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Troisième : des récits porteurs d’un regard sur l’histoire et le monde contemporains. Histoire des arts : cahier photos couleurs dans l’édition consacré au réalisme et à l’hyperréalisme. ANTHOLOGIE Cinq Nouvelles sur la cruauté ordinaire ISBN : 9782081313842 3,70 € – 128 p. I. Pourquoi étudier Cinq Nouvelles sur la cruauté ordinaire en classe de Troisième ? Les cinq nouvelles recueillies dans ce volume sont les œuvres d’écrivains francophones réputés des XX e et XXI e siècles. Andrée Chedid, qui signe « L’Après-midi du majordome », a été récom- pensée à la fois pour son œuvre poétique et narrative : elle a reçu le prix Goncourt de la nouvelle, tout comme Annie Sau- mont, auteur de « La Plage ». Quant à Thierry Jonquet, qui a écrit « Le Témoin », il a obtenu plusieurs fois le Trophée 813 pour ses romans policiers publiés dans la célèbre collection « Série noire ». Didier Daeninckx, qui a rédigé « Toute une année au soleil », a également reçu en 2012 le prix Goncourt de la nouvelle. Enfin, notre recueil contient un texte d’un récent lau- réat du prix Nobel de littérature : la nouvelle « La Ronde » de Jean-Marie Gustave Le Clézio (primé en 2008). 76 | Étonnants Classiques

I. Pourquoi étudier Cinq Nouvelles sur la cruauté ... · élèves et en les initiant au commentaire littéraire, ... « L’Aveugle »de séquence – Questions Maupassant, GuydeMaupassant

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■ Troisième : des récits porteursd’un regard sur l’histoire et lemonde contemporains.■ Histoire des arts : cahier photoscouleurs dans l’édition consacré auréalisme et à l’hyperréalisme.

ANTHOLOGIECinq Nouvelles sur la cruauté ordinaireISBN : 9782081313842

3,70 € – 128 p.

I. Pourquoi étudier Cinq Nouvellessur la cruauté ordinaire en classede Troisième ?

Les cinq nouvelles recueillies dans ce volume sont les œuvresd’écrivains francophones réputés des XXe et XXIe siècles. AndréeChedid, qui signe « L’Après-midi du majordome », a été récom-pensée à la fois pour son œuvre poétique et narrative : elle areçu le prix Goncourt de la nouvelle, tout comme Annie Sau-mont, auteur de « La Plage ». Quant à Thierry Jonquet, qui aécrit « Le Témoin », il a obtenu plusieurs fois le Trophée 813pour ses romans policiers publiés dans la célèbre collection« Série noire ». Didier Daeninckx, qui a rédigé « Toute une annéeau soleil », a également reçu en 2012 le prix Goncourt de lanouvelle. Enfin, notre recueil contient un texte d’un récent lau-réat du prix Nobel de littérature : la nouvelle « La Ronde » deJean-Marie Gustave Le Clézio (primé en 2008).

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Ce recueil rassemble cinq nouvelles centrées sur le thème dela cruauté. Chaque texte met en scène un personnage aux prisesavec une situation cruelle, un coup du sort, une injustice ou uneviolence. La narration, marquée par le suspens, s’achève par undénouement tragique, souvent surprenant. Le Clézio raconte lamort d’une jeune fille lors d’un accident de mobylette dans « LaRonde » ; Andrée Chedid celle d’Harvey, majordome au serviced’une riche maîtresse, dans « L’Après-midi du majordome » ;Jonquet, lui, décrit un règlement de comptes au sein d’un gangde dealers d’une cité de la région parisienne ; un mari tue invo-lontairement sa femme dans « Toute une année au soleil » deDaeninckx ; « La Plage » d’Annie Saumont, où un rebelleespionne une jeune fille riche sur laquelle il a l’ordre de tirer,montre la confrontation tragique entre deux classes sociales. Cesrécits ancrés dans une réalité contemporaine (la ville, la banlieuedes cités, la campagne, ou un pays du Sud rongé par les inégali-tés et la guérilla) dépeignent la cruauté du sort à travers uneviolence familière et des malheurs ordinaires. Les protagonistesdes nouvelles illustrent la fascinante facilité avec laquelle ledestin peut basculer et les rôles de victime et de coupables’interchanger.

C’est pourquoi ce recueil constitue un support de choix pourl’étude du « récit porteur d’un regard sur l’histoire et le mondecontemporains », conformément aux recommandations du pro-gramme de Troisième.

Dans le cadre de l’étude des formes du récit, ces histoirescourtes permettent d’aborder le genre de la nouvelle et d’en éta-blir avec les élèves une définition (caractère invariant du genre– construction, travail sur le suspens, chute – et protéiformité– longueur variable, registres différents, etc.). On pourra retracerl’histoire de cette forme littéraire grâce au dossier de l’édition,qui offre plusieurs « lectures buissonnières », parmi lesquellesdeux nouvelles cruelles de Guy de Maupassant. L’étude de cesrécits permet aussi d’illustrer la proximité du genre de la nou-velle avec un autre type de texte court, le fait divers journalis-tique : la confrontation de ces deux formes révèle la spécificitéde l’écriture littéraire et la transformation qu’opèrent les écri-vains sur le réel dont ils s’inspirent. Ce recueil propose aussi une

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approche de la notion de réalisme : les nouvelles reflètent nossociétés modernes, marquées par la diversité et les inégalitéssociales, par la violence et les injustices. Leurs auteurs portentégalement un regard lucide et sans concession sur l’être humain,qui apparaît tour à tour vantard, jaloux, égoïste, lâche et cruel…Le cahier photos spécial Histoire des arts présente enfin le réa-lisme comme mouvement artistique et étudie son évolution versl’hyperréalisme, grâce à un choix original d’œuvres contem-poraines.

Enfin, tout en développant les compétences de lecture desélèves et en les initiant au commentaire littéraire, l’étude de cescinq nouvelles les conduit à réfléchir à la notion de cruauté(comment la définir ? que dit-elle de l’homme ? est-elle le proprede l’animal ?) et à entamer un travail d’argumentation, à l’écritou à l’oral, dans le cadre de débats citoyens sur la responsabilitédes individus dans la société.

II. Tableau synoptique de la séquence

Séances Supports Objectifs Activités

1 – Les cinq – Vérifier la – QuestionnaireÉvaluation initiale nouvelles du lecture et la

recueil compréhension– Dossier, des nouvellesquestionnaire de – Réfléchir à lalecture cohérence d’un

corpus

Étape no 1 : faits divers et littérature

2 – Le Clézio, « La – Définir le cadre – Initiation auLe Clézio, « La Ronde » spatio-temporel commentaire

Ronde » – Dossier, d’un récit littéraireparcours de – Étudier lalecture no 1 construction

narrative

3 – Dossier, – Définir le genre – RecherchesDe la réalité à la Nouvelles en trois du fait divers dans la presse

littérature lignes de Félix – Mettre au jour – ComparaisonFénéon le travail de entre une– Dossier, « La l’écrivain sur la nouvelle et le faitvraie mort de réalité dont il divers qui l’aGiovanni Coco » s’inspire inspirée

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Séances Supports Objectifs Activités

de Jean-Claude – ÉcritureIzzo d’invention– Cahier photos – Histoire desde l’édition arts

Étape no 2 : la nouvelle : un récit à chute

4 – Didier – Étudier une – Initiation auDidier Daeninckx, Daeninckx, nouvelle à chute commentaire« Toute une année « Toute une année littéraire

au soleil » au soleil » – Comparaison de– Dossier, la fin de deuxparcours de nouvelles dulecture no 2 recueil

5 – Dossier, « Mais – Faire une – Lecture cursiveLectures moi » d’Annie synthèse sur deux de deux nouvelles

buissonnières (1) : Saumont nouvelles – Questionscruautés – Dossier, contemporaines transversales

conjugales ou les « Quand Angèle – Réinvestir les – Initiation à laaffres du mariage fut seule » de notions vues dans dissertation

Pascal Mérigeau les parcours delecture nos 1 et 2

Étape no 3 : où est le mal ?

6 – Andrée Chedid, – Étudier la – Initiation auAndrée Chedid, « L’ Après-midi du construction et le commentaire« L’ Après-midi du majordome » suspens d’une littérairemajordome » – Dossier, nouvelle

parcours de – Analyser leslecture no 3 personnages d’une

nouvelle

7 – Extrait no 1, – Comprendre et – QuestionsLa Cruauté questions dans le reformuler le d’analyse

ordinaire : où est dossier point de vue du – Comparaisonle mal ? d’Yves locuteur entre l’essai de

Prigent Prigent et lanouvelle d’AndréeChedid

Étape no 4 : une réalité sociale cruelle

8 – Thierry Jonquet, – Analyser les – Initiation auThierry Jonquet, « Le Témoin » choix de l’auteur commentaire« Le Témoin » – Dossier, d’un point de vue littéraire

parcours de narratif – Écriturelecture no 4 – Mettre au jour d’invention

la critique sociale – Recherches etdans un récit débat sur le– Analyser et phénomène dumanipuler les happy slappingdifférents niveauxde langage

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Séances Supports Objectifs Activités

9 – Annie Saumont, – Analyser les – Initiation auAnnie Saumont, « La Plage » choix de l’auteur commentaire« La Plage » – Dossier, d’un point de vue littéraire

parcours de narratif – Écriturelecture no 5 – Mettre au jour d’invention

la critique socialedans un récit– Donner du sensà la fin du récit

10 – Norman – Histoire des – Analyse deDénoncer la réalité Rockwell, The arts : analyser un l’image

par l’image Problem We All tableau engagéLive With, cahier – Analyser laphotos dimension réaliste– Dossier, d’un tableauquestionnaireHistoire des arts

Étape no 5 : la cruauté et ses nuances

11 – Yves Prigent, La – Enrichir son – QuestionsLa Cruauté Cruauté ordinaire, vocabulaire d’analyse

ordinaire : où est extrait no 2 – Comprendre les – Justificationle mal ? d’Yves – Dossier, nuances associées d’une opinion

Prigent questions sur le à la notion detexte d’Yves cruautéPrigent – Engager une

réflexionsynthétique surles personnagesdes nouvelles

12 – Dossier, – Évaluer les – Lecture cursiveLectures « Pierrot » et acquis de la de deux nouvelles

buissonnières (2) : « L’Aveugle » de séquence – QuestionsMaupassant, GuydeMaupassant transversales surréalisme et les textescruauté

III. Déroulement de la séquenceet corrigé des travaux proposés

Séance no 1 : évaluation initialeObjectifs → Vérifier la lecture et la compréhension

des nouvelles.

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→ Réfléchir à la cohérence d’un corpus.Supports → Les cinq nouvelles du recueil.

→ Dossier, questionnaire de lecture.

Nous donnons ci-dessous des éléments de corrigé pour lequestionnaire de lecture figurant dans le dossier de l’édition.

1. Thierry Jonquet, « Le Témoin » ; Jean Marie GustaveLe Clézio, « La Ronde » ; Annie Saumont, « La Plage » ; DidierDaeninckx, « Toute une année au soleil » ; Andrée Chedid,« L’Après-midi du majordome ».

2. Roberto est l’un des deux protagonistes de « La Plage »d’Annie Saumont ; ce rebelle aperçoit une jeune fille sur la plagedont il doit empêcher l’accès. Dans la nouvelle de Jonquet,Moktar est l’aîné des frères Lakdaoui, les deux caïds de la citéqui ont été arrêtés et mis en prison. Raphaël est le fils de labaronne Gabriella, dans le récit d’Andrée Chedid : il emmèneHarvey, le majordome de la maison, faire un tour dans sa déca-potable. Titi est l’amie de Martine dans « La Ronde » deLe Clézio, elle l’accompagne dans sa course à vélomoteur. Pierreest le mari de Josette dans « Toute une année au soleil », maisaussi son meurtrier.

3. « La Ronde » raconte la course à vélomoteur de deuxjeunes filles, un jour, à l’heure du déjeuner entre une heure etdeux heures de l’après-midi. « Toute une année au soleil » évoquele déménagement et l’installation d’un couple de jeunes retraitésen Ardèche : l’action dure moins d’un an. Comme l’annonceson titre, la nouvelle d’Andrée Chedid s’étend sur une après-midi. Jonquet rapporte le témoignage d’un jeune homme sur ledrame qui s’est produit un mercredi dans la salle de sports dela Maison pour tous d’une cité de banlieue. « La Plage » décritquelques minutes décisives d’une après-midi, sur une plagedéserte d’Amérique du Sud, où une jeune fille se baigne sous leregard d’un rebelle.

4. La plupart des dénouements sont tragiques, voire san-glants : Harvey meurt dans un accident de voiture causé par lejeune Raphaël dans la nouvelle d’Andrée Chedid, Josette esttuée d’un coup de fusil par son mari dans « Toute une année ausoleil ». Martine est renversée par un camion dans « La Ronde »,sans qu’on sache si elle y a survécu. Le sort de la victime des

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frères Lakdaoui est plus incertain : le témoin affirme que lapolice n’a pas retrouvé l’homme torturé. La fin de « La Plage »se révèle plus ouverte encore, car la nouvelle se clôt sur le gesteen suspens de Roberto : on ne sait pas s’il va tirer ou non surla surfeuse. Certaines nouvelles proposent un dénouement sur-prenant : l’accident de Martine et celui d’Harvey, la découvertepar Pierre du cadavre de sa femme font de ces récits des nou-velles à chute.

5. « Allons décampe » : dans « La Plage », Roberto murmurecette phrase pour lui-même, parce qu’il souhaite que la jeunesurfeuse s’en aille pour ne pas avoir à appliquer la consigne quilui a été donnée (tirer sur les intrus). « Moi, faut pas venir meprendre la tête, parce que j’ai rien fait ! » : la nouvelle de Jonquets’ouvre sur cette phrase prononcée par le témoin du martyreinfligé par les frères Lakdaoui à leur « prisonnier ». Le narrateurs’adresse à un journaliste. « Ma mère est tout à fait d’accord » :Raphaël, héros de la nouvelle d’Andrée Chedid, répond ainsi aumajordome récalcitrant à l’idée d’accompagner son jeune maîtredans son bolide. « Bon. Alors, on y va ? On y va mainte-nant ? » : cette phrase de Titi à Martine marque son impatienceangoissée avant la course à vélomoteur.

6. La nouvelle de Jonquet est une narration à la première per-sonne du singulier : un jeune homme rapporte à un journalisteune scène dont il a été le témoin, sous forme de monologue. Lanouvelle doit son originalité à ses marques d’oralité et à sonniveau de langue familier.

7. « Le Témoin », « La Ronde » et le début de « Toute uneannée au soleil » évoquent le cadre urbain d’une banlieue gri-sâtre où se déroulent des événements tragiques. « La Plage »décrit un décor exotique, une plage ensoleillée d’Amérique duSud. « L’Après-midi du majordome » se déroule dans le monderaffiné de l’aristocratie française du XXe siècle. On peut noter quetous les auteurs inscrivent leurs récits dans un univers réaliste etcontemporain.

8. Andrée Chedid et Annie Saumont dépeignent des milieuxsociaux très privilégiés, à travers le personnage de la baronneGabriella et de son fils Raphaël, d’Anna Maria Angelica et deson père. Les héros de Le Clézio et Daeninckx appartiennent à

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des milieux plus modestes. Si Pierre et Josette, simples ouvriers,parviennent à fuir la vie de banlieue, Martine et Titi, étudiantes,semblent condamnées à y rester enfermées. Jonquet, lui, peintla cruauté de la société des exclus du travail, royaume des traficset de la débrouille.

9. « La Ronde » montre le destin cruel réservée à Martine,jeune fille de quinze ans qui meurt à cause d’un stupide défilancé par sa bande ; le sort est aussi injuste pour Harvey – dansla nouvelle d’Andrée Chedid –, victime de l’inconséquence deson maître. « Toute une année au soleil » décrit le geste fatal dePierre qui, croyant se défendre d’un cambrioleur, tue en fait safemme. Enfin, « Le Témoin » met en scène la violence quoti-dienne des banlieues défavorisées et « La Plage » un pays oùrègnent la guerre civile et de profondes inégalités sociales.

10. On peut distinguer les personnages qui agissent cruelle-ment sans le savoir ou sans en avoir l’intention – par exemplePierre, Raphaël, Anna Maria Angelica ; ceux qui semblent agircruellement en conscience – comme les frères Lakdaoui ; et ceuxdont l’indifférence constitue une forme de cruauté – le témoinde la nouvelle de Jonquet.

Séance no 2 : Le Clézio, « La Ronde »

Objectifs → Définir le cadre spatio-temporel d’un récit.→ Étudier la construction narrative.

Supports → Le Clézio, « La Ronde ».→ Dossier, parcours de lecture no 1.

Ce développement suit les questions du parcours de lectureno 1, consacré à « La Ronde » de Le Clézio.

■ Une écriture réaliste

1. Cette nouvelle qui met en scène un accident de la routeimpliquant une jeune fille à deux-roues et un camion peut fairepenser à un fait divers, par son contexte familier, sa banalité etson dénouement tragique.

2. Ce récit s’inscrit dans un cadre réaliste. Le lieu est identifiépar des noms de rues ou de quartiers (« rue de la Liberté », « aux

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Moulins »). L’heure (la rencontre est prévue à « une heure ») et letemps qu’il fait (« il y a beaucoup de soleil et […] l’air n’est pasfroid ») sont précisément mentionnés. L’évocation de « l’école desténo », du vélomoteur, de la « moto Guzzi » du frère de Titi, dela vie de jeunes filles qui mangent un « sandwich sur un banc àcôté de [leur] petit ami » inscrit la nouvelle dans un quotidienmoderne, connu du lecteur.

3. Le point de vue dominant dans cet extrait est celui de Mar-tine, notamment à partir du deuxième paragraphe. La récur-rence des verbes « penser » et « sentir » montre que l’auteurtranscrit les préparatifs et le début de la ronde à travers lesréflexions et les sensations du personnage. Les sentiments del’étudiante progressent en intensité, passant de l’indifférence ini-tiale (« ça lui était égal ») à la panique brutale (« Martine a sentison cœur tout à coup qui paniquait »), puis de la peur (« un cœurqui a peur ») au plaisir de rouler (« Martine aime bien rouler envélomoteur, surtout quand il y a beaucoup de soleil […] commeaujourd’hui »). L’écriture met l’accent sur les sensations de Mar-tine, qui « ne sait pas très bien » ce qu’elle ressent ; c’est doncson corps qui parle pour elle : « ça fait “boum, boum, boum”,très fort au centre du corps, et on a tout de suite les jambesmolles », « elle sent le froid du vide en elle, jusqu’à son cœur, etun peu de sueur mouille ses paumes », « très pâle, les yeux fixes,et ses lèvres tremblent ». Cette impression de saisir la réalité àpartir de Martine est renforcée par l’usage d’un vocabulairesimple et de l’emploi du discours indirect libre (« C’est drôle, uncœur qui a peur […]. Pourquoi a-t-elle peur ? », « Elle aime sefaufiler entre les autos, la tête tournée un peu de côté pour nepas respirer le vent et aller vite ! »).

Ce choix initial contribue au réalisme psychologique du récit.Le Clézio cherche à montrer l’évolution des manifestations intel-lectuelles et sensuelles en retraçant très précisément les sensa-tions intimes du personnage.

■ Une ronde fatale

1. Le suspens est un moment ou un passage de nature à susci-ter un sentiment d’attente angoissé. Nombreux sont les procé-dés qui le font naître dans la nouvelle.

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Le lecteur sait qu’un événement va se produire mais ignore dequoi il s’agit. Seules y font allusion des périphrases très floues :« l’idée », « ça », « tout cela », « toute cette histoire »… Le récit dis-tille peu à peu les informations : le lieu (la rue de la Liberté), lesprotagonistes (Martine et Titi), les moyens (les vélomoteurs) etévoque de façon assez mystérieuse « un examen, une épreuve ».Le suspens est souligné par la mention récurrente de la peur deMartine (« la peur revient à l’intérieur de Martine », « Martineserre bien fort les lèvres, […] pour ne pas laisser échapper sapeur ») et le fait que « le monde attend quelque chose ». Cettetension est renforcée par les effets de ralentissement du récit. Lesdescriptions de Martine, de Titi, de la dame au tailleur bleu oudu camion (« le camion bleu de déménagement démarre lente-ment, chargé de meubles et de cartons ») agissent comme despauses, qui retardent la progression du récit.

La rencontre tardive entre les trois protagonistes du drame– Martine, la dame en bleu et le camion – apparaît comme laréunion de pièces de puzzle, comme si les éléments du récit,jusque-là épars, ne prenaient sens que lors de la chute.

2. Le dénouement fatal est annoncé dès le début de la nou-velle. Une relecture attentive permet d’en relever de nombreuxindices.

Une menace plane tout au long du texte : « de toutes parts,était venu un vide intense, angoissant, strident à l’intérieur desoreilles, un vide qui suspendait une menace », « il y a commedes éclairs qui frappent le monde, des signes qui fulgurent àtravers la ville, des éclats de lumière fous ». Ce danger est omni-présent, et tout se passe comme si l’héroïne ne pouvait échapperà ce « vide » qui se trouve « en haut des immeubles de septétages, aux balcons, derrière chaque fenêtre, ou bien à l’intérieurde chaque voiture arrêtée ». Le drame doit nécessairement écla-ter, puisque « tout cela est comme réglé d’avance » et que lesétudiantes « s’approchent de ce qui va arriver sans pouvoir sedétourner », lancées qu’elles sont sur leurs vélomoteurs. Les élé-ments se muent aussi en forces hostiles qui accablent les jeunesfilles : le soleil « brûle » et « donne la peur », la route se changeen « grand fleuve de goudron noir qui fond sous les rayons dusoleil ».

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L’accident final est même pressenti dès le milieu du récit, alorsmême que ni la dame en bleu ni le camion ne sont encore appa-rus : « Martine […] voit un instant la rue s’ouvrir, se précipitersous les pneus qui la dévorent, tandis que les fenêtres explosenten mille miettes qui jonchent l’asphalte de petits triangles deverre. » Cette hallucination de Martine se révèle être une visionprémonitoire, tout comme celle de la dame en bleu qui voit sonombre « comme une dépouille ».

3. Le titre « La Ronde » renvoie au parcours circulaire desvélomoteurs à travers la ville, mais aussi à la jeunesse des prota-gonistes, puisque ce terme désigne également une danse enfan-tine collective. II évoque encore de façon plus symbolique lecercle ou le cycle de la vie et de la mort, le passage de l’enfanceà l’âge adulte : « c’est pour cela aussi, pour combler ce vertige,[…] afin que s’achève le cercle ». Cette image du cercle qui seclôt est reprise plus loin (« Alors la ronde des vélomoteurs sereferme »), suivie de la mention du vide, qui annonce la mort deMartine (« le vide, surtout, au fond d’elle, car la ronde estfinie »).

■ La morale de l’histoire

1. Le début de la nouvelle fournit quelques explications àcette ronde, qui relève à la fois d’un acte transgressif, d’une ten-tation (« ça fait longtemps qu’ils ont tous plus ou moins envied’essayer ») et d’une sorte de rite de passage : il est question des’imposer dans une bande (« Alors c’est Titi qui a dit qu’on allaitleur montrer, qu’on ne se dégonflerait pas, et qu’ils pourraientaller se rhabiller, les types et les filles de la bande »). Cette rondeet le vol du sac sont vus comme « un examen, une épreuve ».Mais la suite du récit suggère que ces motivations ne suffisentpas à expliquer la ronde fatale.

2. Dans les deux paragraphes qui vont de « Dans lesimmeubles neufs, de l’autre côté des fenêtres » à « il n’y a de laplace que pour les rêves », une opposition très forte entre l’inté-rieur et l’extérieur est soulignée par une série d’antithèses. Toutd’abord, l’intérieur est associé à l’âge adulte, alors que l’exté-rieur est l’endroit où se trouvent les « enfants », les « filles auvisage encore doux de l’enfance ». Le monde des adultes est lié

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à l’enfermement et celui des enfants à la liberté. De nombreusesimages, comparaisons et métaphores, comme « les cellules [des]appartements fermés » ou « prisonniers du plâtre et de la pierre,le ciment a envahi leur chair, a obstrué leurs artères » décriventun univers bouché, fermé, opaque qui ne laisse rien passer àpart « le gris de l’écran de télévision ». L’impression d’enferme-ment est renforcée par l’apparence fantomatique des adultes etl’évocation de leur existence morne : ils « vivent à peine », sont« aveuglés », « ils ne voient pas », « ils n’entendent pas », ils « nesavent pas » ; la répétition des négations met en valeur leur inca-pacité à éprouver des émotions. Au contraire, le monde exté-rieur, celui de l’enfance, est représenté comme un espacepresque infini, « le ciel », où éclate une « lumière cruelle ».Contrastant avec le silence qui règne dans les immeubles, la ruerésonne de « l’appel strident des vélomoteurs qui font commeun cri ». Enfin, alors que le monde adulte ne fait que recevoirpassivement les images télévisées – « Les images s’allument,s’éteignent, font vaciller la lueur bleue sur les visages immo-biles » –, les enfants sont lancés dans le mouvement de « laronde », véritable quête de liberté, que symbolisent l’image des« cheveux emmêlés par le vent » et le nom même de « la rue dela Liberté », ainsi que la mention du rêve : « Au-dehors, dans lalumière du soleil, il n’y a de place que pour les rêves. »

Ainsi on peut dire que cette opposition entre intérieur et exté-rieur souligne l’écart entre enfants, encore libres de croire à leursrêves, et adultes, morts à toutes les sensations et tous les senti-ments. L’issue tragique souligne la difficulté angoissante et dou-loureuse de passer de l’univers de l’enfance à celui du mondeadulte.

3. Malgré la culpabilité des deux jeunes filles, complices d’unlarcin, le lecteur éprouve une grande compassion pour elles.Le Clézio n’écrit pas une fable dont la morale serait « Tu nevoleras point ». Il ne stigmatise ni ses deux héroïnes ni la jeu-nesse en déshérence. Il décrit le malaise de l’adolescence ettouche à l’universel : le défi, la transgression, le sang. Tous ceséléments tragiques font de la nouvelle un récit d’initiation.

Séance no 3 : de la réalité à la littérature

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Objectifs → Définir le genre du fait divers.→ Mettre au jour le travail de l’écrivain sur la réalité

dont il s’inspire.Supports → Dossier, Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon.

→ Dossier, « La vraie mort de Giovanni Coco »de Jean-Claude Izzo.

→ Cahier photos de l’édition.

■ Qu’est-ce qu’un fait divers ?

On pourra demander aux élèves de chercher dans la pressequotidienne la rubrique des faits divers et d’en sélectionnerquelques-uns. À partir de ces exemples, on mettra au jour lescaractéristiques de ce type d’articles, sur le plan thématique(drame de l’amour, chiens écrasés, victimes en tous genres…) etstylistique (titre, brièveté…).

■ Quand le fait divers devient littérature : l’exempledes Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon

1. Les Nouvelles en trois lignes rapportent une informationbrève et au caractère anecdotique – ils ne relèvent ni de l’actua-lité politique ni même du fait de société –, ce qui les rapprochedu genre du fait divers. En outre, les faits évoqués sont violents(drames de l’amour, rivalités, meurtres, agressions, accidents…),comme dans la rubrique des faits divers.

2. Fénéon cherche toujours à souligner le caractère insoliteou paradoxal des événements. Il décrit un comptable sur untrapèze volant (1), un alpiniste qui rebondit comme une balledans sa chute (4), un policier qui subit le sort réservé à sonpatronyme (6), une demoiselle au nom prédestiné (7) ou un pro-fesseur de natation qui se met à l’eau et se noie (8). Le tonbadin du narrateur accentue l’ironie du sort. Bavarder, nager,chanceler, activités banales, peuvent avoir des conséquences tra-giques : c’est de ce décalage que naît l’humour de ces nouvelles.

3. Le jugement de l’auteur est perceptible à travers l’emploide certains termes. Il souligne dans la deuxième nouvelle lacruauté du mari à travers l’adjectif « sauvage » et la disproportionde la réaction du jaloux en utilisant le verbe « jaser ». Le narra-teur émet aussi des hypothèses : la nouvelle de la noyade de

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Guyot (3) est mise au second plan au profit d’insinuations surla violence du monde politique. Il ajoute aussi un commentairesur le manque de précision du vitriol (5) tout en suggérant unemorale à ce fait divers (la Verbeau est punie par son propregeste) et esquisse une explication (la rage) pour justifier le gesteincongru d’un garçon de quatorze ans qui a mordu son père (9).

4. Malgré la recherche de concision, Fénéon réussit à créer lasurprise dans ses nouvelles, en ménageant une chute. Ainsi lacause de la mort du comptable Bailly est-elle reléguée à la fin dela phrase (1), tandis que le destin tragique du professeur de nata-tion Renard (8) est mis en valeur par une phrase très courte quiclôt la narration.

Prolongements : travaux d’écriture

– Choisissez une nouvelle de Fénéon et récrivez-la en ladéveloppant.

– Composez à votre tour une nouvelle en trois lignes, à lamanière de Fénéon, à partir d’un des récits proposés dansl’édition.

■ Jean-Claude Izzo, « La vraie mort de GiovanniCoco », d’après un fait divers de Libération

1. L’article de Libération adopte un point de vue omniscient.Le narrateur sait tout ce qui concerne Giovanni Coco : ce qu’ila écrit, ce qu’il a fait et entendu avant de mourir et les circon-stances du drame (ce que font ses victimes – les deux motocy-clistes – et la réaction des policiers). Ce point de vue permetde rendre compte le plus précisément de la réalité, de donnerl’information la plus complète. Au contraire, pour mieuxpeindre le protagoniste et saisir les motivations de son geste dés-espéré, Jean-Claude Izzo choisit de rapporter cet événement enfocalisation interne, en adoptant le point de vue de GiovanniCoco. Le narrateur sait tout du héros éponyme : ses derniersachats, ses pensées (l’importance de son agenda et le refusorgueilleux de sa condition), ses sentiments (son exaspération àl’égard de sa mère, son lien avec une certaine Barbara), maisaussi ses sensations (les balles qui pénètrent douloureusementson corps). La narration s’achève sur les dernières pensées de

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Giovanni Coco, ce qui renforce l’impression qu’a le lecteur devivre le drame avec lui.

2. Izzo transforme certains éléments du fait divers : l’agendamentionné dans l’article de Libération devient pour GiovanniCoco une sorte de journal intime, confident et témoin de « sadéchéance ». Soucieux d’expliquer le geste du jeune Romain,l’écrivain insiste davantage sur la haine que Giovanni Cocoporte à sa condition : il développe son refus d’effectuer un travailaliénant et de se fondre dans la masse. Le nouvelliste inventeaussi deux personnages : la mère de Giovanni Coco et unefemme, Barbara. La première incarne la soumission et la misèreque rejette le héros et la seconde, la souffrance inhérente à lacondition humaine (Barbara sait « des choses […] sur la dou-leur »). Izzo utilise sa liberté d’écrivain : il adapte le fait diversen donnant plus d’épaisseur et d’humanité à son protagonisteet propose ainsi une réflexion au lecteur sur la condition del’homme moderne.

3. Le titre de la nouvelle d’Izzo, « La vraie mort de GiovanniCoco », apparaît comme une sorte de provocation. Alors quel’écrivain s’est inspiré d’un fait divers réel pour l’écrire, il sug-gère que la littérature est seule capable de saisir la vérité d’unhomme ou le sens d’un acte. La littérature serait alors plus« vraie » que la réalité rapportée dans un journal.

■ Prolongement : travail d’écriture

À l’aide des éléments mis au jour, on fera rédiger aux élèvesle travail d’écriture proposé à la fin de l’étape no 1 du dossier.

■ Histoire des arts : l’hyperréalisme

On pourra demander aux élèves de regarder le dossier icono-graphique consacré à l’hyperréalisme et de faire le lien entre letravail de transposition de la réalité que réalisent les écrivains etcelui des artistes.

Séance no 4 : Didier Daeninckx,« Toute une année au soleil »

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Objectif → Étudier une nouvelle à chute.Supports → Didier Daeninckx, « Toute une année au soleil ».

→ Dossier, parcours de lecture no 2.

Ce développement suit les questions du parcours de lectureno 2, consacré à « Toute une année au soleil » de Daeninckx.

■ La construction resserrée de la nouvelle

1. Pierre et Josette, un couple de retraités, sont les protago-nistes de la nouvelle. L’ancienne profession de Pierre n’est pasmentionnée, Josette a fait toute sa carrière dans une usine deroulements à billes. Ils ont quitté leur petit appartement de ban-lieue parisienne pour profiter de leur retraite dans une maisonisolée du Haut-Vivarais, en Ardèche, région qu’ils connaissentpour y avoir passé leurs vacances les dix années précédentes.Chacun vit différemment l’installation dans la nouvelle maisond’Arlebosc : Pierre est heureux de cette nouvelle vie tandis queJosette souffre de la solitude. Les portraits des personnages, rapi-dement brossés, obéissent à la concision inhérente au genre dela nouvelle.

2. La narration débute in medias res en imposant au lecteurdes références dont il ignore tout : « le chien », « cet apparte-ment » (l’article défini et le démonstratif indiquent que ces élé-ments sont censés être déjà connus) ou encore « des fermesvoisines ». Ces noms de lieux suggèrent l’idée d’un déménage-ment sans l’expliciter. Ce rythme vif permet d’aborder rapide-ment le point essentiel du récit : la nouvelle vie du couple enArdèche.

3. La nouvelle propose le récit de la première année deretraite de Pierre et Josette en Ardèche. Les mentions « dixannées passées » et « dix années de suite » résument la vie anté-rieure du couple. Ensuite, chaque paragraphe évoque un moisde « l’année au soleil » : Pierre arrive « en janvier », Josette lerejoint « en avril », les enfants viennent « en juillet » et « en août ».La nouvelle s’achève par la mort de Josette en « novembre ». Uneannée entière est donc résumée en l’espace d’une trentaine delignes, ce qui justifie le titre de la nouvelle. Ce dernier a cepen-dant une portée ironique : il correspond au point de vue dePierre et crée un décalage avec la solitude qu’éprouve Josette.

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■ Une nouvelle à chute

1. À la fin du récit, le narrateur parvient à créer du suspensen ralentissant le rythme du récit. Les dernières lignes consti-tuent une scène, où la narration semble se calquer sur le tempsréel. Cet effet de suspens est renforcé par l’usage soudain dupassé simple (« le mit en éveil », « il se redressa et tenditl’oreille »). Le narrateur signale ainsi des actions de premierplan. Les phrases courtes (de « Une forme noire » à « fit feu àdeux reprises ») soulignent la multiplication des actions dans untemps relativement restreint. Ces éléments contribuent à tenir lelecteur en haleine à un moment décisif de la nouvelle.

2. La nouvelle s’achève par la mort brutale de Josette, abattuepar son mari. Réveillé en pleine nuit, ce dernier a cru qu’uncambrioleur s’était introduit dans la maison et a tiré surl’inconnu. Il s’agissait en réalité de Josette, qui cherchait à quit-ter la maison : elle avait fait sa valise et laissé croire qu’elledormait dans sa chambre, à l’aide d’un traversin glissé sousson édredon.

3. Plusieurs indices laissent deviner le malaise de Josette. Ellen’est pas à l’initiative du déménagement : c’est Pierre qui a « eule coup de foudre pour [la] région ». Sa nouvelle vie la rend mal-heureuse car elle ne parvient pas à se créer de nouvelles connais-sances : ses tentatives pour lier conversation avec les autresfemmes du village « [se sont] échouées sur leurs “bonjour”, leurs“bonsoir” ». Elle ne réussit pas à se détendre chez elle, notam-ment à lire : « son regard se troublait sur les lignes d’un livresans réussir à accrocher le moindre mot ». La visite des enfantspendant l’été n’a pas apporté la joie que Josette en attendait, nile courage d’affronter l’hiver à venir : elle « avait cru faire provi-sion de bonheur », mais le verbe « croire » révèle sa déception.

■ D’une nouvelle à l’autre

La comparaison des fins des nouvelles de Daeninckx etd’Annie Saumont révèle de profondes différences. Dans « Touteune année au soleil », la chute est brutale et explicite, sans retourpossible. Le lecteur est placé face à l’horreur d’une situation irré-médiable. En revanche, la nouvelle d’Annie Saumont s’achève

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sur une action en suspens. Tout comme dans la texte deDaeninckx, un homme armé d’un fusil est sur le point de tuerune femme mais, cette fois-ci, la nouvelle s’interrompt avant quele coup ne parte. Dès lors, c’est au lecteur de choisir : Robertova-t-il tuer la surfeuse ou va-t-il lui laisser la vie sauve ? La chutelaisse place au doute et à une possible issue heureuse.

Séance no 5 : lectures buissonnières (1) :cruautés conjugales ou les affres du mariageObjectifs → Faire une synthèse sur deux nouvelles

contemporaines.→ Réinvestir les notions vues dans les parcours

de lecture nos 1 et 2.Supports → Dossier, « Mais moi » d’Annie Saumont.

→ Dossier, « Quand Angèle fut seule » de PascalMérigeau.

Après la lecture cursive des deux nouvelles d’Annie Saumontet de Pascal Mérigeau présentes dans le dossier, on pourra pro-poser plusieurs questions permettant d’en vérifier la compréhen-sion, de les relier entre elles et de faire des liens avec lesnouvelles du corpus de l’édition :

– Après un résumé précis des deux nouvelles, montrez qu’ellesménagent un effet de surprise.

– Quelle image du mariage offrent ces deux textes ?– Quelle est la focalisation utilisée par les auteurs pour racon-

ter l’histoire ? Que permet ce choix narratif ?– Quels sont les points communs entre les récits d’Annie Sau-

mont et de Pascal Mérigeau et la nouvelle de Didier Daeninckx ?– Un critique écrit à propos du recueil de nouvelles Quelque

chose de la vie d’Annie Saumont : « Il y a là une réalité socialeet des vérités humaines merveilleusement saisies » (J.C. Lebrun,L’Humanité, 6 décembre 2001). Pour quelles raisons ce jugementpeut-il s’appliquer aux deux nouvelles « Mais moi » et « QuandAngèle fut seule » ?

Séance no 6 : Andrée Chedid,« L’Après-midi du majordome »

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Objectifs → Étudier la construction et le suspensd’une nouvelle.

→ Analyser les personnages d’une nouvelle.Supports → Andrée Chedid, « L’Après-midi du majordome ».

→ Dossier, parcours de lecture no 3.

Ce développement suit les questions du parcours de lectureno 3, consacré à « L’Après-midi du majordome » d’AndréeChedid.

■ Une peinture réaliste

1. Le monde privilégié de l’aristocratie est décrit avec réa-lisme, mais l’époque du récit est difficile à déterminer. Même sila nouvelle a été publiée en 1988 et si certains détails semblentancrer l’histoire dans la réalité de la fin du XXe siècle (la ceinturede sécurité, l’autoradio), d’autres brouillent les repères : ainsi,la tenue vestimentaire de Raphaël, « pantalon de golf », « chaus-settes en épaisse laine jaune à carreaux », « veste et […] casquette[…] en cuir fauve », évoquent davantage un jeune élégant desannées 1930. De plus, la richesse de ce monde aristocratique,très exceptionnelle aujourd’hui, fait penser plutôt au début duXXe siècle.

2. Plusieurs détails marquent l’appartenance de Raphaël etde sa mère à une classe privilégiée. Les personnages portent letitre de « baron » et de « baronne » : ce sont des aristocrates.Raphaël a un « profil “de race” ». Son « pantalon de golf en sergebeige » fait allusion à un sport réservé à une élite et la qualitéluxueuse de la matière ainsi que l’élégance de cette couleur dis-crète confirment son rang social. La description des manies, pas-sions ou occupations des personnages suggère leur richesse.Madame la baronne, oisive (elle n’a pas besoin de travailler pourvivre malgré son veuvage), passe son temps à faire des partiesde cartes ; Raphaël s’occupe en faisant des « dépenses […]folles » : son dernier jouet est un cabriolet de course au « tableaude bord en palissandre ». Le cadre de vie connote aussi l’aisancematérielle : la baronne et son fils habitent un « château » auxmultiples pièces : on compte plusieurs salons, ainsi qu’une« bibliothèque ». De plus, la maison est entretenue par unedomesticité nombreuse : si Harvey est le majordome, c’est-à-dire

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le maître d’hôtel, d’autres « gens de maison » sont au service dela baronne.

3. Dans cette nouvelle, des points de vue différents alternent.En effet, si le texte semble d’abord raconté par un narrateur quien sait plus que les personnages (focalisation zéro), le récitadopte le plus souvent le point de vue d’Harvey, le principalprotagoniste de la pièce (focalisation interne). En effet, on peutdire que le narrateur est omniscient. Il révèle les pensées de plu-sieurs personnages : celles d’Harvey (« Le majordome fit sem-blant de ne pas entendre ») comme celles de Raphaël (« Lasséd’attendre, celui-ci venait d’apparaître »). Le narrateur expose lepassé des protagonistes, mais il connaît aussi l’avenir, c’est-à-dire la fin tragique d’Harvey.

Cependant, on peut remarquer l’abondance des éléments quitraduisent le point de vue d’Harvey. Ses pensées sont rapportéesavec précision au moyen de tournures interrogatives au styleindirect libre, comme : « Quel besoin avait Raphaël, en cet inter-minable après-midi de juin, d’entraîner avec lui le vieux servi-teur ? » On notera la récurrence de termes qui qualifient sessentiments : « espérait », « stupéfait », « persuadé ». De plus, lespersonnages et le décor sont décrits à travers le regardd’Harvey : « Le majordome avait beau tourner vers elle sonregard interrogateur, madame ne bronchait pas » ; « [il] enve-loppa d’un regard mélancolique le petit salon bleu, le puissantchêne vert que l’on apercevait à travers la fenêtre du coin, lajoueuse discrètement fardée, aux cheveux noirs amassés en chi-gnon, gracieusement épanouie dans sa florissante cin-quantaine ».

■ Un récit à suspens

1. Le début de la nouvelle met en œuvre plusieurs procédésde suspens. Premièrement, comme dans « La Ronde » deLe Clézio, le mystère est entretenu sur la demande de Raphaël.On sait seulement qu’Harvey doit l’accompagner ; on ne com-prend ce dont il s’agit que lorsque le baron ouvre la portière dela voiture. Deuxièmement, des effets d’attente sont créés : lerythme du récit est ralenti par les descriptions, ou par les allu-sions au passé d’Harvey et du jeune baron.

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Troisièmement, l’angoisse est suscitée par les tentatives réité-rées d’Harvey d’échapper à ce que Raphaël attend de lui : il faitsemblant de ne pas entendre, il espère que la baronne interdirale projet, s’interroge sur les intentions de Raphaël, cherche àretarder le moment de le suivre… Ces éléments créent une ten-sion : le lecteur a l’impression que le personnage cherche à fuirson destin, sans savoir de quoi il retourne. Cette inquiétude estrenforcée par la présence de signes semblables à des mauvaisprésages. À la relecture, ces indices paraissent annoncer la mortdu majordome.

2. Un certain nombre d’éléments prennent valeur de présagesde la fin tragique d’Harvey : les « temps morts » du service, les« roucoulades ténébreuses » des colombes, les pétales de rosesqui tombent au passage des deux hommes, les aboiements desdeux bergers allemands, la rencontre du chat noir. Ce sont tousdes symboles de mort ou de malchance.

3. Dans les premières pages de la nouvelle, l’auteur utilise lestemps traditionnels du récit : l’imparfait pour la description etla durée, le passé simple pour les actions ponctuelles. Enrevanche, au moment crucial de la course en voiture, AndréeChedid adopte le présent de narration (« La voiture roule àpleins gaz. Un vrai bolide. Harvey joint les pieds, les genoux,mord ses lèvres », « Raphaël court dans tous les sens, hurle ausecours, cherche des maisons, un chemin »). Ce temps donnel’illusion de vivre l’événement passé, ce qui accentue le suspenset la dimension tragique. Dans la toute fin du texte, le futur del’indicatif est utilisé : il marque le caractère inéluctable del’avenir, comme si l’existence des personnages était déjàdéterminée.

■ Deux victimes de la cruauté

1. Harvey occupe une place particulière dans la demeure dela baronne, où il est supérieur à « tous les autres “gens demaison” ». Responsable des réceptions, il dirige la marche de lamaisonnée, dont il est le « chef incontesté ». Mais, au sein mêmede cette famille aristocratique, il entretient des liens d’affectionavec Gabriella et son fils. Il tient compagnie à cette dernière etla seconde dans ses jeux de cartes. La description valorisante

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qu’il fait d’elle laisse deviner de l’admiration, voire une attirancesecrète pour la baronne. Pour Raphaël, le majordome fait figurede père de substitution après la mort du baron. C’est Harveyqui a « vu grandir le jeune baron, [qui] s’y était attaché ». Il faitavec lui des randonnées ou parties de pêche et de chasse ; onparle même à la fin de son visage « si paternel ». Ainsi, Harveyse situe à la frontière de deux mondes – celui des maîtres et celuides valets. Cette quasi-absence de différence est visible dans son« habit en drap d’ébène […] qui, sauf pour le papillon noir à laplace du blanc, ne se différenciait en rien de celui des maîtres. »

2. Raphaël se comporte face à Harvey en maître à la foisfamilier et tyrannique. Il fait des projets pour lui, avec l’appuide sa mère, sans tenir compte de son avis, et l’utilise pour prati-quer son anglais. La domination sociale et psychologique dujeune homme est marquée par l’emploi de l’impératif ou dephrases déclaratives sans appel (« je vous veux à côté de moi »).Cette domination se manifeste aussi physiquement, par « la pres-sion de la main du jeune homme autour [du] bras [d’Harvey] ».Raphaël se montre donc cruel en ce qu’il ne se soucie pas desdésirs du majordome auquel, « en cet après-midi fatal, il avaitprêté si peu d’attention ». Il se contente d’exhiber sa dernièreacquisition (un bolide écarlate), son dernier jouet, avec unefierté puérile. Inconscient du danger qu’il fait courir à autrui, ilroule à pleine vitesse, sans ceinture, « aveuglément ». Ce com-portement dangereux constitue aussi une forme de cruauté.

3. La fin de la nouvelle montre que Raphaël est égalementvictime de son inconséquence. Les termes qui qualifient sa réac-tion après l’accident décrivent l’émotion violente qui l’étreint :« fiévreusement », « fou de rage », « haletant, épouvanté, enlarmes », « de grands signes désespérés ». Sa vie paraît brisée(« tout l’avenir du jeune homme s’est altéré, tous ses plans, tousses projets se sont rompus ») et la fin du texte le montre s’exclu-ant du monde privilégié auquel il appartient : il « s’exilera durantquelques années », hanté par la figure protectrice et réprobatriced’Harvey « toujours là, auprès de son jeune compagnon ».

Séance no 7 : La Cruauté ordinaire :où est le mal ? d’Yves Prigent

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Objectif → Comprendre et reformuler le point de vuedu locuteur.

Support → Extrait no 1, questions dans le dossier.

1. Pour Prigent, la cruauté ordinaire est le fait d’attenter àl’intégrité d’une personne par imprévoyance ou par inconsé-quence. L’essayiste dépeint un conducteur qui, tout en étant« [incapable] de tuer une mouche », cause un accident tragiquepar manque de prudence : « j’ai été capable de tuer deux per-sonnes et d’en blesser trois autres ».

2. Dans son apologue, Prigent appelle chaque individu àprêter attention à autrui. À la logique du mal et de l’horreur, ilrépond par une éthique de respect de l’humain. Parce qu’il a lacapacité de nuire, l’homme doit être attentif, prévoyant,conscient de la fragilité de son semblable.

3. Prigent élabore une parabole, un récit au service d’uneidée, pour donner sa définition de « la cruauté ordinaire ». Labanalité de la situation narrée (un trajet en voiture vers un déjeu-ner entre amis), l’utilisation des pronoms « je » et « nous » et duprésent incite le lecteur à s’identifier au personnage. « Les effetsmeurtriers de l’insouciance routière » nous bouleversent davan-tage grâce à un récit dont nous pourrions être le héros, quiillustre le caractère « ordinaire » de la cruauté.

4. La nouvelle comme cette parabole s’achèvent sur un acci-dent de voiture à l’issue tragique. L’insouciance des conducteursest la même : l’essayiste et la nouvelliste soulignent l’euphoriedu moment, pour le conducteur comme pour Raphaël. Les per-sonnages réagissent avec une stupéfaction identique, puissubissent une prise de conscience brutale.

Séance no 8 : Thierry Jonquet, « Le Témoin »

Objectifs → Analyser les choix de l’auteur d’un point de vuenarratif.

→ Mettre au jour la critique sociale dans un récit.→ Analyser et manipuler les différents niveaux

de langage.Supports → Thierry Jonquet, « Le Témoin ».

→ Dossier, parcours de lecture no 4.

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Ce développement suit les questions du parcours de lectureno 4, consacré à la nouvelle « Le Témoin » de Jonquet.

■ Le récit confus d’un fait divers

1. C’est un habitant de la cité où a eu lieu un règlement decomptes sordide qui prend en charge le récit : le narrateur estdonc interne. Ce mineur dont on ignore le nom a été le témoind’un fait divers. Il tient à ce que l’on sache qu’il est « clean » etqu’il n’est impliqué en rien dans cette histoire. Au fil de sonrécit, il révèle ses intentions : rester dans la cité jusqu’à sa majo-rité, où il pourra s’engager dans « les commandos ». Il partageson temps entre des « stages d’insertion » proposés par la mairieet des séances de musculation à la Maison pour tous. Sa manièrede parler est tissée de fautes de langue (« les locals des caves »),de vocabulaire familier (« les keufs », « plans shit ou caillou ») etde verlan (« les reubeus », « céfran »), et laisse deviner un jeunehomme issu d’un milieu défavorisé.

2. Dans la salle de musculation de la Maison pour tous, unmercredi après-midi, le narrateur-témoin assiste à un règlementde comptes entre la bande des frères Lakdaoui, dealers de lacité, et un jeune homme de « dix-huit, dix-neuf ans ». Ce derniersuppose que la victime est, comme ses agresseurs, un « reubeu »mais il ne connaît pas son identité exacte. Le motif de l’agres-sion n’est pas clair : la victime semble avoir refusé de livrer dela drogue aux frères Lakdaoui, tout en ayant touché l’argent dutrafic. En représailles, le jeune homme est roué de coups debarre de fer et arrosé de Destop. Après le règlement de comptes,les frères Lakdaoui photographient le prisonnier afin de fairecirculer dans la cité les images de cette scène de torture. Onapprend à la fin du témoignage que « les Lakdaoui […] sont àFleury » (en prison) mais que « le prisonnier [n’a] pas étéretrouvé ». Le narrateur suppose que la victime a succombé àses blessures.

3. La narration du fait divers est confuse et il est difficile dereconstituer les étapes du récit. Le niveau de langue très familierdu narrateur est le premier obstacle à la compréhension. Lesnombreuses digressions créent une seconde difficulté : le narra-teur ne cesse en effet d’interrompre son témoignage pour évo-

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quer ses passions et ambitions personnelles. Ainsi, dès le débutde la nouvelle, après avoir raconté que « le jour où ça s’est passé,c’était un mercredi », le témoin change de sujet pour parler deses entraînements de musculation et de ses stages de réinsertion.Plus loin, il interrompt le récit de l’agression elle-même par desconsidérations sur le nunchaku. Ce témoignage régulièrementcoupé est scandé par les formules qui marquent la reprise durécit : « Bon alors, pour reprendre », « Bon, alors, puisque vousvoulez savoir, pour vous résumer », « Bref, pour revenir ». Le faitdivers se trouve comme noyé dans ces digressions au cœur dutémoignage. De tels écarts narratifs renseignent néanmoins lelecteur sur les traits de caractère du narrateur : il est bavard,distrait et peut-être taraudé par un sentiment de culpabilité.

■ Un univers de violence

1. L’action se passe dans une cité, vraisemblablement situéeen banlieue parisienne puisque, en préambule, l’auteur tient àfaire savoir que sa fiction « s’inspire directement et fidèlementd’un fait divers survenu à Thiais » (Val-de-Marne, au sud deParis). Le témoin en dresse un tableau très sombre. Il évoque lechômage de masse, dont il est lui-même victime et qui lui donnele droit à des « stages d’insertion », l’oisiveté des mineurs qui lesconduit à dégrader le matériel municipal et, surtout, la circula-tion de drogue, qui occasionne des tensions et des règlementsde comptes. La violence sociale fait également régner une loi dusilence sur la cité : la situation semble acceptée comme une fata-lité, chacun semble terrorisé à l’idée d’intervenir. Le narrateur acessé de faire des remarques aux plus jeunes qui dégradent lematériel (« ça sert à que dalle ») et, à l’exception des collégiens,apeurés par la police, personne n’a parlé de l’agression de laMaison pour tous. Le mutisme des habitants illustre la dérélic-tion du quartier, véritable zone de non-droit où seuls les « vraiscaïds » comme les frères Lakdaoui sont libres de leurs mouve-ments comme de leurs paroles. C’est donc une grande misèresociale qui domine ce tableau réaliste de la banlieuecontemporaine.

2. Le narrateur est victime de la pauvreté du quartier où il vit.Encore au chômage, il ne peut imaginer son avenir dans la cité,

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c’est pourquoi il attend la majorité pour pouvoir intégrerl’armée. L’évocation confuse de son emploi du temps révèle unevie désordonnée, à l’image de son témoignage, une vie faite dedétours et de doutes. Comme les frères Lakdaoui, le narrateurdoit utiliser une forme de violence – certes plus discrète – pours’imposer dans la cité : sans entrer dans « les embrouilles desreubeus ou des renois », le narrateur circule armé et doit déve-lopper sa force physique pour gagner le respect.

3. On perçoit très rapidement que le narrateur porte unregard distancié, voire critique, sur l’univers dans lequel il vit. Ille dénigre explicitement dès le début de la nouvelle, où il sedémarque des autres jeunes dans une série de phrases négatives :« les bastons sur la dalle, devant Auchan, j’y ai jamais été. Lesoir, j’zone pas non plus dans les locals des caves. […] J’meprends pas la tête avec des plans shit ou caillou comme y a pleinde keums qui font, dans la cité ». Plus loin, il critique aussi lesplus jeunes, incapables, selon lui, de se montrer respectueux.Puis il comprend dans sa vindicte tous les habitants du quartier :« Y a tous les mômes du collège qui viennent, même qu’ilsesquintent les appareils. […] au moins, ils pourraient avoir lerespect. Mais non, dans la cité, toute façon, y en a pas beaucoupqui l’ont, le respect. »

■ Un témoignage ambigu

1. Le narrateur s’adresse à un journaliste. On peut en effetrelever plusieurs indices de la présence de cet interlocuteur dis-cret : « puisque vous voulez savoir », « j’vous disais », « puisquevous me demandez ». Son identité s’éclaircit à la fin du texte :« J’vous ai tout dit, mais faut pas mettre mon nom, dans votrejournal. » Le témoin demande au journaliste de préserver sonanonymat, nécessaire pour éviter les représailles et pour pouvoirfaire « [sa] demande, pour les commandos ».

2. Le narrateur apparaît d’abord comme un simple témoin del’agression, puisqu’il n’a pas participé à la scène de violence.Néanmoins, sa passivité le rend en quelque sorte coupable. Samusculature impressionne même les frères Lakdaoui, comme entémoignent ses propres mots : « le respect, je l’ai gagné, et mêmeles frères Lakdaoui ils me foutent la paix ». Pourquoi donc

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n’est-il pas intervenu pour aider la victime ? Au lieu de s’interpo-ser, le témoin a été la seule personne présente dans la salle àpoursuivre sa séance de musculation, comme si la scène étaitanodine : « Moi, j’continuais mes tractions, cool, style je voyaisrien. » Son indifférence à la scène de torture qui se déroule sousses yeux le transforme en complice et ses protestations d’inno-cence ne le dédouanent en aucun cas aux yeux du lecteur.

3. Plusieurs indices incitent le lecteur à douter de l’innocencedu narrateur. Ainsi, dès le début de la nouvelle, il se montremenaçant envers quiconque sous-entendrait qu’il est impliquédans l’affaire : « le premier qui baverait, qui dirait le contraire, detoute façon… ». On sait également qu’il est armé d’un nunchakutélescopique, qu’il porte en permanence, pour pouvoir se battredans la rue à tout moment. Mais ce sont surtout les nombreusesdénégations du témoin qui attirent l’attention du lecteur. Sondiscours est truffé de protestations d’innocence (par exemple,« j’suis témoin, juste témoin. Ils l’ont bien écrit sur leur papier,les keufs, quand j’suis allé signer ma déclaration au commissa-riat »). La formule « j’suis clean » revient comme un leitmotiv.Ces phrases semblent fonctionner comme des formules incanta-toires, avec lesquelles le témoin cherche à se persuader lui-mêmede son innocence. Ces répétitions insistantes finissent par rendrele narrateur suspect, et le lecteur en vient à douter de la sincéritéde ce témoignage.

■ Prolongements possibles

On proposera aux élèves les sujets suivants :– Rédigée par un narrateur interne, la nouvelle adopte le

niveau de langage très familier d’un jeune de cité, ce quiinfluence notre jugement devant son témoignage. Pour mieuxréfléchir à cette question, les élèves récriront les deux premiersparagraphes de la nouvelle, du début jusqu’à « faut pasconfondre » dans un niveau de langage courant. Ils comparerontensuite leur texte avec la nouvelle de Jonquet.

– Le témoin explique qu’après l’agression, « Moktar, il a sortiun appareil photo, et il a flashé le prisonnier, plein de fois ». Lesphotographies prises « se sont baladées partout dans la cité ».On peut considérer ce geste comme une forme particulièrement

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violente de happy slapping. On pourra demander aux élèves dechercher sur Internet une définition de cette pratique et ce qu’endit la loi. Lors d’un débat à l’oral, on pourra prolonger laréflexion en demandant aux élèves de réfléchir aux arguments àopposer à ceux qui consomment le happy slapping par le biaisde vidéos sur Internet.

Séance no 9 : Annie Saumont, « La Plage »

Objectifs → Analyser les choix de l’auteur d’un point de vuenarratif.

→ Mettre au jour la critique sociale dans un récit.→ Donner du sens à la fin du récit.

Supports → Annie Saumont, « La Plage ».→ Dossier, parcours de lecture no 5.

Ce développement suit les questions du parcours de lectureno 5, consacré à « La Plage » d’Annie Saumont.

■ Une histoire de point de vue

1. La nouvelle est racontée du point de vue de Roberto, lerebelle qui surveille la plage. Le lecteur a accès à ce que voit lepersonnage depuis son poste de surveillance. Ses pensées sontégalement retranscrites, qu’il s’agisse de ses souvenirs d’enfance(« un jour – il devait avoir huit ou dix ans – il a visé une mouettesur la plage »), de sa rancœur envers une société injuste quioppose les riches et les pauvres, ou encore d’hypothèses surl’emploi du temps de la jeune fille oisive qu’il observe : « elle iraboire une piña colada au bar du Hilton ». La nouvelle fait ainsiune large place aux pensées fluctuantes du personnage mascu-lin. Contempler la jeune fille suscite en lui une foule d’images,du souvenir de la mouette tuée quand il était enfant à ses rêvesbrisés de décrocher un « bon métier ».

2. Ce point de vue interne permet tout d’abord de maintenirun suspens fort tout au long du récit. Grâce à cette focalisation,le lecteur suit l’évolution des pensées d’un personnage mena-çant, chargé de surveiller la plage et de tirer sur les intrus. Cha-cune des réflexions de Roberto retarde le coup de feu autantqu’elle peut le provoquer, ce qui crée une tension tout au long

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du texte. On voit en effet que les pensées du rebelle oscillententre sa fascination pour la jeune fille de la plage et des souve-nirs d’enfance douloureux associés à une certaine « Anna MariaAngelica », issue d’un milieu aisé, dont l’attitude a exacerbé saconscience de classe. Pris dans les pensées confuses du person-nage, le lecteur ne sait ce qui va l’emporter chez lui, de l’admira-tion ou de la colère. Adopter le point de vue de Roberto dansce récit, c’est aussi s’identifier à un meurtrier potentiel et com-prendre les raisons complexes qui peuvent pousser quelqu’un àtuer : frustration d’un avenir brisé, enfance humiliée, conscienceexacerbée d’appartenir aux « pauvres »… Au fil du récit, le lec-teur saisit toute l’humanité de Roberto. Il est invité, de façondiscrète, à adhérer au point de vue du rebelle, sur le plan poli-tique et social.

■ La description d’un monde d’inégalités

1. Quoiqu’ils soient réunis sur la même plage, Roberto et lasurfeuse (peut-être Anna Maria Angelica) semblent opposés entous points. Le garçon « brun et solide », au « teint sombre » etaux cheveux noirs », regarde une jeune fille « vive et souple »,aux « cheveux lisses et […] blonds ». Le contraste physique estrenforcé par l’immobilité de l’un et la légèreté de l’autre. Eneffet, caché derrière les tamaris, Roberto « est là depuis long-temps déjà », le regard fixe, assommé par la chaleur – « il a tropchaud » – et par la lourdeur de sa tenue de rebelle en « treillisléopard, chaussé de rangers ». La jeune fille est, quant à elle,associée au mouvement, à la légèreté et à la fraîcheur, comme lerévèlent l’anaphore du verbe « elle marche » et la métaphore dela « [danse] sur l’écume ». Elle apparaît comme une sirène oucomme Vénus sortant des eaux. Par opposition à l’instabilité deRoberto, au va-et-vient de ses pensées entre passé et présent, lajeune fille « fraîche et paisible » profite de la plage et de son cadreidyllique. C’est enfin leur situation sociale qui sépare les deuxprotagonistes de la nouvelle : le rebelle est « pauvre » tandis quela jeune fille est riche. Le premier, enfant, portait déjà une« culotte […] trouée » tandis qu’Anna Maria Angelica, « fleur deserre […] parmi les ronces », « change[ait] chaque jour de robe ».Si l’adolescente de la plage et Anna Maria Angelica ne sont

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qu’une seule et même personne, l’inégalité entre les deux per-sonnages s’est creusée au fil des années : la jeune fille mène unevie oisive réservée aux riches – faire du surf, « boire une piñacolada au bar de Hilton » – alors que Roberto n’a même pas pu« se présenter au Hilton pour l’embauche » ni « s’engager un jourdans la police » et a « rejoint les rebelles ». Cette oppositionsociale se lit dans leurs prénoms respectifs, « Roberto », simpleet banal, contrastant avec « Anna Maria Angelica », raffiné etsophistiqué.

2. Le lieu du récit, la plage, n’est pas un simple décor maisun lieu fortement symbolique, en ce qu’il reflète l’inégalitésociale qui sépare les personnages. Pour Roberto, la plage estd’abord un lieu de contraintes : contrainte physique (il ne peutpas quitter son poste, « au bord de la plage entre les buissonsde tamaris et le chemin qui va vers la forêt », quitte à supporter« l’air […] brûlant »), mais aussi temporelle (« il est là depuislongtemps déjà », « sept heures » du matin). La plage représenteun lieu stratégique, théâtre de violences potentielles. Aucontraire, la jeune fille utilise la plage comme un espace deliberté et de plaisir. Elle se déplace à sa guise dans les vagues,« attendant que le flot la ramène au rivage » puis sur la « plageimmense », à l’image de son indépendance. La solitude forcéede Roberto s’oppose aux déplacements libres de la surfeuse. Leplaisir domine aussi son expérience de la plage : plaisir desvagues, plaisir sensuel du « soleil blanc que voile une buéelégère » – tandis que le soleil est pour Roberto une épreuve deplus. Si la plage donne son nom à la nouvelle, c’est parce qu’ellecristallise les tensions entre les deux personnages et rejoue surun plan symbolique la confrontation de deux classes sociales.

■ Une fin étonnante

1. La nouvelle s’achève sur le geste suspendu de Roberto quipointe son arme : « l’homme lentement soulève son fusil. Appuiela crosse contre l’épaule ». Mais vise-t-il la jeune fille ou lamouette qui « derrière elle […] se pose ou sautille » ? Aucunecible n’est mentionnée, ce qui accentue l’effet de suspens. Ainsi,l’action attendue et redoutée dans toute la nouvelle ne trouvepas de résolution – si ce n’est dans l’imagination du lecteur.

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L’image finale de « l’eau [qui] monte » peut être interprétée toutà la fois comme un symbole de sérénité et comme l’incarnationde la menace grandissante qui pèse sur la jeune fille.

2. La nouvelle offre au lecteur deux dénouements possibles.Une issue heureuse est envisageable si l’on suppose que la jeunefille sur la plage n’est pas Anna Maria Angelica. « [C]’est elle.Ou bien une autre », songe Roberto à la fin de la nouvelle. Dansce cas, c’est peut être sur la mouette « derrière elle » que le rebelles’apprête à tirer. La phrase murmurée en aparté par ce dernier(« Allons décampe ») suggère les réticences de l’homme à abattrel’intruse, comme s’il était attendri par l’amour qu’il ressentaitpour la petite fille de son enfance. Cependant, plusieurs autresindices orientent le lecteur vers un dénouement tragique. À par-courir les souvenirs de Roberto, qui retracent son enfancehumiliée, on peut penser que le rebelle désire prendre sarevanche sur une société qui n’a cessé de le faire souffrir. Deplus, la consigne répétée plusieurs fois au cours de la nouvellede « tirer sur tout ce qui bouge » résonne à la fin du texte commeun indice funeste du sort de la jeune fille, précisément caractéri-sée par le mouvement. Sa légèreté l’apparente à la mouette quil’approche à la fin du récit, ce qui fait écho au souvenir deRoberto tirant sur une mouette dans son enfance. La fin de lanouvelle est donc ouverte.

■ Prolongement

On pourra demander aux élèves d’adopter le point de vue dela jeune fille au moment où elle « se retourne [et] lève les yeux ».On pourra guider les élèves par les questions suivantes : quevoit-elle ? que pense-t-elle ? A-t-elle aperçu Roberto à la lisièrede la plage ? L’a-t-elle reconnu ?

L’objectif de l’exercice est de manipuler les points de vue enconservant un narrateur externe et de montrer en quoi ce chan-gement de point de vue transforme le sens du récit.

Séance no 10 : dénoncer la réalité par l’image

Objectifs → Histoire des arts : analyser un tableau engagé.→ Analyser la dimension réaliste d’un tableau.

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Supports → Norman Rockwell, The Problem We All Live With,cahier photos.

→ Dossier, questionnaire Histoire des arts.

■ IntroductionThe Problem We All Live With est une huile sur toile réalisée

par Norman Rockwell en 1963 et publiée pour la première foisen 1964 dans le magazine LOOK. Ce tableau représente un épi-sode important de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis dans les années 1960. Le 14 novembre 1960, la petiteRuby Bridges est la première Afro-Américaine à intégrer uneécole blanche aux États-Unis. Cette rentrée se fait sous hautesurveillance, puisque Ruby est accompagnée d’agents fédérauxchargés de la protéger contre les insultes et projectiles dont ellepourrait être la cible.

■ Description1. Le personnage central est la fillette se rendant à l’école, son

matériel scolaire en main. Autour d’elle se trouvent des gardesfédéraux que l’on reconnaît à leurs costumes et à leurs brassardsjaunes portant l’inscription « Deputy US Marshall ». Leurs posesstéréotypées montrent leur force, leur résolution à faire appli-quer la loi et peut-être aussi, par le caractère mécanique de leursgestes, leur habitude face aux agressions raciales.

2. À gauche du mur, au milieu des graffitis, on peut lire« KKK » pour Ku Klux Klan, une organisation américaine pro-testante et blanche, née au XIXe siècle, qui s’est rendue coupablede nombreux crimes racistes. La grande inscription centraleporte l’injure « nigger » (nègre). On distingue une tomate écraséeà droite, qui semble destinée à la petite fille et souligne l’hostilitéà laquelle elle doit faire face.

Le mur au second plan n’est donc pas un simple décor : ilapporte des informations essentielles pour comprendre laviolence raciste qui imprègne la société américaine desannées 1960.

■ Interprétation1. Ruby Bridges est d’abord mise en valeur par la composi-

tion : c’est l’unique personnage dont on voit le visage. Le

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tableau ne montre que le corps des gardes, coupé aux épaules,comme pour signifier que seule leur fonction est importante. Surla photographie montrant Ruby Bridges devant son école, onpouvait voir au contraire le visage des marshalls, que Rockwella choisi de ne pas montrer pour donner plus de force à la pré-sence de la fillette.

Le jeu des couleurs dirige aussi le regard du spectateur surl’enfant, qui se détache par le noir de sa peau et le blanc, couleurde sa robe. Cette dernière teinte symbolise l’innocence. Lasobriété de sa tenue contraste avec le fond coloré du mur et avecles brassards jaunes des gardes. Sur la photographie qui a servide modèle à Rockwell, Ruby porte une robe noire : le peintre adonc accentué l’opposition des couleurs.

2. La fillette affiche sa résolution. Elle marche droit et regardeen face d’elle, le visage serein (ce qui n’est pas le cas sur laphotographie, où Ruby laisse transparaître son inquiétude). Sonpoing droit fermé, comme celui des gardes, souligne sa détermi-nation à faire respecter son droit.

3. Norman Rockwell peint une situation réelle : il a reprisl’épisode du 14 novembre 1960 pour élaborer son tableau,comme en témoigne la photographie de Ruby Bridges quimontre une composition similaire. L’impression de réalisme estaussi créée par les détails (le mur sale, les graffitis) et par laminutie du dessin pour les vêtements des gardes, le visage et lacoiffure de la fillette.

■ Conclusion

1. Cette œuvre dénonce le racisme qui sévit aux États-Unisdans les années 1960. Il s’agit d’un tableau engagé, qui prendposition dans un débat brûlant, contemporain de l’artiste, et quivise le racisme en général à travers un cas précis et réel. Le titrede l’œuvre, The Problem We All Live With (« Le problème aveclequel nous vivons tous »), invite chaque spectateur à s’interro-ger sur cette question et sur son engagement concret contre cefléau.

2. La critique présente dans la sculpture de Duane Hansonest beaucoup plus vaste et moins directe que celle proposée parNorman Rockwell : il critique la société de consommation, qui

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abuse des biens matériels et culturels (les touristes). À la diffé-rence de Rockwell qui cherche à susciter l’émotion du specta-teur, voire sa colère, les sculptures de Hanson amusent par leurréalisme saisissant. L’arme d’Hanson est l’ironie, au lieu dela compassion ou de l’indignation créées par le tableau deRockwell.

3. Les œuvres réalistes de la fin du XIXe siècle témoignaient dela réalité sociale contemporaine, souvent méconnue de la hautesociété (celle qui allait aux musées et fréquentait les Salons).Elles jetaient un regard digne, évitant le pittoresque ou la carica-ture, sur les paysans ou les ouvriers, figures bannies de la pein-ture académique. Dans l’art hyperréaliste de Mueck et de Close,il s’agit plutôt de surprendre le spectateur en lui offrant unereprésentation de la vie et des êtres humains plus vraie quenature – et par là étrange, étonnante. L’enjeu de ces œuvres n’estpas tant de choquer – même si la sculpture géante du bébé deRon Mueck peut éprouver le spectateur – que de provoquer lesentiment d’une inquiétante familiarité.

Séance no 11 : la cruauté et ses nuancesObjectifs → Enrichir son vocabulaire.

→ Comprendre les nuances associées à la notionde cruauté.

→ Engager une réflexion synthétiquesur les personnages des nouvelles.

Supports → Yves Prigent, La Cruauté ordinaire, extrait no 2.→ Dossier, questions sur le texte d’Yves Prigent.

1. Cruauté : nom féminin, du latin crudelitas, rattaché à cru-ditas qui signifie « crudité, fait d’être cru » ; action de dégraderou de détruire la dignité, l’honneur d’autrui, en considérantqu’il n’est qu’une chose et non un être pensant ; action inten-tionnelle et qui refuse de se reconnaître comme telle. « Lacruauté diffère de la férocité ou sauvagerie comme la malicehumaine diffère de la bestialité » (saint Thomas d’Aquin).

Férocité : synonyme de sauvagerie.Sauvagerie : vient du latin silva qui signifie « forêt » ; compor-

tement violent mais normal des animaux ; caractérise la relationqu’une bête peut avoir avec une autre bête.

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Bêtise : action qui ne prend pas en compte le fait qu’un sujethumain est en devoir de respecter un autre sujet humain ; le faitd’agir comme une bête avec une autre bête.

2. Désigner le personnage le plus cruel du recueil peutdonner lieu à un débat au sein de la classe.

Séance no 12 : lectures buissonnières (2) :Maupassant, réalisme et cruautéObjectif → Évaluer les acquis de la séquence.Support → Dossier, « Pierrot » et « L’Aveugle » de Guy

de Maupassant

Après une lecture cursive de ces deux textes par les élèves, onpourra proposer plusieurs questions permettant d’en vérifier lacompréhension et d’établir des liens entre eux et avec les nou-velles du corpus de l’édition :

– Montrez que ces deux récits appartiennent au genre de lanouvelle.

– En quoi peut-on dire que ces deux nouvelles s’inscrivent dansle mouvement réaliste du XIXe siècle ? Quelle classe sociale Mau-passant s’attache-t-il à décrire ? À quel tableau du cahier photosvous font penser ces nouvelles ?

– De quel vice sont coupables Mme Lefèvre dans « Pierrot » etla famille de l’infirme dans « L’Aveugle » ?

– Comparez les deux victimes, le vieillard aveugle et le chien :en quoi peut-on les rapprocher ? En quoi peut-on dire que Mau-passant opère un mélange entre l’humain et l’animal ?

Ce corpus pourra aussi servir de support à une évaluation defin de séquence, où on posera la question suivante :

Comment, dans les deux récits, les situations et événementssoulignent-ils la cruauté du quotidien ?

On pourra également proposer un travail de commentairelittéraire :

Vous dégagerez la dimension pathétique de l’extrait de« L’Aveugle » de « Il avait une figure toute pâle » à « les bras éten-dus pour éviter les approches ».

Laure HUMEAU-SERMAGE et Anne PÉAN,agrégées de lettres modernes.