04_Tzara, Tristan_Manifeste Dada 1918

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    la table des matires

    TRISTAN TZARA

    Manifeste dada 1918

    Pour lancer un manifeste il faut vouloir : A.B.C., foudroyer contre 1, 2, 3,s'nerver et aiguiser les ailes pour conqurir et rpandre de petits et de grands a, b, c,

    signer, crier, jurer, arranger la prose sous une forme d'vidence absolue, irrfutable,prouver son non-plus-ultra et soutenir que la nouveaut ressemble la vie comme ladernire apparition d'une cocotte prouve l'essentiel de Dieu. Son existence fut djprouve par l'accordon, le paysage et la parole douce. Imposer son A.B.C. est une

    chose naturelle, donc regrettable. Tout le monde le fait sous une forme decristalbluffmadone, systme montaire, produit pharmaceutique, jambe nue conviant auprintemps ardent et strile. L'amour de la nouveaut est la croix sympathique, faitpreuve d'un jem'enfoutisme naf, signe sans cause, passager, positif. Mais ce besoin estaussi vieilli. En donnant l'art l'impulsion de la suprme simplicit : nouveaut, on esthumain et vrai envers l'amusement, impulsif, vibrant pour crucifier l'ennui. Au carrefour

    des lumires, alerte, attentif, en guettant les annes, dans la fort.J'cris un manifeste et je ne veux rien, je dis pourtant certaines choses et je suis par

    principe contre les manifestes, comme je suis aussi contre les principes (dcilitres pourla valeur morale de toute phrase trop de commodit; l'approximation fut invente parles impressionnistes). J'cris ce manifeste pour montrer qu'on peut faire les actionsopposes ensemble, dans une seule frache respiration; je suis contre l'action; pour lacontinuelle contradiction, pour l'affirmation aussi, je ne suis ni pour ni contre et jen'explique pas car je hais le bon sens.

    DADA voil un mot qui mne des ides la chasse; chaque bourgeois est un petitdramaturge, invente des propos diffrents, au lieu de placer les personnagesconvenables au niveau de son intelligence, chrysalides sur les chaises, cherche lescauses ou les buts (suivant la mthode psychanalytique qu'il pratique) pour cimenter sonintrigue, histoire qui parle et se dfinit. Chaque spectateur est un intrigant, s' il cherche expliquer un mot (connatre!). Du refuge ouat des complications serpentines, il fautmanipuler ses instincts. De l les malheurs de la vie conjugale.

    Expliquer : Amusement des ventrerouges aux moulins des crnes vides.DADA NE SIGNIFIE RIENSi l'on trouve futile et si l'on ne perd son temps pour un mot qui ne signifie rien... La

    premire pense qui tourne dans ces ttes est de l'ordre bactriologique : trouver sonorigine tymologique, historique ou psychologique, au moins. On apprend dans les

    journaux que les ngres Krou appellent la queue d'une vache sainte : DADA. Le cube etla mre en une certaine contre d'Italie : DADA. Un cheval de bois, la nourrice, doubleaffirmation en russe et en roumain : DADA. De savants journalistes y voient un art pourles bbs, d'autres saints jsusapellantlespetitsenfants du jour, le retour un primitivismesec et bruyant, bruyant et monotone. On ne construit pas sur un mot la sensibilit; toute

    construction converge la perfection qui ennuie, ide stagnante d'un marcage dor,relatif produit humain. L'uvre d'art ne doit pas tre la beaut en elle-mme, car elle estmorte; ni gaie ni triste, ni claire, ni obscure, rjouir ou maltraiter les individualits enleur servant les gteaux des auroles saintes ou les sueurs d'une course cambre travers les atmosphres. Une uvre d'art n'est jamais belle, par dcret, objectivement,pour tous. La critique est donc inutile, elle n'existe que subjectivement, pour chacun, etsans le moindre caractre de gnralit. Croit-on avoir trouv la base psychiquecommune toute l'humanit ? L'essai de Jsus et la bible couvrent sous leurs ailes largeset bienveillantes : la merde, les btes, les journes.

    Comment veut-on ordonner le chaos qui constitue cette infinie informe variation :l'homme ? Le principe : aime ton prochain est une hypocrisie. Connais-toi estune utopie mais plus acceptable car elle contient la mchancet en elle. Pas de piti. Ilnous reste aprs le carnage l'espoir d'une humanit purifie. Je parle toujours de moi

    puisque je ne veux convaincre, je n'ai pas le droit d'entraner d'autres dans mon fleuve,je n'oblige personne me suivre et tout le monde fait son art sa faon, s'il connat le

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    Je dtruis les tiroirs du cerveau et ceux de l'organisation sociale : dmoraliser partoutet jeter la main du ciel en enfer, les yeux de l'enfer au ciel, rtablir la roue fconde d'uncirque individu.

    La philosophie est la question : de quel ct commencer regarder la vie, dieu, l'ide,ou n'importe quoi d'autre. Tout ce qu'on regarde est faux. Je ne crois pas plus importantle rsultat relatif, que le choix entre gteau et cerises aprs dner. La faon de regarder

    vite l'autre ct d'une chose, pour imposer indirectement son opinion, s'appelledialectique, c'est-&agrave-dire marchander l'esprit des pommes frites, en dansant lamthode autour. Si je crie :

    Idal, idal, idalConnaissance, connaissance, connaissance,Boumboum, boumboum, boumboum,

    j'ai enregistr assez exactement le progrs, la loi, la morale et toutes les autres bellesqualits que diffrents gens trs intelligents ont discuts dans tout des livres, pourarriver, la fin, dire que tout de mme chacun a dans d'aprs son boumboumpersonnel, et qu'il a raison pour son boumboum, satisfaction de la curiosit maladive;

    sonnerie prive pour besoins inexplicables; bain; difficults pcuniaires; estomac avecrpercussion sur la vie; autorit de la baguette mystique formule en bouquetd'orchestre-fantme aux archets muets, graisss de philtres base d'ammoniaqueanimal. Avec le lorgnon bleu d'un ange ils ont fossoy l'intrieur pour vingt sousd'unanime reconnaissance. Si tous ont raison et si toutes les pilules ne sont que Pink,essayons une fois de ne pas avoir raison. On croit pouvoir expliquer rationnellement,par la pense, ce qu'il crit. Mais c'est trs relative. La psychanalyse est une maladiedangereuse, endort les penchants anti-rels de l'homme et systmatise la bourgeoisie. Iln'y a pas de dernire Vrit. La dialectique est une machine amusante qui nous conduit /d'une manire banale / aux opinions que nous aurions eues de toute faon. Croit-on, parle raffinement minutieux de la logique, avoir dmontr la vrit et tabli l'exactitude deses opinions ? Logique serre par les sens est une maladie organique. Les philosophesaiment ajouter cet lment : Le pouvoir d'observer. Mais justement cette magnifique

    qualit de l'esprit est la peuve de son impuissance. On observe, on regarde d'un ou deplusieurs points de vue, on les choisit parmi les millions qui existent. L'exprience estaussi un rsultat du hasard et des facults individuelles. La science me rpugne dsqu'elle devient spculative-systme, perd son caractre d'utilit tellement inutile mais au moins individuel. Je hais l'objectivit grasse et l'harmonie, cette science quitrouve tout en ordre. Continuez, mes enfants, humanit, gentils bourgeois et journalistesvierges... Je suis contre les systmes, le plus acceptable des systmes est celui de n'enavoir par principe aucun. Se complter, se perfectionner dans sa propre petitesse

    jusqu' remplir le vase de son moi, courage de combattre pour et contre la pense,mystre du pain dclochement subit d'une hlice infernale en lys conomiques :

    LA SPONTANIT DADAISTEJe nomme je m'enfoutisme l'tat d'une vie o chacun garde ses propres conditions, en

    sachant toutefois respecter les autres individualits, sinon se dfendre, le two-stepdevenant hymne national, magasin de bric--brac, T.S.F. tlphone sans fil transmettantles fugues de Bach, rclames lumineuses et affichage pour les bordels, l'orgue diffusantdes illets pour Dieu, tout cela ensemble, et rellement, remplaant la photographie etle catchisme unilatral.

    La simplicit active.L'impuissance de discerner entre les degrs de clart : lcher la pnombre et flotter

    dans la grande bouche emplie de miel et d'excrment. Mesure l'chelle ternit, touteaction est vaine (si nous laissons la pense courir une aventure dont le rsultat seraitinfiniment grotesque donne importante pour la connaissance de l'impuissancehumaine). Mais si la vie est une mauvaise farce, sans but ni accouchement initial, etparce que nous croyons devoir nous tirer proprement, en chrysantmes lavs, del'affaire, nous avons proclam seule base d'entendement : l'art. Il n'y a pas l'importance

    que nous, retres de l'esprit, lui prodiguons depuis des sicles. L'art n'afflige personne etceux qui savent s'y intresser, recevront de caresses et belle occasion de peupler le pays

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    de leur conversation. L'art est une chose prive, l'artiste le fait pour lui; une uvrecomprhensible est produit de journaliste, et parce qu'il me plat en ce moment demlanger ce monstre aux couleurs l'huile : tube en papier imitant le mtal qu'on presseet verse automatiquement, haine lchet, vilenie. L'artiste, le pote se rjouit du veninde la masse condense en un chef de rayon de cette industrie, il est heureux en tantinjuri : preuve de son immuabilit. L'auteur, l'artiste lou par les journaux, constante la

    comprhension de son uvre : misrable doublure d'un manteau utilit publique;haillons qui couvrent la brutalit, pissat collaborant la chaleur d'un animal qui couveles bas instincts. Flasque et insipide chair se multipliant l'aide des microbestypographiques.

    Nous avons bouscul le penchant pleurnichard en nous. Toute filtration de cettenature est diarrhe confite. Encourager cet art veut dire la digrer. Il nous faut desuvres fortes, droites, prcises et jamais incomprises. La logique est une complication.La logique est toujours fausse. Elle t ire les fils des notions, paroles, dans leur extrieurformel, vers des bouts, des centres illusoires. Ses chanes tuent, myriapode normeasphyxiant l'indpendance. Mari la logique, l'art vivrait dans l'inceste, engloutissant,avalant sa propre queue toujours son corps, se forniquant en lui-mme et letemprament deviendrait un cauchemar goudronn de protestantisme, un monument, un

    tas d'intestins gristres et lourds.Mais la souplesse, l'enthousiasme et mme la joue de l'injustice, cette petite vrit quenous pratiquons innocents et qui nous rend beaux : nous sommes fins et nos doigts sontmallables et glissent comme les branches de cette plante insinuante et presque liquide;elle prcise notre me, disent les cyniques. C'est aussi un point de vue; mais toutes lesfleurs ne sont pas saintes, heureusement, et ce qu'il y a de divin en nous est l'veil del'action anti-humaine. Il s'agit ici d'une fleur de papier pour la boutonnire des messieursqui frquentent le bal de la vie masque, cuisine de la grce, blanches cousines souplesou grasses. Ils trafiquent avec ce que nous avons slectionn. Contradiction et unit despolaires dans un seul jet, peuvent tre vrit. Si l'on tient en tout cas prononcer cettebanalit, appendice d'une moralit libidineuse, mal odorante. La morale atrophie commetout flau produit de l'intelligence. Le contrle de la morale et de la logique nous ontinflig l'impassibilit devant les agents de police cause de l'esclavage, rats putrides

    dont les bourgeois ont plein le ventre, et qui ont infect les seuls corridors de verre clairset propres qui restrent ouverts aux artistes.Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, ngatif, accomplir.

    Balayer, nettoyer. La propret de l'individu s'affirme aprs l'tat de folie, de folieagressive, complte, d;un monde laiss entre les mains des bandits qui dchirent etdtruisent les sicles. Sans but ni dessein, sans organisation : la folie indomptable, ladcomposition. Les forts par la parole ou par la force survivront, car ils sont vifs dans ladfense, l'agilit des membres et des sentiments flambe sur leurs flancs facetts.

    La morale a dtermin la charit et la piti, deux boules de suif qui ont pouss commedes lphants, des plantes et qu'on nomme bonnes. Elles n'ont rien de la bont. Labont est lucide, claire et dcide, impitoyable envers la compromission et la politique.La moralit est l'infusion du chocolat dans les veines de tous les hommes. Cette tchen'est pas ordonne par une force surnaturelle, mais par le trust des marchands d'ides etdes accapareurs universitaires. Sentimentalit : en voyant un groupe d'hommes qui sequerellent et s'ennuient ils ont invent le calendrier et le mdicament sagesse. En collantdes tiquettes, la bataille des philosophes se dchana (mercantilisme, balance, mesuresmticuleuses et mesquins) et l'on comprit une fois de plus que la piti est un sentiment,comme la diarrhe en rapport avec le dgot qui gte la sant, l'immonde tche descharognes de compromettre le soleil.

    Je proclame l'opposition de toutes les facults cosmiques cette blennhorragie d'unsoleil putride sorti des usines de la pense philosophique, la lutte acharne, avec tous lesmoyens du

    DGOT DADAISTETout produit du dgot susceptible de devenir une ngation de la famille, est dada ;

    protestation aux poings de tout son tre en action destructive : DADA ; connaissance de

    tous les moyens rejets jusqu' prsent par le sexe publique du compromis commode etde la politesse : DADA ; abolition de la logique, danse des impuissants de la cration :

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    DADA ; de toute hirarchie et quation sociale installe pour les valeurs par nos valets :DADA; chaque objet, tous les objets, les sentiments et les obscurits, les apparitions etle choc prcis des lignes parallles, sont des moyens pour le combat : DADA; abolitionde la mmoire : DADA; abolition de l'archologie : DADA; abolition des prophtes :DADA; abolition du futur : DADA; croyance absolue indiscutable dans chaque dieuproduit immdiat de la spontanit : DADA; saut lgant et sans prjudice d'une

    harmonie l'autre sphre; trajectoire d'une parole jete comme un disque sonore cri;respecter toutes les individualits dans leur folie du moment : srieuse, craintive, timide,ardente, vigoureuse, dcide, enthousiaste; peler son glise du tout accessoire inutile etlourd; cracher comme une cascade lumineuse la pens dsobligeante ou amoureuse, oula choyer avec la vive satisfaction que c'est tout fait gal avec la mme intensitdans le buisson, pur d'insectes pour le sang bien n, et dor de corps d'archanges, de sonme. Libert : DADA DADA DADA, hurlement des douleurs crispes, entrelacementdes contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconsquences : LAVIE.