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CAHIERS DU CINÉMA 93 REVUE MENSUELLE DE CINÉMA MARS 1959 * 93

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  • CAHIERS

    DU CINMA

    93 REVUE MENSUELLE DE CINMA MARS 1959 * 93

  • Cahiers du CinmaNOTRE COUVERTURE

    Jean-Claude Brialy et Bernadette Lafont dans LE BEAU S E R G E , de notre ami Claude Chabrol (Prix Vigo 1959). Une production A J Y M F i l m s dis

    tribue par LE S F I L M S M A R C E A U .

    Ne manquez pas de prendre page 46

    LE C O N S E I L D E S D I X

    MARS 1959. TOME XVI. N 93

    S O M M A I R E

    Jacques Doniol-Valcrozeet Jean Domarchi .. Entretien avec Luchino Visconti .................. 1

    Luc Moullet ................. Sam Fuller sur les brises de Marlowe .. 11Ingmar Bergman ........ Dialogue ......................... ....................................... 24J.-F. Aranda ................. La Passion selon Bunuel ................................ 27Norbert Carbomiaux .. Je vous salue Fredtly (fin) ..................... 33

    Les Films

    Eric Rohmer ................. L'hlce et lide (Verfcig0 ) ........................... 48Jean Douchet ............. Les lunettes dAriel (Le Beau Serge) . . . . 51Jean-Luc Godard ........ Le conqurant solitaire (Les Rendez-vous

    du Diable) ....................................................... 53Andr M artin ............. Lsc-majest (Le Brave Soldat Chveik) .. 55Luc Moullet ................. En famille (Les Enfants perdus) .............. 57Philippe Dcmonsablon. II y a toujours des militaires (Les Nus et

    les Morts) ....................................................... 58Notes sur dautres flims (La Loi, Le Trsor du pendu) ..................... 61

    Biofilmographie de Samuel Fuller ........................................................... ... 20Petit Journal du Cinma .............................................................................. 41Films sortis Paris du 14 Janvier au 10 fvrier 1959 ......................... 62

    CAHIERS DU CINEMA, revue mensuelle de Cinma 146, Champs-Elyses, Paris (8) - Elyses 05-38 - Rdacteurs en chef :

    Jacques Doniol-Valcroze et Eric Rohmer.

    Tous droits rservs Copyright fay les Editions de I1 Etoile

  • E N T R E T I E N AVEC

    L U C H I N O V I S C O N T Ipar Jacques Doniol-Valcroze

    et Jean DomarchiVenu Paris pour mettre en scne la pice de William Gibson Deux sur la balan

    oire , Luchino Visconti a bien voulu nous accorder un entretien que nous esprons poursuivre bientt. La premire question que nous lui posons nous avait t suggre par Andr Bazin qui travaillait son livre sur Renoir et dsirait savoir dans quelles circonstances l7is- conti avait t amen collaborer La Partie de campagne.

    Les circonstances sont assez drles. Quand jtais jeune, jtais attir pat le cinma plus que par le thtre, mais comme dcorateur plutt que comme metteur en scne. Puis je me suis occup de tout autre chose, de chevaux... etc. Jusquau jour o je rencontrai en Italie Gabriel Pascalj le producteur d 'Eroiikon. Il me proposa de faire, en Angleterre, un film daprs un conte de Flaubert ( Novembre ) et cette histoire m intressait beaucoup. Mais une fois Londres, chez Korda o il mavait donn rendez-vous, jai eu tout coup l impression que M. Pascal travaillait dans le vide, sans aucune base.

    Cela m a un peu effray et je suis all Paris voir des amis. Entre autres Coco Chanel qui me dit : Si vous voulez connatre quelqu'un de trs srieux qui fasse du cinma, je vais vous le faire connatre. Cest un de mes amis, il s'appelle Jean Renoir. Je ne le connaissais pas, je n avais pas vu La Chienne ni aucun autre de ses films. Il tait en train de prparer Une Partie de campagne. Je fus son troisime assistant, les deux autres tant Becker et Cartier-Bresson. On me chargea aussi de faire les costumes. Le film n a

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  • pu tre termin cause dune multitude dincidents : les dents de l acteur Georges Darnoux, la pluie... etc. Et je suis rentr en Italie.

    Trois ans plus tard, Renoir me demandai* dtre son assistant pour La Tosca. Mais peine une squence tait-elle tourne que la guerre clata, et Renoir a d rentrer en France. Koch, le premier assistant, et moi avons termin le film : un horrible film. C est tout ce quon a pu faire.

    Ensuite jai commenc crire des scnarios pour moi. Entre autres, l adaptation dun conte de Verga. Je dus prsenter mon projet au ministre fasciste. II fut refus sous prtexte quil s agissait d une histoire de brigands. Un jour que Gianni Puccin, un de mes collaborateurs, s tait rendu chez Paolini le ministre, il vit mon manuscrit pos sur le bureau. Sur la premire page on lisait, crit en rouge : Assez de brigands ! C est drle n est-ce pas ? Paolini ne pensait pas, bien sr* lui et ses copains fascistes !

    C est alors que jai retrouv dans mes vieux papiers la traduction en franais, dactylographie, que Renoir mavait passe dun roman de James Can Le facteur sonne toujours deux fois . Elle provenait, je crois, dun change entre lui et Duvivier, J'ai transpos cette histoire avec mes collaborateurs dalors, de Santis, Alicarta et Puccini. Et cela donna le scnario dOssessi'one. Les fascistes l ont laiss passer. Mais ds le tournage, ils m ont caus mille embtements : ils exigeaient de voir les tr rushes mesure que je les donnais dvelopper et, lorsque ceux-ci retournaient Ferrare, javais dj ordre de couper certains passages. Selon eux, j aurais d tout couper. J ai fait la sourde oreille, j ai mont mon film comme je le voulais et j ai organis une projection Rome. Ce fut une explosion de dynamite dans la salle : on voyait un film quon ne croyait pas possible de voir. Et ensuite O sassions connut le plus grand succs, malgr diverses interventions des fascistes : on vit mme des archevques aller dans les salles pour bnir le film ! (je n invente rien, cest un fait vridique). Quand le dernier gouvernement Mussolini s est rfugi dans le Nord, on a emport mon film, on l a coup et prsent dans sa nouvelle version ; et on a dtruit le ngatif. Les copies qui existent actuellement sont tires dun contretype que j avais fait faire.

    D'avoir travaill avec Jean Renoir, cela a-t-il exerc une influence sur vous ? Renoir a exerc sur moi une norme influence. On apprend toujours de quelquun,

    on n invente rien. On invente oui, peut-tre, mais on est terriblement influenc, surtout quand on fabrique sa premire oeuvre. Ce n est pas qu 'Ossessione ait t, comme on dit, influenc par le cinma franais en gnral, mais c est Renoir qui m a appris la faon de travailler avec les acteurs. Ce bref contact dun mois a t suffisant, tant sa personnalit m avait fascin.

    Thtre et Cinma

    Vous tiez-vous occup de thtre avant Ossesione ? Oui, mais comme dcorateur, ce qui tait, tout de mme* assez marginal. Est-ce que, par la suite, votre carrire de metteur en scne de thtre a provoqu

    un change ment dans votre faon de faire des films ? C est difficile dire. La Terra trma est un film postrieur mes premires

    expriences thtrales et je ne pex pas dire quil soit influenc par le thtre. Senso oui, parce que je l ai voulu ainsi. Le dbut du film lindique assez clairement. On voit sur la scne la prsentation du mlodrame, et ce nlodrame saute la rampe et se dilate dans la vie. C est cela l histoire de Senso, un mlodrame : c est pourquoi j ai commenc par la squence du thtre. J aurais pu trouver mille autres commencements. En fait le scnario primitif dbutait de faon tout fait diffrente, par l arrive des troupes italiennes Vrone. Dans un hpital, on dcouvrait une espce de folle qui ne savait plus qui elle tait, ni do elle venait. C tait la comtesse Serpieri. Mais quand je me suis mis tourner, jai compris qu travers tout le film devait se poursuivre le mme climat, celui du mlodrame italien, celui du Trouvre . Ce film, oui,, a t influenc par mes expriences de thtre. Mais La Terra trma, non. Et Bellissima srement pas.

  • Osscssione (1942).

    Et Nuits blanches ? Nuits blanches non plus. C est du thtre dans la mesure o c est une histoire

    deux entirement tourne dans un dcor de studio. Cela prend une rsonance de scne. Mais le film pouvait tre tourn aussi bien si ce n tait des raisons de production en dcors naturels, dans un quartier de Livourne. En fait, il y avait des obstacles insurmontables cela. Nous tions en hiver on naurait pu tourner que quelques heures, la nuit seulement, dans le froid, dans le vent. Chose impossible car nous avions engag Maria Schell et pour un temps limit. Cela, bien sr, a influenc le style du film, mais trs modrment.

    Je sais ce que l on dit parfois ; que mes films sont un peu thtraux et mon thtre un peu cinmatographique. Je ne vois aucun inconvnient cela. Tous les moyens sont bons. Je ne pense pas que le thtre doive refuser ces moyens, s ils lui viennent en aide. Je ne cros pas que le cinma doive les refuser non plus, si ces moyens lui servent. Bien sr, on peut faire des fautes : peu-tre ai-je exagr en usant de procds qui ne sont pas typiques du cinma. Mais viter de faire thtre n est pas une rgle, surtout si l on songe aux origines du cinma, Mlis par exemple.

    Question de contenu Pio Baldelli, dans C i n m a N u o v o , vous accolle Vpithte de maniriste . Si

    Von prend ce terme dans le sens esthtisme, il est bien vident que vous tes aussi peu maniriste que possible. Mais dans le sens o le prenaient les gens du xvie sicle par exemple, dans le sens d'une volont de raffinement dans la dcoration, est-ce que vous accepteriez la rigueur cet pithte ?

    Non.

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  • Mise en scne de thtre pour Un tramway nomm Dsir de Tennesse Williams (194G). (Vittorio Gassman et Rna Morelli).

    Mme pas dans ce cas ? Mme pas. C est Pio Baldelli' qui dit cela. M. Rond, lui aussi, m a accus de

    manirisme dans La Terre tremble. Dans la bouche de M'. Rond, c est pjoratif. Mais quand M. Rondi revit La Terre tremble, dix ans plus tard, il revint tout de mme sur son jugement. Parce que La Terre tremble est un film quil faut revoir, quil faudra revoir dans quelque temps. Il faut le revoir, pour ceux qui n taient pas d'accord, Dernirement, fa i prouv une grande satisfaction : C i n m a N u o v o a publi un article dOreste del Buono qui rvisait compltement son jugement sur La Terre tremble. Il dit que, la premire fois, il n avait rien compris, mais que, maintenant, il vient dprouver une motion immense, que cest un des plus grands films qui aient jamais exist ! Il exagre, bien sr ! mais i'intressant c est quil fait un parallle entre mon film et des romans comme ceux de Verga ou bien de Stendhal. Toutes ces impressions quil avait eues desthtisme ou de manirisme taient le rsultat dune premire vision, un peu trop superficielle probablement.

    Le no-ralistne, pour vous, porte donc sur une notion, avant tout, de contenu } .Absolument. On a voulu faire du no-ralisme en s attachant seulement la question

    formelle. Ce n tait plus rien, a ne voulait plus rien dire, comme on a pu voir ces temps-ci. Le no-ralisme est avant tout une question de contenu. C est cela qui est important. Senso est un film raliste en tout cas (je ne sais pas pourquoi on a ajout ce no !). J ai tch de faire du ralisme en plein, tout en donnant cette allure de mlodrame italien

    Est-il exact que, dans Senso, vous ayez cherch retrouver Vesthtique de certains peintres italiens ? Sadoul cite Fattori.

    Non. Evidemment, je connais Fattori qui a peint des scnes de batailles contemporaines de Senso, mais je n ai jamais voulu le copier. J ai essay simplement de m approcher

  • Mise en scne de thtre pour La Mort dun commis-voyageur' u dArthur Miller (1951) (Rina Morel, Giorgio De Lullo, Paolo Stoppa, Marcello Mastroianni).

    - Dans ces scnes de bataille, on pourrait dire que voire point de vue est stendhalien.- Surtout. J ai toujours pens Stendhal. J aurais voulu faire La Chartreuse ,

    c tait l mon idal. Si on n avait pas fait de coupures dans mon fiim et si on lavait mont comme je voulais, ctait vraiment Fabrice la bataille de Waterloo. Fabrice passant derrire la bataille. Et la comtesse Serpieri a eu pour modle la Sanseverina. Mon idal, cela je le confesse, serait de tourner un grand roman de Stendhal : La Chartreuse , si elle n avait pas t faite... et bien faite.

    H um ! (rires). Le film est bien dAutant-Lara ? Non, de Christian-Jaque. Bref, on pourrait faire de La Chartreuse un film extraordinaire/ La Sanseverina

    est un personnage merveilleux. Et puis la ville de Parme se prte vraiment au tournage. L erreur de Chrstian-Jaqe est de lavoir tourn Rome. Pour nous, Italiens, cela est insupportable. Le monde stendhalien est un monde plein de fantaisie, mais il s attache toujours quelque ralit. Parme est Parme. Le P est le P.

    Et Nuits blanches? Pourquoi avoir choisi cette nouvelle de Dostoewski qui ne semble pas tre dans laxe de vos proccupations habituelles ? Cette nouvelle purement subjective ?

    C est vrai. Mais la naissance de Nuits blanches a mille causes. C tait l un des moments les plus difficiles de la production italienne. Nous avions l intention de faire un film, mais qui ne soit pas une trs grosse chose, quon puisse raconter dans un laps de temps assez rduit, un film qui soit raliste, comme je voulais, mais qui donne en mme temps la possibilit de circuler un peu dans le rve.. On a beaucoup cherch parmi tous les crivains du monde. C est Emilio Cecchi qui nous a suggr les Nuits blanches de

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  • Dostoewski. Moi, je dois dire, je me suis attach. cette petite histoire trs grande dans Dostoewski, petite dans mon film je m y suis attach justement pour cette possibilit quelle offre d vasion de la ralit, pour ce contraste entre le rveil, o toutes les choses sont dsagrables* et ces trois heures de nuit passes avec cette fille qui devient un peu un rve, quelque chose dirrel, de presque impossible. C est cela, c est ce jeu, qui mattirait.

    Le contenu social est donc loin d'tre absent, lorsque vous montrez le rveil dans la ralit ?

    Peut-tre ai-je mme un peu trop tir de ce ct-l : le contraste entre le rvs et la ralit. Le rythme du film s'y prtait mal,

    Le tournage a dur longtemps ?Le temps fix : six ou sept semaines. J ai mis un point dhonneur ne pas dpasser

    les dlais. On disait quil me fallait toujours six mois pour faire un film. Ce qui tait vrai. J ai voulu montrer que je pourrais en tourner un en six semaines. Le film se ressent peut-tre de cette gageure.

    Le thme du Charlatan

    Dans Bellissima aussi, il semble que lhistoire n'ait t pour vous qu'un prtexte ; quelque chose d'accessoire et que, au-del de Vhistore, apparaisse un point de vue sur le monde qpi nest pas particulirement optimiste,

    Oui, c est exact. Lhistoire tait ' vraiment un prtexte. Zavattini a t trs vex par les changements que j ai apports. Le vrai sujet ctait Magnani : je voulais faire avec elle (e portrait d'une femme, dune mre moderne, et Je crois l avoir assez bien russi, parce que Magnani ma prt son norme talent, sa personnalit. C est cela qui m intressait. Non pas tellement le milieu du cinma. On a dit que javais voulu peindre ce milieu dune faon ironique, mchante. Non, a ce n est quune consquence.

    Il y a bien quelque part une intention ironique. Ne serait-ce que dans le personnage du metteur en scne, interprt par Blasetti?

    - Oui, j ai mis de lironie ^-dedans, mais je ne pouvais pas le dire, parce que Blasetti lut aussi s est vexe. Il a compris, mais trop tard. Je lui disais : Fais ce que tu veux, sois ce que tu es. Il le faisait trs srieusement, trs gentiment. Mais dans laccompagnement musical tir de LElixir damour de Donizetti, il y a un motif qui s appelle le u thme du Charlatan . Il revient chaque fois que Blasetti apparat. Il n en a rien su. 11 ne connaissait pas Donizetti. Mais voil quun beau jour quelquun lui rvle la chose. II m crit une lettre indigne : Vraiment, je ne te croyais pas capable de a, etc. Je lui rpondis : Pourquoi? Nous sommes tous des charlatans, nous les metteurs en scne. Cest nous qui mettons des illusions dans les ttes des mres ou des petites filles. C'est n-ous qui prenons les gens dans la rue et c'est notre tort. Nous vendons un lixir d'amour qui n'est pas de Vlixir : comme dans l'opra, cest du vin de Bordeaux. Ce thme du charlatan je ne l'ai pas mis pour toi, mais pour moi aussi. Cela il l a compris. Et nous nous sommes rconcilis.

    Voil pour l ironie que j ai mise dans ce personnage. Un tout petit peu, aussi, dans celui de Walter Chiari. C est un cynique. Le monde du cinma est plein de ces sortes de gens.

    Je ne comprends pas pourquoi aucun distributeur en France n a voulu de Bellissima. Le savez-vous? Pour moi, je n en sais rien.

    Une chose est sre, cest quon a perdu la trace de celui qui a achet les droits de distribution. C'est incroyable, mais c'est la seule raison qui empche sa sortie, car de nombreuses salles spcialises, le circuit de T a f c a r e , par exemple, seraient ravies de le passer.

    Impossible de reconstituer le fil ?

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  • Marin Schell dans Nuits blanches.

    A moins de revenir au bout du fil, en Italie. Prcisment. C est ce bout qui doit tre en cause. Je veux parler des producteurs.

    Pourtant l film a eu du succs en Italie, en Amrique, Londres. Pourquoi ne marcherait-il pas aussi bien Paris, ne serait-ce que sur le nom seul de Magnani ?

    Cest comme du grec On dit qu'une des caractristiques du no-ralisme italien c'est d'employer comme

    acteurs des gens de la rue, alors que vous, sauf dans La Terra trma, il semble que vous prfriez les professionnels.

    Employer des non-professionnels ce n est pas du tout une condition indispensable du no-ralisme. Certes, il est possible de prendre dans la rue des gens vrais qui adhrent exactement au personnage, mais le travail cest, ensuite, de les faire devenir des acteurs. J ai pass des heures et des heures avec mes pcheurs de La Terre tremble pour leur faire dire une toute petite rplique. Je voulais obtenir deux le mme rsultat que dun acteur. Sils avaient du talent, et ils en avaient (ils avaient surtout une chose extraordinaire : aucun complexe devant la camra), ils pouvaient y parvenir trs vite. Le vrai travail, avec les acteurs, cest de leur faire vaincre leurs complexes, leur pudeur. Mais ces gens-l n avaient aucune pudeur. J obtenais deux ce que jobtenais des acteurs aprs un temps beaucoup plus long. De mme, le texte n'tait pas un texte prconu. Je le faisais faire par eux-mmes. Par exemple, je prenais les deux frres et je leur disais : tt Voil, la situation est celle-ci. Fous avez perdu la barque, vous tes dans la misre, vous nJavez plus manger, vous ne savez plus que faire. Toi, tu veux t'en aller, tu es tout feune, et Vautre veut te retenir. Dis-lui ce qui t'attire loin d'ici. Il me rpondait : Voir la ville de Naples, je ne sais pas, enfin... ce Bon, c'est a, mais encore pourquoi

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  • ne veux-iu. pas rester ici ? Il me disait alors exactement ce quil dit dans le film : Parce que ici on est comme des animaux. On ne nous donne rien. Alors je voudrais vite voir le monde. Pour lui, le monde ctait Naples, c tait trs loin, ctait le ple Nord... Puis je suis all lautre : Quest-ce que tu dirais ton frre, pour le retenir, ton vrai frre ? Il tait dj mu, les larmes aux yeux. Il croyait que ctait son vrai frre. C est ce quon veut obtenir des acteurs et quon n obtient jamais. Les larmes aux yeux, donc, il disait : Si tu vas plus loin que les Faraglioni {cest le nom des deux rcifs), la tempte t'emportera.

    Qui aurait pu crire ? Personne. Il le disait en sicilien et je ne peux le rpter exactement, car je ne me rappelle plus le dialecte, mais c tait trs beau, c tait comme du grec.

    Le dialogue naissait donc comme cela. Je ne fournissais que l esquisse. Eux apportaient des ides, des images, des fioritures. Puis je leur faisais rpter le texte, trois ou quatre heures parfois, ainsi quon fait avec les acteurs. Mais on ne changeait plus les mots. Ils taient devenus fixes, comme s ils taient crits. Et pourtant ce n tait pas crit, c tait invent par les pcheurs.

    Le texte tait-il comprhensible aux Italiens ? Peu. Il est trs difficile. N'existe-t-il pas une version parlant sicilien ? Loriginale, celle que je possde chez moi et qui est passe Venise avec des sous-

    titres, est en vrai sicilien, qui est comme du grec : on n y comprend rien. C est une langue extraordinaire. Une langue qui a des images. Seul Verga a pu refaire cela. Il a invent une langue spciale, intermdiaire entre l italien et le dialecte. C est, si vous voulez, de l italien, mais qui garde la construction dialectale. Quant au vrai dialecte catanais, celui des pcheurs de La Terra trma il est vraiment trs difficile comprendre.

    Lorsque Brancati, qui est un trs bon auteur sicilien* a entendu ces dialogues, il s est cri : Mais ce sont les plus beaux dialogues du monde ! On n'aurait jamais pu crire

    La Terra trma (1948).

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  • Christian Marquant! et Fai'ley Granger dans Senso (1954).

    quelque chose, comme a ! C est vrai. Ces dialogues sont beaux, parce quils sont justes. Cest comme une part de ces gens-l. Mme dans ies moments dramatiques ils s expriment ainsi.

    De Sica a fait parfois des choses que je ne peux pas comprendre. Dans Le Voleur e bicyclette, par exemple, il a fait doubler Maggiorani par un acteur et 5e texte mme ne convient pas au visage de Maggiorani. Encore Le Voleur de Bicyclette est-il une chose trs belle, trs vigoureuse, mais c est l une erreur grave mes yeux. Moi-mme malheureusement, j ai d employer le doublage dans Senso parce que Granger et Valli ont tourn en anglais.

    Avez-vous accompli un gros travail sur Alida Valli ? Non, c est venu assez facilement, Mais, vous savez, ma premire ide pour Senso

    c'tait Bergman et Bran do. Mais Valli a t excellente. Oui, finalement elle n tait pas mal. Pour Bergman, Rossellini n a pas voulu. C tait

    le moment o il tait trs jaloux. Il refusait quelle tourne avec un autre que lui. Elle, aurait accept, mais... enfin, bref. Quant Brando cest la Lux qui n a pas voulu de lui et qui a impos Granger. Etrange n est-ce pas ? C est regrettable, aurait t vraiment quelque chose dextraordinaire que davoir ensemble Bergman et Brando !

    Vive lAutriche !

    QnJest-ce qui pour vous est le plus important dans Senso, son aspect social ou subjectif ?

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  • Cest vers l aspect historique que je lavais orient tout dabord. Je voulais mme quil s appelle Custozza du nom dune grande dfaite italienne. Ce fut un toll : la Lux, le ministre, la censure... (Au dbut mme on ne voulait pas de Senso . Pendant le tournage, le claquette portait Ouragan d't .) La bataille donc l origine avait une importance beaucoup plus grande. Mon ide tait de dresser un tableau densemble de l histoire italienne sur lequel se dtacherait l aventure personnelle de la comtesse Serpieri, mais celle-ci, au fond, n tait que la reprsentante dune certaine classe. Ce qui m intressait, c tait de raconter l histoire d une guerre mal faite, faite par une classe seule et qui fut un dsastre.

    Le final primitif, lui aussi tait tout diffrent de celui que vous voyez maintenant. Je l ai tourn effectivement la nuit, dans une rue du Trastevere, celle mme o Livia court et crie dans la seconde version. Mais la premire ne se terminait pas par la mort de Franz. Nous y voyions Livia passer parmi des groupes de soldats ivres, et la toute fin montrait un petit soldat autrichien, trs jeune, seize ans peu prs, compltement ivre, appuy contre un mur, et qui chantait une chanson de victoire, comme celles quon entend dans la ville. Puis il s arrtait, il pleurait, il pleurait, il pleurait et criait : Vive l'Autriche !

    Guallino, le vieux Guallino, mon producteur un homme trs sympathique tait venu assister au tournage. Il marmonnait derrire mon dos : C'est dangereux, c'est dangereux . Peut-tre. Mais pour moi c tait beaucoup plus beau cette fin ! On laissait Franz ses affaires, on s en fichait de Franz ! Peu importait quil meure ou quil ne meure pas l On le quittait aprs la scne dans la chambre o il se montrait si rpugnant. Inutile quil soit fusill. On restait donc sur elle, qui courait le dnoncer et se sauvait dans la rue. Elle passait au milieu des putains, et devenait une espce de putain elle-mme, allant dun soldat l autre. Puis elle s enfuyait en criant : et Franz, Franz ! Et l on passait sur le petit soldat qui tait le reprsentant de ceux qui payaient la victoire et qui pleurait vraiment, pleurait chaudes larmes en criant a Vive l'Autriche !

    Les malheurs de Senso

    J ai d couper. On a brl le ngatif. On a dpens encore des millions pour faire la mort de Franz. Je l ai tourne au chteau Saint-Ange Rome, parce quon ne pouvait plus aller Vrone. J ai tch de faire le moins mal possible, mais pour moi ce n tait pas cela la fin de Senso : la vraie fin, c tait un petit soldat, un petit paysan autrichien qui n a aucune responsabilit et qui pleure parce quil est ivre. Ou plutt, il chante parce quil est ivre, il pleure parce quil est homme, il crie Vive l'Autriche ! n le jour d'une victoire qui ne sert rien, parce que l Autriche sera bientt dtruite, comme la dit Franz dans la chambre. Ce cri de Vive l'Autriche ! et les larmes du petit soldat prenaient une importance norme. Bref, le film devait s appeler Custozza et finir par Vive VAutriche ! c tait Senso.

    Il y a eu dautres changements faits mon scnario. On n aurait pas d couper la scne de l Etat-Major o Ussoni demande au capitaine de laisser intervenir les troupes des partisans. Le capitaine rpondait : Ordre du gnral Lamarmora. Vous ne devez pas bouger. Ce sont les troupes rgulires qui doivent livrer bataille. Ussoni alors : Remerciez le gnral Lamarmora de notre pari et dites-lui que nous attendrons le rsultat de la bataille. Le rsultat, ce fut une grande dfaite. Cest parce que ce passage a t coup quon ne comprend plus rien cette squence. En effet, dans la version coupe du film, on quitte Ussoni en uniforme et on le retrouve en paysan sur une charrette. En ralit les choses se passaient comme suit : Ussoni prenait cong du capitaine et, ce moment, on entendait les trompettes qui annonaient l arrive du gnral ; Ussoni le croise dans la cour et, au lieu de le saluer, il remet son chapeau sur la tte... tac ! Cela signifiait quelque chose . Non ?... Tac I Et puis on voyait le capitaine, pris de remords, courir aprs Ussoni et lui dire : Passez tout de mme par Valerio et lui conseiller de se mettre en civil. Il veut lui viter de se faire tuer. En ralit ce qui comptait, c tait la violence de la scne... Si on vous coupe tout ce qui compte, alors ne vaut plus la peine de faire du cinma.

    (Propos recueillis au magntophone, par J a c q u e s D o n i o l - V a l c r o z e et J e a n D o m a r c h i . )

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  • SAM FULLER

    SUR LES BRISES DE MARLOWEpar Luc Moullet

    Les jeunes cinastes amricains nont rien dire, et Sam Fuller encore moins que les autres. Il a quelque chose faire, et il le fait, naturellement, sans se forcer. Ce nJest pas un mince compliment : nous dtestons les philosophes manques qui font du cinma malgr le cinma et y rptent les dcouvertes des autres arts, ceux qui veulent exprimer un sujet digne dintrt par un certain style artistique. Si vous avez quelque chose dire, dites-le, crivez-le, prchez si vous voulez, mais fichez-nous la paix.

    Lon pourra stonner dun tel a priori propos dun cinaste qui avoue de trs hautes ambitions, et qui est Vauteur complet de presque tous ses films. Mais cest justement ceux qui le classent parmi les scnaristes intelligents qui napprcient pas The S ie d Helmet, ou qui, en son nom, rejettent Run oj the Arrow> que, autre possibilit, ils dfendent pour des raisons totalement gratuites.

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  • MACHIAVEL ET LE COUCOU

    De la cohsion. Sur quatorze films, ancien journaliste, il en consacre un au journalisme, ancien reporter criminel, quatre ail mlodrame policier, ancien soldat, cinq la guerre. Les quatre westerns sapparentent au 11 Im de guerre, puisque la lutte perptuelle contre les lments, en laquelle lhomme reconnat sa dignit, qui dfinit la vie du pionnier du sicle pass, nest prolonge en notre poque que par celle du soldat : cest pourquoi k la vie civile est pour moi sans intrt (Fixed Bayoneis).

    Dans The Dark Page, petit roman noir bcl en quatrime vitesse, un journaliste arriviste arriv tue accidentellement son ancienne matresse ; par dfi, jeu et ncessit professionnelle, il lance sur laffaire son meilleur reporter et se trouve amen commettre meurtre sur meurtre pour ne pas tre dcouvert. Le problme : la mise en situation - et par l la mise en question - du comportement fasciste, comme dans Touch of Evil. Mais ici, Quinlan et Vargas se donnent la main : lapport esthtique du premier car beau est le fascisme et lapport moral du second seul, il a la raison pour lui sadditionnent. Welles renie Quinlan, mais il est Qunlan : ternelle contradiction qui trouve ses origines la fin du moyen ge, dans la renaissance italienne et le drame lizabethain, et que dfinit parfaitement la clbre parabole du coucou du Troisime homme. Avec Fuller, cest diffrent : quittant le domaine de labsolu, il nous propose un compromis entre la morale et la violence, chacune ncessaire, contre leurs propres excs. A ce compromis, correspond la conduite dAdam Jones, le commandant YHell and High Water, le mtier du- soldat et du policier, et du cinaste dailleurs. Les valeureux soldats de The Steel Helmet tuent avec le mme plaisir que les gangsters de Pick Up on South Street ; seul, un certain 'apprentissage de la relativit pourra nous faire entrevoir de plus hauts domaines : do ce non-conformisme intgral. Les salauds deviennent des saints. Personne ne peut sy reconnatre. Cest pour lamour dune femme que le tratre Bob Ford, la honte de la saga de l Ouest, tue Jesse James. Cest pour lamour dune femme que James Reavis, devenu le baron de lArizona grce un complot monstrueux chelonn sur vingt ans, avouera tout au moment o il navait plus rien redouter et fera volontairement sept ans de prison. Cest un lche, un antimilitariste, Denno, qui deviendra hros de guerre (Fixed Bayonets). Cest un pickpocket, Skip (Pick Up on South Street), qui, grce lamour dune femme, arrachera aux espions communistes les prcieux documents quils venaient dintercepter, et se rhabilitera en mme temps, Charity Hackett, la rdactrice en chef, aux murs de gangster, de la Park Row, sera finalement conquise par lopinitret de son concurrent dmocrate, Phineas Mitchell, quelle a essay de couler par tous les moyens ; elle le sauve de la ruine et lpouse. Ici, et dans Fixed Bayonets, est amorc ce thme wellesien du double qui constitue lossature de House o} Bamboo : lidentit du policier associ aux gangsters ne nous est rvle quau beau milieu du Jilm, et rien ne nous permettait de le distinguer des autres. Et cest mme le chef de la bande qui lui tend la main, qui le sauve d la mort : Paradoxalement, Fuller, si dcid, si viril, est un matre de lambiguit , a dit Domarchi. Ici, ltude des deux personnages donne un sens profond cette juxtaposition, qui, chez un Welles, reflte les artifices dune mauvaise conscience. Quinlan et Vargas ne peuvent se comparer, car ils sont complmentaires, et ne forment en ralit quun seul tre, celui de lauteur, tandis quici, Sandy et Eddie peuvent tre compars. Ce qui, bien au contraire, nempche pas Welles dtre incommensurablement plus grand que Fuller. Il y a dailleurs gros parier que, sil sen va voir un jour Run of the Arrow, excd, il quittera le fauteuil avant le gnrique.

    FULLER AU-DESSUS DE LA POLITIQUE

    Pour le non-conformisme, R un 0} the Arrow bat tous les records : au lendemain de la dfaite, OMeara, soldat sudiste, sen va chez les Sioux pour lutter contre le joug nordiste. A moiti convaincu par le capitaine Clark, le yankee libral, qui lui montre linanit de sa haine, et instruit par le malheureux exemple du lieutenant Driscoll, le yankee fasciste, il reviendra vers sa patrie. En juillet 1956, dans le New York Times, Fuller a

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  • Fixed Bayonets (Baonnette au canon) (1951).

    lui-mme prcis le sens de la able, qui expliquerait les difficults du rgime amricain contemporain : les adversaires politiques du gouvernement, de quelque temps que ce soit, essaient de mrir leur vengeance en faisant amiti avec les ennemis de leurs pays. Il y a l plusieurs interprtations possibles, et Fuller laisse entendre que lalliance avec les Indiens dalors correspond lalliance, propos de la question du Sud, avec les lments noirs les plus violents. Contrairement ce que lon a pu dire de Fuller, il ny a chez lui nul manichisme, encore moins que chez Brooks, puisque nous trouvons deux types de Nordistes, deux types de Sudistes, plus quatre types dindiens. Et VHuma-Dimartche de stonner dune telle confusion : Les Sudistes sont anti-racistes, les Nordistes sont racistes, les Indiens pro-Amricains, et certains Amricains f?ro- lndiens . Lorsque les rengats seront amens se contredire, cest--dire faire massacrer leurs concitoyens, ils tourneront bride : & The end 0} this story could ony be told by y ou , ou, si l on prfre, car nous sommes en juillet 56, la vie des Etats-Unis dpend du bulletin que vous dposerez dans lurne en novembre prochain. Voil donc, en apparence, un film nationaliste, ractionnaire, nixonien. Fuller serait-il donc ce fasciste, cet ultra que dnona nagure la presse communiste? Je ne le crois pas. Il a par trop le don de lambigut pour pouvoir appartenir exclusivement un seul parti. Si le fascisme est le sujet de son uvre, Fuller ne srige pas en juge. C est 1111 fascisme tout intrieur qui le proccupe, plutt que ses consquences politiques. CeSt pourquoi les personnages de Meelcer et Steiger sont plus forts que celui de Michael Pate dans Something 0} Value : Brooks est bien trop sage pour tre concern, alors que Fuller, lui, est en son lment ; il parle de ce quil connat. Et seul le point de vue sur le fascisme de quelquun qui a t tent est digne dintrt.

    Fascisme de gestes plus que dintentions. Car il ne semble pas que Fuller soit si fort en politique. Sil se proclame dextrme-droite, nest-ce point pour masquer, sous des

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  • dehors plus conventionnels, un point de vue moral et esthtique appartenant un domaine marginal peu estim?

    Fuller anti-communiste ? Pas prcisment. Car il confond, en partie sans doute des fins commerciales, communisme et gangstrisme, communisme et nazisme. 11 imagine les reprsentants de Moscou, dont il ignore tout, daprs ce qu'il sait, par sa propre exprience, des nazis et des gangsters. Noublions pas quil ne parle que de ce quil connat. Lorsquil dpeint lennemi (et dans The Steel Helmet, Fixed Bayonets et Helt and High Water, il sarrange gnralement pour le passer sous silence), cest un ennemi trs abstrait, trs conventionnel. Seul le dialogue met les points sur les i, et il est fort regrettable que Pick Up on Scnith Street et China Gte nous soient verboten pour un motif aussi peu fond.

    La morale est affaire de travellings. Ces quelques traits naugurent en rien de leur expression, ni de leur qualit dexpression, qui peuvent souvent les dmentir. Il serait bien stupide de prendre ce film si riche pour un plaidoyer pro-Indien ou raciste, comme il serait stupide de prendre Delmer Daves pour un courageux cinaste anti-raciste parce que, chacun de ses contrats, une clause stipule des relations amoureuses entre des tres de race diffrente. Le public non averti ny voit que du feu, et cest toujours lui qui a raison.

    DU CJNEMA MODERNE

    Lappareil glisse sur la gauche en contrebas dun champ de mas aux admirables tons jaune fonc, jonch de cadavres de soldats en uniformes sales et sombres, recroquevills dans les positions les plus curieuses, puis remonte cadrer Meeker, endormi sur sa monture, en pitoyable tat. Sur un fond de fume noire trs dense, se dtache Steiger, tout aussi crasseux, mais habill en paysan. Il tire sur Meeker, sen va fouiller sa victime, dcouvre manger dans ses poches, sinstalle sur le corps pour casser la crote ; sapercevant quil y a aussi du pain, il en prend ; il allume un cigare. Meeker commenant rler, incommod, il sen va un peu plus loin. Gros plan de Steiger, qui mche et qui fume. Alors, en normes lettres rouges, sinscrit sur son front et sur son menton le titre du film. Cest bien l la premire fois que le gnrique est fait sur le visage de lhomme, et sur le visage dun homme en train de manger. Cette squence, digne dune anthologie du cinma moderne, rvle dj quelques-unes des qualits matresses de notre cinaste.

    1 Le sens potique du mouvement dappareil. Chez beaucoup de cinastes ambitieux, les mouvements de camra dpendent de la composition dramatique. Jam ais chez Fuller, o leur gratuit est heureusement totale : cest en fonction du pouvoir dmotion du mouvement que sordonne la scne. Ainsi, la fin de The Steel Helmet, de ce lent dplacement de lappareil, o, sous le feu passionn des mitrailleuses, scroulent, selon un rythme musical, tes ennemis. Fixed Bayonets fourmille de trs longs travellings circulaires de 360, et en gros plans par-dessus le march, qui, sautant de visage en visage, sont ainsi empreints dun rythme fascinant.

    2 Un humour fond sur lambigut. Ici, cest le contraste entre le corps de Meeker agonisant et limpassibilit de Steiger affam. Plus loin, en un tonnant gros plan, nous verrons un paysan du Sud dverser en chansons la force de sa haine contre les Yanks. Ajoutez cela quelques rflexions aujourdhui piquantes sur la Constitution des Etats Unis. Walking Coyote avoue que sil na pas cherch devenir chef de sa tribu, cest parce que la politique le dgote. Indign de ce quon songe le pendre, il sexclame : A h ! quelle poque! De mon temps, a ne se passait pas comme a. Aujourd'hui, il nry a plus de morale. Les jeunes massacrent les vieillards, ils tuent, ils senivrent, ils violent Rplique qui pourrait fort bien se rencontrer dans Les Tricheurs ou qulque film amricain sociologique, et qui place dans la bouche dun Sioux de 1865, nous fait pouffer. A chaque dialogue, Fuller samuse nous dconcerter ; il fait semblant dpouser tous les points (Te vue, et cest ce qui rend son humour sublime. Chaque scne damour (celle des sourcils dans House of Bamboo, celle du tatouage et de la gifle dans He and High Water, o

    nous trouvons aussi une admirable mise en bote du polyglottisme Vitapointe) renchrit sur un motif trs banal par un texte plein de verve et doriginalit.

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  • NOUS AVONS BESOIN DES FOUS

    3 Une rcration de la vie qui na pas grand-chose voir avec celle quon nous impose lcran. Plutt qu Brooks le civilis, cest LAtalante quil faudrait se rapporter. Fuller est un grossier personnage ; tout ce quil fait est incongru. Un brin de folie lhabite. Mais nous avons grand besoin de fous, car le cinma est lart le plus raliste ; et dans lvocation de lexistence, les cinastes senss en sont rests aux traditions* quont tablies depuis des sicles littrature et peinture, contraintes doublier la vrit la plus superficielle par leur ralisme propre, limit visuellement et temporelle- m ent Seuls les fous peuvent esprer crer un jour une oeuvre comparable au modle vivant, qui natteindra dailleurs jamais le dixime de vrit de loriginal. Mais personne ne dit mieux. Chez Fuller, nous voyons tout ce que les autres sabrent dlibrment dans leurs films : le dsordre, la crasse, linexplicable, la barbe mal rase, et une sorte de laideur fascinante du visage de lhomme. Cest un trait de gnie quavoir choisi Rod Steiger,'petit lourdaud trapu dnu de tout prestige, dont le chapeau aplati cache les traits la moindre plonge, mais qui une dmarche et un port disgracieux confrent l force mme de la vie. On aura pu remarquer la sympathie du metteur en scne pour les corpulents, les grassouillets : un Gene Evans tient la vedette dans quatre de ses films. E t appliquons ici aux personnages la fameuse et truffaltienne thorie des auteurs son estime diminue avec le nombre des kilos. Ces hros minces au visage anguleux, John Ireland, Vincent Price, Richard Basehart, Richard Kiley, Richard W idmark nont pas de poids suffisant pour ne pas tre tents par la bassesse. Cest que lhomme appartient lordre de la terre, et il doit lui ressembler, avec toute son pre beaut.

    Fuller est un primaire mais un primaire intelligent, ce qui apporte son oeuvre de si singulires rsonances - ; le spectacle du monde physique, le spectacle de la terre est son meilleur terrain dinspiration, et sil sattache ltre, cest seulement dans la mesure o celui-ci se rattache la terre. Cest pourquoi la femme est assez souvent passe sous silence (non pas dans Park Row, Pick U[) on South Street et Forty G uns, o elle garde des murs dhomme fullerien ; non pas dans Hel and High Water, China Gte et encore Foriy Guns, o Fuller voque avec un talent ou le contraste entre la

    Hell and High Water (Le Dmon des eaux troubles) (1953).

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  • bte et lange, ce qui dissipe toute quivoque). Cest pourquoi le corps de lhomme intresse tout particulirement cent fois il est inspir par les corps mis des Indiens, comme par les corps nus des marins d'Hell and High W ater; au sortir de Run, nous avons l impression de n avoir jamais v auparavant de vrais Indiens dans un western et la partie du corps qui lintresse encore plus particulirement est celle qui touche constamment au sol : nid doute, Fuller est philopode. Au premier plan, la rencontre avec Walking Coyote, la camra racle la terre, recadre des pieds, et ne remonte qu'accidentellement sur les visages. Et ce style va jusqu fonder la symbolique de luvre : la course de la flche, pivot et titre du film, est la course dun homme en mocassins poursuivant un homme nu pieds (lequel est dailleurs un fantassin, qui aprs avoir rencontr un certain Walking Coyote, pousera une certaine Yellow Moccasin). Le meilleur sera celui qui aura les pieds les plus solides. Pieds sanglants, pieds fatigus, pieds lourdement efficaces, pieds lgers, pieds botts, avec quelle virtuosit Fulfer, qui avait eu tout le temps dtudier la question lors de son voyage au Japon, dpeint les dilrents styles des coursiers ! Qui mieux que lui pourrait filmer les Jeux Olympiques Rome lanne prochaine? Les fesses ont aussi la vedette, puisque trente secondes sont consacres une tude minutieuse du problme du confort de la selle du cavalier.

    UN DESOJRDRE A LA VGO

    Cinaste tellurien, pote du tellurque, il se passionne pour linstinctif. Il aime montrer la souffrance, dune faon encore plus sadique que de Mille : amputations (mme une main dlibrment coupe dans Helle and High Water), douloureuses extractions de balles de son propre corps (Fixed Bayonets) ou de celui des autres (Run of the Arroiv), avec forces pertes de sang. Un gosse sans dfense se fait massacrer dans un coin de la P ark Row. Lamour lui-mme ne nglige pas les joies du sadisme (Pick Up on South Street). Avant dtre assomm coups rpts de marteau, le Jap d Hell tayid High Water se plaint de ne pas avoir t frapp assez fort : on dirait du chiqu. Festival de cruauts et dorgies ; of the Arrow se termine sur cet admirable plan o Meeker, en train dtre corch vif, reoit la grce dune balle en plein milieu dun front rouge et suant.

    Je citais Vigo, et cela est encore plus vident travers Pick Up, Steel Helmet et surtout Fixed Bayonets : sur un script trs concert, et dans un plan prmdit, Fuller compose des actions sans rfrence une dramaturgie prfabrique. On y fait nimporte quoi, et il est bien difficile dy comprendre quoi que ce soit. Les rapports des soldats entre' eux, rapports moraux et rapports dans le plan, o tous les visages sont tourns vers un sujet diffrent, crent tout un labyrinthe de significations. Et lon peut appliquer Fuller ce que Rivette dit de Vigo :

  • Run oj the Arrow (Le Jugement des jlches) (19515)

    Exception parmi les grands coloristes, il prfre, avec Joseph McDonald, les teintes intermdiaires, bruns, ocres noirtres, violets ples, blancs sales, couleurs de la terre, la franchise de Parc-en-ciel, quvoquent cependant le parc d'attraction dHo use oj Bamboo et la plastique de Run oj the Arrozv.

    UN FILM FAIT AVEC SES PIEDS

    Si, . chaque instant, Fixed Bayonets crait une suite de rapports originaux entre les hros et burinait les visages avec un art consomm, il nen est pas de mme avec Run oj the Arrow , o cest seulement par clairs que nous retrouvons ces confrontements dtre tre. O Meara et Driscoll, Crazy Wolf et OMeara, Driscoll et Crazy Wolf, par des sourires en coin, prfigurent les joies de la comptition, ou, par des regards mauvais, contiennent leur rage lorsquun tiers ou une femme sinterposent. Le got de la lutte, de la violence, cre une complicit entre adversaires, au nom de laquelle lun sauve lautre, thme de House oj Bamboo repris par plusieurs fois ici. Mais cela ne constitue quune faible partie du tout. Pourquoi ?

    A la Fox, Fuller tait contraint respecter certaines formes traditionnelles de dcoupage et de tournage, et de travailler lintrieur de celles-ci. Il devait se donner du mal. Tandis que pour sa firme la dnomination shakespearienne, loin de mille kilomtres dHollywood, il tait libre comme loiseau. Le scnario est extrmement labor, avec ses correspondances subtiles, mais le hlm souffre et bnficie dun dsquilibre constant. Comme Fuller aime tourner, plus quun tout, une suite de scnes qui lui plaisent, libre, il nglige le reste, toutes ces liaisons obligatoires : il les escamote au

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  • dcoupage ou au tournage do ces trous multiples ou sen dsintresse - et Ut direction dacteurs devient pratiquement nulle. Fixed, ctait le dsordre dans lordre, parfaite synthse formelle de la morale fullerienne du compromis. Ctait son chef- dceuvre dans la mesure o la folie ne peut vraiment sexprimer que grce un surcrot de raison. Tandis que Run, cest le triomphe de la dsinvolture, de la nonchalance, de la paresse. Peut-tre jamais cinaste nest all aussi loin dans le bcl (sinon ce pauvre Josef Shatel avec The Naked Hills). Quelles que soient les ngligences, lon ne peut pas ne pas tre fascin par la spontanit quelles impliquent : Fixed est ou sera bientt un classique, tandis que Rurt demeurera un film de chevet. Fuller est un amateur, un paresseux, cest entendu. Mais son film exprime lamateurisme et la paresse : et cest dj beaucoup.

    Si le film ne fit pas un sou en Amrique, cela tient ce que Fuller, seul responsable, noffrit quun montage de rushes la R.K.O. qui coupa, lUniversal recoupa et la Rank surcoupa. Avec raison, personne ne croyait au succs dun film que Sam Fuller avait fait avec ses pieds, comme le dit si joliment Mrs Sari ta Mann : pourquoi lexploitation fut sabote. Mais les coupures ne semblent pas ter grand-chose la valeur de Run : il lui manque surtout ce qui ne manque jamais aux productions de srie, leurs sempiternels raccords improviss et ridicules.

    IL A LA CAMERA FACILE

    Ce qui nous est prcieux, cest que cet animal de Fuller se soit librement trimball en Arizona pendant cinq longues semaines un de ses plus longs tournages ! avec un budget de quatre cents millions Dieu sait ce quil a pu faire avec ! et pour rapporter quoi ? Cent cinquante plans,,qui en feront deux cents la projection, relis par dimpossibles fondus. Et quels plans ! Son style na dj rien dordinaire (sauf dans son premier essai, maladroitement classique) : cest un beau style de brute ! Chez lui, le plan amricain, figure parfaite du classicisme, est ou rare ou mdiocre. Lorsquil sintresse plusieurs personnages ou objets, plans gnraux ; si cest un ou deux, gros plans. Fuller est le pote du gros plan, qui, par son caractre elliptique, est toujours riche en surprises {louverture de Steel) et qui donne un relief insolite des visages ou des brins dherbe, habitus par le cinma commercial peu de rvrence. Mais ici, il fait encore moins defforts : ou lon parle beaucoup, ou lon agit beaucoup ; lorsque quelquun dit quelque chose dintressant, il ne va pas tout de mme pas samuser le faire jouer ou multiplier les angles pour dthtraliser la scne, Clark essaie de ramener OMeara dans le droit chemin. Long discours. Le contre-champ ? Je lattends encore. Pendant au moins quatre ou cinq minutes, nous les voyons tous deux, assis immobiles et cte cte, lencontre de lA.B.C. idhecal.

    Cette dsinvolture irrite, mais que de richesses en surgissent ! II est faux de dire que Fuller est inspir, car cela supposerait quil pourrait ne pas ltre, lorsquil tourne activement. Instinctif, cinaste-n, il a la camra facile, et il lui suffit dtre lui-mme chaque instant ce que nous pourrons redire propos dun Ray mineur comme True S tory of Jesse James. Ses brouillons sont insolites, et plus forts, plus rvlateurs quun bel chafaudage. Il peut se permettre de mlanger les styles : il y a un tout, un monde de ce dsert vivant, avec ses bosquets darbres sphriques, au dlire dOMeara parmi les fumes, de ces facties plastiques la Eisenstein la composition rigoureuse et fordienne ds plans les plus gnraux de lattaque du fort. On dcouvrait aussi du Fritz Lang dans House, dans lorganisation gomtrique de la scne du hold-up, ou de celle de la partie de billard, ou encore dans Pick Up (la mort de Moe). Quimporte, par une sorte dhomognit potique, cela reste toujours du Fuller, avec sa force dinstantan et dinachev.'

    MARLOWE ET SHAKESPEARE

    Nous marchons mieux la scne qui la rflexion possde valeur symbolique de Penlisement du jeune Indien muet, que le soldat nordiste, irrit par lappel syncop de son harmonica, sauve au prix de sa vie, justement parce quelle nest pas intgre au film : ainsi les intentions sont perptuellement corriges par la mise en scne. Fuller, qui semblait tant tenir ses belles ides sur lAmrique et la beaut de la vie dmocratique

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  • China Gaie (1957).

    se contredit chaque image : il est bien vident que les murs des Sioux linspirent et lui plaisent infiniment plus que la perspective de la vie tranquille au coin du feu, que savent si magnifiquement chanter un Broolcs et un Hawks, comme en tmoignent les multiples platitudes de la mise en scne, en cela mise en scne de critique, de politicien et de moraliste.

    Cest ainsi quen fin de compte, Fuller se trouve suivre litinraire inverse de celui de Welles, et lon peut dire quil y a entre eux une diffrence qui sinscrit aussi dans le domaine des valeurs du mme ordre que celle entre Marlowe et Shakespeare, avec toutes les consquences quelle sous-entend.

    Sil la renie priori, Welles arrive cependant, par les diffrentes formes de son art (qui le rvlent et romantique et civilis), raliser la synthse de ses aspirations physiques et morales, tandis que Fuller, faustien de principe et promthen de fait, sil est conscient de la ncessit dune telle synthse, et sil sapplique sa recherche, est tt ou tard trahi, lorsquil est totalement livr lui-mme, et ne peut tre alors assez artificiellement rachet grce lintervention salvatrice dinfluences extrieures, par le fondement fort peu ambivalent de sa personnalit profonde.

    Luc MOULLET.

    RUN OF THE ARROW (LE JUGEMENT DES FLECHES), film am ricain en Superscope et en Technicolor, de S a m u el F u l l e r . Scnario : Sam uel Fuller. Images : Joseph Biroc. Musique : Victor Young. In terprta tion : Rod Steiger, Sarita Montiel, B rian K eith, R alph Meeker, H.-M. W ynant, Jay C. Flippen. Production : Sam uel Fuller. R. K. O., 1956. D istribution : Rank.

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  • BIO-FILMOGRAPHIE DE SAM FULLER

    Samuel MicKael Fuller, n le 12 aot 1911 Worcester (Massachusetts), dbute quinze ans comme copy-boy d Arthur Brisbane au N E W Y o r k JOURNAL. Ensuite, rdacteur du N e w Y o r k G r a PH IC , puis du S an D i e g o S u n , il devient dix-sept a n s spcialiste des reportages sur affaires criminelles.

    Auteur, dans les annes 30, de nombreuses nouvelles, Sam Fuller a galement compos quatre romans policiers : Burn, Baby, Burn (Phoenix, 1935) ; a Teste Tube Baby {Gotjwm, 1936); Make Up and JCiss (Godwin, 1938) ; T he Darh Page 3) (Bloodhound Mystery - Duell - Collins, Canada, 1944),

    Lequel roman, paru en franais sous le titre a Eh bien! dansez maintenant (Morgan, 1950), a t port lcran par Phil Karlson sous le titre Scandai Sheei (Linexorable enqute),1951.

    De 1942 1945, reporter de guerre et soldat du 16e rgiment de la tre Division d infanterie, il participe aux campagnes d'Afrique du Nord, de Sicile, de France, d Allemagne et de Tchcoslovaquie, quil fera revivre dans The Big Red One, 11 a reu lEtoile d*Argent pour sa conduite hroque lors du dbarquement en Normandie, aprs avoir t dcor, toujours pour conduite hroque, lors de la campagne de Sicile, de lEtoile de Bronze.

    De bronze galement, il a reu un Lon, la Mostra de Venise 1953, pour son film Piclz Up On South Street, dont le Jury vanta le rythme narratif et lhabilet technique qui confrent une uore de caractre policier une remarquable fensfon mofre, allie dintres- santea notations humaines ou datmosphre ,

    Samuel FulleT est le grant des maisons de production Deputy Corporation, Samuel Fuller Productions et Globe Enterprises Int.

    FULLER SCENARISTE

    1936. HATS OFF (Grand National Films).Ral. ; Boris Petroff.5c. : Sam Fuller, Edmund Joseph Myles.

    1937. _ 1T HAPPENED IN HOLLYWOOD(Columbia).Ral. : Harry Lachman,5c. : Ethel Hill, Harry Ferguson et Sam

    Fuller d aprs un sujet de Myles Connolly.1938. GANGS OF NEW YORK (Repu-

    blc).Ral. ; James Cruze.5c. ; Wellyn Totman, Sam Fuller, Charles

    Francis Royal d aprs un sujet de Sam Fuller, inspir par le roman d Herbert Ashbury.

    1938. ADVENTURE IN SAHARA (Columbia).Ral. .* D. Rosa Lederman.5c. ; Maxwell Shane daprs un sujet de

    Sam Fuller.

    1940, BOWERY BOY (Republic).Ra. ; William Morgan.Sc. F.ugene Chapn, Harry Kronman, Eu

    gne Solow d aprs un sujet de Sam Fuller et Sidney Sutherland.

    1941. CONFIRM OR DENY (TwentiethCentury Fox).

    Ral. : Fritz Lang, puis Archie Mayo.Sc. : Jo Swerling d aprs un sujet d Henry

    Wals et Samuel Fuller.1942, POW ER OF THE PRESS (Colum

    bia).Ral : Lew Landers.5c. ; Robert D, Andrews daprs un sujet

    de Sam Fuller.

    1945. GANGS OF TH E WATERFRONT (Republic).Ral. ; George Blair,Sc. : Albert Beich d aprs un sujet de Sam

    Fuller.

    1948. SHOCKPROOF ( J e n n y , f e m m e m a r q u e ) (Columbia).Ral. ; Douglas Sirk,Sc. : Helen Deutsch et Samuel Fuller.

    1950. TH E TANKS ARE COMING (Les T a n k s a r r i v e n t ) (Warner Bros).Ral. : Lewis B, Seller.Sc. . Robert Hardy Andrews d'aprs un

    sujet de Samuel Fuller.1953. THE COMMAND (La P o u r s u i t e d u r a

    SF.PT J o u r s ) (Warner Bros).Ral. : David Butler.Sc. : Russel Hughes d aprs ladaptation par

    Samuel Fuller du roman de James Warner Bellah T he Whte Invader.

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  • House of Bamboo (Maison de bambou) (1955).

    FULLER AUTEUR DE FILMS

    1946. I SHOT JESSE JAMES ( J ae t u JE S S E J a m e s ) (Lippert Productions - Screen

    Guila) 8 min.Pr. : Cari K. Hittleman.Sc. : Samuel Fuller d aprs un article dHo-

    mer Croy.Ph. : Ernest Miller.Mus. : Albert Classer.Dc. ; John McCarthy, James Redd.Monf. ; Paul Landres.Int. ; Preston Foster, Barbara Britton, John

    Ireland, Reed Hadley, John Edward Brom- beig, Victor Klian, Barbara "Woodeell, Tom, Tyler, Tommy Noonan, Bryan Fou- lyer, Eddie Dunn, Jeni Le Gon.

    1949. _ TH E BARON OF ARIZONA (Lippert Productions) 93 mn.Pr. : Cari IC. Hittleman.Sc. : Samuel Fuller.Ph. : James Won g Howe.Mus. ; Paul Dunlap.Dec. ; Ray Robinson.Monf. : Arthur Hilton.

    Int. : Vincent Price, Eilen Drew, Beulah Bondi, Vladimir Sokoloff, Reed Hadley, Rbbert Barrai, Robin Short, Barbara Woo- dell, Tina Rome, Margia Dean, Edward K.eane, Gene Roth, Karen K ester, Joseph Green, Fred Kohler Jr., Tristram Goffin, Angelo Rosito, I. Stanford Jolley, Terry Frost, Zachary Yaconelli, Adojfo Ornelasi Wheaton Chambers, Robert O'Neill, Ste- phen Harrison.

    1950. THE STEEL HELMET ( J a i v c ui /E N F E R OE C o r e ) ( D e p u t y C o r p o r a t i o n -Lippert Productions) 84 min.Pr., sc. : Samuel Fuller.Ph. : Ernest W. Miller.Mus. Paul Dunlap.Dec. : Clarence Steenson.Mont. : Philip Cahn.Int. ; Gene Evans, Robert Hutton, Steve

    Brodie, |ames Edwards, Richard Loo, Sid Melton, Richard Monahan, "William Chun, Harold Fong, Neyle Morrow, Lynn Sta- master.

    1951. ~ FIXED BAYONETS ( B a e o n n e t t e . a uCANON) (Twenteth Century Fox) 92 min.

  • Pr. ; Jules Buck.5c. : Samuel Fuller, inspir par le roman

    de John Brophy.Ph. : Lucien Ballard.

    Ms. : Roy Webb.Dc. ; Frank Tuttle, Fred J. Robe.Mont. ; Nick DeMaggio.Int. : Richard Basehart, Gene Evans, Mi~

    chael O Shea, Richard Hylton, Ciaig Hill, Skip Homeer, Henry Kulky, Richard Mo- nahan, Paul Richard, Tony Kent, Don Orlando, Patrick Fitzgibbon, Neyle Mor- row, George Wesley, Mel Pogue, George Conrad, David Wolfson, Buddy Thorpe, Al Negbo, Wyott Ordung, Jame Dean, Pat Hogan.

    1952. PARK ROW ^Samuel Fuller Productions - United Artists) 83 min.Pro., sc, : Samuel Fuller.Ph. . : Jack Russel. ^Mus. ; Paul Dunlap.Dec. : Ray Robinson.Mont. ; Philip Cahn,Int. : Gene Evans, Mary Welch, Bela Ko-

    vacs, Herbert Hayes, Tina Rome, George O Hanlan, Neyle Morrow, Stuart Randall, Dee Pollock, Hal K. Dawson, J. M. Ker- rigan, Forrest Tyler, Don Orlando, Biff Elliott.

    1952. PICK UP ON SOUTH STREET(Twentieth Century Fox) 78 min.Pr. : Jul es Schermer.5c. Samuel Fuller d'aprs un sujet de

    Dwight Taylor.Ph. : Joseph McDonald.Mus. : Leigh Harline.Dc. : Lyle Wheeler, George Patrick.Mont. : Nick DMaggo.Int. : Richard Widmark, Jean Peters, Thel-

    ma Ritter, Richard Kiley, Murvin Vye, Wiilis B. Bouchey, Milburn Stone, Henry Slate, Jerry O'Sullivan, Harry Carter, George E. Stone, George Eldredge.

    1953. HELL AND HIGH WATER (Le D m o n d e s EAUX t r o u b l e s ) (Twentieth Century Fox) 103 mn.Pr. : Raymond A. Klune,5c. : Jesse L. Lasky Jr. et Samuel Fuller

    d aprs un sujet de David Hampstead.Ph. : Joseph McDonald (CinemaScope,

    Technicolor).Mas. : Alfred Newman.Dc. : Walter M. Scott, Stuart A. Reiss. Mont. ; James B. Clark.

    Int. : Richard Widmark, Bella Darvi, Victor Francen, Cameron Mitchell, Gene Evans, David Wayne, Stephen Bekassy, Richard Loo, Peter Scott, Henry Kulky, Wang- Artarne, Harry Caret Carter, Robert Adler, Don Orlando.

    1955. HOUSE OF BAMBOO ( M a i s o n d eBAMBOU) (Twentieth Century Fox) 102 min.Pr. : Buddy Adler.5c. : Harry Kleiner.Dialogues : Samuel Fuller.Ph. ; Joseph McDonald (CinemaScope, De

    Luxe Color).Muo. : Leigh Harline.Dc, ; Stuart A. Retss et Walter M. Scott.Monf. : James B. Clark.Int. : Robert Stack, Robert Ryan, Shirley

    Yamaguchi, Cameron Mitchell, Sessue Hayakawa, Brad Dexter, Biff Elliott, San- dro Giglio, Edko Hanabusa, Harry Carey Jr., Peter Gray, Robert Quarry, DeFor- rest Kelly, John Doucette, Teru Shimada, Robert Hoso, Jack Maeshiro, May Taka- sugi, Robert Okazaki.

    1956. RUN OF THE ARROW ( L e J u g e m e n t DES f l c h e s ) (Globe Enterprises Inc. en association avec R.IK.O. Radio - Univer- sal International) 86 min.P r .t sc. ; Samuel Fuller.Ph. : Joseph Biroc ^Technicolor, cran pa

    noramique) .Mtrs. .* Victor Young.Dc, : Bert Granger.Mont. ; Gene Forwler Jr.Int. ; Rod Steiger, Ralph Meeker, Sarita

    Montiel, Brian Keith, Jay C. Flippen, Tim McCoy, Olive Carey, H. M. Wy- nant, Stuart Randall, Charles Bronson, Frank de Kova, Billie Miller, Nevle Mor- row, Frank W arner, Chuck Hayward, Chuck Robertson.

    1557. CHINA GATE (Globe Enterprises Inc. - Twentieth Century Fox) 96 min.Pr., sc. ; Sam Fuller.Ph. : Joseph Biroc (CinemaScope),Mus. : Victor Young et Max Steiner.Dc. : John Mansbridge,Mont. : Gene Fowler Jr.Int. : Angie Dckinson, Gene Barry, Nat

    King Cole, Lee Van Cleef, Neyle Morrow, Maurice Marsac, George Givot, Paul Dubov, Gerald Milton, Marcel Dalo, Warren Hsieh, Paul Busch, Sasha Harden, James Hong, William Soo Hoo, Walter Soo Hoo, Weaver Levy, Ziva Rodann.

    22

  • China Gte (1957).

    1957. FORTY GUNS (Globe ProductionsInc. - Twentieth Century Fox) 76 min.Pr., sc. : Sam Fuller.Ph. ; Joseph Biroc (CinemaScope).Mus. : Harry Suckman.Mont. ; Gene Fowler Jr.Int. : Barbara Stanwyck, Barry Sullivan,

    Dean Jagger, John Ericson, Gene Barry, Robert Dix, Jack Jidge Carroll, Eve Brent, Ziva Rodann( Gerald Milton, Hank Worden, Paul Dubov, Neyle Morrow, Sandra Wrth, Chuck Robertson, Chuck Hayward.

    |958. VERBOTEN ! (Globe EnterprisesInc. - J. Arthur Rank).Pr., sc. : Sam Fuller.Ph. : Joseph Biroc.Mus. : Harry Suckman d aprs Ludwig Van

    Beethoven et Richard Wagner.Dec. : Glerm L,. Daniel.Mont. ; Philip Cahn.Int. : James Best, Susan Cummngs, Paul

    Dubov, Tom Pittman, Harold Daye, Dick Kallman, Stuart Randall, Steven Geray,

    Anna Hope, 'Robert Boone, Sasha Har- den, Paul Busch, Neyle Morrow, Joseph Turkel.

    1959. THE CRIMSON KIMONO (Globe Enterprises Inc, - Columbia).Pr., sc.' ; Samuel Fuller.Ph. : Joseph Biroc,Mus. : Harry Suckman.Int. : Victoria Shaw, James Shigeta.

    PROJET

    * 1960. THE B1G RED ONE (Globe Enterprises Inc. - Warner Bros).Pr., sc. : Samuel Fuller.Ph. : Joseph Biroc (CinemaScope, Warner-

    color).Mus, ; Harry Suckman,

    (Cette filmographie a t tablie grce a l'extrme amabilit du BritISH FlLM NSTITUTE.)

  • Ingmar Bergman pendant le tournage du Visage.

    D I A L O G U Epar Ingmar Bergman

    A. Bonjour.B. Bonjour. Vous avez l'air inquiet.A. Avez-vous lu mon scnario ?.B. Oui. Je l'ai emport hier ce une sance du Conseil d'administration et com

    muniqu mes bailleurs de fonds. C'est coup sr un travail soign et inattaquable, tant du point de vue de la vrit que de l'art.

    A. Vous voulez dire, sans doute, qu'il n 'a pas t accept.B. Vous m 'en voyez dsol.A. Vraiment, il y a de quoi se mettre en colre quand on voit toutes les

    ordures qui sont tournes de but en blanc !B. Je comprends votre dpit. Mais, il ne m rest pas permis de le partager.A. C'est videmment votre droit.B. Seulement en partie. Car, je n'ignore rien des conditions dans lesquelles

    nous sommes contraints d'oprer. Je n 'ai jam ais prtendu les mconnatre, ni fermer les yeux l-dessus.

    A. Comment pouvez-vous accepter aussi calmement des dcisions imposes par des banquiers, des comptables et autres philistins ignares ?

    B. Ce n'est pas, croyez bien, une position facile, pour quiconque a enve de raliser d'imprissables chefs-d'uvre. Malheureusement, l'industrie du film n 'a rien voir avec ce qui est imprissable.

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  • A. Votre raisonnement me parat dangereux. Nous sommes, tout de mme, des artistes.

    B. Le pensez-vous rellement ? O est donc notre libert de cration, dans cette foire d'empoigne cosmopolite, gui a pour but de dbiter des rouleaux de cellulod ? Nous devons, ne l'oubliez pas, tenir compte de certaines rgles, que nous n'avons pas tablies mais que nous sommes nanmoins obligs de respecter.

    A. Nous qui voudrions crer quelque chose d'ambitieux, je dis nous , car je pense que, vous aussi, vous aimeriez vous ranger dans cette catgorie nous aurions tout intrt unir nos forces, pour le triomphe de nos idaux.

    B. Ruer dans les brancards ne servirait rien. Nous embterions nos commanditaires, et peut-tre aussi le public. Qu'obtiendrions-nous alors de plus, une fois qu'on nous aurait congdis ?

    A. Nous pourrions tenter d'veiller les sensibilits.

    B. Vous avez tort de vous imaginer que les sentiments d'un producteur pourraient se transformer, vue -d'il, en un brin de mimosa.

    A. Alors, que comptez-vous faire ?

    B. Savez-vous ce que l'on attend de nous?

    A. De la fiction.

    B. Appelez cela comme vous voudrez. Pour m a part, je l'appellerai du spectacle .

    A. Du spectacle ?

    B. Vous faites la fine bouche ? Mais, rflchissez un instant. Pour qui tra- vaillons-nous ? Pour le public. Qui nous observe ? Le public. Avec qui avons-nous rendez-vous ? Avec le public. Nous sommes exactement comme des acrobates de cirque, qui grimpent dlibrment sur la plus haute plate-forme, pour distraire la foule en accomplissant de dangereuses culbutes sans filet. A chacune de nos nouvelles performances, nous risquons de nous rompre le cou, et la rputation. Ces prouesses doivent tre assez russies, assez audacieuses, et assez diaboliquement attrayantes,

    Ingm ar Bergman pendant le tournage du Septim e sceau.

  • pour que l'auditoire puisse s'vader de lui-mme, oublier sa famille, ses douleurs, ses tourments, et ses soucis d'argent. Voil quelle est notre vritable mission.

    A. Mais, mon scnario ?B. Ce n'tait pas assez du spectacle .A. Peut-tre tait-il trop prs de la vie ?B. L n'est pas la question. Etre prs de la vie, o s'en tenir loign, sont

    deux maximes tout aussi valables. On peut les pratiquer simultanment, o en mme temps. Mais, seules, les culbutes sans filet constituent le vrai spectacle.

    A. Comment procdez-vous ?B. Je suis, avant tout, un raliste. Et, en ce sens, mon approche est assez

    facile.A. Quel est-votre mcanisme secret?B. Je considre chacun de mes nouveaux films comme devant tre le dernier.A. Cela doit tre bien dprimant !B. Assez, vrai dire. Mais, pas autant que vous le supposez. En effet, si je

    m'lance dans le vide avec ce sentiment, j'acquiers aussitt la paix intrieure, et un certain degr d'inaccessibilit. Ds lors, mon intgrit ne peut plus tre entame, et ma quitude demeure totale.

    A. Alors, vous devenez aussi spectaculaire que le diable.B. Je hais le public. Il m'effraie, et il m'attire. Je ressens l'incontrlable dsir

    d'agiter, de plaire, d'angoisser, de mortifier, et d'injurier. Ma servitude est pnible, mais stimulante, odieuse, mais satisfaisante. Chaque acte que j'accomplis est pi par des milliers de regards, de cerveaux, de curs et de corps. Avec une amre tendresse, joffre tout ce que je possde, et tout ce que. je peux acqurir ou drober. Et cela ne m'est possible qu'en me persuadant que chacun de mes nouveaux films sera le dernier-

    A. Une trange morale.B. Une trange morale effectivement, dans une profession o la morale est

    s-malaise dfinir, et o la plupart des gens ne s'aperoivent mme pas que, de toute manire, elle existe.

    A. Une incorruptibilit friable, et une respectabilit qui se prostitue ! Cela m'ouvre des horizons. Sans parler du crateur assimil un acrobate !

    B. Si vous continuez confondre l'art et les artistes , vous serez bon, tout au plus, devenir un critique, o quelque autre pquin de ce genre, friand d'ides infantiles.

    A. Cependant, le film est une forme d'art.B. Indubitablement. Il en est une, comme ces plantes exotiques qui fleurissent

    de manire inattendue et capricieuse, aprs de nombreuses annes d'attente et de mrissement.

    A. Vraiment ?B. Je n'en suis pas compltement sr, mais c'est possible.A. En ce cas, il ne me reste plus qu ' crire un livre, en utilisant la matire

    de mon scnario refus, et vous abandonner votre dsesprante profession. Ne prenez surtout pas la peine de me fliciter pour cette dcision irrvocable.

    B. Je n'y tiens pas spcialement.A. Alors, adieu.B. : Adieu.

    {.Adapfafion franaise de Jean Branger.)

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  • Luis Bunuel pendant le tournage de Nazarin.

    LA P A S S I O N SELON BUNUELpar J.-F. Aranda

    Le peu que vous avez vous sera enlev. (Evangile selon saint Jean)

    Nazarin reprsentera sans doute le Mexique au prochain festival de Cannes. Si les films signs Bunuel sont toujours curieux et passionnants, tout laisse penser que Nazarin sera des plus beaux, parce que des plus dsesprs. Luis Bunuel lui-mme n 'a pu s'empcher de rvler au Hollywood Film Quarteily qu'avec El et L'Age d'or, c 'tait l'une de ses trois tragdies prfres.

    Tout cependant n 'avait pas m arch tout seul. Bunuel avait hsit trs longtemps avant d 'en entreprendre le tournage, chagrin qu'il tait par l'insuccs relatif de La Mort en ce jardin. Divers projets franco-mexicains ayant ensuite chou, et The Beoved One (d'aprs le roman d'Ehrlich, avec Alec Guiness, pour le producteur Inge Preminger) ayant t, lui aussi, mis sur une voie de garage, c'est alors que

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  • Luis Bunuel prit la dcision de retourner chez sa vieille matresse, le mlodrame national mexicain, genre qui lui avait dj port chance avec El Biuto et Suscrna.

    Il y avait d'ailleurs dix ans qu'il dsirait tourner Nazarin. Parmi la foule de scnarios qui restent dans ses tiroirs, c'tait celui auquel Bunuel tenait le plus, et qu'il n'aurait laiss filmer sous au cu n . prtexte par un autre metteur en scne. Tel Nuestra Natacha, crit Madrid en 1936 et film par les Argentins en 1938. Tel encore The Best v/ith five Fingeis, crit pendant un sjour la W arner et film plus tard par Robert Florey. Tel surtout un merveilleux scnario intitul Los Amores de Goya, spcialement crit pour l'actrice espagnole en exil Rosita Diaz Gimeno (marraine du plus jeune fils de Buuel), et qui fut bien tourn avec elle, mais par un minable ralisateur mexicain. Quant Nazarin, mme le fidle Oscar Dancigers avait refus de le produire. Et c'est finalement Manuel Barbachano Poncer producteur attitr d'un autre Espagnol, Carlos Velo (Racines, Toro, Mexico Mio), qui accepta de partir l'aventure.

    Un match Bunuel=Figueroa

    Barbachano a donn Bunuel un budget moyen, mais six semaines de tournage au lieu des quatre coutumires dans la production courante mexicaine. Toutefois, compar aux films d'Emilio Femandez ou Gavaldon, Nazarin apparat comme une entreprise de modeste envergure. Le tournage fut difficile et le montage dura trois mois. C'est dire que Nazarin est l'une des uvres'les plus soignes de Buuel qui, bien malgr lui (il y a pourtant des critiques qui pensent qu'il adore a), a fait presque tous ses films dans la hte.

    Une fois de plus, Gabriel Figueroa s'est charg d'orchestrer la lumire, oubliant qu'il avait su sang et eau pendant Los Olvidados, Bunuel, en effet, lui avait cach tout son arsenal de filtres pour le forcer obtenir ce style de photo poussireuse, biblique, o se rejoignent dans une trange fusion les corps, la terre et les cieux. Et dans Nazarin, Figueroa y est admirablement parvenu, beaucoup mieux que dans Los Olvidados, o son dsir d'une certaine recherche plastique contrecarrait trop lasctisme originel de Bunuel.

    Aujourd'hui, le chef oprateur de Bio Escondido et le metteur en scne de Terre sans pain sont devenus les meilleurs amis du monde. J'ai trouv le truc pour travailler avec Luis, affirme Figueroa. 11 n y a qu' planter la camra devant un superbe paysage, avec des nuages magnifiques, des fleurs merveilleuses, et, quand vous tes prt, vous tournez Je dos foufes ces beauts, ef vous filmez une route caillouteuse ou des rocs pels. Pour le tournage de Nazarin, Bunuel et Figueroa avaient mis au point un systme de conversation tout fait eux, consistant s'injurier de faon permanente, et s'envoyer la tte l'un de l'autre les pires obscnits et insultes. On rigolait beaucoup. A tel point que la direction du studio eut ensuite un mal fou convaincre ses cenf-vingt employs que leur prsence n'tait pas constamment indispensable sur le plateau, car ils arrivaient tous, ponctuellement, huit heures du matin, pour assister au match Buuel-Figueroa.

    Nazarin ou 1 antichurro

    Un peu avant le dbut des prises de vues. Luis Bunuel accorda une interview pleine d'humour la revue Mexico En La Cultura (n 478, 11 mai 1958 : L. B. hace la anatomia del churro cinematogiaico). Le churro (friture- ; en mexicain populaire : dchet) cinmatographique, expliquait-il, peut l'occasion tre tourn avec une technique parfaife, des acteurs remarquables, un dialogue tincelant. Le churro peut iort bien dcrocher un Oscar ou se faire applaudir dans les festivals. Il n 'a pas de prix fixe. Au Mexique, nous en avons fait beaucoup pour 600.000 pesos, alors quHol- lywood, pour un seul, va jusqu' mettre dix millions ...de dollars. Le churro se caractrise par une attitude mentale aussi strile que dmode. C'est la srie classique

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  • Un ancien forgeron, Francisco Rabal, joue le rle de Nazarin ( droite).

    d'motions, amour, haine, dou/eur, etc., mesure l'aune du pardon Je plus vil : assassin doit mourir, la putain doit se racheter, le Bien doit triompher du Mal : a, c'est de la paresse mentale ! Et Bunuel terminait en citant El comme l'exemple parfait de l'anfichurro.

    Nazarin en sera un autre exemple. Bunuel l'a adapt d'un roman de Perez-Galdos datant du sicle pass. L'action, qui se droulait lors des guerres du. libralisme espagnol, a t transporte aux premiers jours de la rvolution mexicaine. Mais la fidlit au rcit original n'est pas diminue pour autant. Avec Les Hauts de Huilevent, Luis Bunuel avait dj prouv que rien ne vaut le nouveau Mexique pour tre fidle la vieille Europe.

    Tout comme Bunuel, Galdos tait un penseur la fois profondment attach aux traditions catholiques et en violente raction contre elles. Nazarin est un prtre, comme on en voit dans presque tous les films de Bunuel. Mais cette fois, il ne s'agit pas d'une sorte d'anti-hros, jouant son rle en contrepoint de ceux des autres personnages, et mettant ainsi jour le conflit entre Socit et Morale d'une part, et Individualit et Amour de l'autre. Dans Nazarin, c'est le prtre qui est le seul hros, et le conflit clate en lui-mme. Son drame nous touche davantage, parce qu'il est plus profond en mme temps que plus contradictoire.

    Le Christ pile et faceIl y a des gens qui affirment que Bunuel est le crateur le plus blasphmatoire et

    antichrtien du cinma. D'autres disent que, malgr tout, il est le seul faire des films vraiment religieux. Il y a peut-tre du vrai dans les deux. Pour comprendre ce paradoxe, il faut tre Espagnol. Bunuel n'est pas un esprit religieux. Nonobstant, sa

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  • dmarche est celle des Pres de l'Eglise. Il part des mmes interrogations : Pourquoi les hommes physiquement et moralement les meilleurs sont-ils le plus souvent astreints une vie misrable ? Pourquoi l'homme est-il malheureux dans un milieu o, biologiquement parlant, il ne devrait pas l'tre ? Et si, finalement, Bunuel, en contradiction flagrante avec la morale du Christ, donne sa propre rponse, il n'empche que ses films, imitant ceux de Dreyer, ont pris l'envol dans la plus chrtienne des attitudes, En ce sens, on peut dire que Nazarin rendra lcr monnaie de sa pice cm Journal d'un cur de campagne dont il sera en quelque sorte l'envers, le ngatif. Bresson ayant pari face, Bunuel parie pile. Mais ils pourraient trs bien se retrouver en fin de compte galit, car ce drame, cette pice, ressemble peut-tre celle que lance en l'air Bob le Flambeur en sachant d'avance qu'elle prsente des deux cts la mme face, en l'occurrence : la Sainte Face.

    Dans La Mort en ce jardin, nous avions un prtre parfaitement bon aux yeux de l'Eglise, mais dsastreux pour son entourage. Dans Nazarin, nous avons le contraire. Don Nazario est un tout jeune prtre, humble, dpourvu d'initiative, peut-tre pas trs intelligent, mais plein de tendresse et de charit. Il est trs pauvre et non seulement il ne trouve rien de mal a, mais il est de ceux, bnis, qui pensent que l'Eglise ne perdrait rien vivre uniquement d'aumnes, comme Dieu ordonna de le faire.

    Don Quichotte et ses deux Sanchos

    Au commencement du film, nous voyons Don Nazario ayant achev de dire la Messe. Il reoit de son suprieur, l'abb, quelques sous pour ses B.A. de la semaine. Aprs quoi, il rentre chez lui. Nazario demeure dans un meson, grand difice mexicain avec des chambres donnant sur un patio central. L, demeure une trange faune humaine qui semble venir tout droit d'un roman picaresque espagnol, tous gens produits du mme moule : la misre. Ils aiment Don Nazario, mais le respectent peu et l'appellent, en se moquant : Nazarin . Parmi eux, il y a une petite putain (Rita Macedo), ainsi qu'une- jeune Indienne (Marga Lopez), matresse d'un autre locataire du meson, un pileptique.

    Un jour, la putain se bat avec une autre putain, et la tue. Elle demande aide et protection, mais seul Nazarin vient son secours. Il la soigne pendant qu'elle dlire, et dort la nuit dans sa chambre, assis sur une chaise, faisant des prires pour la gurison physique et morale de la putain. En m m e temps, il tente de lui inculquer l'amour de Dieu, dont elle ignore jusqu'au nom. Mais, peu peu, nous nous rendons compte que si l'amour s'veille bien en elle, c'est de l'amour pour Na2arin. Elle ne s'en aperoit pas, mais Nazarin si, et il s'en afflige beaucoup.

    Entre temps, l'Indienne demande aussi l'a ide spirituelle de Nazarin, et le mme phnomne se rpte. Nazarin, pur fils de Dieu, souffre de sentir son chec. Toutes ces squences sont traites par Bunuel avec une lgre touche d'humour, avec cette acidit que l'on dtectait chaque plan d'Archibaldo de la Cruz. L'acteur qui joue Nazarin {Francisco Baba!) donne au rle une subtile qualit de comique et de pathtique en mme temps. Il s'agit d'un modeste forgeron qui s'tait introduit frauduleusement dans le cinma espagnol, et que Bunuel range, avec ce film, parmi les tout grands acteurs.

    L'administratrice du meson, qu'au Mexique on appelle chanfaina, avise Nazarin que la police a dcouvert le crime de la putain. Ils savent non seulement que Nazarin ne l'a pas dnonce, mais encore qu'il cohabite avec elle. S'ils ne disparaissent pas tous les deux, tout le monde ira en prison. La putain met alors le feu sa chambre (trait qui pourrait paratre exagr mais est, vrai dire, une raction trs mexicaine), et Nazarin s'en va. A peine a-t-il march quelques mtres sur la route, qu'il voit avec tonnement qu'il est suivi par les deux femmes. Il essaye de les convaincre de le laisser seul, mais elles, pleines de gratitude, ne veulent pas l'abandonner.

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  • Ici commence la partie centrale du film, dans un style trs picaresque et assez donquichottesque . Bunuel, quand il mit ses trois personnages sur la route, s'exclama : A Dieu vat Don Quichotte avec ses deux Sancjios / Au cours de leur plerinage, Nazarin et ses compagnes arrivent dans une ville isole cau se de la peste. Nazarin, sans hsiter, y entre pour aider les moribonds. Bunuel nous donne l'am biance par de brefs plans qui ont la duret des eaux-fortes de Goya. Pendant le tournage, il s'amusait jeter sur les vtements des acteurs du riz l'eau, avec une petite cuillre, pour simuler les vomissures du cholra.

    On retrouve Nazarin au chevet d'une agonisante qu'il exhorte se confesser tout en lui administrant l'extrme-onction. Mais la mourante ne pense qu' son amant. Nazarin l'exhorte derechef au repentir. L'amant arrive. Nazarin veut l'empecher d 'entrer dans la chambre, mais il n 'y russit pas, et la femme meurt doucement dans les bras de son gigolo. Nazarin, appuy la porte, regarde la scne, impuissant, confus, savourant l'amertume du fiasco.

    Pendant ce temps, la putain a trouv un nouveau compagnon, un nain, que Bunuel a choisi videmment cause de sa faon de marcher comme une araigne. C'est un type plein de virilit qui rpte sans cesse la femme : Tu es bien laide, mais je t'aime. Nazarin s'apprte alors continuer son voyage seul, lorsque soudain la police arrive et coffre tout le monde. On l'emmne en prison pour n'avoir jamais rien fait d'autre que le Bien. L, il est brutalis par un parricide (Aleves Mejia, qui jouait le chauffeur dans Subida al Cielo). Un vaurien prend la dfense de Nazarin et le protge des coups.

    Luis Bunuel, le nain et Gabriel Figueroa.

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  • Les bourgeois et l'ananas

    C'est l que se place le dialogue cl du film : Pourguoi as-tu t si jbon ? lui demande Nazarin. Je n'ai rien fait , proteste le vaurien, Mais si, insiste Nazarin, tu as fait une bonne action pour moi. Tu paries, rpond l'autre. On faif sans arrf des choses, aprs on les ciasse : bonnes ou mauvaises. Moi, c'est toujours mauvais. Je suis sr que je t'ai fait du mai. Nazarin veut savoir quand mme ce qui l'a pouss le sauver. Peut-tre que c'tait a p p e l de la race : toutes tes actions se traduisent en Bien, comme ies miennes en Mal. Nous sommes les hors-la-loi. Nous devons nous aider mutuellement pour viter que la Socit ne nous dtruise. Si elle ne le fait pas, nous, les Saints et les Criminels, nous la liquiderons.

    Effectivement, le vaurien avait fait du mal Nazarin. C'est partir de ce dialogue que le solide chafaudage spirituel de Nazarin commence s'crouler. On transporte Nazarin la prison centrale. Malgr ses protestations, considrant son rang de prtre, on le spare des autres bagnards. Il s'en va par la route avec ses vtements dchirs d'Indien (il avait donn ses habits de laine un homme en train de mourir de froid), accompagn par un charro, policier au grand chapeau typiquement mexicain.

    Le flic s'arrte pour acheter quelques pommes une femme. Elle regarde Nazarin avec curiosit. Et toi, qu'as-tu fait pour marcher les mains attaches ? demande- t-elle. Nazarin baisse la tte. Alors la femme dpose entre ses mains, forces au geste d'oraison par la corde, un gros et bel ananas. Nazarin, horrifi, regarde le fruit : cette femme lui fait un cadeau gnreux, non parce qu'il est innocent, mais parce qu'elle croit qu'il est un criminel. La cam ra se rapproche du visage de Nazarin, et un long gros plan nous montre son motion, la faillite de ses principes. Sa foi de tant d'annes avait donc des fondements chimriques ? Les valeurs absolues sont des mythes ? Marchant vers la prison centrale, Nazarin mdite alors sur la valeur du Bien et du Mal. N catholique, il ne cessera pas de l'tre. Mais sa foi a t branle. Une nouvelle faon de voir le monde, un doute fcond, un dsespoir vital l'accompagneront jusqu' la fin.

    Quand fut tourn le plan, trs surraliste, de Nazarin regardant l'ananas : C'est formidable, cria Bunuel Figueroa, tu comprends, les bourgeoises interprteront ce plan comme si Nazarin dtestait l'ananas, donc elles pourront rentrer tranquillement phez elles, et dormir du sommeil des justes.

    J. F. ARANDA.

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  • Norbert Carbonnaux et Darry Cowl pendant le tournage du Temps des ufs durs.

    J E V O U S S A L U E , F R E D D Y

    Sujet d e film de N o rb e r t C a rb o n n au x 01

    ( F i n )

    Cette dame veut relever la pgre ? Ils vont jouer les repentis- On commence par renvoyer Jacotte. Trop gourde pour une opration aussi dlicate. Aprs quoi on se fabrique un pass propre mouvoir une grande dame, a Lentrecte est de la petite bire ct du rcit pitoyable dont Paolo et Gaby gratifient Mme Grossac.

    Honnte employ chass pour indli- catsse, commence Paolo.

    Viole seize par un fils de famille, enchane Gaby.

    Suit une cascade daffreux malheurs... Cen est trop. Ils en pleurent. Mme Grossac y va de sa petite larme. La partie est gagne, lis sont engags sur-le-champ.

    *

    Stupfaction de Marcel Grossac son rveil. La femme de chambre style, le valet impeccable, sont remplacs par ce couple extravagant.

    (1) La prem ire pa rt ie de ce scnario a p a ru dans no tre numro 90.

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  • Trop gourde pour une opration aussi dlicate.

    Les autres n'taient quhonntes, mon chri, explique Mme Grossac. Us n'avaient aucun mrite. Ceux-ci vont le devenir et c'est cela l'essentiel...

    En attendant, le plateau du petit djeuner atterrit sur le lit quil inonde et Grossac se trouve propuls dans une baignoire deau bouillante. Il n'en est pas, en ce qui concerne sa femme, une extravagance prs, mais, cette fois-ci, il s inquite un peu. Le soir mme, il a chez lui un dner important. Il y aura autant de kilos de brillants que de ministres. II n'est pas sans apprhension et regrette dj la futilit charmante de sa femme. Mais Mme Grossac, justement, a honte davoir t si longtemps un tre futile, inutile.

    Comment a-t-elle pu vivre. jusqu Ce jour dans un tel nant ? Elle vient d tre enfin touche par la grce. Elle a une mission remplir. Elle la remplira. Une petite aurole est venue brusquement orner cette tte charmante que lon avait pu croire longtemps si agrablement creuse.

    I

    Le dner a lieu. Le gratin du Tout Paris y transpire avec son habituelle distinction.

    Pia-pia mondains. Surprise extrme devant un service o ltrange le dispute la dsinvolture. Annonce de Mme Grossac. C'est un triomphe. Le fin du fin. Toutes ces dames veulent adhrer aux k Pcheresses repenties . Mme Grosasc exulte. Les quelques connaissances inculques dans la journe font merveille.

    Margnan, demande-t-elle brle-pourpoint ?

    1515, rpond docilement Paolo, en faisant valser la saucire, tandis que Gaby glisse perfidement loreille dun ministre :

    Alors ! On ne dit plus bonjour ?Fort heureusement un gnral, un rien

    vaincu sur les bords, enchane firement : La charnire de Sedan m a claqu dans

    les doigts. J'ai recul sur la Somme. J ai recul sur la Loire. Et j ai perdu plus que ma part d Indochine. Si on doit garder le peu qui nous reste, je ne dis rien ; mais si on doit le perdre, je nadmettrai pas quun autre que moi... C est le moment que choisit Gaby pour sapprocher de Mme Grossac :

    Il y a Mado la vache qui demande Madame au tlphone.

    Mme Grossac prend cong d un gracieux sourire. Trois coups de feu lui ptent aux oreilles. Dinstinct, le gnral lve les mains.

    Simple avertissement, prcise aimablement Paolo qui parabellum en main, rafle en moins de deux les portefeuilles et les bijoux de l'aimable assistance. Main de Gaby fermant le compteur d lectricit. Noir. Fondu. La lumire revient- Le Tout Paris jonche le sol, ligot, billonn. Plonge dans de profondes rflexions, Mme Grossac arpente nerveusement la pice.

    Ce qui la proccupe, cest le coup de tl-Rhone de Mado la Vache quelle a manqu, ado est, de notorit publique, la matresse du grand Freddy, cad suprme, le vrai, lunique. Si Mado venait aux a Pcheresses repenties , toute la pgre suivrait. Le tlphone sonne. Mme Grossac se prcipite. Pleine d espoir. Dception. Ce nest que le commissaire. Le pauvre Paolo nest pas all bien loin avec son butin. II sest fait cueillir en sortant de chez les Grossac. Les bijoux sont retrouvs.

    Mme Grossac annonce tristement la nouvelle ses invits et se met en devoir de les librer.

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    Scne d meute au commissariat. Les invits de Mme Grossac, appels reconnatre leur bien, sarrachent diamants, colliers de perles et liasses de billets. On en vient aux mains. Iniuren. Pac^rre anp-aV Db qtAz commissaire doit faire appel Paolo. Menottes aux mains, ce dernier se prte de bonne grce une redistribution quitable.

    - La rivire de diamants n est pas la grosse rouquine, mais la petite vieille, etc.

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  • La charnire de Sedan ma claqu dans les doigts.

    Au Pond, lincident sera class dans les souvenirs pittoresques. Un succs que cette soire. Mme Grossac pardonne. Le couple est relch- Paolo constate tristement que, cette fois encore, sa photographie_ ne paratra pas la une. Dsabuss, i\s rejoignent leur refuge : la rue Caumartn, le bar. Une surprise les y attend : leur fille. Transforme. Lointaine. Elgante. Mystrieuse... Elle est, depuis la veille, la matresse de Freddy ! Stu-Jfaction. Admiration des parents. Sollicite, acotte sexplique.-

    Rve-t-elle 7 Srement- En tout cas, son rve est visible. Tous les poncif's runis de la Srie Noire dfilent sous nos yeux. Elle invente. Improvise suivant les questions de Paolo et de Gaby. Surenchrit chaque fois... Et nous voyons Freddy, toujours de dos. Vtu du fameux costume prince^ de Galles, entrant dans le bar flanqu d une anglo- saxonne carrosse, emperlouze la perfection. Ds quil aperoit Jacotte, il laisse choir cette crature de rve, Vampe Jacotte et lentrane aussi sec. Dans la rue ; coups de feu

    Bless ! crient Paolo et Gaby.- Dans le gras du bras, comme toujours,

    rpond Jacotte. De faon pouvoir risposter-Effectivement, Freddy riposte. Deux coups

    de feu. Deux cadavres dans le ruisseau. Le revolver encore fumant la main, Freddy entrane Jacotte dans sa somptueuse voiture amricaine, sous le nez de deux Jiirondelles

    qui lui collent une contredanse pour dfaut de disque de stationnement... La voiture dmarre. Petit filet de sang sur la main de Freddy. Jacotte lui fait amoureusement un pansement avec son mouchoir.

    Une salope qui laura donn, murmure Gaby.

    Oui, cest a... une vrai salope, suren- 'chrit Jacotte.

    La voiture fait machine arrire. Freddy descend. Gifle monumentale, faisant subitement voler la chevelure d une fille, subitement apparue prs d un rverbre.

    Jacotte poursuit son rcit : Freddy lentrane dans une de ses nombreuses garonnire o un repas froid parfait attend tou- jours_ dans le frigidaire. Nous ne voyons jamais que des lments de Freddy. Soit ses yeux, soit sa bouche, soit ses chaussures, soit sa silhouette, mais jamais son visage-..

    Bouteille de champagne en main. Le bouchon saute. Musique douce- Freddy, entreprenant, a un geste vers la fermeture clair de Jacotte. Dnudant son paule. Raction pudique de Jacotte et dclaration d amour de Freddy, dans le style :

    - Tu ne vas pas me Paire croire que t as encore ton berlingue ?

    D