme colonial équatorial nommé AEF (Afrique Equatoriale Française) .C’est

cette UDE qui se transforme en UDEAC (Union Douanière des Etats de l’Afrique

Centrale) le 8 décembre 19645 . La Guinée Equatoriale, ancienne colonie espagnole,

adhère à l’UDEAC en Juin 1984.

Le contexte national des Etats membres de l’UDEAC caractérisé par la crise

économique, les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) et la dévaluation du

Franc CFA dans les années 1990 ainsi que le contexte international marqué par la

chute du mur de Berlin et la montée en puissance du capitalisme ont favorisé le

passage de l’UDEAC à la CEMAC. Ainsi, le 16 Mars 1994 à N’djamena par la

signature du Traité portant création de cette organisation, les Etats membres

comptent «  donner une impulsion nouvelle et décisive au processus d’intégration en

Afrique Centrale6 ». Dans cette volonté, les Etats de la CEMAC font de l’Europe un

référent pour la réalisation de leur processus. L’architecture institutionnelle actuelle

de l’organisation en est une preuve. Ce constat nous amène à aborder la

problématique de l’intégration en Afrique Centrale zone CEMAC dans une

perspective comparée à la construction européenne. L’intégration européenne,

modèle de la CEMAC, est un processus dont la réussite qui fait l’objet de l’admiration

des autres groupements régionaux, tient à la supranationalité. Cette supranationalité

semble manifestement être absente dans le processus en zone CEMAC, hormis

dans le domaine monétaire. Le paradoxe de la symétrie institutionnelle de forme qui

3 L’UA a en effet reconnait officiellement 14 communautés économiques régionales.4 Mvomo Ela, « Histoire et géopolitique de l’intégration en Afrique centrale zone CEMAC : l’impératif d’une

refondation », Cahiers juridiques et politiques, Revue de la Facultés des Sciences juridiques et politiques de

l’Université de Ngaoundéré , les Editions Rousseau, Décembre 2011, p 309.5 Au départ, 5 pays étaient membres de l’UDEAC. La Guinée Equatoriale, colonie espagnole, devient membre en

Juin 1984.6 Préambule du traité.

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s’accompagne d’une asymétrie de fond nous amène à nous interroger sur la

question de la place de la supranationalité dans le processus d’intégration en zone

CEMAC. Peut-on réussir l’intégration régionale sans supranationalité ? A la lumière

de l’expérience européenne, quel type de supranationalité peut favoriser la

réalisation des objectifs de la CEMAC ? Et comment y parvenir ? Telles sont les

interrogations auxquelles nous nous attèlerons à répondre dans ce travail. L’idée de

fond qui structure ce travail vise à montrer que la réussite de l’intégration est

indissociable de la supranationalité (I). Ce qui revient à faire un bref aperçu sur l’état

de la supranationalité dans la CEMAC dont l’absence explique en partie le bilan

mitigé de l’UEAC7 et risquerait de compromettre la matérialisation du marché

commun (II). D’où la proposition à l’analyse de l’expérience européenne de l’adoption

d’une approche supranationale sectorielle dans le domaine agricole (III) au regard

de l’importance de ce secteur susceptible d’apporter une nouvelle dynamique dans le

processus centrafricain.

I) INTEGRATION REGIONALE ET SUPRANATIONALITE : UN LIEN INDISSOCIABLE

Il existe un lien étroit entre l’intégration régionale et la supranationalité. Pour

mieux comprendre ce rapport, il importe de clarifier ces deux concepts.

L’intégration régionale, un concept polysémique aux formes variées

L’intégration régionale est un concept à la fois simple et complexe à définir du

fait même de son caractère protéiforme. De manière générale, l’intégration signifie

déléguer une partie de ses compétences souveraines à une entité régionale. C’est

dans ce sens qu’Ernst Haas la considère comme un processus consistant pour les

acteurs étatiques à « transférer leurs allégeances, attentes, et activités politiques

vers un centre nouveau dont les institutions ont, ou cherchent à avoir, compétence

sur les Etats nationaux préexistants8 ». Bien plus, l’intégration est un phénomène

multidimensionnel, graduel aux caractéristiques l’opposant à la coopération.

Dans son aspect multidimensionnel, « elle apparait comme un mécanisme à

travers lequel plusieurs acteurs, s’étant rassemblés pour former un nouvel acteur,

délèguent à celui-ci des compétences étendues dans des domaines et secteurs

7 UEAC : Union Economique de l’Afrique Centrale.8 Dario Battistella, Théories des relations internationales, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2012, p. 425.

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d’activités variés, englobant des matières aussi diverses et variées que l’économie,

l’agriculture, l’éducation, la culture ; la science, la technique, l’environnement, les

infrastructures, la défense, le droit, la politique, la sécurité, l’immigration etc9 ». Cette

approche fait ressortir le fait que l’intégration peut être économique, sectorielle ou

politique avec pour dénominateur commun la fusion et non l’addition. En dépit de

cette définition, il convient de souligner que l’intégration est d’abord un processus de

nature économique, d’où l’attention particulière que lui consacre la littérature. Cette

dernière est définie comme étant « l’élimination des frontières économiques entre

deux ou plusieurs économies10 ». Ce qui consiste à supprimer progressivement les

barrières tarifaires et non-tarifaires aux échanges entre les Etats d’un même accord

commercial régional. Cette intégration économique est appréhendée sur deux

angles : l’intégration réelle et l’intégration monétaire11.La première est celle des

marchés des biens et services, des marchés du travail et la seconde est comme son

nom l’indique une intégration monétaire dans un espace institutionnalisé.

L’intégration sectorielle renvoie à l’adoption des politiques communes. Il s’agit au

sens de Charles Zorgbibe d’un « fédéralisme fonctionnel » et de Guy Mvelle d’une

« intégration fonctionnelle »12 qui consiste à réaliser l’intégration dans un secteur

donné. L’intégration politique quant à elle, concerne la politique étrangère, celle de

sécurité et de défense et l’union politique entre plusieurs entités étatiques qui s’inscrit

dans la perspective du fédéralisme.

L’intégration a aussi un aspect graduel. En effet, il convient de dire que ce

gradualisme peut être perçu de deux manières à la lumière de la théorie économique

et de l’intégration européenne. D’une part, selon la théorie économique de

l’intégration, elle est un processus évolutif se décomposant en cinq étapes allant de

la zone de libre échange à l’union économique et monétaire en passant par l’union

douanière, le marché commun et l’union monétaire. Il convient de signaler

9 Narcisse Mouelle Kombi, « l’intégration régionale en Afrique centrale. Entre interétatitisme et supranationalité »

in Hakim Ben Hammouda, Bruno Bekolo- Ebe et Touna Mama (ed.) L’Intégration régionale en Afrique centrale.

Bilan et perspectives, Paris, Karthala,2003, p. 218. 10 Commission de l’UA, Etat de l’intégration en Afrique, Juillet 2011, p. 15.11 Séraphin Magloire Fouda, « Des arrangements institutionnels pour une véritable intégration en Afrique.

Quelques pistes » in Hakim Ben Hammouda, Bruno Bekolo- Ebe et Touna Mama (Sous la direction)

L’Intégration régionale en Afrique centrale. Bilan et perspectives, Paris, Karthala, 2003, p. 197. 12 Guy Mvelle, L’Union africaine. Fondements, organes, programmes et actions, Paris, Harmattan, 2007, p. 53.

Charles Zorgbibe est également cité par le même auteur à la page 51.

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néanmoins que la réalité en Afrique montre à suffisance que ces étapes telles que

schématisées par Bela Balassa ne sont pas nécessairement suivies dans cet ordre.

D’autre part, le gradualisme ne saurait se limiter à la définition de ces étapes. C’est

ce que nous révèle la théorie fonctionnaliste de l’intégration européenne. Il s’agit en

fait du Spill-over ou de l’engrenage dont parlait David Mitrany qui n’est rien d’autre

qu’un gradualisme sectoriel. Ceci signifie que l’intégration dans un secteur entraine

progressivement celle des autres secteurs connexes ou proches. Tout compte fait,

quelque soit la nature de l’intégration, elle présente des caractéristiques qui

l’opposent fondamentalement à la coopération.

Au lendemain de la création de la CEEAC, le Professeur Maurice Kamto

rappelait déjà que « intégration n’est pas synonyme de coopération13 ». Ceci fait

l’unanimité de la communauté scientifique quelque soit la partie du globe dans

laquelle on se trouve. La question est qu’est-ce-qui diffère les deux concepts ? De

manière classique, la coopération est une addition des acteurs et vise la

coordination14 des politiques. De ce fait, les organisations de coopération « ne

disposent pas de compétences s’étendant aux domaines les plus sensibles ; leurs

organes n’ont ni autonomie par-rapport aux Etats membres, ni de pouvoir de

décision et leur droit doit être reçu par les Etats pour être applicable à leurs

ressortissants15 ». Par conséquent, il est évident qu’il n y a pas de fusion dans la

coopération. Ce qui nous amène à présenter les traits caractéristiques de

l’intégration.

L’intégration se caractérise par le transfert de compétences à une nouvelle

autorité ou à ce que Galtung appelle « un nouvel acteur ». Elle est donc indissociable

de la supranationalité qui tire son essence de l’institution de la « Haute Autorité

nouvelle dont les décisions lieront la France, l’Allemagne et les pays qui

adhéreront16… ».En d’autres termes, le transfert de compétences implique que

« l’Etat renonce définitivement à certaines de ses compétences qui sont attribuées à

13 Maurice Kamto, « La Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale, une Communauté de plus? » in

Annuaire français de droit international, volume 33, 1987, p 859.Version en ligne www.persee.fr.14 Ahmed Mahio, « La Communauté économique africaine » in Annuaire français de droit international, volume

39, 1993, p 811. Version en ligne www. persée .fr15 Guy Mvelle, op cit., p 95. L’ONU a cependant au travers du Conseil de Sécurité un pouvoir de décision en

matière de paix et de sécurité. Ce qui constitue une exception.16 Déclaration de Robert Schumann du 9 mai 1950.

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la Communauté17 » qui jouit par ricochet des compétences exclusives. Toutefois,

l’organisation dispose des compétences qui peuvent aussi être partagées ou

complémentaires18. Emerge alors deux acteurs principaux aux rôles précis et

déterminés. D’un coté les Etats et de l’autre coté ce qu’il convient d’appeler la

communauté.

Par ailleurs, l’intégration se caractérise par l’autonomie des organes de

l’institution par rapport aux Etats membres. Mais, cette autonomie ne signifie pas une

déconnexion totale avec les gouvernements puisque la Conférence des Chefs d’Etat

et de gouvernement ou le Conseil de Ministres sont aussi des organes communs

mais d’émanation gouvernementale. Donc, on peut réaffirmer avec force que la

coopération n’est pas l’intégration. De ce fait, l’intégration ne peut dans son sens

global être dissociée de la supranationalité et ne peut même se concrétiser en

l’absence de celle-ci. Alors, qu’est-ce-que la supranationalité et qu’implique-t-elle ?

L’interdépendance entre supranationalité et réussite de l’intégration régionale La supranationalité comme l’intégration est à la fois simple et complexe à définir.

Globalement, elle désigne un mode de gouvernance dans lequel les institutions ou

organes communs ont des pouvoirs sur les Etats membres. Mais bien plus, elle peut

être de forme juridique et politico-institutionnelle19. Sous la forme juridique, elle

signifie que les règles communautaires sont au-dessus des normes nationales avec

l’effectivité du principe de l’application directe. Dans ce sens, le système juridique de

la communauté est de nature fédérale. Sur le plan politico-institutionnel, elle renvoie

à un transfert de compétences aux organes et institutions autonomes qui sont dotés

d’un pouvoir de décision20.

Au regard de ce qui précède, la supranationalité implique que la communauté

doit disposer des compétences exclusives, partagées et/ou complémentaires. Mais

davantage de compétences exclusives même si elles sont quantitativement

17 Communication de Denys Simon in Société Française de Droit International (SFDI), les compétences de l’Etat

en droit international : actes du 39ème colloque de l’Université de Rennes 1 du 2 au 4 juin 2005, p 81. 18 Les compétences exclusives : l’organisation agit seule ; les compétences partagées : les Etats agissent tant

que la communauté ne le fait ; les compétences complémentaires : le pouvoir de décision appartient aux Etats,

l’action de l’organisation sert juste à coordonner celle des Etats. Voir à ce sujet Joël Rideau, Droit institutionnel

de l’Union et des communautés européennes, Paris, L.G.D. J, 2002.PP 486-487.19 Edward Best, “supranational institutions and regional integration”. Version électronique sur www. eclac.cl ,p.320 Edward Best, ibid, p 8.

8

inférieures aux autres dans le processus le plus avancé au monde (l’Union

européenne, créatrice de la supranationalité). Il y a donc un rapport qui existe entre

la communauté et les Etats.

Ainsi, le transfert des compétences et l’autonomie des organes montrent que

l’intégration ne peut se faire sans supranationalité. C’est dans ce sens que Guy

Mvelle attribue le synonyme d’organisations supranationales aux organisations

d’intégration. Ceci étant, il convient de faire un bref aperçu de la supranationalité

dans le processus d’intégration en Afrique Centrale latine donc la CEMAC.

II) BREF APERCU DE LA SUPRANATIONALITE DANS LE PROCESSUS D’INTEGRATION EN ZONE CEMAC.

Comme nous l’avons dit précédemment, la réussite de l’intégration nécessite la

supranationalité qui ne peut se dissocier de celle-ci. Dès lors, Il convient de faire un

état des lieux de la supranationalité dans le processus centrafricain en allant sur la

base qu’il existe une union monétaire et une union économique.

Une supranationalité indiscutable dans l’intégration monétaire L’intégration monétaire en Afrique centrale bien que tributaire de l’existence du

FCFA est caractérisée par une supranationalité même si d’aucuns pensent qu’elle

n’a pas été voulue par les Etats mais imposée par la France qui voulait continuer à

garder le contrôle sur ses anciennes possessions. Loin de rentrer dans le débat sur

la viabilité de la zone franc, il demeure que l’exercice des compétences exclusives

par l’UMAC en matière monétaire est réel..

Le transfert des compétences dans ce domaine «  couvre trois domaines :

l’émission monétaire, la politique monétaire et la réglementation bancaire21 ». Les

Etats membres se sont ainsi dessaisis de l’exercice de leur compétence monétaire

au profit de la communauté. Il y’a d’une part une autorité d’émission monétaire, la

BEAC, qui a «Le privilège exclusif de l’émission monétaire sur le territoire de chaque

Etat membre de l’Union Monétaire22 … ». D’autre part, la Commission Bancaire

d’Afrique Centrale (COBAC) qui se charge de la réglementation et du contrôle avec

un pouvoir de sanction de l’activité bancaire et de la microfinance23.

21 Mouelle Kombi, op cit., p 228.22 Article 21 de la convention de l’UMAC (Union Monétaire de l’Afrique Centrale).

23 Article 31 de la convention de l’UMAC.

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Pour Séraphin Fouda, la réussite de l’intégration de manière globale est

tributaire de l’existence d’une agence de restriction qu’il définit comme étant : « une

institution chargée de contraindre les membres d’un bloc régional constitué non

seulement à respecter les engagement pris dans le cadre des accords de

coopération signés, mais aussi à donner des gages de crédibilité de ces pays ou

blocs partenaires ». Ce qui suppose « implicitement ou explicitement » deux choses :

l’existence ou la définition des sanctions et les moyens de coercition. Il distingue

toutefois trois types d’agence de restriction : interne, externe et hybride24. Ainsi, selon

lui, l’intégration monétaire marche parce que «  la France sert d’agence de

restriction ». La France à son sens est l’autorité supranationale, a-t-il tort ou raison ?

S’il est vrai que la BEAC est relation étroite avec le Trésor français, il n’est pas

moins vrai qu’elle est et reste parce qu’institution commune, l’autorité supranationale

de l’intégration monétaire en zone CEMAC. L’autre agence de restriction interne est

par exemple la COBAC. Donc, le succès de l’intégration monétaire s’explique « par

le caractère intégral et sans équivoque du transfert de compétences à l’UMAC25 ».

Absence de supranationalité et bilan mitigé de l’intégration au sein de l’UEAC En restant dans la même logique, l’on peut alors attribuer le bilan mitigé de

l’intégration réelle ou la réalisation du marché commun à l’absence de

supranationalité de la communauté. Cette hypothèse se vérifie aussi bien dans la

nature du modèle d’intégration qu’en matière de transfert de compétences aux

organes.

Au sein de l’UEAC, le processus est essentiellement du type

intergouvernemental se caractérisant par un schéma de coordination et de

coopération. Or, ce sont deux  mécanismes classiques de l’inter étatisme . La

convention de l’UEAC en son article 8 consacré aux principes de l’Union atteste de

cette réalité26. Cette approche intergouvernementale fait que « le sommet de la

hiérachie institutionnelle (…) est occupé exclusivement par les représentants

24 Séraphin Fouda, op cit. , p197.25Mouelle Kombi, ibid., p 228.26 Article 8 : « L’Union agit dans la limite des objectifs que le Traité de la CEMAC et la présente convention lui

assignent. Elle respecte l’identité nationale de ses Etats membres. Les organes de l’Union Economique et les

institutions spécialisées de celle-ci édictent, dans l’exercice des pouvoirs normatifs que la présente convention

attribue, des prescriptions minimales et des règlements cadres, qu’il appartient aux Etats de compléter entant que

de besoin, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. »

10

gouvernementaux27 » De plus, il n’y a pas la présence des compétences exclusives

à la communauté comme c’est le cas dans l’UMAC28. Or, la construction européenne

qui est le modèle de la CEMAC29 montre à suffisance que la répartition des

compétences est un élément essentiel pour la réussite d’un processus. La difficulté

de concrétisation du processus au sein de l’UEAC peut alors se comprendre. Car le

poids des Etats et la prépondérance de la Conférence des Chefs d’Etats30 entrainant

la faiblesse des institutions et organes de la communauté ne peut avoir un impact

réel sur le processus. En clair, il y a une absence de supranationalité dans l’UEAC.

Ce qui ne constitue pas une garantie pour la réussite du processus d’intégration.

Le système institutionnel de la CEMAC calqué sur le modèle européen au

niveau de la forme ne l’est pas sur le fond et est caractérisé par une faiblesse vis-à-

vis des Etats. Créer des organes et institutions sur le modèle européen sans en doter

des compétences réelles et exclusives est un problème. Les Etats sont les maitres

absolus du processus en Afrique Centrale dans l’UEAC, le transfert de compétences

étant presqu’inexistant. Cette situation se vérifie davantage avec l’inexistence de

véritables politiques communes. Tout ceci peut expliquer en partie le bilan mitigé du

processus d’intégration en zone CEMAC. Pourtant, « Le transfert de souveraineté à

une structure supranationale chargée de conduire à bon port le navire de l’intégration

constitue la toile de fond de tout succès en matière d’intégration31».

Il y a un déficit de supranationalité qui est une faiblesse structurelle du processus

d’intégration africaine en général et centrafricain en particulier. Mais pourquoi ? A lire

le Traité CEMAC et la convention de l’UEAC, les Etats veulent garder leurs

compétences souveraines. Ce qui constitue un paradoxe pour l’effectivité du marché

commun.  Alors que faire ? Puisque le processus d’intégration « implique autant

des aspects commerciaux et macroéconomiques que les politiques sectorielles32 »,

27 Ousmane Oumarou Sidibé, « L’intégration en Afrique de l’Ouest. Evolution des questions institutionnelles et

politique » in Bintou Sanankoua (ed.), Les Etats nations face à l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest.Le cas

du Mali,Paris, Karthala, 2007,p 25.28 UMAC : Union Monétaire de l’Afrique Centrale.29 En effet, dans le préambule le Traité parle de l’Europe comme modèle.30 Kwamé Kouassi voit dans cette prépondérance ce qu’il qualifie de « présidentialisme panafricain » que nous

pouvons qualifier ici de « présidentialisme centrafricain ».31 René N’Guettia Kouassi, « L’Intégration en Afrique: pourquoi peine-t-on à l’accélérer ? » in Revue africaine de

l’intégration, Volume 5, No. 1, Octobre 2011, pp 68-69.32 Barthélémy Biao, « Intégration régionale en Afrique centrale » In Hakim Ben Hammouda… L’Intégration

régionale en Afrique centrale. Bilan et perspectives, Paris, Karthala, 2003, p.23

11

nous proposons à la lumière de la construction européenne le passage à un modèle

supranational sectoriel susceptible de permettre la réalisation des objectifs de la

CEMAC.

III) POUR UNE APPROCHE SUPRANATIONALE SECTORIELLE DE L’INTEGRATION EN AFRIQUE CENTRALE CEMAC.

Le constat qui ressort de l’intégration européenne est que le transfert de

compétences a eu lieu parce que les Etats percevaient clairement les gains à le

faire. Ce postulat nécessite la prise en compte des réalités centrafricaines, des

besoins des Etats avant de proposer l’adoption d’une Politique Agricole Commune

contextualisée à l’image de la PAC européenne comme voie pour la supranationalité

en Afrique Centrale.

La prise en compte des réalités centrafricaines Les Etats africains doivent être compris : ils ont des problèmes internes que les

dirigeants cherchent à résoudre prioritairement. Certains, ont des problèmes internes

d’ordre sécuritaire. D’autres, sinon la majorité ont des problèmes d’ordre économique

et sociaux qui ne sauraient être comparées aux problèmes socio-économique

européens. Il est donc évident qu’entant que des hommes politiques, la résolution

des problèmes internes est ce qui préoccupe davantage les Chefs d’Etat. C’est

pourquoi pour une nouvelle dynamique de l’intégration régionale, il faudrait tenir

compte de ces réalités et non les ignorer et re-penser l’intégration en Afrique selon

l’environnement qui prévaut.

L’histoire de la construction européenne nous apprend que chaque acteur du

moins étatique doit trouver son intérêt dans l’intégration. Il faut donc être réaliste et

accepter le fait que les Etats entant qu’acteurs rationnels regardent plus aux gains.

S’ils sont supérieurs, ils n’hésitent pas à se dessaisir de l’exercice d’une compétence

donnée. L’instauration de la Haute Autorité nouvelle dans la CECA faisait l’unanimité

parce que l’intérêt de chacun était satisfait et qu’il y avait un objectif clair à atteindre.

La question est alors, pourquoi les Etats de la CEMAC transféreraient-ils des

compétences à la communauté ?

Pour répondre à cette question, il faut bien sûr considérer les disparités

géographiques, économiques, démographiques même si des similitudes culturelles

sont avérées. Mais, la culture ne suffit. Il s’agit d’une question de gains réels. Les

12

hésitations des Etats à effectuer par exemple une libre circulation des personnes

sans être encouragées peuvent néanmoins s’expliquer ; puisque la population n’est

pas en terme numérique la même dans les six Etats. Un autre élément important à

considérer est la réalité selon laquelle les Etats centrafricains sont attachés à leurs

souverainetés et ne sont pas prêts à accepter des transferts de compétence. Vu

sous cet angle, l’adoption des politiques communes au sens de l’expression serait

une autre solution pour réaliser le marché commun. Pourquoi vouloir faire à tout prix

comme les autres alors que les réalités invitent à une autre façon de faire  ? Nous

rejoignons Daniel Bach qui pensait il y’a dix ans aujourd’hui que « l’Afrique doit

trouver sa propre voie d’intégration33 »

Le modèle d’intégration européenne dans sa philosophie et ses méthodes

interpelle à un passage d’une intégration intergouvernementale à une intégration

supranationale sectorielle. Toutefois, l’importation de ce modèle nécessite au

préalable « l’identification des éléments transférables » et l’examen de « la capacité

de la zone réceptrice à adopter un tel dispositif34 ». Ainsi, la considération des

besoins primordiaux et communs des Etats centrafricains est un préalable pour la

définition d’un supranationalisme bénéfique pour l’intégration.

L’identification des besoins primordiaux et communs des Etats centrafricains

Plusieurs critères doivent guider le choix et l’identification des secteurs où les

besoins des Etats de toute la communauté sont évidents. Il s’agit prioritairement des

critères de nécessité, de faisabilité, de rentabilité et de partage commun35. Il est vrai

que les besoins des Etats centrafricains sont multiples, mais tous ne peuvent

constituer des éléments centraux pour le passage à un modèle supranational de

l’intégration. Il faut tenir compte de ceux qui, répondant aux critères suscités,

peuvent par leur communautarisation contribuer «  au développement harmonieux

33 Daniel Bach, « La crise des OIG et le besoin de repenser les grands schémas de l’intégration en Afrique »

synthétisé in Résultats de la conférence internationale organisée par le Centre de Recherche pour le

développement internationale à Dakar (Sénégal) du 11 au 15 Janvier 1993, synthèse par Momar-Coumba Diop et

Réal Lavergne, Septembre 1993, p.45.34 Bernard Yvars, « L’Union européenne et le Mercosur, deux voies spécifiques d’intégration et d’insertion dans

la mondialisation » in Pascal Kauffmann, Bernard Yvars, Intégration européenne et régionalisme dans les pays

en développement, Paris, Harmattan, 2004, p 201.35 Ces critères nous ont été inspirés de la méthode de la construction européenne.

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des Etats » voulu et proclamé par les Chefs d’Etat de la CEMAC à l’article 2 du traité

révisé.

A juste titre on peut citer comme besoins communs : l’autosuffisance alimentaire,

le développement des industries, les infrastructures, la consolidation des

démocraties. Mais, la sensibilité de la question de la démocratie rend difficile sa

communautarisation à moins qu’à l’image de l’intégration européenne, elle devient

une condition d’adhésion à l’organisation. Cependant, la problématique de la

conditionnalité n’est pas à l’ordre du jour dans les processus d’intégration en Afrique

que ce soit au niveau continental, régional ou sous-régional.

Il convient de rappeler que dans la philosophie des Etats africains, l’intégration

régionale est un moyen pour servir le développement des Etats c’est-à-dire pour les

aider à satisfaire leurs besoins. Il suffit d’observer les traités constitutifs des

organisations d’intégration africaine et notamment l’article 2 de celui de la CEMAC36.

L’intégration est un moyen et non un but. Si l’intégration est un but, alors la réalité

c’est-à-dire que les Etats sont des acteurs rationnels qui ne restent et s’adonnent

dans un cadre que parce qu’ils y gagnent est perdue de vue. C’est pourquoi,

l’intégration régionale devrait en Afrique, aider les Etats à réaliser les besoins

communs qui auront certainement un impact dans la manière de faire l’intégration, et

dans la perception par les populations des bienfaits de l’intégration. Car, les

populations africaines du moins centrafricaines ne voient pas concrètement ce que

leur apporte l’intégration37. Or, l’approche de l’intégration comme solution aux

besoins communs des Etats apportera certainement une autre conception de

l’intégration qui boosterait véritablement ce processus. Certes, beaucoup d’efforts

ont été fait jusqu’ici mais ça ne marche pas comme cela devrait. Pourquoi ? La

réponse à cette question étant complexe, on peut néanmoins noter que cette lenteur

et négligence ou non appropriation par les acteurs du processus est dû au fait que

tous ne voient pas clairement l’intérêt à s’intégrer même si les entreprises et

hommes d’affaires perçoivent les avantages en termes de marché

Ce qui prouve à suffisance que les actions des Etats sont guidées par le gain et

rien d’autre. L’intégration régionale doit donc être un moyen, une boite à solution aux

besoins des Etats et des populations et non autre chose. C’est pourquoi sans rompre

36 Cet article dispose : « La mission essentielle de la Communauté est de promouvoir la paix et le développement

harmonieux des Etats membres, dans le cadre de l’institution de deux unions… »37 C’est de nous.

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avec les schémas classiques de l’intégration, nous proposons une nouvelle manière

de la faire c’est-à-dire une intégration qui se fait par le sectoriel au travers de

l’adoption des politiques communes. Il s’agit en fait d’un supranationalisme sectoriel

à l’image de celui européen avec une répartition des compétences claire entre les

Etats et la communauté. De ce fait, l’un des besoins pour tous les Etats de la

CEMAC identifié en rapport avec les critères plus haut présentés est celui de

l’autosuffisance alimentaire. D’où la proposition du passage d’une stratégie agricole

commune à une politique agricole commune à l’image de celle européenne.

La stratégie agricole commune prise au piège de l’inter gouvernementalisme

«  Des arrangements agricoles sont apparus dans des groupements

régionaux38 » dont la CEMAC qui au travers de la Conférence des Ministres en

charge du secteur agricole39 a adopté la stratégie agricole commune. Le document

contenant la définition de cette stratégie fait ressortir le caractère

intergouvernemental de cette stratégie: «  la CEMAC a assis son intégration

économique sur la coordination des politiques agricoles nationales.. ». Le concept

de coordination refait surface et traduit le caractère intergouvernemental de

l’intégration. D’ailleurs, l’article 6 paragraphe (e) parle d’un « processus de

coordination des politiques nationales… » dont l’agriculture. Pourtant le document

fait un diagnostic de l’agriculture et fait ressortir les difficultés ou contraintes qui

minent le secteur dans cet espace en termes de quantité et de qualité. Il mentionne

ainsi la faiblesse de la production dans les filières viandes, produits halieutiques,

vivrières, maraichères et légumineuse. Ce qui contraste fortement avec les

potentialités40 de la zone à produire ces filières. Et donc, la stratégie

intergouvernementale est insuffisante sinon incapable de dynamiser le secteur et de

38 Jean Balié et Anna Ricoy, « Concrétiser les politiques agricoles communes africaines », Économie rurale

2/2010 (n° 316), p 21. URL : www.cairn.info/revue-economie-rurale-2010-2-page-21.htm

39 Ce fut à Douala, République du Cameroun, du 21 au 23 juillet 2003 sous la présidence du feu Ministre d’Etat

chargé de l’Agriculture de la République du Cameroun , Augustin Frédéric Kodock. Voir communiqué final de la

dite conférence.40 Voir à ce sujet l’étude menée par une équipe de scientifiques et experts nationaux des Etats membres et des experts internationaux sous le patronage de la FAO et la CEMAC intitulé : Développement agricole et Sécurité alimentaires durables dans l’espace CEMAC. Stratégie sous-régionale pour l’organisation et la mise en œuvre d’un réseau d’échange de connaissances et de technologies agricoles, 2009.

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faire de lui un pilier de l’intégration régionale en Afrique Centrale. Ceci d’autant plus

qu’il a pour objectifs de lutter contre l’insécurité alimentaire, la dépendance de la

zone du marché extérieure, l’amélioration de la qualité des produits pour une

conformité aux exigences du marché international. Se limiter à une coopération dans

le secteur agricole, n’est pas une réponse appropriée aux attentes des Etats et des

populations et n’est pas bénéfique pour l’intégration dont la réussite est tributaire de

la supranationalité. D’où l’importance d’une supranationalité sectorielle en matière

agricole qui a des implications et surtout des bénéfices évidents pour le processus

centrafricain.

L’adoption et la mise en œuvre d’une Politique Agricole Commune comme voie pour la supranationalité en zone CEMAC.

A la lumière de l’histoire de la construction européenne, il ressort qu’elle s’est faite

à partir des secteurs et d’un projet minimaliste. D’une part, des secteurs de base

dont l’agriculture et l’énergie et d’autre part l’industrie lourde avec l’Acier.

L’intégration européenne s’est donc construite sur la base de la satisfaction des

besoins et la PAC est « l’expression de l’Europe supranationale41 » .A regarder le

processus africain en général nous sommes tentés de rejoindre Marc Louis Ropivia

qui pense qu’il « ne connait pas d’âme intérieure42 », le processus centrafricain

relevant de la prolongation des fédéralismes coloniaux. Malgré cela, toute conclusion

fataliste est à exclure car tout est possible et faisable, il suffit d’un peu de volonté et

de réalisme.

Fort de ce constat, l’adoption et la mise en œuvre d’une politique agricole

commune à l’image de celle européenne pourrait consolider le processus en cours

dans cette partie de l’Afrique d’autant plus qu’à l’origine, l’Europe était constituée

d’un nombre restreint des Etats qui numériquement ne sont pas éloignés du nombre

des Etats qui constituent la CEMAC. Car, l’importation des produits de première

nécessité est réelle et son impact sur le panier de la ménagère n’est plus à

démontrer .Pourtant, une certaine complémentarité existe dans ce secteur entre les

pays de la zone. Son développement serait alors un facteur d’expansion des

échanges intra-communautaires. L’opportunité pour un transfert de compétence

41 Hélène Delorme, « L’Europe agricole : du protectionnisme modernisateur au libéralisme compensé », p.1.

URL : www.ceri-sciences-po.org42 Marc Louis Ropivia, « Les contradictions du processus d’intégration en Afrique occidentale et centrale : une

étude comparée » in Jean Louis Ewangue, Enjeux géopolitiques en Afrique Centrale, Paris, Harmattan, p 38.

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dans le domaine agricole est réelle au regard du contexte. D’où la relativisation du

point de vue de Bernard Yvars selon lequel la PAC « ne peut être aujourd’hui un

modèle pour aucun des groupements régionaux43 ». Car même si elle est contestée,

elle fait l’unanimité quant à sa nécessité et son efficacité. Bien plus, sans elle,

l’Europe agricole ne serait pas aussi prospère et intégrée. D’où la proposition de

l’adoption d’une PAC qui aurait des implications.

Cadre prospectif des implications de la PAC L’adoption d’une PAC en zone CEMAC impliquerait un ensemble

d’aménagement et un transfert de compétences.

Pour ce qui est des aménagements, ils sont d’ordre interne et régional. Sur le

plan national une attention particulière doit être accordée à l’agriculture d’autant plus

que l’agriculture constitue l’une des principales activités de l’économie. Il faudrait un

travail de fond consistant sur deux éléments. Premièrement, identifier les

potentialités agricoles en termes de produits dans chaque Etat et procéder à un

abandon progressif des secteurs qui coutent plus chers à travailler qu’à importer. Il

s’agit donc d’un choix de spécialisation pour une meilleure production et

compétitivité. Deuxièmement, accorder un budget consistant aux ministères

d’agriculture et prendre au sérieux le fait que sans développement agricole, le

développement économique est contrarié ; le secteur agricole participant à la

croissance des autres secteurs.

Au niveau régional, les aménagements sont de deux ordres également.

Premièrement, il faudrait une répartition des tâches entre les Etats et la

communauté. Par conséquent une définition de la nature des compétences :

exclusives ou partagées. Mais la formule qui pourrait être adoptée au regard du

contexte devrait être à mi-chemin entre l’exclusivité et le partage. Dans le même

ordre d’idées, une répartition des tâches sectorielles au sein des institutions de la

CEMAC serait importante. L’organisation étant dotée des institutions spécialisées

dont la CEBEVIRHA, le PRASAC44, elles pourraient devenir les ramifications de la

commission qui serait alors dotée d’un pouvoir supranational. Pour cela, ces

institutions doivent être conduites à la lumière de l’approche fonctionnaliste de David

Mitrany par des ingénieurs agricoles des divers Etats qui constituent la

43 Bernard Yvars, op cit., p 205.44

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communauté. Ce qui conduit à proposer la création d’une Ecole Régionale

d’Agriculture où la répartition des places serait égalitaire pour éviter toute polémique.

Au-dessus de tout, il faudrait une refondation organique de la CEMAC et donc une

refondation juridique qui ne signifie rien d’autre qu’une révision du traité et surtout

une mise sur pied de dispositions explicites mettant en surface le partage des

compétences entre la communauté et les Etats comme dans la construction

européenne.

Deuxièmement, la question du financement de la PAC mérite une attention

particulière. Le mode de financement de la PAC européenne repose sur les droits de

douane à l’entrée, un prélèvement sur la TVA, une cotisation des Etats membres qui

est fonction du PIB, le budget étant communautaire. Sans faire un mimétisme

aveugle, la présence d’une Taxe communautaire d’Intégration au sein de la CEMAC

et la contribution des Etats sont déjà des atouts. L’adoption du principe de solidarité

financière45 est possible. Ce qui impliquerait « une communautarisation des

ressources financières46 » c’est-à-dire que « les Etats acceptent de contribuer au pot

commun sans regarder le retour budgétaire, pour financer des objectifs politiques qui

font consensus entre eux ».  Pour ce faire, une explication de l’importance de

l’adoption d’une politique agricole commune est nécessaire et pourrait même

déboucher sur un prélèvement sur les entreprises ou sur les travailleurs de la

communauté à hauteur par exemple de 1000 FCFA par mois tout en rendant visible

les bienfaits de cette participation. L’autre atout est l’apport des financiers internes à

la communauté comme la BDEAC (Banque de développement des Etats de l’Afrique

Centrale) et externe comme par exemple la BAD, ou bien d’autres encore. Toutes

ces implications nécessitent une clarification des bénéfices.

Les potentiels et probables bénéfices du passage à une supranationalité sectorielle dans le domaine agricole

45 La déclaration Stresa de 1958 en définit les bases : « Au nom de la solidarité européenne, tous les pays

membres de la CEE participent au financement des charges de la communauté telles que les prix garantis aux

agriculteurs ou encore des excédents ou encore la politique d’aide et d’amélioration des structures. Tous les

coups engendrés par la PAC doivent en effet être supportés en commun».46 Nadège CHAMBON, La PAC facteur de solidarité ou de désunion européenne ? Bilan des mécanismes de

solidarité créés par la PAC et pertinence après 2013, Projet « La solidarité européenne à l’épreuve », 2013, p 6.

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Les bénéfices du passage à un modèle supranational sectoriel dans le

processus d’intégration sont multiples et à divers niveaux et peuvent redynamiser le

processus.

Les enjeux de la mise sur pied d’une PAC pour les Etats de la CEMAC sont

économiques et sociaux. Sur le plan économique, l’adoption de la PAC pourrait

dynamiser la production au plan interne et résoudre la question des importations

alimentaires qui a une incidence sur le prix des produits à l’interne. Au niveau

régional, puis qu’on passera à une division du travail, il n’y aura pas de façon

absolue mais relative, une complémentarité propice au commerce intra-régional

facilitée quant à lui par les multiples projets infrastructurels routiers, ferroviaires,

portuaires et énergétiques en cours et en vue dans la région. Cet accroissement de

la production serait non-négligeable avec les infrastructures énergétiques pour le

développement des industries agro-alimentaires selon les spécialisations de chaque

Etat. Par ailleurs, l’adoption d’une PAC avec supranationalité peut permettre aux

Etats de la CEMAC de mieux défendre leurs intérêts face aux puissances comme les

Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon qui grâce aux fortes subventions et aux

barrières protègent leurs agriculteurs. Les Etats de la CEMAC pourraient par

exemple s’inspirer des mécanismes de la préférence communautaire47 adapté pour

une protection aux frontières48 et de l’unicité du marché de l’Union européenne pour

protéger leurs agriculteurs militant ainsi pour une sécurité alimentaire de la région.

Aussi, l’adoption de la PAC pourrait favoriser le développement des politiques

sanitaires et phytosanitaires en adoptant des règles pour la qualité des produits. Ceci

pour permettre à ces produits de se conformer aux exigences internationales et donc

de favoriser les exportations des produits centrafricains sur les marchés voisins,

européens, américains, chinois etc.

Les bénéfices sur le plan social sont certains. Le problème du chômage qui

mine à mal les Etats de la CEMAC pourrait être résolu du moins diminué. Ceci dans

la mesure où la main d’œuvre sera nécessaire. L’intégration régionale permettra

ainsi de réduire la pauvreté. Bien plus, la prospérité agricole aura un impact certain

sur le bien-être des populations et contribuera à résoudre en quelque sorte le

47 En effet la PAC a trois piliers : la solidarité financière, la préférence qui est une préférence accordée à la

production agricole européenne moyennant une protection uniforme aux frontières de la communauté ; et l’unicité

du marché qui renvoie à circulation entièrement libre des biens entre les Etats membres.48 Jean Balié et Anna Ricoy, op cit. , pp 33-34.

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problème de la faim. L’adoption d’une PAC peut être favorable aux migrations du

travail d’un point à l’autre de la communauté et de l’échange des connaissances

scientifiques entre les différents chercheurs des instituts de recherche agricole qui

pourrait se retrouver dans un cadre pour travailler davantage pour toute la

communauté. Au niveau des populations, les bénéfices sont évidents.

Principalement les paysans de la CEMAC vivront de leurs activités. Ce qui

impliquerait les populations rurales et la société civile dans le processus. Une

situation qui conduira certainement au développement d’un esprit communautaire qui

manque tant au processus africain en général et centrafricain en particulier. Ce qui

est d’ailleurs compréhensible puisque l’adhésion au processus est fonction des

bénéfices que les populations tirent de l’intégration. L’apport communautaire au

développement agricole pourrait changer radicalement l’image que les populations

de la CEMAC ont de la communauté c’est-à-dire une CEMAC des Chefs d’Etat. Bien

plus, la mise sur pied des organisations paysannes permettra une fusion des

intérêts et donc l’élimination des préjugés, stéréotypes pour créer une CEMAC des

peuples. Car la « CEMAC des peuples » ne peut se limiter à la libre circulation des

personnes mais à une appropriation de la communauté par les peuples des six Etats.

Les bénéfices sont aussi pour l’avenir de l’intégration régionale. L’adoption d’une

PAC parce qu’aboutissant à un transfert de compétence permettra certainement aux

institutions et organes communs d’avoir un impact réel sur le processus. Car, le

modèle supranational n’est rien d’autre que cela. Par ailleurs, par l’effet d’engrenage

les Etats pourront transférer au fur et à mesure des compétences sectorielles

connexes au secteur agricole. Par exemple, la formation, peut-être pas de tous mais

des ingénieurs agricoles. En voyant les bénéfices tirés de l’intégration, la perception

que les Chefs d’Etat ont de l’intégration changera de ce fait. L’Europe a commencé

par le charbon et l’acier, l’Afrique peut refonder l’intégration dans un autre secteur.

Aussi, la CEMAC est entrain de négocier les APE avec l’Union européenne49. Les

hésitations ou les craintes des Etats pour négocier réside dans le fait de

l’envahissement des produits européens dans le marché et la perte des recettes

douanières qui constituent une composante essentielle des budgets des Etats. Mais,

l’adoption d’une PAC avec la mise sur pied des principes de préférence

49 Voir à ce sujet DOUYA Emmanuel, HERMELIN Bénédicte, RIBIER Vincent, Impact sur l’agriculture de la

CEMAC et de Sao Tomé et Principe d’un Accord de Partenariat Economique avec l’Union européenne, Paris ,

Gret , mars 2006, 116 p.

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communautaire, de solidarité financière et d’unicité du marché, par l’impact que cela

aura sur la production agricole, le développement des industries va permettre une

compétitivité certaine propice au bien-être des populations. Avec une PAC aux

impacts certains, la crainte des APE n’aura plus de sens mais tout reste à faire. Ceci

d’autant plus que l’accent sur la qualité des produits pourrait augmenter le volume

des exportations vers l’UE, exportations qui sont limitées du fait de la qualité des

produits centrafricains.

CONCLUSION Nous voyons que la réussite d’un processus d’intégration régionale dépend

largement de la supranationalité. L’Europe, entant que modèle dans ce cadre, invite

les Etats africains et surtout centrafricains à revoir le modèle d’intégration

intergouvernemental. La conjugaison des réalités exige un modèle supranational

sectoriel basé sur les besoins communs avec pour but d’aider les Etats à les

satisfaire. L’un des secteurs qui ferait l’unanimité est l’agriculture, qui par l’adoption

d’une politique agricole commune à l’image de celle de l’Europe entrainerait

certainement un transfert de compétences au sein de l’UEAC. L’intégration

régionale, pour faire le consensus non pas déclaratoire mais concret de tous les

acteurs étatiques ou non-étatiques, doit être le médicament aux maladies des Etats

et des populations. Si cela est pris en compte, Les gains de l’intégration seront

perçues et l’intégration en Afrique en général et en Afrique Centrale en particulier a

un avenir et une place dans les cœurs de tous.

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