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L’Assommoir Émile Zola Livret pédagogique correspondant au livre élève n°55 établi par Anne Autiquet, agrégée de Lettres classiques

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L’Assommoir

Émile Zola

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre élève n°55

établi par Anne Autiquet,

agrégée de Lettres classiques

Sommaire – 2

S O M M A I R E

A V A N T - P R O P O S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3  

T A B L E D E S C O R P U S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4  

L E C T U R E E T C O R P U S C O M P L É M E N T A I R E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5  Lecture analytique : « Le grondement matinal de Paris » .................................................................................................................................. 5  

u Passage analysé ........................................................................................................................................................................... 5  u Lecture analytique de l’extrait ..................................................................................................................................................... 5  

Corpus : « Regards sur Paris au XIXe siècle » ...................................................................................................................................................... 7  u Lectures croisées .......................................................................................................................................................................... 7  u Travaux d’écriture ........................................................................................................................................................................ 9  

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 0  Bilan de première lecture (p. 464) ................................................................................................................................................................. 10  Extrait du chapitre I (pp. 12-13) .................................................................................................................................................................... 11  

u�Lecture analytique de l’extrait (pp. 5-6 du livre du professeur) ................................................................................................. 11  u�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 7 à 9 du livre du professeur) ................................................................................... 12  

Extrait du chapitre II (pp. 45 à 48) ................................................................................................................................................................. 15  u�Lecture analytique de l’extrait (pp. 67 à 69) .............................................................................................................................. 15  u�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 70 à 80) .................................................................................................................. 17  

Extrait du chapitre VI (pp. 178-179) .............................................................................................................................................................. 22  u�Lecture analytique de l’extrait (pp. 202 à 204) .......................................................................................................................... 22  u�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 205 à 214) .............................................................................................................. 23  

Extrait du chapitre XII (pp. 426 à 428) ........................................................................................................................................................... 27  u�Lecture analytique de l’extrait (pp. 430 à 432) .......................................................................................................................... 27  u�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 433 à 446) .............................................................................................................. 29  

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 4  Les cafés ........................................................................................................................................................................................................ 34  Les femmes au travail .................................................................................................................................................................................... 35  La caricature .................................................................................................................................................................................................. 35  L’adaptation cinématographique .................................................................................................................................................................. 36  

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 8  

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2011. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

L’Assommoir – 3

A V A N T - P R O P O S

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes ; analyse d’une ou deux questions préliminaires ; techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. L’Assommoir, en l’occurrence, permet d’étudier le genre du roman au XIXe siècle, de s’intéresser particulièrement à la construction du personnage de roman, de travailler sur différents registres (tragique, pathétique) et d’étudier le mouvement naturaliste et son contexte historique et culturel, tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture… Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « Dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder, en classe, à une correction du questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement d’une lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupements de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

Table des corpus – 4

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus Composition du corpus Objet(s) d’étude et niveau(x)

Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques

Regards sur Paris au XIXe siècle (p. 7 du dossier du professeur)

Texte A : Extrait du chapitre I de L’Assommoir d’Émile Zola (p. 5 du livre du professeur). Texte B : Extrait de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert (p. 7). Texte C : Extrait de La Curée d’Émile Zola (pp. 7-8). Texte D : Extrait de Bel-Ami de Guy de Maupassant (p. 8).

Le roman au XIXe siècle : réalisme et naturalisme (Seconde) Le personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours (Première)

Questions préliminaires 1. Quels lieux et aspects de Paris ces quatre textes décrivent-ils ? 2. Quels sentiments des personnages ces descriptions reflètent-elles ? Commentaire Vous étudierez l’atmosphère qui se dégage de Paris au cours de cette promenade, puis vous décrirez le portrait que l’on peut faire de Bel-Ami à travers cet extrait ?

L’alcool : promesse de vie, menace de mort (p. 70)

Texte A : Extrait du chapitre II de L’Assommoir d’Émile Zola (p. 45, l. 212, à p. 48, l. 302). Texte B : « Sur un banquet », extrait des Odes d’Anacréon (p. 71). Texte C : Extraits du Cinquième Livre de François Rabelais (pp. 71-73). Texte D : « L’Âme du vin », extrait des Fleurs du mal de Charles Baudelaire (pp. 73-74). Texte E : Extrait du Sublime de Denis Poulot (pp. 74-75). Texte F : Extrait de Toine de Guy de Maupassant (pp. 75-77). Texte G : Extrait du Docteur Pascal d’Émile Zola (pp. 77-78). Document : Edgar Degas, L’Absinthe (pp. 78-79).

Le roman au XIXe siècle : réalisme et naturalisme (Seconde)

Questions préliminaires 1. Quelle relation l’homme entretient-il avec le vin ou l’alcool dans chaque texte ? 2. Quels sont les effets de l’alcoolisme ou de l’ivresse dans chaque extrait et dans le document ? Commentaire Vous montrerez en quoi cette scène est vue et interprétée par le docteur Pascal, puis vous expliquerez les étapes et la conclusion de son raisonnement.

Représentations du travail ouvrier (p. 205)

Texte A : Extrait du chapitre VI de L’Assommoir d’Émile Zola (p. 178, l. 237, à p. 179, l. 293). Texte B : Extrait des Manuscrits parisiens de 1844 de Karl Marx (pp. 206-207). Texte C : Extrait de « Melancholia » de Victor Hugo (pp. 207-208). Texte D : Extrait de L’Enfant de Jules Vallès (pp. 208-209). Texte E : Extrait de Germinal d’Émile Zola (pp. 209-210). Texte F : Extrait de Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (pp. 210-212). Document : Une forge de Fernand Cormon (p. 212).

Le roman au XIXe siècle : réalisme et naturalisme (Seconde) Le personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours (Première) La question de l’homme (Première)

Questions préliminaires 1. Par quelles métaphores et comparaisons les textes C, E et F illustrent-ils le « travail aliéné » expliqué dans le texte B ? 2. Par quelles images la maîtrise et le plaisir du travail sont-ils illustrés dans les textes A et D ? Commentaire Vous analyserez comment le réalisme de la description suscite la compassion du lecteur, puis vous montrerez par quels moyens s’exprime l’indignation du poète.

Un motif de dénouement tragique (p. 433)

Texte A : Extrait du chapitre XII de L’Assommoir d’Émile Zola (p. 426, l. 922, à p. 428, l. 1007). Texte B : Extrait de Tristan et Iseut de Béroul et Thomas (pp. 434-435). Texte C : Extrait de La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette (pp. 435-437). Texte D : Extrait d’On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset (pp. 437-439). Texte E : Extrait du Docteur Pascal d’Émile Zola (pp. 439-441). Texte F : Extrait de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (pp. 441-445).

Le roman au XIXe siècle : réalisme et naturalisme (Seconde) Le personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours. (Première).

Questions préliminaires 1. Comment l’amour est-il confronté à la mort dans ces extraits ? 2. En quoi peut-on dire, dans chaque texte, qu’il est trop tard ? Commentaire Vous montrerez en quoi le dialogue entre M. de Clèves et sa femme est pathétique, puis vous analyserez les aspects du tragique dans ce texte.

L’Assommoir – 5

L E C T U R E E T C O R P U S C O M P L É M E N T A I R E S

L e c t u r e a n a l y t i q u e : « L e g r o n d e m e n t m a t i n a l d e P a r i s »

u Passage analysé

Extrait du chapitre I (p. 12, l. 38, à p. 13, l. 71, du livre de l’élève) : « Et, pieds nus, sans songer à remettre ses savates tombées, elle retourna s’accouder à la fenêtre, elle reprit son attente de la nuit, interrogeant les trottoirs, au loin. L’hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle, à gauche de la barrière Poissonnière. C’était une masure de deux étages, peinte en rouge lie de vin jusqu’au second, avec des persiennes pourries par la pluie. Au-dessus d’une lanterne aux vitres étoilées, on parvenait à lire entre les deux fenêtres : Hôtel Boncœur, tenu par Marsoullier, en grandes lettres jaunes, dont la moisissure du plâtre avait emporté des morceaux. Gervaise, que la lanterne gênait, se haussait, son mouchoir sur les lèvres. Elle regardait à droite, du côté du boulevard de Rochechouart, où des groupes de bouchers, devant les abattoirs, stationnaient en tabliers sanglants ; et le vent frais apportait une puanteur par moments, une odeur fauve de bêtes massacrées. Elle regardait à gauche, enfilant un long ruban d’avenue, s’arrêtant, presque en face d’elle, à la masse blanche de l’hôpital de Lariboisière, alors en construction. Lentement, d’un bout à l’autre de l’horizon, elle suivait le mur de l’octroi, derrière lequel, la nuit, elle entendait parfois des cris d’assassinés ; et elle fouillait les angles écartés, les coins sombres, noirs d’humidité et d’ordure, avec la peur d’y découvrir le corps de Lantier, le ventre troué de coups de couteau. Quand elle levait les yeux, au-delà de cette muraille grise et interminable qui entourait la ville d’une bande de désert, elle apercevait une grande lueur, une poussière de soleil, pleine déjà du grondement matinal de Paris. Mais c’était toujours à la barrière Poissonnière qu’elle revenait, le cou tendu, s’étourdissant à voir couler, entre les deux pavillons trapus de l’octroi, le flot ininterrompu d’hommes, de bêtes, de charrettes, qui descendait des hauteurs de Montmartre et de la Chapelle. Il y avait là un piétinement de troupeau, une foule que de brusques arrêts étalaient en mares sur la chaussée, un défilé sans fin d’ouvriers allant au travail, leurs outils sur le dos, leur pain sous le bras ; et la cohue s’engouffrait dans Paris où elle se noyait, continuellement. Lorsque Gervaise, parmi tout ce monde, croyait reconnaître Lantier, elle se penchait davantage, au risque de tomber ; puis, elle appuyait plus fortement son mouchoir sur la bouche, comme pour renfoncer sa douleur. »

u Lecture analytique de l’extrait Le premier chapitre fait entrer le lecteur directement dans l’histoire, dans un incipit « in medias res », où Gervaise, le personnage principal, attend avec angoisse son compagnon Lantier qui a découché, la laissant seule dans une chambre misérable avec ses deux enfants, Claude et Étienne. Cet extrait fait partie de l’ouverture de L’Assommoir et fournit des informations et des repères nécessaires au lecteur pour comprendre le roman. Avec l’indication de la construction de l’hôpital Lariboisière, on peut déterminer l’année du début du roman : 1850, un an avant le coup d’État du prince Napoléon, qui met fin à la IIe République et entraîne la proclamation du Second Empire, période qui délimitera la série des Rougon-Macquart. Zola plante ici un décor précis pour son roman, décrivant par les yeux de Gervaise le quartier ouvrier de la Goutte-d’Or vu d’en haut. Selon les règles de l’incipit du roman naturaliste, le narrateur s’efface pour donner l’impression que les faits sont livrés en toute objectivité. Ici, il s’efface au profit du point de vue du personnage principal, Gervaise, qui scrute le quartier par sa fenêtre. L’attitude de la jeune femme, qui reflète les sentiments qui l’envahissent, donne au lecteur des indications sur sa personnalité. Cet incipit naturaliste accorde, en outre, une place importante aux éléments symboliques. Car la description zolienne n’est pas une simple reproduction de la réalité : « Une œuvre d’art, écrit-il dans Mon Salon (1866), est un coin de la création vue à travers un tempérament. » Zola ne propose pas seulement « une tranche de vie », mais sa narration comporte un vrai travail d’artiste qui joue avec différents sens, avec les symboles et même avec l’esthétique impressionniste. L’incipit de L’Assommoir, proposant la confrontation du personnage principal et de l’espace du roman, en annonce les thèmes principaux. Des signes prémonitoires de l’échec de Gervaise sont déjà présents dans cette première vision sur le quartier. Dans le symbolisme des lieux apparaît une société où le personnage est déterminé par ses origines et son milieu.

Une description réaliste du cadre de l’action a D’après les indications qui sont données, précisez les limites du quartier. z Quels termes soulignent la misère et la saleté du quartier ? e Relevez les couleurs dans le texte. Quelle signification ont-elles ? Quels autres sens sont aussi sollicités et comment ? r Dans quel milieu social se déroule l’action ? Quel champ lexical souligne le nombre d’ouvriers qui rentrent dans Paris ? Quel effet est ainsi produit ?

Le regard et le portrait de Gervaise t Quel point de vue narratif (ou focalisation) est à l’œuvre dans cette description ? Justifiez précisément votre réponse. Quelle est la situation de celle qui regarde ? y Précisez le temps employé pour décrire les actions de Gervaise et sa valeur. u Comment est suggérée la souffrance de Gervaise (tenue, attitude, gestes) ? Quel est, selon vous, son sentiment dominant ?

Lecture et corpus complémentaires – 6

La transfiguration naturaliste d’un quartier i En quoi peut-on dire que le quartier est fermé ? Quel effet est ainsi produit ? Quel élément peut symboliser l’espoir ? o Quels sont les seuls bâtiments qu’aperçoit Gervaise ? Quelle signification peut-on y voir ? q Par quelles images est suggérée la présence de la mort ? s Relevez et commentez les métaphores qui désignent les ouvriers rentrant dans Paris.

L’Assommoir – 7

C o r p u s : « R e g a r d s s u r P a r i s a u X I X e s i è c l e »

u Lectures croisées Nombreux sont les auteurs du XIXe siècle dont les romans se situent à Paris, dans des quartiers très divers, ainsi que l’illustrent ces quatre textes. L’extrait de L’Assommoir (texte A) dépeint le quartier de la Goutte-d’Or au nord de Paris, faubourg ouvrier très pauvre, encore en marge et à la périphérie de la capitale, marqué par l’entrée et la sortie des ouvriers par une porte du mur de l’octroi. Situé dans le centr-ville, le texte B présente le Paris historique des bords de la Seine, celui de l’île de la Cité et du Quartier latin jusqu’au Luxembourg. Zola montre, dans l’extrait de La Curée (texte C), la conception des transformations de Paris par Haussmann sous Napoléon III, qui modernisent la capitale de 1852 à 1870, superposant au vieux Paris la modernité des Grands Boulevards. L’État exproprie alors les propriétaires des terrains et détruit les immeubles pour construire de nouveaux axes. Le texte D décrit enfin le Paris populaire des Grands Boulevards, des cafés et des prostituées. La description prend peu à peu, au XIXe siècle, autant de place que la narration et le dialogue. Elle peut être objective et menée selon le point de vue d’un narrateur omniscient qui s’efface, ou subjective et guidée en focalisation interne par le point de vue d’un personnage, immobile ou en mouvement, se rapprochant ou s’éloignant, de plain-pied ou en surplomb. La description d’un lieu comme Paris permet de présenter le cadre spatial de la fiction au début d’un roman et de créer un effet de réel (textes A et D), de marquer une pause dans le temps au cours du récit (textes B et C), de caractériser les lieux par des indices précieux pour la compréhension de l’histoire (textes A, C et D). Elle peut aussi avoir une fonction symbolique, reflétant le point de vue d’un personnage dont elle révèle les sentiments et les projets (textes B, C et D) ou montrant le rapport social ou économique du personnage au monde extérieur (textes A, C et D). Elle peut ainsi révéler une vision de l’homme et du monde propre à l’auteur.

Texte A : extrait du chapitre I du livre premier du Rouge et le Noir de Stendhal (p. 5 du dossier du professeur ; p. 12, l. 38, à p. 13, l. 71, du livre de l’élève).

Texte B : Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale Gustave Flaubert (1821-1880), originaire de Rouen, est considéré comme le père du roman moderne. Retiré à Croisset en Normandie, ce travailleur infatigable comparait un auteur à Dieu, « présent partout, et visible nulle part ». Il s’entretint beaucoup de son travail littéraire dans sa correspondance avec sa « muse » : Louise Colet. Il fut attaqué en justice pour atteinte aux bonnes mœurs et acquitté de justesse pour son célèbre roman Madame Bovary (1857). Au début de L’Éducation sentimentale, Frédéric Moreau, jeune étudiant de province, est tombé amoureux de Mme Arnoux, épouse d’un marchand d’œuvres d’art. Il passe l’été dans une chambre rue Saint-Hyacinthe, à proximité du Louvre, en espérant la séduire.

Il passait des heures à regarder, du haut de son balcon, la rivière qui coulait entre les quais grisâtres, noircis, de place en place, par la bavure des égouts, avec un ponton de blanchisseuses amarré contre le bord, où des gamins quelquefois s’amusaient, dans la vase, à faire baigner un caniche. Ses yeux, délaissant à gauche le pont de pierre de Notre-Dame et trois ponts suspendus, se dirigeaient toujours vers le quai aux Ormes, sur un massif de vieux arbres, pareils aux tilleuls du port de Montereau. La tour Saint-Jacques, l’Hôtel de Ville, Saint-Gervais, Saint-Louis, Saint-Paul se levaient en face, parmi les toits confondus, – et le génie de la colonne de Juillet resplendissait à l’orient comme une large étoile d’or, tandis qu’à l’autre extrémité le dôme des Tuileries arrondissait, sur le ciel, sa lourde masse bleue. C’était par-derrière, de ce côté-là, que devait être la maison de Mme Arnoux. Il rentrait dans sa chambre ; puis, couché sur son divan, s’abandonnait à une méditation désordonnée : plans d’ouvrages, projets de conduite, élancements vers l’avenir. Enfin, pour se débarrasser de lui-même, il sortait. Il remontait, au hasard, le Quartier latin, si tumultueux d’habitude, mais désert à cette époque, car les étudiants étaient partis dans leurs familles. Les grands murs des collèges, comme allongés par le silence, avaient un aspect plus morne encore ; on entendait toutes sortes de bruits paisibles, des battements d’ailes dans des cages, le ronflement d’un tour, le marteau d’un savetier ; et les marchands d’habits, au milieu des rues, interrogeaient de l’œil chaque fenêtre, inutilement. Au fond des cafés solitaires, la dame du comptoir bâillait entre ses carafons remplis ; les journaux demeuraient en ordre sur la table des cabinets de lecture ; dans l’atelier des repasseuses, des linges frissonnaient sous les bouffées du vent tiède. De temps à autre, il s’arrêtait à l’étalage d’un bouquiniste ; un omnibus, qui descendait en frôlant le trottoir, le faisait se retourner ; et, parvenu devant le Luxembourg, il n’allait pas plus loin. Quelquefois, l’espoir d’une distraction l’attirait vers les boulevards. Après de sombres ruelles exhalant des fraîcheurs humides, il arrivait sur de grandes places désertes, éblouissantes de lumières, et où les monuments dessinaient au bord du pavé des dentelures d’ombre noire.

Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, 1869.

Texte C : Émile Zola, La Curée Au début du Second Empire, dans le Paris des travaux d’Haussmann, le promoteur Saccard fait fortune en achetant à bas prix les immeubles voués à la démolition.

Deux mois avant la mort d’Angèle, il l’avait menée, un dimanche, aux buttes Montmartre. La pauvre femme adorait manger au restaurant ; elle était heureuse, lorsque, après une longue promenade, il l’attablait dans quelque cabaret de la banlieue. Ce jour-là, ils dînèrent au sommet des buttes, dans un restaurant dont les fenêtres s’ouvraient sur Paris, sur cet océan de maisons aux toits bleuâtres, pareils à des flots pressés emplissant l’immense horizon. Leur table était placée devant une des fenêtres. Ce spectacle des toits de Paris égaya Saccard. Au dessert, il fit apporter une bouteille de bourgogne. Il souriait à l’espace, il était d’une galanterie inusitée. Et ses regards, amoureusement, redescendaient toujours sur cette mer vivante et pullulante, d’où sortait la voix profonde des foules. On était à l’automne ; la ville, sous le grand ciel pâle, s’alanguissait, d’un gris doux et tendre, piqué çà et là de verdures sombres, qui ressemblaient à de larges feuilles de nénuphars nageant sur un lac ; le soleil se couchait dans un nuage rouge, et, tandis que les fonds

Lecture et corpus complémentaires – 8

s’emplissaient d’une brume légère, une poussière d’or, une rosée d’or tombait sur la rive droite de la ville, du côté de la Madeleine et des Tuileries. C’était comme le coin enchanté d’une cité des Mille et Une Nuits, aux arbres d’émeraude, aux toits de saphir, aux girouettes de rubis. Il vint un moment où le rayon qui glissait entre deux nuages fut si resplendissant, que les maisons semblèrent flamber et se fondre comme un lingot d’or dans un creuset. – Oh ! vois, dit Saccard, avec un rire d’enfant, il pleut des pièces de vingt francs dans Paris ! Angèle se mit à rire à son tour, en accusant ces pièces-là de n’être pas faciles à ramasser. Mais son mari s’était levé, et, s’accoudant sur la rampe de la fenêtre : – C’est la colonne Vendôme, n’est-ce pas, qui brille là-bas ?… Ici, plus à droite, voilà la Madeleine… Un beau quartier, où il y a beaucoup à faire… Ah ! cette fois, tout va brûler ! Vois-tu ?… On dirait que le quartier bout dans l’alambic de quelque chimiste. Sa voix demeurait grave et émue. La comparaison qu’il avait trouvée parut le frapper beaucoup. Il avait bu du bourgogne, il s’oublia, il continua, étendant le bras pour montrer Paris à Angèle, qui s’était également accoudée à son côté : – Oui, oui, j’ai bien dit : plus d’un quartier va fondre, et il restera de l’or aux doigts des gens qui chaufferont et remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris ! vois donc comme il est immense et comme il s’endort doucement ! C’est bête, ces grandes villes ! Il ne se doute guère de l’armée de pioches qui l’attaquera un de ces beaux matins, et certains hôtels de la rue d’Anjou ne reluiraient pas si fort sous le soleil couchant, s’ils savaient qu’ils n’ont plus que trois ou quatre ans à vivre. Angèle croyait que son mari plaisantait. Il avait parfois le goût de la plaisanterie colossale et inquiétante. Elle riait, mais avec un vague effroi, de voir ce petit homme se dresser au-dessus du géant couché à ses pieds et lui montrer le poing, en pinçant ironiquement les lèvres. – On a déjà commencé, continua-t-il. Mais ce n’est qu’une misère. Regarde là-bas, du côté des Halles, on a coupé Paris en quatre… Et de sa main étendue, ouverte et tranchante comme un coutelas, il fit signe de séparer la ville en quatre parts. – Tu veux parler de la rue de Rivoli et du nouveau boulevard que l’on perce, demanda sa femme. – Oui, la grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l’Hôtel de Ville. Jeux d’enfants que cela ! C’est bon pour mettre le public en appétit… Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande danse. Le second réseau trouera la ville de toutes parts, pour rattacher les faubourgs au premier réseau. Les tronçons agoniseront dans le plâtre… Tiens, suis un peu ma main. Du boulevard du Temple à la barrière du Trône, une entaille ; puis de ce côté, une autre entaille, de la Madeleine à la plaine Monceau ; et une troisième entaille dans ce sens, une autre dans celui-ci, une entaille là, une entaille plus loin, des entailles partout. Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons, traversé par d’admirables voies stratégiques qui mettront les forts au cœur des vieux quartiers. La nuit venait. Sa main sèche et nerveuse coupait toujours dans le vide. Angèle avait un léger frisson, devant ce couteau vivant, ces doigts de fer qui hachaient sans pitié l’amas sans bornes des toits sombres.

Émile Zola, La Curée, 1871.

Texte D : Guy de Maupassant, Bel-Ami Georges Duroy, ancien officier désargenté, erre le soir dans Paris au début du roman et descend la rue Notre-Dame-de-Lorette.

C’était une de ces soirées d’été où l’air manque dans Paris. La ville, chaude comme une étuve1, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes2 infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces. Les concierges, en manches de chemise, à cheval sur des chaises en paille, fumaient la pipe sous des portes cochères, et les passants allaient d’un pas accablé, le front nu, le chapeau à la main. Quand Georges Duroy parvint au boulevard3, il s’arrêta encore, indécis sur ce qu’il allait faire. Il avait envie maintenant de gagner les Champs-Élysées et l’avenue du bois de Boulogne pour trouver un peu d’air frais sous les arbres ; mais un désir aussi le travaillait, celui d’une rencontre amoureuse. Comment se présenterait-elle ? Il n’en savait rien, mais il l’attendait depuis trois mois, tous les jours, tous les soirs. Quelquefois cependant, grâce à sa belle mine et à sa tournure galante, il volait, par-ci, par-là, un peu d’amour, mais il espérait toujours plus et mieux. La poche vide et le sang bouillant, il s’allumait au contact des rôdeuses qui murmurent à l’angle des rues : « Venez-vous chez moi, joli garçon ? » mais il n’osait les suivre, ne les pouvant payer ; et il attendait aussi autre chose, d’autres baisers, moins vulgaires. Il aimait cependant les lieux où grouillent les filles publiques4, leurs bals, leurs cafés, leurs rues ; il aimait les coudoyer, leur parler, les tutoyer, flairer leurs parfums violents, se sentir près d’elles. C’étaient des femmes enfin, des femmes d’amour. Il ne les méprisait point du mépris inné des hommes de famille. Il tourna vers la Madeleine et suivit le flot de foule qui coulait accablé par la chaleur. Les grands cafés, pleins de monde, débordaient sur le trottoir, étalant leur public de buveurs sous la lumière éclatante et crue de leur devanture illuminée. Devant eux, sur de petites tables carrées ou rondes, les verres contenaient des liquides rouges, jaunes, verts, bruns, de toutes les nuances ; et dans l’intérieur des carafes on voyait briller les gros cylindres transparents de glace qui refroidissaient la belle eau claire. Duroy avait ralenti sa marche, et l’envie de boire lui séchait la gorge.

Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885. 1. étuve : lieu clos où il fait une chaleur étouffante. 2. miasmes : émanations provenant de déchets ou d’eaux souillées. 3. L’actuel boulevard Haussmann. 4. filles publiques : prostituées.

Corpus Texte A : Extrait du chapitre I de L’Assommoir d’Émile Zola (p. 5 du livre du professeur). Texte B : Extrait de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert (p. 7). Texte C : Extrait de La Curée d’Émile Zola (pp. 7-8). Texte D : Extrait de Bel-Ami de Guy de Maupassant (p. 8).

L’Assommoir – 9

u Travaux d’écriture

Examen des textes a De quels points de vue Frédéric Moreau regarde-t-il les différents lieux décrits dans le texte B et en quoi reflètent-ils son état d’âme ? z Dans le texte C, en quoi peut-on dire que la ville de Paris apparaît comme un personnage de roman ? Observez, pour répondre, les comparaisons, métaphores et personnifications. e Quelle atmosphère se dégage de Paris en cette soirée d’été dans le texte D ? Appuyez-vous, pour répondre, sur les focalisations, les champs lexicaux et les images du texte.

Travaux d’écriture Question préliminaire Quels aspects de Paris ces quatre descriptions mettent-elles en valeur ? Quels sentiments des personnages reflètent-elles ?

Commentaire Vous ferez le commentaire de l’extrait de Bel-Ami de Guy de Maupassant (texte D).

Dissertation Les romanciers proposent souvent des descriptions de lieux très précises dans leurs romans. Pensez-vous que ces descriptions sont un simple décor ou qu’elles jouent un rôle plus important ? Justifiez votre point de vue en vous appuyant sur les textes du corpus et sur d’autres œuvres lues ou vues.

Écriture d’invention Bel-Ami (texte D) rencontre Frédéric Moreau (texte B) à l’issue de ces deux textes. Dans un dialogue, ils se parlent de leurs promenades, de leurs projets et de leur vision de Paris.

Réponses aux questions – 10

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 4 6 4 )

u Gervaise vit avec sa famille dans une petite chambre à l’hôtel Boncœur, sur le boulevard de la Chapelle, dans le quartier de la Goutte-d’Or. v Les railleries de Virginie à l’égard de Gervaise déclenchent la bagarre, alors que Gervaise vient d’apprendre au lavoir par ses enfants le départ de Lantier. Virginie est la sœur de la femme avec qui Lantier est parti. w C’est attablée à L’Assommoir que Gervaise expose, au chapitre II, son rêve de vie à Coupeau, en mangeant une prune à l’eau-de-vie. x La noce de Gervaise et Coupeau se rend au Louvre avant le banquet de mariage. y Gervaise et Coupeau emménagent d’abord, au chapitre IV, dans une grande chambre rue Neuve-de-la-Goutte-d’Or. U Coupeau glisse du toit, au chapitre IV, en se penchant pour voir la petite Nana qui l’appelait depuis le trottoir. V Le second logement des Coupeau est l’appartement de la blanchisserie que Gervaise loue au rez-de-chaussée de l’immeuble de la rue de la Goutte-d’Or. W Coupeau devient alcoolique à la suite de son accident. Après une longue convalescence, il n’arrive pas à se remettre à travailler et commence à boire par désœuvrement et par entraînement. Quand il reprendra le travail, il ne pourra plus perdre cette habitude. X Au chapitre VI, Gervaise va voir de temps en temps Goujet rue Marcadet, à la forge où il travaille et où il a pris son fils Étienne comme apprenti. at Virginie revient dans la vie de Gervaise, au chapitre VI, après avoir loué avec son mari l’ancien appartement des Coupeau, et elle parle à Gervaise de son ancien compagnon Lantier qui a rompu avec sa sœur. ak C’est à l’occasion de la fête de Gervaise, au chapitre VII, que Lantier revient chez elle en se faisant inviter à la fête par Coupeau, malgré les réticences de Gervaise. al Lantier revient régulièrement chez les Coupeau, au chapitre VIII, et partage peu à peu leurs repas au quotidien, jusqu’au jour où il annonce qu’il cherche un logement dans le quartier. Coupeau lui propose alors de partager leur logement et leur loyer, et Lantier accepte, malgré les réticences de Gervaise. am Quand, au chapitre VIII, Goujet lui propose de partir avec lui en Belgique, avant qu’elle ne redevienne la maîtresse de Lantier, Gervaise refuse par souci des conventions, disant qu’elle est mariée et mère de famille. Elle considère aussi sa proposition comme trop romanesque et éloignée de sa condition sociale. an Gervaise abandonne sa boutique, car, à l’issue d’une lente dégradation de son commerce et d’une accumulation de dettes, elle ne paie plus son loyer. Menacée d’expulsion, elle cède à Lantier qui manœuvre pour que Virginie reprenne sa boutique. ao Au chapitre X, les Coupeau louent une petite chambre au sixième étage de la maison de la Goutte-d’Or. ap Nana quitte ses parents pour se prostituer, poussée par la misère de ces derniers et par la brutalité de son père (chapitre XI). aq Lalie Bijard meurt des suites des coups répétés de son père (chapitre XII). ar Gervaise revoit Goujet au chapitre XII, à l’issue d’une errance dans Paris où elle a cherché à se prostituer parce qu’elle mourait de faim. Il l’emmène chez lui et lui donne à manger. Ils se quittent alors définitivement. as Coupeau meurt à l’hôpital Sainte-Anne d’un delirium tremens. bt Le Père Bazouge, le croque-mort, emporte Gervaise morte et la met en bière.

L’Assommoir – 11

E x t r a i t d u c h a p i t r e I ( p p . 1 2 - 1 3 )

u�Lecture analytique de l’extrait (pp. 5-6 du livre du professeur) u Le quartier est délimité, depuis l’hôtel Boncœur, d’un côté par le boulevard de la Chapelle, à gauche de la barrière Poissonnière, de l’autre par le boulevard de Rochechouart, et en face par l’hôpital Lariboisière en construction. Tout autour s’étend le mur de l’octroi. Au-delà de ce mur se trouvent les collines de Montmartre et de la Chapelle, d’où descendent les ouvriers venant travailler à Paris. Les lieux, dont les noms sont réels, correspondent à l’actuel XVIIIe arrondissement de Paris. Situé aux portes de la capitale, c’est un faubourg populaire, à la limite de la ville et des terrains vagues, qui possède sa vie propre, loin du centre. v La misère de l’hôtel Boncœur est soulignée par les « persiennes pourries », les « vitres étoilées », « la moisissure du plâtre ». La saleté apparaît dans « les coins sombres, noirs d’humidité et d’ordure », aux sens propre et figuré de « saleté physique et morale ». w Les couleurs contrastent violemment (« masure […] rouge lie-de-vin », « tabliers sanglants », « masse blanche de l’hôpital », « les coins […] noirs », « muraille grise », « poussière de soleil »), notamment le rouge (vin et sang), le noir (mort) et le blanc (maladie). La « muraille grise » évoque un monde triste. Même la lueur du soleil n’est que de la « poussière ». D’autres sens – l’odorat (« puanteur » et « odeur fauve ») et l’ouïe (« cris d’assassinés », « grondement matinal de Paris », « piétinement de troupeau ») – sont associés par une forme de synesthésie à la vue (l’odeur des abattoirs « fauve », la « poussière de soleil, pleine déjà du grondement matinal de Paris »). x Le milieu social est celui du peuple parisien : bouchers, « ouvriers allant au travail, leurs outils sur le dos, leur pain sous le bras ». Ils arrivent tôt le matin pour travailler dans Paris et marchent en formant une masse uniforme et continuelle. Cet aspect est souligné par le champ lexical de l’infini (« interminable », « ininterrompu », « sans fin », « continuellement »). L’effet produit est celui d’un nombre très important et d’une masse tellement uniforme que l’individu y est inexistant. y Zola utilise le point de vue de Gervaise et alterne les verbes de perception, dont elle est sujet, avec la description du quartier. Le passage est structuré par l’évocation de Gervaise à sa fenêtre cherchant Lantier : « interrogeant les trottoirs » ; « Elle regardait à droite » ; « Elle regardait à gauche » ; « elle suivait le mur […] ; et elle fouillait les angles » ; « Quand elle levait les yeux, […] elle apercevait » ; « Mais c’était toujours à la barrière Poissonnière qu’elle revenait ». De sa fenêtre, elle est en surplomb, en position dominante sur l’ensemble du quartier. U L’emploi de l’imparfait de répétition dans les passages concernant Gervaise indique que l’action dure depuis longtemps et s’est beaucoup répétée. V La souffrance de Gervaise est suggérée par sa tenue négligée (« pieds nus, sans songer à remettre ses savates tombées »), par l’usage du mouchoir (« son mouchoir sur les lèvres », « elle appuyait plus fortement son mouchoir sur la bouche ») et par sa position pénible, au bord du déséquilibre : accoudée à la fenêtre, elle « se haussait » pour voir, « le cou tendu » ; « elle se penchait davantage, au risque de tomber ». Gervaise éprouve à la fois désarroi et inquiétude. Elle observe le quartier « avec la peur d’y découvrir le corps de Lantier, le ventre troué de coups de couteau ». Elle semble démunie matériellement et affectivement. W Gervaise vit dans un espace clos limité par le boulevard de la Chapelle et la barrière Poissonnière, avec un horizon bouché : elle ne peut voir au-delà de l’hôpital et du mur de l’octroi. Les noms « mur », « muraille », « masse », « horizon » renforcent cette idée d’enfermement, symbolique de sa vie et de celle des ouvriers. Au-delà, c’est « le désert ». Gervaise est enfermée dans ce quartier dont elle va subir l’effet. Un faible espoir est symbolisé par le pâle soleil (« une grande lueur, une poussière de soleil ») qui peut évoquer un tableau impressionniste, comme l’un de ceux de Monet. X Les deux bâtiments qu’elle aperçoit sont l’abattoir (qui mène à la mort) et l’hôpital en construction (lieu de maladie et de mort). Ces deux lieux sont prémonitoires de son destin. at La description des lieux comporte des éléments évoquant la mort : abattoirs avec des bouchers aux « tabliers sanglants », odeur de « bêtes massacrées », « cris d’assassinés » derrière les murs de l’octroi. La présence de l’hôpital préfigure aussi la mort. ak Les ouvriers sortant de la ville sont figurés par la métaphore du fleuve (« couler […] le flot », « mares », « se noyait ») ainsi que par celle des animaux (« un piétinement de troupeau »). De plus,

Réponses aux questions – 12

hommes, bêtes et objets se mêlent dans « le flot ininterrompu d’hommes, de bêtes, de charrettes » – ce qui produit un effet de déshumanisation des individus.

u�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 7 à 9 du livre du professeur)

Examen des textes u La description en focalisation interne s’organise à partir du regard de Frédéric (« regarder », « ses yeux […] se dirigeaient toujours »), en position surplombante (« du haut de son balcon »). Son regard se fixe d’abord, avec une vision réaliste, sur la rivière triste et « grisâtre », polluée par la « bavure des égouts », la vase, le lavage des blanchisseuses et le bain des caniches. Puis son regard s’élargit : « délaissant » la Seine, il s’élève vers les arbres et les monuments parisiens, dont les couleurs (« étoile d’or », « masse bleue ») contrastent avec la grisaille de la Seine. Si la colonne de Juillet, qui « resplendissait à l’orient comme une large étoile d’or », célèbre de manière implicite la révolution de 1830, la « lourde masse » du dôme des Tuileries symbolise au contraire la monarchie. Cependant, c’est surtout sa quête de « la maison de Mme Arnoux » qui guide le regard de Frédéric. Puis, pour échapper à lui-même et à ses « projets sans suite », il observe le Quartier latin au cours d’une promenade. « Si tumultueux d’habitude », le quartier étudiant est désert pendant l’été, caractérisé par son « silence », l’aspect « morne » des collèges et l’inactivité des commerces : cafés « solitaires », cafetière qui « bâille », « carafons remplis » sans consommateurs, et journaux non lus. La rivière inspire donc le dégoût et la ville désertée respire l’ennui. Le désœuvrement de Frédéric, qui passe des heures à sa fenêtre et se languit de Mme Arnoux, reflète l’inactivité de la ville qui fait elle-même écho aux sentiments du personnage. v Paris est considéré ici comme un véritable personnage, sujet du roman La Curée. Paris semble d’abord aux yeux du narrateur, par métaphore, une femme dont Saccard est épris comme d’une conquête à venir : il « souriait à l’espace », « amoureusement ». La métaphore maritime « mer vivante » personnifie la ville qui « s’alanguissait » comme une femme amoureuse. Ensuite, la ville est personnifiée dans le discours de Saccard comme un naïf qui ignore qu’il va se faire dévorer par les spéculateurs : « Ce grand innocent de Paris » ; « il s’endort doucement » ; « C’est bête ces grandes villes ! Il ne se doute guère ». Enfin, toujours pour Saccard, Paris est animalisé comme une bête menée à l’abattoir pour le plus grand profit des hommes : « on a coupé Paris en quatre » ; « une entaille ; puis […] une autre entaille […] ; et une troisième […]. Paris haché […], les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons ». Aux yeux de sa femme, elle aussi encore innocente, apparaît bien alors le prédateur, le « couteau vivant » qui va s’acharner sur sa proie, Paris, future victime de la « Curée ». w Il règne une atmosphère irrespirable liée à la chaleur dans la ville entière : « l’air manque dans Paris ». En témoignent les champs lexicaux de la chaleur et de la soif (« ville, chaude comme une étuve » ; « suer » ; « nuit étouffante » ; « pas accablé » ; « sang bouillant » ; « accablé par la chaleur » ; « l’envie de boire lui séchait la gorge » ; « soif chaude »), des vêtements légers (« en manches de chemise » ; « le front nu, le chapeau à la main ») et des odeurs (« haleines empestées », « miasmes infâmes »), mais aussi la comparaison (« La ville, chaude comme une étuve ») et la personnification de la ville (la ville sue, les égouts soufflent et les cuisines jettent à la rue).

Travaux d’écriture

Question préliminaire 1. Aspects de Paris mis en valeur : – Les lieux : dans tous ces textes, les lieux mentionnés existent ou existaient au moment où les romans ont été écrits. Flaubert, dans le texte B, décrit le vieux Paris de la fin des années 1840. Zola, dans le texte A, brosse le tableau d’un quartier populaire de la capitale et, dans le texte C, montre une vue d’ensemble du centre de Paris, tandis que Maupassant, dans le texte D, nous entraîne dans les quartiers de « plaisirs » des boulevards, vers Notre-Dame-de-Lorette.

L’Assommoir – 13

– Les points de départ du regard : trois textes (A, B et C) montrent Paris de haut, vu d’une fenêtre ou de la colline de Montmartre ; deux autres montrent la ville au cours d’une promenade (textes B partiellement et D). – La perspective narrative : dans trois de ces textes, Paris est vu du point de vue d’un personnage en focalisation interne (Gervaise dans le texte A, Frédéric Moreau dans le B, Georges Duroy dans le D), tandis que c’est par un dialogue avec sa femme Angèle que Saccard présente sa vision de Paris (texte C). Le narrateur omniscient est cependant présent dans les textes C et D. – Des catégories sociales différentes apparaissent dans ces textes et représentent une ville où le brassage social est réel. Ainsi, la bourgeoisie est présente dans les textes C et B, les petits commerçants et les ouvriers dans les textes A, B et D, et une foule anonyme dans le texte D. – L’Histoire apparaît dans deux de ces textes : les transformations de Paris sous l’influence d’Haussmann (texte C) et, de manière implicite, des monuments marqués par l’Histoire (texte B). 2. Les visions de Paris reflètent les sentiments de celui qui regarde : – Le Paris de la Goutte-d’Or (texte A) est un quartier triste et plein de dangers aux yeux de Gervaise qui y cherche éperdument son compagnon, imaginant déjà sa mort. – Le texte D montre Paris comme une ville de plaisirs et de fête, mais très dure pour les pauvres et notamment pour George Duroy qui recherche les plaisirs mais ne peut encore y accéder. Sa soif symbolise sans doute son avidité de réussir. – Paris est présenté, dans le texte B, comme un lieu de promenade distrayant, mais douloureux par les rêves inassouvis qu’il suscite chez Frédéric Moreau (texte B). C’est pourquoi la ville porte la marque de son ennui, de ses dégoûts et de son oisiveté. – Dans le texte C, Paris est une ville enchanteresse qui est la proie des ambitions féroces du spéculateur Saccard et qui apparaît sous la forme d’une victime naïve et sans défense sous le regard du prédateur.

Commentaire

Introduction Le roman Bel-Ami s’ouvre sur un incipit « in medias res » qui présente le jeune Georges Duroy, ancien officier sans argent, errant dans Paris par une soirée d’été. Le narrateur met l’accent, lors de cette promenade parisienne dans une atmosphère étouffante, sur la personnalité de ce jeune ambitieux dont le roman va raconter l’ascension.

1. Un itinéraire dans Paris A. Une promenade habituelle Le récit de la promenade parisienne de Duroy, au passé simple, alterne avec de longs passages descriptifs à l’imparfait. Cette soirée d’été n’a rien d’exceptionnel (« une de ces soirées d’été »). La ville tout entière est plongée dans une chaleur étouffante. Duroy se dirige vers les boulevards, puis, après une première pause, le narrateur entraîne le lecteur dans l’évocation de ses désirs de rencontres et de ses habitudes amoureuses. La suite de sa promenade va permettre de décrire les cafés illuminés des boulevards près de la Madeleine. B. L’accent est mis sur des lieux réels de Paris Duroy veut prendre la direction des Champs-Élysées et du bois de Boulogne, lieux connus du lecteur, et se dirige, sans l’atteindre encore, vers la Madeleine, lieu symbolique où le roman se terminera par le mariage triomphant de Duroy. Les quartiers que Duroy traverse sont peu identifiés mais marqués comme populaires : le « boulevard », les cafés, les lieux de plaisirs « où grouillent les filles publiques ».

2. Une chaude soirée parisienne A. La soirée d’été parisienne est caractérisée par la chaleur Cette chaleur (« soirée d’été » ; « ville, chaude comme une étuve » ; « suer » ; « accablé par la chaleur »), soulignée par la description des personnages (« les concierges, en manches de chemise »), s’étend par des personnifications à la ville tout entière qui devient un personnage accablé par la chaleur du soir. Les tenues vestimentaires des Parisiens sont légères (« en manches de chemise » ; « le front nu, le chapeau à la main »). L’atmosphère est irrespirable, « étouffante » (« l’air manque dans Paris »), et les odeurs sont

Réponses aux questions – 14

écœurantes (« haleines empestées », « miasmes infâmes »). Duroy lui-même est dévoré par « une soif chaude » et par un feu intérieur (« le sang bouillant ») de conquêtes féminines et de réussite sociale. B. Les plaisirs de Paris Le quartier où marche Duroy est connu, au XIXe siècle, pour être fréquenté par les prostituées (« les rôdeuses », « les filles publiques »). D’autres plaisirs viennent des cafés, très fréquentés les soirs de canicule pour leurs boissons fraîches. Le nombre des consommateurs est évoqué par une métaphore liquide (« les grands cafés débordaient sur le trottoir, étalant leur public de buveurs »). Souffrant de la soif, Duroy se délecte à l’idée de boire (« la sensation délicieuse des boissons froides dans la bouche »), fasciné par les couleurs et la lumière des cafés (« lumière éclatante et crue de leur devanture illuminée », « belle eau claire »). Mais cette soif est aussi liée à son tempérament et à sa situation.

3. Un portrait en mouvement de Georges Duroy A. Un séducteur Duroy est séduisant, avec « sa belle mine » et « sa tournure galante ». Les prostituées l’interpellent par la formule « joli garçon », destinée aux clients potentiels. Le regard du narrateur souligne sa prestance, son air conquérant (« d’un air crâne et gaillard, il jugeait d’un coup d’œil ») et son souci de séduire (« tout en se dandinant avec grâce »). Il manifeste sa sensualité avec les prostituées, recherchant le contact physique (« il aimait les coudoyer », « flairer leurs parfums violents ») et la communication (« leur parler, les tutoyer »). B. Un ambitieux indécis C’est aussi un personnage ambitieux (« il attendait aussi autre chose, d’autres baisers, moins vulgaires ») qui espère une rencontre durable pour son ascension sociale. Sa soif le symbolise sans doute. Mais il est indécis, partagé entre son goût pour les prostituées et l’aspiration à autre chose. C. Un pauvre Sa situation sociale est, en effet, celle d’un homme pauvre. Les plaisirs qui le fascinent lui sont interdits et il doit renoncer à la fréquentation des prostituées comme à celle des cafés.

Conclusion Cette description permet de présenter les manques et les désirs de Bel-Ami, ce jeune homme séduisant mais pauvre, dont la suite du roman confirmera l’ambition insatiable, favorisée par d’heureuses rencontres.

Dissertation

Introduction Le sujet appelle à distinguer deux positions possibles du lecteur face à la description dans le roman. La description marque une pause dans la narration et ralentit l’action. Elle donne à voir, de façon détaillée, des lieux, des personnages ou des événements dans un récit. Or les descriptions de lieux dans un récit peuvent ennuyer le lecteur et créer le sentiment qu’elles ne sont qu’un simple décor. On peut penser qu’il ne se passe rien et « sauter » cette partie dont on ne comprend pas l’intérêt pour l’action. Mais on peut aussi s’interroger sur leurs différents rôles et considérer qu’ils sont complexes et essentiels à l’action. Nous examinerons quelles contributions les descriptions peuvent apporter au récit et en quoi la description joue un rôle plus complexe que le simple fait de planter un décor.

1. La description considérée comme un cadre A. La description plante un décor • Ce rôle est indispensable pour faire entrer le lecteur dans le roman et créer l’illusion du réel dans les romans réalistes et naturalistes. • Dans les romans historiques, la restitution de la couleur locale est essentielle. Le lecteur de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo a besoin d’être plongé dans un décor médiéval pour s’imprégner de l’histoire. De même, celui des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas ne peut se passer de la présentation de la cour du roi Louis XIII. B. La description peut avoir une fonction esthétique Le roman a une parenté avec la poésie : il s’agit de bien décrire les choses – beauté ou laideur de la nature ou de la ville (éloge de la ville moderne par Baudelaire en poésie et par Flaubert dans le roman), par exemple. C’est l’occasion, pour l’écrivain, d’employer des figures de style comme les

L’Assommoir – 15

métaphores et les personnifications : personnification de Paris dans les textes B (« la bavure des égouts », « les linges frissonnaient »), C et D. Ces figures de style permettent souvent de mieux comprendre les enjeux de la description.

2. Les fonctions de la description, indissociables de l’histoire A. La description est nécessaire à la mise en place de l’action (fonction narrative) Le rôle de l’incipit est de présenter avec profit les lieux et les personnages. Ainsi, dans Pierre et Jean de Maupassant, la mer n’est pas seulement un cadre mais presque un personnage qui semble dialoguer avec Pierre. C’est sur la mer qu’ont lieu les événements importants et sa description annonce l’imminence de l’action. Dans Bel-Ami, la description de Paris permet d’annoncer les goûts, le tempérament et les manques de Georges Duroy, et prépare l’imminence de ses premières rencontres. B. La description des lieux informe et documente Le roman réaliste puis naturaliste veut reproduire au plus près le réel à la manière des techniques du journalisme. Zola s’est beaucoup documenté sur la Goutte-d’Or avant d’écrire L’Assommoir et il utilise un plan précis du quartier pour intégrer une description informative à la narration (texte A). C. La description des lieux donne à réfléchir (visée argumentative) Certaines descriptions comportent une visée argumentative d’éloge ou de blâme. Dans le texte C du corpus, l’assimilation de Paris à une belle femme ou à un trésor semble valoriser la ville, alors qu’elle va être en fait la proie sans défense et naïve du spéculateur sans scrupule. D. La description des lieux reflète les états d’âme des personnages Paris reflète pour Gervaise (texte A) la crainte de la mort, pour Frédéric (texte B) son ennui et sa langueur amoureuse, pour Saccard (texte C) son ambition démesurée, et pour Bel-Ami (texte D) sa soif de rencontres féminines et d’ascension sociale. E. La description des lieux participe à la création de l’atmosphère romanesque L’atmosphère brûlante et étouffante de Paris un soir d’été fait sentir la soif de Bel-Ami au début de ce roman d’ascension sociale, et l’excitation cupide qui s’empare de Saccard à la vue de Paris donne sa tonalité à La Curée. F. La description possède une valeur symbolique La transformation en symbole est produite par l’animation de l’objet inanimé au moyen de métaphores. Chez Zola, le puits de la mine du Voreux dans Germinal devient une image moderne du Minotaure qui prélève son tribut de chair humaine parmi les mineurs. La description de l’alambic dans L’Assommoir en fait un monstre symbolique de la destruction des ouvriers par l’alcoolisme.

Conclusion Outre leur fonction esthétique, les descriptions de lieux ont donc une fonction d’ancrage du récit dans la réalité. Elles permettent de mieux connaître les personnages au travers de leurs sentiments et réactions face aux milieux qu’ils affrontent et peuvent faire surgir des atmosphères et des symboles.

Écriture d’invention On attend des élèves qu’ils introduisent correctement leur dialogue dans le récit et qu’ils réfléchissent : – au lieu de la rencontre, qui peut être emprunté aux textes de Maupassant ou de Flaubert, mais aussi aux circonstances ; – aux caractéristiques des personnages : recherche des points communs et des différences (quête d’argent et de plaisir chez Georges Duroy, errance sans but et désœuvrement de Frédéric amoureux) ; – au contenu du dialogue : d’abord échange d’informations et de confidences étayées par le contenu des deux textes, et peut-être discussion et échange d’arguments sur un sujet lié à la vie parisienne ; l’un des interlocuteurs peut porter sur le peuple de Paris ou certains aspects de la capitale un regard critique, tandis que l’autre peut prendre la défense des Parisiens.

E x t r a i t d u c h a p i t r e I I ( p p . 4 5 à 4 8 )

u�Lecture analytique de l’extrait (pp. 67 à 69) u Mes-Bottes raille Coupeau qui offre à boire à Gervaise, le considérant déjà comme faisant la cour à sa « connaissance », et Coupeau se montre gêné, craignant sans doute que celui-là ne gâche ses projets.

Réponses aux questions – 16

Gervaise et Coupeau se font d’abord des confidences sur leur histoire passée, puis elle exprime ses projets d’avenir qui sont approuvés par Coupeau, comme s’il se sentait déjà l’homme de la situation. v Gervaise exprime comme seul rêve des désirs très modestes : travailler, manger à sa faim, avoir un toit, bien élever ses enfants, ne pas être battue et mourir dans son lit. Coupeau se contente d’approuver vivement les désirs de Gervaise comme s’il les partageait et de s’engager à ne pas la battre, arguant de son amour pour elle et de sa sobriété. Leurs souhaits sont mis en valeur par le discours direct. w Gervaise exprime à deux reprises ses projets de vie (l. 253 à 265 et l. 297-298). Entre les deux se situe la longue description de l’alambic, que Gervaise ne peut s’empêcher de regarder et dont Coupeau lui explique le fonctionnement, suivie de celle des ivrognes fascinés par cette machine. Par cette interruption significative, on peut comprendre que l’alcoolisme sera l’obstacle essentiel à la réalisation des projets de Gervaise. x Gervaise, en évoquant l’alcoolisme de sa mère, et Coupeau, celui son père, mort de son ivrognerie, annoncent déjà la lourde hérédité qui pèse sur eux, un des piliers scientifiques de la théorie naturaliste de Zola, qui étudie dans ses romans les formes diverses que prend le déterminisme de l’alcoolisme héréditaire. y Gervaise exprime d’abord son dégoût (« c’est vilain de boire ») dans cet air chargé d’alcool et de fumée et l’explique par son passé, puis elle manifeste la curiosité d’aller voir l’alambic de près comme s’il la fascinait. Elle recule finalement, saisie d’un frisson d’épouvante prémonitoire devant la machine à soûler. Coupeau se montre sage et méfiant vis-à-vis de l’eau-de-vie (vitriol, absinthe), s’appuyant lui aussi sur l’exemple familial, et semble déterminé à ne pas se laisser tenter par ses camarades de bistrot. Cependant, il explique complaisamment à Gervaise le fonctionnement de l’appareil. On constate donc chez les deux personnages un mélange de répulsion et d’intérêt pour l’alambic qui préfigure déjà leur destin. U La scène se situe dans un cabaret, L’Assommoir, au coin de la rue des Poissonniers et du boulevard de Rochechouart, dont le patron est le père Colombe et les clients des ouvriers. V Dans la première partie du texte, les habitués sont présentés collectivement de manière impersonnelle (pronom indéfini « on », « les buveurs », « des sociétés »). Ils boivent ou attendent de commander leur tournée et sont décrits à travers leur bruit et leurs éclats de voix, leurs gestes (coups de poing), leur posture (debout, en groupes serrés), la position de leurs mains (croisées sur le ventre ou derrière le dos). Plus loin (l. 277 à 288) sont décrits les camarades de Coupeau, accoudés et ricanant, et plus précisément Mes-Bottes avec son rire (« de poulie mal graissée ») et sa position (« hochant la tête, fixant l’alambic »), ainsi que ses propos d’ivrogne. W Le langage populaire : – tournures syntaxiques familières : phrases sans sujet (« Suffit ! »), désignations par « ce […] de […] » (« cet aristo de Cadet-Cassis », « ce roussin de père Colombe », « cet animal de Mes-Bottes ») ; – interjections : « Hein ! », « Bonsoir ! », « voilà ! », « Dame ! » ; – juron : « Tonnerre de Dieu ! » ; – vocabulaire familier : « aristo », « une rude tape », « qui a du linge », « épater sa connaissance », « m’embête », « mon bonhomme », « par-ci par-là », « cochonneries », « blaguer », « écrabouillé », « trimé », « bedon », « se tenir le gosier au frais », etc. ; – argot : « mufes », « cheulards », « ribote », « roussin », « un fichu grelot » ; – figure de style : métaphores (« ce gros bedon de cuivre », « les dés à coudre »). X Les relations entre les habitués de l’Assommoir sont familières, rudes et fondées sur la taquinerie et les plaisanteries un peu grasses. Ils taquinent ainsi Coupeau et Gervaise. at et ak Coupeau explique le fonctionnement de l’alambic à Gervaise avec des détails sur chaque pièce, notamment sur la cornue de l’appareil et le filet d’alcool qui en coule. L’environnement de la machine (« la barrière de chêne », « sous le vitrage clair de la petite cour »), sa matière et sa couleur (« cuivre rouge »), sa forme (« enroulement sans fin de tuyaux ») et son bruit (« un ronflement ») sont aussi décrits précisément. Le projet naturaliste de Zola s’exprime ici par la précision de détails qui font vrai et le souci de reproduire minutieusement le réel.

L’Assommoir – 17

al L’assommoir est, au sens propre, un piège « qui assomme ». Métaphoriquement, c’est le nom de l’alcool qui assomme (le vitriol) et, plus largement, c’est la « mauvaise société » que Gervaise comparera à un assommoir. C’est aussi, par métonymie, le nom du café du père Colombe. am Les regards successifs sur l’alambic sont ceux de Gervaise (l. 268 à 270), de Coupeau qui lui explique son fonctionnement (l. 270 à 273), du narrateur qui le personnifie comme un travailleur de l’ombre et qui peut se confondre avec le regard de Gervaise (l. 273 à 277), de Mes-Bottes portant sur la machine un œil attendri d’alcoolique (l. 281-287), et, à nouveau, le regard visionnaire du narrateur (l 288 à 292) – ou de Gervaise ? Gervaise exprime enfin, au style direct, son impression sur l’alambic (l. 292 à 295). an Gervaise manifeste d’abord de la curiosité, puis une certaine inquiétude à travers la personnification de l’alambic, et elle exprime enfin un recul et un frisson d’effroi. ao L’assimilation de l’alambic à un monstre et à un travailleur se fait à travers une métaphore filée : par sa cornue énorme, contrastant avec le filet qui en coule, sa couleur rouge, la forme étrange de ses récipients, l’enroulement de ses tuyaux et son « souffle intérieur », il prend une allure inquiétante de monstre silencieux et muet, qui émet un « ronflement souterrain ». Mais c’est aussi un « travailleur » maléfique effectuant une « besogne de nuit faite en plein jour » et qui semble triste et sinistre (« sombre », « morne »). ap Mes-Bottes est attendri par l’alambic qu’il personnifie comme une mère nourricière pourvue d’un « gros bedon », qu’il voudrait téter à l’infini, dans un rêve d’ivresse totale. Ce rêve et son rire, comparé à une « poulie mal graissée », le déshumanisent aussi en le confondant lui-même avec la machine. Le discours indirect libre (l. 281-282 et l. 285 à 287), par ses images et sa liberté syntaxique et lexicale, restitue toute l’expressivité de la verve populaire. aq Le narrateur voit, par une comparaison, le filet d’alcool devenir « source lente et entêtée » et envahir peu à peu Paris dans un avenir inéluctable (« à la longue devait »). La gradation entre les trois termes « la salle », « les boulevards extérieurs », « le trou immense de Paris » renforce cette progression irrésistible. ar L’évocation du phénomène surnaturel de métamorphose de l’alcool en source qui inonde Paris ainsi que la crainte provoquée par cet envahissement confèrent à ce passage une dimension fantastique. as Cette image visionnaire et fantastique de l’alambic symbolise l’alcoolisme, fléau qui ravage le monde ouvrier, et prend, au début du roman, une dimension prémonitoire du destin de Gervaise et Coupeau avec un caractère d’avertissement. Cette vision déterministe sert les conceptions naturalistes de Zola.

u�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 70 à 80)

Examen des textes et de l’image u Le poète s’exprime par le « je » dans le texte d’Anacréon. L’ivresse (Bacchus) est pour lui un état privilégié associé à la joie, à l’amour (Cypris) et à l’inspiration poétique (les Muses) : le vin lui apporte la consolation des soucis, lui permet de chanter le bonheur et l’amour, de se parer (d’une couronne et de parfums) et d’aimer les femmes. L’ivresse favorise aussi la gloire posthume du poète face à la mort inéluctable. Anacréon utilise l’anaphore « Quand je bois du vin » qui rythme les vers et produit un effet de répétition obsessionnelle et de litanie incantatoire dans ce texte à la gloire de l’ivresse et des dieux. v L’invocation adressée à la bouteille par Panurge (texte C) prête au vin qu’elle recèle une alchimie mystérieuse de qualités divines liées à la fois au dieu grec Bacchus et au personnage biblique de Noé, qualités intellectuelles, morales et sociales, car le vin a le pouvoir de révéler la vérité et de chasser mensonge et misère. À travers une étymologie fantaisiste, la prêtresse Bacbuc confond ce pouvoir avec celui (vis) que donne aux hommes la philosophie. La « Dive Bouteille », oracle parodique du temple, révèle le secret de l’élixir caché dans le bon vin, aboutissement de la quête de Panurge et Pantagruel. C’est donc dans le vin (« Trinc ») que Panurge devra trouver lui-même la réponse à la question de son mariage…

Réponses aux questions – 18

w Dans le poème de Baudelaire (texte D), beaucoup plus tardif, la parole est donnée à l’âme du vin (contenue dans les bouteilles), qui est la destinataire de l’invocation dans le texte C. Elle s’adresse en priorité aux hommes déshérités, qui peinent dans les travaux usants, notamment ceux qui cultivent la vigne (strophe 2). L’âme du vin personnifiée exprime sa « fraternité » en remplissant la poitrine et le cœur des hommes pour transformer leur vie, en suscitant les chants religieux (strophe 4), en éveillant le désir chez les femmes et en donnant la force et la santé aux jeunes gens (strophe 5), en impulsant l’inspiration poétique divine chez l’homme (strophe 6). x Le texte de Poulot explique les origines, l’évolution et les effets de l’alcoolisme que Zola illustre dans son œuvre. La description des maisons qui vendent de l’eau-de-vie trouve écho dans le cabaret de L’Assommoir (texte A), où les ouvriers se pressent après leur travail. Le portrait de Coupeau est celui du bon ouvrier sérieux qui deviendra par la suite l’alcoolique « sublime » identifié par Poulot. Le portrait de Mes-Bottes correspond à celui du « vrai sublime », incapable de se passer d’eau-de-vie et crânant devant l’alambic. Enfin, dans l’extrait du Docteur Pascal (texte G), le cas de « combustion spontanée » d’Antoine Macquart est proche de celui de cet ouvrier alcoolique retrouvé carbonisé dans le texte de Poulot. y Toine l’alcoolique (texte F) fait rire d’abord par la disproportion entre son énormité et la taille de sa porte (§ 1). Il suscite aussi le rire par sa jovialité et sa sociabilité et fascine par sa corpulence monstrueuse et sa capacité surhumaine à boire tout ce qu’on lui donne (§ 2). Mais, en même temps, apparaît l’allégorie de la mort qui effectue un « travail lent de destruction », masqué par cette apparence comique. La mère Toine, par sa prédiction, prophétise la tragédie. Dans le dernier paragraphe, on bascule dans le registre tragique avec l’attaque brutale qui paralyse Toine et la perte de tout espoir d’amélioration de son état. U L’étonnement du docteur Pascal se manifeste par une série de questions au style indirect libre (« Qu’était devenu l’oncle ? Où donc pouvait-il être passé ? ») devant le constat de la disparition totale d’Antoine Macquart, qui semble d’autant plus mystérieuse que la chaise ne porte que quelques traces de feu. Puis il observe les restes de l’oncle dans le petit tas de cendres par terre, la nuée rousse qui s’envole et la couche de suie grasse sur les murs, et porte alors le diagnostic de « combustion spontanée ». Il admet l’explication scientifique d’une loi à laquelle il ne croyait pas auparavant : un corps imprégné d’alcool dégage un gaz qui peut s’enflammer spontanément et le réduire en poussière. Il explique enfin l’enchaînement des faits qui ont provoqué la combustion : coma éthylique entraînant la chute de la pipe sur les vêtements qui brûlent et communiquent le feu à une chair saturée de boisson et de graisse, puis chute de l’oncle de sa chaise qui, de ce fait, n’est pas brûlée. V Le tableau L’Absinthe de Degas représente un homme et une femme côte à côte sur la banquette d’un café, l’air morne et les vêtements usés. Elle a les épaules tombantes et l’air accablé, le regard absent, un visage blême dû à l’abus d’absinthe. Lui s’approprie la place et détourne d’elle sa face ravagée par le vin. Ces personnages expriment une solitude extrême accentuée par la composition : ils sont placés sur une oblique montante, selon une perspective fuyante, isolés du spectateur par une série de tables se coupant à angle droit. Le premier plan de ce tableau, occupant presque la moitié de sa surface, est pratiquement vide, comme le vide de la vie de ces personnages. Sur les tables, quelques objets épars et un verre d’absinthe.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Dans les textes B, C et D, l’homme entretient avec l’alcool une relation positive et amicale. Le poète et le vin sont étroitement liés dans l’anaphore « Quand je bois du vin » du texte B et boire est « le propre de l’homme » selon Bacbuc (texte C). Dans le texte C, l’homme s’adresse à la « Dive Bouteille » comme à une divinité tutélaire et « l’âme du vin », dans le texte D, exprime fraternité et reconnaissance à l’homme qu’elle aime car il travaille pour fabriquer le vin. Les effets du vin sont similaires dans ces trois textes : il est une force vitale qui rend l’homme plus serein et heureux en éloignant les soucis et la crainte de la mort (textes B, C et D), qui lui rend de la force pour lutter (texte D), et qui l’aide à goûter la beauté de l’art (textes B et D), à aimer (textes B et D), à découvrir la sagesse et la vérité (texte C), et à se rapprocher de la divinité (textes B, C et D). Il est enfin source d’inspiration et de création poétique (textes B et D).

L’Assommoir – 19

À l’opposé, dans les textes A, E, F et G et dans le tableau, les relations entre l’homme et l’alcool apparaissent comme tout à fait négatives, car l’homme devient totalement dépendant de l’alcool au détriment de sa vie. À l’instar du Sublime (texte E), c’est le cas de Mes-Bottes (texte A) et de Toine (texte F), malgré leur jovialité trompeuse, de l’oncle Antoine (texte G), du couple de Degas (document), tous sous l’emprise du vin ou de l’alcool. Poulot (texte E) explique les effets terribles de l’alcoolisme : dégradation du comportement, de l’intelligence et de la santé, et destruction de toute vie sociale (travail, famille), effets illustrés par le comportement délirant de Mes-Bottes (texte A), la santé détruite du cabaretier Toine (texte F), le vide des relations du couple de buveurs (document), enfin la mort physique d’Antoine Macquart, sous la forme spectaculaire de la combustion qui symbolise l’alcoolisme consumant la vie (texte G). L’alcool n’est plus ici force de vie mais pulsion de mort. Cherchant à échapper à sa condition, l’homme se détruit lui-même.

Commentaire

Introduction Cette scène de roman permet au docteur Pascal de confirmer une thèse qu’il mettait en doute et qui se traduit par un phénomène extraordinaire : la combustion spontanée de l’alcoolique. En reconstituant la mort étonnante d’Antoine Macquart, qui a transmis l’hérédité alcoolique à sa descendance, le médecin, d’abord stupéfait, va pourtant mener à son terme une explication qui éclaire les méfaits extrêmes de l’alcoolisme.

1. Une scène vue et interprétée par le docteur Pascal A. Le regard du médecin • Il est évoqué par les désignateurs (« le docteur », « un médecin », etc.) qui évoquent son passé d’études et de recherches sur la question de l’alcoolisme. • Cette scène en focalisation interne est introduite par le verbe constater et l’expression de l’étonnement du médecin dans la première partie, puis par le verbe expliquer dans la seconde partie. B. Le discours indirect libre Son discours intérieur est traduit par le discours indirect libre : – temps imparfait et plus-que-parfait ; – emploi de déictiques désignant une situation connue du médecin et la scène qu’il voit : « l’oncle », « la chaise », « la nuée rousse », « cette poignée »… C. La description d’une disparition mystérieuse • La description de la chambre vide est faite par le regard de l’observateur : objets (pipe, verre, bouteille, chaise noircie), tas de cendre, nuée rousse, couche de suie grasse sur les murs. • Temps imparfait de la description. • Les interrogations sur le phénomène traduisent l’étonnement : « Qu’était devenu l’oncle ? Où donc pouvait-il être passé ? » • Un phénomène mystérieux : c’est la disparition quasi totale d’un homme dont il ne reste que des traces, renforcée par la négation restrictive « ne… que » et par « tout… dans… » (répété). • Cette disparition inexpliquée, ainsi que la nuée rousse (couleur de feu) qui s’envole par la fenêtre donnent à ce paragraphe une dimension fantastique.

2. Une argumentation pseudo-scientifique pour expliquer le phénomène : de l’incrédulité première au raisonnement et à la reconstitution. A. L’énoncé de la thèse Thèse à laquelle il n’avait pas cru : un corps, imprégné d’alcool, dégage un gaz inconnu, capable de s’enflammer spontanément et de dévorer la chair et les os. Il faut noter la valeur scientifique très contestable de cette thèse. B. Le retour sur un exemple qu’il ne croyait pas L’histoire de la femme consumée (« Lui-même, jusque-là, s’était méfié, n’avait pu admettre ») évoquée au plus-que-parfait. C. Le diagnostic posé dès le début du 2e paragraphe Le diagnostic du cas de « combustion spontanée » est renforcé par « Mais il ne niait plus ».

Réponses aux questions – 20

D. Les arguments • Les faits : constat de ce qui reste de l’oncle (« Tout l’oncle était là »). • Le raisonnement : l’enchaînement logique est reconstitué (« en rétablissant les faits »), du coma à la combustion, par le contact entre le feu et le gaz inflammable et par l’intermédiaire de la graisse, jusqu’à la chute. L’imparfait de description rend présent le déroulement du phénomène. Le plus-que-parfait du retour en arrière permet la reconstitution des faits. • Les connecteurs de l’argumentation balisent le développement de sa thèse (« Mais […] d’ailleurs, […] enfin »). « Sans doute » introduit une hypothèse qui confirme la thèse.

3. Une scène symbolique terrifiante : le feu qui anéantit et purifie A. La combustion répugnante d’un corps imbibé d’alcool • Champ lexical de l’imprégnation : « la chair saturée de boisson » ; « un corps, imprégné d’alcool ». • Champ lexical du dégoût : « un horrible suint de chair envolée, enveloppant tout, gras et infect sous le doigt ». B. L’anéantissement total par le feu L’évocation des signes de la vie passée (vêtements, casquette et parties de l’organisme consumées) contraste avec la répétition de « rien », « rien que », « pas un » et « ce petit tas de poussière grise » qui renforce l’effet d’anéantissement. C. La purification par le feu et la combustion À travers une vision apocalyptique, l’incendie est comparé à un « feu de joie » et les restes d’Antoine Macquart s’envolent « par la fenêtre ouverte », comme un symbole d’espoir.

Conclusion Derrière une explication « scientifique » très fantaisiste, on peut voir dans cette fin terrible la malédiction des Rougon-Macquart frappant à son tour celui qui a transmis l’hérédité alcoolique à sa descendance. Mais, à travers le regard visionnaire du romancier, le feu apparaît aussi comme purificateur et porteur d’espoir pour l’avenir.

Dissertation

Introduction La « fêlure héréditaire » évoquée par G. Deleuze s’applique aux personnages des romans de Zola, chez lesquels « l’instinct de mort » traduit la transmission de caractères héréditaires comme l’alcoolisme. Mais, avant que l’alcool soit considéré comme un fléau social, de grands écrivains ont fait l’éloge de l’ivresse, à l’instar des alchimistes qui avaient cru trouver dans l’eau-de-vie un élixir de longue vie. Nous envisagerons en quoi ces textes illustrent ces attitudes opposées vis-à-vis de l’alcool : l’ivresse comme moyen d’accéder à une vie meilleure et l’alcoolisme comme pulsion de mort.

1. Le vin et l’ivresse, moyens d’accès à une vie meilleure A. L’ivresse positive • « Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous », proclame Baudelaire dans Le Spleen de Paris. • L’ivresse liée au vin est apparue longtemps comme un thème littéraire positif, lié dans l’Antiquité et à la Renaissance au culte des dieux et aux fêtes religieuses (textes B et D) : – lors de la fête de Bacchus, Anacréon (texte B) s’enivre en chantant les Muses et Aphrodite ; – Panurge (texte C), invoquant sous forme parodique l’oracle de la « divine » liqueur, lui donne pour origine le dieu grec Bacchus et le personnage biblique de Noé ; – Baudelaire (texte D), prêtant une âme au vin, l’assimile à l’ambroisie des dieux et au produit de l’« éternel Semeur », le dieu judéo-chrétien. B. Le vin bienfaiteur • Le vin, présenté ici comme un bienfaiteur, apporte la sérénité, éloigne l’inquiétude (texte B) et la misère (texte C), et donne la force de vivre aux jeunes gens (texte D). Il favorise l’amour (textes B et D) et la fraternité (texte D).

L’Assommoir – 21

• Source mystérieuse de vérité et de sagesse (texte C), le vin permet même de vaincre la mort en conférant au poète une gloire posthume (texte B). En effet, il inspire aux hommes l’art des Muses, le chant et la poésie (textes B et D). C. Les vertus modernes de l’alcool Dans la lignée de Baudelaire, l’alcool, à l’époque moderne, ira de pair avec le rêve et la fête et la volonté de briser tous les tabous. De Baudelaire à Bukowski, l’alcool connaît un âge d’or en littérature et l’ivresse devient un thème majeur chez les poètes, dramaturges ou romanciers, tels Arthur Rimbaud, Guillaume Apollinaire (Alcools), Bertolt Brecht, Marguerite Duras, et de nombreux auteurs américains comme Ernest Hemingway… L’« esprit nouveau » considère les drogues et les beuveries comme propices à l’improvisation et à la créativité.

2. L’alcoolisme et les pulsions de mort Cependant, au XIXe siècle, apparaît, notamment chez les romanciers naturalistes, une description des méfaits de l’alcoolisme, liés au développement de l’industrialisation et de la classe ouvrière et qui seront au cœur de certains romans de Zola, passionné par les théories de l’hérédité qui expliquent la transmission de l’alcoolisme parmi d’autres caractères. A. Un artifice et une tromperie Dans les textes du corpus, la gaieté suscitée par l’ivresse (textes A et F) s’avère artificielle et trompeuse : – Poulot constate que l’alcoolique est surtout vantard et crâneur ; – si Mes-Bottes s’amuse et rit de l’alambic, c’est avec « un rire de poulie mal graissée » très inquiétant ; – si Toine, le joyeux cabaretier (texte F), suscite la gaieté par ses excès, c’est que la mort « s’amuse » avec lui en le rendant monstrueusement comique. B. Une dégradation mortelle • Ces textes montrent la dégradation ou la maladie du corps (difformité de Toine, « chair saturée de boisson » de Macquart) et celle du comportement de l’alcoolique : délire de Mes-Bottes (texte A) et du Sublime (texte E). L’excès d’alcool tue le goût du travail et détruit l’amour (texte E et document). • Un instinct suicidaire semble tirer ces personnages vers la mort : fascination exercée par l’alcoolisme sur les habitués de L’Assommoir ou du cabaret de Toine, plaisir toujours inassouvi de boire pour Toine et Mes-Bottes (textes A et F). « Il sait bien que ça le tuera ; ça ne fait rien, ça le remet d’aplomb », analyse Poulot. Gervaise et Coupeau se méfient de l’alambic qui semble pourtant les attirer. • Une mort terrible attend finalement ces alcooliques : attaque cérébrale de Toine qui le réduit à l’état végétatif ; morts violentes du fondeur (texte E) et de Macquart par combustion (texte G). • La fatalité, souvent liée à un déterminisme social, semble s’acharner sur ces personnages. C. Pulsion de mort, pulsion de vie Cependant, certains signes comme le « feu de joie » et la « nuée rousse » qui s’envole par la fenêtre ouverte (texte G) laissent entendre que la pulsion de vie résiste peut-être à la mort et la dépassera. C’est ce qui fait dire à J.-L. Cabanès que la pulsion de mort est, chez Zola, « accompagnement nécessaire de l’énergie irrépressible du vivant ».

Conclusion Variant selon les époques et les courants, le thème littéraire de l’ivresse due à l’alcool et, plus généralement, le thème des « paradis artificiels » semblent donc sans cesse fasciner les hommes, car ils sont intimement liés à la vie et à la mort. Chanté comme un moyen illusoire d’échapper à l’angoisse de la mort et de s’identifier à la divinité ou analysé comme un engrenage fatal, ce thème toujours actuel véhicule, à travers les âges, les aspirations et les angoisses humaines les plus profondes.

Écriture d’invention On attend des élèves qu’ils construisent leur texte, quelle que soit sa forme, en utilisant l’anaphore « Quand je bois (ou Quand je buvais) du vin… », que ce texte évoque le cadre (auberge, Normandie), et qu’il fasse état du comportement et des intérêts de Toine (gaieté ; intérêt pour la boisson, la bonne chère et l’argent), de la fascination de son entourage et des avertissements de sa femme. Il faut que la fin du texte évoque les conséquences fatales de son alcoolisme, à l’inverse de la chute du texte d’Anacréon, afin que sa visée soit dissuasive.

Réponses aux questions – 22

E x t r a i t d u c h a p i t r e V I ( p p . 1 7 8 - 1 7 9 )

u�Lecture analytique de l’extrait (pp. 202 à 204) u Un aspect du travail du forgeron est décrit avec précision : la fabrication d’un grand boulon. Il s’agit d’un travail de précision, qui demande de la minutie. Le narrateur énumère les gestes de l’ouvrier qui « ne se pressa pas, prit sa distance, lança le marteau de haut » (l. 239), puis les effets : « ils s’enfonçaient dans le fer rouge, sur la tête du boulon, […] d’abord écrasant le métal au milieu puis le modelant par une série de coups » (l. 245 à 247). v Le marteau de Goujet est comparé à une danseuse de menuet par une métaphore filée. Le marteau porte un prénom féminin : « Fifine ». Plusieurs termes filent la métaphore : « une dame noble […] conduisant quelque menuet ancien », « Les talons de Fifine ». w Cette métaphore suggère que Goujet forme un couple avec son outil, et ils exécutent ensemble un travail harmonieux, précis et raffiné, avec la noblesse de danseurs de Cour de la Renaissance. x Les qualités de Goujet sont deux fois opposées implicitement aux défauts de Beurre-Salé : son habileté est ainsi comparée à la maladresse de Beurre-Salé (« Fifine […] ne dansait pas un chahut de bastringue, les guibolles emportées par-dessus les jupes ») ; sa sobriété est opposée à l’alcoolisme de son camarade (« ce n’était pas de l’eau-de-vie que la Gueule d’or avait dans les veines »). y Le narrateur utilise, dans les commentaires, des termes familiers du langage des ouvriers. Ainsi, « Fifine […] ne dansait pas un chahut de bastringue, les guibolles emportées par-dessus les jupes » pourrait être un commentaire de Gervaise. D’autre part, certains commentaires témoignent d’un émerveillement qui est celui de Gervaise : « Un homme magnifique au travail, ce gaillard-là » ; « une vraie figure d’or, sans mentir ». Le discours indirect libre traduit donc le point de vue de Gervaise en focalisation interne. U Goujet est valorisé par sa puissance de travail, l’harmonie et la précision de ses gestes, la beauté de sa barbe blonde et la blancheur de son cou comparé à celui d’un enfant (l. 251 à 255). Sa sobriété est évoquée dans la phrase : « ce n’était pas de l’eau-de-vie que la Gueule d’or avait dans les veines, c’était du sang, du sang pur ». Cette antithèse expressive rattache ce passage au thème de l’hérédité de l’alcoolisme qui parcourt Les Rougon-Macquart. Goujet est le type de l’homme sain et le modèle du bon ouvrier. V Implicitement, Goujet s’oppose à Bec-Salé par la qualité de son travail et sa sobriété. Plus loin (l. 285 à 288), au plan physique, Gervaise oppose explicitement la beauté de cet homme magnifique à la laideur et la saleté de Bec-Salé, qu’elle compare à un « singe échappé ». W Goujet ressemble à une statue, à travers le regard de Gervaise qui descend de la tête au cou puis aux épaules et aux bras : « un cou pareil à une colonne […] ; des épaules et des bras sculptés qui paraissaient copiés sur ceux d’un géant, dans un musée ». La scène de Goujet au travail est proche de tableaux qui évoquent le travail de Vulcain à la forge et la visite de Vénus, tel celui de François Boucher au XVIIIe siècle. Comme dans ces tableaux, la scène est éclairée partiellement par la lumière de la forge. Enfin, Goujet est blond comme les éphèbes grecs. On passe de Vulcain aux représentations populaires du Christ auréolé de lumière à la fin du portrait de Goujet : « il faisait de la clarté autour de lui, il devenait beau, tout-puissant, comme un bon Dieu ». Zola s’éloigne des représentations des impressionnistes pour se rapprocher du conformisme populaire à travers le regard de son personnage. Cette description donne une solennité quasi divine au travail de l’ouvrier. Le narrateur transformant l’ouvrier en dieu antique ou en Christ confère alors à son travail un caractère mythique. X Le surnom de Gueule-d’Or, à l’origine « la barbe blonde », devient le nom de celui qui « faisait de la clarté autour de lui », qui est auréolé de lumière, tels un héros ou une divinité. at Il s’agit pour les deux hommes, en s’affrontant, de briller aux yeux de Gervaise et de la conquérir – et elle le sait bien. Le concours de boulons s’apparente à la tradition chevaleresque du tournoi qui fait combattre les chevaliers au nom de leur dame et sous ses yeux. La scène est aussi comparée à un menuet ancien où le marteau est comparé à une « dame noble » dont les talons battent la cadence et que Goujet dirige avec élégance. ak Goujet, en jetant à Gervaise « un regard plein d’une tendresse confiante », lui manifeste qu’elle est bien sa dame et que l’enjeu du tournoi est de la séduire. La dernière phrase « C’est fait, vous pouvez voir »

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manifeste que son but est atteint et qu’il a bien gagné les faveurs de sa dame. Bec-Salé reconnaît d’ailleurs sa supériorité et il exprime sa jalousie à la ligne 265 en le traitant de « poseur ». al À travers son travail, Goujet témoigne son amour à Gervaise. C’est pourquoi l’outil est féminisé. Il effectue ce travail avec toute sa passion pour Gervaise et danse avec l’outil comme il le ferait avec elle. En ce sens, certains termes ont une double signification. Les mouvements réguliers et balancés de l’ouvrier et de son marteau rappellent ceux d’un couple durant l’amour : « elle s’enlevait, retombait en cadence » (l. 242) ; « ils s’enfonçaient […] une série de coups d’une précision rythmée » (l. 245 à 247). À cela s’ajoutent le sang qui bat, les muscles qui se gonflent et durcissent sous la peau, le cou qui gonfle, la sueur qui coule, éléments qui peuvent évoquer l’acte sexuel. C’est à Gervaise qu’on peut attribuer la comparaison « large à y coucher une femme en travers » (l. 255), qui exprime son désir en retour. am Le discours indirect libre rapporte les propos de Gervaise dans la seconde partie du texte. Il reproduit ses pensées dans un style oral (« Oh ! », « n’est-ce pas ? », « vrai », « Ça »), mais sans la ponctuation du discours direct, aux temps du récit et à la 3e personne. Cette forme de discours rapporté fait entrer le lecteur dans l’intériorité de Gervaise tout en assurant la continuité du récit. an Gervaise interprète clairement l’attitude des deux ouvriers : « Est-ce que ces deux-là ne tapaient pas sur leurs boulons pour lui faire la cour ! » Elle en ressent du plaisir : « Et, vrai, cela lui faisait plaisir au fond. » Elle partage l’émoi érotique de Goujet (« elle sentait que ça lui enfonçait quelque chose […] de solide, un peu du fer du boulon ») et semble même partager un orgasme en « prenant une jouissance à être secouée des pieds à la tête par les dernières volées de Fifine » ! Elle exprime nettement sa préférence pour celui dont elle attend la victoire et le compare à celui qu’elle dévalorise. L’expression de ses sentiments est renforcée par des métaphores et des comparaisons. ao Champ lexical du feu : « grande flamme de la forge », « s’allumaient », « éclairaient », « clarté », « flambante d’un incendie », « pétillement d’étincelles vives », « grosse chaleur ». Le feu symbolise, au début, le rayonnement de Goujet et, dans la seconde partie du texte, la passion qui s’exprime à travers son travail et sous le regard de Gervaise. ap Le lexique des sentiments exprime le plaisir que Gervaise éprouve à être courtisée par Goujet : « sourire attendri », « cela lui faisait plaisir », « elle se trouvait satisfaite », « heureuse ». Le lexique des sensations traduit le trouble sensuel de Gervaise : « Les coups de marteau […] lui répondaient dans le cœur », « les gros battements de son sang », « elle sentait que ça lui enfonçait quelque chose […] de solide », « très rouge », « prenant une jouissance à être secouée ». Les comparaisons soulignent son statut de femme convoitée et sa satisfaction : « ils étaient comme deux grands coqs rouges qui font les gaillards devant une petite poule blanche » ; « elle se trouvait satisfaite, comme si les coups de marteau de la Gueule-d’Or l’avaient nourrie ».

u�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 205 à 214)

Examen des textes et de l’image u Pour Marx, le travail aliéné est un travail dont l’ouvrier est dépossédé, c’est-à-dire un travail extérieur à l’ouvrier qui le rend malheureux car il mortifie son corps et son esprit. C’est pourquoi l’ouvrier n’est vraiment lui-même que lorsqu’il ne travaille pas, car son travail n’est pas la satisfaction d’un besoin mais seulement un moyen de satisfaire des besoins extérieurs au travail. Le travail est, en outre, extérieur à l’ouvrier parce qu’il ne lui appartient pas mais appartient à un autre. Ce qui est humain chez l’homme devient donc animal. v Hugo montre les enfants écrasés par le travail à travers la répétition des prépositions « sous » et « dans », qui traduisent l’emprisonnement. Les indications de temps « éternellement », « de l’aube au soir » et la répétition de « même » renforcent le caractère pénible et répétitif du travail. Nul repos ne leur est permis (répétition de « jamais »). Cet univers est dur et inhumain (métaphore répétée « Tout est d’airain, tout est de fer »). Les effets en sont l’épuisement et le rachitisme. Dans cet univers comparé au bagne et à l’enfer, les machines sont personnifiées comme des monstres qui dévorent les enfants. Au vers 12, la métaphore de la « cendre » évoque leur mort annoncée. Dans les trois derniers vers, le progrès est dénoncé comme absurde et responsable de ce massacre. Il broie les enfants en donnant une âme à la machine qui fait d’eux des machines et leur prend leur âme.

Réponses aux questions – 24

w L’imprimerie est comparée, par métaphore, à une bête ruminante (qui avale les feuilles et les vomit et qui souffle). L’odeur de la pièce est comparée à celle du fumier et sa chaleur à celle d’une étable. Le personnel de l’imprimerie est aussi assimilé à l’équipage d’un navire avec un capitaine qui commande à son mousse. La comparaison avec le gros vin traduit le plaisir du narrateur dans cette atmosphère grisante, tandis que celle avec une bataille inclut la dimension de lutte. Jacques trouve dans ce métier l’indépendance et la sécurité de l’emploi, la solidarité, l’enthousiasme, la fierté d’être ce que « les autres » de son milieu ne veulent pas être. Il pense, de plus, que ce métier lui laissera la disponibilité pour exercer une activité intellectuelle et politique. x Le puits de la mine de Germinal est assimilé au monde infernal, par le champ lexical des ténèbres (« ténèbres », « noir inconnu », « nuit profonde ») et des lueurs (« mèches des lampes », « points rougeâtres », « lueurs perdues », « luisaient », « allumés d’un reflet de cristal »), par la présence des ombres qui évoquent, par métaphore, les morts damnés (« l’air mort », « formes spectrales », « tête violente », « crime »), par la déshumanisation des êtres dont on ne voit et n’entend que des parcelles de corps ou des grognements de bêtes. y Aux yeux de Bardamu, l’usine ressemble, par la forme de ses bâtiments bas et vitrés, à des « cages à mouches » qui maintiennent prisonniers les ouvriers pris au piège. L’environnement est envahi par le bruit abrutissant de machines, semblables à des êtres entêtés et geignants. Le médecin-recruteur considère les ouvriers comme de simples exécutants auxquels il est interdit de réfléchir. U Dans Une forge de Cormon, les groupes d’ouvriers permettent de représenter chaque étape du travail du fer. Ils sont répartis dans tout l’espace de la forge : au premier plan, au centre et à l’arrière-plan. La forge est éclairée par une lumière oblique qui semble tomber du vitrail d’une église. Ces jeux de clair-obscur avec la lumière du soleil, les feux de la forge et la fumée qui monte semblent exalter la grandeur et la beauté du travail, leur donnant un aspect quasi religieux qui élude la pénibilité de ces tâches. On peut rapprocher de cette scène celle de Goujet à la forge.

Travaux d’écriture

Question préliminaire La souffrance au travail est l’une des caractéristiques du « travail aliéné », que l’on retrouve dans les textes C, E et F. Dans le texte C, la souffrance au travail et la destruction du corps et de l’esprit sont illustrées par des métaphores qui assimilent l’usine à une prison, au bagne et à l’enfer, et les machines à des monstres. Le travail est personnifié sous la forme de Satan qui défait l’œuvre de Dieu et anéantit la vie des enfants. La comparaison de la mine avec les ténèbres de l’enfer traduit, dans le texte E, la souffrance des mineurs, suppliciés comme des damnés, mais aussi dangereux qu’eux (« barbouillés comme pour un crime »), dont on ne voit que des lueurs qui s’agitent. Dans le texte F, l’assimilation de l’usine à des « cages à mouches » symbolise l’emprisonnement des ouvriers. Autre caractéristique de l’aliénation : la déshumanisation. Celle des mineurs dans leur travail passe, dans le texte C, par les désignateurs qui décrivent des morceaux de corps humains disparates, des grognements et des halètements comparables à ceux de bêtes de somme, et par la réduction de Maheu à un dérisoire puceron ; celle des ouvriers du texte F passe par leur comparaison avec des mouches en cage, des bêtes qui s’épient et des chimpanzés. La personnification des machines dans les textes C et F illustre la dépendance totale des ouvriers vis-à-vis de ceux qui les exploitent et la dépossession de leur humanité, que le médecin-recruteur du texte F manifeste aussi en refusant au narrateur le droit à l’intelligence. Le progrès et le travail sont enfin personnifiés, dans le texte C, comme les instruments du capitalisme prédateur qui « produit la richesse en créant la misère », se sert des enfants comme d’outils et donne « une âme à la machine et la retire à l’homme ». Dans le texte A, au contraire, la parfaite maîtrise du travail de Goujet est traduite par l’assimilation du marteau avec une danseuse de menuet, la similitude du concours de boulons avec un tournoi et les comparaisons avec Vulcain (perfection mythologique), une statue grecque (perfection artistique) et un christ auréolé (perfection divine). La clarté et le feu qui environnent le forgeron symbolisent sa beauté et sa noblesse, ainsi que la séduction et le plaisir amoureux : « Ils lui forgeaient là un amour. » Dans le texte D, la comparaison avec un navire guidé par son capitaine illustre la maîtrise du travail des artisans de l’imprimerie ainsi que l’harmonie de leurs relations.

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Le narrateur traduit le plaisir qu’il ressent par une métaphore qui assimile l’imprimerie à un ruminant paisible dans son étable pleine de chaleur et compare son bien-être à l’ivresse du « gros vin ». Ce métier est aussi associé au goût de la difficulté (« ému comme dans une bataille »).

Commentaire

Introduction Dans ce poème en alexandrins réguliers à rimes suivies, écrit en une seule strophe, Hugo évoque le travail des enfants à l’usine dont il dénonce le caractère inhumain et révoltant. Nous étudierons le réalisme de sa description, puis le registre pathétique à l’œuvre dans l’évocation des enfants au travail, et enfin la dénonciation virulente et politique de leur exploitation.

1. Une peinture réaliste Hugo peint l’état physique lamentable des enfants (« que la fièvre maigrit » ; « quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue »), leur fatigue (« bien las »), leur maladie (« Rachitisme ! »). Il les montre « accroupis », écrasés par le travail, avec la répétition des prépositions « sous » et « dans », renforçant l’impression d’emprisonnement. Les indications de temps « éternellement » et « de l’aube au soir » et la répétition de « même » accentuent le caractère pénible et répétitif du travail qui leur fait passer « quinze heures sous des meules ». Nul arrêt et nul repos ne leur sont permis, comme le précise la répétition de « jamais ». Cet univers dur, froid et inhumain est rendu par la métaphore « Tout est d’airain, tout est de fer ».

2. Attirer la compassion du lecteur Dès le premier vers du poème, une phrase interrogative interpelle le lecteur par son caractère pathétique. L’antithèse entre « tous ces enfants » et « pas un seul ne rit » manifeste le caractère anormal de leur gravité à l’âge de la gaieté. L’anaphore du démonstratif « ces », qui désigne les enfants à trois reprises, attire l’attention sur leur tristesse et leur solitude. Le rejet de « Ils travaillent » met en valeur l’horreur de leur condition. Le monde de l’usine est ensuite comparé à la prison, puis au bagne et à l’enfer au moyen d’une gradation ascendante. Les machines personnifiées comme des monstres les dévorent et les allitérations en m, r et ch reproduisent le bruit de leurs mâchoires. La « cendre » du charbon de l’usine représente aussi celle des corps des enfants près de mourir. Leur innocente faiblesse fait écho à la puissance des machines infernales par la symétrie des oxymores « innocents dans un bagne / anges dans un enfer ». Les modalités exclamatives renforcent le registre pathétique. C’est enfin la prière suppliante adressée à Dieu, le créateur dont les hommes ont défait la création, par ces enfants qui « ne comprennent rien à leur destin », impuissants contre le capitalisme féroce qui les exploite.

3. L’indignation du poète C’est finalement l’indignation du poète qui éclate ici contre cet esclavagisme « infâme » des jeunes enfants par des adultes sans pitié. Hugo dénonce les conséquences terribles de ce travail abêtissant qui déforme et tue. Il dénonce l’exploitation de l’enfant comme moyen de production pour le profit des entreprises, comme outil « qui produit la richesse en créant la misère ». Le Progrès au service du Capitalisme est qualifié d’« absurde » et désigné comme complice de ce massacre : « Progrès dont on demande : “Où va-t-il ? que veut-il ?”» Le travail qui mène les enfants à la mort ou à l’épuisement est maudit par le poète et comparé, par métaphore, à un monstre prédateur au « souffle étouffant », « qui prend l’âge tendre en sa serre ». La machine personnifiée broie l’enfant et le dépossède de sa vie en le transformant lui-même en machine.

Conclusion Melancholia, poème à visée argumentative, dénonce avec indignation l’injustice sociale. L’auteur qui soutient le travail libérateur dénonce ici le travail qui opprime et tue les enfants. Ce poème illustre l’œuvre de Victor Hugo dans sa quête d’amélioration du sort des « pauvres gens », et notamment des enfants, qu’il poursuit aussi dans son roman Les Misérables.

Dissertation

Introduction • Henri Mitterand (Zola et le Naturalisme, 1986), qui est l’auteur de la citation, s’interroge sur les réponses apportées par les mythes et les métaphores aux questions sociales posées par une époque.

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• Ce corpus parle du travail ouvrier et s’étend sur une période assez restreinte, du début de la seconde moitié du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, marquée par l’industrialisation et l’enrichissement de la bourgeoisie, le développement de la classe ouvrière et des mouvements sociaux et politiques inspirés des théories de Marx, et la Première Guerre mondiale. • Le « moyen de fuir dans l’intemporel » renvoie au caractère universel du mythe, récit archétypique mettant en scène des personnages légendaires dont l’aventure figure un aspect de la destinée humaine qui sert de modèle dans la littérature : Œdipe, Sisyphe, Orphée, les Titans, Pandore… • Un sens plus moderne est la représentation symbolique d’un élément du quotidien qui lui confère une dimension éternelle et naturelle : Maheu dans la mine comparé à un puceron écrasé figure la misère prolétarienne dans un mythe associant au travail l’enfermement et l’animalisation de l’ouvrier. • Quels mythes et métaphores sont employés dans ce corpus pour traduire les problèmes de la société ?

1. Quels points de vue sur les problèmes sociaux posés par l’époque sont développés ? A. Le travail aliéné • Selon Marx, « l’homme mortifie son corps et ruine son esprit ». Son travail ne lui appartient pas. « Ce qui est animal devient humain, et ce qui est humain devient animal. » Les textes C, E et F illustrent l’exploitation des hommes et des enfants par le capitalisme dans le but de produire des richesses : – travail forcé des enfants à l’usine, répétitif et épuisant : maladie, déformation, mort (texte C) ; – travail dangereux pour la santé et vie à la mine : chaleur étouffante, dangers d’éboulis, menaces de l’eau, poussière de charbon, gaz (texte E) ; – misère des hommes en quête de travail, travail très dur chez Ford, recruteurs qui maltraitent les hommes : entassés, déshabillés, examinés, méprisés (texte F). B. Points de vue positifs : avenir et vitalité de la classe ouvrière Le discours progressiste ou révolutionnaire tend à valoriser le travail ouvrier, porteur d’espoir et qui représente les vraies forces du monde moderne : – dans L’Assommoir, Zola montre en Goujet le bon ouvrier qui aime son travail, qui le maîtrise parfaitement et le pratique comme un artisan ; – dans L’Enfant de Vallès, la révolution industrielle n’est pas achevée et le travail de l’ouvrier est encore artisanal : dur, mais concret, perfectionniste et source de solidarité, tel est ce métier d’imprimeur qu’aime le narrateur ; à la fin de ce texte perce l’enthousiasme révolutionnaire ; – le tableau de Cormon héroïse le travail de la forge et son organisation.

2. Quels mythes et métaphores traduisent ces réalités ? A. Représentations du « travail aliénant » • L’animalisation de l’homme, à travers des métamorphoses figurant la condition ouvrière : – mouches en cage qui remuent à peine (texte F) ; – puceron pris entre les pages d’un livre (texte E) ; – grognements et halètements comparables à ceux de bêtes de somme (texte E) ; – bêtes dressées (chimpanzé), « bêtes sans confiance » et battues qui s’épient entre elles (texte F). • L’instrumentalisation de l’homme (caractère interchangeable de l’homme et de la machine) : – métamorphose de l’enfant en outil, en cendre, en machine (« dans la même prison le même mouvement ») (texte C) ; – mineurs réduits à des morceaux de corps humains disparates (texte E) ; – usage du neutre et du qualificatif d’objet : « C’est très compressible les gens qui cherchent du boulot » (texte F). • La personnification de la machine ou de l’usine, avec engloutissement de l’homme dans le « travail aliénant » : – « Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre » (texte C) ; – « entêtement des mécaniques à tourner, rouler, gémir » (texte F) ; – grands bâtiments trapus qui deviennent « cages à mouches » (texte F). • La personnification du progrès et du travail (texte C) : – travail prédateur (« sa serre »), instrument du capitalisme « qui produit la richesse en créant la misère » ; – progrès qui donne « une âme à la machine et la retire à l’homme ».

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B. Représentations valorisantes du travail ouvrier • La noblesse et l’héroïsation du travailleur : – Goujet comparé à Vulcain ou à une statue grecque (texte A) ; – marteau assimilé à une danseuse de menuet (texte A) ; – travailleurs comparés à l’équipage d’un navire (texte D). • Le salut et la purification par le travail : – Goujet comparé au « bon Dieu » (texte A) ; – caractérisation par le « sang pur » qui permet d’échapper au déterminisme alcoolique (texte A) ; – lumière quasi religieuse qui illumine la forge de Cormon (document). • Le travail source de plaisir et de fécondité : – mythe du feu qui « forge » l’amour (texte A) ; – sensualité de Gervaise face à Goujet (texte A). • La dimension concrète, sensuelle du travail : – imprimerie assimilée à un ruminant paisible dans la chaleur de l’étable (texte D) ; – comparaison du travail avec le bon vin qui grise, avec une bataille qui excite (texte D). • Harmonie et solidarité au travail : l’imprimerie comparée à l’équipage d’un navire (texte D).

Conclusion Le mythe et les métaphores qui l’accompagnent sont donc bien un moyen de faire mieux apparaître le mouvement de l’histoire à travers des images qui traversent le temps et ne sont pas seulement un moyen de représenter des réalités éternelles.

Écriture d’invention On attend des élèves un texte à la 1re personne qui raconte et décrit d’abord une scène représentant un métier valorisé à l’aide de métaphores et de comparaisons. Une seconde partie doit donner quelques arguments pour justifier ce choix, où l’élève pourra employer aussi quelques métaphores ou comparaisons. Il est possible de choisir une organisation un peu différente qui mêle description et arguments.

E x t r a i t d u c h a p i t r e X I I ( p p . 4 2 6 à 4 2 8 )

u�Lecture analytique de l’extrait (pp. 430 à 432) u Goujet fait figure de sauveur auprès de Gervaise en lui donnant à manger avec générosité. Gervaise est gênée et submergée par la reconnaissance autant que par la satisfaction d’avoir mangé à sa faim. v Gervaise est ensuite décrite en focalisation interne du point de vue de Goujet, visible au verbe de perception voir (« il la voyait bien ») qui introduit la suite. w Goujet oppose l’aspect que présente Gervaise maintenant à ses souvenirs d’autrefois. À la « pauvre tête branlante » et « toute grise » s’oppose le qualificatif « toute rose » ; « le cou engoncé dans les épaules » contraste avec le « pli de bébé qui lui mettait un si joli collier au cou ». La posture de Gervaise découragée et vieillie (« elle se tassait ») fait écho à l’énergie de la jeune femme « tapant ses fers ». Elle est à présent « laide et grosse à donner envie de pleurer », alors que Goujet allait avec joie « la reluquer » autrefois ou goûtait avec elle « de grosses jouissances » à la forge. Elle, qu’il désirait alors désespérément, n’est plus désirable à présent, même si elle se donne à lui. Les qualificatifs « branlante », « engoncée », « grosse », et le verbe se tasser (« se tassait ») traduisent la dégradation de cette femme « assommée » prématurément par les coups du destin et par l’alcool. x Le verbe se rappeler (« il se rappelait ») amorce le retour en arrière, puis le plus-que-parfait traduit ses sentiments passés : « ils avaient goûté » ; « il avait mordu » de désir ; « il l’aurait cassée, s’il l’avait prise ». Avec le discours indirect libre, Goujet utilise des phrases exclamatives qui traduisent son étonnement présent et la violence du souvenir de son amour passé (« Comme elle était vieille et dégommée ! » ; « Alors, que de fois […] » ; « Oh ! il l’aurait cassée […] »). Il emploie aussi un vocabulaire familier très affectif : « dégommée », « reluquer », « de grosses jouissances ». y Face à Gervaise qui veut se donner à lui, Goujet exprime avec véhémence un amour sincère mais respectueux, en se mettant à genoux. Gervaise a honte de cette attitude car elle se sent dégradée par sa

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vie. Puis Goujet exprime un désir réel mais chaste : « tout frissonnant », il se contente de solliciter un baiser chaste (« Voulez-vous me permettre »). Devant la surprise de Gervaise, il dit vouloir préserver ce sentiment d’« amitié » respectueuse qui les a liés : « C’est toute notre amitié, n’est-ce pas ? » Puis il manifeste son désespoir en sanglotant. Gervaise avoue, à son tour, qu’elle aime Goujet et crie le désespoir de cet amour raté et devenu impossible à cause de sa déchéance : « Adieu, adieu, car ça nous étoufferait tous les deux. » Le baiser de Goujet sur le front de Gervaise lui rappelle ceux qu’il donnait à sa mère et ravive son chagrin. Il clôt leur amour en assimilant en quelque sorte Gervaise à sa mère. U Dans leurs dernières phrases apparaît l’acceptation résignée et désespérée (« ça suffit entre nous », « ce n’est pas possible ») de cet amour devenu impossible, ainsi qu’un adieu définitif. La fatalité est présente dans le désespoir de Gervaise et l’absence d’explication autre que « ça nous étoufferait tous les deux », puisque tout retour en arrière est devenu vain. V Le passage est théâtralisé par le dialogue, par les gestes et postures précis (« à genoux », « relevez-vous », « tomber en travers de son lit »…), ainsi que par le ton des voix (« disant doucement », « voix balbutiante », « murmura », « cria »…). Le registre du passage est pathétique, car il évoque une émotion violente des personnages et la suscite chez le lecteur. On peut parler aussi de « registre tragique » à cause du poids de la fatalité sur cet amour, de l’impossible salut et de la proximité de la mort pour Gervaise. Un peu plus loin, Gervaise l’exprime : « C’était fini entre eux, ils ne se reverraient jamais » (l. 1010-1011). W La focalisation interne, du point de vue de Gervaise, est à l’œuvre dans la description de la maison de la Goutte-d’Or. Les verbes de déplacement et de perception en témoignent : « Elle entra là-dedans », « le porche […] semblait », « tout le monde paraissait crevé », « Elle écoutait seulement », « elle se crut », « il lui fallut enjamber ». X Passage au discours indirect libre : de la ligne 976 (« Dire que jadis ») jusqu’à ligne 982 (« le choléra de la misère »). Gervaise exprime de l’amertume par rapport à ses projets anciens d’habiter cette maison dans laquelle elle a commencé à se dégrader. Elle regrette de n’avoir pas vu à temps le désespoir de la misère qui y régnait. La maison est comme transfigurée, avec son porche personnifié (une « gueule ouverte », prête à se refermer comme un piège) et elle est comparée, par métaphore, à une « carcasse de caserne » (figurant la mort), puis à une grande gueuse (misérable) atteinte du choléra (de la misère), maladie mortelle. at Les Boche sont les concierges et leur rôle dans la vie de l’immeuble est essentiel en tant que relais du propriétaire : ce sont eux qui ont fait entrer les Coupeau dans l’immeuble et qui ont décidé de leur changement d’étage ; c’est chez eux que se sont concentrés les ragots, destructeurs pour Gervaise, de la maison et du quartier. Lantier et Virginie, quant à eux, ont pris la succession de Gervaise à la boutique et sont les principaux artisans de son malheur. Les ronflements des Boche et les ronronnements satisfaits de Lantier et Virginie font écho à la « sacrée musique de désespoir qui ronflait derrière les murs » que Gervaise, à son arrivée, n’avait pas entendue. ak Champ lexical du cimetière et de la mort : « cimetière », « carré pâle [des tombes] », « livide » , « l’ensevelissement », « raidi de froid et de faim ». Figures de style : comparaison des façades à des « pans de ruine » ; métaphores assimilant l’immeuble à un village mort et enseveli et l’eau de la teinturerie à un ruisseau noir dans la blancheur de la neige. Les notations picturales passent par la représentation de l’espace (« à droite », « à gauche », « par terre », « les hautes façades montaient », « le ruisseau dans la neige ») et les couleurs (« pâle », « gris livide », « noir », « blancheur »). La dernière phrase du paragraphe (« elles avaient coulé, les belles eaux bleu tendre et rose tendre ! ») renvoie au temps où Gervaise découvrait l’immeuble par une journée d’été et où la couleur du ruisseau était d’un bleu azur ou d’un rose tendre. Cette phrase symbolise le temps écoulé et les espoirs perdus à jamais. al Le rire de Gervaise est qualifié de « vilain » et de « mauvais », car c’est un rire triste et ironique qui cache son désespoir. Le comique réside ici dans l’ironie tragique, dans l’opposition totale entre les rêves qu’elle avait faits (et qu’elle énumère) et ce qu’ils sont devenus. am Gervaise avait exprimé ses rêves d’avenir le jour où elle avait mangé une prune pour la première fois avec Coupeau à L’Assommoir, au début du chapitre II.

L’Assommoir – 29

an L’amertume, la désillusion et la révolte de Gervaise s’expriment par un style très expressif, voire argotique, correspondant à la prise de conscience de sa situation désespérée. Syntaxe : phrases exclamatives (« Non, vrai, c’était comique […] ! » ; « Ah ! vrai, […] on peut se fouiller ! ») ; phrase interro-négative (« N’aurait-on pas dit […] ? ») ; interjections (« Non, vrai » ; « Ah ! » ; « Eh bien ! ») ; phrase nominale avec rupture de construction (« Pas même la pâtée et la niche, voilà le sort commun »). Vocabulaire argotique : « courait le guilledou », « flanquait des tatouilles », « crever », « se flanquer par la fenêtre », « on peut se fouiller ». ao L’idéal passé et très modeste de Gervaise : travailler tranquille, manger toujours du pain, avoir un trou propre pour dormir, bien élever ses enfants, ne pas être battue, mourir dans son lit et, luxe suprême, se retirer à la campagne pour profiter de ses économies. Ses conditions de vie réelles à présent : plus de travail ni de nourriture, un trou sale pour tout logement, une fille prostituée, un mari alcoolique et qui la bat, et le suicide par désespoir pour unique perspective. Enfin, la « campagne » sera pour elle la verdure du cimetière. Ce sont des nécessités fondamentales de l’existence que Gervaise avait souhaitées, espérant améliorer sa condition : le droit à se loger et se nourrir, à vivre et à mourir dans des conditions décentes. Mais Zola montre une condition ouvrière tellement précaire et les déterminations qui pèsent sur elle tellement fortes que nul n’y échappe, même avec les qualités de Gervaise. ap Gervaise n’aspire plus qu’à mourir à la fin de l’extrait et le dit trois fois (« crever sur le pavé », « se flanquer par la fenêtre », « Elle voulait son coin de verdure au Père-Lachaise »). Aucun espoir de vie ne lui reste : Lalie est morte sous les coups de son père et elle vient de dire adieu à Goujet, le seul homme qui l’ait aimée vraiment. Rien ne la retient plus d’aller voir le croque-mort Bazouge qui la repoussera encore une fois. Le registre tragique domine cette fin de chapitre.

u�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 433 à 446)

Examen des textes u Iseut arrive trop tard pour revoir Tristan, lequel, à cause du mensonge de sa femme, est mort de douleur en croyant qu’il ne la reverrait pas. Iseut meurt de chagrin sur le corps de son amant et le rejoint ainsi dans la mort après avoir écarté la femme de Tristan. v M. de Clèves croit tantôt à la sincérité du chagrin de sa femme, tantôt à sa perfidie. Il exprime à sa femme à la fois une passion sincère et violente et une profonde jalousie, croyant avoir été trompé. Il lui reproche de lui avoir avoué son amour pour M. de Nemours et de ne pas l’avoir laissé dans l’illusion. Il lui avoue enfin qu’il meurt de chagrin à cause de sa trahison supposée tout en ne regrettant pas la vie, devenue insupportable sans son amour. Mme de Clèves comprend soudain l’erreur de son mari et tente de le convaincre qu’elle ne l’a pas trompé et qu’il s’agit d’un malentendu. Éclairé trop tard sur la fidélité de sa femme, M. de Clèves est trop malade pour survivre, victime de l’engrenage d’une passion fatale. w Dans la première partie de cette dernière scène, Camille et Perdican s’avouent qu’ils s’aiment après avoir longtemps joué avec leurs sentiments. Ils regrettent leur folie orgueilleuse et leurs mensonges et sont prêts à goûter leur bonheur. Mais, au cri de Rosette, l’angoisse surgit chez les deux jeunes gens et Perdican, qui a abusé la jeune servante, tente de conjurer le sort par la prière. Mais il est trop tard : Rosette est morte de douleur et l’amour de Camille et Perdican est condamné à jamais. x Clotilde, apprenant la mort de son amant le docteur Pascal, est foudroyée par le chagrin, d’autant qu’elle n’est pas parvenue à le revoir avant sa disparition. Mais sa douleur redouble quand elle comprend trop tard que Pascal l’avait éloignée uniquement pour faire ce qu’il croyait être son bonheur à elle et qu’elle l’a cru. Il en est mort de douleur et a fait leur malheur à tous deux. y La fonction dramatique de la lettre lue par Cyrano est de révéler à Roxane la véritable identité de l’auteur de ces lettres qu’elle croyait de Christian. Du même coup, elle comprend que Cyrano l’aimait et qu’elle aussi aimait l’auteur véritable de ces lettres. Roxane, d’abord étonnée du ton passionné que met Cyrano à lire, reconnaît la voix de celui-ci dans la nuit comme étant celle d’autrefois, puis elle s’aperçoit qu’il ne lit plus mais dit par cœur la lettre, ce qui la conforte dans ses soupçons. Enfin, elle comprend son aveuglement et pourquoi Cyrano joue ce

Réponses aux questions – 30

rôle d’ami fidèle depuis quatorze ans. Cyrano refuse d’abord d’avouer, puis il explique son silence par la mort de Christian. Il lui reste à révéler à Roxane qu’il lui a dit la vérité parce qu’il va mourir : la découverte de cette vérité est d’autant plus tragique qu’il est trop tard pour leur amour.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Ces textes donnent à voir différentes formes de fatalités tragiques liées au fait qu’il est « trop tard ». 1. Un adieu impossible : – Iseut arrive trop tard pour revoir son amant avant sa mort et meurt à son tour de chagrin (texte B) ; – Clotilde arrive trop tard pour revoir Pascal (texte E). 2. Une méprise ou une erreur tragique : – M. de Clèves comprend trop tard que sa femme ne l’a pas trompé et meurt de sa jalousie (texte C) ; – Roxane comprend trop tard que Cyrano était l’auteur des lettres d’amour de Christian, car Cyrano va mourir (texte F) ; – Clotilde comprend trop tard que Pascal est mort du chagrin de s’être séparé d’elle. Elle ne l’a pas compris à temps (texte E). 3. Un amour aveugle : – Camille et Perdican comprennent trop tard qu’ils s’aiment. En se le disant, ils provoquent la mort de Rosette et sa mort tue leur amour (texte D) ; – Roxane comprend trop tard que Cyrano l’aimait et qu’elle aurait pu l’aimer au moment où Cyrano va mourir (texte F). 4. Un amour impossible, brisé par des déterminismes sociaux : – Gervaise et Goujet se retrouvent mais celle-ci est dégradée par ses conditions de vie et marquée par la mort. Il est trop tard pour vivre cet amour qui aurait pu la sauver et qu’elle a fui (texte A).

Commentaire

Introduction Mme de Clèves a avoué à son mari l’amour qu’elle porte au duc de Nemours. La mort du prince de Clèves, conséquence de cet aveu et de l’engrenage de la jalousie, est aussi l’aboutissement logique de sa passion pour sa femme. L’extrait est le récit pathétique d’une séparation tragique fondée sur la fatalité de la passion et sur un malentendu.

1. Un dialogue pathétique Le texte relate la dernière entrevue entre M. de Clèves et sa femme qui provoque la compassion du lecteur par les tourments physiques et moraux du Prince, l’aveu de son amour et le chagrin de la Princesse injustement soupçonnée. A. L’évocation de la souffrance et de la mort • La proximité de la mort du Prince dans le récit : « presque abandonné des médecins », « Un des derniers jours de son mal ». Conscience de son état : « Vous versez bien des pleurs […] pour une mort […] », « je meurs », « je mourrai », ma mort »… • Champ lexical de la souffrance : – souffrance de la maladie : « une nuit très fâcheuse », « je ne suis plus en état », « une voix affaiblie par la maladie et par la douleur » ; – souffrance de la passion : l’empêche de « se reposer ». Antithèse sous forme d’un parallélisme révélant ses « sentiments si opposés » à l’égard de sa femme : « son affliction, qui lui paraissait quelquefois véritable et qu’il regardait aussi quelquefois comme des marques de dissimulation et de perfidie ». • La torture de la jalousie évoquée par des hyperboles : « violent chagrin », « si opposés et si douloureux », « cruel déplaisir », « la vie me ferait horreur », « cruellement », « violences »… B. L’aveu tardif d’une passion • Exclamations à valeur fortement émotive : « Ah ! Madame ». • Regret de n’avoir pas ignoré son malheur : « Je vous aimais jusqu’à être bien aise d’être trompé […] j’ai regretté ce faux repos dont vous m’avez tiré. »

L’Assommoir – 31

• Aveu d’une passion cachée par bienséance : « Je vous en ai caché la plus grande partie par crainte de vous importuner, ou de perdre quelque chose de vote estime, par des manières qui ne convenaient pas à un mari. » Passion plus forte que « de l’estime et de la tendresse ». • Désir de mourir d’amour sans regretter la vie (antithèse et oxymore) : « la mort agréable » s’oppose à « la vie me ferait horreur », montrant l’étendue de la douleur. • Passion évoquée au passé, à cause de la proximité de la mort : « je vous aimais », « une personne que j’ai tant aimée », « la passion que j’avais pour vous ». • Valorisation de son amour (« je méritais votre cœur », « une passion véritable et légitime »), opposé à celui de M. de Nemours (« vous connaîtrez la différence d’être aimée, comme je vous aimais, à l’être par des gens qui, en vous témoignant de l’amour, ne cherchent que l’honneur de vous séduire »). C. Injustice et cruauté des accusations envers Mme de Clèves • Douleur de Mme de Clèves, « le visage tout couvert de larmes ». • Incompréhension devant les accusations qui la culpabilisent (« une mort que vous causez », « je meurs du cruel déplaisir que vous m’avez donné ») et les reproches d’hypocrisie (« vous versez bien des pleurs », « la douleur que vous faites paraître »). • Reproches injustifiés : accusation de faiblesse (« si votre vertu n’avait pas plus d’étendue pour y résister ») et d’infidélité (« des nuits que vous avez passées avec M. de Nemours ») ; reproche de l’aveu qu’elle lui a fait (« Que ne me laissiez-vous dans cet aveuglement tranquille dont jouissent tant de maris ? »). • Interrogations oratoires montrant son indignation.

2. Une séparation tragique La mort, thème tragique, domine ce passage, liée à l’incompréhension et à la fatalité. A. L’incompréhension tragique Ce passage illustre le poids du malentendu entre les époux depuis l’aveu de Mme de Clèves : – Reprise de formulations : « des crimes »/« moi des crimes ! » ; « eussiez-vous souhaité »/« je n’eusse souhaité » ; « est-ce vous dont je parle »/« non, ce n’est pas moi dont vous parlez » ; « une femme qui a passé des nuits »/« je n’ai jamais passé ni nuit […] ». – Impossibilité à dissiper totalement le malentendu tragique. M. de Clèves refuse la vérité qui vient trop tard (« N’en dites pas davantage »). Presque convaincu de l’innocence de sa femme, il ne l’admet pas (« Je ne veux rien voir de ce qui pourrait me faire regretter la vie »). Au moment de la mort, les personnages restent tragiquement séparés. B. L’anticipation tragique de l’avenir après la mort • Déclaration amère de M. de Clèves : « Qu’importe […] ce qui arrivera quand je ne serai plus. » • Présence de nombreux futurs : « vous regretterez », « vous sentirez », « vous connaîtrez ». • Il imagine un avenir commun à la Princesse et au duc de Nemours : « ma mort vous laissera en liberté […] et vous pourrez rendre M. de Nemours heureux ». • Il évoque « la consolation de croire que [s]a mémoire […] sera chère » à son épouse.

3. La fatalité, force supérieure et inévitable A. Fatalité de la passion La passion non réciproque provoque la souffrance et la mort de celui qui n’est pas aimé : « Que ferais-je de la vie »… Le Prince meurt de chagrin et Mme de Clèves ne survivra pas longtemps à la mort de son mari et à son renoncement à sa passion pour M. de Nemours. B. Fatalité de la jalousie La jalousie suscitée par l’aveu de Mme de Clèves qu’elle pensait positif pour leur couple déclenche la mort de son mari après l’avoir dévoré de douleur. C. Fatalité du malentendu Des soupçons injustifiés sont à l’origine de la douleur mortelle du Prince.

Conclusion Le récit est tragique par la passion destructrice que vivent les personnages. La mort de M. de Clèves enfermera sa femme dans la culpabilité que les dernières paroles de son mari ne cesseront d’entretenir. Sa mort aidera Mme de Clèves à vaincre sa passion pour le duc de Nemours. Le roman s’achève sur le tableau des ravages de la passion.

Réponses aux questions – 32

Dissertation

Introduction Les grands mythes et les grands récits de l’humanité racontent le plus souvent des amours impossibles. Denis de Rougemont fait ainsi le constat d’une tendance générale à s’attacher à des récits où le personnage principal ne parvient pas à réaliser son amour, qui demeure définitivement impossible, et il s’interroge sur les raisons de cet attrait. Quelles formes prennent ces amours impossibles ? Quelles forces poussent le lecteur à se passionner pour ces récits où la souffrance joue un rôle aussi important ?

1. Formes que prend l’amour impossible dans les récits (roman, conte, théâtre, cinéma) Tout récit est fondé sur une intrigue qui maintient le lecteur en haleine. Le personnage principal doit affronter des obstacles pour accomplir sa quête, qui est souvent une quête amoureuse. L’amour impossible est un amour qui rencontre des obstacles insurmontables et une tragédie dont l’issue est souvent la mort : Tristan et Iseut ; Roméo et Juliette de Shakespeare ; Phèdre de Racine. A. Les différents types d’obstacles à la quête de l’amour 1. Obstacles sociaux : interdits et conventions. La passion, l’une des aspirations humaines les plus fortes, est un danger inacceptable pour l’ordre établi : Tristan, félon au roi Marc, et Iseut, adultère, ne peuvent vivre davantage sans menacer les règles de la société dont ils font partie. Différents types d’interdits ou d’obstacles d’origine sociale à l’amour : opposition des parents ou familles (Roméo et Juliette, Le Cid), interdit de l’adultère (Tristan et Iseut, Phèdre), obstacle de l’amitié (Cyrano de Bergerac)… 2. Obstacles intérieurs à l’homme : – l’honneur familial pousse Rodrigue à tuer le père de Chimène et Chimène à renoncer à Rodrigue ; – l’orgueil de Camille et Perdican provoque leur incapacité à aimer et à être aimés ; – la jalousie morbide de M. de Clèves suscite son aveuglement sur la fidélité de sa femme ; – l’altruisme de Pascal le pousse à renoncer à Clotilde pour son bien ; – l’insatisfaction permanente d’Emma Bovary la fait rêver d’un amour au-dessus de ses moyens. B. Les différents types de dénouements Les issues de ces amours impossibles sont le plus souvent tragiques : 1. Renoncement et séparation de Gervaise et Goujet ou de Mme de Clèves et le duc de Nemours. 2. Mort de douleur de Tristan et Iseut, seule issue possible à leur amour. Mort de douleur de M. de Clèves, seule issue à sa passion non réciproque. 3. Suicide de Mme Bovary, tuée par sa quête impossible de l’amour. Suicides de Roméo et Juliette. 4. La fatalité qui s’abat sur l’homme et qui amplifie le tragique : – sa passion violente pousse M. de Clèves à mourir de chagrin ; – la mort empêche les retrouvailles des amants car il est « trop tard » : Tristan et Iseut, Le Docteur Pascal ; – le malentendu (et l’éclaircissement qui arrive « trop tard ») rend l’amour définitivement impossible : Tristan et Iseut, Le Docteur Pascal, Cyrano de Bergerac, La Princesse de Clèves, Roméo et Juliette.

2. En quoi et pourquoi de tels récits attirent-ils autant le lecteur ? A. L’amour impossible nous fait échapper à notre condition d’hommes mortels • Échapper au temps : il intègre dans la vie l’éternité de la mort en élargissant la perception du temps humain (William Shakespeare, Roméo et Juliette : « Il me faudra de tes nouvelles à chaque heure du jour, car il y a tant de jours dans une minute ! »). • Échapper à la mesure : c’est le destin des héros tragiques que d’aimer avec intensité dans l’excès et la démesure, en dépassant les limites de l’amour humain. • Échapper par procuration aux contraintes sociales : goût de la révolte contre la société et ses contraintes qui font obstacle à la réalisation ou à l’accomplissement de l’amour. B. Le moyen : l’identification • Grâce à cette identification, le lecteur vit l’histoire du héros qu’il voudrait être. • Il s’identifie au héros dévoré d’un amour impossible, pour vivre l’intensité du sentiment qu’il éprouve, combattre à ses côtés et partager les conséquences extrêmes de cet amour.

L’Assommoir – 33

Conclusion À travers les formes nombreuses et diverses que prend, dans le récit, l’intrigue fondée sur un amour impossible, ce qui nous fait préférer ce thème aux autres, c’est peut-être un désir d’évasion, d’ivresse ou d’absolu, qui, abolissant le réel, nous conduirait vers une liberté dont nous pensons qu’elle nous est refusée par notre condition et par la société humaine.

Écriture d’invention On attend des élèves la forme d’une lettre adressée à Clotilde, où le docteur Pascal connaît son état de mourant et sait que Clotilde arrivera trop tard. On doit s’appuyer, pour les explications, sur l’introduction de l’extrait et sur ce que la servante révèle à Clotilde à la fin de cet extrait. Le texte peut prendre la forme d’un aveu pathétique, exprimer des regrets et se terminer par l’expression d’un espoir dans le bonheur futur de Clotilde avec l’enfant de Pascal.

Compléments aux lectures d’images – 34

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S

L e s c a f é s

u Edgar Degas, L’Absinthe (p. 79) Le peintre Edgar de Gas, dit Edgar Degas, fils d’un banquier, est né en 1834 et mort en 1917 à Paris. Élève de Lamothe (disciple d’Ingres), Degas devient peintre, mais sera également graveur, sculpteur et photographe. Il entreprend de nombreux voyages à l’étranger (Italie) et en province, mais Paris et surtout Montmartre restent son principal point d’ancrage. On le rattache généralement au mouvement de l’impressionnisme formé, dans la seconde moitié du XIXe siècle, par Monet, Cézanne, Sisley, etc. en réaction à la peinture académique de l’époque. Mais Degas ne trouve sa place dans ce mouvement qu’au nom de la liberté de peindre. Si l’art impressionniste aime les effets de lumière en plein air, lui préfère « ce que l’on ne voit plus que dans sa mémoire ». Degas, qui a souvent portraituré sa famille ou ses amis, est aussi un observateur attentif du monde du travail, des modistes, des blanchisseuses ou des repasseuses.

L’œuvre Le tableau représente un homme et une femme côte à côte sur la banquette d’un café, l’air morne et les vêtements usés. Elle a les épaules tombantes et l’air accablé, le regard absent, un visage blême dû à l’abus d’absinthe. Lui s’approprie la place et détourne d’elle sa face ravagée par le vin. Ces personnages expriment une solitude extrême accentuée par la composition : ils sont placés sur une oblique montante, selon une perspective fuyante, isolés du spectateur par une série de tables se coupant à angle droit. Le premier plan du tableau, qui occupe presque la moitié de sa surface, est pratiquement vide, comme le vide de la vie de ces personnages : deux tables de café en marbre introduisent le vide relationnel du couple qui se trouve au second plan, muré dans son isolement silencieux, le regard accablé. Le cadrage crée l’illusion d’un instantané pris par un témoin assis à une table voisine. Le verre posé devant la femme contient certainement de l’absinthe, liqueur que l’État finit par interdire à cause de ses ravages. Le lieu où se déroule cette scène est l’intérieur du café La Nouvelle Athènes, place Pigalle, fréquenté par la bohême et les artistes modernes. Les personnages sont la comédienne Ellen André (également modèle pour des artistes) et le peintre-graveur Marcellin Desboutin. On peut cependant mettre ce tableau en relation avec certaines scènes où Gervaise et Coupeau boivent ensemble (chap. XII).

u Léopold Flameng, Un café (p. 201) L’auteur Né à Bruxelles en 1831 de parents français et mort à Courgent en 1911, Léopold Flameng est à la fois un graveur, un illustrateur et un peintre français. Collaborateur à La Gazette des Beaux-Arts, médaillé à l’Exposition Universelle de 1878, il est ensuite élu à l’Académie des beaux-arts. Il doit sa célébrité surtout à ses eaux-fortes (d’après les œuvres de Van Eyck, de Léonard de Vinci, d’Ingres…). On lui doit également des illustrations d’ouvrages sur Paris et d’œuvres littéraires (Boccace, Scarron, Hugo…).

L’œuvre La scène (datée de 1859) se déroule dans un café populaire où se trouvent des hommes, des femmes et quelques enfants. La composition met en valeur, à gauche, un groupe attablé qui consomme du vin en bavardant, au fond à droite deux autres groupes de personnes qui semblent isolées, tandis qu’au premier plan, à droite, d’autres personnes debout s’occupent sans doute de régler leurs consommations. Plusieurs personnages encadrent et regardent la scène avec une position extérieure : un jeune serveur au fond à gauche, deux fillettes dont une avec un bébé dans les bras au premier plan

L’Assommoir – 35

à gauche, un très jeune serveur au premier plan à droite. Les personnages donnent une impression de repli sur eux ou sur leur groupe, le visage baissé ou à moitié caché. Leurs visages sont marqués par la misère et leurs vêtements sont pauvres, sauf ceux d’un homme coiffé d’un haut-de-forme qui semble plus aisé. On peut rapprocher ce tableau de la description de L’Assommoir.

Travaux proposés 1. Comparez ces deux représentations de cafés du XIXe siècle : technique et couleurs, répartition des personnages dans le tableau, leur nombre, relation entre eux, différences d’attitudes, atmosphère suggérée. 2. De quels passages du roman pourriez-vous rapprocher chacune de ces deux scènes ?

L e s f e m m e s a u t r a v a i l

u Edgar Degas, Les Repasseuses (p. 251) L’œuvre Degas réalisa quatre variations des Repasseuses, dont cette toile, datée de 1886, est la troisième (toile de 92,3 × 74 cm, musée d’Orsay, Paris). Derrière les repasseuses, un mur nu ; à droite, un poêle à charbon pour les fers ; devant elles, une table sur laquelle sont posés une coupelle contenant de l’eau et un linge que l’une d’elles repasse obstinément, pesant des deux mains sur son fer, le dos voûté et la tête basse ; l’autre, redressée, s’étire et bâille la bouche grande ouverte et, de sa main droite, tient une bouteille de vin, pour se désaltérer ou se réconforter. Ce thème inspirera le jeune Picasso de la période bleue. Les Repasseuses de Degas témoignent d’un regard plein de compassion sur leur fatigue. Ce sujet fait écho aux préoccupations sociales des artistes naturalistes et on peut le rapprocher des blanchisseuses de L’Assommoir, notamment dans le chapitre V. « J’ai tout bonnement décrit, en plus d’un endroit dans mes pages, quelques-uns de vos tableaux », dira Zola à Degas en 1876. Ce tableau est également à rapprocher du document publié page 5 et dont le modèle est Emma Dobigny, modèle qui a également inspiré Corot. Il s’agit d’un dessin à la craie, au fusain et au pastel, qui date de 1869. Il est également conservé au musée d’Orsay.

Travaux proposés 1. Recherchez, dans les illustrations du livre, celles qui représentent le travail des femmes au XIXe siècle. 2. À quel moment du chapitre I peut-on faire correspondre la gravure représentant la scène du lavoir (p. 38) ? 3. Comment sont suggérés le caractère pénible du travail et les relations entre les femmes dans cette scène du lavoir ? 4. Comment est mise en valeur la difficulté du travail des repasseuses ? 5. Quels aspects pénibles de ce travail apparaissent dans le chapitre V du roman (pp. 149 à 152) ?

L a c a r i c a t u r e

u Frédéric-Auguste Cazals, portrait-charge de Zola (p. 471) La caricature La caricature s’est beaucoup développée au XIXe siècle, parallèlement à l’essor de la presse. Ce mode d’expression fit fureur dans les journaux de l’époque et visait notamment les hommes politiques. Les caricaturistes Honoré Daumier (1808-1879), André Gill (1840-1885) et Charles Philippon (1800-1862), le créateur des journaux La Caricature et Le Charivari, en furent les plus célèbres représentants. Les œuvres de Zola déclenchèrent de nombreuses critiques. Dans les journaux, les caricatures du romancier sont souvent très virulentes. Ainsi, Frédéric-Auguste Cazals (1865-1941) caricature Zola

Compléments aux lectures d’images – 36

dans La Halle aux charges, « journal des farceurs » fondé en 1882, où il montre, en juillet 1885, Zola souriant à la « charogne humaine », en examinant le corps d’un des Rougon-Macquart. Dans cette caricature, son style, sa méthode, l’abondance de sa production aussi bien que les thèmes et l’idéologie des Rougon-Macquart sont tournés en dérision.

Les procédés de la caricature La caricature met en avant les caractéristiques physiques de la personne dessinée en accentuant ses particularités de façon à faire rire. Souvent une partie du corps peut servir d’identifiant à une personne qui est ainsi reconnue de tous. Parfois les caricaturistes utilisent le zoomorphisme et animalisent certaines parties du corps de personnages connus.

Travaux proposés 1. Observez la caricature de Zola (p. 471) : pourquoi, selon vous, a-t-on choisi d’accentuer certains traits du romancier ? 2. Distinguez les types de critiques adressées à Zola concernant son allure, le contenu et l’abondance de son œuvre, sa méthode et ses succès. 3. Essayez de dégager de cette étude les procédés propres à la caricature.

L ’ a d a p t a t i o n c i n é m a t o g r a p h i q u e

u Le film Gervaise de René Clément (pp. 214, 360, 461 et 500) L’auteur René Clément (1913-1996) est un réalisateur français. Grâce à sa rencontre avec Jacques Tati en 1934, il se lance dans le cinéma puis devient opérateur au Service cinématographique des armées. En 1945, il réalise son premier long métrage, La Bataille du rail, qui a pour thème la Résistance, et est également l’assistant de Jean Cocteau sur le tournage de La Belle et la Bête. En 1952, il obtient son premier succès populaire avec Jeux interdits. Son œuvre est variée et aborde différents styles : l’adaptation littéraire, avec Gervaise (1956), d’après Émile Zola, et Plein soleil (1960), d’après Patricia Highsmith ; le thriller, avec Le Passager de la pluie (1969) et La Course du lièvre à travers les champs (1972) ; la reconstitution historique (la Seconde Guerre mondiale), avec le célèbre Paris brûle-t-il ? (1966).

L’œuvre • Fiche technique – Pays : France ; durée : 1 h 51 ; année : 1956. – Scénario et dialogues : Jean Aurenche et Pierre Bost, d’après L’Assommoir d’Émile Zola. – Directeur de la photographie : Robert Juillard ; ingénieur du son : Archambault ; décorateur : Paul Bertrand ; costumier : Antoine Mayo. – Musique : Georges Auric ; paroles des chansons : Raymond Queneau. – Production : Agnès Delahaie ; production cinématographique : Silver Films. – Interprètes : Maria Schell (Gervaise), François Périer (Coupeau), Suzy Delair (Virginie), Armand Mestral (Lantier)… – Récompenses : Lion d’or, Prix Fipresci (Fédération internationale de la presse cinématographique), et Coupe Volpi pour l’interprétation de Maria Schell à la Mostra de Venise en 1957 ; BAFTA (British Film Academy) du meilleur film en 1957 ; film nommé aux Oscars à Hollywood dans la catégorie du « meilleur film étranger » en 1957. • Commentaire René Clément, Jean Aurenche et Pierre Bost menèrent des recherches sur les conditions de vie de la classe ouvrière sous le Second Empire qui confirmèrent les vérités dénoncées par Zola. Par ailleurs, René Clément s’inspira des gravures de l’époque pour peindre l’atmosphère, tant au niveau du décor qu’au niveau des costumes. Les dialogues reprennent ceux imaginés par Zola, tandis qu’un commentaire (voix off de Gervaise) relie certaines séquences, diminuant à mesure que Gervaise s’épuise jusqu’à être remplacé par le bruitage. Il traduit ainsi sa déchéance et rappelle qu’à l’origine cette histoire est avant tout la sienne.

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Servies par une musique de Georges Auric et écrites par Raymond Queneau, les paroles de la chanson de Gervaise sont bouleversantes : « À quoi bon rêver de nid et d’oiseau, / Si l’oiseau s’envole et si le nid tombe, / Si le pigeon meurt, si meurt la colombe ? / À quoi bon rêver de nid et d’oiseau ? / À quoi bon dormir si la nuit s’efface, / S’il faut de nouveau retrouver les heures, / S’il faut de nouveau retrouver les pleurs ? / À quoi bon dormir si la nuit s’efface ? / Les jours et les nuits tournent dans ma tête. / Les jours et les nuits déchirent ma vie. / À quoi bon rêver ?… Laissez-moi dormir, laissez-moi… » René Clément considérait qu’il avait mis en scène « l’histoire d’une femme qui a tenté de s’évader de la condition prolétaire du Second Empire » et qui a échoué, montrant par là les limites de notre liberté. Lui qui estimait que des causes extérieures et multiples faisaient office de rails sur lesquels nos vies étaient lancées et que nous devions finalement suivre concluait : « Le comble de l’ironie veut d’ailleurs que nous construisions de nos mains notre propre voie ferrée – et notre prison. »

Travaux proposés 1. Gervaise, Nana et Virginie (p. 360) a. Comparez les deux femmes : aspect physique, expression, attitude. b. Quel aspect de leur relation apparaît dans cette photo ? c. Caractérisez l’expression de Nana. 2. Gervaise et Coupeau (p. 461) a. Dans quelle mesure cette image correspond-elle à celle que vous vous faisiez de Gervaise ? b. Comment se traduit le bonheur du couple ? 3. Gervaise et Lantier (p. 500) a. À quelle scène correspond cette photo ? b. Quel rapport se manifeste entre les deux personnages ? c. Quelle expression et quelle attitude de Gervaise l’actrice exprime-t-elle ? d. Comparez cette expression et cette attitude avec celles de la photo page 461.

Bibliographie complémentaire – 38

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

Carnets de Zola – Émile Zola, Carnets d’enquêtes, n° 3029, Pocket, 1991.

Sur L’Assommoir – Jacques Dubois, L’Assommoir de Zola : société, discours, idéologie, coll. « Thèmes et Textes », Larousse, 1973. – Jean-Pierre Leduc-Adine, L’Assommoir d’Émile Zola, coll. « Foliothèque », n° 61, Gallimard, 1997.

Sur Zola – Alain Pagès, Émile Zola : bilan critique, coll. « 128 », n° 38, Nathan, 1993.

Sur le réalisme et le naturalisme – Colette Becker, Lire le réalisme et le naturalisme, Armand Colin, 2005. – Jacques Dubois, Les Romanciers du réel : de Balzac à Simenon, coll. « Points Essais », n° 434, Seuil, 2000. – Henri Mitterand, Zola et le Naturalisme, coll. « Que sais-je ? », n° 2314, PUF, 1986. – Alain Pagès, Le Naturalisme, coll. « Que sais-je ? », n° 604, PUF, 1989.