7
1 La poésie Inde, avril 2010 CORRIGES 21 à 24 > TRAVAUX D'ÉCRITURE [16 pts] ! - SUJET 22 - Commentaire Vous ferez le commentaire du poème de Verlaine (texte 2). II - 23 » « On dirait que c'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu, préservé. » Pensez-vous que cette définition du jardin donnée par Philippe Jaccottet puisse s'appliquer à la poésie ? Vous répondrez dans un développement organisé, en vous appuyant sur les textes du corpus, les poèmes étudiés en classe et vos lectures person- nelles. III - SUJET 24 - Écrit d'invention Vous revenez dans un lieu qui a beaucoup compté pour vous : vous déci- dez, à l'occasion d'un concours d'écriture, d'évoquer ce lieu dans un texte poétique qui ne sera pas nécessairement versifié. Votre texte se nourrira d'images, d'effets sonores, de figures de construction, etc. 21 à 24 CORRIGÉS Sujet 21 Question «COUP de POUCE ANALYSE DU CORPUS Les textes du corpus Le corpus compte cinq poèmes. Le premier est un extrait du Songe de Vaux, écrit par La Fontaine (1621-1695). Il s'agit d'un poème à la gloire de Fouquet, mécène du poète, et de son domaine, le château de Vaux-le-Vicomte. Le second poème, « Après trois ans », est extrait de la première section, « Melancholia », des Poèmes saturniens de Verlaine (1844-1896). Ce recueil est le premier publié par Verlain.e, souvent considéré comme un poète maudit. Il est dédié au dieu Saturne, dieu des Mélancoliques. Le troisième texte est extrait d'une plaquette intitulée Vitam impedere amori Consacrer sa vie à l'amour »), composée de dessins d'André Rouveyre et de poèmes d'Apollinaire (1890-1918). Philippe Jaccottet (né en 1925) et Casimir Prat (né en 1955) sont tous deux des poètes contemporains. Le premier a composé le texte 4 : il s'agit d'un texte en prose, extrait de La Sema/son. Jaccottet s'intéresse tout particu- lièrement à la Nature dans ses oeuvres, dans lesquelles il cultive la simplicité l'image cache le réel », écrit-il). Le second est l'auteur du cinquième poème, extrait du recueil intitulé Le Figuier. Ces cinq poèmes datent donc d'époques différentes et présentent des formes différentes. Formes poétiques * Le poème versifié se reconnaît à : la majuscule présente au début de chaque vers ; un schéma de rimes ; la régularité du nombre de syllabes par vers (le mètre) ; une disposition en strophes. Le poème en vers libres se reconnaît à la majuscule présente au début de chaque vers. Il ne présente en revanche aucune régularité, ni au niveau du mètre, ni au niveau des rimes. « Le poème en prose se reconnaît : à la forme (il n'est pas en vers) ; au thème (récit de rêve ou spectacle de la modernité) ; au primat des images ; à l'absence de continuité narrative (succession de tableaux). La problématique du corpus La problématique du corpus vous est suggérée dans la formulation de la question Ce corpus vante les charmes du jardin »). C'est en effet autour du thème du jardin que ces poèmes ont été rapprochés. QUESTION Comprendre la question « « représente » : on vous suggère par ce terme que ces poèmes évoquent tous des jardins mais que ces derniers n'ont pas tous la même valeur symbo- lique d'un poème à l'autre. C'est cette dimension symbolique que vous devez étudier. » « chacun des poèmes » : chaque fois que la question comporte lestermes « chacun » ou « chaque », vous pouvez faire un plan analytique (ce n'est pas une obligation, toutefois). 137

1 La poésie 21 à 24 Vitam impedere amori (« Consacrer sa vie à … · « On dirait que c'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu, préservé. » Pensez-vous que

  • Upload
    hadien

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 1 La poésie 21 à 24 Vitam impedere amori (« Consacrer sa vie à … · « On dirait que c'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu, préservé. » Pensez-vous que

1La poésie Inde, avril 2010 CORRIGES 21 à 24

> TRAVAUX D'ÉCRITURE [16 pts]

! - SUJET 22 - CommentaireVous ferez le commentaire du poème de Verlaine (texte 2).

II - 23 »

« On dirait que c'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu,préservé. » Pensez-vous que cette définition du jardin donnée par PhilippeJaccottet puisse s'appliquer à la poésie ?Vous répondrez dans un développement organisé, en vous appuyant surles textes du corpus, les poèmes étudiés en classe et vos lectures person-nelles.

III - SUJET 24 - Écrit d'invention

Vous revenez dans un lieu qui a beaucoup compté pour vous : vous déci-dez, à l'occasion d'un concours d'écriture, d'évoquer ce lieu dans un textepoétique qui ne sera pas nécessairement versifié. Votre texte se nourrirad'images, d'effets sonores, de figures de construction, etc.

21 à 24 C O R R I G É S

Sujet 21 — Question

« C O U P d e P O U C E

ANALYSE DU CORPUS

• Les textes du corpus

Le corpus compte cinq poèmes. Le premier est un extrait du Songe de Vaux,écrit par La Fontaine (1621-1695). Il s'agit d'un poème à la gloire de Fouquet,mécène du poète, et de son domaine, le château de Vaux-le-Vicomte.Le second poème, « Après trois ans », est extrait de la première section,« Melancholia », des Poèmes saturniens de Verlaine (1844-1896). Ce recueilest le premier publié par Verlain.e, souvent considéré comme un poète maudit.Il est dédié au dieu Saturne, dieu des Mélancoliques. Le troisième texte est

extrait d'une plaquette intitulée Vitam impedere amori (« Consacrer sa vie àl'amour »), composée de dessins d'André Rouveyre et de poèmes d'Apollinaire(1890-1918). Philippe Jaccottet (né en 1925) et Casimir Prat (né en 1955) sonttous deux des poètes contemporains. Le premier a composé le texte 4 : il s'agitd'un texte en prose, extrait de La Sema/son. Jaccottet s'intéresse tout particu-lièrement à la Nature dans ses œuvres, dans lesquelles il cultive la simplicité(« l'image cache le réel », écrit-il). Le second est l'auteur du cinquième poème,extrait du recueil intitulé Le Figuier. Ces cinq poèmes datent donc d'époquesdifférentes et présentent des formes différentes.

Formes poétiques

* Le poème versifié se reconnaît à :— la majuscule présente au début de chaque vers ;— un schéma de rimes ;— la régularité du nombre de syllabes par vers (le mètre) ;— une disposition en strophes.• Le poème en vers libres se reconnaît à la majuscule présente au débutde chaque vers. Il ne présente en revanche aucune régularité, ni au niveaudu mètre, ni au niveau des rimes.« Le poème en prose se reconnaît :— à la forme (il n'est pas en vers) ;— au thème (récit de rêve ou spectacle de la modernité) ;— au primat des images ;— à l'absence de continuité narrative (succession de tableaux).

• La problématique du corpusLa problématique du corpus vous est suggérée dans la formulation de laquestion (« Ce corpus vante les charmes du jardin »). C'est en effet autour duthème du jardin que ces poèmes ont été rapprochés.

QUESTION

• Comprendre la question« « représente » : on vous suggère par ce terme que ces poèmes évoquenttous des jardins mais que ces derniers n'ont pas tous la même valeur symbo-lique d'un poème à l'autre. C'est cette dimension symbolique que vous devezétudier.» « chacun des poèmes » : chaque fois que la question comporte les termes« chacun » ou « chaque », vous pouvez faire un plan analytique (ce n'est pasune obligation, toutefois).

137

Page 2: 1 La poésie 21 à 24 Vitam impedere amori (« Consacrer sa vie à … · « On dirait que c'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu, préservé. » Pensez-vous que

La poésieInde, avril 2010 CORRIGES 21 à 24

• Construire la réponse

« Le plan peut être analytique ou synthétique. Dans le premier cas, vousconsidérez chaque poème l'un après l'autre : vous êtes ainsi assuré de ne paspasser à côté de la spécificité d'un texte mais vous courez le risque de passertrop de temps sur la question. Le plan synthétique peut donc être privilégié, àcondition toutefois que vous repériez des points communs entre les différentsjardins présentés dans ces poèmes.

« Au brouillon, relisez attentivement les textes et interrogez-vous sur l'étatd'esprit du poète à l'égard du lieu qu'il décrit et la portée symbolique du jardin.

« Les procédés remarquables varient d'un texte à l'autre : considérez attenti-vement les principaux champs lexicaux et l'axiologie des termes employés (sont-ils mélioratifs ou péjoratifs ?). Étudiez également les registres dominants.

Ce corpus, composé de cinq poèmes, vante les charmes du jardin.Cependant, ce lieu n'a pas la même valeur dans chacun des textes.Dans l'extrait du Songe de Vaux de La Fontaine (texte 1), le jardinreprésente un idéal. Quelle que soit la saison, c'est le lieu de la beauté :les fleurs (« rosés », « les œillets et les rosés »), les fruits (« les premiersfruits », « Pomone », « les vergers ») et les fontaines (« liquide cristal »)y construisent des décors harmonieux. Le champ lexical de la beauté estabondant (« charmes », « embellis », « parer », « beautés ») et soutenu pardes hyperboles (« grâces non pareilles », « tant de merveilles »). C'est aussile lieu de l'abondance, comme le manifeste l'emploi récurrent du pluriel(« Les vergers, les parcs, les jardins »). Pour La Fontaine, le domaine de sonmécène, Fouquet, à Vaux-le-Vicomte, est donc un lieu de perfection.À l'inverse, le poème en prose de Philippe Jaccottet (texte 4) évoque lasimplicité du jardin. Il décrit un lieu défini, dans des phrases courtes, par-fois nominales (« Cognassiers en fleurs, derrière la ferme Granier »), avecdes termes précis (« cognassiers », « yeuses »). Simultanément, il conduitsimultanément une réflexion sur la capacité de la poésie à rendre comptede la simplicité de la nature (« Décèlerai-je, saurai-je dire un jour leurbeauté propre [ . . . ]?») .Les trois autres poèmes (« Après trois ans » de Paul Verlaine, texte 2 ;l'extrait de Vitam impedere amori de Guillaume Apollinaire, texte 3 ;l'extrait du Figuier de Casimir Prat, texte 5) associent l'évocation dujardin et le temps qui passe. Verlaine a beau affirmer à plusieurs reprisesque « [r]ien n'a changé » en trois ans (« comme avant », « j'ai retrouvé »),il constate finalement que le temps a joué son rôle destructeur puisque le« plâtre s'écailie ». Son souhait de retrouver le jardin inchangé se heurteà un douloureux constat. Apollinaire joue avec le topos du carpe diemet reprend à son compte l'image éculée de la rosé qui se fane commesymbole du temps qui passe (« Mais rosé toi qui te défends / Perds tes

odeurs inégalées », « Cueillez le jet d'eau du bassin / Dont les rosés sontles maîtresses »). L'absence de ponctuation qui rend les vers plus fluides etl'association de la cueillette à un insaisissable jet d'eau soulignent la fuga-cité du temps qui passe. Casimir Prat travaille lui aussi le motif du tempsqui passe de manière explicite (« le temps me manque », « J'ai oublié ») oude manière plus implicite avec l'image finale (« comme la ligne d'horizonqu'un enfant a tracée à / la craie sur le tableau du ciel »).Ainsi, selon les poètes, les charmes du jardin n'ont pas la même valeur.

Sujet 22 - Commentaire

' C O U P d e P O U C E

• Situer ï'extraît dans son contexte• Intéressons-nous d'abord au contexte. Paul Verlaine (1844-1896) est consi-déré comme un « poète maudit » : il est célèbre en effet pour avoir tiré surArthur Rimbaud avec lequel il avait eu une liaison tumultueuse. Il a été empri-sonné suite à cet épisode. Il a publié un grand nombre de recueils poétiquesmais aussi des articles. Les Poèmes saturniens est son premier recueil. Cespoèmes sont associés au dieu Saturne, figure de la Mélancolie.

• Les outils d'analyse• Commencez par étudier les procédés caractéristiques du poème versi-fié et ici, plus précisément, du sonnet. Analysez la métrique : quel est lemètre employé ? quelle relation la phrase entretient-elle avec le vers (présenced'enjambements ? de rejets ?...) ? Considérez avec attention le schéma desrimes et rappelez-vous que les mots placés à la rime sont des mots importants :quels sont-ils ? sur quoi mettent-ils l'accent ?

llMaiiH VersificationCes trois notions sont fondamentales pour l'analyse d'un poème versifié.« Le vers : pour mesurer la longueur du vers, on compte le nombre desyllabes dont il se compose (attention, le « e » muet se prononce s'il est suivid'une consonne). Un vers de douze syllabes est un alexandrin, un vers dedix syllabes un décasyllabe, un vers de huit syllabes un octosyllabe.« Les rimes : elles sont constituées par la répétition d'un même son enfin de vers. Elles peuvent être plates (AABB), embrassées (ABBA) oucroisées (ABAB).

139

Page 3: 1 La poésie 21 à 24 Vitam impedere amori (« Consacrer sa vie à … · « On dirait que c'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu, préservé. » Pensez-vous que

1La poésie

• La strophe : elle est composée par un groupement de vers, formant uneunité thématique et syntaxique. Un strophe de deux vers est un distique,de trois vers un tercet, de quatre vers un quatrain, de cinq vers unquintil.« Vous pouvez ensuite vous intéresser auxprocédés propres à ce poème.Soyez très attentif aux sonorités. Quand vous repérez une assonance ou uneallitération, demandez-vous quel effet elle produit : s'agit-il d'une har-monie imitative ou met-elle en évidence un mot du texte ? Vous pouvezégalement analyser les valeurs des temps dans ce poème narratif et descrip-tion. Enfin, comme à chaque fois que vous travaillez sur une description,interrogez-vous sur les sens auxquels le poème fait appel.

• Trouver les axes de lecture

Vous pouvez d'abord consacrer une partie à l'harmonie picturale de la des-cription du jardin. Interrogez-vous ensuite sur les sentiments du poète quisemblent ambigus : dans ce qui devient un paysage-état d'âme, il oscille entrenégation du temps qui passe et mélancolie nostalgique.

Plan du commentaire

I - Un tableau impressionnisteII - Un paysage-état d'âme

III - La mélancolie

Le plan détaillé est rappelé entre crochets pour vous aider, mais il ne doit enaucun cas figurer sur votre copie. Il faudra donc soigner les introductions etles conclusions partielles ainsi que les transitions entre les différentes parties etsous-parties afin de guider le correcteur.

[Introduction]Poèmes saturniens est le premier recueil de poèmes publié par Verlaine,en 1866, sous l'égide du dieu Saturne, dieu de la Mélancolie. « Aprèstrois ans... » est un sonnet d'alexandrins, aux rimes embrassées dans lesquatrains, suivies et croisées dans le sizain. Le « je » poétique y décrit unjardin qu'il a naguère fréquenté, et qu'il retrouve « [a]près trois ans ». Cepoème narratif et réaliste intrigue le lecteur par son apparente simplicité.Nous étudierons dans un premier temps le paysage en demi-teinte quise construit dans le poème, tel un tableau impressionniste. Dans undeuxième temps, nous analyserons la figure du « temps retrouvé », grâceà laquelle le poète nie les effets dévastateurs du temps. Enfin, dans unelecture rétrospective, nous montrerons que le poème se construit autourd'un manque, d'une absence, qui lui donne de plein droit sa place dans lasection « Melancholia ».

140

Inde, avril 2010 CORRIGES 21 à 24

[i - Un tableau impressionniste]

[A. L'harmonie des sens]Le « petit jardin » (v. 2) que parcourt le poète dans « Après trois ans... »s'apparente à bien des égards à un tableau impressionniste. Il est toutd'abord le lieu de sensations douces. Les yeux sont frappés de refletslumineux subtils. Ainsi, on relève les termes « éclairait » (v. 3), « soleil »(v. 3), « Pailletant » (v. 4) et « étincelle » (v. 4), qui, pour les deux pre-miers, sont placés à l'intérieur du vers, pour les deux suivants, aux extré-mités du vers, diffusant la lumière tout au long des vers 3 et 4. Ce jeusur la lumière rappelle le travail des peintres impressionnistes, qui pre-naient plaisir à peindre un même lieu à différentes heures de la journéepour étudier l'évolution des reflets du soleil. Les sons qui se font enten-dre forment de même une harmonie musicale. Le « murmure » (v. 7) del'eau et la « plainte » (v. 8) du vent dans les arbres, produisent un effet desourdine, accentué par la récurrence de sonorités nasales (« wurwure »,v. 7 ; « argmz'n », v. 7 ; « tr«wble », v. 8 ; « plaz'me », v. 8 ; « sempiter-nelle », v. 8). Les odeurs sont présentes dans l'évocation des fleurs quijaillissent en véritables bouquets odorants (« fleur », v. 4 ; « rosés », v. 9 ;« lys », v. 10). Quant au toucher, on peut le deviner dans la mentiond'une « tonnelle » (v. 5) de vigne, destinée à adoucir les rayons du soleil,à offrir un abri de fraîcheur. Ainsi, ce jardin est le berceau de sensationsà la fois plaisantes et délicates.

[B. L'équilibre entre !e naturel et l'artificiel]L'harmonie dans ce tableau est telle que rien ne peut la troubler : ainsis'établit un équilibre entre la nature et l'artifice. En effet dans ce jardin,la nature n'est pas laissée à l'état sauvage. Aux éléments naturels (« petitjardin », v. 2 ; « fleur », v. 4 ; « vieux tremble », v. 8 ; « rosés », v. 9 ;« grands lys », v. 10 ; « alouette », v. 11), se mêlent par exemple desobjets fabriqués (« chaises de rotin », v. 6, « Velléda », v. 12) en unecohabitation harmonieuse. De même, la nature est parfois contraintemais cela, loin de nuire à son charme, y contribue. Ainsi, la vigne doitpousser de manière à former un abri (« humble tonnelle », v. 5), maiselle n'en reste pas moins « folle » ; l'eau, pour sa part, est contrainte enun « jet d'eau » (v. 7), mais produit un « murmure argentin ». C'est doncune nature domestiquée qui nous est dépeinte. Les plantes en viennentmême à prendre des allures très humaines grâce aux personnifications :le nom « plainte » (v. 8) et l'adjectif « orgueilleux » (v. 10) attribuent dessentiments respectivement au « tremble », et aux « grands lys » ; quantaux rosés, elles « palpitent », comme si leur cœur battait. Ainsi, ce « petitjardin » (v. 2) verlainien offre aux regards une nature policée où natureet artifice se côtoient.

141

Page 4: 1 La poésie 21 à 24 Vitam impedere amori (« Consacrer sa vie à … · « On dirait que c'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu, préservé. » Pensez-vous que

La poésie

[C. La profondeur de la perspective]Enfin, ce décor sensuel se construit comme un tableau en perspective.La forme participiale (« Ayant poussé », v. 1), laborieuse, qui inaugurele poème, souligne le premier plan sur lequel le regard du spectateur estinvité à se poser. Une fois entré dans le tableau, le regard suit les lignes defuite avec plus de fluidité, comme l'indiquent les enjambements, du vers 2sur le vers 3, du vers 5 sur le vers 6, du vers 7 sur le vers 8... Enfin, laVelléda (v. 12) constitue le point de fuite, « au bout de l'avenue » (v. 13).Cette organisation en plans successifs ne déborde pas cependant le cadreexigu d'un tableau. Ainsi, le champ lexical de la petite taille émaille lesonnet (« étroite », v. 1 ; « petit », v. 2 ; « humble », v. 5). La forme mêmeadoptée par Verlaine signifie la clôture. Le sonnet est en effet une formerégulière et fermée dont les quatorze vers de douze syllabes deviennent uncadre, presque carré. Le poème de Verlaine s'organise donc comme uneœuvre picturale.

[Conclusion partielle et transition] Ainsi, c'est un véritable tableau quele poète nous donne à voir, grâce à ses couleurs en demi-teinte, à ses motifsharmonieux et à sa composition rigoureuse. Pourtant, loin de rester exté-rieur à cette œuvre, de la décrire en spectateur, le poète pénètre dans le jar-din et le parcourt. Le tableau devient alors le théâtre de ses sentiments.

[Il - Un paysage-état d'âme]À un second degré, ce jardin est en effet un paysage-état d'âme : tout enle décrivant, le poète nous fait part de ses sentiments.

[A. La confusion des temps]L'évocation veut nous laisser entendre que pour le « je » poétique,le temps n'existe pas. Le titre annonce deux strates temporelles, quidevraient correspondre à deux états du jardin : le présent, celui de laredécouverte du jardin, et le passé, éloigné de trois ans. En effet, lepoème brouille très vite les repères chronologiques du lecteur. D'unepart, le poème ne comporte aucun signe du passé (l'imparfait « éclai-rait » du vers 3 exprime plutôt une concordance des temps avec « Je mesuis promené », au vers précédent, qu'un passé révolu). D'autre part, denombreux verbes au présent parsèment le poème : certains peuvent êtrelus comme des présents de vérité générale (« la porte étroite qui chan-celle », v. 1), mais d'autres doivent être lus comme des présents d'énon-ciation (« Les rosés comme avant palpitent », v. 9). Le présent prenddonc la place du passé composé ou de l'imparfait attendus. Ce brouillagetemporel entraîne la confusion des différentes states temporelles : plusrien ne sépare le passé du présent.

Inde, avril 2010 I CORRIGES 21 à 24

IB. La négation du temps qui passe]De plus, l'antithèse entre « [r]ien » et « tout » (« Rien n'a changé. J'aitout revu : [...] », v. 5) souligne qu'en trois ans, rien n'est venu altérerla beauté du jardin. De même, l'adverbe de temps « toujours » et lalocution « comme avant », répétée deux fois, martèlent le caractèreimmuable des éléments évoqués. Lors de son retour, le « je » poétiqueretrouve tout exactement comme il l'avait laissé. Cette figure du retourau même se lit également dans la structure rimique du poème. Eneffet, en adoptant la forme très codifiée du sonnet, Verlaine a choisiune forme qui se caractérise par des rimes embrassées identiques dansles deux quatrains, puis par des rimes suivies et croisées dans le sizain.Ainsi, le retour du même est un principe caractéristique du sonnet.Le poète renforce ce phénomène en ajoutant des rimes internes. Auvers 9, « comme avant » résonne à la césure puis à la fin du vers, etles nasales du vers 10 (« grands », « bal^zwcent ») prolongent la rime.Ainsi, pour le poète, trois ans n'ont rien changé, il retrouve chaquefleur et chaque oiseau.

[Conclusion partielle et transition] Le sonnet n'a donc de cesse de nierles effets du temps qui passe. Pourtant, le titre mettait l'accent sur le tempset posait comme horizon d'attente l'observation de ses ravages. On est dèslors en droit de s'interroger sur cette trop insistante négation du temps, etde chercher la faille que le poète tente de dissimuler.

[III - La mélancolie]

[A. Une note discordante]Pour déceler l'inquiétude du poète, il faut pousser la lecture jusqu'au der-nier vers. Le poème se clôt en effet sur l'évocation d'une odeur (« l'odeurfade du réséda », v. 14) mais une odeur bien différente des délicates sensa-tions d'abord mises en avant. Il s'agit d'une odeur désagréable comme lerévèle l'adjectif péjoratif « fade ». De plus, il s'agit d'une odeur très précise,celle du « réséda ». Ce terme paraît très important puisqu'il est placé à lafin du vers, et souligné par la rime riche (éda) et par les assonances en[a] qui parcourent le dernier tercet (« Vellédtf », v. 12 ; « pi Are », v. 13 ;« avenue », v. 13 ; « fade », v. 14). Or, le réséda est une fleur cultivéepour son parfum agréable, qui évoque l'amour (on l'appelle même parfois« l'herbe d'amour »). Ainsi, le parfum doux et sensuel de l'amour se seraitperdu. En outre, l'emploi admis, mais rare, de « parmi », suivi d'un singu-lier, semble propager de toutes parts cette odeur de la perte. Le dernier versnous invite donc, en une lecture rétrospective à chercher d'autres indicesde la fin d'un amour.

143

Page 5: 1 La poésie 21 à 24 Vitam impedere amori (« Consacrer sa vie à … · « On dirait que c'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu, préservé. » Pensez-vous que

1i.a poésie

[B. L'absence de la femme aimée]

Une deuxième lecture fait en effet apparaître en creux une présenceféminine, aimée, qui n'est plus. Le poème se construit alors comme unvide qu'on ne peut combler. Ainsi, les points de suspension à la fin duvers 9 (« l'humble tonnelle / De vigne folle avec ses chaises de rotin... »,v. 8-9), font entendre le silence, l'absence de conversation dès lors queles chaises de rotin restent inoccupées. Au début du premier tercet, c'estle langage des fleurs qui permet au poète d'évoquer la femme aimée.Les « rosés » (v. 9) sont traditionnellement associées à l'amour ; quantaux « lys » (v. 10), ils symbolisent la pureté virginale. On voit donc sedresser l'ombre d'une toute jeune fille, prête à aimer, mais cette imageest dégradée ensuite avec « la Velléda » (v. 12). D'une part, l'articledéfini a une axiologie négative. D'autre part, la Velléda est une figure del'amour impossible. La virginité n'est plus une annonce d'amour maisun obstacle insurmontable.

[C. L'inquiétude]

De plus, le poème paraît, dans une seconde lecture, parsemé d'indicesqui évoquent l'inquiétude. À la fin du second quatrain déjà, annonçantle retournement produit par le dernier tercet, se fait entendre le mot« plainte », soutenu par les nasales (« tr^wble », « sempiternelle »). Le poèteprête ainsi des sentiments mélancoliques aux arbres du jardin. Toutefois,c'est dans le dernier tercet que les indices se font plus nombreux. Alorsque rien ne semblait changer, force est de constater que la statue qui ornele « bout de l'avenue » (v. 13) s'est dégradée (« Dont le plâtre s'écaille »,v. 13). Le verbe « s'écaille », dont les sonorités font écho au participe pré-sent du premier quatrain « pailletant », souligne l'écart entre le passé et leprésent. Cette plaie sur la statue renvoie à la blessure du poète. Enfin, dansle dernier vers, la statue est qualifiée de « Grêle », adjectif péjoratif. Ainsi,la statue devient une véritable représentation de la mélancolie.

[Conclusion partielle] Une note discordante dans le dernier tercet invitedonc à relire le poème de Verlaine comme la peinture d'une douloureuseabsence.

[Conclusion]Verlaine brosse un paysage impressionniste, tout en nuances sensuelles.Ce tableau est le lieu de l'expression des sentiments du poète, qui tentede calmer son inquiétude en affirmant que le temps n'est rien, en niantses ravages, mais qui ne peut totalement faire taire sa mélancolie, et lesouvenir d'un amour perdu. C'est donc un paysage-état d'âme que cepetit jardin.

144

Inde, avril 201C CORRIGÉS 2 ' à 24

Sujet 23 - Dissertation

C O U P d e P O U C E

• Analyser le sujet» « hors du monde, perdu » : l'idée est ici que le jardin évoqué par Jaccottetet éventuellement la poésie seraient des lieux peu fréquentés, déserts, et horsdes activités quotidiennes.

« « merveilleusement » : l'adverbe est bien sûr mélioratif. Il suggère unebeauté exceptionnelle, rare.» « préservé » : a priori, quelque chose qui a été préservé a un passé, unehistoire. On trouve donc ici l'idée que la poésie serait un art ancien maistoujours pratiqué.

La difficulté pour formuler la problématique est donc que cette citationcomprend plusieurs idées qu'il faut prendre en compte.

• Formuler la problématique« Type de sujet : question qui dissimule une thèse (type 3).

« Problématique : la poésie cultive-t-elle la beauté, loin des exigences duquotidien, dans une longue tradition, ou doit-elle se confronter au monde danslequel vit le poète ?

• Exploiter les textes du corpus et mobiliser ses connaissances» Pour traiter le sujet, vous devrez à la fois bien lire les poèmes du corpus maisaussi faire appel à vous connaissances personnelles : en effet, les poèmes ducorpus ne donnent pas d'exemple pour toutes les étapes de votre réflexion.

« Dans le texte 1, La Fontaine emploie une langue rare, qui fait référenceaux divinités antiques (« Pomone », « Flore »), et qui est très travaillée (ver-sification, procédés rythmiques...). Pourtant, son poème a aussi une fonctionpragmatique : il s'agit de remercier son mécène et d'en chanter les louanges.

• Dans le texte 2, la forme est travaillée (il s'agit d'un sonnet), même si levocabulaire est emprunt d'une certaine simplicité. Le poète y exprime sessentiments en même temps qu'il décrit le jardin.

• Le texte 3 peut apparaître hermétique : il n'est pas facile à comprendre partous (par exemple, qui sont « Elles » ?). On remarque encore un travail formel :vers, absence de ponctuation...

• Dans le texte 4, Jaccottet mêle évocation poétique et réflexion sur son art,sur sa pratique. Il choisit la forme du poème en prose.

« Le texte 5, écrit en vers libres, peut aussi apparaître comme hermétique(image de la lune ?). Le poète mêle l'expression de ses sentiments intimes et ladescription d'un paysage.

145

Page 6: 1 La poésie 21 à 24 Vitam impedere amori (« Consacrer sa vie à … · « On dirait que c'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu, préservé. » Pensez-vous que

1La poésie

• D'autres textes doivent être exploités pour montrer que la poésie n'est pasforcément coupée du monde. Il faut en particulier faire référence à la poésieengagée (pensez aux poèmes de Victor Hugo ou à ceux de la Résistance).

• Élaborer le plan" ',_.-Dans la mesure où la question contient une thèse implicite, le plan est critique.

Plan de la dissertation

I - Certes, la poésie est un jardin des merveilles, cultivé selon une traditionancienne

II - C'est un jardin méconnu que ne fréquentent que quelques rares élus

III - Mais, la poésie peut aussi être un lieu investi

[introduction]

Philippe Jaccottet, dans un texte poétique en prose qui mêle évocationd'un espace naturel et réflexion sur l'art poétique, écrit : « On dirait quec'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu, préservé. »Cette définition du jardin peut-elle s'appliquer à la poésie ? La poésiecultive-t-elle la beauté, loin des exigences du quotidien, dans une longuetradition, ou doit-elle se confronter au monde dans lequel vit le poète ?Nous verrons dans un premier temps que le jardin peut effectivementapparaître comme un jardin des merveilles, cultivé selon une traditionancienne, comme un lieu méconnu et peu fréquenté. Nous montreronstoutefois qu'elle peut aussi être un lieu investi.

! - Certes, la poésie est un jardindes merveilles, cultivé selon une tradition ancienne

A. Une longue tradition : un lieu « préservé »1. Figures mythologiques de poètes. Orphée et sa lyre, figure tutélairede la poésie. La poésie est bien un art « préservé » puisque pratiqué delongue date.

2. Des formes fixes, reprises de siècle en siècle. Certaines formes per-durent de siècle en siècle. C'est une manière de préserver cet art à part.Ex. : le sonnet, pratiqué en France depuis la Renaissance.

3. Des thèmes privilégiés. La poésie a certains thèmes privilégiéscomme l'amour, la glorification de la femme aimée... Ex. : La Fontaineet Casimir Prat chantent tous deux la beauté d'un jardin à quatre sièclesd'intervalle.

Inde, avril 2010 CORRIGES 21 à 24

B. Un jardin merveilleux1. La beauté formelle. La poésie cultive avant tout la beauté. Figuresrythmiques, en particulier dans la poésie versifiée (ex. : vers libres dans letexte 5). Images dans les poèmes en vers comme daris les poèmes en prose(ex. : personnification des rosés dans le texte 3).

2. La beauté thématique. Le poète chante le plus souvent la beautémorale et la grandeur des sentiments. Ex. : La Chanson de Roland.

3. La beauté des ronces. La poésie sait rendre beau ce qui nous déplaîtau quotidien. À l'aide de la musique et des images, il opère cette alchimie.Ex. : ce sont des « haies de broussailles » que chante Jaccottet.

il - C'est yn Jardin méconnune fréquentent que quelques rares élus

A. Une activité coupée du quotidien, « hors du monde »La poésie n'a pas d'utilité immédiate, ni pour celui qui la pratique, ni pourcelui qui la lit. C'est une activité gratuite.

B. Des poèmes hermétiques, un jardin « perdu »Les poèmes ne sont pas toujours compréhensibles par tous. Quête de labeauté formelle plus que du sens. Recherche du beau qui peut perdre lelecteur en route. Ex. : le « Sonnet en X » de Mallarmé.

C. La figure du poète mauditLe poète se peint souvent comme un être à part, différent des hommes,qui ne peut fréquenter le monde. Ex. : image de « l'albatros » dans LesFleurs du Mal de Baudelaire ; le poète est celui qui ne peut participer à lavie sociale, dont on se moque.

III - Mais la poésie peut aussi être un lieu investi

A. Un lieu où s'expriment les sentiments1. Les sentiments du poète. La poésie n'est pas un lieu complètement« hors du monde » puisqu'elle est habitée par le poète. Ce dernier exprimeen effet souvent ses sentiments. Ex. : Nostalgie et sentiment de la pertedans le texte 2.

2. L'universalité des sentiments. Les sentiments exprimés, grâce aulyrisme, à la musique, aux images, acquièrent une dimension univer-selle. Le jardin est le lieu où le poète et les lecteurs se retrouvent dansune communauté de sentiments. Ex. : poèmes d'amour de Paul Éluard,connus par tous (« La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur »).

147

Page 7: 1 La poésie 21 à 24 Vitam impedere amori (« Consacrer sa vie à … · « On dirait que c'est hors du monde, perdu, mais merveilleusement perdu, préservé. » Pensez-vous que

La poésie

B. Un lieu à fréquenterLe poète invite parfois le lecteur à le retrouver : la poésie est alors en priseavec le monde.

1. La poésie didactique. La poésie peut avoir pour but d'enseigner. Ex. :leçon morale des fables de La Fontaine.

2. La poésie engagée. La poésie peut avoir pour but de pousser le lecteurà agir, conformément aux souhaits eti convictions du poète. Ex. : les poè-mes des Châtiments de Victor Hugo invitent le lecteur à se rebeller contrele régime de Napoléon III.

[Conclusion]

Si la poésie est un jardin des délices dans lequel se trouvent préservéesdes traditions qui datent de l'Antiquité, elle n'est pas nécessairement unjardin perdu mais elle peut être un lieu fréquenté, dans lequel le lecteurretrouve le poète dans l'expression de convictions ou de sentiments qui separtagent.

**

Sujet 24 - Ecrit d'invention

« C O U P d e P O U C E

• Comprendre le sujet» Forme : il s'agit d'un poème, qui peut être un poème de forme fixe, unpoème versifié ou en vers libre ou encore un poème en prose. Dans tous lescas, votre texte devra faire preuve d'une recherche formelle particulière. Onvous recommande d'utiliser des images (métaphores, comparaisons), des effetssonores (allitérations, assonances...), des figures de construction (antithèses,parallélismes...).

KWJBBil Figures de style

• La comparaison : mise en relation d'un comparé et d'un comparantpar un outil de comparaison. Ex. : vers 6à 10 du texte 5.• La métaphore : comparaison sans outil de comparaison. Le comparépeut être implicite. Ex. : « les pleurs I Qu'en se levant verse l'Aurore » pourla rosée (texte 1).» La personnification '.figure de style qui attribue des qualités humai-nes à des choses. Ex. : « Les grands lys orgueilleux » (texte 2).

Inde, avril 2010 CORRIGES 21 à 24

* L'antithèse : opposition au niveau du sens. Ex. : « Cette obscure clartéqui tombe des étoiles » (Corneille).» L'hyperbole : emploi de termes exagérés. Ex. : « leurs grâces nonpareilles » (texte 1).» La répétition : reprise à l'identique d'une même expression ou d'unemême construction. Si un élément est répété en début de phrase ou de vers,on parle d'anaphore. Ex. : « Les rosés comme avant palpitent, commeavant, I Les grands lys [...]» (texte 2).

« Situation d'énonciation : qui parle ? vous (« je ») ; à qui ? le poème peutêtre adressé (comme les textes 1 ou 5), mais ce n'est pas une obligation. Ledestinataire réel, le jury d'un concours d'écriture, reste a priori implicite ; dequoi ? d'un lieu qui a beaucoup compté pour vous et dans lequel vous revenez,un lieu du passé donc, de l'enfance sans doute ; quand ? aujourd'hui.

» RegistreDans la mesure où il s'agit d'un lieu qui a compté pour vous, deux registresvont se déployer dans votre poème : les registres lyrique et pathétique.

• Trouver des idées« Afin de décrire précisément le lieu, essayez d'en choisir un que vousconnaissez bien.

Les mêmes sensations... Je croyais que tout avait changé, et non... Lesmêmes sensations... Le soleil dont les rayons se faufilent entre les aiguillesdes pins pour brûler la peau encore blanche des rigueurs de l'hiver. Lafraîcheur de la maison, fermée depuis trop longtemps. Les odeurs. Celledu sable chauffé au soleil, celle de la résine qui coule des plaies béantes desarbres, celle de la moisissure qui s'est formée sur les tentures démodées dela maison abandonnée. Les sons. Les cris assourdis des enfants qui jouentsur la plage, comme avant. Des cris lointains qui arrivent par vagues, por-tés par un souffle de vent. L'aboiement du chien, plus près, tout près, tropprès ? Les aiguilles de pin desséchées qui se brisent sous mes pas. La vue.Les nuages mobiles qui créent des reflets changeants sur la mer, gris, bleus,verts. Le soleil qui paillette les vaguelettes de traînées d'or. Et surtout,cette sensation unique, inoubliable, éternelle : le goût du sel marin sur leslèvres. Les mêmes sensations. L'impression que le temps s'est arrêté.Pourtant, rien n'est plus comme avant. Où sont les enfants qui couraientdans l'allée du jardin ? Où sont les adolescents qui balayaient le perrondans l'espoir de la récompense qu'ils finiraient par arracher à ces adultesamollis par une trop longue sieste au soleil ? Où sont ces vieillards tou-jours dignes dans la chaleur de l'été qui commentaient les faits et gestes desvoisins d'un air entendu ? Les chaises cassées ne quittent plus le garage, la

149