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Madame Bovary Gustave Flaubert Livret pédagogique correspondant au livre élève n°52 établi par Isabelle de Lisle, agrégée de Lettres modernes, professeur en lycée

00 Bovary prof - BIBLIO - HACHETTE · Commentaire Vous montrerez ... Maupassant (pp. 290-291). ... ap Emma meurt juste après avoir reconnu la voix de l’Aveugle

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Madame Bovary

Gustave Flaubert

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre élève n°52

établi par Isabelle de Lisle,

agrégée de Lettres modernes, professeur en lycée

Sommaire – 2

S O M M A I R E

A V A N T - P R O P O S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

T A B L E D E S C O R P U S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

RÉ P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Bilan de première lecture (p. 376) ..................................................................................................................................................................5

Première partie, chapitre 1 (pp. 11 à 20) .......................................................................................................................................................5 ◆�Lecture analytique de l’extrait (pp. 21-22)................................................................................................................................5 ◆�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 23 à 28)...............................................................................................................10

Deuxième partie, chapitre 8 (pp. 140 à 162)................................................................................................................................................14 ◆�Lecture analytique de l’extrait (pp. 163 à 165) .......................................................................................................................14 ◆�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 166 à 175)...........................................................................................................19

Troisième partie, chapitre 5 (pp. 272 à 287) ................................................................................................................................................24 ◆�Lecture analytique de l’extrait (pp. 288-289) .........................................................................................................................24 ◆�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 290 à 295) ..........................................................................................................28

Troisième partie, chapitre 11 (pp. 354 à 362)..............................................................................................................................................32 ◆�Lecture analytique de l’extrait (pp. 363 à 365) .......................................................................................................................32 ◆�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 366 à 375) ..........................................................................................................37

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2009. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

Madame Bovary – 3

A V A N T - P R O P O S

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes ; analyse d’une ou deux questions préliminaires ; techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Madame Bovary, en l’occurrence, permet d’étudier la représentation de la réalité, l’étude des caractères qui prévaut sur le déroulement d’une intrigue, ainsi que les fonctions argumentative et surtout esthétique du roman. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « Dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupements de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

Table des corpus – 4

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus Composition du corpus Objet(s) d’étude et niveau(x)

Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques

L’un et les autres (p. 23)

Texte A : Extrait du chapitre 1 de la première partie de Madame Bovary de Gustave Flaubert (pp. 11 à 14). Texte B : Extrait de La Vie de Marianne de Marivaux (pp. 23-24). Texte C : Extrait de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo (pp. 24 à 26). Texte D : Extrait du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (pp. 26-27).

Le roman et ses personnages : visions de l‘homme et du monde (Première)

Question préliminaire Comment les romanciers montrent-ils la singularité de leurs personnages, hommes ou animaux ? Commentaire Vous montrerez notamment comme cette simple scène est une véritable scène de torture qui acquiert une dimension symbolique.

Jeux de miroirs : les formes complexes de la narration (p. 166)

Texte A : Extrait du chapitre 8 de la deuxième partie de Madame Bovary de Gustave Flaubert (pp. 156 à 159). Texte B : Extrait de l’Odyssée d’Homère (pp. 166-167). Texte C : Extrait de Jacques le Fataliste et son Maître de Denis Diderot (pp. 167 à 169). Texte D : Second extrait de Madame Bovary de Gustave Flaubert (p. 169). Texte E : Extrait d’« Un cœur simple » de Gustave Flaubert (pp. 169-170). Texte F : Premier extrait de W ou le Souvenir d’enfance de Georges Perec (pp. 171-172). Texte G : Second extrait de W ou le Souvenir d’enfance de Georges Perec (pp. 172-173). Document : Main avec sphère réflectante de M. C. Escher (p. 173).

Le récit (Seconde) Le roman et ses personnages : visions de l‘homme et du monde (Première) L’autobiographie (Première L)

Question préliminaire Comparez la mort d’Emma et la mort de Félicité. Commentaire Vous montrerez comment l’expression fragmentaire des souvenirs permet tout de même de donner au lecteur l’image d’une enfance pendant la guerre.

Ville et modernité dans les romans du XIXe siècle (p. 290)

Texte A : Extrait du chapitre 5 de la troisième partie de Madame Bovary de Gustave Flaubert (pp. 273-274). Texte B : Extrait de Bel-Ami de Guy de Maupassant (pp. 290-291). Texte C : Extrait de L’Œuvre d’Émile Zola (pp. 292-293). Document : Jeune Homme à sa fenêtre de Gustave Caillebotte (pp. 293-294).

Un mouvement culturel et littéraire : réalisme et naturalisme (Première) Le roman et ses personnages : visions de l‘homme et du monde (Première)

Question préliminaire Étudiez la technique de la description : point de vue, insertion dans la narration et progression. Commentaire Vous pourrez montrer comment la description réaliste devient un tableau symbolique.

Le héros, du début à la fin (p. 366)

Texte A : Extrait de l’incipit de Madame Bovary de Gustave Flaubert (pp. 11-12). Texte B : Extrait de l’excipit de Madame Bovary de Gustave Flaubert (pp. 361-362). Texte C : Extrait de l’incipit de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert (pp. 366-367). Texte D : Extrait de l’excipit de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert (pp. 367-368). Texte E : Extrait de l’incipit de Germinal d’Émile Zola (pp. 369-370). Texte F : Extrait de l’excipit de Germinal d’Émile Zola (p. 370). Texte G : Extrait de l’incipit de Bel-Ami de Guy de Maupassant (p. 371). Texte H : Extrait de l’excipit de Bel-Ami de Guy de Maupassant (pp. 371-372). Texte I : Extrait de l’incipit de L’Étranger d’Albert Camus (pp. 372-373). Texte J : Extrait de l’excipit de L’Étranger d’Albert Camus (p. 373).

Le roman et ses personnages : visions de l‘homme et du monde (Première)

Question préliminaire Comment les différents personnages sont-ils introduits dans la première page de chacun des romans ? Commentaire En vous appuyant notamment sur le décor et sur la mise en scène du personnage principal, vous comparerez l’incipit et l’excipit de Germinal.

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R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 3 7 6 )

u Charles fait ses études à Rouen. v Charles est officier de santé. w Les trois femmes à porter le nom de Madame Bovary sont la mère de Charles, la veuve Dubuc que Charles épouse en premières noces et Emma Rouault. x Charles est appelé à la ferme du père Rouault car ce dernier s’est cassé la jambe. y Charles et Emma habitent à Tostes puis à Yonville-l’Abbaye. U Berthe est née à Yonville. Après le décès de ses parents, Berthe est envoyée chez une tante qui la place dans une filature de coton. V Léon est clerc de notaire. W Binet est percepteur. Il est aussi capitaine des pompiers. Il fait des ronds de serviette avec un tour. X Emma s’endette auprès de Lheureux. at Charles entreprend d’opérer Hippolyte de son pied bot. ak Justin est un apprenti qui fait fonction de préparateur et de domestique au service de la famille. al Rodolphe déclare son amour à Emma lors des comices agricoles. am Emma retrouve Léon lorsqu’elle va à Rouen avec Charles pour assister à la représentation de Lucie de Lammermoor. an La première scène d’amour réunissant Léon et Emma a lieu dans un fiacre à Rouen. ao C’est Justin qui permet à Emma d’accéder à l’arsenic tenu en réserve dans le « capharnaüm » de la pharmacie. ap Emma meurt juste après avoir reconnu la voix de l’Aveugle. aq Le père Rouault comprend que sa fille est morte quand il voit les rideaux noirs sur la maison des Bovary. ar Le pharmacien Homais reçoit la croix d’honneur à la fin du roman.

P r e m i è r e p a r t i e , c h a p i t r e 1 ( p p . 1 1 à 2 0 )

◆�Lecture analytique de l’extrait (pp. 21-22)

Une scène d’exposition u Loin des ouvertures statiques et descriptives des grands romans balzaciens, les premières pages de Madame Bovary évoquent une scène de théâtre. Le rideau se lève sur une salle de classe apparemment absorbée dans son travail (« comme surpris dans son travail »). Trois personnages entrent en scène : le Proviseur, le « nouveau » et le « garçon de classe ». Des indications de lieu et de mouvements viennent compléter les paroles rapportées au discours direct : « Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d’études […]. » La place du « nouveau » est elle aussi précisée : « Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien qu’on l’apercevait à peine […]. » L’espace est clos, comme au théâtre, et le temps de la narration court au rythme du temps fictif. Ce n’est qu’à la fin du passage délimité que nous quittons le genre théâtral : l’ellipse temporelle qui nous amène directement à la soirée (« Le soir ») ouvre la voie à un traitement plus souple du temps. En effet, de façon imperceptible, la vision s’élargit ; le point de vue devient omniscient : « Grâce, sans doute, à cette bonne volonté dont il fit preuve, il dut de ne pas descendre dans la classe inférieure. » Suit, au plus-que-parfait, un retour en arrière qui prendra toute sa place dans la suite du chapitre : « C’était le curé de son village qui lui avait commencé le latin. »

Réponses aux questions – 6

v Différents protagonistes sont mis en place dans cet incipit dynamique. Le premier mot du roman, le pronom personnel pluriel « Nous », introduit d’emblée un groupe dans lequel se glisse, totalement anonyme, un narrateur qui disparaîtra par la suite. Ce « Nous » collectif représente la classe, un modèle réduit de la société. Ensuite, on peut évoquer le personnel de l’établissement : le Proviseur, le garçon de classe, Monsieur Roger et le professeur. Enfin, au centre des regards de la classe et au centre du texte : le « nouveau ». w Si on laisse de côté le personnage principal du passage, nous avons vu que deux groupes de personnages se formaient : les adultes qui travaillent dans l’établissement et les enfants. Pour le personnel de l’établissement, un seul nom propre apparaît : Monsieur Roger. Encore ne figure-t-il que dans la parole rapportée du Proviseur par souci de réalisme. Dans la suite du passage, Monsieur Roger étant désigné comme « maître d’études », c’est sa fonction qui est mise en avant. De manière générale, les adultes présents sont définis par leur rôle au sein de l’établissement. Le Proviseur joue bien le sien : il est chargé de l’inscription des élèves et c’est donc lui qui introduit Charles Bovary dans sa classe. Il dirige l’établissement et tout le monde le respecte : « chacun se leva », « nous fit signe de nous rasseoir ». C’est aussi lui qui émet un jugement quant au travail et à l’attitude des élèves : « Si son travail et sa conduite sont méritoires […]. » Il décide enfin des passages : « il entre en cinquième », « il passera dans les grands ». De la même façon, le « garçon de classe » est défini par son métier ; c’est en effet lui qui apporte le pupitre destiné au nouvel élève. Plus loin, c’est le professeur qui dirige ; il commande en recourant abondamment à l’impératif (« Levez-vous », « Débarrassez-vous », « dites-moi », « Répétez ! »). Il punit, comme en témoigne « la pluie des pensums » ; mais il peut également se montrer bienveillant en rassurant le nouveau « d’une voix plus douce ». Du côté des élèves, le pronom liminaire « nous », que nous rencontrons six fois en tout et pour tout dans le roman et uniquement dans le passage délimité, désigne la classe à laquelle appartiendrait un hypothétique narrateur, condisciple de Charles. Ce pronom insiste sur la dimension collective de la classe, sur le fait que le je qui introduit un point de vue disparaît derrière un regard collectif. Progressivement, la 3e personne vient se substituer à cette 1re personne. Il s’agit d’abord de l’indéfini « on » (« on l’apercevait », « On commença la récitation des leçons »), qui permet le glissement vers le récit à la 3e personne. Plus loin, il est question des « écoliers » (« un rire éclatant des écoliers ») et la dimension collective, plurielle, est encore soulignée. Ensuite, le singulier s’installe et tout se passe comme si les enfants ne faisaient plus qu’un : « les huées de la classe », « un vacarme qui s’élança », « toute la classe », « Tout reprit son calme ». Enfin, on retrouve le pluriel avec « Les têtes », mais l’anonymat demeure, d’autant plus que les visages sont penchés : « Les têtes se courbèrent sur les cartons. » x Cette scène d’aspect théâtral est, dans son sens premier, un moment d’exposition. On présente un personnage au lecteur ; on expose un « nouveau » à un groupe. Le jeu des personnes qui met en présence une 1re personne du pluriel (« Nous ») face à une 3e personne du singulier (« un nouveau », « il », « le pauvre garçon ») introduit une distance à l’intérieur du groupe des enfants. Si le « nouveau » est ainsi exposé, c’est parce qu’il ne fait pas partie – du moins pas encore – du « nous », de la microsociété dans laquelle il espère se fondre. Le premier contact entre Charles et la classe se fait par le regard (« on l’apercevait à peine »). Ce regard est à sens unique, car Charles ne parvient pas à affronter le groupe. Il reste d’abord, en effet, « dans l’angle, derrière la porte » et, plus loin, il ne semble pas avoir repéré le rituel de la casquette : « soit qu’il n’eut pas remarqué cette manœuvre ». Nous avons donc bien affaire à une exposition. Le « nouveau » est le point de mire de la classe et son attitude déchaîne les rires : « Toute la classe se mit à rire », « Il y eut un rire éclatant des écoliers »… À la fin du passage, malgré l’air appliqué de la classe (« Les têtes se courbèrent »), les regards et les rires ont fait place à des gestes de persécution (« il y eût bien, de temps à autre, quelque boulette de papier lancée d’un bec de plume »).

Le « nouveau » y Le mot « nouveau » figure en italique dans la première phrase du roman, comme s’il s’agissait de montrer, dès l’ouverture, une utilisation particulière de la typographie que l’on retrouve tout au long du roman. Dans le passage délimité, le terme « nouveau » apparaît à plusieurs reprises, toujours en italique, et on relève également en italique « dans les grands » et le « genre », l’usage de l’italique pour

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les expressions latines (« Quos ego », « ridiculus sum ») étant, quant à lui, justifié par les règles typographiques. S’il faut distinguer ces deux usages et s’intéresser en priorité au premier, on aurait tort de les opposer trop rapidement tout de même. En effet, il s’agit, dans les deux cas, de rapporter un mot ou une expression appartenant à une autre langue : le latin ou le langage des collégiens. L’italique signale l’emprunt et la démarche de Flaubert est ici emblématique de son écriture : il a recours à un procédé traditionnel (l’italique pour rapporter le latin) mais qu’il détourne et utilise pour renouveler l’écriture romanesque en pratiquant d’autres emprunts. Charles Bovary est un « nouveau » pour la classe et il s’agit bien là du vocabulaire des collégiens. L’expression « dans les grands » appartient également au vocabulaire de l’école, de cette microsociété qui nous donne une image de la société représentée dans la suite du roman. L’italique introduit dans une phrase la façon de parler et, bien sûr, de voir du « nous ». C’est un procédé qui relève du discours indirect libre et qui permet de mêler les voix narratives, comme c’est le cas lors de la deuxième occurrence du mot « nouveau » : « Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien qu’on l’apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne. » Cette phrase introduit un point de vue omniscient (« était un gars de la campagne »), faussé par la focalisation interne suggérée par l’emploi du « on », en substitut plus discret du « nous », et de l’italique. Dans la suite du roman, le recours à l’italique permettra, de la même manière, de croiser et de brouiller les points de vue en faisant entendre la voix (sa façon de parler) d’une société qui est peut-être le personnage principal de l’œuvre. U Comme nous venons de le voir, l’italique permet d’introduire le vocabulaire et le point de vue d’une instance collective au sein de la narration. Le mot « nouveau » qui figure dès la phrase d’ouverture appartient au vocabulaire des collégiens, et il est à noter également que le « nous » représentant la classe figure aussi dans cette phrase liminaire, comme si Flaubert mettait face à face les deux protagonistes de l’incipit. Le fait de placer le mot « nouveau » en italique nous invite à penser que Charles Bovary n’est pas un nouveau dans l’absolu. Pour sentir la différence, il suffit de réécrire la première phrase en enlevant l’italique : « Nous étions à l’étude quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. » Privé de l’italique, le « nouveau » se range aux côtés du Proviseur et du garçon de classe ; son statut est devenu officiel, objectif. De la sorte, il fait déjà partie du système ; il a déjà sa place dans la microsociété du collège. Revenons au texte et au choix de l’italique : le « nouveau » n’est plus nouveau que pour le « nous », le terme appartenant non pas au langage officiel mais aux coutumes de la classe ; détaché par la typographie, le lecteur le repère, de même que les élèves qui lèvent les yeux de leur pupitre. À la différence de la version sans italique, notre personnage n’appartient pas objectivement au système : il est soumis à un regard et n’a pas encore sa place au collège. D’ailleurs, quelques lignes plus loin, nous voyons qu’il n’est pas vraiment entré dans la classe : il est « resté dans l’angle, derrière la porte ». V Dans la première phrase du roman, le « nouveau » est d’emblée présenté comme « habillé en bourgeois ». Le participe passé vient souligner l’inadéquation de la tenue. Si Charles est « habillé en bourgeois », c’est parce qu’il n’est pas un bourgeois et que cela se devine. Il n’en a que les apparences, apparences bien impuissantes à dissimuler la réalité de son origine. À un autre endroit stratégique de l’incipit, au tout début du portrait, l’expression « gars de la campagne » est posée comme une définition. Le verbe être employé nous donne l’impression que le personnage se réduit à sa condition sociale et que tout concourt à l’exprimer. Ce jeu de l’apparence qui révèle malgré elle une réalité qu’elle voulait cacher gouverne tout le portrait de Charles. On peut relever, d’une part, tout ce qui montre qu’effectivement notre personnage est un « gars de la campagne » : « plus haut de taille » (sans doute l’effet du grand air et du développement physique favorisé par les activités extérieures) ; « comme un chantre de village » ; « des poignets rouges habitués à être nus » ; « souliers forts, mal cirés, garnis de clous ». Le costume, quant à lui, est bien celui d’un bourgeois : « habit-veste de drap vert à boutons noirs », « la fente des parements ». Mais tout dans ce costume montre que le garçon est « habillé », c’est-à-dire « déguisé » : « laissait voir […] des poignets rouges », « pantalon jaunâtre » qui aurait dû être beige sans doute, « très tiré par les bretelles » pour indiquer une raideur qui n’est pas naturelle et que l’on devine également dans l’expression « devait le gêner aux entournures ». Cette superposition de deux images contradictoires, celle du « gars de la campagne » et celle du « bourgeois », permet de définir la position de Charles au début du roman. Sans identité définie (son nom sera incompréhensible, indistinct), il n’est plus un paysan, puisqu’il entre au collège vêtu d’un

Réponses aux questions – 8

costume de citadin, mais il n’est pas encore un bourgeois, car son origine affleure comme ses « poignets rouges habitués à être nus ». À force d’application (« cette bonne volonté dont il fit preuve ») et avec une maîtrise acceptable des codes (« il savait passablement ses règles »), il trouvera sa place dans le milieu de la petite-bourgeoisie. Il quittera la campagne pour un bourg (Tostes puis Yonville) et exercera une profession libérale (officier de santé). W La proposition qui introduit la description détaillée de la casquette de Charles pose l’adjectif qui résume l’objet : « C’était une de ces coiffures d’ordre composite. » Et, dans la suite du paragraphe, le principe du mélange des genres si cher aux romantiques (sans doute faut-il voir là un des clins d’œil de Flaubert) est illustré par l’accumulation de détails hétéroclites. Ce mélange préside au choix des matières (« loutre », « coton », « velours », « poils de lapin », « cartonné », « fils d’or ») comme à celui des formes (« rond », « Ovoïde », « renflée », « boudins circulaires », « bande rouge », « losanges de velours », « polygone cartonné », « un long cordon », « un petit croisillon », « en manière de gland »). Les références culturelles de cette casquette sont également disparates : « on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton ». L’énumération vient souligner cette multiplication des ancrages et la détruire en même temps. La fin de la description va dans ce sens : la casquette n’a pas de racine, ne représente pas une culture (« Elle était neuve ; la visière brillait »). De même que Charles n’est ni un gars de la campagne courant dans les champs, puisqu’il est au collège, ni un citadin, car ses poignets sont encore rouges, de même sa casquette est sans identité ; elle est à l’image du nom même du personnage (« Charbovari ») : informe et indistincte. Ajoutons que le semblant d’ordre introduit par la description ne fait que souligner l’absence d’unité et de signification de l’objet. En effet, Flaubert semble plaquer sur cette description un ordre chronologique, ce qui peut étonner dans un discours descriptif fonctionnant dans le récit comme un arrêt sur image. Les indicateurs qui structurent la progression de la description sont d’ordre temporel : « elle commençait », « puis », « venait ensuite », « se terminait ». Cette chronologie est justifiée par la progression du regard ; le point de vue est externe ; peut-être aussi est-il interne (celui du « nous », de la classe qui juge le « nouveau » avant d’en rire ouvertement et de lancer des projectiles) ; peut-être même est-il aussi omniscient car on sent le jugement du narrateur (« dont la laideur muette »). Et ce regard qui nous échappe est d’autant plus déroutant qu’on a l’impression d’assister, au fil de la plume, à la naissance, à l’écriture de la casquette (on serait plus proche alors d’un point de vue omniscient – mais s’agit-il encore de point de vue quand on parle de création ?). Il n’en demeure pas moins que cette progression temporelle appliquée à un objet qui, ainsi que nous le dit la toute fin de la description, n’a pas de passé (« Elle était neuve ») brouille les repères du lecteur et contribue à donner à l’objet une dimension monstrueuse. Le lecteur est décontenancé ; il ne parvient pas à cerner cette casquette qui déborde dans le temps comme dans l’espace. Il se rattache aux expressions qui proposent une vision globale : « une des ces coiffures d’ordre composite » ; « une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile » ; « Elle était neuve ». Le sentiment du lecteur est de ce fait partagé entre la distance et l’émotion. La description de la casquette de Charles rend le personnage à la fois ridicule et attachant. On pourra rapprocher la description de la casquette de Charles de celle du gâteau servi lors du mariage d’Emma. X 1. La première attitude de Charles est le retrait : « Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien qu’on l’apercevait à peine […]. » Le personnage est entre deux mondes ; il a quitté le monde de la campagne et n’a pas encore intégré celui des citadins et de la classe. 2. Charles ne parvient pas à imiter ses camarades. Il ne suit pas les règles du collège : « le maître d’études fut obligé de l’avertir, pour qu’il se mît avec nous dans les rangs ». Il ne suit pas non plus les codes qui régissent la vie de la classe ; il ne jette pas sa casquette comme les autres et ne comprend pas le « genre » qui a force de loi. 3. Le « nouveau » ne sait pas comment se comporter et il semble figé ; le fait de n’appartenir à aucun monde, d’être dans une phase de transition le prive de toute autonomie, voire de toute vie : « le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux ». L’adverbe « encore » souligne l’immobilité du personnage. Une immobilité qui s’apparente à une déshumanisation du personnage et qui provoque le rire lorsque la casquette tombe. Charles fonctionne comme un automate (le ressort par excellence du comique, selon Bergson) et ne sait pas s’adapter à la situation. Sa casquette tombe, il ne sait qu’en faire (« il ne savait s’il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête »), il s’assied quand on lui demande de se lever.

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4. Lorsque le professeur demande à Charles son nom, sa réponse est, tout d’abord, inintelligible (« une voix bredouillante », « Le même bredouillement de syllabes »). Son langage est indistinct, réduit à des « syllabes » dépourvues de sens. L’effet est à la fois comique et pathétique. Mais nous avons surtout l’impression que le « nouveau » ne parle pas la même langue que ses camarades. Il n’appartient pas encore à la classe. Ensuite, le mutisme initial devenu bredouillement aboutit à un mot que personne ne comprend : « Charbovari ». Le personnage n’a pas d’identité ; on ne peut distinguer son prénom de son nom. Le nom informe est de plus crié, comme si les efforts de Charles pour se faire comprendre n’aboutissaient pas à une meilleure articulation et à une signification mais à davantage de volume. Ce cri est comme une naissance : le personnage naît au monde de la classe et de la ville. On devine par ailleurs ici que Charles est désireux de répondre aux attentes du professeur et de la classe. Il ne rejette pas le milieu dans lequel il entre mais il lui manque les règles, le mode d’emploi, en somme, de cet univers. 5. « Ma cas… » : le nom enfin correctement articulé est suivi par un début de phrase. L’inachèvement du propos est à rapprocher de l’arrivée de Charles dans la classe. Il était « derrière la porte », en retrait, comme si son arrivée, elle aussi, était inachevée. 6. La « tenue exemplaire » du personnage indique ensuite sa volonté de ne pas se faire remarquer et de se fondre dans le groupe. 7. De manière plus générale, son attitude au collège se caractérise par la « bonne volonté » ; il se donne « beaucoup de mal » et s’applique à apprendre « les règles ». Sans doute s’agit-il des règles de grammaire, d’orthographe ou de mathématiques ; mais nous pouvons aussi penser au règlement du collège et au code institué par la microsociété des élèves (le « genre »).

Une entrée dans le roman at L’incipit est destiné à séduire le lecteur. Flaubert fuit les longues descriptions qui ouvrent le roman balzacien en posant le cadre de l’action. Il préfère exposer implicitement les thèmes majeurs de son œuvre, comme le ferait un musicien dans l’introduction d’un morceau. Il touche le lecteur en jouant sur la notion de « personnage principal » et en mélangeant les registres, si bien que le lecteur ne sait pas où se placer. Qui raconte : un auteur omniscient ? un narrateur-personnage dissimulé dans un « nous » ? Devons-nous nous identifier à ce « nous » ? à Charles ? On peut évoquer le registre pathétique : le lecteur est invité à se ranger du côté de la victime en repoussant ses bourreaux. Mais Charles est ridicule (son portrait, sa casquette, son attitude) et le registre est également comique, l’identification impossible. Il ne s’agit pas de choisir, de trancher, mais plutôt de comprendre que Flaubert, sous l’apparence d’un incipit traditionnel, révolutionne le genre romanesque et déroute le lecteur. ak Dans cet incipit programmatique, Charles est présenté comme un personnage soucieux de s’intégrer, de répondre aux attentes (« cette bonne volonté ») des professeurs et de ses camarades. De la même manière, il cherche à se conformer aux désirs et aux modèles de sa mère. Il n’agira pas autrement avec Emma, favorisant malgré lui ses liaisons (la tenue d’amazone et la jument qui permettent les rencontres avec Rodolphe, les leçons de piano qui justifient les voyages à Rouen). Il suivra également, sans plus de discernement, les conseils d’Homais ou de Lheureux. Charles, dans les premières pages, comme dans la suite du roman, se montre soumis, désireux de se comporter comme il faut. Un passage mérite toute notre attention : « s’il savait passablement ses règles, il n’avait guère d’élégance dans les tournures ». On peut rapprocher ces lignes du portrait inaugural du personnage : « son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures ». Dans les deux cas, on note une conformité à un modèle (l’habit, les règles apprises) et un manque de souplesse, d’aisance. C’est exactement l’opposé d’Emma qui soignera la forme et laissera de côté les règles… D’une certaine façon, Charles ne vit pas ; il est une ombre, une machine bien programmée (même si l’image est anachronique). Il ne naîtra qu’au moment de la mort d’Emma. On le verra alors s’opposer à sa mère et à Homais, affirmer enfin des choix personnels. al La fonction programmatique de l’incipit ne se réduit pas au portrait de Charles. La classe – le « nous » collectif auquel le lecteur est invité à s’identifier – est une image de la société que Flaubert met en scène dans son roman. La classe obéit à des lois que lui impose le collège. Il faut se lever quand le Proviseur entre, se mettre en rang lorsque la cloche sonne, obéir à un professeur dont les

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répliques sont injonctives. La société obéit également à des lois et Homais sera d’ailleurs inquiet : n’exerce-t-il pas la médecine de façon illégale ? De façon plus subtile, la classe obéit également à un ordre qu’elle a institué elle-même : le « genre », ce qui, en dehors de toute loi, se fait ou ne se fait pas. Cela ne se fait pas, par exemple, de prendre une bassine dans le « capharnaüm ». Les choses ont leur place selon un ordre (un « genre » ?) tacite et Homais incarnera cet ordre parallèle qui fait fi des lois officielles, comme l’interdiction à un pharmacien d’exercer la médecine. Dans le monde d’Homais, dont la classe est une image, le désordre (le « nouveau », « Charbovari » faisant penser à charivari) n’a pas sa place : Hippolyte devra marcher comme tout le monde et il faudra enfermer l’aveugle. Autant dire qu’Emma, cette jeune femme qui refuse les règles et privilégie la forme, la tournure (la tenue d’amazone, par exemple), n’a pas non plus sa place à Yonville. La scène liminaire surprend le lecteur qui s’attend à rencontrer l’héroïne éponyme et lui apprend que le roman est différent : Emma n’est peut-être pas le personnage principal. Est-ce Charles ? la société ? Faut-il surtout qu’il y ait un personnage principal ? L’incipit met en place les thèmes du roman : la société et ses règles, la différence (le « nouveau ») et l’attitude du « nous », c’est-à-dire de la société.

◆�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 23 à 28)

Examen des textes u Le mot « foule » apparaît dans le troisième paragraphe. Il s’agit des personnes qui ont assisté à l’office religieux qui vient de s’achever. Dans la phrase qui précède, on a déjà un mot qui évoque, par le pluriel et l’indéfini, cette foule : « il parlait à des personnes qui l’arrêtaient ». Plus loin dans le texte, on relève l’expression « tout le monde », anonyme et indéfinie. C’est ensuite le pronom « on » qui, à cinq reprises, représente la foule. Le rôle joué par cette foule est double. Dans un premier temps, elle fait figure d’opposant. Le jeune homme regarde Marianne mais il est arrêté par des « personnes ». Pendant ce temps, la foule entraîne Marianne et l’éloigne de l’inconnu. Une étude des fonctions grammaticales permet de montrer cette force négative de la foule ; elle est en effet sujet (du verbe « arrêtaient » comme des verbes « enveloppa » et « entraîna »), alors que les deux jeunes gens sont en position d’objet de ces mêmes verbes (« l’ » et « m’ »). À la fin du texte, le pronom « on » qui représente la foule est également sujet et Marianne est d’autant plus objet que l’accident l’a immobilisée. Mais l’action de la foule est cette fois-ci positive, puisqu’elle porte Marianne vers le jeune homme dont elle tombée amoureuse. En effet, il s’avère que l’inconnu fait à ce moment-là partie de la foule : « parmi ceux qui s’empressaient à me secourir, je reconnus le jeune homme ». v La brièveté des phrases caractérise le texte B et l’on notera aussi que les paragraphes sont courts également, ce qui contribue à donner au passage un rythme alerte. Le grand nombre de propositions indépendantes donne vie à l’événement. Il donne également toute sa spontanéité au récit de forme autobiographique. Marianne dédie ses mémoires à une amie et le roman s’apparente à une longue lettre. La brièveté des phrases participe de l’illusion réaliste et séduit le lecteur. w Le portrait de Quasimodo est introduit par le regard de la foule qui vient de découvrir, à la lucarne, la grimace du personnage et qui le découvre ensuite en entier. L’étonnement (« acclamation », « surprise », « étonnement ») est souligné ; il justifie pleinement la description du personnage. La phrase particulièrement brève « la grimace était son visage » appelle aussi des explications complémentaires. Le retour au récit après la description indique l’immobilité de Quasimodo, une immobilité qui justifie également la pause descriptive. x La monstruosité du personnage apparaît dans ses dimensions : « une grosse tête », « une bosse énorme », « de larges pieds », « un géant ». À cela s’ajoute la difformité du personnage : « une bosse », « si étrangement fourvoyées », « cette difformité », « mal ressoudé ». L’absence d’harmonie est également signalée. Le recours à la comparaison donne l’impression au lecteur que le lexique habituel du portrait n’est pas adapté au personnage et qu’il est nécessaire de recourir à d’autres références : « deux croissants de faucilles », « On eût dit un géant brisé et mal ressoudé ». y Dans l’extrait du Voyage au bout de la nuit, le jeu des regards est complexe. Il s’agit d’abord de la foule qui regarde le cochon : « pour voir le cochon crouler dans ses gros plis roses ». L’animal, quant à lui, ne semble pas regarder la foule ; tous ses efforts tendent, au contraire, à échapper au regard (et à la

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torture) de la foule : « à force de vouloir s’enfuir », « Il ne savait pas comment échapper aux hommes », « après chaque effort pour s’enfuir ». Cette scène est regardée par le narrateur ; ses yeux se portent autant sur l’animal que sur la foule : « Les gens lui tortillaient les oreilles », « Le charcutier, par-derrière sa boutique »… La phrase « Fallait s’écraser pour voir ce qui se passait, en cercle » est, quant à elle, ambiguë, car on ne sait pas si le on collectif englobe le narrateur et s’il s’agit de voir la foule ou de voir le cochon.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Le corpus réunit quatre pages de romans : un extrait de La Vie de Marianne, une œuvre composée par Marivaux au XVIIIe siècle ; deux pages du XIXe siècle, l’une de Victor Hugo (Notre-Dame de Paris) et l’autre de Flaubert (Madame Bovary) ; le quatrième passage est tiré d’un roman du XXe siècle (Voyage au bout de la nuit de Céline). Chacun des quatre auteurs place son personnage au milieu d’une foule, et nous pouvons nous intéresser aux relations que les individualités détachées par le récit entretiennent avec l’instance collective qui les entoure. Dans le texte B, la foule que Marianne a côtoyée durant l’office religieux constitue au début du passage un obstacle à la rencontre amoureuse. D’un côté, la jeune fille est entraînée par le monde et, de l’autre, le jeune homme ne parvient pas à l’aborder car il est entrepris par des « personnes » qui font partie de l’assistance. Mais l’on assiste à un retournement de situation. En effet, à la fin du texte, c’est la foule qui semble porter Marianne et favoriser la rencontre souhaitée ; il s’avère, en effet, que le jeune homme se détache des personnes qui sont venues au secours de l’héroïne. Ce passage est à l’image d’un roman dans lequel la société est, pour le bonheur individuel, à la fois un vecteur et un obstacle. Le texte C met en scène, comme au théâtre, un personnage monstrueux : Quasimodo, le sonneur de cloches de Notre-Dame. Le personnage est face à la foule et il est acclamé. Sa consécration comme pape des fous est caractéristique de l’inversion carnavalesque de la fête. La foule choisit le plus laid de tous et ce choix est en fait à comprendre comme un rejet. Quasimodo ne comprend pas l’enjeu ni le sens de la cérémonie, et il ne voit pas ce qui se cache derrière cette acclamation. « Quasimodo, objet du tumulte, se tenait toujours sur la porte de la chapelle, debout, sombre et grave, se laissant admirer » ; pendant ce temps, les femmes l’insultent et le rejettent. On retrouvera ce même rejet de la différence à propos de la jeune bohémienne Esméralda. Flaubert, dans le texte A, place son personnage dans une zone intermédiaire (« dans l’angle, derrière la porte ») entre le monde de la campagne qu’il rejette et celui de la ville qu’il n’a pas encore intégré. Charles est présenté comme un « nouveau » face au regard interrogateur puis moqueur d’une classe représentée par le pronom « nous ». Le personnage ne sait pas comment se comporter et il reste immobile ou muet ; la classe, elle, juge, se moque du garçon qui ne parvient pas encore à assimiler les lois imposées par l’institution comme les règles (« le genre ») dictées par les élèves eux-mêmes. L’incipit de Madame Bovary nous montre un personnage désireux de se fondre dans une société normative qui rejette différence et individualité ; le roman est en germe dans ces pages d’ouverture. Dans le texte D, la foule est opposée à deux personnages : le cochon qu’elle torture et le narrateur qui l’observe avec dégoût. L’animal ne désire qu’une chose : « échapper » au rire et à la persécution. Il est le point de mire de tous les regards sans pitié et sans doute représente-t-il la misérable condition des hommes, car le vocabulaire qui lui est appliqué est humain. Le narrateur vient d’apprendre que Bébert ne pourra pas être guéri et son récit exprime tout son désespoir. Le monde est désespérément injuste. Bébert n’échappera pas plus à la maladie liée aux conditions de son existence dans un quartier défavorisé que le cochon ne pourra fuir le couteau du charcutier. La scène du cochon met en avant la cruauté et l’absurdité du monde. Les hommes sont à la fois victimes (le cochon, Bébert, Bardamu impuissant) et bourreaux (la foule qui se moque et persécute). Ainsi, ces quatre textes expriment la complexité des rapports entre un individu et la société à laquelle il appartient.

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Commentaire

1. Une scène de rue A. Une scène qui forme un tout • La scène est une parenthèse dans le récit : « un petit tour », pas de lien explicite avec l’histoire principale. • Une scène centrée sur le cochon et l’attroupement qu’il provoque ; la scène s’achève lorsque la foule est dispersée. • Image du cercle : la foule forme un cercle autour du cochon, le texte forme un cercle. Cette figure récurrente souligne l’absurdité du monde et le désespoir du narrateur. B. Une scène populaire • Les personnages : le charcutier ; le cochon, symbole de liesse populaire ; le collectif (« les gens »). • La distraction populaire : champ lexical du « plaisir ». • Le langage familier. C. La curiosité du narrateur • La curiosité du narrateur est un élément moteur et le narrateur s’identifie partiellement à la foule : « aussi ». • On note cependant une distance ; le regard du narrateur est double : il se porte sur l’animal et sur la foule.

2. Une scène de torture A. Le sadisme de la foule • Le cochon est prisonnier (cercle). • Le comportement sadique de la foule : la souffrance et le plaisir. • Le crescendo de la scène : « toujours plus de monde », « Ce n’était cependant pas encore assez ». B. L’impuissance du cochon • La bonne santé du cochon vient souligner par contraste sa souffrance. • La souffrance de l’animal : le champ lexical du cri. • L’impuissance du cochon : les efforts et leur inutilité ; la situation tragique de l’animal (transition).

3. Une scène symbolique A. La valeur symbolique du spectacle Le glissement des temps : le présent de narration qui exprime le caractère ponctuel de la scène fait place à un imparfait qui installe une durée (« il ne savait pas ») et à des infinitifs qui ont une valeur d’universalité (« Grogner », « hurler »). B. Identification du narrateur et du cochon • Glissement des points de vue. • Le vocabulaire humain rapporté à l’animal : « vouloir », « Il geignait », « Il le comprenait ». • « Il geignait aussi lui » : l’adverbe « aussi » associe au cochon le narrateur désespéré par la maladie incurable de Bébert. C. Une représentation de la condition humaine • Le cochon représente la misère humaine, sa faiblesse, son impuissance, sa condition tragique ; les efforts de l’homme sont vains : Bardamu, en effet, ne pourra pas sauver Bébert. • Faiblesse morale de l’homme : le sadisme de la foule, l’incapacité du narrateur à intervenir.

Dissertation

1. La vocation du roman est bien de situer un personnage dans la société A. De nombreuses scènes de romans placent le personnage dans la société • Scènes de première rencontre : la princesse de Clèves et le duc de Nemours se rencontrent à l’occasion d’un bal dans le roman de Madame de Lafayette ; le roman de Marguerite Duras Le Ravissement de Lol V. Stein réécrit ce passage. On peut aussi évoquer La Vie de Marianne de Marivaux (texte B).

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• Scènes de foule : Germinal de Zola, L’Éducation sentimentale de Flaubert (1869), Atonement (Expiation dans sa traduction française – récit, pour une partie sur fond de guerre de 1940, d’une romancière qui, adolescente, a accusé de viol celui qu’elle aimait) de Ian McEwan. B. Le personnage représente une catégorie sociale • Le romancier cherche à représenter la société et son personnage principal représente une catégorie sociale particulière. • Balzac et le roman réaliste : le jeune aristocrate venu de province (Rastignac dans Le Père Goriot ou Rubempré dans Illusions perdues), les bourgeoises devenues nobles (les filles du père Goriot). • Zola : La Maheude pour représenter les mineurs, Gervaise pour évoquer la déchéance par l’alcool dans les villes. C. Le personnage s’oppose à la société Le roman pose souvent le problème de l’intégration d’un personnage ; il s’agit fréquemment d’une opposition, d’une incompatibilité qui génèrent une tension dynamique. Le personnage peut aussi chercher à conquérir la société (Rastignac dans la dernière page du Père Goriot, Georges Duroy à la fin de Bel-Ami). On pourra évoquer aussi Madame Bovary de Flaubert, Thérèse Desqueyroux de François Mauriac et La Tache de Philippe Roth.

2. Le roman s’intéresse au personnage pour lui-même A. L’analyse des sentiments • Le roman de forme autobiographique : le récit se présente comme un retour sur soi qui vise à élucider ce qui a été vécu (La Vie de Marianne, Expiation). • L’analyse des sentiments trouve aussi sa place dans le récit à la 3e personne : La Princesse de Clèves et le renoncement tragique, Madame Bovary ou Une vie de Maupassant et le jeu des désillusions. B. Une réflexion sur l’existence Au-delà d’une réflexion sur les sentiments et les comportements, le roman nous invite à nous interroger sur notre vie et sur sa signification : – le vide : Madame Bovary ou Une vie ; – le don de soi pour une cause : La Condition humaine de Malraux ; – la remise en cause de nos certitudes et de notre quotidien : Samedi de Ian McEwan.

3. La vocation du monde dépasse la définition, la mise en place ou la représentation du personnage A. Le roman n’est pas le réel • Les traits du personnage sont soulignés et le banal est banni. • La société mise en scène dans le roman n’est pas non plus la réalité. Il s’agit d’une vision du réel et non d’une photographie, comme le rappelle Maupassant dans la préface de Pierre et Jean. B. La vocation du roman est esthétique • La composition du roman est déterminante : les figures de la répétition dans Madame Bovary, l’enchaînement des volumes de La Recherche du temps perdu de Marcel Proust. • Les descriptions et la signification des détails : Madame Bovary. C. Le plaisir de la lecture La vocation du roman n’est-elle pas avant tout de plaire au lecteur : – en l’arrachant au réel, s’il le souhaite (le divertissement) ; – en lui procurant un plaisir esthétique ; – en lui faisant éprouver des émotions : rire, larmes, parfois les deux à la fois (Flaubert, Céline) ; – en faisant vivre des personnages et une société ?

Écriture d’invention Le sujet proposé est un exercice de style qui ne demande pas le développement d’une argumentation et qui s’appuie sur le corpus. On attend que soient respectées les consignes formelles concernant les types de discours (narratif et descriptif) et le recours au dialogue. Le texte produit devra véhiculer de façon implicite une réflexion sur la place de l’individu au sein du groupe et sur les éventuelles tensions qui peuvent être générées.

Réponses aux questions – 14

D e u x i è m e p a r t i e , c h a p i t r e 8 ( p p . 1 4 0 à 1 6 2 )

◆�Lecture analytique de l’extrait (pp. 163 à 165)

La composition de la scène u Le passage comprend trois étapes caractérisées par trois formes narratives différentes. Flaubert utilise toutes les ressources de la narration dans cette scène complexe : 1. Les paroles croisées de M. Derozerays et Rodolphe : du début à « existence antérieure » Les paroles sont fondues dans la narration. Flaubert a recours au discours indirect et au discours narrativisé. Le discours indirect libre permet aussi de couler les paroles dans la narration. – Discours indirect : « M. le président citait Cincinnatus à sa charrue, Dioclétien plantant ses choux, et les empereurs de la Chine inaugurant l’année par des semailles, le jeune homme expliquait à la jeune femme que ces attractions irrésistibles tiraient leur cause de quelque existence antérieure. » – Discours narrativisé : « Rodolphe, avec madame Bovary, causait rêves, pressentiments, magnétisme » ; « l’orateur vous dépeignait ces temps farouches où les hommes vivaient de glands, au fond des bois ». – Discours indirect libre : « Puis ils avaient quitté la dépouille des bêtes, endossé le drap, creusé des sillons, planté la vigne. Était-ce un bien, et n’y avait-il pas dans cette découverte plus d’inconvénients que d’avantages ? » 2. Les paroles rapportées directement : « – Ainsi, nous, disait-il […] qu’elle approche donc » Il s’agit d’un dialogue entre Rodolphe et Emma mais aussi du discours du président qui distribue les différents prix. Quelques phrases de narration viennent s’intercaler dans le dialogue. Le discours direct se reconnaît à la ponctuation (tirets et guillemets) et aux verbes introducteurs. On relève deux incises narratives (« cria le président », « répéta le conseiller ») et trois propositions introductrices (« il s’écria », « il se hâtait », « qui chuchotaient »). 3. Le discours descriptif : « Alors on vit s’avancer […] servitude » La description de Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux est conduite à l’imparfait. Elle est l’occasion également d’une évocation de sa vie. On rappellera bien aux élèves que le mot discours peut avoir deux sens différents selon qu’il s’agit des paroles rapportées (discours direct, indirect, indirect libre, narrativisé) ou de la finalité (narrative, descriptive, explicative, argumentative) d’un texte. v La scène des comices, dans sa partie centrale, se déroule à deux niveaux géographiquement distincts. Rodolphe et Emma sont au premier étage de la mairie, dans « la salle des délibérations », et ils observent les comices agricoles qui se déroulent à leurs pieds. Deux scènes sont donc juxtaposées : la déclaration d’amour qui a lieu à l’intérieur de la mairie et la remise des prix qui se tient à l’extérieur. La particularité du passage étudié réside justement dans la juxtaposition, l’alternance de ces deux scènes bien opposées (discours intime, discours public), ainsi que dans les échos et les éclairages générés par cet entrecroisement. Le dédoublement peut être observé dans les deux premiers mouvements du plan dégagé à la question précédente. 1. Les propos croisés de Derozerays et de Rodolphe Dans les deux cas, il s’agit d’un discours et non d’un dialogue. Flaubert alterne les deux scènes sans ménager de transition, ce qui ne manque pas de déconcerter le lecteur. a) « Monsieur Derozerays […] à la civilisation » : discours du président du jury. b) « Rodolphe […] magnétisme » : discours de Rodolphe. c) « Remontant […] problème » : discours du président. d) La juxtaposition se resserre et s’articule au sein de la même phrase : une proposition indépendante (« Du magnétisme, peu à peu, Rodolphe en était venu aux affinités ») est coordonnée à une principale (« le jeune homme […] existence antérieure »), qui reprend le fil du discours amoureux après l’insertion d’une subordonnée de temps qui, en simultané, rapporte ce qui se passe à l’extérieur (« tandis que M. le Président […] des semailles »). On voit que l’entrelacement des deux fils narratifs tisse un réseau de plus en plus dense. 2. Le dialogue amoureux et la remise des prix Les répliques amoureuses sont entrecoupées par le discours du président qui remet les prix lors des comices. Il est possible de reconstituer les paroles de Rodolphe en enlevant tout simplement ce qui concerne la remise des prix. Les points de suspension qui terminent la première réplique du jeune homme montrent bien que la phrase est interrompue. De plus, la syntaxe de la réplique montre son

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inachèvement : la première partie d’une proposition principale (« Tantôt, par exemple ») et une proposition subordonnée de temps (« quand je suis venu chez vous »). Cet inachèvement invite le lecteur à attendre la seconde partie de la proposition principale ; elle apparaît, accompagnée d’une complétive, après l’interruption du président, dans la réplique suivante : « Savais-je que je vous accompagnerais ? » À partir de là, le lecteur a compris le fonctionnement du dialogue croisé et il perçoit la continuité des deux discours (le discours amoureux et la distribution des prix). À la fin de ce mouvement caractérisé par le recours au discours direct, on n’entend plus que le président et des voix anonymes dans la foule. Peu avant, un paragraphe narratif a mentionné la fin du dialogue amoureux : « Rodolphe ne parlait plus. » Le lecteur comprend donc que l’alternance des deux scènes est achevée et que les tirets qui se succèdent ne se rapportent plus qu’à des voix extérieures. 3. La description de Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux Le dialogue amoureux s’est tu et il ne sera question de Rodolphe et d’Emma que lorsque la remise des prix sera achevée : « Madame Bovary prit le bras de Rodolphe. » La fin du passage délimité est donc exclusivement centrée sur la scène des comices. w Le dédoublement de la scène donne l’impression que le narrateur cherche à embrasser l’ensemble de ce qui se déroule à un moment donné, à l’intérieur comme à l’extérieur. L’alternance sans transition, notamment dans les paroles rapportées directement, donne l’illusion d’une saisie quasi photographique, immédiate, des propos, comme si aucun artifice littéraire ne venait brouiller, avec des transitions ou une mise en place narrative, la vérité de cette présentation brute. x Le choix de la précision relève également de l’écriture réaliste. Dans le discours du président, on relève des noms de personnes et de lieux, un vocabulaire technique (« Emploi de tourteaux de graines oléagineuses », « Engrais flamand », etc.), des notations concernant les prix (« Soixante et dix francs », « soixante francs »), autant de détails qui ancrent la fiction dans un cadre réel. On devine que Flaubert nourrit son récit de l’observation de véritables comices. Cette démarche fait penser à celle du naturalisme tel que le pratiquera Zola : observation de la réalité et mise en situation des personnages fictifs dans un contexte réel. Dans la première partie du passage, les références à Cincinnatus et à Dioclétien et l’impression que la narration, recourant au discours indirect, est fidèle aux propos tenus concourent également à créer une illusion de réel. L’écriture romanesque, après Balzac et avant Zola, semble destinée ici à reproduire au mieux la réalité la plus quotidienne.

La déclaration d’amour y La déclaration d’amour de Rodolphe prend la forme d’une scène conventionnelle du roman d’amour. Dans un premier temps, seul Rodolphe parle. C’est la première étape de notre passage : les paroles rapportées indirectement ou narrativisées. Madame Bovary se contente d’écouter les propos du jeune homme (« expliquait à la jeune femme »). Ce dernier verbe montre bien que Rodolphe maîtrise la scène, qu’il l’oriente à son gré. On peut même évoquer une stratégie froidement calculée quand on sait que le jeune homme a délibérément laissé passer du temps entre la première rencontre et la déclaration : « Rodolphe en était venu aux affinités » ; on devine ici la maîtrise du discours amoureux alors que la jeune femme, qui pouvait participer au départ (« avec »), se tait complètement. Si le discours préliminaire de Rodolphe est rapporté indirectement, la déclaration proprement dite apparaît dans le passage en discours direct. C’est le moment clé de la scène et Flaubert choisit de le mettre ainsi en relief. Madame Bovary ne répond que deux fois. Dans sa première réplique (« Mais vous m’oublierez, j’aurai passé comme une ombre »), le « mais » marque une opposition qui pourrait être celle d’une femme mariée rejetant une déclaration inconvenante ; mais il s’agit plutôt d’une invitation à poursuivre en repoussant son objection. À la fin du passage, la jeune femme se tait et ne s’exprime plus que par des gestes dont Rodolphe sait profiter : « soit qu’elle essayât de la [sa main] dégager ou bien qu’elle répondît à cette pression, elle fit un mouvement des doigts ; il s’écria : – Oh ! merci ! Vous ne me repoussez pas ! ». Les gestes se sont substitués aux mots : « Rodolphe ne parlait plus. Ils se regardaient. Un désir suprême faisait frissonner leurs lèvres sèches ; et, mollement, sans effort, leurs doigts se confondirent. » Dans la dernière étape du passage délimité, il n’est plus question de Rodolphe et d’Emma et tout est centré sur Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux. Ce n’est que plus loin que l’on voit le jeune homme raccompagner Emma chez elle. Le parallélisme des deux scènes laisse donc un blanc à l’étage de la

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mairie, tandis que la servante reçoit son prix – blanc que le lecteur comble à son gré. Ce procédé de l’ellipse sera utilisé également lors de la première scène d’adultère dans les bois. U Flaubert utilise trois imparfaits (« parlait », « regardaient », « faisait ») puis un passé simple (« se confondirent »). L’imparfait installe une durée et fige la scène dans une sorte d’éternité. Le passé simple marque un retour au déroulement temporel ; il est souvent employé pour exprimer un enchaînement d’actions. Mais, ici, un seul verbe est au passé simple, comme si le lecteur devait imaginer, dans l’ellipse, la suite des actions. V Flaubert a recours à des propositions indépendantes. Elles sont, du moins au début, brèves et juxtaposées. La brièveté et l’asyndète introduisent un désordre qui exprime la montée du « désir suprême ». Le passage au passé simple qui marque le retour au déroulement temporel s’accompagne de la conjonction de coordination « et » caractéristique du style de Flaubert. On a l’impression que ce « et » lance un mécanisme (le temps tout simplement) qui s’était un instant arrêté. Le rythme de la proposition est alors croissant, comme si le temps prenait progressivement toute son ampleur. W La mise en place des deux scènes, celle qui se déroule au premier étage de la mairie et celle des comices sur la place, se voit dans la juxtaposition, sans transition, du discours de Rodolphe et de celui du président. Quand le premier déploie les prémices d’une stratégie amoureuse éprouvée, le second introduit la remise des prix. Deux domaines à première vue étrangers mais qui, par la juxtaposition et par un jeu d’échos, se trouvent réunis. Plusieurs points communs peuvent être relevés : – Il s’agit de deux introductions : le président s’apprête à remettre les prix et Rodolphe se prépare à déclarer son amour. Nous avons donc affaire à deux discours préliminaires, ce qui renforce le parallélisme des deux scènes. – Les deux discours évoquent des généralités : le président fait référence à « la religion », à « l’agriculture » et à « la civilisation » ; Rodolphe cause « rêves, pressentiments, magnétisme », le pluriel exprimant la généralisation. – Les deux discours introduisent une perspective temporelle : le président s’appuie sur « ces temps farouches où les hommes vivaient de glands », puis il cite Cincinnatus et Dioclétien ; Rodolphe, quant à lui, explique également son magnétisme par le passé (« ces attractions irrésistibles tiraient leur cause de quelque existence antérieure »). Ainsi, le lecteur perçoit des échos entre les deux discours pourtant bien distincts. Ces résonances modifient nécessairement l’effet que chacun des deux discours aurait séparément sur le lecteur. Les propos du président et sa perspective historique se trouvent démasqués par les propos de Rodolphe. Dans le même temps, le discours amoureux de Rodolphe est ridiculisé par l’évocation des « glands » ou des « sillons ». Les points communs amusent et font ressortir les dissemblances ; c’est surtout l’introduction romantique de Rodolphe qui se trouve discréditée par la lourdeur rhétorique du discours concret du président. X Comme dans la première partie du passage délimité, on est frappé, dans l’étape au discours direct, par l’entrecroisement sans ménagement des deux niveaux de paroles. On a vu que la continuité de la syntaxe dans les deux premières répliques de Rodolphe permettait de montrer au lecteur le fonctionnement du dédoublement et l’alternance des deux scènes. Ainsi l’interruption « À M. Bizet, de Quincampoix » est d’abord remarquable par la rupture qu’elle introduit dans le discours amoureux. Rodolphe et Emma ignorent ce qui se passe sur la place et les personnages qui participent à la remise des prix ignorent également ce qui se passe dans la salle des délibérations. Seuls les lecteurs perçoivent en surimpression les deux échanges. L’enchaînement des répliques se caractérise donc d’abord par la rupture, l’écart radical entre un discours amoureux romantique et le réalisme prosaïque de la remise des prix. Mais nous retrouvons ici le jeu d’échos subversifs présent dans la première étape du texte. Le discours du président semble déteindre sur la déclaration d’amour et nous empêcher de la prendre au pied de la lettre : – Deux nombres (« Soixante et dix francs » et « cent fois ») se font écho. – Le mot « Fumiers », sorti de son contexte, peut être pris pour une insulte, ce qui pourrait être la réponse d’Emma ou l’avis d’un lecteur étranger au romantisme conventionnel de la scène. Les références aux animaux, surtout la dernière, vont dans le même sens : « un bélier mérinos », « Race porcine, prix ex æquo » ; Emma vient enfin de parler et c’est la seule parole de la jeune femme dans le passage ; on est en droit de se demander si le prix ex æquo n’est pas à partager entre les deux jeunes gens…

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– Une « médaille d’or », récompense suprême, s’accorde avec les hyperboles de Rodolphe : « ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie » ; « jamais je n’ai trouvé ». – Le nom « Cullembourg » rappelle sans aucun doute le mot calembour et on comprend que Flaubert s’amuse ici. at L’étude de la première étape du passage, comme celle de l’enchaînement des répliques, montre qu’il ne s’agit pas seulement ici pour Flaubert de fixer, comme par un procédé d’instantané photographique, deux scènes concomitantes. Ce qui frappe d’abord, c’est bien entendu l’écart entre le prosaïsme des comices et le romantisme du dialogue amoureux. Mais – nous l’avons vu – un jeu subtil d’échos vient établir des liens entre les deux discours et tout est fait (absence de transition, suppression des incises narratives) pour établir une confusion entre deux scènes pourtant radicalement opposées. Ainsi le lecteur ne peut s’attacher à l’une des deux scènes sans subir la contagion de l’autre. Le prosaïsme des comices est mis en relief par les idéaux brassés par Rodolphe. Mais c’est surtout le discours amoureux qui se voit rabaissé par la mention du fumier, du bélier ou de la race porcine. Le procédé de dédoublement sert moins l’effet de réel que la satire. Flaubert joue avec le langage (M. Cullembourg nous fait penser au calembour) et avec les ressources de la narration (les différentes formes de paroles rapportées) pour dérouter le lecteur et l’empêcher d’adhérer à l’une ou l’autre des scènes comme c’est le cas dans le roman traditionnel. ak La juxtaposition des deux scènes ainsi que les effets de résonance introduits discréditent le discours amoureux conventionnel et éclairent la parodie de la déclaration romantique. Les hyperboles qui mettent en avant les stéréotypes contribuent également à la parodie. De même que le discours politique de la première partie est parodié, de même celui de Rodolphe additionne les clichés. Des expressions toutes faites (n’oublions pas le Dictionnaire des idées reçues) comme « Remontant au berceau des sociétés » signalent un registre et le lecteur comprend que le discours de Rodolphe est du même ordre. Il s’agit d’abord de la place accordée aux « rêves » et aux sciences occultes (« pressentiments », « magnétisme »). Puis, à la toute fin du discours, c’est l’idée rebattue, notamment chez les romantiques, de la métempsychose : « quelque existence antérieure ». Le magnétisme invoqué se précise dans le passage au discours direct : « Cent fois même j’ai voulu partir, et je vous ai suivie, je suis resté. » Suivent le cliché de l’amour éternel et la gradation conventionnelle qui s’y rattache : « ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie ! » Dans la tradition de l’amour courtois que cultivent les romantiques, la femme a tous les pouvoirs et décide du bonheur de celui qui l’aime. C’est ce que nous retrouvons ici : « Vous ne me repoussez pas ! Vous êtes bonne ! » Le jeune homme, dans ce code amoureux, est entièrement soumis à la dame : « Vous comprenez que je suis à vous ! » L’usage récurrent des modalités interrogative et exclamative comme de l’interjection « Oh ! » relève aussi de l’hyperbole et de la parodie.

Un regard sur la société

al En brossant la scène des comices, Flaubert nous donne une image complète de la société provinciale de son temps. Rodolphe représente le jeune homme aisé qui sait profiter de l’existence et qui maîtrise parfaitement la stratégie du discours amoureux. Emma, comme dans le reste du roman, est la petite bourgeoise éblouie par ce personnage situé au-dessus d’elle dans la hiérarchie. C’est un lointain reste (une dégradation comme il en existe tant dans le roman) de l’épisode du bal à la Vaubyessard. Le panorama social se poursuit sur la place. Les notables (M. Lieuvain, M. Derozerays) se relaient pour les discours et monopolisent l’attention : quand l’un s’assied, l’autre se lève et prend la parole. La distribution des prix est l’occasion d’une liste de noms. Il s’agit des paysans récompensés ; à chaque fois le nom est associé à un lieu (ancré dans un espace rural) et à un prix (« Soixante et dix francs », « soixante francs », « vingt-cinq francs »). On a l’impression que ces personnages se réduisent à une identité sociale et à une valeur marchande. Ils sont d’ailleurs mis sur le même plan que les animaux énumérés (le bélier ou la race porcine). Lorsqu’il est question de Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux, deux nombres se font tristement écho : « cinquante-quatre ans de service dans la même ferme, une médaille d’argent – du prix de vingt-cinq francs ». Ainsi Flaubert donne une représentation complète de la société de Yonville et pose un regard critique sur une hiérarchie qui réduit le bas de l’échelle à une valeur marchande. À la toute fin du passage, la dernière phrase exprime violemment l’écart social entre les « bourgeois épanouis » et le « demi-siècle de servitude ».

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am Le premier verbe du paragraphe est un verbe de perception (« vit ») dont le sujet est anonyme (« on »), ce qui permet l’introduction de la description, selon un procédé déjà utilisé dans l’incipit pour la présentation de Charles. Le passé simple d’ouverture fait aussitôt place à l’imparfait qui installe une durée. C’est le dialogue qui marquera clairement le retour au récit, mais, dans le paragraphe descriptif, le retour à la narration est annoncé par une expression de transition : « elle demeurait tout immobile ». Nous sommes déjà dans la narration (une action), mais l’imparfait et l’immobilité maintiennent encore le discours descriptif. an Le paragraphe multiplie les notations descriptives, qu’il s’agisse des vêtements (« grand tablier bleu », « béguin sans bordure », « camisole rouge ») ou du personnage lui-même (« visage maigre », « plus plissé de rides qu’une pomme de reinette flétrie », « articulations noueuses », « regard pâle »). Tout souligne l’usure et la misère. Mais le discours descriptif se double d’un discours explicatif. Chaque élément évoqué est expliqué par un aspect de la vie du personnage. Ainsi l’état des mains est dû à « la poussière des granges », à « la potasse des lessives » et au « suint des laines ». Les mains restent « entrouvertes […] à force d’avoir servi » et le « mutisme » de la servante s’explique par « la fréquentation des animaux ». Le recours au plus-que-parfait permet le retour en arrière et signale le point de vue omniscient. ao Après le jeu amusant du dédoublement des scènes et des échos entre les deux discours, la description de la servante marque un changement de registre. Le satirique a fait place au pathétique, voire au tragique : – Registre pathétique : la misère du personnage est soulignée (« pauvres vêtements ») et on peut relever un champ lexical de la souffrance (« maigre », « éraillées », « souffrances subies ») et de la peur (« maintien craintif », « intérieurement effarouchée »). L’humilité du personnage (« humble témoignage ») renforce le pathétique. – Registre tragique : le personnage semble prisonnier de son destin ; elle est enfermée dans sa condition de servante, se réduit presque à « un grand tablier bleu » et à des mains entrouvertes. Elle est soumise (« humble », « mutisme », « placidité »). ap L’expression qui achève la description de la servante constitue un point d’orgue vers lequel tend toute l’évocation – dialogue compris – qui précède. La durée (« demi-siècle ») apparaît en effet lorsque le président appelle Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux : « cinquante-quatre ans de service dans la même ferme ». La description vient exprimer, de différentes manières, cette durée : les rides d’un visage plus flétri qu’une pomme de reinette, les « articulations noueuses », l’expression « à force de », l’intensif « tant » (« tant de souffrances subies ») qui traduit l’accumulation. L’évolution du lexique au cours du passage est à noter : le président parle de « service » et Flaubert termine son évocation par le mot « servitude ». La servante devient esclave (servus) ; le glissement à l’intérieur de la même famille de mots crée une superposition significative et tout concourt à présenter Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux comme l’esclave de la société consentante des « bourgeois épanouis ». Le « grand tablier bleu » et les « grosses galoches », symboles de sa condition, occupent une place d’autant plus importante que tout vient souligner la petite taille de la servante : « petite vieille femme », « se ratatiner », « maigre », « pomme de reinette flétrie ». L’attitude aussi va dans ce sens : les mains « restaient entrouvertes, comme pour présenter d’elles-mêmes l’humble témoignage de tant de souffrances subies » ; elle est perdue devant la foule, ne comprend pas qu’on lui demande d’avancer (le dialogue) et ne sait que faire (« ne sachant s’il fallait s’avancer ou s’enfuir ») car c’est « la première fois » qu’elle se retrouve « au milieu d’une compagnie si nombreuse ». La servante semble plus habituée à la compagnie des animaux (« la fréquentation des animaux ») qu’à celle des hommes. La « servitude » est une déshumanisation du personnage. Et sans doute devons-nous prendre au sens propre l’expression utilisée dans le dialogue : « qu’elle est bête ». Le « maintien craintif » de la servante mentionné à plusieurs reprises et son incapacité à occuper une vraie place « au milieu d’une compagnie si nombreuse » vont dans le même sens. La servante a subi comme un animal peut subir et elle se réduit presque à un « grand tablier » et à de « longues mains » entrouvertes pour mieux exprimer leur dépendance. Il ne s’agit plus là des mains de Rodolphe et d’Emma qui s’étreignent. Toute féminité lui est enlevée et son béguin est d’ailleurs « sans bordure ». Le portrait de la servante esquissé ici est une dénonciation virulente de la misère et plus encore de l’attitude des « bourgeois épanouis ». Car ce que dénonce Flaubert, c’est l’ensemble de la société qui autorise un tel esclavage ; il s’agit bien, en effet, d’une cérémonie officielle qui estime que le service – entendons la « servitude » de Catherine Leroux – vaut « vingt-cinq francs ». On notera au passage que

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cette somme est inférieure au prix accordé pour la meilleure race porcine (« soixante francs ») ! À la fin du passage, l’imparfait et l’expression abstraite qui s’y rapporte (« se tenait […] un demi-siècle de servitude ») permettent la généralisation de la dénonciation.

◆�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 166 à 175)

Examen des textes et de l’image u Rappelons avant tout qu’il s’agit d’une traduction et que nous travaillons sur le texte de Leconte de Lisle autant, si ce n’est plus, que sur celui d’Homère (avec, de surcroît, toutes les réserves quant au texte d’Homère…). Le passé simple est employé dans la première phrase (« le subtil Odysseus […] parla ainsi ») et on le retrouve à la toute fin du texte (« le retour lamentable que me fit Zeus »). Le passage au discours direct est essentiellement caractérisé par l’emploi du présent de l’énonciation (Ulysse s’adresse au roi des Phéaciens), du présent de vérité générale et du passé composé. Le passé simple est un temps coupé de la situation d’énonciation. La première occurrence figure dans le récit à la 3e personne : Homère raconte le séjour d’Ulysse chez les Phéaciens. Nous nous situons à la fin du voyage ; Ulysse a perdu tous ses compagnons et la prochaine étape sera Ithaque et le massacre des prétendants. Pourtant nous sommes au début du chant IX, dans la première moitié d’une épopée qui comprend 24 chants. Le passé simple se rattache ici au cadre principal de l’Odyssée. Le passé composé apparaît dans les paroles d’Ulysse pour évoquer les événements passés : « m’a retenu », « n’ont point persuadé ». C’est un temps de l’énonciation. Nous sommes ici dans l’introduction de l’analepse qui va se développer dans les chants IX à XII, et le passé composé montre que le récit qui va suivre est mené par Ulysse (personnage et aède, c’est-à-dire « narrateur »). Le passé simple final montre un glissement ; le conteur présent dans le passé composé s’efface pour laisser place aux événements du récit. Mais le lecteur (l’auditeur) ne devra pas oublier que c’est Ulysse qui raconte l’épisode des Cyclopes ou des Sirènes et qu’il s’adresse à Alkinoos, sinon il perdra de vue l’analepse et la chronologie des événements, différente de celle du récit. Ainsi, le jeu du passé simple et du passé composé dans ce passage du chant IX montre le double niveau de la narration et le glissement subtil du récit principal au récit enchâssé. v Trois systèmes d’énonciation cohabitent dans le texte C ou plutôt sont enchâssés comme dans le texte B. Au début et à la fin du passage, la situation d’énonciation implique l’auteur et son lecteur. Vers la fin, on relève des pronoms qui renvoient soit au lecteur (« vous voyez, lecteur »), soit à l’auteur (« je suis en beau chemin »). L’apostrophe « lecteur » explicite totalement cette situation d’énonciation qui est pourtant déjà présente dans les premières lignes du roman avec le jeu de questions/réponses liminaire. Sans qu’un système de pronoms, une ponctuation ou des incises spécifiques le signalent, on devine un échange entre un lecteur qui pose les questions que tout lecteur est en droit de se poser (« Comment s’étaient-ils rencontrés ? », « Comment s’appelaient-ils ? », « D’où venaient-ils ? », « Que disaient-ils ? ») et un auteur qui se refuse à répondre (« Que vous importe ? », « Du lieu le plus prochain » – une lapalissade –, « Est-ce que l’on sait où l’on va ? », « Le maître ne disait rien »). Ce niveau d’énonciation (auteur/lecteur) existe bien entendu dans tout roman, dans toute œuvre littéraire comme dans tout énoncé ; mais ici il est montré, dénoncé même dès les premières lignes. Comme dans tout roman traditionnel, la narration met en place des personnages et introduit des dialogues. Ici, Jacques et son maître se parlent : c’est le deuxième niveau d’énonciation. On pourra en ajouter un autre, emboîté dans le précédent : Jacques rapporte les propos d’autres personnages – le capitaine (« Mon capitaine ajoutait que […] »), le père (« il se fâche » : discours narrativisé). L’enchâssement des trois niveaux d’énonciation est affiché de façon provocante, tant la syntaxe est lourde, dans le premier paragraphe : « Jacques disait que son capitaine disait que […]. » w L’aveugle est un personnage qu’Emma rencontre régulièrement quand elle revient de Rouen où elle a retrouvé Léon. Son aspect repoussant la terrorise mais, bien au-delà de cette répulsion, elle voit dans l’aveugle une représentation de ce qu’elle est devenue, de sa dégradation morale : « Cela lui descendait au fond de l’âme comme un tourbillon dans un abîme, et l’emportait parmi les espaces d’une mélancolie sans bornes. » Dans la tradition antique (Tirésias, Homère, Démodokos…), l’aveugle est celui qui voit

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une autre réalité ; il ne peut s’arrêter aux apparences et il devine/dit ce qui est derrière le vernis faussement rassurant des choses. À la fin du chapitre 8 consacré à l’agonie d’Emma, il occupe une place essentielle, comme c’est souvent le cas pour les personnages secondaires chez Flaubert. Les deux premiers vers de la chanson figuraient déjà dans le chapitre 5, ce qui donne au lecteur l’impression que cette chanson avance parallèlement au roman. Il est possible aussi d’imaginer une toute première référence à l’aveugle et à sa chanson dans la première scène d’adultère : « Alors elle entendit tout au loin […] un cri vague et prolongé, une voix qui se traînait. » Par ailleurs, si l’on regarde de près les paroles, on voit clairement que, bien qu’inspirées d’une chanson bien réelle (Restif de La Bretonne, Année des dames nationales), elles racontent la vie d’Emma : – le passé (« fillette ») des lectures et des rêves (« Fait rêver fillette à l’amour ») ; – l’origine paysanne d’Emma : « épis », « faux », « sillon » ; – l’adultère : « Et le jupon court s’envola » ; – la mort : « la faux », « s’inclinant », « s’envola ». x La mort de Félicité, la servante d’Un cœur simple, est une mort solitaire. En effet, la Simmone, censée veiller sur la mourante, est debout sur une chaise pour mieux suivre la procession de la Fête-Dieu qui se déroule dans la rue. Elle tourne le dos à Félicité lorsque cette dernière exhale « son dernier souffle ». Les ultimes pensées de la servante sont pour Loulou, son perroquet qu’elle a fait empailler puis placer sur le reposoir pour la cérémonie religieuse. Aucune pensée pour un être humain au moment de mourir. Elle n’a de lien finalement qu’avec ce perroquet et rien d’autre ni personne n’existe pour elle. La mort de Félicité est à la fois violente et douce. La violence est suggérée au début du texte avec le « râle de plus en plus précipité » et les « bouillons d’écume ». À la fin du texte, la violence a fait place à l’apaisement : « sensualité », « souriaient », « ralentirent », « vagues », « doux », « comme une fontaine qui s’épuise ». La mort est aussi, à l’image de la vie du personnage, un moment de grande naïveté, de grande illusion et de grande confusion. Félicité croit apercevoir, « dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque, planant au-dessus de sa tête ». Tout se confond dans l’esprit de la servante et la mort n’est pas pour elle un instant de vérité mais l’accès à un bonheur illusoire. y Chacun des deux extraits de W ou le Souvenir d’enfance exprime à sa manière la violence de la guerre. Premier extrait (début du chap. XIII) La deuxième partie du texte montre les effets de la guerre sur l’enfant, l’absence de repères spatiaux et temporels : « de temps en temps on changeait de lieu », « on faisait du ski ou les foins ». La force destructrice de la guerre porte sur les souvenirs : « les souvenirs sont des morceaux de vie arrachés au vide ». Dans le premier paragraphe, il est question des dessins que Perec enfant faisait « à l’époque de W ». La guerre y apparaît dans toute sa force destructrice. Un vocabulaire militaire (« machines de guerre, engins de mort ») accompagne un lexique de la dislocation et de la destruction fortement présent : « déconnectés », « interrompus », « se détachaient », « séparés ». Le style vient exprimer également la violence de la guerre. En effet, les négations sont omniprésentes, qu’il s’agisse des adverbes ou pronoms (« ni », « pas », « plus », « jamais », « rien », « personne »…) ou de préfixes privatifs (« improbables », « déconnectés »). Second extrait (chap. XXXIV) La narration de ce qui se passe à W, l’utopie olympique imaginée par Perec entre sa « onzième et [sa] quinzième année », alterne avec la quête des souvenirs proprement dits. On y retrouve une violence identique à celle des dessins évoqués dans le premier extrait et l’on comprend progressivement que le camp des athlètes ressemble aux camps de concentration (les mots allemands à la fin du passage). Les mauvais traitements s’accumulent. Ce sont d’abord les vétérans déchus, les « mulets », qui en sont les victimes. La privation (« aucun droit », « interdits ») fait place à la violence (« abattent à vue »). Plus généralement, les « Hommes », les athlètes en fonction, subissent les mauvais traitements des « petits officiels » : « eau bouillante ou glacée », « longs fouets ». La répétition de la construction impersonnelle « il faut que » exprime aussi cette violence. U La gravure présente deux plans exprimés par l’emploi de deux groupes nominaux reliés par la préposition « avec » : « main », d’une part, et « sphère réflectante », de l’autre. La préposition « avec » place la sphère au second plan et suggère une insertion du reflet. Deux niveaux se dessinent donc : la

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main tenant la sphère et le reflet. La gravure va dans le même sens. La main est le support, la sphère constitue le cadre et le reflet est un plan enchâssé. La main évoque le geste créateur ; la position des doigts suggère à la fois une attitude de possession et de présentation ; on peut aussi y voir le geste du prestidigitateur quand il fait apparaître un objet. Du fait de sa forme convexe, la sphère réflectante introduit un nouvel univers beaucoup plus large : la main a fait place à un personnage entier, l’absence de décor à une pièce. Ajoutons à cela la fenêtre au fond qui ouvre la possibilité d’un extérieur et les livres qui se perdent à gauche pour suggérer un imaginaire infini. Ainsi, la sphère, univers clos au départ, dans la mesure où elle est « réflectante », capte et transmet un univers plus vaste.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Les différents auteurs du corpus utilisent les ressources de la narration de façon complexe, notamment en opérant un dédoublement, soit par enchâssement (textes B et C), soit par juxtaposition (textes D à F). De la même manière, Escher enchâsse un salon dans une sphère présentée par une main. Le dédoublement par enchâssement : les textes B et C ainsi que le document Dans les textes A et B, un récit secondaire vient s’insérer dans un cadre narratif plus large. Ainsi, dans l’extrait du chant IX de l’Odyssée, le récit des aventures d’Ulysse au pays des Cyclopes ou près de l’île des Sirènes est un récit à la 1re personne qui vient se glisser dans une trame narrative à la 3e personne. De même, le récit (accompagné d’un dialogue) du voyage de Jacques et de son maître s’insère dans un dialogue entre Diderot et son lecteur. Deux niveaux d’énonciation, et même trois (voir plus haut, question 2), sont emboîtés. Dans le texte B, l’enchâssement des récits permet de montrer le héros sous un jour différent. Vaillant vainqueur de la guerre de Troie, Ulysse « aux milles ruses » peut aussi avoir la finesse d’un aède. L’Odyssée développe un récit plus humain et plus intime que l’Iliade. Chez Diderot (texte C), l’enchâssement des situations d’énonciation permet d’abord d’exprimer le pouvoir de l’écrivain. Mais, de façon plus subtile, des échos se tissent entre les différents niveaux de l’énonciation. Jacques est battu par son père ; de même, le maître tombe « à grands coups de fouet sur son valet ». Deux voyages se répondent également : celui des deux personnages et celui de l’auteur qui est « en beau chemin ». Et deux questions se font écho autour du problème de la destinée et de la liberté. Jacques, suivant l’opinion de son capitaine, pense que tout est écrit là-haut et ce « là-haut » est en fait la page sur laquelle Diderot – qui, lui, se sent infiniment libre – écrit son roman. Ainsi le jeu complexe de la narration séduit le lecteur par la provocation qu’elle rend possible et pose en même temps la question qui est celle du titre : « le Fataliste », le destin et la liberté. Escher crée une sorte de vertige en insérant dans la forme définie de la sphère un monde que la fenêtre et les livres approfondissent sans fin. La main qui porte cette troublante sphère semble représenter la main créatrice de l’artiste capable de faire naître des mondes, des rêves (qu’y a-t-il de l’autre côté de la fenêtre ou dans les livres ?) et des émotions. Le dédoublement par juxtaposition : les textes A, D, E, F et G Flaubert, par deux fois dans Madame Bovary et à la fin d’Un cœur simple, juxtapose deux scènes qui se déroulent à deux endroits différents : une scène d’intérieur et une scène en extérieur. Dans l’épisode des comices, il s’agit du dialogue entre Rodolphe et Emma au premier étage de la mairie, d’une part, et de la remise des prix agricoles, d’autre part. Les deux autres extraits se ressemblent en ce qu’ils racontent la mort du personnage principal. Dans le roman, c’est la chanson de l’aveugle qu’Emma entend juste avant de mourir et, dans le conte, c’est la procession de la Fête-Dieu dont Félicité hume la « vapeur d’azur ». La juxtaposition participe de l’illusion réaliste certes, mais elle contribue avant tout à construire le sens de l’extrait en tissant des échos entre les deux scènes narrées. Le contraste entre le discours amoureux et la remise des prix comme celui entre la mort de Félicité et la fête religieuse nuisent à la crédibilité des scènes. Le discours agricole paraît médiocre, les propos amoureux stupidement enthousiastes, la religion ridicule, la mort de la servante tristement invisible comme son existence même. Cette juxtaposition met en lumière également l’indifférence qui est presque une déshumanisation de la société. En toute bonne conscience (il s’agit de regarder la procession de la Fête-Dieu), la Simmone laisse Félicité mourir seule ; les officiels des comices ne savent pas qu’une déclaration d’amour a lieu

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juste au-dessus d’eux ; les jeunes gens, quant à eux, se désintéressent de la vie rurale alors qu’Emma est la fille d’un paysan. Dans le récit de la mort d’Emma, la juxtaposition devient un jeu de miroirs. L’aveugle, à l’extérieur, chante l’histoire d’Emma. Nous voyons bien ici que la construction de l’œuvre comme un tableau prime sur le projet réaliste. La force de cette fin de chapitre ne réside pas tant dans le caractère cru de l’évocation que dans le pouvoir de cette composition qui rapproche un chant symbole de vie (devenu récit de mort : « faux » – voir plus haut, question 3) du dernier sursaut d’Emma. La violence est plus dans la mise en scène que dans l’évocation elle-même. L’aveugle est promu au rang d’oracle et sa présence témoigne de la force symbolique des personnages secondaires dans Madame Bovary, tandis que le dédoublement de la narration, ici comme dans les deux autres extraits de textes de Flaubert, nous montre que le projet de l’auteur est plus esthétique que réaliste ou naturaliste. L’œuvre autobiographique de Perec joue aussi de la juxtaposition et de l’alternance, mais à plus grande échelle puisque ce sont des chapitres qui alternent cette fois-ci. Comme chez Flaubert, la juxtaposition rend possible des résonances qui construisent la signification du texte. Si le récit de W est une œuvre de fiction, il en dit autant finalement que l’autobiographie proprement dite. On y retrouve en tout cas la même violence destructrice. Le jeu de miroirs qui s’installe entre les chapitres contribue à dire la force sourde de la destruction, son indicible pouvoir. Ainsi, le dédoublement de la narration par enchâssement ou par juxtaposition n’est pas une simple démonstration de virtuosité de la part de l’auteur : il contribue à l’élaboration du sens de l’œuvre grâce aux liens qui se tissent d’une scène à une autre, d’un niveau à un autre.

Commentaire

1. Des souvenirs comme « des morceaux de vie arrachés au vide » A. Les souvenirs sont présentés comme fragmentaires • 1re phrase du 1er paragraphe : la négation, la coordination des contraires. • 1re phrase du 2e paragraphe : expression de la négation, image crue des « morceaux de vie ». B. Multiplicité et éclatement des thèmes évoqués • Écriture. • Dessins. • Activités : elles sont elles-mêmes variées. • Lieux. • Gens. C. Les procédés employés pour exprimer la fragmentation • Rendre sensible la fragmentation par : le recours à un vocabulaire concret (« morceaux de vie »), la comparaison (écriture et dessins), la métaphore filée (« nulle amarre », « rien ne les ancre »), un champ lexical du fragmenté (« déconnectés », « interrompus »…). • L’emploi généralisé de la négation sous toutes ses formes : grammaticales ou lexicales. • L’emploi de la conjonction de coordination « ou ». • Style : énumérations, accumulation de propositions indépendantes, phrases nominales, suppression des déterminants. D. Une autobiographie difficile • Faible présence du « je ». • Difficulté à situer le souvenir dans le temps. • Difficulté à situer le souvenir dans l’espace. • Absence de noms. • Arbitraire : « arbitrairement reconstituée ».

2. Le morcellement même du souvenir donne une image du passé A. Présence d’une chronologie malgré tout • Références temporelles dans le 1er paragraphe. • Représentation de la petite enfance dans le 2e paragraphe : mimétisme du point de vue enfantin (phrases courtes, « ça », ignorance, naïveté : « des époques à tantes et des époques sans tantes »).

Madame Bovary – 23

B. Le fragmentaire exprime une époque sans repères • L’imparfait exprime une durée et gomme tout repérage dans le temps. • La guerre apparaît comme sans issue : « il n’y eut pas non plus d’avenir ». • Multiplication des thèmes et écriture décousue : expression d’une errance indicible liée à la nécessité de se cacher. • Les dessins fragmentaires représentent la guerre : champ lexical de l’armée et violence. C. L’expression de l’absence • La guerre comme absence de repères. • Absence de noms et de détails pour mieux se protéger, ce qui conduit à une perte d’identité ; l’enfant est d’une certaine façon absent et il est difficile de rassembler les souvenirs. • Absence des parents et notamment de la mère : les personnages féminins évoqués ne font que souligner l’absence maternelle.

Dissertation

1. La place de l’intrigue et des personnages A. L’importance de l’intrigue • L’intrigue donne son dynamisme au roman et suscite l’intérêt du lecteur (attente, surprise…). • L’intrigue montre le réel : la révolution de 1848 dans L’Éducation sentimentale, les horreurs de la Première Guerre mondiale dans Voyage au bout de la nuit de Céline, la guerre d’Espagne dans L’Espoir ou la Chine dans La Condition humaine de Malraux. B. L’importance des personnages • Les moteurs de l’intrigue : le roman d’aventures, le roman policier. • L’analyse du caractère des personnages prime sur l’intrigue : le roman à la 1re personne (Proust), l’analyse psychologique dans Une vie de Maupassant et dans Madame Bovary. C. Intrigue et personnages sont indissociables • L’intrigue révèle le caractère des personnages : la faiblesse d’Emma lors de la scène des comices. • L’intrigue forme le caractère des personnages : le roman d’apprentissage (Rastignac dans Le Père Goriot).

2. L’intrigue et les personnages ne sont qu’un détail, un instrument au service d’une vision du monde A. L’intrigue et les personnages sont au service d’une théorie • Le naturalisme et les romans de Zola. • L’existentialisme : La Nausée de Sartre. B. L’intrigue et les personnages présentent une certaine relation de l’homme au monde • L’inadaptation de l’individu le conduit à sa perte et illustre le poids déterminant de la société : Madame Bovary, L’Étranger de Camus. L’individu refuse en vain la société : Thérèse Desqueyroux de Mauriac. • Le personnage agit, s’adapte à la société ou s’engage : Georges Duroy dans Bel-Ami, La Condition humaine, La Peste de Camus. C. Le roman exprime une vision du monde et de l’existence et c’est là l’essentiel • La vision d’un monde médiocre chez Balzac et chez Flaubert. • L’absurdité de l’existence : Voyage au bout de la nuit de Céline. • Un sens à donner : La Condition humaine de Malraux, La Route de Cormac McCarthy.

3. Ce qui compte, c’est le travail de la forme qui permet la création d’un monde A. La force esthétique du roman • La composition du roman, dans ses grandes lignes comme dans le détail d’une scène : Madame Bovary, Bel-Ami, La Tache de P. Roth ou les romans (Expiation, Samedi) de Ian McEwan. Proust et l’image de la cathédrale ou du bœuf-mode.

Réponses aux questions – 24

• La force symbolique ou programmatique de certaines scènes : la fin du Père Goriot ou de Bel-Ami, la scène de la première rencontre (incipit) dans L’Œuvre de Zola ou la description de la mine dans la première page de Germinal. • Le style et la force des évocations : la description de Catherine Leroux, l’écriture de La Route. B. La forme prime sur l’intrigue et sur les personnages • La forme se montre et porte atteinte à l’illusion réaliste : Jacques le Fataliste de Diderot, le Nouveau Roman et les personnages mis à mal (La Jalousie de Robbe-Grillet). • Le rôle des détails et des personnages secondaires dans Madame Bovary. C. La forme exprime la vision du monde et sauve le réel de sa médiocrité • C’est en utilisant les ressources de la narration (intrigue, personnages, mais aussi traitement du temps, des points de vue…) et de la langue que le romancier exprime sa vision du monde : la scène des comices. • Le romancier a un vrai pouvoir : Jacques le Fataliste de Diderot. • L’art échappe à la médiocrité ambiante (Flaubert) et gagne contre le temps (le temps perdu/retrouvé, dans le grand roman de Proust).

Écriture d’invention Le sujet propose un exercice d’imitation. L’expression « à la manière de » suppose une observation puis une imitation : alternance, variété dans la façon de rapporter les paroles, description, dialogue et narration. On attend aussi, bien entendu, que les deux scènes juxtaposées soient contrastées et mises en résonance.

T r o i s i è m e p a r t i e , c h a p i t r e 5 ( p p . 2 7 2 à 2 8 7 )

◆�Lecture analytique de l’extrait (pp. 288-289)

L’itinéraire du texte et du voyage u La plume de Flaubert suit la progression du voyage d’Emma en voiture d’abord puis à pied et la lenteur de L’Hirondelle justifie l’insertion des notations descriptives et de l’analyse psychologique. Plusieurs paragraphes commencent par une indication concernant le voyage : « L’Hirondelle partait au petit trot » ; « Cependant les quatre banquettes se garnissaient » ; « Enfin, les maisons de briques se rapprochaient » ; « On s’arrêtait à la barrière » ; « Par peur d’être vue, elle ne prenait pas ordinairement le chemin le plus court » ; « Elle tournait une rue ». On voit tout simplement ainsi que l’évocation du voyage constitue l’amorce de la description ou de l’analyse. Plus précisément, c’est le regard d’Emma sur le paysage qui justifie l’insertion de la description. Le grand tableau du cinquième paragraphe (« Descendant […] une falaise ») est préparé plus haut par une évocation du comportement d’Emma. Elle regarde la route, puisqu’elle la connaît « d’un bout à l’autre », récite chaque poteau, chaque grange ou chaque « cahute de cantonnier » même en fermant les yeux. De plus, Flaubert souligne son impatience et la lenteur du voyage qui autorise la pause descriptive. À la différence d’un Balzac qui préfère couper le fil de la narration pour introduire une longue description à visée informative, explicative (quant au contexte dans lequel évoluent les personnages) et esthétique, Flaubert choisit de filer une narration prétexte à la description et à l’analyse. v Si la description suppose un arrêt sur image, la narration s’inscrit, elle, dans un déroulement temporel. On comprendra donc que le traitement du temps dans le passage est complexe. D’abord, on peut relever des indices temporels qui rythment la narration et expriment la progression du voyage : « Cependant » (= pendant ce temps), « après » (« après un herbage »), « Enfin », « alors » (« La ville alors s’éveillait »). On notera ensuite que l’écoulement du temps s’exprime également par des notations spatiales : « après un herbage il y avait un poteau ». Dans cette expression, espace et temps se confondent. On retrouve le même procédé plus loin : « et vingt pas plus loin, elle sortait de L’Hirondelle » – le « et » a ici une valeur temporelle qui vient croiser la mesure de l’espace. L’idée même du voyage suppose ce croisement des repères spatiaux et temporels.

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Remarquons également l’alternance des avancées et des arrêts que la première phrase du passage met en avant : « L’Hirondelle partait au petit trot, et, durant trois quarts de lieue, s’arrêtait de place en place pour prendre des voyageurs. » Et plus loin : « les trois chevaux galopaient », « la diligence se balançait », « On s’arrêtait à la barrière ». La fin du texte insiste sur la progression continue d’Emma. Ne dépendant plus de la diligence et des autres voyageurs, elle n’agit que selon sa propre volonté, une volonté qui associe le désir et la « peur d’être vue ». Tout est alors mouvement : « elle s’engouffrait », « Elle tournait une rue », « Elle le suivait ». Dans le dernier paragraphe, la course d’Emma se double de celle de Léon (« continuait à marcher », « il montait », « il entrait ») et l’accumulation des verbes de mouvement s’achève dans les points de suspension qui expriment, au bout de ce crescendo, la rencontre des amants. De la même manière, la description du cinquième paragraphe associe le mouvement et l’immobilité : « immobile comme une peinture », « grands poissons noirs arrêtés » / « poussaient d’immenses panaches bruns qui s’envolaient par le bout », « un coup de vent emportait les nuages ». Enfin, nous devons nous intéresser à l’emploi de l’imparfait. Il s’agit à la fois d’un imparfait de description et d’un imparfait d’habitude. La scène évoquée est récurrente, ce qui explique qu’Emma connaisse le chemin par cœur, au poteau près. Des adverbes de temps viennent s’ajouter à l’imparfait itératif : « quelquefois même », « jamais » (« elle ne perdait jamais »), « ordinairement », « Souvent » (« Souvent une charrette »). w Récit et description sont particulièrement précis et différents procédés grammaticaux, lexicaux ou stylistiques contribuent à cette précision réaliste. Procédés grammaticaux : – les compléments circonstanciels de lieu : « devant la barrière des cours », « entre des jardins » ; – les groupes nominaux complexes comprenant des compléments du nom (« les pommiers à la file »), des adjectifs qualificatifs (« collines vertes », « broussailles violettes »), des relatives (« des jardins où l’on apercevait […] escarpolette »). Procédés lexicaux : – les noms précis : « vasistas fêlés », « une cahute de cantonnier », « Emma débouclait ses socques », « des commis en bonnet grec », etc. ; – les verbes précis : « Hivert appelait, criait, sacrait », « les pierres grinçaient dans la boue », Emma « rajustait son châle », etc. Procédés stylistiques : – l’énumération : « un poteau, ensuite un orme, une grange ou une cahute de cantonnier », « le quartier du théâtre, des estaminets et des filles », « il montait, il ouvrait la porte, il entrait », etc. ; – l’accumulation des compléments circonstanciels de lieu : « au lit dans leur maison », « entre des jardins où l’on apercevait, par une claire-voie, des statues » ; – les comparaisons : « comme une peinture », « comme des flots aériens », « comme une Babylone ». x La précision de la description mais aussi des actions des différents personnages nous donne l’impression d’un instantané, d’une saisie photographique de la réalité, ce qui est en contradiction avec la dimension récurrente de la scène. L’illusion réaliste et l’insertion toujours justifiée de la description dans la trame narrative voilent en partie le paradoxe de ce passage : comment Flaubert peut-il logiquement concilier une telle précision et la répétition de la scène ? Certains adverbes de temps (« quelquefois même », « parfois », « souvent ») associent la particularité d’un moment (« Parfois, un coup de vent emportait les nuages vers la côte Sainte-Catherine ») et l’itération. L’association de la précision, nécessairement singulière, et de la répétition, même si variations il y a (« quelquefois même »), contribue à estomper les contours du tableau et à lui donner une dimension quasi universelle. Il s’agit en réalité moins d’une photographie de la réalité que d’une évocation où se superposent différents moments, différentes impressions. La finalité du texte n’est pas la reproduction fidèle d’une réalité géographique mais plutôt sa transposition littéraire. La description se fond dans la narration et la répétition est, dans ce roman de Flaubert, une figure fondatrice de l’intrigue romanesque : rappelons Binet et son tour…

Un voyage prétexte à une analyse du personnage y Nous l’avons laissé entendre plus haut : le déplacement d’Emma permet l’insertion des notations descriptives ou de la longue évocation de Rouen dans le cinquième paragraphe ; nous avons ici un

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point de vue interne. Emma, même si elle garde parfois les yeux fermés, regarde, récite le paysage que Faubert déploie sous nos yeux. Mais, comme souvent dans le roman, un point de vue omniscient intervient également pour nous révéler les pensées du personnage : « Emma la connaissait d’un bout à l’autre », « elle ne perdait jamais le sentiment net de la distance à parcourir », « quelque chose de vertigineux se dégageait pour elle de ces existences amassées ». Le sixième paragraphe du passage présente une analyse des sentiments d’Emma et le point de vue du narrateur est bien omniscient. Brusquement, à la fin de ce sixième paragraphe, le point de vue devient externe : « Elle se penchait des deux mains par le vasistas, en humant la brise. » Mais le lecteur comprend bien que cette attitude d’Emma est bien plus qu’un désir de prendre l’air ; le personnage aspire à la liberté que représente la ville, cette « Babylone où elle entr[e] ». Ainsi, point de vue omniscient et point de vue externe se mêlent étroitement et paraissent même peut-être indissociables. La combinaison des points de vue permet de présenter la scène sous trois angles différents : un regard extérieur sur Emma, le regard d’Emma sur le paysage et un regard sur les pensées d’Emma. Ce cubisme (avant la lettre) littéraire participe également, de manière plus large, d’une esthétique de l’estompe et de l’ouverture. Récit, description et analyse ; précision et répétition ; points de vue externe, interne et omniscient : rien n’est jamais établi de façon fixe ; tout glisse et nous échappe sans cesse. Le texte ne se laisse pas enfermer dans une forme unique. Sous l’allure d’un simple récit de voyage, le passage étudié multiplie les combinaisons pour mieux nous dérouter et nous séduire. U L’impatience d’Emma, que l’on voyait, dans les pages qui précèdent, à son lever matinal, se voit dans le texte à son extrême conscience des détails du voyage. Comme si chaque seconde était une aspérité douloureuse : « un poteau, ensuite un orme, une grange ou une cahute de cantonnier ». Elle trompe son impatience en tentant « de se faire des surprises ». Flaubert, en soulignant la lenteur du voyage, semble multiplier les moyens pour retarder la diligence ; on dirait presque même qu’il se moque de l’impatience de son personnage en nous la donnant à imaginer : « quelques-uns même étaient encore au lit dans leur maison ». Cette impatience d’Emma s’explique bien entendu en premier lieu par son amour pour Léon ; elle désire le retrouver et souffre difficilement de devoir patienter. Mais, dans le passage, il est peu question du jeune homme ; il apparaît à la fin et le sixième paragraphe le mentionne en réduisant finalement son importance dans le voyage d’Emma : « Son amour s’agrandissait devant l’espace. » N’est-ce donc pas qu’elle aime Rouen autant que Léon ? L’impatience d’Emma n’est donc pas exclusivement liée au sentiment amoureux et le passage nous montre bien d’ailleurs que ce sentiment amoureux lui-même est beaucoup plus qu’une simple passion pour Léon. Sans doute devons-nous, pour comprendre cette impatience, la placer à côté d’un autre aspect du texte : la répétition. Nous avons là deux perceptions du temps qui caractérisent le roman : d’un côté, tout se répète, tout est « immobile », « monotone » ; de l’autre, Emma tente d’échapper à cette pesanteur ; son voyage à Rouen ressemble au « coup de vent qui emport[e] les nuages vers la côte Sainte-Catherine ». Mais la fuite est vaine : les nuages « se bris[ent] en silence contre une falaise ». V Le vocabulaire des sentiments est fortement présent dans le passage : « cœur », « passions », « amour ». On voit qu’il ne s’agit pas seulement de Léon et ce qui domine, ce sont les procédés d’élargissement. L’amour n’est pas seulement celui d’Emm :, il est également celui des « cent vingt mille âmes », de « ces existences amassées ». Un peu plus loin, nous retrouvons le pluriel pour une évocation de la ville dans une énumération qui vise également à agrandir l’espace : « sur les places, sur les promenades, sur les rues ». Les mots « s’agrandissait », « espace », « s’étalait », « capitale démesurée » contribuent évidemment à cet élargissement qui s’oppose à la route de Yonville (« allait continuellement se rétrécissant à l’horizon ») et qui exprime ce que représente Rouen pour Emma. La réciprocité de l’amour pour Léon s’élargit ici également : « lui eussent envoyé toutes à la fois la vapeur des passions qu’elle leur supposait » /« elle le reversait au-dehors ». En percevant ce débordement des sentiments chez la jeune femme (« gonflait », « s’agrandissait », « s’emplissait », « montaient », « reversait »), on comprend que Léon, comme Rodolphe auparavant, n’est pour Emma en définitive que le point d’ancrage (de « cristallisation », pour reprendre le terme de Stendhal) d’une sensibilité exacerbée, une fixation des « bourdonnements vagues » qui traduisent le malaise et l’inadaptation de la jeune femme. W Emma, immobile dans L’Hirondelle, au point de fermer les yeux comme pour s’absenter, s’anime lorsqu’elle arrive à Rouen : « Elle se penchait des deux mains par le vasistas, en humant la brise. » Le complément circonstanciel de moyen « des deux mains » et la force sensuelle du verbe « humant »

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soulignent le mouvement. Non seulement elle regarde la ville, elle qui avait par lassitude fermé les yeux, mais elle l’aspire complètement. On pourrait aller jusqu’à parler d’une « nouvelle naissance » pour l’héroïne ; elle respire, se tourne vers un nouveau monde. Dans la suite du texte, elle sera toujours associée à un verbe d’action : « débouclait », « sortait », « marchait »… X Après avoir respiré l’air de la ville, comme si elle naissait (voir ci-dessus), Emma a gagné sa liberté. Elle commence par rejeter son ancien univers : « Emma débouclait ses socques », « elle sortait de L’Hirondelle ». En même temps, elle se prépare à entrer dans le nouveau monde : elle « mettait d’autres gants, rajustait son châle ». Son attitude est ensuite double. D’une part, elle se cache « par peur d’être vue » : « les yeux à terre », « frôlant les murs », « voile noir baissé », « les ruelles sombres », « Elle le suivait jusqu’à l’hôtel ». Tout cela rattache Emma à Yonville ; elle n’appartient pas légalement, officiellement à Rouen et elle doit se cacher. Elle n’est pas la femme de Léon et doit attendre d’être à l’hôtel pour le rejoindre. D’autre part, elle vit intensément son parcours et la dimension sensuelle est fortement présente : « frôlant les murs », « souriant de plaisir », « s’engouffrait », « tout en sueur », « près d’elle ». Les sensations de tout ordre se multiplient : « un cri sonore » ; « On sentait l’absinthe, le cigare et les huîtres ». at L’itinéraire d’Emma dans Rouen se poursuit et la jeune femme est maîtresse de son destin ; nous la voyons en effet sujet de verbes d’action, alors que Léon n’est qu’un objet (COD) de la quête : « elle le reconnaissait ». Le premier verbe utilisé (« tournait ») suggère un itinéraire compliqué, tortueux, comme si Emma suivait des chemins de traverse pour mieux se perdre. Son parcours n’est pas sans rappeler celui de sa levrette qui faisait des tours (« tournait ») dans la campagne et qui a fini par se perdre elle aussi ou bien encore celui du fiacre lors de la première scène d’amour avec Léon. La liaison avec le clerc et ce qu’elle représente comme dépenses seront d’ailleurs une des causes de la mort d’Emma. Ce qui permet à la jeune femme de reconnaître son amant est intéressant également et témoigne du sens du détail chez Flaubert : « une chevelure frisée qui s’échappait de son chapeau ». Dans cette évocation se mêlent l’homme social (le chapeau) et l’homme libre (« s’échappait »). Les boucles de la chevelure suggèrent également cette liberté, cet affranchissement, et ce n’est pas un hasard si c’est ce qu’Emma reconnaît. On peut voir aussi ici une image conventionnelle romantique (un idéal de liberté) qui ne peut que séduire Emma.

Un voyage prétexte à un regard sur le monde moderne ak Plusieurs passages évoquent la ville de Rouen : – « Descendant […] falaise » : une vision globale de la ville ; – « La ville alors s’éveillait […] au coin des rues » ; – « elle arrivait tout en sueur […] les huîtres ». Les deux derniers passages présentent une vision interne de la ville, à l’occasion du déplacement d’Emma à pied. al Le point de vue interne permet l’insertion de la description dans la narration. C’est le regard d’Emma et son déplacement dans la ville qui introduisent le discours descriptif. Le troisième paragraphe signale que la diligence approche de Rouen et la dernière phrase justifie la longue description qui suit : « Puis, d’un seul coup d’œil, la ville apparaissait. » L’expression « un seul coup d’œil » exprime à la fois le point de vue et la perspective globale de la description. À la fin du cinquième paragraphe, la comparaison des nuages à des « flots aériens » prépare le retour à la narration et le passage à l’analyse, la confusion des éléments (mer/air) annonce d’une certaine façon les mots « vertigineux » et « tumulte ». La description des rues commence quand Emma a quitté L’Hirondelle. L’indication temporelle que constitue la phrase simple « La ville alors s’éveillait » explique l’animation qui règne ensuite : « frottaient la devanture des boutiques », « poussaient par intervalles un cri sonore », « une charrette passait près d’elle », « des garçons en tablier versaient du sable ». Les rues sont vivantes et Emma revit. am « Ainsi vu d’en haut, le paysage tout entier avait l’air immobile comme une peinture. » La dimension picturale de la description est exprimée par Flaubert lui-même. En effet, on retrouve dans cette évocation de la ville de Rouen des couleurs comme sur une toile : « ciel pâle » ; « collines vertes » ; « poissons noirs » ; « panaches bruns » ; « broussailles violettes » ; « les toits, tout reluisants de pluie ». Des lignes verticales ou horizontales définissent des perspectives : « base indécise du ciel pâle », « les cheminées des usines », « panaches bruns qui s’envolaient par le bout », « une falaise ». Mais on remarque surtout des

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formes entassées : « les navires à l’encre se tassaient dans un coin » ; « les arbres des boulevards, sans feuilles, faisaient des broussailles violettes au milieu des maisons ». Les formes et les couleurs sont estompées : « base indécise du ciel pâle », « qui s’envolaient par le bout », « dans la brume », « faisaient des broussailles violettes », « inégalement ». Nous ne sommes pas loin d’une esthétique impressionniste. an La ville que décrit Flaubert est bien une ville du XIXe siècle touchée par la révolution industrielle. La modernité fait son entrée dans la peinture comme dans la littérature : « les cheminées des usines poussaient d’immenses panaches bruns », « on entendait le ronflement des fonderies ». Dans la dernière expression, l’allitération en fricatives vient presque mimer le bruit que les voyageurs peuvent entendre. On remarquera que, dans cette ville « immobile comme une peinture », où les navires sont « de grands poissons noirs arrêtés », le seul mouvement est celui des « immenses panaches bruns ». L’adjectif « immenses » montre combien l’industrie occupe l’espace et le mouvement ascendant semble une réponse positive à l’entassement du décor. Ville ancienne et ville moderne cohabitent sans mal : « On entendait le ronflement des fonderies avec le carillon clair des églises qui se dressaient dans la brume. » On croirait même assister à une sorte de combat entre la tradition (un patrimoine religieux et esthétique) et la nouveauté ; c’est à qui se dresse le plus haut, à qui parvient à déchirer la brume ; l’allitération en c des carillons est une réponse au ronflement des fonderies. ao La description de la ville de Rouen joue plusieurs rôles dans le roman : – Elle permet d’abord de ralentir la progression d’Emma en installant une pause dans la narration, ce qui vient souligner l’impatience du personnage. La vision globale de la ville qui précède les retrouvailles laisse aussi entendre que le voyage d’Emma traduit plus une quête de liberté et d’espace qu’un réel amour pour Léon. – Le mot « peinture » employé par Flaubert révèle la fonction esthétique de la description dans un roman où l’intrigue est secondaire. Nous avons vu les couleurs et les formes, le style presque impressionniste du tableau. – La question 14 nous a mis sur la voie d’une autre fonction de la description : la fonction symbolique. En évoquant les « panaches bruns » des usines et le « ronflement des fonderies » qui rivalise avec le « carillon clair des églises », Flaubert nous donne à voir et à entendre les transformations de la ville, le passage de la tradition à la modernité. – Le mouvement est du côté de la modernité ; Emma cherche aussi le mouvement. Mais le mouvement est illusoire. La « capitale démesurée », la Babylone dans laquelle elle croit pénétrer, est une ville plus grande que Yonville, certes, mais fermée par la côte Sainte-Catherine. Emma, comme les nuages qu’un « coup de vent » emporte, ne peut pas fuir : « un coup de vent emportait les nuages vers la côte Sainte-Catherine, comme des flots aériens qui se brisaient en silence contre une falaise ». On ne peut s’empêcher de penser à la chanson de l’Aveugle qu’Emma entendra dans son intégralité au moment de mourir : « Il souffla bien fort ce jour-là, / Et le jupon court s’envola. » La fonction symbolique de la description se double d’une fonction programmatique.

◆�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 290 à 295)

Examen des textes et de l’image u La description de la ville de Rouen constitue une pause dans la narration et les premières lignes en permettent l’insertion. Le point de vue interne est installé dans le premier paragraphe : Georges Duroy et sa femme, réunis dans un même regard par le pronom « ils », contemplent la ville. Le verbe « s’arrêter » justifie la pause. Par la suite, le pronom « ils » cède la place à un « on » indéfini (« On dominait », « on le voyait ») qui permet de généraliser le regard. Il ne s’agit plus seulement du point de vue des deux personnages mais, avec eux, de celui de « tous les voyageurs ». L’objectivité de la description est, de la sorte, mise en avant. Après cette introduction, la description s’effectue en trois temps : 1. D’abord, la ville est située dans le cadre plus large de « l’immense vallée » ; un « là-bas » est mentionné, caractérisé par « des îles nombreuses ». Le fleuve est au cœur de l’évocation ; il sera la colonne vertébrale du tableau, séparant la ville en deux rives.

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2. « Puis la ville apparaissait sur la rive droite » : la ville ancienne est présentée avec ses clochers dominés par la « flèche aiguë de la cathédrale ». 3. « Mais en face, de l’autre côté du fleuve » : la rive gauche présente un paysage industriel ; c’est « le faubourg de Saint-Sever » ; les cheminées des usines sont, quant à elles, dominées par « la grande pompe à feu de La Foudre » (cf. le tableau de Pissarro, p. 256). Une symétrie s’installe de part et d’autre de la Seine. v Le déplacement des personnages sert de prétexte à la description de Paris au soleil couchant. Ils tournent le dos au soleil (« détournaient les yeux de cet éblouissement ») pour mieux découvrir « certains coins ». Le signe des deux-points après l’expression « au-dessus du Mail » introduit une évocation plus précise. L’indication de lieu était au départ un simple complément circonstanciel ; elle devient par la suite sujet grammatical des verbes. Nous sommes passés de la narration à la description. À plusieurs reprises, le discours narratif apparaît pour relancer la description : « Ils marchaient, ils délaissaient bientôt les grands bâtiments qui suivaient […] pour s’intéresser, de l’autre côté du fleuve à la Cité. » Comme précédemment, le mot « Cité » en position de complément (COI) devient ensuite, de façon indirecte, sujet : « les tours de Notre-Dame, resplendissantes, étaient comme dorées à neuf ». La progression à thème éclaté permet la précision de la description : les tours, les bouquinistes, une péniche… Les bribes de narration rythment le passage : « ils s’arrêtaient », « à mesure qu’ils avançaient », « Christine toujours l’arrêtait », « quand ils se retournaient ». w L’imparfait a une double valeur dans le texte C. Exprimant des actions non limitées dans le temps, il est à la fois le temps de la description, de l’arrêt sur image, et le temps de l’habitude. Comme dans le texte de Flaubert, la scène évoquée se répète et la description superpose plusieurs expériences, comme le suggère, par exemple, l’expression « les jours de marché aux fleurs », même si l’accent est mis sur la répétition : l’heure du coucher de soleil ; « certains coins, toujours les mêmes » ; « Jamais Claude n’allait plus loin, Christine toujours l’arrêtait avant le Pont-Royal ». x Au premier plan, un homme se tient debout, de dos, ce qui constitue un traitement original du portrait (premier plan sur fond de paysage à la Renaissance). La balustrade marque la séparation des deux plans en traçant une ligne oblique, presque horizontale dans un tableau que la verticalité (le personnage, la fenêtre, les colonnes de la balustrade, les immeubles) domine. Après un monde intérieur signifié par le tapis et le fauteuil, le monde représenté est extérieur, un monde urbain qui laisse peu de place à la nature (le ciel). L’opposition entre l’obscurité et la lumière vient souligner la séparation des deux plans. Ce jeu permet de mettre en place un double regard, un double point de vue : le spectateur regarde l’homme qui lui-même regarde la ville.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Les trois textes du corpus décrivent une ville traversée par un fleuve, une ville du XIXe siècle où tradition et modernité se côtoient ou même rivalisent. Qu’il s’agisse de Rouen chez Flaubert et Maupassant ou de Paris chez Zola, la révolution industrielle a marqué le paysage urbain et la description se veut le miroir de cette transformation. Le tableau de Caillebotte représente un extérieur qui se réduit à la ville. La réponse à la question 14 a présenté la modernité dans l’extrait de Madame Bovary. Nous n’y revenons donc pas. Dans le passage de Maupassant, l’organisation même de la description met en avant la transformation de la ville. De part et d’autre de la Seine, deux paysages se font face et rivalisent de puissance. La rive droite abrite la ville ancienne et la rive gauche le faubourg industriel. Des deux côtés, des monuments s’élèvent, affirmant leur élan conquérant. Rive droite, la tradition se devine dans le lexique : « héraldiques », « gothique », « cathédrale ». Rive gauche, c’est l’industrie : « les minces cheminées d’usine », « leurs longues colonnes de briques », « leur haleine noire de charbon » (cette expression peut être rapprochée des « immenses panaches bruns » de Flaubert), « la grande pompe à feu ». Deux expressions parallèles – deux compléments du nom et un double recours à la personnification – résument la juxtaposition : le « peuple travailleur et fumant des usines » et la « foule pointue des monuments sacrés ». Deux monuments

Réponses aux questions – 30

sont particulièrement distingués et, bien entendu, opposés : « la flèche aiguë de la cathédrale » et « la grande pompe à feu de La Foudre ». Rien ne vient trancher en faveur de l’une ou de l’autre rive. L’architecture traditionnelle a beau être travaillée (« frêles et travaillés ») « comme des bijoux géants », elle a beau avoir ses lettres de noblesse (« couronnes héraldiques »), elle n’a pas la supériorité que pourrait lui conférer la beauté, car la flèche de la cathédrale est décrite comme « laide, étrange, démesurée ». De l’autre côté, la pompe à feu, bien que moderne, est devenue une « reine » et a gagné le prestige d’un des plus vieux monuments au monde : « la pyramide de Chéops ». Chez Zola, la description de Paris associe également tradition et modernité ; mais on ne retrouve pas la rivalité évoquée par Maupassant. Il s’agit plutôt, comme chez Flaubert, de saisir l’intégralité d’un nouveau paysage urbain, sans rien dissimuler. Aussi Zola évoque-t-il aussi bien « les tours de Notre-Dame » que la « péniche, chargée de charbon ». Les bâtiments récents sont mentionnés : « les bâtisses neuves du quai de la Mégisserie, la nouvelle préfecture de police ». Et une expression mérite d’être relevée, car elle montre bien cette volonté de faire cohabiter l’ancien et le moderne : « la nouvelle préfecture de police en face, le vieux Pont-Neuf ». Le jeu sur les adjectifs, jusqu’au sein du nom propre, nous rappelle que la ville doit être saisie dans son évolution, dans son histoire. Le romancier cherche à exprimer le temps qui passe, comme le font les peintres impressionnistes. Tout n’est que transition, passage : le Pont-Neuf est maintenant vieux et c’est la préfecture de police qui est nouvelle. On pourra s’attacher également à l’image de la « péniche, chargée de charbon » : elle « luttait contre le courant terrible, sous une arche du pont Notre-Dame ». Le pont et la péniche pleine de charbon sont rapprochés. Le pont est fixe, ancré dans l’histoire de la ville ; la péniche, elle, lutte, impose son mouvement. Dans les trois textes, la description relève de l’écriture réaliste. Il s’agit pour le romancier de donner une image fidèle de la réalité sans rien enlever, sans émettre de jugement esthétique, en toute objectivité. Mais cette association/rivalité de la tradition et de la modernité a également une fonction esthétique. On le voit bien chez Maupassant avec l’opposition des deux rives. Ajoutons une fonction symbolique, car cette combinaison de l’ancien et du nouveau permet aussi l’expression du temps, comme si le symbole traditionnel du fleuve, présent dans les trois textes, ne suffisait pas. Chez Flaubert, le monde nouveau a beau lancer ses « immenses panaches bruns », il y aura toujours la falaise de la côte Sainte-Catherine pour arrêter les « flots aériens ». Aucune échappatoire n’est possible et la scène se répète : Emma est condamnée. Dans Bel-Ami, la rivalité de la flèche et de la pompe à feu exprime toutes les tensions de la société du XIXe siècle et sans doute Georges Duroy, désireux de parvenir au sommet de la gloire, entre-t-il lui aussi dans la lutte. Le texte de Zola exprime de façon plus douce ces tensions et ce passage du temps ; on retiendra surtout peut-être que le paysage baigne dans le couchant. L’instant est heureux mais menacé : « la nuit gagnait déjà, sous le ciel ardoisé de l’orient ». On pourra élargir la réflexion en incluant le document : dans le tableau de Caillebotte, le monde extérieur se réduit à la ville et, s’il ne s’agit pas à proprement parler de modernité, il s’agit en tout cas de la place de l’urbanisme et de la civilisation. Le paysage en arrière-plan (la référence au tableau de la Renaissance) n’est plus une campagne verdoyante se déroulant sous un ciel infini mais un espace géométrique qui réduit le ciel à une portion géométrique congrue.

Commentaire

1. Une description réaliste… A. Les marques du discours descriptif • Les verbes (l’imparfait, les verbes de perception). • Les indicateurs de lieu. B. L’organisation de la description • Le point de vue interne. • L’insertion de la description dans le récit. • Une opposition de part et d’autre de la Seine introduite par « Mais ». C. La précision réaliste • Les noms propres : références géographiques ou historiques. • La précision du lexique : le vocabulaire de l’architecture. • Les outils grammaticaux au service de la précision réaliste : adjectif qualificatif, apposition, complément du nom, subordonnée relative.

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2. … qui est un tableau… A. La variété des formes et des couleurs • Le champ lexical des formes, la place de la verticalité. • La couleur : le jeu des contrastes et l’estompe. • La lumière indirecte : « éclats de soleil sur ses toits », « bronze ». B. La marque du peintre • Expression d’un regard et d’une opinion : le vocabulaire appréciatif, les modalisateurs. • Un regard créateur : le paysage est métamorphosé par les procédés de style : amplification, comparaison, personnification.

3. … dont la portée est symbolique A. L’opposition de deux mondes • Organisation de l’espace : ville/ faubourg. • Deux architectures, deux époques. • Opposition sociale et idéologique (« héraldiques », religion/« travailleur »). B. Le rôle symbolique du fleuve • Contraste avec le reste du paysage (horizontalité/verticalité ; courbe/ligne droite). • Sépare deux mondes. • Un symbole : personnification, place du « là-bas » (il est l’arbitre) ; il représente le temps qui passe. C. Une ascension • La place de la verticalité quand la vallée (le bas) disparaît dans la brume. • Double conquête du « ciel bleu ». • Une image de la société du XIXe siècle.

Dissertation

1. Le roman représente le réel A. Les descriptions réalistes dans le roman • Souci de la précision. • Représentation de la modernité et volonté de saisir le paysage urbain dans son intégralité : on s’appuiera essentiellement sur le corpus. B. Une représentation de la société • Les différentes catégories sociales sont représentées : La Princesse de Clèves, Germinal… • Les tensions sont analysées, comme les aspirations (Emma au bal, par exemple ; Bel-Ami…). C. La représentation d’une réalité intérieure : l’analyse psychologique • L’ennui et la déception dans Madame Bovary et dans Une vie. • L’ambition sociale dans Bel-Ami. • Le déchirement et le renoncement dans La Tache de P. Roth.

2. Mais le roman n’est pas un miroir fidèle A. Un roman exactement fidèle ne serait pas intéressant C’est ce que développe Maupassant dans la préface de Pierre et Jean. B. Des personnages et des situations exceptionnels • Le roman d’aventures et le héros. • Des destins poussés à l’extrême même pour des personnages médiocres comme Emma ou Charles Bovary. C. Les descriptions jouent un rôle dans l’économie du roman • Le corpus (la fermeture chez Flaubert, l’ascension chez Maupassant, la montée de la nuit chez Zola). • Comparaison de l’incipit et de la dernière page de Germinal.

3. Le roman a d’autres vocations que celle de représenter le réel A. Le roman nous distrait, c’est-à-dire nous soustrait au réel • La place de l’imaginaire dans certains romans, notamment de science-fiction.

Réponses aux questions – 32

• L’identification au personnage. • L’attrait d’une intrigue : surprises, suspense. B. Le roman nous amène à nous interroger sur notre existence • Le romancier s’engage dans son temps et dénonce certaines situations : Zola et la condition ouvrière. • Le romancier s’interroge sur le sens de notre existence : Camus, Malraux. C. La force esthétique du roman touche notre sensibilité • La composition du roman : Madame Bovary et le rôle de l’incipit, Proust. • Le style : la scène des comices. • Le romancier crée un monde dans lequel il nous invite à voir une image (sa vision personnelle) du réel et de nous-mêmes.

Écriture d’invention L’exercice de style proposé demande une imitation du texte de Maupassant, ce qui suppose que soient repris : – le point de vue interne (personnages et circonstances à imaginer) ; – la composition du passage ; – le recours à la comparaison et à la métaphore ; – la portée symbolique de la description.

T r o i s i è m e p a r t i e , c h a p i t r e 1 1 ( p p . 3 5 4 à 3 6 2 )

◆�Lecture analytique de l’extrait (pp. 363 à 365)

La forme particulière du dénouement u Le dénouement du roman se déroule en trois étapes : – La première consiste en une ultime rencontre entre Charles et Rodolphe après que le premier a découvert les lettres des deux amants. On ira jusqu’à « un peu vil ». – La seconde partie est centrée sur les circonstances du décès de Charles. Sa mort a lieu le lendemain de sa rencontre avec Rodolphe. – Enfin, Flaubert dresse le bilan des personnages après la mort de Charles en accordant une place toute particulière au pharmacien Homais. Ce dernier passage constitue un épilogue. v La progression dégagée en réponse à la première question est jalonnée par des indices temporels : « Un jour qu’il était allé au marché d’Argueil », « Le lendemain », « À sept heures », « Trente-six heures après », « Quand tout fut vendu », « dans l’année même », « Depuis la mort de Bovary ». Les deux premiers indices temporels permettent de détacher les deux scènes successives qui marquent le dénouement, l’indication de l’heure (« À sept heures ») ne constituant qu’une précision supplémentaire dans le déroulement de la fatale journée. Ensuite, après le « Trente-six heures », les indications perdent de leur précision ; on ne compte plus en jours ni en heures mais on situe un événement, comme celui de la mort de la mère de Charles, « dans l’année même ». On ne sait pas non plus combien de temps les trois médecins qui ont succédé à Bovary ont exercé leur profession à Yonville. Nous sommes à la toute fin du roman et les ellipses prennent le pas sur le traitement chronologique du temps (« Un jour », puis « Le lendemain »), ce qui prépare la fin du roman. Comme dans une sorte de decrescendo, les repères deviennent vagues. w Dans chacune des deux scènes, Flaubert opère un glissement du passé simple à l’imparfait. Scène 1 : la rencontre avec Rodolphe On commence en effet avec des verbes au passé simple : « rencontra », « pâlirent », « balbutia ». Puis l’imparfait s’installe : « était », « mâchait », « se perdait ». Après un enchaînement d’actions au passé simple, au premier plan, l’imparfait amène une durée indéfinie et contribue à gommer les contours de la scène, comme c’est souvent le cas sous la plume de Flaubert. On retrouve, à deux reprises, le même jeu d’estompe dans la deuxième scène.

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Scène 2 : la mort de Charles On commence de la même manière avec le passé simple (« alla ») qui cède aussitôt le pas à un imparfait duratif qui permet la description (« passaient », « dessinaient »…) et l’expression d’actions indéfinies, dans un temps arrêté (« suffoquait », « gonflaient »). À nouveau un passé simple (« vint »), puis l’imparfait de description (« avait » et « tenait »). Dans les deux scènes, le retour à la chronologie se traduit par un passé simple : « trouva » dans le premier cas, « poussa » dans le second. Ce glissement temporel nous donne l’impression que le temps défini disparaît au profit d’une temporalité sans contours annonciatrice de la fin du roman. x Le présent a différentes valeurs dans le texte mais ce qui frappe surtout, c’est la façon dont Flaubert joue avec ces valeurs pour donner un ton particulier à son dénouement. On rencontre d’abord le présent dans les paroles des personnages, dans le « Je ne vous en veux pas » de Charles ou le « viens donc » de Berthe. C’est un présent de l’énonciation, qu’il soit décliné au mode indicatif ou au mode impératif. À la fin du texte, le passé simple (« resta », « fut ») est remplacé par un présent (« est », « envoie », « fait »), comme c’est le cas fréquemment dans la narration quand il s’agit de mettre en relief une action importante. Mais Flaubert détourne ici le procédé cher à La Fontaine, car les actions évoquées ne sont pas essentielles ; nous sommes bien loin du « Le Loup l’emporte et puis le mange » (« Le Loup et l’Agneau »)… Il n’est donc pas certain que nous ayons affaire ici au présent de narration. Le dernier paragraphe participe à l’ambiguïté et brouille les pistes. En effet, dans l’expression « Il vient de recevoir », le verbe de modalité venir exprime un passé récent ; c’est une extension du présent de l’énonciation. Cet emploi du présent nous invite à considérer rétrospectivement les présents de « est » à « protège » comme des présents de l’énonciation. Mais pour les trois derniers verbes qui précèdent le verbe venir, c’est-à-dire « fait », « ménage » et « protège », on pense aussi au présent de vérité générale. y On vient de voir en réponse à la question précédente l’ambiguïté du présent (narration/ énonciation/vérité générale). Ajoutons l’emploi du passé composé dans un récit jusque-là dominé par le passé simple et son temps complémentaire, l’imparfait. On relève en effet : « se sont succédé » et « a battus ». À la différence du passé simple qui est coupé de la situation d’énonciation, le passé composé est, comme le présent qui clôt le roman et sans doute ceux qui précèdent, un temps de l’énonciation. Cette modification du système des temps donne au lecteur l’impression qu’il quitte le récit (au passé simple) pour rejoindre le présent de la réalité (le passé composé et le présent). Bien que nous ne relevions aucun indice personnel de l’énonciation et qu’il soit toujours question des personnages fictifs (Homais notamment), nous comprenons que l’histoire est en train de se clore. À ce titre, le dernier paragraphe est particulièrement intéressant. Comme nous l’avons vu plus haut, le présent employé a une valeur de passé proche qui nous place au plus près du présent de l’écriture. Dans ce « vient de recevoir », on aurait presque envie d’entendre un « Je viens de terminer mon roman ». Cet ancrage au cœur de l’énonciation signe le roman (la présence du narrateur) et ferme la boucle ouverte par le « Nous » liminaire (« Nous étions à l’étude »).

Un miroir du roman : le destin des personnages U Rodolphe n’a pas assisté à l’enterrement d’Emma et le décès de la jeune femme n’a pas provoqué en lui de grandes réactions ; elle ne faisait déjà plus partie de son existence et sans doute n’en avait-elle jamais d’ailleurs vraiment fait partie, comme Emma a pu le comprendre lors de sa dernière visite juste avant de consommer l’arsenic fourni par Justin. Emma voyait en Rodolphe un amant romantique, capable de l’emmener et de la conduire loin de Yonville ; mais le lecteur avait une tout autre vision du personnage : un homme ordinaire et lâche, un séducteur capable de mener froidement une stratégie amoureuse, comme le prouve le silence calculé qui suit la première rencontre ou la scène des comices. À la fin du roman, nous retrouvons cette image de Rodolphe. Flaubert souligne son prosaïsme en le faisant « parler culture, bestiaux, engrais ». Sans doute un clin d’œil à l’épisode des comices où le discours amoureux romantique venait se glisser dans les « interstices » d’un discours où il était justement question de bestiaux et d’engrais. Dans un retournement comique comme Flaubert les aime (on le voit notamment dans Bouvard et Pécuchet), Rodolphe se trouve tenir les mêmes propos que les officiels des comices…

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Aux antipodes du héros chevaleresque dont Emma avait rêvé, on retrouve également sa lâcheté : « balbutia d’abord quelques excuses », « bouchant avec des phrases banales tous les interstices où pouvait se glisser une allusion », « dans une sorte d’effroi ». Rodolphe est fuyant ; il a peur de la douleur de Charles comme il redoutait la passion d’Emma et son désir de fuir avec lui. Loin d’être un héros romanesque, il appartient au monde de la bourgeoisie qui tient à son confort et ne souhaite prendre aucun risque ; il est un homme de son temps. En mettant en scène la médiocrité de Rodolphe à la toute fin du roman, Flaubert continue à démystifier le personnage dont Charles vient de trouver les lettres. Il nous rappelle ainsi qu’Emma est morte pour avoir couru après des illusions : l’opposition entre le discours amoureux et le discours agricole n’était qu’un mirage, car Rodolphe n’est pas différent en réalité de M. Derozerays. Par contraste, si, dans cet excipit, un personnage peut acquérir l’envergure d’un héros romantique, c’est Charles. V Nous retrouvons Rodolphe égal à lui-même, comme nous l’avons montré en réponse à la question précédente. Pour les autres personnages, deux parcours s’opposent : celui qui conduit à la gloire et celui qui mène à la déchéance ou à la mort. À force de persévérance et en usant de moyens peu honnêtes, Homais a obtenu ce qu’il désirait : la croix d’honneur qui symbolise la reconnaissance et l’estime publiques. À l’opposé, les proches d’Emma disparaissent : M. Rouault, dont le désespoir lors de l’enterrement de sa fille était émouvant, est paralysé ; Madame Bovary mère, chassée par son fils, décède « dans l’année même » ; Berthe est une pauvre ouvrière anonyme « dans une filature de coton ». La petite fille pour laquelle Charles, du vivant de sa femme, avait nourri des rêves d’avenir (les seuls) est aussi « pauvre » que sa tante ; elle subit son destin, comme l’indique sa position d’objet du verbe envoyer : « Elle est pauvre et l’envoie, pour gagner sa vie, dans une filature de coton. » Si les médecins qui se succèdent semblent incapables de combler le vide créé par la disparition complète de la famille Bovary, c’est parce que le pharmacien Homais « fait une clientèle d’enfer » : la déchéance des uns est liée au triomphe de l’autre et nous nous interrogerons plus loin (question 12) sur ce que signifie le dernier paragraphe du roman. W Bien qu’Emma ait été enterrée au chapitre précédent, sa présence sous-tend les dernières pages du roman. On le voit d’abord à l’attitude de Rodolphe qui meuble la conversation en parlant « culture, bestiaux, engrais » pour éviter que Charles ne vienne lui parler d’Emma. Son comportement dès le début de la rencontre traduit un malaise qui rappelle au lecteur le rôle qu’il a joué auprès d’Emma : « Ils pâlirent en s’apercevant », « balbutia d’abord quelques excuses ». Puis, lorsque Charles rend explicite le cœur invisible de leur rencontre en disant : « Je ne vous en veux pas », Rodolphe reste muet. Ces deux formes de la fuite que constituent le discours digne des comices et le silence montrent la présence indirecte d’Emma. Dans les propos répétés de Charles « Je ne vous en veux pas/plus », le pronom « en » renvoie de façon implicite à la liaison de Rodolphe et d’Emma, et tout dans le texte nous montre comment Charles ramène la rencontre à la jeune femme : « Charles se perdait en rêveries devant cette figure qu’elle avait aimée. Il lui semblait revoir quelque chose d’elle. » Cette façon de rendre Emma présente va jusqu’à l’identification : « Il aurait voulu être cet homme. » Charles est absent et n’écoute pas Rodolphe ; il vit dans les « souvenirs » et la mobilité de son visage exprime le « passage » du temps, de l’« émerveillement » à la « lassitude funèbre » en passant par la « fureur sombre ». Flaubert, en faisant battre les narines et frémir les lèvres de Charles, résume la vie de son héroïne. La scène suivante est aussi marquée par la présence d’Emma : « Charles suffoquait comme un adolescent sous les vagues effluves amoureux qui gonflaient son cœur chagrin. » Enfin, la « longue mèche de cheveux noirs » que tient Charles (il l’a coupée après le décès de sa femme) rappelle la jeune femme ; noués de divers manières ou défaits, les cheveux d’Emma concentrent sa sensualité et expriment, selon la variation des coiffures, ses changements d’humeur tout au long du roman.

Un dénouement tragique ? romantique ? réaliste ? X Tout au long du roman, Flaubert s’amuse à évoquer les lectures de son héroïne : des romans qui font la part belle à la passion, quitte à faire mourir les amants, dans la tradition de l’amour courtois repris par les romantiques. Mais, d’une certaine façon, le romancier renoue avec cette tradition en

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racontant la mort de son personnage. Ajoutons à cela la réplique de Charles qui inspire à Rodolphe du mépris pour ce médecin qu’il juge « comique », voire « vil » : « c’est la faute de la fatalité ! » Mais Rodolphe n’a rien compris au personnage qui lui fait face : Charles est devenu un des héros d’Emma ; il a chassé sa mère, ce qu’il n’aurait jamais osé faire du vivant de sa femme ; il porte des tenues qui auraient plu à sa femme ; il vit comme le héros d’un roman qu’elle aurait aimé. Et il meurt, une mèche de cheveux à la main. Par une sorte d’ironie tragique, Charles, le médiocre officier de santé qu’Emma écoutait ronfler, est devenu le héros dont elle avait toujours rêvé. Elle est morte en courant après des mirages quand elle avait à côté d’elle l’amant auquel elle aspirait. Ainsi le dénouement est complexe, déroutant : le mot « fatalité » signale bien le dénouement tragique et il est souligné par Flaubert : « un grand mot, le seul qu’il ait jamais dit ». Mais nous devons prendre en compte ce que nous connaissons du personnage ainsi que la réaction de Rodolphe. Là encore, nous sommes entre deux registres : le comique que peut nous inspirer ce personnage qui semble se prendre pour le héros d’un roman et le tragique d’un destin tardivement révélé qui conduit à la mort du héros. at Au début de la seconde scène, le verbe « suffoquait » prépare la mort de Charles ; cette difficulté à respirer pourrait expliquer de façon médicale sa mort soudaine. Plus loin, le caractère imprévisible du décès justifie une autopsie : « il l’ouvrit et ne trouva rien ». Charles ne s’est pas empoisonné comme Emma ; la cause de sa mort échappe à l’analyse scientifique. Charles meurt donc d’amour ; il ne peut survivre à Emma pour laquelle il éprouve une passion dévorante, comme l’entretien avec Rodolphe a pu le montrer. Et si Charles suffoquait au début de la scène, ce n’est pas non plus en raison d’une quelconque affection respiratoire, c’est à cause de sa passion : « les vagues effluves amoureux qui gonflaient son cœur chagrin ». ak On s’appuiera sur les deux réponses précédentes pour répondre à cette question. Emma reprochait à Charles de n’être qu’un personnage ordinaire, médiocre même. « La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie », lit-on au début du chapitre 7 de la première partie, au lendemain du mariage d’Emma. D’où la fuite vers l’illusion que représentent Rodolphe puis Léon. Durant l’agonie d’Emma, Charles se montre capable d’éprouver une passion sans bornes, comme celle dont Emma rêvait, et on citera ces quelques lignes qui montrent le détournement de la scène amoureuse chevaleresque (« à genoux », « tendresse », « jamais vu », « défaillante ») : « Il se jeta à genoux contre son lit. – Parle ! qu’as-tu mangé ? Réponds, au nom du ciel ! Et il la regardait avec des yeux d’une tendresse comme elle n’en avait jamais vu. – Eh bien, là…, là !... dit-elle d’une voix défaillante » (III, 8). Nous avons dans ces quelques lignes le point de départ de l’ironie tragique que nous avons évoquée précédemment. Charles est devenu un être de passion et il le montrera dans les derniers chapitres jusqu’à sa mort inexpliquée dans l’excipit que nous étudions. Tout dans les dernières lignes du roman fait en effet de Charles un héros romantique, digne des lectures d’Emma : il se montre incapable d’écouter le discours ordinaire de Rodolphe ; il voit dans ce dernier un moyen de raviver le souvenir fuyant de sa femme et il lui pardonne malgré sa douleur ou sa fureur (« Je ne vous en veux pas » précisé par « Je ne vous en veux plus ») ; il suffoque d’amour puis meurt sans raison médicale, une mèche de cheveux à la main. Pourtant, comme toujours chez Flaubert, nous devons nous interroger. Est-ce un retour au romantisme après l’avoir ridiculisé tout au long du roman ? En un sens, oui. La réalité triomphante incarnée par Homais est médiocre, décevante, et la passion romantique reste un rêve qui nous permet d’échapper à la médiocrité ambiante. L’écriture est la solution que choisit Flaubert, comme elle le sera, pour d’autres raisons, chez Proust. Mais le dénouement reste ambigu. Le lecteur n’a peut-être pas oublié qui était Charles tout au long du récit et cette métamorphose peut le déconcerter, discréditer même l’image qu’il peut se faire du héros romantique. Si ce sont des personnages comme Charles qui sont des héros romantiques, alors on ne peut même plus rêver de tels héros… Ajoutons que l’image finale d’un Charles mort, une mèche de cheveux à la main, est un topos bien suspect sous la plume de Flaubert, et, une fois de plus, nous sommes partagés entre émotion et sourire. al Nous ne reviendrons pas sur l’emploi d’un présent à valeur de passé proche qui a fait l’objet de notre étude en réponse à la question 5. Rappelons simplement que cette phrase de conclusion prend ses distances par rapport au récit en s’approchant au plus près du moment de l’écriture.

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Après avoir craint d’être poursuivi pour exercice illégal de la médecine, Homais, malgré un comportement peu conforme aux réglementations, « fait une clientèle d’enfer », à tel point que trois médecins se succèdent sans pouvoir rester. On se rappellera les débuts difficiles de Charles à Yonville, en raison justement de l’autorité abusive exercée par le pharmacien. Tout au long du dernier chapitre, on le voit rôder autour de la décoration qu’il finit par obtenir. De façon obsessionnelle, et amusante pour le lecteur, il fait « dessiner dans son jardin un gazon figurant l’étoile de l’honneur, avec deux petits tortillons d’herbe qui partaient du sommet pour imiter le ruban ». Le dernier paragraphe marque la consécration d’une persévérance à toute épreuve : « Alors Homais inclina vers le Pouvoir. Il rendit secrètement à M. le préfet de grands services dans les élections. Il se vendit enfin, il se prostitua. » Ce dernier verbe n’est pas sans rappeler les ultimes démarches d’Emma avant de recourir à l’arsenic ; mais l’héroïne, elle, a refusé les avances du notaire : « Je suis à plaindre, mais pas à vendre ! » La dernière phrase du roman est bien à lire en pensant au destin d’Emma et de la famille Bovary. Emma est, certes, une femme adultère, mais on peut voir en elle un écho de la grandeur de ses héroïnes romanesques favorites ; Charles meurt dans la misère (et Berthe sera simple ouvrière dans une filature), mais lui aussi, contre toute attente, est attaché aux valeurs d’un ancien monde, comme en témoigne sa mort. Au contraire, Homais affirme sa modernité ; on le voit se moquer du curé, se passionner pour les dernières innovations. Il défend la science, valeur première de son époque. Mais cette modernité qu’il incarne est médiocre et sans idéal. Le docteur Larivière, venu pour tenter de sauver Emma, l’a bien compris : « ce n’est pas le sens qui l’étouffe. » En choisissant de terminer sur le triomphe d’Homais après avoir évoqué le tragique destin de la famille Bovary, Flaubert dénonce la société de son temps. Car, enfin, que représente Homais ? L’ordre : le pharmacien classe, met des étiquettes sur les bocaux et sur les gens ; il refuse ceux qui ne se mettent pas dans le rang, tels Hippolyte ou l’Aveugle. Chez lui, cet ordre, cette forme priment sur le sens, comme Larivière le dit dans son « calembour passé inaperçu ». Aussi dessine-t-il dans son jardin la croix à laquelle il aspire. Il n’accorde d’importance qu’aux apparences et se montre attiré par toutes les formes de reconnaissances : il écrit des articles, espère connaître le succès lors de l’opération du pied bot, aspire à la croix d’honneur. Les valeurs ont disparu : Justin est mal traité, utilisé comme domestique ; l’Aveugle, qui peut témoigner de l’incompétence du pharmacien, est enfermé ; le verbe « se prostitua » résume son comportement. Le sens est sacrifié à la forme. Dans la dernière ligne de son roman, Flaubert dénonce le triomphe d’une société médiocre, arriviste, dépourvue de valeurs, attachée à la forme plus qu’au sens des faits. am En premier lieu, nous voyons que ce roman portant le nom d’un personnage féminin s’ouvre et se clôt sur des personnages masculins : Charles puis, en dernière ligne, Homais. Pourtant, dans le corps du récit, Charles est un personnage de second plan, insipide, médiocre, presque touchant de naïveté quand il offre à Emma la jument qui lui permet de retrouver Rodolphe ou qu’il emmène sa femme à Rouen où elle retrouvera Léon. En second lieu, le présent et le passé composé des dernières lignes font écho au pronom « Nous » qui ouvre le roman. À partir de ces deux observations formelles, nous pouvons nous interroger sur les choix de l’auteur et sur le sens que ces effets de résonance tissent d’un bout à l’autre du roman. Commencer et finir par Charles, c’est montrer que, si le roman porte le nom d’Emma, elle n’est pas l’unique centre d’intérêt ; d’ailleurs ce sont plutôt ses relations avec les autres (et les malentendus qui en résultent) qui sont au cœur de l’intrigue. Placer Charles au début et à la fin du récit peut aussi nous inviter à penser qu’il est le personnage important de l’œuvre : nous sommes avec lui de son enfance à sa mort et, à la fin, comme au collège, nous le voyons face à la désapprobation des autres. Emma aussi. Finalement leurs parcours se ressemblent ; tous deux sont des individus confrontés aux attentes et aux normes de la société. Emma et Charles incarnent de façon complémentaire une réflexion sur la question de l’idéal et de la médiocrité. La première, bien que médiocre, aspire à ressembler à une héroïne de roman ; le second, médiocre lui aussi, se contente de ce qu’il a et de ce qu’il est, mais il s’avère finalement capable d’éprouver une passion hors norme, telle qu’elle le conduit à sa perte. L’incipit comme l’excipit posent à leur manière la question de la norme et de la différence. Dans les premières pages, Charles, différent des autres, provoque le rire de ses camarades, le sourire et l’émotion du lecteur. À force d’application, il va apprendre « les règles » : celles du collège et celles, tacites, du groupe. Il s’efforce littéralement de rentrer dans le rang. Et il y parvient, du moins en partie car son second mariage, un mariage de cœur et non de raison, est le début de sa perte. À la fin du roman, il a chassé sa mère,

Madame Bovary – 37

repoussé les conseils et sa vie échappe à toute règle car il cherche, de façon déraisonnable, jusque dans le visage de Rodolphe, le souvenir d’Emma. Sa mort même échappe aux explications rationnelles : M. Canivet « l’ouvrit et ne trouva rien ». En revanche, le dernier paragraphe montre le triomphe de l’ordre, un ordre qui, comme dans le premier chapitre où l’on ne comprend pas la nécessité de jeter sa casquette « sous le banc », est dépourvu de signification. Et cette réflexion sur la forme et sur le sens, qui ouvre et clôt le roman, est sans doute l’une des lignes de force de l’œuvre. Et le « Nous » collectif, qui trouve son prolongement dans les temps de l’énonciation à la toute fin du roman, ne justifie-t-il pas, de façon inattendue, l’exclamation de Flaubert : « Madame Bovary, c’est moi » ? Au-delà d’un défi formel (mais Flaubert n’est pas Homais et la forme chez lui est signifiante) que nous ne devons pas sous-estimer et qui consiste à enchâsser un récit à la 3e personne dans l’esquisse d’une narration à la 1re personne, nous pouvons lire, dans cet ancrage dans l’énonciation, une implication personnelle de l’auteur et une invitation au lecteur.

◆�Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 366 à 375)

Examen des textes u À la fin de L’Éducation sentimentale, Flaubert raconte comment le héros Frédéric Moreau et son ami Deslauriers évoquent leur jeunesse. La réplique finale, reprise par les deux personnages, renvoie au récit de l’aventure chez la Turque. Le présentatif « C’est » et l’adverbe « là » désignent ce qui s’est passé ce jour-là dans la maison close. Le « lieu de perdition » dont le nom même pose problème est évoqué comme « l’obsession secrète de tous les adolescents ». Frédéric et Deslauriers préparent leur visite, comme l’indique le groupe participial « s’étant fait friser ». Le narrateur souligne la naïveté de leur démarche : ils cueillent des fleurs et semblent se méprendre sur la véritable nature des lieux (« comme un amoureux à sa fiancée »). La démarche est vouée à l’échec et tout souligne le ridicule des deux adolescents : l’un s’en va parce qu’il croit qu’on se moque de lui et l’autre parce qu’il n’a pas d’argent. La dernière phrase du roman doit être comprise en lien avec cet échec amoureux. « C’est là ce que nous avons eu de meilleur » : leur jeunesse a passé sans rien leur apporter ; cette première déconvenue chez la Turque est légère, sans conséquence ; elle évoque surtout l’ambition et les projets de la jeunesse. Ce qui n’a sans doute été vécu que comme un point de départ pour les jeunes gens s’avère en réalité le « meilleur » de leur existence ; c’est dire la vacuité et la déception des années qui suivent. Ce dernier récit contribue à désacraliser le héros de roman et à souligner l’inconsistance de l’intrigue romanesque (le roman sur rien) à l’image de la platitude de l’existence. v L’incipit de Germinal raconte l’arrivée d’Étienne Lantier, dont le nom n’est pas encore donné (« L’homme »), dans l’univers des mines. Zola, conformément au projet qu’il s’est fixé, situe son personnage dans un contexte particulier. L’écrivain a visité des mines, pris des notes ; le cadre évoqué dans cette première page est fidèle à une réalité observée au préalable par le romancier : les champs de betteraves, la rectitude des perspectives dans cette plaine désolée. À cela s’ajoutent des précisions quant au climat : « les souffles du vent de mars ». Réaliste également la description du personnage, ouvrier misérable en quête d’un emploi : « le coton aminci de sa veste » ; « un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux » ; « grelottant » ; « main gourde ». À partir du troisième paragraphe, la description réaliste glisse vers une évocation fantastique. La nuit, le caractère hostile du paysage et du climat, la solitude de l’homme constituaient déjà un terrain propice à ce glissement. Le point de vue interne (« à sa droite », « à gauche ») permet l’introduction d’une subjectivité ; la description devient vision et la mine se métamorphose sous la plume de Zola en une créature monstrueuse. Les détails réalistes du décor que sont la « palissade », « la voie ferrée » ou les lanternes ne servent qu’à créer une atmosphère inquiétante. La brève proposition « Tout disparut » permet le passage à un autre monde, souterrain (« creux », « s’enfonçait », « au ras du sol »…) et clos (« fermait », « palissade »). Les contours s’estompent : les feux sont des « lunes fumeuses », les pignons sont « confus » ; on ne distingue pas nettement les constructions qui forment un « tas écrasé ». Le clair-obscur contribue à créer une tension dramatique : les feux et les lanternes brillent dans l’obscurité de la nuit. Les métaphores nous écartent de la simple reproduction de la réalité, qu’il s’agisse des « lunes » (un pluriel inquiétant) ou du « ciel mort » (une connotation religieuse). À la fin du passage, la

Réponses aux questions – 38

personnification de la mine (« voix », « respiration ») en fait une créature monstrueuse tapie dans l’ombre, comme prête à dévorer (le Voreux est un nom propre évocateur) les mineurs. w Germinal raconte la lutte des mineurs pour sortir de leur misère et obtenir de meilleures conditions de travail. Étienne Lantier, le héros du roman, a été un des principaux acteurs de la lutte et, à la fin du roman, lorsqu’il quitte l’univers de la mine pour rejoindre Paris, c’est pour continuer à défendre, au plus près du capital et du pouvoir politique, ses anciens compagnons. Le titre choisi par Zola renvoie d’emblée au calendrier révolutionnaire et le roman a bien raconté une grève qui ressemblait à une révolution. Il est aussi question de cette violence révolutionnaire dans les dernières lignes de l’excipit avec le champ lexical de la guerre : « armée noire », « vengeresse », « faire éclater la terre ». En opposition avec l’incipit qui évoquait un monde froid et mort dans lequel le personnage s’enfonçait, la dernière page évoque la belle saison et la vie. La germination et la naissance sont les principaux thèmes de ces dernières phrases : « enfantait », « nourricier », « grosse »… Et l’on doit comprendre le titre en lien avec cette évocation. Zola, comme souvent, fait l’éloge lyrique d’une terre nourricière désireuse de voir grandir tous ses enfants. La lutte des mineurs et la germination sont fondues en un même projet ; l’avenir est chargé de promesses ; le travail et le combat des mineurs pour un monde plus juste portent en germe une société nouvelle à laquelle Zola nous invite à croire. x Tout dans l’excipit concourt à souligner l’ambition dévorante du personnage éponyme. D’abord la mise en scène : Georges Duroy est le point de mire de tous les regards ; dans un premier temps celui des gens présents dans l’église puis, un peu plus loin, celui du « peuple de Paris » tout entier qui « le contempl[e] et l’envi[e] ». La sortie de l’église exprime aussi cette ascension du personnage. Il aperçoit d’abord « la baie ensoleillée de la porte » puis, de la Madeleine où il se marie, il pose son regard sur « la Chambre des députés » que l’on devine être le nouvel objectif d’une ambition sans bornes. Les dernières lignes du texte évoquent de façon suggestive Madame de Marelle, la maîtresse de Georges Du Roy, et le lecteur comprend que le mariage ne l’amène pas à renoncer à cette liaison. Suzanne d’ailleurs occupe une place très réduite dans l’excipit – preuve qu’elle a été manipulée par un séducteur qui ne voyait en elle qu’un moyen de réussir. y Le lecteur qui ouvre le roman de Camus ne peut manquer d’être frappé par le caractère étrange d’un personnage apparemment indifférent au monde qui l’entoure. Le récit rapporte une nouvelle qui aurait pu/dû (?) affecter le personnage : le décès de sa mère. Mais, dès le premier paragraphe, on est surpris par ses réactions : il n’exprime aucune émotion et la froideur du télégramme ne le touche pas ; il se préoccupe uniquement de la question de la date (« Aujourd’hui », « ou peut-être hier », « c’était peut-être hier »). Sa réflexion ne progresse pas et tourne exclusivement autour de cette question secondaire par rapport à l’importance de la nouvelle. Par la suite, les indications de temps se multiplient (« à deux heures », « dans l’après-midi », « demain soir », « deux jours de congé »…), montrant que le personnage est davantage préoccupé par l’organisation matérielle de l’enterrement que par ce que peut signifier ce décès. Les dernières lignes du deuxième paragraphe tendent à gommer l’événement et à lui retirer tout caractère affectif : « Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte », puis « ce sera une affaire classée ». Aucune place ici pour le souvenir ou l’émotion. De façon paradoxale, cette émotion attendue se trouve, dans le paragraphe suivant, chez les personnages qui entourent Meursault : « Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m’a dit : “On n’a qu’une mère.” Quand je suis parti, ils m’ont accompagné à la porte. » On pourrait croire, dans les dernières lignes, à une première réaction du personnage : « J’étais un peu étourdi » ; mais la subordonnée de cause nous amène très vite à revoir notre jugement : « parce qu’il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard ». La mort d’un proche ne provoque chez le narrateur que des questions d’ordre matériel et cette disparition de la mère est présentée comme un événement courant : « Il a perdu son oncle, il y a quelques mois. » Le narrateur ne semble ainsi éprouver aucun sentiment pour sa mère ; il n’est pas plus proche d’elle que son ami Emmanuel ne l’était de son oncle. D’ailleurs, cette mère vivait loin de son fils : « L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. »

Madame Bovary – 39

Travaux d’écriture

Question préliminaire Mises face à face, dans un jeu de miroirs, les premières et dernières pages des romans réunis dans le corpus dessinent la silhouette et le parcours de héros très différents. Flaubert choisit d’ouvrir et de fermer son roman Madame Bovary en mettant en scène le personnage de Charles, pourtant secondaire dans l’œuvre. En effet, Emma, personnage éponyme, est absente des premières et des dernières pages et c’est son mari, un mari qu’elle a méprisé, qui occupe l’avant-scène. L’incipit et l’excipit se font écho : on y retrouve la confrontation d’un individu et d’un environnement social. Au début, il s’agit d’un jeune garçon de la campagne désireux d’assimiler les codes (vides de sens : le « genre ») qui feront de lui un collégien puis un petit-bourgeois anonyme. À la fin, le jeune garçon médiocre a rejeté les « règles » pour privilégier, à l’instar de sa femme, l’« élégance » des « tournures » (chap. 1 : « s’il savait passablement ses règles, il n’avait guère d’élégance dans les tournures »). Il meurt sans raison, si ce n’est la passion qui l’étouffe, une mèche de cheveux noirs à la main. Le premier chapitre, comme la suite du roman centré sur Emma, met face à face un individu et une société conformiste ; à la fin, la mort de Charles et le triomphe d’Homais, qui est celui des « règles » dépourvues de valeurs et de sens, expriment aussi l’échec d’Emma. Dans le roman de Flaubert, le personnage, médiocre et désireux de se fondre dans la masse ou au contraire passionné et en quête d’idéal, est détruit par une société sans rêves et sans valeurs. Dans L’Éducation sentimentale, c’est le personnage principal, Frédéric Moreau, qui est en avant-scène au début et à la fin du roman. Dans l’incipit, nous découvrons un jeune homme rêveur, sans doute plein de projets (« Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras ») ; il affronte le monde (« il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms ; puis il embrassa, dans un dernier coup d’œil, l’île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame ») et entend profiter de l’existence qui s’ouvre à lui. En effet, « nouvellement bachelier », il choisit de prendre la route la plus longue : la vie s’ouvre à lui, avec tous ses possibles, et il entend la vivre pleinement. La fin du roman marque la désillusion et l’échec des rêves, la vacuité de l’existence du jeune homme. De même qu’il embrassait Paris du regard, Frédéric passe en revue son existence et le « meilleur » souvenir est celui de la visite chez la Turque, c’est-à-dire celui d’une expérience qui n’a pas eu lieu. Le héros dans Germinal est très différent ; il acquiert presque une force épique si l’on met en regard la première et la dernière page. Tout s’oppose : la nuit et le jour, l’hiver et le printemps, la mort et la germination, la descente du personnage et son départ pour Paris (on monte à Paris), la représentation d’un monde clos (« palissade »…) et celle d’un univers plein de promesses. D’une certaine façon, dans la tradition mythologique de l’épopée, le héros a triomphé du monstre qui dévorait les hommes (le Voreux, sa « voix », sa « respiration ») et il porte les aspirations de tout un peuple. Lorsque Étienne Lantier quitte la mine pour se rendre à Paris, il porte en lui le combat et les valeurs fraternelles de ses compagnons, la germination d’un avenir plus juste, comme l’évoque la métaphore filée qui associe Étienne, les mineurs et le printemps de la terre. Deux situations s’opposent également dans Bel-Ami mais le jeu d’échos qui se tissent entre le début et la fin du roman ne dessine pas la silhouette d’un héros épique, bien au contraire. Maupassant rejoint son maître Flaubert en mettant en avant le triomphe d’un personnage sans scrupule (comme Homais), symbole d’une société médiocre, sans valeurs et sans idéal. Au début du roman, le personnage est seul et sans argent ; à la fin, il est le point de mire de tous les regards et son mariage avec la fille du directeur du journal exprime sa réussite sociale. L’excipit comme l’incipit soulignent le parcours de l’ambitieux ; nous le voyons sans cesse en mouvement. Dans les premières pages, il marche dans Paris et se dirige vers les quartiers aisés (« le boulevard ») bien qu’il n’ait plus un sou en poche ; dans les dernières lignes, le mouvement se poursuit : Georges Du Roy sort de la Madeleine et son regard devance son parcours en se posant sur la Chambre des députés. Et, dans la première page (« Les femmes avaient levé la tête vers lui »), comme dans la dernière, les femmes occupent une place importante et jouent un rôle dans son ascension. C’est encore une autre image du héros que nous propose Camus dans son roman L’Étranger. Là aussi les dernières lignes, en évoquant la mort de la mère, nous rappellent la première page. L’indifférence soulignée dans l’incipit par l’importance accordée aux préoccupations matérielles a fait place aux sentiments, qu’il s’agisse de ceux de la mère à la fin de sa vie (« pourquoi à la fin d’une vie elle avait pris

Réponses aux questions – 40

un “fiancé”, pourquoi elle avait joué à recommencer ») ou de ceux de Meursault (« colère », « espoir », « fraternel », et bien sûr le dernier mot : « haine »). L’amour absent dans la première page a fait place à la « haine ». Et s’il est question de l’indifférence, ce n’est plus celle de l’« étranger », mais celle d’un monde que l’exécution du personnage ne trouble pas. En effet, l’entourage de Meursault manifeste sa sollicitude dans l’incipit et nous laisse imaginer que l’amour et la compassion gouvernent notre société, mais le roman nous a montré que tout était mascarade : « Personne, personne n’avait le droit de pleurer sur elle. » Dans une société inhumaine qui joue sur les apparences (porter un brassard, veiller…), le héros est un être profondément seul. Ainsi, en mettant en regard l’incipit et l’excipit des romans réunis dans le corpus, nous avons pu dessiner la silhouette de héros bien différents, qui entretiennent des relations particulières avec le monde qui les entoure.

Commentaire L’exercice du commentaire comparé a été proposé au baccalauréat en série L dans le cadre d’une épreuve sur l’épistolaire. Si l’on ne souhaite pas proposer un commentaire comparé, on pourra toujours demander aux élèves de commenter l’un ou l’autre des deux passages en reprenant les indications qui suivent. Remarquons tout de même que l’exercice du commentaire comparé est souvent plus facile que l’étude d’un passage unique car la mise en regard de deux passages éclaire leurs caractéristiques respectives.

1. Le héros et le monde A. Le héros au centre du roman • Étienne Lantier est le personnage principal du roman : c’est de son histoire qu’il est question dans les première et dernière pages. • Le roman est centré sur son parcours : effets de symétrie entre le début (arrivée) et la fin (départ) du roman. B. Le héros est un prétexte pour évoquer le monde • Le point de vue interne dans le texte E et l’organisation de l’espace autour d’Étienne. À partir de là, le lecteur est invité à s’associer au narrateur dans le pronom « on » : « on ne voyait point ». • Dans l’excipit, le départ d’Étienne est prétexte à une évocation presque lyrique de la campagne au printemps. C. Le héros incarne les aspirations du monde • L’anonymat du personnage dans l’incipit. • Le héros agit au nom de ses camarades : le départ d’Étienne pour Paris porte le combat des mineurs. • On pourra commenter ici le titre du roman (voir question 3) et montrer le lien avec le projet du personnage.

2. La métamorphose du monde sous la plume de l’écrivain A. L’écriture réaliste et le projet naturaliste • Le vocabulaire réaliste dans les deux textes (décor, climat). • Le projet naturaliste : le personnage situé dans un milieu. B. Le glissement vers le fantastique dans l’incipit Voir question 2. C. La force symbolique de la description • La dimension programmatique de l’incipit : la mine comme un monstre qui va dévorer (le Voreux) les mineurs ; le participe « noyé » qui annonce l’accident final. • L’incipit : le monde industriel hostile aux hommes. • L’excipit : un avenir meilleur, en germe dans le présent.

Dissertation

1. Dans sa définition première, le héros est voué à la réussite A. Dans la tradition des héros de l’Antiquité (demi-dieux), le personnage de roman accomplit des exploits • Il fait preuve d’une force physique peu commune : d’Artagnan (Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, les romans de cape et d’épée).

Madame Bovary – 41

• Il est brave : le capitaine Fracasse à la fin du roman éponyme de Théophile Gautier. • Il a une perspicacité peu commune : le héros du roman policier, de Conan Doyle à Connely en passant par Agatha Christie. B. Le héros réussit sa quête amoureuse • La quête amoureuse semée d’embûches est un des parcours privilégiés du roman. • Le héros rejoint la femme qu’il aime : Le Capitaine Fracasse. C. Le héros réussit sa quête d’une reconnaissance sociale • Rastignac à la fin du Père Goriot annonce son intention de réussir : « À nous deux maintenant. » • Georges Duroy, le héros de Bel-Ami : voir corpus.

2. Mais le lecteur ne s’attend pas nécessairement à la réussite du héros de roman A. La réussite d’un personnage n’est pas nécessairement un modèle pour le lecteur • Si le baron de Sigognac (Le Capitaine Fracasse) peut être un modèle pour le lecteur, il n’en est pas de même pour Georges Duroy dont le succès ne fait que souligner le manque de scrupules. • On peut évoquer aussi le succès d’Homais dans Madame Bovary. B. Les romans d’amour racontent le plus souvent des amours malheureuses • L’amour est impossible : La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette, La Nouvelle Héloïse de Rousseau… • L’amour est une illusion : Emma Bovary et ses amants. C. La représentation de l’échec rend le personnage plus humain • Le lecteur ne cherche pas nécessairement un modèle dans le roman, mais un personnage qui lui ressemble. • Les rêves et les désillusions des personnages chez Flaubert (cf. corpus). • L’aspiration de l’artiste (le peintre Claude Lantier) et ses limites dans L’Œuvre de Zola. • La souffrance et l’échec du héros s’apparentent peut-être à ce qui se passe dans la tragédie ; le roman a pour le lecteur une fonction cathartique dans la mesure où il exprime des passions et une souffrance.

3. Le lecteur attend du romancier qu’il nous éclaire sur les liens entre un individu (le personnage) et le monde qui l’entoure A. Le personnage n’accepte pas les normes que lui impose la société et il exprime sa révolte d’une manière ou d’une autre • La Religieuse de Diderot, Thérèse Desqueyroux de Mauriac : un destin imposé pour la femme et différentes formes de révolte. • L’action dans Germinal, dans La Peste de Camus ou dans La Condition humaine de Malraux. B. Le personnage qui vit d’espoir et de rêves et que la société détruit • Lucien de Rubempré dans Illusions perdues de Balzac. • Emma dans Madame Bovary. • Jeanne dans Une vie de Maupassant. C. Un personnage qui ne parvient pas à s’inscrire dans la société • Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale. • Meursault dans L’Étranger.

Écriture d’invention Le style de Camus dans l’incipit de L’Étranger est faussement simple. Dans ce récit à la 1re personne, à la syntaxe dépouillée, tout concourt à montrer les préoccupations matérielles du personnage. La suite du passage devra épouser cette écriture, ce qui n’est pas chose aisée contrairement aux apparences ; elle prendra aussi en compte les données du texte, la façon particulière dont est évoqué le décès de la mère, les réactions du personnage et de son entourage, l’importance des conventions.

Compléments aux lectures d’images – 42

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S

L ’ i l l u s t r a t i o n d u r o m a n

Les gravures tirées d’anciennes éditions du roman de Flaubert s’attachent à représenter de façon fidèle les moments clés de la narration ou les personnages importants. L’attitude des différents personnages reflète leur caractère.

◆ M. Homais dissertant au Lion d’or (p. 108) Travaux proposés – En vous appuyant sur l’attitude et les occupations des différents personnages, analysez la place respective de l’homme et de la femme. – Quels aspects de la personnalité d’Homais la gravure exprime-t-elle ?

◆ La mort d’Emma (pp. 347 et 365) Les gravures Les gravures des pages 108, 122, 252 et 365 ont été réalisées d’après des dessins d’Albert Auguste Fourié (1857-1937). Ce peintre français s’est d’abord illustré par ses sculptures, puis par ses portraits et ses paysages qui lui ont valu plusieurs récompenses, dont la médaille d’or du Salon de Paris de 1889. Le tableau ayant servi à la gravure de la page 365 est, comme d’autres œuvres de ce peintre, conservé à Rouen : l’original est exposé au pavillon Flaubert de Croisset et une copie de L. Thiboult, datant de 1908, est exposée au musée Flaubert et d’Histoire de la médecine. Vous pourrez retrouver une notice détaillée et un commentaire de ce tableau sur le site du ministère de la Culture : http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/pres.htm (taper « Madame Bovary » dans la recherche simple). Alfred Paul Marie Panon Desbassayns, vicomte de Richemont, est l’auteur de l’illustration de la page 347 pour l’édition Ferroud de Madame Bovary.

Travaux proposés Comparez la représentation de la veillée funèbre dans les deux illustrations : – l’évocation d’une époque : les détails réalistes (mobilier, costumes) ; – le jeu de l’ombre et de la lumière ; – l’attitude des trois personnages.

◆ Gaston Hochard, Madame Bovary (p. 410) Le peintre Gaston Hochard (1863-1913) est un peintre français, auquel on doit également un tableau intitulé Le Pavillon de Flaubert à Croisset (musée des Beaux-Arts de Rouen) et de nombreuses peintures des rues et de la ville de Rouen.

Travaux proposés – Quelle image de la ville de Rouen l’illustration d’Hochard donne-t-elle ? – Comment Emma, par son attitude ou par ses vêtements, se distingue-t-elle des autres personnages féminins ? – En quoi la femme au second plan à droite rappelle-t-elle Emma ? En quoi est-elle différente ? Que peut-on déduire de ce rapprochement ?

Madame Bovary – 43

L ’ a d a p t a t i o n c i n é m a t o g r a p h i q u e d u r o m a n

◆ Les affiches (pp. 10 et 32) Travaux proposés – Quelle image du roman les deux affiches cherchent-elles à donner ? Comment apparaît Emma ? – Laquelle de ces deux affiches vous semble correspondre à un moment précis du roman ?

◆ Emma Bovary (p. 50) Les deux actrices et les deux films Valentine Tessier (1892-1981) incarne Emma Bovary dans l’adaptation de Jean Renoir (1933). Actrice de cinéma et de théâtre, elle fut l’amie intime de l’éditeur Gaston Gallimard. Elle côtoiera sur les planches Jacques Copeau et Louis Jouvet. À propos de son rôle dans Madame Bovary, elle déclarait : « J’ai essayé de faire de l’héroïne que j’incarne une femme très près des autres femmes et néanmoins capable de tous les écarts. » Isabelle Huppert (née en 1953) tient le rôle d’Emma Bovary dans la version, qui se veut fidèle au roman, de Claude Chabrol (1991). La complicité entre l’actrice et le metteur en scène donnera lieu à de nombreuses collaborations. Le film est notamment tourné au château de Breteuil, à Versailles et à Rouen. La voix off est celle de François Périer. Jean-François Balmer incarne Charles Bovary, Christophe Malavoy Rodolphe, Lucas Belvaux Léon et Jean Yanne le pharmacien Homais. Le scénario est de Claude Chabrol. Pour un commentaire détaillé du film, se connecter au site suivant : http://www.cadrage.net/dossier/bovary.htm.

Travaux proposés – Comparez le jeu des deux actrices et notamment la manière dont elles expriment la sensualité de l’héroïne qu’elles incarnent ? – Comparez le jeu d’Isabelle Huppert sur ce document et celui de la page 154 : quelles sentiments traduit-il à l’égard de chaque personnage masculin ?

◆ La représentation des scènes (pp. 154 et 326) Travaux proposés – Comment s’exprime, dans la photographie de la page 154, la nature passionnée d’Emma ? – Commentez la tenue d’Emma dans le document de la page 326. – Opposez l’expression des deux personnages représentés sur la photographie de la page 326.

L a r e p r é s e n t a t i o n d e l a m o d e r n i t é

◆ Camille Pissarro, Le Pont Saint-Sever à Rouen, brouillard (p. 256) Le peintre Camille Pissarro (1830-1903) est un peintre impressionniste qui a été, à partir de 1885, influencé par Georges Seurat et par la technique du pointillisme. Ses tableaux représentent la vie rurale mais aussi, comme ici et conformément au mouvement auquel il se rattache, la modernité de son époque.

Travaux proposés – Comment le jeu des lignes horizontales et verticales contribue-t-il à représenter la modernité ? – Comment le tableau mêle-t-il tradition et modernité pour mieux évoquer la complexité d’une époque en pleine transformation ? – En quoi ce tableau peut-il illustrer les descriptions que Flaubert (pp. 273-274) et Maupassant (pp. 290-291) font de la ville de Rouen ?

Bibliographie complémentaire – 44

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

– Pierre-Marc de Biasi, Flaubert : l’homme-plume, coll. « Découvertes », Gallimard, 2002. – Gérard Genette, « Silences de Flaubert », in Figures I, coll. « Points », Seuil, 1966. – Gérard Gengembre Madame Bovary, coll. « Études littéraires », PUF, 1990. – Maurice Nadeau, Gustave Flaubert écrivain, Les Lettres nouvelles, 1969. – Jean-Pierre Richard, « La Création de la forme chez Flaubert », in Littérature et Sensation, coll. « Points », Seuil, 1990. – Marthe Robert, En haine du roman : essai sur Flaubert, Balland, 1982. – Jean Rousset, « Madame Bovary ou le Livre sur rien », in Forme et Signification, José Corti, 1962. – Jean-Paul Sartre, L’Idiot de la famille, Gallimard, 1971. – Tony Tanner, Adultery in the Novel, The John Hopkins University Press, 1979.