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COLLECTION DE VIES DE SAINTS ________________ UN SAINT pour chaque jour du mois MAI 1

1 Mai I

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1 Mai I

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COLLECTION DE VIES DE SAINTS

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UN SAINT

pour chaque jour du mois

MAI

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SAINT ROMAIN LE NÉOMARTYRA Bagdad (730-780)

Fête le 1er mai

Romain naquit, vers l'année 730, dans un village de la Galatie, province grecque de l'Asie Mineure ; 1'empire byzantin était alors gouverné par Léon III l'isaurien. Le souverain qui venait d'inaugurer l'ère des violences contre les partisans des saintes images. De ses parents, nous ignorons tout, sauf qu'ils inculquèrent de bonne heure à leur enfant les principes d'une solide piété.

Jeunesse du Saint. - II embrasse la vie monastique.

Jeune encore, Romain éprouva un vif attrait pour la vie parfaite, et il quitta ses parents, ses biens et sa terre natale pour se consacrer à Dieu dans le monastère de Mantinéon. Celui-ci s'élevait sur les bords d'un lac, nommé Perkilé, qui renfermait une île avec un convent de neuf cents religieuses. L'un et l'autre de ces monastères dédiés aux saints Apôtres, celui des hommes et celui des femmes, étaient alors dirigés par une sainte personne, du nom d'Anthousa (la Fleurie), qui confessa la foi sous Constantin Copronyme et dont l'Eglise grecque célèbre la fête le 27 juillet.

Cette situation, un peu anormale pour nous, bien qu’on l’ait connue en France dans l’Ordre de Fontevrault, n’était pas alors sans exemple en Orient, et le VIIe Concile œcuménique de Nicée, en 787, non moins que le patriarche saint Nicéphore, en 810, durent supprimer cet usage qui pouvait entraîner certains abus. Quant au lac de Perkilé, près duquel s’écoula la vie de notre Saint jusqu’à l’âge d’environ quarante ans, il paraît être l’ancien lac de Daphnousis, aujourd’hui Eftene Goeul, près de Claudiopolis ou Bolou, sur la mer Noire, et au milieu duquel émerge une petite île. Au couvent, Romain fit ce que faisaient les bons moines de son temps : il apprit par cœur tout le psautier de David et se pénétra bien des maximes de la vie monastique, s'appliquant de préférence à l'étude des livres de spiritualité.

En dehors de la récitation de l'Office et des pieuses lectures, son temps était consacré à des travaux manuels, au service des pauvres, au soin des malades et des infirmes qui s'arrêtaient assez souvent au monastère. Il couchait aussi sur la terre nue, alors que l'usage monastique permettait une natte ou même un tapis. Bref, tout en cherchant à extirper ses défauts, Romain sut acquérir et fortifier les vertus chrétiennes et celles qu'exigeait plus spécialement son état.

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Sa captivité chez les Arabes.

Son biographe, qui paraît être saint Étienne le Thaumaturge, moine de Saint-Sabas et son contemporain, lui attribue, dès ce moment, un vif désir du martyre, que le ciel, du reste, devait un peu plus tard exaucer.

Un jour, sainte Anthousa, la supérieure des deux couvents, confia à Romain et à un vieux moine, son compagnon, une mission relative aux intérêts de ses maisons religieuses. Les voyageurs se dirigèrent, selon toute vraisemblance, vers les frontières de la Syrie, et, surpris par une bande de pillards arabes, ils furent faits prisonniers.

A travers la Syrie, on les envoya à Bagdad, la nouvelle capitale des califes, que déjà la tradition chrétienne confondait avec Babylone. Là, ils furent présentés au « chef des croyants », Abdallah Abou Djafar, qui les fit mettre aux fers. Par ce que nous savons des prisons du moderne Orient, nous pouvons nous représenter les privations de toutes sortes que durent souffrir Romain et son ami dans les cachots de Bagdad ; ils en souffrirent tant, que le vieux moine finit par succomber et que Romain se trouva réduit quelque temps à l’isolement le plus complet. Son emprisonnement remonte au printemps de 771.

Saint Romain reçoit des compagnons de captivité.

Il ne tarda pas, du reste, à recevoir des compagnons de captivité. C'étaient deux diacres grecs de Constantinople, Jean et Siméon, qui, après un séjour plus ou moins long dans la capitale de leur empire, s'étaient retirés dans un couvent de Phrygie. Là, maltraités par les fonctionnaires byzantins qui poursuivaient en eux des hommes rebelles aux édits impériaux contre les images, ils s'enfuirent et franchirent la frontière arabe.

Les officiers musulmans, qui leur avaient pourtant accordé un sauf-conduit, les arrêtèrent et, dans l'espoir d'obtenir de l'avancement, surent tirer parti de leur capture. Comme ils venaient de faire prisonnier un prince grec, du nom de Georges, pour rehausser son prestige et aussi leurs mérites personnels, ils lui adjoignirent les deux moines, qui figurèrent l'un comme secrétaire et l'autre comme conseiller du prince, soi-disant capturés au cours d'une incursion sur le territoire byzantin.Dès leur arrivée à Bagdad, on les remit à un officier du calife que l'hagiographe appelle Rabia et qui n'est autre que Abou-et-Fadl ar-Rabi ben Iounos. Ils furent emprisonnés tous deux, ainsi que le prince Georges, dans le cachot où se trouvaient déjà Romain et nombre d'autres chrétiens de diverses nationalités, et ils y menèrent, comme lui, en dépit des exactions qu'ils devaient subir, une vraie vie religieuse.

Les iconoclastes complotent contre la vie de saint Romainqui est sauvé providentiellement.

Sur la route de leur exil, écrit le P.Peeters, les nouveaux venus avaient passé leurs longues étapes à se disputer violemment. Georges, iconoclaste déclaré, soutenait la politique de l'empereur, son maître. Les moines, de leur côté, défendaient le culte des images, probablement avec plus d'érudition que d'opportunité et, en tout cas, sans autre résultat que d'exaspérer leur adversaire.

En prison, la controverse recommença de plus belle, sous une forme moins inoffensive... Georges trouva parmi ses compagnons de captivité un nombre considérable d'autres Grecs, gens de guerre ou civils, entre lesquels son rang et son éducation lui créèrent une situation prépondérante. Tous étaient comme lui ou devinrent, grâce à lui, de francs iconoclastes.

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Les rapports se tendirent à un tel point, que les iconoclastes résolurent d'assassiner leurs trois adversaires : Romain, Jean et Siméon.

Un jeune Arabe, qui entendait le grec, surprit ce projet criminel et le dévoila à ses coreligionnaires, car, dit le narrateur, les détenus étaient très nombreux dans la prison et les musulmans n'y manquaient pas... Les musulmans résolurent de mettre à la raison Georges et ses complices, moins peut-être par sympathie pour les moines que pour avoir une occasion d'écharper quelque Grec, car, au lieu d'avertir le gouverneur de la prison, ils laissèrent les choses aller leur train.

Le jeune homme fut posté aux aguets pour épier les agissements des conjurés. Le moment venu, il donna l'alarme. Les Arabes, armés de pierres et de gourdins, se précipitèrent au secours de Romain et de ses compagnons. Des chrétiens d'autres nationalités s'étaient joints à eux. Le biographe spécifie qu'il y avait là, des Syriens et des Francs et qu'ils étaient nombreux. Ceux-ci avaient été razziés sur les côtes méditerranéennes de la France.

La prison était placée sous les ordres d'un gouverneur qui, sans être chrétien, paraît avoir été animé d'intentions fort conciliantes. Ce brave homme, averti de l'échauffourée qui venait de se produire, s'interposa entre les partis, raisonna ses pensionnaires et finit par rétablir le calme.

Adoucissements apportés à sa captivité.

Un chrétien de Bagdad, un cheikh d'un certain rang, qui partageait la foi de nos prisonniers, c'est-à-dire qui n'était ni nestorien, ni jacobite, ni iconoclaste, s'éprit d’une réelle pitié pour les souffrances qu'ils enduraient. Après les avoir soulagés en prison, il obtint la permission de les loger chez lui, s'engageant sur sa tête à les ramener dès le premier appel. Désormais, les trois captifs purent vaquer à leurs devoirs d'état tout comme s'ils étaient restés dans leurs monastères.

Le 7 octobre 775, le calife Abou Djafar mourut, et, après des intrigues qu'il serait fastidieux de rappeler ici, son second fils, Mahomet el-Mahdi, recueillit sa succession. II y avait près de six ans que durait la captivité de Romain. Les trois moines reçurent bientôt cinq compagnons, enlevés de l’île de Chypre, où les avait relégués la persécution de Copronyme, et qui furent, à leur tour, hébergés par le cheikh miséricordieux.

Saint Romain dénoncé comme espion syrien par un apostat.

Parmi les captifs se trouvait un moine grec, du nom de Jacques, qui abjura le christianisme, et, pour mieux s'insinuer dans les bonnes grâces des autorités musulmanes, ne rougit pas de trahir et de calomnier ses anciens coreligionnaires. Comme il avait conservé son habit monastique, il pénétrait partout et il apprit un jour qu'un Syrien, originaire d'Emèse et nommé Romain, faisait de l'espionnage pour le compte des Byzantins. Du moment qu'il y avait à Bagdad un captif du nom de Romain, qui savait fort bien le grec et l'arabe, l'espion redoutable était tout trouvé. Le calife Mahdi n'eut aucune peine à admettre cette version, qui cadrait si bien avec son esprit soupçonneux. Le moine Romain fut donc retiré de la maison hospitalière du cheikh et remis en prison, où il fut enchaîné et traité fort durement.

Le troisième jour, Romain comparut devant le calife, qui lui demanda ce qu'il en était au juste de l'accusation portée contre Lui. Le moine répondit : « Je suis Grec d'origine, je n'ai jamais habité Emèse et même je n'ai jamais vu la Syrie, sauf pendant ma captivité. Quant au métier d'espion, je ne l'ai jamais fait. » Bien entendu, cette dénégation n'ébranla nullement le calife, qui ordonna d'enlever les habits de l'inculpé et de le soumettre à la question pour lui arracher l'aveu de son crime. Et, à ce moment, il fit introduire le dénonciateur pour une confrontation. Tout était Prêt pour le supplice quand Jacques entra.

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Il fut si ému de tout cet appareil qu'il se troubla soudain, changea de couleur et, pressé de questions, finit par avouer qu'il s'était trompé et que ce Romain-là n'était pas celui dont on lui avait parlé. Après cette confusion finale et ce dénouement tout à fait inattendu, l'accusateur fut jeté dehors, et Romain, bien que reconnu innocent, ramené à son cachot, où on le surveilla très étroitement.

C'était la troisième année du règne de Mahdi, c'est-à-dire vers la fin de 777 ou dans les premiers mois de 778.

Nouvel interrogatoire de saint Romain.

D'une accusation pareille, il reste toujours quelque chose dans l'esprit d'un souverain oriental. Dans les derniers jours de l'année 779, « le prince des croyants voulut se rendre à Jérusalem pour y prier et faire un tour en Syrie. II quitta Bagdad et se rendit en un lieu appelé Baradan, à douze milles de là, où se trouvait un palais avec des salles d'audience ».

Ainsi parle le biographe. De fait, nous savons, par des historiens Arabes et byzantins, que Mahdi, préparant une expédition contre la Syrie byzantine, concentra son armée à Baradan, à une quarantaine de kilomètres en amont de Bagdad. Là, il pensa, une fois de plus au moine suspect et le fit amener devant lui, solidement garroté et portant un voile sur les yeux.

Le corps de saint Romain est recueilli

flottant sur l'Euphrate,

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Le calife demanda à Romain d’avouer son crime. Celui-ci répondit : - Je te l’ai déjà dit, je suis Grec et non Syrien, et je n’ai jamais été espion.- Tu mens, répliqua Mahdi, ennemi de Dieu, ennemi des Arabes et traître à mon empire. J'ai là

des hommes qui certifieront que tu es un espion syrien.Romain ne se troubla pas et lui dit :

- Tu peux réunir tout ton empire, personne ne me convaincra de ce crime, et si quelqu'un le soutient encore mensongèrement, celui-là est ennemi de la vérité.

La réplique tombait tout droit sur le calife, qui, n'y tenant plus, sauta à bas de son trône, empoigna le moine des deux mains et lui déchira son froc jusqu'à la ceinture. Romain saisit la main du calife et lui dit :

- Je t'en prie et je t'en conjure, au nom de ton dieu, ce que tu veux faire avec moi, fais-le vite, car voilà neuf années que je passe en prison sous le règne de ton père et sous le tien.

- Ce n'est pas à toi de me commander ce que je dois faire, répondit le calife. Avant tout, Je te mènerai en Syrie, où ton crime sera découvert, puis tu seras mis à mort comme menteur et comme traître.

Et il remit Romain à la garde de l'émir Rabi, avec ordre de l'emmener, sous bonne escorte, à la suite de l'armée.

Saint Romain convertit des chrétiens apostats.

Vers la fin du mois d'avril 780, l’armée arabe s'en fut camper de Badaran à Raqqa, sur l'Euphrate, ou mieux, comme dit le biographe, « dans la ville fondée près de Raqqa par le père de Mahdi ». Abou Djafar avait, en effet, en 772, fait construire une place forte, à quelque distance de l'ancienne ville et sur le même plan que Bagdad ; elle s'appela d'abord Rafiqa, attira à elle le mouvement commercial de l'ancienne ville et en prit même le nom.

Romain était gardé par les soldats dans le camp même, employant son temps à la prière, qu'il ne cessait jour et nuit d'adresser au ciel. Or, pendant que le calife stationnait là avec ses troupes, il fut rejoint par un groupe de prisonniers grecs, que la peur des tourments et de la mort avait déterminés à renoncer à Jésus-Christ pour embrasser la religion de Mahomet.

La vue de l'homme de Dieu priant sans cesse et chantant des cantiques finit par les émouvoir au point de les faire rentrer en eux-mêmes. Regrettant déjà leur apostasie, ils font part de leurs inquié-tudes à saint Romain, qui leur démontra l'horreur de leur crime et fut assez heureux pour les ramener au christianisme.

Dès lors, l'affaire prenait une tournure grave. Le moine fut donc amené devant l'émir Rabi pour cet acte de prosélytisme ; l'émir lui adressa tout d'abord les plus sanglants reproches, puis il commanda à quinze soldats de lui appliquer chacun cinq coups de nerfs de bœuf.

La flagellation fut atroce, et, au témoignage de l'historien, le sang et même les chairs tombaient jusqu'à terre. Romain se contenta de dire par trois fois : « Seigneur, ayez pitié de moi ! » Puis il s'écria :

- Christ, aidez-moi ! » et ne dit plus rien. Quand les soixante-quinze coups eurent frappé sa chair, le Saint roula à terre dans son propre sang ; il était absolument à bout de forces.

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Entrevue avec le calife.

Ce fut sans doute quelques jours après, bien que le biographe ne l'ait pas noté, que l'émir se rendit auprès de Mahdi pour lui dénoncer Romain et justifier sa conduite. Le prince des croyants fit amener le prisonnier devant lui, et, par les promesses les plus brillantes, il tenta d'ébranler son courage, s'engageant à le faire au plus tôt guérir par ses médecins et à lui assurer le plus bel avenir, si Romain se déclarait en faveur de l'Islam.

Avec une ironie qui ne manquait pas de grandeur en pareille circonstance, le moine rappela au calife la première accusation portée contre lui et le peu de fonds que l'on avait fait sur elle.

- Jusqu'ici, dit-il en propres termes, tu m'as regardé comme un homme faux et un traître ; aussi m'as-tu interrogé avec minutie et t'es-tu vanté de citer des témoins qui me convaincraient d'espionnage contre ton empire. A présent, voici une autre accusation bien plus grave, A quoi bon prolonger ainsi la discussion ? Ce que je t'ai demandé l'autre jour, je te le demande encore ; Par le dieu que tu sers, fais vite de moi ce que tu veux en faire. Par la grâce de Dieu, je suis né chrétien, je suis chrétien et je mourrai chrétien. Telle est ma volonté.

Le prince des croyants renouvela ses promesses et ses menaces et ne cacha pas sa satisfaction lorsque, sur ses dernières instances, le moine demanda un jour pour délibérer. Nul doute que, la nuit portant conseil, il ne trouvât son prisonnier plus souple et mieux disposé à céder à ses désirs.

Le martyre.

Romain passa la nuit qu'on lui accordait encore à se préparer à la mort dans les prières et le chant des cantiques. Le lendemain matin, en dépit des douleurs qu'il ressentait de sa flagellation, l'allégresse illuminait son visage.

Vers les 9 heures, il fut pour la dernière fois appelé devant son juge, qui lui promit un heureux avenir s'il cessait de s'obstiner dans sa religion. Sans jactance aucune, mais avec la ferme volonté d'en finir au plus vite, le Saint s'appliqua à déjouer les plans de Mahdi. Après une courte profession de foi du plus pur christianisme, il se tourna vers le calife et lui dit :

- Fais maintenant ce que tu voudras et ne me tourmente plus à ce sujet.Le calife renouvela encore ses tentatives, mais il ne tarda pas à s'apercevoir que Romain ne

l'écoutait plus. C'en était trop. En persistant à lui parler de la sorte, il courrait risque de voir sa majesté tournée en dérision devant ses sujets. Il donna donc au bourreau l'ordre d'étendre à terre un tapis de cuir et de menacer le moine d'avoir la tête tranchée s'il ne daignait pas lui répondre.

Peine inutile Romain ramena lui-même ses mains derrière le dos, se tourna vers l'Orient, inclina sa tête sous le glaive et attendit. Son esprit était déjà occupé entièrement de la mort et de Dieu, et pas un mot ne sortit de sa bouche. Le calife lui-même, avec son entourage, fut dans la plus complète admiration devant ce courage qui atteignait jusqu'à l'héroïsme sous un air de parfaite simplicité. Il ordonna au bourreau d'abattre la tête, qui tomba au premier coup de cimeterre et fut ensuite jetée avec le corps dans l'Euphrate.

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C'était le 1er mai de l'année 780, un lundi matin.Quelque temps après, la tête et le tronc, se rejoignant à la surface de l'eau, flottèrent de conserve.

De la rive, des chrétiens les aperçurent et, avec l'aide de passants, ils recueillirent les restes précieux de saint Romain, qui furent portés à l'Eglise cathédrale de l'ancienne ville, c'est-à-dire de Raqqa, tandis que le martyre avait eu lieu non loin de là, dans la nouvelle ville.

Les Orientaux l'appellent « le Néomartyr » (c'est-à-dire le nouveau martyr) pour le distinguer des autres Saints du nom de Romain martyrisés antérieurement, en Egypte, à Antioche, à Samosate, à Corinthe, etc.

François Delmas.

Sources consultées. – B.P. Peeters, Saint Romain le Néomartyr, d’après un document géorgien (dans les Analecta Bollandiana, t. XXX, p. 393-427). – (V.S.B.P., n° 1870.)

PAROLES DES SAINTS

L'âme et Dieu.

Semblable à un charmeur habile, qui attire hors de son repaire le serpent qu'il veut mettre en fuite, le Verbe bannit du fond de l'âme les instincts sensuels, la cupidité, les dissensions, l'envie, la jalousie, la colère et tout ce qui leur ressemble. Délivrée de ces tyrans, l'âme entre dans une atmos- phère de paix et de sérénité divines, avant-goût des joies qui lui sont réservées après les épreuves de cette vie, quand elle sera réunie au Dieu qui l'a créée. Car c'est de Dieu qu'elle tient l'existence, et c'est à Dieu qu'elle doit retourner.

Saint Justin.

(Discours aux Grecs.)

La chair et l'esprit.

Ne t'afflige pas dans tes infirmités ; dans tes langueurs, pousse tes actions de grâces vers Dieu. Préfère toujours le bien-être de l'âme à celui du corps, un esprit sain à une chair contente. Les remèdes de l'âme ce sont les maux du corps. La maladie qui blesse la chair guérit l'esprit, car elle consume les vices et diminue les forces des passions. Si la prospérité te flatte de son sourire, ne t'en élève pas, et ne le laisse pas abattre quand l'adversité viendra fondre sur toi. Ne te vante pas si la fortune t'environne de son éclat, et si un revers t'afflige, ne te montre pas faible et tremblant.

Saint Isidore de Séville.

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SAINT ATHANASEPatriarche d'Alexandrie et Docteur de L’Eglise (296-373).

Fête le 2 mai.

Lorsque, à la messe solennelle, éclate le chant puissant du Credo de Nicée, magnifique profession de notre foi en Jésus-Christ, « Fils unique de Dieu, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non créé, consubstantiel à son Père », pensons-y, c’est à saint Athanase, à ses luttes gigantesques, à ses multiples exils, que nous devons de chanter cette formule lumineuse de notre foi.

Peu d’hommes ont été, de leur vivant, pour la défense de leur foi, autant haïs et autant aimés. Quiconque l’a défendu a défendu la foi de Nicée ; les ariens, ses ennemis, ont été aussi implacables que ses amis lui ont été dévoués, et l’histoire de cette vie si tourmentée et, d’ailleurs, si féconde est l’histoire même de notre Credo catholique.

Jeunesse de saint Athanase

Athanase naquit vraisemblablement à Alexandrie, en Basse-Egypte, l'an 296, d'une famille chrétienne et d'origine grecque. Mentionner la fameuse bibliothèque d'Alexandrie, l'école philoso-phique d'Alexandrie, le musée d’Alexandrie, c’est assez marquer quelle était la célébrité de cette capitale intellectuelle, la première du monde après Rome, Athènes étant alors déchue. Aux IIIe et IVe siècles, son archevêque était patriarche et on le nommait le « Pape d'Alexandrie ».

Grec par son éducation, - la souplesse de sa dialectique le fera bien voir - Athanase était aussi, par la ténacité de sa foi et son indépendance vis-à-vis du pouvoir, le fils de ces Egyptiens cruellement persécutés par l'empereur Domitien, et qui rougissaient s'ils n'avaient à montrer sur leur corps les cicatrices des fouets sanglants.

Tout jeune, il eut aussi sous les yeux l'austère et grand spectacle des sacrifices accomplis par les solitaires d'Égypte. Il paraît bien avoir été, vers l'âge de vingt ans, en relations suivies avec le plus éminent d'entre eux, saint Antoine : « Je fus son disciple, écrit-il, et, comme Elisée, je versai l'eau sur les mains de cet autre Elie. » Il n'aura pas dans son exil de plus fidèles amis que les moines, et c'est dans la solitude brûlante de leurs sables et de leurs rochers qu'il ira se cacher, remontant le Nil en barque pour les atteindre et passant devant les Pyramides déjà vieilles de quatre mille ans.

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L'hérésiarque Arius.

En ce temps-là, Achillas, patriarche d'Alexandrie, venait d'ordonner prêtre un homme ambitieux, et remuant, d'infiniment de ressource, et qui n'avait pas son pareil dans l'art de manier le raison-nement. Il se nommait Arius. Ses remarquables qualités intellectuelles lui valurent aussitôt après son ordination sacerdotale, obtenue par ruse, d'être placé à la tête d'une paroisse importante de la ville d'Alexandrie, l'église de Baucalis. Il fut, en outre, chargé d'expliquer les Saintes Ecritures. Il occupait depuis huit ans ces deux fonctions, lorsque le pieux patriarche d’Alexandrie apprit avec tristesse que le prêtre de Baucalis professait d’étranges doctrines au sujet de la Personne adorable du Fils de Dieu. Il soutenait que la deuxième Personne de la Sainte Trinité n’avait pas existé de toute éternité, et que le Fils de Dieu n’était que le premier-né des hommes créés. Une pareille assertion était grave ! L’adorable mystère d’un Dieu fait homme et mourant pour nous n’était donc qu’un vain rêve ! L’économie du salut était rompue ; l’insondable abîme se rouvrait aussi formidable, entre la misérable humanité et l’inaccessible divinité, qu’aux temps antiques, et le monde n’était pas plus avancé après la prédication de l’Evangile, qu’avant la venue du Sauveur !

Saint Alexandre, successeur d'Achillas, dut excommunier Arius. Mais la mesure était déjà tardive et le mal considérable, car la doctrine nouvelle séduisait les chrétiens faibles. En diminuant la majesté du Christ et par suite la rigueur de la justice divine, elle était pour les âmes sensuelles et légères comme une délivrance.

Réfugié à Césarée, Arius avait de nombreux partisans, même parmi les évêques. L’un d'eux, Eusèbe de Nicomédie, l'encourageait. A Alexandrie, toute une fraction du peuple prenait parti pour Arius, car il connaissait l'art de se ménager des sympathies, surtout auprès des femmes pieuses. Dans le peuple on répandait des cantiques populaires à l'usage des voyageurs, matelots et autres artisans, et destinés à gagner les ignorants. Arius avait pris soin de tout, et composé l'air et les paroles.

De part et d'autre se réunissaient des Conciles, les uns partisans de l'hérétique, les autres l'excommuniant. A ce moment (324-325) l'Orient tout entier était en feu et l'Eglise menacée du plus grand péril qu'elle eût jamais couru !

Saint Athanase diacre. - Le Concile de Nicée.

Vers le même temps, ravi de la sainteté et de la science d'Athanase, le patriarche en fit son secrétaire et l'ordonna diacre. Petit de taille et de chétive apparence, que pouvait cet « homuncule », ce petit homme, comme l'appellera rageusement Julien l'Apostat ? Mais Athanase, dont le caractère, dit Bossuet, fut d'être grand partout, s'était déjà révélé, à peine âgé de vingt-quatre ans, par la publication d'un ouvrage d'une vigueur et d'une clarté peu communes ; le Discours contre les Gentils, où l'idolâtrie, sous sa nouvelle forme plus éthérée et plus subtile, était ridiculisée et accablée de mépris.

Cependant, l'empereur Constantin, dont les sentiments étaient foncièrement chrétiens, inquiet de ces disputes et de ces controverses, décida pour y mettre fin de convoquer tous les évêques de la « terre habitable », afin d'opposer à l'ennemi de l'Eglise « les bataillons de la phalange divine ». Le lieu de l'assemblée fut fixé à Nicée, en Bithynie.

Grâce à l'admirable système de voirie par lequel l'empire romain avait fortement relié à son centre les pays conquis par ses armes, chacun des évêques put trouver, d'étape en étape, des chariots, des coches, des bêtes de selle, des maisons de refuge, où des employés de la poste impériale se mettaient à leur service, et vers le milieu de mai 325 (vraisemblablement le 20), les évangiles se trouvèrent réunis à Nicée au nombre d'un peu plus de 300.

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L'empereur lui-même ouvrit le Concile, en quelque sorte comme président d'honneur. L'hérésiarque était là, présomptueux et fier, comptant bien éblouir par sa science tous ces hommes qu'il jugeait d'esprit simple et plus habitués à catéchiser le peuple, qu'à discuter suivant les méthodes des philosophes Aristote et Platon. Il comptait sans la clairvoyance du jeune diacre Athanase, qui tout de suite apparut comme l'adversaire le plus vigoureux des ariens. Nul ne savait plus heureusement saisir le nœud d'une difficulté, ni exposer plus lumineusement le point central d'où tout dépend. Arius avait beau s'échapper dans une exposition nuageuse de la transcendance divine, Athanase le ramenait invariablement à la vraie question, le mystère de la Rédemption. A l'exception de cinq évêques, tous les Pères souscrivirent au Symbole de Nicée, dont la rédaction avait été confiée contradictoirement aux deux adversaires, l'hérétique Arius et le champion de l'orthodoxie, Athanase.

Les débuts de l'épiscopat. Premier exil.

Cinq mois après le Concile, saint Alexandre rendait son âme à Dieu, après avoir désigné pour son successeur le diacre Athanase. Les fidèles avaient acclamé ce choix, et le sacre eut lieu le 7 juin 328. Le nouvel évêque avait donc, trente-deux ans. Les ovations populaires l'avaient accueilli, enthousiastes : « Athanase ! Athanase ! criait-on, C'est un ascète ! C'est un vrai évêque ! »

Comme bien on pense, ce n'était pas du goût des ariens.Constantin, sur l’initiative intéressée des adversaires d'Athanase, avait résolu de fêter la

trentième année de son règne par une nouvelle assemblée conciliaire, qui se réunit à Tyr en 335. Dans sa pensée, sincère d'ailleurs, ce serait une œuvre de pacification définitive ; mais la lettre impériale de convocation était significative, car qui voudrait s'y soustraire y serait contraint au besoin par la force publique.

En fait, ce prétendu Concile ne fut qu'un indigne conciliabule. Tous les ennemis d'Athanase s'y étaient donné rendez-vous. Voici le roman qu'ils imaginèrent alors pour perdre le patriarche : ils l'accusèrent d'avoir fait assassiner un des leurs, Arsène, évêque d'Hypsélé. La main coupée de la victime est promenée par la ville comme pièce à conviction. Une enquête est ouverte. Mais Athanase a vite fait d'éventer la ruse. Il découvre les traces du prétendu mort qui s'était caché dans un monastère. Le malheureux sollicite humblement son pardon et sur l'ordre du patriarche se dissimule dans l'assemblée conciliaire. Alors tandis que les accusateurs, sur un mode mélodramatique, crient vengeance et ouvrent une boite mystérieuse où se trouve une main desséchée :

- Je prie, dit Athanase, ceux qui connaissaient particulièrement Arsène de vouloir bien se lever.Puis montrant sa prétendue victime :- Est-ce bien là, dit-il, celui que j'ai tué et dont j'ai fait couper une main ?Arsène dut exhiber ses deux mains.- C'est à mes accusateurs, poursuivit le patriarche, de chercher où pouvait être placée la troisième.

Cependant, une victoire si mortifiante pour ses ennemis ne pouvait rendre meilleure la cause du saint évêque. Ses calomniateurs imaginèrent une nouvelle accusation; la plus capable de faire impression sur l'amour-propre de Constantin. On l'accusa d'avoir accaparé les grains pour distribuer de larges aumônes aux pauvres d'Alexandrie, affamant ainsi Constantinople, la grande ville, si glo-rieusement fondée par l'empereur, sa capitale, et l'objet de sa légitime fierté ! Cette fois l'accusation touchait Constantin à l'endroit sensible. L'empereur n'attendit même pas que l'accusé présentât sa défense. Pour mettre fin à toute discussion il donna l'ordre de conduire Athanase au fond des Gaules, dans la ville de Trèves. L'ordre fut exécuté en 335 et le patriarche resta éloigné de sa patrie jusqu'à la mort de Constantin (337).

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Retour de saint Athanase. Nouveaux troubles et nouveaux exils.

La joie fut grande quand, après vingt-huit mois, l'exilé rentra à Alexandrie, au milieu d'un vrai triomphe. Mais la paix fut de courte durée, car les ariens redoublaient de rage. S'appuyant sur l'empereur Constance, celui des fils de Constantin à qui était échue en partage une grande partie de l'Orient avec l'Egypte, ils assemblèrent un Concile à Antioche, déposèrent Athanase une deuxième fois, et élurent à sa place un prêtre égyptien nommé Pistos, et pendant plus d'un an, le patriarche légitime se trouva dans sa métropole face à face avec son rival.

Les deux partis en appelèrent au Pape, qui était saint Jules 1er . Athanase se rendit en personne près du Pape pour défendre sa cause (340). Il n’y composa pas, comme on le croit généralement, le Symbole dit de saint Athanase ; ce sont des scribes qui, au VIIIe siècle, inscrivirent son nom en tête du Symbole Quicumque vult que récitent les prêtres dans l’office divin : il n’est pas l’auteur de cette formule, mais il en aurait aimé la netteté.

Saint Athanase rencontre sur le Nil des soldats

envoyés à sa poursuite.

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Jules 1er confirma Athanase dans la communion de l'Eglise et frappa les hérétiques d'un nouvel anathème. Mais cette sentence ne put rétablir le patriarche sur son siège, bien que les Conciles de Rome (341) et de Sardique (344) eussent pris parti pour lui, tandis que les Orientaux poursuivaient la lutte sans repos.

Dès le début de son exil à Rome, quand on le vit, accompagné de deux moines qu'il avait emmenés du désert, vivre lui-même en ascète, la sympathie générale s'attacha à sa personne. II fut très écouté de la plus noble société romaine et des familles patriciennes, comme celle de la vierge Marcelle. Il y fit connaître les merveilles de la vie des moines d'Égypte, surtout celle de son grand ami saint Antoine, dont il écrivit plus tard une vie en un petit livre qui devait avoir dès son apparition un succès extraordinaire. Saint Augustin nous a redit l'impression profonde que firent sur les âmes d'Occident ces extraordinaires récits et l'enthousiasme avec lequel des officiers de l'armée romaine brisaient leur épée pour imiter les austérités et les mortifications effrayantes des solitaires et des cénobites. C'est, ne l'oublions pas, de cette milice nouvelle que sortira par la suite un nouveau clergé, fait de la plus grande importance, puisque les Ordres religieux ont été une des plus grandes forces de l'Eglise, au moyen âge et dans tous les temps.

Cependant, Athanase, toujours persécuté et toujours vainqueur, fut rétabli sur son siège par Constance qui céda aux prières et aux menaces que son frère Constant, lequel régnait sur l'Italie, la Grèce et l'Afrique romaine. Le 21 octobre 346, le saint patriarche fit sa rentrée dans sa ville épiscopale, au milieu d'un enthousiasme indescriptible. Le peuple et les magistrats étaient allés très loin au-devant de lui, Saint Antoine, voyant les foules qui marchaient à la rencontre du prélat, et ne pouvant les suivre à cause de son grand âge, car il était quasi centenaire, chanta son Nunc dimittis, heureux de contempler enfin le triomphe de la cause pour laquelle il avait offert tant de mortifications et tant de prières (346).

Malheureusement, après la mort tragique de Constant (350), la tyrannie sectaire de Constance se trouva sans contrepoids ; presque en même temps mourut le saint Pape Jules, le plus solide appui d'Athanase. Un Concile fut réuni à Arles (353), puis un autre à Milan (355), mais, dans l'un et dans l'autre, Constance se montra brutal : « Ma volonté, dit-il, tient lieu de règle. » Aussi la menace et la violence finirent par avoir raison de la majorité des évêques.

Le nouveau Pape, Libère, fut arrêté et conduit sous bonne garde à la cour impériale, puis exilé en Thrace. Restait Athanase. Le réduire par des menaces était impossible. S'emparer de lui par un coup de main ne le semblait pas moins, car sa popularité était immense.

Au début de l'année 356, une émeute fut organisée à Alexandrie. Un jour donc où il célébrait dans son église la vigile d'une fête, des gens recrutés parmi la lie du peuple font tout à coup irruption. Athanase, assis sur son siège patriarcal, refuse de quitter sa place ; mais les bandits le pressent ; ses amis le dégagent à grand'peine, et le conduisent hors de la ville, où on le tient caché. C'en était assez pour permettre à l'empereur de dire : « Athanase a fui. » On installa donc à sa place un certain Georges de Cappadoce, homme grossier et brutal, qu'on vit aux fêtes de Pâques entrer dans l'église, à la tête d'un corps de troupes, comme on entre dans une citadelle. Pendant dix-huit mois la terreur régna à Alexandrie et le sang des martyrs coula.

Vie mouvementée et retour à Alexandrie.

Cependant, le patriarche légitime s'était dirigé vers les déserts de la Haute-Egypte. Les moines accueillirent comme un père celui à qui saint Antoine mourant, avait légué sa tunique. Mais sans cesse relancé, Athanase dut errer de désert en désert, pendant tout le reste du règne de Constance, c'est-à-dire pendant six ans, n'étant jamais dénoncé, au contraire toujours sauvegardé par la fidélité de ses hôtes, dont plusieurs se laissèrent torturer plutôt que de le trahir. Leur dévouement, une protection particulière de la Providence, l'arrachèrent à tous les dangers.

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Il restait le plus souvent dissimulé au fond d’une citerne, ne voyant pas ses amis ni même parfois la lumière du soleil ; son seul contact avec les hommes était la visite d'un fidèle qui lui apportait les choses nécessaires ou parfois les lettres qu'on lui écrivait. .

Un soir pourtant, qu'étant sorti de sa cachette ordinaire, Athanase remontait le Nil en barque, il entendit derrière lui un bruit de rames. C'était la galère de la police impériale. Il s'entendit héler :

- Avez-vous vu Athanase ? lui cria-t-on. - Je crois bien, répondit-il en contrefaisant sa voix. Il est devant vous, ramez fort ! » La galère le dépassa aussitôt, et, virant de bord, le proscrit regagna sa retraite.

A la mort de Constance, Julien l'Apostat, par ostentation de tolérance, le rappela de l'exil (360). Rien de merveilleux comme les réceptions que les fidèles d'Alexandrie lui faisaient à chaque retour d'exil. Athanase reprend de nouveau possession de la chaire patriarcale, et travaille à restaurer la pureté de la foi en rassemblant un nouveau Concile. Mais à peine les travaux en étaient-ils terminés que Julien, levant le masque de l'hypocrisie, envoya à Alexandrie un édit par lequel il ordonnait à Athanase de quitter son siège au plus vite. L'amour des Alexandrins pour leur patriarche ne leur permit point de le laisser enlever sans s'y opposer. Ils écrivirent donc à Julien afin d'essayer de l'attendrir. Mais pour toute réponse l'apostat fit marcher des troupes sur Alexandrie, avec ordre d'y prendre Athanase. Nouvelle fuite (362); nouvelles alertes ; mais neuf mois après, Julien était frappé par une flèche au cours d'une expédition qu'il faisait contre les Perses.

Les dernières années. - La mort.

Sous Jovien, qui régna ensuite, l'Eglise compta quelques jours de paix. Valens, qui après quelques mois succéda à Jovien, porta un édit exilant tous les évêques rappelés par ses prédécesseurs. C'était la dernière épreuve de l'intrépide et sublime vagabond. Il obtint, au commencement de l’année 366, de rentrer à Alexandrie et il acheva enfin en paix son invraisemblable carrière, toujours invaincu, n'abandonnant jamais la partie, que pour la reprendre avec plus d'ardeur ; toujours aussi ardent, toujours aussi tenace, aussi inébranlable dans son attachement à la vérité catholique.

Les sept dernières années de sa vie ne sont un temps de repos que par comparaison avec celles qui les ont précédées. Pour tout autre que lui, elles seraient encore étrangement actives. Car de plus en plus, Alexandrie est comme le centre de l’Orient catholique, et Athanase le conseiller de tous les vrais orthodoxes. De toutes les parties de l’univers, on le consulte. Il écrit, il encourage, il réfute, il fortifie, il éclaire. Ses derniers écrits sont sans doute des livres tranquilles et reposés comme ses Commentaires sur la Bible, ils n’ont plus la fougue ni le pittoresque qui anime son Histoire des Ariens ou l’Apologie à l’empereur Constance, si digne où le saint évêque fait si fièrement justice des calomnies : c’est un père qui cause avec ses enfants, un bon pasteur préoccupé uniquement du progrès spirituel de ses ouailles. Néanmoins, il reste ce qu’il a été toute sa vie : l’intrépide gardien de l’intégrité de la doctrine, le défenseur acharné de la consubstantialité du Verbe. Ainsi nous le montrent son Exposition de la foi, le Discours contre les Ariens, et sa Lettre aux évêques orthodoxes.

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Il avait gouverné pendant quarante-six ans, de près comme de loin, l’Eglise d’Alexandrie ; et pas une minute il n’avait manqué à son devoir ni modifié sa ligne de conduite. Le Seigneur jugea que en vaillant serviteur, qui avait tant travaillé, était digne de se reposer enfin, et il le rappela à lui dans la nuit du 2 au 3 mai 373.

Tout de suite après la mort d’Athanase, on commença à l’honorer, et il est peut-être l’un des premiers évêques non martyrs qui aient reçu un culte public. Dans un panégyrique très solennel, prononcé le 2 mai d’une année qui semble bien être 379, saint Grégoire de Nazianze associe dans un commun éloge Athanase aux patriarches, aux prophètes, aux apôtres qui ont combattu pour la vérité. Ce n’est que justice.

La fête de saint Athanase est fixée au 2 mai ; le Pape saint Pie V, au XVIe siècle, l’a élevée au rite double. Son nom est cité au Concile de Constantinople, assemblé sous le Pape Vigile en 553, comme celui d’un des grands docteurs de l’Eglise grecque, et il a été retenu comme tel parmi les quatre « colonnes » de cette Eglise. Le magnifique reliquaire de bronze qui, dans la basilique vaticane, renferme la chaire de saint Pierre, est soutenu par les statues colossales de quatre Docteurs : saint Athanase y représente à juste titre, avec saint Jean Chrysostome, l’Eglise d’Orient.

A.Poirson.

Sources consultées. – Abbé Gustave Bardy, saint Athanase (Collection Les Saints, Paris, 1914). – Fernand Mouret, Les Pères de l’Eglise (passim) (Paris, 1931). (V.S.B.P., n° 14).

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SAINT ALEXANDRE 1er , PAPEet ses compagnons, saints Evence et Théodule, martyrs († 132).

Fête le 3 mai.

Les Actes de ce Pape, auxquels sont empruntés les détails qui vont suivre, ne sont malheureusement pas contemporains des faits relatés. Ils furent rédigés après la paix accordée à l'Eglise (313), on ne sait pas au juste à quelle époque, mais certainement pas après le VIIe siècle, puisque saint Bède le Vénérable les connaissait et les estimait dignes de foi.

Saint Alexandre convertit le préfet de Rome.

Né à Rome aux environs de l'actuelle église de Sainte-Bibiane, Alexandre fut élu au souverain pontificat pour succéder à saint Evariste et gouverna l'Eglise de 121 à 132. C'est le septième Pape.

Par sa parole et ses miracles, il fit dans Rome une multitude de conversions, spécialement dans les classes élevées, et conquit à Jésus-Christ une partie du Sénat romain. Hermès, préfet de Rome, se convertit à son tour, après, après avoir vu son fils, qui venait d’expirer, ressuscité par Alexandre ; il fut baptisé le jour même de Pâques, avec sa femme, sa sœur, ses enfants et 1250 esclaves qui leur appartenaient. Hermès leur accorda à tous la liberté, leur distribua une partie notable de ses biens, et donna le reste aux pauvres.

Le tribun Quirin. – Un baptême en prison.

A la nouvelle de ces conversions, le maître des milices, Aurélien, fit arrêter le Pape et le préfet de Rome ; on les traîna en prison. Sur leur passage, la populace ameutée par les pontifes idolâtres poussait des cris de mort : « Qu’on les brûle vifs, disait-elle ; ce sont eux qui rendent nos temples déserts et qui ont détournés des milliers d'hommes du culte des dieux ! »

Le préfet Hermès fut confié à la garde du tribun militaire Quirin. « Comment, lui disait cet officier avec une sympathie sincère, comment, vous, un patricien, un lieutenant de l'empereur, avez-vous pu perdre à plaisir un poste éminent pour l’échanger contre des chaînes réservées aux plus vils criminels ? » Hermès lui répondit : « Je n'ai pas perdu ma préfecture, je n'ai fait que la déplacer. Une dignité terrestre est soumise à toutes les vicissitudes de la terre, une dignité céleste est éternelle comme Dieu même ! - Quoi ! s'écria le tribun, avec la sagesse que nous admirons en vous, vous avez pu vous laisser séduire par une doctrine si insensée ! Vous croyez qu'il reste quelque chose de nous après cette vie, quand notre corps est réduit en cendres qu'un souffle suffit à disperser ? - Moi aussi, dit Hermès, il y a quelques années, je riais d'une telle espérance et n'estimais que cette vie, mortelle. - Mais, reprit Quirin, qui donc a pu vous faire changer de sentiment ? Sur quelles preuves croyez-vous ? Faites-les-moi connaître ; je croirai peut-être à mon tour. »

Hermès répondit : « Vous avez en ce moment sous votre garde le prisonnier qui m’a convaincu, c’est Alexandre. »

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A ces mots Quirin éclata en malédictions contre l’évêque de Rome et s’écria :« Est-il bien vrai que vous ayez pu être séduit par cet artisan de crimes ? Mais un paysan serait à

peine le jouet d’un pareil charlatan, qui sera bientôt brûlé vif ! S’il est si puissant, que ne se délivre-t-il lui même et vous avec lui ? – Les juifs, reprit Hermès, ont dit la même parole à Jésus-Christ, mon Maître, quand il fut sur la croix : « Qu’il descende, disaient-ils, et nous croirons en lui ! »

Or, si Jésus-Christ n’avait pas eu horreur de leur perfidie et s’il n’avait pas connu clairement leur mauvaise foi, il serait réellement descendu de la croix en leur présence et leur serait apparu dans toute sa majesté. – Eh bien ! dit Quirin, s’il en est ainsi, je vais à votre Alexandre, et je lui dirai : Veux-tu que je croie à ton Dieu ? je vais faire tripler le nombre de tes chaînes ; trouve-toi à l’heure du souper dans le cachot d’Hermès. Si je vois un tel miracle, je croirai. »

Le tribun se rendit dans la prison d’Alexandre, lui fit cette proposition et, après avoir doublé les gardes à sa porte, le laissa. Alexandre se mit en prières : « Mon Seigneur et mon Dieu ! implora-t-il, vous qui m’avez fait asseoir sur le siège de Pierre, votre apôtre, vous m’êtes témoin que je ne peux point me soustraire à la passion et à la mort qui m’attendent. Accordez-moi seulement la faveur de me conduire ce soir à votre serviteur Hermès, et faites que, demain matin, je sois de retour dans ce cachot. »

Un ange délivre saint Alexandre.

Or, à l’entrée de la nuit, un bel enfant, qui semblait à peine âgé de cinq ans et tenait à la main une torche allumée, apparut au prisonnier et lui dit : « Suis-moi. » Puis il ouvrit la fenêtre scellée, et prenant le Pontife par la main, il le conduisit à la cellule d’Hermès, après quoi il disparut. Les deux martyrs miraculeusement réunis se mirent en prières, et Quirin, en apportant le repas du soir, les trouva dans cette attitude. Sa stupeur, son effroi, ne lui permirent pas d’articuler une parole  : il paraîssait foudroyé. « Vous avez voulu un miracle pour croire, lui dirent-ils ; vous voyez le miracle. Croyez donc à Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui exauce ses serviteurs, et qui a promis de leur accorder tout ce qu’ils lui demandent. »

Quirin avait eu le temps de reprendre ses esprits : « C'est peut-être là, répondit-il, un des prestiges de votre magie ? Quoi ! dit Hermès, est-ce donc par notre volonté que nous aurions pu briser, sans laisser de traces, les portes de votre cachot ? Vous avez triplé vos gardes, et cependant nous voilà ensemble. Croyez donc enfin, il n'y a pas en ceci d'autre magie que la puissance de Jésus-Christ, ce Dieu qui rendait la vue aux aveugles, guérissait les lépreux et ressuscitait les morts ! » II continua de parler, racontant au tribun l'histoire de sa conversion ; il dit comment il avait eu la douleur de perdre son fils, malgré les sacrifices offerts pour lui à Jupiter Capitolin, et comment Alexandre avait, par la puissance du Christ, ressuscité le jeune homme et rendu la vue à sa vieille nourrice.

Au récit de ces merveilles, Quirin sentit son cœur de père s’émouvoir. « J’ai, dit-il, ma fille, Balbine, que je comptais marier bientôt. Il lui est survenu un goître au cou ; guérissez-la, et je croirai en Jésus-Christ. Alexandre lui dit : « Détachez cette chaîne dont on a chargé mon cou, faites-la toucher à votre fille, et elle sera guérie. » Quirin hésitait ; il ne savait s’il devait laisser les deux captifs réunis. « Refermez la porte du cachot à la manière accoutumée, lui dit le Pontife ; demain matin, je serai dans ma prison. »

Le lendemain, à la première heure du jour, le tribun ouvrait la porte du cachot d’Alexandre, qui s’y trouvait en effet. Quirin n’était pas seul ; Balbine, sa fille miraculeusement guérie, l’accompagnait. Il se prosterna aux pieds du prisonnier, et, fondant en larmes, il dit :

« Seigneur, je vous en conjure, intercédez pour moi auprès du Dieu dont vous êtes l’évêque, afin qu’il me pardonne mon incrédulité passée ; voici ma fille votre servante ; j’ai fait ce que vous m’avez dit, elle est guérie ! »

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Un baptême en prison.

Quirin était converti. Alexandre lui demanda : « Combien y a-t-il de captifs dans cette prison ? - Environ une vingtaine, répondit le tribun. - Informez-vous s’il en est quelques-uns, parmi eux,

qui aient été incarcérés pour le nom de Jésus-Christ. » Quirin fit cette enquête et revint bientôt dire au pontife : « Il y a un prêtre âgé, nommé Evence, et un autre venu d’Orient, nommé Théodule.

- Allez, lui dit Alexandre, et amenez-les moi. » Le tribun ne se contenta pas d’amener à Alexandre les deux prêtres ; il réunit autour du successeur de Pierre tous les autres prisonniers. « Ceux-ci, dit-il, sont des voleurs, des adultères, des assassins, tous chargés de crimes.

- C’est pour les pécheurs, dit Alexandre, que Jésus-Christ Notre-Seigneur est descendu du ciel, il nous appelle tous à la pénitence et au pardon. » Commençant alors à les instruire, il leur parla avec tant de force et d’efficacité que les prisonniers, touchés, demandèrent le baptême. Alexandre chargea les prêtres Evence et Théodule de les recevoir au nombre des catéchumènes et de continuer leur instruction. Bientôt, Quirin, Balbine, sa fille, tous les membres de sa maison et tous les captifs reçurent le baptême ; la prison semblait changée en une église.

Comment un chrétien sait tout sacrifier à sa foi.

Le greffier dénonça à Aurélien tout ce qui venait de se passer. Le maître des milices fit immédiatement appeler Quirin : « Je te voulais du bien, lui dit-il, tu m’as indignement trompé ; te voilà dupe de cet Alexandre ! - Je suis chrétien, répondit Quirin. Vous pouvez me flageller, me jeter aux flammes, me trancher la tête, je ne serai jamais autre chose. Tous les prisonniers qui étaient sous ma garde sont chrétiens comme moi. J’ai supplié le Pontife Alexandre et le praticien Hermès de quitter leur cachot, je leur en ai ouvert les portes, ils s’y sont refusés ; ils aspirent à la mort comme un affamé à un festin. Maintenant, faites de moi ce que vous voudrez. - Insolent, dit le magistrat, demain je vais vous faire couper la langue et vous appliquer à la torture. »

Quirin eut en effet la langue coupée, et fut étendu sur le chevalet ; après ce supplice, on lui coupa les mains et les pieds ; enfin, Aurélien donna l’ordre de le décapiter et fit jeter son corps aux chiens. Durant la nuit, les frères enlevèrent secrètement ses précieux restes et les ensevelirent dans le cimetière de Prétextat, sur la voie Appienne. La fête de ce martyr est célébrée le 30 mars.

Balbine, fille de saint Quirin, consacra sa virginité au Seigneur. Un jour, Alexandre, la voyant baiser respectueusement ses chaînes, lui dit : « Cherchez plutôt les fers qu’a portés le bienheureux Pierre, voilà ceux qui méritent votre vénération. » Balbine, en effet, réussit à entrer en possession de cette précieuse relique, et l’offrit à Théodora, sœur d’Hermès ; on la vénère encore à Rome. Hermès ne fut pas moins courageux que son ami dans sa fidélité à Jésus-Christ et eut la tête tranchée. Son nom figure au Martyrologe le 28 août. Théodora, sa sœur, recueillit ses restes et les ensevelit dans la catacombe de l’ancienne voie Salaria, près de Rome, à l’endroit même où son propre corps, supplicié lui aussi par le même Aurélien, allait bientôt reposer. Ce magistrat donna aussi l’ordre de saisir tous les prisonniers baptisés par Alexandre et de les embarquer sur un navire désemparé qui fut coulé en pleine mer.

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Martyre de saint Alexandre.

Le saint Pape Alexandre remercia Dieu de leur triomphe, et se prépara lui-même à ses derniers combats. Au tribunal d’Aurélien, il parla avec une autorité et une majesté dignes d’un Pape. « Savez-vous bien, dit le fonctionnaire étonné, que vous n’êtes point devant un juge ordinaire, je suis le délégué de l’empereur, la maître du monde ! – Prenez garde, reprit Alexandre, la toute-puissance dont vous vous faites gloire sera bientôt réduite à néant. »

Alexandre fut étendit sur le chevalet, les licteurs se mirent à lui déchirer les flancs avec des ongles de fer, et ils tourmentaient les plaies saignantes avec des torches enflammées. Ce supplice dura longtemps, le martyr était calme et priait en silence.

« Vous ne parlerez donc pas ? pria le juge impatienté. – Durant la prière, c’est avec Dieu que le chétien converse, répondit Alexandre.

- Insensé, dit Aurélien, vous n’avez pas quarante ans ! pourquoi perdre à plaisir votre existence ?

- Plût à Dieu, dit le Pape, que vous ne perdiez pas, vous même, votre âme immortelle ! »

A ce moment là, la femme d’Aurélien lui envoya dire : « Mettez Alexandre en liberté, c’est un Saint. Si vous persistez à le torturer, la vengeance divine éclatera sur vous, et j’aurai le malheur de vous perdre.

- Alexandre est jeune, répondit Aurélien au messager ; demandez à ma femme se ce n’est pas la raison du tendre intérêt qu’elle lui porte. »

Saint Alexandre est conduit par un enfant

à la cellule d’Hermès.

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En réalité, la femme d’Aurélien était chrétienne, et son mari l’ignorait. Le Pontife, épuisé par la perte de son sang, fut détaché du chevalet, et l’on amena deux prêtres, Théodule et Evence. Aurélien se tourna alors vers Alexandre :

« Dites-moi, lui demanda-t-il, qui sont ceux-ci ? - Ceux sont deux Saints, deux prêtres, répondit Alexandre.- Comment vous nommez vous ? dit le magistrat au plus âgé.- Mon nom parmi les hommes est Evence, dit le vieillard ; mais je suis chrétien, et tel est mon

nom spirituel. - Depuis quand êtes-vous chrétien ? reprit le juge.- Depuis soixante-dix ans. J’ai été baptisé à l’âge de onze ans ; à vingt ans je fus ordonné prêtre.

J’ai maintenant quatre-vingt-un ans. Cette dernière année de ma vie a été la plus heureuse pour moi, car je l’ai passée dans un cachot, pour le nom de Dieu !

- Prenez pitié de votre vieillesse, dit Aurélien. Abjurez le Christ, j’honorerai vos cheveux blancs, vous serez ami avec l’empereur, et je vous comblerai de richesses. »

Le vénérable prêtre répondit : « Je vous croyais quelque sagesse, mais votre cœur est aveuglé, il refuse de s’ouvrir à la lumière divine. Cependant, il en est temps encore, embrassez la foi véritable ; croyez en Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, et il vous sera fait miséricorde. »

Le magistrat haussa les épaules et fit éloigner Evence sans lui répondre.Théodule reçut l’ordre d’approcher du tribunal. « Et vous aussi, dit-il, voudrez-vous compter

pour rien les ordres que je vous donne au nom de l’empereur ? – Ni vous, ni vos ordres ne sauriez m’effrayer ! s’écria Théodule. Qui êtes-vous, vous qui torturez les Saints de Dieu ? Qu’a fait Alexandre, le saint Pontife, pour mériter les supplices que vous lui avez infligés ? – Espérez-vous donc y échapper vous-même ? demanda Aurélien. - A Dieu ne plaise, s’écria Théodule, Dieu ne me refusera pas la grâce d’être associé à ses martyrs ! »

Un réplique du miracle de Daniel préservé du feu.

Cette parole fit naître dans l’âme d’Aurélien une pensée qu’il crut merveilleuse. Il donna l’ordre d’attacher dos à dos Alexandre et Evence, et les fit jeter tous deux dans une fournaise ardente. Quant à Théodule, il voulut qu’on le tînt près du four embrasé pour y être témoin de leur supplice, mais sans le partager. Cependant, le miracle des compagnons de Daniel se renouvela en ce moment. Du milieu des flammes, Alexandre s’écria : « Théodule, mon frère, venez à nous. L’ange qui apparut aux trois jeunes Hébreux est ici à nos côtés, il vous garde une place ! »

A ces mots, Théodule, échappant aux soldats, se précipita dans la fournaise. On entendait les trois martyrs, libres dans les flammes, chanter la parole du psaume :

« Seigneur, vous nous avez éprouvés par le feu, et il ne s’est trouvé en nous aucune iniquité ! »Aurélien furieux, les fit retirer tous trois de la fournaise. Evence et Théodule eurent la tête

tranchée ; Alexandre, réservé à un supplice plus douloureux, eut tout le corps percé lentement par des pointes d’acier, jusqu’à ce qu’il rendît l’âme. La mort de ces trois martyrs arriva le 3 mai de l’année 132.

Châtiment d'Aurélien.

Aurélien insultait leurs cadavres quand il entendit une voix du ciel qui lui disait : « Ces morts que tu outrages sont maintenant dans un lieu d'éternels délices, mais toi, tu vas descendre en enfer ! » Saisi d'horreur, le magistrat rentra dans son palais, tremblant de tous ses membres. Il appela Sévérina, sa femme. « J'ai vu, lui dit-il, un jeune homme au visage étincelant. Il a jeté à mes pieds une verge de fer et m'a dit : « Aurélien, tu vas maintenant recevoir ta récompense ! »

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Un tremblement nerveux s'est emparé de moi, la fièvre me dévore, que faire ? Invoque ton Dieu pour moi, prie-le de me faire miséricorde. » Sévérina répondit : « J'irai moi-même ensevelir les saints martyrs pour qu'ils intercèdent pour nous. »

Elle se rendit donc dans un de ses domaines, au septième milliaire de Rome, sur la voie Nomentane, et là, elle déposa de ses mains les corps des saints Evence et Alexandre dans le même tombeau. Celui de saint Théodule fut enseveli seul dans un sépulcre à part. Les prêtres de Rome et de nombreux chrétiens avaient accompagné les corps des martyrs.

Ils demeurèrent réunis pendant que Sévérina revenait en toute hâte auprès de son époux. Aurélien était en proie au plus violent délire. Une fièvre ardente le consumait, des paroles incohérentes sortaient de ses lèvres ; parfois, cependant, il lui échappait des imprécations contre lui-même ; il se reprochait son crime. « Infortuné, dit Sévérina, vous avez méprisé mes conseils ! La main de Dieu s'appesantit sur vous. » Bientôt, Aurélien expira dans des convulsions atroces. Sévérina se revêtit d'un cilice ; elle vint se prosterner sur la tombe des martyrs, et ne voulut point quitter ce lieu. Plus tard, lorsque le Pontife Sixte, élu pour succéder à saint Alexandre, fut arrivé d'Orient, elle obtint qu'un évêque y célébrerait chaque jour les saints mystères.

Les ordonnances liturgiques de saint Alexandre 1er.

Du Pontificat de saint Alexandre 1er datent des ordonnances liturgiques importantes. Il réglementa le rite de l'eau bénite avec mélange de sel, et il composa des formules rituelles qu'on emploie encore pour cette bénédiction. II ajouta aux prières du Canon de la messe, la formule Qui pridie quam pateretur, qui précède immédiatement les paroles de la Consécration. Il ordonna de mêler un peu d'eau au vin du sacrifice, en mémoire du sang et de l'eau qui sortirent du Cœur de Notre-Seigneur percé d'un coup de lance, et pour signifier l’union du Christ et de l’Eglise. Il prescrivit de remplacer pour la Consécration, le pain fermenté par le pain azyme, afin d’employer une matière plus pure et de se conformer plus exactement à ce que fit Notre-Seigneur au soir de la Cène.

L’Eglise a inscrit au Canon de la messe le nom de ce héros des terribles luttes contre le paganisme.

Reliques et catacombes de saint Alexandre.

Sous Pascal 1er, Pape de 817 à 824, les reliques des saints Alexandre, Evence et Théodule furent transférées à Rome et déposées au monastère da Sainte-Praxède, comme en fait foi une inscription qu'on y conserve. Plus tard, on donna à diverses églises des parties insignes de ces reliques, d'où, par une équivoque assez ordinaire, on attribut à divers sanctuaires la possession de leurs corps.

Ainsi, à Saint-Laurent in Lucina et à Sainte-Sabine des inscriptions affirment que là reposent les corps de saint Alexandre, Pape, et de ses compagnons. De même Lucques et Parme, et d'autres villes, formulent des revendications analogues. Évidemment, il ne peut-être question que d'une partie des reliques, à moins qu'il n'y ait plusieurs corps, appartenant à des Saints du même nom, ce qui est très possible, étant donné le grand nombre de martyrs qui portaient celui d'Alexandre.

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La catacombe de Saint-Alexandre était complètement perdue de vue depuis des siècles, quand elle fut identifiée pendant l'hiver de 1855. Pie IX s'y rendit le 12 avril 1855. Les trouvailles faites à lacatacombe confirment pleinement le récit des Actes du martyr sur plusieurs points importants. On sait, par ailleurs, que Nomentum, aujourd'hui Mentana, avait, en 415, un évêque du nom d’Ursus, sur le territoire duquel se trouve la catacombe. On peut voir en lui le successeur de cet évêque que le Pape saint Sixte députa à la garde du tombeau de saint Alexandre, et qui devait tous les jours y célè -brer le saint sacrifice. Ce tombeau aurait donc été élevé au début du Ve siècle, à une époque où les souvenirs des martyrs n'étaient pas encore effacés.

Mais s'agit-il de saint Alexandre, Pape ?Un tel doute pèse sur cette question qu'il n'est pas possible de la résoudre par l'affirmative d'une

manière certaine. Sans compter que les Actes de saint Alexandre fourmillent d'anachronismes et d'autres erreurs manifestes. Cependant, la longue tradition de plus de douze cents ans, qui a vu sans hésiter en ce saint Alexandre le sixième Successeur de saint Pierre, mérite quelque respect.

L'Eglise romaine y est Fidèle dans son Bréviaire, il reste, jusqu'à nouvel ordre, que nous n'avons pas de raison absolument démonstrative pour prouver que le saint Alexandre fêté au 3 mai n'est sûrement pas le premier Pape de ce nom.

Maxime Viallet.

Sources consultées. – Lacoste, Les Papes à travers les âges (Paris, Bonne Presse). – (V.S.B.P. n° 376).

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SAINTE MONIQUE, VEUVE

Mère de saint Augustin (332-387)

Fête le 4 mai.

C'est dans l'Afrique chrétienne du Nord, où l'Eglise était si prospère, que Dieu plaça le berceau de Monique. Elle naquit à Thagaste en 332. Le nom de son père nous est inconnu ; sa mère s'appelait Faconda.

Enfance.

Grâce aux soins de ses parents, qui étaient chrétiens, et à la surveillance d'une vieille servante toute dévouée à sa jeune maîtresse, Monique grandit dans la crainte et l'amour de Dieu ; c’était un lis de pureté. On put entrevoir dès son enfance le degré éminent de sainteté qu'elle atteindrait un jour. Elle était encore toue petite que déjà elle sortait seule de la maison paternelle, pour aller prier à l'église, au risque d'être réprimandée au retour. Quelquefois elle quittait ses compagnes de jeu ; on la retrouvait à genoux derrière un arbre. Souvent même, pendant la nuit elle se levait et récitait à Dieu les prières que sa pieuse mère lui avait apprises. Un jour, cependant, elle succomba à une tentation de gourmandise. Ses parents l'avaient chargée d'aller, avec une servante, puiser à la cave le vin destiné aux repas. Monique éprouvait jusque-là pour le vin une certaine répugnance ; cependant, par espièglerie d'enfant, elle profita de sa liberté pour en boire une gorgée. Elle récidiva. Peu à peu elle s'y habitua et même y prit un certain goût, au point, a-t-on dit, de passer son doigt le long des récipients pour en recueillir quelques gouttes.

Mais Dieu veillait sur elle. Il se servit pour la corriger, de la servante, témoin trop complaisant de sa faute. Cette servante, s'étant un jour disputée avec sa jeune maîtresse, lui jeta à la face cette insulte : « Buveuse de vin pur. » Monique rougit, reconnut la laideur de sa gourmandise, et dès ce moment elle s'en corrigea pour toujours. Elle en profita pour être désormais plus humble, plus attentive à se mortifier et à veiller sur ses sens. Son cœur s'ouvrit de bonne heure aussi à l'amour des pauvres. Elle ne négligeait rien pour les secourir : elle donnait tout, jusqu'au pain qu'on lui servait à table ; elle le cachait dans les plis de sa robe et le leur distribuait. C'était pour elle un bonheur de leur laver les pieds, selon l'usage du temps, et de les servir autant qu'elle pouvait le faire à cet âge. Enfin, on remarquait en elle une douceur et une patience inaltérables, vertus que nous lui verrons pratiquer jusqu'à l'héroïsme une fois qu'elle sera devenue épouse et mère.

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Mariage et épreuves.

Sortie de l'adolescence, elle fut demandée en mariage. Patrice, né à Thagaste comme Monique, et comme elle d'une famille noble, aspirait à sa main ; il l'obtint. II paraissait pourtant peu digne d'une telle alliance : un païen violent, brutal, débauché, tel était le futur époux de Monique. Qu'on ajoute à cela une grande différence d'âge : Monique avait à peine vingt-deux ans, et Patrice plus du double. On serait tenté de se demander comment les parents de Monique consentirent à une union qui ne pré- sageait que des tristesses, si on ne savait combien, malheureusement, les parents, même chrétiens, se font facilement illusion quand il s'agit de marier leurs enfants.

Du reste, ce fut sans doute ici un effet de la Providence divine, qui permit que Monique méritait par d'amères douleurs l'honneur d'être la mère d'un fils tel que saint Augustin.

Les épreuves ne manqueront pas. Elles viendront de Patrice lui-même, elles viendront aussi de la belle-mère, païenne comme son fils et comme lui d'une humeur violente, excitée encore contre sa belle-fille par les calomnies des servantes. Pauvre Monique ! la voilà isolée, malheureuse dès les premiers jours de son mariage ; mais c'est précisément ici qu'elle est admirable. C'est dans le creuset de la souffrance qu'on reconnaît les grandes âmes.

Sachant qu'elle peut tout en Celui qui la fortifie, elle ne recule pas devant les difficultés. Elle accepte dans toute leur étendue les devoirs de son nouvel état. Elle comprend que Dieu l'a unie à Patrice pour le convertir ; elle se fait l'apôtre du petit monde qui l'entoure. Sa prédication, c'est l'exemple ; ses moyens de conversion, la douceur et la prière. Et quels exemples de vertu, en effet ne donna-t-elle pas ? Exemple de douceur vis-à-vis des emportements de Patrice, exemple de patience en présence de ses infidélités ! Jamais une plainte ne sortit de sa bouche contre son mari, nous apprend saint Augustin, et pourtant comme elle souffrait ! Comme elle pleurait – et des larmes d'autant plus amères qu'elles étaient versées en secret – Elle se contentait de demander à Dieu la foi pour Patrice, sachant bien que les autres vertus suivraient.

Cette méthode de douceur, de silence et d'abnégation pleine de dévouement, elle la conseillait à ses amies, lorsque celles-ci venaient se plaindre à elle des violences de leurs maris ; « Prenez-vous-en à votre langue », leur disait-elle. En effet, celles qui, à son exemple, remplaçaient les répliques par un silence plein de douceur, n'avaient qu’à sen louer.

Malgré toute son impétuosité, jamais Patrice n'osa lever 1a main sur cet ange de bonté.

Augustin.

Ce fut au milieu de ces tristesses que Dieu lui donna les joies de la maternité, en 354. Elle mit au monde cet Augustin qu'elle devait enfanter une seconde fois à la vie spirituelle, au prix de tant de larmes ; puis Navigius et Perpétue, dont la sainteté devait être dépassée par celle de leur frère aîné. Elle leur fit boire à tous, avec son lait, le nom et l'amour de Jésus-Christ. De ses trois enfants, elle fera trois Saints, tant est puissante l'influence d'une mère ! Cependant, selon la coutume de l'époque, leur baptême fut renvoyé à plus tard. Tout semble d'abord conspirer contre elle, et un père païen et une belle-mère païenne et des servantes menteuses. Mais tous ces obstacles vont s'évanouir devant sa douceur et sa résignation. La belle-mère se rend la première. Elle reconnaît la fausseté des calomnies de ses servantes. Les esclaves elles-mêmes laissent gagner leur cœur. « Alors je croyais, dit saint Augustin, ma mère croyait aussi, toute la maison croyait avec nous ; il n'y avait que mon père qui ne croyait pas. »

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Retenons l'aveu ; Augustin croyait. Sa pieuse mère s'efforçait chaque jour de former doucement sa conscience d'après les enseignements de Jésus-Christ, et d'élever son âme vers Dieu par la subli-mité des vérités chrétiennes. Il en resta des traces ineffaçables dans le cœur d'Augustin, et plus tard, an milieu de ses égarements, il s'étonnait lui-même d'éprouver comme un sentiment de vide, à la lecture des livres où l'on ne parlait pas de Jésus-Christ. Mais, hélas ! les mauvais exemples du père eurent bientôt plus d'influence sur les passions naissantes de l'enfant, que les saints efforts de sa mère et les corrections de ses premiers maîtres.

Pourtant Dieu l'avait doué d'un cœur très aimant et d'une intelligence peu ordinaire. Son père, espérant de lui quelque chose de grand, voulut qu'il quittât la petite ville de Thagaste pour aller chercher, à Madaure, autre ville de l'Afrique romaine, des maîtres plus savants. Que cette première séparation fut dure au cœur de Monique ! Et combien d'appréhensions elle lui apportait !

Les nouveaux maîtres de son fils étaient païens. Ils firent lire et relire au jeune homme les auteurs païens, avec toutes leurs fables et leurs scandaleux récits, pour le former à l'éloquence et au beau style. Cet enseignement manquait par ailleurs de tout correctif, et laissait l'âme désemparée en face des grands problèmes de la vie.

Cette triste éducation, contre laquelle Augustin converti protestera plus tard avec tant d'indignation, ne tarda pas à porter ses fruits. Chaque fois qu'il revenait à Thagaste pour se reposer, sa pauvre mère constatait avec douleur les progrès du mal.

Mort chrétienne de Patrice.

Cependant Augustin va terminer ses études à Carthage, le cœur brûlé plus que jamais par le feu des passions. Ce départ pour une ville si pleine de périls coûte bien des larmes à sa mère. Plût à Dieu que ce ne fût qu'une vaine crainte ! Mais, hélas ! elle apprend bientôt, avec l'inconduite de son fils, la naissance d'un enfant illégitime, Adéodat. Alors elle est inconsolable. On craint un instant pour sa vie ; elle triomphe enfin de la douleur. C'était pour elle un soutien de voir Patrice s'associer à ses larmes, car Patrice avait embrassé la foi chrétienne et réformait chaque jour davantage sa vie. Tombé malade, il demande le baptême, le reçoit avec ferveur et s'endort chrétiennement entre les bras de la compagne que Dieu lui avait donnée.

Libre des liens du mariage, Monique prend un nouvel essor vers Dieu. Elle se retire plus complètement du monde ; ses mortifications sont plus austères ; son amour pour les pauvres, gêné pendant dix-sept ans, a maintenant un libre épanchement. Elle sert de mère aux orphelins ; elle se fait la consolatrice des veuves et des femmes mariées déçues dans leurs rêves de bonheur. Le service des pauvres et la prière prennent le meilleur de son temps.

Le « fils des larmes ».

Mais, d'autre part, cette mort la laissait dans de vives inquiétudes vis-à-vis de son fils ; Monique seule ne pouvait plus rien pour son éducation. Dieu, en qui elle avait mis toute sa confiance, devait venir à son secours. A Carthage, Augustin poursuivait brillamment ses études, grâce aux libéralités d'un ami de son père. Mais depuis le triomphe de ses passions, sa foi allait s'affaiblissant. Il finit par l'abdiquer publiquement. Le voilà hérétique, de la secte des manichéens ! Quelle fut alors la douleur de Monique, il serait difficile de le dire. « C'est un fleuve de larmes qui s'écoule par ses yeux, c'est la douleur d'une mère qui a perdu son fils unique ; ce sont les gémissements de Rachel, la mère rebelle à toutes les consolations…Images incomplètes ! » s'écrie encore saint Augustin en ses Confessions.

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Monique avait versé tant de larmes sur son fils libertin, que lui restait-il pour Augustin infidèle à sa foi ?

Quand, à l'époque des vacances, il revint à la maison paternelle, au premier mot qu'il laissa échapper à la louange de l'hérésie manichéenne, cette grande chrétienne se redressa avec toute son énergie, en s'écriant, au milieu de ses larmes : « Non, jamais je ne serai la mère d'un manichéen ! » Et elle chassa son fils de sa maison.

Augustin (il faut lui rendre ce témoignage, car Monique elle-même le lui rendit en mourant), Augustin, même dans ses égarements, ne cessa jamais d'aimer sa mère et n'usa jamais d'insolence vis-à-vis d'elle. Devant la majesté de l'indignation maternelle, il baissa la tête et partit sans mot dire. Il alla demander l'hospitalité à son protecteur Romanien, en attendant que sa mère consentit de nouveau à le recevoir.

Monique resta abîmée dans ses pleurs.Dieu vient la consoler, lui seul le pouvait. Il lui envoie un songe qui lui présage la conversion

désirée. Une nuit donc, elle se voit debout sur une règle de bois. Et comme elle verse des larmes amères, un ange resplendissant de lumière, s’approchant d’elle, lui demande la cause de sa douleur.

- C’est la perte de mon fils que je déplore ainsi, dit-elle.- Ne pleurez plus, répond l’ange, et mettez votre esprit en repos ; ce fils est avec vous et en

sûreté.Alors, se retournant, elle voit, en effet, son fils debout sur la même règle qu’elle. Consolée par cette vision, Monique en fait le récit à son fils. Lui qui ne songeait point à se convertir :

- Courage ! ma mère, dit-il, voyez comme le ciel se prononce pour ma doctrine ; il vous promet qu’un jour vous la partagerez.

- Non, mon fils, reprend-elle avec assurance ; il ne m’a point été dit : Vous serez où il est, mais : il sera où vous êtes.

. Le songe de sainte Monique.

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Cette réponse lumineuse fit plus impression sur le jeune homme que le récit de la vision. Dès ce moment, Monique s’adresse aux hommes dont la doctrine est en réputation et les presse instamment d’entrer en conférence avec son fils pour le ramener à la foi catholique. Mais il était encore trop épris de ses nouvelles erreurs pour écouter.

Comme la mère suppliait un saint évêque de travailler à convaincre son fils, elle en reçut cette réponse :

- Allez en paix, il est impossible que le fils de tant de larmes périsse.

Fuite de saint Augustin.

La prophétie se réalisera un jour ; mais Monique ne se lasse point de mettre tout en œuvre pour en hâter l'accomplissement. Augustin conçoit le dessein de quitter Carthage, où il enseignait la rhétorique, pour se rendre à Rome, y montrer son génie et y trouver des élèves plus dociles.

Mais sa mère était à Carthage auprès de lui. Comment lui annoncer cette décision ? Il prétexte une promenade sur le rivage et s'embarque secrètement.

Quand Monique s'aperçut qu'elle avait été jouée, le vaisseau qui emportait son fils disparaissait à l'horizon !

Cependant Augustin était tombé gravement malade à Rome ; il guérit grâce aux prières que faisait pour lui sa mère restée seule en terre africaine.

Dès qu'elle le peut, Monique n'hésite pas à s'embarquer pour aller le rejoindre. Une tempête s'élève et la mer semble vouloir prendre le parti du démon. Mais tandis que les matelots pâlissent de terreur, intrépide au milieu des flots courroucés, Monique les rassure et prend à l'aviron la place de l'un d'eux ; le navire ne peut périr, car le salut de son fils y est engagé. Que l'on aille après cela vanter l'intrépidité de César rassurant le nautonier ! Ce qu'il fit et dit par ambition et par vanité est loin d'égaler le geste d'une simple femme voguant au secours de son fils exposé à perdre son âme.

La conversion de saint Augustin.

Elle arrive à Rome. Son fils vient de partir pour Milan ; elle se précipite à sa poursuite et le rejoint. C'est ici que Dieu va enfin exaucer tant de prières, n'ayant, semble-t-il, différé si longtemps que pour accorder davantage. Des jours plus heureux se lèvent maintenant pour elle, des jours de résurrection et de gloire. Au contact de saint Ambroise, évêque de Milan, Augustin sent ses luttes intérieures s'apaiser. Les discours du saint docteur font tomber ses doutes ; il ouvre peu à peu les yeux à la foi ; le ciel vient à son secours par une intervention qui tient du miracle : une voix mysté -rieuse lui répète : Tolle, lege ! Prends et lis ! » Il ouvre les épîtres de saint Paul, il lit, et il tombe, comme l'Apôtre, vaincu par l'amour de Jésus-Christ. Quelque temps après, il reçoit le baptême des mains de l'évêque de Milan.

Il en sort tout transfiguré, prêt à devenir saint Augustin.Une des grâces de son baptême fut sa vocation religieuse. Un saint religieux de Milan,

Simplicien, prêtre savant, l'initia à ce genre de vie, qu'il commença dès ce moment à pratiquer. Il résolut de retourner en Afrique, afin de consacrer son petit patrimoine partie à des aumônes, partie à la fondation d'un couvent qui devait être la source féconde du monachisme africain.

Il part avec ses amis et sa mère, et ils se rendent à Ostie, où ils doivent s'embarquer. Mais Monique avait accompli son œuvre, son fils était converti. Et elle pouvait dire à Dieu avec le Psalmiste : « Selon la multitude des douleurs de mon cœur, vos consolations ont rempli de joie mon âme. » (Ps. 93.)

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La mort à Ostie.

Une scène admirable, que la peinture a popularisée, nous montre la mère et le fils assis l'uni près de l'autre, au bord de la mer. Les yeux et le cœur en haut, Monique passe en revue toute la création la terre, la mer, les astres ; mais tout cela paraît passager ; elle monte plus haut, dans la région de l'éternel amour. C'est là qu'elle trouve le bonheur, dans la possession de Dieu ; elle y reste ravie en extase. Ce n'est qu'en soupirant qu'elle descend vers le triste séjour de la terre.

Après ce ravissement, désolée de se retrouver dans cette vallée de larmes, elle disait à Augustin :- Pourquoi suis-je encore ici-bas, mon fils, maintenant que mes espérances se sont réalisées ? Il y

avait une seule chose pour laquelle je désirais vivre, c'était de vous voir chrétien et catholique. Or, je vous vois mépriser le bonheur de ce monde pour vous consacrer à Dieu.

Monique, en effet, n'avait plus qu'à partir pour le ciel. Une autre fois, profitant avec délicatesse d'un moment où Augustin n'était pas là, elle parla avec une grande ardeur du mépris de la vie et du bonheur de mourir pour aller à Dieu. Et comme Alype, son ami, Navigius et les autres lui demandaient si elle n'appréhendait pas de mourir loin de sa patrie, elle leur répondit : « Oh ! non, on n'est jamais loin de Dieu, et il n'y a pas lieu de craindre qu'au jour du jugement il ait peine à retrouver ma poussière pour me ressusciter d'entre les morts. » C'était là une grâce suprême de Dieu ; car, jusqu'à ce moment, nous assure saint Augustin, elle avait toujours vivement désiré être ensevelie en son lointain pays natal, à côté de Patrice, dans le tombeau qu'elle s'était fait construire.

Cinq jours après, elle est prise d'un violent accès de fièvre. Elle sent sa fin prochaine. Elle recommanda à son fils de se souvenir d'elle à l'autel du Seigneur, puis elle se recueille, elle se prépare à la mort ; neuf jours s'écoulent ainsi. Enfin, comme on lui refusait la communion, vu l’extrême gravité de son état, un petit enfant entra, dit-on, dans sa chambre. Il s'approcha de son lit, baisa la poitrine de la mourante, dont l'âme s'envola aussitôt vers le ciel. C'était au commencement de novembre de l'an 387. Monique avait vécu cinquante-cinq ans. Augustin en avait trente-trois.

Je lui fermai les yeux, raconte son illustre fils, et dans le fond de mon cœur affluait une douleur immense, prête à déborder en ruisseaux de larmes ; et mes yeux, sur l'impérieux commandement de l'âme, ravalaient leur courant jusqu'à demeurer secs, et cette lutte me déchirait… Mais sa mort n'était, ni malheureuse, ni entière. Nous en avions pour garants sa vertu, sa foi sincère et les raisons les plus certaines… Evodius prit le psautier et se mit à chanter ce psaume auquel nous répondions tous :

« Je chanterai, Seigneur, votre gloire, vos miséricordes et, vos jugements. »

Après les funérailles, Augustin se retira à l'écart, et, en présence de Dieu, il donna un libre cours à ses larmes ; pleurant « cette mère morte pour un temps à ses yeux, cette mère qui l'avait pleuré tant d'années pour le faire vivre aux yeux de Dieu », et qui lui avait donné deux fois la vie.

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Son culte.

Mille ans devaient s'écouler avant que cette mère admirable, dont la vie était pourtant bien connue par les confessions de son fils, jouît d'un culte public et universel. Ses restes reposaient à Ostie dans un sarcophage de marbre qu'elle devait à la piété d'Augustin mais n'étaient l'objet d'aucun culte spécial. Toutefois, déjà en divers lieux, dès le XIIe et XIIIe siècle, on l'honorait comme Sainte ; le 4 mai, veille de la fête de la Conversion de saint Augustin, des hymnes avaient été composées en son honneur et des artistes l'avaient parfois représentée dans leurs œuvres.

Ce n'était là toutefois, que l'aurore d'un culte universel. Il fallait quo le Chef de l'Eglise intervînt pour élever Monique sur les autels.

Ce fut l'œuvre de Martin V. En vertu d'une bulle de ce Pontife du 27 avril 430, les restes de sainte Monique furent transférés d'Ostie à Rome. Durant la procession, une mère obtint la guérison de son fils malade en le faisant approcher des saintes reliques. Ce trésor repose encore aujourd’hui à Rome dans l'église de Saint-Augustin, sous la garde des ermites de Saint-Augustin ; il y est vénéré par les pèlerins du monde entier.

A.R.B.

Sources consultées. - Saint Augustin, Confessions. – Mgr Bougaud, Histoire de sainte Monique (14e

édition. Paris, 1914). - (V.S.B.P., n° 20.)

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SAINT PIE VDominicain, Pape (1504-1572)

Fête le 5 mai.

Le Pape saint Pie V est un exemple frappant de la vérification de ce passage des psaumes : De stercore erigens pauperem ou de ce mot du cantique de la Sainte Vierge : Exaltavit humiles, c'est-à-dire que, quand il le veut, le bon Dieu se sert des plus pauvres, des plus humbles, par la naissance et par le cœur, pour leur faire jouer sur la terre un rôle de premier plan.

Michel Ghisleri. Sa vocation.

Deux religieux Dominicains cheminaient un jour à travers le Piémont, distribuant aux populations qu'ils rencontraient le pain de la prédication évangélique. S'étant arrêtés dans un village appelé Bosco, non loin d'Alexandrie, ils rencontrèrent un jeune pâtre, dont la physionomie ouverte et intelligente les frappa : il se nommait Michel Ghisleri, était né à Bosco le 15 janvier 1504, et descendait d'une antique famille que les guerres du XVe siècle avaient réduite à la pauvreté.

Michel s'approcha des missionnaires, qui, surpris de son attitude édifiante, de la maturité précoce de son jugement, crurent avoir trouvé une « vocation » possible et lui proposèrent de les suivre. Aucune offre ne pouvait être plus agréable au cœur de l'enfant ; il va rejoindre ses parents, obtient d’eux sur-le-champ le consentement désiré et leur bénédiction, et le voilà parti, tenant un pan de la robe de l'un des religieux.

Premières années de vie religieuse.

L'enfant n'avait que quatorze ans et se distinguait entre tous ses compagnons par son intelligence, sa piété et une tendre dévotion envers la Mère de Dieu,

A Voghera, il fut bientôt apprécié des religieux qui l'avaient accueilli ; son affection pour les pratiques de la vie monastique et la docilité avec laquelle il recevait les enseignements de ses maîtres le rendirent en peu de temps cher à la communauté. On lui donna l'habit avec le nom de Fr. Michel-Alexandrin ; même une fois cardinal, il sera longtemps connu sous l'unique nom d'Alexandrin, en souvenir de la ville d'Alexandrie. Du noviciat, il passa à Vigevano, célèbre scolasticat, où il prononça ses vœux solennels en 1519. Enfin, il fut envoyé à Bologne, qui était alors la pépinière la plus florissante de l'Ordre. Ses progrès furent si rapides, qu'en peu de temps il devint capable d'enseigner à son tour.

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Mais les études, si saintes qu'elles soient, dessèchent bientôt l'esprit qui n'y cherche qu'une satisfaction plus ou moins mondaine. Le jeune professeur le savait : aussi répétait-il souvent à ses élèves que, s'ils voulaient profiter utilement de leur science, ils devaient l'assaisonner du sel de la piété. Il leur en donnait lui-même l'exemple, ne se dispensant jamais, quelles que fussent ses occupations, de l'assistance au chœur et des autres exercices de sa communauté.

Quand il arriva au terme de sa vingt-quatrième année, ses supérieurs l'appelèrent à la prêtrise. Le Fr. Michel-Alexandrin fit son possible pour écarter un fardeau qu'il se jugeait indigne de porter ; mais il dut céder à la voix de l'obéissance.

Il célébra sa première messe à Bosco, ce berceau de son enfance, qu'il ne revit pas sans une certaine tristesse, car les armées de François 1er marchant sur Pavie avaient laissé après elles une profonde désolation. Le jeune religieux consola ses compatriotes et ranima leur courage.

Charges diverses dans l'Ordre.

Il remonta dans sa chaire de théologie, et l'occupa avec le même éclat, jusqu'au jour où il fut appelé à exercer la charge de prieur, successivement à Vigevano, Soncino et Alba.

Rarement supérieur montra autant d'affection à ses inférieurs, et en même temps exigea d'eux une obéissance plus complète ; Sévère pour lui-même, il savait condescendre à tous leurs besoins mais jamais il ne toléra les moindres abus.

lnquisiteur de Lombardie.

La Lombardie, alors ravagée par les armées françaises, était exposée à un danger encore plus sérieux. Les protestants de Suisse ne négligeaient aucune occasion d'y introduire des livres hérétiques, et les populations peu éclairées se laissaient facilement séduire par ces nouveautés impies. Aussi les cardinaux du Saint-Office, après mûres délibérations, tombèrent-ils d'accord que le P. Alexandrin Ghisleri était plus capable que tout autre d'opposer une digue aux débordements de l'hérésie. Il fut donc, à cet effet, nommé inquisiteur et envoyé à Côme. Autant son humilité avait eu de peine à accepter la charge de supérieur quand elle lui avait été imposée, autant son empressement fut grand quand il s'agit d'embrasser une mission qui répondait si bien à l'ardeur dont son âme brûlait pour la défense de la vérité.

A Côme, son premier soin fut de parcourir tout le territoire de sa juridiction. Il voyageait ordinairement à pied, sanctifiant la route par la méditation ou la récitation de prières vocales, mettant autant de Soin à rechercher les incommodités et les privations, qu'un autre en aurait mis à rechercher ses aises.

Un négociant de Côme avait convenu avec les protestants de Genève de l'envoi d'une grande quantité de livres calvinistes, qu'il se proposait de vendre un bon prix. Le siège épiscopal était alors vacant. Ce misérable fut assez habile pour se ménager des intelligences jusque dans le Chapitre.

Ghisleri n'hésita pas à déclarer excommuniés tous ceux qui avaient prêté leur concours à des actes si abominables. Les chanoines en furent vivement irrités, et ils excitaient le peuple contre lui.

Le prêtre le plus compromis dans cette affaire porta plainte près de Ferdinand de Gonzague, alors gouverneur de Milan. Il lui représenta que le zèle intempestif de Ghisleri avait été la seule cause de troubles qui s'étaient produits, et que le remède à y opposer serait de lui retirer une charge dont il s'acquittait avec si peu de prudence. Le gouverneur fit venir l'inquisiteur et le reçut d'une manière outrageante.

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Cependant si Ghisleri, en cette circonstance, faisait bon marché de sa réputation, il ne pouvait consentir à voir l'autorité de l'Eglise ainsi méprisée. Il se rendit donc à Rome pour rendre compte de sa conduite et de tout ce qui s'était passé. Il y arriva le 24 décembre 1550.

La réception qu'on lui fit, fut assez singulière. Comme il allait demander l'hospitalité à Sainte-Sabine, couvent de son Ordre, le prieur, qui ne le connaissait point, le prit, à son extérieur négligé, pour un ambitieux qui venait mendier les faveurs de la cour pontificale. Il lui dit même d'un ton railleur :

- Que venez-vous chercher ici, mon Père ? Venez-vous voir si le collège des cardinaux est disposé à vous faire Pape ?

- Je viens à Rome, répondit Ghisleri, parce que les intérêts de l'Eglise m'y appellent ; j'en sortirai aussitôt que ma tâche sera remplie. Jusque-là, je ne vous demande qu'une courte hospitalité et un peu de foin pour ma mule.

Moins de quinze ans après, ce voyageur d'aspect poussiéreux monterait sur le siège de saint Pierre...

La conduite de l'inquisiteur fut pleinement approuvée à Rome, et les réclamations des chanoines de Côme ne firent que tourner à leur confusion.

Évêque et cardinal.

Pendant que Ghisleri était à Rome, il se lia d'amitié avec le cardinal Caraffa, préfet de la Congrégation du Saint-Office. Celui-ci, plus clairvoyant que le prieur de Sainte-Sabine, comprit qu'une âme aux sentiments si élevés et si généreux était appelée par Dieu à une mission de lutte ardente contre l'hérésie, dont les progrès devenaient de jour en jour plus alarmants. Il le fit donc nommer en 1551, commissaire général du Saint-Office. Et quand, en 1555, le cardinal Caraffa fut appelé, sous le nom de Paul IV, à succéder au Pape Marcel II, il s'empressa de mander auprès de lui, l'inquisiteur dont il avait si bien jugé le mérite.

Non content de le maintenir dans sa dignité de commissaire général du Saint-Office, il voulut le créer évêque des deux diocèses unis de Nepi et Sutri. Ghisleri, vivement alarmé de cette nouvelle, alla se jeter aux genoux du Pape, le suppliant de ne point lui imposer un fardeau si redoutable et de le laisser mourir sous l'habit monastique. Mais Paul IV ne répondit à ces instances qu'en lui enjoignant de se soumettre à ses dispositions.

Dès lors, on vit briller dans le nouvel évêque toutes les vertus qui font l'apôtre ; sa vie était une dépense incessante de lui-même pour les besoins de son troupeau. Il essaya encore d'obtenir de Paul IV la permission de se retirer. Le Pape lui répondit :

- Je vous attacherai au pied une chaîne si forte qu'après ma mort même vous ne pourrez plus songer au cloître.

Il s'agissait du cardinalat, auquel Michel-Alexandrin Ghisleri fut promu le 15 mars 1557. L'émotion qui avait gagné son cœur l'empêcha d'adresser au Pape la moindre expression de remercie-ment, de sorte que les autres cardinaux prirent la parole pour rendre grâces au Saint-Père d'avoir associé à leur Collège un sujet si digne d'en rehausser l'éclat.

Quelques jours après sa promotion, le nouveau cardinal fut nommé inquisiteur souverain de la chrétienté et investi de cette charge en plein Consistoire ; il fut le dernier qui porta ce titre glorieux.

Les exigences de la dignité cardinalice répugnaient naturellement à l'austère vertu de ce fils de saint Dominique, mais il sut, sans manquer à la bienséance, n'en accepter que ce qui était absolument indispensable.

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Son palais ressemblait à un couvent. Il n'admettait à son service que des domestiques disposés à entrer dans cette voie de recueillement ; mais, ces conditions une fois admises, il les traitait avec une délicatesse et des égards inouïs à cette époque, n'interrompait jamais leurs repas ou leur sommeil pour les appeler, présidait leur prière du matin et du soir, et si l'un d'entre eux, venait à tomber malade, non seulement il le faisait soigner dans une des plus belles salles du palais, mais encore il venait plusieurs fois par jour le visiter.

Évêque de Mondovi. - Son retour à Rome.

Le Pape Pie IV n'avait pas les mêmes idées de gouvernement que son prédécesseur Paul IV ; il éloigna de Rome le cardinal grand inquisiteur en le nommant évêque de Mondovi, mais il comprit bientôt, grâce surtout peut-être aux conseils de son jeune neveu le saint cardinal Charles Borromée, que les fonctions d'inquisiteur exigeaient la présence du titulaire à Rome ; d'ailleurs, les erreurs protestantes et le gallicanisme qui se manifestaient à cette époque exigeaient le retour rapide du prélat au centre de la chrétienté. Pour défendre la foi catholique et les intérêts de l'Eglise, même contre l'entourage et la parenté du Pape, le cardinal Alexandrin savait parler avec une liberté tout apostolique. Sa franchise ne plaisait pas à tous ; elle lui valut même l’ordre de quitter de nouveau Rome pour Mondovi.

Il supplie le Pape Paul IV de ne point le nommer

évêque de Nepi.

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L’inquisiteur se prépara aussitôt à obéir, ses bagages partis en avant, furent pris par des corsaires ; 1ui-même, à cette époque, tombait gravement malade, et au moment où il revenait à 1a santé, Pie IV descendait au tombeau ( 9 décembre 1565).

Pape sous le nom de Pie V.

Les cardinaux, réunis en Conclave au Vatican, songeaient à suivre le conseil de saint Charles Borromée, et à porter leurs voix sur l'un ou sur l'autre de deux des leurs, que leur science et la mission importante qu'ils avaient remplie au Concile de Trente semblaient désigner tout naturellement à leurs suffrages, les cardinaux Morone et Sirlet. Ni l'un ni l'autre n'obtint le nombre de suffrages voulu. Alors le cardinal Borromée, oubliant qu'il était le neveu du Pape défunt, et soucieux uniquement de l'intérêt des âmes, proposa, le 7 janvier 1566, le nom du grand inquisiteur ; il entraîna les électeurs vers la chambre du cardinal Ghisleri, que l'on trouva en prière.

Quels ne furent pas l'étonnement et la confusion de celui-ci quand on vit les cardinaux entrer dans sa cellule pour lui annoncer son élection. Il fallut presque l'arracher de force de sa cellule pour l'entraîner jusqu'à la chapelle où se pratique la première cérémonie dite de l’« adoration ». La volonté de Dieu se manifestait d'une manière trop visible pour qu'il persistât à repousser le fardeau qu'elle venait de lui imposer ; il accepta donc, non sans larmes, et toujours sur le conseil de saint Charles et pour montrer qu'il oubliait le passé, prit le nom de Pie V. Ceux qui avaient été dans l'intimité du nouveau Pape connaissaient sa bonté et les qualités de son cœur généreux ; mais le peuple, qui ne l'avait connu que par les actes d'autorité de sa charge d'inquisiteur, redoutait sa sévérité. Comme on lui exprimait ces appréhensions des Romains à son égard :

- J'espère, se contenta-t-il de répondre, qu'ils seront aussi affligés de ma mort qu'ils l'ont été de mon avènement.

Le nouveau Pape, soucieux des devoirs de sa charge, mit une telle ardeur à faire cesser à Rome et dans ses Etats les abus de toutes sortes, et spécialement l'ivrognerie et l'immoralité, que sa juste sévérité lui valut, du moins de son vivant, d'être plus craint qu'aimé.

Cependant il ne négligeait pas les intérêts matériels de ses sujets ; on le voit alimenter Rome en eau potable, favoriser l'industrie et même maintenir les courses de chevaux ; enfin faire sortir du Vatican, pour les offrir au peuple romain, un certain nombre de précieuses œuvres d'art dont la collection formera le Musée du Capitole. Chaque jour, il recevait les doléances des pauvres gens. Pour lui-même il continua, au milieu des honneurs de sa charge, la même vie de désintéressement et de pénitence qu'il avait menée depuis son entrée en religion.

Sollicitude pour les intérêts de l'Eglise.

Dès le début, il s'empressa d'inaugurer les salutaires réformes décrétées par le Concile de Trente.Les protestants avaient accusé l'Eglise d'avoir laissé perdre la sève divine qui avait produit de

brillants rejetons dans les premiers siècles de son institution ; le pontificat de saint Pie V allait donner un éclatant démenti aux invectives des sectaires impies. Le nom de saint Pie V est resté attaché à la réforme du Bréviaire demandée par le Concile de Trente. Une Bulle, du 9 juillet 1568 rendait obligatoire le nouveau Bréviaire romain dans toutes les Eglises du monde catholique.

Au commencement de son pontificat, il donna des ordres sévères pour abolir le luxe des tombes dans les églises, où ces monuments funéraires faisaient oublier le Dieu vivant, et par leur faste relé-guaient l'autel au second rang. Il favorisa le pieux usage des médailles auquel il attacha des indulgences.

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Le 29 mars 1567, il donna une bulle, très importante, contresignée par 39 cardinaux, défendant d'aliéner, sous quelque prétexte que ce fût, des possessions du patrimoine de Saint-Pierre ; tous les nouveaux membres du Sacré Collège devaient s'engager par serment à observer cette bulle (il en sera ainsi au moins jusqu'à la fin du XIXe siècle). Le Pape luttait contre l'erreur sous toutes ses formes ; le .6 juin 1566, il envoyait à Marie Stuart 20 000 écus d'or (plus de 200 000 francs-or) pour l'aider dans sa lutte contre la reine Elisabeth ; il s'opposait énergiquement aux luthériens en développant le rôle de l'inquisition ; il eut aussi à combattre les erreurs de Michel Baius ou du Bay, professeur à Louvain, et le 1er octobre 1567, il condamna 79 erreurs de ce personnage qui fut l'ancêtre du « jansénisme ». Pie V donna à saint Thomas d'Aquin, le 11 avril 1567, le titre de Docteur de l'Eglise. Il rendit obligatoire la récitation alors facultative de plusieurs des prières de la sainte messe. Enfin il institua en 1571 la Congrégation de l'Index.

Croisade contre les Turcs et victoire de Lépante.

Au XVIe siècle les espérances des sultans de Constantinople avaient semblé se réveiller à la faveur des dissensions qui désolaient l'Eglise, et leurs armées formidables vinrent attaquer la chrétienté. L'empereur Maximilien Il avait échoué en 1566 dans sa tentative de leur reprendre la Hongrie. Soliman II parut la même année avec une flotte nombreuse devant l'île de Malte, refuge des anciens chevaliers de Jérusalem, mais il dut pourtant battre en retraite.

Cet échec était trop sanglant pour que les Turcs ne songeassent pas à s'en venger. Sélim II avait succédé à Soliman. A la faveur d'une trêve signée avec l'empereur et des dissensions entre Etats chrétiens, il envoya Mohamed, un renégat, faire la conquête de Chypre (1570). Les habitants, attaqués à l'improviste, se défendirent avec vigueur, mais ils furent vaincus et se virent l'objet de terribles représailles.

Ces nouvelles attristèrent profondément le cœur de Pie V. Il écrivit aux princes chrétiens pour les pousser à une alliance générale contre l'ennemi commun de la chrétienté, mais il n'y eut guère que les Vénitiens et les Espagnols qui répondirent à son appel. Il nomma Don Juan d'Autriche généralissime des troupes et Marc-Antoine Colonna chef des galères pontificales ; le Pape prédit la victoire, mais en recommandant de s'y préparer chrétiennement. Pendant ce temps, lui-même multipliait les prières, les exercices de piété, les mortifications, malgré de douloureuses infirmités.

Embarquée à Messine, le 16 septembre 1571, l'armée catholique, qui comptait 65 000 hommes, arriva le samedi 7 octobre, à une heure et demie après-midi, dans le golfe de Lépante, entre la Grèce occidentale et la presqu'île de Morée, à la vue des Turcs, au nombre de 85 000.

Le combat allait s'engager. Don Juan faisant flèche de tout bois, libéra les milliers de galériens qui conduisaient les vaisseaux et leur fit donner des armes ; ce trait de génie eut d'heureuses conséquences. Quelques heures plus tard les Turcs firent de même, mais leurs quinze mille esclaves chrétiens vinrent bientôt grossir les rangs de l'armée catholique. La bataille fut sanglante et meurtrière des deux côtés, mais la croix y triompha d'une manière éclatante, et l'Europe comprit dès lors que le Turc n'était pas invincible. Le même jour, à Rome, c'est-à-dire à deux cents lieues de là, vers 5 heures du soir, le Pape présidait, dans une pièce qui se trouve au bout de la Bibliothèque Vaticane, une réunion de cardinaux relative aux affaires de l'Eglise. Tout d'un coup il se lève, ouvre une fenêtre, et après être demeuré quelque temps comme en contemplation, la referme en disant :

- Laissons là nos affaires, et allons rendre grâce à Dieu ; notre armée a livré bataille aux Turcs et a remporté la victoire.

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C'était, en effet, le moment précis où la croix triomphait dans le golfe de Lépante. Il fallut attendre quinze jours pour avoir confirmation de la nouvelle annoncée d'une manière si surprenante.

En action de grâces de ce succès magnifique, le Pape institua la fête de Notre-Dame de la Victoire, devenue sous Grégoire XIII fête du Saint Rosaire, et qu’il fixa au 7 octobre, et il inséra dans les litanies de la Sainte Vierge cette invocation : Auxilium christianorum, ora pro nobis (Secours des chrétiens, priez pour nous).

Maladie et mort. - Canonisation.

Au commencement de l'année 1572, le ''Pape fut torturé par la maladie de la pierre, dont il avait déjà beaucoup souffert. Il supporta son mal avec patience et il mourut le 1er mai 1572, après avoir régné six ans et quatre mois. Son corps fut inhumé d'abord en la basilique Vaticane, dans la chapelle de Saint-André. Pie V voulait reposer à Bosco, son pays natal, parmi les Frères de son Ordre, mais Sixte-Quint s'y refusa, et, lui ayant érigé un magnifique tombeau à Sainte-Marie Majeure, l’y fit transporter le 29 janvier 1588.

Pie V fut béatifié par Clément X, au centenaire de sa mort, le 1er mai 1672 ; à son « procès » figuraient 69 miracles. Son corps, levé de terre sous Innocent XII, le 16 septembre 1698, fut mis dans l'urne de marbre vert et de bronze où on le voit encore aujourd'hui. Il fut canonisé par Clément XI le 22 mai 1712.

A.J.D.

Ouvrages consultées. – Comte Alfred de Falloux, Saint Pie V (4e éd., 1868). – Farochon, La bataille de Lépante (Bonne Presse). – Mgr Georges Grente, Saint Pie V (Collection Les Saints). – Mgr Battandier, Annuaire pontifical catholique pour 1915. – ( V.S.B.P., n° 116).

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BIENHEUREUSE ELISABETH DE TOESS

Princesse de Hongrie, Dominicaine (1297-1338)

Fête le 6 mai.

Cette fille de saint Dominique ne doit pas être confondue avec sa grand'tante et homonyme sainte Elisabeth de Hongrie, fille de saint François d'Assise par le Tiers-Ordre ; sa vie a été insérée par un religieux Chartreux du couvent d'Ittengen, Henri Murer, de Lucerne, dans son Helvetia Sancta. Le texte donné par cet auteur est la traduction en allemand de la biographie écrite en dialecte local par une religieuse et qui est incorporée dans la chronique du monastère de Tœss près de Winterthur, en Suisse ; les Acta Sanctorum, à leur tour, en ont publié une traduction latine.

Enfance de la bienheureuse Elisabeth. - L'orpheline.

André II, roi de Hongrie, dit le Vénitien, était, par son père le roi Étienne, le neveu de sainte Elisabeth. Il épousa Fenna, qui était, dit-on, fille de Manfred, roi – ou plus exactement tyran – de Sicile, lequel, après s'être emparé de ce pays, fut, en 1266, détrôné et mis à mort par les soldats de Charles d'Anjou. Fenna n'eut qu'un enfant, une fille, née à Buda, capitale de la Hongrie, l'an 1297, et à qui elle voulut donner le nom d'Élisabeth.

De grandes manifestations de joie accompagnèrent la naissance de la jeune princesse : toutes les cloches de la capitale sonnèrent à la fois, des fontaines furent établies à toutes les tours de la ville : elles laissaient couler en abondance non de l'eau, mais du vin ; tous les grands du royaume se rendirent à la cour pour présenter aux souverains leurs félicitations et leurs vœux. La reine Fenna étant morte peu après, André épousa en secondes noces la princesse Agnès, fille d'Albert d'Autriche, roi des Romains ; quand la nouvelle reine eut vécu quelque temps en Hongrie, elle obtint de son mari la permission d'emmener sa belle-fille à Vienne, pour la faire élever avec les enfants de son frère.

Mais, André étant mort en 1301, après dix ans de règne, sa veuve persuada aux grands de fiancer la petite Élisabeth à son parent le prince Henri, duc d'Autriche.

En 1308, le 1er mai, le roi Albert, père d'Agnès, était tué près de Windisch (Suisse), alors ville forte et siège d'un évêché, aujourd'hui simple bourgade, au confluent du Reuss et de l'Aar, par le prince Jean, son propre neveu ; la reine de Hongrie, désireuse de venger cette mort, revint avec Elisabeth à Buda et poursuivit ceux qui s'étaient rendus coupables du meurtre de son père, ravageant par l'incendie ou dépeuplant leurs terres et leurs châteaux. La petite Élisabeth fut profondément émue en voyant tant de maux, tant de sang versé ; la reine finit elle-même par l'être aussi, et dans une intention expiatrice, toutes deux s'unirent pour restaurer ou plutôt fonder à nouveau le monastère de Koenigsfelden, en Argovie, de l'Ordre de Sainte-Claire (1310).

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Agnès espérait que sa belle-fille se déciderait à s'y fixer avec elle et à y embrasser l'état religieux. Mais le couvent désigné ne plaisant pas à la jeune fille, celle-ci fut autorisée à choisir elle-même en Suisse, un monastère dans lequel elle servirait Dieu et passerait toute sa vie. Elisabeth, se prononça pour celui des Dominicaines de Toess.

Dominicaine. Luttes intérieures.

L'innocente vierge atteignait tout juste sa treizième année quand elle reçut l'habit de l'Ordre de Saint-Dominique devant l'autel principal de la nouvelle église de Toess. Cet autel devait être par la suite dédié au mystère de l'Annonciation et à sainte Elisabeth, landgrave de Thuringe. Quand la jeune fille eut passé sous cet habit quinze semaines, en toute observance, obéissance et humilité, ainsi que l'exigent les règles de l'Ordre, dame Agnès, qui manifestait à son égard des dispositions très intéressées, commanda aux Sœurs de l'admettre à la profession. Et comme le monastère ne pouvait rien refuser à ses pressantes instances, la Mère Prieure donna son consentement, et Élisabeth prononça ses vœux, de bon cœur et de son plein gré.

Mais la nouvelle Dominicaine était encore bien jeune ; aussi la reine lui fît-elle donner pour éducatrice une religieuse de Fribourg-en-Brisgau, prise au monastère de Sainte-Catherine de Wura ; cette moniale appartenait également à la famille des Habsbourg ; d'un caractère très sévère, elle traitait si durement l'enfant que les autres Sœurs compatissaient volontiers aux peines de celle-ci.

Peu de temps après la profession d'Elisabeth, le duc Henri d'Autriche vint dans ce pays afin de prendre pour femme celle qu'il avait déjà choisie. Mais voyant Elisabeth sous le voile, après avoir appris qu'elle était consacrée à Dieu, et cela contre son assentiment, il entra dans une telle colère qu'il arracha le voile de sa parente et le foula aux pieds ; ensuite, devenu plus calme, recourut à la flatterie, s'efforçant de la persuader de renoncer à une nouvelle profession, qui l'engagerait définitivement, pour venir en Autriche où il serait si heureux de l'épouser. Elisabeth, prudemment, sollicita un délai avant de donner sa réponse ; puis, se rendant à l'église, elle se prosterna devant le tabernacle, priant Dieu de lui faire connaître clairement sa volonté.

Le conflit était en effet douloureux en son âme, tandis qu'elle considérait qu'elle était l'unique héritière de son père ; un mariage pouvait paraître excusable, vu ses conséquences possibles : la paix scellée entre deux pays, des risques de guerres écartés.

Mais la grâce de Dieu parlait encore plus clairement au dedans d'Élisabeth et celle-ci comprenait que son devoir était de persévérer en la vie religieuse. Une vraie défaillance physique accompagnait cette lutte. S'étant ressaisie, elle eut un entretien avec le duc et lui déclara avec fermeté qu'étant déjà l'épouse de Dieu elle ne pouvait violer par amour pour un homme mortel les serments qu'elle avait déjà prononcés. Elle ne voulait qu'une humble obéissance, la pauvreté volontaire et la chasteté perpétuelle. A ces mots le duc se retira, profondément indigné ; quant à Elisabeth, après ce combat victorieux, elle se tourna vers le Christ et lui consacra par un vœu nouveau la fleur de sa jeunesse.

Vertus religieuses de la bienheureuse Elisabeth.

Pour se maintenir dans un état de pureté parfaite, la jeune moniale recourait à la confession plus souvent que le prescrivait la règle, faisant en outre, chaque année, une confession générale.

Elle observait avec un très grand soin et à la perfection la règle et les constitutions de l'Ordre de Saint-Dominique, témoignant à ses supérieures une profonde soumission. Cette fille de roi était un modèle d'humilité et de charité ; aucun travail ne lui paraissait vil ou abject ; elle s'affligeait si elle se voyait traiter d'une manière plus déférente que ses compagnes. Elle manifestait surtout un grand sentiment de charité à l'égard de ses Sœurs malades ou affligées ;

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leurs souffrances semblaient être les siennes propres. De la pauvreté religieuse elle semblait faire le fondement des autres vertus ; elle n'avait rien à elle, et était détachée de tout. Parfois sa belle-mère, la reine Agnès, venant la visiter, la trouva vêtue d'une tunique usée et déchirée. La reine le remarqua et lui en fit doucement l'observation :

- N'avez-vous pas honte, ma bien chère enfant, d'aller et venir avec cet habit, vous, la fille du roi de Hongrie ?

Mais ces paroles ne changèrent rien à sa pratique de la pauvreté. Elisabeth fut même heureuse d'apprendre que les revenus annuels du monastère étaient des plus restreints. Mais si le monastère était pauvre, les vertus religieuses y régnaient, et Elisabeth donnait l'exemple.

Esprit de prière. - Vie contemplative.

Sa ferveur dans la prière était si grande que toutes ses actions semblaient une prière continuelle. Au chœur elle était très empressée et très attentive à chanter les sept heures canoniales, jamais elle ne voulut s'abstenir de cet office, pas même lorsqu'elle était malade, à moins qu'une extrême nécessité ne la retint à ce moment-là. Souvent on la trouva dans l'église, ravie en esprit, parfois même élevée de terre à la hauteur d'une coudée, parfois aussi dans un tel état de faiblesse physique que ses compagnes devaient la porter à sa cellule.

Chaque jour elle s'attachait avec une grande tendresse à la méditation de la Passion du Seigneur ; quand venait le Vendredi-Saint, désireuse d'honorer le divin Maître, et mue par un sentiment d'humilité, elle faisait quatre cents prostrations, dont chacune . était accompagnée d'une prière, et ce jour-là elle ne prenait ni vin ni eau. De même elle avait adopté l'habitude de répartir sur le temps de l'Avent la récitation de sept mille Ave Maria, accompagnée d'autant d'inclinations, pour honorer le fruit béni du sein de la Vierge Mère. Et lorsque était arrivée la vigile de Noël , aux environs des Matines elle se retirait dans quelque retraite pour réciter mille Ave Maria, en l'honneur du Sauveur qui venait de naître.

Élisabeth recherchait la solitude pour se livrer à la contemplation. Parfois des Sœurs plus jeunes venaient vers elle afin de participer à ses exercices spirituels et d'apporter un adoucissement à ses douleurs et à ses angoisses ; elle les congédiait avec douceur en leur disant : « C'est pour moi, mes enfants, que je travaille en vue de l'autre monde, afin que, lorsque j'y arriverai, je puisse trouver une place »; et sur ces mots, elle se remettait en oraison.

Un jour, une des anciennes religieuses la cherchait, ayant quelque communication à lui faire ; ne la trouvant pas dans le monastère, elle se rend au chœur, et là elle aperçoit une Sœur qu'elle ne reconnaît pas, gisant à terre au pied d'une image de la Sainte Vierge ; et tandis qu'elle; la considère de plus près, elle la voit soudain soulevée mystérieusement au-dessus du sol. C'est seulement plus tard qu'elle comprit qu'elle s'était trouvée en présence d'Élisabeth.

Les miracles,

Deux personnes, qui de leur vivant avaient causé de graves peines à la servante de Dieu, moururent. Elles apparurent à trois religieuses et les supplièrent d'aller, en leur nom, se jeter aux pieds de leur sainte compagne, de lui demander pardon pour toutes les injures que celle-ci avait subies de leur part, et de la prier d'intercéder auprès de Dieu afin de leur permettre d'accéder bientôt aux joies éternelles. De plus, l'une de ces âmes apparut à la troisième Sœur et lui signifia qu'elle ne pourrait accéder à l'éternel repos avant d'avoir demandé pardon, par son intermédiaire à la princesse. La Sœur répondit que cette démarche ne pouvait s'accomplir aussitôt, parce qu'Elisabeth, étant gra-vement malade, ne pourrait prier à l’intention indiquée.

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La reine de Hongrie reproche à sa belle-fille Élisabeth

son mépris des vanités mondaines. .

L’âme répondit qu’elle ne pouvait entrer auparavant dans le ciel. Par la suite, Élisabeth elle-même avoua à la Sœur que cette âme lui avait apparu à elle aussi, tandis qu'elle était en oraison au chœur, et que cette âme l'avait suppliée de venir à son secours.Une pauvre femme habitant non loin de Toess était, depuis quarante ans, paralysée du bras et de la main et incapable de se livrer à un travail. Une voix lui dit : « Va voir la reine de Hongrie, prie-la de te toucher la main, et tu recouvreras la santé. » Elle crut à un simple rêve et n'y prit pas garde. La même voix se fit entendre la nuit suivante. La malade se demanda comment elle se rendrait en Hongrie ; mais le conseil se précisa : « Va voir la reine de Hongrie qui est au couvent de Toess... » Cette femme obéit et répéta ce qu'elle avait entendu, mais Élisabeth, apprenant ce qu'on attendait d'elle, prit peur, se déclarant indigne d'un tel pouvoir. Toutefois, elle céda aux instances pressantes des Sœurs, se fit amener la visiteuse, la pressa dans ses bras et se mit en prière, demandant à Dieu de récompenser son acte de foi. Bientôt le bras et la main inertes reprirent leur vigueur ancienne.

Un autre jour, Élisabeth entra dans le verger du monastère avec une compagnie afin d'y respirer l'air ; les deux religieuses allaient et venaient dans le jardin. Or, là se trouvait un local dans lequel les servantes distillaient de l'eau de roses et d'autres médicaments pour l'infirmerie. Élisabeth et l'autre Sœur s'aperçurent que le feu avait pris dans ce local, construit en bois, et dans lequel se trouvait un fourneau allumé ; très rapidement, il menaçait de tout consumer. S'il se trouvait de l'eau tout près, il n'y avait pas de vase à portée de la main : la seconde religieuse proposa d'aller chercher du secours ; mais le temps faisait défaut. Alors Élisabeth saisit un van à demi calciné, bon tout au plus à porter du charbon, et trempant dans l'eau cet ustensile percé de toutes parts, le remplit et en vida le contenu sur les flammes qui s'éteignirent aussitôt.

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Patience de la bienheureuse Élisabeth devant les épreuves.Sa mort.

Parmi les épreuves que supporta Élisabeth, on peut citer l'extrême pauvreté où elle vécut durant les vingt-quatre années qu'elle passa dans l'Ordre, en un petit monastère où les privations étaient extrêmes. Sans doute ses amis et ses proches auraient pu lui venir en aide, mais sa belle-mère montrait une véritable avarice, vis-à-vis d'elle ; et cette reine, qui détenait tout l'héritage laissé par André III, n'en avait abandonné à sa belle-fille qu'une faible partie.

Peu de temps après sa profession, Élisabeth étant tombée gravement malade, le médecin ayant prescrit les eaux, la jeune religieuse fut donc envoyée à Bade en Argovie, accompagnée de quelques Sœurs ; de là elle se rendit à Koenigsfelden où résidait sa belle-mère et s'y reposa un peu. La reine lui montra tous les trésors laissés par le père d'Élisabeth, mais de tout cela elle ne donna rien à sa belle-fille et elle la laissa repartir pour Bade presque les mains vides. La pauvre Sœur préféra tourner ses pensées du côté du ciel en allant visiter le célèbre sanctuaire de Notre-Dame des Ermites ou d'Einsiedeln. C'est là qu'elle commença à oublier l'affliction dans laquelle l'avait jetée la dureté de sa belle-mère.

Quelques années après sa profession, Élisabeth vit sa santé encore compromise ; cette fois les médecins ne purent découvrir la nature de son mal qui allait s'aggravant de jour en jour ; il fallut garder la malade, qui finalement perdit toutes ses forces physiques et intellectuelles. Cet état se prolongea depuis la Pentecôte jusqu'au début du mois de novembre. Sainte Élisabeth de Hongrie, sa grand'tante, lui apparut alors et lui promit que quatorze jours plus tard, c'est-à-dire à la date où l'Eglise célèbre sa fête (19 novembre), elle reviendrait à la santé.

En effet, au jour dit, poussée hors de son lit par la violence de douleurs intolérables, elle se rendit en toute hâte à l'église ; étant entrée dans le chœur, elle eut devant l'autel une défaillance. Et pendant que ses Sœurs chantaient les Vêpres, la malade se retourna, ouvrit les yeux comme si elle sortait d'un profond sommeil, et se sentit délivrée de toute douleur, ne gardant plus de son état antérieur qu'une certaine faiblesse.

Quatre ans avant sa mort, Élisabeth fut atteinte de ce qu'on appelle « la fièvre quarte », ou fièvre intermittente revenant tous les trois jours, qui anéantit complètement ses forces ; il semblait que Notre-Seigneur voulait partager avec son épouse les souffrances et les peines de sa Passion, ainsi qu'elle-même l'avait souvent et ardemment désiré. Et la grâce de tout supporter par amour pour Dieu lui fut accordée dans une telle mesure qu'on ne perçut jamais chez elle ni une parole ni un geste de découragement ou d'ennui. Au contraire, les deux dernières années qu'elle passa sur la terre firent resplendir sa patience, alors qu'elle souffrait de douleurs aiguës, auxquelles s'ajouta la paralysie qui lui enleva tout mouvement, et notamment la possibilité de boire ou de manger sans l'aide de quelqu'un. Cette paralysie fut suivie de la gangrène, à un tel point que tout son corps était couvert de plaies et d'ulcères. Ainsi visitée par l'épreuve, elle remerciait Notre-Seigneur du fond du cœur.

Une année se passa pour Elisabeth dans cet état qui semblait ne pouvoir se prolonger d'une manière naturelle. Et cependant, une seconde année allait s'écouler de la même manière, parmi les souffrances d'un corps paralysé, et qui se corrompait, souffrances supportées avec une patience et une humilité constantes.

Une nuit que sa garde-malade s'était endormie, sa lampe s'éteignit, et Sœur Élisabeth soupirait après le jour, tout en demeurant calme, sans vouloir réveiller la garde vaincue par la fatigue. Elle se remit à prier, et sa lampe se ralluma par miracle, répandant en sa chambre une merveilleuse clarté.

Une autre nuit, tandis que sa garde dormait encore, Élisabeth se sentit tout à coup si forte qu'elle se leva de son lit, s'habilla et se rendit au chœur, où elle pria quelque temps devant le Saint Sacrement.

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Après quoi, elle revint en silence à sa chambre et se coucha, le tout à l'insu de ses compagnes ; le fait ne fut connu que par ses confidences ; mais elle ne voulut pas révéler ce qu'elle avait appris dans ce colloque avec Jésus-Hostie, et elle en emporta le secret dans la tombe. Depuis lors, elle ne retourna plus dans l'église du monastère.

Cependant le temps de la délivrance approchait ; gardant encore l'usage de ses sens, elle demanda à recevoir les derniers sacrements. Elle s'y prépara et les reçut avec ferveur, et après les cérémonies usitées en pareil cas, elle demanda qu'on lui ouvrît la fenêtre, afin qu'elle put contempler le ciel. Puis, dirigeant son regard de ce côté, elle commença cette prière :

« Seigneur mon Dieu, créateur et rédempteur de mon âme, et qui me récompenserez, un jour, jetez aujourd'hui sur moi un regard de votre miséricorde, et recevez-moi dans la céleste patrie, loin de ce monde rempli de douleurs, par les mérites de votre Passion et de votre mort... »

Ensuite, se tournant vers la Mère prieure et vers les Sœurs, elle les remercia de l'honneur que celles-ci lui avaient fait, de leur bienfaisance, de leurs soins et de la patience avec laquelle elles avaient supporté ses infirmités. Puis, reprenant sa prière, elle invoquait silencieusement le secours de Dieu ; seules ses lèvres remuaient.

C'est ainsi qu'elle expira le 6 mai 1338, à l'âge de quarante et un ans.

Apparition de la bienheureuse Élisabeth.

Lorsque la sainte religieuse eut quitté ce monde, se firent entendre de lamentations non seulement parmi les Sœurs et les servantes du couvent, mais parmi tous ceux qui pouvaient la connaître. Son corps fut ensuite préparé en vue de la sépulture, selon la coutume de l'Ordre, et conservé pendant huit jours dans un oratoire jusqu'au moment où sa belle-mère, la reine Agnès, se rendit de Koenigsfelden à Toess avec une nombreuse suite. Et tandis que cette princesse qui s'était fixée en ce lieu pleurait, Elisabeth lui apparut resplendissante, plus blanche que neige. De cette apparition fut aussi témoin sa camériste ; néanmoins cette personne, si elle voyait, ne percevait pas les paroles qui sortaient de la bouche de l'apparition ; seule la reine les entendait. Agnès, ne voulant pas divulguer ce que lui avait dit sa belle-fille, déclara que celà devait rester un secret connu seulement d'elle-même.

Le lendemain, après les obsèques, au milieu des larmes des assistants, le corps d'Elisabeth fut inhumé dans l'église. La reine Agnès, très affligée, regagna Koenigsfelden ; par la suite, elle se montra très généreuse pour le monastère de Toess.

Dans la petite ville où est morte la servante de Dieu, on l'appelait «sainte Elisabeth, vierge et reine ». Et tel fut son renom de sainteté que le monastère étant tombé aux mains de la secte des zwingliens, son tombeau demeura respecté.

Fr. Br.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. II de mai (Paris et Rome, 1866).

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SAINT STANISLAS DE CRACOVIEEvêque et martyr (1030-1079)

Fête le 7 mai.

Vers la fin du Xe siècle vivait à Szczepanow, non loin de Cracovie, en Pologne, une famille vertueuse et sainte. Wielislas et Bogna descendaient d'une race illustre. Ils possédaient un domaine assez vaste et de grandes richesses. Wielislas, guerrier courageux autant que fervent chrétien, s'était signalé dans plusieurs campagnes des Polonais contre les Russes. Toutefois, à la guerre contre les hommes il préférait la lutte contre le seul ennemi de l'humanité, qui est Satan, « car, disait-il avec raison, si cette lutte est plus longue, les palmes en sont aussi plus belles et plus durables ». En conséquence, de concert avec sa femme, il s'étudiait à mettre en pratique les conseils évangéliques. Les biens de la terre étaient pour les deux époux une monnaie avec laquelle ils achèteraient les trésors éternels du ciel ; les veuves, les pauvres, les orphelins trouvaient chez eux un refuge assuré.

Désireux de vivre de plus en plus éloignés du siècle, ils firent construire une église sur leur terre, afin d'assister plus commodément aux offices divins, en dehors desquels ils consacraient encore de longues heures à la prière et à l'oraison. Leur vie rude et solitaire les fit regarder comme des moines dans tout le pays. C'est pourquoi aux étrangers qui passaient près du château l'on disait : « Là vivent en solitaires le seigneur Wielislas et son épouse Bogna, »

Prières exaucées. - Énergie du jeune Stanislas.

Cependant, Wielislas et Bogna avançaient en âge et n'avaient pas d'enfant. Depuis trente années déjà, le ciel semblait sourd à leurs prières. Ils allaient donc être sans héritier ; mais Dieu daigna bénir cette union restée si longtemps stérile. Stanislas naquit le 26 juillet 1030. L'étonnement fut grand dans Szczepanow. « Un enfant à cet âge ! disaient les Polonais du voisinage, rarement on voit chose pareille. » D'autres circonstances miraculeuses augmentaient l'étonnement général.

La mission que Dieu réservait au jeune Stanislas réclamait le mépris et le détachement absolu des choses de la terre. Il s'y prépara de bonne heure. Plaire à Dieu était l'unique préoccupation de cet enfant béni. Pour cela, il s'adonnait à la pratique de la charité, du jeûne et de la mortification. Il aimait à coucher sur la terre nue et à s'exposer aux plus grands froids. L'argent qu'il recevait de ses parents pour des plaisirs légitimes, il s'empressait de le distribuer aux pauvres. C'est ainsi que Dieu forme ceux qu'il prépare au combat.

Saint Stanislas prêtre et chanoine.

Quand Stanislas eut atteint l'âge nécessaire, ses parents lui firent étudier les belles-lettres et la philosophie. Pour le perfectionner en cette dernière étude, il fut envoyé à Gniezno où florissait alors l'école la plus illustre de la Pologne. De Gniezno, il vint probablement dans un monastère de Lorraine pour s'adonner à la théologie. Durant les sept années qu'il y passa, l'attrait de ses vertus lui concilia l'affection de tous ses condisciples. A son départ, l'école resta embaumée du souvenir qu'elles y avaient laissé.

Durant son séjour en Lorraine, Stanislas apprit à mépriser encore plus le siècle et ses vanités. Il dirigeait toutes ses pensées vers le cloître, où il pourrait servir Dieu, loin du bruit et du tumulte mondains. « Mais, dit saint François de Sales, Dieu hait la paix de ceux qu'il a faits pour la guerre. »

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Aussi attendait-il le moment fixé par sa grâce pour s'emparer de Stanislas. En effet, ce dernier, à son retour en Pologne, s'étant vu par la mort de ses parents maître d'une fortune considérable, vendit le tout, et en donna le prix aux pauvres. Dès lors, il espérait pouvoir réaliser au plus tôt ses pieux desseins, quand Lampert, évêque de Cracovie, l'appela, l'ordonna prêtre et le fit chanoine de sa cathédrale en 1062.

Il devient évêque de Cracovie.

Les habitants de Cracovie applaudirent à l'heureux choix que l'évêque avait fait, en donnant la prêtrise et un canonicat à Stanislas. Celui-ci tremblait à la vue du lourd fardeau qu'on imposait si tôt à ses faibles épaules. Aussi résolut-il de se détacher de tout ce qui pourrait l'empêcher de remplir dignement une charge aussi importante. Assidu au chœur et à l'oraison, il employait encore une grande partie de sa journée à l'étude de l'Écriture, des Pères et de la théologie. Grâce à ce travail soutenu et à son intelligence peu ordinaire, il acquit en peu de temps une telle science, que de toutes parts on venait le consulter ou le prendre pour arbitre des différends.

II se prêtait avec douceur aux exigences de tous, à ce point que plusieurs, émerveillés, sortaient de chez lui en disant : « Cet homme est admirable ; c'est un saint. » A la mort de Lampert qui arriva en 1072, il fut choisi par le clergé et le peuple réunis pour lui succéder.

Cette fois, le pieux chanoine résista, et rien ne put le faire céder, si ce n'est l'ordre du Pape Alexandre II, que Stanislas reçut comme s'il fût émané du divin Maître lui-même.Il se croyait si indigne de la nouvelle charge qui lui incombait, qu'il redoubla d'austérités et de vertus, afin d'obtenir d'en haut la force nécessaire ; il se revêtit d'un cilice qu'il ne quitta plus jusqu'à la mort. Son inépuisable charité apparut plus grande de jour en jour. Les pauvres étaient nombreux à Cracovie ; le saint évêque s'en fit donner une liste exacte, et ordonna aux gens de sa maison de ne rien refuser à personne. Au reste, lui-même présidait souvent à la distribution des aumônes, donnant avec le pain qui refait le corps celui qui refait l'âme. Il paraissait en ces circonstances si humble et si doux, que tous ces malheureux pleuraient de joie de rencontrer un tel père.

Comment il se venge des injures.

Malgré tant de bonté, Stanislas fut plus d'une fois en butte aux pires injures, mais sa vertu était au-dessus de toute épreuve. Un seigneur l'invita un jour à venir consacrer une église dans sa pro-priété. L'évêque y consent avec joie. Au jour fixé il se rend, accompagné de ses clercs, à la maison du seigneur. Il arrive à la porte du castel. Or, on ne sait pour quel motif, à sa vue, le seigneur s'emporte avec une incroyable insolence et en arrive à le chasser en l'accablant d'invectives. Quelques-uns même de ses serviteurs se lancent sur les personnes escortant le pontife, et les accablent de coups. Stanislas n'opposa pas la moindre résistance et se retira avec sa suite dans un pré voisin.

Pour toute vengeance il fait à Dieu cette prière : « Seigneur, on m'empêche de bénir le lieu que j'étais appelé à vous consacrer ; donnez à celui où je me trouve votre sainte bénédiction. »

Il passe la nuit en proie aux douleurs de la faim et du froid dans ce pré qui fut appelé dans la suite le « pré béni », nom qu'il conserve encore aujourd'hui.

A quelques jours de là, le seigneur, confus de sa conduite, vint demander pardon à l'évêque ; il lui promit de réparer sa faute, en menant désormais une vie plus chrétienne, et, comme gage de sa sincérité, il fit présent du pré à l'Eglise de Cracovie.

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Saint Stanislas devant l'impie Boleslas.

La Pologne était alors gouvernée par Boleslas II, dit le Hardi, devenu roi en 1077. Ce prince, qui s'était montré valeureux dans la guerre contre les Russes, et plein de libéralité envers ses sujets, ternit la gloire ainsi acquise par des actions honteuses et iniques tout ensemble. Les scandales de sa vie, d'abord secrets, éclatèrent bientôt au grand jour, et l'indignation de ses sujets fut à son comble.

Nul cependant n'osait lui faire de reproches. Seul, Stanislas, s'armant du courage que donnent la prière et la grâce divine, osa comparaître devant le monarque coupable et, sous un langage dicté par la charité et la fermeté apostoliques, il blâma ses désordres et l'exhorta à faire pénitence. Le tyran entra dans une grande fureur contre l'homme de Dieu. Entre autres injures, il lui dit :

- Ai-je à recevoir des conseils d'un homme vil comme vous, qui êtes indigne de l'épiscopat et mériteriez d'être jeté en pâture aux pourceaux ?

- Prince, répondit l'homme de Dieu avec une fierté noble et calme, je sais le respect que je dois à votre autorité, et, sur ce point, je ne pense pas avoir failli à mon devoir. Mais je n'oublie pas davantage que la dignité apostolique dont je suis revêtu est de beaucoup supérieure à celle des rois. Car il est d'institution divine que les rois et les autres princes doivent se soumettre à la juridiction spirituelle de l'évêque, alors même qu'il serait issu de race moins noble que la leur. Si donc vous avez souci du salut de votre âme, vous devez écouter les conseils que je vous donne. C'est le seul moyen de vivre en paix avec Dieu et de régner avec gloire sur vos sujets.

Ces paroles, loin d'amener le roi à résipiscence, ne firent que l'endurcir et l'enflammer contre celui qui se présentait comme le médecin le plus dévoué de son âme et son véritable ami.

Vengeance de Boleslas.

Stanislas avait acheté à un certain Pierre la terre de Piotrawin qu'il avait adjointe à son Église. Le prix convenu avait été entièrement payé. Néanmoins, soit négligence, soit excès de confiance, il n'avait pas exigé la signature du vendeur, l'affaire ayant été conclue devant plusieurs témoins. Boleslas appela ces derniers et s'efforça par ses menaces et ses caresses de les amener à ses vues, à quoi il réussit parfaitement. Pierre était mort depuis quelques années déjà. D'après les instructions du roi, ses neveux déclarèrent que ladite terre de Piotrawin avait été usurpée par l'évêché.

A cette nouvelle l'évêque se fit fort de les confondre tous par l'aveu même des témoins ; mais, hélas ! ces derniers parlant contre leur conscience, il vit, malgré ses efforts, sa cause perdue sans retour. Il ne put supporter une telle injustice. Saisi donc d'une sainte indignation, il demanda trois jours de délai.

- Cet espace de temps écoulé, je vous amènerai, comme témoin de la vérité, Pierre lui-même, quoiqu'il soit dans la terre depuis trois ans.

Un éclat de rire accueillit ses paroles. L'impie Boleslas se hâta d'accorder le délai sollicité, assuré qu'il était d'y trouver une nouvelle occasion d'humilier le serviteur de Dieu.

. Le témoignage d'un ressuscité.

Le prélat se retira avec quelques clercs et laïques fervents dans l’église bâtie à Piotrawin. Il imposa aux siens un jeûne rigoureux. Il se prosterna ensuite au pied de l'autel, où il ne cessa de demander avec larmes que le Seigneur lui envoyât son aide.

Vint le troisième jour. Après avoir célébré le saint Sacrifice, l'évêque se revêt de ses ornements pontificaux, et, suivi par son cortège, s'avance processionnellement vers le tombeau de Pierre.

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A la voix de saint Stanislas, un mort vient témoigner

en sa faveur devant le roi.

Arrivé là, il ordonne d’enlever la terre qui recouvre la tombe. Le cadavre était presque entièrement réduit en poussière. Stanislas se met à genoux et renouvelle ses instances auprès de Dieu dans une prière prolongée. Cette prière terminée, il touche de la main le cadavre.

- Pierre, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je t'ordonne de quitter la tombe pour venir rendre témoignage à la vérité trahie par les enfants des hommes.

Aussitôt, ô prodige ! Pierre se lève vivant. L'évêque le prend par la main ; un frisson d'effroi agite les assistants. Des émissaires courent annoncer le miracle à Boleslas en plein tribunal. Il ne veut pas. y croire. Vient enfin Stanislas, accompagné du ressuscité qu'il tient toujours par la main. Il se présente au roi :

- Prince, lui dit-il, voici le témoin le plus irrécusable de la vérité violée par vous et vos complices.

Le tyran se tut, épouvanté. Pierre alors, élevant la voix, s'écrie :- Voici que Dieu, touché des prières de son serviteur Stanislas, m'envoie sur la terre pour rendre

témoignage à la vérité devant ce tribunal. En présence de tous, je déclare que j'ai vendu ma terre à l'évêque et à son Eglise, et que j'en ai reçu le prix convenu. Quand à mes neveux, ils n'ont aucun droit sur elle. La calomnie seule a pu les conduire à la revendiquer.

A ces mots, il se tourne vers eux et leur dit :- Quelle folie a pu vous porter à commettre un tel crime, les uns par malice, les autres par

timidité ? Si vous ne faites pas pénitence aussitôt, Dieu fera peser sur vous son bras vengeur en cette vie et en l'autre. Forcé par cet argument non moins incontestable qu'étrange, le despote libertin déclare le droit du côté du saint prélat. Mais sa fureur, loin de tomber, n'en fut au contraire que fortifiée et enflammée davantage.

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Pensée d'un ressuscité sur la vie présente.

En sortant du tribunal, la foule se pressait autour du ressuscité pour lui adresser diverses questions. Il y répondit le moins possible :

- Car, disait-il, je ne dois le faire que par ordre de Stanislas. Celui-ci le reconduisit à son sépulcre, et là, en présence du peuple et des clercs, il lui fit cette demande :

- Pierre, veux-tu que, pour rendre grâce au Seigneur du bienfait qu'il vient de nous accorder, je lui demande de te laisser encore avec nous quelques années ?

- Père saint, répondit-il, que ferais-je dans cette vie misérable de la terre, qui doit plutôt être appelée mort que vie ? Je vous en supplie, ne m'empêchez pas d'aspirer à cette vie vraiment bienheu- reuse, où l'on voit Dieu face à face. Jusqu'ici j'étais dans les flammes du purgatoire, j'espère en sortir bientôt. Daignez donc prier pour moi le Seigneur, afin que mon espoir se réalise au plus vite ; ou, si la justice s'y oppose, que mes peines soient du moins en grande partie diminuées.

Le prélat n'insista pas. Il promit de prier beaucoup pour Pierre ; celui-ci descendit dans sa tombe et son âme s'échappant de son corps rentra dans l'éternité. Le clergé et le peuple récitèrent les prières habituelles pour les morts. La fosse fut comblée, et tous se retirèrent émerveillés et résolus en même temps de profiter du temps qui leur restait pour mener une vie plus édifiante, pour mériter la vie heu- reuse dont le ressuscité venait de parler.

L'autel ensanglanté.

Boleslas reçut encore du pontife plusieurs avertissements au sujet de ses crimes :- C'en est assez, dit-il enfin, il faut faire disparaître cet importun.La mort de l'évêque fut méditée et arrêtée en Conseil secret. Cette décision, malgré les

précautions prises pour la tenir cachée, fut connue du peuple. Stanislas en conçut une grande joie. Depuis longtemps, en effet, il désirait la palme du martyre.

Toutefois, le 11 avril 1079, jour où le crime devait être commis, le pontife, voulant célébrer la messe en lieu sûr, se retira dans un sanctuaire vénéré des Polonais et appelé l'église Saint-Michel.

Le roi l'y suivit de près avec des soldats. Quand ils arrivèrent, l'évêque avait commencé le saint Sacrifice. Le tyran attendit à la porte avec l'espoir d'en voir bientôt la fin. Mais Stanislas célébrait plus lentement que de coutume. Les meurtriers s'impatientaient. Boleslas envoya des soldats pour le tuer à l'autel. Ces derniers entrent résolus, mais à peine sont-ils au pied de l'autel qu'une force divine les renverse. Il leur est impossible de faire un pas en avant et ils ne parviennent à sortir de l'église qu'en se traînant péniblement par terre. Le roi ne veut pas croire ce qui leur est arrivé. Deux fois encore les meurtriers tentent d'accomplir le crime, deux fois encore ils sont renversés.

Enfin, Boleslas se résout à agir lui-même. Il marche donc vers l'autel. Rien ne l'arrête. D'un coup d'épée il tue sa victime, puis s'armant d'un couteau, il saisit par la tête le corps qui palpite, et pour le rendre le plus difforme possible, lui coupe les oreilles, le nez et les joues ; après quoi il le livre à la brutalité des soldats. Ceux-ci le découpent en morceaux qui sont dispersés dans la campagne par ordre du monstre couronné.

Sépulture miraculeuse.

Quatre jours après, le roi et ses conseillers vinrent visiter le lieu où avaient été jetés les membres de l'évêque martyr. Ils les croyaient dévorés par les chiens ou les oiseaux de proie. A leur stupéfaction, quatre beaux aigles voltigeaient autour de ces reliques, prêts à les défendre contre

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quiconque se serait approché pour les ravir. La nuit suivante, plusieurs chrétiens vertueux virent au-dessus de chaque lambeau du corps une lumière radieuse et très vive que l'on pouvait apercevoir de loin. Animés par ces prodiges et indignés de la lâcheté des parents du Saint, qui n'osaient enfreindre la défense de Boleslas, les chanoines de Cracovie, accompagnés de quelques laïques, allèrent durant la nuit recueillir les reliques vénérées. Par un nouveau miracle attestant une fois de plus la sainteté de l'évêque, ces restes précieux étaient à peine réunis, que le corps reprenait sa forme ordinaire, sans qu'il restât la moindre cicatrice, comme si le prélat fût mort de la mort la plus douce.

On l'enterra dans l'église Saint-Michel. Le prince n'osa pas troubler les funérailles par quelque crime nouveau. D'ailleurs, l'heure de la vengeance divine avait sonné. En 1081, tandis que la mémoire de saint Stanislas était bénie par tous les Polonais, Boleslas, excommunié et déclaré déchu du trône par saint Grégoire VII, était obligé de fuir en Hongrie sous la réprobation unanime de ses sujets. II y mourut au monastère d'Ossiac, en 1083, après une pénitence sévère que termina une mort heureuse, obtenue, dit-on, par l'intercession de sa victime.

Stanislas fut canonisé par innocent IV, le 17 septembre 1253, et en 1595, sous Clément VIII, sa fête fut inscrite au martyrologe romain, le 7 mai.

La dévotion à saint Stanislas.

Les reliques du saint évêque furent transférées de Skalkat (en français : la Rochelle, nom de la petite colline couronnée par l'église Saint-Michel, prés de laquelle Stanislas fut massacré) à la cathédrale de Cracovie, où elles sont conservées dans une magnifique châsse d'argent déposée sur l'autel au milieu du transept. Quant au chef du Saint, il est renfermé dans un précieux reliquaire d'or.

Chaque année, le dimanche après la fête de saint Stanislas, qui est célébrée le 8 mai en Pologne, le Chapitre de la cathédrale, ayant à sa tête le prince-archevêque, se rend en procession à l'église de Skalkat, qui a été reconstruite au XVIIIe siècle et appartient depuis 1172 aux moines Paulins. Les anciens rois de Pologne, depuis Ladislas le Bref (Lokietek) (1306-1333), avaient coutume de se rendre en pèlerinage de pénitence à ce sanctuaire, à la veille de leur couronnement. .

Le culte de saint Stanislas est très répandu en Pologne, où la plupart des diocèses l'ont pris pour patron. La basilique cathédrale de Wilna a été érigée sous son patronage et celui de saint Ladislas, roi. Sur l'ensemble du territoire polonais, on compte près de 300 églises en l'honneur du Saint. C'est aussi sous son vocable qu'est placé, à Rome, le sanctuaire national des Polonais ; il est enfin spé- cialement honoré à Nancy, depuis le séjour en Lorraine, du roi Stanislas de Pologne, au XVIIIe siècle.

A.B. Catoire.

Sources consultées. – Bollandistes. – Vincent, O.P., vita S.Stanislai (1260). – (V.S.B.P., n° 323.)

PAROLES DES SAINTS

Le jeûne.

Le jeûne est l'aliment de la vertu. C'est l'abstinence qui enfante les chastes pensées, les désirs raisonnables, les salutaires réflexions. Ces mortifications que vous vous imposez à vous-mêmes mortifient la concupiscence, retrempent les âmes, leur impriment une énergie nouvelle. De ce que vont retranchez à votre table, faites la part du pauvre.

Saint Léon Le Grand.

(Homélies)

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SAINT ACACE DE BYZANCESoldat et martyr († 303 ou 306)

Fête le 8 mai.

PARMI les huit Saints du nom d'Acace que mentionne à des dates diverses le Martyrologe romain, une place de choix revient à un soldat cappadocien, martyrisé au début du IVe siècle, dans la ville de Constantinople. Il est avec le prêtre saint Mucius, décapité en 311 dans la même cité, le seul martyr de Byzance qui se rattache aux persécutions romaines. Une rédaction grecque de la Passion de ce témoin du Christ conservée dans un manuscrit de l'antique abbaye de Grotta-Ferrata, près de Rome, est regardée par les Bollandistes comme remontant à l'époque de Constantin le Grand et digne de confiance. A la réserve de quelques discours trop longs et trop nuancés pour n'avoir pas été composés à loisir, cette relation offre en effet, beaucoup de marques d'antiquité et de vérité historique.

Un soldat chrétien. Persécution de Dioclétien et de Galère.

Acace, appelé par les Martyrologes latins Agathius, Acathius, Agatus, Achaicus, et dont le nom en grec (Akakios) signifie exempt de malice, appartenait à une famille chrétienne, de langue grecque. II naquit, probablement vers 270, en Cappadoce. Province romaine depuis l'empereur Tibère, la Cappadoce, située à l'intérieur de l'Asie Mineure, entre le Pont, l'Arménie et la Cilicie, avait été évangélisée de bonne heure.

Ses principales villes : Césarée, Nysse, Tyane, comptaient de nombreux et fervents chrétiens qui, durant les persécutions de Maximien et de Julien l'Apostat, restèrent fidèles à la foi du Christ. Comme le faisaient à cette époque plusieurs de ses coreligionnaires, Acace prit de bonne heure du service dans l'armée impériale. Il obtint même le grade de centurion, s'il faut en croire un passage de ses Actes qui partout ailleurs le présentent comme simple soldat. En tout cas, sa carrière militaire ne fut pas de longue durée.

A l'occasion des édits persécuteurs de Dioclétien et surtout de Galère, le jeune soldat n'hésita pas à rester fidèle à son baptême et à renoncer au service de César. Dès les premières années du IVe siècle, des mesures administratives furent prises pour éliminer de l'armée impériale d'Orient les éléments chrétiens qu'elle renfermait. Un grand nombre de soldats durent de ce chef abandonner la profession des armes. Après l'abdication de Dioclétien en 305, Maximin Daïa, un barbare mal dégrossi, fut préposé au gouvernement de la Syrie et de l'Egypte, tandis que Galère s'adjoignit, avec l'Illyricum, les « diocèses » de Thrace, d'Asie Mineure et du Pont. Galère était dévot, Maximin cruel et fanatique. Dans leurs Etats, la persécution contre la religion chrétienne fut générale et violente. Des édits impériaux furent promulgués ordonnant que tous les chrétiens fussent contraints, au besoin par la torture, de sacrifier aux idoles. Pour briser les résistances intrépides et provoquer l'apostasie, certains magistrats d'Asie et d'Egypte eurent recours à des supplices d'une cruauté vraiment diabolique.

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Saint Acace proclame avec courage sa foi au Christ.

Comme les autres soldats de sa compagnie, Acace fut cité devant le gouverneur de Cappadoce, Flavius Firmus (ou simplement peut-être devant un tribun de ce nom, son chef hiérarchique). Interrogé au sujet de sa religion, et invité pour obéir aux édits impériaux à sacrifier aux idoles, il répondit : « Je suis né dans la religion chrétienne ; je suis donc chrétien et toujours je le serai avec le secours de Dieu, comme mes parents. » Insensible aux menaces qui lui furent faites alors par le magistrat, le soldat affirma à trois reprises sa foi au Christ et protesta de sa volonté de lui rester fidèle. Flavius Firmus fit alors arrêter et charger de chaînes le centurion Acace, parce que coupable de suivre la religion chrétienne proscrite par les édits des empereurs. Il le fit conduire sous bonne escorte à Héraclée de Thrace (c'est la ville actuelle de Selybia ou Silivri, située sur la mer de Marmara, à une distance assez rapprochée de Constantinople), auprès d'un officier supérieur nommé Bibianus. Les Actes du martyr ne nous expliquent pas la raison de la comparution du prisonnier devant ce tribunal militaire.

Saint Acace cruellement frappé à coups de nerfs de bœuf.

Bibianus, après avoir été informé du motif pour lequel le soldat Acace lui était adressé, voulut l'interroger lui-même. « Pourquoi donc, lui dit-il, puisque l'on te nomme Acace, c'est-à-dire exempt de malice, es-tu devenu mauvais à ce point de désobéir aux ordres des divins empereurs ? » Le prisonnier répondit : « Je mérite d'autant mieux d'être appelé Acace, que je refuse plus énergique-ment tout commerce avec les idoles qui sont des démons avides de sang et avec ceux qui les vénèrent. » Cette fière réponse n'avait rien de flatteur, il faut l'avouer, pour les « divins » empereurs de ce temps ni pour leurs partisans. Bibianus se montra indigné de tant d'audace chez un prisonnier. Il en vint aux menaces. « Tu sais, dit-il, que les édits ordonnent aux chrétiens, et cela sous les peines les plus sévères, de sacrifier aux dieux de l'empire et de les honorer. Si tu ne veux pas subir de cruelles tortures, tu n'as qu'à obéir et à sacrifier. » Acace se hâta de répondre : « Ne crois pas m'effrayer en me menaçant des derniers supplices. Mon corps est tout prêt ; fais-en ce que tu voudras. Disciple du Christ, je ne veux pas sacrifier aux démons. Ma résolution est inébranlable : ni les empereurs, ni les démons, ni les tourments ne pourront la changer. »

Ces paroles si résolues et si énergiques montrèrent à Bibianus qu'il n'arriverait pas par des discours ou de simples menaces à faire apostasier le soldat cappadocien. Il se décida à recourir aux supplices. « J'aurais pu, dit-il à Acace, te soumettre aussitôt à la torture : je ne l'ai pas voulu par pitié pour ta jeunesse et par égard pour ton grade militaire. Mais je ne puis souffrir que, sommé d'obéir aux lois de l'empire, tu refuges, dans ta folie, de sacrifier à nos dieux. » Il fit planter en terre quatre pieux, ordonna d'y attacher le prisonnier et de le flageller à coups de nerfs de bœuf sur le dos et sur le ventre. Acace fut donc dépouillé de ses vêtements, étendu sur le sol, les poignets et les pieds solidement fixés aux quatre pieux. Une équipe de six hommes se mit à le frapper avec une telle vio-lence que des flots de sang s'échappaient de sa chair mise en lambeaux. Quand on l'eut frappé d'un côté, on retourna son corps pour le frapper de l'autre, de manière à n'en faire qu'une immense plaie. Pendant que le martyr était ainsi cruellement déchiré jusqu'à lasser ses bourreaux, il suppliait le Seigneur de ne pas abandonner son humble serviteur et de venir à son secours.

Ce supplice terminé, Bibianus interpella Acace. « Sacrifieras-tu maintenant, malheureux ? Est-ce que tu préfères ce supplice à l'amitié de César ? - Je ne sacrifierai jamais, lui répondit le confesseur de la foi. Le Christ m'a soutenu et je suis aussi résolu qu'auparavant. » Le juge en fureur ordonna qu'on le frappât aux mâchoires et aux diverses jointures des membres avec une massue de plomb. Puis il fit jeter « l'impie Acace, jadis centurion », dans un cachot infect, en spécifiant qu'on ne devait lui donner aucun soin et le moins possible de nourriture.

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Sur la route de Constantinople.Étonnement et colère d'un juge.

Enfermé dans la prison d'Héraclée, Acace y demeura plus d'une semaine, souffrant beaucoup des blessures reçues, mais joyeux cependant d'avoir été jugé digne de confesser la foi chrétienne. Dans l'intervalle, Bibianus recevait l'ordre de se rendre à Constantinople. Il décida que le soldat cappadocien serait transféré, avec d'autres prisonniers, dans cette ville. Mais les tortures subies, les mauvais traitements des geôliers, avaient beaucoup affaibli les forces du martyr. Durant sa captivité, ses plaies n'avaient pu que s'envenimer. Toujours chargé de chaînes, à peine nourri, son corps apparaissait incapable d'entreprendre un si long voyage ; dans les conditions où il allait se faire, ce voyage était un véritable supplice. Il fallut cependant obéir. Après quelques heures de marche, Acace sentit les forces lui manquer entièrement. Il supplia les soldats de l'escorte de lui permettre de s'arrêter un peu de temps afin d'invoquer son Dieu. Il était si exténué qu'on ne put lui refuser cette faveur.

Alors, à haute voix, il se mit à supplier le Seigneur d'envoyer son ange pour que, ainsi secouru, il put arriver à Constantinople et y mourir en rendant témoignage à la vraie foi. Quelques instants après, l'on entendit comme sortant des nuages (le ciel en était alors couvert) une voix qui disait : « Acace, sois fort et robuste. » Les soldats de l'escorte et les prisonniers furent stupéfaits d'entendre ces paroles sans apercevoir la personne qui les prononçait. « Les nuages parlent-ils donc maintenant ? » se dirent-ils. Quelques païens, fort émus par ce fait extraordinaire, demandèrent à Acace de vouloir bien le leur expliquer. Il en profita pour les instruire de la religion chrétienne durant les longues heures du voyage.

Peu de temps après que le cortège des prisonniers fut arrivé â Byzance, Bibianus fit de nouveau comparaître Acace. Etonné de le trouver si bien portant, fort comme un athlète, alors qu'il le croyait complètement épuisé et anéanti par les tortures déjà subies, les privations du cachot, les fatigues du voyage, il s'en prit au geôlier et au chef de l'escorte. Tous deux protestèrent de leur fidélité à exécuter les ordres reçus ; eux-mêmes ne s'expliquaient pas pourquoi ce chrétien se trouvait, malgré tous leurs efforts encore si vaillant. Par la menace de nouvelles tortures, Bibianus essaya encore d'amener Acace à renier sa foi. « Si tes menaces m'inspiraient quelque crainte, lui répondit ce dernier, je ferais ce que tu désires. Mais je méprise tes menaces. Continue de faire souffrir des hommes qui n'ont commis aucun mal et qui ne t'ont adressé aucune parole injurieuse. » Plein de colère, le juge fit infliger au soldat une cruelle et sanglante flagellation.

Saint Acace est condamné à mort et décapité.

Acace fut ensuite envoyé devant le tribunal d'un magistrat nommé Flaccinus, que les Actes gratifient du titre de proconsul de la province d'Europe ou de Thrace. L'épouse de ce haut fonctionnaire, était favorable aux chrétiens, peut-être même chrétienne. Elle avait obtenu de son mari qu'il ne soumettrait pas à la torture les chrétiens qui comparaissaient devant lui pour recevoir une sentence de mort. Ayant pris connaissance de la procédure et des supplices auxquels le soldat cappadocien avait été soumis, sans résultat d'ailleurs, il blâma l'officier Bibianus de n'avoir pas fait mettre à mort le prisonnier dès son refus bien constaté d'obéir aux édits impériaux et de sacrifier aux idoles. Il fit ensuite comparaître Acace, et, sans le soumettre à un nouvel interrogatoire, sans lui demander si oui ou non il voulait enfin adorer les dieux de l'empire, il le condamna à mort. Le soldat chrétien, coupable de rester fidèle au Christ, devait avoir la tête tranchée, hors de l'enceinte de Constantinople, devant une des portes principales.

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Le martyr accueillit avec joie cette sentence dont l'exécution, allait bientôt le mettre en posse- ssion du ciel. Il remercia Jésus-Christ de lui accorder, à lui pauvre pécheur, une si belle couronne de gloire. Il ne tardait pas à être conduit hors des murs de la ville, au lieu choisi pour la décapitation. Arrivé là, et ayant obtenu qu'on lui accordât quelques instants, il en profita pour préparer son âme à paraître devant Dieu.

Saint Acace, à bout de forces, supplie Dieu de le souteniret de lui permettre d’arriver à Byzance où il doit subir le martyre.

Quand il eut achevé sa prière, Acace eut la tête tranchée par le glaive. C'était probablement le 8 mai de l'année 306. Galère gouvernait comme auguste les provinces de Thrace, d'Asie et du Pont. La persécution sévissait très violente. Dans toutes ces régions d'Orient, Galère, et Maximin sa créature, voulaient exterminer la religion chrétienne. Toutefois les Bollandistes placent le martyre de saint Acace en 303, avant l'abdication de Dioclétien. Le Martyrologe hiéronymien joint à saint Acace, soixante-dix-sept compagnons de martyre, parmi lesquels un prêtre nommé Maxime et un diacre du nom d'Antho.

Le tombeau du martyr.

Des fidèles de la ville de Constantinople vinrent prendre avec respect le corps de saint Acace, ils l'ensevelirent pieusement dans un endroit qu'on appelait Stavrion. Le lieu de la sépulture état sinon l'emplacement même de la décapitation, au moins un endroit très voisin, car les documents fort anciens qui parlent du tombeau du martyr ne distinguent pas entre le lieu de la sépulture et celui de l'exécution capitale. Le Stavrion appartenait à la région ou quartier que l'on nommait le Zeugma. Ce quartier de la rive méridionale de la Corne d'Or n'était pas compris dans l'enceinte de Constantinople

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au début du IVe siècle. Il embrassait la vaste étendue de terrain située entre les deux ponts actuels de la Corne d'Or, la porte Oun Kapan Kapoussi et la mosquée Yeni-Djami : c'est la partie où la Corne d'Or est la plus étroite et la plus facile à relier avec la ville opposée de Galata. Un des points de ce quartier du Zeugma situé dans la banlieue byzantine était désigné sous le nom de Stavrion : c'est là que saint Acace fut martyrisé et enseveli. Le moderne Ayasma-Kapoussi est peut-être une réminiscence de l'endroit historique.

Les églises Saint-Acace à Constantinople.

A Constantinople, peu de temps après le martyre, un sanctuaire fut élevé à l'endroit même où se trouvait la dépouille mortelle de saint Acace. Cela se produisit très probablement lorsque Constantin le Grand élargit (vers 330) le périmètre de sa nouvelle capitale. Le Zeugma devenant un quartier de la ville proprement dite, une petite église, la première dédiée au martyr cappadocien, fut construite au Stavrion, à l'endroit du tombeau. L'historien grec Socrate (Ve siècle) atteste l'existence de ce sanctuaire sous le règne d'Arcadius (395-408) et nous fournit à son sujet quelques renseignements intéressants. « Il y a dit-il, à Constantinople, un grand bâtiment appelé Karya. Il se trouve, en effet, dans la cour de cet édifice un noyer (dendroukaroia), auquel, dit-on, le martyr Acace aurait été suspendu pour être exécuté. C'est pour ce motif qu'on a érigé contre cet arbre un petit oratoire. »

Les Actes de saint Acace ne mentionnent pas sa suspension à un arbre quelconque ; la tradition populaire, rapportée par Socrate, aura confondu saint Acace de Cappadoce avec son homonyme saint Acace de Milet, martyr sous Licinius (308-311) et fêté le 28 juillet. En effet, pour ce martyr, les synaxaires disent qu'il fut suspendu à un arbre.

L'empereur .Arcadius venait quelquefois faire ses dévotions au modeste sanctuaire de Karya. Un jour, c'était dans les premières années du Ve siècle, le souverain était à peine sorti des environs immédiats de la petite église, sous les yeux d'une foule de curieux accourue pour voir le prince et son cortège, que le grand bâtiment qui entourait l'oratoire s'effondra, causant très probablement la ruine de ce dernier, mais il n'y eut aucune victime. Un grand cri d'admiration s'éleva aussitôt, attribuant à la prière de l'empereur la protection de tant de monde. Le sanctuaire de Karya fut magnifiquement restauré, environ deux cents ans plus tard, au temps des empereurs Justin II (565-578) et Tibère (578-582).Le martyr saint Acace avait aussi à Constantinople une autre église, d'ailleurs beaucoup plus vaste et plus célèbre dans l'histoire que celle du Stavrion. Elle se trouvait sur les bords de la Marmara, probablement dans le quartier actuel de Koum-Kapou, dans le vieux Stamboul. Constantin le Grand, l'aurait fait élever, selon ce qu'affirment plusieurs historiens byzantins. A cette occasion, le corps de saint Acace dut être transporté du petit oratoire de Karya dans le nouveau sanctuaire connu sous le nom de Saint-Acace de l'Heptascalon. Sous l'empereur Basile le Macédonien (IXe siècle), on restaura ce magnifique édifice.

Culte et reliques de saint Acace.

Le culte de saint Acace est resté longtemps très populaire en Orient. Ce martyr cappadocien est mentionné, au 7 ou 8 mai, non seulement par les synaxaires ou ménologes grecs, mais aussi par les calendriers syriaques et arméniens. Ce furent sans doute les Croisés qui le firent connaître à l'Europe occidentale. Saint Acace est compté, à côté des saints Georges et Blaise, parmi les quatorze Saints Auxiliateurs. Il est vrai que dans les listes de ces Saints particulièrement secourables aux hommes, Acace de Byzance est parfois confondu avec l'un ou l'autre de ses nombreux homonymes, très vénérés eux aussi : sous la plume des copistes ou des hagiographes, son nom reçoit aussi des formes fantaisistes ; il est certain cependant qu'il s'agit du soldat cappadocien martyrisé à Byzance, au début du IVe siècle. Là où son culte s'est conservé, saint Acace est spécialement invoqué pour les agonisants.

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La ville de Squillace, en Calabre, prétend depuis plusieurs siècles posséder des reliques insignes, le corps même de saint Acace de Byzance ; ce martyr est son patron. Au XVIIe siècle, le grave Til-lemont était d'avis qu'il s'agissait vraisemblablement d'un autre personnage. En Espagne, les localités d'Avila et de Cuenca honorent aussi des reliques de saint Acace. Le Martyrologe romain, à la date du 8 mai, mentionne le martyre du soldat cappadocien. C'est à ce même jour ou au jour précédent que les Églises d'Occident et d'Orient fêtent saint Acace de Byzance.

F.C.

Sources consultées. - Acta Sanctorum (mai, t. II). - P.Sévérien Salaville, Les églises Saint-Acace, à Constantinople, dans Échos d'Orient (t. XII, Paris,1909) ; Acace (n° 2), dans Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique, de Mgr Baudrillart, Vogt et Rouziès (Paris, 1912). Tillemont, Mémoires, etc. (t. V, 389). - (V.S.B.P., n°1209.)

PAROLES DES SAINTS

Par la crainte à la sagesse.

Lorsque le prophète donnait la première place à la sagesse, lumière indéfectible de la raison, il y a joint l'intelligence ; comme s'il répondait à ceux qui le demandent que l'on parvient à la sagesse par l'intelligence, à l'intelligence par la réflexion, à la réflexion par la force, à la force par la science, à la science par la piété, à la piété par la crainte.

Donc, par la crainte, à la sagesse, puisque la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. De la vallée des larmes jusqu'à la montagne de la paix.

Saint Augustin.La jactance.

Quand la vanité s'est donné de l'importance, quand la vessie s'est gonflée il faut bien qu'il s'y ouvre un trou pour qu'elle se dégonfle, pour qu'elle lâche son vent, ou bien elle crèvera. Ainsi notre homme qui déborde de contentement de soi-même, il faut qu'il parle, sans quoi il éclatera, car il est plein de paroles, et son esprit l'étouffe. Il a faim et soif d'auditeurs, devant lesquels il étale ses vanités et répand ses sentiments, auxquels il fasse connaître qui il est et ce qu'il vaut. Trouve-t-il une occasion de parler, si la conversation roule sur les lettres, il cite les anciens et les modernes, les maximes volent, les mots ampoulés résonnent. Il devance les questions, répond à qui ne l'interroge pas ; il fait la demande et la réponse, coupe la parole à son interlocuteur. Mais quand la cloche sonne, et qu'après une grande heure il faut interrompre l'entretien, il se plaint d'avoir eu si peu de temps, il sollicite la permission de revenir à ses sornettes après l'heure passée : non qu'il veuille édifier, mais pour faire étalage de sa science. Édifier, il le pourrait, mais ce n'est pas cela qui le préoccupe. Il n'a cure de vous instruire, ni d'apprendre de vous ce qu'il ignore ; l'important est qu'on sache qu'il sait ce qu'il sait. S'agit-il de religion ? il cite aussitôt des visions et des songes. Puis il fait l'éloge du jeûne, recommande les veilles, exalte par-dessus tout l'oraison ; sur la patience, sur l'humilité, sur toutes les vertus, il discute avec une abondance qui n'a d'égale que sa vanité ; il faut qu'on soit tenté de dire, à l'entendre, que sa bouche parle de l'abondance du cœur, que cet homme excellent tire le bien de son bon trésor. Mais si la conversation tourne à la plaisanterie, il devient d'autant plus loquace que ce thème lui est plus familier ; écoutez-le, et dites si ce n'est pas un ruisseau de futilités, un fleuve de bouffonnerie qui coule de sa bouche, tant et si bien qu'il force à rire, comme des gens légers, des hommes austères et graves. Pour tout dire en un mot, ce bavardage est de la jactance.

Saint Bernard.

(Des degrés de l'humilité, XIII.)54

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SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZEArchevêque de Constantinople et docteur de l'Église (328 ?- 389).

Fête le 9 mai.

SAINT Grégoire de Nazianze fut le fruit des pleurs et des humbles prières de sainte Nonna, sa mère, qui habitait à Arianze ou près d'Arianze, en Cappadoce. « Seigneur, donnez-moi un fils, redisait sans cesse la pieuse femme, afin que je puisse le consacrer au service de vos autels. »

Une nuit, vers l'an 328 ou 329, elle s'endort tout en larmes, en répétant son oraison habituelle. Un enfant d'une céleste beauté lui apparaît alors. Tandis qu'elle le contemple avec amour, ces paroles retentissent : « Voici le fils que le ciel t'accorde ; nomme-le Grégoire, car telle est la volonté d'en haut. »

Dans sa joie d'être mère d'un ministre de Jésus-Christ, Nonna oublia les douleurs de l'enfantement. A peine avait-elle reçu dans ses bras le petit être que, joyeuse, elle l'offrit au Sauveur.

Sa piété lui valut de nouvelles grâces. Dans la suite, elle donna le jour à deux autres Saints : un fils, nommé Césaire, et, une fille, Gorgonia. A son époux, qui lui aussi portait le nom de Grégoire, et qui vivait dans le paganisme, elle mérita la grâce de la conversion. Après quatre ans de persévérance dans les vertus chrétiennes, Grégoire fut élevé, par ses concitoyens, de la dignité de premier magistrat de Nazianze à celle de pasteur et d'évêque. Nonna est honorée dans l'Eglise à la date du 5 août.

L'éducation au foyer domestique - Chastes fiançailles.

L'innocence de ses enfants était pour sainte Nonna le trésor le plus cher. Aussi, ne voulut-elle confier à personne le soin de leur première éducation. Elle-même leur apprit à lire dans la Bible ; leur faisant comprendre et aimer les enseignements de ce livre divin.

Dans une terre bien préparée, le grain de froment rend le centuple. Les exemples de Nonna avaient tout spécialement disposé Grégoire à la vertu. Aussi, les dons divins fructifièrent-ils heureu-sement dans son âme. Malgré sa jeunesse, il fuyait les jeux, les festins et la société des femmes, afin de pouvoir se livrer plus longtemps à la méditation et à l'étude. Toujours, il redoutait de tomber dans le péché. Il marchait devant le Seigneur avec crainte et tremblement, son innocence lui valut cependant, les faveurs d'en haut.

Un jour, raconte-t-il lui-même, j'aperçus près de moi deux vierges d'une majesté surhumaine, on aurait dit deux sœurs. La simplicité et la modestie de leurs vêtements, plus blancs que la neige, faisaient toute leur parure. A leur vue, je tressaillis d'un transport céleste. Mais comment rendre ce qui se passa en moi, quand elles vinrent me couvrir de baisers ! « Nous sommes la tempérance et la chasteté, me dirent-elles. Nous siégeons auprès du Christ-Roi. Donne-toi tout à nous, cher fils ; accepte notre joug ! Nous t'introduirons un jour dans les splendeurs de l'immortelle Trinité ! »

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La tempête apaisée.

Grégoire fut fidèle aux deux austères compagnes que le ciel lui donnait. Aussi put-il se livrer tout entier à l'étude. Sa science se développa à l'égale de sa piété. Après quelques années, les maîtres de Nazianze, de Césarée de Cappadoce, puis, de Césarée de Palestine, et enfin d'Alexandrie, n'eurent plus rien à lui apprendre. Il s'embarqua donc pour Athènes, la métropole des lettres et des arts.

Le démon, cependant, ne voyait pas sans terreur Grégoire avancer dans les connaissances divines et humaines. Il devinait en lui un adversaire terrible pour l'avenir. Pour se mettre à l'abri de toute défaite, Satan voulut se débarrasser de son ennemi pendant la traversée ; tout à coup, il obscurcit le ciel, excite les vents, soulève les flots. Le navire qui porte le jeune homme est assailli par une furieuse tempête. « La neuvième plaie d'Égypte ne fut pas plus terrible », dit un contemporain. Passagers et matelots, tous pleuraient la vie et les biens d'ici-bas, que le naufrage allait leur enlever.

Seul, Grégoire déplorait le malheur de son âme ; selon un usage du temps, il n'avait pas encore reçu le baptême ; il allait donc trouver la mort dans les eaux, avant que d'y puiser le salut comme tous les chrétiens. « Seigneur, répétait-il en sanglotant, si vous nous sauvez, si je puis être baptisé, je ne vivrai plus que pour vous. » Cependant, dans un songe mystérieux, sainte Nonna a vu le danger de son fils. Elle aussi se jette à genoux ; elle rappelle au Seigneur les promesses qu'elle en a reçues en faveur de Grégoire. Comment l'offrira-t-elle au service des autels si la mer l'engloutit avant même qu'il soit devenu membre vivant de l'Eglise ?

De sa demeure de Nazianze, la pieuse femme faisait plus que les matelots qui luttaient contre l'ouragan. En effet, un des serviteurs qui accompagnaient Grégoire s'écria : « Je vois Nonna, ma maî-tresse, marcher sur les eaux et guider le vaisseau vers le port. » Pour confirmer ces paroles, la tempête s'apaisa sur-le-champ ; tous les païens présents embrassèrent la foi du Christ.

Un ami sincère et un faux ami.

Le monde est plus à craindre encore que l'Océan en courroux. Ce fut dans le baptême, reçu vers l'an 360, et les sacrements que Grégoire alla chercher la force d'échapper aux périls qui l'attendaient à Athènes ; pour l'aider encore dans la lutte, Dieu lui fit rencontrer un jeune homme destiné aussi à de grandes choses c'était saint Basile, d'un ou deux ans plus jeune que lui.

Ces deux âmes, si dignes l'une de l'autre, s'unirent bientôt par les liens d'une affection immortelle. Les nouveaux amis se communiquaient leurs pensées les plus intimes, le désir qu'ils avaient également de la perfection chrétienne. Ils demeuraient ensemble dans une studieuse retraite, partageant leur temps entre des prières et des travaux communs.

Marchant en tête dans la voie de la perfection, les deux amis tenaient aussi la première place dans la carrière des sciences et des lettres à tel point que, partout où l'on parlait d'Athènes et de ses maîtres habiles, on citait Basile et Grégoire. Il y avait alors un autre étudiant, appelé à devenir tristement célèbre sous le nom de Julien l'Apostat ; sa compagnie était évitée avec soin par les deux amis.

Cependant, ceux-ci avaient parcouru tout le cycle des études. Ils allaient quitter Athènes et se séparer l'un de l'autre. Toute la ville s'en émut. Professeurs et élèves les entouraient, en les conjurant de rester encore. Basile, inexorable, s'arracha à tant de regrets. Grégoire, toujours doux et humble, ne sut pas résister. Il accepta une chaire d'éloquence. Cependant, tous les deux se retirèrent quelque temps aux bords de l'Iris, où ils s'essayèrent à la vie monastique. En 361, Grégoire se déroba sans bruit à ses disciples, pour aller rejoindre sa famille à Nazianze.

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Saint Grégoire à Nazianze, puis de nouveau dans la solitude

C'était l'amour filial qui lui avait dicté cette résolution. Son père, accablé de vieillesse, ne pouvait plus suffire au gouvernement de son Eglise. Il avait réclamé le secours et l'appui de Grégoire.

Celui-ci, tout en vaquant à ses nouveaux devoirs, engagea contre sa chair une lutte ardente et persévérante. La terre nue lui servait de lit. Le jeûne était sa nourriture habituelle.

Grégoire puisait l'énergie d'une telle mortification dans la prière et la méditation. Aussi, tout en remplissant auprès du vieil évêque de Nazianze les fonctions de secrétaire et de majordome, il gémissait d'avoir à laisser l'oraison pour gouverner, disait-il, les serviteurs de son père tentés d'abuser de la facilité des bons maîtres, pour déjouer les fraudes des agents du fisc, ou soutenir en justice la cause des plaideurs.

D'Athènes, saint Basile était passé dans les solitudes de la région du Pont, et y vivait en anachorète. Connaissant l'attrait de Grégoire pour le silence, le calme et la méditation, il essayait de l'attirer en lui dépeignant en termes heureux sa vie toute de prière et de travail.

Il n'en fallait pas tant pour décider Grégoire qui bientôt vint rejoindre Basile au désert. Plus tard, lancé au milieu des agitations du monde, il évoquait en soupirant cette période bénie de son existence.

Saint Grégoire et Julien l'Apostat.

Cependant, Julien était monté en 361 sur le trône impérial. II se souvint alors de ceux dont il avait voulu autrefois partager l'amitié à Athènes ; il osa, dans une lettre, demander à Basile de venir aider de son expérience et de ses conseils celui qui avait été autrefois « son compagnon d'étude ». Le Saint refusa, sans égard pour l'orgueil du César renégat. Grégoire alla plus loin : son frère, Césaire, médecin du prince, résidait au palais ; il lui écrivit :

En restant à la cour, ou tu resteras chrétien de cœur, et l'opinion publique te rangera parmi ces caractères lâches et timides, qui vivent dans le déshonneur et la honte ; ou bien, tu ne garderas plus de mesure, tu rechercheras les dignités à tout prix, et tu oublieras alors la seule affaire importante, celle du salut. Dans ce cas, si tu échappes aux flammes de l'enfer, tu en sentiras au moins la fumée.

Césaire comprit le danger. Bientôt, il vint, à côté de Grégoire et de Basile, chercher un refuge dans la solitude cénobitique du Pont.

Ordination de saint Grégoire.

De nouveau, l'évêque de Nazianze avait réclamé ses fils avec plus d'instances que jamais. Ceux-ci durent se rendre à son appel. Le vieillard, pour fixer Grégoire auprès de lui, voulut l'ordonner prêtre. L'humble anachorète fut donc saisi et conduit de force aux pieds de son père qui lui imposa les mains, vers 362. Comme là victime qui se dérobe au sacrificateur, le nouvel ordonné s'échappa immédiatement après la cérémonie, et regagna sa retraite. Les fidèles de Nazianze vinrent bientôt l'y chercher pour le ramener dans leur église, et Grégoire dut paraître dans la chaire sacrée pour expliquer ses refus et ses scrupules qu'inspirait une humilité excessive.

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Les écoles au IVe siècle.

Ces préoccupations d'un esprit naturellement timide et inquiet n'entravaient nullement les forces de Grégoire ; son énergie grandissait en proportion de l'audace des méchants. Pour anéantir le christianisme, Julien l'Apostat voulut réduire tous les enfants des chrétiens à l'ignorance. Plus radical que ses successeurs, il publia un décret écartant de l'enseignement tous les disciples du Christ, refusant aux adultes le droit d'instruire la jeunesse, et, chose encore plus odieuse, privant leurs enfants de la fréquentation des écoles.

Grégoire se mit alors à composer, sur des thèmes de théologie et de morale, ou sur des sujets tirés de la Bible et des hymnes, des idylles, des élégies, des odes et des tragédies. Il écrivit plus de trente mille vers. Ses poésies, admirables par l'élévation de la pensée et la beauté de l'expression, remplacèrent avantageusement, pour les enfants chrétiens, les livres païens qu'un tyran leur fermait.

Divers travaux de saint Grégoire.

La persécution, du reste, ne fut pas très longue. Bientôt, Grégoire pu annoncer aux fidèles terrifiés la mort du prince renégat. Il perdit sainte Gorgonia, sa sœur, à qui il avait écrit, le jour de son mariage : « Demandez à Jésus-Christ une nombreuse famille, pour augmenter le nombre de ses adorateurs. » Césaire, son frère, et sa pieuse mère Nomma moururent successivement. Au milieu de ces peines, il reçut la visite de son ami saint Basile, qui désirait diviser le vaste diocèse de Césarée et le répartir entre plusieurs suffragants ; Basile décida Grégoire à devenir évêque de Sasima, en Cappadoce, et lui-même lui imposa les mains, à Nazianze, en 371 ou 372.

Saint Grégoire encouragé par la tempérance et la chasteté.

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Les responsabilités de la charge épiscopale, et les services de collecteur de dîmes, que lui demandait saint Basile, furent bientôt trop pénibles pour ses épaules. Il avertit Basile, et retourna dans la solitude. Les appels de son père mourant, l'en arrachèrent. Le vieillard lui confia son Eglise de Nazianze, et rejoignit au tombeau en 374, tous les siens qui l'y avaient précédé.

Grégoire se retira de nouveau dans la solitude, à Isauris, où il apprit, au début de l'année 379, la mort de son ami saint Basile.

Saint Grégoire archevêque de Constantinople.

A cette époque, Constantinople était une véritable sentine d'hérésies. Démophile, évêque arien, leur donnait à toutes, l'hospitalité. Le petit nombre de catholiques qui avaient survécu étaient sans pasteur et sans église. Dans cette triste situation, Dieu leur inspira d'appeler à leur secours l'illustre évêque de Nazianze. Ils vinrent le trouver dans son cloître, en 379.

« Verbe divin, s'écria l'humble Grégoire, c'est pour toi que je demeurais ici, pour toi, encore, je m'en éloignerai : envoie-moi un de tes anges pour me conduire », et il se dirigea vers Constantinople.

Le parti qui l'avait appelé était sans crédit, sans richesses, sans influence, n'ayant pas même de logement à offrir à son nouvel évêque. Le Pontife reçut l'hospitalité dans une famille alliée de la sienne ; en guise de cathédrale, il avait la petite chapelle de l'Anastasis (Résurrection), où il réunissait les fidèles.

Il s'y tint plusieurs jours enfermé, étudiant les hommes et les choses, jeûnant, priant et pleurant ; un morceau de pain, une poignée d'herbes faisaient toute sa nourriture.

Cependant, dira-t-il plus tard, si j'eusse amené avec moi la peste dans la cité, je n'aurais pas été plus haï. On m'accusait de idolâtrie parce que je prêchais le mystère de l'auguste Trinité, un seul Dieu en trois Personne. Ma maison était assaillie par une grêle de pierres. L'orage recommençait surtout à l'heure de mes repas, comme si j'avais été affamé de cette nourriture indigeste. Les évêques ariens s'étaient promis de me séduire. « Nous savons flatter, et vous non, venaient-ils me dire ; nous fréquentons les cours, et vous les églises ; nous aimons les festins somptueux, vous vivez en moine ; nous savons nous conformer au temps et à l'opinion publique, vous êtes une véritable enclume, d’autant plus dure qu'on la frappe davantage. Homme de bien ! voyez ce que vous faites avec votre genre de vie et vos belles théories. Le peuple se divise de plus en plus à votre sujet, Pour les uns, vous êtes un aimant attractif ; pour les autres, une fronde à laquelle on riposte. »

A force de douceur, de patience et de modération, Grégoire conquit l'amour de ses ennemis eux-mêmes ; on accourut en foule pour entendre ses enseignements. Il exposa tout le dogme catholique dans une suite de sermons remplis autant de doctrine que d'éloquence. Il mérita ainsi le surnom de Théologien, avec lequel il figure au Martyrologe.

Les ariens contribuent au succès de saint Grégoire.

Les hérétiques, pour mieux constater leur défaite, avaient recours à des scènes de violence. Ils achevaient ainsi de se déshonorer dans l'opinion et multipliaient, sans le vouloir, les conversions. Les fidèles voulaient aller demander vengeance à l'empereur Théodose.

« La patience vaut mieux encore, répondit le Pontife ; si le châtiment punit le mal, la patience ramène au bien. » Cette mansuétude triompha des plus endurcis. Aussi, Théodose put-il chasser tous les prêtres ariens de Constantinople et remettre le 27 novembre 380, toutes les églises sous l'autorité de Grégoire, en qui la foule enthousiasmée pouvait enfin acclamer son pasteur et son père. Un dernier attentat acheva du reste, de ruiner l'influence des fauteurs de l'hérésie.

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Un jour que j'étais retenu par la maladie, raconte le saint évêque, une troupe d'assez mauvaise mine, pénétra jusqu'à mon lit, et m'éveilla en sursaut. « Que voulez-vous, mes amis ? » leur demandai-je.

« Vous- voir et remercier Dieu et l'empereur de nous avoir donné un tel évêque. »Puis ils réclamèrent ma bénédiction et se retirèrent. Mais tous n'étaient point sortis. Un jeune homme

restait dans un coin de la chambre, le visage pâle, les cheveux en désordre, le regard enfla- mmé. Après quelques minutes d'anxiété terrible, je le vis se précipiter à mes pieds, versant un torrent de larmes. « Qui êtes-vous, lui dis-je, que puis-je pour vous ? - Mon Père, s'écria-t-il, les ariens m'avaient payé pour vous assassiner ! J'étais venu dans ce dessein ! j'ai voulu commettre un tel forfait ! mes pleurs pourront-ils jamais expier mon crime ? - Mon fils, lui dis-je, allez en paix, et que Dieu vous protège comme il vient de me protéger moi-même ! songez, dans l'avenir, à rester digne de Dieu et de moi ! »

Cette bonté n'avait pas toujours eu des effets aussi salutaires. C'est ainsi qu'un homme sacrilège, qui aspirait en secret à supplanter Grégoire, trompa la bonne foi de celui-ci en lui montrant comme autant de cicatrices du martyre les honteuse blessures méritées par ses débauches. Grégoire prononça en chaire l'éloge de ce malheureux ; mais quand il connut la vérité, il aspira de nouveau et plus que jamais, à la solitude. Quant au traître, il alla jusqu'à se faire sacrer clandestinement évêque de Constantinople.

Dernières luttes et dernières craintes. - La mort

Cependant, la criminelle entreprise de l'usurpateur n'eut aucun résultat. En effet, un Concile œcuménique s'était réuni à Constantinople, en 381, pour condamner une dernière fois l'arianisme. D'une commune voix, les Pères anathématisèrent le faux évêque, mais, quand il fallut confirmer Grégoire sur son nouveau siège, ils se divisèrent.

Quelques prélats égyptiens s'autorisant du fait qu'il avait quitté sans autorisation son premier évêché, prétendirent que son élection n'avait pas été régulière. L'accusation était facile à réfuter ; Grégoire n'y songea même pas. Il avait ramené la vérité et la paix dans Constantinople, que lui restait-il à y faire ?

«  Hommes de Dieu, s'écria Grégoire, vous êtes assemblés pour rétablir la concorde, ce n'est pas moi qui entraverai cette grande œuvre. Mon pouvoir est discuté, j'y renonce. Puissé-je, comme Jonas, bien que je n'aie pas causé la tempête, sauver le navire en me jetant à la mer ! Je fais des vœux pour que mon successeur se montre un défenseur héroïque de la foi. Adieu ! daignez conserver quelque souvenir de moi. »

Le lendemain, il fit ses adieux solennels à son peuple. Il le laissa dans la douleur et les larmes, pour aller se préparer à mourir dans sa demeure de Nazianze.

Pendant deux années, pourtant, il dut encore administrer ce diocèse, toujours sans pasteur, jusqu'à ce que, en 383, il lui fît donner pour chef son cousin Eulalius, qui fut un saint prélat. Pour lui, il se retira, non loin de la ville épiscopale, probablement dans le domaine d'Arianze, patrimoine de sa famille, là où il était né. Là, malgré son grand âge, il reprit sa vie d'oraison, de travail et de jeûne. Il marchait nu-pieds. Jamais il n'allumait de feu.

Quand, le soir, la fatigue et l'épuisement le forçaient d'interrompre sa prière, c'était sur la terre nue qu'il prenait son repos. Néanmoins, il sentit se réveiller en lui les ardeurs de la tentation. La crainte de tomber dans le péché l'agita de nouveau.

Une riche famille étant venue se bâtir une maison de campagne auprès de sa retraite, Grégoire s'enfuit aussitôt. Il ne voulait à aucun prix vivre dans le voisinage des femmes.

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« Mon corps est vierge, mais suis-je sûr que mon esprit et mon cœur le soient également ? disait-il en soupirant... Où fuir, malheureux, où fuir ma propre perversité ? ajoutait-il. Que n'est-il quelque part, pour m'y réfugier, un lieu impénétrable au vice, comme il en est, dit-on, à l'abri des bêtes féroces ! »

C'est dans ces sentiments, d'une humilité timide et craintive, que Grégoire, âme délicate, impressionnable, sensible à l'excès, mais soucieuse de sa propre perfection et du bien du prochain, alla trouver, dans le sein de Dieu, la récompense promise au bon serviteur, en 389 ou 390.

Les écrits dogmatiques de saint Grégoire de Nazianze, qui sont d'une doctrine sûre et profonde, lui ont valu le titre de docteur. Ses poésies, pleines d'un charme austère et de l'empreinte d'une foi encore nouvelle et candide, l'ont fait appeler, de nos jours, le poète du christianisme oriental.

Les restes du saint évêque, transportés de Nazianze à Constantinople en 950, furent amenés à Rome à l'époque des Croisades ; ils sont vénérés dans la basilique vaticane. Sa fête a été déclarée de précepte par Clément XI, le 2 avril 1707.

Th. Quincieux.

Sources consultées. - Les Petits Bollandistes. - J.Tixeront, Précis de Patrologie (Paris, 1918). - (V.S.B.P., n° 220.)

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SAINTE SOLANGEVierge, patronne du Berry (860?-878)

Fête le 10 mai.

L'Histoire de sainte Solange est l'histoire de la civilisation chrétienne aux prises avec les mœurs encore semi-barbares des Gallo-Francs ; c'est la continuation de la lutte sublime du christianisme et de la barbarie, de la mansuétude évangélique avec la sauvagerie de temps. Tout le moyen âge est là avec son double aspect brutal et croyant, barbare et chrétien.

L'enfance.

A trois lieues environ de Bourges, dans une riante vallée arrosée par l'Ouatier, petite rivière aux ondes pures et rapides, s'élève le modeste village de Villemont, où naquit Solange entre 860 et 864. Le nom de ses parents est inconnu. On sait seulement qu'ils étaient vignerons, et, selon toute apparence, serfs du comte de Bourges. Pauvres des biens de la terre, mais riches des biens du ciel, ils remerciaient Dieu de leur indigence et s'estimaient plus heureux que tous les seigneurs de la contrée. Dans le pays, on les citait comme des modèles de probité et d'honneur.

Ils rivalisèrent de zèle pour développer les germes de la vertu dans l'âme de leur enfant. Elle écoutait leurs paroles avec amour, car, selon la forte expression de Bossuet, « elle ne respirait que du côté du ciel ».

Dans ces temps de foi, où le souffle glacial de l'athéisme n'avait pas encore, plus ou moins, banni les coutumes chrétiennes, on ne parlait pas seulement de Dieu dans les familles, on s'entretenait aussi des Saints qui sont ses amis, et, le soir, quand, revenus de leur dur labeur, le père et les enfants se reposaient en un frugal repas, leur pauvreté ou leur mortification volontaire était soutenue par quelque récit emprunté à ce qu'on appelle la Légende dorée.

Ces histoires, dont le père et la mère étaient les narrateurs, passaient de génération en génération, apportant avec elles leurs fortes leçons et leur gracieuse poésie. En conçoit-on de plus émouvante que le récit de la vie des Saints, et serait-il téméraire d'affirmer que nos pères y puisaient plus de mâles vertus et plus de développement intellectuel que n'en trouvent les paysans de nos jours dans la lecture des journaux et des feuilletons malsains ?

Agnès, la douce vierge de treize ans qui préféra subir le martyre plutôt que de donner son cœur à un homme mortel, était connue dans toutes les chaumières du moyen âge. Solange la prit pour modèle, et nul ne peut calculer ce que l'amour spécial d'un bienheureux peut valoir de grâces à une âme travaillant encore sur la terre.

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Vœu de virginité.

Solange n'avait que sept ans. Un jour, elle crut entendre une voix du ciel lui disant :- Viens, je t'épouserai éternellement.Et la sainte enfant de balbutier :- Je suis à vous, prenez-moi, Seigneur. Ah ! qu'il est beau, le Seigneur Jésus !Et, répondant à l'invitation du ciel, dans toute l'innocence de son âme qui voulait se donner à

Dieu, elle s'agenouilla et fit vœu de virginité perpétuelle.Dès lors, afin de plaire à son divin Epoux, elle ferma les avenues de son âme à toutes les pensées

et à toutes les aspirations de la terre, car, dit saint Ambroise, « la virginité a pour patrie le ciel et pour auteur le Fils de Dieu ».

Préposée dès son enfance à la garde des moutons, Solange aimait ce modeste emploi, qui lui laissait le loisir de contempler Dieu dans la splendeur de ses œuvres ; car, pendant que ses brebis paissaient autour d'elle, elle écoutait l'Esprit de Dieu parlant au fond de son cœur.

Dans le champ de ses parents, Solange s'était fait une sorte d'oratoire rustique, ombragé par un vieil orme et par quelques chênes.

Levée avant l'aube, elle assistait au Saint Sacrifice, parait l'autel de fleurs sauvages, puis s'en allait aux champs plus joyeuse et plus forte, emportant dans son cœur le Dieu de l'Eucharistie. Toutes les légendes de sa vie s'accordent à dire qu'elle communiait très fréquemment. Arrivée au lieu du pâturage, tour à tour elle filait en chantant les louanges de Dieu, ou, tenant la croix embrassée, elle se mettait à genoux et priait en silence. Il arrivait que les heures s'écoulaient sans que la sainte enfant s'en aperçût ; les anges l'avertissaient qu'il se faisait tard ; alors seulement elle se souvenait que son tablier contenait le pain du jour ; elle le donnait au pauvre du chemin, disant : « Tenez, acceptez-le pour l'amour de mon Seigneur Jésus. »

Fidèle à tous les devoirs de son état, elle lavait le linge de la famille dans l'eau du ruisseau et, quand, penchée sur l'onde transparente, elle apercevait ses traits angéliques, on dit qu'elle se hâtait d'agiter l'eau et de briser ce miroir, de crainte que la vanité ne vint à se glisser dans son âme. La vanité ! la sainte enfant n'en avait jamais subi les atteintes, mais elle la connaissait de nom et mettait autant de soin à en fuir les dangers que trop de jeunes filles en mettent, hélas ! à les rechercher.

Lorsque l'hiver retenait les brebis au bercail, l'heureuse Solange passait des journées entières au pied du tabernacle et, dans la méditation des souffrances de Jésus-Christ, elle puisait l'ardent désir de verser son sang pour lui. Soit à l'église, soit aux champs, Dieu récompensait sa fidèle servante par d'ineffables entretiens, par des extases même. Les anges, alors, la soutenaient, et ses brebis, couchées jusque sur son manteau, ne la troublaient pas ; Dieu, à qui toute la nature obéit, ordonnant sans doute à ces humbles créatures de respecter la manifestation de sa divine présence.

Sa charité.

Solange aimait Dieu en esprit et en vérité ; aussi ses prières et ses extases ne lui faisaient pas oublier l'amour du prochain qui, après l'amour de Dieu, est le premier des devoirs. Elle était la pro-vidence des pauvres, et les plus rebutants avaient ses préférences, car elle mettait d'avance en action cette parole de saint François de Sales : « Laissez faire, les mauvaises odeurs des pauvres sont pour moi des roses. » Mais son âme de sainte ne s'arrêtait point aux douleurs physiques, et les pécheurs avaient la plus large part de ses soins et de ses prières. Sa parole guérissait plus de blessures morales que sa douce main ne fermait de plaies au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et Dieu sait cependant, combien de malades lui durent leur miraculeuse guérison !

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Aussi, « malgré le soin qu'elle prenait de fuir le regard des hommes, sa charité la trahissait, et le rayonnement de sa sainteté s'étendait au loin ».

Jamais, dit la légende du Bréviaire, on ne la vit prendre part à aucun divertissement public ; on ne l'avait aperçue ni aux chants des bardes ni aux joyeuses réunions de la jeunesse folâtre de son village. Mais comment n'aurait-elle pas été connue de tous, cette jeune vierge, cette humble bergère qui domptait Satan ? « Un regard d'elle, dit un auteur, un regard sévère et terrible le faisait trembler de crainte, et sur un signe de la vierge, il disparaissait. Par sa seule présence, elle délivrait les possédés. Elle n'avait qu'à vouloir, et les animaux qui ravagent les fruits de la terre, et qui furent une des plaies dont Dieu frappa l'Egypte, disparaissaient. » La nature entière semblait lui être soumise, sa seule voix dissipait les orages, elle commandait au soleil et à la pluie, arrêtait les inondations et ordonnait aux nuages de tomber sur les campagnes désolées par la sécheresse.

Dieu lui avait également donné un pouvoir absolu sur les animaux sauvages. A l'époque où elle vivait, le Berry, comme beaucoup d'autres provinces de la France, était couvert de forêts ; cependant, les loups n'enlevèrent jamais aucune de ses brebis ; sous son regard, ils devenaient doux comme des agneaux. Quand ses moutons s'égaraient dans les champs d'alentour, Solange ne courait pas après eux, ne les appelait pas à grands cris, elle ne les poursuivait pas avec sa houlette, elle les cherchait du regard, et ils accouraient se ranger autour de leur maîtresse. Les oiseaux voltigeaient autour d'elle et, sans crainte, venaient se poser sur sa coiffe et sur son manteau.

Dieu voulut, par un prodige plus grand encore, manifester la sainteté de sa servante, et, disent les vieilles chroniques, « le jour, la nuit, une étoile brillante, splendide, en luisant sur son front, marchait devant elle et guidait ses pas ».

Jusqu'alors, rien n'avait encore troublé la sérénité de la vie de Solange, mais le jour de l'épreuve approchait. La Sainte avait environ seize ans. « Elle était, dit la légende du Bréviaire, belle de visage et plus belle encore par la foi. La sagesse précoce qu'elle avait puisée dans ses relations avec Dieu imposait le même respect que la chevelure blanche des vieillards. Elle savait unir la maturité parfaite de l'esprit aux grâces de l'enfance. »

L'épreuve.

Au moment de la naissance de Solange, le comté de Bourges appartenait à Girard. Mais ce seigneur ayant été depuis dépossédé par Charles le Chauve, le comté avait plusieurs fois changé de maître. A l'époque dont nous parlons, c'est-à-dire en 877, il était gouverné par Bernard II, marquis de Septimanie et comte de Poitiers, qui s'en était emparé les armes à la main et qui, après s'être rendu coupable de beaucoup de crimes, avait été excommunié.

Il avait trois fils ; Rainulfe II, Ebbles et Gausbert. L'un d'eux, Rainulfe, sur le récit qu'on lui fit de l'extrême beauté, de la rare sagesse et de toutes les vertus de Solange, s'éprit d'un violent amour pour elle. Lui-même, nous dit l'historien, était dans toute la fleur de l'âge, beau, bien fait, plein d'esprit, mais rude, irascible et ne connaissant ni frein ni loi. Malgré la disproportion de leurs rangs et malgré les lois du royaume qui défendaient aux seigneurs de se mésallier, il résolut d'épouser la villageoise, la serve de son père, et ne chercha plus désormais que l'occasion de l'apercevoir souvent.

Cela n'était pas difficile, les comtes de Bourges possédant un manoir féodal dans les environs mêmes de Villemont, et leur brillant équipage de chasse traversait souvent la vallée à la poursuite des loups et des sangliers.

Plus d'une jeune fille, parmi celles de la noblesse du Berry, espérait attirer les regards du jeune seigneur ; quant à Solange, elle ignorait les avoir captivés ou, si elle s'en doutait, son âme tranquille continuait d'habiter des régions plus hautes, auprès desquelles toutes les gloires et les splendeurs de la terre ne sont que poussière et néant.

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Un jour, Rainulfe, s'étant écarté de sa suite, arriva sur les bords de l'Ouatier. Les derniers bruits de la chasse s'éteignaient dans le lointain, il était tard et tout était silencieux dans la nature. Solange, sous un dais de verdure, était agenouillée au pied de la croix. Immobile, elle semblait perdue dans l’extase. Une auréole lumineuse l’enveloppait tout entière et faisait resplendir ses traits d’une beauté céleste. Rainulfe avance, il veut parler à la bergère ; mais, subjugué par l’éclat mystérieux dont elle est environnée, il s’arrête, il attend…

Sainte Solange repousse Rainulfe qui lui offre de l'épouser.

et quand, peu soucieuse de sa présence, Solange, ayant achevé sa prière, se relève tranquille et rappelle ses moutons, il élève la voix et la supplie de l'écouter. Il lui découvre les sentiments de son cœur, et lui, le seigneur riche et puissant, il conjure l'humble fille des champs de partager avec lui tout ce qu'il possède. Il s'abaisse même jusqu'à lui faire valoir ses avantages :

- En vain, lui dit-il, chercherait-on dans toute la province mon égal en bravoure, en noblesse, en fortune, en beauté.

- J’ai déjà un époux, lui répond Solange. Lui n'a point d'égal en beauté, en sagesse, en vertu, en puissance et en richesses de toutes sortes. Je suis la fiancée du Christ, votre maître et le mien ; dès mon enfance, je l'ai choisi pour époux ; j'appartiens à lui seul qui m'a épousée par sa grâce ; à lui seul je garde une éternelle foi.

Et, rassemblant son troupeau, elle reprend le chemin de Villemont. Muet d'étonnement, Rainulfe reste longtemps immobile, suivant Solange du regard.

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La nuit était venue, il s'éloigna, mais il revint souvent, et toujours Solange lui adressait la même réponse. Enfin, un jour :

- Il faut venir, lui dit-il, et je vous épouserai ; il le faut, suivez-moi.- Je suis la fiancée du Christ, laissez-moi, je prierai pour vous. Je suis une pauvre serve,

j'appartiens à Jésus-Christ. Longtemps Rainulfe pria, supplia, conjura.- Oh ! non, disait Solange, jamais je n'aurai d'autre époux que mon Seigneur Jésus.Puis, cherchant, mais en vain, le moyen de fuir, elle priait en elle-même, suppliant le Seigneur

Jésus de lui venir en aide.

« Martyre » de la virginité.

Enfin, las de prier, Rainulfe en vint aux menaces :- Je saurai bien obtenir par la force, s'écrie-t-il, ce que vous refusez à mes prières.Solange essaye de fuir, mais le comte bondit à cheval, s'élance sur la trace de la pauvre fille,

l'atteint sans peine, et, d'un bras dont la colère augmente la puissance, il la saisit, la jette sur son cheval et l'emporte avec lui.

- Jésus ! Jésus ! murmure la pauvre enfant en fondant en larmes.Ils allaient franchir la rivière quand Solange, faisant un suprême effort, s'arrache au bras qui

l'étreint, et, bravant le danger, se précipite du cheval, tombe à terre, se relève et s'enfuit. Rainulfe la poursuit encore, mais, sa colère ne connaissant plus de bornes, il tire son glaive et la tête de la Sainte roule à terre, rougissant de son sang l'herbe de la prairie et l'onde du ruisseau.

- Jésus ! Jésus ! Jésus ! » Tel fut le dernier cri qui s'échappa de sa poitrine.Ainsi le Seigneur, dit la légende du Bréviaire, voulut qu'elle achetât au prix de son sang la gloire

du ciel. Il voulut que celle dont la pureté avait brillé ici-bas comme le lis de la vallée resplendît plus belle encore sur la montagne éternelle par son martyre. Ami fidèle de celle en qui il s'était complu, et qui l'avait uniquement aimé pendant sa vie, Jésus voulut, après son martyre, la glorifier par de grands miracles. De cette tête virginale, tranchée par le glaive, s'échappa trois fois le nom de Jésus...

Du vase brisé de Madeleine avait coulé sur la tête du Sauveur un parfum qui avait rempli toute la maison : de l'albâtre brisé du corps de l'innocente vierge s'échappa le baume de votre nom, ô Seigneur Jésus, dont la suavité remplit toute l'Eglise... A peine le cruel bourreau lui eut-il tranché la tête que, prenant elle-même dans ses mains son chef ensanglanté, elle le porta, sous la conduite des anges, du lieu de son martyre au lieu assigné pour sa sépulture par son choix et la Providence. Elle y fut ensevelie solennellement par les mains de pieux chrétiens, et, à cet endroit même, avec le temps, la piété des fidèles a élevé l'église connue jusqu'à ce jour, dans tout le Berry, sous le nom de Sainte-Solange.

Comme celle de sa naissance, l'année de sa mort est inconnue. Deux manuscrits la placent vers l'an 880 ; les autres historiens, avec plus de raison, en 878. D'après la croyance générale, le 10 mai est le jour de sa naissance au ciel. Ce fut aussi, pendant plusieurs siècles, le jour de sa fête principale et du grand pèlerinage à son tombeau. Cet état de choses changea au XVIe siècle : le 8 juin 1511, lundi de la Pentecôte, eut lieu la translation des reliques dans une chasse en bronze doré, qui devait elle-même être renfermée en 1656 dans une autre d'argent massif, offerte par les habitants de Bourges. Dès lors, l'anniversaire de la translation, qui se célèbre le lundi de la Pentecôte, a éclipsé la fête du 10 mai.

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Son culte.

Une des manifestations de la piété populaire envers sainte Solange est la confrérie qui porte son nom et dont l'origine se perd dans la nuit des temps. Enrichie d'indulgences par Alexandre VII en 1657 et par Benoît XIV en 1751, elle a été restaurée en 1805, sous Pie VII, par les soins de Mgr de Merry et dotée de nouvelles faveurs spirituelles par deux décrets de la Congrégation des Indulgences, en date du 17 juillet 1844.

Le Berry a religieusement conservé le souvenir de la petite bergère, de la bonne Sainte, comme on l'appelle encore aujourd'hui. On montra l'emplacement de la chaumière où elle est née. Le champ de ses parents s'appelle toujours le champ de Sainte-Solange, et on peut voir encore aujourd'hui la trace du chemin qu'elle suivait : « Ce sentier, racontait, il y a deux siècles, un grave écrivain, ce sentier, que foulèrent si souvent les pieds de l'épouse de Jésus-Christ, présente à peu près la largeur d'un char. Il se distingue dans le champ comme la voie lactée dans l'azur du firmament. La moisson y est plus épaisse que partout ailleurs, plus haute et plus vigoureuse. » Or, le même prodige s'est toujours renouvelé, et il est bien connu des populations du Berry.

Dans le champ se trouve un oratoire, à l'emplacement de celui qu'édifia Solange ; la dévotion des fidèles et les miracles de la Sainte obligent à en renouveler souvent la croix, car les pèlerins en coupent des morceaux pour les appliquer sur les malades, dont beaucoup sont guéris.

Le nom de Solange est porté par les jeunes filles nobles et par les villageoises ; il est sur les lèvres et dans le cœur de tous.

Les bienfaits de la Sainte ne s'étendirent pas seulement à ses contemporains ; à toutes les pages de l'histoire du Berry, nous retrouvons la trace de sa protection. Dans les calamités publiques, que ce fût la sécheresse ou la peste, sa châsse était portée processionnellement et son secours ne se faisait jamais attendre. Témoin, les registres des délibérations de la ville de Bourges qui contiennent le curieux récit des processions solennelles des années 1676, 1693, 1719 et 1731, et la mention des offrandes faites par les bourgeois reconnaissants à l'église du bourg voisin de Sainte-Solange, où se conservait la châsse de la vierge.

Cette châsse respectée du protestantisme, les terroristes s'en emparèrent en 1793 et en détruisirent le contenu précieux. Par bonheur, l'abbaye cistercienne de Loroy (Cher) possédait depuis un temps immémorial une partie des reliques de la Sainte. En 1791, quand ils durent quitter le monastère, les religieux confièrent leur trésor à la paroisse voisine de Méry-ès-Bois. La tourmente passée, le dépôt heureusement soustrait aux persécuteurs fit retour au sanctuaire de Sainte-Solange, sauf quelques reliques, attribuées, après enquête menée en 1838 par l'autorité diocésaine, partie à la cathédrale de Bourges, partie à l'église de Méry-ès-Bois. Notons encore que Nevers a pu sauver également sous la Révolution ce qu'il possédait des restes précieux de la Sainte.

Une belle chapelle a remplacé au XIXe siècle la croix qui marquait le lieu sanctifié par la mort de sainte Solange. Mgr de La Tour d'Auvergne l'a consacrée, le 10 mai 1874, au milieu d'un concours immense de fidèles.

A. L.

Sources consultées. – P.Honoré Niquet, Vie de sainte Solange (1653). – P.J. Alet, Vie de sainte Solange, patronne du Berry (Bourges, 1859). – Abbé Joseph Bernard, Histoire de sainte Solange (Paris, 1878). – (V.S.B.P., n° 428.)

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PAROLES DES SAINTS

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La charité envers les pauvres.

On se fait du bien à soi-même quand on en fait aux autres. C'est mettre son trésor en dépôt dans le ciel que de l'employer à nourrir Jésus-Christ dans la personne du pauvre. Dieu a voulu que vous fussiez dans l'abondance pour vous mettre en état de soulager les misères d'autrui, pour subvenir aux besoins de l'indigent, et vous ménager à vous-mêmes dans l'aumône le remède à vos propres iniquités.

Le précepte de l'aumône s'adresse à tous en raison des facultés. Si tous n'ont pas les mêmes moyens, tous doivent être dans les mêmes dispositions. L'aumône ne se mesure pas sur la valeur du don, mais sur l'intention et la bienveillance.

Quelque vil que vous semble ce pauvre, il est homme comme vous. Gardez-vous de mépriser en lui cette même nature que le Créateur de l'univers a unie à sa propre personne. A quelle sorte d'indigent pouvez-vous refuser une aumône que Jésus-Christ vous demande pour lui-même ?

Saint Léon Le Grand.

(Homélies.)

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SAINT MAMERTArchevêque de Vienne († 475).

Fête le 11 mai.

Saint Mamert a été une des plus brillantes lumières de l'Eglise des Gaules au Ve siècle. Cependant on ne sait rien de positif sur lui jusqu'à son épiscopat ; on ignore même l'année précise à laquelle il fut promu à l'évêché de Vienne. Divers auteurs lui donnent Orléans pour patrie. Selon quelques-uns, il aurait été disciple de saint Aignan, évêque de cette ville, lui-même originaire des environs de Vienne ; et tel serait le motif qui a porté plus tard les Orléanais à convoiter pour eux les reliques de saint Mamert.

Commencements de saint Mamert.

Toutefois, il est plus probable que saint Mamert appartenait à une famille viennoise. Ses parents le confièrent à saint Aignan, qui veilla avec soin à sa première éducation, A l'école de ce maître illustre par la sainteté de sa vie, la pureté de sa foi et l'étendue de sa science, Mamert fit de merveilleux progrès dans les lettres et dans la vertu.

La légende de saint Aignan, reproduite par Surius, dit que cet évêque d'Orléans, allant en 451 à Arles, s'arrêta dans Vienne, sa ville natale, et logea chez Mamert, homme fort riche. Ce dernier était à l'article de la mort, et saint Aignan le guérit par le signe de la croix, Les historiens de l'Eglise d'Orléans prétendent que ce Mamert est le même que celui qui fut depuis archevêque de Vienne.

Quoi qu'il en soit, on trouve saint Mamert à la tête de cette dernière Eglise en 463. L'un de ses plus illustres successeurs, saint Avit, s'accorde avec saint Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont, pour louer sa sagesse et ses mérites.

II y avait des liens d'amitié et peut-être de parenté entre saint Mamert et les nobles familles des Avitus et des Apollinaire. D'autre part, saint Mamert avait un frère qui a laissé un nom illustre dans l'Eglise, le prêtre poète Claudien-Édicte : on lui connaît aussi une sœur mariée et un neveu nommé Pétréius. L'histoire a conservé les lettres que saint Sidoine Apollinaire écrivit à ce dernier pour le consoler de la mort de son oncle Claudien.

Difficultés avec Arles au sujet de la primatie.

Le siège d'Arles possédait depuis longtemps des privilèges fort étendus. Celui de Vienne donnait son nom à la province, et son Église remontait aussi jusqu'aux apôtres par ses premiers évêques. L'érection de la métropole d'Arles priva Vienne de quelques-uns de ses suffragants et les deux sièges métropolitains se disputèrent longtemps le titre primatial. Or, quelque temps après sa promotion à l'épiscopat, Mamert vint à Die assister aux funérailles de saint Pétrone, évêque de cette ville. L'assemblée des fidèles choisit pour remplacer le défunt son frère, le prêtre Marcel, dont le nom

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figure au Martyrologe le 9 avril. Le nouvel élu prit aussitôt la fuite et courut se cacher dans une caverne. Découvert, il fut ramené en triomphe et conduit à saint Mamert pour recevoir l'onction épiscopale. En face des agissements du parti arien que soutenaient les Burgondes et sur les instances de tout un peuple anxieux de voir son élu se cacher encore dans quelque solitude, l'archevêque Mamert crut devoir hâter les événements et sacrer le nouvel évêque avant d'avoir prévenu l'archevêque d'Arles, métropolitain de Die.

Cette précipitation lui causa des difficultés sérieuses. Il y eut de vives protestations de la part de Gondioc, roi des Burgondes, dont la politique favorisait l'arianisme. Le jour même du sacre on jeta des pierres à la tête de l'élu ; Marcel fut exilé et Mamert dénoncé au Pape saint Hilaire comme coupable d'avoir ordonné un évêque hors de sa province.

Le Pape, circonvenu par Gondioc, ordonna à Léonce, archevêque d'Arles, de convoquer un synode de vingt évêques, lesquels envoyèrent au Souverain Pontife un de leurs collègues avec une lettre. Le Pape y répondit, en 464, que saint Véran, évêque de Vence, devait donner un avertissement à Mamert, et obtenir de lui, au nom du Saint-Siège, la promesse de s'abstenir à l'avenir d'ordinations illégales, sous peine d'être déposé et privé de toute espèce de privilège. En même temps le Pape adressa à tous les évêques des provinces de Lyon, de Vienne, des deux Narbonnaises et des Alpes, une lettre dans laquelle il se plaignait de Mamert, et les engageait à se garder de tout empiétement les uns à l'égard des autres, et à se soumettre à l'autorité de l'archevêque d'Arles, à qui il accordait le privilège de réunir le Concile des cinq provinces.

Mamert reçut cette réprimande avec le même esprit et les mêmes sentiments que saint Pierre reçut autrefois celle qui lui fut faite par saint Paul, et se soumit au règlement que les évêques venaient de publier dans leur Synode. Plusieurs années après, le siège de Die fut remis au nombre des suffragants de Vienne ; ce fut comme une réparation à la mémoire de Mamert. Au reste, le silence plein de modestie que l'archevêque garda en cette circonstance nous fait connaître son admirable humilité et sa soumission exemplaire aux décrets des Papes.

Les Rogations (468).

Ce ne fut pas la seule épreuve à laquelle Dieu voulut soumettre la vertu de son serviteur. Vienne n'était plus alors cette ville sainte arrosée par le sang de tant de martyrs ; abandonnée de ses protec-teurs à cause de ses crimes, elle devint l'objet de la colère divine, comme en témoigne saint Avit, fils spirituel et plus tard un des successeurs de saint Mamert.

« En ce temps-là, écrit-il, des prodiges effrayants se manifestèrent dans la ville et frappèrent de terreur tous les esprits. Les incendies, les tremblements de terre se succédaient sans interruption, des bruits lugubres troublaient le silence des nuits, et le désordre de la nature semblait présager les funérailles du genre humain. On vit jusqu'à des bêtes sauvages franchir les portes de la ville et venir errer dans le vaste forum.

L'effroi régnait parmi les citoyens, et tandis que les uns ne voulaient reconnaître dans ces prodiges que les tristes effets du hasard, les autres les acceptaient comme des avertissements d'en haut et n'attendaient leur salut que de la miséricorde divine. Quelles que fussent les amertumes dont leurs cœurs étaient abreuvés, ils attendaient avec impatience l'approche de la fête de Pâques, dans l'espoir qu'elle mettrait un terme à leurs maux et à leurs anxiétés. »

Or, la veille même de Pâques, tandis que les chrétiens étaient réunis, un incendie formidable éclata dans la ville. La cérémonie fut interrompue et l'archevêque resta seul en prière. Dieu écouta son ardente supplication, car le fléau cessa soudainement et la joie pascale succéda à l'angoisse.

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Mais écoutons encore saint Avit :« Ce fut pendant ces vigiles mémorables que le saint Pontife conçut la pensée des Rogations et

qu'il arrêta, entre Dieu et lui, les cérémonies et les prières que répète aujourd'hui le monde entier. Il n'était plus question que de savoir de quelle manière et quand on pourrait mettre à exécution ce projet qui ne s'agitait encore qu'en conférences secrètes. On craignait que le Sénat de Vienne ne s'opposât à cette nouvelle institution ; mais l'éloquence et encore plus les prières du digne pasteur surent amollir si bien les cœurs que, loin de résister, ses ouailles allèrent, pleines de componction, au-devant de ses vœux .

Les trois jours qui précèdent l'Ascension furent consacrés à préparer cette solennité, par le jeûne, des litanies et des processions. Mamert, pour éprouver la ferveur de son peuple, indiqua d'abord pour station du premier jour l'église la plus voisine des murs de la ville ; mais, les jours suivants, il assigna un terme plus éloigné, sans que la route parût trop longue à la vive et ardente piété des fidèles. »

Telle fut l'institution des Rogations qui préserva la ville des malheurs dont elle était menacée. Ce n'est pas à dire que l'archevêque de Vienne soit l'auteur des processions annuelles faites pour attirer les bénédictions de Dieu sur les fruits de la terre. Saint Lazare, archevêque de Milan, mort le 14 mars 449, les avait instituées auparavant dans sa ville archiépiscopale. Le mérite de saint Mamert fut de remettre en honneur cette pieuse coutume tombée en désuétude, d'y ajouter le jeûne et la prière et de la fixer aux trois jours qui précèdent l'Ascension.

Nous avons à ce sujet un témoignage précieux, celui de saint Sidoine Apollinaire :

« Sans doute, écrit l'évêque de Clermont, il y avait bien auparavant des supplications publiques, mais vagues, tièdes, peu suivies et en quelque sorte somnolentes, interrompues par des repas qui affaiblissaient la dévotion des fidèles ; elles avaient pour objet de demander la pluie et le beau temps ; mais, dans celles-ci, instituées par le saint Pontife [Mamert], on jeûne, on prie, on psalmodie, on pleure. »

Quelques Églises des Gaules suivirent l'exemple de l'Eglise de Vienne, et cette religieuse pratique, gagnant de proche en proche, finit par être reçue de toutes les Églises de Gaule, du vivant même de Mamert. Le décret du premier Concile d'Orléans, tenu sous Clovis, sanctionna l'usage, jusqu'au jour où saint Léon III devait l'étendre à l'Eglise universelle, vers le début du IXe siècle.

Les trois jours des Rogations furent longtemps des jours de jeûne ; aujourd'hui encore ce sont des jours d'abstinence, à moins que le Pape n'en ait dispensé.

Invention des reliques des saints Ferréol et Julien, martyrs.

Dans l'intervalle qui s'écoula entre les premières Rogations et un Concile des évêques de la province de Vienne, assemblés pour autoriser l'institution nouvelle, saint Mamert fit construire une église en l'honneur de saint Ferréol, tribun militaire et martyr, dont la fête est célébrée le 18 septembre. Sous l'empire de Constantin, un catéchumène, nommé Castule, avait fait édifier une chapelle sur les bords du Rhône, au lieu même du martyre de saint Ferréol, qui était aussi celui de son tombeau. Les eaux du fleuve ayant miné les murs de cet édifice, saint Mamert en prévint la ruine en le faisant reconstruire sur un terrain plus élevé. Cette église était d'une belle structure, et elle subsista jusqu'au VIIIe siècle, où les Sarrasins la ruinèrent. Saint Grégoire de Tours, qui l'avait vue, nous apprend qu'on y avait conservé la symétrie et les proportions de l'église primitive. Mais laissons parler le père de l'histoire de France :

« Me trouvant un jour à Lyon, auprès du saint évêque Nizier, raconte Grégoire de Tours, il me vint à la pensée d'aller à Vienne prier sur le tombeau du glorieux martyr Ferréol. Il me semblait qu'a

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raison de l'antique amitié qui l'avait uni à Julien, le patron de mon pays, je n'étais pas moins le fils de l'un que de l'autre. Après avoir prié, je levai la tête et je vis au-dessus du jubé deux vers dont voici le sens ; Les restes de deux héros du Christ sont renfermés dans cette enceinte, la tête de Julien et le corps de Ferréol. »

Le premier est saint Julien dit « de Brioude », du nom du lieu de son martyre. Originaire de Vienne, il était comme son ami saint Ferréol, tribun militaire ; il fut mis à mort également sous Dioclétien ; sa fête se célèbre le 28 août.

Saint Mamert à la procession des Rogations.

Saint Grégoire de Tours ayant demandé au gardien de l'église quelques explications, celui-ci raconta la translation solennelle des reliques de saint Ferréol dans la nouvelle église effectuée au temps de l'archevêque Mamert et de la découverte du chef de saint Julien :

« Au jour marqué pour la translation, une foule innombrable de fidèles, un grand nombre d'abbés et de moines, se rassemblèrent. On passa la nuit à chanter les cantiques sacrés, et le matin on se mit à creuser l'endroit où l'on espérait trouver les précieuses reliques. Quand on fut arrivé à une certaine profondeur, on découvrit trois cercueils. Grande fut la stupéfaction, car nul ne pouvait distinguer des deux autres celui du saint martyr.

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Comme chacun restait dans le silence de l'incertitude, un des assistants, éclairé par une inspiration divine, s'écria tout à coup : « On disait anciennement, et c'était une tradition très répandue dans le peuple,» que la tête de Julien était renfermée dans le tombeau de Ferréol ; ouvrons les trois cercueils, peut-être découvrirons-nous à cette marque le corps du bienheureux martyr. »

Alors, saint Mamert invita tous les assistants à prier avec lui et à invoquer le Père des lumières. On ouvre deux cercueils, mais rien n'indique le nom de ceux qui y avaient été déposés. On arrive au troisième, et on y trouve un homme dont la tête était tranchée et qui tenait une autre tête entre ses bras. Ses traits et son visage conservaient tant de sérénité et de fraîcheur, qu'on eût dit qu'il était seulement endormi.

Plein d'une joie sainte, l'évêque s'écrie : «  C'est bien là, le tombeau de Ferréol ; c'est bien là la tête du martyr Julien. Le peuple répond aux paroles du pontife par des chants d'allégresse ; on entonne des psaumes et on porte les saintes reliques à l'église qui leur avait été préparée. »

Mort de saint Mamert. - Son corps transporté à Orléans.

Mamert réussit à ramener la ferveur dans son troupeau, et celui-ci jouissait de la tranquillité, lorsque, après une longue vie et des travaux continuels, Dieu rappela à lui son serviteur pour lui donner la couronne réservée aux élus. Le saint archevêque mourut le 6 ou le 11 mai de l'an 475 et fut inhumé dans l'église des Saints-Apôtres à côté du grand autel. On grava sur sa tombe deux vers qui exprimaient simplement son nom et sa dignité.

Dieu ne tarda pas à faire connaître les mérites de son serviteur par d'éclatants miracles dont le bruit se répandit par toute la Gaule. La ville d'Orléans, qui se vantait de lui avoir donné la première éducation, s'en prévalut pour réclamer son corps en s'appuyant sur l'autorité du roi Gontran et du Pape Jean III.

Elle obtint satisfaction, au moins en partie ; mais la chose n'alla pas sans protestation de la part du peuple de Vienne qui se voyait enlever son père et son protecteur.

Les reliques de saint Mamert que les Orléanais réussirent à emporter furent déposées dans l'église Sainte-Croix, où fut institué un collège de clercs, appelés Mamertins, qui chantaient l'office auprès de ces précieuses dépouilles. On célébrait à Orléans trois fois dans l'année la mémoire de saint Mamert ; au 11 mai, jour de sa fête ; au 13 octobre, anniversaire de la translation du corps ; au 14 novembre, anniversaire de celle de son chef. Les reliques se trouvaient renfermées dans deux châsses d'argent qui étaient portées aux processions. Au cours de la guerre féroce que les huguenots firent aux églises, aux statues et aux châsses, à tous ces trésors et à ces merveilles d'art, amassés depuis des siècles, elles furent jetées au feu, et le collège des Mamertins fut supprimé.

Le tombeau de saint Mamert à Vienne.

II convient d'ajouter que la translation des reliques à Orléans ne fut point une cérémonie solennelle effectuée au grand jour. C'est une tradition fort ancienne que les restes du saint prélat ont été dérobés, et les conclusions de l'archéologie s'accordent avec la tradition populaire.

L'église Saint-Pierre, où avait été inhumé Mamert et dont la fondation remonte à l'établissement du christianisme à Vienne, avait subi les mêmes vicissitudes que cette antique cité tour à tour rava-gée par les Bourguignons, les Francs et les Sarrasins. Il ne restait que de faibles débris de la basilique primitive, lorsque, au commencement du Xe siècle, le comte Hugues, qui régnait à Vienne au nom de son parent, l'empereur Louis l'Aveugle, entreprit la restauration de l'église et de l'abbaye de Saint-Pierre.

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Les tombeaux des Saints qui recommandaient l'église à la piété des fidèles ne furent point oubliés ; et c'est à cette époque qu'il faut attribuer la restauration de celui de saint Mamert. Ce tom-beau fut alors placé dans le chœur, du côté de l'Epître, sous une arcade pratiquée dans l'enfoncement de la muraille. En face, se trouvait le tombeau de saint Léonien, fondateur de l'abbaye. L'harmonie de cette disposition ne tarda pas à être troublée ; et bientôt, en raison des dangers qu'avaient courus les reliques, l'arcade fut murée et une lourde maçonnerie déroba le sarcophage à toute profanation. Toutes ces précautions pour conserver le précieux dépôt contre une nouvelle déprédation furent insuffisantes.

En 1026, d'anciens documents attestent encore l'existence de reliques de Mamert ; mais, en 1251, au relèvement des corps saints de cette église par l'ordre du Pape Innocent IV, il n'est plus fait mention du saint évêque, et c'est dans cet intervalle qu'eut lieu le rapt de ses principaux ossements. Ensuite la mémoire de son tombeau se perdit à ce point, qu'au moment des restaurations subies par l'église Saint-Pierre, vers la fin du XVIIIe siècle, on n'hésita point à faire disparaître sous une couche de mortier et de plâtre l'épitaphe qui vainement en indiquait la place. En 1860, des fouilles pratiquées dans le mur de l'abside de Saint Pierre mirent à jour l'épitaphe de saint Mamert, puis, au-dessous, un tombeau qui, d'après les archéologues les plus compétents, à tous les caractères de l'époque où mourut le Saint. Une ouverture, qui avait été faite dans la partie antérieure, ne laisse aucun doute sur la violation des reliques.

Lorsqu'on eut soulevé le couvercle, il devint facile de reconnaître qu'il ne restait plus du corps qui y avait été déposé que le petit nombre d'ossements que la main du ravisseur, en passant par l'ouverture, n'avait pu atteindre et enlever. La tradition se trouvait confirmée.

Une Commission d'ecclésiastiques, d'archéologues et de médecins, contrôla avec soin, en 1860, ces restes sacrés qui, après décision de l'autorité épiscopale, furent reconnus comme étant authentiquement ceux de saint Mamert. Tout concordait avec la tradition orléanaise. Les précieux fragments, oubliés plutôt que respectés du temps et des révolutions, sont conservés dans plusieurs reliquaires de l'église Saint-Maurice de Vienne et exposés à la vénération publique.

On attribue à saint Mamert plusieurs ouvrages, aujourd'hui perdus ; on a de lui deux homélies insérées dans la Patrologie, l'une sur les Rogations, l'autre sur la pénitence des Ninivites.

Deuxième patron de l'église Sainte-Croix d'Orléans, saint Mamert est invoqué en Gâtinais contre la rage et en Dauphiné contre les épidémies. En divers lieux, les pompiers se sont mis sous son patro-nage. Le Grand Séminaire de Vienne était placé sous son vocable ; plusieurs églises lui étaient dédiées, entre autres celle du Grand-Serre, bourg du diocèse de Valence, et celle de Saint-Mamert des Côtes-d'Areys, aux environs de Vienne ; enfin un chef-lieu de canton du Gard porte son nom. Sa fête est célébrée dans plusieurs diocèses de France.

E. Varnoux.

Sources consultées. – Œuvres de saint Avit, de saint Sidoine, de saint Grégoire de Tours ; les auteurs viennois Le Lièvre, Charvet, Colombet, etc. Légendes de saint Marcel et de saint Aignan ; de Terrebasse, Inscriptions viennoises. – Petits Bollandistes, avec leur supplément. – (V.S.B.P., n° 956).

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PAROLES DES SAINTS____________

Le repentir des fautes.

Comme les remontrances d'un père, faites doucement et cordialement ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger que n'ont pas les colères et les courroux, ainsi, quand notre cœur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remontrances douces et tranquilles, ayant plus de compassion pour lui que de passion contre lui, l'encourageant à l'amendement, la repentance qu'il en concevra entrera bien plus avant que ne ferait pas une repentance pleine de dépit et de colère. Dites-vous à vous-même : « Or sus, mon pauvre cœur, nous voilà retombés dans la fosse. Oh ! relevons-nous et quittons-la pour jamais ! » Que si votre nature molle réclame un traitement plus rigoureux, qu'il y ait toujours cependant de l'onction dans votre repentir et que la paix du Seigneur demeure avec vous.

Saint François de Sales.

Pour l'Église.

0 mon Dieu, au nom de vous-même, ayez pitié, je vous en conjure, de tant d'âmes qui vont à leur perte, secourez votre Eglise ; arrêtez le cours de tant de maux qui affligent la chrétienté, et sans plus tarder, faites briller la lumière au milieu de ces ténèbres.

Sainte Thérèse d’Avila.

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SAINTS NÉRÉE ET ACHILLÉEMartyrs à Rome (début du IIe siècle)

Fête le 12 mai.

CE que furent au juste les deux célèbres martyrs Nérée et Achillée, nous ne le savons pas d'une façon certaine. Leurs personnes et leur vie nous sont connues par deux documents qui semblent à première vue s'accorder difficilement entre eux, et qui, d'ailleurs, ne sont pas contemporains des événements qu'ils racontent.

Les Actes du martyre.

Le premier de ces documents consiste dans les Actes du martyre de sainte Flavie Domitille et des saints Nérée, Achillée et leurs compagnons. Nous y apprenons ce qui suit :

Flavie Domitille, petite-nièce de Vespasien († 79), nièce des empereurs Titus († 81) et Domitien († 96) et fille de Plautille, fut baptisée avec sa mère et les deux serviteurs de sa mère, Nérée et Achillée, par l'apôtre saint Pierre. Peu de temps après son baptême, Plautille mourut, confiant, à Nérée et Achillée l'avenir religieux et moral de son enfant. Quand celle-ci eut quinze ans, on la fiança au jeune païen Aurélien. On devine l'inquiétude de ses deux protecteurs ; qu'allaient devenir la foi et l'innocence de cette jeune fille jusque là si pure ? Ils lui dirent alors leurs craintes, lui parlèrent éloquemment de la virginité chrétienne, et la décidèrent à prendre le voile, que lui imposa saint Clément, troisième successeur de saint Pierre.

Aurélien, le fiancé frustré, finit par découvrir que Domitille était chrétienne, ce qui lui expliquait le changement survenu dans les sentiments de la jeune fille. Il obtint de Domitien qu'elle fût éloignée de Rome et reléguée dans une île de l'archipel tyrrhénien, l’île Pontia. L’exil et la solitude, pensait-il, auraient tôt fait de l’amener à résipiscence. Il en fut autrement, et, après une année d’attente vaine, Aurélien se crut obligé de recourir à l’influence de Nérée et d’Achillée, et, ignorant encore que ceux-ci fussent eux-mêmes chrétiens, il leur promit des présents si les deux serviteurs dévoués faisaient revenir la vierge sur ses décisions antérieures.

Mais les deux Saints – continuent les Actes – ayant rejeté de telles offres avec horreur, et fortifié davantage encore Domitille dans sa fidélité, Aurélien les condamna à une cruelle flagellation, puis les fit conduire à Terracine, où ils furent remis aux mains du consulaire Memmius (ou Minutius) Rufus. Celui-ci employa le chevalet et les torches ardentes pour les forcer à sacrifier aux idoles ; mais tous deux répétaient qu’ayant été baptisés par le bienheureux apôtre Pierre, rien ne pourrait les faire consentir à ces sacrifices impies. On finit par leur trancher la tête.

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Sur l’ordre de Domitille, un chrétien, nommé Auspicius, recueillit leurs corps, les emporta secrètement à Rome et les ensevelit près de la via Ardeatina, dans une propriété de Flavie, tante de Domitille, où déjà l’on avait déposé Pétronille, la fille spirituelle de saint Pierre. Quant à Domitille, elle fut elle-même martyrisée à Terracine, après des péripéties que les Actes racontent tout au long, c’est-à-dire brûlée vive, dans la chambre qu’elle habitait, avec deux vierges ses compagnes, Euphrosine et Théodora ; le nom de ces trois Saintes figure au Martyrologe Romain à la date du 7 mai. Sur le document que nous venons de citer, le grand archéologue Jean-Baptiste de Rossi a donné une appréciation dont voici la substance :

Les Actes de ces saints martyrs… racontent beaucoup de… choses peu croyables ; aussi la critique est-elle sévère à leur endroit. On ne peut cependant pas les traiter de pur roman d’imagination. Ils ont certainement une base historique, et les fouilles pratiquées dans le cimetière de Domitille ont vérifié un certain nombre de leurs indications…

Il est cependant vraisemblable que la date du martyre des deux serviteurs de Dieu doit être reculée de quelques années et reportée du règne de Nerva († 98) à celui de Trajan († 117).

L’inscription du Pape saint Damase.

Le second document concernant les deux martyrs est une inscription en vers du Pape saint Damase 1er (366-384). Elle était depuis longtemps connue, mais les codices ou manuscrits anciens ne l’appliquaient pas tous aux martyrs Nérée et Achillée. Jean-Baptiste de Rossi ayant retrouvé une partie importante de l’inscription originale, tout doute cessa. Le texte nous apprend que Nérée et Achillée étaient soldats, aux ordres d’un tyran persécuteur ; que la crainte du maître les força à exécuter ses œuvres cruelles ; qu’à la suite d’une conversion merveilleuse à la foi chrétienne, ils s’enfuirent du camp impérial, qu’ils jetèrent leurs armes et insignes de leur grade, qu'ils confessèrent joyeusement la religion du Christ et qu'ils acquirent ainsi la palme du triomphe. Le Pape-poète ajoute qu'il voit en tout cela un miracle de la grâce toute-puissante du Christ.

Ces documents peuvent-ils être conciliés ? M. de Rossi pensait qu'il n'y a pas entre eux de répugnance absolue. L'inscription damasienne affirme que Nérée et Achillée ont d'abord été au service de l'empereur, dans la garde prétorienne probablement, puis qu'ils se sont enfuis. Pourquoi ne placerait-on pas alors leur séjour dans l'île Pontia, auprès de Domitille prisonnière ? Le texte de l'inscription s'y oppose d'autant moins, qu'il ne fixe ni le genre ni la date du martyre.

Quant, à la qualification de serviteurs d'une nature particulière, que leur donnent les Actes, de Rossi l'explique ainsi : les Actes ont été traduits du grec entre le Ve et le VIe siècle. Or, à cette époque, certains serviteurs étaient tout-puissants à la cour de Byzance, et il se peut que l'auteur du texte grec se soit inspiré de l'usage de son pays, dans la qualification des deux personnages chargés de protéger Domitille. Cela a dû lui paraître d'autant plus naturel que la vierge chrétienne était apparentée aux empereurs romains.

Tombeau primitif des deux Saints. - La basilique souterraine.

Nous venons de voir, par les Actes, que les corps des saints martyrs Nérée et Achillée furent déposés, sur la via Ardeatina, dans une propriété appartenant à la famille impériale des Flavii, et près du tombeau de sainte Pétronille. Ils y furent, de la part des chrétiens de Rome et d'ailleurs, l'objet d'un culte assidu, et les « itinéraires » des pèlerins du VIIe siècle donnent plusieurs détails inté-ressants sur leur sépulture. L'archéologie avait dès le milieu du XIXe siècle identifié le praedium ou

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domaine funéraire de Flavie Domitille avec le sous-sol d'une propriété, connue sous le nom de

« Tor Marancia ». Rossi supposait que sainte Pétronille et les saints Nérée et Achillée y avaient été inhumés ; il écrivait en 1864 :

Il nous reste néanmoins à trouver, soit les inscriptions historiques des saints Nérée, Achillée et Pétronille, soit une preuve quelconque établissant que Tor Marancia était en réalité le praedium Domitillae mentionné dans les Actes de ces Saints...

La propriété sous laquelle s'étend la catacombe de sainte Domitille fut achetée en 1873 par Mgr de Mérode, et la Commission d'Archéologie chrétienne, dirigée par M. de Rossi, y commenta aussitôt ses fouilles. Elles aboutirent, en 1874, à la découverte de la basilique souterraine de Sainte-Pétronille et des Saints-Nérée et Achillée.

Cette basilique avait été construite, comme le prouvèrent plusieurs inscriptions, entre 390 et 395 de l'ère chrétienne, sous le pontificat de saint Sirice, successeur immédiat de saint Damase 1er. On y retrouva les vestiges d'un siège épiscopal, d'un maître-autel à ciborium de marbre, etc. Les corps des saints martyrs Nérée et Achillée, et peut-être aussi le sarcophage de sainte Pétronille, qui fut par la suite transporté au Vatican sous le pontificat de saint Paul 1er (757-767), se trouvaient sous le maître-autel. Deux colonnes portent chacune la représentation de la décapitation d'un martyr. Sur l'une, demeurée entière, on lit en caractères du IVe siècle : Acilleus (Achillée). Le fragment de la deuxième colonne permet de reconstituer un bas-relief analogue, au-dessus duquel le nom de Nereus (?) (Nérée) devait être écrit.

Ces colonnes supportaient le tabernacle de la « confession » des martyrs. (H. Leclercq.) Tout comme aujourd'hui, le toit ne devait s'élever que très peu au-dessus du sol extérieur. C'est dans cette église de la via Ardeatina, non dans l'église urbaine du même nom qui s'élève sur la via Appia, que le Pape saint Grégoire le Grand (590-604) prononça le jour même de la fête des saints Nérée et Achillée, une homélie célèbre, la XXVIIIe homélie sur l'Évangile. On en comprend mieux l'austère gravité si l'on se rappelle que l'ltalie était alors livrée en proie aux Lombards et qu'autour de Rome la peste et les autres fléaux s'ajoutaient aux incursions de ces barbares pour accroître l'angoisse générale.

Ces saints martyrs, près de la tombe de qui nous sommes réunis, ont répondu aux attraits du monde par le mépris de leur cœur...

Ils avaient devant eux la perspective d'une vie longue, heureuse, et que rien ne semblait devoir troubler, mais le monde qui, autour d'eux, apparaissait florissant, était devenu aride dans leurs cœurs. C'est le contraire pour nous : le monde qui nous entoure n'offre qu'aridité, mais il reste florissant dans nos cœurs. Partout c'est la mort, le deuil, la désolation ; de tous côtés le monde nous frappe et nous abreuve d'amertume et cependant, aveuglés par la concupiscence de la chair, nous aimons les amertumes du monde, nous le poursuivons quand il nous fuit, nous nous attachons à lui tandis qu'il nous échappe.

De saint Léon III (795-816), Anastase le Bibliothécaire écrit :

Cet illustre pontife, voyant que l'église des bienheureux martyrs Nérée et Achillée s'affaissait sous le poids des années et sous l'action des eaux qui l'inondaient souvent, fit construire dans une lieu voisin et plus élevé, une église nouvelle, de proportions plus grandes et d'une merveilleuse beauté.

Le texte que nous venons de citer devait provoquer une polémique. En effet, de Rossi l'appliquait à la basilique cimitérale de la via Ardeatina, que saint Léon III aurait remplacée par une construction nouvelle. En 1874, le grand archéologue exprimait l'espoir de retrouver cette dernière, mais il mourut sans avoir vu ses prévisions se réaliser. D'autres savants soutiennent qu'il s'agit de l'église urbaine des Saints-Nérée et Achillée dont nous allons parler.

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De toute manière, il parut à de Rossi que la basilique souterraine avait dû être méthodiquement dépouillée et abandonnée ; on en enleva la chaire épiscopale, les sièges du presbyterium, le pavé en marbre, l'autel, les sarcophages, tout ce qui constituait, en un mot, la partie mobile, et, on n'y laissa que l'ossature de l’édifice dont les portes furent ensuite régulièrement murées et condamnées ; Plus tard, à une date inconnue et qu'on pourrait peut-être fixer à l'année 897, un tremblement de terre, sans doute, détruisit de fond en comble la basilique du IVe siècle. C'est dans cet état de ruine que la retrouvèrent les fouilles de 1874.

Le « titre » de Fasciolaet la basilique urbaine des Saints-Nérée et Achillée.

Outre leur basilique des Catacombes, les saints Nérée et Achillée avaient donc, à l'intérieur de Rome, sur la via Nova ou voie Appienne, une autre église. Elle était située au commencement de la voie Appienne, dans le voisinage des Thermes de Caracalla et sur l'emplacement d'un ancien temple d'Isis, la divinité égyptienne. Il est vraisemblable que cette église ne fut pas construite en l'honneur des deux célèbres martyrs, mais qu'elle ne leur fut dédiée que plus tard.

On a cru pouvoir identifier le titre primitif de cette église avec celui de Fasciola, en s'appuyant sur le fait, connu par les inscriptions, que le clergé de « Fasciola » avait juridiction sur la catacombe voisine de la via Ardeatina.

En tout cas, c'est seulement à la fin du VIe siècle qu'apparaît dans des documents précis un archiprêtre des Saints-Nérée et Achillée, Graciosus, qui aurait été ensuite l'un des premiers cardinaux prêtres de ce « titre ». A l'époque dont nous parlons, l'église ainsi désignée était une fois l'an, le lundi de la Semaine Sainte, le théâtre de la solennelle « station » quadragésimale : le Pape, d'ordinaire pieds nus, avec le clergé romain et le peuple, s'y rendait en procession, partant de Sainte-Balbine ; il y célébrait la divine Eucharistie et distribuait la communion.

C'est cette église qu'aurait reconstruite de fond en comble Léon III. Et ce qui semble le prouver c'est un monogramme : Leo, Papa (Léon, Pape), qui était encore visible au XVIe siècle sur un fragment de mosaïque de l'abside, avant sa restauration. Anastase le Bibliothécaire énumère les dons d'un grand prix que saint Léon III fit à cette même église ; leur richesse amène à croire qu'à cette époque, c'est-à-dire autour de l'an 800, les corps des deux martyrs auraient été transférés du cimetière de Domitille à leur église titulaire, de même que, quelques années plus tôt, sous saint Paul 1 er, le sarcophage de sainte Pétronille avait été porté à la basilique du Vatican.

Encore sommes-nous sur ce point encore réduits à des suppositions. A la fin du XVIe siècle, le savant cardinal Baronius affirme, et, après lui le Pape Clément VIII, que sous Grégoire IX les reliques des saints martyrs furent déposées, en 1213, à Saint-Adrien au Forum, mais on ne sait si elles venaient de l'église de la via Ardeatina ou de celle de la via Appia.

L'église urbaine des Saints-Nérée et Achillée au moyen âge.

Sous Innocent III (1198-1216), la fonction d'archiprêtre des Saints-Nérée et Achillée était tenue en si haute estime que ce Pape ne l'accordait qu'à des personnages exceptionnellement méritants et comme preuve de sa particulière bienveillance. Vinrent, moins d'un siècle plus tard, les jours douloureux de l'exil d'Avignon ; comme Rome entière, comme ses basiliques, l'église des Saints-Nérée et Achillée tomba dans la pauvreté d'abord, dans l'abandon et la solitude ensuite, enfin dans la ruine la plus complète. Le poète Pétrarque, témoin de cette décadence lamentable, adressait au Pape Clément VI (1342-1352), jadis cardinal titulaire des Saints-Nérée et Achillée, des vers latins dont voici la traduction :

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Que dis-je, ô Père saint ? La demeure illustre des martyrs Nérée et Achille, votre basilique titulaire, ses arcs, ses mosaïques sont menacés de la ruine suprême ; les quatre colonnes mêmes de son ciborium, dont l’éclat fait songer à celui du ciel ; oui, ces colonnes sont réservées, loin de tout gardien, aux derniers malheurs ; de vous seul leur peut venir le secours. Prenez, donc en pitié ce siège, qui fut le vôtre, et que la chaire, plus sublime que vous occupez ne vous le fasse pas oublier à jamais.

Le secours imploré ne vint pas ; la basilique fut bientôt dans un tel état de délabrement qu'on renonça à y faire la station quadragésimale. Il faut attendre jusqu'au jubilé de 1475 pour voir pro-céder à une restauration assez importante.

Restauration de l'église sous le cardinal César Baronius.

Au temps où il n'était encore qu'un simple prêtre de l'Oratoire, l'auteur des Annales ecclésiastiques, passant un jour devant l'église des Saints-Nérée et Achillée, dit à son compagnon de route :

- Voyez en quel état est réduite cette antique et vénérable basilique ! Que doivent penser les hérétiques de notre négligence et que ne se disent-ils pas entre eux ! Le Seigneur m'est témoin que si j'en avais les moyens je me hâterais de la restaurer.

Devenu cardinal en 1596, il demanda, en effet, au Pape Clément VIII de lui donner pour « titre » cette église, ce qui lui fut accordé. Il emprunta, et, dans l'espace d'un an, réussit à faire une œuvre magnifique que nous admirons encore aujourd'hui, car la basilique offre sensiblement le même aspect que lorsque le pieux cardinal eut achevé les travaux de restauration et de décoration.

Les fresques de la grande nef, œuvre de Roncalli, plus communément appelé « Pomarancio » (1552-1626), retracent la vie et le martyre des Saints titulaires de l'église et de leurs compagnes. En voici la liste :

1. L’apôtre saint Pierre baptise Flavie Domitille, encore enfant, sa mère Plautille et les saints Nérée et Achillée.

2. Le Pape saint Clément impose le voile des vierges à sainte Domitille, en présence de nombreux chrétiens.3. Domitille, Nérée et Achillée confessent la foi chrétienne devant l’empereur Domitien.4. Baptême des vierges Théodora et Euphrosine converties par sainte Domitille. 5. Les vierges enchaînées et les martyrs soumis au dernier supplice.6. Les vierges brûlées vives ; saint Césaire recueille leurs corps.

Les deux groupes de Saints se retrouvent dans la décoration de l'abside.

Translation des reliques. - Le culte des deux saints martyrs.

Après avoir rendu au sanctuaire son antique splendeur, Baronius s'employa avec ardeur à diriger, sinon à réintégrer, les reliques des deux saints martyrs et celles de sainte Domitille vers l'église qui porte le nom des deux premiers. Déjà un Bref pontifical de Clément VIII, du 14 février 1597, l'autorisait à réunir leurs reliques éparses dans diverses églises de Rome. Ce pieux travail achevé, il

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obtint, le 3 mai suivant, un second Bref relatif à la translation.

On procéda d'abord, le 9 mai, à la reconnaissance des précieux restes dans l'église de Saint-Adrien au Forum, et procès-verbal fut dressé par devant notaire.

Enfin, le surlendemain, qui était, un dimanche, fut désigné pour la translation solennelle, dont le P. Gallonio, de l'Oratoire, qui en fut le témoin oculaire, a laissé un récit détaillé.

De nombreux enfants, les Chapitres de Rome, des chanteurs et musiciens précédaient le brancard ou lit de parade, porté par douze prêtres de l'Oratoire, et sur lequel étaient posées les reliques ; des porte-flambeaux, des thuriféraires, cinquante gardes-suisses l’entouraient. Le cortège fit halte près du Gesù, où se dressait un reposoir ; une nouvelle halte eut lieu au Capitole, où les magistrats de Rome, au son des musiques, au bruit des mortiers, offrirent aux trois Saints leurs hommages et se chargèrent de leurs reliques. Le cortège retrouvait plus loin d'autres reposoirs, un arc de triomphe, des inscriptions pieuses sur les arcs de triomphe antiques. La basilique des Saints-Nérée et Achillée, ra- jeunie par le zèle industrieux de son cardinal titulaire, s'ornait de trois inscriptions dont nous citerons celle-ci :

L'antique basilique accueille aujourd'hui ses patrons séculaires, Flavie Domitille, Nérée et Achillée ; elle, qui en perdant leurs reliques avait perdu sa gloire, reprend joyeusement, en les recouvrant, sa fierté et sa splendeur.

Sur le seuil du temple, le cardinal Baronius, en chape et en mitre, était prosterné jusqu'à terre. Il entonna l'antienne : Entrez, saints de Dieu. La solennité s'acheva au milieu de la piété et de la joie générales, et Clément VIII profita de la circonstance pour rétablir la « station » quadragésimale, supprimée depuis plusieurs siècles.

A dater de ce jour, le cardinal Baronius introduisit dans ses armoiries deux palmes croisées, par vénération pour les saints martyrs de son « titre ».

A la demande de l'éminent Oratorien, Clément VIII éleva au rite semi-double l'office des saints Nérée et Achillée, qui était simple au Bréviaire de 1550, et il y adjoignit sainte Domitille. Leur fête était célébrée le 12 mai. Présentement, sainte Domitille est célébrée, en outre, le 7 mai, à la date qui est considérée comme celle de sa mort. Au calendrier copte, le martyre des saints Nérée et Achillée est commémoré le 1er mai.

A.D’E.

Sources consultées. - II. Leclercq, Les, martyrs : 1. Les temps néroniens et le IIe siècle (Paris, 1902) ; La Catacombe de Domitilla, dans Dictionnaire de liturgie et d’archéologie (Paris, 1921). – A. D’Esprées. La basilique des Saints-Nérée et Achillée, dans la revue Rome (Paris, 1911). – (V.S.B.P., n° 485).

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BIENHEUREUSE IMELDA LAMBERTINI

Vierge Dominicaine (1322-1333)

Fête le 13 mai.

Imelda vécut peu d'années en ce monde, mais quelles années ! La sainteté, comme l'enseigne saint Thomas, se résume tout entière dans l'amour de Dieu ; or, cet amour fut assez vif dans le cœur d'Imelda pour arracher son âme à son corps mortel, et l'unir a Jésus-Christ pour toujours.

Le divin Maître a rendu ce beau témoignage de sainte Madeleine : qu'elle avait beaucoup aimé ; il en fut ainsi de l'angélique Imelda, qui avait reçu au baptême le nom de Madeleine.

Dans la maison paternelle.

Madeleine Lambertini naquit dans la ville de Bologne, en Italie, en 1322. Son père, le comte Egano, était un homme d'une grande foi. II remplissait dans la cité la haute charge de capitaines général. La mère, Castora Galluzzi, était très pieuse ; se voyant sans enfants, elle recourut avec persévérance à la Vierge du Saint-Rosaire qui exauça enfin ses supplications.

La famille de Madeleine, d'une noblesse déjà ancienne, était riche et puissante ; elle avait donné des hommes illustres par leurs exploits et par les services rendus à leur pays et elle comptait alors de saints religieux : l'Augustin Napoléon Galluzzi, l'évêque Dominicain Egide Galluzzi, Gisèle Galluzzi, fondatrice d'un couvent franciscain ; et aussi, du côté paternel, Massima de Ramiero Caccianemici, qui renonça au monde pour s'enfermer dans un monastère, avec quarante-neuf nobles dames, et que la voix populaire proclama bienheureuse à sa mort, en 1344. Au milieu du XVIIIe siècle, un des rejetons de cette vaillante race, le cardinal Prosper Lambertini, deviendra Pape sous le nom de Benoît XIV et gouvernera l'Eglise près de dix-huit ans, véritable prince de la science ecclésiastique.

Dieu ne réservait pas à la petite Madeleine une gloire aussi brillante aux yeux du monde, mais il avait versé dans cette âme des dons si rares, que, dès sa plus tendre enfance, elle parut un ange dans un corps mortel. Sa jeune intelligence semblait s'ouvrir comme naturellement aux premiers enseignements des vérités chrétiennes. Si quelque accident ou quelque douleur venait à troubler la sérénité de son visage et à exciter ses larmes enfantines, il suffisait de lui parler de Jésus et de Marie, pour captiver immédiatement son attention, sécher ses pleurs et lui rendre ses sourires.

Elle était sérieuse, appliquée, obéissante, modeste dans ses regards, grave dans son maintien, ennemie du bruit et de la dissipation. Son plus agréable passe-temps était de se retirer dans un petit oratoire rustique situé au fond du parc de ses parents, et où elle avait dressé un autel surmonté d'une image de la Très Sainte Vierge. Là, elle priait à son aise, aimant surtout à réciter le rosaire, comme sa mère le lui avait appris, et elle se livrait à divers exercices de piété, dans le silence et le

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recueillement.

Elle prenait pour modèle le divin Enfant Jésus et croissait en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes.

Dans ces saintes occupations, elle comprenait de plus en plus que le monde présent n'est que vanité en présence de l'éternité, que la grande affaire de la vie est de sauver son âme, que Dieu, la Beauté sans égale et la Bonté infinie, est seul vraiment digne d'amour, et que « la mesure de l'aimer est de l'aimer sans mesure », comme dit saint Bernard. Aussi s'efforçait-elle de lui donner chaque matin, tout son cœur, et de rester unie toute la journée à cet unique Bien-Aimé.

Les préoccupations de vanité et de toilette, qui se glissent si vite dans l'imagination des jeunes filles, n'existaient point pour elle; car elle s'oubliait elle-même pour ne songer qu'à plaire à Dieu. Les richesses de la maison paternelle la laissaient indifférente. Mais à mesure qu'elle grandissait, elle constatait combien l'esprit du monde est différent de l'esprit de Dieu. Elle se sentait attirée vers le saint asile d'un cloître où, renonçant à toutes les choses de ce monde par un généreux sacrifice, elle serait toute à Jésus-Christ.

Elle supplia ses parents de la conduire en quelque couvent ; et ces bons parents, offrant à Dieu leur sacrifice, acquiescèrent à sa demande. Madeleine aimait vivement sa famille et en était égale-ment aimée ; mais à cette joie de la terre il fallait préférer Dieu et sa sainte volonté, et il fut fait ainsi.

Cette enfant vraiment prédestinée avait à peine dix ans.

La petite religieuse.

A peu de distance de Bologne, dans le lieu appelé Val di Pietra, s'élevait le couvent de Sainte-Madeleine, établi d'abord à Ronzano, du vivant même de saint Dominique, par la bienheureuse Dianed'Andalo, et où de ferventes religieuses Dominicaines servaient le Seigneur avec amour. C'est là que se présenta la fille des Lambertini. Par son brûlant amour divin et par sa pureté parfaite, la jeune Madeleine était digne d'être la fille des deux Patrons de l'Ordre : saint Augustin au cœur d'or et l'angélique fondateur des Frères Prêcheurs.

Suivant un usage très ancien et encore fréquent à cette époque, l'enfant fut reçue au monastère, malgré son jeune âge, et revêtue de l'habit religieux. Cette démarche, d'ailleurs, n'engageait point l'avenir, et la profession ne pouvait avoir lieu qu'après l'âge nubile.

En recevant l'habit des novices, Madeleine échangea son nom contre celui d'Imelda. Les enfants de son âge, admis dans les monastères, n’étaient soumis qu'à une partie de la règle ; la jeune Sœur Imelda voulut l'observer tout entière. On la voyait à tous les exercices de la communauté, même parfois, lorsqu'elle en obtenait la permission, à ceux qui avaient lieu au milieu de la nuit ; elle était la plus exacte, la plus modeste, la plus obéissante. Elle châtiait son corps resté frêle par de rudes pénitences, comme si elle eût eu de grands péchés à expier, car elle désirait ressembler à Jésus crucifié. Les Sœurs les plus anciennes la regardaient avec une secrète admiration comme leur modèle.

Sa dévotion envers l'Eucharistie.

C'était un spectacle touchant de voir la merveilleuse dévotion de la sainte enfant envers le Sacrement de l'Eucharistie, Sachant que Jésus y est présent, Jésus l'unique objet de son ardent amour, elle éprouvait un bonheur sans lassitude à passer des heures entières en adoration devant le tabernacle. Dans ces suaves entretiens avec le divin Enfant, le temps lui paraissait court.

Chaque matin, elle assistait au saint sacrifice de la messe. Son âme était alors tout absorbée dans la méditation de cet auguste mystère ; son recueillement et ses larmes témoignaient de sa ferveur.

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Mais c'est surtout au moment de la communion, quand les Sœurs quittaient leur place pour aller s'agenouiller à la Table Sainte, que la petite religieuse ne pouvait retenir le flot de ses larmes. Qu'elle eût souhaité recevoir aussi son Roi bien-aimé ! Aucun sacrifice ne lui eût coûté pour être admise à un tel bonheur ; mais son âge l'en retenait encore éloignée.

En attendant, à l'heure de la récréation, elle s'approchait de quelqu’une de ses compagnes qui avait eu la grâce de communier le matin, pour s'entretenir avec elle de ce divin mystère :

- Oh ! je vous en prie, disait elle dans l'ingénuité et l'ardeur de son amour, expliquez-moi comment on peut recevoir Jésus dans son cœur et ne pas mourir.

Ne pouvant plus résister à l'ardeur de ses désirs, elle alla prier 1e confesseur du couvent de lui permettre de s'approcher de la sainte Table. Mais c'était alors l'usage, en ce pays, de ne pas admettre les enfants à la première Communion avant l'âge de quatorze ans. La tradition de l'Eglise d'admettre à la première Communion les petits enfants au moins dès l’âge de discrétion ayant été abandonnée, malgré les interventions du IVe Concile de Latran en 1215, elle devait achever de disparaître avec les siècles suivants, et il faudra attendre jusqu'au pontificat de Pie X pour voir rétablir, en 1910, l'antique discipline.

Il est facile de concevoir, dès lors, que l'aumônier du couvent des Dominicaines ne crut pas devoir faire une exception pour lmelda. Il se borna à encourager les saints désirs de l'enfant, sans lui permettre encore de les réaliser, lmelda se soumit ; Mais quel sacrifice !

Sa première Communion miraculeuse.

Cependant le divin Maître, qui ne se laisse pas vaincre en générosité, ne pouvait restez longtemps sans répondre à des appels aussi ardents.

L’épreuve de la bienheureuse enfant durait encore, quand arriva la fête de l'Ascension. On était au 13 mai 1333. Imelda venait d'atteindre sa douzième année. Pensant qu'en un si beau jour, son confesseur se relâcherait de sa sévérité, elle surmonte sa timidité et réitère sa demande avec plus d’instances que jamais. Ce fut en vain...

Mais, qu'est la volonté de l'homme devant celle de Dieu ? On peut bien, il est vrai, interdire à une âme de s’approcher de lui ; mais est-il au pouvoir de personne d’empêcher Dieu de s'unir à cette âme ? Dieu lui-même n'a-t-il pas déclaré dans les divines Ecritures, que ceux qui le cherchent le trouveront infailliblement, et qu'il rassasiera de ses biens ceux qui sont affamés ?

Le cœur brisé par le nouveau refus qu'elle venait d'essuyer, Imelda se rendit à l'église du monastère, pour assister à la messe et unir son sacrifice à celui de l’adorable victime…

Quand le moment de la communion fut venu, toutes les religieuses sans exception vinrent se ranger, heureuses et recueillies, autour de la Table sainte.

Seule, Imelda resta dans le bas du chœur.Là, agenouillée, la tête dans ses mains, elle donne un libre cours à ses larmes, en songeant au

bonheur de ses Sœurs ; elle se plaint amoureusement à son divin Epoux de rester sourd à sa prière, et le conjure par de nouvelles instances de ne pas différer plus longtemps de combler ses vœux.

Comme elle priait et pleurait encore, une Hostie s'échappe miraculeusement du Ciboire, s'élève en l'air, franchit la grille du chœur et vient s'arrêter, sans qu'aucune main la soutienne, au-dessus de la tête de l'enfant. Imelda, agenouillée, les yeux fixés sur la sainte Hostie, adorait son Dieu, si près d'elle, et semblait s'unir aux anges dans un même mouvement de respect et d'amour. Les Sœurs n'en peuvent d'abord croire leurs yeux. Cependant, le miracle persistant, elles avertissent le chapelain. Celui-ci, très ému, s'approche et s'agenouille, la patène à la main : l'Hostie, jusque-là immobile, vient s'y placer elle-même. Alors, ne doutant plus de la volonté de Dieu, le prêtre prend avec vénération

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l'Hostie miraculeuse et en communie la bienheureuse enfant.

Sa mort.

lmelda venait de faire sa première Communion ! Enfin, ses vœux sont accomplis ! et, comme si elle n'eût pu dans un corps mortel supporter une telle joie, elle s'affaisse sur elle-même, abîmée dans une contemplation profonde : ainsi la fleur s'incline sous les gouttes de la rosée du ciel, trop faible pour en soutenir le poids. Les mains toujours croisées sur sa poitrine, les yeux doucement fermés, Imelda paraissait livrée à un délicieux sommeil…

Longtemps les Sœurs l'admirèrent en silence. Elles ne se lassaient pas de la regarder… ni de louer Dieu au fond de leur cœur, parce qu'il est bon, et que sa miséricorde s'étend à tous les siècles. Toutefois, l'office achevé, la voyant toujours immobile et prosternée, elles ne peuvent se défendre d'une vague inquiétude. On l'appelle ; on la prie, on la supplie, on lui commande de se relever ; elle, toujours si prompte en obéissance, cette fois n'obéit pas ; elle n'a pas entendu... On la relève... elle était morte !

Qui aurait eu la pensée de plaindre cette heureuse enfant d'être entrée si saintement dans la vie qui dure sans fin, au ciel, après une première Communion si fervente, et en ce beau jour de l'Ascension ?

Ne la plaignons pas en effet, mais félicitons-la d'être entrée si saintement dans la vie qui dure sans fin, au ciel.

Après la mort. - Ses reliques.

Le bruit de ces prodigieux événements se répandit bientôt dans la ville de Bologne, et le monastère de Val di Pietra vit accourir une véritable foule, chacun désireux de contempler une dernière fois les traits de la petite moniale. Ce fut le comte Lambertini qui ferma lui-même les yeux de sa fille, que le peuple appelait déjà la « petite Sainte ».

Les moniales l'inhumèrent dans leur chapelle et firent élever à l'entrée du chœur un mausolée de marbre blanc, qui devint un centre de pèlerinage, et près duquel les fidèles venaient implorer la protection de l'angélique enfant et en obtenir des miracles.

Pendant deux siècles, ses restes reposèrent dans leur sépulture primitive. Mais, par suite de troubles et de guerres, les religieuses durent chercher asile dans la ville de Bologne, en 1566, et quitter Val di Pietra où les Servîtes les remplacèrent. Les religieuses avaient dû laisser leur cher trésor, et elles ne s'en consolaient pas. Cédant à leurs instances, le cardinal Paleotti, évêque de Bologne, ordonna le transfert du corps d'lmelda, ce qui eut lieu le 24 février 1582. La famille Lambertini fit décorer une chapelle en son honneur, et on y plaça une inscription rappelant le miracle de sa communion et sa mort.

L'ancien couvent des Dominicaines de Val di Pietra est aujourd'hui occupé par les Capucins ; dans le chœur de la petite église, présentement dédié à saint Joseph, une inscription latine marque l'endroit précis où arrivèrent la communion miraculeuse et la mort de la « petite Sainte ». En voici la traduction :

Ici, le XX des calendes de juin (13 mai) 1333, en la fête de l'Ascension de Notre-Seigneur dans les cieux, la bienheureuse Imelda Lambertini, vierge très noble de l'Ordre dominicain, qui, à cause de la jeunesse de son âge, s’était vu interdire l'accès de la sainte Table, fut nourrie miraculeusement par la sainte Hostie qui se posa sur elle, et rendit heureusement son âme A Dieu.

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Son culte.

On conçoit aisément que les Dominicaines de Bologne furent les premières à honorer comme une Sainte leur chère petite Sœur ; elles inscrivirent son nom dans leur Martyrologe et elles célébraient sa fête le 16 septembre. La famille Lambertini n'était pas moins empressée à faire connaître les vertus d'lmelda, qu'elle considérait, à juste titre, comme sa gloire la plus pure. Au XVe siècle, la bienheureuse Jeanne Lambertini, Clarisse de Bologne, contribua beaucoup à répandre le culte de sa parente. Au XVIIe siècle, un certain Jean-Baptiste Lambertini, appartenant à la même famille, publiait en latin, à Anvers, la biographie de la sainte Dominicaine. Enfin, au milieu du siècle suivant, le cardinal Prosper Lambertini, à la veille de devenir le Pape Benoît XIV, s'occupa de faire introduire officiellement la cause de la béatification d'Imelda. La mort ne lui laissa pas le temps d'achever son œuvre et le procès fut suspendu jusqu'au sortir des guerres de la Révolution et de l'Empire.

Sous la domination française, les Dominicaines furent contraintes de quitter leur couvent de Bologne et de se disperser ; les pauvres religieuses se partagèrent alors les ossements de leur petite Sœur grâce à la piété de la famille Malvezzi, ces reliques furent de nouveau réunies et placées dans l'église Saint-Sigismond, sur laquelle cette famille avait un droit de patronat. Elles s'y trouvent encore aujourd'hui, vénérées dans une châsse, sous une effigie en cire de l'angélique enfant qui émeut profondément les visiteurs.

Le 6 mai 1826, la S. Congrégation des Rites confirmait le culte rendu à la petite Dominicaine, ce qui équivalait à la béatification, et, le 16 décembre suivant, le Pape Léon XII la proclamait officiellement bienheureuse, accordant à toute la famille Dominicaine et au diocèse de Bologne la permission de célébrer l'office et la messe propres en son honneur. Sa fête est fixée au 13 mai, depuis la réforme du Bréviaire, pour l'Ordre de Saint-Dominique.

Patronne des premiers communiants.

La bienheureuse Imelda Lambertini a été donnée pour patronne aux enfants de la première Communion, afin de leur obtenir deux grâces : celle de bien recevoir la première visite de Jésus Hostie et celle de la persévérance. Une confrérie a été fondée, le 17 mai 1891, par Mgr Billard, évêque de Carcassonne, à Prouille, dans ce sanctuaire qui se flatte d'avoir vu naître la dévotion du saint Rosaire, près duquel saint Dominique a fondé le premier couvent de religieuses et d'où il a envoyé ses premiers Frères à travers le monde. Affiliée à l'Ordre des Frères Prêcheurs, le 21 août 1893, par le R.P. Fruhwirth, Maître général, et plus tard cardinal, elle a été érigée en archiconfrérie par un Bref du Pape Léon XIII, le 7 mai 1896, et enfin transférée à Rome, le 18 octobre 1910, sous le pontificat de Pie X, le Pape de la première Communion précoce.

Voici l'antienne et l'oraison gravées sur une plaque de bronze, l'an 1600, dans l'église du couvent des Dominicaines de Bologne, près de l'inscription déjà signalée :

Glorieuse vierge, épouse du Christ, Imelda, perle précieuse de virginité, illustrée par les dons du ciel, écoutez les prières que nous répandons en votre présence : faites que nous soyons un jour unis aux chœurs célestes, et en attendant, protégez-nous au milieu des calamités qui nous pressent de toutes parts.

- Priez pour nous, bienheureuse lmelda.- Afin que nous devenions dignes des promesses de Jésus-Christ.

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Prions, Seigneur, que l'intercession de la bienheureuse lmelda, votre vierge, nous protège contre tout péril, et que par son intervention il nous soit donné de recevoir, avant notre mort, le sacrement du Corps et du Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, après une vraie pénitence et une sincère confession. Par le même Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ainsi soit-il.

Maxime Viallet.

Sources consultées. – R.P. Lataste, O.P., vie de la bienheureuse Imelda Lambertini (Paris, 1875). – Anonyme, La bienheureuse Imelda (Bureau des Œuvres eucharistiques, Paris). – Renée Zeller, Imelda Lambertini, vierge Dominicaine (Paris, 1922). – Les Saints et Bienheureux de l’Ordre de Saint-Dominique (Paris, 1927). – P.Bianchi, O.P., La Sanctina della prima Communione (dans l’Aurora nel secolo del Sacramento, Milan). – M.C. de Ganay, Les Bienheureuses Dominicaines (Paris, 1913). – (V.S.B.P., n° 587).

…………

PAROLES DES SAINTS------------

La vraie liberté.

Que tu le veuilles ou non, tu es soumis à un Dieu et Seigneur unique et tu es averti de cette vérité afin que, de toute ta volonté, tu obéisses à ton Dieu. Le juste sert noblement, le méchant sert comme un esclave ; tous, cependant, obéissent à la divine Providence ; mais les uns obéissent comme des fils, et font avec elle ce qui est bien ; les autres sont liés comme des esclaves, et elle fait d'eux ce qu'il convient.

Les bons servent Dieu de tout leur cœur, mais les méchants servent par nécessité ; personne, cependant, n'échappe aux lois du Tout-Puissant. Autre chose est de faire ce qu'ordonne la loi, et autre chose de la subir ; c'est pourquoi les bons agissent suivant les lois, tandis que les méchants souffrent selon les lois.

Il t'est donc avantageux de servir volontiers ; car en ne voulant pas obéir au Christ, tu ne fais rien autre chose que de ne pas servir un bon maître, mais que tu serves l'iniquité. Si tu es bon, même en obéissant, tu es libre ; si tu es mauvais, même si tu règnes, tu es esclave, non pas d'un homme, mais, ce qui est beaucoup plus pénible, tu as autant de maîtres que de vices.

Saint Augustin.

L’esprit d’enfance.

L'esprit du mystère de la Nativité de Notre-Seigneur, c'est « l'esprit d'enfance » : le Fils de Dieu étant venu en ce monde, selon qu'il est dit dans l’Evangile de saint Jean, « a donné à tous ceux qui l’ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». Cet esprit d’enfance consiste dans la simplicité, docilité, pureté, et dans le mépris des richesses et des grandeurs mondaines.

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Saint Jean-Baptiste de la Salle.

SAINT PONSMartyr, apôtre des Alpes († vers 255 ou 261).

Fête le 14 mai.

Un couple païen entrait au temple de Jupiter le Grand à Rome, pour y offrir l'encens et faire ses dévotions. C'étaient deux fervents ; le mari s'appelait Marc, était sénateur, et par conséquent de noble extraction ; la femme avait nom Julie et était fort dévote aux idoles. Après être demeurés vingt-deux ans sans enfants, ils avaient enfin l'espoir de voir bientôt un petit être égayer leur foyer, et venaient remercier « le père des dieux » d'avoir répondu à leur attente.

Un futur ennemi des dieux.

Au même moment, un prêtre de Jupiter se précipita vers eux comme un furieux, en leur barrant le passage :

- Arrière, maudits, s'écriait-il en les menaçant de ses gestes d'épileptique ; osez-vous braver Jupiter dans son temple ? Sortez !

- Nous sommes au contraire fidèles serviteurs des dieux, et ces présents sont pour Jupiter lui-même, dit Marc tout tremblant.

Le possédé déchira le voile qui lui couvrait à demi le visage, arracha les bandelettes qui ceignaient son front puis, fixant d'un oeil terrible Julie épouvantée, il s'écria avec une énergie sauvage :

- Hors d'ici, toi qui vas enfanter le monstre ennemi des dieux ! Celui que tu portes doit les briser et renverser leur temple sacré.

Il les poursuivit ainsi de ses clameurs, ameutant contre eux le peuple qui croyait, à quelque sacrilège. Les deux époux furent heureux de trouver asile en cet instant critique dans une maison amie voisine du temple. Là, Julie, brisée d'émotion, et surtout désespérée de ce qu'on venait de lui annoncer, se livra à son tour contre elle-même à un accès de fureur. Dans son aveuglement idolâtrique, elle protestait qu'elle aimait mieux mourir que d'enfanter un ennemi de ses dieux.

Le temps venu, cette femme mit au monde un charmant enfant plein de vie ; elle eut cependant le triste courage de demander qu'on lui remet le pauvre petit, afin de l'étrangler, mais son mari l'arrêta :

- Laisse donc, lui dit-il, laisse Jupiter se venger seul de son ennemi, il en est bien capable.L'enfant fut appelé Pontius (en français Pons), du nom de la famille (Pontia).

Par curiosité ou amour de la musique.

Comme on peut bien le penser, l'enfant ne fut guère conduit au temple de Jupiter ; il ne fit connaissance qu'avec les lares et les pénates, objets du culte familial. Du reste, il était si bien doué qu'il apprenait et comprenait tout sans effort, presque sans travail.

Il continua à s'instruire en, grandissant, et émerveillait ceux qui l'approchaient, tant il l'emportait sur ses condisciples. Valère, son ami, qui a écrit son histoire, l'appelait « une bibliothèque vivante ».

Un matin que tous deux se rendaient chez un de leurs professeurs, les paroles d'un chant étrange et inconnu vinrent frapper leurs oreilles ; des voix qui se répondaient racontaient la grandeur d'un

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Dieu qui avait créé le ciel et la terre ;

puis venaient des railleries à l'adresse des idoles des nations « qui ont une bouche et ne parlent point, des oreilles et n'entendent point, des mains sans pouvoir toucher, et des pieds pour ne point marcher ». Le chant était tout nouveau pour eux et leur parut curieux. Les deux compagnons heurtèrent à la porte et demandèrent à entrer pour prendre part à la fête. Après avoir parlementé quelque temps de la fenêtre, on consentit à leur ouvrir, mais ils durent attendre seuls jusqu'à la fin du service divin auquel on ne leur permit pas d'assister. Les deux jeunes païens se trouvaient sans le savoir dans une église chrétienne. C'était le moment où le Pape saint Pontien achevait la messe matinale, et les paroles étranges qu'ils avaient entendues n'étaient autres que les versets du psaume in exilu Israel, qui se chante aujourd'hui aux Vêpres.

Premier catéchisme.

L'office terminé, l'évêque de Rome, Pontien, vint lui-même trouver les visiteurs, et Pons le pria de leur expliquer quel était le chant qu'ils avaient entendu de la rue. Le Pape répondit :

- Je sais, mon fils, que Dieu a éclairé ton cœur pour le chercher. Dis-moi, toutes les statues des dieux, qu'elles soient d'or, d'argent, de marbre ou de toute autre matière, ne te semblent-elles pas choses purement matérielles et sorties de la terre ? Des blocs de pierre, taillés dans un rocher, transportés dans un chariot à grand renfort de bœufs, déposés sur le forum, ne sont toujours pas autre chose que des pierres, qui retourneront à la terre, d'où ils ont été pris. Mais notre Dieu à nous est le Dieu du ciel, invisible aux yeux, car il est esprit ; mais visible au cœur qui le cherche.

Pons, surpris, répondit :- Seigneur père (c'était un titre de respect en usage), il est évident, en effet, que les statues sont

sans ârne et sans mouvement, tout le monde en conviendra. On a mis une quantité de ces dieux un peu partout. Il a fallu les sceller avec du plomb, pour qu’ils résistent bien au vent, et les voleurs en enlèvent de temps en temps quelques-uns malgré leur poids.

L'évêque fut étonné de cette sage réponse, et aussi d'une telle liberté de langage chez un païen si jeune. II prit Pons par la main et voulut le faire asseoir, mais Pons refusa par respect :

- Je me suis tenu debout devant des maîtres qui m'enseignaient des choses bien moins importantes que celles-ci, dit l'adolescent, et je ne m'assoirai pas en votre présence.

Pendant près de trois heures, le Pape exposa à ses visiteurs les vérités de la religion chrétienne, et surtout leur raconta l'histoire du Sauveur Jésus. Puis il demanda à Pons :

- Avez-vous votre père et votre mère ?- Voilà deux ans que ma mère est morte, répondit l'adolescent, mon père est vieux et je suis son

unique fils. - Adore-t-il les dieux de Rome ?- Oh ! il est très fervent pour leur culte.Alors saint Pontien reprit :- Dieu, qui vous a ouvert les yeux à vous-même sans le secours de personne, saura, s'il lui plaît,

se servir de vous, mon fils, pour donner la vie immortelle à celui qui vous a donné la vie mortelle. Croyez donc en Jésus-Christ, et vous recevrez le baptême.

Et il l'inscrivit aussitôt, lui et son ami Valère, parmi les catéchumènes, puis il les renvoya tous les deux.

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Saint Pons catéchise son vieux père.

Les visites à l'église chrétienne se renouvelèrent souvent et devinrent même quotidiennes. Pons fit de très rapides progrès dans l'instruction et la vertu. Marc, son père, qu'il n'avait pas mis dans ses confidences, lui disait quelquefois au retour de ses sorties :

- Eh bien ! mon fils, as-tu encore appris quelque chose ?Pons répondait :- Jamais, mon père, je n'avais appris d'aussi bonnes choses qu'aujourd'hui.Et le vieillard se réjouissait, le croyant en voie d'acquérir la science humaine.Pons cependant cherchait une occasion de parler à son père de Jésus-Christ. Un jour enfin il lui

dit :- Père, j'entends souvent des hommes affirmer que nos dieux sont vains, qu'ils n'ont rien de la

majesté qu'ils affectent; ne te parait-il pas qu'il en est un peu ainsi ? Ils ont bien la forme humaine et des membres, mais ils ne sauraient en user. Je te prie de me le dire si tu t'en es aperçu, les dieux que nous avons ici, à la maison, ont-ils montré quelque puissance depuis leur fabrication ?

- Je ne m'en suis jamais aperçu, répondit le père.- Alors, pourquoi leur offres-tu des sacrifices et de l'encens ?... A cet argument un peu trop personnel, le vieux Marc entra en fureur, et, saisissant son épée, il

voulut en frapper son fils. Quand il se fut un peu apaisé, il se contenta de dire avec amertume :- Veux-tu donc que, seuls dans cette ville, nous soyons sans dieux et sans sacrifices ?- Nous ne serons pas seuls, répondit le jeune homme. Il y en a déjà beaucoup dans Rome qui

sacrifient au vrai Dieu.- Et où les trouvons-nous ?- Ordonne-moi mon père, de t’amener quelqu’un qui puisse te parler de cette question avec

compétence, et je saurai le trouver.- Volontiers, amène-le.Pons dit en sortant à Valère, témoin de cette scène :- Certainement le doigt de Dieu est là .

Ils amenèrent saint Pontien, qui n’eut pas de peine à convaincre le vieillard. A la suite de cette première conférence, tous ensemble brisèrent les idoles de la maison, et quelque temps après la famille du sénateur, y compris serviteurs et esclaves, recevait le baptême. Le père mourut au bout de quelques mois et Pons se trouva héritier de sa charge et de sa fortune. Il avait vingt ans.

Chez les empereurs.

Le jeune chrétien continua ses relations avec le Pape Pontier qui l'avait baptisé, et ensuite avec saint Anthère qui n’occupa qu'un mois le siège de saint Pierre. Puis, vint saint Fabien, à qui Pons fit une donation générale de ses biens en faveur des pauvres.

Les deux Philippe régnaient alors, ou plutôt, l'empereur avait associé à l'empire, en qualité de César, son fils, du même nom que lui ; ils gouvernaient, avec entente et habileté. Pons, qui avait pris au Sénat la place de son père, avait gagné l'amitié des empereurs. Or, aux approches de l'an 247, pendant qu'on préparait au palais et dans Rome les fêtes du millénaire de la fondation de Rome, le César et son père s’entretenaient devant le jeune sénateur chrétien du sacrifice solennel qu'on allait offrir aux dieux à cette occasion. Pons dit tout à coup :

- Enfin, très pieux empereurs - c'était une formule en usage – puisque vous représentez la puissance de Dieu ici-bas, pourquoi ne lui rendriez-vous pas hommage ce jour là ?

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- C’est précisément ce que nous voulons faire, dit Philippe.

Pons reprit en souriant :- Ne vous trompez point, il n’y a qu’un seul Dieu dans le ciel, c’est celui qui a tout créé par son

Verbe et tout vivifié par le Saint-Esprit.Les empereurs se regardaient étonnés, ne comprenant rien à ces étranges paroles. L’un deux dit à Pons :- Nous ne savons dans quelle intention tu nous dis cela. Et Pons :- Jupiter a-t-il toujours existé ? .Evidemment non, Saturne son père existait avant lui pendant l’âge d’or. C’est Saturne qui a

introduit l’agriculture en Italie. - Et quand Saturne régnait en Crète, avant d’être dépossédé par son fils Jupiter, n’y avait-il pas

des hommes en Italie qui lui donnèrent l’hospitalité lorsqu’il fut chassé ?- Oui, il y en avait.- Ce ne sont donc pas les dieux qui nous ont créés ! Il n’y a qu’un seul Dieu, c’est celui qui

nous a faits ; il est Père, Fils et Esprit.- S’il n’y a qu’un seul Dieu, répliqua l’un des deux princes, pourquoi lui donnes-tu un fils ?

Le corps décapité de saint Pons est jeté dans une rivière.

Pons fut alors amené à parler de l’incarnation et du péché originel qui l’avait rendue nécessaire ; il raconta la vie de Jésus, le Dieu fait homme, comme saint Pontien la lui avait autrefois raconté à lui-même ; il parla du bonheur du ciel et des tourments de l'enfer et occupa longtemps l'attention des empereurs, aussi charmés qu'étonnés des nouvelles choses qu'ils entendaient. Plusieurs conférences

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semblables convainquirent les deux Philippe qui crurent en Jésus-Christ.

Le sacrifice du millénaire fut décommandé, on se borna aux spectacles et aux réjouissances publiques. Telle est la tradition. De fait, on ne lit dans aucun auteur, remarque un historien latin du Ve siècle, Paul Orose (liv.VII, chap, XX), qu'on soit monté ce jour-la au Capitole, ni que, suivant l'usage, on y ait immolé des victimes.

Le Pape saint Fabien fut dans l'allégresse en apprenant ces heureuses nouvelles : toutes les idoles avaient été brisées dans les différentes résidences impériales, et les chapelles intérieures du palais affectées à d'autres destinations.

Malheureusement, cette conversion des empereurs n'eut pas le temps de porter de fruits pour la société romaine : les deux Philippe furent tués par trahison, deux ans après, en249.

Dèce, qui leur succéda, fit martyriser dès la première année le Pape saint Fabien (250). Puis vinrent sur le trône Gallus et Volusien qui ne l'occupèrent que deux ans et quelques mois, et enfin Valérien et Gallien qui furent de violents persécuteurs ; ils publièrent un édit général contre les chrétiens et ceux qui les cacheraient.

Pons était trop connu comme chrétien depuis plusieurs règnes, pour ne pas être en danger. Il se cacha quelque temps dans Rome, puis se retira dans la petite ville de Cimelia, au pied des Alpes.

Saint Pons est saisi. - Interrogatoire.

Mais la persécution passa aussi en province, où l'on créa des « tribunaux d'exception » contre les chrétiens. Les Gaules eurent comme président un certain Claude, avec Anabe comme assesseur. Pons finit par leur être livré. II fut amené devant le tribunal. Alors s'engagea un dialogue, que les actes du tribunal nous ont conservé :

Le président. – Les princes Valérien et Gallien, mes maîtres, ont entendu parler de toi, et comme tu es d'une famille noble, ils ont ordonné que tu sacrifies aux dieux, sinon tu seras condamné à subir différents supplices en compagnie de misérables et de gens de basse extraction.

Pons. – Le Christ est ma consolation. Si je perds ma fortune terrestre, j'en aurai une éternelle ; là-haut j'aurai non pas une noblesse humaine, mais la même gloire que les anges.

Alors, le président ordonna de lui mettre des fers et de le garder en prison jusqu'à ce que les empereurs eussent été avisés. Il écrivit en effet à Rome, d’où on lui répondit par l'autorisation de faire périr le chrétien de n'importe quelle manière s'il ne renonçait à sa foi. On tira Pons de sa prison. De nouveau le dialogue reprit :

Le président. – Ecoute les ordres salutaires de tes maître ; ils t'ordonnent d'offrir un sacrifice aux dieux ou de périr.

Pons. – Je n'ai qu'un maître, Jésus-Christ, répondit le martyr. Celui là peut me délivrer des tourments dont tu me menaces.

Le président. – N'est-il pas étonnant que toi, un homme influent, tu en sois venu à ce point de bassesse d'appeler ton maître un homme pauvre et sans nom que le président Pilate, magistrat comme nous, a fait mettre à mort pour je ne sais quelle accusation ?...

Pons. – N'est-il pas étonnant aussi, que toi, un homme raisonnable, tu en sois venu à ce point de folie de ne point reconnaître celui qui est le Maître du ciel et de la terre, et qui, pour ton salut, n'a pas dédaigné d'être pauvre ? Tu oses appeler « homme sans nom » celui que les anges honorent aux cieux ! Quant à l'accusation des Juifs et au supplice de la croix ordonné par le juge Pilate, ils sont arrivés parce que Jésus les voulait pour notre salut, et non par nécessité. Oh ! si tu voulais t'incliner devant ce Dieu, ton esprit s'élèverait jusqu'aux cieux, tu verrais que tes dieux sont on réalité des démons, et que ton esprit est dans les ténèbres...

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Le chevalet, les ours et le bûcher.

Claude, furieux, donna l'ordre de soumettre le généreux chrétien à divers supplices. Or, comme les bourreaux tournaient la roue à force de leviers, soudain le chevalet se brisa, et Pons, debout et tranquille au milieu de ses bourreaux épouvantés, disait à Claude :

- Eh bien ! crois-tu maintenant à la puissance de mon Dieu ?Le président, confondu et troublé, ne trouvait pas de paroles pour répondre ; son assesseur,

Anabe, vint à son secours :- 0 le plus sage des magistrats, dit-il, vous savez que deux ours magnifiques des montagnes de

Dalmatie sont arrivés ici en même temps que nous ; faites disposer l'amphithéâtre et que Pons n'ait d'autre sépulture que la gueule des ours qui vont le dévorer.

Claude se rendit à cet avis, et Pons fut déposé dans l'arène. On lâcha les deux ours, et, comme ils semblaient récalcitrants et engourdis, deux gladiateurs vigoureux et bien armés descendirent aussi dans l'enceinte pour les exciter contre l'ami de Dieu. Ils avaient à peine posé le pied sur le sable que les deux fauves se précipitèrent sur eux, les étouffèrent entre leurs bras nerveux et s'acharnèrent sur leurs cadavres jusqu'à les rendre méconnaissables. Ensuite les deux bêtes, toutes souillées de sang, vinrent se coucher caressantes à un pas du martyr en prière.

Claude, exaspéré, disait aux licteurs d'une voix étranglée :- Vite ! Apportez du bois… qu’on l'entasse autour de lui et nous verrons si ses incantations

éteindront le feu.Quand le martyr vit le bois disposé, il dit à son juge :- Pour quel crime me condamnes-tu au feu ?... Tu seras toi-même livré au feu éternel. Pour moi,

j'ai confiance en mon Dieu qui a autrefois arraché les trois enfants de la fournaise.La flamme s'élança bientôt en tourbillonnant. Le peuple cependant regardait anxieux, et Claude

ricanait, croyant bien en avoir fini cette fois. Quand l'échafaudage se fut consumé et la fumée dissipée, on revit Pons debout ; ses habits n'étaient pas même noircis.

La mort. - Châtiment des bourreaux

Alors Claude, ne voulant pas s'avouer vaincu, eut recours à la flatterie, espérant ainsi persuader le martyr de sacrifier à Apollon, dont le temple était près de là, mais le généreux chrétien répondit :

- Je sacrifie mon corps à Jésus-Christ, mon Maître ; essaye encore d'autres tourments en attendant que la vengeance de Dieu t'atteigne.

Il y avait des Juifs dans l'assemblée ; ils se mirent à crier :- A mort ! A mort le malfaiteur !Le martyr leva alors la main droite vers le ciel :- Merci, Seigneur Jésus, dit-il ; ils parlent comme leurs pères qui vous criaient : Crucifiez-le !

Crucifiez-le !Le président se leva et déclara avec colère :- Oui, il va mourir, car ce n'est pas moi seul, mais les empereurs qu'il outrage depuis si

longtemps.Puis il dit aux bourreaux :- Conduisez-le et tranchez,-lui la tête sur le rocher qui domine la rivière ; que son corps soit jeté

ensuite au fond du précipice.Il fut ainsi fait, et le martyr Pons rendit son âme à Dieu.

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Les prédictions du Saint s'accomplirent à la lettre : l'empereur Valérien, fait prisonnier et esclave par Sapor, roi des Perses, courbait le dos et servait d'escabeau à son vainqueur chaque fois que celui-ci montait à cheval (259).

Gallien fut percé de coups d'épée par ses propres soldats à son entrée à Milan (268). Enfin, au moment même où était décapité saint Pons, Claude et Anabe tombèrent au pouvoir des démons et expirèrent au milieu d'affreuses tortures.

Les deux monastères et la ville de Saint-Pons.

Valère, l'ami d'enfance de Pons, avait été témoin de son martyre ; il prit soin d'ensevelir son corps sur le lieu même du supplice.

Charlemagne combla de faveurs le monastère élevé en l'honneur de saint Pons non loin des villes de Cimelia (Cimiez,) et de Nice.

La ville de Cimiez ayant étés détruite par les Lombards, l'abbaye de Saint-Pons de Cimiez subsista seule. Au Xe siècle, un comte de Toulouse, appelé Raymond Pons, dépouilla cette abbaye des reliques du Saint qu'il transféra à Thomières, en Languedoc, balisant en ce lieu un nouveau monastère en l'honneur du martyr. Ce fut le monastère de Saint-Pons de Thomières ; il donna peu à peu son nom à la ville actuelle. Le Pape Jean XXII y érigea un évêché en 1318. L'église abbatiale, devenue cathédrale, ayant été ruinée en partie par les protestants (1567), le monastère fut sécularisé en 1615 ; les reliques avaient été détruites pendant les guerres de religion.

Christophe Portalier.

Sources consultées. – Les Petits Bollandistes. – Annuaire pontifical catholique pour 1920. – (V.S.B.P., N° 845).

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SAINT JEAN-BAPTISTE DE LA SALLEPrêtre, fondateur de l'Institut des Frères des Écoles chrétiennes

(1651-1719).

Fête le 15 mai.

Dans le même siècle où saint Vincent de Paul instituait la Société des Prêtres de la Mission dans le dessein d’ « évangéliser les pauvres », Dieu suscitait un autre prêtre pour procure l'instruction et l'éducation chrétienne aux enfants des pauvres : tel est, en effet, le but de l'Institut des Frères des Ecoles chrétiennes, institué par saint Jean-Baptiste de La Salle.

Ce qu'était le Fondateur des Frères.

Né à Reims, le 30 avril 1651, Jean-Baptiste de La Salle appartenait à une noble Maison, qui avait donné à l’armée et à la magistrature des hommes éminents ; il aurait donc pu, lui aussi aspirer à une position élevée selon le monde, d'autant plus qu'il était l’aîné de la famille. Mais il tourna de bonne heure ses regards vers le sanctuaire, et se sentit doucement incliné à se donner à Dieu.

Dès l'âge de huit ans, il suivit les cours du collège de l'Université de Reims. Le zèle avec lequel il se livra à l'étude ne nuisit en rien à sa piété, car il se montrait parfaitement assidu aux offices de l'Eglise et y ajoutait de nombreuses pratiques de dévotion.

Au lieu de contrarier sa vocation, ses parents eurent le bon esprit de la favoriser. Honoré par la tonsure de la dignité de clerc dès l'âge de onze ans, Jean-Baptiste ne tarda pas à attirer l'attention et à mériter l'estime de tous. Il avait à peine seize ans lorsque selon un usage de l’époque, un vénérable chanoine résigna sa prébende en sa faveur ; c'était Pierre Dozet, ancien vicaire général, chancelier de l'Université de Reims et archidiacre de Champagne. Jean-Baptiste de La Salle prit possession de son canonicat dans l'illustre Chapitre de la métropole de Reims. Quoique placé sur la voie des honneurs, le jeune chanoine ne perdit rien de sa modeste simplicité ; il se montra parfaitement assidu au chœur, tout en continuant ses études, reçut les ordres mineurs, prit le grade de maître ès arts, travailla à se sanctifier, et enfin voulut aller faire sa théologie au Séminaire de Saint-Sulpice.

II était à Paris depuis dix-huit mois, lorsque la mort de son père, qui avait suivi de près celle de sa mère, le força de retourner à Reims, à cause de sa qualité de chef de famille. Il donna, dans cette circonstance, des preuves d'une sagesse remarquable, veilla à l'éducation de ses frères et de ses sœurs, dirigea leurs études, et les forma surtout à la vertu, à tel point que deux de ses frères entrèrent aussi dans les ordres, et qu'une de ses sœurs se fit religieuse. Pour lui, il continuait ses études de théologie à la Faculté de Reims, y prenait le grade de licencié, et plus tard le bonnet de docteur. En même temps il avançait dans les ordres sacrés : il fut ordonné prêtre en 1678, et célébra sa première messe le jour de Pâques.

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L'estime qu'il s'était acquise était déjà si grande, qu'à cette même époque il était l'objet de la confiance, la plus honorable. Son confesseur l’abbé Rolland, lui laissa en mourant le soin de la communauté rémoise des Sœurs de l'Enfant-Jésus, connues aussi sous le nom de Dames de Saint-Maur, Congrégation instituée depuis quelques années par le P. Barré, Minime, et non encore approuvée. Le jeune ecclésiastique réussit à obtenir des lettres patentes pour cet Institut destiné à l'éducation des jeunes filles. C'était comme le prélude de l'œuvre qu'il était appelé à fonder lui-même pour les jeunes garçons.

Comment Dieu prépara l'établissement des écoles chrétiennes.

En vertu de cette parole du Sauveur : « Allez, enseignez toutes les nations », l'Eglise s'est constamment préoccupée du soin d'instruire les ignorants et surtout les pauvres. Pendant les longs siècles du moyen âge, on trouve une école à l'ombre de chaque église ou dans l'enceinte de chaque monastère.

Malheureusement, les longues et terribles guerres qui ensanglantèrent l'Europe au XVIe et XVIIe siècle avaient détruit la plupart de ces fondations, ruinant les paroisses et les couvents qui les entre-tenaient. Les maîtres, écrivains jurés, et tous ceux qui faisaient métier d'enseigner, n'étaient ni assez nombreux ni assez dévoués ; d'ailleurs l'insuffisance de la rétribution exigée des élèves ne facilitait pas leur recrutement. On sentait donc le besoin d'une Congrégation religieuse qui se vouât de préférence à l'éducation chrétienne des enfants. M. Bourdoise, qui a laissé à Paris un grand renom de vertu, disait :

- Un prêtre, qui aurait la science des Saints et du salut, se ferait maître d'école, par là arriverait à se faire canoniser. »

C'est sous cette inscription que se forma à Paris, en 1649, une association de prières ayant pour but unique de demander à Dieu, l'homme capable d'une telle entreprise ; elle était placée sous le patronage de saint Joseph ; et saint Vincent de Paul, M. Olier et surtout l'abbé Bourdoise étaient à la tête des associés. Tout nous porte à penser qu'elle eut pour résultat éloigné l'établissement des Frères des Ecoles chrétiennes, dont le fondateur naissait à Reims, peu de mois après, en avril1651.

L'abbé de La Salle pris aux filets de la Providence

En 1679, vivait à Rouen une dame Maillefer, originaire de Reims et, parente de l'abbé de La Salle. Durant de longues années, elle avait mené une vie toute mondaine ; mais, enfin, touchée de la grâce, elle s'adonna à la pénitence et aux œuvres de charité ; elle favorisa surtout la propagation des écoles gratuites de filles dirigées à Reims par les Sœurs de l'Enfant-Jésus. Infatigable dans son zèle, elle voulait procurer aux jeunes garçons le même bienfait d'une éducation chrétienne, au moins dans sa ville natale. C'est pourquoi elle s'entendit avec un laïque dévoué, M, Andrien Nyel, qui s'était occupé des écoles de charité de Rouen, et elle l'envoya à Reims pour en ouvrir de semblables. Elle lui remit une lettre pour l'abbé de La Salle, à qui elle le recommandait.

Non seulement celui-ci ne fit pas de difficulté d'accorder le concours gracieux que désirait de lui sa parente ; mais, pour conserver à la mission de M. Nyel le secret qui devait en favoriser le succès, il lui offrit, l'hospitalité dans sa maison, et fit lui-même discrètement les démarches nécessaires pour l'ouverture d'une école gratuite, qui fut bientôt suivie d'une seconde ; l'une et l'autre commencèrent en 1679. Le bon chanoine, tout en croyant suivre son désir de seconder seulement une œuvre charitable qui lui était étrangère, se trouvait ainsi engagé dans la voie où Dieu l'appelait.

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Insensiblement il se prit de sollicitude pour l’œuvre nouvelle, donna ses soins aux maîtres qu'avait recrutés M. Nyel, et même pour ménager leurs instants, et faire servir à leur formation jusqu'au temps des repas, il les admit à sa table.

Ceci se passait en 1680. L'année suivante, il les installait dans sa propre maison, malgré le mécontentement de sa famille. Cependant, ces premières recrues, qui n'aspiraient qu'à être de simples maîtres d'école, menaient déjà une vie digne de religieux ; le règlement leur paraît un peu trop gênant, et presque tous se retirèrent. L'abbé de La Salle réussit à les remplacer par d'autres plus fervents et s'occupa de ceux-ci avec une sollicitude qu'il s'expliquait d'autant moins qu'elle était accompagnée d'une répugnance réelle pour ce genre de vie. « Mais enfin, dit-il lui-même, je compris que Dieu m'appelait. »

En conséquence, en 1682, il quitte l'hôtel paternel et va habiter avec ses maîtres d'école, la maison qui doit être réellement le berceau du nouvel Institut.

Budget de la nouvelle fondation.

Le succès des « écoles chrétiennes et gratuite » de Reims avait inspiré à d’autres villes le désir d’en posséder de semblables. Guise, Rethel, Château-Porcien et Laon sollicitèrent la même faveur. L’ardent M. Nyel, enchanté de répondre à leur empressement, s’absentait sans scrupule et laissait peser la responsabilité de l’établissement de Reims sur l’abbé de La Salle, qui s’y dévoua plus que jamais. Pour le préparer davantage encore à sa mission sublime, Dieu lui demanda alors un grand sacrifice. Les maîtres d’école, moins dévoués et moins généreux que lui, n’avaient pas renoncé aux calculs intéressés de l’avenir. Il se disaient même que M. de La Salle était exempt de pareilles inquiétudes, parce que, grâce à sa riche prébende canoniale, il serait toujours à l’abri du besoin. Le vénérable prêtre, à cette réflexion, se sentit soudain inspiré de se démettre de son canonicat, et poussant jusqu’à l’héroïsme sa généreuse résolution, il le résigna, en 1683, en faveur d’un ecclésiastique étranger à sa famille, plutôt que de porter son choix, comme on l’en pressait sur un de ses frères, déjà engagé dans les Ordres.

Ce n’est pas tout. Suivant les conseils du P. Barré, qu’il ne manquait jamais de consulter, il ne voulut pas bâtir son œuvre sur un autre fonds que sur la Providence, et il se décida à se dépouiller de son riche patrimoine en faveur des nécessiteux, que la famine de 1684 et 1865 avait multipliés d’une manière extraordinaire. Devenu ainsi pauvre volontaire, l’ancien chanoine de la métropole de Reims se trouva véritablement l’homme des desseins de Dieu, pour mener à bonne fin l’œuvre qui lui était confiée. A la suite d’une retraite faite avec ses disciples, il s’établit parmi eux et embrassa lui-même les pratiques qui sont devenues la règle de l’Institut des Frères des Ecoles chrétiennes ; il détermina également l’habit qu’ils ont fidèlement gardé depuis deux siècles.

On ne triomphe des hommes qu’en triomphant de soi, et le fondateur, pour vaincre les obstacles, non seulement se fit pauvre, mais persécuta cruellement sa chair ; il portait de rudes cilices et se donnait de fréquentes disciplines, où le sang coulait abondamment. Il s’imposa aussi de longs jeûnes.

Sa vie était de plus en plus une vie de prières, car il aimait à répéter qu’on ne fait pas la moitié des œuvres qu’on pourrait faire si l’on priait assez. Il y employait une partie de ses nuits, qu'il passait à terre ou sur une chaise, pour être plus prompt à interrompre fréquemment le sommeil ; à Reims, il se faisait enfermer parfois dans l'église Saint-Remi, et demeurait prosterné sur le tombeau du Saint qui a baptisé les Francs.

Souvent aussi, il passait des jours, des semaines, et quelquefois des mois entiers en retraite, soit dans un petit jardin qu'il avait loué pour cela à côté du couvent des Augustins, sur les remparts de la ville de Reims ; soit à Notre-Dame de Liesse, où il aimait à conduire en pèlerinage quelques-uns de ses Frères ; soit enfin dans le désert des Carmes, près de bouviers, en Normandie.

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Ses premiers succès.

En 1688, au moment où l’Institut s'établissait à Paris, il comptait déjà les cinq maisons nommées plus haut. Toutefois, on ne le connaîtrait qu’imparfaitement, si l’on se bornait à énoncer ce chiffre. Qu’est-ce, en effet, que cinq ou six écoles ?

Les promoteurs bruyants de l’instruction laïque moderne, dans la guerre acharnée qu’ils ont déclarée à l’enseignement congréganiste, se doutent-ils que c’est à Jean-Baptiste de La Salle qu’est due la création des Ecoles normales en France, pour la formation des jeunes maîtres séculiers ?

Dans cette maison de Reims, qui fut le berceau du nouvel Institut, nous voyons commencer, dès 1685, un « Séminaire de maîtres pour la campagne », reçus gratuitement par le généreux fondateur, instruits et formés sous sa direction, pour aller ensuite tenir des écoles dans les paroisses. Ils étaient habituellement au nombre de trente, sans compter les quatre boursiers que le duc de Mazarin avait dotés par une fondation chez les Frères de Rethel, pour la direction des écoles rurales de son duché. Cette œuvre fut toujours singulièrement chère à l'abbé J.B de La Salle ; lorsque des circonstances indépendantes de sa volonté eurent amené la fermeture du « Séminaire » de Reims, il en ouvrit de semblables à Paris, plus tard à Saint-Denis, et enfin à Saint-Yon de Rouen.

Développement de l'Institut.

Il convenait de s'étendre sur les premiers temps de l'histoire de Jean-Baptiste de La Salle ; la suite est l'histoire du développement rapide de son œuvre, accomplie au milieu de contradictions et de persécutions qui auraient dû la faire sombrer.

II vint à Paris et fonda les écoles de Saint-Sulpice, puis celles de Vaugirard, subit des procès de la part des maîtres d'écoles, fut calomnié et persécuté de toutes façons ; et toutes ces attaques abou-tirent enfin à un arrêt du Parlement lui interdisant d'instruire à Paris tous les enfants, sauf ceux dont l'indigence était bien constatée.

C'était providentiel ; l’institut se rapprochait ainsi de sa voie définitive. A la suite d'une grave maladie, l'abbé de. La Salle avait préparé le Fr. Henri Leureux à lui succéder, lui avait fait faire des études brillantes, lorsque ce fils aimé fut enlevé subitement par la mort. Dans son chagrin, le fondateur comprit que son projet d'avoir des Frères prêtres dans chaque maison amènerait certainement des difficultés, et il y renonça définitivement, interdisant à ses religieux les études classiques, qui peuvent conduire au sacerdoce. C'est seulement en 1923 que le Pape Pie XI, eu égard aux nécessités des temps, a ordonné de déroger à ce point de règle, tout en maintenant le principe essentiel de religieux non prêtres, établi par Jean-Baptiste de La Salle.

A la fin du XVIIe siècle, l'Institut comptait 16 écoles, comprenant plus de 1500 enfants. Bientôt, elles se multiplièrent en province : Troyes, Avignon, Marseille, Darnetal, Rouen, Dijon, Mende, Alais, Grenoble, Saint-Denis, Versailles, Moulins, Boulogne ; toutes ces maisons furent ouvertes de1701 à 1710. Il faut citer aussi Rome, où deux Frères avaient été envoyés dès l'an 1700.

En 1712, le saint fondateur, âgé de soixante et un ans, entreprit la visite de ses écoles dans le midi de la France, et ce fut souvent un chemin de croix qu'il suivit. Les jansénistes lui opposaient, en effet, de cruels obstacles, faisant parfois fermer ses maisons, comme à Marseille ; plus souvent il triomphait d'eux. A Alais notamment, il alla, après un sermon de l'Assomption, se jeter aux pieds d'un prédicateur qui avait évité de parler de la Trés Sainte Vierge en ce jour de sa principale fête ; il le convertit si pleinement qu'il fit de lui un ardent prédicateur de la vérité ; on en eut la preuve dès le dimanche suivant.

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Le séjour de M. de La Salle dans le Midi dura deux ans, et il faillit être fatal à l'Institut naissant, qui avait été privé pendant ce temps de sa direction immédiate encore si précieuse. En effet, des personnages puissants étaient intervenus pour favoriser des innovations et des changements ; tout allait être perdu, lorsque les anciens religieux, en toute hâte, supplièrent leur Père de revenir ; il apparut et la paix se rétablit.

Démission.

L’Institut paraissant bien affermi, le saint fondateur pria si vivement ses Frères de le décharger du supériorat que ceux-ci durent y consentir. Ils élurent pour Général le Fr. Barthélemy, digne d'ailleurs de lui succéder. Cette élection, qui marque la fin des fonctions de l'abbé de La Salle comme Supérieur général, eut lieu le 23 mai 1717.

Dès lors la vie effacée du Saint, qui avait encore deux ans à passer sur la terre, fut consacrée entièrement à la prière et la pratique de l'humilité. Etant venu à Paris pour une affaire, il sut que ses religieux voulaient lui faire honneur, et pour éviter qu'on le traitât ainsi, il descendit au Séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, qu'il édifia par sa régularité ; mais le Fr, Barthélemy vint le chercher au nom de son autorité, et aussitôt le serviteur de Dieu le suivit. De là, il retourna à la maison Saint-Yon, à Rouen, où il avait fixé sa retraite et où il habitait la plus humble cellule.

Il ne sortit guère de la réserve vis-à-vis des Frères que pour féliciter ceux d'entre eux qui ne craignirent pas de se compromettre dans la résistance au jansénisme, et trois mois avant sa mort, il écrivit une forte déclaration pour affirmer son attachement à l'orthodoxie en face des bruits malveillants répandus contre sa foi, à cause du nom de l'un des membre de sa famille, qui figurait parmi les trop fameux « appelants » de la bulle Unigenitus de Clément XI.

Comment il mourut.

Le Carême de 1719, dont il ne devait pas voir la fin, commençait ; il voulait en suivre toutes le observances. On s'y opposa. Quelques jours après, une porte lui étant tombé sur la tête, occasionna des accidents si graves, que le médecin déclara le mal mortel.

Comme la fête de saint Joseph approchait, le vénérable prêtre souhaitait offrir le saint sacrifice encore une fois avant de mourir ; mais sa faiblesse extrême semblait devoir le priver de cette joie, lorsque, dans la nuit du 18 au 19 mars, ses douleurs disparurent, pour ne reparaître que le lendemain au soir ; il célébra donc sa dernière messe, et s'entretint tout le jour avec ses Frères.

Le Mercredi-Saint, le curé lui porta le Viatique ; M. de La Salle le reçut à genoux avec une dévotion extraordinaire ; le lendemain, Jeudi-Saint, on lui donna l'Extrême-Onction, et ses enfants l'en ayant supplié, il leva les mains et consentit à les bénir. L'agonie commença au milieu de la nuit du Jeudi au Vendredi-Saint, et à 4 heures, il rendit l'âme, le même jour que son Sauveur. C'était le 7 avril 1719.

La foule, qui se pressa bientôt pour contempler une dernière fois les traits du serviteur de Dieu, ne put résister au désir de conserver quelques reliques de lui, et l'on mit son habit en lambeaux.

La cause de Jean-Baptiste de La Salle fut introduite par Grégoire XVI en 1840 ; Léon XIII l'a béatifié le 19 février 1888, puis canonisé le 24 mai 1900, en même temps que sainte Rite de Gascia, et a étendu sa fête à toute l'Eglise le 10 février 1901.

Sa statue a été placée en 1904 dans la basilique Vaticane parmi celles des principaux fondateurs d'ordres.

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L'Institut des Frères après la mort de son fondateur.

Après la mort du Saint, sa Congrégation jouit d’une longue période de paix et de prospérité. Comme il l'avait souhaité, prévu et même prédit, des lettres patentes furent accordées à son Institut par le roi Louis XV, qui lui donna ainsi une existence légale. Une Bulle du Pape Benoît XIII lui conféra, en 1725, l’approbation canonique. Ses établissements s'affermirent, se développèrent et se multiplièrent. La Révolution française crut l'avoir détruit, mais il s'était conservé dans les communautés d'Italie et le Pape Pie VII le rétablit officiellement en 1805.

En France, il reparut dès le temps du Consulat, rappelé par les populations, acclamé par les municipalités, autorisé même par le gouvernement. On sait quels développements il a pris depuis, et à quelles attaques il est en butte aujourd'hui. A la fin du XIXe siècle nous avons vu le costume des fils de saint Jean-Baptiste de La Salle disparaître des écoles officielles ; les lois impies de 1901 et de 1904 l'ont même chassé de nos écoles catholiques. Mais l'arbre a poussé à travers le monde des rameaux vigoureux, et en l'Année jubilaire 1925, on publia que 12 000 Frères instruisaient en divers pays près de 275 000 élèves ; sur ce chiffre, près de 1100 Frères se trouvaient dans les missions avec 41 000 élèves.

Que les fidèles recourent au Saint ; qu'ils lui demandent de conserver à leurs enfants la foi de leur baptême, et qu'ils s'unissent avec ferveur aux prières qui se font et aux efforts qui se multiplient pour obtenir que les religieux aient partout la liberté d'enseigner.

A.F.B.

Sources consultées. – Armand Ravelet, Le bienheureux Jean-Baptiste de La Salle (Tours, 1888). – Alexis Delaire, Saint Jean-Baptiste de La Salle (collection Les Saints, 1900). – ( V.S.B.P., n° 10 et 1056).

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SAINT JEAN NÉPOMUCENE

Prêtre et martyr (1330-1383).

Fête le 16 mai.

Le nom de Jean Népomucène évoque immédiatement l'idée du secret de la confession sacramentelle : c'est en effet, pour rester fidèle à ce secret qu'il a donné sa vie, préférant le martyre à la trahison de son devoir de prêtre. Pour le peuple tchécoslovaque, « saint Jean Népomuk », ainsi qu'on l'appelle en son pays d'origine, est le Saint national ; il est aussi vénéré qu'en France sainte Jeanne d'Arc, que saint François d'Assise en ltalie ou que saint Jacques en Espagne. La petite ville de Népomuk, qui lui a donné son nom, se trouve près de Klattau, dans le district de Plzen ou Pilsen, entre Prague, et la frontière bavaroise.

Ses parents. - Sa naissance.

L'un des premiers jours de l'an 1330, deux vieillards, le mari et la femme, deux artisans, dont le nom de famille était Wolfflin ou Wolfflein, sortaient de la petite ville de Népomuk et se rendaient au couvent cistercien de Sterbnberg, voisin de la cité. Dans l'église du monastère, on vénérait une image miraculeuse de la Vierge Marie. Les deux, pèlerins s'agenouillèrent au pied de l'autel et supplièrent la Mère de Dieu de leur accorder enfin un fils. Leur prière fut entendue, et, peu de temps après, ils obtinrent un enfant qui reçut le nom de Jean.

Quelques mois s'étaient écoulés quand le petit enfant, resté frêle et débile, tomba dangereusement, malade. Tous attendaient sa mort. Les deux vieillards reprirent avec confiance le chemin du sanctuaire où Marie les avait déjà exaucés et ils firent le vœu de consacrer l’enfant, s'il revenait à la santé, au service de Dieu.

Le petit Jean, plein de vie, s'élança de son berceau dans les bras de sa mère.

Le modèle des enfants de chœur .

Pénétrés d'une vive reconnaissance, les parents tinrent leur promesse et n'épargnèrent rien pour donner à leur fils une excellente éducation, et ils s'imposèrent à cette fin les plus rudes sacrifices.

Envoyé de bonne heure à l'école, Jean y apprit d'abord le catéchisme et les répons de la messe. Dès qu'il les sut, il allait tous les matins dans l'église des Cisterciens de Sterbnberg, au pied de l'image de Marie, et servait toutes les messes qui s'y disaient. C'était là son bonheur et son plus doux passe-temps. L'église conventuelle, sanctifiée par la prière du futur martyr, devait être détruite en 1420 par les hérétiques hussites ; quant à sa maison natale, elle a fait place à une église, la Jacobskirche.

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Saint Jean fait ses études ecclésiastiques.

A la piété la plus tendre, Jean joignait un esprit très vif. Ses parents réussirent à l'envoyer étudier à Staab, puis à l'Université de Prague, fondée par l'empereur Charles IV en 1348, où il obtint le grade de docteur en théologie et en droit canon.

Il reçut en cette dernière ville une dignité bien plus précieuse, celle du sacerdoce ; il ne se présenta à l'ordination qu'après avoir passé un mois dans la retraite et les mortifications.

Ses remarquables aptitudes pour la parole publique furent aussitôt connues et utilisées, et, nouveau prêtre, il fut placé par son archevêque dans la chaire de Notre-Dame du Tyn, à Prague. Une foule immense accourait à ses sermons ; on y comptait plusieurs milliers d'étudiants. Parmi ces derniers, beaucoup donnaient à la population le triste spectacle d'une conduite légère et souvent scan- daleuse. Jean Wolfflin, par le charme de son éloquence, les attira, les retint au pied de sa chaire. Les plus effrontés d'entre eux sortaient émus et bouleversés de ses sermons, et prenaient bientôt la résolution de changer de vie.

Ces résultats admirables, dus à la sainteté du prédicateur, furent appréciés à leur juste valeur par l'archevêque et le Chapitre de Prague, et, soit pour récompenser de si éminents services, soit pour s'attacher le concours d'un homme aussi distingué, ils le nommèrent chanoine. Jean se montra toujours fort exact à assister au chœur, mais son zèle ardent et actif savait encore trouver de longues heures pour travailler au salut des âmes.

Saint Jean est nommé aumônier de la cour.

Parmi les auditeurs de l'éloquent chanoine on vit même une fois l'empereur Wenceslas IV, roi de Bohême, fils et successeur de Charles IV. A cette époque, le jeune prince ne s'est pas encore montré le persécuteur et le bourreau qu'il sera plus tard. Il y prélude néanmoins par des excès qui le font surnommer l'Ivrogne ou le Fainéant. Il a près de lui pour épouse une douce et sainte personne, l'impératrice Jeanne de Hollande, fille d'Albert de Bavière, duc de Hollande, et petite-fille de l'empereur Louis de Bavière. Capricieux et changeant à l'excès, tantôt il aime sa femme avec passion, tantôt il la jalouse et l'accable de ses propos injurieux.

Des hommes d'un tel caractère sont capables de mouvements vers le bien : Wenceslas, instruit par la renommée des succès du prédicateur, avait voulu en juger par lui-même. C'était le dimanche des Rameaux. Or, le chanoine Wolfflin, désireux sans doute d'éviter les maux plus grands qu'aurait provoqués une révolte, peut-être imminente, des peuples de la monarchie contre un souverain si lamentable, prêcha sur le respect dû à l'autorité légitime. Ce sujet fut naturellement très agréable à Wenceslas, et il éprouva une telle satisfaction qu'il voulut nommer le prédicateur à l'évêché de Litomerice qui était devenu vacant. Ce fut en vain. Jean de Népomuk se déclara indigne d'exercer une fonction si importante.

Sur ces entrefaites, l'impératrice, qui appréciait de plus en plus les qualités morales de ce prêtre, aussi modeste qu'éloquent, le fit nommer aumônier de la cour. Il accepta cette dernière fonction, malgré son humilité, avec l'espoir de faire du bien au milieu des princes et des grands, près de qui il allait vivre, de ramener l'empereur à une vie meilleure et de secourir les pauvres.

Jean justifia vraiment le titre d'aumônier et son appartement devint le rendez-vous des pauvres. Sa charité était ingénieuse à découvrir les misères cachées et à concilier les différends qui s'éle- vaient à la cour et dans la ville ; il assoupissait les querelles et prévenait les procès. Ses premiers sermons firent une impression sur l'âme de l'empereur dont ils arrêtèrent quelque temps les dérèglements.

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Wenceslas prenait volontiers les conseils du saint prêtre ; il crut lui être agréable en lui proposant la prévôté de Wisegrad qui, après les évêchés, était la première dignité ecclésiastique de la Bohême.

C'était peu connaître l'âme de Jean Népomucène ! Si celui-ci avait repoussé la dignité épiscopale, bien qu'elle lui offrit des travaux et des croix, combien plus encore devait-il mépriser une situation où il n'avait que des trésors à recueillir, des honneurs à recevoir ! Il déclina cette nouvelle offre et se contenta de son poste d'aumônier.

L'impératrice le choisit pour son confesseur.

L'impératrice le prit pour directeur de sa conscience. Jusqu'alors elle s'était montrée femme d'une grande innocence de mœurs, digne de son rang encore plus par ses vertus que par la noblesse de son sang, aimant les indigents et les servant de ses propres mains, mortifiant son corps par des jeûnes et donnant à la prière une grande partie de ses nuits. Sous la direction de Jean Népomucène, elle avança rapidement dans les voies de Dieu.

Elle pleurait comme ses propres péchés et expiait par ses austérités les égarements de l'empereur qui, entraîné par les passions, séduit par les conseils de courtisans impies, s'était laissé aller à toutes les débauches. La grande vertu de la princesse aurait dû édifier et toucher le cœur de Wenceslas. Mais tout au contraire, la piété même de sa femme devint odieuse et insupportable au roi de Bohème. II laissa pénétrer dans son âme les doutes les plus outrageants à l'égard de sa femme, et, sans motif, aveuglé par la passion de la jalousie, il ne voulût plus voir en elle qu'une épouse infidèle, d'autant plus coupable de le tromper qu'elle lui était apparemment plus dévouée. Successivement, d'ailleurs, deux favoris de l'empereur avaient encouragé la malveillance de leur maître contre le pieux chanoine.

Le second, nommé Andronic, ayant compromis une jeune fille, le père confia sa cause à l'impératrice et à l'aumônier de la cour ; la plainte fut transmise à Wenceslas d'une manière si énergique qu'il était difficile d'étouffer l'affaire. Pour se venger, Andronic machina une dénonciation anonyme contre la vie privée de l'impératrice.

Or, le lendemain même, Jeanne s'approchait publiquement de la sainte Table ; son tyrannique mari savait que quelques heures peut-être auparavant elle s'était confessée ; cet être jaloux se mit dans l'esprit de savoir la vérité de la bouche même de Jean Népomucène. Il le fit mander près de lui, et faisant allusion au sacrement de Pénitence que l'impératrice avait reçu, Wenceslas somma le prêtre de dire ce qu'il savait sur les motifs qui tenaient la reine à l'écart de son mari. Par deux fois Jean Népomucène se contenta de ces mots « Je n'ai rien à dire. »

La colère de l'empereur fut telle qu'il mit la main à son épée. Andronic, qui était présent, incita son maître à plus de calme, lui suggéra de laisser à l'aumônier de la cour le temps de réfléchir. Wenceslas céda, mais ce fut pour ordonner de jeter l'aumônier dans un cachot.

Seul, en face de sa conscience et de Dieu, Jean Wolfflin, loin de revenir en arrière, écrivit à l'empereur une lettre digne de la noble cause qu'il défendait, et, soit prudence humaine, soit retour à des idées plus saines, Wenceslas donna l'ordre d'élargir le prisonnier. Ce n'était pas, hélas ! pour longtemps.

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De nouveau en prison et torturé.

Cette fois l'incident fut causé par un nouvel accès de cruauté du tyran. On servit sur la table impériale une volaille qu'il estima n'être pas cuite à point. Wenceslas s'emporta jusqu'à ordonner qu'on embrochât le cuisinier pour le faire rôtir au même feu. Les serviteurs terrifiés ne voulaient point se soumettre à si étrange injonction, et d'autre part ils craignaient non sans motif d'être condamnés bientôt au même supplice.

Jean se rendit alors près du roi, lui reprocha hautement ses fantaisies criminelles, puis, adoucissant la voix, s'efforça de l'apaiser. Le malheureux cuisinier réussit à s'échapper, mais toute la colère de Wenceslas s'était retournée contre le saint prêtre, qui fut de nouveau incarcéré.

Le chanoine Wolfflin supporta avec joie son indigne traitement, il n'ignorait pas que ce qui le lui avait attiré, c'était beaucoup plus son silence passé au sujet de la confession que les remontrances qu'il venait de faire au roi ; il entrevit dans ses souffrances le commencement d'un long martyre et il en remercia Dieu. Wenceslas laissa bientôt percer ses véritables préoccupations.

Saint Jean Népomucène envoyé au supplice.

Il fit dire au prisonnier que celui-ci ne recouvrerait la liberté qu’après avoir révélé la confession de l'impératrice. C'était se heurter à un roc inébranlable.

Le roi changea alors de tactique ; il élargit son prisonnier et lui envoya un messager pour le prier d'oublier le passé et de venir en gage de réconciliation, dîner le lendemain à la cour.

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L'aumônier obéit et se présenta à la table royale ; il fut reçu avec honneur. Tout alla bien jusqu'à la fin du repas. Wenceslas renvoya alors tous les assistants et resta seul avec Jean Népomucène. Après quelques instants d'entretien sur des matières indifférentes, il revint sur le sujet qui lui tenait tant à cœur et somma le confesseur de parler.

- Je n'y consentirai jamais, répondit le martyr ; et vous-même, Sire, souvenez-vous que vous empiétez sur les droits de Dieu, à qui seul appartient le discernement des consciences. En toute autre chose, commandez, je vous obéirai ; mais en ceci, j'ose dire à Votre Majesté ce que répondait saint Pierre aux princes des prêtres : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. »

L'empereur, exaspéré, fait venir le bourreau, qu'il appelait « son compère ». Le saint prêtre est sur ses ordres, conduit dans la salle des tortures, étendu sur un chevalet ; le bourreau et ses satellites lui piquent les flancs avec des lances dont la pointe a été rougie au feu. Ses os craquent, ses membres, violemment tendus, se disloquent, de larges blessures ont déchiré sa chair, les brûlures l'ont rendu méconnaissable. C'est dans cet état qu'il est retiré du chevalet, sur lequel il n'a cessé, durant son supplice, d'invoquer le nom de Jésus et de Marie ; puis, une fois de plus, le voilà jeté en prison, où il pense expirer.

L'impératrice, mise au courant des horribles traitements infligés à son confesseur, n'eut point de repos qu'elle n'en eût obtenu du roi la délivrance.

Saint Jean Népomucène prédit sa mortet les malheurs de la Bohème.

Le martyr rentra dans sa demeure, calme et joyeux. Il ne se plaignit à personne, laissa ses plaies se refermer et reprit le cours de son ministère avec plus de zèle que jamais. Il savait que la haine de l'empereur n'était point apaisée. Dieu lui avait révélé qu'il mourrait bientôt sous ses coups ; il se préparait donc au martyre par un redoublement de ferveur.

L'heure approchait où il devait verser son sang pour Jésus-Christ. Il monta une dernière fois en chaire pour faire ses adieux à ce peuple qu'il avait évangélisé depuis de longues années. Ses paroles, inspirées par le dernier discours que le Fils de Dieu tint à ses apôtres la veille de sa mort, prirent ensuite une allure prophétique. Son historien les rapporte ainsi :

- Vous me verrez encore un peu de temps, leur dit-il, mais je ne vous parlerai plus beaucoup ; je finis ma carrière, ma fin approche ; je mourrai pour les lois de Jésus-Christ et de son Eglise.

L'hérésie que l'enfer suscitera dans peu de temps désolera le royaume de Jésus-Christ, et dans ce royaume de Bohème, où la religion est à présent si florissante, on verra les autels profanés, le sanctuaire anéanti, l'usage des sacrements aboli, les conseils évangéliques méprisés, toutes les lois divines et humaines foulées aux pieds. Les temples du Seigneur et les monastères où il est servi seront réduits en cendres ; plusieurs saints religieux périront par l'épée, par la faim, par la soif et par une infinité d'autres supplices. Les loups entreront par force dans la bergerie, ils dévoreront le troupeau ; ils s'empareront du patrimoine de Jésus-Christ. Tout sera renversé, changé, méprisé ; la puissance des ténèbres sera déchaînée, et malheur à celui qui tombera entre les mains de ces faux prophètes !

Des larmes abondantes coulaient des yeux du martyr et des gémissements se faisaient entendre dans tout l'auditoire.

La prédiction n'était que trop vraie ; trente ans plus tard, Jean Huss, Jérôme de Prague et plusieurs autres hérétiques levèrent l'étendard de la révolte contre l'Eglise catholique, insultant à la foi du Christ et semant partout leur détestable doctrine.

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Les païens firent ensuite irruption en Bohême, brûlant les églises, renversant les monastères et commettant des iniquités jusqu'alors inouïes.

Enfin, quelque temps après, la plupart des habitants furent entraînés dans l'abîme par l'hérésie de Luther. Jean Népomucène, avant de descendre de chaire, dit un dernier adieu aux fidèles de Prague.

- Je demande pardon, ajouta-t-il, aux chanoines et aux clercs de tous les mauvais exemples que je leur ai donnés.

Tout le peuple, saisi de crainte et de douleur, répondit de nouveau par des pleurs et des lamentations.

Le martyre.

Le saint prêtre voulut ensuite prier une dernière fois aux pieds de Notre-Dame de Bunzel, dont saint Cyrille et saint Méthode avaient autrefois apporté l'image en Bohème avec la foi chrétienne.

Sur le soir, il rentra dans Prague.Wenceslas, qui se trouvait à une fenêtre de son palais impérial, aperçut sa victime, et le feu de la

jalousie se rallumant dans son âme, il envoya chercher l'homme de Dieu :- Ecoute, prêtre, lui dit-il, il n'est plus à présent question de garder le silence. Tu parleras ou tu

mourras. Si tu ne me déclares tout ce que tu sais de l'impératrice, vive Dieu ! tu boiras de l'eau de la rivière de Prague !

Jean regarda le tyran avec un visage calme et sévère, sans daigner lui répondre, attendant avec intrépidité la couronne qu'on lui préparait.

- Qu'on emmène cet homme ! Qu'il ne paraisse plus devant mes yeux ! s'écria Wenceslas, furieux de ce silence et perdant toute mesure ; qu'on le jette à la rivière pieds et poings liés lorsqu'il fera nuit, afin que le peuple ne connaisse pas son exécution !

Le glorieux confesseur de la foi employa le peu d'heures qui lui restaient à se préparer au dernier sacrifice. Le soir venu, les ordres du Néron de Prague furent exécutés à la faveur des ténèbres. Du haut du pont Charles, construit sous l'empereur Charles IV, et qui joint, sur la Moldau, la grande et la petite Prague, le martyr fut précipité dans les flots ; c'était la veille de l'Ascension, 29 avril 1383.

L'empereur avait voulu perpétrer son crime dans l'obscurité de la nuit et le tenir secret. Mais à peine le corps fut-il étouffé sous les eaux qu'une clarté merveilleuse plana à la surface du fleuve, immobile d'abord, puis suivant lentement le courant.

L'impératrice, informée de ce prodige qui faisait accourir toute la ville et dont elle-même ignorait encore la cause, en parla avec une grande simplicité à son mari, lui demandant ce que pouvait présager une événement si inattendu. Wenceslas, à ces mots, se sentit frappé comme par la foudre ; il s'enferma pendant trois jours, sans vouloir recevoir personne ; il croyait avoir devant les yeux le corps de sa victime, illuminé des splendeurs du ciel.

Le mystère s'éclaircit bientôt ; les bourreaux trahirent le secret du prince et, sans doute en vertu des lois naturelles, le corps remonta à la surface. Les restes du martyr furent recueillis avec respect et déposés en l'église Sainte-Croix des Pénitents ; bientôt le Chapitre, le clergé paroissial et les Ordres religieux vinrent en grande pompe afin de transporter les reliques à la cathédrale. On fut obligé de rouvrir le cercueil pour satisfaire la pieuse tendresse du peuple qui voulait revoir les traits de l'homme de Dieu. Tous les malades qui purent toucher son corps furent aussitôt guéris.

Quand on creusa la terre pour lui confier les restes du martyr, on y trouva un trésor, comme si Dieu eût voulu se charger de la dépense des funérailles de son serviteur.

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Gloire de saint Jean Népomucène,

La colère divine s'appesantit sur Wenceslas ; peu d'années après, maudit de ses peuples, il se vit enlever le trône impérial par son propre frère, et il mourut sans s'être réconcilié avec Dieu par une bonne confession. Au contraire le tombeau du martyr fut glorifié par des miracles, de siècle en siècle.

Le procès de béatification commença en 1675 ; il fut terminé le 9 avril 1720. L'année précédente, le 14 avril, un événement frappa vivement les esprits. On ouvrit le tombeau à l'occasion des enquêtes nécessaires pour la canonisation.

Or, si le corps était dégarni de ses chairs, les os, encore entiers, étaient parfaitement adaptés les uns aux autres, et, chose plus admirable encore, la langue était aussi bien conservée et aussi fraîche que si le martyr venait d'expirer à l'instant.

Le fait fut considéré comme l'un des plus beaux parmi les nombreux miracles qui s'étaient produits au tombeau du martyr. Chacun y vit une attestation du prix que Dieu attache à la sainte discrétion de ses ministres.

En 1721, le 13 mai, le Pape Innocent XIII béatifiait le martyr ; ses reliques, déposées dans un cercueil de cristal, furent un peu plus tard transportées dans la cathédrale Saint-Vit, qui s'élève sur la colline de Drachanie.

Saint Jean Népomucène a été canonisé au Latran, le 19 mai 1729, par Benoît XIII.

A.E.D.

Sources consultées. Les Vies des Saints, mai (Annemasse, 1907). - (V.S.B.P., n° 170, 1105, et 1314.)

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SAINT PASCAL BAYLONReligieux convers des Frères Mineurs Observantins (1540-1592)

Fête le 17 mai.

Pascal Baylon naquit le 16 mai 1540, jour de la Pentecôte, Torre-Hermosa, petit bourg situé dans le royaume d'Aragon, sur les confins de la Castille. Son père, Martin Baylon, et sa mère, Isabelle Jubéra, étaient d'humbles cultivateurs, pauvres des biens de la terre, mais riches du trésor des vertus chrétiennes. Pascal lui-même, prévenu de la grâce dès le berceau, savait à peine marcher que déjà il se plaisait à aller fréquemment à l'église, s'entretenir avec Jésus présent dans la sainte Eucharistie. Souvent on devait aller l'y chercher pour lui faire prendre de la nourriture. Sa mère, heureuse des espérances que lui donnait son fils, s'efforçait d'écarter de lui les mauvais exemples et de développer en son cœur une piété forte et loyale.

Commis à la garde des troupeaux.

Dès que l'enfant eut atteint sa septième année, son père lui confia la garde des troupeaux. Le jeune berger s'acquitta de cet office avec le plus grand soin. Ses parents avaient négligé de lui apprendre à lire ; cependant, il se procura quelques livres et passa ses loisirs en pieuses lectures ; on dit que les anges eux-mêmes vinrent lui enseigner à lire.

Tout en gardant les troupeaux, il priait beaucoup. Son amour pour Marie et le Très Saint Sacrement était tel qu'il alla jusqu'à sculpter sur sa houlette l'image bénie de sa divine Mère, surmontée d'une Hostie rayonnante, afin d'avoir toujours présent devant les yeux l'objet de sa dévotion. Aussi la Sainte Vierge daigna-t-elle récompenser son serviteur par de nombreuses apparitions.

Dès lors, Pascal s'appliqua tout entier à la prière et au silence ; le mensonge, les paroles vaines et inutiles furent écartés de ses lèvres avec le plus grand soin. Tout pénétré des flammes de l'amour de Dieu, il excitait ses amis, par ses paroles et par ses exemples, à aimer Notre-Seigneur et sa sainte Mère. Simple, droit et craignant Dieu, il grandissait en âge et en vertus. Humble, chaste, modeste, de mœurs suaves, il reprenait charitablement ses amis quand ceux-ci tombaient dans quelque faute, et on aimait à converser avec lui.

En qualité de berger, il avait été mis au service de Martin Garcia, homme riche et vertueux, mais sans enfants. Ce maître ayant voulu prendre son petit serviteur pour héritier, celui-ci refusa, préférant être l'héritier de Dieu et le cohéritier de Jésus-Christ par l'humilité et la pauvreté.

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Plein de douceur et de charité, toujours prêt à rendre service, l'humble pâtre faisait l'admiration des autres bergers. D'une sollicitude extrême pour le troupeau que son maître lui avait confié, on ne le vit jamais maltraiter ses brebis. Il veillait avec un grand soin à ce que son troupeau ne causât pas de dommage dans les pâturages voisins ; et si quelque dégât se produisait, il indemnisait le proprié- taire sur son propre salaire.

Si bienveillant pour les autres, Pascal se traitait durement lui-même. Dans un âge si tendre, il n'épargnait pas les cilices, les jeûnes, les disciplines sanglantes. Souvent il marchait pieds nus, même à travers les ronces et les épines ; et, comme il le déclarait lui-même, c'était pour l'expiation de ses péchés qu'il souffrait d'avoir ainsi les pieds ensanglantés. En retour, Notre-Seigneur récompensait son serviteur par de fréquentes extases.

Vocation religieuse.

Mais Dieu voulut l'élever à une plus haute perfection, et lui inspira le désir de la vie religieuse.Dès lors, Pascal prend la résolution de quitter le monde. Il y est encouragé par une apparition

merveilleuse. Saint François et sainte Claire viennent l'inviter à entrer en religion. Il en fit part à un berger de ses amis, Jean Aparicio, qui ne s'en étonna pas. Au reste, peu de temps après, Pascal Baylon, en frappant la terre de sa houlette, en fit jaillir une source limpide pour abreuver leurs troupeaux. Ne pouvant résister plus longtemps à l'appel de la grâce, Pascal embrasse tendrement ses parents, s'éloigne de son pays, et se dirige vers le royaume de Valence. Il avait alors dix-huit ans.

Après plusieurs jours de marche, il se présenta au couvent des Franciscains de Montéforté. Là les difficultés commencent. Sa jeunesse, son air mystique, peut-être aussi son costume bizarre mettent en défiance les supérieurs, qui le renvoient, malgré ses instances. Il reprend alors son humble emploi de berger chez un riche fermier des environs. Sa piété, son amour de la solitude, sa vie austère lui attirèrent bientôt tous les cœurs ; dans toute la contrée, on ne le désignait que sous le nom de saint berger.

Le dimanche, il assistait à la messe et communiait dans le couvent voisin. Les autres jours, ne pouvant assister corporellement au Saint Sacrifice, il s'y unissait au moins en esprit, en entendant le son des cloches. Un jour, alors que la cloche annonçait l'Élévation et que le pieux berger était prosterné avec un saint respect, une hostie apparut à ses adorations, enfermée dans une custode soutenue par deux anges. Pascal conçut une telle ardeur pour la divine Eucharistie que l'amour pour le Très Saint Sacrement fut dès lors sa plus grande dévotion.

Enfin, le 2 février 1564, Pascal fut admis au couvent et reçut l'habit de saint François. Les Frères Mineurs Observantins, qui connaissaient déjà la réputation de sa sainteté, l'accueillirent avec joie. Ses supérieurs voulurent le faire religieux de chœur, mais il se refusa à leurs désirs, se trouvant déjà trop honoré d'être mis au rang des Frères convers. L'année suivante, après le temps ordinaire du noviciat, Fr. Pascal fut admis à prononcer ses vœux solennels, le jour de la Purification de la Sainte Vierge. Dès lors il fit de rapides progrès dans la sainteté, et ne tarda pas à surpasser les autres religieux par la pratique de toutes les vertus.

On lui confiait ordinairement les fonctions de portier ou de réfectorier ; quelquefois aussi, celles de quêteur, de cuisinier ou de jardinier. Ses supérieurs le firent souvent changer de couvent. Il passa les dernières années de sa vie dans celui de Villaréal, devenu célèbre depuis par les prodiges nombreux qui n'ont cessé de s'opérer jusqu'à nos jours à son tombeau. Pour mieux connaître la grande perfection à laquelle s'éleva saint Pascal Baylon, disons un mot des principales vertus auxquelles il s'appliqua pendant toute sa vie.

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Humilité. - Obéissance héroïque.

Dès son entrée en religion, Pascal plaça pour fondement de sa perfection la belle vertu d'humilité ; Il accomplit volontiers et avec joie les emplois les plus modestes du couvent, il rechercha avec empressement les offices qui pouvaient l'abaisser davantage. Nous avons déjà dit comment il préféra la situation de Frère convers à celle de religieux de chœur. Pendant toute sa vie, il ne voulut jamais rien écouter ni rapporter à sa propre louange. Malgré sa haute sainteté, il croyait et affirmait qu'il était un grand pécheur. Il se considérait toujours comme le dernier parmi ses Frères, n'aspirant qu'à pouvoir les servir et les assister dans les plus humbles emplois.

Un jour, il lui arriva par mégarde de casser une assiette. Il parût en public, comme cela se pratique en certains couvents, portant les fragments de l'assiette suspendus à son cou. A la coulpe, le supérieur, qui voulait exercer sa vertu, lui fit une sévère réprimande sur sa maladresse. Après le repas, quelques Frères se rendirent auprès du serviteur de Dieu pour le réconforter :

- Taisez-vous, leur répondit-il, c'est le Saint-Esprit qui a parlé par la bouche de notre supérieur.C'est ainsi qu'il avait coutume de répondre, quand ses frères venaient le consoler de la trop

grande rigueur que le supérieur semblait avoir à son égard.Car, si Pascal portait à un si haut degré l'humilité, vis-à-vis de ses supérieurs il professait jusqu'à

l'héroïsme la vertu d'obéissance, à l'exemple de Celui qui, « pour nous, s'est fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la Croix ». Animé d'un profond respect pour la règle, il s'y conformait parfaitement jusque dans ses moindres prescriptions. Aussi avait-il reçu des lumières surnaturelles sur l'obéissance à la règle, et plus d'une fois ses supérieurs le consultèrent à ce sujet. Reconnaissant en eux les représentants de Dieu, Pascal ne savait qu'obéir à leurs volontés, se souvenant toujours que le Saint-Esprit parlait par leur bouche. Quand on lui faisait une proposition, il avait coutume de répondre :

- Je ferai comme l'obéissance dira.

Un trait de cette obéissance.

Le supérieur ou custode des Observantins déchaussés de Valence était obligé d'écrire, pour une affaire de très grande importance, au Ministre général de l'Ordre de Saint-François, qui était alors Christophe de Cheffontaines, résidant à Paris. C'était au moment où la rage des calvinistes dévastait la France, massacrant les moines, pillant les couvents et déchirant tout le pays par la guerre civile. Porter cette lettre était une mission pleine de dangers. Qui oserait traverser ainsi une partie de l'Espagne et de la France jusqu'à Paris, sans craindre de tomber aux mains de hordes huguenotes ?

Le ministre provincial de Valence jugea que Pascal aurait ce courage. Il lui fit part de ses projets et l'humble Frère accepta aussitôt, joyeux d'exposer ainsi sa vie pour l'obéissance.

Sans attendre plus longtemps, Pascal se mit en route, nu-pieds, sans provisions, sans même s'inquiéter des périls qu'il pouvait courir. Après avoir passé les Pyrénées, il frappa à la porte du premier couvent de l'Ordre qu'il rencontra.

On suppose que ce fut à Toulouse, car le Saint rapporta plus tard qu'il y avait là beaucoup de religieux savants. Après que Fr. Pascal eut exposé le but de son voyage, les religieux se réunirent pour savoir s'il était bon d'exposer ainsi un de leurs frères, sur la simple obéissance qu'il avait promise à son supérieur. Ils décidèrent que cela était permis et le laissèrent partir. Ils lui conseillèrent cependant de prendre des habits séculiers, mais le serviteur de Dieu ne voulut pas y consentir.

Il continua donc sa route vers Paris, mais non sans courir d'immenses dangers. Plus d'une fois il fut poursuivi d'un village à l'autre à coups de bâton et à coups de pierres, et reçut même à l'épaule une blessure dont il devait ressentir les suites jusqu'à sa mort.

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Deux fois, il fut arrêté comme espion et ne recouvra sa liberté que par la protection du ciel.Un jour entre autres, Pascal, pressé par la faim, alla frapper à la porte d'un château. Le maître du

lieu, gentilhomme huguenot, était à table, quand on lui annonça qu'un moine, mal vêtu et de mau- vaise mine, demandait l'aumône à la porte. Il fit entrer cet étranger et après avoir bien considéré son visage basané, ses habits grossiers et déchirés, il le prit pour un espion espagnol et se préparait à le mettre à mort, quand sa femme eut pitié de ce pauvre moine et le fit secrètement sortir du château, sans même songer à lui donner un morceau de pain. Une personne chrétienne d’un village voisin lui accorda cette charité.

Saint Pascal Baylon et le cavalier huguenot.

Une personne chrétienne d'un village voisin lui accorda cette charité. A peine le Frère se croyait-il hors de danger, qu'il se vit de nouveau exposé aux fureurs de la populace attirée par a son habit. Maltraité, couvert d'insultes par tous, il fut même saisi par un jeune libertin, qui l'enferma dans une écurie. Il passa toute la nuit en prières et se préparait à mourir, quand celui même qui l'avait enfermé la veille vint lui ouvrir les portes le lendemain matin, et lui donner l'aumône.

Le Frère poursuivit sa route jusqu'à Paris, accomplit fidèlement sa mission et repartit aussitôt pour l'Espagne.

Il cheminait tranquillement quand un cavalier fondit tout à coup sur lui, posa le fer de sa lance sur son cœur en disant :

- Où est Dieu ?- Il est dans le ciel, répondit Pascal aussitôt, sans se troubler et aussi sans réfléchir davantage.

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A cette réponse le cavalier retira sa lance et s'éloigna sans faire aucun mal au pèlerin.Fr. Pascal, qui ne comprenait pas d'abord ce que cela signifiait, s'aperçut bientôt qu'il avait oublié

de dire que « Dieu est aussi dans l'Eucharistie ».- Hélas ! se dit-il en lui-même, j'ai perdu l'occasion de mourir martyr, mon indignité m'a privé de

cette grâce !Mais s'il n'avait pu remporter la palme du martyre, il avait droit à la magnifique couronne de

l'obéissance héroïque pratiquée pour l'amour de Dieu.

Sa charité envers les pauvres.

Rentré dans son couvent, le Frère reprit sa vie humble et mortifiée. En qualité de portier, il était chargé de distribuer les aumônes aux pauvres qui se présentaient à la porte. Mais comme l'ardeur de son zèle ne connaissait pas de bornes, il ne savait jamais refuser. S'il lui arrivait parfois de n'avoir plus rien à donner, il allait cueillir des fleurs au jardin, et les remettait joyeusement entre les mains des mendiants.

Un jour que le couvent était dans une grande disette, le supérieur reprocha à Pascal de donner toujours et de ne savoir jamais refuser.

- S'il se présente douze pauvres, lui répondit le Saint, et que je ne donne qu'à dix, qu'arriverait-il si Notre-Seigneur était un de ces deux pauvres auxquels j'aurais refusé ?

Aussi allait-il jusqu'à se priver d'une partie de sa nourriture pour augmenter d'autant les aumônes.

Il apaise les discordes.

Cette âme si simple et si naïve savait cependant ramener la paix dans les cœurs et éteindre les inimitiés les plus invétérées. Nous n'en donnerons qu'un exemple. Un fils était animé d'une haine mortelle contre le meurtrier de son père et personne ne pouvait le ramener à de meilleurs sentiments. Fr. Pascal se rendit auprès de lui et s'efforça d'en obtenir des paroles de pardon. Mais le jeune homme restait obstiné dans sa haine ; alors le serviteur de Dieu se jeta à ses genoux en disant :

- Mon frère, je vous en prie, pardonnez-lui pour l'amour de Dieu.Et le jeune homme, soudainement frappé par cette parole, pardonna au meurtrier de son père,

pour l'amour de Dieu.Doué du don de prophétie, l'humble Frère annonça plusieurs fois à des malades la santé ou la

mort. Plus d'une fois aussi il exhorta des personnes bien portantes à se préparer à paraître devant Dieu ; quelques heures après ces personnes expiraient. Par le seul signe de la croix fait sur des malades, il opéra un grand nombre de miracles, dont plusieurs sont attestés dans le procès de sa canonisation. Sur l'ordre de son supérieur, et après bien des difficultés, il fit une fois le signe de la croix sur un religieux qui souffrait d'une hémorragie, et le sang cessa aussitôt de couler.

Ses austérités. - Sa science profonde.

Comme tous les saints, Pascal voulait que son âme fût maîtresse de ses passions, et pour cela il châtiait son corps par de rudes austérités. Il jeûnait presque continuellement, souvent même au pain et à l'eau, et encore ne prenait-il que le nécessaire de la nourriture, réservant le reste pour les pauvres. Quand il pouvait, il choisissait pour lui les mets les plus vils et ce que les autres avaient rejeté. Sa grande piété lui faisait passer de longues veilles dans la prière et la contemplation.

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Le peu de sommeil qu'il se permettait, il le prenait sur la terre nue ou sur quelques planches, et dans une posture très gênante. Son corps, chargé de chaînes et recouvert d'un rude cilice, était encore affligé par de longues et sanglantes disciplines.

Pendant que le corps était ainsi durement traité, l'âme de l'humble Frère s'élevait aux plus sublimes hauteurs dans la connaissance de Dieu. Ainsi le Seigneur se plaisait-il à consoler son serviteur par de fréquentes extases, qui ne le ravissaient pas seulement au chœur, mais souvent aussi au réfectoire et même au jardin.

C'est dans ces communications avec Dieu que cet homme sans lettres acquit une très haute science des choses spirituelles et des mystères de la foi, au point de pouvoir composer des livres sur ces questions élevées. D'habiles docteurs venaient le consulter et étaient émerveillés de la justesse de ses réponses. Mais il était loin de faire parade d'une science dont il ne semblait pas se douter lui-même. L'obéissance, le désir d'instruire les ignorants des vérités du salut et de faire aimer Dieu le déterminaient seuls à parler. Les hérétiques, comme nous l'avons vu, confondus par les paroles simples et vraies qu'il opposait à leurs mensonges, le persécutèrent souvent et le battirent parfois ; mais, par une protection particulière de la Providence, il finit toujours par s'échapper de leurs mains.

Frère Pascal professa toute sa vie un amour ardent pour la Très Sainte Vierge, qu'il priait avec une confiance toute filiale. Mais sa dévotion principale était, ainsi que nous l'avons dit, l'Eucharistie.

Sa mort.

Comblé de mérites, à l'heure qu'il avait prédite lui-même, il s'endormit paisiblement dans le Seigneur, le dimanche de la Pentecôte, 17 mai 1592, au moment de l'élévation de la sainte Hostie.

Une foule nombreuse accourue au bruit de sa mort ne permit de célébrer ses obsèques que trois jours après son trépas. On lui fit de pompeuses funérailles. Pendant la messe, le défunt, qui avait les yeux fermés, les ouvrit une première fois au moment de l'élévation de la sainte Hostie, puis une seconde fois pendant l'élévation du calice, à la grande admiration de tous les assistants. Ce miracle est attesté dans le procès de canonisation.

Ses reliques.

Le corps du serviteur de Dieu fut préservé de la corruption du tombeau ; au XVIIe siècle il existait encore dans toute sa fraîcheur. De nombreux miracles accomplis à son sépulcre y attirèrent un grand concours de peuple. Le Pape Paul V béatifia Pascal en 1618 ; le 16 octobre 1690, Alexandre VIII l'inscrivit au catalogue des Saints. Enfin il fut proclamé Patron des Congrès et œuvres eucharistiques, le 28 novembre 1897, par Léon XIII.

Un miracle tout particulier et propre à ce Saint, ce sont des coups que font entendre sa châsse, ses reliques et même ses images. Il a été reconnu que les grands coups sont le présage d'une calamité future, ou servent à donner quelque grave avertissement ; les coups légers, au contraire, annoncent des événements heureux et indiquent aux fidèles que leurs prières, adressées à saint Pascal, ont été exaucées.

A. R. C.

Sources consultées. – Les Bollandistes. – P.M. Mansuy, Le Patron des Congrès et des Œuvres eucharistiques (Paris, Lille,1910). - R. P. Louis-Antoine de Porrentruy, F.M.C., Saint Pascal Baylon (Paris,1899). (V.S.B.P., n° 468 et 1656.)

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PAROLES DES SAINTS __________

Vie active et vie contemplative.

La vie active, c'est l'innocence des bonnes œuvres ; la vie contemplative, c'est la spéculation des choses célestes. L'une est commune à plusieurs, l'autre n'est le partage que d'un petit nombre.

La vie active consiste à user bien du monde ; la vie contemplative, renonçant au monde, ne place ses délices que dans la jouissance de Dieu.

La vie active est comme le sépulcre de la vie mondaine, et la vie contemplative le sépulcre de la vie active.

Cependant les Saints savent passer de temps en temps du secret de la vie contemplative aux travaux de la vie active, et ils reviennent avec joie de l'une à l'autre, soit pour louer Dieu au dedans, soit pour le glorifier au dehors.

Les animaux de la vision d'Ezéchiel, qui allaient et ne revenaient pas, représentaient la persévérance de la vie active ; et les animaux qui allaient et revenaient figuraient la mesure de la vie contemplative, de laquelle on descend de temps en temps par le poids de son infirmité, et à laquelle on remonte de nouveau après avoir renouvelé son intention.

Saint Isidore de Séville.

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SAINT FÉLIX DE CANTALICEConvers de l'Ordre des Frères Mineurs Capucins (1515-1587)

Fête le 18 mai.

Saint Félix de Cantalice fut le premier et l'un des plus beaux fruits de sainteté donnés à l'Ordre séraphique par la branche des Capucins, rameau nouveau du tronc franciscain devenu indépendant en 1525, à la suite du bienheureux. Matthieu de Bascio, et dont les Constitutions reçurent l'approbation successive de Clément VII en 1528, puis d'Urbain VIII en 1638.

Un Saint qui ne dément pas son nom.

Félix naquit en 1515 à Cantalice, bourgade des anciens Etats de l'Eglise située au pied de l'Apennin, sur les confins de la Sabine et de l'Ombrie. Son père s'appelait Sante et sa mère Santa, noms prédestinés que justifiait la dignité de leur vie. Néanmoins, Félix, leur troisième fils, fut « saint » à meilleur titre encore, car il manifesta dès le bas âge de telles marques de sa prédestination, que ses compagnons l'appelaient communément « le petit saint ».

Ses parents qui étaient pauvres et laboureurs de profession, l'employèrent de bonne heure à garder les troupeaux. Cette vie allait bien à l'âme méditative de l'enfant ; peu enclin aux conver-sations oiseuses et le cœur tourné vers le ciel, il prit l'habitude de s'entretenir avec Dieu par la prière.

Dans les lieux solitaires, qu'il recherchait de préférence, il répétait souvent le Pater et l'Ave et les quelques pieuses formules qu'on lui avait apprises ; et, lorsque les autres bergers se livraient au sommeil, lui s'agenouillait devant un arbre sur l'écorce duquel il avait gravé une croix, et il songeait alors à la Passion de Notre-Seigneur. Bientôt, il se sentit pressé de joindre à la méditation le jeûne et la discipline, exercice qu'il renouvelait chaque soir avant son repos. Ses compagnons s'en moquèrent tout d'abord.

- Penses-tu nous faire croire que tu es meilleur que nous ? lui disaient-ils. Dors, imbécile, repose la nuit. T'aviserais-tu de faire des miracles, nous ne croirions pas à ta sainteté.

Le petit berger supporta vaillamment ces railleries, et sa tranquille indifférence déconcerta ses adversaires. N'allait-il pas jusqu'à formuler ce souhait, quand quelqu'un l'offensait : « Allez, puissiez-vous devenir un Saint ! » Cependant, plusieurs de ses compagnons, touchés de sa conduite, devinrent plus sérieux, et l'un deux trouva, dit-on, dans sa fréquentation, la grâce de la vocation ecclésiastique.

Depuis l'âge de neuf ans, Félix était passé au service d'un riche bourgeois de Civita-Ducale, nommé Marc-Tullius Pichi ou Picarelli. Lorsqu'il fut plus âgé et plus fort, son maître, qui n'avait qu'à se louer de lui, l'enleva à ses troupeaux et le chargea du labourage de ses terres.

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Le jeune homme s'en réjouit beaucoup, car son nouvel emploi lui permettait d'assister tous les jours à la messe avant de se rendre aux champs. On rapporte qu'un jour où un travail urgent l'avait privé de cette satisfaction, un ange vint le remplacer à la charrue pendant qu'il allait à l'église épancher son cœur auprès du Dieu-Hostie.

Cet humble travailleur, sans instruction, puisqu'il n'avait pu fréquenter aucune école, avait beaucoup appris du Saint-Esprit. Comme il l'avouait lui-même naïvement plus tard, il ne connaissait et ne voulait connaître que six lettres : cinq rouges et une blanche. Les cinq rouges étaient les cinq plaies du Sauveur, et la lettre blanche, sa très sainte Mère.

La vocation religieuse.

Dieu lui-même acheva de l'éclairer en lui inspirant d'embrasser un genre de vie plus parfaite. Un moment, Félix, séduit au récit de l'existence extraordinaire des anachorètes d'Egypte, pensa à se faire ermite, mais la vie solitaire a ses inconvénients ; la vie de communauté offre plus de secours et plus de garanties. Le jeune homme tourna donc ses regards vers le couvent des Capucins qui venait de s'établir à Civita-Ducale. Un de ses cousins, ayant tenté de l'en détourner en lui exposant quelles austérités l'attendaient, Félix se contenta de répondre « qu'il voulait être religieux tout de bon ou ne pas sen mêler ».

Il hésitait encore, quand un accident vint mettre fin à son indécision. Un jour que le jeune homme dressait deux jeunes taureaux, ces animaux effrayés s'emportèrent, le renversèrent et le piétinèrent. Il eût péri sans un miracle. Quand il se releva, ses vêtements étaient tout déchirés, mais son corps était sans blessure ; il y vit une attention spéciale de la Providence envers lui et résolut de quitter le monde sans délai pour se faire Capucin.

Il eut bientôt mis ordre à ses affaires. Le peu d'argent qu'il possédait distribué aux pauvres, il demanda pardon à tous des déplaisirs qu'il avait pu causer. Il avait deux ou trois fois pris la liberté d'offrir, à l'insu de son maître, un peu de vin à l'un de ses amis ; il pria Marc-Tullius de retenir sur ses gages le prix de ce vin et de donner aux indigents le reste du salaire qui lui était dû, puis il embrassa les siens et partit.

Le Père gardien le reçut très rudement pour l'éprouver : « Vous venez sans doute ici pour vous faire faire un habit neuf, lui dit-il en le voyant si mal vêtu. Vous voudriez vivre en religion sans rien faire, ou bien encore vous croyez que vous allez commander aux religieux comme vous commandiez à vos bœuf. Sachez qu'ici le travail est incessant et l'obéissance absolue. Donc renoncez à votre dessein et n'y pensez plus. »

Cet accueil ne rebuta point le postulant : « Mon Père, dit-il, je prends Dieu à témoin que je ne viens pas ici pour un autre motif que celui d'être à son service. C'est lui seul qui m'inspire, me presse et m'ordonne de venir à vous. Voulez-vous que je résiste à ses inspirations et que je refuse l'honneur qu'il me fait ? »

Cette sage réponse adoucit le Père gardien, qui remit à Félix de Cantalice des lettres de recommandation pour le couvent de Rome. Le postulant s'y rendit sans tarder. De là, il fut envoyé à Ascoli pour y prendre l'habit et y commencer son noviciat en qualité de frère lai. C'était en 1545 : il avait alors trente ans.

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Le pieux quêteur.

Devenu profès, et après quelque temps passé au couvent de Tivoli, Félix fut définitivement fixé à celui de Rome, avec les attributions de Frère quêteur. I1 resta quarante ans dans cet humble emploi, pour la plus grande édification des Romains et la conversion d'un bon nombre d'âmes.

Tous les jours, il allait, la besace sur le dos, quêter la subsistance de ses Frères, pieds nus, les yeux baissés, et récitant son chapelet, disant parfois au Frère qui l'accompagnait : « Allons, mon Frère, le chapelet en main, les yeux en terre et l'esprit au ciel ! » Il avait si bien l'esprit au ciel qu'il lui arriva d'accompagner un de ses Frères, religieux prêtre, de lui servir la messe et de ne pouvoir dire au retour quel avait été son compagnon. Pourtant, s'il y avait au détour d'une rue quelque madone, il y portait d'instinct ses regards et récitait chaque fois cette prière :

Auguste Mère de Dieu, je désire vous aimer comme un bon fils ; et vous comme une bonne Mère, ne détachez pas de moi votre main secourable, car je suis comme ces petits enfants qui, d'eux-mêmes, ne peuvent encore faire un seul pas et qui tombent si l'appui de leur mère vient à leur manquer, Bénissez-moi, Auguste Reine, Vierge bénie, adieu.

Frère « Deo gratias ».

Sa dévotion naïve envers Jésus enfant le portait à prononcer en toute occasion le saint nom du Sauveur et à le faire répéter aux enfants qu'il rencontrait : Dites « Jésus », mes enfants, dites tous « Jésus ». Ou encore : «  Mes enfants, dites comme moi :

Jésus, Jésus, Jésus,Prenez mon cœur et ne me le rendez plus. »

D'autres fois, surtout vers la fin de sa vie, il les exhortait à crier : Deo gratias ! (Rendons grâces à Dieu !)

On pense bien si les petits, gagnés par sa simplicité, répondaient à son désir. C'était une bonne fortune pour eux que de le rencontrer sur leur chemin, et du plus loin qu'ils l'apercevaient : « Deo gracias, Frère Félix, Deo gratias ! » lui criaient-ils à l'envi. Et lui, les larmes aux yeux, leur répondait avec transport : «  Oui, Deo gratias ! Dieu vous bénisse, mes enfants, Deo gratias ! »

Les écoliers du Collège germanique ne le saluaient plus autrement que par ces deux mots, ce qui le réjouissait beaucoup.

En une circonstance, ces mêmes mots, Deo gratias ! lui servirent, comme d'une formule magique, pour faire tomber l'épée des mains de deux duellistes sur le point d'entrer en lice. Le saint religieux court se jeter au milieu d'eux en criant : « Dites Deo gratias ! mes frères, dites tous deux : Deo gratias ! » Si étrange qu'elle fût, l'exhortation eut son effet immédiat et les deux rivaux aimèrent mieux « rendre grâces à Dieu » que de s'entre-tuer.

« Laissez passer l'âne des Capucins. »

Toute la vie de Félix de Cantalice accuse l'humilité la plus profonde et la plus vraie. Bien qu'estimé et regardé comme un Saint par les gens du peuple et les plus grands personnages, il ne pouvait souffrir aucune louange ni aucune marque de vénération. Il ne supportait pas qu'on lui baisât la main, comme on a coutume de le faire en certaines parties de l'Italie aux prêtres et aux religieux.

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« Baisez les mains, disait-il, à notre compagnon qui est prêtre, et non à moi qui en suis indigne. »Vis-à-vis du prêtre, il était d'une déférence non pareille, allant jusqu'à lui baiser les mains à

genoux ; il s'estimait indigne de converser avec lui et ne parlait que s'il en était interrogé. Si quelqu'un le contredisait, il cédait aussitôt.

Soucieux de s'abaisser dans l'estime d'autrui, il aimait à s'appeler l'âne du couvent. « Faites place à l'âne du couvent des Capucins », disait-il un jour à la foule qui lui barrait le passage à la sortie d'une église.

Tous cherchaient des yeux l'animal.- Mais où est-il donc, votre âne, Frère Félix ? lui dit-on.- C'est moi, c'est moi, répondit le bon religieux, poursuivant sa route, les yeux baissés, courbé

sous le poids de sa lourde besace, dont il allait tout à l'heure déverser le contenu, pour le strict néces-saire à son couvent, pour le surplus, ses supérieurs le lui ayant permis, entre les mains de nécessiteux dont il était la providence.

Un trait de douceur évangélique.

Une autre fois, Frère Félix cheminait dans une rue fort étroite le sac sur le dos. Absorbé dans sa méditation, il ne vit pas venir à lui un cavalier hautain qui, sans crier gare, se fraya un passage et le renversa. Des témoins de la scène s'indignèrent, et l'arrogant seigneur crut devoir s'arrêter pour répondre à leurs invectives.

Quant au Frère Félix, bien que piétiné par le cheval et blessé, il se releva, et, s'avançant modeste et calme, il dit à celui, qui venait de le brutaliser ainsi :

- Pardon Seigneur, d'avoir embarrassé votre marche par ma maladresse et mon étourderie, veuillez agréer mes excuses.

Un haussement d'épaules méprisant fut toute la réponse du cavalier. Mais, le lendemain, ce dernier était aux pieds de l'humble Capucin, implorant son pardon, promettant d'user d'un peu plus de douceur à l'avenir, déterminé à vivre désormais en bon chrétien, si seulement le bon Frère voulait l'aider de ses conseils et de ses prières. Ce qui lui fut promis volontiers. Les humiliations comme les peines corporelles, Félix les appelait des faveurs du ciel, des roses du paradis, et pour rien au monde il n'eût voulu en être privé.

Comme le cardinal de Santorio, archevêque de Santa-Severina et protecteur de l'Ordre, lui offrait de le faire décharger dans sa vieillesse de ses fatigantes fonctions, le religieux lui répondit :

- De grâce, Monseigneur, laissez-moi mon office de quêteur : un soldat doit mourir l'épée à la main, un âne sous sa charge, et Frère Félix sous sa besace.

Les amusements de deux grands Saints.

A cette époque vivait à Rome un autre champion du Christ, dont la vertu n'était pas moins éclatante que celle de Frère Félix : c'était saint Philippe Néri, l'apôtre de la jeunesse et le fondateur de l'Oratoire. La sainteté attirant la sainteté, ces deux hommes n'avaient pas tardé à s'unir par des liens étroits. Il leur arrivait de se rencontrer dans la rue et de se tenir enlacés, sans mot dire, dans une fraternelle accolade : ils se comprenaient si bien !

D'autres fois, ils se saluaient d'une manière étrange. L'un disait :- Que ne puis-je vous voir brûler !- Et moi vous voir sur la roue ! répondait l'autre,- Que les mains vous soient bientôt coupées, reprenait le premier.

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- Et à vous la tête ! ajoutait son interlocuteur.- Puissiez-vous être fouetté et assommé à coups de pierre ! disait quelquefois Philippe.- Et vous tenaillé et noyé dans le Tibre ! répliquait Félix.Les propos qu'ils échangeaient d'un ton si dégagé n'étaient autres que des souhaits de martyre,

bien qu'ils désiraient par-dessus tout. Cependant, l'aimable saint Philippe, qui, par sa situation de prêtre et de fondateur jouissait d'une certaine autorité sur le Frère Félix, s'amusait parfois à faire ressortir l'extraordinaire humilité de son ami. D'ailleurs, les deux traits que nous allons citer, si édifiants soient-ils, ont de quoi surprendre les hommes du XXe siècle, spécialement ceux des pays septentrionaux : nous les admirons ; les imiter sans une vocation spéciale serait hors de propos.

Un jour entre autres, rencontrant Fr. Félix, dans la rue, occupé à quêter, saint Philippe le coiffe de son bonnet carré en lui disant :

« Continuez votre quête maintenant, nous verrons bien si vous êtes aussi mortifié que vous en avez l'air. » Fr. Félix, en vrai fils de saint François, allait toujours tête nue ; c'était presque un scandale de le voir maintenant la tête couverte, et surtout de la sorte. Il sourit et continua son chemin, le chef orné du bonnet de saint Philippe. Les passants ne lui épargnaient pas les plaisanteries. « Fr. Félix tombe en enfance, disaient les uns, - Il fait des pénitences si extraordinaires qu'il en perd la tête, poursuivit un autre. »

La plupart pourtant devinaient le mystère et étaient édifiés quand, à un détour de rue, près de la place San-Lorenzo in Damaso, les deux serviteurs de Dieu se trouvent de nouveau en face l'un de l'autre. Philippe découvre brusquement la tête du Frère et lui dit avec une feinte indignation : « Le bel exemple que vous donnez là, Frère Félix ! C'est une honte pour votre Ordre. Je vais avertir vos supérieurs et leur demander qu'ils punissent sévèrement une pareille folie. » Le bon Capucin, toujours calme, répondit : « C'est vrai, je mérite qu'on me châtie pour mes péchés, j'accepterai tout pour l'amour de Dieu. »

Dans une autre circonstance, les deux amis s'accostant sur le pont Saint-Ange, au milieu de la foule, essayèrent d'attirer sur eux les risées et les mépris : Philippe présenta à Félix une énorme bouteille de vin, le fiasco traditionnel ; le Capucin la porta à ses lèvres et se mit à boire en pleine rue. Mais, cette fois, les deux amis furent déçus dans leur espoir, car les passants se contentèrent de dire « Voilà un saint qui a la charité de donner à boire à un autre saint. »

Le poids d'une pièce de monnaie.

Dans les préceptes laissés par le Patriarche séraphique à ses fils, il y avait une importante recommandation : « Mes Frères, si vous trouvez de l'argent sur votre route, n'en faites pas plus de cas que de la boue que vous foulez aux pieds. » Lui-même n'avait-il pas prêché d'exemple en faisant jeter de l'or sur le fumier, afin de bien inculquer aux siens le mépris des biens périssables ?

Nul n'était plus fidèle que Félix à ce point de la règle. Aussi la moindre pièce de monnaie semblait lui brûler les mains. Ce que sachant, un espiègle lui glissa malicieusement une piécette blanche dans sa besace. Fr. Félix aussitôt de se sentir sur les épaules un poids énorme : « Oh ! oh ! se dit-il, je porte là quelque diable, à coup sûr ! Voyons un peu. » Et il vida sa besace sous un porche voisin ; la pièce d'argent s'en échappa et roula dans la boue. « Ah ; c'est toi, vil métal, s'écria-t-il, c'est toi qui me pesais tant ! Te ramasse qui voudra. Je ne me salis pas à ton contact. » Et, reprenant sa besace, il s'éloigna.

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Esprit de pauvreté et de mortification de saint Félix. - Sa mort.

A ce trait l'on comprend que Félix de Cantalice avait pour la pauvreté une sorte de culte. Son habit était court, étroit, rapiécé ; il raccommodait lui-même son vêtement usé ; hiver comme été, il se passait de tunique et se contentait de l'habit de l'Ordre, ou, s'il s'accordait un vêtement de dessous, c'était un dur cilice ou même une chemise de mailles qu'il portait sur la chair nue quand il faisait le pèlerinage des sept basiliques.

Sa mortification allait de pair avec son esprit de pauvreté. Il se privait même des satisfactions les plus légitimes, telle que s'approcher du feu pendant un froid rigoureux : il essayait de se réchauffer par une promenade dans le jardin du couvent, et, tout en marchant, il faisait tout haut ses réflexions : « Allons, Frère âne, disait-il à son corps, te voilà transi, il faut que tu te réchauffes sans feu, car c'est ainsi que doivent être traitées les bêtes de somme... Loin du feu, Frère âne, loin du feu ! C'est devant le feu que saint Pierre renia son divin Maître. »

Il trouvait toujours une raison pour cacher ses austérités. S'il allait pieds nus, cela l'aidait, expliquait-il, à marcher plus à l'aise ; de se donner la discipline jusqu'au sang, le réchauffait un peu ; s'il s'éloignait du feu, il évitait ainsi la tentation de se livrer à de trop longues conversations ; pour ne dormir que deux heures chaque nuit, et passer le reste du temps en prières, il trouvait encore quelque autre motif qu'il alléguait en souriant.

Il en agit ainsi pendant les quarante-deux années de sa vie religieuse, accumulant d'un cœur joyeux tous les renoncements.

Après avoir achevé de le purifier par de douloureuses affections chroniques supportées sans aucune plainte, Dieu l'appela aux joies du paradis le 18 mai 1587. Félix mourut en prononçant les doux noms de Jésus et de Marie.

Dès que son trépas fut connu, le peuple vint en foule contempler une dernière fois ses traits. Le couvent et l'église des Capucins furent envahis. A tout prix, chacun voulait un souvenir du défunt. On lui enleva les ongles et les cheveux pour en faire des reliques. Son cercueil et ses vêtements s’en allèrent en parcelles, et deux ou trois fois, son corps fut presque dépouillé et mis à nu pour satisfaire la piété indiscrète des visiteurs. Le cadavre lui-même dut être protégé par le chevalier du guet qui vint avec ses archers et des soldats monter la garde jusqu'au moment de la sépulture.

De nombreux miracles justifiaient cet empressement. Aussi Félix de Cantalice fut-il béatifié, moins de quarante ans après sa mort, par Urbain VIII, en 1625. Clément XI le canonisa en 1712 ; mais la Bulle de canonisation ne fut publiée qu'en 1724 par Benoît XIII.

L'iconographie a perpétué les épisodes marquants de la vie du Saint. Il est représenté avec une besace, un baril ou une dame-jeanne sur l'épaule, un panier ou cabas au bras. Parfois un âne l'accom-pagne, en souvenir de l'animal qui aidait le bon Frère convers dans ses tournées de quêteur ou peut-être du titre qu'il s'était donné à lui-même. Sur sa besace sont écrits les mots Deo gratias. Il a été peint aussi quelquefois rencontrant saint Philippe Néri dans la rue et lui donnant à boire à même sa gourde recouverte d'osier. Souvent aussi, pend à sa main droite un grand chapelet pour rappeler que le saint le récitait volontiers à travers les rues de Rome.

A.L.

Sources consultées. – Bollandistes. – P. Léon, L'auréole séraphique, Vies des Saints et des Bienheureux des trois Ordres de Saint-François, t. II (Paris). – (V.S.B.P., n° 1211.)

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SAINT PIERRE CELESTINFondateur d'Ordre et Pape (CélestinV) (1212-1296).

Fête le 19 mai.

Lorsque le fondateur de l'Ordre des Célestins descendit du mont Morrone pour charger sur ses épaules le fardeau du pontificat suprême, on trouva dans sa cellule un cahier écrit de sa main et qui renfermait le récit d'une partie de sa vie. Livre précieux inspiré au Saint non par un sentiment de vaine gloire, mais pour la consolation et l'édification de ses religieux. C'est à cette source que sont puisés les détails biographiques qu'on va lire.

Première éducation et premières marques de sainteté.

Pierre Angelerio, appelé plus tard Pierre de Morrone, et qui fut le Pape Célestin V, naquit dans l'Italie méridionale, peut-être à Isernia, ville de Campanie, en 1215, de parents simples et craignant Dieu. La bénédiction divine descendit sur cette famille, qui compta douze enfants ; Pierre fut le onzième. Sa mère demandait sans cesse au Seigneur que, parmi les douze, il y eut au moins un serviteur de Dieu toute pleine de ces pensées, elle fit entreprendre à son deuxième fils des études qui devaient le conduire au sacerdoce ; mais le jeune homme ne répondit pas pleinement à son attente.

Pierre avait alors cinq ou six ans, et la grâce divine se montrait admirable dans cette âme simple et candide ; il disait souvent à sa mère : « Je veux servir bien le bon Dieu. » Charmée de ses disposi -tions, celle-ci promit de le faire étudier. Malgré l'opposition de ses amis et de ses autres fils, elle persista dans son projet ; prenant sur son nécessaire et le donnant à un maître pour qu il instruisit son fils. Dieu bénit une telle persévérance, et bientôt, l'enfant répondit à ces soins. Il devint savant et pieux, et déjà dans ses prières, il était parfois honoré de la visite des anges, de leur Reine et de saint Jean 1'Evangéliste.

Sa mère, à qui il faisait de ces visions un récit simple et fidèle, voulut éprouver si elles venaient vraiment de Dieu. Dans un temps de grande famine, le pain vint à manquer. La pieuse femme eut recours à Dieu, puis elle dit à Pierre : « Mon fils, prends une faux et va me chercher du blé dans les champs.» Or, le temps de la moisson était très éloigné, et le blé encore en herbe. L'enfant obéit cependant, et revint bientôt, chargé de blé très beau et très mûr.

Il veut vivre en solitaire.

Dés son jeune âge, il soupirait après le bonheur de servir Dieu uniquement, surtout dans la solitude. « Mais je ne savais pas, raconte-t-il naïvement lui-même, qu'on pût être ermite avec un compagnon. Je croyais qu'il fallait être toujours seul ; j'avais de grandes peurs, la nuit surtout.., »

Il reste dans cet état d'incertitude jusqu'à l'âge de vingt ans ; puis, poussé par la grâce, il a recours à un de ses compagnons et lui dit : «  Sortons de notre patrie et allons au loin servir Dieu.

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Mais, d'abord, allons à Rome et ne faisons rien sans le consentement de 1'Eglise. » Après un jour de marche, le compagnon de Pierre, exténué, propose de rebrousser chemin. « Si tu m'abandonnes, répond le futur ermite, j'ai confiance que Dieu ne m'abandonnera pas. »

I1 poursuivit seul la route encore l'espace d'un jour ; mais, arrêté par une affreuse tempête, il se réfugia dans une église dédiée à saint Nicolas, en un lieu, qu'il appelle Sangro. Là, Dieu lui inspira de renoncer à son voyage de Rome, et de commencer sans plus tarder la vie érémitique. Dans les environs, était une forêt ; il y passa six jours dans une prière et un jeûne continuels et n'en sortit que pour gravir une affreuse montagne et se loger dans une caverne qui ressemblait à un tombeau, si petite qu'il pouvait à peine s'y tenir debout ou s'y étendre.

I1 passa dans ce réduit trois ans, pendant lesquels Dieu combla son âme de ses meilleures grâces. Le démon, de son côté, lui livrait de terribles assauts, dont il demeura pleinement vainqueur. Quelques personnes de vertu le visitaient souvent dans cette solitude ; connaissant les tentations nombreuses auxquelles il était en butte, elles l'engagèrent à recevoir le sacerdoce, afin que, s'appro-chant souvent du saint autel, il puisât dans le saint sacrifice et l'Eucharistie plus de force pour lutter. Malgré son humilité, le jeune ermite partit donc pour Rome où lui furent conférés les Ordres sacrés.

Sa retraite sur le mont Morrone.

A son retour, Pierre avait pris l'habit de Saint-Benoît, au monastère de faifola. Cependant, avec l'autorisation de son abbé, il se retira en 1239 dans une grotte du mont Morrone, près, de Sulmona, afin de se livrer à une vie plus austère. Il passa cinq années dans cette solitude, au milieu de privations de toute sortes, auxquelles il joignait encore les plus dures mortifications. Mais Dieu était avec lui, et il goûtait dans sa retraite d'ineffables consolations. Tous les jours, il montait à l'autel avec une ferveur angélique. Le démon, jaloux, lui suggéra hypocritement que la célébration des saints mystères attirait trop de monde en son ermitage, et qu'un pécheur aussi vil n'était pas digne d'offrir à Dieu un si auguste sacrifice. Rendu perplexe, le saint ermite allait, malgré la neige et malgré l'hiver, se mettre en route pour consulter le Pape, lorsqu'une vision l'arrêta. Le pieux abbé de Faifola, mort depuis peu, lui apparut au pied de l'autel pendant son sommeil. Il lui disait : « Priez pour moi, mon fils, et demeurez avec Dieu. - Et que dois-je donc faire ? répliqua Pierre. - Célébrez la messe, mon fils, célébrez... » La vision disparut. Le même jour, le solitaire vit son confesseur qui lui parla dans le même sens. Ainsi rasséréné, il continua sa vie de contemplation.

Sur les flancs du mont Majella.

En 1244, Pierre, qui cherchait toujours la solitude, se retira sur le mont Majella, au diocèse de Chieti. Sa sainteté lui attirait des disciples. Il en eut d'abord deux. Le nombre s'accrut bientôt, malgré ses résistances, car il aurait voulu demeurer seul avec Dieu. Telle fut l'origine de l'Ordre des Célestins. Ils habitaient des cabanes faites d'épines et de branches, dans une solitude affreuse.

Pendant deux années, une colombe toute blanche vint habiter au milieu d'eux, prenant sa nourriture à l'endroit même où devait plus tard s'élever l'autel de l'église du Saint-Esprit, qui fut achevée en 1247. Les religieux et les nombreux pèlerins entendaient souvent des cloches invisibles les appeler au service de Dieu. C'était comme une harmonie lointaine qui montait peu à peu, plus vibrante, plus solennelle aux grandes fêtes, plus douce, plus recueillie les jours ordinaires. Des voix mystérieuses se faisaient aussi entendre, qui prenaient part au chant de l'office.

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Mortifications, luttes et miracles.

On sentait de partout la présence de Dieu en ce lieu béni. La vie des solitaires n'avait plus rien de terrestre. Et, cependant, Pierre allait plus loin que tous dans la voie des austérités, Il observait, par an, quatre Carêmes de quarante jours, pendant lesquels il ne mangeait que deux fois la semaine. Le reste du temps, il jeûnait tous les jours. Sa nourriture ordinaire était un pain sec et moisi qu'il fallait, dit la chronique, briser avec un marteau. Il portait un vêtement de laine grossière avec un scapulaire qu'il avait fabriqué lui-même, et, dessous, il dissimulait un cilice de fer qui ne le quittait point. En tous temps, il couchait sur une planche ou sur une pierre. Avec plus de rage que jamais, le démon continuait ses persécutions contre les moines.

Un jour, le feu prenait aux branches qui les protégeaient du froid. D'autres fois, des animaux de forme hideuse leur apparaissaient. Souvent, on entendait dans la nuit des cris, épouvantables. Mais toute cette fantasmagorie disparaissait devant la puissance du Saint. Dès ce moment, Dieu lui accorda le don des miracles à un degré extraordinaire. A plusieurs reprises, l'homme de Dieu renouvela, dans le monastère, les provisions épuisées. On le vit ressusciter un mort. Il semblait joindre à chaque aumône qu'il faisait une grâce de conversion pour celui qui la recevait. Les pensées les plus secrètes de ceux qui l'approchaient ne lui échappaient pas, et il prédit alors plusieurs choses qui, toutes, se réalisèrent comme il l'avait annoncé.

Approbation des constitutions de l'Ordre.

Peu à peu, le nombre des religieux s'était accru. Il avait fallu ériger plusieurs maisons qui toutes, furent richement dotées par de généreux bienfaiteurs. En 1262, Urbain IV; à la demande du fondateur, incorpora à l'Ordre de Saint-Benoît les « Frères du désert du Saint-Esprit de Majella ».

Quelques années plus tard, le bruit courut que le Concile de Lyon allait supprimer tous les Ordres de création récente. Pierre résolut d'aller défendre lui-même sa Congrégation auprès du Con-cile, et il partit à pied, malgré son grand âge et ses infirmités. Quand il fut à Lyon, il plaida sa cause moins par des paroles que par des miracles.

Le bienheureux Grégoire X, qui l'avait en profonde estime, voulut assister à sa messe. Pierre obéit. Mais le manteau dont il se dépouilla pour revêtir les ornements sacrés demeura, pendant toute la messe, comme suspendu en l'air, à un rayon de soleil qui passait à travers une verrière. Puis, quand on lui apporta les riches ornements qu'on avait préparés, le saint moine, embarrassé, se prit à regretter les vêtements plus simples dont il se servait dans son ermitage. Miracle ! les anges de Dieu les lui apportent soudain à travers les airs ; il s'en revêt et célèbre devant l'assistance émerveillée.

Le lendemain, 22 mars 1274, Grégoire X lui fit expédier la Bulle de confirmation, où il est dit qu'à cette époque l'Ordre comptait déjà seize monastères. Plein de joie, Pierre reprit aussitôt la route de Majella. A son retour, tous ceux qui au moment du Concile, s'étaient emparés de ses biens, les lui rendirent. Seul, l'évêque de Chieti s'obstinait. Une maladie terrible, qui faillit l'emporter, lui ouvrit bientôt les yeux et il répara le dommage causé aux religieux.

De solitude en solitude.

L'Ordre croissait toujours. Le monastère de Faifola, où jadis Pierre de Morrone avait pris l'habit, lui fut offert en 1276. Il alla s'y établir avec quelques religieux. Puis, lorsque la fondation fut définitivement assise, il revint à Majella (1281), Mais l'affluence des pèlerins augmentant, le

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serviteur de Dieu, vers 1284, chercha un refuge au monastère de Saint•Barthélemy de Laggio. C'est là qu'il changea en vin l'eau destinée au saint sacrifice de la messe. Après deux ou trois ans, il quitta ce lieu pour se retirer à Orfente, où il demeura jusqu’en 1292, année où il revint au Morrone habiter une grotte qu’il dédia à saint Onuphre, l’anachorète célèbre en Egypte au IVe siècle.

Un Pontificat de cinq mois.

Le Pape Nicolas IV était mort le 4 ou 14 avril 1292, et depuis plus de deux ans les discussions des cardinaux avaient laissé vacant le siège pontifical. Pierre eut ordre de Dieu de leur écrire pour leur reprocher leur conduite. A la lecture de cette lettre, une inspiration commune les saisit tous : c’était là le Pontife que la Providence destinait à l’Eglise. Pierre fut élu à l’unanimité le 5 juillet 1294 à Pérouse, bien qu’il ne fut ni cardinal ni même évêque. L’archevêque de Lyon et les autres prélats députés pour lui annoncer son élection l’aperçurent par une fenêtre grillée, à travers laquelle il donnait audience aux pèlerins. Ils virent un vieillard à barbe blanche, le visage amaigri, exténué par les jeûnes et les veilles, couvert de vêtements grossiers.

Célestin V se dépouille de la dignité pontificale.

Quand il sut la décision du Sacré-Collège, Pierre se prit à pleurer. Cependant, les instances des messagers se firent pressantes et sans doute la manifestation de la volonté divine était si claire qu'il ne put refuser. Sur le conseil du roi de Naples, Charles II, le nouvel élu décida de se faire sacrer, non

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à Pérouse, mais à Aquila.

Pierre arriva en cette ville, monté sur un âne que conduisaient par la bride les rois de Naples et de Hongrie. Lorsqu'il fut descendu, un paysan posa sur le dos de l'animal son fils perclus des deux jambes : l'enfant fut aussitôt guéri.

Le couronnement du Pontife eut lieu le 29 août ; Pierre prit alors le nom de Célestin V, d'où l'appellation donnée à son Institut. Le nouveau Pape refusa, par un excès de prudence, de se rendre à Rome et préféra se fixer à Aquila d'abord, puis à Naples, où il se sentait à l'abri, sous la protection plus ou moins intéressée de Charles II. Tout à fait inexpérimenté dans les affaires de ce monde et moins écouté que ne l'était le prépondérant Benoît Gaetani (le futur Boniface VIII), il se vit dans l'impossibilité de gouverner l'Eglise. Bientôt, une partie du Sacré-Collège, émit la prétention de faire remettre le pouvoir aux cardinaux et d'abandonner au Pape la seule occupation de prier et de pontifier. Vaincu par la crainte d'offenser Dieu, Célestin V résolut de donner sa démission, d'autant plus qu'un sévère conseiller, le bienheureux Jacopone de Todi, le célèbre poète franciscain, l'entretenait dans ses appréhensions.

L'abdication.

Quand le bruit de l'abdication se répandit, le peuple de Naples envahit le palais pontifical pour supplier le saint vieillard de renoncer à un projet si funeste aux intérêts de l'Eglise. Un instant ébranlé, le Pape promit de prier pour connaître la volonté de Dieu. Après quelques jours passés dans la retraite, il réunit les cardinaux en Consistoire secret le 13 décembre 1294. Dans l'intervalle, il avait rédigé une constitution où il définissait qu'un Pape peut abdiquer pour le salut de son âme,

Célestin V parut solennellement revêtu des ornements pontificaux. Il s'assit. Puis, après avoir défendu aux cardinaux de l'interrompre, il lut d'une voix forte l'acte de renonciation au trône.

Moi, Célestin, mû par des causes légitimes qui sont l'humilité, le désir d'une vie plus parfaite et celui de ne point blesser ma conscience, mon défaut de science, et afin de trouver le repos et les consolations de ma vie passée, je quitte volontairement et librement la papauté, donnant dès à pré- sent au Sacré-Collège des cardinaux la faculté d'élire, mais seulement par voie canonique, un pasteur pour l'Eglise universelle.

Puis, après être sorti de la salle, il y rentra quelques instants plus tard, de nouveau revêtu de son humble costume d'ermite. Cette abdication fut fort discutée. Dieu se chargea lui-même de justifier son serviteur. Le lendemain du jour où il déposa la tiare, Pierre Célestin guérit un boiteux, en lui donnant sa bénédiction à la fin de la messe. Le don des miracles ne l'abandonna jamais. Onze jours plus tard, et après seulement un jour de Conclave, le 24 décembre 1294, Benoît Gaetani était élu Pape à Castro-Nuovo près Naples et prenait le nom de Boniface VIII. Pierre de Morrone voulut être le premier à lui baiser les pieds.

L'emprisonnement. La mort.

Il tardait au pieux vieillard de reprendre le chemin de la solitude. Il en demanda la permission à son successeur, qui ne crut pas pouvoir la lui accorder, mais l'invita à l'accompagner à Rome. Celui-ci craignait que, dans un cas si étrange, alors que tous n'acceptaient pas la validité d'une telle abdication, Pierre Célestin ne devînt un instrument de schisme, dont le conséquences eussent été funestes à l'Eglise ; une telle mesure de prudence est justifiée par l'état des esprits à cette époque.

Cependant, Pierre, tourmenté de plus en plus par le désir de retrouver sa vie d'autrefois, s'enfuit secrètement pendant la nuit. Quand il arriva au mont Morrone, il fut reçu avec joie. Bientôt il ne se crut plus en sûreté et il chercha ailleurs un refuge.

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Au bout de quelques mois, des gens du roi de Sicile découvrirent sa retraite. Il fut conduit près du Pape à Anagni. Celui-ci résolut de tenir son prédécesseur sous bonne garde tout en l'entourant des égards et des honneurs qui lui étaient dus.

Le lieu de la retraite qui lui était assigné était le château de Fumone près d'Anagni (août 1295). La sévérité des gardes transforma cette résidence en prison. On relégua le vieillard dans une étroite cellule et deux de ses Frères seulement, lui furent laissés pour réciter avec lui l'office divin.

A quelque temps de là, saint Jean-Baptiste apparut à Boniface VIII et lui reprocha la captivité que subissait son prédécesseur. Le Pape effrayé, envoya des hommes sûrs à Fumone, pendant la nuit, pour s'enquérir de la façon dont on traitait l'homme de Dieu. Les messagers arrivèrent de grand matin. Or, ils aperçurent le saint vieillard à l'autel et qui célébrait une messe de Requiem, bien que ce fût le jour de la fête de saint Jean-Baptiste. A l'Elévation, ils le virent en extase, soulevé de terre, avec un visage radieux. Quand la messe fut achevée, Pierre, à qui une révélation avait tout appris, confia aux messagers les paroles les plus consolantes pour le Pape Boniface, pour qui il devait conserver toujours des sentiments de vénération.

Puis il consentit à expliquer pourquoi il célébrait une messe de Requiem un jour de si grande fête. Cette nuit-là même, leur dit-il, l'un de ses meilleurs amis était mort. Dieu le lui avait fait connaître, en même temps que l'arrivée des messagers. Il avait célébré de très grand matin, parce qu'il ne voulait pas faire attendre à cette pauvre âme le fruit de ses suffrages. A l'Offertoire, il avait vu son âme pénétrer dans le sein de Dieu.

Les envoyés retournèrent, pleins de joie et d'admiration, raconter au Pape tout ce qu'ils avaient vu. Depuis neuf mois, le saint prisonnier vivait à Fumone, lorsque Dieu lui révéla que l'heure de la mort approchait. Ce fut pour lui l'occasion de redoubler de rigueur dans ses austérités. Un dimanche, au sortir de la sainte messe, il se sentit définitivement perdu. Quand il eut reçu les sacrements, il entra en agonie. Ses lèvres défaillantes s'essayaient encore à répéter les paroles des psaumes qu'il avait chantés sa vie entière, au pied des autels. Ses derniers mots furent ceux qui terminent les psaumes de David : « Omnis spiritus laudet Dominum : Que toute créature loue le Seigneur ! » Puis il rendit son âme à Dieu. C'était le 6 mai 1296.

La canonisation. - L'Ordre des Célestins.

D'abord enseveli à l'église Saint-Antoine, près de Ferentino, le corps de saint Pierre Célestin fut transféré le 15 février 1327 à l'église Sainte-Marie de Collemaggio, à Aquila. L'instruction de la cause commença à Naples le 13 mai 1306 et fut couronnée le 5 mai 1313 par la cérémonie de la canonisation solennelle que présida Clément V dans l'église Saint-Didier, à Avignon.

Il n'était question dans la Bulle de Clément V ni du nom de Célestin ni du titre de Pontife. Plus tard, Clément IX ordonna de réparer cette double omission et donna à sa fête le 2 juin 1668 le rite semi-double. Innocent XI l'élevé au rite double le 10 mars 1681.

Les Célestins se répandirent assez rapidement en Italie ; ils essaimèrent surtout en France et s'y établirent à la demande de Philippe le Bel, qui voulut payer les frais de la canonisation de leur Fon-dateur. Ils devaient disparaître en France par suite des agissements suspects et parfois peu conformes au droit canonique, de la Commission pour la réforme des Ordres religieux, constituée en mai 1766 et dont Loménie de Brienne était l'âme. Au moment de sa dissolution, l'Ordre comptait en France 1500 religieux. Les Célestins du royaume de Naples furent supprimés en 1807.

Au XIXe siècle, un religieux français, Dom Aurélien, a essayé de faire revivre les Célestins et remis dans ce dessein au Saint-Siège une supplique datée du 19 février 1872, mais son initiative n'a pu aboutir.

C.Octavien.

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Sources consultées.- Dom Aurélien, Saint Pierre Célestin (Bar-le-Duc,1873) - (V.S B.P., n° 846).

SAINT BERNARDIN DE SIENNEFrère Mineur de l'Observance, apôtre de l'Italie (1380-1444)

Fête le 20 mai.

Ce Saint fut toute sa vie l'enfant chéri de la Sainte Vierge. C'est donc par une heureuse coïncidence que sa fête se trouve placée au milieu du mois consacré à celle qu'il aima d'un amour si tendre et si constant.

Enfance innocente et charitable.

Bernardin naquit le 8 septembre 1380, le jour de la naissance de la Sainte Vierge, à Massa Carrara, en Toscane, où Tollo, son père, Siennois, de l'illustre famille des Albizzeschi, gouvernait en qualité de premier magistrat. Sa mère, Néra, bien digne par sa piété de posséder un tel fils, ne devait pas jouir du spectacle de ses vertus, car elle mourut quand il n'avait que trois ans. Sur son lit de mort, elle confia l'enfant à sa sœur Diane, qui fut pour lui véritablement une seconde mère. A six ans, Bernardin perdit son père. Dès lors, le soin de son éducation revenait tout entier à cette parente qui l'accepta avec joie. On vit éclore peu à peu, sous sa sage direction, les germes de vertu que renfermait l'âme de l'enfant. Dans un âge si tendre, Bernardin était modeste, doux, humble, pieux ; il faisait ses délices de la prière et de la visite des églises. Très attentif aux sermons, il répétait à ses compagnons les paroles qu'il avait entendues, et il le faisait avec tant de fidélité et de grâce qu'il était facile de prévoir ce qu'il serait plus tard.

Sa vive sensibilité le portait aussi à aimer tendrement le prochain. Un jour, ou sans doute les aumônes avaient été plus abondantes qu'à l'ordinaire, sa tante ayant renvoyé un pauvre sans rien lui donner, parce qu'il y avait à peine assez de pain pour suffire aux personnes de la maison, Bernardin lui dit, les larmes aux yeux :

- Pour l'amour de Dieu, donnons quelque chose à ce pauvre homme ; autrement, je ne pourrai rien manger aujourd'hui. J'aime mieux me passer de dîner que de laisser jeûner ce malheureux.

Sa tante, au lieu de s'irriter de tant de charité, satisfit avec bonheur à son pieux désir.A peine eut-il atteint l'âge de onze ans qu'il dut se séparer de celle qui avait guidé son enfance

pour se rendre à Sienne auprès de ses oncles paternels, Christophe et Ange Albizzeschi, Ceux-ci, désireux de cultiver ses heureuses dispositions, le mirent sous la conduite de deux célèbres professeurs : Onuphre, le grammairien, et Jean de Spolète. Bernardin profita à merveille de leurs doctes leçons. Il fut bientôt à la tête de tous ses condisciples qu'il dépassait, non seulement en intelligence et en savoir, mais, ce qui vaut mieux, en docilité et en vertu.

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Il s'appliqua surtout avec un soin extraordinaire à veiller sur la pureté de son âme. Au milieu de ces écoliers formés à la vie des Universités, querelleurs, libertins, séditieux, Bernardin conserva sa première innocence. S'il entendait un mot blessant, son visage se couvrait aussitôt d'une vive rougeur qui témoignait la peine qu'il en ressentait. Parfois, cependant, il ne se contentait pas de rougir. Un jour, un homme de qualité, ayant fait en sa présence une proposition déshonnête, Bernardin, l'enfant doux et aimable, se redressant tout à coup, l'œil brillant d'une sainte colère, lui ferma la bouche par un coup de poing si violent qu'il retentit par toute la place. Le noble libertin, devenu la risée des spectateurs, se retira confus. Mais cette réprimande le frappa si vivement qu'il résolut dès lors de se corriger. Il tint parole et, depuis toutes les fois qu'il entendait prêcher Bernardin, le souvenir de cette correction le faisait fondre en larmes.

En face d'une vertu aussi vaillante, le vice était forcé de baisser pavillon. Dès que le Saint paraissait : « Taisons-nous, disaient les libertins, voici Bernardin ! »

Quel était le secret de cette énergie si extraordinaire ? Sa dévotion à Marie.

Le serviteur de Marie.

Dès sa plus tendre jeunesse, il avait pris l'habitude de jeûner chaque samedi en son honneur, et la Sainte Vierge le récompensait en lui donnant la force de vaincre ses passions. Ses camarades d'études se moquaient un jour de lui parce qu'il ne cherchait à plaire à aucune dame.

La dame de mes pensées est la plus belle du monde, répondit Bernardin.Tobia, une de ses cousines, tertiaire de Saint-François, à qui la piété et un âge avancé donnaient

des droits de sollicitude spéciale, voyant l'enfant devenir un cavalier brillant, s'émut des séductions que le monde pouvait exercer sur cette jeune âme et l'avertit de ses craintes ; il lui répondit :

- Je suis déjà pris par l'amour, car je sens que je mourrai le jour même où je ne pourrai voir celle qui m'est chère. D'autres fois il ajoutait :

- Je m'en vais voir celle que j'aime, qui est plus belle et plus noble que toutes les filles de Sienne.Tobia, entendant ces paroles et n'en comprenant pas le sens, était profondément affligée et,

voulant une fois éclaircir les soupçons qui la désolaient, elle le suivit secrètement ; elle le vit de loin s'arrêter devant l'image de Marie, sculptée au fronton d'une des portes de Sienne. Là, à genoux sur le sol, Bernardin récita pieusement ses prières, et, lorsqu'il les eut finies, il s'en retourna tout droit à la maison. Tobia connaissait désormais le secret de son jeune parent, et cessa de trembler pour lui.

La pensée de la Sainte Vierge remplissait, en effet, son esprit, et la pureté immaculée de Marie ravissait son cœur. Au milieu des exercices de la piété, le vertueux jeune homme poursuivait ses études avec une ardeur que le ciel récompensait. Dès l'âge de treize ans, il avait fini son cours de philosophie, il étudia alors le droit civil et canonique, puis les Saintes Ecritures. Dès qu'il eut goûté à cette dernière étude, toutes les autres sciences lui parurent sans attrait ; il employait son temps à lire et à comprendre l’Evangile, et à le mettre en pratique.

Le serviteur des pauvres.

Il y avait à Sienne, dans l'hôpital Santa Maria della Scala, une humble confrérie, dite des « Disciplinés de la Vierge », destinée au service des malades. Bernardin, ses études finies, se hâta de s'y faire admettre ; il avait alors dix-sept ans. Ce fut un spectacle touchant de voir ce jeune homme au corps frêle, au visage délicat, entouré jusque-là de toutes les jouissances que procure la richesse, revêtu désormais d'habits grossiers, assistant les pauvres dans leurs maladies les plus repoussantes, sans se laisser rebuter, ni par les piqûres de l'amour-propre ni par les répugnances de la chair, et

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faisant suivre ces exercices pénibles de longues méditations et d'austérités effrayantes.

En 1400, la peste, qui avait désolé une partie de l'Italie, attaqua la ville, de Sienne et particulièrement l'hôpital Santa Maria della Scala. Il y mourait de dix-huit à vingt personnes par jour, de telle sorte que le personnel de l'établissement fut emporté presque tout entier par le fléau. Ce fut en cette occasion que Bernardin fît paraître admirablement sa charité. Non seulement il s'exposa lui-même pour l'assistance des pestiférés, mais il fit tant par ses exhortations que douze hommes de cœur se joignirent à lui ; pendant quatre mois, ces martyrs du dévouement, qu'on croyait perdus, s'exposèrent à la contagion sans en recevoir aucune atteinte.

Au bout de ce temps, la peste ayant cessé, Bernardin, épuisé de fatigue, tomba dans une fièvre violente qui l'obligeai quatre mois à garder le lit. Il supporta cette épreuve avec résignation et édifia, autant par sa patience et sa docilité qu'il l'avait fait par sa charité.

C'est pendant cette longue maladie qu'il se fortifia dans son projet de se consacrer entièrement à Dieu. A peine fut-il rétabli qu'il se mit de nouveau au service des malades. Une de ses tantes, Bartolomea, était devenue aveugle et avait réclamé ses services. Bernardin la soigna plus d'un an, comme l'aurait fait le fils le plus dévoué, et lui ferma les yeux.

Saint Bernardin entre chez les Frères Mineurs.

Ce devoir accompli, notre Saint se retira chez un de ses amis, aux extrémités de Sienne, et se fixa pour clôture absolue les murs de son jardin. Dans cette solitude, il s'appliqua à l'oraison et à la pénitence, afin d'appeler les lumières du ciel sur la route qu'il devait suivre.

Un jour qu'il répandait son cœur devant un crucifix; il entendit une voix qui lui disait : « Bernardin, tu me vois dépouillé de tout et attaché à une croix pour ton amour ; il faut donc aussi, si tu m'aimes, que tu te dépouilles de tout et que tu mènes une vie crucifié. »

Pour suivre ces conseils, Bernardin résolut d'entrer dans l'Ordre de saint François. Il prit l'habit au couvent de Colombaio, à quelques kilomètres de Sienne, le 8 septembre 1402, vingt-deuxième anniversaire de sa naissance. Il est à remarquer que, dans les trois années qui suivirent, c'est à ce jour où l'Eglise célèbre la fête de la Nativité de Notre-Dame qu'il fit sa profession, célébra sa première messe et prêcha son premier sermon. C'est ainsi que la Sainte Vierge voulut présider à sa triple vocation de religieux, de prêtre et d'apôtre.

Dès son entrée dans la vie religieuse, Bernardin, non content de suivre la règle de saint François, déjà si austère, s'appliqua à détruire en lui, à force de veilles, de jeûnes et de mortifications, toute attache au monde. Il recherchait avec empressement les mépris, les humiliations et les mauvais traitements. Son plaisir n'était jamais plus grand que lorsqu'en marchant dans les rues, les enfants lui disaient des injures et lui jetaient des pierres, à cause de la pauvreté de son habit et de la nudité de ses pieds : « Laissons-les faire, disait-il à ceux qui l'accompagnaient, ils nous fournissent l'occasion de gagner le ciel. »

Le prédicateur.

Lorsqu'il eut fait sa profession, ses supérieurs lui ordonnèrent de faire valoir son talent pour la prédication que nous avons vu s'annoncer d'une manière si étonnante à l'époque de son enfance.

Il trouva d'abord de grandes difficultés dans une faiblesse de voix accompagnée d'enrouement ; mais sa bonne Mère était là. A peine, l'eut-il invoqué que sa voix devint pure et éclatante, il reçut en même temps toutes les qualités nécessaires à un prédicateur ; l'intelligence des saintes Lettres, l'élégance de la composition, la beauté du geste et surtout un feu et un zèle admirables pour la conversion des âmes. Aussi, sa prédication produisit-elle en Italie des fruits merveilleux.

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On ne pouvait entendre sans émotion sa parole toute brûlante de charité.

Les pécheurs, pris soudain de repentir, se confessaient et retournaient chez eux corrigés. Les hommes venaient déposer entre ses mains les dés, les cartes et autres instruments de jeux défendus ; les femmes lui apportaient leurs parures, leurs cheveux, leurs fards et tous ces objets de vanité qui pervertissent l'âme en embellissant le corps.

A cette époque, l'Italie était mise à feu et à sang par la guerre des Guelfes et des Gibelins ; le Saint parvint, à force d'exhortations, à adoucir les esprits et à désarmer des adversaires jusque-là irréconciliables. Au reste, la punition ne tardait point lorsqu'on méprisait ses conseils. On assure qu'ayant prêché quatre discours sur la nécessité de la réconciliation générale, il s'écria à la fin du dernier : « Que tous ceux qui ont des sentiments de paix viennent se ranger à ma droite. »

Un jeune gentilhomme resta seul à sa gauche et murmura. Le prédicateur le reprit sévèrement et lui prédit une fin misérable ; ce qui se vérifia peu de temps après. Si l'on ajoute au don de l'éloquence celui des miracles, on comprendra quelle influence les paroles de Bernardin devaient avoir sur les peuples qu'il évangélisait. Une petite fille, étant venue au monde avec deux ulcères terribles, dont un sur la poitrine, par où sortait le souffle de ses poumons; fut guérie par une bénédiction qu'il lui donna. Un jour, un pauvre lépreux lui demanda l'aumône. Comme il ne portait jamais d'argent, il lui donna ses souliers. A peine le malheureux les eut-il chaussés qu'il se sentit soulagé : il vit dis- paraître peu après toute trace de sa terrible maladie. Se rendant à Mantoue, Bernardin arriva sur les bords d'une rivière que la profondeur de l'eau ne lui permettait pas de traverser à gué. Un batelier se trouvait là : il lui demanda de vouloir bien le conduire à l'autre bord, mais celui-ci refusa, voyant qu'il n'aurait pas de rémunération. Confiant dans le ciel pour lequel il allait travailler, le serviteur de Dieu étendit alors son manteau sur les eaux et, sur ce frêle esquif, traversa la rivière à pied sec.

Ces prodiges arrivaient parfois au milieu de ses sermons et en augmentaient l'effet. C'est ainsi que, faisant l'éloge de la Sainte Vierge, il lui appliqua ces paroles de l'Apocalypse : « Un grand signe est apparu au ciel. » Au même instant, une étoile d'une admirable clarté, apparut au-dessus de sa tête, aux yeux de l'auditoire ébloui. Une autre fois, prêchant devant des Grecs qui ne savaient pas l'italien, il se fit comprendre d'eux comme s'il avait parlé leur langue maternelle.

Bernardin, apôtre inspiré et thaumaturge, possédait, à un degré éminent une qualité sans laquelle les prédicateurs ne sauraient conquérir les âmes. A l'exemple de Jésus-Christ, il pratiquait lui-même tout ce qu'il enseignait aux autres. Au milieu de ses travaux évangéliques si nombreux et si absorbants, il n'omettait aucun des exercices de la règle franciscaine. Toutes les nuits, il se levait pour assister à l'office, et le matin, après avoir dit sa messe, il consacrait une heure entière à l'oraison.

Son humilité était si grande qu'il ne marchait que la tête baissée ; il n'entreprenait jamais rien sans demander conseil à ceux qui l'entouraient.

Il eut souvent des combats à soutenir pour la chasteté ; mais il en sortit toujours victorieux. Un jour, tandis qu'il faisait la quête, une dame le pria d'entrer chez elle pour lui donner , son aumône. Lorsqu'il fut entré, elle lui découvrit effrontément la passion qu'elle avait depuis longtemps pour lui et lui déclara que, s'il n'y consentait, elle allait appeler au secours comme s'il lui faisait violence, et le couvrir ainsi de honte. Un événement si imprévu embarrassa d'abord Bernardin ; mais, ayant invoqué la Sainte Vierge, il reçut subitement l'esprit de conseil, et, non seulement, il se tira avec une prudence admirable de ce danger, mais il excita un vif repentir dans le cœur de cette femme qui, depuis, resta fidèle à son mari. Là ne se bornent pas ses épreuves. La première fois qu'il prêcha à Milan, le duc Philippe-Marie Visconti se laissa prévenir contre lui à l'occasion de certaines paroles qu'il avait prononcées dans ses sermons. Il lui ordonna même, sous peine de mort, de changer de langage. Bernardin déclara généreusement que ce serait pour lui un grand bonheur que de mourir pour la vérité. Le duc voulut alors le corrompre pour le décrier ensuite et montrer au peuple que ce prédicateur, si désintéressé en apparence, n'était pas insensible à l'appât des richesses.

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Il lui envoya donc une bourse de cinq cents ducats, le priant d'en disposer pour ses propres

besoins.- Dites à votre seigneur et maître, répondit Bernardin à l'officier chargé de lui remettre ce

présent, que saint François a pourvu à tous les besoins de ses enfants, et ne leur a laissé d'autre solli-citude que celle de servir Dieu et d'être utiles au prochain.

Touché de cette remontrance, le duc fit reporter les ducats au Saint, en le priant de les accepter pour les pauvres.

- Si cela est, dit le Saint au messager, suivez-moi jusqu'aux prisons. Et là, en sa présence, il délivra un grand nombre de prisonniers qui y étaient détenus pour dettes.

Une conduite aussi généreuse acheva de désabuser le duc de Milan ; il conçut pour Bernardin une vénération profonde dont il ne se départit jamais.

Le saint nom de Jésus,

C'est à Bernardin de Sienne que remonte la dévotion au saint nom de Jésus. I1 ne pouvait prononcer ce nom sacré sans éprouver des transports extraordinaires. Souvent, à la fin de ses sermons, il montrait au peuple un tableau sur lequel le monogramme du Christ ; J. H. S. était inscrit en lettres d'or environnées de rayons. II invitait alors ses auditeurs à se mettre à genoux et à s'unir à lui pour adorer le Rédempteur des hommes.

Cette dévotion, taxée tout d'abord de nouveauté, lui attira beaucoup de désagréments. Certains termes qu'il avait coutume d'employer furent interprétés d'une façon maligne. Averti par des per- sonnes envieuses, le Pape Martin V envoya chercher Bernardin et le condamna à garder le silence pour toujours. L'humble religieux se soumit sans chercher à se justifier. Mais le Pape ne tarda pas à découvrir la calomnie. Après avoir mûrement examiné la conduite et la doctrine du serviteur de Dieu, il reconnut son innocence, le combla d'éloges et lui permit de prêcher partout où il lui plairait. Il le pressa même d'accepter l'évêché de Sienne en 1427. Mais le serviteur de Dieu trouva moyen d'éluder cette proposition.

Eugène IV, successeur de Martin V, lui offrit sans plus de succès les évêchés de Ferrare et d'Urbin. Le Saint voulait mourir dans la robe du religieux, chère à son humilité, et dans les fonctions de l'apostolat, auxquelles il avait consacré sa vie.

Non content d'être utile aux séculiers, Bernardin de Sienne travailla aussi à la perfection de ses frères. Elu vicaire général de son Ordre, il rétablit l'étroite observance dans plusieurs couvents, et il en fit bâtir un grand nombre de nouveaux, à la plupart desquels il donna le nom de Sainte-Marie de Jésus, alliant ainsi les deux dévotions si chères à son cœur. Quand il prit l'habit, il n'y avait pas plus de vingt monastères de l'étroite observance dans toute l'Italie, et environ deux cents religieux. Lorsqu'il mourut, il y avait plus de trois cents couvents et près de cinq mille religieux.

Trois ans après son élection, il partagea, avec saint Jean de Capistran, son disciple, cette charge devenue trop lourde pour ses épaules affaiblies par toute sorte de travaux. Puis, ses infirmités augmentant, il dut s'en démettre tout à fait. II n'en recommença pas moins ses courses apostoliques. Une terrible sédition ayant éclaté à Massa Carrara, lieu de sa naissance, il rétablit tout dans l'ordre par un discours fort pathétique sur la charité chrétienne.

Ce fut son dernier bienfait. Attaqué par une fièvre maligne, il fut averti par saint Pierre Célestin, qui lui apparut près de la ville d'Aquila, que sa fin était proche. Une fois muni des sacrements, il pria ses frères de l'étendre sur le sol nu de sa cellule, afin qu'il lui fit donné de rendre le dernier soupir de la même manière que son Père saint François.

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C'est ainsi qu'il rendit son âme à Dieu, à Aquila, le 20 mai 1444, la veille de l'Ascension, à l'heure des Vêpres, tandis que l'on chantait au chœur cette antienne : « Mon Père, j'ai fait connaître votre nom aux hommes que vous m'avez donnés ; maintenant, je prie pour eux et non pour le monde, parce que je à viens vous. » Il était âgé de 64 ans.

Culte.

Dès la mort connue, tout le peuple entoura le corps de Bernardin d'une grande vénération, qui s'accrut par le fait des nombreux miracles qui ne cessaient de s'opérer par son intercession. Sur les instances de la république, de Sienne et du roi de Naples, le Pape Eugène IV fit commencer le procès de canonisation qui reçut son couronnement le 24 mai 1450, jour où Nicolas V proclama saint, l'apôtre de l'Italie Bernardin de Sienne. Alexandre VII, le 15 septembre 1657, étendit à l'Eglise universelle sa fête sous le rite semi-double.

A.G.

Sources consultées. – Paul Thureau-Dangin, Saint Bernardin (Paris, 1926). – R.P. Léon, O.F.M., L'auréole séraphique (Paris), - Acta sanctorum. - (V.S.B.P., n° 67.)

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BIENHEUREUX BERNARD DE MORLAASDominicain et ses deux disciples du couvent de Santarem

(XIIIe siècle)

Fête le 21 mai.

Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu », a déclaré Notre-Seigneur. Cette promesse ou mieux cette affirmation se trouve vérifiée dans le récit qui nous a été laissé de la courte carrière du « bienheureux » Bernard, et de la carrière plus courte encore des deux moinillons, des « fradinhos » , ainsi qu'on dit en Portugal, du couvent de Santarem. Récit charmant, si charmant qu'on dirait une pieuse légende, accepté néanmoins des hagiographes lusitaniens et de ceux de l'Ordre des Frères Prêcheurs. Le grand recueil documentaire que sont les Acta Sanctorum a ménagé une place au Fr. Bernard et à ses deux compagnons, discutant tel point de détail concernant « le miracle de Santarem » ou les manifestations du culte rendu aux trois personnages. Nous suivrons le récit traditionnel auquel nous ajoutons quelques renseignements complémentaires.

La vocation du bienheureux Bernard de Morlaàs.

Santarem, l'antique Scalabis ou Praesidium Julium, est une ville du Portugal située le long du Tage, à 85 kilomètres de l'embouchure de ce fleuve dans l'océan ; elle doit son nom à la vierge du VIIe siècle sainte Irène, qui, déjà vouée à Dieu, fut mise à mort sur l'ordre d'un gentilhomme qu'elle refusait d'épouser.

Au XIIIe siècle, il y avait à peine cent ans que Santarem était arrachée à la domination des Maures et reprenait en même temps son nom chrétien (1184). La foi et la piété chrétiennes brillaient dans tout leur éclat. Les églises et les monastères s'y épanouissaient en grand nombre. L'Ordre des Frères Prêcheurs y avait son couvent, naguère fondé par le bienheureux Suero Gomez, l'un des premiers qui reçurent l'habit de l'Ordre à Prouille, des mains de saint Dominique.

Le bienheureux Gilles de Santarem († 1275), supérieur de la Province dominicaine d'Espagne, était en grand renom de sainteté ; sa vie, d'ailleurs, après une conversion frappante, apparaît toute sillonnée de lumières surnaturelles, de prophéties, d'extases et de conversions. Un jour, entre les années 1230 et 1240, il revint parmi les Frères, après une longue absence, accompagné d'un postulant figé tout au plus de seize ans. Il l'avait rencontré en France, tandis qu'il se rendait à Paris pour assister au Chapitre général, Le jeune homme s'appelait Bernard et était originaire de Morlaàs, ville du Béarn située à environ trois lieues de Pau. Morlaàs, qui n'est plus aujourd'hui qu'un petit chef-lieu de canton, était alors la capitale de la vicomté de Béarn ; elle possédait un hôtel des monnaies où se frappaient les « livres morlanes » et les « sous morlaàs », qui avaient cours dans toute la Gascogne.

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Avant de dépendre, comme aujourd'hui, du diocèse de Bayonne, Morlaàs a appartenu au diocèse de Lescar ; on y comptait deux paroisses, un couvent de Cordeliers, un couvent de Dominicains encore existant à veille de la Révolution, et enfin un prieuré dont le titulaire, prêtre séculier, était nommé par l'abbaye de Cluny.

Bernard appartenait à une noble famille. Malgré son jeune âge et le désir qu'il avait toujours eu de se donner tout à Dieu, ses parents l'avaient fiancé à une personne de sa condition. Mais lui, soucieux avant tout de sauver sa vocation religieuse, en était à se demander comment il se dégagerait des entraves qui le retenaient dans le monde, quand il fit la connaissance du P. Gilles de Santarem.

« Je lui ai offert un asile dans notre Province d'Espagne, raconta aux Frères le bienheureux Gilles, et il m'a suivi avec empressement. Aucun couvent de France ne l'aurait reçu, et d'ailleurs sa très puissante famille aurait bien su l'y trouver et l'en arracher. Au couvent de Saragosse, je l'ai revêtu de l'habit religieux. Mais les Pyrénées n'étaient pas encore une barrière assez large ni assez haute pour le séparer de sa terrestre patrie ; afin d'éviter l'occasion même de recevoir des nouvelles du Béarn et de couper court à toute envie d'y revenir, il m'a demandé de l'emmener au fond de la péninsule. »

L'excellent novice profita si bien des leçons et des exemples de son maître et de ses nouveaux frères qu'il parvint en peu de temps à un haut degré de perfection. Après sa profession, il fit ses études théologiques, et lorsqu'il eut l'âge requis par les saints Canons, il fut élevé au sacerdoce. Le bienheureux Gilles l'affectionnait beaucoup et il l'associait à ses travaux apostoliques. Après la mort du maître, le disciple resta à Santarem, où sa piété et son dévouement lui firent confier les fonctions de sacristain.

Les deux petits clercs.

Au pied d'une des collines sur lesquelles s'étage Santarem, le long du fleuve, repose le petit village d'Alfange. On y voyait au XIIIe siècle un somptueux palais où étaient logés, aux frais du roi de Portugal, les chevaliers d'un Ordre militaire laïque qui avait aidé à reconquérir la ville sur les Sarrasins. Il s'agit de l'Ordre de l'Aile de Saint-Michel, fondé par Alphonse 1er (Henriquez), après la victoire miraculeuse de 1167 ou 1171 et où l'intervention du grand archange se manifesta par l'apparition, dans le ciel, d'une aile unique d'où sortait une main indiquant les points où la petite armée des chrétiens devait porter ses efforts. Le roi avait tenu à honorer et à récompenser de la sorte ses vétérans.

Parmi ces chevaliers, il s'en trouvait un, à qui la Providence avait donné pour enfants deux blonds chérubins, anges d'innocence, si pieux et si simples que le père résolut de les consacrer dès leur enfance au Seigneur et d'en faire des moinillons. Dans ce dessein, il les amena au P. Bernard de Morlaàs : les deux enfants reçurent bientôt l'habit religieux et même la rasure monastique.

Il fut convenu que ces deux jeunes oblats coucheraient désormais à la maison paternelle et qu'à la pointe du jour ils monteraient au couvent de Santarem pour y servir les messes, suivre pendant le reste de la journée les leçons du Père sacristain et travailler sous sa conduite. Afin de ne pas être à charge aux serviteurs de Dieu, dont le régime d'ailleurs était un peu trop austère pour eux, les deux enfants devaient apporter chaque matin les provisions du jour. Le P. Bernard n'eut qu'à se louer de la docilité et du zèle de ses petits élèves.

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Un déjeuner miraculeux.

Parmi les exercices de piété que leur suggéra ce fils aimant de saint Dominique, celui du Rosaire avait la première place. Souvent, devant une image de Marie tenant en ses bras un bel Enfant Jésus de grandeur naturelle, ils égrenaient ensemble les saintes dizaines. Cette dévotion allait au cœur des disciples. D'eux-mêmes, ils prirent l'habitude de venir chaque jour et plusieurs fois à cette chapelle, heureux de contempler et de prier à loisir la Mère et le Fils. Un matin, avec une familiarité tout enfantine, ils venaient de s'asseoir au pied de la « Dame de pierre », et étalant leurs provisions, ils s'apprêtaient, sans timidité aucune, à déjeuner, quand l'un d'eux, tournant les regards vers l'Enfant Jésus aux bras de la Madone : «  0 bel Enfant, lui dit-il, s'il vous plaît de venir manger avec nous, descendez. »

Au dire du pieux hagiographe, le divin Enfant ne se fit pas prier ; il s'arracha aussitôt au sein maternel et vint prendre place entre ceux qui venaient de l'inviter de si bon cœur. Ceux-ci, dans la simplicité de leur cœur, ne parurent pas s'en étonner outre mesure ; ils partagèrent avec Jésus leur frugal repas, puis l'Enfant-Dieu, les remerciant d'un sourire, remonta sur l'autel et regagna les bras de Marie. Le lendemain et les jours suivants, les deux servants de messe revinrent et renouvelèrent l'invitation, et chaque fois l'Hôte divin daigna y répondre. Bientôt même, tout appel devint superflu ; à peine les enfants entraient-ils dans la chapelle et ouvraient-ils le panier aux provisions que Jésus était déjà au milieu d'eux. Il leur devint si familier que non seulement il mangeait, mais il conversait innocemment avec eux, dénouant les petites difficultés qui se présentaient dans leurs études.

Examen du prodige.

Les parents des deux commensaux de Jésus furent les premiers au courant du prodige. D'abord, ils refusèrent d'y croire. Une aïeule sévère alla jusqu'à les accuser de mensonge et de gourmandise :

« Ne serait-ce pas, disait-elle, une ruse adroite pour obtenir un supplément de provisions ? » Rien ne fut ajouté au maigre menu de chaque jour : les enfants n'en continuèrent pas moins d'inviter leur aimable compagnon et de lui faire les honneurs du modeste festin.

Une seule chose surprenait ces innocents : c'était que l'Enfant Jésus, qui pourtant n'avait pas l'air si pauvre, n'apportait jamais son écot. « N'y a-t-il pas beaucoup de bonnes choses au Paradis ? » se disaient-ils.

La surprise chez eux allait dégénérer en murmure : ils résolurent de confier au bon P. Bernard le sujet de leur secrète angoisse. Le serviteur de Dieu, ému des révélations si étranges qui lui furent faites, se contint et garda plusieurs jours le silence. Puis il interrogea discrètement ses disciples, tantôt ensemble, tantôt séparément. Leurs récits concordaient d'une manière parfaite : il les savait, d'autre part, incapables de mensonge. Touché d'un si grand prodige, il priait Dieu de l'éclairer et de lui faire connaître ses desseins sur ces enfants privilégiés.

Voici le plan que lui suggéra la Providence.

La céleste invitation.

Un jour, le P. Bernard demanda. à ses disciples : « Eh bien ! l'Enfant de la chapelle du Rosaire descend-il toujours des bras de Marie et vient-il partager votre repas ? - Oui, mon Père. - Continue-t-il à ne porter aucune provision ? - Oui, mon Père. - Cela vous fait il toujours de la peine ?. - Oui, mon Père. - Ne seriez-vous pas bien aises qu'il vous invitât, lui aussi, au moins une fois dans la

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maison de son Père ? - Oh ! nous le voudrions bien, mais il ne nous en a jamais parlé.

- I1 faut que vous lui en parliez les premiers, mes enfants. S'il acquiesce à votre demande, vous n'aurez rien perdu, car vous recevrez dans une seule de ses invitations mille fois plus que vous ne lui avez donné. »

Et, poursuivant son discours, il leur fit entrevoir symboliquement le palais du Père céleste avec ses magnificences et ses délices.

Le bon religieux conclut : « La première fois que l'Enfant de la chapelle reviendra pour manger avec vous, ne manquez pas de le prier de vous inviter à son tour. - Ah ! mon Père, nous ne man-querons pas de lui en faire la demande ; il nous tarde que le jour arrive. - Mais écoutez-moi, dit encore le P. Bernard, dites à l'Enfant que je veux être invité comme vous. Je ne vous permettrai pas d'aller seuls à cette fête. Ou je vous accompagnerai, ou vous refuserez de vous y rendre, car je désire beaucoup, moi aussi, avoir part à ce festin. »

La dinette avec l'Enfant Jésus.

Résolus de se conformer à ses instructions, les enfants attendirent impatiemment le retour du céleste convive. Il descendit le lundi des Rogations. Le déjeuner achevé, avant que l'enfant divin ne remit le pied sur le socle de pierre pour remonter aux bras de la Madone, les deux petits lui exprimèrent, timides, leur désir.

« Ne nous inviterez-vous pas à votre tour ? » lui dirent-ils.Jésus fit un signe d'adhésion.« Et notre maître voudrait être aussi de la fête. »

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Jésus leur dit :« Dans trois jours, c'est l'Ascension. Il y aura grande joie dans la maison de mon Père. Dites au

P. Bernard que je l'invite avec vous à ma table avec les anges et les saints. »Tout joyeux, les deux petits clercs coururent porter à leur maître cette bonne nouvelle. Ils en

informèrent leurs parents. De son côté, le P. Bernard découvrit tout le mystère au directeur de sa con-science, et plein de foi dans la promesse de l'Enfant-Dieu, il se prépara à répondre à ses douces invites, Durant trois jours, maître et disciples demeurèrent en prière, souvent agenouillés au pied de l'autel du Rosaire, Le Père expliquait aux enfants le sens de l'invitation de Jésus, et ceux-ci, embrasés d'amour, n'avaient plus d'autre désir que de quitter cette vallée de larmes et d'entrer sans retard dans la vraie patrie.

Enfin, voici venu le matin de l'Ascension. Toutes les messes étant célébrées à la chapelle du couvent, tandis que les Frères se rendent au réfectoire, le P. Bernard s'avance vers l'autel du Rosaire, accompagné de ses deux acolytes, et il commence le Saint Sacrifice. Quelle ne fut pas la ferveur de cette dernière messe ! Avec quelle dévotion les deux disciples y reçurent pour la première fois le Pain eucharistique !

L action de grâces s'achève, Tous trois, agenouillés sur le marchepied de l'autel, attendent avec confiance le moment du départ pour la demeure céleste.

Et quand, après le repas, la communauté arriva pour réciter à l'église les prières d'actions de grâces, on trouva le prêtre encore revêtu de ses ornements sacrés et ses deux servants, tous les trois immobiles, les mains levées vers le ciel, les yeux fixés sur l'Enfant Jésus ; l'on s'approcha d'eux et

– ô mort précieuse et mille fois digne d'envie ! – l'on constata qu'ils avaient échangé la vie ter-restre pour le bonheur de l'éternité. .

Il est à croire, observent à ce propos les rédacteurs des Acta Sanctorum, que Bernard, avant de monter à l'autel, fit une dernière confession et exposa à son confesseur ce qu'il avait appris des enfants et ce qu'il espérait, ou bien que les deux petits clercs rapportèrent à leurs parents ce qui se passait avec autant de simplicité qu'ils l'avaient fait vis-à-vis de leur maître.

Culte des trois Bienheureux.

Les corps des trois Bienheureux furent inhumés dans un même tombeau. Quelque temps après ils furent levés de terre et placés dans la chapelle dite des Rois, où un tableau redisait aux générations l'histoire du déjeuner miraculeux.

Trois cents ans plus tard, en 1577, eut lieu une translation solennelle de leurs reliques.En effet, la nécessité s'étant fait sentir de percer une ouverture pour placer une porte, le 14

janvier, on retrouva les reliques enveloppées dans un linceul qui était resté d'une blancheur parfaite ; en même temps, une odeur délicieuse se répandait dans la chapelle.

A cette occasion, une minutieuse enquête juridique concernant les trois serviteurs de Dieu fut faite pour relever tous les détails de la mort et en constater le caractère miraculeux.

Le contact des ossements sacrés guérit soudain un religieux du couvent atteint depuis trois mois d'un mal incurable. D'autres personnes reçurent des faveurs semblables. Dès ce moment, les saintes reliques furent entourées d'honneurs et l'archevêque de Lisbonne lui-même, Georges de Almeida, dédia un autel aux trois Bienheureux dont les restes furent enfermés en trois bustes de bois à leur effigie. Des pèlerinages venaient prier, surtout au temps de Pâques. Une reine du Portugal, après beaucoup d'instances, obtint le chef du bienheureux Bernard et le plaça respectueusement parmi les autres reliques de la chapelle du château royal de Villaviciosa.

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Santarem et Morlaàs honorèrent désormais d'un culte ininterrompu Bernard et ses deux disciples. Le petit Jésus miraculeux qui avait mangé avec les enfants ne fut pas oublié : son image fut conservée dans un riche tabernacle d'où on ne la sortait que le jour de l'Ascension, pour l'offrir à la vénération des fidèles. A Santarem, à Morlaâs et à Lisbonne s'établirent des confréries de l'Enfant-Jésus.

Au début, du XIXe siècle, des jours mauvais s'ouvrirent pour le Portugal. L'armée française s’emparait en 1809 de Santarem et y exerçait d'affreux ravages. L'image miraculeuse et les trois bustes renfermant les reliques des Bienheureux furent alors livrés aux flammes. Même le chef du bienheureux Bernard gardé à Villaviciosa fut profané et jeté au feu.

La dévotion des fidèles s'accrut en proportion de ces indignes sacrilèges ; en Portugal et même en France, au pays natal de Bernard, les trois Bienheureux eurent leurs autels et leurs dévots serviteurs.

C'est ainsi qu'en l'église Sainte-Foy de Morlaàs, chef-d'oeuvre de l'architecture romane la chapelle absidiale de gauche est depuis 1877 dédiée au bienheureux Bernard. Grâce aux libéralités d'un prêtre du diocèse de Carcassonne et de son frère, quatre bas-reliefs sur bois, argentés et dorés, représentent des scènes de l'histoire qu'on vient de lire. L'autel est surmonté d'une statue de l'Enfant Jésus qui est portée en procession dans la ville, le jour de l'Ascension, par quatre jeunes garçons, frères lointains des deux petits clercs de Santarem. lci et là, de ravissants tableaux rappellent le déjeuner miraculeux : ils redisent éloquemment aux croyants les prédilections qu'eut toujours l'Enfant de Nazareth pour les âmes simples, droites et pures. Au musée de Morlaàs se trouve une statuette en bois représentant un prêtre en chasuble portant la main droite à son front visiblement pour faire le signe de la croix ; on peut se demander si cette œuvre n'a pas quelque rapport avec le « Miracle de Santarem ? et si le prêtre représenté n'est pas le bienheureux Bernard achevant de célébrer pour la dernière fois.

Un poète français du XIXe siècle qui eut de la vogue dans les milieux catholiques, le P.Victor Delaporte, a contribué à faire connaître l'histoire du Fr. Bernard et de ses deux enfants de chœur par des strophes gracieuses qui figurent dans ses Récits et légendes.

Chose curieuse, la tradition de Santarem a émigré à Majorque et le miracle est dit s'être produit dans cette île des Baléares, les deux enfants cédant ici la place à un novice, mais ce n'est que la déformation de traditions orales.

La cause du « bienheureux » Bernard et de ses deux disciples a été présentée en juillet 1894 à la sanction de l'Eglise. Les Dominicains de la Province de Toulouse, dans le territoire de laquelle se trouve Morlaàs, plusieurs évêques, dont celui de Bayonne, et le patriarche de Lisbonne ont eu la pieuse pensée de demander au Pontife romain la confirmation du culte immémorial rendu à ces trois Bienheureux.

André Pradel, O.P.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. II de mai (Paris et Rome, 1866). – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, t. V (Paris). – André Pradel, O.P., Le bienheureux Bernard de Morlas et ses deux disciples, dans le Monde diplomatique (Paris, 1898). – Charles Carré, Notre église : Sainte-Foy de Morlaàs (Paris, 1923). – V. Raymond, O.P., Trois lis eucharistiques (Avignon, 1924). – (V.S.B.P., n° 1346).

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PAROLES DES SAINTS

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L'inattention dans la prière.

Plusieurs entrent dans l'église, récitent un nombre infini de versets, puis ils sortent sans savoir ce qu'ils ont dit ; les lèvres se sont remuées et le cœur n'avait pas l'intelligence de ces pratiques. Comment, vous n'entendez pas votre prière, et vous voulez que Dieu l'entende ? - Mais direz-vous, j'ai fléchi le genou. - Oui, mais votre âme se promenait hors du temple, le corps seul était présent, et l'esprit était absorbé par les préoccupations et les affaires.

Saint Jean Chrysostome.

La charité.

L'amour de Dieu engendre l'amour du prochain, et l'amour du prochain échauffe l'amour de Dieu. Plus il s'abaisse par l'humilité vers le prochain, plus il s'élève vers Dieu par la force de son zèle.

Saint Laurent Giustiniani.(De l'arbre de vie, C. XIV.)

Il faut renoncer à sa volonté.

Il n'y a rien de si aisé que de dire en gros : « II faut renoncer à nous-mêmes et quitter notre propre volonté » ; mais d'en venir à la pratique, c'est là que gît la difficulté.

C'est pourquoi il faut faire des considérations, et sur sa condition, et sur les choses qui en dépendent en détail, puis en particulier renoncer tantôt à une de nos volontés propres, tantôt à une autre, jusqu'à ce que nous en soyons entièrement dépouillés.

Saint François de Sales.

(VIIIe Entretien.)

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SAINTE RITE DE CASCIAVeuve, religieuse Augustine (1381-1457).

Fête le 22 mai.

Ce n'est pas sans motif que sainte Rite est appelée la « patronne des causes désespérées ». Depuis sa naissance miraculeuse, qui défiait toutes les prévisions humaines, jusqu'à sa sainte mort, sa vie ne cessa d'être marquée par les plus extraordinaires interventions de la Providence. Elle-même, du haut du ciel, s'est montrée particulièrement secourable à ceux qui l'invoquaient dans les situations les plus inextricables.

Un premier miracle ; la naissance de Rite.

Le village de Roccaporena dépend de la commune de Cascia, dans l'Ombrie, la poétique patrie de saint François d'Assise et de sainte Claire ; il appartient au diocèse actuel de Norcia, incorporé jusqu'en 1821 à celui de Spolète. Là vivaient, vers le milieu du XIVe siècle, deux époux chrétiens servant Dieu dans la simplicité de leur cœur. Ce qui les faisait surtout aimer de leurs concitoyens, c'était le zèle qu'ils mettaient à maintenir la concorde autour d'eux. Ils déployaient en cette bonne œuvre une telle ardeur et un tel désintéressement qu'on les avait surnommés « les pacificateurs du Christ ».

Cependant, Dieu avait éprouvé ces fidèles serviteurs ; il ne leur avait point accordé le bonheur d'engendrer et d'élever des enfants pour le Christ. Les années s'étaient succédé, l'épouse avait vu ses cheveux blanchir ; Dieu voulait la rendre digne, par une longue tristesse patiemment supportée, de recevoir un don précieux. Quand il jugea le moment favorable, il lui accorda une enfant qui devait être une fleur de sainteté. C'était vers l'an 1381.

Etonnée de cette faveur singulière, la future mère alla aussitôt épancher toute sa reconnaissance aux pieds de Notre-Seigneur. Un ange lui apparut et lui prédit que son enfant serait un jour illustre dans l'Eglise. Il demanda aussi qu'elle fût appelée Marguerite. Le nom de Rite, sous lequel, d'ailleurs, elle figure au Martyrologe romain, n'est que la forme populaire du nom imposé par l'ange.

Son enfance fut marquée par un nouveau prodige : pendant qu'elle était encore au berceau on vit de blanches abeilles se reposer sur sa poitrine.

Un mariage plein d'épreuves et tragiquement brisé.

L'enfant se sentait attirée d'une manière particulière à vouer son âme et son corps au Seigneur en lui consacrant sa virginité. Mais Dieu préféra la faire passer par le creuset d'un dur mariage, pour la purifier au milieu des épreuves et opérer par son intermédiaire le salut de plusieurs âmes.

Les parents de Rite, sentant leur fin approcher et craignant de laisser leur chère enfant exposée seule à tous les dangers d'un monde corrompu, résolurent de l'engager dans les liens d'un mariage honnête.

Dieu permit que leur choix tombât sur un jeune homme issu d'une famille noble et distinguée, mais d'une humeur brutale. Rite supporta si patiemment toutes les rudesses de son mari que, pendant les dix-huit années qu'elle vécut avec lui, jamais elle ne lui donna l'occasion de se plaindre.

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Mais la conquête de cette âme chérie lui coûta bien des peines et des labeurs.

Pour arriver à adoucir ce cœur de pierre, elle offrit souvent à Dieu larmes et prières, y joignant de nombreuses pénitences.

Tous ces moyens surnaturels influèrent sur le mari de Rite et le convertirent. Cependant, ses habitudes violentes lui avaient suscité parmi ses concitoyens de nombreux ennemis. Sa conversion ne put faire changer leurs sentiments à son égard ; ils lui tendirent une embuscade où le malheureux succomba. La pieuse veuve, frappée dans son affection la plus chère, sut accepter fortement la volonté de Dieu ; elle pleura amèrement son mari, mais eut le courage de pardonner généreusement aux assassins. Elle s'efforça aussi d'inspirer ses deux fils adolescents, son unique consolation, l'oubli du meurtre qui leur avait enlevé leur père. Mais ses efforts furent vains ; son amour maternel tremblait en sentant augmenter chaque jour dans le cœur de ces enfants le désir de la vengeance.

Quand elle s'aperçut que le mal devenait toujours plus menaçant, elle arma son âme de cette force surnaturelle que donne aux Saints le véritable amour de leurs proches : elle se jeta à genoux, suppliant le Seigneur d'enlever ses enfants à la vie avant qu'ils eussent eu le temps de souiller leur âme par le meurtre des assassins de leur père. Sa prière fut exaucée, et ce double deuil vint s'ajouter à celui qui l'avait frappée peu auparavant.

Sainte Rite entre miraculeusement au couvent.

Rite, depuis longtemps déjà morte au monde, s'adressa aussitôt aux religieuses Augustines de Cascia, leur demandant à être admise dans le monastère. Mais cette grâce lui fut refusée, parce qu'on n'y recevait que des vierges. Rentrée dans sa maison, elle pleura et pria avec plus de ferveur que jamais, et ses larmes touchèrent le cœur de Dieu, qui lui envoya le secours de trois Saints envers qui elle avait une dévotion particulière ; saint Jean-Baptiste, saint Augustin, patron des moniales de Cascia, et saint Nicolas de Tolentino, religieux du même Ordre. Tout à coup, elle entendit heurter à sa porte, et une voix, en laquelle une intuition surnaturelle lui fit reconnaître celle du saint Précurseur, l'appela par son nom : « Rite ! Rite ! »

Elle comprit aussitôt que sa prière avait été entendue, et sans tarder, se leva, ouvrit la porte, reconnut ses chers protecteurs qui tous trois semblaient attendre, et elle se disposa à les suivre.

Les Saints la saluèrent comme l'épouse du Christ, puis la conduisirent par des chemins inconnus jusqu'à la porte du monastère où on n'avait pas voulu la recevoir. Ils l'y firent entrer, malgré la présence des verrous et des barres de fer, après quoi ils disparurent.

Bientôt après, les religieuses sortirent de Matines. Pour retourner à leurs cellules elles devaient passer par l'endroit où l'humble veuve était restée muette d'admiration devant cette suite de prodiges.

Les premières qui arrivèrent vers elle, et qui étaient les plus jeunes de la communauté, entrevoyant, à la lumière blafarde d’une lampe, une forme humaine dont on ne distinguait que la moitié du visage, furent saisies de frayeur. Elles s'arrêtèrent tout court, et déjà leurs genoux commençaient à trembler, leur visage à pâlir en présence de ce qu'elles croyaient un fantôme ; par bonheur les autres religieuses, arrivant successivement, formèrent un groupe plus capable de résister à la crainte. D'ailleurs, Rite elle-même était si étonnée de tout ce qui s'était passé, qu'elle avait perdu l'usage de la parole et ne savait en quels termes les rassurer.

Peu à peu cependant elle se remit de sa frayeur et expliqua par quel miracle elle se trouvait dans le cloître. La prieure était si ravie qu'elle ne songea plus à invoquer les défenses des Constitutions, et la joie de toutes les religieuses fut d'autant plus vive que l'effroi avait été plus grand. A la fin, la communauté s'assembla en Chapitre, et décida sur-le-champ que la sainte veuve serait reçue nonobstant sa qualité : « I1 est bien juste, disaient-elles, que nous obéissions à la volonté de Dieu si clairement manifestée, et que nos Constitutions cèdent en un cas où les portes de notre couvent n'ont pu faire de résistance. »

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A peine admise, la novice se mit au travail pour acquérir la perfection qu'elle était venue chercher ; son corps était réduit en servitude par de fréquentes flagellations, par le port continuel d'un cilice et la présence d'épines cousues en sa robe et qui la torturaient à chaque mouvement. Elle jeûnait tous les jours au pain et à l'eau, et passait là plus grande partie de la nuit dans la veille et la prière. Elle avait coutume de consacrer à la méditation de la Passion du Sauveur le temps qui s'écoulait, depuis minuit jusqu'au lever du soleil ; les douleurs du divin Maître l'affectaient tellement que plusieurs fois ses compagnes la trouvèrent sans connaissance.

Sainte Rite reçoit au front une plaie miraculeuse.

Un jour, après avoir entendu un sermon d'un célèbre Franciscain, saint Jacques de la Marche, elle se mit en prière avec une ferveur extraordinaire et demanda à Notre-Seigneur de la faire participer aux tourments qu'il endura pour nous sauver. Pendant qu'elle savourait dans ce colloque sacré tout ce qu'il est possible à l'âme humaine de supporter en fait de douceurs célestes, elle se sentit tout à coup presser la tête d'une guirlande d'épines très piquante. Elle vit ensuite jaillir du Crucifix devant lequel elle était à genoux un rayon de lumière qui lui marqua de sa pointe le milieu du front. Immédiatement après, comme si ce rayon n'avait fait qu'indiquer un point de mire, une épine se détacha de la couronne du Crucifix et s'élança à l'endroit du front marqué par le rayon ; elle y fit une plaie que Rite porta tour le leste de sa vie, et qui se voit encore maintenant sur sa tête, restée intacte comme le reste du corps.

Cette blessure très profonde et très douloureuse soumit à une rude épreuve l'humilité de la patiente, car il s'en exhalait une odeur fétide, rebutante, et on en voyait constamment sortir des vers, que Rite, dans sa simplicité, appelait ordinairement « ses petits anges ».

Il lui fallut dès lors renoncer complètement à la vie commune, par crainte d'incommoder ses Sœurs. Cette circonstance lui permit de s'adonner encore davantage à la prière et à la pénitence.

Dieu fait un double miracle pour lui permettre d'aller à Rome.

En ce temps, Nicolas V siégeait sur le trône pontifical. L'Eglise Romaine sortie triomphante du grand schisme d'Occident, se demandait si des maux nouveaux et plus graves encore n'allaient pas fondre sur elle. Jamais la menace des Turcs n'avait été plus redoutable. Un grand Jubilé publié en 1450 fut la première arme opposée à l'Islam. Des chrétiens de tous les pays du monde accoururent à Rome afin de gagner cette indulgence extraordinaire. La prieure des Augustines de Cascia résolut de ne point perdre une si belle occasion : elle déclara qu'elle se rendrait au tombeau du Prince des apôtres avec quelques autres religieuses. Rite pressa vainement sa supérieure de consentir à l'y laisser aller ; mais la prieure refusa d'acquiescer à cette demande à cause de la blessure que Rite avait au front, cette plaie, qui rendait son visage difforme, risquant, sans parler de la mauvaise odeur, de lui attirer des rebuffades et le mépris.

La pieuse moniale ne se découragea pas ; elle se mit en prière avec ferveur et supplia la divine Bonté de lever cet obstacle et de rendre sa blessure invisible et sans odeur seulement pendant le temps du pèlerinage à Rome. Cette demande à peine formulée, fut exaucée sur-le-champ. La plaie disparut, mais la douleur cuisante dont elle était la source subsista, et ainsi Rite put satisfaire sa dévotion, goûter à Rome les plus grands délices spirituelles, sans perdre le profit de sa participation

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mystérieuse aux tourments du Sauveur.

Dans le voyage qu’elle eut à faire pour arriver à la Ville Eternelle, elle montra clairement combien elle avait à cœur de conserver la vertu de pauvreté. Chacune des religieuses pélerines avait reçu, au sortir du couvent, une petite somme d’argent afin de pourvoir à sa subsistance. Au premier fleuve qu’elle rencontra, Rite jeta ce pécule à l’eau.

Ses Sœurs lui reprochant cette imprudence, elle leur répondit qu’elle n’aurait pu supporter plus longtemps cette charge inutile ; elle avait, suivant le conseil du Psalmiste, confié à Dieu le soin de pourvoir à son entretien, et elle ne voulait point faire injure à la divine Providence en amassant des provisions.

Sainte Rite jette sa bourse dans l’eau.

Après le retour des pèlerines au monastère, Rite vit cesser le prodige qui lui avait permis d'aller à Rome, et sa plaie reparut par un nouveau miracle. De nouveau, elle dut s'éloigner de la compagnie de ses Sœurs. Elle profita joyeusement de sa retraite forcée pour s'adonner avec une énergie nouvelle à la prière et à la pénitence ; elle n'avait aucune pitié pour son corps et voulait à tout prix réprimer l'orgueil de la chair.

L'Epoux divin bientôt la jugea suffisamment purifiée, et lui envoya la maladie, messagère divine de l'heure de la délivrance pour ceux qui savent comprendre son langage.

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Miracle des roses et des figues.

Rite tressaillit de joie à la pensée qu'elle pourrait bientôt sortir de la prison du corps pour jouir enfin de la liberté et de l'éternelle vie d'amour. Cependant, elle dut attendre quatre années le moment marqué par Dieu. Plusieurs miracles manifestèrent combien ses désirs enflammés plaisaient au Tout-Puissant. Une de ses parentes vint la voir : Rite la remercia de cette visite charitable, mais la pria de montrer davantage sa bonté, en lui apportant quelques roses du jardin qui lui avait jadis appartenu à Roccaporena. On était en plein hiver, au mois de janvier ; la gelée avait depuis longtemps glacé la sève des rosiers.

L'entourage crut que la fièvre faisait délirer la religieuse, et sa parente ne se soucia nullement de chercher des fleurs qu'elle croyait introuvables. Cependant, en passant près du jardin de Roccaporena, elle y jeta les yeux et ne fut pas peu surprise d'y voir deux charmantes roses, qui venaient de s'épanouir, isolées de toute autre végétation. Frappée du prodige, elle entra, cueillit respectueusement les fleurs et les porta au monastère de Cascia. Rite les prit, en aspira le doux parfum et les offrit aux autres Sœurs tout étonnées de voir ainsi la Divinité se plier au caprice de ses élus, et changer pour les satisfaire la marche ordinaire des saisons.

Mais Rite n'était point encore satisfaite. Elle demanda aussi à sa parente d'aller cueillir des fruits là même où Dieu avait fait pousser des fleurs. La visiteuse courut au jardin, y trouva un figuier portant des fruits mûrs dont elle cueillit quelques-uns pour aller les offrir à Rite, qui les mangea avec une visible satisfaction. On ne peut s'empêcher, à cette occasion, de penser à saint François d'Assise savourant le gâteau de Frère Jacqueline. L'esprit des Saints, on le voit, n'a rien de la rigueur janséniste qui voit le mal en tout.

Sa mort. -- Une guérison.

Ces faveurs célestes n'étaient que l'image et le prélude d'autres plus grandes et plus magnifiques. Jésus-Christ vint avec sa divine Mère pour annoncer à Rite que bientôt la couronne d'épines serait remplacée sur sa tête par une couronne de gloire. Cette nouvelle suscita une grande allégresse dans cette âme privilégiée ; elle voulut se purifier davantage et demanda les sacrements de l'Eglise. Peu après, elle entrant dans la vie éternelle. C'était le 22 mai 1457. Au moment où Rite expira, la cloche du couvent, mise en mouvement par la main des anges, s'ébranla pour annoncer au peuple l'entrée au ciel de la servante de Dieu. En même temps, une lumière extraordinaire envahit la cellule où gisait son corps inanimé et transfiguré. d'où s'exhalait une odeur céleste. La plaie du front, naguère d'un aspect si repoussant, s'était muée en un diamant précieux, qui semblait jeter des flammes.

Le lendemain de la mort, 23 mai, on exposa le corps de Rite dans l'église du couvent. Tous les habitants de la ville et des alentours accoururent pour vénérer la religieuse dont ils connaissaient les vertus héroïques, Une parente de la défunte, qui avait un bras desséché, y vint elle aussi. N'écoutant que son affection, elle se jeta en pleurant sur le corps de sa cousine. Aussitôt, elle sentit la vie circuler à nouveau dans son bras paralysé ; ses cris joyeux de reconnaissance divulguèrent aussitôt le miracle.

Messagère de paix, même après sa mort.

Ce corps saint fut dans le cours des siècles l'instrument de nombreux miracles ; l'un des plus éclatants arriva peu de temps après la béatification, qui eut lieu le 16 juillet 1628, en la basilique Vaticane, sous le pontificat d'Urbain VIII.

Le jour où l'on célébrait, à Cascia, les fêtes solennelles usitées en cette circonstance, les saintes reliques furent exposées à la vénération d'une foule immense accourue de tous les points de l'Italie. Or, au moment où le clergé allait se mettre en procession, il s'éleva une discussion assez vive entre les clercs séculiers et les religieux pour savoir à qui serait donné le premier rang, quand on vit

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soudain la Bienheureuse ouvrir les yeux et donner toutes les marques de la vie.Le cri répété de «  Miracle ! Miracle ! » apaisa, en un instant, la querelle.Le culte dont fut l'objet la bienheureuse Rite attestait à la fois la dévotion populaire et l'estime en

laquelle l'Eglise tenait ses vertus ; sans attendre la canonisation, il fut permis de lui dédier une église à Rome même. Vers la fin de son procès, le 27 mars 1900, Léon XIII accepta que dans la même séance on procédât à deux formalités très importantes et toujours espacées, l'approbation des miracles et la décision sur le décret de tuto. Cette faveur tout à fait inusitée était, a-t-on dit, un nouveau miracle de la future Sainte, qui devait être et fut en effet canonisée le 24 mai 1900, jour de l'Ascension, en même temps que saint Jean-Baptiste de La Salle.

Prodiges permanents.

Mais un prodige plus grand est la conservation du corps lui-même qui s'est maintenue jusqu'à nos jours ; quatre siècles n’ont pu corrompre cette chair purifiée par la pénitence et une vie toute céleste. Tout le monde peut le voir, dans l'église du couvent de Cascia, en son beau reliquaire de cristal. Après tant d'années, ses membres conservent encore la souplesse que donne la vie. Les traits du visage ont gardé leur expression ; la Sainte semble endormie ou plongée dans l'extase. Plus d'une fois, et récemment encore, en 1926, le saint corps a modifié de lui-même son attitude : les pieds et les mains se sont légèrement soulevés, et le visage incliné vers les suppliants, s'est tourné vers le ciel ; en 1927, la main gauche se souleva par trois fois en rapprochant ses doigts.

Ce prodige, qui s'est déjà produit dans le passé, fut toujours considéré comme l'annonce de grandes grâces. Ajoutons que de ses reliques se dégage un doux parfum. Il en est parfois de même dans sa chambre transformée en chapelle. Dans le jardin du cloître on voit encore le rosier miraculeux. Il ne fleurit pas toujours, mais chaque fois qu'il donne ses fleurs splendides, c'est au temps des frimas.

Dans ce même jardin prospère aussi une treille, dont les Sœurs prélèvent chaque année de beaux raisins pour la table du Pape. Son origine est pareillement miraculeuse. Pour éprouver l'obéissance de sainte Rite, sa prieure lui commanda d'arroser des sarments destinés au feu et desséchés depuis longtemps. Rite exécuta les ordres reçus, et le bois mort revint à la vie et à la fécondité. La vigne miraculeuse compte actuellement cinq cents ans d'existence et elle n'a jamais été taillée.

Plus touchant encore est le prodige des abeilles. On peut voir dans un mur de l'ancien cloître quelques petits trous assez profonds, dans lesquels un certain nombre de blanches abeilles vivent d'une manière véritablement prodigieuse. Chaque année, durant la semaine de la Passion, elles sortent de leur retraite et volent uniquement dans la partie antique du couvent, sans jamais aller dans le jardin.

Après la fête de sainte Rite, elles rentrent dans leurs trous, qu'elles bouchent elles-mêmes avec une sorte de cire. Quelquefois, elles se laissent prendre, et on constate qu'elles exhalent une odeur suave d'un caractère très spécial. « Elles ne mangent pas et elles ne se multiplient pas », déclarent les habitants du monastère. Quoi qu'il en soit de ce fait, sur lequel un contrôle scientifique serait désirable, il reste certain qu'elles sortent et rentrent aux dates indiquées. Ceux qui trouveraient ces détails trop incroyables n'ont qu'à s'adresser au R. Père aumônier du couvent des Augustines de Cascia (Ombrie), de qui nous les tenons nous-même. Après les prodiges qui remplirent la vie de la Sainte, on n'a plus le droit de s'étonner de ces merveilles.

A.R.B.

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Sources consultées. - Les Petits Bollandistes. - (V.S.B.P., n° 224 et1058.)

SAINT DIDIERÉvêque de Vienne et martyr (540 ?-606).

Fête le 23 mai.

Didier ou Desiderius naquit à Autun, d'une illustre famille, vers l'an 540. L'ancien Bréviaire d'Autun nous apprend qu'il était neveu de saint Siagrius, évêque de cette ville, proche parent de la reine d'Austrasie, Brunehaut, femme de Sigebert.

Sous la discipline de l'Eglise.

A Autun, florissait alors la célèbre abbaye de Saint-Symphorien. C'est là, vraisemblablement, que fut placé le jeune Didier, sous la discipline de l'Eglise. Il fit, en cet asile de la piété et des lettres, de rapides progrès dans les sciences humaines, au point qu'il surpassa ses compagnons d'études ; de même, dans la suite, il devait briller, par son courage et sa haine du mal, au-dessus de tous les évêques de son temps.

La famille de Didier possédait, près du Rhône, sur les confins des deux diocèses de Vienne et de Lyon, la villa et la terre de Feysin : elles lui furent données pour patrimoine. Cependant, ses études achevées, le jeune patricien, quittant sa ville natale, vint s'établir à Vienne.

En ces temps-là, les évêques tenaient école dans leur propre palais. Le bruit de leur science et de leur sainteté attirait de toutes parts des jeunes hommes vertueux, qui venaient puiser dans leurs exemples la pureté des mœurs et la saine doctrine.

Didier entra ainsi dans la maison de son évêque, saint Naamad. Mieux encore, il pénétra très avant dans l'estime et l'intimité du prélat, et près de ce véritable père, il fit de grands progrès dans les sciences sacrées.

Il ne fut pas moins cher aux trois prélats qui succédèrent à Naamad sur le siège épiscopal de Vienne : saint Philippe, saint Evance et saint Vère. Il devait continuer après eux cette chaîne glorieuse et ininterrompue de saints pontifes ; à l'auréole de la sainteté, il ajoutera même la palme du martyre.

Saint Didier évêque de Vienne.Premiers rapports avec le Pape saint Grégoire le Grand.

En 596, à la mort de saint Vère, Didier, qui avait servi dans les rangs inférieurs de la cléricature et rempli antérieurement auprès de saint Evance les fonctions d'archidiacre, fut appelé, par les suffrages unanimes du clergé et du peuple de Vienne, au siège de cette métropole. Saint Grégoire le Grand occupait alors la chaire de saint Pierre. L'illustre Pontife conçut, on le sait, le projet de faire pénétrer dans le pays des Angles, encore idolâtres, la lumière de l'Évangile. Il avait choisi pour chef

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de la mission projetée un moine, saint Augustin, futur évêque de Cantorbéry, alors abbé de Saint-André de Rome, à qui il associa quelques religieux (596).

Ces missionnaires devant traverser la France, saint Grégoire, pour leur faciliter le voyage et leur assurer les secours nécessaires, en écrivit aux rois Thierry II, roi de Burgondie et d'Orléans, et Théo-debert II, roi d'Austrasie, à la reine Brunehaut, aïeule et tutrice de ces deux princes, ainsi qu'à plusieurs évêques des Gaules, entre autres à Didier de Vienne et à Siagrius d'Autun, dont il connaissait le zèle et le crédit à la cour de Bourgogne.

En 598, une autre lettre du Pape adressée à Didier ainsi qu'à ses collègues les plus en vue leur demandait la tenue d'un Concile national pour remédier aux malheurs des temps. Les guerres con-tinuelles dont la Gaule était le théâtre retardèrent de quelques années l'exécution des ordres du Souverain Pontife. Ce fut en 601 que le Concile se tint à Sens.

La question du pallium.Saint Grégoire et l'enseignement des lettres profanes.

Didier avait fait demander au Pape le pallium comme un honneur depuis longtemps accordé aux évêques de Vienne. Saint Grégoire lui répondit qu'il était prêt à lui envoyer cet insigne selon les anciens privilèges de son Église. Par ses ordres, des recherches avaient été faites dans la chancellerie pontificale, mais aucun titre concernant cette faveur n'y avait été découvert. Le Pape engageait Didier à faire dépouiller ses propres archives et à lui communiquer les preuves de cette antique prérogative.

D'avoir servi l'Eglise viennoise sous quatre évêques avait trop instruit Didier de ses droits pour qu'il hasardât une demande indiscrète. Il fournit les titres réclamés, et il était sur le point de recevoir le pallium, lorsqu'une calomnie remit tout en question. On avait rapporté à Rome que ce prélat s'occupait d'études profanes et qu'il enseignait la littérature païenne. Voici la lettre pontificale que lui valurent ces faux rapports :

Grégoire, à Didier, évêque des Gaules.

J'avais entendu parler avec grand éloge de votre habileté dans les sciences, et la joie que mon cœur en ressentait m'avait porté à vous accorder sans retard la grâce que demandait votre fraternité.

Depuis, il m'est revenu que vous faisiez à quelques jeunes gens un cours de grammaire. Cette nouvelle m'a profondément affligé. Des lèvres qui ne devraient s'ouvrir que pour célébrer les grandeurs du Christ peuvent-elles glorifier les exploits d'un Jupiter ? Ce qui est à peine convenable pour un pieux laïque devient un véritable crime pour un évêque. De grâce, apprenez-moi bientôt que vous avez renoncé à cette littérature légère du siècle.

Je le sais, notre cher fils, le prêtre Candide (c'était l'administrateur du patrimoine de saint Pierre en France) a essayé de vous disculper : malgré tous ses efforts, je suis encore ému de ce qu'on ait eu l'audace de raconter pareille chose d'un évêque.

Ainsi, dès que vous m'aurez confirmé la fausseté du rapport qui a été fait contre vous, et qu'il sera bien établi que vous ne vous livrez point à ces frivoles et vaines études, je bénirai Dieu de ce que des louanges blasphématrices données aux divinités païennes n'on souillé ni vos lèvres ni votre cœur. Alors, sans crainte et sans hésitation aucune, je vous accorderai la faveur que vous demandez.

Le « cours de grammaire »; dont il est parlé en cette lettre ne comportait pas seulement les règles du langage, mais aussi l'étude des auteurs profanes et surtout des poètes païens, ce qu'on appelait et ce qu'on appelle encore « les humanités ». Si saint Grégoire jugeait peu opportun qu'un évêque enseignât ainsi la « grammaire », il ne trouvait pas mauvais que cette science fût enseignée par d'autres ; lui-même avait eu des rhéteurs pour maîtres, et il semble avoir établi dans son palais même des professeurs distingués qui enseignaient à de jeunes clercs les belles-lettres, la rhétorique et la dialectique.Didier n'eut point de peine à se justifier pleinement de ces inculpations. La preuve en est qu'il continua de correspondre dans les termes les plus filiaux avec l'illustre Pontife.

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Saint Didier est exilé en Ecosse.

Brunehaut, pendant le règne de son mari Sigebert, s'était comportée avec assez de modération pour que les grandes qualités de son esprit et, quelques actions utiles au public et à la religion cou-vrissent les défauts de son caractère et les vices de son cœur.

Mais quand, chargée de la tutelle des rois ses petits-fils, elle se vit souveraine, elle sortit de sa réserve. Le Pape saint Grégoire, qui avait loué sa piété, étant mort, ainsi que Siagrius, l'évêque d'Autun, elle n'avait plus à craindre les avis et la censure de ces hauts personnages ; aussi ne garda-t-elle plus de mesure. Restait Didier, qui presque seul pouvait s'opposer à ses violences ; il le fit avec un zèle dont il devint la victime. Brunehaut ne pouvait pardonner au saint évêque la généreuse liberté avec laquelle il s'élevait contre les désordres de la cour.

L'abbé de Luxeuil, Saint Colomban, avait été exilé pour le même motif. Un ordre royal avait suffi pour éloigner ce moine d'origine irlandaise ; mais pour chasser de son siège un des premiers métropolitains des Gaules, il fallait une accusation juridique et une sentence conciliaire. Brunehaut se procura l'une et l'autre.

A prix d'argent, on acheta le faux témoignage d'une malheureuse femme perdue de mœurs, laquelle eut l'impudence d'articuler contre Didier une accusation infâme. Un Synode se réunit à Chalon-sur-Saône (603) et prononça la déposition de l'accusé. Les actes de ce petit convent simoniaque ont disparu. Didier avait cependant été défendu avec courage par saint Arigius ou Arey, évêque de Cap, qui ne put empêcher ni son injuste déposition ni son exil. Ce saint évêque pénétra dans la prison de l'accusé, lui offrit les consolantes paroles de l'amitié, releva son espérance et sa foi, affirmant que le Sauveur avait daigné lui apparaître à lui-même et lui montrer la belle place réservée à Didier dans le ciel.

L'évêque calomnié fut exilé dans l'île de Lewis, en Ecosse, et Domnole, placé par intrusion sur le siège de Vienne. Dans sa retraite, Didier menait la vie d'un ascète. Bientôt, les miracles que Dieu opérait par son serviteur attirèrent à sa cellule un immense concours ; avec l'huile de la lampe qui brûlait devant l'autel de l'oratoire où il offrait le Saint Sacrifice, il rendait la santé aux malades. L'une de ses guérisons les plus éclatantes fut celle d'un lépreux. En faveur de Didier comme en faveur de maints serviteurs de Dieu, même du XXe siècle, se renouvela le miracle de la multiplication des provisions. C'est ainsi qu'un jour on présenta à l'évêque de Vienne un vase plein de vin ; le prélat donne ordre d'en servir à tous les pauvres qui venaient le visiter. « Seigneur, lui dit un jour son serviteur tout attristé, la provision touche à sa fin, à peine en reste-t-il assez pour un repas. » L'évêque lui répond : « Allez et regardez bien si vous ne vous êtes pas trompé. » Le serviteur, retourné au cellier, trouva le tonnelet rempli.

Saint Didier revient à Vienne.

La renommée porta jusqu'à la cour de Thierry et à la ville de Vienne la connaissance de ces merveilles. Un sourd-muet subitement guéri, trois lépreux rendus à la santé parcouraient la Bur-gondie où ils étaient connus, montrant partout le vivant témoignage de la sainteté du proscrit. Un des faux témoins, qui avait déposé contre lui au Synode de Chalon, fut massacré, sous les yeux du roi et de son aïeule, par la foule irritée. En présence de ces manifestations, populaires d'une part, surna-turelles de l'autre, Brunehaut donna l'ordre de rétablir l'homme de Dieu sur le siège de Vienne dont il était dépossédé depuis quatre ans. Les députés royaux vinrent le trouver dans sa solitude. Prosternés à ses pieds, ils le supplièrent d'oublier une condamnation frauduleuse et injuste ; mais l'évêque refusa de les suivre. Il fallut une démarche de la population de Vienne pour vaincre sa résistance. Lorsque Didier rentra dans sa ville épiscopale, le peuple crut revoir la lumière du ciel après de longs jours de

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ténèbres ;

Les fidèles chantaient des cantiques d'allégresse dans les rues de la cité, on se pressait pour le voir, on jetait des fleurs sur son passage. Comme autrefois à Ephèse quand l'apôtre Jean revint de Pathmos, la foule se porta à sa rencontre en criant : « Béni soit celui qui revient au nom du Seigneur !

Ce fut au milieu de ces transports d'enthousiasme que l'exilé remonta sur son siège, tandis que l'intrus Domnole était contraint de prendre la fuite.

Nouvelles persécutions. Le martyre, - Mort de Brunehaut.

La colère de Brunehaut n'était point désarmée. Le magistrat de Vienne, voulant plaire à la reine, semblait prendre à tâche de molester le saint évêque.

Ainsi douze clercs furent arrêtés durant un office pontifical et jetés au fond d'un cachot. Didier, pénétré de douleur, entra en oraison. Pendant sa prière, le prêtre saint Sévère, mort depuis longtemps, et dont les reliques reposaient dans l'église Saint-Etienne, apparut aux prisonniers, rompit miraculeusement leurs chaînes et ouvrit les portes du réduit où ils gémissaient. Pleins de joie, les clercs revinrent auprès de leur évêque, aux prières de qui ils attribuaient leur délivrance, et déposèrent leurs chaînes sur le tombeau de saint Sévère.

D'autres miracles, tels que la multiplication du pain, de l'huile, et du vin en un temps de disette, fixèrent de nouveau l'attention publique sur l'homme de Dieu. Le jeune roi Thierry II témoigna le désir de voir un évêque de si grand renom. Ce prince, qui avait été jusque-là d'une conduite assez légère, déjà à demi converti par les reproches de saint Colomban, consulta sérieusement Didier, et lui demanda si l'Eglise ne pouvait tempérer la sévérité de ses lois sur le mariage. L'évêque répondit en développant les paroles de saint Paul : « Il vaut mieux contracter mariage que brûler des feux de la volupté. Dieu jugera sévèrement les fornicateurs et les adultères. II n'est point permis de profaner nos corps, temples de l'Esprit-Saint. »

Le pontife traita ce sujet délicat avec une éloquence et une majesté telles, que les assistants applaudirent. Docile à la voix de Didier, le roi fit demander la main de la fille de Vitéric, roi des Visigoths. Mais Brunehaut, qui spéculait sur les désordres de son petit-fils pour maintenir sa propre autorité, ne voulait pas d'une reine légitime près du jeune prince. Elle médita une horrible vengeance contre Didier. Dès que l'évêque eût quitté Thierry, elle ordonna à trois comtes, Beffano, Galfred et Betton, de le suivre et de le mettre à mort, en entoura l'église où il priait ; des meneurs essayèrent de soulever la foule en poussant des cris furieux contre l'évêque : « C'est un rebelle ; c'est un ennemi du roi et de la patrie ! »

Les meurtriers craignant le prince, auprès de qui Didier était en grande vénération, laissèrent le noble persécuté prendre les devants et continuer sa route jusque sur le territoire du pays lyonnais. Ils l'atteignirent aux bords de la Chralaronne, et le poursuivirent à coups de pierres, malgré les protestations et les efforts du peuple, qui voulait sauver son pasteur aimé. Sur le point d'être rejoint, Didier, à qui la veille saint Sévère était apparu et avait prédit le martyre, s'agenouilla sur le chemin, pria pour ses bourreaux, confia au Christ ses ouailles et son Eglise de Vienne, puis attendit la mort avec intrépidité. Un forcené le frappa à la tête avec une énorme pierre, et, comme il respirait encore, d'autres criminels l'achevèrent à coups de levier. C'est ainsi que mourut le saint évêque, le 23 mai 606, martyr de son zèle et de la justice, car, suivant la remarque de saint Adon, si ses persécuteurs ne lui ont point prescrit de sacrifier aux idoles, ils lui ont dit : « Consens à nos crimes, et tais la vérité ! »

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Traqué par ses ennemis, Didier s'était réfugié dans la maison d'un Juif charitable nommé Ozanam. La bénédiction de Dieu se répandit sur cette hospitalière demeure dont le chef et sa famille se firent chrétiens ; l'illustre Frédéric Ozanam, qui prit une part active à la fondation des Conférences de Saint-Vincent de Paul, se glorifiait d'avoir pour ancêtre celui qui avait reçu sous son toit l'évêque martyr.

Didier fut inhumé à l'endroit où il tomba victime de la haine des méchants. Ce lieu, alors appelé Prisciniacus, a pris le nom du Saint ; on l'appelle Saint-Didier-sur-Chalaronne, aujourd'hui dans le diocèse de Belley. Le tombeau du martyr devint aussitôt le théâtre de nouveaux prodiges. Des aveugles y recouvraient la vue ; de tous côtés, on y venait en pèlerinage. Un pauvre paralytique était porté par de pieux amis à divers sanctuaires où il sollicitait sa guérison. Jusque-là, les démarches entreprises avaient été inutiles ; conduit à la tombe du martyr fraîchement immolé et marqué de son sang, l'infirme recouvra une santé parfaite et put retourner à pied dans son pays.

Séclise, fille de Claude, habitant la campagne lyonnaise, vint aussi implorer le crédit du Saint pour obtenir la guérison d'une horrible plaie. Elle s'agenouilla près de la dépouille sacrée de Didier, toucha respectueusement la pierre tombale et pria avec une foi ardente. Aussitôt sa plaie se ferma, et celle qui pouvait à peine faire quelques pas revint, pleine d'allégresse et guérie, dans la maison paternelle, publiant partout la faveur insigne qu'elle devait au saint martyr.

Le supplice infligé plus tard à Brunehaut a été considéré par les écrivains de l'époque comme un châtiment de la justice divine. Cette malheureuse reine tomba entre les mains de Clotaire II, petit-fils de Frédégonde, son implacable ennemie. Après l'avoir tourmentée pendant plusieurs jours, ce prince la fit promener sur un chameau dans les rangs de l'armée, à travers les huées et les malédictions de la soldatesque. Enfin, il commanda de l'attacher à la queue d'un cheval indompté qui dispersa dans la campagne les chairs sanglantes d'une femme octogénaire qui avait gouverné les Gaules pendant près d'un demi-siècle.

Translation des reliques de saint Didier.

Saint Ethère, deuxième successeur de saint Didier, obtint du roi Clotaire II de pouvoir transférer à vienne les restes du martyr. Dès que fut parvenue la nouvelle de l'autorisation royale, on convoqua l'assemblée des fidèles, on prépara des croix, des flambeaux, on disposa un cercueil couvert d'étoffes précieuses, et, vêtus d'habits de fête, sans plus tarder, les délégués viennois, sous la direction du clergé, s'acheminèrent vers la tombe de leur pasteur.

Mais les habitants, du Lyonnais gardaient avec un soin jaloux le corps du martyr et ne voulaient point le céder à d'autres. Les envoyés de la ville de Vienne profitèrent de la nuit pour enlever les précieux restes, les mirent dans une barque sur la Saône, et vinrent aborder en aval de Lyon, en face de Feysin.

La villa de ce nom et les terres qui en dépendaient étaient, ainsi que nous l'avons vu le bien patrimonial de saint Didier. Dans un testament olographe, par lui rédigé en présence de plusieurs évêques, il avait consacré cette terre aux saints Machabées, à saint Maurice et ses 6 660 compagnons, patrons de l'Eglise primatiale de Vienne. Saint Ethère se rendit à Feysin, avec la partie du clergé restée dans la ville. On procéda à la reconnaissance du corps, qui était intact, ; on contemplait les traits vénérés d'un père, on baisait ses mains sacrées. Dieu non seulement l'avait préservé de la corruption du tombeau, mais encore s'était plu à le glorifier en guérissant les blessures causées par les coups de pierres.

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Les reliques furent transférées au chant des hymnes et des cantiques. Pendant le trajet, une femme possédée du démon obtint sa délivrance en approchant du corps du martyr.

On le déposa solennellement dans l'église des Saints-Apôtres, hors les murs de Vienne, derrière le marîre-autel, la voix des clercs qui chantaient les psaumes étant fréquemment couverte par les acclamations populaires. La tombe venait d'être fermée, quand une pieuse et illustre matrone conduisit au sépulcre miraculeux un aveugle-né qui recouvra la vue en présence d'une foule immense. Cette translation eut lieu le 11 février, vers l'an 620 ; elle est indiquée dans le Martyrologe romain.

Saint Didier est l'un des Saints les plus populaires, non seulement du Dauphiné, mais même de l'est et du midi de la France. Plus de quinze communes, dans l'Isère, l'Ain, le Rhône, la Loire, en Saône-et-Loire, dans l'Ardèche, les Hautes-Alpes, etc., se glorifient de porter son nom. Dans le seul diocèse, de Grenoble, huit églises au moins l'ont choisi pour leur patron ; dans celui de Belley, neuf. La célèbre abbaye de Saint-Gall, en Suisse, reçut, vers l'an 870, quelques reliques de saint Didier ; elles lui furent envoyées par saint Adon, alors évêque de Vienne, auteur d'un Martyrologe auquel il donna le nom de Litanies, et d'une biographie de son saint prédécesseur.

E. Varnoux.

Sources consultées. – Bollandistes, Actes, par un auteur viennois contemporain du martyr. – Migne, Patrologie latine : actes rédigés par le roi espagnol Sisebut, proche parent et contemporain de Brunehaut. – Saint Adon, Vie de saint Didier. – Théophile Reynaud, « Indiculus Sanctorum Lugdunentium ». – Lelièvre, Maupertuy, Charvet, Collombet, historiens de l’Eglise de Vienne. – Vie de saint Didier, par Un prêtre du diocèse de Belley. – ( V.S.B.P., n° 1106.)

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SAINTS DONATIEN ET ROGATIEN

Ou « les Enfants Nantais », martyrs († 288-289?)

Fête le 24 mai.

Les Actes du martyre des deux frères, les saints Donatien et Rogatien, dits « les Enfants Nantais », à cause du lieu de leur naissance qui fut aussi celui de leur mort glorieuse, sont des plus authentiques et ont connu plusieurs éditions. Mais ils restent muets sur la date exacte où ces vaillants soldats du Christ versèrent leur sang pour la foi. Toutefois, comme les habitants de la ville et du diocèse de Nantes qui semblent les plus directement intéressés à la question, les ayant choisis pour patrons, ont célébré du 19 au 21 octobre 1889 par des fêtes solennelles le 16 e centenaire de leur martyre, nous nous rallierons avec eux à la date de 289.

On sait qu'à cette époque l'empereur Dioclétien, le plus acharné des persécuteurs, poussé par son gendre Galère, se résolut à lancer un nouvel édit de proscription contre les chrétiens. Il sévissait avec d'autant plus de fureur contre les disciples de Jésus-Christ que lui-même n'avait pas eu le courage de correspondre à la grâce de la foi. Les historiens nous apprennent, en effet, que plusieurs de ses parents étaient chrétiens, et que le pape saint Caïus était son cousin. L'empereur avait choisi un de ses plus cruels ministres pour l'envoyer dans les Gaules. Le gouverneur partit avec l'ordre de n'épargner aucun de ceux qui refuseraient l'encens à Jupiter et à Apollon. De nobles victimes étaient prêtes.

Un désenchanté du paganisme.

Pendant que beaucoup tremblaient à l'approche du juge, à Nantes, un jeune chrétien manifestait son allégresse. C'était Donatien, l'un des plus illustres jeunes gens de la ville. La mort endurée pour Dieu est si sainte et si glorieuse que les courageux serviteurs de Jésus-Christ, loin de la craindre, la désirent comme une grande grâce.Donatien descendait d'une des plus nobles familles de la ville de Nantes, mais cette gloire était peu de chose, car le Christ ne l'avait pas encore consacrée. En effet, les parents de Donatien étaient idolâtres et lui-même avait été élevé dans les erreurs grossières du paganisme ; aussi aimait-il le cirque et les jeux, et sa nature ardente le poussait vers les combats sanglants de l'amphithéâtre.

Cependant, Dieu avait ses vues sur ce jeune homme admiré de tous ; la grâce divine pénétrait peu à peu dans son âme en même temps qu'il croissait en âge. Bientôt Donatien commença à comprendre l'horreur de ces jeux où l'on versait à flots le sang humain. Dans le paganisme, il voyait des trahisons, de basses flatteries, des tristesses sans consolation ; les chrétiens, au contraire, remplis d'une inépuisable charité, intrépides devant la mort, joyeux dans les tortures, leurs prêtres en particulier, édifiaient son âme amie de la vertu. Ses yeux dessillés commençaient à apercevoir une

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grandeur autrement désirable et belle que la richesse et la puissance.

Conversion éclatante.

Donatien se rapprocha donc des chrétiens et résolut d'entrer dans leurs rangs. D'abord, il s'abstint des sacrifices idolâtriques, des théâtres, des bruyants festins ; il abandonna la compagnie dangereuse des flatteurs qui l'obsédaient sans cesse. Enfin, tous les liens étaient rompus, il embrassa la vraie foi.

Ce fut un véritable événement dans la ville. Les païens ne pouvaient concevoir que, dans la fleur de la jeunesse, cet héritier d'une grande maison méprisât honneurs, beauté, richesses pour se vouer à une mort certaine en devenant l'adepte de la religion du Christ. On se demandait quel attrait avait été assez puissant pour que son cœur eût ainsi cédé aux charmes d'une religion abhorrée par les amis de la volupté. Mais Donatien méprisa tous les discours frivoles du monde et ne se laissa pas intimider par la pensée des souffrances qu'il aurait à subir. Pressé de se donner tout entier à Jésus de Nazareth, il alla se présenter aux prêtres pour prendre rang parmi les catéchumènes. Il était déjà prêt à recevoir l'eau baptismale, et il appelait de ses vœux le jour de la rénovation.

Saint Donatien reçoit le baptême.

Enfin, le prêtre admet Donatien au baptême. Le nouveau chrétien qui a choisi le Seigneur pour son héritage, ressent déjà les effets de la miséricorde divine. Son âme. est inondée d'une allégresse toute céleste. Il manque cependant encore quelque chose à ce bonheur ; Rogatien n'est pas à ses côtés, le démon le tient encore sous son empire. Cette proie allait bientôt lui être arrachée, car Rogatien sentait bien le vide du culte de Jupiter et d'Apollon ; son âme n'y trouvait point le repos et la paix, et, sans voir encore clairement la lumière, il enviait le bonheur de son frère. Dieu récompensa une jalousie si sainte, et, à la prière de Donatien, sa grâce se répandit dans l'âme de ce jeune païen qui voulait parvenir à la connaissance de son Créateur.

Les prémices d'un apostolat.

Donatien s'était fait son catéchiste, bien résolu de ne pas céder qu'il n'eût attiré son frère à la religion chrétienne. Rogatien, bien que l'aîné, écoutait avec une grande attention les leçons de son cadet. Le jeune maître puisait ses enseignements dans la parole de Dieu, et le disciple, apercevant la vérité, regrettait de n'en avoir pas connu plus tôt la beauté toujours ancienne et toujours nouvelle.

Enfin, il ouvrit son cœur et dit : « Donatien, maintenant je suis ton frère selon la foi et la grâce aussi bien que selon la nature. » Avec quelle effusion de joie le jeune chrétien le fit inscrire sur la liste des catéchumènes qui se préparaient au baptême !

Les messagers de la bonne nouvelle.

A peine converti, Rogatien se fit apôtre à son tour. Après avoir reçu les instructions du prêtre, il s'efforçait de les répéter aux autres et d'attirer à Jésus-Christ. les âmes dont il avait partagé l'erreur. Mais l'ennemi allait bientôt se dresser sur sa route. Déjà des bruits de persécution se répandaient dans la ville. Ce n'était pas la crainte de la mort qui pouvait ébranler le nouveau converti, mais il redoutait d'être emporté par la tourmente avant d'avoir été régénéré dans l'eau du saint baptême.

Sous cette appréhension se dissimulait une tentation de l'ennemi. Rogatien en triompha dans l'un

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de ses doux et saints entretiens avec son frère. Soutenus l'un par l'autre, les deux jeunes héros ne craignaient pas de paraître en public pour annoncer Jésus-Christ à qui voulait les entendre. Ils montraient la vanité d'idoles qui ne pouvaient se venger elles-mêmes, la vanité de ces dieux de pierre dont beaucoup de païens, tout en leur offrant des sacrifices, étaient des premiers à tourner en ridicule l'inanité. De tels discours pleins de feu, entraînaient la multitude en forçant son admiration. Les auditeurs de Donatien et de Rogatien ne laissaient pas, en effet, de trouver étrange que l'on put s'enflammer d'enthousiasme pour une religion, car eux-mêmes n'éprouvaient point d'amour pour leurs dieux tout en les craignant un peu et en espérant leur protection.

Les deux chrétiens étaient sans cesse à l'œuvre, et, quand ils avaient prêché les foules, ils tournaient leurs efforts vers la conversion de leurs amis. Le parfum de leurs vertus, leur charité affable, charmaient tous les cœurs, et la grâce remportait des victoires consolantes par l'effet de leur action concertée.Toutefois, ces conversions étaient plus le fruit de leurs prières que de leur éloquence

Les saints Donatien et Rogatien sont dénoncés.

Cependant, le commissaire impérial approchait et répandait partout la terreur. On croit que c'était Rictius-Varus, nommé communément Rictiovare, et fameux par ses cruautés envers les chrétiens dans la Gaule-Belgique. Quand on sut qu'il entrait dans Nantes, la foule se porta à sa rencontre pour honorer l'envoyé de l'empereur. Elle demandait en même temps des victimes pour ses jeux, et ces victimes n'étaient autres que les adeptes de Jésus-Christ. Mort aux chrétiens ! C'était le cri de toutes les bouches. Or, au milieu du tumulte, un païen s'approcha de Rictiovare ; il venait désigner les victimes les plus dignes de recevoir la couronne du martyre.

« Juge équitable et modéré, lui dit-il, en fléchissant le genou, vous arrivez fort à propos pour ramener au culte des dieux ceux qui s'en sont écartés pour s'attacher à un homme que les Juifs ont fait mourir en croix. Sachez donc que Donatien est disciple de cette religion et que vous devez sévir contre lui avec vigueur. Non seulement il s'est retiré du service qu'il doit aux dieux, mais, par la ténacité de ses vains discours, il a encore séduit son frère ; en sorte que l'un et l'autre méprisent avec obstination les dieux immortels que les empereurs invincibles adorent et qu'ils veulent qu'on adore par tout l'univers. La propre confession des deux frères vous convaincra, quand il vous plaira de les interroger, qu'on ne les accuse point à faux. »

Le lieutenant de Dioclétien comptait bien assouvir sa colère et repaître ses yeux de spectacles sanglants. La foule l'applaudissait et demandait la perte des chrétiens. Sur-le-champ, il envoie ses satellites avec ordre d'ameuter Donatien devant le tribunal. Donatien ne se cachait pas, et la demeure de son illustre famille était connue de tous. Les satellites revinrent donc bientôt avec leur proie vers la foule impatiente et avide de sang.

lnterrogatoie de saint Donatien.

Donatien était seul, car le commissaire spécial avait voulu lui ôter la consolation suprême d'être aidé par la présence d'un compagnon de souffrances. Rictiovare espérait intimider ce grand cœur par la vue de la foule qui demandait son sang. Les instruments de supplice entouraient le tribunal, tout respirait la mort. Mais rien ne put troubler le calme du martyr ; il comptait sur la grâce du Dieu tout-puissant qui viendrait à son aide dans le combat, et, dans le fond de son cœur, il invoquait avec amour son céleste Roi, heureux de lui offrir sa vie comme un bon et fidèle soldat.

- Donatien, lui dit le juge, non seulement ; vous refusez, par une désobéissance criminelle, d'adorer Jupiter et Apollon, de qui nous tenons la vie et qui nous la conservent, mais encore vous les déshonorez par des discours injurieux et par une prétention extravagante, vous publiez qu'on ne peut être sauvé si ce n'est en croyant à la mort d'un homme qui a été puni du supplice de la croix, au culte

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duquel vous essayez d'engager tout le monde.

- Vous dites la vérité malgré vous, répond le jeune homme ; tout mon désir c'est d'amener au Christ, maître de l'univers, ce peuple que vous conduisez dans les chemins de l'erreur.

Et, bravant la fureur du préfet, le jeune chrétien se tourne vers la foule qui se pressait aux abords du tribunal ; il se met à prêcher avec force et clarté la religion chrétienne. En vain le gouverneur irrité le menace d'une mort imminente s'il ne cesse de pareils discours ; Donatien continue à montrer au peuple, attentif et étonné, la vanité des idoles et la grandeur du vrai Dieu. C'était un triomphe pour la foi, tellement, que le juge, craignant des conversions nombreuses, donne ordre de jeter Donatien dans un cachot obscur et de le charger de lourdes chaînes. Il fait ensuite amener son frère Rogatien.

Saint Rogatien devant le tribunal.

Rogatien, il est vrai, n'avait pas encore reçu la grâce du baptême, mais il avait prié, et sa prière pénétrant le Ciel lui avait obtenu la force du Tout-Puissant. Il était bien résolu de souffrir mille morts plutôt que d'abandonner Jésus-Christ au moment du combat et de la victoire. Les satellites l'arrachèrent de sa demeure et le traînèrent sur la place publique, devant le juge déjà irrité contre son frère.

Dissimulant sa haine et sa colère, Rictiovare lui fit un paternel accueil et essaya de le gagner par la douceur et la flatterie : «  J'ai été informé, lui dit-il, que vous voulez abandonner inconsidérément le culte des dieux qui ont daigné vous donner la vie et orner votre esprit de sagesse et de belles connaissances ; j'ai honte pour vous de voir que tant de choses que vous savez ne vous empêchent pas de consentir à perdre l'esprit. Prenez garde que, voulant ne confesser qu'un seul Dieu, vous n'encouriez, à votre grand regret, la colère de plusieurs autres. Enfin, puisque vous n'avez pas encore été infecté de je ne sais quel baptême, ne vous obstinez pas davantage. Vous garderez tout ce que la clémence des empereurs et la bonté des dieux vous ont donné ; vous aurez la vie sauve, et un accroissement de richesses et de dignités. »

Rogatien, rempli de l'esprit de Dieu, coupa court à ces vains discours et répondit au préfet : « Je ne m'étonne pas que vous mettiez la clémence des empereurs avant la bonté des dieux. Tout

est perverti dans votre esprit, quoique au reste vous ayez quelque raison de donner le premier rang à des êtres vivants, qui valent encore mieux que des dieux de fonte. Mais en les adorant vous vous rendez semblables à vos idoles, car si vos dieux de pierre sont sans âme et sans vie, ceux qui les adorent perdent l'intelligence et le bon sens. »

Rogatien était donc aussi inébranlable que son frère ; Jésus-Christ parlait par sa bouche et mettait dans son âme une force divine contre les tourments, la flatterie et toutes les ruses de l'Enfer. Le juge comprit qu'il était inutile d'insister davantage par des paroles et fit jeter le confesseur de la foi dans le cachot où était enchaîné son frère. Le lendemain, pensait-il, les tourments auraient raison de la fermeté des deux chrétiens ou puniraient au contraire leur désobéissance par une prompte mort. En attendant, il alla présider une fête, pendant que ses innocentes victimes souffraient dans les fers.

La prison.

Tandis que le préfet recevait avec orgueil les applaudissements de la foule adulatrice, combien tendre et sublime était l'entrevue des deux frères dans leur prison ! Ils s'embrassèrent avec effusion après le premier combat, dont l'un et l'autre sortaient vainqueurs ; comme ils remerciaient Dieu de les réunir pour qu'ils puissent se consoler et se fortifier l'un l'autre ! Ils lui rendaient grâces de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir pour son nom, ils suppliaient les bons anges de les aider encore

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dans leur prochaine lutte contre les puissances des ténèbres.

Cependant, une chose affligeait le cœur de Rogatien, c'était de n'avoir pas encore reçu le baptême. Son frère le consola, lui assurant avec raison que le martyre lui ouvrirait certainement le ciel, et il fit à haute voix cette prière : « Seigneur Jésus, qui voyez dans les désirs sincères le mérite de l'action elle-même, quand l'impuissance absolue empêche les effets d'une volonté qui vous est toute dévouée, que la foi pure de Rogatien lui serve de baptême et si demain le glaive termine notre vie, que son sang lui serve de confirmation. »

Puis tous deux offrirent généreusement leur vie au Seigneur ; il leur semblait que la terre n'existait plus pour eux et que seul, un voile fragile destiné à tomber dans quelques heures les séparait du ciel. La nuit entière se passa en de pieux exercices et en de saints entretiens.

Le martyre des deux frères.

Le lendemain, les portes du cachot s'ouvrirent, et les soldats les emmenèrent. Les deux jeunes gens marchaient joyeux et fermes quoique lentement, accablés qu'ils étaient par leurs lourdes chaînes ; leur visage rayonnait d'une assurance et d'une beauté céleste. Ils traversèrent la place encombrée par la foule, et arrivèrent devant le tribunal où siégeait Rictiovare.

« J'ai usé de modération envers vous et je vous ai adressé de douces paroles, leur dit le magistrat païen, mais il est temps que la sévérité des lois exerce sur vous sa juste rigueur, puisque vous méprisez le culte des dieux immortels par ignorance, ou, ce qui est encore pire, que vous travaillez à le détruire, parce que vous vous croyez mieux instruits que nous. » Les martyrs répondirent d'une commune voix : « Vous nous accusez d'ignorance et quelle est donc la science dont vous faites preuve en adorant sottement des dieux insensibles et sans vie comme le métal dont ils sont fabriqués ? Pour nous, nous sommes prêts à souffrir pour Jésus-Christ tout ce que le bourreau pourra inventer de tourments. Notre vie ne perdra rien à être rendue à Celui qui nous l'a donnée, et nous la retrouverons mille fois plus belle dans les splendeurs du ciel qui nous attend. »

Le juge, transporté de colère, ordonne au bourreau d'attacher sur le chevalet les deux innocentes victimes ; leurs membres sont déchirés et rompus, mais la force de Dieu soutient leur courage, et leur âme reste invincible ; bien loin d'apostasier, ils ne laissent pas même une plainte s'échapper de leur bouche, et Jésus-Christ devient victorieux dans ses serviteurs.

Mais il faut en finir ; le préfet prononce la sentence de mort contre Donatien et Rogatien, les serviteurs du Crucifié. On les conduit sur la place du supplice, et le bourreau, fidèle à imiter la fureur de son maître, transperce d'abord d'un coup de lance la gorge de ses victimes, ce qui n'avait point été ordonné, et fait ensuite tomber leur tête sous le tranchant de sa hache. C'était le vingt-quatrième jour de mai.

Culte rendu aux « Enfants Nantais ».

Nantes, devenue chrétienne, n'oublia pas les deux martyrs. On leur bâtit une église, et ils furent constitués patrons de la cité.

Saint Grégoire de l'ours nous rapporte que Clovis, encore païen, vint assiéger Nantes ; il poussa le siège avec une grande vigueur, car il était résolu de ne point céder. Depuis deux mois, les habitants résistent aux armes du roi des Francs, et ils vont enfin succomber sans espoir de secours humain. Alors, ils ont recours au ciel et à la puissance de leurs saints Patrons. Toute la ville se jette à genoux et se met en prières. C'est le lendemain que l'on doit se rendre. Or, pendant la nuit, les portes de la basilique des Saints-Donatien et Rogatien s'ouvrent, et des personnages, vêtus de blanc, un cierge à

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la main, sortent de l'enceinte sacrée.

Bientôt la même chose se répète à l'église de Saint-Similien, d'où part un semblable cortège. Les groupes marchent en ordre de procession ; ils se joignent, se donnent un salut gracieux, et, tombant à genoux, se mettent en prière. Puis ils s'en retournent dans le même ordre ; après quoi la vision disparaît. Aussitôt l'ennemi s'enfuit en désordre et avec tant de rapidité, qu'à la pointe du jour les Nantais, accourus sur les murs, n'aperçoivent plus d'assiégeants. A la vue de ce prodige, un des capitaines de Clovis, nommé Chilou, se convertit et reçut le baptême, témoignant que Jésus-Christ est le vrai Fils de Dieu.

En 1145, une partie des reliques des « Enfants Nantais » fut transférée solennellement à la cathédrale par Albert, évêque d'Ostie, en présence de Hugues, archevêque de Rouen, d'un grand nombre d'autres prélats et d'un immense concours de fidèles.

La belle église bâtie sur le tombeau des deux martyrs a été en partie ruinée par la Révolution, mais, en 1806, deux dames pieuses la firent généreusement réparer à leurs frais ; située à l'extrémité de la ville, sur la route de Paris, elle est devenue une église paroissiale. On y conserve encore des reliques des deux Saints, mais celles qui avaient été portées à la cathédrale ont été détruites par la Révolution avec le trésor de la cathédrale.

Nantes possédait encore, au faubourg Saint-Clément, une autre église dédiée à ses deux illustres enfants ; elle a été également renversée à la fin du XVIIIe siècle. Cette fondation avait eu pour auteur le duc Jean III qui la fit en 1325. Le duc François 1er , l'un de ses successeurs, établit en ce même lieu une communauté de Chartreux en 1445. Sauvé de la tourmente terroriste, le couvent fut occupé, au XIXe siècle, par des Visitandines.

Romain Heitmann.

Sources consultées. - Abbé F.Jarnoux : Les enfants nantais, saint Donatien et saint Rogatien, martyrs, patrons de la ville et du diocèse de Nantes (Nantes,1881). – ( V.S.B.P., n° 381.)

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SAINT GREGOIRE VIIPape († 1085).

Fête le 25 mai.

Aux défaitistes de l'idée religieuse, qui de nos jours se lamentent sur la situation difficile faite à l'Eglise catholique, il n'est pas téméraire ni sans profit de proposer la lecture d'une grande vie : celle de saint Grégoire VII, le géant du Xe siècle et peut-être le plus illustre des lutteurs qui s'assirent sur le siège de saint Pierre.

État de l’Église et de la société aux Xe et XIe siècles.

Le Xe siècle fut, pour l'Eglise et l'Europe, une époque de décadence lamentable à tous points de vue, moral, disciplinaire et religieux. Mais le grand scandale résulta surtout du mémorable conflit des Investitures, dont la crise fut particulièrement aiguë en Allemagne.

Le système, nécessaire alors, de la féodalité, avait organisé la propriété suivant les relations de vassal à suzerain. Cela est bien connu. Les territoires du vassal étaient le fief du suzerain plus puis-sant, et les évêques et abbés devaient en faire l'hommage aux suzerains laïques, s'ils en dépendaient.

Cet hommage, légitime en soi, prit la forme de l'investiture par la crosse et l'anneau. Le suzerain remettait au prélat élu ces deux insignes, non point pour symboliser le pouvoir spirituel sur son diocèse, lequel ne pouvait relever que du Pape, mais pour marquer sa dépendance vis-à-vis d'un supérieur temporel. Quand les princes étaient bons, le mal était moindre. Il arrivait même qu'évêchés et abbayes s'enrichissant de vastes domaines, la misère n'existait jamais aux environs. Mais la tentation était bien délicate pour les princes, et, tandis que leur magnificence intéressée se plaisait à grandir la situation matérielle de l'Eglise, ils s'attachaient à en assurer par tous les moyens la dépendance vis-à-vis de l'État.

Tant que l'Allemagne n'eut à sa tête que des empereurs pieux, Othon II, Othon III, saint Henri, Henri III lui-même, le choix des évêques fut irréprochable.

Mais, hélas ! l'Eglise, société à la fois divine et humaine, devait connaître des écarts humains lamentables. Les évêchés et les abbayes, tels que les avaient constitués les empereurs, les rendaient souverainement enviables pour les ambitieux. Du désir des prélatures à leur sollicitation, de cette demande à .l'offrande d'espèces sonnantes, puis à la coutume des présents, puis à la simonie, puis au trafic sacrilège, il n'y avait qu'une série de pas sur une pente glissante, et elle fut rapidement descendue. Le jour arriva vite où les empereurs se crurent le droit de nommer eux-mêmes les Papes. Pour rendre la liberté à son Eglise, la Providence suscita un homme de génie qui devait être surtout un grand Pape et un grand Saint.

Hildebrand. Son éducation monastique.

Hildebrand Aldobrandeschi, le futur Grégoire VII, naquit en Italie, entre 1013 et 1024, d'une famille assez modeste du diocèse de Soano, à quelques lieues de Sienne. Son père, Bonizo, avait un frère appelé Laurent, religieux Bénédictin, que son mérite avait fait nommer abbé du monastère de Sainte-Marie du Mont Aventin, à Rome. Le jeune Hildebrand, qui montrait une rare intelligence, fut envoyé près de son oncle ; il eut ainsi l'avantage inappréciable, surtout à cette époque, d'être élevé

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dans un monastère, et. il en profita admirablement, sans pour cela s'engager dans la vie monastique.

En 1045, le Pape Grégoire VI qui, malgré la grande irrégularité de son élection, fait bonne figure à cette époque de dépravation, en fit son secrétaire. Hildebrand, alors sous-diacre, fut ainsi initié pro- videntiellement aux affaires de l'Eglise romaine, qu'il devait gouverner plus tard avec sagesse et vigueur. Dans l'exercice de ses nouvelles fonctions, il fut en relations avec l'un des plus éminents personnages de cette époque, saint Pierre Damien, qui devait exercer sur lui, par la suite, une influence profonde. L'année suivante, Grégoire VI donne sa démission pour aller finir humblement ses jours en Allemagne, où l'avait exilé l'empereur Henri III ; Hildebrand l'y accompagna. Après la mort de ce Pape, il se dirigea vers l'abbaye de Cluny.

Fondé en 909 ou 910, près de Mâcon, par le bienheureux Bernon, le célèbre monastère fut un grand centre de lumière et de foi qui eut une heureuse et féconde influence sur les intérêts de l'Eglise en général et sur la régénération de la société du Xe au XIIe siècle.

En 1049, le saint évêque de Toul, Bernon d'Egisheim, élu Pape par l'empereur Henri III d'Allemagne, partait pour Rome. Saint Hugues de Cluny, accompagné d'Hildebrand, vint le saluer à Besançon. Mais Hildebrand ose reprocher franchement au Pontife l’illégitimité de son élection. Bernon, loin de se fâcher, s'empresse de faire connaître la droiture de ses intentions ; c'est malgré lui qu'il a été élu par l'empereur, et il n'acceptera le Souverain Pontificat que lorsqu'il aura été élu canoniquement par le clergé et le peuple de Rome, suivant les règles alors en usage. Hildebrand s'incline devant ces raisons, mais Brunon, frappé du courage et de la sagesse de son contradicteur, demande à saint Hugues de le lui laisser et l'emmène avec lui à Rome.

Hildebrand, sage et intrépide conseiller de cinq Papes.

Brunon, arrivé à Rome en simple pèlerin, élu avec enthousiasme et suivant les lois canoniques, le 2 février 1049, s'asseoit sur la Chaire apostolique sous le nom de Léon IX. Ce vertueux et saint Pontife confie à Hildebrand, en lui conférant le titre d'archidiacre, l'administration temporelle de l'Eglise romaine. Puis, aidé par son nouveau conseiller, qui devient rapidement son bras droit, il entreprend avec un courage et une énergie apostoliques la réforme du clergé et le rétablissement des lois de l'Eglise. Un Concile convoqué à Rome en 1049 condamne sévèrement les évêques et prêtres simoniaques (c'est-à-dire ceux qui avaient acheté leur dignité à prix d'argent) et les ecclésiastiques qui refuseraient de garder le célibat. Plusieurs prélats indignes sont déposés et remplacés par des hommes vertueux. Pour faire exécuter ces décrets, saint Léon IX parcourt l'Italie et la France et fait trois voyages en Allemagne. Hildebrand lui-même, en qualité de légat apostolique, préside à Tours, un Concile qui condamne l'hérétique Bérenger (1054).

Quand, après cinq ans d'héroïques et saints travaux, saint Léon IX alla recevoir sa récompense au ciel (1054), telle était l'estime que le clergé et le peuple de Rome avaient de la sagesse et de la vertu d'Hildebrand, qu'ils voulurent s'en rapporter à lui pour l'élection d'un nouveau Pape. Hildebrand, alors légat apostolique en Allemagne fixa son choix sur Gébhard, évêque d'Eichstaett. L'empereur Henri III n'agréait pas cette élection, et l'humble évêque refusait de son côté, cet honneur. L'archidiacre triomphe de tous les obstacles et Gébhard, devenu Pape sous le nom de Victor II (1054-1057), continue avec courage l'œuvre de saint Léon IX.

La même année, Hildebrand, dont le Pontife a fait son légat en France, préside un Concile à Lyon pour juger l'archevêque de ce diocèse, accusé trop justement de simonie. Après avoir acheté à prix d'argent le silence des témoins, le coupable se présente avec assurance devant le Concile. Nul ne parlait. Le légat, jetant un profond soupir, s'adresse à l'évêque coupable :

« Croyez-vous, lui dit-il, que l'Esprit-Saint, dont vous êtes accusé d'avoir acheté le don, soit de la même substance que le Père et le Fils - Je le crois, dit l'évêque. - Dites donc, reprit le légat :

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« Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. » Le coupable commença aussitôt : «  Gloire au Père, au Fils, au... » il ne put point nommer le Saint-Esprit, encore qu'il s'y prit à trois fois. Plein d'effroi, il se jette aux pieds du légat et avoue son crime. Il fut alors déposé de l'épiscopat, et remplacé par un évêque digne.

Etienne X (1057-1058), successeur de Victor II, se voyant sur le point de mourir, recommande aux Romains de ne pas procéder à l'élection d'un nouveau Pape avant le retour d'Hildebrand, alors légat en Allemagne. Le légat se hâte de revenir, mais c'est pour trouver Benoît X, élu par un groupe de partisans ; à la place de ce personnage, il fait élire en 1059 Nicolas II (1059-1061), sous la présidence de qui un Concile tenu à Rome attribue désormais aux cardinaux la part principale dans l'élection des Souverains Pontifes, afin de prévenir divers abus. La portée de cette mesure fut vivement ressentie en Germanie.

Après la mort de Nicolas II, le Pape légitime Alexandre II eut à lutter, aidé par Hildebrand et la Maison princière de Toscane, contre l'antipape Honorius II. Alexandre II finit par porter au parti du schisme un coup décisif, au Concile de Mantoue, grâce aux efforts de deux cardinaux, Hildebrand et saint Pierre Damien, et à ceux de saint Hannon,, archevêque de Cologne ; il continua sans faiblesse la guerre de ses courageux prédécesseurs contre les hommes indignes qui avaient envahi les dignités et les charges ecclésiastiques. Il mourut en 1073, après onze ans d'efforts et de patience.

Hildebrand devient Grégoire VII.

A peine ses funérailles étaient-elles achevées, sous la présidence d'Hildebrand, que l'illustre archidiacre fut unanimement élu par les cardinaux et tout le clergé, au milieu des acclamations enthousiastes du peuple qui répétait : « Hildebrand ! C'est l'élu de saint Pierre ! »

La grande humilité de l'archidiacre, les difficultés du moment, qu'il connaissait mieux que personne, s'unissaient pour effrayer son âme : ses angoisses furent une sorte d'agonie. L'empereur d'Allemagne lui-même, Henri IV, qui avait besoin pour maintenir son trône ébranlé, de ménager les catholiques fidèles, agréa l'élection. Hildebrand fut donc sacré et prit le nom de Grégoire VII.

Ce fut une grande joie pour tous les vrais enfants de l'Eglise. Sa sainteté et son expérience l'avaient depuis longtemps désigné pour la Papauté.

Nul ne connaissait mieux la société ecclésiastique ; nul plus que lui n'avait enfoncé les doigts dans ses plaies vives. Mais le trait dominant de son caractère c'est une foi ardente. Souvent on le représente comme dévoré d'une ambition débordante, rigide, mais souple aussi et capable de s'adapter aux circonstances les plus difficiles. Ambitieux, il le fut peut-être, non pour lui, mais pour la cause qu'il défendait. Humble, Hildebrand a toujours fui les dignités ; doux par tempérament et tendance naturelle, il redoutait la lutte. Mais quand sa conscience lui disait : « Frappe », il frappait et luttait pour Dieu.

Son élection ne lui fit pas cesser ses anciennes austérités ; sa table était somptueusement servie, à cause des hôtes illustres qui devaient y prendre place, mais le Souverain Pontife ne mangeait que des herbes sauvages et quelques légumes, cuits à l'eau.

Pour obtenir de Dieu les grâces nécessaires, à l'Eglise dans ces temps difficiles, il organisa, sous le nom de Religio quadrata (religion carrée), une immense association de prières, une sorte de Tiers-Ordre qui groupait d'un côté les religieux et les 1aïques, de l'autre les religieuses et les femmes du monde. Les principaux chefs de cette croisade de la prière, inspirée par la Sainte Vierge, furent saint Hugues de Cluny, saint Almanne, évêque de Passau, le bienheureux Guillaume, abbé d’Hirschau, et Sigefroy, abbé de la Celle-Saint-Sauveur, près de Schaffhouse.

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Sollicitude universelle de saint Grégoire VII.

Dès les premiers jours de son pontificat, l'infatigable activité de Grégoire VII, soutenue par son incomparable amour de l'Eglise, s'étend à tout ce qui intéresse le salut des âmes, les droits de l'Eglise et le bien des peuples. Il résiste longtemps à Robert Guiscard, chef des Normands d'Italie, qui veut enlever au Saint-Siège une partie de ses États ; finalement, le Pape triomphe si bien, que le héros normand lui fait hommage du royaume des Deux-Siciles qu'il vient de conquérir, et qu'il veut le tenir, à titre de vassal, du Saint-Siège.

Grégoire VII s'efforce de rétablir en France la morale chrétienne, et menace d'excommunication le roi Philippe 1er, qui scandalisait son royaume par sa mauvaise conduite. Il dirige l'illustre Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, dans la réorganisation de l'Eglise d'Angleterre, pays que venait de subjuguer Guillaume le Conquérant. Il encourage les chrétiens d'Espagne dans leurs combats contre les Maures pour reconquérir leur patrie, et il bénit les chevaliers français qui vont leur apporter un précieux appui. Il exerce une action constante sur les pays du Nord, donne de sages conseils au roi de Norvège pour civiliser, par la religion chrétienne, son royaume à demi païen. De même, il écrit au roi de Danemark et au roi de Hongrie ; Il donne le titre de rois au duc de Dalmatie et au duc des Slaves (Serbes) qui jurent fidélité inviolable au Saint-Siège.

Il accueille avec bonté le fils du duc de Russie venant au nom de son père Démétrius mettre ses États sous la protection de saint Pierre ; il s'efforce, mais hélas ! sans succès, de ramener à l'unité les schismatiques grecs ; il multiplie ses avertissements à Boleslas, le cruel roi de Pologne, tyran sanguinaire et débauché, finit par le déclarer indigne du titre de roi, et permet aux sujets de ce prince de se choisir un autre souverain. Enfin, il voulait organiser la première croisade contre les musulmans, mais les luttes dont nous allons parler l'empêchèrent de réaliser ce grand projet, qui fera la gloire de son deuxième successeur Urbain II. Son œuvre essentielle était de continuer les efforts de ses prédécesseurs pour la réforme du clergé. A peine élu, il s'attaque au mal moral qui désole l'Eglise. Il fulmine contre ceux « qui sont appelés prêtres, et ne rougissent point, malgré leur indignité, de toucher le corps du Christ. »

D'autre part, il fallait en finir avec l'immixtion abusive des empereurs dans l'élection des évêques, annuler les élections ecclésiastiques obtenues à prix d'argent, et aller jusqu'au bout de son droit. Grégoire VII n'hésita pas : «  L'Eglise catholique, notre divine Mère, dira-t-il un jour, m'a placé jadis, malgré mon indignité et mes résistances, sur le trône apostolique. Depuis, je n'ai cessé de combattre pour rendre à cette chaste Épouse du Christ sa liberté, sa splendeur, la pureté de son antique discipline. » Dans un Concile tenu à Rome l'année suivante (1075), il défendit sous peine d'anathème à toute personne séculière, quelle que fût sa dignité, empereur, marquis, prince ou roi, de conférer l'investiture, et à tout clerc, prêtre, évêque, de la recevoir pour les bénéfices, abbayes, évêchés, et dignités ecclésiastiques de quelque nature que ce fut.

Luttes avec l'empereur d'Allemagne Henri IV.

Ce fut le signal de luttes longues et terribles, surtout de la part d'Henri IV d'Allemagne, homme impulsif, violent, qui écrasait ses sujets d'impôts et les épouvantait par ses cruautés ; il vendait les dignités ecclésiastiques à des ambitieux chargés de crimes. Les Saxons révoltés contre ce tyran en appelèrent au jugement du Pape. Mais Henri, ayant vaincu les Saxons, tourne ses efforts contre Grégoire dont les récents décrets l'exaspèrent. Par son ordre, un traître romain nommé Cenci, pénètre avec une escouade de soldats dans la basilique de Sainte-Marie Majeure pendant les offices de la nuit de Noël de l'an 1075. Les misérables s'élancent sur la personne sacrée du Pape, le renversent, le

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saisissent par les cheveux, et, au milieu des cris et des pleurs des fidèles, le traînent dans une

forteresse. Le peuple court aux armes et délivre le Pape. Grégoire VII pardonne au traître Cenci que la foule veut massacrer, et revient reprendre le cours des offices interrompus.

Ce complot déjoué, Henri assemble à Worms, en janvier 1076, un Concile de ses évêques indignes, leur fait excommunier le Pape qu'il appelle « une bête féroce et sanguinaire », et choisit un autre Souverain Pontife, Guibert de Ravenne. A la nouvelle d'un pareil attentat, Grégoire VII excommunie solennellement l'empereur d'Allemagne et déclare ses sujets déliés de leur serment de fidélité.

Ceux-ci, en effet, déclarent à Henri que, si avant un an il n'a fait sa paix avec le Pontife, ils choisiront un autre souverain. Le prince, se voyant abandonné, prit peur. Au milieu de l'hiver, il franchit les Alpes et vient trouver Grégoire VII alors réfugié dans sa forteresse de Canossa en Lombardie, dans les Etats de la pieuse comtesse Mathilde, héroïquement fidèle au Saint Siège. Il accepta volontairement trois jours de pénitence, se jette aux pieds du Pape le Pontife, ému, le relève et le rétablit dans la communion de l'Eglise (28 janvier 1077). Henri, en effet, promettait de tout réparer.Hélas ! ce n'était là qu'une hypocrisie nouvelle. Revenu au milieu de ses partisans lombards et traître à ses promesses, le souverain recommence la lutte avec fureur et cherche à s'emparer du Pape qui lui échappe à grand'peine. Alors les seigneurs allemands réunis à Forcheim-sur-Regnitz, dégagés par le Pape de leur serment de fidélité, décident de remplacer le prince traître à sa parole.

Ils choisissent pour roi Rodolphe, duc de Souabe. Le Pape blâme d'abord cette élection comme prématurée ; et, en effet, la guerre civile éclate entre les deux princes ; mais enfin, après avoir long-temps et inutilement essayé de fléchir Henri IV, Grégoire VII l'excommunie de nouveau en 1080, le déclare déchu de toute autorité et se rallie au parti de Rodolphe. Mais celui-ci ayant trouvé la mort dans une de ses victoires, Henri IV se hâte d'en profiter, et, durant trois années de suite, il vient assiéger Rome, intrépidement défendue par les catholiques fidèles. Enfin, après un quatrième siège en 1084, il se rend maître de presque toute la ville et se fait sacrer empereur par l'antipape Clément III.

Mort de saint Grégoire VII. - Son culte.

Seul, le château Saint-Ange tenait encore et servait d'abri à l'héroïque Grégoire VII, quand parut Robert Guiscard à la tête de ses 30 000 hommes ; il délivra le Pape, qui se réfugia dans ses Etats, à Salerne. C'est là qu'il mourut, le 25 mai 1085, à soixante-cinq ans, en prononçant ces mots : «  J'ai aimé la justice et j'ai haï l'iniquité, et c'est pour cela que je meurs en exil. » Il expira après avoir donné l'absolution à tous ceux qu'il avait excommuniés, à l'exception de l'empereur Henri IV et de l'antipape Guibert.

On peut dire que, malgré l'hostilité de certains, Grégoire VII jouit d'un culte qui est immémorial. La première trace de ce culte est dans le portrait nimbé qu'en fit faire soixante ans après sa mort le Pape Anastase IV dans la célèbre fresque de Saint-Nicolas du Latran. Grégoire VIII inséra son nom au Martyrologe romain, dans l'édition de 1584.

Cinq cents ans après sa mort, fut faite l' « invention » de son corps qui fut retrouvé presque entier et revêtu des ornements pontificaux. Le 28 août 1619, par la Constitution Domini nostri, Paul V concéda son office au clergé et au peuple de Salerne, et Clément XI, le 19 août 1719, l'accorda à tout l'Ordre bénédictin.

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Finalement, Benoît XIII, par décret du 28 septembre 1728, l'étendit à toute l'Eglise et en fixa la fête au 2 mai, sous le rite double. Encore Rome dut-elle lutter avec énergie au XVIIIe siècle contre les souverains de divers pays, les évêques plus régalistes que catholiques, les parlements, pour maintenir certaine leçon du Bréviaire où il est dit que saint Grégoire VII avait déposé l'empereur d'Allemagne et dégagé ses sujets de l'obligation de lui obéir : les gouvernements de l'époque, et même les régaliens du début du XIXe siècle, y voyaient une atteinte portée aux droits du pouvoir civil. La « leçon » a été fidèlement maintenue ; nul ne songerait à encourir de nouveau le ridicule de vouloir effacer ce passage du livre de l'Office divin et déchirer cette page de l'histoire ecclésiastique.

Maxime Viallet.

Sources consultées. – P. Moncelle, Saint Grégoire VII, dans Dictionnaire de théologie catholique, de Vacant et Mangenot (Paris, 1920). – Augustin Fliche, Etudes sur la polémique religieuse à l’époque de Grégoire VII (Paris et Poitiers). – Histoire d’une légende du Bréviaire romain, dans Annuaire pontifical catholique (Paris, 1903). – (V.S.B.P., n° 327 et 1107).

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PAROLES DES SAINTS

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La grâce.

Il est bon, et fort accepté de Dieu, qu'avec la ferveur de la grâce divine tu pries, et veilles, et travailles et fasses autres bonnes œuvres. Et cependant, mon fils, il est absolument très agréable à Dieu et très accepté de lui, si en soustraction de la grâce ou quand te serait soustraite la grâce, tu ne pries pas moins, ne veilles pas moins, et ne fasses pas moins autres bonnes œuvres. Fais sans la grâce ces mêmes choses que tu fais avec la grâce.

Bienheureuse Angèle de Foligno.

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SAINT PHILIPPE NERIFondateur de l'Oratoire de Rome (1515-1595).

Fête le 26 mai.

La gloire de saint Philippe Néri est celle de tous les grands réformateurs, qui, venus à leur heure, s'attachèrent à bien comprendre leur époque pour remédier à ses défaillances. Or, la vie de ce grand Saint embrasse presque tout le XVIe siècle, et ce siècle est l'un des plus brillants et en même temps l'un des plus troublés de l'âge nouveau qui succède au moyen âge. C'est l'époque de la Renaissance et aussi de la prétendue Réforme.

C'est dire quelle influence saint Philippe fut à même d'exercer sur ce temps de fortes croyances, mais aussi de grandes passions.

L'enfance.

Philippe naquit à Florence, « La ville des fleurs » le 21 juillet 1515, d'un avocat renommé, François Néri, et de Lucrèce Soldi. Il reçut le baptême dans l'église Saint-Jean, et dut passer sous les portes de bronze du célèbre, Baptistère, portes qui, d'après Michel-Ange, sont dignes du paradis, et sous cet admirable clocher dont les Italiens disent :

« Beau comme le Campanile ». Le caractère de l'enfant était d'une extrême suavité, et c'est cette amabilité exquise qui fera toute sa vie l'attirance de son apostolat. Il ne fut bientôt connu dans tout Florence que sous le nom de Pippo Buono (le bon petit Philippe). Sa dévotion, qui était, grande, n'avait rien de morose et s'alliait à une délicieuse vivacité enfantine, non dépourvue d'espièglerie.

La jeunesse. - A Rome.

A la fin de ses études, Philippe, âgé de dix-huit ans, se rendit à San Germano auprès d'un oncle, riche marchand qui rêvait de faire de lui l'héritier de son commerce et de sa fortune. Mais le neveu, qui était loin d'avoir le sens pratique des affaires qu'eut souhaité son parent, dut briser avec ce dernier après deux ans. Libre enfin de suivre son attrait qui le poussait vers Jésus-Christ, à la fin de 1534 il se rendit à Rome sans argent, sans recommandation, et d'ailleurs sans un but bien précis. La première maison vers laquelle il dirigea ses pas fut celle d'un gentilhomme florentin, nommé Galeotto Caccia, qui l'accueillit avec bonté, lui céda une chambrette dans sa demeure, puis, séduit par les bonnes manières et la vertu parfaite de son pensionnaire, lui confia finalement l'éducation de ses deux fils. Entre temps, Philippe consacrait ses loisirs à l'étude de la philosophie et de la théologie ; il s'exerçait même à la poésie latine et à la poésie italienne : sur la fin de sa vie, il devait jeter au feu, les vers qu'il

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avait composés.

On le voit, c'était un esprit très cultivé ; mais il avait surtout le sens du divin. Ceux qui l'approchaient restaient tout émerveillés de lui entendre traiter avec profondeur, exactitude et sur-le-champ, les matières les plus difficiles. Mais c'est surtout à la science des Saints que le jeune Florentin s'appliqua ; il ne l'acquit pas sans combat. Le démon l'assaillit à cette époque par de violentes tentations d'impureté, et, pour mieux frapper son imagination, lui apparut plusieurs fois sous des formes horribles. Philippe dédaigna ces menaces qui, loin d'abattre son courage, ne firent qu'augmenter son ardeur.

II s'adonnait à la contemplation des choses divines ; souvent il y persévérait quarante heures de suite. Dans ces moments, l’amour divin enflammait tellement son cœur qu'il était contraint de se jeter par terre, d'entr'ouvrir ses vêtements et de découvrir sa poitrine pour tempérer les ardeurs qui le consumaient. Dormant peu, couché sur la dure, il prenait presque chaque jour la discipline avec des chaînes de fer. I1 visitait chaque nuit les sept principales églises de Rome et il se retirait dans le cimetière de Saint-Calixte, On dit que, pendant dix ans, il passa ses nuits dans les Catacombes. Quand il trouvait les églises fermées, il faisait sa station sous les portiques ; les passants l'y virent plus d'une fois qui lisait à la lueur de la lune, son amour de la pauvreté le faisant renoncer à l'emploi d'une lampe. Dans ces pèlerinages nocturnes, il s'unissait à Dieu ! par l'oraison et Dieu l'inondait de tant de délices qu'il s'écriait souvent : « C'est assez, Seigneur, c'est assez ! Arrêtez, Seigneur, arrêtez, je vous en prie, les flots de votre grâce ! »

Le jour ale; la Pentecôte 1545, comme il suppliait le Saint-Esprit de vouloir bien lui accorder ses dons, il sentit son cœur s'embraser, et, ne pouvant supporter l'excès de cet embrasement, il se jeta par terre. Quand il se releva, il porta sa main à sa poitrine : elle s'était soulevée d'un poing au-dessus du cœur. A sa mort (1595), les médecins ouvrirent son côté et découvrirent que les deux fausses côtes situées au-dessus du cœur, la quatrième et la cinquième, étaient complètement rompues ; les deux extrémités en étaient trop distantes l'une de l'autre pour avoir pu se recoller dans l'espace de cinquante ans. Quant à son cœur, il dépassait les dimensions habituelles et l'aorte était deux fois plus grosse que la normale.

Saint Philippe, apôtre laïque.

Depuis cette bienheureuse fête de la Pentecôte, Philippe devint un véritable apôtre, il ne faisait guère diversion à ses exercices spirituels que pour visiter les hôpitaux, soigner les malades. Peu à peu, il s'adjoignit comme auxiliaires dans ce ministère des prêtres et des laïques de toutes les classes sociales. Réalisant avant la lettre l'esprit des Conférences de Saint-Vincent de Paul, il subvenait discrètement à toutes les misères, et surtout prenait un grand soin des pauvres cachés.

Une nuit, comme il allait, selon sa coutume, porter quelque provision de vivres, il rencontra un carrosse sur son chemin, et, voulant lui faire place, il tomba dans une fosse assez profonde. Mais un ange veillait sur lui ; il maintint Philippe miraculeusement en l'air et le retira de la fosse sans aucun mal. Cette charité pour le prochain porta le serviteur de Dieu ainsi qu'un saint prêtre, son confesseur, nommé Persian Rosa, à fonder un asile pour les pèlerins convalescents.

Le jour de saint Roch, 16 dont 1548, Philippe réunit quelques laïques dévoués à l'église Saint-Sauveur in Campo. Cette confrérie, sous l'impulsion de Philippe Néri, entreprit, à l'occasion du Jubilé de 1550, de servir les pauvres pèlerins. L'œuvre prit de rapides développements ; elle acquit d'abord une petite maison, puis une plus grande. On ne se borna pas à donner l'hospitalité aux pauvres étrangers, mais on accueillit les convalescents qui, sortant des hôpitaux, n'avaient ni retraite ni nourriture convenable pour se rétablir tout à fait. Enfin, on construisit le magnifique hôpital de la Sainte-Trinité, qui, lors du Jubilé de1600, devait nourrir pendant trois jours plus de quatre cent mille

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pèlerins.

Cependant, Philippe formait de nombreux disciples, parmi lesquels il faut remarquer Henri Pietra, destiné à être l'un des piliers de la Congrégation des Clercs de la Doctrine chrétienne, et plusieurs riches commerçantes qui entrèrent plus tard dans la Congrégation de l'Oratoire.

Son apostolat auprès des jeunes gens.

Une des formes les plus intéressantes de l'apostolat de Philippe fut le ministère bénévole qu'il exerça toute sa vie près des jeunes gens. Il avait tant d'ascendant sur eux, grâce à la séduction de ses manières, à son enjouement, à sa familiarité même, qu'on le voyait dans les rues de Rome, toujours entouré d'un cortège de jeunes gens, causant avec eux de leur métier, s'intéressant à leur famille et à leurs études. A ce titre, on pourrait le considérer comme le modèle des directeurs de patronage. Il les conduisait aux environs de Rome, dans une plaine ou une villa, et il les y faisait jouer à divers jeux de course et d'adresse. Nul ne fut plus « moderne », comme nous dirions aujourd'hui. « Soyez gais, disait-il aux enfants, et n'ayez là-dessus aucun scrupule ! »

La fondation de l'Oratoire.

Le simple laïque qui opérait tant de merveilles dut enfin céder aux instances de ses amis : Philippe embrassa l'état ecclésiastique, et, au mois de juin 1551, sur l'ordre de son confesseur, il recevait, la prêtrise. Il se retire dans une communauté alors existante, celle des Prêtres de Saint-Jérôme, qui jouit d'une grande réputation de vertu, et à laquelle appartient son confesseur, Persian Rosa.

Le nouveau prêtre apprécie justement les statuts de cette petite communauté qui laissent une grande liberté d'action à chacun de ses membres. Ceux-ci doivent vivre en communauté, avoir table commune, mais ils ne s'engagent à aucun vœu. La forme de gouvernement de la Société est républicaine ; le supérieur, qui en est le premier, simplement en honneur, est pour le reste, l'égal de tous ses confrères ; il doit remplir toutes les fonctions de son ministère comme prédicateur, confesseur, suivant un roulement établi par ordre d'ancienneté ; eût-il quatre-vingts ans, il n'est pas exempt de servir à table, car la communauté n'a pas de Frères lais, spécialement affectés au service, mais tous les Pères en sont chargés à leur tour. Telle est la maison qui retient les préférences du nouveau prêtre. Elle serra le berceau de l' « Oratoire », association de prêtres destinée à devenir illustre, et ainsi nommée par Philippe Néri, pour bien marquer que la sanctification de chacun de ses membres devrait être basée sur l'oraison.

Philippe rêva longtemps de missions lointaines en Extrême-Orient mais ayant consulté un saint religieux de l'Ordre de Cîteaux, nommé Augustin Ghattino, il reçut de lui cette réponse : « Philippe ne doit chercher les Indes qu'à Rome, et c'est là que Dieu le destine, lui et ses fils, à sauver les âmes. » Voilà donc Rome devenue désormais le théâtre de son apostolat ; Rome, dont il deviendra un jour le patron officiel et combien Populaire !

Il fit un bien immense au tribunal de la Pénitence. Comme plus tard le saint Curé d'Ars, il restait des journées entières au confessionnal : « Quand je serais, disait-il, aux portes du paradis, si j'apprenais qu'un seul pécheur eût besoin de mon ministère, je laisserais là, la cour céleste, et je redescendrais sur terre pour l'entendre. » Très doux pour les incroyants, très indulgent pour les hérétiques et tous les dissidents de bonne foi, il en ramena un grand nombre à Dieu, particulièrement parmi les Juifs.

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L'accent de sa parole était sincère, loyal et profondément religieux ; tout adversaire digne d'être entendu trouvait audience près de lui ; toute objection de bonne foi était discutée. Il introduisait si bien les âmes dans le secret divin que sa parole était à la fois un plaidoyer et un témoignage.

C'est pour la conversion des pécheurs qu'il entreprit les « conférences spirituelles. » Il donna les premières dans sa chambre, devant six ou sept personnes ; l'auditoire grandissant, il fut obligé de demander un local plus grand. On lui donna, au-dessus de l'église Saint-Jérôme, une salle assez vaste qui fut transformée en « oratoire », et c'est de là que sortit bientôt la nouvelle Congrégation des Prêtres de l'Oratoire ; elle fut approuvée par le Pape Grégoire XIII, le 15 juillet 1575 ; Paul V en approuva les constitutions, le 24 février 1612. Le nombre des assistants augmentant tous les jours, Philippe s'associa quelques-uns de ses fils spirituels pour l'aider dans ses conférences. Un de ses premiers coopérateurs fut le grand annaliste religieux et futur cardinal César de Baron, né en 1538, à Sora, dans la « Terre de Labour », et plus connu sous le nom latin de Baronius.

Épreuves.

Cependant, tant de succès lui suscita bien des difficultés. Il n'est pas de brimade qui ne lui fût infligée. Tantôt, alors qu'il se préparait à dire sa messe, on lui dérobait le Missel ou les ornements, ou bien il trouvait la porte de la sacristie fermée, tantôt des personnages oisifs le couvraient de plaisanteries grossières. La calomnie, l'équivoque, les propos tendancieux n'épargnèrent point sa vertu. Le cardinal vicaire lui-même, circonvenu par des envieux, fit appeler Philippe, et, après lui avoir fort reproché ses pèlerinages, lui interdit le confessionnal pendant quinze jours. « C'est pour la gloire de Dieu que j'ai commencé ces exercices, répondit humblement le serviteur de Dieu ; pour la gloire de Dieu, je les cesserai. » Mais cette dernière épreuve ne devait pas être d'une très longue durée. En effet, le cardinal vicaire étant mort subitement avant d'avoir levé l'interdit, le Pape Paul IV, appelé à juger la cause, donna au saint prêtre l'ordre de reprendre ses exercices et sollicita le concours de ses prières. Dans ces pénibles circonstances, Philippe ne perdit jamais le sourire ni la patience ; la persécution s'éteignit d'elle-même, et elle ne servit qu'à fortifier son œuvre.

« Chiesa Nuova ». – Baronius.

Le succès ne se ralentit plus. Pour faciliter à un plus grand nombre la pratique des exercices, le fondateur et ses compagnons jugèrent à propos d'avoir une maison qui leur appartînt pour y remplir leur ministère avec plus de liberté. Sur le conseil du Pape Grégoire XIII, ils prirent l'église Sainte-Marie in Vallicella. C'est là que s'établit définitivement en 1575 la Congrégation des Prêtres de l'Oratoire.

Philippe trouvant l'église trop petite pour le bien qu'il rêvait, eut l'audace de la faire abattre et il entreprit de la reconstruire bien que les ressources lui fissent défaut. La Providence et la Sainte Vierge y pourvurent ; saint Charles Borromée fut l'un des premiers bienfaiteurs du nouveau sanctuaire, qu'on appelle couramment Chiesa Nuova (l'église neuve). L'office divin y fut célébré pour la première fois le 3 février 1577. Trois mois plus tard, le 8 mai, Philippe Néri fut élu supérieur du nouvel institut ; toutefois, il devait attendre jusqu'à la fin de 1583 pour venir habiter à Sainte-Marie inVallicella.

Le genre de vie était exactement celui que nous avons vu chez les Prêtres de Saint-Jérôme ; la même simplicité y régnait. C'est ainsi que Baronius, dont toute l'Europe catholique , connaît et étudie les ouvrages, avait pris possession de la cuisine, et il avait écrit sur la cheminée en gros caractères : Baronius, cuisinier perpétuel.

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Quand les grands seigneurs et les savants venaient le consulter sur une difficulté, ils le trouvaient avec un tablier, et ils devaient attendre, avant d'obtenir une réponse, que leur maître eût récuré les chaudrons. Dieu réservait l'Institut naissant pour de plus grandes luttes, et Baronius, le « cuisinier perpétuel », allait être obligé de quitter ses fourneaux et d'entreprendre, sur l'ordre de son Père spirituel, l'œuvre qui a immortalisé son nom. A ce moment, l'hérésie de Luther couvrait de ruines toute une partie de l'Europe. Les docteurs protestants s'appliquaient à dénaturer la tradition immémoriale de l'Eglise qui les condamnait, et, dans ce dessein, ils avaient entrepris une série d'ouvrages vraiment indigestes. Les principaux chefs du luthéranisme avaient commencé dans les Centuries de Magdebourg cette campagne contre le dogme que les historiens protestants ou révolu- tionnaires ont continuée jusqu'à nos jour, et dont le dernier mot a été la négation historique du Christ.

Comme on faisait tous les jours des conférences à l'Oratoire, Philippe décida qu'un de ceux qui s'y employaient reprendrait toute l'histoire de l'Eglise, depuis Jésus-Christ jusqu'au temps actuel, résumant les actes des martyrs, les vies des Saints, les écrits des Pères, la succession des Pontifes, les ordonnances des Conciles, année par année, afin de dissiper les fables de Magdebourg. Il exhorta Baronius à se charger de ce travail, mais le modeste Oratorien, reculant devant l'immensité de la tâche, hésitait encore. On ne manquait pas, disait-il, d'hommes plus savants et plus capables, et du reste, Onuphre Panvinio l'avait prévenu en commençant une Histoire de l’Eglise. Philippe fut inflexible. « Faites ce qui vous est ordonné, répliqua-t-il, laissez le reste. L'ouvrage vous paraît-il difficile ? Espérez en Dieu, et lui-même le fera. »

C'est ainsi que nous possédons les célèbres Annales ecclésiastiques.

Miracles et extases.

Les historiens et les huiles de canonisation racontent plusieurs faits merveilleux dans la vie de Philippe Néri. Nous ne ferons qu'évoquer la résurrection du jeune prince Paul Massimo, rappelé sur cette terre juste le temps nécessaire pour se confesser, le 16 mars 1583. La chambre du miracle, au palais Massimo, a été transformée en une somptueuse chapelle. De nombreux témoins, parmi lesquels le cardinal Sfondrato, ami du Pape Paul V, virent plusieurs fois le serviteur de Dieu en extase, les genoux élevés au-dessus de terre. En présence de faits de ce genre, il est intéressant de se rappeler les directions que le Fondateur de l'Oratoire donnait aux confesseurs, lorsqu'il leur recommandait de ne pas croire trop légèrement aux révélations ou extases que prétendent avoir leurs pénitents, surtout à celles que racontent les femmes. Et faisant allusion à lui-même et aux extases qu'il appelait « ses folies », marquant ainsi combien elles étaient réelles et parfois pénibles à la mature : « Quiconque, s'écriait-il, cherche les extases et les visions, ne sait pas ce qu'il cherche ! » « J'ai eu, disait-il encore, une pénitente qui fut favorisée longtemps d'extases. Quand croyez-vous qu'elle me parut la plus admirable ? C'est lorsque je l'ai vue rentrer dans la voie commune. »

Dernières années et mort de saint Philippe.

Après avoir connu l'épreuve, Philippe était devenu l'objet de la vénération universelle. Plusieurs fois, on lui offrit des dignités ecclésiastiques, mais ce fut en vain, et les Papes Grégoire XIV et Clément VIII ne purent lui faire accepter le chapeau de cardinal.

Accablé par les fatigues de son ministère, Philippe, arrivé à un âge très avancé, apprit par révélation qu'il allait mourir. En 1593, il donna sa démission de prieur et fit élire Baronius à sa place.

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Cependant l'heure fixée pour sa mort approchait. Le jour de la Fête-Dieu de 1595, qui tombait cette année-là le 25 mai, le serviteur de Dieu passa la matinée à confesser ses enfants, recommandant aux uns la fréquentation des sacrements, aux autres la dévotion envers la Très Sainte Vierge, comme moyen certain de salut ; aux autres la lecture de la vie des Saints, quand tout à coup il fut pris d'un vomissement de sang; En vain s'empressa-t-on auprès de lui ; tous les remèdes furent inutiles, et Philippe, voyant sa mort approcher, fit venir tous ses compagnons.

Baronius, alors Prieur général de l'Oratoire, s'approcha du lit. « Père, s'écria-t-il, vous nous quittez sans une parole ; du moins, bénissez-nous ! » A ces mots, Philippe Néri ouvrit les yeux, les tourna vers le ciel, puis, sans autre mouvement, les abaissa sur tous ses fils agenouillés, et sans avoir fait d'autre geste il expira dans la nuit du 25 au 26 mai. Les miracles qui avaient commencé pendant sa vie continuèrent après sa mort. Après sept ans, son corps fut retrouvé intact.

Le 2 août 1595, c'est-à-dire au bout de deux ans seulement, avait commencé l'instruction du procès de canonisation ; il fut achevé le 21 septembre 1605. Le 15 mai 1615, Philippe Néri fut rangé, par le Pape Paul V, au nombre des Bienheureux. Enfin, le 12 mars 1622, sous Grégoire XV, il reçut les honneurs de la canonisation en même temps que quatre autres Bienheureux, dont trois avaient, comme saint Philippe, vécu au XVIe siècle ; saint ignace de Loyola, saint François Xavier et sainte Thérèse d'Avila.

Sa statue, œuvre de J-B. Maini, a pris place en la basilique vaticane, parmi celles des fondateurs d'Ordres. Son corps repose en l'église Sainte-Marie in Vallicella. Lors de la dernière reconnaissance qui eut lieu seize ans après la canonisation, il fut enfermé dans une lourde caisse de fer scellée. Ces reliques devaient être reconnues et déposées solennellement dans un nouveau reliquaire le 6 mars 1922, à l'occasion du troisième centenaire de la canonisation du Saint. Le 12 mars, la châsse fut portée dans les rues de Rome d'une manière triomphale.

Sur le modèle de l'Oratoire de Rome, le cardinal de Bérulle institua à Paris, en 1611, une Congrégation française, qui a été reconstituée en 1852 ; une autre Congrégation de l'Oratoire, celle-ci dite d'Angleterre, a été fondée à Rome en 1847 par le futur cardinal Newman.

A.Poirson.

Sources consultées. – F.T. de Belloc, La fondation de l'Oratoire, saint Philippe de Néri (Sienne, 1895). – Ernest Hello, Physionomies de Saints (Paris). – Vie de saint Philippe de Néri, traduite des Bollandistes (Paris). – Louis Ponnelle et Louis Bordet, Saint Philippe Néri (Paris, 1928). – (V.S.B.P., n° 16 et17.)

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SAINT BÈDE LE VÉNÉRABLE

Moine bénédictin, Père et Docteur de l'Église (673-735)

Fête le 27 mai.

Il n'y avait pas encore un siècle que saint Augustin de Cantorbéry, envoyé par saint Grégoire le Grand, était venu de Rome jeter sur la terre de la Grande-Bretagne la semence de la parole évan-gélique, et déjà une abondante moisson de Saints avait mûri. De cette phalange se détache une figure qui résume toute cette époque d'efflorescence chrétienne, c'est Bède le Vénérable, le premier parmi les rejetons des races barbares qui ait conquis une place dans les rangs des Docteurs de l'Eglise.

Il naquit en 673, dans un obscur village voisin de Jarrow, dans le comté de Durham.Orphelin, il fut, dès l'âge de sept ans, présenté par ses proches au saint et savant abbé Benoît

Biscop qui venait de fonder (en 674) l'abbaye bénédictine de Saint-Pierre à Wearmouth, et il prit place parmi les jeunes enfants que la piété de cette époque offrait aux abbayes, afin d'y recevoir l'instruction première qui leur permettrait plus tard de suivre dans le siècle ou dans le cloître leur véritable vocation.

Son instruction.

Bède, dont le nom anglo-saxon signifie « Prière », à peine entré au monastère de Wearmouth parut un modèle pour tous ses compagnons d'âge.

En 682, la ruche monastique, trop pleine pour suffire aux nouveaux arrivants, envoya l'abbé Céolfrid avec un groupe de religieux fonder l'abbaye de Saint-Paul, à Jarrow. Bède était de ce nombre. Dans la contrée marécageuse qu'ils devaient transformer par leurs travaux, ces moines eurent le sort de presque tous les premiers colons. La peste en enleva dix-huit : il ne resta pour l'office canonial que l’abbé Céolfrid et le jeune Bède. Le cœur plein de tristesse, Céolfrid continua avec lui la psalmodie sacrée, mais sans le chant des antiennes. Il en fut ainsi pendant toute une semaine. Après ces huit jours, Céolfrid et l'enfant se remirent, non sans grande fatigue, à chanter l'office intégralement , ils continuèrent de la sorte, aidés par les fidèles du voisinage, jusqu'à ce que d'autres religieux fussent venus repeupler le cloître désert.

Les règles du chant grégorien avaient été apportées en Angleterre par un disciple de saint Grégoire, Jean, chantre de Saint-Pierre du Vatican, légat apostolique. A la prière de Benoît Biscop, le légat vint à Jarrow où il développa dans un cours public l'ordre de la liturgie, telle qu'elle se pratiquait à Rome, les rites prescrits pour les cérémonies, les règles du chant et de la psalmodie.

Sous la direction de cet illustre maître, le jeune élève se passionna pour les mélodies grégoriennes, pour les magnificences de la liturgie sacrée.

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Sa vive intelligence était d'ailleurs ouverte à toutes les études sérieuses. Il apprit l'Écriture Sainte aux leçons d'un moine, Thumbert, dont il écrivit plus tard le nom avec une reconnaissance filiale dans son Histoire des Anglais. Le grec, la poésie, les sciences exactes lui furent aussi enseignés.

Mais la pensée de Dieu présidait à tous les travaux du pieux étudiant, et lui-même nous a rapporté la prière qu'il faisait après l'étude, et par laquelle il termine l'énumération de ses œuvres.

O bon Jésus, qui avez daigné m'abreuver des ondes suaves de la science, accordez-moi surtout d'atteindre jusqu'à vous, qui êtes la source de toute sagesse, et de ne perdre jamais de vue votre divine présence.

Son ordination.

A dix-neuf ans, Bède avait parcouru le cycle entier de la science sacrée et profane : la piété s'était accrue dans son âme en proportion du savoir. Par une glorieuse exception il fut ordonné diacre en 691, par l'évêque d'Exham, saint Jean de Beverley, sous la juridiction duquel l'abbaye de Jarrow était placée. A trente ans, en 702, il reçut du même pontife l'ordination sacerdotale, et à partir de ce jour jusqu'à sa mort, ce fut lui qui chaque matin chanta au chœur la messe conventuelle.

Le maître.

D'élève il passa maître, et bientôt six cents disciples de la double communauté de Jarrow et de wearmouth, sans compter ceux qui accouraient en foule de différents points de l'Angleterre près de l'illustre docteur, assistaient chaque jour à ses leçons.

Ma vie s'est écoulée tout entière, disait-il plus tard, dans l'enceinte de ce monastère. En dehors de la méditation des Saintes Écritures, des observances de la discipline régulière, du chant de la messe quotidienne au chœur, je n'ai rien connu de plus doux que d'apprendre sans cesse, d'étudier et d'écrire.

Pour avoir une idée de ce que fut son enseignement, il suffirait d'énumérer les traités composés par lui sur toutes les branches de l'instruction, depuis les règles de l'orthographe jusqu'aux notions les plus élevées de la littérature et de la science. Il se faisait tout à tous, distribuant à la fois le lait de la doctrine aux enfants et le pain substantiel de la science aux intelligences plus élevées. Bède fut le véritable « pédagogue » non seulement de l'Angleterre qui entendit sa voix, mais de la Germanie qui en reçut l'écho par saint Boniface, et de la France elle-même, où Alcuin (735-804) vulgarisa son enseignement à l'École palatine de Charlemagne.

Œuvres littéraires et scientifiques.

Trois ans avant sa mort, Bède dressa une liste de ses ouvrages ; ils sont au nombre de quarante-cinq et on y voit mentionnés deux recueils de poésies, un livre d'hymnes et un livre d'épigrammes. Ces œuvres poétiques sont presque entièrement perdues. Ses ouvrages scientifiques et littéraires comprennent un traité d'orthographe, un autre de poétique, un petit livre de rhétorique qui abonde d'exemples cités de la Bible et révèle les beautés littéraires des psaumes, un traité de la nature des choses, qui est un précis des connaissances de l'époque sur l'astronomie, la cosmographie, la géo- graphie ; on y remarque que Bède déclare déjà que la terre est ronde. Tous ces ouvrages sont comme des manuels à l'usage de ses élèves. Il faut y ajouter, les travaux chronologiques qui sont d'une très

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grande valeur.

Le Docteur.

A peine âgé de trente ans, ce « docteur » plus facile à admirer qu'à louer dignement », comme le dit son historien, avait achevé son encyclopédie littéraire et scientifique. Il entreprit alors un gigantesque travail d'exégèse patristique où il résuma tout ce que les Pères les plus accrédités d'Orient et d'Occident avaient écrit sur les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Un parfum de poésie et de simplicité s'exhale de tous ses écrits spirituels. Sa doctrine est celle de saint Augustin, celle de l'Eglise il avait une prédilection pour le grand docteur d'Hippone.

Ses homélies, dont il ne reste que quarante-neuf, et qui étaient destinées aux religieux de Jarrow, se répandirent dans tous les autres cloîtres bénédictins et notamment au Mont-Cassin. La liturgie en a pris une vingtaine d'extraits pour les offices du Bréviaire romain. Huit siècles avant la Réforme, en répondant aux erreurs de son temps, il fournissait contre elle des arguments.

On voit qu'il pensait, comme l'Eglise romaine, sur tous les points controversés entre les catholiques et les protestants, tels que la prière pour les morts, l'invocation des saints, la vénération des reliques et des images, etc. Il attribue même des miracles à ces pratiques. Il montre que les images ne sont point proscrites par le Décalogue, et que Dieu défendit seulement les idoles, puisqu'il ordonna d'élever le serpent d'airain, etc.

Dans une de ses homélies, il traite tout particulièrement de la prière pour les morts.

L'historien.

En 731, il achevait la grande œuvre qui lui vaut encore aujourd'hui l'admiration et la reconnaissance du monde savant, et qui est la grande mine exploitée par une foule d'historiens et d'hagiographes du moyen âge, Histoire ecclésiastique de la Nation des Anglais. Ce livre immortel, qui fait de lui le « père de l'histoire anglaise », couronna sa prodigieuse carrière. Bède fut pour la Grande-Bretagne ce que saint Grégoire de Tours avait été pour les Francs, l'annaliste national.

II n'avait entrepris cet ouvrage que sur les instances du pieux et savant roi des Northumbriens, Céolwulf, à qui s'était joint Albin, premier abbé anglo-saxon du monastère de Saint-Augustin à Can-torbéry. L'humble auteur dédia son ouvrage au prince en ces termes : « Au très glorieux roi Céolwulf, Bède, serviteur et prêtre du Christ. » Il écrivait aussi à Albin avec une humilité charmante :

Révérendissime Père, vous que je puis appeler mon bien-aimé dans le Seigneur, souvenez-vous, je vous en supplie, de ma fragilité, vous et tous les serviteurs du Christ qui vivent avec vous. Faites prier pour moi tous ceux à qui vous communiquerez ce modeste opuscule.

Cette Histoire ecclésiastique, qui se partage en cinq livres, commence par une vie de saint Cuthbert, évêque de Lindisfarne, mort en 687, dans laquelle abondent des détails curieux faisant connaître les mœurs de cette époque. Puis, partant des premières relations des Bretons et des Romains, le récit se déroule jusqu'à l'année 731, enchâssant les affaires de l'Eglise, les affaires civiles, les traditions religieuses et tous les autres événements dans une seule narration. La biographie des cinq premiers abbés de Wearmouth et de Jarrow, que Bède a tous connus, termine l'ouvrage. Bède a encore écrit une Vie de saint Félix de Nole, une Vie et Passion de saint Anastase, aujourd'hui perdue, et un célèbre Martyrologe qui, à côté des noms des Saints, contient 114 notices historiques.

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Dans son Martyrologe, ses sommaires historiques et ses biographies de Saints, dit Montalembert, il ajoutait la démonstration du gouvernement de Dieu par les faits et les hommes, à l'exposition théorique des enseignements de la foi. Il prouve aussi que la conversion de l'Angleterre est l'œuvre exclusive des Papes et que l'Eglise seule possède le secret de la véritable civilisation.

Sa correspondance et son cœur.

Les seize lettres qui nous restent de la Correspondance de Bède nous révèlent son cœur. Cette âme qui se trahit à travers ses écrits est une âme sainte. Les sentiments affectueux et les tendresses de l'intimité s'unissent tout naturellement chez lui à cette soif de la science, à cet amour impérieux de l'étude, à cette ardeur du travail, à la pratique des vertus et à ce noble souci des choses divines et célestes qui font de lui le type accompli du moine.

On cite, spécialement, une lettre qu'il écrivit en 734, peu de temps avant sa mort, à son disciple Egbert nouvellement élu évêque d’York. C’est une sorte de traité du gouvernement spirituel et temporel de la Northumbrie. Cette lettre, qui est comme le testament spirituel du grand Docteur, jette une vive lumière sur l’Etat de l’Eglise anglo-saxonne.

Saint Bède 1e Vénérable devenu aveugle continue

d'enseigner et de prêcher..

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Bède commence par exhorter son élève à méditer est étudier l'Ecriture Sainte pour y trouver les consolations dont parle saint Paul. Puis il lui rappelle les devoirs d'un évêque :

Souvenez-vous que la partie la plus essentielle de votre devoir est de mettre partout des prêtres éclairés et vertueux, de vous appliquer avec un zèle infatigable à nourrir vous-même votre troupeau ; de faire en sorte que le vice disparaisse ; de travailler à la conversion des pécheurs ; d'avoir soin que tous les diocésains sachent l'Oraison dominicale et le Symbole des apôtres et qu'ils soient parfaitement instruits des différents articles de 1a religion.

Il insiste ensuite sur la communion fréquente des fidèles :

Elle est en usage, dit-il, dans toute l'Eglise du Christ, en Italie, dans les Gaules, en Afrique, en Orient. Chez nous cet acte de religion, le plus important de tous, le plus nécessaire à la sanctification des âmes, est presque inconnu des laïques. Beaucoup de fidèles se contentent de communier deux ou trois fois par an, quand ils pourraient, avec un peu de préparation, s'approcher des célestes mystères au moins tous les dimanches et toutes les fêtes d'apôtres et de martyrs.

Parmi ses autres lettres, l'une est un opuscule scientifique sur les équinoxes ; une autre traite de la célébration de Pâques ; sept adressées à son ami saint Acca, exposent des questions exégétiques ; dans une autre, il remercie l'abbé de Cantorbéry, Albin, de son appui dans la composition de l'Histoire ecclésiastique.

Cette vie limpide et glorieuse ne fut pas cependant sans nuage. Comme tous les hommes de vertu, il s'attira l'hostilité de quelques esprits étroits. On alla même jusqu'à le traiter d'hérétique parce que dans sa chronologie il avait combattu l'opinion, alors répandue, que le monde ne devait durer que six mille ans. Cette accusation d'hérésie fit tant de bruit qu'il en était question jusque dans les chansons grotesques des paysans. Bède en fut fort affligé. Pour se justifier, il composa une véritable apologie adressée à un moine sous forme de lettre et dans laquelle il s'élevait contre la manie de déterminer la fin du monde. Cet écrit bientôt répandu dans toute l'Angleterre mit fin à la calomnie.

Par contre, à ses nombreux amis, Bède ne cesse de demander de prier pour lui. Cette pieuse anxiété pour assurer à son âme le secours de la prière après sa mort se retrouve à chaque instant dans ses lettres ; elle achève d'imprimer le cachet de l'humble et vrai chrétien à ce grand savant, dont la vie fut si bien remplie. Certains historiens ont dit qu'il était devenu aveugle à la fin de sa vie, ce qui ne l'empêchait ni d'enseigner ni de prêcher.

Derniers jours du maître.

Ses derniers moments ont été décrits jusque dans les moindres détails par un témoin oculaire, un disciple fidèle, Cuthbert, qui fut plus tard abbé de Jarrow et dont les larmes ont dû couvrir plus d'une fois le parchemin sur lequel il retraçait cette scène.

Vous désirez de moi écrit-il, que je vous dise comment Bède notre Père et notre Maître, le bien-aimé de Dieu est sorti de ce monde. C’est une consolation pour ma douleur, en même temps qu’une peine de plus, d’avoir à vous l’écrire. Deux semaines environ avant Pâques [17 avril 735], il fut pris d'une difficulté de respirer, mais sans éprouver une grande douleur. Il vécut ainsi jusqu'à la fête de l'Ascension [qui était le 26 mai], toujours joyeux et gai, rendant grâces à Dieu.

Tous les jours, selon sa coutume, il nous donnait ses leçons, il employait le reste de sa journée à chanter des psaumes ; et toutes les nuits, après un court sommeil, il les passait, sans fermer les yeux, dans les actions de grâces. Dès son réveil il se remettait à prier les bras en croix. Il chantait tantôt les textes de saint Paul, et plusieurs autres passages de l'Écriture, tantôt des vers qu'il avait composés en

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notre langue, et aussi des antiennes.

Ici le narrateur s'interrompt pour citer dix vers anglais recueillis sur les lèvres du mourant.D'autres fois nous lisions, mais les larmes interrompaient la lecture ; et nous ne lisions jamais

sans pleurer. Les quarante jours de Pâques à l'Ascension s'écoulèrent ainsi. Il disait avec saint Paul :

« Le Seigneur flagelle le fils qu'il va recevoir. » On lui entendait dire aussi ces paroles de saint Ambroise : « je n'ai point vécu de manière à rougir de vivre parmi vous, et je ne crains point, de mourir parce que, nous avons un Dieu qui est la bonté par essence. »

Pendant ces jours, et en sus des leçons qu'il nous donnait, il entreprit deux ouvrages, une tra- duction de l’Evangile selon saint Jean, en notre langue, et quelques extraits d'Isidore de Séville. Car, disait-il, « je ne veux pas que mes disciples lisent des mensonges, et qu'après ma mort ils se livrent à des travaux inutiles ».

Le mardi avant l'Ascension, il se sentit une difficulté de respirer plus grande qu'à l'ordinaire. On remarqua un peu d'enflure à ses pieds. Il continua néanmoins de dicter gaiement et quelquefois il ajoutait : «  Hâtez-vous, car je ne sais combien de temps je resterai avec vous, ni si mon Créateur ne m'appellera pas bientôt. »

Un autre historien ajoute que « l'enflure de ses pieds l'avertissant qu'il approchait de sa dernière heure, il voulut recevoir l'Extrême-Onction, puis le saint Viatique ».

Il passa la nuit en action de grâces. Le lendemain matin, mercredi, veille de l'Ascension, il ordonna de transcrire, ce qui était commencé, et nous travaillâmes jusqu'à l'heure de Tierce. Vint ensuite la procession accoutumée en ce jour, avec les reliques des Saints, et nous la suivîmes.

Mais un de nous resta près du malade et lui dit : - Il manque encore un chapitre, maître bien-aimé, au livre que vous avez dicté ; serait-ce une trop

grande fatigue que de vous faire parler davantage ?- Non, répondit-il, prends la plume et écris promptement.A l'heure de None, il me chargea d'aller chercher tous les prêtres du monastère ; il fit ses adieux à

ses frères et les supplia de prier pour lui : ces entretiens durèrent jusqu'à l'heure des Vêpres. Et le disciple dont j'ai parlé lui dit encore :

- Cher maître aimé, il reste un verset qui n'est point écrit. - Écris-le donc, répondit Bède.Et le disciple ayant terminé en quelques instants s'écria :- Maintenant, c'est fini.- Tu dis vrai, reprit alors le maître, c'est fini. Prends ma tête dans tes mains et tourne-moi, car

j'éprouve une grande consolation à diriger mon regard vers le Lieu Saint où j'ai tant prié. Et ainsi, couché sur le plancher de sa cellule, et tourné du côté du sanctuaire, il se mit à chanter une dernière fois : « Gloire au Père au Fils et au Saint-Esprit », puis il s'endormit paisiblement dans le Seigneur.

Il allait achever dans les siècles des siècles la doxologie interrompue sur ses lèvres par l'ange de la mort. I1 n'avait que soixante-deux ans. C'était le mercredi soir 25 mai 735. Comme une fête commence avec les premières Vêpres, plusieurs auteurs ont écrit que saint Bède mourut le jour de l'Ascension, ce qui a fait placer au 26 mai la date de sa mort.

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Son titre de Vénérable.

Comme tous les autres saints de cette époque, Bède fut canonisé par la voix populaire, tacitement approuvée de l'Eglise, et l'Ordre de Saint-Benoît a toujours célébré sa mémoire comme celle d'un Saint et d'un Docteur.

Ce dernier titre, les évêques d'Angleterre le sollicitèrent dès 1855.La question fut reprise en 1890, sous le pontificat de Léon XIII et, grâce surtout au zèle du futur

cardinal Vives y Tuto chargé de cet examen, elle aboutit heureusement. Par un décret du 13 novembre 1899, saint Bède a été déclaré Docteur, et sa fête, fixée au 27 mai, a été étendue à l'Eglise universelle.

Le titre de Vénérable par lequel il est désigné, lui était déjà donné de son vivant, à cause de ses vertus, et, comme on lisait publiquement dans l'Eglise ses sermons et ses homélies, on ne prononçait son nom qu'en l'accompagnant de ce vocable. Cette coutume persista après sa mort et elle a été pour ainsi dire consacrée par le Martyrologe romain qui lui garde ce titre.

Ses reliques.

Son corps fut enseveli d'abord dans la chapelle du monastère de Jarrow, où de nombreux pèlerins vinrent visiter son tombeau. Divers miracles confirmèrent son renom de sainteté. Des autels lui furent élevés, et ses restes furent longtemps l'objet du culte des fidèles. En 1020, ses reliques furent portées à Durham, enfermées dans un coffre de bois et déposées dans la châsse de saint Cuthbert. En 1155, Hugues, évêque de Durham, les plaça dans une châsse magnifique enrichie d'or, d'argent et de pierreries ; elles y restèrent jusqu'à la profanation générale sous Henri VIII, qui fit, démolir la châsse et disperser les ossements.

A.E.A.

Sources consultées. – Mgr Battandier, Bède Docteur de l'Eglise (dans Annuaire pontifical de 1901, p. 37). – P. Godet, Bède le Vénérable (Dictionnaire de Théologie catholique). – H. Quentin Bède le Vénérable (Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie). – Herbert Thurston, Bède (The Catholic Encyclopedia, New-York, 1913). – (V.S.B.P., n° 276).

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SAINT BERNARD DE MENTHONApôtre des Alpes et fondateur d'hospices (923-1008)

Fête le 28 mai.

et héroïque bienfaiteur de l'humanité, que les voyageurs des Alpes invoquent avec amour et reconnaissance depuis plus de mille ans, naquit au mois de juin de l'année 923 (I), au château de Menthon, bâti sur les bords du lac d'Annecy, dans un des sites les plus pittoresques de la Savoie. Son père, Richard, baron de Menthon, et sa mère, Bernoline de Duingt, rattachaient l'origine de leur puissante famille au vaillant Olivier, comte de Genève, ami et compagnon d'armes et l'un des douze pairs de Charlemagne.

L'enfant fut tenu sur les fonts baptismaux par son oncle paternel Bernard, baron de Beaufort, accompagné de la baronne, son épouse. Leur filleul béni de Dieu grandit dans une piété angélique, gardienne de son innocence. Ses parents d'ailleurs l'élevaient avec un grand soin.

Ses études à Paris. - Vocation.

On dit qu'à trois ans il savait lire. « Il était beau comme un ange, agréable comme le jour », écrit Roland Vyot.

Quand il eut sept ans, ses parents lui donnèrent pour précepteur un prêtre instruit et vertueux, nommé Germain, qui l'initia aux études, lui enseigna le latin et les principes des belles-lettres. Un trait remarquable de sa vie à cette époque est sa tendre dévotion envers saint Nicolas, dont il sera plus tard comblé de faveurs. A quatorze ans, son père l'envoya achever son éducation à Paris. Bernard accepta par obéissance cette dure séparation, et, muni de la bénédiction de ses parents, partit sous la conduite de son précepteur.

Ce prêtre fut à Paris comme son ange gardien visible, et le jeune baron savoisien put s'y livrer durant trois ans à l'étude de la philosophe et des autres arts libéraux, tout en évitant les dangers de cette capitale, petite encore relativement à ce qu'elle est aujourd'hui, mais déjà l'une des villes les plus populeuses de France. Le roi de France était alors le carolingien Louis IV d'Outre-Mer, L'unique recherche des biens célestes apparaissait à sa grande âme comme le beau chemin par où Notre-Seigneur l'appelait à marcher. Aussi, il déclara à son précepteur qu'il était décidé à se donner à Dieu dans le sacerdoce. Il voulait même commencer aussitôt sa consécration en se liant par le vœu de chasteté perpétuelle.

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(I) C’est l’opinion commune et la plus probable, d’autres reportent sa naissance à 996 et sa mort à 1081.

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Le prudent Germain jugea qu'il fallait attendre encore ; il lui défendit pour le moment un pareil vœu, mais il consentit volontiers à lui faire suivre, en même temps qu'un cours de droit, un cours de théologie. Cette longue épreuve n'ébranla point la résolution de Bernard, il s'efforçait par une vie de plus en plus fervente d'obtenir les grandes grâces auxquelles il aspirait, et de s'en rendre digne. Ses confessions et ses communions devinrent plus ferventes ; il donnait plus de temps à la prière, à la méditation, à la lecture des Saints Livres, il multipliait ses aumônes, il ne quittait pas le cilice. Enfin, lorsque le cours de théologie approcha de son terme, Germain accorda à Bernard la permission tant désirée.

Peu après, vers 947 ou 948, on reprit le chemin de la Savoie.

Retour. - Préparatifs de mariage. - Évasion.

La joie fut immense au château de Menthon à l'arrivée du jeune seigneur ; il était grand, beau, vigoureux, plein de grâce et de distinction dans ses manières et son langage. De nombreux parents ou voisins, entre autres le baron de Miolans, vinrent le complimenter et féliciter ses heureux parents.

Après quelques semaines de repos et de vie de famille, qui faisaient oublier doucement les longues années d'absence, le baron de Menthon prend un jour son fils à part et lui fit connaître le brillant mariage qui s'offre à lui : car le baron de Miolans était heureux de lui donner pour épouse sa fille unique, Marguerite. Cette union allait réunir deux baronnies et combler les vœux des deux familles. Le jeune homme fit entendre respectueusement à son père qu'il se sentait peu d'attrait pour le mariage. Richard de Menthon s'éloigne de son fils en proie à une grande tristesse et à une vive indignation qu'il communique à sa femme. Ils accusent Germain d'avoir inspiré à leur fils ces dispositions qui trahissent si douloureusement leurs espérances ; ils l'accablent de reproches, et le chassent ignominieusement du château.

Mais cet éloignement, dont on se promettait tant de résultats, n'eut aucun effet ; la vocation de Bernard était à l'épreuve des résistances humaines. Richard de Menthon n'en poursuivait pas moins ses projets de mariage. Peu de temps après, un splendide cortège se déroulait sur les bords du lac d'Annecy ; on amenait à Bernard sa future épouse, escortée de toute la noblesse de la contrée, au milieu des acclamation joyeuse des populations accourues de toutes parts. La réception au château de Menthon fut triomphale. Bernard parut se prêter de bonne grâce à la fête ; tout se préparait pour la célébration du mariage qui devait avoir lieu le lendemain dans la chapelle du château.

Cependant, le jeune baron avait plus que jamais présent à l'esprit l'engagement qui le liait. Le matin même, son ancien précepteur lui avait fait parvenir cet éloquent billet : « Bernard, Bernard, n'oubliez pas la promesse que vous avez faite à Dieu ; songez au salut de votre âme. »

Le soir, dès qu'il put se dérober à l'illustre compagnie qui l'entourait, il se retira dans sa chambre. Prosterné la face contre terre : « Mon Sauveur et mon Dieu, ayez pitié de votre serviteur, disait-il avec larmes, hâtez-vous de me secourir… avant tout, je ne veux pas vous être infidèle… Mais venez à mon aide en ces circonstances si difficiles. »

Il pria longtemps, invoquant tour à tour la Très Sainte Vierge et son patron saint Nicolas. Tout à coup, écrit Darras, saint Nicolas lui apparaît dans une vision surnaturelle et lui dit : « Bernard, serviteur de Dieu, tu as une vocation plus élevée que les honneurs du siècle. Va trouver l'archidiacre de la cathédrale d'Aoste, il te dira ce que tu dois faire. » Le jeune seigneur se relève, merveilleusement consolé et fortifié. Il écrit aussitôt un billet ainsi conçu : « Très doux parents, réjouissez-vous avec moi, je vous prie. Le Sauveur m'appelle. Ne cherchez pas à connaître le lieu de ma retraite, je ne me marierai jamais ; la puissance et les honneurs de ce monde ne sont rien pour moi, je n'aspire qu'au bonheur du ciel. »

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Il plaça cette lettre dans l'endroit le plus apparent ; pendant que tout le monde dort, il ouvre sans bruit la fenêtre, rompt et plie miraculeusement l'un des énormes barreaux de fer qui en défendent l'accès extérieur, saute d'une hauteur de 16 pieds, au milieu des ténèbres, sur un rocher étroit qui domine un précipice, se laisse glisser le long du roc escarpé, gagne heureusement la campagne, et à travers les Alpes, s'achemine vers la ville d'Aoste (I).

Le lendemain, dès les premiers feux du jour, tout est sur pied dans le château de Menthon, le joyeux son du cor retentit, la cérémonie se prépare. Bernard ne paraît pas, il reste introuvable. On devine la consternation des parents, la désolation de la jeune fiancée qui, toute parée, attend au pied de l'autel, la colère du baron de Miolans qui se juge gravement offensé. Marguerite de Miolans réussit à calmer son père ; elle sentait naître en son âme un grand désir d'imiter le sacrifice de Bernard et de se consacrer elle-même à Dieu. En effet, quelque temps après, elle alla se faire religieuse dans un couvent près de Grenoble où elle passa sa vie dans une grande réputation de sainteté.

Le chanoine d'Aoste. - Sacerdoce. - Apostolat.

Après plusieurs jours de fatigue, le fugitif entrait dans la ville d'Aoste et rencontrait le vénérable Pierre de la Val d’Isère, archidiacre de la cathédrale.

Celui-ci le reçu comme un fils et fut pour lui ce qu'avait été jusque-là le prêtre Germain. Les chanoines d'Aoste, dont 1'arckidiacre Pierre était prévôt (supérieur), étaient alors Chanoines réguliers de Saint-Augustin, c'est-à-dire de vrais religieux, vivant en communauté sous la règle du grand évêque d'Hippone. Bernard fut reçu parmi eux et devint bientôt un modèle de toutes les vertus religieuses. Désormais tout à Dieu, il reprit avec non moins de succès que d'ardeur, ses études théologiques et paraît avoir été ordonné prêtre à l'âge d'environ trente ans. Ses vertus et son zèle apostolique, surtout pour la prédication, faisaient l'admiration de tous, et quand, en 966, le prévôt Pierre vint à mourir, ses confrères l'élurent à l'unanimité pour lui succéder et l'évêque le choisit pour archidiacre.

L'archidiacre devait être l'oeil et le bras droit de l’évêque dans toute l'administration du diocèse. Bernard, alors âgé de quarante-trois ans, fut à la hauteur d'une telle charge, qui reposait d’ailleurs presque entièrement sur lui, à cause de la faible santé de l'évêque Luitfroid. Nous le voyons déployer une activité et un zèle incomparables, il se met avec ferveur sous la protection des saints Patrons de la contrée, fait divers pèlerinages à cette intention et commence ce fécond apostolat qui devait durer quarante ans et lui mériter le glorieux surnom d'Apôtre des Alpes. Les temps étaient difficiles, on était dans ce Xe siècle qu'on a appelé le « siècle de fer ». Les Sarrasins, dont les bandes avides de pillage avaient souvent remonté le Rhône et dévasté la Savoie, le Piémont et la Suisse (de 900 à 975), venaient d'être définitivement chassés, quand Bernard inaugurait ses nouvelles fonctions. Mais que de ruines matérielles et morales à relever, que de désordres ces troubles sociaux et ces brigandages de l'invasion musulmane avaient introduits dans la foi et les mœurs ! Le zélé archidiacre s'occupe tout d'abord de la réforme du clergé, qu'il s'efforce, par son exemple autant que par ses paroles et sa vigilance, de rendre plus digne de sa haute mission.

L'instruction était alors fort négligée dans les Alpes. Bernard forme des maîtres et fonde des écoles. Non content de visiter souvent le diocèse, il parcourt en missionnaire les diocèses de Novare, de Milan, de Sion, de Tarentaise et de Genève. Partout ses prédications renouvellent la foi des populations et font un grand bien.

(I) La fenêtre témoin de cette évasion se voit encore au château de Menthon, avec son barreau de fer

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rompu et ployé ; la chambre du Saint a été changée en oratoire.

Le Mont-Joux. – Hospices du Grand et du Petit-Saint-Bernard

Les voyageurs, en quittant la ville d'Aoste, trouvaient deux routes pour franchir les Alpes, l'une allait tomber dans la haute Tarentaise en passant par la Columna Jovis (Colonne de Jupiter), l'autre traversait le col terrible et élevé du Mont-Joux (mons Jovis, montagne de Jupiter) pour conduire dans le bas valais. Le paganisme, chassé de presque tonte l'Europe, avait trouvé sur ces hauteur un dernier asile.

Les Sarrasins, qui dans un but stratégique avaient occupé quelque temps le défilé du Mont-Joux, avaient été forcés de l’évacuer en 960. L’idole de Jupiter y était toujours gardée alors par un fameux magicien de haute stature, nommé Procus. Les montagnards abusés venaient consulter l’idole et demander des guérisons, et Procus caché dans la statue rendait lui-même les oracles avec une voix simulée. Digne ministre du démon qui l’aidait de sa puissance et de ses prestiges, le géant magicien exerçait toutes sortes de cruautés sur les voyageurs égarés dans ces parages, les pillait et parfois même les sacrifiait à son Jupiter. Neuf voyageurs français arrivèrent un jour à Aoste pleurant le dixième d’entre eux que Procus avait retenu sous prétexte de lever sur eux la dîme.

Saint Bernard de Menthon renverse l’idole du Mont-Joux.

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Bernard résolut de détruire ce dernier repaire du démon, et de le remplacer par un établissement où le vrai Dieu serait désormais glorifié par l'exercice de la prière publique et de la charité frater-nelle. II indique à cette intention des jeûnes, des prières et une procession solennelle, et, encouragé par une apparition de saint Nicolas qui lui prédit l'heureux succès de son entreprise, il gravit le Mont-Joux, accompagné des neuf pèlerins français.

Ils atteignent à peine le sommet de la montagne, raconte un des anciens historiens du Saint, qu'un nuage épais assombrit le jour, les démons déchaînent un ouragan affreux, les éclairs sillonnent les airs, le tonnerre ébranle les monts, la foudre frappe de toutes parts, mais sans blesser personne, la neige se mêle à la grêle. Les démons poussaient des hurlements si affreux que l'on crut l'archidiacre et ses compagnons perdus. Mais Bernard ne tremble pas et rassure ses compagnons.

- Ne craignez pas, mes amis, leur dit-il ; les hurlements de notre ennemi sont un pressentiment de sa défaite.

Ils arrivent près de l'idole et la trouvent gardée par un dragon, rugissant et épouvantable prêt à les dévorer. Bernard fait le signe de la croix, jette au cou du monstre son étole qui se change en chaîne de fer, sauf les deux bouts qu'il tient à la main (I). Ses compagnons percent de leurs armes le monstre, qui disparaît, et à sa place ils voient, gisant à terre, le cadavre du magicien, percé de coups.

L'idole du Mont-Joux renversée, Bernard va détruire également le culte de Jupiter dans les Alpes Grées et renverse la Columna Jovis, objet des superstitions et adorations des montagnards. C'était vers 970. Aidé des aumônes du clergé d'Aoste et du peuple chrétien, Bernard assura sa conquête en élevant un établissement de charité sur ce Mont-Joux dont les peuples reconnaissants changèrent depuis le nom en celui de Grand-Saint-Bernard ; il en bâtit un autre à la Columna Jovis, aujourd'hui le Petit-Saint-Bernard.

Des hommes dévoués et vigoureux se joignent à lui pour l'aider, dans son œuvre. Un noble et riche Anglais nommé Reuklin, enthousiasmé de la sainteté et de la charité de Bernard, demande à être reçu par ses disciples et cède à la communauté naissante son château d'Angleterre. Ainsi commence cette merveilleuse hospitalité du Grand-Saint-Bernard qui dure encore et qui, à travers les siècles, a servi d'asile à des millions de voyageurs et sauvé la vie à des milliers d'entre eux qui auraient péri dans les neiges et les précipices.

Les barons de Menthon et de Beaufort au Mont-Joux.

Cependant la renommée du saint archidiacre d'Aoste était grande dans les Alpes ; les pèlerins et les voyageurs, si charitablement reçus au Mont-Joux, ne tarissaient pas en louanges sur l'admirable fondateur. S'il faut en croire la légende, le baron et la baronne de Menthon qui vivaient encore, et pleuraient toujours leur fils, conçurent le projet d'aller voir cet homme de Dieu : peut-être ses prières leur obtiendraient-elles la grâce de retrouver Bernard ; dans tous les cas, les consolations du saint prêtre seraient un soulagement à leur douleur. Le baron de Beaufort frappe à la porte de l'hospice ; l'archidiacre lui-même vient de lui ouvrir.

Mais les années, les travaux, les austérités avaient altéré ses traits, ils ne le reconnurent pas. Bernard qui les reconnaît très bien les accueille avec son hospitalité coutumière. Il écoute avec une bonté paternelle le récit que le baron de Menthon et son épouse lui font de leurs malheurs. Vivement ému, il se retire et va prier avec ferveur à la chapelle. Bientôt, assuré, par une inspiration de Dieu que ses parents ne susciteraient pas de difficultés à sa vocation, il reparaît devant eux, et se jette en leurs bras, disant : « C'est moi qui suis votre fils Bernard. » Les vieux parents, heureux comme Jacob quand il eut retrouvé Joseph, passèrent quelques jours au Mont-Joux, admirant les desseins de Dieu.

(I) Les deux bouts de cette étole furent longtemps conservés comme reliques dans l’abbaye de Saint-Maurice

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en Valais.

Revenus en Savoie, le baron de Menthon et le baron de Beaufort voulurent doter de leurs deniers l'église de Mont-Joux. Quant à Germain, il termina sa vie dans un ermitage voisin de Menthon et conquit l'auréole des saints. Bernard continuait son œuvre au Mont-Joux et ses apostoliques prédications dans les Alpes et en ltalie ; il passait chaque jour de longues heures en prière. Ses vêtements d'étoffe grossière cachaient un cilice, il dormait peu ; deux ou trois planches formaient son lit.

Ses jeûnes étaient fréquents, sa nourriture se composait ordinairement de pain d'orge et d'eau bourbeuse ; parfois il y joignait de l'absinthe ou du fiel. Son humilité égalait sa charité. On montre encore au Grand-Saint-Bernard une petite grotte où il se retirait souvent pour méditer, prier et souffrir. En 997 ou 998, il fit le pèlerinage de Rome. Le Pape Grégoire V l'accueillit comme un fils aimé, approuva son Institut qu'il enrichit de divers privilèges et qui devint une collégiale régulière de Chanoines réguliers de Saint-Augustin, distincte de celle d'Aoste.

Dernières années.

Malgré tant de travaux et d'austérités, saint Bernard de Menthon parvint à une grande vieillesse. Toutefois, de 1005 à 1007, de nombreuses infirmités vinrent miner son corps usé par l'âge. Il fit une dernière fois le pèlerinage de Rome ; mais au retour, il dut s'arrêter malade à Novare et demanda l'hospitalité aux Bénédictins. C'est dans leur abbaye qu'il expira doucement, entre les bras de ses religieux accourus de Mont-Joux à la nouvelle de sa maladie ; c'était, dit-on, le 28 mai 1008, il avait quatre-vingt-cinq ans.

Son culte et son œuvre.

Il avait demandé que son corps fût enterré dans l'église du Mont-Joux, mais, les Bénédictins refusèrent de le livrer et l'inhumèrent dans leur église Saint-Laurent. Un an plus tard, le 10 avril, à la suite de nombreux miracles, ils placèrent le corps dans un cercueil de marbre, et, en 1123, Richard, évêque de Novare, procéda à la canonisation, selon les usages du temps, en faisant élever, ce corps sur un autel. En 1552, lors de la démolition de l'église Saint-Laurent, le corps de saint Bernard fut reconnu et placé dans la cathédrale où on le vénère encore aujourd'hui. Une partie de son chef et quelques ossements ont été portés au Mont-Joux. On conserve aussi au Grand-Saint-Bernard divers objets ayant servi au saint fondateur. En 1681, son nom fut inscrit par Innocent XI au Martyrologe romain à la date du 15 juin ; depuis 1922, il est placé au 28 mai, jour de sa mort.

Le 31 juillet 1902, au Petit-Saint-Bernard, et le 13 juillet 1905, au Mont-Joux ont été, solennellement inaugurées des statues monumentales de saint Bernard de Menthon. Au mois de septembre 1923, de grandes fêtes ont eu lieu à Menthon pour célébrer le millénaire de la naissance de saint Bernard. Et par lettres apostoliques du 20 août 1923, le Pape Pie XI l'a désigné comme « Patron céleste, non seulement des montagnards et des voyageurs alpins, mais de tous ceux qui entreprennent l'ascension des montagnes ».

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Depuis bientôt dix siècles les disciples de saint Bernard continuent à faire l'admiration des hommes par leur vie de prière, d'immolation et de charité. Leur demeure hospitalière est placée dans une gorge à 2 450 mètres au-dessus du niveau de la mer ; c'est l'habitation la plus élevée d'Europe, et la montagne qui domine l'hospice a 3100 mètres d'altitude. Dans cette gorge règne un hiver presque perpétuel.

Quelques légumes chétifs, cultivés à l'abri des rochers plutôt comme distraction que par utilité, est tout ce qu'y produit la terre ; il faut aller chercher toutes les provisions fort loin, dans les vallées habitées, et le bois à brûler lui-même doit être apporté à dos de mulets d'une distance de dix-huit à vingt kilomètres. Les religieux y restent cependant toute l'année, et, bravait le froid, les tempêtes de neige, les avalanches terribles, précédés de leurs grands chiens et, accompagnés de domestiques dévoués, ils vont à la recherche des voyageurs, les reçoivent et leur offrent gratuitement la plus généreuse hospitalité. Avant le percement du Mont Cenis, on estimait de 11 à 12 000 le nombre annuel des passagers au Saint-Bernard ; pendant l’été de 1794, l'hospice vit passer environ 50 000 émigrés français et en 1800 les armées de Bonaparte. Voilà ce que peut faire l'amour du prochain quand il a pour cause l'amour de Dieu ; l'église catholique seule produit de pareils exemples de charité.

A. Pidoux de la Maduère.

Sources consultées. – Chev. A. Pidoux de la Maduère, Saint Bernard de Menthon (Lille, 1923). – (V.S.B.P., n° 328).

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SAINTE MARIE-MADELEINE PAZZI

Carmélite (1566-1607).

Fête le 29 mai.

Florence comme l'indique son nom latin Florentia, est la ville des fleurs. La nature a prodigué sur son sol les essences les plus variées et les plus belles ; les hommes l'ont ceinte, comme d'une couronne, de villas et de jardins splendides, et la Providence semble avoir ratifié cette appellation en y faisant éclore, peut-être plus qu'ailleurs, les fleurs admirables de la sainteté. En l'espace de six cents ans, en effet, du XIe siècle à la fin du XVIe cette ville privilégiée a vu naître quinze Saints ou Saintes officiellement canonisés et tous inscrits, sauf sainte Catherine Ricci, au calendrier de l'Eglise universelle. La plus merveilleuse de ces fleurs a été, sans contredit, sainte Marie-Madeleine Pazzi.

Par suite d'une traduction inexacte du mot italien de', qui veut dire « de la famille des », on l'appelle communément Marie-Madeleine de Pazzi ; mais pas plus que celui des Medici, dont nous avons fait Médicis, son nom patronymique n'était précédé d'une particule.

Naissance et enfance de Catherine Pazzi.

Au XVe siècle, les Pazzi étaient une des plus puissantes familles de Florence et y disputaient le premier rang aux Médicis. Leur palais, situé au sud de la cathédrale, à l’angle de la via del Proconsolo et du borgo degli Albizzi, subsiste encore et on y voit toujours, dans la cour, les armes de la famille, sculptées par Donatello. C’est là que le 2 avril 1566, Marie Buondelmonte, épouse de Camille Pazzi, donna le jour à celle qui devait plus tard jeter sur sa famille un éclat incomparable. Dès le lendemain, l’enfant fut portée au baptistère de Saint-Jean et y reçut, en même temps que le sacrement de la régénération, le nom de Catherine. Elle n’occasionna pas à sa mère les troubles et les tracas qu’apportent habituellement les tout petits enfants.

Dieu ne tarda pas à montrer qu'il voulait l'attirer à lui par des voies peu communes. A l'âge où les autres enfants ne songent qu'à leurs jeux, Catherine se complaisait dans l'oraison, dans les pratiques de la charité et dans les exercices de la pénitence. La solitude lui était si chère qu'elle ne prenait part aux récréations de ses jeunes compagnes que si sa mère jugeait prudent de le lui imposer.

Elle préférait se retirer dans quelque coin isolé du palais pour y vaquer à la prière et cet attrait la poursuivait jusque dans les heures de la nuit : souvent sa gouvernante la surprit se livrant à la contemplation au lieu de prendre son repos. Voyant ces dispositions extraordinaires, sa mère en fit part à son propre confesseur et celui-ci prit plaisir à enseigner à l'aimable enfant la manière de méditer. Dès lors, Catherine emploiera une heure chaque jour à faire sa méditation.

Elle ne s'adonnait pas moins aux œuvres de charité tant spirituelles que temporelles. C'était par ses mains que passaient les aumônes habituelles de la famille et elle se plaisait à partager avec les pauvres ce qu'on lui donnait pour ses propres besoins. Chaque année, elle allait à la campagne pendant l'été. Là, elle réunissait les enfants du village et leur apprenait le Pater, l'Ave, le Credo.

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Une année, elle entreprit même l'éducation religieuse de la fille d'un fermier de son père. Cette éducation n'était pas achevée lorsque vint le moment de rentrer en ville ; Catherine témoigna un tel chagrin de cette séparation prématurée que ses parents lui permirent d'emmener avec elle la petite villageoise pour qu'elle put achever son œuvre d'apostolat.

Ses méditations répétées sur la Passion enflammèrent bientôt son cœur d'un amour ardent pour les souffrances et pour la pénitence. Elle se prive de toute nourriture délicate, mange à peine de quoi se soutenir, passe des nuits entières à prier à genoux, se donne de rudes disciplines et imagine de mettre sur sa tête, avant de se coucher, une couronne d'épines. Elle va si loin que sa mère est obligé de l'arrêter et, pour mieux la surveiller, la fait dormir dans sa propre chambre.

A la pratique de vertus si au-dessus de son âge, Catherine joignait un amour profond pour Jésus-Eucharistie. Les jours où sa mère avait communié, elle aimait à rester à ses côtés : « Maman, lui disait-elle, je sens en vous le parfum de Jésus », et elle soupirait après le jour ou elle pourrait partager le même bonheur. Aussi, faisant une exception aux règlements en vigueur, son confesseur lui permit-il de faire sa première Communion, alors qu'elle n'avait que dix ans. Ce fut le 25 mars 1576 que Catherine s'unit au Bien-Aimé de son âme. A dater de ce moment, son désir de la communion fut tel, que son confesseur la lui permit tous les dimanches, et, ces jours-là, elle ne quittait l'église que les yeux baignés de larmes.

La vocation religieuse.

Catherine avait dix ans lorsque Notre-Seigneur lui fit entendre directement le divin appel. Trois semaines après sa première Communion, elle faisait son action de grâces, quand elle se sentit poussée à promettre au bon Dieu de faire ce qui lui serait le plus agréable, et comprenant que le Seigneur n'aime rien tant qu'une pureté parfaite et entière, elle fit aussitôt, sans y plus réfléchir, le vœu de chasteté perpétuelle. Elle ne tarda pas à recevoir la récompense de sa générosité, car le même jour elle aperçut à son doigt un anneau mystérieux, gage de l'alliance qu'elle avait contractée avec le divin Epoux.

Cependant, Camille Pazzi ayant été nommé gouverneur de Cortone en 1580, Catherine, qui avait alors quatorze ans, fut mise en pension chez les religieuses de Saint-Jean des Chevaliers de Malte pour y achever son éducation. Chose qui à cette époque ne dut pas aller sans quelque difficulté, le confesseur de la nouvelle pensionnaire dut faire promettre à la supérieure de la maison de la laisser communier tous les huit jours. Jouissant d'une assez grande liberté, Catherine put demeurer fidèle à sa manière de vivre et continuer de prier, de jeûner, de se mortifier comme auparavant. Les religieuses ne pouvaient revenir de leur surprise et elles proposèrent à leur vertueuse élève d'entrer dans leur Congrégation, s'engageant, même, si la jeune fille le faisait, à revenir à la pratique intégrale de leur règle. Mais Catherine n'avait pas trouvé dans cette communauté l'idéal qu'elle poursuivait. Elle résista à toutes les instances, préférant, disait-elle, embrasser un Ordre qui n'eût pas besoin de réforme.

Elle ne resta d'ailleurs que quelques mois au couvent de Saint Jean. Aussitôt sa mission terminée, Camille Pazzi revint à Florence et fit rentrer sa fille au foyer familial. Celle-ci en avait le plus grand besoin. Sa santé était à cette époque si ébranlée qu'elle ressemblait à, un squelette et n'avait pas même la force de tirer une aiguille. Elle se soumit docilement à toutes les prescriptions des médecins, se montra toujours gaie et enjouée avec ses frères, qui recherchaient sa compagnie, sans cependant jamais rien sacrifier de ses exercices de piété, et bientôt elle retrouva entièrement ses forces.

Dès qu'elle eut atteint l’âge de seize ans, ses parents songèrent à la marier et se mirent à chercher parmi leurs connaissances un jeune seigneur digne de posséder un tel trésor. Catherine, s'étant aperçue de leurs projets, comprit qu'elle devait sans plus tarder les instruire du vœu de virginité qu'elle avait fait.

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Elle s'adressa tout d'abord à son père et lui déclara nettement qu'elle aimerait mieux se laisser couper la tête que manquer à son vœu et renoncer à l'état religieux. Camille Pazzi se rendit sans trop de difficultés il n'en fut pas de même de sa femme. Celle-ci, bien que sincèrement chrétienne, aveuglée par une affection trop naturelle, ne voulut rien entendre et mit tout en œuvre pour faire perdre à sa fille son désir de vie religieuse. Catherine, au comble de la douleur se réfugia dans la prière, mais elle tomba bientôt dans un état de langueur inquiétant. Mme Pazzi consulta alors le P. Blanca, son confesseur, celui-ci lui déclara que la vocation de sa fille était vraiment sérieuse, et que ce serait une grande faute de contrarier les desseins de la Providence. La pauvre mère se résigna enfin et donna son consentement. Restait à choisir l’Institut dans lequel Catherine entrerait. Le P. Blanca indiqua les Dominicaines, les Clarisses et enfin les Carmélites de Sainte-Marie des Anges, au couvent de Saint-Frédien ; la jeune fille se décida pour ces dernières, parce qu'elle observaient plus étroitement leur règle et qu'elles communiaient tous les jours.

Catherine Pazzi entre chez les Carmélites.Sœur Marie-Made1eine.

Ce fut le 14 août 1582, quelques semaines avant la mort de sainte Thérèse, que Catherine Pazzi franchit le seuil de cette maison bénie. Au bout de quinze jours elle rentra dans sa famille, comme le voulait l'usage de la Congrégation, pour étudier une dernière fois sa vocation, et enfin le 1er décembre de la même année; elle revint au monastère pour ne plus le quitter. Deux mois après, le 30 janvier 1583, elle revêtait le saint habit du Carmel et prenait le nom de Sœur Marie-Madeleine. Rien ne saurait dépeindre la joie de la nouvelle novice, qui venait de se donner à Dieu toute entière et sans retour ; son visage paraissait transfiguré. Le soir même, elle se remit complètement entre les mains de sa supérieure, lui promit une obéissance absolue et la supplia, de ne lui épargner ni mortifications ni humiliations. L'année du noviciat étant achevée, elle demanda à faire profession. La supérieure lui répondit qu'elle la ferait plus tard, en même temps que d'autres novices arrivées après elle. Mais Dieu en avait décidé autrement. Un mois après, Sœur Marie-Madeleine tomba si gravement malade qu'on ne voulut pas la laisser mourir sans avoir eu la consolation d'émettre ses vœux de religion. On la transporta donc à la chapelle et le 27 mai 1584, elle se lia pour l'éternité par les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance à Celui qui était son unique amour. Cependant, la maladie traînant en longueur, les religieuses se reprirent à espérer. Elles eurent L'inspiration de recourir à l'intercession d'une vierge florentine, la bienheureuse Marie Barthélemy Bagnesi, Tertiaire laïque de l'Ordre de Saint-Dominique, morte en odeur de sainteté en 1577 et inhumée dans leur monastère. Ces prières furent pleinement exaucées et Marie-Madeleine guérit bientôt.

Extases et épreuves intérieures.

Elle passa vingt-cinq ans au Carmel de Sainte-Marie des Anges. Dès le début, Notre-Seigneur se plut à l’acheminer dans les voies les plus sublimes de la vie mystique et, pendant deux ans et demi la vie de la jeune religieuse ne fut pour ainsi dire qu'une extase continuelle. Émerveillée, la supérieure du monastère lui ordonna alors, au nom de l'obéissance, de révéler tout ce qu'elle éprouvait et à certains moments, il y eut jusqu'à six religieuses occupées tour à tour à recueillir ses paroles.

La première de ces manifestations extraordinaires se produisit vers la fin du noviciat de Marie-Madeleine. Un soir, la jeune novice tomba en défaillance et le divin Maître lui fit alors pleinement comprendre la malice du péché, l'ingratitude des pécheurs et la nécessité de prier pour leur conversion. Quelques mois plus tard, pendant les quarante jours qui suivirent sa profession, chaque matin elle eut une extase après la communion et, au cours de l'un de ces ravissements, elle demeura seize heures absorbée dans la méditation de la Passion ; lorsqu'elle revint à elle, son lit était littéralement baigné de larmes. Mais ce fut en 1585, pendant le Carême, et jusqu'à la fête de

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l'Ascension, que ces phénomènes extraordinaires se renouvelèrent avec le plus de fréquence et le plus d'intensité. Le 25 mars, Marie-Madeleine voit et sent saint Augustin graver sur sa poitrine les paroles énonciatrices du mystère de l'Incarnation : Et Verbum caro factum est (Et le Verbe s'est fait chair). Le Lundi-Saint elle reçoit, invisiblement, il est vrai, mais très réellement, les sacrés stigmates de la Passion. Le Jeudi-Saint, elle a une extase, qui dure vingt-six heures. On la voit alors parcourir les divers locaux du monastère ses gestes, ses paroles indiquent clairement ce qu'elle éprouve, ce qu'elle fait : elle suit le divin Maître dans toutes les phases de sa douloureuse Passion. Ici, elle assiste à la dernière Cène ; là, à l'agonie au jardin des Oliviers et à la trahison de Judas. La voici chez Anne, chez Caïphe chez Pilate ; elle contemple la flagellation, le couronnement d'épines, et en ressent les douleurs. La voilà maintenant qui accompagne le Sauveur au Calvaire et se substitue à lui pour ainsi dire.

Elle prend une croix sur ses épaules, marche, tombe épuisée, se relève et se rend ainsi à la salle du Chapitre. Elle semble alors comme arrivée sur la montagne sainte ; elle se couche à terre, étend les bras en croix, offre, dirait-on, ses mains et ses pieds aux bourreaux qui les percent de clous. Elle se redresse, s'adosse au mur les bras en croix, prononce les sept paroles du Christ agonisant et, à là dernière, elle incline le tête comme Jésus expirant. Quelques jours après, Notre-Seigneur lui passe au doigt l'anneau des épousailles mystiques, puis lui donne la couronne d'épines. Le 12 mai, elle assiste en esprit à la descente du Christ dans les limbes, à sa Résurrection glorieuse, et enfin, le 30 mai, jour de l'Ascension, à son entrée triomphale dans le ciel.

Cependant, à cette période de faveurs célestes va succéder une longue série d'épreuves intérieures, et cette âme, éclairée jusque-là des plus vives lumières, va se voir enveloppée des ténèbres les plus affreuses. C'est à la Trinité de l'an 1585 que Marie-Madeleine tomba dans cet état effrayant, qui dura cinq ans entiers, à part quelques jours de répit et d'éclaircies. Le divin Epoux daigna avertir lui-même sa fidèle servante de l'approche de cette épreuve et celle-ci lui répondit simplement : « Seigneur, votre grâce me suffit. » Du jour au lendemain, l'humble religieuse se trouva en butte aux tentations les plus douloureuses pour un cœur aimant comme le sien. Elle, si pure, sentit son imagination se remplir des visions les plus détestables. Elle, si pieuse, fut saisie d'un dégoût incompréhensible pour les exercices de piété ; elle, si affectionnée à son état et à Notre-Seigneur, se vit assaillie par des doutes contre la foi, par des pensées de blasphème, par le désespoir. Le démon va jusqu'à lui inspirer l'idée d'abandonner la sainte communion, de quitter l'habit religieux et même de mettre fin à ses jours. Plusieurs de ses compagnes se retournèrent aussi contre elle et l'accusèrent de fautes imaginaires. La pauvre martyre triompha de tout, et Satan, vaincu, ne sachant plus comment la tourmenter, la roua de coups à plusieurs reprises. Enfin, le jour de la Pentecôte 1590, Marie-Madeleine se sentit délivrée. Elle demanda à Dieu de ne plus lui faire goûter de consolations sensibles.

Dernières années de sainte Marie-Madeleine. – Vertus et miracles.

Aussi les dix-sept dernières années de sa vie furent-elles une période de calme et de paix ; Sœur Marie-Madeleine occupa successivement les charges de sacristine, de maîtresse du juvénat et enfin de maîtresse des novices. Elle persévéra dans la pratique des vertus les plus héroïques et Dieu continua à lui accorder le don des miracles. D'une humilité incomparable, elle recherchait avec amour les occasions de s'abaisser, se complaisait dans les occupations les plus viles et dans les besognes le plus désagréables. Son obéissance était parfaite ; elle disait « qu'un jour passé sans avoir eu l'occasion de briser sa volonté est un jour perdu ». Que dire de son amour pour Dieu ? Cet amour engendrait dans son cœur une horreur extrême du péché en même temps qu'une profonde pitié pour les pécheurs. Elle priait beaucoup et faisait pénitence pour eux : « 0 amour, s'écriait-elle, vous n'êtes pas aimé ! On vous offense ! Vous n'êtes pas connu ! »

Enfin, ses mortifications et son amour de la souffrance furent sans pareils. Plusieurs fois elle passa de longues semaines jeûnant au pain et à l'eau et marchant les pieds nus, comme Notre-Seigneur le lui avait ordonné. Elle couchait souvent par terre, se donnait de rudes disciplines, portait une ceinture garnie de pointes de fer. Elle en arriva à dire : « Toujours souffrir, ne jamais mourir ! »

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Après cela, rien d'étonnant que Dieu ait accordé à Sœur Marie-Madeleine le don des miracles. L'héroïque religieuse rendit la santé à plusieurs malades, délivra une jeune fille possédée du démon, multiplia plusieurs fois les provisions du couvent. Elle lisait dans les cœurs et ce don lui fut très utile lorsqu'elle fut maîtresse des novices. Elle eut des révélations fréquentes ; après la mort de son frère Alamanno et celle de sa mère, elle connut que les deux défunts se trouvaient en purgatoire et comment elle pourrait hâter leur délivrance ; elle prédit au cardinal Octavien de Médicis, le futur Léon XI, son élévation à la papauté et la brièveté de son règne ; elle promit à Marie de Médicis qui vint la voir avant de quitter Florence pour aller prendre possession du trône de France, que la future reine aurait d'abord un fils – Ce fut Louis XIII – elle annonça d'avance la mort de plusieurs de ses compagnes ; elle eut en1600, la révélation de la gloire dont Louis de Gonzague, mort neuf ans plus tôt, jouissait dans le ciel, ce qui motiva les honneurs rendus par le Carmel de Florence à ce jeune religieux, dont la cause n’était pas encore introduite. Enfin, elle connut le moment de sa mort, priant son confesseur de la quitter pour vaquer à des affaires personnelles, l’assurant qu’au retour le prêtre la trouverait vivante.

Dernière maladie. – Sa mort. – Sa glorification.

C’est en 1602, que Sœur Marie-Madeleine ressentit les premières atteintes du mal qui devait l’emporter. Elle fut prise d’une toux violente, puis survinrent des hémorragies, de grands maux de tête, de la fièvre. Elle dut s’aliter. Malgré son triste état, elle fut en 1604 élue sous-prieure à l’unanimité, mais sa vie ne devait plus être qu’une longue souffrance. Sur son lit de mort, elle fit adopter plusieurs réformes pour le bien spirituel de la communauté. Enfin, après avoir demandé à ses compagnes pardon des fautes qu'elle avait commises et exprimé sa reconnaissance d'avoir été soufferte dans la communauté, elle voulut qu'on récitât devant elle le Symbole de Nicée et celui de saint Athanase, ainsi que la préface de la Sainte Trinité, que le prêtre répète presque chaque dimanche, puis elle reçut l'Extrême-Onction. Treize jours après, le 24 mai 1607, fête de l'Ascension, elle demanda qu’on lui fit la recommandation de l'âme, et elle reçut le Viatique ; le lendemain elle expirait.

A peine eut-elle rendu le dernier soupir, que son visage émacié resplendit d’un éclat merveilleux. Toute la ville de Florence se pressa dans le monastère et défila pieusement devant les restes de l'humble religieuse, regardée comme une Sainte. Urbain VIII ratifia ce jugement populaire et béatifia Marie-Madeleine à Sainte-Marie Majeure, le 23 avril 1627, vingt ans après sa mort Clément IX la canonisa 28 avril 1669. Le corps de la Sainte déposé d'abord derrière le maître-autel de la chapelle du monastère, fut exhumé en 1609. Il était intact, et du genou s’échappait une sorte d’huile parfumée.

Plus tard, les Carmélites de Notre-Dame des Anges quittèrent leur couvent de Saint-Fregdien pour se transporter dans la rue della Colonna, à l'angle du Borgo Pinti, et en 1685, les reliques de sainte Marie-Madeleine furent placées dans la chapelle construite sous son vocable. On raconte que lorsque Marie-Françoise-Thérèse Martin, la future sainte Thérése de l’Enfant-Jésus, se rendit à Rome en novembre 1887, elle visita cette chapelle, et que ses mains, passant plus aisément que d’autres à travers la grille qui protège la châsse de la Sainte, firent toucher aux restes vénérés les objets présentés par les pèlerins. Le couvent de Borgo Pinti a été à son tour abandonné par les Carmélites, qui se sont établies à l’angle de la place Savonarole et de de la rue Léonard de Vinci. Le corps de sainte Marie-Madeleine repose sous le maître-autel de leur nouvelle chapelle. Quant à la maison du Borgo Pinti, elle a été occupée en 1926 par les Augustins de l’Assomption, leur chapelle devenant comme l’église nationale des Français à Florence.

Th. Vettard .

Sources consultées. –Vicomtesse de Beausire-Seyssel, Vie de Marie-Madeleine de Pazzi (Paris). –

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(V.S.B.P., n° 225).

SAINTE JEANNE D'ARC.Vierge, patronne de la France (1412-1431).

Fête le 30 mai.

Chacun de nous a une « mission » à remplir sur la terre pour le plus grand nombre, c'est l'humble labeur quotidien, à d'autres le bon Dieu demande des œuvres plus importantes. Sainte Jeanne d'Arc fut suscitée pour sauver un pays ravagé par les guerres, et presque rayé de la carte de l'Europe ; mais ce qui fait de cette jeune fille un modèle, c'est moins la grandeur de son œuvre, que sa piété, sa pureté, son courage, sa fidélité aux enseignements de l'Eglise, et son acceptation des desseins de la Providence.

Enfance de Jeanne. Sa mission.

Jeanne d'Arc naquit à Domremy, village de France situé près de la frontière du duché de Lorraine, le 6 janvier 1412.

Ses parents se nommaient Jacques d'Arc et Isabelle Romée. Excellents catholiques, ils apprirent avec soin à leurs enfants les principes de la religion. Jeanne prit grand goût à ce premier enseignement de la famille. Bien, qu'elle ne sut ni lire ni écrire, elle possédait parfaitement, dès son jeune âge, le Pater, l'Ave, le Credo et les prières usuelles. Sitôt qu'on put la conduire à l'église, elle s'y fit remarquer par une tendre piété, se montrant, bien jeune encore, assidue à la sainte messe se confessant et communiant souvent. Secourable aux pauvres, elle visitait et soignait aussi les malades, et son curé, messire Guillaume Fronte, disait d’elle : « C’est une bonne chrétienne, je n’en ai jamais vu de meilleure et il n’y a pas sa pareille dans toute la paroisse. »

La France à cette époque, était envahie par les Anglais. L’héritier de la couronne, Charles VII, n’avait plus que peu de partisans et ne parvenait pas à se faire sacrer roi à Reims, tandis qu'un jeune prince descendant des Plantagenets, Henri VI, avait été proclamé à Paris roi de France et d'Angleterre.

Un jour, vers midi, Jeanne, qui avait alors douze ans et demi, se trouvait dans le jardin de la maison paternelle, voisine de l'église. Tout à coup, l'enfant entend prononcer distinctement son nom. Elle se tourne aussitôt du côté de l'église. Une grande clarté l'environne et elle perçoit une voix qui lui dit : « Jeanne, Jeanne, sois bonne et pieuse, aime Dieu, fréquente l'église ! »

L'enfant tomba à genoux, et voulut se consacrer totalement à Dieu par le vœu de virginité. A partir de ce moment, l'archange saint Michel et les saintes vierges et martyres Catherine et Marguerite lui apparurent souvent. Jeanne entendait leur voix qui disait :

« Il y a grande pitié au royaume de France », et encore : « Fille de Dieu, va en France, il le faut ! »

Elle répondait en pleurant :- Je ne suis qu'une pauvre fille, je ne connais ni A ni B. Je ne sais ni monter à cheval, ni manier

la lance, ni faire la guerre !Vers l'âge de dix-sept ans, sur l'ordre de l'archange et des Saintes, elle alla trouver Robert de

Baudricourt, gouverneur de Vaucouleurs, lui demandant de l'envoyer au roi de France. Elle fut d'abord très mal reçue ; mais le ciel vainquit la résistance des hommes, et Baudricourt, remettant à Jeanne une épée, l'envoya au roi de France vers la fin de février 1429, sous l'escorte de six hommes armés. Elle arriva, au bout de onze jours, au château de Chinon, en Touraine, où résidait Charles VII.

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Jeanne examinée à Chinon.

Le roi consentit, après trois jours d'attente, à lui accorder une audience. C'était le 9 mars.Toutefois, il laissa à un personnage de sa suite les attributs royaux et se dissimula parmi ses

courtisans, après avoir revêtu un costume très simple. Jeanne, nullement éblouie par le faste de la cour, s'abandonna à la conduite des anges du Seigneur. Sans hésiter, elle reconnut Charles VII, alla droit vers lui et lui montra qu'elle connaissait les plus intimes secrets de son âme. Le roi, stupéfait et ému jusqu'aux larmes, fut bientôt convaincu. Charles convoqua alors son Parlement à Poitiers, sous la présidence de l'archevêque de Reims. La jeune fille dut fournir des preuves de la vérité de ses affirmations. On lui demanda entre autres choses d'accomplir un prodige.

Au nom de Dieu, répondit-elle, je ne suis pas venue à Poitiers pour faire des prodiges. Mais envoyez-moi à Orléans : là, je vous montrerai les miracles que je suis venue faire. Qu'on me donne des soldats en tel nombre que l'on voudra et je ferai lever le siège de la ville.

- Pourquoi demandez-vous des soldats ? objecta l'un des examinateurs. Si Dieu veut délivrer la France, il n'a pas besoin de guerriers pour cela.

Les soldats combattront, et Dieu donnera la victoire, répliqua Jeanne.La sagesse de cette réponse et de toutes les autres frappa les examinateurs. Ils acceptèrent

volontiers la délivrance d'Orléans comme signe de la mission de Jeanne, et rédigèrent une sentence très favorable au nom de l'Eglise et de la patrie.

Délivrance d'Orléans.

La jeune fille reçut alors une armure semblable à celle des chevaliers, et se fit apporter une épée qui se trouvait cachée dans l'église de Sainte-Catherine de Fierbois. Sur l'ordre de ses Saintes, elle fit peindre un étendard sur lequel on lisait ces mots : Jhesus Maria.

Puis Charles VII l'envoya à Blois, où était réuni un corps de troupes destiné à marcher sur Orléans. En arrivant dans cette ville, Jeanne pria son aumônier, Fr. Pasquerel, et les autres prêtres de prêcher à ses soldats, et de leur dire qu'aucun ne l'accompagnerait à Orléans qui ne se fût confessé et n'eût communié avant le départ.

Le 29 avril 1429, elle pénétrait dans Orléans, ramenant dans cette place désolée l'inébranlable espoir d'une prochaine délivrance. Le vendredi 6 mai, Jeanne organisa une sortie et emporta d'assaut la bastille des Augustins, où les Anglais avaient réuni celles de leurs troupes qui occupaient la rive gauche de la Loire. Rentrée triomphante dans Orléans, elle déclara, devant de nombreux témoins, que le lendemain elle délivrerait la ville, et annonça au Fr. Pasquerel qu'elle serait blessée à la poitrine.

Blessée et victorieuse.

Le samedi 7, avant l'aube, Jeanne entendit la messe, et, après avoir communié avec une grande ferveur, elle revêtit son armure et s'avança à l'attaque. Le fort des Tourelles était réputé imprenable. Néanmoins, l'attaque commença aussitôt, et des prodiges de valeur furent accomplis dans les deux camps. Les forces humaines ont une limite. Vers 1 heure de l'après-midi, la Pucelle voit ses soldats épuisés ; elle seule conserve toujours la même vigueur. Voulant à son tour tenter l'assaut, elle dresse une échelle contre le rempart. Les Anglais l'ont reconnue ; une grêle de traits s'abat sur elle, et une flèche lui transperce l'épaule. On emporte l'héroïne loin du rempart, on la dépose sur l'herbe. Le trait

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sortait d'un demi-pied de l'autre côté de la poitrine.

Bientôt ses célestes Visions lui promettent de nouveau la victoire, et elle sent aussitôt son courage renaître.

- Je suis bien consolée, dit-elle.Elle arrache elle-même le fer de la blessure. Puis elle se confesse en versant d'abondantes larmes,

annonce la défaite des Anglais et se retire pour prier. Une heure plus tard, elle s'élance vers son étendard, le saisit, puis, d'un geste énergique, le plante dans le remblai de l'ouvrage assiégé en répétant :

- Tout est vôtre ! Entrez ici !Les Français se précipitent à l'assaut. Rien ne les arrête. Ils sont miraculeusement soutenus tandis

que les défenseurs des Tourelles succombent, et bientôt Jeanne pour venir remercier Dieu dans la cathédrale d'Orléans, peut traverser la Loire sur le pont des Tourelles. Les Anglais, découragés, levèrent le siège le lendemain 8 mai: tout de suite les Orléanais organisèrent une procession d'action de grâces qui s'est continuée fidèlement à travers les siècles. Quelques jours plus tard, Jeanne prit le commandernent d'une armée, et en moins d'une semaine, arracha aux Anglais les villes de Jargeau, Meung et Beaugency et remporta la victoire de Patay.

Pris, d'une terreur panique, les Anglais s'enfuirent devant nos troupes et n'osèrent plus s'arrêter qu'à Paris.

Sacre du roi à Reims.

Jeanne la Pucelle, ainsi qu'on l'appelait, c'est-à-dire la vierge, n’était pas suscitée par Dieu seulement pour remporter des victoires sur les champs de bataille, mais aussi pour réformer la France ou mieux la refaire, après les malheurs affreux qui l’avaient défigurée. Elle s'acquitta avec zèle de cette mission, précisant les obligations du clergé, du peuple, des soldats, des membres de la famille royale, du roi lui-même. La libératrice d'Orléans attache une importance capitale à un point : c'est pour le divin Roi, avant tout, qu'elle est venue reconquérir la France ; c'est sur le front du Christ qu'elle veut d'abord voir reposer la couronne de saint Louis.

Enfin, Jeanne obtient du roi qu'il se mette en marche vers Reims. Charles VII, qu'accompagnait la vaillante jeune fille, s'avança donc à travers un pays occupé par l'ennemi. Mais, l'armée qui le suivait n'eut pas à livrer bataille. Villes et châteaux forts se rendaient au souverain légitime, et le dimanche 17 juillet 1429, la pompe d'un sacre royal se déroula dans la cathédrale de Reims.

Hélas ! à partir de ce jour, le roi préféra écouter ses ministres. Ceux-ci contrecarrèrent la jeune guerrière et commencèrent des négociations avec l'ennemi, puis firent reprendre à l'armée, malgré les protestations de la Pucelle et des patriotes éclairés, la direction de la Loire.

Hésitations de Charles VII. – Revers devant Paris.

Tandis que le roi perdait ainsi un temps précieux, le duc de Bedford, régent de France pour les Anglais, et Philippe le Bon, duc de Bourgogne, resserraient leur alliance. Une armée ennemie sortit de Paris et s’opposa au passage de la Seine par l’armée royale. Cependant Charles VII, qui avait conclu une trêve avec Philipppe le Bon, s’obstinait à ne pas attaquer Paris. Tandis que lui-même se trouvait à Compiègne, son armée exécutait, à travers l’ile-de-France et les régions avoisinantes, une marche à l’aventure, durant laquelle villes et forteresses continuaient à lui ouvrir leurs portes et à faire leur soumission. Jeanne n’y tint plus : accompagnée du duc d’Alençon et suivie d’une moitié de l’armée, elle prit le chemin de Paris, s'arrêta à Saint-Denis, qui accueillit la libératrice, et prépara tout pour l'attaque de la capitale, espérant que le roi ne tarderait pas à amener le reste des troupes.

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Celles-ci, au contraire, se firent attendre longtemps. Enfin le 7 septembre, le roi arrivait, et dès le 8 au matin, la Pucelle dirigeait la marche sur Paris. Jeanne força la première barrière de la porte Saint-Honoré, puis, l'étendard à la main, se jeta avec les plus braves dans les fossés, malgré le feu nourri des assiégés ; mais un trait d'arbalète la blessa grièvement à la cuisse. Elle n'en continua pas moins à donner des ordres, promettant que la place serait prise sans tarder.

Une lâche trahison s'accomplit alors. Le premier ministre, La Trémoille, et les chefs à sa dévotion, voyant Jeanne si près de réussir, ordonnèrent aux soldats de leurs compagnies de cesser le combat. Mais la Pucelle réitère son affirmation et proteste encore lorsque le duc d'Alençon, avec quelques chevaliers, revient chercher la blessée.

De fait, on sut plus tard qu'une effroyable panique s'était répandue dans Paris et que bien des bourgeois songeaient à se rendre. Malgré sa blessure, le lendemain, de grand matin, Jeanne était levée, et elle allait recommencer l'attaque, quand le roi donna l'ordre formel de battre en retraite.

L'armée se replia sur les bords de la Loire, et un peu plus tard, Charles VII emmena la jeune fille, avec la cour, au château de Sully, résidence de la Trémoille. A la fin de mars 1430, ne pouvant supporter l'inaction, Jeanne quittait Sully avec quelques chevaliers, se dirigeant vers le Nord, où Philippe le Bon s'apprêtait à rentrer en campagne.

« Tu seras prise. » - Trahie et vendue.

La Pucelle parcourait les fossés de la ville de Melun, quand ses Saintes lui firent une révélation qui glaça son âme d'épouvante : - Tu seras prise, lui dirent-elles, avant la Saint-Jean. Puis, voulant la réconforter, elles ajoutèrent : - Prends tout en gré. Dieu t'aidera. Malgré cette terrible révélation, Jeanne n'en continua pas moins à faire héroïquement son devoir. Et avec une compagnie de 200 hommes, se jeta dans Compiègne assiégé.

C'était le 23 mai 1430. Guillaume de Flavy, gouverneur de la ville, créature des ministres de Charles VII, proposa à la jeune guerrière d'opérer une sortie le soir même, lui faisant espérer qu'elle surprendrait l'ennemi. Mais celui-ci l'attendait, tout préparé comme s'il avait été averti. Jeanne lança ses soldats avec succès sur Margny, poste avancé des Bourguignons, mais les troupes anglaises, intervenant, provoquant un fléchissement dans l'intrépide compagnie. Bien que plusieurs chefs français proposassent de battre en retraite, Jeanne l'entraîna à une seconde attaque, qui fut suivie d'un nouveau recul.

Flavy, feignant alors de redouter une surprise, fit fermer le ponts-levis et les portes de Compiègne. L'héroïne et les cinq ou six braves restés autour d'elle, ne songeaient qu'à combattre du haut de leurs destriers. Cernés de toutes parts, ils ne pouvaient tenir tête à cette cohue d'ennemis. La jeune fille, pourtant, continuait à se défendre avec l'énergie du désespoir. Enfin, un archer picard, taillé en hercule, la saisit par les bords de sa huque d'étoffe rouge et la désarçonna. Les soldats la maintenaient à terre, lui criant d'une voir triomphante :

- Rendez-vous ! Rendez-vous ! Donnez-nous votre foi !J'ai donné et octroyé ma foi à un autre que vous, reprit-elle, et je lui tiendrai mon serment.

A cette heure suprême, l'héroïque vierge n'oubliait pas qu'elle appartenait à Jésus-Christ.Prise et enchaînée, elle fut traînée de prison en prison par Jean de Luxembourg, qui,

définitivement, la vendit aux Anglais pour 10 000 livres d'or.

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La prison. - Condamnée sur un faux.

Les Anglais conduisirent Jeanne à Rouen, où ils l'enfermèrent dans un étroit et dur cachot. Voulant déconsidérer aux yeux du peuple les révélations qu'elle disait avoir, ils lui intentèrent un procès en cour ecclésiastique. Dans ce dessein, ils s'assurèrent, à prix d'argent, un prélat indigne, Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, qui réclama Jeanne parce qu'elle avait été faite prisonnière sur le territoire de son diocèse. Durant plusieurs mois, ce juge prévaricateur interrogea la jeune fille et chercha à lui arracher l'aveu d'un crime imaginaire. L'accusée, durant son procès, répondit avec une remarquable sagesse et un admirable esprit de foi à toutes les questions qui lui furent posées.

Le 24 mai 1431, Cauchon fit dresser son tribunal sur la place de Saint-Ouen, où il essaya d'obtenir une rétractation publique de Jeanne. La pauvre prisonnière s'écria aussitôt, par trois fois :

- J'en appelle au Pape !Le juge infâme ne tint pas compte de cet appel, et feignit de croire que Jeanne renonçait à sa

mission. Il revint la voir dans sa prison, après quelques jours, et lui demanda si elle avait encore entendu ses voix :

- Oui, répondit-elle.Alors Cauchon se retira et rédigea une sentence déclarant que Jeanne était retombée dans ses

erreurs et la livrant au bras séculier, c'est-à-dire, en fait, l'abandonnant aux Anglais et à leur cruelle vengeance.

Sur le bûcher. - La Patronne de la France.

Le mercredi 30 mai, de grand matin, un religieux Dominicain. vint annoncer à la prisonnière le supplice qui l'attendait. La pauvre enfant s'écria :

- J'en appelle à Dieu !Ensuite elle demanda le saint Viatique et communia avec une touchante piété, une foi vive, un

grand amour et d'abondantes larmes. On la fit monter dans une charrette et on la conduisit sur la place du Vieux-Marché, où l'on avait élevé un bûcher à une grande hauteur. Arrivée au lieu du supplice, tout d'abord elle s'agenouille et prie à haute voix la Sainte Trinité, la bienheureuse Vierge Marie, les Saints et Saintes du paradis, en particulier ceux que sa piété a toujours spécialement invoqués. Elle proteste de sa foi de fervente chrétienne et demande humblement à Dieu d’oublier les fautes qu’elle a pu commettre au cours de sa vie. La jeune vierge songe à prémunir son âme contre toute défaillance. Jésus, son divin Roi, a expiré sur une croix : elle réclame, elle aussi, une croix pour mourir. Un soldat en fit une de deux morceaux de bois. Jeanne la baisa dévotement et la plaça sur son cœur. Mais cela ne suffisait pas. Elle désira avoir un Crucifix afin de pouvoir contempler l’image du Rédempteur. De l’église Saint-Sauveur on lui rapporta la croix des processions ; elle la saisit avec un ineffable bonheur, adressant à son Dieu immolé une fervente prière. Deux sergents s’emparèrent alors de la condamnée et la poussèrent vers le bûcher. Elle en gravit les degrés, escortée des Dominicains Martin Ladvenu et Isambard de la Pierre. On lui enlève  des mains le Crucifix. On l’attache brutalement au poteau, et l’on couvre son front d’une mitre d’ignominie portant ces mots :

« Hérétique, relapse, apostate, idolâtre. »- Non, non, je ne suis pas hérétique ni schismatique, proteste énergiquement la Pucelle, je suis

bonne chrétienne… Non, non, mes voix ne m’ont pas trompée, elles venaient vraiment du ciel. Bientôt les étincelles jaillissent, une fumée intense enveloppe la victime, l’air se raréfie, les choses de la terre s’effacent.

- De l’eau bénite ! implore Jeanne.

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Puis ne songeant plus désormais qu’au Christ-Roi, dont elle est venue rappeler à la France l’autorité souveraine, la victime, d’une voix haute et ferme qui stupéfie la multitude, clame un suprême appel à son divin Bien-Aimé :

- Jésus ! Jésus ! Jésus !Puis inclinant doucement la tête, elle rend son âme à Dieu. Quand le bûcher eut achevé son

œuvre, le bourreau retrouva intact au milieu des cendres le cœur de Jeanne. Il ralluma vivement le feu ; ce cœur précieux et saint ne put être consumé et fut jeté dans la Seine avec les cendres de la lLibératrice.

Jeanne en avait appelé au Souverain Pontife, ce ne fut pas en vain. En 1456, Calixte III cassa la sentence de Cauchon et réhabilita Jeanne. Proclamée vénérable par Léon XIII le 27 janvier 1894, béatifiée par Pie X le 18 avril 1909, elle fut canonisée le 16 mai 1920 par Benoît XV. Enfin, Pie XI l’a donnée pour patronne à la France le 2 mars 1922. C’est donc sainte Jeanne d’Arc que doivent prier tous ceux qui veulent obtenir que le Christ-Roi règne sur la France.

Mgr. Henri Debout.

Sources consultées. – Mgr H. Debout, grande vie illustrée de Sainte Jeanne d’Arc (Paris, 1922).Histoire admirable de sainte Jeanne d’Arc (Paris, 1922) ; Lectures spirituelles sur sainte Jeanne d’Arc (Paris, 1922). L. Petit de Julleville, Jeanne d’Arc (Collection Les Saints, 1900). (V.S.B.P., n° 743, 1523 et 1524.)

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SAINTE ANGÈLE MERICI

Fondatrice de l’Ordre de Sainte-Ursule (1474-1540)

Fête le 31 mai.

Le nom de sainte Angèle Merici est un des grands noms de l’histoire de l’Eglise. En pleine renaissance, alors que s’élabore un monde nouveau, au moment où l’hérésie de Luther commence ses ravages, cette pauvre fille illettrée comprenant que l’ignorance est la grande plaie de l’Eglise, entreprend pour les jeunes filles ce que saint Ignace fait pour les jeunes gens. Elle jette les fondements de la Compagnie de Sainte-Ursule, première Congrégation de femmes vouées à l’enseignement. Pour accomplir leur mission, les premières Ursulines vivront dans le monde ; elle révolutionne ainsi l’idéal même de la vie religieuse qui pour les femmes n’admet que le cloître et le costume monacal. Au reste, la fondatrice précise que, docile à l’autorité ecclésiastique, l’Institut devra s’adapter aux temps et aux lieux. Ursulines et Jésuites, « c’est à ces deux Compagnies que l’Europe, et la France en particulier, doivent en grande partie d’avoir conservé la vraie doctrine.»

Une pieuse famille. Enfance d'une Sainte.

Angèle naquit le 21 mars 1474, à Desenzano, petit port de pêche sur le lac de Garde, à 30 kilomètres de Brescia. Son père, Jean Merici, et sa mère, Biancosi, habitaient la ferme des Grezze, qui subsiste encore, dont ils étaient propriétaires. Angèle était la dernière de cinq enfants, trois garçons sur lesquels nous ne savons rien et qui peut-être moururent jeunes et deux filles. La maison paternelle était comme un sanctuaire ; on y vivait et travaillait constamment sous le regard de Dieu ; on y faisait la prière en commun, et, chaque soir, une lecture d’un livre de piété ou dans la Vie des Saints terminait la journée. Angèle suivait avec une attention extrême ces pieuses pratiques et en éprouvait un véritable ravissement. Ce fut d'après ces saintes impressions qu'elle imagina de se ménager une retraite ; avec l'aide de sa sœur, qui partageait ses aspirations, elle transforma en oratoire une petite chambre, où elles se retiraient chaque jour, à certaines heures, pour prier et chanter des psaumes et des cantiques. A ces exercices, Angèle ajoutait déjà les rigueurs de la pénitence. Elle fit à neuf ans le vœu de virginité et persuada sa sœur de l'imiter. Dès lors, elle renonça à toute parure et mit un soin jaloux à ne plaire qu'à Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Angèle était d'une rare beauté et, entre autres avantages, elle avait de magnifiques cheveux blonds. Un jour qu'on la complimentait à ce sujet, elle en fut toute troublée ; ne pouvant couper cette trop belle chevelure sans se singulariser, elle recourut, pour en ternir l'éclat, à une étrange lotion, composée d'eau, de suie et de miel. Elle avait treize ans quand, sur ses instances, elle fut admise à la première Communion. Elle aurait voulu communier tous les jours, mais la déplorable erreur des communions tardives et rares sévissait déjà. Angèle en fut la victime et en souffrit.

Aussi, lorsque Jésus venait en son âme, était-elle toute à son bonheur ; elle restait la journée entière sans vouloir prendre aucune autre nourriture.

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Chez l'oncle Barthélemy. - La fuite au désert.

Vers 1487, Jean Merici, à peine âgé de quarante ans, fut emporté en quelques jours par une fièvre maligne et, deux ans plus tard, sa pieuse femme le suivait dans la tombe. Après ce double malheur, les deux orphelines durent quitter Desenzano. Barthélemy Biancosi, frère de leur mère, les emmena chez lui, à Salo, petite ville située également sur le lac de Garde, à 25 kilomètres environ au nord de Desenzano. C'était un riche commerçant, honoré de ses concitoyens, et surtout un chrétien exemplaire. Dans cette demeure hospitalière où tout favorisait leurs désirs de perfection, il fut facile aux deux jeunes filles de se tracer un sage règlement de vie, distribuant la journée entre le travail et la prière sans jamais laisser un instant à l'oisiveté. Cependant, le malheur qui avait, resserré l'affection d'Angèle et de sa sœur les avait aussi davantage rapprochées de Dieu et le bien-être de leur nouvelle existence contrariait leur désir de mortification.

Enflammées par la lecture des Pères du désert, elles décident un beau jour de chercher dans les montagnes quelque grotte où elles pourront mener la vie érémitique. Elles s'en vont bravement, après la messe, seules, sans provisions, sans avoir rien dit à personne. Le soir, elles se choisissent un abri parmi les arbres et les rochers. Leur bon oncle, inquiet de ne pas les voir rentrées à midi, se met en quête et finit par découvrir les deux fugitives dans la retraite où elles se croyaient si bien isolées du reste du monde. Il ne leur adressa pas de reproches ; il se contenta de leur faire comprendre, les dangers auxquels les exposait une piété mal entendue. Mais loin de combattre l'attrait de ses nièces pour la vie silencieuse et retirée, l'oncle Barthélemy leur ménagea dans sa demeure une cellule. Là, elles se mirent à pratiquer ce qu'elles ne pouvait pas faire au désert.

Nouveaux deuils. - Sainte Angèle Tertiaire de Saint-François.

Il y avait environ six ans qu'Angèle et sa sœur habitaient chez leur oncle, lorsque cette sœur chérie fut enlevée par une mort soudaine, sans que le prêtre ait pu lui administrer les derniers sacre- ments. Angèle fut brisée par ce nouveau malheur. Une angoisse douloureuse l'étreignait ; elle tremblait sur le sort de cette âme rappelée à l'improviste devant le tribunal de Dieu. Or, quelque temps après, un jour qu'elle portait le repas des moissonneurs, en arrivant au détour d'un chemin, elle aperçoit au-dessus de sa tête une nuée lumineuse, puis la Vierge Marie qui lui présente sa sœur étincelante de gloire et entourée d'un cortège d'anges. « Oh ! Angèle, dit l'heureuse élue, persévère comme tu as commencé et tu jouiras avec moi de la même félicité. »

Cet événement exerça une influence profonde sur la sainte jeune fille et la détacha encore davantage des choses de la terre. C'est sans doute vers cette époque qu'elle entra dans le Tiers-Ordre de Saint-François, dont elle embrassa la règle et l'esprit dans sa plénitude. On la nomma dès lors « Sœur Angèle ». Revêtue de l'habit franciscain qu'elle portera jusqu'à sa mort et dans lequel elle demandera à être ensevelie, elle put, tout en restant dans le monde, vivre comme une religieuse.

C'est aussi vers ce temps, en 1495 ou 1496, que la mort enleva l'oncle Barthélemy ; Angèle revint alors habiter la maison paternelle à Desenzano. Elle allait y demeurer vingt ans.

Séjour à Desenzano. – La vision de Brudazzo.

Angèle fit d'abord valoir le patrimoine dont elle avait hérité, mais, par amour de la pauvreté, elle s'en dépouilla peu à peu et finit par vivre d'aumônes. Ses pénitences deviennent encore plus rigoureuses ; une planche ou une natte posée à même la terre forment son lit ; en guise d'oreiller, elle a des sarments ou une pierre. Du reste, elle sort peu ; cilice, flagellations, jeûnes continuels mortifient sans pitié son corps. La sainte Eucharistie, qu'elle reçoit maintenant tous les jours avec

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l'assentiment de son directeur, la nourrit et la soutient miraculeusement. Parmi les âmes qui s'attachèrent à elle à cette époque, une jeune fille dont le nom est inconnu devint sa fidèle compagne. Ensemble elles priaient, travaillaient, visitaient les pauvres. Cette affection fut encore brisée par la mort, vers l'année 1506.

Un mois environ après cet événement, Angèle se rendait aux champs avec quelques jeunes filles. Pendant que ses compagnes prenaient leur repas, elle se retira pour prier, à l'ombre d'une vigne, en un lieu appelé Brudazzo. Tout à coup, les nuages s'écartent, une lumière étincelante l'environne, et du sol où elle est agenouillée, une échelle semblable à celle de Jacob s’élève devant ses yeux, jusqu’au ciel. Une troupe innombrable de vierges en parcourt les échelons ; vêtues de robes éclatantes, portant sur la tête un diadème royal, elles montent et descendent, deux à deux, en chantant des cantiques avec accompagnement d'instruments aux mains d'un cortège d'anges. Se détachant du groupe, une des vierges, en qui Angèle reconnaît l’amie quelle vient de perdre, s'approche d'elle et lui dit  : « Angèle, sache que Dieu t'a ménagé cette vision pour te marquer qu'avant de mourir tu fonderas à Brescia une Société de vierges semblables à celle-ci.

Angèle communiqua à ses compagnes, ce qui venait de se passer et celles-ci se mirent sous sa conduite, pour se livrer aux œuvres de zèle, donner des soins aux petits enfants, les réunir pour leur enseigner les prières et le catéchisme, visiter et secourir les pauvres et les malades, entrer dans les ateliers pour combattre le blasphème. C'était comme une ébauche de l’œuvre annoncée par la vision. L'action de la petite société se fit bientôt sentir, un renouveau de vie chrétienne fleurit à Desenzano et dans la région. Angèle devint l'objet de la vénération, on venait la voir, prendre ses conseils, se recommander à ses prières. Cependant, la vision avait parlé de Brescia ; c'est là que la Providence avait décidé de jeter les bases de la future Congrégation.

Il y avait alors à Brescia une riche famille, les Pentagola, grands bienfaiteurs des œuvres, des églises et des monastères, qui venaient chaque année passer les mois d'été dans leur maison de campagne, à Patengo, petit village voisin de Desenzano. Ayant connu les vertus et les mérites d'Angèle, ils devinrent les amis et les protecteurs de sa petite Société. Or, en 1516, les Pentagola étaient de retour à Brescia après un séjour de quatre mois à Patengo lorsque la mort leur enleva coup sur coup leurs deux fils. Dans leur douleur, ils font appel à la charité d'Angèle pour venir les consoler. Obéissant à ses supérieurs spirituels qui lui commandent de se rendre à cet appel, Angèle prend aussitôt des mesures pour assurer, durant son absence qu'elle croit devoir être courte, le fonctionnement de sa petite Société de Desenzano, et elle part pour Brescia, où vont s’accomplir les divines promesses.

A Brescia. - Pèlerinages à Jérusalem et à Rome.

Brescia venait d'être affreusement éprouvée par la guerre qui, depuis vingt ans, désolait l’Italie et particulièrement le Milanais et la Vénétie ; mise à feu et à sang en 1512, elle était ruinée à jamais. Au milieu de la désolation, Angèle apparaît comme l’ange de Dieu. Elle prêche d’abord à la conversion, la fuite du péché. Sa pauvre cellule, établie près de l’église Saint-Barnabé, peut à peine contenir les visiteurs ; elle est fréquentée à l’égal d’une Université, car, entre autre grâces surnaturelles, Angèle a reçu le don de science infuse ; elle parle latin sans l’avoir jamais étudié ; elle explique les passages les plus difficiles des Livres Saints et traite les questions théologiques avec une si admirable précision que les plus doctes personnages recourent à ses lumières. Un jeune étudiant de l’Université de Padoue vient à Brescia pour s’assurer de la vérité de ce qu’on dit de la servante de Dieu.

Il se présente superbement vêtu, avec le bonnet rouge de docteur et la grande plume alors à la mode.

- J'étudie, lui dit-il, dans le dessein d'arriver à la prêtrise ; et je désire savoir si c'est bien la volonté de Dieu.

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- Vous avez grand besoin de changer, répondit-elle, avant d’embrasser un état qui réclame la modestie ; car vous me paraissez fort enclin à la vanité.

Le jeune homme, décontenancé, avoua ses fautes et bientôt après réformait sa conduite. Angèle parvint aussi à réconcilier des gentilshommes qui nourrissaient depuis longtemps l'un contre l'autre une haine mortelle ; ce fait eut un retentissement considérable. Le duc de Milan, François Sforza, ravi de la sagesse de ses conseils, l'appelle sa « mère spirituelle » et cherche à la retenir près de lui.

Que Satan se soit acharné contre cette sainte femme, on n'en peut douter, bien qu'Angèle n'ait rien révélé de ses tentations. On sait cependant qu'un jour un ange de lumière lui apparut et lui adressa des paroles de louange. Angèle devina la ruse ; un ange qui flatte ne peut être qu'un démon. « Retire-toi, dit-elle, tu n'es qu'un esprit de mensonge. Je ne suis qu'une pauvre pécheresse qui ne mérite pas d'être visitée par les anges du ciel. »

Au mois de mai 1524, elle entreprit avec un de ses cousins, Biancosi, et un riche gentilhomme bressan, le pèlerinage de Terre Sainte, mais en débarquant à Candie elle perdit subitement la vue. Néanmoins elle résolut de continuer le voyage. Au Calvaire elle renouvela ses vœux et au Saint-Sépulcre elle reçut de nouvelles lumières sur sa mission. Au retour, comme le navire faisait encore escale à La Canée, elle se fit conduire dans une église où l'on vénérait un Crucifix miraculeux. Elle se mit en prières et tout à coup elle recouvra la vue. Les pèlerins reprirent leur voyage dans l'allégresse ; ils arrivèrent sains et saufs à Venise après avoir miraculeusement échappé à une terrible tempête et à la poursuite des pirates barbaresques. A peine débarquée à Venise, la servante de Dieu est l'objet de l'admiration de la population ; les autorités civiles et religieuses lui offrent la direction des hôpitaux. Elle refuse gracieusement, et comme on complote de la retenir malgré tout, elle s'enfuit secrètement et revient en toute hâte à Brescia.

L'année suivante, elle se rend à Rome pour le grand jubilé. En entrant à Saint-Pierre, elle rencontre un camérier du Pape, qui avait été son compagnon de voyage au retour de Terre Sainte  ; celui-ci la présente au Souverain Pontife. Déjà instruit des merveilles dues à la sainteté de cette humble fille, Clément VII eût vivement désiré la voir se fixer à Rome pour y prendre la direction d'établissements charitables ; mais Angèle lui fit part de sa vision de Brudazzo et de la mission qu'elle avait reçue de Dieu. Le Pape l'écouta et bénit sa fidélité à suivre l'appel divin.

Fondation des Ursulines.

Cinq ans encore vont s'écouler avant que la fondatrice jette les bases de son Institut. C'est que la guerre a repris en Italie avec la terrible rivalité de François 1er et de Charles-Quint. En 1529, Brescia est de nouveau investie ; ses habitants se réfugient à Crémone et ne reviennent que lorsque la paix est signée, à la Noël de 1529. La Providence intervient enfin, et Notre-Seigneur lui-même prescrit à Angèle de se mettre à l'œuvre sans retard. La sainte femme choisit aussitôt douze jeunes filles de Brescia, leur propose de la part du Maître de mener dans leurs demeures respectives une vie retirée ; puis, en de fréquentes réunions, elle les forme à l'amour de la pureté, de la mortification, de l'obéissance, de la pauvreté, à la parfaite charité. Vers la fin de 1533, ses filles sont au nombre de 28 et elle les réunit tous les jours. Elle leur montre les maux de l'Eglise, l'Angleterre entraînée dans le schisme par son roi, la Lombardie entamée par le protestantisme qui submerge l'Allemagne, et partout l'ignorance religieuse, cause de tout le mal ; le bien auquel est appelée la fondation d'un groupe de religieuses qui uniront la vie active à la vie contemplative.

Les premières religieuses de ce nouvel Institut prononcèrent leurs vœux le 25 novembre 1535, à Brescia, dans l'église Sainte-Afre ; elles étaient 27 ; un mois après, leur nombre atteignait 60 ; aux trois vœux de chasteté, pauvreté, obéissance, elles en ajoutèrent un quatrième, celui de se consacrer à l'enseignement.

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Angèle ne voulut pas qu'on donna son nom au nouvel Institut elle le plaça sous le patronage de sainte Ursule, la vierge martyre de Cologne, qui lui était apparue trois fois pour la guider et l'encou-rager et que les Universités du moyen âge avaient déjà choisie pour patronne de la jeunesse et des études. « Nous formerons, dit-elle, la Compagnie de Sainte-Ursule. Elle sera votre patronne et la mienne. Nous travaillerons sous sa bannière à la propagation de la foi, à l'extinction du vice et de l'erreur ; nous instruirons dans la sainte doctrine les personnes de notre sexe. » Et, se partageant les quartiers de la ville, elles se mirent aussitôt à l'œuvre. La règle reçut une première approbation du cardinal Cornaro, évêque de Brescia, le 8 août 1536.

Sainte Angèle Supérieure générale. - Sa mort.

Quelques mois plus tard, le 18 mars 1537, se réunissait le premier Chapitre général, et Sœur Angèle, malgré ses instances, fut élue Supérieure générale de la Compagnie. Elle continua pendant. trois ans encore à instruire, à guider et surtout à édifier ses premières filles dont le nombre croissait rapidement. Elle tomba malade au commencement de janvier 1540. Réunissant ses filles désolées autour de sa couche funèbre, elle leur donna ses derniers avis. Puis, ayant reçu les derniers sacrements « avec une angélique dévotion », elle ferma les yeux et rendit doucement son âme à Dieu, le 28 janvier 1540, en murmurant le nom de Jésus. Angèle allait avoir soixante-sept ans. Son corps, que la corruption ne devait jamais atteindre, fut porté en grande pompe à la cathédrale Sainte-Afre ; il y demeura exposé pendant un mois. Les prodiges ne tardèrent pas à se manifester au tombeau de la « vierge de Brescia », et l'église devint bientôt un centre de pèlerinages. Clément XIII approuva le 30 avril 1768, le culte que le peuple rendait spontanément à la servante de Dieu. En 1790, Pie VI se préparait à procéder à la canonisation, mais la Révolution française l’en empêcha. Pie VII devait la célébrer le 24 mai 1807. Le 11 juin 1861, Pie IX élevait la fête de sainte Angèle au rite double. La statue de sainte Angèle se trouve à Saint-Pierre de Rome, parmi celles des fondateurs d’Ordres. La petite ville de Desenzano a aussi élevé une belle statue en l’honneur de la Sainte dont elle fut le berceau et elle l’a choisie pour patronne.

Développements de l’Institut.

Sainte Angèle n’avait fait que jeter les premiers fondements de l’œuvre que Dieu lui avait ordonné d’établir et qui devait s’étendre dans le monde entier avec une merveilleuse rapidité. La Compagnie de Sainte-Ursule fut approuvée par le Saint-Siège, le 9 juin 1544. En 1566, saint Charles Borromée, archevêque de Milan, la constitua avec les vœux et la vie de communauté, sans cependant y joindre la clôture, et obtint du Pape Grégoire XIII une nouvelle approbation de l’Institut sous cette forme. La Compagnie de Sainte-Ursule prit en France sa forme définitive et fut élevée au rang d’Ordre religieux par la Bulle Inter universa, du Pape Pau V, le 13 juin 1612.

Son premier monastère cloîtré, fondé à Paris, devint le centre de la Congrégation de Paris ; peu après commença la Congrégation de Lyon ; en 1618, le cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux, fut autorisé par Rome à fonder dans cette ville un monastère cloîtré qui donna naissance à la Congrégation de Bordeaux ; cette Congrégation à laquelle appartiennent les monastères d’Italie, est de toutes la plus répandue. En 1639, les Ursulines de France passèrent au Canada avec la vénérable Marie de l’Incarnation et elles y fondèrent de nombreux monastères. Les communautés de Sainte-Ursule sont toutes indépendantes les une des autres. Mais un désir général d’union au sein de l’Ordre se manifesta vers la fin du XIXe siècle. De là est née l’Union romaine des Ursulines, réalisée par le Pape Pie X, par un décret du 14 septembre 1903. Les Ursulines possèdent désormais à Rome une maison-mère et une Supérieure générale.

A.E.A.

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Sources consultées. – Sainte Angèle Merici, par une religieuse du même ordre (Paris, 1922). – Abbé Parenty, Histoire de sainte Angèle (Arras, 1842). – R .P. At, prêtre du Sacré-Cœur, Histoire de sainte Angèle Merici (Notre-Dame d’Alet, 1885). – (V.S.B.P., n° 277).

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PAROLE DES SAINTS________

Les exemples des Saints.

De peur que les commandements de Dieu ne nous épouvantent, les exemples des anciens Pères noue fortifient, et le rapport que nous avons avec eux nous fait espérer, que nous pourrons faire ce que nous n'osions présumer, à cause de notre faiblesse.

Saint Grégoire 1er.

(Œuvres, I. XXV, c. vh.)

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SOMMAIRE

MAI

1. Saint Romain le Néomartyr, à Bagdad (730-780), Fr. Delmas.2. Saint Athanase, patriarche d'Alexandrie et Docteur de l'Eglise (293-373), A. Poirson.3. Saint Alexandre 1er, Pape, et ses compagnons. saints Evence et Théodule martyrs († 132), Maxime Viallet. 4. Sainte Monique, veuve, mère de saint Augustin (332-387), A.R.B.5. Saint Pie V, Dominicain, Pape (1504-1572), A.J.D.6. Bienheureuse Elisabeth de Toess, princesse de Hongrie, Dominicaine (1297-1338), Fr. Br.7. Saint Stanislas de Cracovie, évêque et martyr (1030-1079), A.B. Catoire.8. Saint Acace de Byzance, soldat et martyr († 303 ou 306), F.C.9. Saint Grégoire de Nazianze, archevêque de Constantinople et Docteur de l'Eglise (328 ?- 389), Th. Quincieux.10. Sainte Solange, vierge, patronne du Berry (860?-878), A.L.11. Saint Mamert, archevêque de Vienne († 475), E. Varnoux.12. Saints Nérée et Achillée, martyrs à Rome (début du IIe siècle) A.D.E.

13. Bienheureuse Imelda Lambertini, vierge (1322-1333) Maxime Viallet. 14. Saint Pons, martyr († vers 255 ou 261), Christophe Portalier.

15. Saint Jean Baptiste de la Salle, prêtre, fondateur de l'institut des Frères des Écoles chrétiennes (1651-1719), A.F.B.16. Saint Jean Népomucène, prêtre et martyr (1330-1383), A.E.D. 17. Saint Pascal Baylon, Frère Mineur (1540-1592), A.R.C. 18. Saint Félix de Cantalice, Capucin convers (1515-1587), A.L.19. Saint Pierre Célestin, Pape (Célestin V) (1212-1296), C.Octavien. 20. Saint Bernardin de Sienne, Frère Mineur (1380-1444), A.G.21. Bienheureux Bernard de Morlaas, Dominicain et ses deux disciples du couvent de Santarem (XIIIe siècle), André Pradel, O.P.22. Sainte Rite de Cascia, veuve, religieuse Augustine (1381-1457), A.R.B. 23. Saint Didier, évêque de Vienne et martyr (540?-6O6), E. Varnoux.24. Saints Donatien et Rogatien, ou « les Enfants Nantais », martyrs († 288-289?), Romain Heitmann.25. Saint Grégoire VII, Pape († 1085), Maxime Viallet.26. Saint Philippe Néri, fondateur de l'Oratoire de Rome (I515-1595), A. Poirson.27. Saint Bède le Vénérable, Bénédictin, Père et Docteur de l'Eglise (673-735), A.E.A.28. Saint Bernard de Menthon, apôtre des Alpes et fondateur d’hospices (923-1008), A. Pidoux de la Maduère.29. Sainte Marie-Madeleine Pazzi, Carmélite (1566-1607), Th. Vettard. 30. Sainte Jeanne d'Arc, vierge, patronne de la France (1412-1431), Mgr Henri Debout.31. Sainte Angèle Merici, fondatrice des Ursulines (1474-1540), A.E.A.

(Illustrations de J-M. Breton.)

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TABLE DES MATIÈRES

Les pages en chiffres gras indiquent les biographies complètes ; les pages suivies d’un astérisque (*) les citations des écrits ; les autres pages de simples notes.

SAINTS Léon IX, 195. Mamert, 81.Acace de Byzance, 57. Nérée et Achillée, 89.Acca, 214. Pascal Baylon, 129.Achillée, 89. Philippe Néri, 201, 142.Aignan, 81. Pie V, 33.Alexandre 1er, Pape, 17. Pierre Célestin, 145.Alexandre d'Alexandrie, 10. Pons, 105.

Antoine, 14. Quirin, 17Athanase, 9. Rogatien, 185Augustin, 25, 64*, 104*. Romain le Néomartyr, 1.Basile, 70. Stanislas de Cracovie, 49.Bède le Vénérable, 209. Bernard, 64*. SAINTESBernard de Menthon, 217.Bernardin de Sienne, 153. Angèle Mérici, 241.Césaire, 65. Anthousa, 2.Damase, 90. Flavie Domitille, 89.Didier de Vienne, 177. Gorgonia, 65.Donatien, 185. Jeanne d’Arc, 233.Étienne le Thaumaturge, 2. Marie-Madeleine Pazzi, 225.Félix de Cantalice, 137. Monique, 25.Ferréol, 84. Nonna, 65.François de Sales, 88*, 168*. Pétronille, 92.Grégoire 1er le Grand, 92, 178, 248*. Rite de Cascia, 169.Grégoire VII, 193. Solange, 73.Grégoire de Nazianze, 65, 16. Thérèse d’Avila, 88*.Hermès, 20.Isidore de Séville, 8*, 130*. BIENHEUREUXJean-Baptiste de La Salle, 113, 104*.Jean Chrysostome, 168*. Bernard de Morlaas, 161.Jean Népomucène, 121.Julien de Brioude, 84. BIENHEUREUSESJustin, 8*.Laurent Giustiniani, 168*. Angèle de Foligno, 200*.Léon 1er le Grand, 56*, 80*. Elisabeth de Tœss, 41. Léon III, 92. Imelda Lambertini, 97.

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