1 Avril I

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1 Avril I

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UN SAINT

COLLECTION DE VIES DE SAINTS

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UN SAINT

pour chaque jour du mois

AVRIL

SAINT HUGUES

vque de Grenoble (1053-1132).

Fte le 1er avril

A Chteauneuf-dIsre, deux lieues de Valence, le voyageur aperoit sur une colline dominant un bois les ruines dun vieux chteau: cest le chteau de saint Hugues.

L vivait, au milieu du XIe sicle, un noble et pieux seigneur, nomm Odilon, qui stait rendu illustre par son courage dans la carrire des armes. De son second mariage il eut plusieurs enfants, et lun deux fut saint Hugues. Une trentaine dannes plus tard. Odilon se fit moine la Grande-Chartreuse, et cest l quil mourut en saint, g de cent ans, entre les bras dHugues, devenu vque de Grenoble. La femme dOdilon reut aussi avant de mourir les sacrements de la main de son illustre fils.

Un songe mystrieux.

Quelques temps avant la naissance du futur vque, sa mre avait eu un songe mystrieux: il lui semblait que son enfant tait pris par saint Pierre et port au ciel au milieu dun cortge de bienheureux. Frapp de ce fait, Odilon rsolut de donner les plus grands soins lducation dHugues, n en 1053. Celui-ci, ds le jeune ge, imita la pit de ses parents. Il avait un extrme dsir dapprendre les sciences ecclsiastiques, et aprs avoir tudi avec succs au collge de Valence, il alla suivre les cours de la clbre Universit de Paris.

Saint Hugues, chanoine de Valence.

Une ardente pit et une ardeur infatigable au travail prservrent ltudiant des prils de la jeunesse au sein dune grande ville. Il revint Valence humble, savant et pur. Lvque du diocse, aprs lavoir initi la clricature, le nomma chanoine, avant mme de le promouvoir au sacerdoce. Hugues commena ds lors tre le modle des ecclsiastiques.

On avait grand besoin, cette poque, daussi pieux exemples. Une partie notable du clerg avait t envahie par la dcadence intellectuelle et morale.

La faute en tait principalement aux souverains et aux seigneurs, qui, opprimant la libert de lEglise de Jsus-Christ et violant ses lois saintes, vendaient les dignits ecclsiastiques. Ce fut lhonneur du Pape saint Grgoire VII de consacrer sa vie lutter pour la libert de lEglise et la rforme des abus. Hugues de Romans, vque de Die, nomm par ce pontife lgat en France, connut Valence le jeune chanoine et lattacha sa personne.

Il lamena avec lui Lyon, puis au Concile dAvignon, tenu en 1080, o lon seffora de porter remde aux maux de lEglise. Pendant ce Concile, des dputs du clerg de Grenoble vinrent demander Hugues de Chteauneuf pour vque. Le lgat du Pape applaudit ce choix; mais cette nouvelle fut un coup de foudre pour lhumble chanoine. La responsabilit dune pareille charge, en des temps si difficiles, laccablait dpouvante. Il supplia avec larmes le lgat et les vques dagrer son refus. Il allguait son ge il navait que vingt-sept ans et son incapacit.

Mais cette humilit ne fit quaugmenter lestime quon avait de ses vertus. Le lgat lui dclara que ce serait rsister lEsprit-Saint que de persister dans son refus, et le fils dOdilon, qui ne craignait rien tant que doffenser Dieu, se soumit en tremblant.

Saint Grgoire VII sacre saint Hugues vque de Grenoble.

Un question dlicate se prsentait. Rgulirement, le nouvel vque de Grenoble aurait d tre sacr par son mtropolitain, larchevque de Vienne. Mais ce prlat, nomm Varmond, tait accus de simonie par lopinion publique, et Hugues ne voulait rien avoir de commun avec lui avant que la cause de larchevque et t juge.

Le lgat trouva une solution facile de cette difficult: il invita son ami aller se faire sacrer Rome par le Pape lui-mme; et, en attendant, il lui confra lordination sacerdotale. Pendant qu Rome le pieux prtre se prparait lpiscopat dans le jene et la prire, le dmon lui suscita tout coup de grandes peines intrieures et le poussa notamment blasphmer la Providence. Comme la tentation ne voulait pas cder, Hugues sen ouvrit humblement au cardinal sur les conseils de qui il tait venu dans la Ville Eternelle, esprant que cette preuve le prserverait peut-tre de lpiscopat. Je crains, lui dit-il, que Dieu ait permis cette tentation pour me punir de la prsomption que jai eue daccepter lvch de Grenoble.

Le cardinal le consola, et, pour lui ter tout sujet de crainte, il lengagea prendre conseil du Pape saint Grgoire VII, qui tait fort expriment dans les voies spirituelles.

Hugues suivit la suggestion en toute humilit et sincrit. Le dmon prvoit le grand bien que vous tes appel faire dans lpiscopat, lui rpondit le Pape: il vous a suscit cette preuve afin de vous jeter dans le dcouragement et vous empcher de rien faire. Mais, ayez confiance, la grce de Dieu vous suffit. Le Seigneur a permis cette tentation afin que, restant dans lhumilit, vous soyez un instrument plus docile entre ses mains.

Cest en effet, ce qui arriva. Pendant tout son piscopat et jusqu sa dernire maladie, Hugues fut en proie des crises spirituelles et des tentations de blasphmes, sans cependant y succomber jamais. Ainsi, toujours humble et dfiant de lui-mme, il appelait sans cesse Dieu son secours; et, avec laide de la grce, il oprait des merveilles.

Saint Grgoire VII, aprs avoir consol et fortifi son nouveau disciple, lui confra la conscration piscopale. La clbre et pieuse comtesse Mathilde, qui tait alors, en Italie, la protectrice temporelle du Saint-Sige, voulut pourvoir elle-mme tout ce qui tait ncessaire la crmonie. Elle offrit ensuite au nouvel vque une crosse, le livre De officiis de saint Ambroise et un psautier avec les commentaires desaint Augustin.

Saint Hugues Grenoble.

Hugues partit alors pour son diocse, muni de la bndiction du Pape. Il le trouva dans un tat dplorable: lusure,la simonie, la tyrannie de certains seigneurs, qui se moquaient des lois de lEglise et opprimaient le peuple, la dbauche, les mariages entre trs proches parents ou sacrilges, et bien dautres dsordres menaaient de changer en barbarie la civilisation chrtienne. Les revenus de lvch avaient t dissips en grande partie par des prlats simoniaques, en sorte que le nouvel vque avait peine de quoi vivre. Il se mit pourtant rsolument luvre, employant tous les moyens que sa prudence, son dsir de la gloire de Dieu, son zle pour le salut des mes, pouvaient lui suggrer. Aux prdications, aux remontrances, aux censures ecclsiastiques, aux exhortations, il ajoutait les larmes, les prires, les aumnes, les jenes et tout ce qui pouvait attirer sur son peuple la grce et la misricorde de Dieu.

Cependant, au bout de deux ans de travaux, voyant que ses efforts restaient sans rsultats apparents, il se demanda avec effroi si son dfaut de saintet ntait pas la cause de la strilit de ministre. Dans cette pense, il senfuit de Grenoble, en 1082, et il alla se rfugier au monastre de la Chaise-Dieu, de lOrdre de Saint-Benot. Son dessein ntait pas dabandonner son vch sans autorisation, mais de se prparer, par au moins deux ans de retraite et de vie monastique, aux travaux difficiles de lapostolat. Il voulut recevoir lhabit religieux et se mit observer fidlement la rgle en toutes choses comme le dernier des moines, sexerant sans cesse la prire, lhumilit et la pnitence. Cependant saint Grgoire VII, ayant appris que lvque de Grenoble stait retir dans un couvent, lui envoya lordre de reprendre immdiatement le gouvernement de son diocse. Ce troupeau abandonn ne pouvait se passer si longtemps de son pasteur. Hugues ne voulut pas dsobir au Vicaire de Jsus-Christ, et ds quil eut reu lordre du Pape, il repartit pour Grenoble. Il navait pass quun an au monastre; mais il y avait appris une grande science: celle de loraison et des entretiens intimes de lme avec Dieu. Hugues tait devenu un homme de prire. Ce fut l sa force et sa consolation durant le reste de sa vie.

Fondation de la Grande-Chartreuse. Saint Hugues et saint Bruno.

Trois ans aprs son retour en sa ville piscopale, lvque de Grenoble eut un songe. Il lui semblait que Dieu lui-mme se construisait une habitation dans le dsert de son diocse et que sept toiles lui en montraient le chemin. Peu aprs, il vit arriver en sa prsence sept hommes qui cherchaient un lieu propre la vie rmitique: ctaient saint Bruno et ses compagnons. Hugues reconnut en eux les sept toiles et les conduisit dans la solitude de la Chartreuse, la mme quil avait vue en songe. Ctait en 1084. Les moines y btirent le monastre qui devait tre le berceau de leur Ordre.

Le saint vque navait pas de plus sensible consolation que daller souvent la Chartreuse sdifier de la vie mortifie quy menaient les pieux solitaires. Mais ceux-ci taient encore plus frapps de son humilit que lui-mme ne pouvait ltre de leurs austrits. Il vivait parmi ces moines comme sil et t le dernier dentre eux. Sa ferveur lui faisait oublier sa dignit, et il rendait les plus humbles services au religieux avec qui il logeait, car dans les commencements, les Chartreux habitaient deux par deux dans une seule cellule.

Le prlat semblait mme se complaire tellement dans cette attitude, que son compagnon laccusa auprs de saint Bruno de vouloir sabaisser au rang dun valet. Tel tait lattrait dHugues pour la vie humble et cache quil ne pouvait se dcider quitter la solitude. Le fondateur de lOrdre cartusien dut plusieurs fois prendre la libert de le renvoyer son Eglise:

Allez vos ouailles, lui disait-il, elles ont besoin de vous; rendez-leur ce que vous leur devez.

Hugues obissait Bruno comme son suprieur, et quand il avait pass quelque temps avec son peuple, il venait reprendre de nouvelles forces dans la solitude.

Les vertus de lvque de Grenoble.

Revenu du dsert de la Chartreuse au milieu de ses travaux apostoliques, il sefforait de conserver lesprit de prire et de recueillement. Il passait de longues heures dans la contemplation, et souvent il tait ravi en extase. Il en sortait merveilleusement fortifi contre les peines intrieures et extrieures, contre les infirmits du corps et contre les difficults de lapostolat.

Dans son palais piscopal, Hugues ntait pas moins austre qu la Chartreuse; ses jenes, ses veilles et ses autres mortifications taient terribles; peut-tre mme dpassa-t-il la mesure dune sage discrtion, car son estomac en contracta une maladie douloureuse et chronique. Toutefois, ses intentions taient droites, et ce surcrot de maux contribua encore sa sanctification.

Lvque de Grenoble prchait souvent, mais sans prtention, sans souci des applaudissements des hommes, uniquement proccup dclairer les mes, de les convertir et de les ramener au bien. Son cur, dbordant damour de Dieu et de zle pour le salut de ses auditeurs, rendait sa parole vive, pressante, entranante et pathtique. Il tait difficile de lentendre sans tre touch par la grce. En descendant de chaire, le prlat se rendait au confessionnal et les pcheurs se pressaient ses pieds. On le vit souvent verser des larmes au rcit de leurs fautes si bien que les coupables en taient remplis de componction.

Ses vertus le rendaient cher tous ceux qui avaient lavantage de le connatre, et ctait un charme de vivre en sa compagnie; car, bien que trs austre et trs dur pour lui-mme, grce sa bont naturelle, rehausse par une exquise charit, il tait un modle de douceur et daffabilit.

Trs compatissant pour toutes les afflictions, il sefforait dy remdier autant que cela dpendait de lui. Les pauvres taient ses enfants, et il se privait souvent lui-mme du ncessaire pour les secourir. Un anne de disette, il vendit son anneau et son calice dor afin desoulager les indigents de Grenoble. Ministre du Dieu de paix, il regardait comme une des meilleures uvres de charit dapaiser les diffrends et de rconcilier les personnes ennemies. La renomme de sa justice et de sa droiture tait grande. Peu lui importait que le plaignant fut riche ou pauvre, puissant ou inconnu, ami ou adversaire: il ne considrait que la justice de la cause. Jamais il ne reut de prsent daucune des parties, estimant que lil du juge est aveugl.

Un comte, nomm Guy, qui avait souvent rsist aux justes remontrances du saint vque, au point que celui-ci avait t oblig de lexcommunier deux fois, avouait cependant en public que jamais mensonge ntait sorti de la bouche de lhomme de Dieu.

Beaucoup le choisissaient pour arbitre, et nul naurait os en appeler de sa sentence. Sil rencontrait des personnes ennemies qui refusaient, malgr ses exhortations, de se rconcilier ensemble, il nhsitait pas, lui vque, de se jeter leur pieds pour les conjurer de pardonner, et il ne les laissait partir quaprs les avoir rtablies dans la paix. Au milieu de la foule et dans ses relations avec le monde, sa modestie tait dune extrme rserve, jusque dans ses regards.

Saint Hugues aptre de la paix.

Les gens de son entourage furent un jour choqus de voir une dame se prsenter son audience dans une mise des plus mondaines; ils se plaignirent ensuite au prlat de ce quil navait point rprimand cette personne: le bon vque dut alors avouer quil lavait coute sans la regarder ni remarquer sa toilette. Il recommandait beaucoup cette modestie des yeux, dclarant que, sans elle, on ne peut que difficilement se prserver des penses mauvaises.

Hugues refuse de prter loreille aux conversations mdisantes et peu charitables. Il suffit bien chacun, disait-il, de savoir ses propres pchs pour les pleurer et en faire pnitence, sans se soucier encore de connatre ceux des autres, ce qui ne peut servir qu blesser la conscience.

Linfatigable pontife mit un zle tout particulier faire refleurir parmi le clerg de son diocse les vertus que rclame la saintet du ministre sacerdotal. Aprs de longues annes de travaux, il eut la consolation de voir ses diocsains revenir en grande majorit une vie vraiment chrtienne. Ce qui contribua surtout ce changement, ce furent ses prdications et ses efforts pour ramener les fidles aux sacrements de Pnitence et dEucharistie. Le Dauphin relevait alors de lempire dAllemagne. Lorsque lvque de Grenoble apprit le crime du tyrannique empereur Henri V qui stait empar tratreusement du Pape Pascal II et lavait accabl de mauvais traitements pour lui arracher des concessions abusives, il runit un Concile Vienne (1112) et y fit excommunier le prince. Nous lanathmatisons et le sparons du sein de lEglise, disait-il, jusqu ce quelle reoive de lui une pleine satisfaction.

Dsireux de finir ses jours dans la solitude, Hugues alla jusqu Rome prier le Pape dagrer sa dmission; mais le Souverain Pontife refusa de priver le diocse de Grenoble dun si vertueux pasteur.

Saint Hugues et saint Bernard.

Hugues reut, en lan 1123, la visite du Saint le plus illustre de ces temps: saint Bernard, abb de clairvaux, profitant dun voyage que les intrts de son monastre lobligeaient faire, vint, en effet, Grenoble. Hugues le reut comme un envoy du ciel, et, malgr sa dignit et son extrme vieillesse, il se prosterna devant son visiteur qui tait alors dans la trente-deuxime anne de son ge. Ces deux enfants de lumire, dit Guillaume de Saint-Thierry, ami de saint Bernard, sunirent de telle sorte quils ne formrent plus dans la suite quun cur et quune me, stant attachs par les liens indissolubles de la charit du Christ.

Ensemble, ils visitrent les solitaires de la Grande-Chartreuse, et se bornaient vivre dans lesprit que leur fondateur leur avait lgu. Lvque de Grenoble, craignant que la ferveur venant diminuer cause du grand accroissement de lOrdre, le relchement ne sintroduisit parmi les Frres, pria Guigues, le cinquime successeur de saint Bruno, de mettre par crit les usages et coutumes que le fondateur avait tablis.

C'est ainsi qu'Hugues, aprs avoir pris une grande part la naissance et au dveloppement de l'Ordre cartusien, en assura l'avenir par sa prudence prvoyante.

Dernire maladie.

En l'an 1130, une triste nouvelle vint affliger lme du prlat. Un de ses anciens amis, Pierleoni, pouss par lambition, voulut usurper le trne de saint Pierre, et, prenant, le nom d'Anaclet II, chassa de Rome le Pape lgitime, Innocent II.

Hugues, malgr sa vieillesse et ses infirmits, se rend aussitt au Concile du Puy, o, de concert avec les vques des provinces voisines, il lance une sentence dexcommunication contre lantipape. Ce fut la dernire action mmorable du vnrable vque de Grenoble. Son corps saffaiblissait de jour en jour. Mais son me silluminait de clarts nouvelles. Une grande paix succda tout coup ses peines intrieures.

Il reut, la fin de sa vie, plusieurs grces tout fait extraordinaires, en premier lieu celle de pouvoir sonder le fond des consciences. Un comte tant venu le visiter, Hugues le pria de ne pas surcharger ses sujets de tailles et de tributs normes, et le menaa de la colre de Dieu sil dsobissait cet avis.

Le comte, qui avait, en effet, lintention de prlever de nouveaux impts exorbitants mais ne lavait dit personne, fut fort surpris de cette admonestation. Il reconnut que lvque avait t clair par Dieu lui-mme et promit de lui obir.

Les moines Bndictins de Chalais, monastre fond par Hugues en 1110, se relayrent son chevet pendant sa dernire maladie, pour le servir. Ils se crurent bien pays de leurs peines par ldification quils reurent.

Hugues souffrait de maux atroces, mais il les supportait avec une patience admirable. Quand il sapercevait que la douleur lui avait arrach quelque parole dimpatience, il sen accusait avec larmes et demandait aux Frres de lui donner la discipline. Mais comme les bons moines ne croyaient pas devoir accder ses dsirs, il se frappait la poitrine et rcitait le Confiteor pour en demander pardon Dieu.

Il crivit au Pape Innocent II pour linformer du triste tat o il se trouvait rduit, et le prier de mettre sa place, sur le sige de Grenoble, un religieux de la Chartreuse, qui portait galement le nom dHugues.

Le Pape accda son dsir. Hugues II, lu Grenoble en 1131, devint par la suite archevque de Vienne. Le saint vieillard, consol par cette faveur, ne tarda pas aller recevoir dans la contemplation de Dieu la rcompense de ses travaux. Il mourut le vendredi 1er avril 1132, qui tait le vendredi avant les Rameaux.

Son corps resta expos la vnration des fidles jusquau mardi suivant. Dieu rendit son tombeau glorieux par plusieurs miracles.

Le culte.

Saint Hugues a t canonis par Innocent II le 22 avril 1134. Son corps, conserv dans une chsse dargent, fut brl au XVIe sicle, par ordre du baron des Adrets, le trop clbre chef protestant, sur une place publique de Grenoble.

De son piscopat, il reste trois cartulaires ou recueils de chartes.

Dposs aux Archives nationales pendant la Rvolution, ces cartulaires ont t restitus lvch de Grenoble. La bibliothque de la ville en possde deux copies.

A.L.

Sources consultes. Petits Bollandistes. (V.S.B.P., n163).

SAINTE MARIE L'GYPTIENNE

Pnitente, d'aprs saint Zosime (354 ?- 431).

Fte le 2 avril

La vie de saint Zosime, qui fut le confident de sainte Marie l'Egyptienne, est si troitement mle celle de la sainte pnitente quil semble difficile de sparer dans lhistoire la pcheresse repentie et le pieux solitaire.

Dans un couvent dEgypte ou de Syrie, demeurait un saint vieillard du nom de Zosime, qui avait employ cinquante-trois annes de son existence sexercer dans les pratiques de la vie religieuse. Conscient de son grand ge, de lestime gnrale dont il tait entour par ses confrres et par les religieux des autres couvents, du haut degr de perfection quil avait atteint et aussi un brin damour-propre le poussant, - Zosime se persuada un jour quil navait plus rien apprendre en fait de saintet. Pareille tentation avait jadis miroit aux yeux du grand saint Antoine, et, tout comme le solitaire dEgypte, le cnobite en fut bloui. La mme intervention cleste le ramena la vraie conception de lhumilit chrtienne. Avant de sestimer suprieur aux autres, il devait les connatre, et comment pouvait-il les juger si dfavorablement, lui qui ntait jamais sorti de son couvent et de son pays?

Cest ce quun ange, sous les traits dun jeune homme, suggrait au vieux moine qui ne pouvait sempcher den admettre le bien fond. Il lui fallait donc tudier de plus prs la vie des autres, et peut-tre qualors il se rendrait compte quil ntait pas le plus avanc dans les voies de Dieu. Zosime se rendit sans difficult au sage avis de son conseiller. Il prit des informations et apprit ainsi que des moines de la valle du Jourdain, en Palestine, jouissaient dune grande rputation daustrit. Il rsolut daller les voir, de se faire agrger eux et dexaminer par lui-mme sils mritaient vraiment la renomme quon leur attribuait.

Au couvent palestinien. - La retraite du Carme.

Malgr son ge, Zosime se retira, comme simple novice sur les bords du Jourdain, dans un monastre qui parat rpondre celui de Saint-Jean-Baptiste. Ctait une excellente cole de vertu. Il lhabita quelques temps, observateur discret, admirateur sincre de lmulation surnaturelle qui poussait les moines vers les sommets de la perfection. Toutefois, il eut beau examiner, surveiller, pier au besoin les moines les plus prouvs, sa conscience lassurait toujours quil navait pas encore trouv son pareil. Or, le suprieur de ce couvent avait la pieuse habitude den ouvrir, chaque anne, les portes ses religieux, une date dtermine. Du premier dimanche de Carme celui des Rameaux, les moines avaient toute libert de se retirer au dsert pour sy adonner, suivant leurs gots, au travail des mains ou la contemplation.

Le dpart gnral avait quelque chose de grave et dimpressionnant. La scne des adieux prsentait, dans sa simplicit mme, un caractre affectueux et dramatique, que lon retrouve de nos jours au Sminaire des Missions trangres lors du dpart des missionnaires. Voici le crmonial grandiose de cette crmonie, tel quil nous a t conserv par saint Sophrone, patriarche de Jrusalem au VIIe sicle et auteur de la Vie de sainte Marie lEgyptienne.

Ds que le jour du dpart tait venu, tous les religieux se runissaient lglise. Le suprieur clbrait une messe solennelle, et chacun son tour, sapprochait de lautel pour participer aux saints mystres. On se rendait ensuite au rfectoire prendre une lgre collation et, de l, une seconde fois, lglise.

Aprs de longues oraisons suivies de prostrations nombreuses, tous les moines se donnaient laccolade fraternelle; puis ceux qui devaient prendre part la retraite du Carme se jetaient aux genoux du suprieur pour lui demander pardon de leurs fautes passes et implorer humblement sa bndiction. La porte du monastre tait alors grande ouverte, et chacun sen allait lentement, modeste, les yeux baisss, tandis quel les voix graves des anachortes grenaient les versets du psaume XXVI, sublime de confiance en Dieu:

Le Seigneur est ma lumire et mon salut;

Qui craindrais-je?

Le Seigneur est le rempart de ma vie:

Devant qui tremblerais-je?

A mesure que les premires strophes du psaume se droulaient dans les airs, les asctes se chargeaient des provisions de bouche quils avaient choisies. Les uns ne prenaient que du pain, dautres des figues ou des dattes sches; les plus tides y ajoutaient des lgumes cuits leau; les plus fervents auraient cru douter de la Providence en emportant la moindre nourriture. Ils comptaient sur les herbes et les racines qui poussent mme au dsert. Et tandis que chacun franchissait la clture du monastre, les yeux fixs devant soi, sans regarder la direction que prenaient ses compagnons, le chur achevait lappel Dieu dune voix vibrante:

Seigneur, enseigne-moi ta voie.

Dirige-moi dans un sentier uni cause de ceux qui mpient.

Ne me livre pas la fureur de mes adversaires

Ah! si je ne croyais pas voir la bont du Seigneur

Dans la terre des vivants

Espre dans le Seigneur!

Aie courage, que ton cur soit ferme.

Espre dans le Seigneur!

Dans le dsert de la Transjordane.

Comme on le pense bien, Zosime neut garde de manquer une aussi pieuse pratique. Le Carme venu, il franchit le Jourdain, et, muni de quelques provisions, il se mit en route. Il aborda tout dabord une jolie plaine, bien arrose, bien cultive, sillonne alors par de nombreuses voies romaines et couverte de bourgs et de villages. La petite ville de Livias slevait dans cette frache oasis. Au del, se dressent les monts Abarim, dont le Nbo sur lequel mourut Mose est un des sommets principaux et qui servent dpaulement limmense plateau de Moab.

Celui-ci reprsente une terre fertile, trs peuple au temps de saint Zosime, ainsi que lattestent les ruines sans nombre qui jalonnent les anciennes routes. Il y avait l trop de vie, trop de commerce, trop de tumulte surtout, pour que le moine sy arrtt longtemps. Dailleurs, le programme spcial ce genre dexercices religieux sy opposait formellement. A moins de maladie grave, il fallait chaque jour fournir une nouvelle tape.

Plus loin encore, derrire la ligne des camps et des forteresses qui protgeaient les frontires de lempire romain contre les incursions des nomades, stend perte de vue le dsert sans eau et inexplor qui relie, travers des chanes de montagnes et des collines dnudes, les terres de la Palestine celles de la Chalde. Quelques tribus de Bdouins pillards osent seules sy aventurer. Cest l, au dire du pieux historien, que Zosime se retira, marchant et priant le jour, couchant la nuit sur la terre nue, toujours proccup de lide de trouver plus parfait que lui.

Une rencontre inattendue.

Il y avait dj vingt jours que Zosime errait dans la solitude, quand, tout coup, vers lheure de midi, une personne au corps noirci par les ardeurs de la canicule, aux cheveux laineux retombant sur les paules, mergea dun pt de monticules. Le premier acte du solitaire cette vue fut de se munir du signe de la croix, puis de courir aprs lapparition qui dj cherchait se drober. Une voix intrieure lavertissait quil avait sous les yeux un mule, peut-tre un matre en saintet.

Ds quil eut rejoint la personne fugitive, celle-ci rvla son sexe - ctait une femme et appela Zosime par son nom, avant mme que ce dernier et le temps douvrir la bouche.

Une coutume monastique universellement pratique alors voulait que linfrieur demandt la bndiction lautre. Il sleva donc entre la solitaire et Zosime la mme lutte dhumilit qui avait jadis surgi entre saint Paul, ermite, et saint Antoine, lorsquil stait agi de rompre le pain, chacun cdant lautre lhonneur de commencer.

Zosime se prosterna donc devant elle et la pria de le bnir. Mais elle:

- Cest toi plutt de me bnir, mon Pre, toi qui es revtu de la dignit du sacerdoce.

Et Zosime, voyant quelle connaissait non seulement son nom, mais aussi sa qualit de prtre, stonnait davantage encore et mettait plus dinsistance lui demander sa bndiction. Alors elle dit:

- Que bni soit Dieu, Rdempteur de nos mes!

Et, de cette manire, elle tourna la difficult. Elle pria ensuite Zosime de lui raconter comment allait la nation chrtienne, ce que faisaient les empereurs romains, et si lEglise tait en paix, de mme que saint Paul suppliait saint Antoine de lui dire ce quil advenait du monde, si on btissait encore des maisons dans les villes et comment le monde tait gouvern.

Cependant, notre moine, effray dune pnitence aussi rude, sinformait auprs de son interlocutrice des motifs qui lavaient pousse traiter son corps avec tant de rigueur. Aprs quelques moments dhsitation, la Sainte lui fit, avec une humilit touchante, le rcit de sa vie passe. Nous glisserons sur les dtails, nous contentant de rsumer cette confession et dadmirer la grce de Dieu qui peut transformer la fange elle-mme en une perle du plus vif clat.

Histoire dune pcheresse.

Je suis ne en Egypte, dit la solitaire Zosime. Ds lge de douze ans, je quittai la maison paternelle pour me rendre Alexandrie, o je mabandonnai toutes sortes de dsordres. Perdant la pudeur naturelle aux personnes de mon sexe, je passai plus de dix-sept ans dans cette misrable vie, sans viser dautre rcompense que la satisfaction de mes plaisirs.

Un jour mme, je membarquai pour Jrusalem avec des personnes qui allaient dans la Ville Sainte fter lExaltation de la sainte Croix, le 14 septembre, et, durant mon sjour en Palestine, jaugmentai encore le nombre de mes victimes. Enfin le jour de la fte arriva. Je me glissai parmi la foule et jessayai de pntrer avec elle dans la basilique du Saint-Spulcre. Peine inutile! Chaque fois que japprochais de la porte, une force irrsistible me clouait sur place ou me contraignait reculer. A cinq ou six reprises, je tentai de rompre la barrire invisible; cinq ou six reprises je mpuisai en vains efforts. Pendant ce temps, la foule joyeuse franchissait sans difficult aucune le seuil de cette porte et vnrait linstrument de notre rdemption.

- Que faire? Rsister encore? Les forces humaines ont des bornes, et les miennes taient puises par cette lutte sans issue. Linterdiction trange dont jtais seule frappe, alors que tout le monde allait et venait par cette porte, sans mme prendre garde moi, me suggra des rflexions salutaires. Triste et fatigue, je mtais retire lcart, dans un coin du vestibule. Japerus labme de perdition dans lequel je mtais enfonce graduellement, je saisis la porte de lhorrible sacrilge que jallais commettre, je levai mes yeux mouills de larmes vers limage de la Vierge Marie, je priai, je renonai intrieurement ma vie de dbauches, je promis de lexpier jusqu ma mort.

Aussitt, le poids qui maccablait et me retenait hors du sanctuaire svanouit comme un rve, jentrai avec aisance comme tout le monde dans lglise du Saint-Spulcre. Jadorai le bois sacr de la croix, et sur lheure, sans hsiter ni dtourner la tte, en dpit de la chaleur intense, je pris la route de la valle du Jourdain. Le soleil couchant me trouva prs du monastre de Saint-Jean-Baptiste, aprs que jeus fourni une pnible tape. Le lendemain matin, javais franchi les eaux du fleuve, et, avec trois pains pour toute nourriture que javais emports de Jrusalem, jallais menfoncer dans la solitude inexplore.

Lanne prochaine, ne sortez pas de votre monastre au dbut du Carme, comme cest la coutume chez vous, mais venez, le soir du Jeudi-Saint, mapporter la sainte communion sur les bords du Jourdain o je me trouverai. En attendant, gardez le silence sur tout ce qui sest passet recommandez Jean, votre suprieur, de veiller avec plus de soin sur ses religieux.

Tel est, fort abrg, le rcit que saint Sophrone place sur les lvres de la pnitente.

La communion miraculeuse de la solitaire.

Aprs cet entretien, tandis que la solitaire restait dans le dsert, Zosime reprenait le chemin de son monastre. Il tait de retour pour le dimanche des Rameaux, comme tous ses confrres.

Cependant, une anne stait coule depuis cette mystrieuse rencontre, anne qui parut fort longue Zosime, tant cause du dsir quil avait de revoir son interlocutrice que parce quil avait lobligation de taire ce quil avait vu. Aux moines qui linterrogrent sur son silence et sur son dsir inexplicable de rester au couvent pendant tout le Carme, il dut rpondre comme saint Antoine ses disciples en des circonstances analogues: Il y a temps de se taire et temps de parler.

La Providence veillait dailleurs tout, et la fivre qui le saisit aux approches du Carme fournit la meilleure explication dsirable pour ce sjour forc dans son couvent. Cependant le mal disparut, et, le soir du Jeudi-Saint, Zosime prit avec lui un petit vase dans lequel il avait dpos le corps et le sang du Sauveur, puis une corbeille contenant des figues, des dattes et des fves cuites leau, pensant sans doute sustenter quelque peu cette personne, aprs quil aurait donn la communion; aprs quoi, il se rendit sur les bords du Jourdain, dont les eaux coulaient une faible distance de son monastre. Il tait tout fait nuit quand il arriva, et bien que la clart de la lune et des toiles permt de distinguer fort bien les objets lun de lautre, le bon moine naperut rien tout dabord.

Pendant quil spuisait songer quel pch il avait pu commettre pour que son interlocutrice manqut ainsi un rendez-vous fix par elle, il vit tout coup la femme debout sur lautre rive.

- Comment passera-t-elle le fleuve? pensait Zosime. Il ny a pas de barque et les eaux en cet endroit sont trs profondes.

Il y avait peine song, que la femme, aprs avoir trac le signe de la croix sur le Jourdain, se mit marcher sur les eaux comme sur la terre ferme. Elle parvint ainsi jusquau vieillard.

Emerveill de ce prodige, Zosime voulut alors se prosterner humblement ses pieds, mais elle len empcha en disant:

- Mon Pre, garde-toi de te prosterner devant moi, toi prtre et qui, de plus, portes en ce moment la sainte Eucharistie.

Puis, ayant communi, elle fit promettre au saint moine de revenir lanne daprs, pendant le Carme, lendroit o ils staient dj rencontrs pour la premire fois, et elle gota aux fves quil avait apportes. Alors, elle fit de nouveau le signe de croix sur le fleuve, et, comme la premire fois, elle marcha sur les eaux jusqu lautre rive. Zosime revint ensuite au monastre, repassant en lui-mme toutes les merveilles dont Dieu, depuis une anne, lavait rendu tmoin. Il ne songeait plus se croire suprieur aux autres en vertus et en saintet.

Mort de lhumble Marie.

Lanne suivante, en 431, Zosime se rendit, selon sa promesse, au lieu de leur premire entrevue et ne vit tout dabord personne. Aprs avoir cherch de droite et de gauche, il finit par apercevoir un corps humain tendu sur le sol: ctait celui de la repentie qui avait cess de vivre et qui reposait, inanime, la face tourne vers lOrient. Prs de sa tte se lisaient ces paroles:

Abb Zosime, enterrez le corps de lhumble Marie, rendez la terre ce qui lui appartient et priez pour moi. Je suis morte la nuit mme du Jeudi-Saint, aprs que se rappelant quil avit mis vingt jours parcourir pniblement la longue distance quelle avait franchie dans une heure peine.

Si le bon moine tait ravi dapprendre le nom de la pcheresse quil navait jamais os lui demander et de savoir ce quil avait faire de son corps, il nen tait pas moins embarrass pour creuser de ses propres mains une fosse capable de contenir un cadavre. Et comme il spuisait fouiller la terre, il vit un lion qui, doucement, sapprochait du cadavre et de lui-mme.

Alors, il lui dit:

- Cette sainte femme ma ordonn densevelir son corps: mais, vieux comme je suis et nayant point doutil, je ne parviens pas creuser la fosse. Toi, donc, mon ami, creuse une fosse avec les ongles, afin que nous puissions y dposer le cadavre de cette Sainte.

Le lion se mit luvre; il creusa un trou avec ses ongles, et Zosime y dposa la dpouille de Marie en chantant des prires liturgiques usites en pareille circonstance. Aprs quoi, le lion sen alla dans le dsert, doux comme un agneau, et le vieillard sen retourna dans son monastre en glorifiant Dieu.

L, il raconta son suprieur et ses collgues tout ce quil avait entendu et tout ce quil avait vu. Il avertit aussi le suprieur de certaines ngligences qui staient glisses dans le couvent sur lesquelles sainte Marie lEgyptienne avait attir son attention et qui furent dailleurs promptement corriges. Combl dannes et de mrites, Zosime mourut vers lan 432, lge de cent ans, uniquement proccup de sa perfection, et sans se soucier dsormais si dautres taient plus saints que lui. LEglise a inscrit son nom au Martyrologe le 4 avril, tandis que celui de sainte Marie lEgyptienne est marqu au 2 avril.

Le culte.

Au moyen ge sainte Marie lEgyptienne, dont le second concile de Nice avait cit la pnitence, fut trs populaire en France; la cathdrale de Bourges et celle de Toulouse possdent des vitraux qui reproduisent des scnes de sa vie. Paris avait sa chapelle de Sainte-Marie lEgyptienne, prs de la rue Montmartre; cette chapelle, qui servait la confrrie des Drapiers, a t dmolie en juin 1792; le nom dform de rue de la Jussienne en a gard le souvenir.

Fr.Delmas.

Sources consultes. Acta Sanctorum, t. 1er, aprilis, p. 68-84. (V.S.B.P., n 943 et 1685).

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PAROLES DES SAINTS

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La charit pour les pauvres.

Ayez chacun domicile un logement pour les trangers, proportionn vos ressources; rservez dans votre maison une chambre pour lhte, cest--dire pour le Christ. Chargez un de vos serviteurs et ne craignez pas de choisir le meilleur pour cet office dy recevoir et dy soigner les mendiants et les infirmes. Sinon, si vous vous refusez faire ce sacrifice, si vous ne voulez pas introduire Lazare votre foyer domestique, recevez-le du moins lcurie. Oui, recevez le Christ lcurie! Vous frmissez? cest bien pis de lui refuser votre porte.

Saint Jean Chrysostome.

(Homlie sur les Actes des Aptres, 45).

SAINT NICETAS

Abb en Bithynie ( 824)

Fte le 3 avril.

Dans la lutte entreprise aux VIIe et IXe sicles pour abolir, dans l'empire Byzantin, le culte des saintes images, les empereurs iconoclastes rencontrent, dans les moines de Constantinople et des rgions avoisinantes, des adversaires vigilants et intrpides. Plusieurs de ces dfenseurs de la foi traditionnelle ne craignent pas de verser leur sang plutt que de rprouver et d'abolir le culte et l'usage des icnes. D'autres, et parmi eux il y a lhigoumne du clbre monastre bithynien de Mdicius, saint Nictas, se verront exils, incarcrs durant des mois, parce qu'ils refusent de se soumettre aux ordres sacrilges de l'empereur ou aux dcisions hrtiques des vques iconoclastes.

Naissance. - La vie monastique.

Nictas naquit Csare de Bithynie, ville piscopale qui relevait de la mtropole de Nicomdie, et dont l'emplacement exact n'est pas encore connu. Ce fut vers le milieu du VIIIe sicle, bien que son biographe, Thostricte, qui lavait pourtant frquent d'une manire particulire, n'ait pas indiqu de date prcise.

Son pre, nomm Philarte, jouissait d'une large aisance ; il tait pieux et se montrait assez gnreux pour les moines. De la mre, morte peu aprs avoir donn le jour l'enfant, nous ne connaissons mme pas le nom.

Nictas fut lev par sa grand-mre paternelle. Jeune encore, lenfant dut apprendre et rciter par cur tout le Psautier de David, cest--dire les cent cinquante psaumes.

Cette intelligence prcoce des choses de l'Eglise incita sa famille faire confrer Nictas la tonsure et lOrdre de portier. Ainsi se trouvait-il consacr Dieu et vou au service des autels. Bien que cet engagement ne fut pas encore irrvocable, lenfant shabitua le considrer comme tel, et, une fois quil eut mis la main la charrue, il ne regarda plus en arrire, selon le prcepte du divin Matre.

Mri par un sjour de quelques annes dans le monde, Nictas entendit la voix de Dieu qui lappelait une vie plus parfaite. Son pre, qui devait lui-mme finir ses jours sous lhabit de moine, ne mit aucun obstacle sa vocation. Nictas se retira auprs dun ermite, nomm Etienne, dont il se constitua le disciple. Peut-tre les couvents, ferms par la perscution de Constantin Copronyme, navaient-ils pas encore eu le temps de rouvrir leurs portes.

Le monastre Saint-Serge de Mdicius. Un couvent de Saints.

Il ne quitta sa solitude que pour entrer au monastre de Saint-Serge, tabli dans le village de Mdicius. La localit existe encore, au sud de la petite ville de Trilia, o font escale, certains jours, les bteaux qui vont de Stambloul ou Constantinople Moudania, le port de Brousse.

Le monastre slevait dans un endroit o tout devait charmer, et le plerin, aujourdhui encore, aime faire halte sous ses arbres de haute venue, auprs des ruisseaux qui y rafrachissent latmosphre. Les murs qui enclosent le jardin actuel font penser une forteresse: vingt-cinq mtres de hauteur! Ctait sans doute pour se prmunir contre les subites incursions des Sarrasins que le couvent stait mis sur la dfensive.

Quand le jeune homme vint y chercher un refuge contre les bruits du monde, le monastre tait dans toute la ferveur primitive. Le fondateur lui-mme, saint Nicphore, que lEglise a plac sur les autels, vivait encore, et il avait toujours la haute direction de la maison. Il y avait, ct de lui, un autre religieux du nom dAthanase, dont lEglise a galement reconnu le culte. Celui-ci, qui appartenait une excellente famille de la capitale, avait d subir de dures vexations de la part de son pre avant dobtenir la permission de mener la vie monastique. Sitt libre de suivre sa voie, il entra aussitt dans un couvent de Constantinople do lamiti de saint Nicphore le dcida bientt sortir pour aller celui de Mdicius. Il sy trouvait dj lors de larrive de Nictas. Dautres religieux, tout aussi fervents, et parmi eux lhagiographe Thostricte, y vivaient aussi, uniquement proccups de leur perfection intrieure.

Saint Nictas, prtre et auxiliaire du suprieur.

Cinq ans ne staient pas encore couls depuis lentre de Nictas Saint-Serge que saint Nicphore lemmenait Constantinople et lui faisait confrer lordination sacerdotale par le patriarche saint Taraise. Ce dernier ayant occup le trne pamatial de Byzance du 25 dcembre 784 au 25 fvrier 806, cest entre ces deux dates que doit se placer ce fait si important dans la vie de Nictas.

En mme temps, tout en conservant pour lui le titre de suprieur, saint Nicphore se dchargeait sur le jeune prtre dune partie du gouvernement de la maison. Le nouveau venu sacquitta si bien de ses fonctions que, bientt aprs, le nombre des religieux augmenta dune faon tonnante; on ne tarda pas en compter prs de cent renferms dans le monastre.

Cela ne laissait pas que dtre un peu inquitant pour le prieur, que les proccupations matrielles navaient jamais retenu beaucoup. Il vivait lui-mme de si peu ordinairement du pain et de leau, sans rien de plus, - quil aurait peut-tre cru pouvoir assujettir un pareil rgime toute la communaut. Heureusement que saint Athanase, lconome, tait l! sil chtiait son corps aussi durement que le faisait Nictas, sil tait mme plus svre que le prieur pour les autres religieux, par ailleurs, Athanase, ancien employ du ministre des Finances, avait trop vcu pour simaginer que tout le monde se plierait un rgime aussi frugal. On vcu donc pauvrement, sobrement, austrement, mais on ne manqua jamais du ncessaire.

Athanase et Nictas avaient, du reste, chacun leur caractre propre, et ils se compltaient naturellement. Le premier, ardent, fougueux, violent mme, sans lamour de Dieu et de ses frres qui le dominait, se serait port aux excs; lautre, doux et compatissant, tait peut-tre trop inclin vers les mesures indulgentes. Tous les deux exeraient une bienfaisante influence par leurs austrits, leur amour de la pauvret et du travail, leur esprit doraison et de sacrifice. Peu rpandus au dehors, les deux moines observaient intgralement la rgle; chaque jours, ils rcitaient le psautier en entier et y ajoutaient encore des prires spciales au couvent.

Athanase mourut le 26 octobre de lanne 804 ou 805. Le 4 mai de lanne suivante, saint Nicphore rejoignait son ami dans la tombe, et tel tait lclat des vertus du fondateur que Nictas ordonna de lui accorder aussitt un culte public. Quant lui qui stait drob jusque-l tous les honneurs, force lui fut, aprs la mort du fondateur, daccepter le titre dhigoumne ou dabb que sa modestie avait toujours repouss. Ce fut saint Nicphore, patriarche de Constantinople, qui vint lui-mme procder son intronisation.

Deux miracles de saint Nictas.

Avant dexercer des fonctions aussi leves, Nictas, avait accompli, lintrieur du monastre, un certain nombre de miracles que rapporte son historien. Citons-en deux qui prsentent un rel intrt:

Ce que je vais dire, crit Thostricte, je ne lai pas vu mais je le tiens dun religieux qui me le raconta peu aprs la mort du Saint. Le portier du monastre tant un jour fort occup, le suprieur me dsigna pour le remplacer. Pendant que jtais mon poste, un homme des environs arriva avec un enfant jeune encore et muet depuis sa naissance. Il me pria de bien vouloir le conduire auprs du Saint afin que celui-ci prit sur son fils. Je macquittai aussitt de la commission et, quoique vivement rprimand par Nictas, jinsistai pour quil obtemprt la foi de cet homme. Il finit par consentir ce quon ament lenfant devant lui, pria longtemps, fit sur lui le signe de la croix, et celui qui jusque l, avait eu la langue lie se mit aussitt parler sans difficult.

De l'autre prodige, Thostricte lui-mme fut l'heureux tmoin:

Il y avait, dit-il, dans le couvent un religieux simple et candide qui, cause de sa grande innocence, tait cher tous. Un jour, il devint tout coup fou furieux. Cela causa naturellement une grande peine labb. Aprs nous avoir recommand de rester jeun jusqu'au soir, une fois que l'office et la messe furent termins, Nictas prit le Frre la sacristie. L, il se mit en prire, fit sur le malade plusieurs onctions avec le saint Chrme, et le fou revint aussitt son premier tat qu'il n'a plus quitt.

La perscution de Lon l'Armnien.

Aprs trente-Cinq ans environ de paix religieuse, un nouvel empereur de Byzance, Lon V, dit lArmnien, s'avisa de dchaner nouveau la perscution contre les vques, les prtres, les moines et mme les laques qui rendaient un culte aux images de Dieu, de la Sainte Vierge et des Saints.

Le patriarche saint Nicphore en fut la premire victime. Exil ds le 13 ou le 20 mars 815, il tait remplac le 1er avril suivant par Thodote Cassiteras, ancien officier et crature de l'empereur.

Le souverain employa son crdit et les richesses de l'tat faire reconnatre lintrus par le clerg et par les religieux.

En se prononant pour Thodote, on tait cens accepter la politique iconoclaste de l'empereur en le repoussant, on se dclarait contre elle.

La ruse tait habile, et comme on ne leur demandait pas formellement de repousser eux-mmes le culte rendu aux images saintes, un grand nombre de fidles se laissrent sduire. Nictas fut parmi les opposants. On lenferma donc dans une prison infecte o des missaires, qui tenaient, la fois le rle de geliers et celui d'agents provocateurs, essayrent vainement de le faire tomber.

Aprs quelques mois de captivit, voyant que la fermet de l'abb ne se dmentait aucunement, Lon V donna l'ordre de le transporter au cur de l'hiver, dans la forteresse asiatique de Musalaeon. Les soldats l'obligrent s'y rendre pied, en sept jours de marche force ; mais Nictas n'tait arriv que depuis cinq jours au lieu de sa dportation, quand on le rappela en toute hte Constantinople. Ce fut l, pour le dfenseur de la foi, une nouvelle cause de fatigues et de privations.

Dans la ville impriale, on lui laissa, ainsi qu' ses compagnons d'infortune, une libert relative. En mme temps qu'il rparait une sant fort atteinte, il gotait la joie de s'entretenir avec des moines amis et dfenseurs des saintes images.

Cruelle et perfide perscution inflige aux higoumnes orthodoxes.

Ce n'tait pas l prcisment le but que poursuivait l'empereur. Aussi, ds que les ftes de Pques furent termines, il livra tous les suprieurs, qui n'avaient pas encore cd, Jean, surnomm Lcanomante, abb du monastre des Saints-Serge et Bacchus, Constantinople. Ce personnage avait la triste mission darracher aux moines, demeurs fidles aux icones, une adhsion formelle lerreur. Spars les uns des autres, sans nouvelles du dehors, les suprieurs furent descendus dans les cachots nausabonds o la lumire ne pouvait parvenir. L, ils navaient ni lit pour sasseoir ou se coucher, ni couverture pour se prserver du froid. Pour nourriture, on leur jetait, par une ouverture troite, du pain gt et de leau corrompue, encore celle-ci tait-elle en fort petite quantit.

Au bout de quelques mois ou mme de quelques semaines de ce rgime dbilitant, les malheureux captifs, ceux du moins qui ntaient pas encore morts se trouvaient, pour la plupart, disposs passer par les volonts de Jean, leur bourreau. Il ntait pas exigeant, dailleurs. Que voulait-il deux, en somme?

Dans les galeries suprieures de la cathdrale de la Sainte-Sophie cest--dire de la Sagesse suprme o lon avait conserv les images saintes et les mosaques reprsentant les scnes de lAncien et du Nouveau Testament, le patriarche Thodote les attendait et il donnait, de sa propre main, la sainte communion tous ceux qui acceptaient de lui le Corps et le Sang de Jsus-Christ:

- Anathme tous ceux qui nadorent pas limage du Christ!

Sous cette formule, susceptible dinterprtations trs diverses, le patriarche intrus cachait habilement cette erreur que lEucharistie tait la seule vritable image que le Christ nous avait donne de lui-mme: aucune autre image ne pouvait et ne devait tre adore. Plusieurs higoumnes, entre autres Nictas, tromps probablement par de fallacieuses explications, crurent pouvoir prononcer cette formule, sans vouloir par l adhrer liconoclasme.

Saint Nictas est relgu dans un lot de la Marmara.

Lillusion de Nictas ne fut pas de longue dure. Il avait, en acceptant la communion de Thodote, reu lautorisation de retourner son monastre, mais il ntait pas encore parvenu au terme de son voyage que, rebroussant chemin, il revenait Constantinople se constituer prisonnier. L, il eut beau condamner sa propre conduite, rejeter de nouveau la communion du patriarche intrus, il ne fut pas dabord cout; on ne tenait pas multiplier le nombre des martyrs. Sur ses instances, toutefois, Lon V le livra Zacharie, prfet du palais de Manganes, qui lenferma dans cette demeure impriale, situe prs de la mer, dans lenceinte actuelle des jardins du Vieux-Srail, du ct Nord-Est. Il y fut trat avec beaucoup dhumanit, Zacharie tant orthodoxe, grand ami des moines et des prtres perscuts. Nictas ny resta que peu de temps, car lempereur venait de prendre une dcision son sujet.

De Manganes, il fut relgu lle de Sainte-Glycrie, un de ces lots dserts qui mergent peine des flots, dans le golfe de Nicomdie, aux environs de la presqule actuelle de Touzla. Il allait y demeurer jusqu lassassinat de Lon V lArmnien (20 dcembre 820) et lavnement de Michel II le Bgue. Son sjour y fut assez pnible, car on lavait confi la garde dun certain Anthime, de qui relevaient tous les monastres de la contre, et qui le biographe de Nictas prte peu prs tous les vices et tous les dfauts. Disons seulement que son zle contre lillustre exil tait dautant plus intress quil sattendait, pour le jour o sa victime renoncerait la rsistance, recevoir de la cour et du patriarche des honneurs et des fonctions plus lucratives.

Nictas fut donc enferm dans un cachot troit et obscur do il lui tait impossible de sortir. Sa nourriture tait des plus frugales: du pain et de leau, mais ny tait-il pas habitu depuis longtemps dans son monastre? On lui avait toutefois concd la prsence dun de ses religieux, le moine Philippe, qui lui rendait les petits services indispensables son ge et ses infirmits et lui servait en mme temps de secrtaire. Toutes relations avec le dehors ne lui taient pas interdites, et nous savons quil communiquait avec plusieurs de ses compagnons dexil.

Une demi-dlivrance.

En montant sur le trne, Michel II ne rpudia pas absolument la politique religieuse de son prdcesseur; il se contenta de lattnuer. Sil permit tous les partisans des images de sortir de prison, il ne les autorisa pas, cependant, rentrer dans la capitale, ni dans leurs diocses, ni dans leurs couvents. Ils eurent seulement la libert dhabiter aux alentours de Constantinople, de prfrence sur la cte asiatique; encore semble-t-il quon ait fix la plupart dentre eux le lieu de leur sjour et que tous fussent plus ou moins sous la surveillance de la police.

Nictas resta dans les environs de son lot et visita les monastres voisins; il trouva au cap Acritas saint Thodore Studite et plusieurs autres confesseurs de la foi; aux les des Princes, dautres victimes de la perscution, et, parmi elles, le patriarche saint Nicphore. Puis il vint stablir sur la cte europenne de Constantinople, dans une petite proprit. Ctait, selon toute probabilit, derrire le palais actuel de lAmiraut ou Cassim-Pacha. Thoctiste, le disciple qui avait partag sa premire captivit, dirigeait en son absence le monastre de Mdicius et y faisait refleurir ses vertus.

Mort de saint Nictas.

Nictas mourut au lieu de son dernier exil, le dimanche 3 avril 824. Aussitt que la nouvelle de cette mort fut connue, saint Joseph, archevque Thessalonique, et saint Thophile, mtropolitain dEphse, accoururent pour prsider la leve du corps. Une foule immense de moines, de vierges et de pieux laques les accompagna jusquau bateau qui devait transporter les restes Mdicius. Au lieu du dbarquement, Paul, vque de Brousse, les attendait, escort de tous les religieux du couvent. On transporta le corps, au chant des cantiques, dans lglise du monastre, puis on le dposa dans le narthex, cte cte avec le corps de saint Nicphore, et des miracles soprrent sur sa tombe.

Chez les Grecs comme chez les Latins, la fte de lillustre abb du monastre de Mdicius, dfenseur du culte des images, est clbre le 3 avril, jour de sa mort.

Franois Delmas.

Sources consultes. Acta Sanctorum, (t. 1er avril, p. 253-265). R.P. Hergs, Le monastre de Mdicius (dans Bessarione, t.V, p. 9-21). (V.S.B.P., n1696).

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PAROLES DES SAINTS

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Faisons pnitence.

Pendant que nous sommes sur la terre, faisons pnitence. Nous sommes comme une terre molle entre les mains de louvrier. Si le potier fait un vase, et que ce vase vienne changer de forme ou se briser entre ses mains, il le refait de nouveau; mais sil la mis dans la fournaise avant que dy avoir aperu ces dfauts, il ne peut plus y remdier. Il en est de mme notre gard. Pendant que nous sommes dans ce monde et que nous avons encore le temps de faire pnitence, renonons de tout notre cur la corruption de nos vices, afin dobtenir le salut; car, aprs que nous serons sortis de ce monde, nous ne pourrons plus expier nos fautes par la pnitence.

Saint Clment 1er.

(Eptre aux Corinthiens.)

Pour Jsus-Christ.

Socrate na-t-il trouv personne, pas mme un seul de ses disciples, qui ait voulu souffrir la mort pour sa doctrine; tandis que pour Jsus-Christ non seulement des sages et des savants, mais une multitude dignorants et de gens du peuple ont brav les menaces, les tortures et la mort. Ne vous en tonnez pas. Les premiers taient abandonns la faiblesse humaine; et cest la force mme du Verbe de Dieu qui soutient les chrtiens.

Saint Justin.

(Deuxime apologie).

Accourez Jsus crucifi.

Sil vous arrive quelque chose de triste, dennuyeux et damer; si vous prouvez du dgot pour certaines bonnes uvres, accourez tout de suite Jsus-Christ

Contemplez sa couronne dpines, ses clous aigus, la lance dont son ct fut perc, les blessures de son corps et rappelez-vous combien vous a aims celui qui pour vous, souffert de la sorte, celui qui a embrass de pareils tourments. Croyez-moi, un tel spectacle, toute tristesse se changera en joie, tout fardeau pesant deviendra lger, tout ennui sera plein damnit, toute peine semblera douce et dlicieuse.

Saint Bonaventure.

SAINT ISIDORE DE SVILLE

Evque et Docteur de l'glise (570-636)

Fte le 4 avril.

Isidore naquit dans l'Andalousie, de nobles et pieux parents, dont les noms indiquent une origine romaine. Son pre, Svrien, avait t longtemps prfet de Carthagne, qui fut prise vers 555 par les Byzantins. A demi ruin et peut-tre disgraci, il se retira avec sa famille au pays de Sville. Les deux ans de ses enfants, Landre et Fulgence, qui se signalrent dans les rangs de l'piscopat espagnol, ont mrit d'tre honors d'un culte public aprs leur mort.

Florentine, la plus jeune de ses filles, embrassa la vie monastique, et sa science, sa vertu, ses cantiques mme ou chants sacrs lui ont valu l'honneur de figurer en tte de ces illustres religieuses que la patrie de sainte Thrse a donnes l'Eglise. Mais la gloire des uns et des autres plit devant l'clatante rputation de sagesse et de saintet d'Isidore, le dernier-n de la noble famille andalouse.

Clbre par sa saintet et par sa doctrine, dit en effet le Martyrologe romain, il illustra l'Espagne par son zle pour la foi catholique et son observance de la discipline ecclsiastique.

Enfance et premires tudes.

Comme son frre an, saint Landre, fut vque ds avant 585, et comme dj depuis longtemps saint Fulgence administrait les biens que la famille conservait Carthagne, il est probable que saint Isidore naquit vers 570, et qu'il perdit ses parents de bonne heure.

L'enfant, peine sorti du berceau, fut confi son frre Landre, qui tait vque de Sville, dont il devait plus tard tre le glorieux successeur. Saint Landre chrissait son jeune frre comme sil et t son fils; mais son amour tait clair, c'est--dire qu'il savait mettre les soins de lme avant ceux du corps; aussi ne se faisait-il pas faute de fouetter le jeune colier pour lui apprendre vaincre la paresse.

Cependant, contrairement ce que lon attendait, lintelligence de lenfant ne se dveloppait quavec une lenteur dsesprante, et, de plus, lui-mme semblait prouver le plus grand dgot pour toute sorte dtudes. Un jour, Isidore, dcourag par linsuccs de ses efforts, et craignant les corrections que son frre lui appliquait avec une nergie trop frquente, senfuit de lcole de Sville. Aprs avoir err quelque temps dans la campagne, extnu de soif et de fatigue, il sassit prs dun puits et se mit regarder avec curiosit les sillons qui en creusaient la margelle.

Comme il se demandait qui avait pu produire ce travail, une femme qui venait puiser de leau, touche de la beaut et de lingnuit de lenfant, lui expliqua comment les gouttes deau, en tombant constamment sur le mme endroit, arrivaient avec le temps creuser les pierres les plus dures. Isidore avait lesprit droit et sincre; ces paroles le firent rflchir. Si une goutte deau, se dit-il, est assez forte pour creuser la longue une pierre, il nest pas possible que, Dieu aidant, je narrive pas par mes efforts acqurir la science, malgr linfirmit de ma mmoire et de mes autres facults. Et il rentra Sville. Stant remis luvre avec courage, Dieu, pour le rcompenser de sa bonne volont, opra un tel changement en lui, quen peu dannes il acheva son ducation de faon possder le latin, le grec et lhbreu, et aider puissamment son frre saint Landre dans la conversion des ariens. (Montalembert, Les moines dOccident.)

Luttes et vie monastique.

Cependant, le roi Lovigilde, ancien fanatique, venait de faire assassiner son propre fils, saint Hermngilde, converti la foi par saint Landre. On ne sait comment l'vque mtropolitain de Sville vita le sort de son royal nophyte : toujours est-il que le roi se contenta de l'exiler en mme temps que son frre saint Fulgence, vque d'Ecija. Isidore, quoique contrist par cet vnement, n'en fut point abattu, et il continua la lutte engage par ses deux frres. Cest alors que ses talents se montrrent en plein. Les ariens taient constamment terrasss et honteux de se voir vaincus par un ennemi si jeune. De son exil de Constantinople, saint Landre lencourageait ne pas craindre la mort. En ce temps-l, Lovigilde, poursuivi par le souvenir de son fils quil avait tu, sentait la mort approcher.

Pour apaiser le courroux divin, il fit rappeler Landre de lexil et, avant dexpirer, lui confia la conduite de son jeune successeur, Rcarde. Ce retour inattendu mit le comble la joie de saint Isidore, qui brlait de sexposer de nouveau, en travaillant avec son an la dfense de la foi. Mais Landre, ayant appris les dangers que celui-ci avait courus, et tremblant pour la vie de celui en qui il fondait toutes les esprances de son Eglise, prit le parti, pour lui permettre de parfaire dans une retraite studieuse, sa formation clricale, de lenfermer dans un monastre, do il lui dfendit de sortir, mais o il lui envoya les matres les plus savants de lpoque, afin dachever son ducation.

Cette dmarche de saint Landre tait manifestement inspire de Dieu, car Isidore dut en grande partie sa saintet la pratique rigoureuse et constante des solides vertus monastiques, pendant les paisibles annes de sa vie religieuse, annes qui, jusqu' sa mort, restrent profondment graves dans sa mmoire et dans son cur, comme l'attestent ses crits sur le monachisme, et notamment une belle rgle en vingt-quatre chapitres pour les moines de son pays.

L'histoire, malheureusement, ne nous apprend presque rien sur saint Isidore moine. Quoi qu'il en soit, il tait dj mri dans l'exercice de la mortification et capable de supporter le fardeau de l'piscopat, et, lorsque Landre mourut, vers 599, il tait tout dsign pour lui succder sur le sige de Sville. Le Saint, en se cachant dans les ombres du clotre, n'avait pas russi se faire oublier, et le peuple parlait toujours avec enthousiasme du jeune clerc qui, autrefois, l'avait si vaillamment dfendu contre les ariens.

vque de Sville.

Aussi, lorsque le roi Rcarde ordonna l'humble moine d'accepter la charge piscopale que laissait son frre en mourant, le peuple rpondit par une immense clameur de joie et par d'unanimes applaudissements.

Pendant que tout le monde se rjouissait ainsi de son lvation, lui seul pleurait, se dclarait indigne de cette charge et tremblait devant la responsabilit qui allait peser sur ses paules. L'humilit est le signe de la saintet vritable et, pour l'ordinaire, ceux-l sont plus dignes d'une faveur qui s'en jugent les plus indignes. Le roi Rcarde et le peuple de Sville ne s'y tromprent pas, et les larmes d'Isidore ne firent qu'enflammer l'ardeur de leur dsir. Le Saint, reconnaissant enfin la voix de Dieu dans celle du peuple chrtien, se rsigna faire le sacrifice demand. Ds qu'il eut pris en main la houlette du pasteur, ds qu'il se fut li son Eglise par un mariage spirituel en jurant de donner s'il le fallait son sang pour elle, sa vie ne fut qu'un perptuel sacrifice, et il ne cessa de se dpenser pour ses brebis bien-aimes, au point que l'on a peine comprendre comment une vie d'homme a pu, sans un miracle de la grce, tre aussi laborieusement remplie que la sienne.

Ce qui affligeait surtout son regard de pre et de pasteur, c'taient les dsordres et les abus qui rgnaient au sein du clerg, l'oubli des lois sacerdotales, du droit canonique, des rites prescrits par l'Eglise. Rien n'chappait sous ce rapport sa vigilance ; il opposait la plus nergique fermet au mal, s'appliquant, soit le corriger, soit le prvenir. Il tint, dans ce but, deux grands Conciles, l'un Sville en 619, l'autre Tolde en 633, o il rglementa la vie des clercs et les rapports des vques avec leurs prtres. Il eut le bonheur de rtablir dans leur vigueur, au sein des chrtients espagnoles, les rglements apostoliques, les dcrets des Pres, les principales institutions de la sainte Eglise romaine.

Ses institutions.

Non content d'avoir rform par sa parole et par son exemple les murs des ecclsiastiques et des fidles qui se ressentaient de la longue influence de l'arianisme, il mnagea encore leur vertu et leur foi un appui et un exemple perptuel dans les moines qu'il attira en grand nombre dans son diocse, n'ignorant pas que les institutions monastiques sont la sauvegarde de la socit et le contrepoids ncessaire des crimes qui s'y commettent.

Les hommes n'ont jamais chang de nature : leurs inclinations taient les mmes il y a mille ans qu'aujourd'hui, et c'tait le mme diable qui les tentait ; aussi l'histoire nous dit-elle qu'alors l'arianisme terrass essayait de revivre en s'attaquant la jeunesse dont il flattait les passions.

Quelques vques ou prtres hrtiques erraient encore dans les campagnes, voyageant sans bruit et donnant aux jeunes gens des confrences secrtes dans tous les lieux o ils s'arrtaient. Saint Isidore, la premire nouvelle de ces faits, tressaillit, car il n'ignorait point que c'est par la mauvaise ducation de la jeunesse que se produisent dans la socit les plus pouvantables dsastres. Il n'y avait pas hsiter. Sans calculer la modicit de ses ressources, il jeta les fondements d'une importante cole qui est reste clbre dans toute l'Espagne et dans tout l'univers. Ce collge, sorte d'Universit catholique, o se formrent de grands savants et de grands saints, n'tait qu'un vaste monastre. Il devint le type d'une multitude d'institutions du mme genre dans les villes piscopales.

L'tude du latin, du grec, de l'hbreu, de l'histoire, de la gographie, de l'astronomie, des mathmatiques, y tait obligatoire ; elle prparait celle des Saintes critures et du Droit, ou de la philosophie et de la thologie. Le grand vque, malgr ses occupations, se joignait tous les jours ses chers moines professeurs, et son tour il occupait la chaire pour dcouvrir ses lves merveills les incomparables beauts des Saintes critures.

C'est pour l'instruction des jeunes gens dans cette cole que le grand docteur de Sville, composa ces nombreux traits, dont l'tendue et la profondeur effrayent mme les plus savants, et qui embrassent toutes les branches des connaissances humaines, depuis la plus sublime thologie jusqu' la science vulgaire de l'agriculture et de l'conomie rurale.

Le principal de ses ouvrages, les vingt livres des Origines ou des Etymologies, est, ce que nous appellerions de nos jours un Dictionnaire universel o a t conserve toute la science de l'poque. Il suppose chez son auteur une rudition profonde, des recherches infinies et, sinon une originalit de vues personnelles, du moins un gnie fait d'ordre et de clart.

Dans la pense de saint Isidore, toute science vraie doit avoir pour fondement et pour base la connaissance approfondie de la rvlation. Il tait convaincu, crit son biographe, que les maux de la socit, les discordes civiles, les dissensions des clercs avaient pour cause l'ignorance de la Sainte Ecriture. Ce fut pour combattre ce lamentable oubli qu'il fit une rvision du texte de la Vulgate, dont il s'appliquait rechercher le sens spirituel.

Saint Isidore ressuscite une femme touffe par la foule.Il nous en a laiss des preuves dans ses ouvrages exgtiques, qui forment un vritable cours d'Ecriture Sainte.

L'un de ces vques vagabonds dont nous avons parl plus haut, du nom de Grgoire le Syrien, homme qui, par son loquence naturelle et la subtilit de son esprit, obtenait de grands succs et faisait beaucoup d'apostats, proposa saint Isidore, qui prsidait en ce moment un Concile d'vques, de discuter devant le peuple sur l'unit de nature, qu'avec les eutychens, il admettait en Jsus-Christ. Le Saint accepta. La discussion eut lieu dans la grande glise de Sville en prsence d'une foule immense. Aprs cinq heures de discussion, Grgoire s'avoua vaincu, abjura ses erreurs et revint lu communion catholique dans laquelle il persvra jusqu' la mort.

La liturgie mozarabe.

Une autre institution couvrit de gloire saint Isidore et contribua puissamment, dans toutes les Espagnes, o elle se rpandit, maintenir la vigueur de la foi ; nous voulons parler de la liturgie mozarabe, ensemble magnifique des prires et des crmonies, par lesquelles saint Isidore rendit au culte divin toute sa majest. Cette liturgie est ainsi appele parce qu'elle fut conserve plus tard par les chrtiens espagnols qui vivaient au milieu des Maures et des Arabes envahisseurs.

La liturgie romaine, reine des liturgies, a prvalu, il est vrai ; mais pour ne pas perdre la mmoire des belles institutions de saint Isidore, l'glise cathdrale de Tolde use encore, avec la permission du Pape, de la liturgie mozarabe.

Dans son diocse.

Malgr ces immenses travaux, le Saint faisait une visite annuelle de son diocse, et mme, pouss par son amour pour les mes, il parcourait toutes les provinces d'Espagne, faisant retentir dans les cits et les moindres bourgades la trompette vanglique . Ce qui le toucha le plus, ce fut laveuglement des Juifs, alors nombreux et puissants dans ce pays. Son zle vigoureux envers ces obstins dissidents le poussa adresser sa sur Florentine un trait pour rfuter leurs erreurs et encourager le roi prendre des mesures lgislatives afin d'essayer de les amener la vrit. Dieu rcompensa son zle par la conversion de plusieurs de ces malheureux enfants d'Abraham.

Parmi les miracles dont Dieu le favorisa, on cite la rsurrection d'une femme touffe par la foule, et la gurison d'un aveugle par le seul attouchement de son gant.

Son rle dans l'Eglise et le royaume d'Espagne.

Avant d'tre lev l'piscopat, il bnficiait de l'ascendant de son frre Landre et de l'autorit que lui confrait lui-mme sa science. Aussi, disait-on que le roi lui-mme venait suivre ses enseignement, dans sa cellule de moine. Quand il devint son tour vque mtropolitain de Sville, rien ne pouvait se faire d'important dans l'tat sans que le prince wisigoth ne lui demandt son avis, et ses lettres nous le montrent souvent en voyage vers Tolde pour y rencontrer le roi .

On aurait pu croire que saint Isidore, descendant d'une famille romaine attache au service des empereurs de Byzance, se montrerait assez ombrageux vis--vis de tout ce qui favoriserait la concentration des Espagnes aux mains d'un prince barbare et envahisseur.

Il n'en fut rien, et jamais vque ne montra envers le pouvoir civil, dsormais tranquillement tabli, une attitude plus loyaliste et plus dsintresse. Ainsi fut-il le premier signer le dcret du roi Gondemar (610), transfrant le sige mtropolitain, de Carthagne en ruines, Tolde, la nouvelle capitale wisigothique.

Dans les Conciles mmes, il n'hsitait pas demander le concours du roi pour faire excuter les sentences des vques, et les sanctions survenaient, justes mais implacables. En retour, il allait au-devant des dsirs du prince, et lui concdait certains privilges en matire ecclsiastique.

Saint Isidore de Sville inaugura ou du moins consolida en Espagne le rgime de l'union troite des deux pouvoirs, dans des Conciles nationaux de Tolde, qui firent passer dans la lgislation civile les principes les plus bienfaisants du droit canonique.

Mais ce rgime ne pouvait tre durable qu'autant que les rois resteraient fidles leur mission. Aussi le grand vque ne manquait point l'occasion de leur rappeler fermement leurs devoirs, dans ses crits et dans ses discours. C'est sous sa plume qu'on lit cette belle dfinition du roi chrtien:

Les rois (reges) sont ainsi appels de la rectitude de leur action ; et c'est en agissant correctement qu'ils gardent leur nom, en pchant ils le perdent... Qu'ils considrent, non la gloire qui les entoure dans ce sicle, mais les uvres qu'ils comptent emporter outre-tombe. Les rois, quand ils sont bons, sont un prsent de Dieux ; sont-ils mauvais, c'est le chtiment des crimes du peuple.

Peu de temps avant sa mort, prsidant un Concile, ds que les vques eurent vot les rgles qu'il leur avait proposes pour le gouvernement des glises d'Espagne, il se leva au milieu de l'assemble, et, d'un ton prophtique, il prdit la nation espagnole que si elle s'cartait des rgles qu'il venait de lui donner, et des doctrines qu'il lui avait enseignes, elle en serait punie par la famine, la peste et surtout par le glaive des oppresseurs. Il ajouta cependant que si ses malheurs la ramenaient de meilleurs sentiments, elle recouvrerait une gloire suprieure sa gloire passe et dominerait sur les autres nations. Tout cela s'est vu : les Espagnols prvaricateurs ont t punis par le glaive des Maures qui ont occup leur pays pendant prs de huit cents ans ; mais ensuite l'Espagne s'est couverte dune gloire incomparable sous les rgnes de Ferdinand le Catholique, Charles-Quint et Philippe II qui, parlant avec orgueil de l'tendue de leurs tats, pouvaient dire que le soleil ne s'y couchait jamais.

Ses derniers moments et sa mort bienheureuse.

A la fin de 635, six mois avant sa mort, le saint vque en ressentit les approches par une maladie qui, tout en affaiblissant son corps, fortifiait son esprit. Il redoubla alors de tendresse pour ses plus chers enfants qui taient les pauvres, les moines et les vierges : tout ce qui lui restait encore de bien, il le fit distribuer aussitt aux indigents.

Le 31 mars suivant, il prvit le moment de son dpart pour le ciel et manda auprs de lui quelques-uns des vques voisins pour l'assister ; tous accoururent en larmes. Isidore, leur arrive, se fit porter dans l'glise de Saint-Vincent, o il put donner la bndiction son peuple bien-aim qu'il allait quitter. S'tant assis au milieu du chur, il se dpouilla lui-mme de ses habits, tout malade qu'il tait, se fit donner un cilice, et, couch sur la cendre, il fit devant les vques et le peuple cette belle prire:

Dieu qui connaissez le cur des hommes, qui avez pardonn au publicain ses pchs lorsqu'il se frappait humblement la poitrine, loign par respect de vos autels, et qui avez rendu la vie Lazare, mort depuis quatre jours, recevez maintenant ma confession, et dtournez vos yeux des pchs sans nombre que j'ai commis contre votre Majest. C'est pour moi et non pas pour les justes que vaux avez mis dans l'Eglise le bain salutaire de la pnitence.

Il demanda ensuite l'absolution et la Sainte Communion qu'il reut avec des sentiments de contrition et d'humilit. Il implora le pardon des assistants pour des fautes qu'il n'avait jamais commises, et bnit encore la multitude qui ne cessait de se prosterner pour lui baiser les mains. Afin de couronner dignement une vie o il s'tait consum de tendresse pour ses chers enfants, il fit venir tous ses dbiteurs et leur remit leurs dettes. Les trois jours suivants, il se fit de mme porter l'glise, et c'est l, devant l'autel et sur la cendre, qu'il mourut en donnant une dernire bndiction son peuple, le 4 avril 636.

Son autorit doctrinale et son culte.

Plac la limite du monde ancien et du moyen ge, il a transmis les enseignements des grands docteurs qui l'ont prcd, et il est souvent regard comme le dernier Pre de 1'Eglise latine. Le VIIIe Concile de Tolde, tenu quatorze ans aprs sa mort, lappelle le Docteur excellent, la gloire de lEglise catholique, et le plus savant homme des derniers sicles; et deux cent ans plus tard, le Pape Lon IV le place la suite de saint Jrme et de saint Augustin. Enfin, le grand vque de Sville a t nomm Docteur de l'Eglise universelle par Innocent XIII, le 25 avril 1722.

Son corps demeura enseveli dans sa cathdrale, entre ceux de son frre Landre et de sa sur Florentine, durant les trois sicles de l'invasion des Maures, jusqu' ce que le roi de Castille, Ferdinand 1er, le fit transporter Lon, le 21 dcembre 1063, ce qui donna un nouvel essor son culte. Il y repose dans 1'glise collgiale qui porte aujourd'hui son nom.

A.P.S

Sources consultes.Bollandistes. C. Brhaut, Un Encyclopdiste du moyen-ge, New-York, 1912. - Dom Paul Sjourn, Le dernier Pre de l'Eglise: Saint lsidore de Sville (sous presse, Paris, 1937). - (V. S. B. P., n 215.)

SAINT VINCENT FERRIER

Dominicain, missionnaire (1350-1419).

Fte le 5 avril.

Vincent Ferrer - nous disons en franais Ferrier,- surnomm l'aptre voyageur, est coup sr l'un des prdicateurs les plus surprenants de son sicle et mme des temps modernes. Parcourir tous les chemins de l'Europe, prcher aisment pendant quarante ans, de quatre six heures par jour, sans fatigue pour lui-mme et pour son auditoire, adopter souvent pour thme de ses prdications le sujet le plus terrifiant et le plus capable daliner un auditoire: les fins dernires et le jugement, quelle gageure pour un prdicateur!

Et cependant, ce prcurseur de lheure terrible entrane aprs lui des villes et des provinces entires. Il parle des foules de 80 000 hommes; on porte 140 000 le nombre des pcheurs notoires quil arrache leur crime. Difficult plus grande: il convertit des Juifs en masse. Enfin, suprme tour de force: il amne facilement, la morale vanglique, celui que le missionnaire catholique nose qu peine aborder aujourdhui: le musulman!

Son enfance et sa jeunesse.

II y avait une me de feu dans cet enfant prdestin, dont de merveilleux prsages signalrent la naissance, Valence d'Espagne, le 23 janvier 1350. On a remarqu dans les armes des Dominicains ce chien que la mre de saint Dominique vit en songe, tenant dans sa gueule un flambeau qui s'chappait de son sein pour embraser la terre. Constance Miguel, femme du notaire Guillaume Ferrier, eut un songe analogue. Vincent s'en autorisera pour dire un jour : Tel je suis moi-mme allant par le monde, aboyant contre les loups infernaux. Cest une grande dignit d'tre ainsi le chien du Seigneur.

Grandi sous un soleil resplendissant, l'Espagnol est prcoce, Vincent tait exceptionnellement dou. Son esprit tait si pntrant, et sa mmoire si extraordinaire, qu' dix-sept ans il avait termin le cycle des tudes qui d'ordinaire s'achve dix-huit. La science thologique s'ouvrit pour lui et lui fit non seulement connatre, mais sentir Dieu, selon l'heureuse expression de Fnelon. Une dvotion trs tendre s'panouissait en mme temps dans son cur, l'gard de la Vierge, appui instinctif des heures troubles de l'adolescence. Pour Vincent, tout prdicateur qui parlait d'elle parlait bien. Aussi, plus tard, lorsqu'il prchera, ses sermons commenceront-ils invariablement par l'Ave Maria.

Vocation. - Caractre de sa parole dans la chaire.

Quand l'heure vint de fixer sa vie, l'adolescent avait depuis longtemps choisi dans son cur. Son me ardente et contemplative trouverait chez les Frres Prcheurs cette alternance, si bien faite pour sa nature, de la contemplation et de l'activit. Il entra donc, le 5 fvrier 1368, au couvent de Saint-Dominique, Valence. Ce que fit un pareil homme au noviciat, ses premiers biographes lont dfini en quatre coup de crayon: Humilit sans feinte, oraison sans tideur, assiduit sans ennui, affabilit sans ombre. La premire condition dune grande vie, a dit Lacordaire, cest de se proposer une grande ambition.

Le jeune novice tudia et copia si bien la vie du fondateur de son Ordre, que plus tard on ne saura plus distinguer le disciple du matre, ce qui ne va pas sans quelque inconvnient pour l'exactitude de sa biographie.

Son noviciat termin, et aprs avoir enseign la philosophie ses frres, il fut envoy Barcelone, puis l'Universit de Lrida, o on l'honora du bonnet de Docteur (1378).

Rappel Valence, il fut charg par l'archevque d'annoncer au peuple la parole de Dieu. On accourait de toutes parts, pour entendre ce prdicateur de vingt-quatre ans - il n'tait encore que diacre dont la manire ne rappelait aucune autre. Sa voix, tour tour douce et formidable, subjuguait les foules.

Loriginalit du missionnaire a souvent fait perdre de vue en Vincent Ferrier, le prdicateur de talent. Fort, heureusement, beaucoup de ses sermons nous on t conservs, grce aux notes de ses auditeurs.

Ils mettent en face d'un philosophe puissant, dun thologien original, d'un psychologue savoureux, d'un orateur plein de verve et de nuances, d'un diplomate avis... Plus on fait connaissance avec cet auteur du XVe sicle, plus on est charm d'y trouver un homme, non pas un homme quelconque, mais une physionomie haute en couleurs, et de traits accentus, originaux, avec quelque chose de simple et de souriant. (Max Gorge.)

Outre le talent de l'orateur et l'accent de la persuasion, Dieu avait dparti Vincent le don de prophtie. Et rien n'est grand dans l'imagination des hommes comme un prophte.

Il n'tait pas rare de le voir interrompre un dveloppement familier pour jeter tout coup son auditoire une rvlation prophtique.

En 1374, la famille svissait en Espagne. A Barcelone, sur le conseil de Vincent, des processions suppliantes sillonnrent la ville. L'aptre harangua cette foule de 20 000 hommes, l'exhortant l'expiation, puis la confiance en Dieu, qui ne frappe que pour gurir. Tout coup son visage s'illumina : Rassurez-vous, dit-il, avant la nuit, deux navires chargs de bl seront au port.

Beaucoup demeurrent sceptiques. Son prieur le tana vertement, et lui enjoignit de se dispenser l'avenir de toute espce de prophtie ou de manifestation intempestive qui sortirait de l'ordre commun, sans l'assentiment de son suprieur. Et voil que le soir, dans l'irradiation du soleil couchant, deux voiles blanches apparurent, signales, par la sentinelle de Montjuich, se dirigeant vers le port, et, en effet, charges de grain. A quelques jours de l, s'il faut en croire la lgende, Vincent sortait de son couvent. Au moment o il passe, un maon tombe d'un chafaudage, et reste accroch dans une situation prilleuse:

Fray Vincenti, s'crie-t-il, sauvez-moi ! Alors le moine, proccup avant tout d'obir son suprieur : a Attends, dit-il, que j'aille demander la pei mission, u Fuis muni de l'autorisation de son suprieur assez courrouc : Va, dit-il au malheureux, tu peux descendre.

Et l'homme se laissa choir doucement, comme en parachute. Voil pourquoi on trouve un peu partout en Espagne, en Italie et dans le midi de la France, des confrries de maons riges en l'honneur de saint Vincent Ferrier. Voil pourquoi on voit dans beaucoup d'glises, Vrone par exemple, des tableaux reprsentant des scnes trangement mouvementes, et pour lesquelles les guides peu avertis n'ont pas d'explication.

Saint Vincent aux prises avec Satan.

Une nuit que Vincent tait en prire, il voit s'avancer vers lui un vnrable ermite l'aspect austre, et mortifi : Je suis, dit-il, un ancien Pre du dsert, devenu un grand Saint, malgr les dsordres de ma vie. Croyez-en donc un vieillard expriment : je vous donne le conseil de vous mnager un peu plus, et de vous accorder quelque rpit et quelques plaisirs. Le pige tait par trop grossier ; Vincent n'y tomba point. Le dmon usa d'une tactique plus directe et se servit comme intermdiaire d'une crature passionne et effronte, dont les artifices demeurrent vains ; cette mchante femme, tout coup possde, s'agitait avec fureur quand on arriva auprs d'elle. On employa tous les exorcismes, mais inutilement. Elle s'criait: Celui-l seul pourra me chasser de ce corps, qui n'a point brl au milieu du feu. Paroles nigmatiques dont on eut bientt l'explication. A peine Vincent Ferrier, mand en toute hte, avait-il mis le pied sur le seuil, que Satan fit entendre un effroyable rugissement : Le voil, s'crie-t-il, cet homme qui n'a point brl au milieu du feu. Je sors! Et ces mots, il s'enfuit, laissant la femme demi morte.

Saint Vincent et l'Eglise.

Le Grand Schisme d'Occident divisait alors l'Eglise. La France et l'Espagne venaient de se soustraire l'autorit lgitime du Pape de Rome, Urbain VI, pour obir l'antipape d'Avignon Clment VII et son successeur, Benot XIII, qui, avant son lection frauduleuse, se nommait Pierre de Lune, cardinal d'Aragon.

Benot XIII fit venir auprs de lui matre Vincent. Celui-ci se rendit Avignon, o rsidait l'antipape, fixa sa rsidence au couvent des Dominicains, et donna l'usage du clerg un cours de thologie trs pntrant.

Disons tout de suite qu'il croyait sincrement l'autorit lgitime de Benot XIII. D'ailleurs la question du Pape vritable prsentait cette poque une telle confusion et ambigut qu'elle tait bien plus difficile rsoudre alors qu'elle ne le devint par la suite. A ct de saint Vincent Ferrier on citera toujours le bienheureux cardinal Pierre de Luxembourg, vque de Metz, comme un des plus nobles appuis de la cause de Benot XIII.

Tout en restant convaincu de la lgitimit du Pape d'Avignon, Vincent tait aussi persuad que l'abdication de celui-ci tait le seul moyen de mettre fin au schisme, et il fit tous ses efforts pour dcider Benot XIII se dmettre, ainsi que ce Pape l'avait d'ailleurs promis.

Cette proposition sembla trop dure Pierre de Lune. La douleur de l'homme de Dieu s'accrut tellement qu'une violente fivre le conduisit en quelques jours aux portes du tombeau. Quand il revint la sant, en vain Benot XIII lui offrit-il les plus hautes dignits, l'piscopat, le cardinalat mme : Vincent Ferrier, acceptant seulement le titre de lgat a letere Christi (4 octobre 1398), qui lui confrait tout pouvoir de prcher, de lier et de dlier, inaugura sa vraie mission qui tait de sauver les mes. Il commena, ds lors, ces courses dont chaque pas fut un miracle, chaque parole une victoire pour le ciel.

Saint Vincent voyageur.

Vincent avait quarante-huit ans lorsqu'il commena les pnibles travaux qui devaient l'occuper jusqu' sa mort. Vouloir fixer rigoureusement les itinraires qu'il suivit dans les pays d'Europe qui obissaient alors au Pape d'Avignon serait pure utopie. Nous le trouvons Alexandrie, en France, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Suisse et en Ecosse. En Dauphin, il retrouve son propre frre, Gnral des Chartreux. Sur sa route, il moissonne des mes d'lite, tel le Franciscain Bernardin de Sienne, que l'Eglise devait mettre sur ses autels en 1450, cinq ans avant Vincent Ferrier. Nous le suivons en Lombardie, puis en Pimont, puis en Savoie. Le 5 mars 1404, il entre Fribourg ; la mme anne il pose la premire pierre du couvent des Frres Prcheurs Chambry. Annecy l'accueille avec enthousiasme. Lorsque deux cents ans plus tard, saint Franois de Sales paratra, il n'aura qu' rappeler ce souvenir, et dans son cur il bnira cet illustre anctre d'apostolat des prdications duquel la ville d'Annecy a t quelquefois honore .

Saint Vincent et le faux ermite.

En Lorraine, Nancy a vu passer matre Vincent; de mme, en Franche-comt, Besanon et Poligny, o il rencontrera la grande rformatrice des Clarisses, sainte Colette: ensemble les deux Saints criront (1417) au Concile runi Constance, et lattitude rsolue de ces deux mes, qui prcdemment avaient eu foi en Benot XIII, mais qui ne reculaient pas devant la vrit une fois connue, contribua hter la dposition de lantipape et llection inconteste de Martin V.

Sainte Colette prdit dailleurs Vincent qu'il mourrait en France.

Le don des langues.

Notre-Seigneur renouvela en faveur de son serviteur le miracle de la Pentecte. Les gens de nationalits diverses, qui ne se comprenaient pas entre eux, le comprenaient comme s'il et parl leur langue, chacun s'imaginait que le prdicateur avait tudi son idiome. Or, il est constant qu'il ne sut jamais que les langues mortes et le valencien, sa langue maternelle. Que dans le midi de la France, dans les pays de langue romane il put tre compris, c'est vraisemblable ; mais l'aptre acheva sa vie en Basse-Bretagne, o se parle communment le breton, et l est le prodige. Certainement Dieu intervint en accordant son missionnaire la grce de se faire comprendre d'auditeurs trs loigns de lui par leur langue maternelle, tels que les Basques et les Bretons ; devant eux, l'aptre parlait sans gne, sans plus s'inquiter de la diffrence radicale des idiomes que des nuances qui avaient pu se rencontrer dans les autres pays. Prodigieux succs! et, en tout cas, immense popularit , crit un directeur de l'cole des Chartes qui n'admet pas le miracle.

Le Saint et l'aptre.

Sa vie, dit un tmoin, tait trs dure, mme en voyage. Il allait toujours pied ; puis, quand il fut malade d'une jambe, sur un ne. Il ne mangeait jamais de viande et ne faisait qu'un repas par jour: point de lit, mais une simple paillasse tendue par terre. Il se levait 2 heures, rcitait l'office du chur, puis le psautier. Souvent il prenait une sanglante discipline, A Toulouse, l'archevque lui demanda de modrer un peu, pour le bien des mes, les rigueurs de ses mortifications, car il tait sexagnaire. Permettez-moi, rpondit-il, d'achever ce que j'ai commenc; mon ge, tout changement est dangereux. L'archevque sourit et n'insista pas.

Pour qui connat la nature humaine, cette continuit sans relche est un vrai prodige, mme au couvent. Mais, quand c'est au dehors qu'il s'agit de maintenir avec une rigueur inflexible cette austre uniformit, et cela tous les jours, avec urne infinie multiplicit daffaires, sous toutes les latitudes, en toutes saisons, dans toutes dispositions d'esprit et de corps, cela suppose une nergie et un tat d'me qui n'est pas naturel. Quand on porte, comme il le faisait, le poids d'une journe de dix-huit heures, c'est bien lourd ; de plus, le court sommeil qu'il prenait tait souvent interrompu par de cruelles insomnies et les rancunes de l'enfer. Mais Comme Dieu tait glorifi et comme les mes se trouvaient prpares leur insu, par les souffrances du missionnaire, recevoir la grce !

Vincent ne cueillit la palme du martyre que par la vhmence de ses dsirs ; mais il subit en ralit, tous les jours, le martyre de la patience. Faim, soif, chaleur, fatigue, temptes, ravins, tor