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Ville et médiation : note de synthèse 1. DEFINITION, OBJECTIFS DE LA MEDIATION La médiation n’est pas nouvelle et constitue un phénomène qui dépasse largement la société française. Mais depuis les années 1980, elle s’y développe et a investi de nombreuses sphères de la vie en société, de la sphère la plus intime, la famille, jusqu’à la scène politique en passant par le service public : médiation familiale, médiation pénale ou civile, médiation d’entreprise, médiation sociale dans les quartiers… La ville n’échappe effectivement pas au phénomène : lieu de convivialité, mais aussi de tensions, lieu de brassage mais aussi d’exclusion, lieu d’isolement en même temps que d’échanges, elle en apparaît même comme le creuset privilégié. Tous les aspects de la médiation trouvent à s’y exercer, qu’il s’agisse de prévention ou de règlement des conflits, d’amélioration des relations entre les institutions et leurs publics ou de création de lien social. 1.1 Définition de la médiation sociale Etymologiquement, la médiation renvoie à la notion d’intermédiaire et, sans doute, de lien. Elle peut être considérée comme une entreprise destinée à trouver un accord, une solution de conciliation entre des parties à un différend. Elle représenterait un mode alternatif de règlement des conflits. Nombre de pratiques de médiation, en particulier celles développées dans le cadre des quartiers d’habitat social, appellent cependant à un élargissement de la définition. Comme le montre Michèle Guillaume-Hofnung 1 , la médiation (sociale) assume, en fait, quatre fonctions : la création de lien social, la réparation du lien social, la prévention des conflits et enfin le règlement des conflits. Soit la médiation comme mode de retissage du lien social et la médiation comme gestion des conflits, ou encore médiation des différences et médiation des différends. La médiation s’entend alors d’une manière globale, selon la définition qu’en propose Michèle Guillaume-Hofnung, comme « un mode de construction et de gestion de la vie sociale grâce à l’entremise d’un tiers, le médiateur, neutre, indépendant, sans autre pouvoir que l’autorité que lui reconnaissent les médiés qui l’auront choisi ou reconnu librement » 2 . 1.2 La médiation, une réponse à la crise des modes de régulation sociale ? Le renouveau de la médiation depuis le milieu des années 1970 s’inscrit dans un contexte de crise des mécanismes de régulation sociale. La famille, l’école, le quartier, la justice, la religion, les partis politiques n’assurent plus leur fonction traditionnelle de lieux de régulation et/ou de sociabilisation. 1 GUILLAUME-HOFNUNG Michèle : La médiation , PUF, 1995 2 GUILLAUME-HOFNUNG Michèle : op.cit., p.74

1. DEFINITION, OBJECTIFS DE LA MEDIATI ON · 2012-10-10 · communication entre les habitants, par la résolution de conflits de ... pour montrer les limites et obstacles que rencontre

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Ville et médiation : note de synthèse

1. DEFINITION, OBJECTIFS DE LA MEDIATION

La médiation n’est pas nouvelle et constitue un phénomène qui dépasse largement la société française. Mais depuis les années 1980, elle s’y développe et a investi de nombreuses sphères de la vie en société, de la sphère la plus intime, la famille, jusqu’à la scène politique en passant par le service public : médiation familiale, médiation pénale ou civile, médiation d’entreprise, médiation sociale dans les quartiers… La ville n’échappe effectivement pas au phénomène : lieu de convivialité, mais aussi de tensions, lieu de brassage mais aussi d’exclusion, lieu d’isolement en même temps que d’échanges, elle en apparaît même comme le creuset privilégié. Tous les aspects de la médiation trouvent à s’y exercer, qu’il s’agisse de prévention ou de règlement des conflits, d’amélioration des relations entre les institutions et leurs publics ou de création de lien social.

1.1 Définition de la médiation sociale Etymologiquement, la médiation renvoie à la notion d’intermédiaire et, sans doute, de lien. Elle peut être considérée comme une entreprise destinée à trouver un accord, une solution de conciliation entre des parties à un différend. Elle représenterait un mode alternatif de règlement des conflits. Nombre de pratiques de médiation, en particulier celles développées dans le cadre des quartiers d’habitat social, appellent cependant à un élargissement de la définition. Comme le montre Michèle Guillaume-Hofnung 1, la médiation (sociale) assume, en fait, quatre fonctions : la création de lien social, la réparation du lien social, la prévention des conflits et enfin le règlement des conflits. Soit la médiation comme mode de retissage du lien social et la médiation comme gestion des conflits, ou encore médiation des différences et médiation des différends. La médiation s’entend alors d’une manière globale, selon la définition qu’en propose Michèle Guillaume-Hofnung, comme « un mode de construction et de gestion de la vie sociale grâce à l’entremise d’un tiers, le médiateur, neutre, indépendant, sans autre pouvoir que l’autorité que lui reconnaissent les médiés qui l’auront choisi ou reconnu librement » 2.

1.2 La médiation, une réponse à la crise des modes de régulation sociale ?

Le renouveau de la médiation depuis le milieu des années 1970 s’inscrit dans un contexte de crise des mécanismes de régulation sociale. La famille, l’école, le quartier, la justice, la religion, les partis politiques n’assurent plus leur fonction traditionnelle de lieux de régulation et/ou de sociabilisation.

1 GUILLAUME-HOFNUNG Michèle : La médiation, PUF, 1995 2 GUILLAUME-HOFNUNG Michèle : op.cit., p.74

Ville et médiation : note de synthèse

Face à la crise des institutions et ses corollaires, le délitement du lien social, la violence et l’insécurité, il semble qu’il soit nécessaire de faire « autrement ». La médiation semble alors traduire l’émergence d’un nouveau mode de régulation sociale, d’un nouveau modèle d’action régissant les rapports entre individus, mais aussi les relations entre l’Etat et la société civile. Les trois caractéristiques principales de la médiation, et particulièrement de la médiation développée dans les quartiers en difficultés (cf. ci-dessous), à savoir le partenariat, la participation et la non-violence, apparaissent, en effet, comme une réponse, point pour point, aux principaux symptômes évoqués d’une société analysée comme en proie au délitement ou traversée de fractures.

1.3 Ville et médiation

Dans certains quartiers de certaines villes, les dysfonctionnements sociaux sont particulièrement forts. Ils s’expliquent en terme de distance physique ou culturelle, de sous-équipement, d’inégalités d’accès aux services publics, de dégradation de l’habitat et du logement, de difficultés d’intégration des populations issues de l’immigration. Le service public ne représente souvent déjà plus la dernière norme présente dans le quartier, qui relierait celui-ci à la marche commune de la société. Ou plutôt, il fait l’objet d’un ressentiment de la part d’habitants qui se sentent abandonnés, méprisés, victimes de discriminations, que celles-ci soient réelles ou non. L’expression du mal-être de certains jeunes, de leur révolte et de leur déchirement identitaire prend ainsi parfois pour cible les services publics et leur personnel, générant localement un sentiment d’insécurité. Face à la rupture entre les institutions et une partie de la population, marquée par les violences urbaines d’un côté, les violences institutionnelles ou la violence du droit de l’autre, le recours à la médiation dans le cadre de la politique de la ville constitue une tentative de résolution des dysfonctionnements sociaux par le dialogue et la négociation, mais aussi par la création de lien social. La médiation s’attache aussi à répondre à un besoin de communication entre les habitants, par la résolution de conflits de voisinage, de conflits liés au bruit et autres nuisances, aux rassemblements de jeunes dans les espaces publics… En amont, en complément ou en alternative à la régulation assurée par les institutions, se multiplient ainsi depuis les années 1980, dans les zones urbanisées à problèmes, de nombreuses pratiques de gestion des conflits de la vie quotidienne, tissant du lien social et participant à la lutte contre l’exclusion. Les habitants eux-mêmes peuvent spontanément jouer le rôle de médiateurs, intervenant directement pour régler les difficultés et problèmes qui se posent quotidiennement dans leur quartier : conflits de voisinage, échec scolaire, délinquance et violence, besoin d’accompagnement auprès des administrations, d’aide à la recherche d’emploi ou de logement... Les habitants peuvent aussi être employés par des associations, des municipalités, des entreprises publiques, dans une logique d’animation, de prévention ou de sécurisation des usagers ou des habitants. Par une présence sociale de proximité, la médiation favorise ainsi la ré-appropriation des normes de la société et la recréation de liens sociaux entre les habitants et les institutions, entre les habitants eux-mêmes, entre générations, entre voisins et entre cultures différentes. Intervenant dans un cadre urbain et notamment dans les quartiers en difficulté, pour y améliorer la qualité de la vie, la médiation « sociale » se distingue des autres formes de médiation : - il s’agit d’un processus dont l’objectif ultime est de restaurer, retisser du lien social ou, tout au moins, une forme effective de communication. L’aspect « résolution des conflits » est second, tout en restant très présent dans la démarche.

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- la médiation sociale s’exerce essentiellement en direction de populations fragilisées ou en difficultés pour lesquelles se posent des problèmes d’intégration à la vie sociale. - la médiation sociale dans les quartiers est fréquemment réalisée par des personnes issues du milieu d’origine, c’est-à-dire du quartier lui-même ou de la même communauté ou catégorie de public que celle qu’on souhaite atteindre : jeunes, femmes maghrébines ou africaines, primo-arrivantes ou non, parents d’élèves…, dans un double objectif de valoriser les ressources propres des quartiers, et, quand les médiateurs sont des professionnels, de permettre à des personnes en difficulté d’insertion professionnelle, d’accéder à un emploi, même si la forme en est souvent précaire. C’est notamment le cas des jeunes, souvent d’origine immigrée, embauchés en emplois jeunes comme agents d’ambiance, agents locaux de médiation sociale… A la suite de Jean-Pierre Bonafé-Schmitt 3, deux médiations de nature différente méritent d’être distinguées : - une médiation institutionnelle, émanant des institutions et contrôlée par elles, qui court le risque d’être instrumentalisée ; - une médiation citoyenne, issue de la société civile, moins tributaire des modèles et impératifs institutionnels. Dans la réalité, ces deux modèles de médiation se manifestent rarement entièrement purs, les pratiques pouvant emprunter à chacun d’eux à la fois. Ainsi, les médiateurs dans les transports publics sont souvent des jeunes issus du quartier, mais recrutés ou mandatés par des entreprises de transports.

1.4 Les difficultés posées par la médiation dans la pratique

Comme le souligne Michèle Lindeperg dans son rapport « Médiation et conciliation de proximité » au Conseil économique et social 4, un premier risque tient à la prolifération aujourd’hui de dispositifs dits de médiation et de « médiateurs », d’origine privée autant qu’à l’initiative des pouvoirs publics, nationaux et locaux, qui s’apparentent souvent de très loin seulement à la véritable médiation. Les conséquences en sont notamment le manque de garanties quant à la qualité des médiateurs, quant à leur formation et leur déontologie. Si les risques possibles d’atteinte aux libertés individuelles invitent à envisager le développement des pratiques de médiation avec une grande rigueur et une grande prudence, peuvent aussi être soulignées les difficultés, révélées par la pratique, inhérentes à la nature même de la médiation. A partir d’une série d’expériences de médiation pénale, Arnaud Stimec, médiateur, formateur et chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine 5 s’appuie ainsi sur les quatre caractéristiques majeures de la médiation : neutralité et impartialité du médiateur, confidentialité, maîtrise d’un processus et absence de pouvoir, pour montrer les limites et obstacles que rencontre le médiateur : en particulier, souci de l’équité qui s’oppose à la neutralité et à l’impartialité, valeurs difficiles à respecter en cas de déséquilibre entre les parties ; tentation du médiateur de refuser de « cautionner » certains accords ; privilégier la résolution du problème ou la « réparation » de la relation à l’autre, comment faire adhérer les parties à ces deux enjeux ?

3 BONAFE-SCHMITT Jean-Pierre ; DAHAN Jocelyne ; SALZER Jacques, SOUQUET M., VOUCHE J.-P. : Les médiations, la médiation, Ed. Erès, 1999 4 LINDEPERG Michèle : Médiation et conciliation de proximité ; rapport présenté au nom de la section du cadre de vie, Conseil économique et social, 2001 5 STIMEC Arnaud : « La conscience des limites de la médiation comme moyen de son développement : la théorie et la déontologie face à la pratique », in Bulletin de Liaison du Laboratoire d’Anthropologie Juridique de l’Université Paris-Sorbonne, n°22, sept. 1997

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1.5 La médiation, réponse à toutes les formes de conflit ?

Comme le souligne encore Michèle Lindeperg dans le rapport au Conseil économique et social déjà cité, la médiation ne peut pas être considérée comme le mode de résolution de tous les conflits. Elle ne peut, en particulier, répondre aux cas de délinquance endurcie qui exigent d’autres traitements, spécifiques. On en revient aux caractéristiques et conditions d’efficacité de la médiation : celle-ci est d’autant plus efficace qu’elle intervient en amont du conflit ou, tout au moins, que les conséquences de l’éclatement du conflit ne sont pas fatales ou irréparables. De plus, la médiation suppose une certaine reconnaissance de son rôle par chacune des parties en présence. Aucune de ces conditions ne peuvent, en général, être réunies dans les situations de confrontation sociale qui se multiplient dans certains quartiers. Y répondre par la médiation ne relèverait-il pas de l’utopie ? La médiation ne paraît pas adaptée, non plus, à tous les petits litiges, certains posant des problèmes de droit, d’autres mettant en présence des parties trop déséquilibrées. Enfin, tous les conflits issus de la vie en société ne semblent pas devoir être étouffés. Comme le note Michèle Lindeperg dans son rapport déjà évoqué, les Etats démocratiques acceptent, à l’inverse des totalitarismes, l’expression des conflits individuels et sociaux au sein de la société, ces conflits pouvant être facteurs de progrès social, d’avancées dans le domaine sociétal et dans celui des libertés collectives et individuelles.

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2. HISTORIQUE DE LA MEDIATION, AU REGARD DU MODELE REPUBLICAIN

ET DANS LE CADRE DE LA POLITIQUE DE LA VILLE

2.1 La médiation, une valeur à contre courant du modèle républicain

Les interactions sont fortes entre les valeurs d’un pays, sa structure socio-politique, et le développement qu’y connaît la médiation. L’Etat très centralisé en France se méfie traditionnellement des corps intermédiaires, en somme d’une éventuelle forme de médiation entre les citoyens et lui. Les associations n’ont été reconnues qu’en 1901. La notion de médiation sociale ne pouvait se développer dans ce contexte qu’en réaction à un mode de régulation jugé trop rigide. Yves Palau 6 montre qu’elle s’inscrit dans un courant théorique alternatif de la tradition républicaine, le courant organiciste. Celui-ci conçoit la société civile comme organisée en différents corps intermédiaires entre l’individu et l’Etat. L’association constituerait l’acteur principal de cette organisation. Trois éléments sont, en effet, considérés comme constitutifs de la médiation sociale : l’exigence d’une société civile, sphère autonome entre l’Etat et l’individu ; l’idéal participatif comme revitalisation de l’espace démocratique et la valorisation de l’association comme acteur principal d’un nouveau jeu social.

2.2 Le développement des pratiques de médiation à partir des années 1980

La méfiance de l’Etat à l’égard de la notion de médiation, s’assouplira cependant au cours du temps. A partir des années 1980, les pratiques en ce sens sont encouragées. A la suite des analyses de Robert Castel sur les métamorphoses de la question sociale et celles de François Dubet et Didier Lapeyronnie 7, Catherine Delcroix 8 montre qu’en l’absence d’un mouvement social capable de favoriser l’intégration des exclus par le conflit, l’Etat demande à ses agents d’identifier des acteurs représentatifs de la population et de favoriser la communication entre les différents partenaires et les usagers. La médiation peut ainsi être analysée comme une réponse à l’absence de corps intermédiaires entre l’Etat et les habitants des quartiers en difficulté, qui puissent contribuer à la régulation et à l’intégration sociale. C’est dans le même sens qu’à la fin des années 1980, faute de structures organisées accessibles aux jeunes issus de l’immigration, la politique d’intégration s’efforce de développer des lieux de médiation, susceptibles de jouer un rôle normatif et socialisant, aidant par exemple, à la structuration de groupes et associations à vocation

6 PALAU Yves : « La médiation sociale, une construction idéologique », in Etudes, déc. 1996 7 DUBET François, LAPEYRONNIE Didier : Les quartiers d’exil, Seuil, 1992 8 DELCROIX Catherine : « Les médiatrices socioculturelles au sein du développement local et urbain", in Villes, sciences sociales, professions , in Espaces et sociétés n°84-85, 1996

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culturelle ou sportive, porteurs de nouvelles valeurs identitaires et constituant un vecteur de reconnaissance extérieure. La médiation qui se développe alors en France dans les quartiers reste cependant influencée dans sa nature par le modèle d’intégration français. Assis sur des institutions politiques centralisées, le modèle républicain repose sur la citoyenneté de l’individu abstrait, tous particularismes culturels mis à l’écart, le principe de laïcité se traduisant par une séparation complète entre vie publique et vie privée. Dans ce contexte, les projets de médiation dans les quartiers regroupent généralement des habitants issus de différentes communautés, plus qu’ils ne s’adressent à des communautés spécifiques. Par ailleurs, la même origine culturelle ou géographique entre les médiateurs sociaux et culturels et leurs publics (cf. ci-dessous) ne semble pas conduire à une « dérive communautaire ». La solidarité entre les membres d’une communauté favoriserait, au contraire, l’intégration à l’ensemble de la société. Les médiateurs et médiatrices culturels s’adressent, par ailleurs, autant aux personnes en difficultés de leur quartier qu’aux populations d’origine immigrée. Certains dispositifs de médiation peuvent cependant représenter un pas vers la reconnaissance de l’identité culturelle de certains acteurs et de certaines communautés.

2.3 Politique de la ville et médiation : entre proximité et participation

La proximité annonce la médiation et lui coexiste. Elle représente un axe important de la politique de la ville depuis la fin des années 1970 et dans les années 1980 avec les programmes « Habitat et Vie Sociale » (HVS) et « Développement Social des Quartiers » (DSQ) au travers du développement des services publics de proximité. Développée au sens spatial, la proximité l’est progressivement aussi sens figuré et humain pour remédier au sentiment d’abandon des habitants des quartiers et favoriser leur communication avec les institutions et le reste de la ville. A la fin des années 1980, l’offre relationnelle est élargie : le travailleur social n’est plus seul ; s’implantent dans les quartiers en difficulté une agence ou une antenne des bailleurs sociaux, une « Maison du Citoyen » faisant office d’annexe de la mairie, une permanence DSQ, une Maison de Justice... Sont en même temps promus des positions de négociation et des rôles d’« intermédiaires ». Les chefs de projets dans le cadre de la politique de la ville, certains chefs d’agence dans les offices HLM ou les régisseurs, assurent cette fonction de médiateurs entre habitants, élus, techniciens ou bailleurs. La prise en compte des attentes des habitants et leur participation deviennent indissociables de cette évolution. L’exemple de la gestion urbaine de proximité est, à cet égard, significatif : politique publique territoriale nouvellement mise en avant dans le but de résoudre les problèmes de la vie quotidienne dans les quartiers, elle repose sur diverses activités, l’accueil, le gardiennage, la médiation, et notamment la participation des habitants à la gestion de leur propre quartier, pour en favoriser l’appropriation. On peut aussi dire que la politique de la ville évolue d’une logique d’équipement vers une logique de services, c’est-à-dire vers des prestations plus individualisées et territorialisées. En témoigne, par exemple, la démarche engagée autour des services publics, avec notamment les plates-formes de services publics 9 qui ne relève plus seulement, semble-t-il, d’une politique de rattrapage.

9 Les plates-formes de services publics sont des équipements spécialistes ou généralistes, regroupant différents services en un même lieu, ou de mise en réseau de différentes structures offrant des services divers.

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La double centration de la politique de la ville sur les individus et sur le « local » concourt à privilégier la dimension relationnelle. Les exigences de proximité et de participation des habitants préparent le développement des pratiques de médiation urbaine. Celles-ci traduisent, en effet, la volonté de régler les tensions inhérentes à toute vie sociale et en particulier urbaine, par une action de proximité et par une action de responsabilité, au fondement de la participation des habitants. D’autant que, dans le même temps, la politique de la ville évolue vers une nouvelle approche du traitement des problèmes, non plus en termes de handicaps à résorber, mais de ressources cachées à valoriser. Cette nouvelle approche se traduit par la recherche d’interlocuteurs locaux et la reconnaissance du rôle des habitants pour lutter contre l’exclusion. La connaissance du « milieu » pour pouvoir s’y appuyer, devient la base indispensable de toute action de « développement » dans les quartiers d’habitat social. L’appartenance est valorisée pour favoriser une relation « sensible ». Dans cette optique, le monde associatif est invité à se mobiliser. De nombreux habitants jouent aussi une fonction d’intermédiaires. Apparaissent, à partir du début des années 1980, en particulier dans les quartiers à forte population immigrée, des personnes-relais (cf. 3.3 - La médiation sociale et culturelle), essentiellement des femmes, qui jouent un rôle croissant dans l’interface entre ces populations, voire les populations françaises défavorisées, d’une part, et les représentants de l’administration d’autre part. Par leur connaissance du quartier et de ses habitants, elles s’affirment progressivement aux yeux des professionnels du social et des administrations comme les interlocuteurs recherchés. Ainsi, les acteurs « issus du quartier », les travailleurs sociaux issus de l’immigration, se multiplient.

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3. LES DECLINAISONS DE LA MEDIATION EN FRANCE

Plusieurs types de médiation peuvent être distingués en fonction de leur champ d’intervention et de leur finalité dominante. Ces deux éléments seront croisés dans la typologie proposée, puisque la prévention-résolution des conflits et la création de lien social se révèlent souvent des objectifs en gigognes.

3.1 Urbanisme Gestion urbaine de proximité Logement

- Projets d’urbanisme, gestion de proximité et participation des habitants

En France, les projets d’aménagement et d’urbanisme sont soumis à une obligation de débat public. Les procédures d’enquête publique et d’étude d’impact permettent l’information des citoyens et le recueil de leur avis sur les projets qui affectent leur cadre de vie. De même, les opérations de réhabilitation de l’habitat social doivent faire l’objet d’une concertation publique avant toute décision de financement des travaux par l’Etat. Ce dispositif formel, inscrit dans la loi, ne suffit pas toujours à instaurer un dialogue entre les pouvoirs publics et les habitants, qui se traduise par une participation à l’élaboration des projets, et ne se réduise pas à l’information. Or, la réhabilitation constitue l’occasion de la reprise des relations entre institutions et habitants dans les quartiers dégradés. La plupart des maîtres d’ouvrage font ainsi désormais appel à des médiateurs, professionnels du développement social, pour jouer un rôle d’interface entre habitants, techniciens et décideurs. Le « suivi-animation » de la réhabilitation qu’ils assurent, consiste à mieux connaître la population et sa demande, à l’informer et l’accompagner dans les changements à venir, mais aussi à instaurer des espaces de parole ouverts à tous pour traiter des problèmes qui se posent au fur et à mesure de l’avancée de l’opération. De la même façon, les actions de gestion urbaine de proximité doivent faire l’objet d’un suivi-évaluation par des rencontres régulières entre élus, bailleurs, Etat et habitants. La participation des habitants y est déterminante pour partir de leurs problèmes et de leurs besoins, mais aussi pour recréer des règles de vie collective. Elle se traduirait d’ailleurs par une forte baisse de la violence et de la délinquance.

- La médiation entre les acteurs individuels de l’évolution urbaine et les pouvoirs publics

A côté des maîtres d’ouvrage acteurs publics ou acteurs privés professionnels, intervient dans l’évolution urbaine une multitude d’acteurs qui, pour leurs propres nécessités, prennent l’initiative personnelle de modifier un fragment, grand ou petit, de territoire pour améliorer, pour transformer, agrandir, construire ou détruire un lieu d’habitat, de travail, de culture, de loisir, de commerce. Ces personnes comprennent souvent mal la nécessité, pour leur démarche particulière, de s’intégrer dans un projet public d’ensemble et les contraintes qui leur sont, de ce fait, imposées. Chaque année, plus d’un million de personnes sont ainsi impliquées, comme pétitionnaires privés, dans les différents dossiers déposés pour obtenir

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une autorisation de construire ou de modifier une construction. A l’occasion de leurs demandes, les pétitionnaires sont, pendant quelques mois, en attente de réaction, en position de dialogue. C’est l’occasion de les sensibiliser à l’urbanisme, à l’architecture, au paysage, à la qualité de leur cadre de vie, à une démarche citoyenne. Le rapport d’étape de Claude Guislain 10, Urbaniste-Conseil, au Ministère de l’Equipement de janvier 2002, intitulé « Dialogue entre les acteurs de l’évolution urbaine et les pouvoirs publics, la médiation : une fonction à reconnaître, à préciser, à valoriser », souligne la nécessité d’une formation spécifique de médiateurs professionnels dans ce domaine, au-delà du rôle éducatif auprès des pétitionnaires que peuvent jouer certaines personnes des services des collectivités locales et de l’Etat, ou des organismes comme les CAUE, les ADIL (Agences départementales d’information sur le logement), les Maisons de l’Habitat… Il ne s’agirait pas là d’une médiation au sens conflictuel du terme : chaque acteur n’est pas, par principe, en conflit avec les pouvoir publics. Il s’agirait essentiellement d’une fonction pédagogique qui permette de transformer une démarche d’autorisation en une démarche expérimentale de la citoyenneté urbaine. Ces médiateurs auraient pour rôle d’animer :

1. l’accueil des citoyens, 2. leur minimale sensibilisation à la démarche, 3. l’explicitation de l’importance relative de leur projet, 4. l’incitation à faire appel, si nécessaire, à des compétences, 5. la mise en garde vis-à-vis des déviances douteuses, 6. la reconnaissance, a posteriori, de l’acte de citoyenneté.

Ce dialogue entre l’acteur individuel de l’évolution urbaine et le médiateur devrait se traduire par la plus grande qualité urbaine et architecturale du projet.

- La médiation dans le cadre de la politique en faveur du logement des défavorisés

La médiation s’est fortement généralisée dans le cadre de la politique en faveur du logement des défavorisés. Définie comme la présence d’un tiers social entre les personnes en difficultés et les détenteurs d’une ressource, aide ou logement, elle recouvre des pratiques d’accompagnement social, comme des pratiques de gestion de formules d’habitat temporaire ou de logement (sous-location, bail glissant notamment) et plus largement diverses initiatives de sécurisation des bailleurs. Peuvent ainsi être distinguées des missions de médiation qui relèvent de la gestion locative (de l’état des lieux à la prévention ou à la gestion des situations d’impayés de loyers), d’autres qui s’inspirent davantage d’une approche socio-éducative (utilisation du logement, gestion du budget, relation à l’environnement) et d’autres enfin qui prennent appui sur le logement pour assurer la prise en charge de situations sociales complexes. Les attentes des différents intervenants à l’égard de ces pratiques sont aussi diverses : les bailleurs en attendent une régulation des difficultés comportementales de certaines familles ou la prévention de l’impayé ; les services sociaux mobilisent ces pratiques dans une perspective d’insertion. La pratique du bail glissant est une pratique de médiation locative qui mobilise les associations, particulièrement utilisée pour favoriser l’accès au logement des personnes les plus en difficulté. Le principe du bail glissant consiste à accueillir dans le parc social un locataire présenté par une association pour une durée temporaire ne devant pas excéder en principe deux années. L’association est locataire en titre pendant cette période « probatoire » qui, à terme, doit déboucher sur un « glissement » du bail au nom de l’occupant, sous réserve de l’acceptation du bailleur. Pendant la période de sous-location, l’association garantit, en cas de défaillance de la famille, le paiement du loyer et assure généralement un suivi social de celle-ci.

10 GUISLAIN Claude : « Dialogue entre les acteurs de l’évolution urbaine et les pouvoirs publics, la médiation : une fonction à reconnaître, à préciser, à valoriser », rapport d’étape, janv. 2002

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Comme l’a souligné le colloque organisé par le PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture) en janvier 2002 sur le droit au logement, la généralisation des pratiques de médiation dans le cadre de la politique du logement en faveur des défavorisés a plusieurs conséquences. En premier lieu, l’accès au logement avec, par exemple, des mesures FSL (Fonds Solidarité Logement), grâce à une association bénéficiant de l’ALT (Allocation de Logement Temporaire, financement particulier) ou dans le cadre de la sous-location, tout comme les mesures favorisant le maintien, contribuent à attacher au logement un certain nombre de services ou de prestations. Il en résulte un produit complexe, liant le logement à des produits spécifiques. D’autre part, la médiation se traduit le plus souvent par le glissement des obligations et le transfert du risque du bailleur, des pouvoirs publics, sur les associations amenées à supporter des contraintes fortes sans toujours disposer des moyens d’y faire face (moyens financiers, mais aussi moyens d’agir sur les causes structurelles des situations comme l’insuffisance de l’offre accessible). Enfin, et de façon plus générale, les diverses pratiques de médiation développées pour favoriser l’accès au logement des plus défavorisés, semblent remettre en cause le rapport locatif pour lui substituer un rapport plus complexe entre puissance publique, médiateur et personne en difficulté. Le médiateur assume, en effet, des obligations du bailleur en contre-partie de la mise à disposition du logement pour des personnes présumées porteuses de risques (choix du locataire, prévention, gestion locative, remise en état). Il prend en charge certaines obligations du locataire (paiement du loyer, entretien) et les déplace dans un registre socio-éducatif. Il reçoit aussi délégation des pouvoirs publics pour mettre en œuvre le droit au logement pour les plus défavorisés. Dans un tel schéma, le rapport bailleur/locataire classique s’efface au profit d’un rapport plus complexe dérogatoire au droit commun.

3.2 Médiation et intégration des populations immigrées ou d’origine immigrée

Les lois successives sur l’immigration en France depuis 1981 n’ont pas apporté pour le moment une réponse aux grandes questions de la société française sur l’exclusion, le chômage, l’intégration, la montée de la xénophobie et du racisme. L’immigration semblerait avoir acquis le statut de question permanente. Quant aux conditions de séjour des étrangers « réguliers », elles courent toujours le risque d’une remise en cause par une nouvelle loi. Face aux conditions d’entrée, d’accueil et d’intégration sur le territoire français prévues de façon aléatoire par les pouvoirs publics, la médiation interculturelle assurée par des associations, des habitants bénévoles, des professionnels du social, de l’éducatif ou de la santé, joue un rôle intégrateur fondamental. Elle bénéficie d’ailleurs d’une certaine reconnaissance officielle. Simone Veil, en décembre 1994, alors ministre de la population et des migrations, proposait comme mesure 11 pour aider à l’intégration des immigrés le recours à des femmes-relais dans le cas de conflits de valeurs au sein des familles. Un rapport au ministre Délégué à la Ville et à l’Intégration 12 préconise plus tard l’utilisation de médiateurs dans les quartiers en difficulté pour faciliter la coexistence des populations. La médiation interculturelle s’est, en fait, développée en France à partir des années 1980 au moment d’une nouvelle étape dans l’histoire de l’immigration, celle du regroupement familial, le retour au pays devenant pour de nombreux travailleurs migrants improbable.

11 Circulaire n°94/42 du 19-12-94 relative à l’intégration des populations immigrées 12 MEKACHERA Hamlaoui, GAEREMYNCK Jean : « Pour une relance de la politique de l’intégration », rapport présenté à M. le ministre délégué à la ville et à l’intégration, La Documentation française, 1996

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Les populations immigrées dont la présence en France est récente, souffrent d’une méconnaissance du fonctionnement social et institutionnel de la société d’accueil ; leurs structures familiales et communautaires peuvent entrer en résistance, sinon en conflit, avec les exigences de la société d’accueil. La médiation intervient alors à trois niveaux dans le processus d’intégration des migrants. Elle émerge aujourd’hui de toute une dynamique d’actions concertées entre différents partenaires sociaux oeuvrant sur un site donné avec généralement la participation des habitants du quartier, français ou immigrés. Le premier type de médiation consiste à faciliter la communication et la compréhension entre personnes de cultures différentes, à dissiper les malentendus entre les acteurs du social et les migrants, malentendus qui peuvent être liés à des codes et valeurs culturelles différents, mais aussi avoir pour origine un affrontement identitaire entre le statut de migrant et la société d’accueil en position de supériorité. Le deuxième type de médiation intervient dans la résolution des conflits de valeurs, qu’ils se situent entre les familles migrantes et la société d’accueil, ou au sein des familles traversées par les processus d’acculturation : conflits parents-enfants, anciens-jeunes, et dans les couples polygames ou monogames. Le troisième type de médiation facilite la cohabitation et la création de relations de coopération entre migrants et membres de la société d’accueil, à partir d’une négociation sur la frontière entre la tolérance à l’hétérogénéité culturelle d’une part, le maintien de l’identité nationale et institutionnelle d’autre part. Cette négociation de l’identité par la médiation fait partie intégrante du processus d’intégration. Les difficultés des migrants à leur arrivée se renouvellent cependant de façon quantitativement peu importante. L’intégration des populations d’origine immigrée, notamment vis-à-vis des jeunes nés et élevés en France qui se sentent privés d’avenir valorisant, pose, quant à elle, un autre type de problème. Il n’est pas sûr que la médiation sociale soit la réponse appropriée. La politique d’intégration se confond souvent avec la politique de la ville, investissant, en effet, le quartier et ses ressources d’une forte charge intégratrice. Mais les problèmes d’intégration ne sont pas seulement liés à un processus de ségrégation socio-spatiale, ils viennent de la disjonction entre les différents processus d’intégration culturelle, économique, politique : si les populations issues de l’immigration se sentent intégrées culturellement, elles ne le sont que partiellement économiquement et encore moins symboliquement. Les exacerbations identitaires qui se manifestent traduisent le ressentiment de ces populations à l’encontre de ce qu’elles perçoivent comme une injustice. D’autres mécanismes que la médiation, et relevant d’une autre échelle, sont peut-être à penser pour favoriser leur intégration. La mise en lumière des discriminations d’ordre raciste à leur encontre, plus ou moins explicites, a d’ailleurs conduit la politique d’intégration à se centrer sur la lutte contre les discriminations dans le travail, l’éducation, l’habitat, la vie quotidienne. Les modalités en sont cependant encore à définir.

3.3 La médiation sociale et culturelle

La médiation sociale et culturelle intervient pour transcender les clivages dûs à l’isolement, l’ignorance, à des différends, des conflits…qui privent la cité de dialogue entre les personnes, entre les cultures, entre les personnes et les institutions. Elle favorise ainsi la création d’un espace de citoyenneté. Née et portée pour l’essentiel par le mouvement associatif, la médiation sociale et culturelle a su s’imposer au cours des dix dernières années, dans la chaîne des interventions à caractère social, comme un maillon indispensable pour bon nombre d’habitants des quartiers en difficultés.

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Dans les années 1980, sont apparues, dans les quartiers de la politique de la ville, de nouvelles figures professionnelles, les médiatrices sociales et culturelles, aussi appelées médiatrices interculturelles ou femmes-relais. Comme le montre Bénédicte Madelin 13, directrice de Profession Banlieue, les premières expériences répondent aux tensions et incompréhensions croissantes entre usagers et intervenants sociaux dans les quartiers d’habitat social marqués par le chômage et la concentration des populations les plus en difficultés, notamment les populations immigrées. Dans ce contexte, le sentiment d’appartenance au quartier se renforce en même temps que celui de l’abandon par les pouvoirs publics. Ce qui explique, pour partie, que les habitants les plus en difficulté fassent appel à leurs pairs. La méfiance des habitants vis-à-vis des institutions va les conduire à s’organiser de façon autonome autour des grands champs de l’intervention et de l’animation sociale. Apparaissent les « grands frères » et « les femmes-relais ». L’activité des femmes-relais se structure autour d’un travail d’accueil, d’accompagnement ou d’orientation des personnes et familles du quartier dans lequel elles interviennent, un accueil dans lequel la fonction d’interprétariat est seconde. Il s’agit avant tout d’une traduction des codes culturels, des usages et mentalités françaises et étrangères. Les médiatrices se situent dans une position d’intermédiaires entre habitants et institutions avec lesquelles ceux-ci seraient en conflit ouvert ou auxquelles ils auraient difficilement accès. Enfin, la majorité des associations de femmes-relais animent de nombreuses activités en direction des femmes de leur quartier : alphabétisation, ateliers d’expression, sorties culturelles, fêtes de quartier… La légitimité des médiatrices culturelles tient à leurs compétences acquises par la formation – formation de prise de poste et formation continue -, mais aussi à leur connaissance du quartier, des conditions de vie de ses habitants, de leur propre expérience souvent aussi des difficultés qu’elles aident à résoudre. Leur qualification est ainsi très majoritairement acquise dans leur parcours de vie ; leurs modes d’intervention prennent appui sur ces savoirs expérientiels. Par leur proximité, les médiatrices sociales et culturelles répondent ainsi aux nouvelles exigences qui s’imposent aux travailleurs sociaux, de prendre en considération les habitants en lien avec leur milieu, dans toutes leurs difficultés. En leur en donnant les moyens, elles permettent ainsi aux travailleurs sociaux et autres acteurs locaux, de retrouver un dialogue avec leurs publics. Mais plus encore que vectrices d’un dialogue, elles sont bien placées pour détecter les demandes silencieuses. La fonction de relais peut ainsi être à l’origine de changements dans les modes mêmes d’intervention des institutions. En recensant et formalisant les changements nécessaires, les associations employeuses de médiatrices sont à même de faire émerger le débat autour de l’amélioration du service public par une meilleure prise en compte des attentes de ses usagers.

3.4 La médiation scolaire

Largement répandue dans les pays anglo-saxons, les Etats-Unis notamment, la médiation scolaire n’en est encore qu’à ses débuts en France. Les initiatives prises en la matière répondent à l’accroissement de la violence scolaire, ces dernières années : petits rackets insultes, violences et agressions dans les relations entre élèves mais aussi dans les relations entre élèves et adultes… La crise du système scolaire est, dans ce contexte, attribuée à l’inadaptation du modèle disciplinaire. Les expériences de médiation scolaire ne se réduisent pas à une technique de gestion des conflits ; elles ont pour objet d’institutionnaliser de nouveaux lieux de règlement des conflits,

13 MADELIN Bénédicte : « Médiation interculturelle, médiation communautaire ? », in Territoires, n°422, nov. 2001

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mais aussi de nouveaux acteurs, les médiateurs. Elles peuvent être assimilées à une éducation à la citoyenneté. La médiation entre élèves, par les « pairs », est le modèle de médiation le plus développé. En France, cette forme d’apprentissage à la gestion coopérative des conflits, se centre sur la formation des élèves médiateurs à la culture de la médiation, et à son processus. La médiation scolaire peut cependant être conçue plus largement et englober les diverses actions visant à rapprocher les familles du monde de l’école : espaces d’accueil dans l’école, formations en direction des parents pour les aider à être acteurs dans l’école...

3.5 La médiation familiale

Importée du Canada et d’abord appliquée dans le cadre de la gestion des divorces et/ou des séparations, la médiation sociale en France voit son champ d’intervention s’élargir : relations transgénérationnelles et collatérales, dans le cas de successions difficiles, de maintien à domicile de parents vieillissants, de familles recomposées… La rigueur de l’application du processus de médiation familiale et le développement d’associations porte-parole de cette pratique, ont contribué à son inscription dans la législation. En aucun cas, la médiation ne s’émancipe du cadre juridique.

3.6 Justice de proximité et médiation pénale

La médiation pénale s’est beaucoup développée à la suite de la loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale. En cas d’infraction (délit, contravention), le procureur de la République peut, avec l’accord de la victime et de l’auteur de l’infraction, préalablement à sa décision sur l’action publique, en confier le dossier à une association afin que celle-ci procède à une tentative de médiation entre les parties. Le but est d’assurer la réparation du dommage causé, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction et de contribuer au reclassement de l’auteur de l’infraction. Les expériences de médiation déléguées à des associations conduisent les parquets à utiliser la voie de la médiation pour traiter les affaires dont ils sont saisis en créant, à partir de 1990, leurs propres services de médiation : Maisons de justice et du droit (MJD), officialisées par la loi du 18 décembre 1998, et antennes de justice qui s’apparentent à une déconcentration des juridictions dans les quartiers. Ce sont des structures plus légères qui remplissent sensiblement les mêmes missions que les MJD. Des agents de justice y sont recrutés en emplois-jeunes pour faciliter l’accès au droit et aux services de justice. Face, en effet, à la multiplication des conflits de la vie quotidienne et de la petite délinquance, à la détresse des victimes et à la complexité du droit, les habitants attendent une justice plus proche et la possibilité d’obtenir facilement des informations sur leurs droits et leurs obligations. Les Maisons de la Justice et du Droit sont des lieux de proximité pour tous les habitants. L’éloignement des palais de justice de certaines communes ou de certains quartiers, est souvent vécu par les habitants comme une carence de la justice. Les MJD répondent à ce besoin d’une justice plus proche, plus accessible, plus rapide et plus compréhensible. La MJD assure une présence judiciaire dans une commune ou un quartier, grâce à la mobilisation de différents acteurs : magistrats, élus, associations, mais aussi éducateurs,

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enseignants, travailleurs sociaux…Elle répond, de manière adaptée, à la petite délinquance quotidienne qui, dans les faits, ne trouve souvent pas de sanction en raison d’un système judiciaire débordé : - par des actions de prévention, notamment destinées aux jeunes, - par la mise en œuvre de mesures alternatives aux poursuites pénales : rappels à la loi, mesures de réparation, médiation pénale, composition pénale, - par des actions d’insertion et de réinsertion des personnes condamnées. Elle répond aux petits litiges d’ordre civil (consommation, voisinage, logement). Plutôt que d’encombrer les tribunaux ou de ne pas trouver de solution et de s’envenimer, des petits conflits de la vie quotidienne sont résolus par des solutions à l’amiable, rapides et de qualité : une conciliation ou une médiation civile, à la demande des personnes en conflit ou proposée par les magistrats. La MJD est aussi un lieu d’accueil, d’écoute, d’orientation et d’information sur les droits et obligations des citoyens. En liaison avec le Conseil départemental d’accès au droit, elle garantit à chacun, grâce à l’intervention de professionnels habilités, d’agents d’accès au droit compétents ou d’associations agréées : - un accueil et une écoute de qualité, - une assistance pour accomplir certaines démarches administratives ou juridiques. Elle offre aussi : - des permanences d’information et d’orientation juridiques, - des consultations juridiques par des avocats, des notaires, des huissiers de justice. Un accueil et une écoute spécifiques sont réservés aux victimes d’infraction, grâce, notamment, au service d’aide aux victimes. Ces prestations sont gratuites et confidentielles. Les diverses expériences de médiation ainsi développées dans le cadre d’une justice de proximité contribuent à la paix sociale. La médiation inquiète cependant certains juristes et rencontre des résistances du côté des individus eux-mêmes. Les réflexes de vengeance, de violence selon un modèle gagnant/perdant prévalent souvent. L’esprit de compromis n’est pas une attitude spontanée. Un apprentissage est parfois nécessaire pour passer d’un modèle conflictuel comme le système judiciaire à un modèle consensuel comme la médiation. Les professions judiciaires, quant à elles, craignent parfois que la multiplication de médiateurs citoyens sans légitimité pour réguler des conflits de la vie quotidienne, souvent de nature juridique, n’entraîne le développement d’une « sous-justice » et des dérives arbitraires contraires aux droits fondamentaux de la personne. Or la médiation qui associe directement les intéressés à la recherche de solutions et place le sujet en position d’acteur du droit, peut, précisément, constituer le moyen d’un accès à la citoyenneté. Dans des quartiers où domine une forte défiance à l’égard de l’autorité judiciaire, les différentes expériences de justice de proximité s’avèrent, en tout état de cause, rétablir une autorité jusqu’alors contestée et favoriser des réponses adaptées aux mutations urbaines, soucieuses de promouvoir équité et responsabilité.

3.7 La prévention et la tranquillité publique

Dans le domaine de la prévention de la violence et de la délinquance, la médiation urbaine a plusieurs fonctions : assurer une présence humaine rassurante et garantir l’égalité dans l’usage de l’espace public ; permettre une meilleure compréhension réciproque de deux parties et aider à la recherche de solutions au conflit qui les oppose ; écouter, secourir, soutenir ; participer à l’amélioration ou à la préservation du cadre de vie.

- La police de proximité La police de proximité correspond à une nouvelle méthode de travail qui se caractérise par l’usage étendu de la patrouille à pied ou à vélo, le développement d’un partenariat en

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matière de prévention de la délinquance impliquant toutes les composantes de la société civile ainsi que la mise en place de structures locales pour rapprocher la police de la population. Les policiers municipaux sont ainsi réinstallés sur les principaux quartiers pour pouvoir être davantage au service des habitants en assurant, par une présence et une écoute améliorées, une plus grande sécurité. Outre la surveillance des lieux publics, les îlotiers recueillent, en effet, les plaintes, les préoccupations et doléances des habitants du quartier. Les difficultés chroniques ou temporaires seront résolues soit par une intervention directe, soit en en référant aux services municipaux compétents. Contrairement au dispositif mis en place par la police nationale qui œuvre dans un même souci de proximité, ces îlotiers ne disposent pas de bureau ouvert au public, la rue étant leur seul et unique lieu de travail.

- La médiation dans les transports publics et dans les quartiers

Diverses expériences de médiation répondant à des besoins de sécurisation et de prévention des conflits et violences, se développent dans les transports en commun et les quartiers. En 1994, répondant à la recrudescence d’incivilités localisées, la RATP met ainsi en place le dispositif des « grands frères » qui se développe ensuite pour donner lieu à des emplois d’« agents de prévention et de médiation sociale ». Selon l’approche territoriale alors développée, il semble nécessaire d’élargir la médiation aux relations de chaque institution aux territoires urbains : bailleurs sociaux, services publics (Poste, EDF), école, centres commerciaux… La RATP, avec EDF, la SNCF, La Poste et les autres entreprises de transports urbains, a signé une charte d’objectifs entre « Partenaires pour la Ville » pour promouvoir des emplois partagés de médiation urbaine sur une base territoriale, mutualisant ainsi des fonctions de médiation proprement dite, d’information, d’orientation, de petite maintenance, dans les gares… Dans le même sens, dans le but d’assurer la tranquillité des locataires et de réduire les tensions dans les quartiers d’habitat social, les organismes HLM développent des activités de médiation visant, par le dialogue, à traiter conflits de voisinage et troubles de jouissance, ainsi qu’à prévenir les incivilités. A côté de possibles dispositifs particuliers fondés sur le bénévolat d’habitants - les correspondants de cage d’escalier ou les correspondants d’immeubles-, sont ainsi recrutés des « agents locaux de médiation sociale ». Les métiers traditionnels de proximité, comme celui de gardien d’immeuble, intègrent de plus en plus aussi une fonction de médiation. Les « correspondants de nuit », d’abord mis en place en 1991 dans la ville de Rennes puis dans de nombreuses autres villes, travaillent essentiellement en soirée et la nuit, et sont chargés d’assurer à la fois une « veille technique » notant les dysfonctionnements et dégradations qu’ils constatent au cours de leurs tournées dans les quartiers, et un rôle de médiation vis-à-vis des petits conflits de la vie quotidienne. Certaines de ces actions de médiation visant à prévenir les conflits dans les lieux sensibles ou à des moments spécifiques, ont souvent été soutenues et encouragées par les conseils communaux de prévention de la délinquance. Dans les centres commerciaux, les multiplexes ou les grands équipements culturels, peuvent être développés une présence et un accompagnement, visant à humaniser et sécuriser des espaces souvent déshumanisés. L’espace public apparaît de plus en plus investi aujourd’hui par des corps intermédiaires chargés de modérer les conflits d’usage susceptibles de surgir à tout instant.

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4. LES LIEUX MEDIATEURS

Les territoires privilégiés de la médiation apparaissent clairement du côté des territoires du conflit, la ville et ses quartiers. Mais une analyse plus fine des espaces d’intervention de la médiation proprement dite, de ceux sur lesquels se déroulent les processus de dialogue et de négociation entre les médiés par l’entremise du médiateur montre que ces espaces doivent favoriser le respect des principes fondateurs de la médiation, notamment la neutralité du lieu et la confidentialité des discussions. Des lieux très marqués institutionnellement comme un palais de justice, un commissariat de police, une mairie, un centre social, peuvent entretenir une certaine confusion entre la médiation et une forme particulière de l’action judiciaire ou de l’action sociale. La neutralité du lieu dépend cependant des représentations de chacun, subjectives par nature. Concernant la médiation de quartier, la neutralité semble paradoxalement, du point de vue des habitants, s’accommoder de la proximité. Des expériences originales d’implantation de la justice dans les quartiers connaissent ainsi un rapide succès, telles les antennes juridiques et de médiation à Marseille, installées aux pieds d’immeubles, dans des endroits connus, et fréquentés par les habitants, ou encore l’audience locale d’une juge des enfants dans le quartier du Neuhoff à Strasbourg. Si la demande de médiation ne vient pas spontanément au départ, la demande d’information juridique est en constante augmentation dans les antennes de Marseille. La présence du juge dans « l’arène urbaine » du Neuhoff crée un climat de confiance et un apaisement social nouveaux. Non seulement les familles se rendent à l’audience, mais elles viennent aussi à leur propre initiative au-devant du juge. L’audience locale permet aussi au juge de prendre connaissance de la vie du quartier, de mieux percevoir les situations et les personnes en cause, redonnant ainsi à la réponse juridique une certaine justesse. Si la médiation fait intervenir l’intuition propre à la relation humaine, son lieu doit donc être facilitateur de celle-ci. La proximité et le déroulement de la médiation dans les lieux de vie et de quotidienneté des habitants d’un quartier facilitent, à cet égard, la médiation et la rendent plus « spontanée ». En marge de ces espaces de proximité où la médiation s’exerce naturellement et efficacement, il semblerait qu’existent aussi certains espaces urbains, des quartiers multiculturels intégrés dans la ville, des centres commerciaux, des jardins publics, sur lesquels les relations sociales entre habitants ou entre usagers se régulent d’elles-mêmes. La médiation y serait-t-elle absente ou tellement spontanée qu’elle se passerait de médiateurs ? Il apparaît davantage que ce soient ces lieux eux-mêmes qui assurent un rôle invisible de médiation et de régulation, par leur qualité, leurs fonctions, les usages qu’ils appellent. A côté de ces lieux exerçant une fonction médiatrice spontanée et informelle, s’ouvrent aussi des lieux dans lesquels la conflictualité qui unit les individus citoyens peut s’exprimer. Un théâtre-forum peut offrir cet espace symbolique, mais aussi plus protégé, où l’on peut dire plus fort ce que l’on a sur le cœur. De la même façon, certaines expériences de médiation scolaire se fondent sur l’institutionnalisation de nouveaux lieux de règlement des conflits et la ritualisation de leur gestion, au sens où le processus de médiation « maintient l’expression

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conflictuelle dans des formes rigoureusement déterminées ». Médiation spontanée ou médiation mise en scène et ritualisée révèlent ainsi deux sortes de lieux médiateurs.

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5. LES MEDIATEURS

5.1 Médiateurs : des statuts et des missions hétérogènes

La médiation sociale et urbaine est, au départ, pratiquée par des bénévoles dans les quartiers, ou des professionnels intégrant cette pratique au sein de leur métier. Elle fait progressivement l’objet aujourd’hui d’une professionnalisation et d’un certain encadrement. Avec le temps, la reconnaissance dont bénéficie la médiation se confirme. Des formations ont été mises en place. Un diplôme d’Etat pour les médiateurs familiaux a été créé. Les rôles et les statuts des médiateurs sociaux et urbains sont, de ce fait, fort divers. Peuvent être distingués en fonction de leur statut et de leur employeur : - des médiateurs sociaux employés dans un cadre associatif dont le statut répond à une exigence d’indépendance, - l’intervention de tiers recrutés auprès d’institutions ou d’opérateurs urbains dédiés à de la médiation sociale, - des professionnels recrutés dans le cadre de l’emploi partagé, - des bénévoles, souvent porteurs d’initiatives innovantes. Ces différents statuts traduisent la position difficile du médiateur, dont la neutralité ou l’impartialité, et l’indépendance ne peuvent pas toujours être garanties. En effet, le médiateur peut être l’émanation de l’un des demandeurs de médiation : l’appartenance au quartier du médiateur fait craindre à certains un risque « d’ethnicisation » de la fonction de régulation sociale. Le médiateur peut aussi être l’émanation de l’institution : le rattachement de médiateurs sociaux aux Conseils communaux de prévention de la délinquance ou aux Contrats locaux de sécurité peut ainsi conduire à une confusion entre la fonction de médiation et la fonction de gestion des problèmes de sécurité. La médiation peut alors perdre de sa dimension ternaire, caractéristique de sa structure comme de ses résultats – elle crée du lien, produit un compromis, à partir de la position de chacun des médiés-, et se rapprocher du mode binaire traditionnel de la régulation sociale. Les différents cas de figure présentés ci-dessus dessinent la diversité des statuts et des appellations :

- les agents locaux de médiation sociale (ALMS)

Ces emplois qui relèvent du champ de la sécurité et sont programmés dans le cadre des Contrats locaux de sécurité, ont été institués par le gouvernement par une circulaire en date du 15 décembre 1997 qui encourage le développement d’activités visant à « intervenir sur le sentiment d’insécurité en facilitant les relations sociales et en développant les dispositifs préventifs ». Les réalités professionnelles développées sous ce sigle sont, en fait, très hétérogènes : « Agents de prévention et de médiation sociale » dans les transports publics, « correspondants de nuit », îlotiers…

- les délégués du médiateur de la République Afin de répondre au sentiment d’injustice vécu par les habitants à l’égard des services publics et à la nécessité de réformer ces derniers, le Comité interministériel des villes du 14

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décembre 1999 a décidé de développer la présence des délégués du Médiateur de la République dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Installés dans des lieux faciles d’accès pour les habitants, ils répondent aux besoins immédiats des populations en difficultés dans leurs relations avec les administrations, faisant ainsi respecter la loi plus dans l’esprit qu’à la lettre.

- les correspondants de nuit Ils sont au moins 500 sous divers statuts, employés par des régies de quartiers, des organismes HLM ou des municipalités.

- les femmes-relais et les adultes-relais La mesure adultes-relais décidée par le Comité interministériel des villes du 14 décembre 1999, qui prévoit de financer 10.000 postes en 3 ans, intervient comme la reconnaissance pleine et entière de la contribution, déjà ancienne, des femmes-relais à la consolidation du lien social, à l’accès aux droits et à l’intégration sociale et culturelle sur les quartiers populaires. Une assise est donnée aux statuts souvent précaires (bénévoles, vacataires, contrats emploi-solidarité) des femmes-relais. Le programme adultes-relais qui vise des personnes à l’expérience et à la maturité reconnues, répond également à l’objectif de conforter les adultes, souvent fragilisés par le chômage, dans leur quartier et dans leur rôle de parents. Les missions qui leur sont proposées relèvent tout autant de l’accompagnement des publics dans leurs démarches, de facilitation du dialogue entre services publics et usagers, de contribution à la préservation du cadre de vie, d’aide à la fonction parentale et de facilitation du dialogue intergénérationnel, de prévention et d’aide à la résolution des petits conflits.

5.2 Les enjeux de la professionnalisation des activités de médiation

Si la médiation sociale est en voie de professionnalisation, ce mouvement fait cependant débat entre les tenants d’une pratique bénévole et ceux d’une pratique professionnelle, entre les tenants d’une profession autonome et les tenants d’une qualification apportant un « plus » à l’exercice d’une fonction principale (avocats, travailleurs sociaux…) ou encore les partisans de la diffusion de la pratique de médiation au sein des divers métiers de proximité existants. Les enjeux de la professionnalisation renvoient, en fait, à différentes conceptions des compétences de la médiation. Deux et même trois approches s’opposent à la professionnalisation des activités de médiation et/ou à la création d’une profession autonome. L’approche pragmatique repose sur la proximité sociale, la capacité de mobilisation des habitants, la qualité naturelle des médiateurs, leur expérience vécue du quartier et l’image qu’ils y ont. Cette approche est fondée sur la « légitimité sociale » et s’inscrit dans la perspective d’une réappropriation des modes de gestion des sociabilités par les habitants, et leur responsabilisation. Le modèle attributif s’oppose aussi à la professionnalisation des activités de médiation : il correspond à la position de professionnels, psychologues, magistrats, travailleurs sociaux… qui revendiquent compétence et savoir-faire pour résoudre les conflits et plus globalement améliorer les relations sociales entre les personnes. La médiation fait partie de leurs attributions et constitue une modalité ordinaire de leur mode d’intervention. Une approche intermédiaire, entre approche pragmatique et approche attributive, considère que les compétences nécessaires à la pratique de la médiation ne sont pas inhérentes à un métier et que les professionnels concernés doivent intégrer ce mode de régulation sociale comme une fonction transversale par une formation initiale ou continue.

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Pour les défenseurs de la professionnalisation de la médiation, des qualités spécifiques, issues d’un champ disciplinaire autonome, sont nécessaires, et les médiateurs doivent respecter une déontologie en propre.

5.3 Vers la reconnaissance de professions autonomes

La question de la professionnalisation, celle de la formation, celle de l’encadrement des emplois de médiation, se posent particulièrement au regard des emplois dits de médiation sociale, largement développés dans le cadre du plan nouveaux-services/emplois-jeunes. Selon, en effet, le rapport d’Yvon Robert 14 remis en juin 2001, les fonctions de médiation sociale concernent 20.000 personnes, pour l’essentiel ayant le statut d’emplois jeunes. Parmi eux, 7.500 sont des agents locaux de médiation sociale. La fonction de médiation sociale est-elle constitutive d’un métier en tant que tel ? La médiation est-elle irréductible à chacun des autres métiers de la vie urbaine ? Sous l’« appellation non contrôlée » de médiation, selon l’expression du rapport Brévan-Picard 15, prolifèrent des réalités et des pratiques diverses, faiblement codifiées et régies par des logiques différentes. Au-delà de ce mouvement centrifuge, il semble que la médiation soit cependant bien une. Les différentes formes de médiation sociale ont, en effet, toutes en commun de favoriser des relations nouvelles entre les habitants, entre les usagers et les services publics et de participer ainsi au réinvestissement collectif des espaces publics. Par leur présence informelle, leur disponibilité, leur capacité de dialogue et d’écoute en dehors de toute relation de pouvoir, par la recherche d’une réponse immédiate sous forme d’information, d’orientation, d’accompagnement, ou de résolution d’un problème posé, les médiateurs interviendraient selon un « mode opératoire nouveau » : l’offre va au devant de la demande, d’une demande considérée dans sa diversité de nature et d’origine. Cette nouvelle forme de régulation sociale, opposée aux dysfonctionnements qui affectent les modes d’intervention publics auprès des populations fragilisées, apparaît comme la preuve de l’utilité sociale de ces missions de médiation, notamment dans le cadre d’emplois jeunes. Ceux-ci répondent à des besoins sociaux : liens sociaux, sécurisation,… mais aussi à des besoins individuels : besoin d’écoute, de dialogue, accès aux droits… Le rapport d’Yvon Robert conclut ainsi à la nécessité d’une meilleure professionnalisation des activités de médiation sociale. Il ne s’agit cependant pas de rigidifier des pratiques dont l’intérêt réside dans leur spontanéité, leur faculté d’adaptation, leur non-assujetissement à des normes institutionnelles. Mais de définir clairement les missions des agents de médiation, les dispositions statutaires et les cadres de formation nécessaires. Une charte de référence est d’ailleurs en projet. La professionnalisation des médiateurs sociaux doit, par ailleurs, s’inscrire dans le partenariat. Intervenant dans les interstices, en amont et en aval d’autres professionnels dans les champs de la prévention, de la sécurité, de l’intégration ou du travail social, et particulièrement des services publics, le médiateur doit, en effet, intervenir en articulation et en complémentarité avec ceux-ci. La capacité de ces derniers à prendre le relais suppose cependant une redéfinition des métiers traditionnels. Semble y inciter le constat du « débordement du social » depuis la fin des années 1980, selon lequel de plus en plus

14 ROBERT Yvon : Les emplois dits de médiation social, 2001 15 BREVAN Claude, PICARD Paul : Ville, une nouvelle ambition pour les métiers, Rapport au ministre délégué à la ville, La Documentation française, sept. 2000

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d’acteurs publics qui n’avaient pas ou peu à se préoccuper directement des questions liées à la pauvreté et à l’exclusion au sens large, sont contraints, de fait, à agir dans ce secteur.

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6. PROJECTION

Si la professionnalisation des activités de médiation sociale et urbaine représente un enjeu important, la médiation pose des questions plus larges, qui interrogent sa véritable fonction et ses conséquences au niveau des institutions et de l’ensemble de la société. Ces questions se posent en termes de modernisation du service public, mais aussi de démocratie et de justice sociale. La médiation ne risque-t-elle pas de favoriser une « société à deux vitesses », en accentuant la rupture entre habitants des quartiers défavorisés et le reste de la ville ? La médiation participe-t-elle d’une logique de conservation ou de changement pour les institutions ? Plus globalement, ne doit-t-elle pas favoriser une résolution des conflits en profondeur et la création de lien social à un autre niveau que celui du cas par cas ? C’est de la réponse à ces questions que dépendra l’avenir de la médiation.

- La médiation sociale et urbaine ne risque-t-elle pas de favoriser une « société à deux vitesses » ?

L’implantation de différents services publics dans les quartiers en difficulté, les pratiques de médiation développées pour assurer de meilleures relations entre les habitants et les administrations, pour créer du lien social et prévenir la violence, peuvent paradoxalement enclaver ces quartiers et freiner d’autant les processus d’intégration en écartant les relations obligées avec le reste de la ville. « La proximité peut être le prélude à un véritable enfermement » 16. Le risque d’enfermement pourrait être redoublé, selon certaines critiques, par la fréquente appartenance des médiateurs sociaux au même quartier ou à la même communauté que leurs publics. La « plus-value sociale » apportée par la connaissance du terrain, se retournerait en une «ethnicisation » de la fonction de régulation sociale. Coupés du reste de la ville, les quartiers de la politique de la ville ne bénéficieraient, selon certains, que d’une régulation sociale de « seconde catégorie ». Soit parce que la dimension ponctuelle de la médiation l’obligerait à des interventions sans fin, au fur et à mesure du renouvellement des conflits et tensions. Soit parce que la médiation conduirait à des dérives arbitraires contraires aux droits fondamentaux de la personne, dans le règlement des conflits. Conçue comme un processus éducatif permettant de favoriser la diffusion d’un nouveau modèle de régulation des conflits et difficultés de communication, plus consensuel, faisant appel aux notions de contrat, de confiance et d’équité, la médiation semble pouvoir repousser cette double critique.

- La médiation participe-t-elle d’une logique de conservation

16 HAMMOUCHE Abdelhafid : « La gestion du bailleur et le travail social à l’épreuve de la proximité », in Villes, sciences sociales, professions , in Espaces et sociétés , n°84-85, 1996, pp.137-151

Ville et médiation : note de synthèse

ou de changement pour les institutions ? La médiation peut être considérée comme le signe d’une défaillance du service public, de sa difficulté à s’adapter aux nouveaux enjeux, qu’elle soit d’ailleurs développée à l’initiative de celui-ci ou qu’elle ait pour origine des associations et habitants impliqués dans leur quartier. Il convient alors de se demander si la médiation répond à une logique de conservation de l’institution ou à une logique de transformation de celle-ci pour surmonter, combler cette défaillance. La médiation imprègnera-t-elle les services publics de ses modes d’action pour qu’ils soient plus facilement accessibles, disponibles, traitent les demandes sur un mode individualisé, développent une politique d’accueil, d’accompagnement et de suivi, enfin se décloisonnent pour apporter une information globale à l’usager, à la manière dont certains médiateurs font fonction de « généralistes de la demande de service » ? Plusieurs éléments confortent cette hypothèse. Le rapport Brévan-Picard (déjà cité) souligne combien la médiation constitue une opportunité de modernisation pour le service public. On peut considérer, en effet, que les complémentarités entre les nouveaux emplois de médiation et les métiers traditionnels, génèrent nécessairement des recompositions parmi ces derniers. La coexistence sur les mêmes territoires de médiateurs et de travailleurs sociaux traditionnels doit favoriser une confrontation de leurs pratiques réciproques et des problèmes rencontrés. La médiation révèle, en particulier, un certain nombre de nouveaux besoins collectifs qui doivent conduire à de nouvelles pratiques des intervenants traditionnels, et que les politiques publiques doivent s’efforcer de prendre en compte. L’opposition entre deux conceptions de la fonction des femmes-relais est significative : si leur fonction se limite au rôle d’intermédiaire entre les usagers et les institutionnels pour clarifier, informer, traduire, ce relais des politiques sociales, de l’emploi, du logement favorise la reproduction des normes. Mais les femmes-relais peuvent aussi être conçues dans un rôle de négociatrices acceptant de traduire les exigences des personnes en termes compréhensibles pour les habitants, mais révélant aussi les souhaits et besoins de ceux-ci dont doivent tenir compte les administrations. Mais la médiation peut aussi faire écran entre les publics et les institutions. On peut, en effet, considérer qu’en déléguant des missions qu’il s’estime incapable d’assumer, le service public est, en fait, déresponsabilisé quant à la nécessité de s’adapter aux nouvelles réalités sociales, « désincité » à réformer ses modes d’action. Ou encore que le recours à des emplois de médiateurs vient compenser la moindre présence des services publics dans certains quartiers de la politique de la ville, sans pour autant en assurer pleinement les missions. Pour que la médiation soit une opportunité de modernisation du service public, il paraît important de veiller aux modes de prise en compte par l’administration des nouveaux besoins de ses usagers. Le cadre d’emploi de nombreux médiateurs aujourd’hui, et leur situation périphérique par rapport à la structure qui les emploie, ne leur permettent pas de voir leurs suggestions et propositions d’amélioration des services réellement prises en compte. La question de la participation de la médiation au conservatisme ou à la transformation, se pose en termes plus larges encore, au niveau de la société.

- Plus globalement, la médiation ne doit-t-elle pas favoriser une résolution des conflits en profondeur?

Ville et médiation : note de synthèse

Le médiateur est-il du côté de l’impartialité ou la médiation a-t-elle pour but de rétablir l’équité? Le choix est d’autant plus difficile qu’il peut générer deux destins différents de la médiation : - elle peut à terme être conservatrice en maintenant les rapports de force tels qu’ils sont, en les rendant pacifiques, acceptables et en laissant chacun à sa place ; - elle peut aussi être « réformiste », si elle permet à toute personne confrontée à un mal-être, face à un problème avec une personne, un groupe, une institution, de pouvoir s’adresser à un médiateur et à quelqu’un qui est responsable de cette situation. Les solutions aux problèmes de la vie quotidienne dépendent, en effet, moins des personnes que des systèmes et des règles de l’organisation. Dans ce sens, il est important que la médiation ne se réduise pas à une gestion des conflits et à la création de lien social dans les quartiers, mais qu’elle appelle à l’élaboration de réponses profondes et durables à un échelon plus élevé de pouvoir. Un peu comme le Médiateur de la République ou les médiateurs des grandes entreprises qui peuvent avoir une fonction d’alerte sociale et de transmission de propositions de modification des systèmes pour prévenir problèmes et conflits similaires à ceux dans lesquels ils ont été appelés à intervenir en tant que médiateurs. On peut, certes, considérer que la médiation comporte le risque de la dé-légitimation de l’action collective quant à ses capacités de représentation et de négociation, les médiateurs jouant le rôle d’intermédiaires, passages obligés entre habitants, politiques ou techniciens. Ils peuvent néanmoins jouer ce rôle de canaliseurs des difficultés et problèmes des personnes vers les institutions et vers les lieux de pouvoir capables d’y répondre, pour une amélioration profitable à l’ensemble de la société.

Isabelle FERRE, Le Cubitus 2002