8
Cancers : les victoires de l’immunothérapie Les défenses de l’organisme peuvent être renforcées par des médicaments ciblés ou en édu- quant des cellules du patient. PAGE 2 Découverte d’un mammouth laineux L’animal mis au jour à Changis- sur-Marne, au squelette bien conservé, vivait parmi les hommes de Neandertal, il y a plus de 130 000 ans. PAGE 3 carte blanche Roland Lehoucq Astrophysicien, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (PHOTO : MARC CHAUMEIL) L’espace, un moteur de croissance Cinq astronautes français promeuvent, dans une tribune, l’activité de l’Agence spatiale européenne, réel investissement pour la France et l’Europe. PAGE 8 Todd McLellan démonte de vieux objets et arrange toutes les pièces avant de les photographier. Ici, photo extraite de la série « The Disassembly ». TODD MCLELLAN L ’énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas », rappelle la directive européen- ne sur l’efficacité énergétique. Il est vrai que, pour chacun d’entre nous, l’énergie, c’est d’abord une facture d’électricité, de gaz ou de carburant et l’écono- miser revient à en réduire le montant. Mais, avant d’être une ligne comptable, l’énergie est d’abord une notion de physique qui quantifie la capacité d’un systè- me à effectuer des transformations. Se déplacer, se chauffer, cuire ses aliments ou fabri- quer un objet nécessite de l’énergie. Plus la transforma- tion est importante, plus il y a d’énergie mise en jeu. Depuis la maîtrise du feu, l’humanité a domestiqué de nombreuses formes d’énergie, ce qui a notamment per- mis la remarquable augmentation de la production matérielle des Occidentaux. L’énergie possède une propriété fondamentale : elle ne peut être ni créée ni détruite. Les physiciens disent qu’elle se conserve. Son bilan étant toujours équilibré (sans avoir besoin de voter une règle d’or budgétaire !), il est donc impropre de parler de production ou de consommation d’énergie. En revanche, l’énergie se dégrade. Par exemple, dans le moteur d’une voiture, l’énergie chimique du carburant est transformée en chaleur dont un gros tiers est transmis au véhicule sous forme d’énergie de mouvement. Le reste est dissi- pé et chauffe l’air environnant. In fine, l’énergie de mouvement se transforme aussi en chaleur en raison de l’action des freins, mais aussi de la résistance de l’air et du frottement des pneus sur le sol. En définitive, un trajet en circuit fermé effectué en voiture ne fait rien d’autre que transformer du carbu- rant en chaleur. Ainsi, l’énergie se dégrade lorsqu’elle passe des formes chimique, mécanique (ou électrique) à la forme chaleur. Elle se dégrade aussi lorsqu’elle pas- se de la forme chaleur à haute température à la forme chaleur à basse température. Pour mesurer la dégradation de l’énergie, les physi- ciens utilisent une autre quantité, l’entropie. Contraire- ment à l’énergie, l’entropie ne se conserve pas. Pis, dans un système isolé, elle augmente toujours au cours de la transformation. De ce point de vue, toutes les énergies n’ont pas le même statut. Ainsi, énergie mécanique et énergie électrique sont équivalentes en ce sens qu’elles peuvent se transformer l’une en l’autre au prix d’une faible dégradation, c’est-à-dire d’une fai- ble augmentation de l’entropie. Ce sont des énergies « haut de gamme ». En revanche, la chaleur à basse tem- pérature est une forme « bas de gamme » car elle est impossible à transformer intégralement en un temps fini en énergie mécanique ou électrique. Les techniques de l’énergie visent à contrôler ses divers processus de transformation, afin de réduire la part de l’énergie « bas de gamme », irrécupérable, au profit de l’énergie que l’on souhaite finalement utili- ser. Il s’agit donc de minimiser l’augmentation d’entro- pie. Si on prend l’exemple du chauffage, celui qui satis- fait le mieux cette contrainte est le chauffage par cogénération, qui fournit électricité et chaleur. Par ailleurs, une bonne isolation des bâtiments per- met de garder la chaleur, et donc l’entropie, à l’intérieur. En définitive, ce n’est pas l’énergie qui a de la valeur, mais sa qualité. C’est celle-ci que nous devons épargner car chaque transformation d’une énergie en une autre augmente inexorablement l’entropie. Une conclusion s’impose donc : il faut économiser l’entropie ! p Economisons l’entropie A la recherche du temps perçu Comment le temps est-il représenté dans le cerveau ? Quelles zones cérébrales traitent l’information temporelle ? Nos émotions influent-elles sur notre perception du temps ? Que sait-on du développement des capacités d’estimation temporelle chez l’enfant ? Voyage dans le cerveau à la découverte d’un sens immatériel et subjectif. PAGES 4-5 Cahier du « Monde » N˚ 21091 daté Samedi 10 novembre 2012 - Ne peut être vendu séparément

10%*$!*$! #& (/+) +*3& - KAZUTIME

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 10%*$!*$! #& (/+) +*3& - KAZUTIME

Cancers: les victoires del’immunothérapie Les défenses del’organismepeuvent être renforcéespar desmédicaments ciblés ou en édu-quantdes cellules du patient. PAGE 2

Découverte d’unmammouthlaineux L’animalmis au jour àChangis-sur-Marne, au squelette bien conservé,vivait parmi leshommesdeNeandertal,il y a plus de 130000ans. PAGE 3

c a r t e b l an ch e

RolandLehoucqAstrophysicien,

Commissariat à l’énergieatomique et aux énergies

alternatives(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

L’espace, unmoteur de croissanceCinqastronautes français promeuvent,dansune tribune, l’activitéde l’Agencespatiale européenne, réel investissementpour la Franceet l’Europe. PAGE 8

ToddMcLellandémonte de vieux objets et arrange toutes les pièces avant de les photographier. Ici, photo extraite de la série « TheDisassembly ». TODD MCLELLAN

L ’énergie lamoins chère est celle que l’onneconsommepas», rappelle la directive européen-ne sur l’efficacité énergétique. Il est vrai que,

pour chacund’entrenous, l’énergie, c’est d’abordunefactured’électricité, de gaz oude carburant et l’écono-miser revient à en réduire lemontant.Mais, avantd’êtreune ligne comptable, l’énergie est d’abordunenotiondephysiquequi quantifie la capacité d’un systè-meà effectuerdes transformations.

Sedéplacer, se chauffer, cuire ses alimentsou fabri-querunobjet nécessitede l’énergie. Plus la transforma-tion est importante, plus il y a d’énergiemise en jeu.Depuis lamaîtrisedu feu, l’humanité a domestiquédenombreuses formesd’énergie, ce qui a notammentper-mis la remarquable augmentationde la productionmatérielledesOccidentaux.

L’énergiepossèdeunepropriété fondamentale: ellenepeut êtreni crééeni détruite. Les physiciensdisentqu’elle se conserve. Sonbilan étant toujours équilibré(sans avoir besoinde voterune règle d’or budgétaire!),il est donc impropredeparler de productionoudeconsommationd’énergie. En revanche, l’énergie se

dégrade. Par exemple, dans lemoteur d’unevoiture,l’énergie chimiquedu carburant est transforméeenchaleurdontungros tiers est transmis auvéhiculesous formed’énergie demouvement. Le reste est dissi-pé et chauffe l’air environnant. In fine, l’énergie demouvement se transformeaussi en chaleur en raisonde l’actiondes freins,mais aussi de la résistancede l’airet du frottementdes pneus sur le sol.

Endéfinitive, un trajet en circuit ferméeffectué envoiturene fait rien d’autreque transformerdu carbu-rant en chaleur. Ainsi, l’énergie se dégrade lorsqu’ellepassedes formes chimique,mécanique (ouélectrique)à la formechaleur. Elle se dégrade aussi lorsqu’elle pas-se de la formechaleur àhaute température à la formechaleur à basse température.

Pourmesurer la dégradationde l’énergie, les physi-ciensutilisent une autre quantité, l’entropie. Contraire-ment à l’énergie, l’entropiene se conservepas. Pis,dansun système isolé, elle augmente toujours aucours de la transformation.De ce point devue, toutesles énergiesn’ont pas lemême statut. Ainsi, énergiemécaniqueet énergie électrique sont équivalentes en

ce sens qu’elles peuvent se transformer l’une en l’autreauprixd’une faible dégradation, c’est-à-dired’une fai-ble augmentationde l’entropie. Ce sont des énergies«haut de gamme». En revanche, la chaleur à basse tem-pérature est une forme«bas de gamme» car elle estimpossible à transformer intégralement enun tempsfini en énergiemécaniqueou électrique.

Les techniquesde l’énergie visent à contrôler sesdiversprocessusde transformation, afinde réduire lapart de l’énergie «bas de gamme», irrécupérable, auprofit de l’énergieque l’on souhaite finalementutili-ser. Il s’agit doncdeminimiser l’augmentationd’entro-pie. Si on prend l’exempledu chauffage, celui qui satis-fait lemieuxcette contrainte est le chauffageparcogénération, qui fournit électricité et chaleur.

Par ailleurs, unebonne isolationdesbâtimentsper-metde garder la chaleur, et donc l’entropie, à l’intérieur.Endéfinitive, ce n’estpas l’énergiequi a de la valeur,mais sa qualité. C’est celle-ciquenousdevonsépargnercar chaque transformationd’uneénergie enuneautreaugmente inexorablement l’entropie.Une conclusions’imposedonc: il faut économiser l’entropie!p

Economisons l’entropie

Alarecherchedutempsperçu

Comment le tempsest-il représentédans le cerveau?Quelles zones cérébrales traitent l’information temporelle?Nosémotions influent-elles surnotreperceptiondu temps?

Quesait-ondudéveloppementdes capacitésd’estimation temporelle chez l’enfant?

Voyagedans le cerveauà ladécouverted’unsensimmatériel et subjectif.

PAGES 4-5

Cahier du «Monde »N˚ 21091 daté Samedi 10novembre 2012 - Nepeut être vendu séparément

Page 2: 10%*$!*$! #& (/+) +*3& - KAZUTIME

Stresser la tumeurpourmieux lacibler

SCIENCE&TECHNO a c t u a l i t é

Florence Rosier

Dans la guerre sansmerci déployéecontre les cancers,une multitude d’of-fensives mobilisentnos lignes de défen-

seimmunitaire.Cesontles«immuno-thérapiesdes cancers». Les premièresarmesdececombatontétéfourbiesen1891 par un chirurgien new-yorkais:«Chez de jeunesmalades atteints d’os-téosarcome, une tumeur des os trèsagressive, William Coley constatequ’une infection aiguë provoque larégression des tumeurs», raconte Lau-rence Zitvogel, oncologue médicale àl’InstitutGustave-Roussy (IGR) à Ville-juif (Val-de-Marne).En 1893, il injecteàces malades un cocktail de bactériesinactivéesquifontàleurtourrégresserces cancers. Comment? En stimulantle système immunitaire, qui «libère»sonagressivitévis-à-visdes tumeurs.

Etonnamment, cette approcheconstitue encore le traitement stan-dard de certains cancers de la vessiedepuis quarante ans: après résectionchirurgicale de la tumeur, des injec-tions répétées de bacille du BCG sontpratiquéesdans la vessie.

Chezlespatients,plusieursobserva-tions confirment le rôle primordialdu système immunitaire dans lecontrôle des cancers – ou montrentses défaillances dans leur développe-ment. C’est d’abord le constat d’unefréquenceaccruede certains lympho-mes chez les patients immunodépri-més (à l’immunité affaiblie par unemaladieouun traitement).

C’est ensuite cette découverte dansdes cancers du côlon, du sein ou del’ovaire : «Plus le site primitif de latumeur est riche en certaines cellulesimmunitaires,moins le patient fait derécidive et plus sa survie est longue»,explique Franck Pagès, de l’hôpitaleuropéen Georges-Pompidou (Paris).Avec l’équipe Inserm de JérômeGalon, il a mis au point un « scoreimmunitaire» à visée pronostique,fondé sur le nombre de lymphocytesqui infiltrent les tumeurs colorecta-les.A terme, cescorepourraitpermet-tre d’adapter les traitements.

Mais àmesure que la tumeur croît,elle s’allie rapidement à un régimenttransfuge de l’immunité : les cellu-lesT dites «régulatrices» qui freinentl’offensive destructrice des cellulesTcytotoxiques. Ces manœuvres félon-nes s’appuient sur plusieursmolécu-les-clés, telle la protéineCTLA4. Lors-que celle-ci apparaît en nombre à lasurface des cellulesT, elle retarde ou

freine l’action des cellules cytotoxi-ques…quinepeuventpoursuivreleurattaque tumorale.

«L’étapesuivanteaétéledéveloppe-ment de stratégies visant à contrecar-rer cette immunosuppression», relateLaurence Zitvogel. D’où la mise aupointd’unepremièremolécule théra-peutique:unanticorpsanti-CTLA4,l’i-pilimumab.Chef de file des immuno-thérapies des cancers, il est aujour-d’huiapprouvédansletraitementdesmélanomes métastatiques par lesagences du médicament américaineeteuropéenne.«Avec l’ipilimumab, lasurvie des patients est au moins dou-blée. Chez les répondeurs, cette survieapparaîtdurable,avecunreculdequa-treà cinqans, se réjouitCéleste Lebbé,onco-dermatologue à l’hôpital Saint-Louis, à Paris. L’immunothérapie alongtemps été un “serpent de mer”dans le mélanome,mais après quinzeansde déceptions çamarche enfin!».

Pourautant,cen’estpas lapanacée.Le coût initial demandépar le labora-

toire (Bristol-Myers Squibb) était siélevé–80000eurosparpatient–queles négociations avec les autoritéssanitairesbloquent.Pourl’heure, l’ipi-limumab n’est pas remboursé. Cer-tains hôpitaux français acceptent dele financer,mais beaucouprefusent.

Autres faiblesses de l’ipilimumab:«Nousnedisposonspasencoredebio-marqueurs pour prédire les 20% depatients qui répondront, regretteCaroline Robert, onco-dermatologueà l’IGR.Et l’ipilimumabaunprofild’ef-fets indésirables très inhabituel. Parcequ’il libère le système immunitaire, ilpeut déclencher une auto-immunitéen s’attaquant aux tissus sains. Il fautbien connaître ces effets, en informerles patients et apprendreà les gérer.»

D’autres immunothérapiessontencours d’évaluation. Parmi elles, unanticorps anti-PD1, qui «réveille» lesystème immunitaire en débloquantun de ses verrous. Au congrès mon-dial de cancérologie qui se tenaitdébut juin à Chicago, l’ASCO, cet anti-

corpsaétéélu«moléculedel’année».Il a donné lieu à deux articles et à unéditorial,publiésenjuindanslapresti-gieuse revue New England Journal ofMedicine. Des essais préliminairessuggèrent des taux de réponses pro-longées chez 20% à 30% des patientsdans des tumeurs très agressives :mélanome, cancer du rein et cancerdupoumonnonàpetites cellules.

«Une autre stratégie est d’éduquerles lymphocytesT naïfs du patientavec les antigènes isolés de son proprecancer», explique Laurence Zitvogel.Chezdespatientesatteintesde cancerdu col de l’utérus, cette «vaccinationthérapeutique» donne des résultatsprometteurs. Les antigènes adminis-trés sont issus des papillomavirus del’herpèsHPV16 et 18, en cause dans ledéveloppement de ces cancers. Etdans un article publié, fin 2009, dansle New England, l’équipe de CornelisMeliefétablit l’efficacitéde lavaccina-tion thérapeutique (par des « longspeptides» de ces virus) dans des can-

cers de la vulve. Le 11 octobre, uneautre équipe montre, dans ScienceTranslational Medicine, que des fem-mes atteintes de lésions précancéreu-sesdéclenchentune réponse immuneanticancer spécifiqueet durable aprèsavoir reçu, par électroporation, desfragments d’ADN (des oncogènes desvirusHPV16et18).Plusieursautresvac-cins thérapeutiques sont à l’essaicontre desmélanomes, des cancers del’ovaireoudusein.

Les chercheursmobilisent aussi les«cellules dendritiques», ces fantas-sins de l’immunité chargés de présen-ter les antigènes aux cellules immu-nespour leurapprendreà tuer lespor-teursdecesantigènes.Lescellulesden-dritiques sont prélevées chez lespatients,misesàincuberavecdesfrag-mentsdemoléculesspécifiquesdecer-tains cancers (« antigènes tumo-

raux»), puis réinjectées aux patients.Dans les cancersde laprostatehormo-no-résistants métastatiques, cetteméthode approuvée aux Etats-Unis«permet des gains de survie de six àhuitmois»,observeLaurenceZitvogel.

Autrevoie: réinjecteraupatient sespropres lymphocytes après les avoiractivésexvivopardifférentesmanipu-lations. Au préalable, le patient doitavoir subi une ablation de ses cellulesmédullaires. «Ce sont des protocolestrès lourds et coûteuxmais assez révo-lutionnaires», souligne la chercheuse.Ils ont fait la «preuve du concept»dans desmélanomeset des leucémieslymphoïdes chroniques.

Les tumeurs sont loin d’avoir signéleur reddition. Mais face aux chargesréitéréesdesescadronsdel’immunité,renforcés de ces nouvelles armes thé-rapeutiques, elles amorcent un reculmanifeste. p

Co-investigatrices des essais cliniquesavec l’ipilimumab, les professeurs Caroli-ne Robert et Céleste Lebbé déclarent desliens d’intérêt avec les laboratoires Bris-tol-Myers Squibb notamment.

Stimulé, le systèmeimmunitaire «libère»

sonagressivitévis-à-vis des tumeurs

Le rôledes«régulateurs»

Desvaccins sont à l’étudecontredesmélanomes,des cancers de l’ovaire

oudu sein

Retouraux fondamentauxscien-tifiques, piliers de tout progrès.A l’InstitutCurie (Paris), l’équipeInsermdeSébastienAmigorenavient depréciser le rôle d’undes«régiments» de l’immunité,dans la revue Sciencedu26octo-bre. Il s’agit des lymphocytesTrégulateurs,une sous-popula-tion chargéed’inhiber les réac-tions de l’individu contre sespropres tissus, ou réactions auto-immunes.Ce sont aussi les cellu-les qui «trahissent» l’organismedans sa lutte anticancer! «Nousmontronsque ces cellules sontégalement importantes lors desétapesprécoces des réponsescontredes antigènes externes,lors d’une infectionpar exemple.Elles favorisent le recrutementdes lymphocytesde “forte affini-té” pour l’antigène, expliqueSébastienAmigorena.Cettedécouvertepourrait être impor-tantepour lamise aupoint destratégiesde vaccinationdurable,y compris contre les cancers.»

L’immunothérapie,unenouvellearmecontrelescancersm é d e c i n e | Plusieursobservationsconfirmentlerôleprimordialdusystèmeimmunitairedanslecontrôle

decesmaladies.Différentesthérapiessontdéjàdisponibles,d’autressontàl’essai

FRANÇOIS SUPIOT

T ant que l’on feramourir les cellules cancéreusessans activer le système immunitaire, onn’ob-tiendraquedes bénéficesà court terme», relè-

ve Laurence Zitvogel.D’où l’approched’immunothé-rapie développéepar son laboratoire Insermet celuideGuidoKroemer à l’InstitutGustave-Roussy (IGR) àVillejuif (Val-de-Marne). L’idée est dedéclencherunemort tumorale «immunogène», pourque le systè-me immunitaireparachève l’œuvrede destructiontumorale engagéepar le traitement.

«Dansnotre étudepubliée le 28septembredansScience, nousmontrons que l’activationdu systèmeimmunitaire joueun rôle favorabledans la réponsedes patients à la chimiothérapie», indiqueGuidoKroemer. En cas de cancer du sein localement inva-sif, les patientesdoivent subir une chimiothérapie

dehuit cycles avant d’être opérées.«Après le premiercycle, les biopsies réaliséesmontrentune invasionimportantede lymphocytes cytotoxiquesdans lestumeursde certaines patientes: ce sont celles quirépondront lemieuxà la chimiothérapie», souligneGuidoKroemer. «Nousmontronsaussi que le systè-me immunitairedétecte une aberrationgénétiquefréquentedes cellules tumorales. Il s’agit de latétraploïdisation,undoublement indudunombredechromosomesde ces cellules», poursuit le chercheur.Cette accumulationde génomesuperfludans les cel-lules tumorales déclencheun stress chroniquedansune structurenommée réticulumendoplasmique.

Le système immunitaire détecte généralement cestress des cellules tumorales, qu’il détruit.Mais il selaisse parfois déborder. «La chimiothérapie, lors-

qu’elle est efficace, rétablit ce stress que le systèmeimmunitairepeut reconnaître», souligneGuidoKroemer. Ces travauxouvrent desperspectives thé-rapeutiques.«Nous reproduisonsun stress immuno-gène en traitant la tumeurpardifférentesmolécules,par exempledes glycosides cardiaques [desmédica-ments dérivésde la digitaline, notammentutilisésdans le traitementde l’insuffisance cardiaque].»Unedécouverteque cette équipe a publiée le 18juilletdans Science TranslationalMedicine.

Chezdes patients atteints de cancerORL, un essaipréliminaireva commencer à l’hôpital européenGeorges-Pompidou, à Paris, en collaboration avecl’IGR, pour évaluer l’intérêt d’un traitement stan-dard combinéà des glycosides cardiaques.p

Fl.R.

2 0123Samedi 10 novembre 2012

Page 3: 10%*$!*$! #& (/+) +*3& - KAZUTIME

C’est la pression recordobtenueengiga-pascal grâce àunepressed’unnouveaugenredéveloppéeparune équipe inter-nationaleet publiéedans la revueNatu-re Communications le 23octobre. Cettevaleur, sixmillionsde fois la pressionatmosphériqueet 1,7 fois celle régnantau centrede la Terre, est supérieurede50%à celle obtenueavecdes systèmescomparablesutilisantdespointesdediamantenguise d’enclume.Pouratteindreune telle performance, l’équi-pe a remplacé ces pointespardes demi-sphèresde carbone incorporantdespetits grainsdediamantmonocristallinde seulement50nanomètresdediamè-tre. L’étudedes très hautes pressionspermetde comprendre les formationsdesnoyauxdeplanètes et les change-ments de propriétés dematériauxcommel’hydrogène, l’oxygène…

640

Pierre LeHir

Ce devait être une bellebête. Un animal dans laforce de l’âge, avantque, mort ou vif, il soithappé par la vase, surune terrasse alluviale

delaMarne.Làoùvientde ledécouvrir,exceptionnellement bien conservédans sa gangue de limon, une équipede l’Institut national de recherchesarchéologiques préventives (Inrap). Letrophée est miraculeux: le squelettepresque complet d’unmammouth lai-neux (Mammuthus primigenius), dontde très rares spécimensavaient été jus-qu’ici retrouvés en France.

Il faut fairepreuved’unpeud’imagi-nationpoursereprésenter,à laplacedel’actuelle carrière de sable et de gravieroùaétéexhuméelacarcasse,surlacom-mune de Changis-sur-Marne (Seine-et-Marne), le paysage de steppe herbeuse– onparle de «steppe àmammouth» –parsemée de maigres bosquets quirégnait ici aux âges glaciaires.

Le puzzle des ossements,même s’ilsnesontpasencorecomplètementdéga-gés, se reconstitue en revanche au pre-mier regard, tant le proboscidien estdemeuréintactdanssonlinceuldeglai-se. Voici un humérus – une pièce d’unbon mètre de longueur –, une scapula(omoplate), un alignement de vertè-bres, une série de côtes, le bassin, unfémur, énumère Stéphane Péan,archéozoologue au Muséum nationald’histoire naturelle de Paris. Les lon-gues défenses d’ivoire, avec lesquellesle pachyderme cherchait son fourragesouslaneige,ontété légèrementdépla-cées, sansdoutepar les fluctuationsducours de la rivière. L’une a glissé encontrebas ; la seconde, un peu plushaut, est restée solidaire de lamâchoi-re,oùdeuxpuissantesmolairesdemeu-rent enchâssées.

L’ensemble donne une idée de lataille du mastodonte à l’épaisse toi-son : environ trois mètres au garrot,pour un poids de quatre à six tonnes.Encorecelui-ci était-il d’ungabaritplu-tôt modeste, ce qui fait penser qu’ils’agissait «d’un petit mâle ou d’unegrande femelle» – la morphologie dubassin le dira peut-être –, adulte entout état de cause.

La trouvaille est encore trop fraîchepour qu’ait été réalisée une datation,non pas sur le squelette – le carbone14

est inopérant sur des ossements aussivieux–,mais sur les sédiments,pardestechniquesde luminescence. L’analysestratigraphiquedesdépôtsalluvionnai-res indique toutefois que la dépouilleenseveliedate d’aumoins 130000ans.Or, Mammuthus primigenius, apparuvoilà 600000 ans, est arrivé il y a200000ansenEuropeoccidentale, oùil s’est éteint il y a 10000 ans, le climatétantdevenutropdouxpourcetteespè-ce adaptée auxgrands froids.

Lemammouth de Changis-sur-Mar-ne vivait donc parmi les hommes deNeandertal. Une coexistence donttémoigne aussi la découverte, sur lemême site, d’une «pointe Levallois»,une pierre taillée caractéristique de latechnique de débitage des Néanderta-liens du paléolithique moyen (de–300000à – 30000ans).

C’est ici que l’histoire devient laplus excitante. Et la plus incertaine.

L’animal est-il mort naturellement?S’est-ilenlisédans lesolbourbeuxlais-sé par un retrait de la rivière? S’est-ilnoyé? Ou alors, a-t-il été abattu?

«Neandertal chassait les grandsmammifères, aurochs, rennes, cerfs etautres bisons. Sans doute était-il aussicapabledechasseruntrès grandmam-mifère comme le mammouth», décritPascalDepaepe, directeur scientifiquede l’Inrap. Et ce, même si les scènes detraque collective de la mégafauneappartiennentsansdoutedavantageàl’imagerie qu’à la réalité. Pour autant,rienneditque leshommesdeChangis-sur-Marne ont inscrit l’éléphantidé àleur tableau de chasse.

Deux indices tiennent les paléonto-logues en haleine. Deux petits éclatsde silex taillé, le premier long de deuxcentimètres à peine, le second d’envi-ron quatre centimètres, trouvés toutprès d’un fragment de mâchoire. Ils

pourraient signifier qu’à défautd’avoirtué lemammouthlesNéander-taliens ont prélevé sur sa carcasse desquartiers de viande, de la peau ouencore des tendons, dont ils faisaientdes ligatures, négligeant en revanchel’ivoire, les défenses étant entières.

L’analyse de ces silex (leur tran-chant est-il émoussé et de quellefaçon?) et celle des ossements (por-tent-ils la trace de découpes, d’inci-sions, de raclages?) permettrontpeut-être de valider l’hypothèse du charo-gnage. On sait que nos lointains cou-sins avaient une alimentation princi-palement carnée, même s’ils se nour-rissaient aussi – l’étude de tartre den-taire fossilisé l’a montré – de fruits etde légumes cuits.

Il s’agit, quoiqu’il en soit, de l’undestrès rares exemples d’association depachydermesetd’outilshumains.Cel-le-ci n’était jusqu’ici attestée, en Euro-pe de l’Ouest, que sur deux sites alle-mands (Gröbern, en Saxe-Anhalt, etLehringen,enBasse-Saxe,oùunepoin-te d’épieu est restée fichée entre deuxcôtes) et un site français, Tourville-la-Rivière (Seine-Maritime), le fossileétant dans les trois cas celui non pasd’un mammouth mais d’un éléphantantique (Elephas antiquus).

Les précieuses reliques osseuses deChangis-sur-Marne ont été moulées.Elles rejoindront bientôt un labora-toire de l’Inrap, puis sans doute unmusée. Sans que soit peut-être jamaisrésolue l’énigmede la cohabitationdugrandmammouthlaineuxetdel’hom-medeNeandertal, sur la steppe glacéedes bords deMarne.p

a c t u a l i t é SCIENCE&TECHNO

ZoologieNouvelle espèce de cétacé

Lorsquedeuxbaleines, unmâle et unefemelle de 3,5 et 5mètresde long,s’échouèrent, en décembre2010, sur uneplagenéozélandaise, les spécialistes lesrangèrentdansune sous-catégoriedebaleines à bec. Des analyses génétiquesmontrentqu’il s’agit en réalité d’unenouvelle espèce, dont onne connaissaitqu’unemâchoire et deuxcrânes,Mesoplodontraversii. Comme leurscousins, ces cétacés sont de remarquablesplongeurs, remontant rarement à lasurfacede cette partie de l’océanPacifique sud connupour abriter21espècesde baleines. Les chercheurs,grâce à ces spécimensentiers, ontobservédes différencesmorphologiquesnotables avecd’autres baleines à bec. Lefront est plus proéminent et le bec estgris ounoir plutôt que blanc. Le ventreest blanc et les aileronsnoirs.(PHOTO: NEW ZEALAND GOVERNMENT)

>K.Thompsonet al., «Currentbiolo-gy», 6novembre.

UnmammouthenborddeMarnep a l é o n t o l o g i e | Ilyaplusde130000ans, leproboscidienacôtoyél’homme

deNeandertal.LapreuveparunsqueletteetdessilexdécouvertsàChangis-sur-Marne

t é l e s c o p e

PneumologieUnpoumon sur pucepour tester desmédicamentsDeschercheursaméricainsde l’universitéHarvardont crééunmodèledepoumonsurmicropuce,quimimeunœdèmepulmonaire– accumulationd’eaudanscetorgane,dueàunedéfaillancecardiaque.Grâceàce système, ils ont testéin silicounenouvellemoléculeetmontrésonefficacitépour réduire l’œdème.Uneautreéquipeaobtenudes résultatsconcordantsenétudiant cemêmecomposéchezdesanimaux, rongeursetchiens.Ces travauxconfirmentquedesorganesartificielsminiaturespeuventreproduiredespathologieshumaines, etpermettred’explorer l’effetdenouveauxmédicaments.> HuhDet al., ThorneloeK.S et al.,«Science translationalMedicine»,7novembre.

CardiologieLire l’âge du cœur sur le visageDes signes extérieursde vieillissementprédisent le risqued’atteinte cardiaque,selonune étudedanoiseprésentée aucongrèsde l’Associationaméricainedecardiologie, qui s’est tenu à LosAngelesdu 3 au 7novembre. Près de 11000personnesdeplus de 40ans ont étésuiviespendant trente-cinq ans, dans lecadred’une cohorte. 3400ont développéunemaladie cardiaque, et 1700ontsouffert d’infarctus. Indépendammentdes facteurs de risque traditionnels, lesindividus avec trois des quatre signes devieillissement suivants (recul de la lignedes cheveuxauniveaudes tempes,calvitie sur le dessusdu crâne, poches decholestérol sur les paupières, et plis prèsdu lobede l’oreille) avaientun risquesignificativementaccrud’infarctus(+57%) oudemaladie cardiaque (+39%).

De la faussemonnaiegallo-romaine

Le puzzle des ossements se reconstitueau premier regard, tant le proboscidien est demeuré intact dans son linceul de glaise.DENIS GLIKSMAN/INRAP

L’animal est-ilmortnaturellement?

S’est-il enlisé dansle sol bourbeux laissé

parun retraitde la rivière?

L’archéologieest une sciencepleinede surprises. Le squelettedumammouthdeChangis-sur-Marnea étémis au jour grâce àun son-dage effectuédans le cadrede la fouille d’un site…gallo-romain. Cechantier,mené surune carrière degranulats dugroupeCemex, amis en évidenceuneoccupationdatant des IIIe et IVesiècles. L’hypo-thèsed’une exploitationagricole a d’abordété avancée,mais il s’agi-rait plusprobablementd’une zonede transit demarchandises entrelaMarneet la voie romaine.De gros blocs depierre, provenantpourcertainsd’édificespublics antiques (sans doutede la ville romainedeMeaux, distanted’unedizainede kilomètres), auraient servi àl’édificationde quais de déchargement. Plus insolite, un four, desflansmonétaires (rondellesdemétal destinées à la frappe) et desboudinsmétalliques seraient les vestigesd’unatelier de fabricationde fausses piècesdemonnaie en bronze.

David Larousserie

Voiràtravers lesmursoulamatiè-re n’est plus un exploit depuis ladécouvertedesrayonsX,en1895.Mais voir avec de la lumière visi-

ble, verte, rouge ou bleue, ce qui se cachederrière un obstacle semblait un exploitdignede la science-fiction.Paspour l’équi-penéerlandaised’AllardMosk,àl’universi-té de Twente, qui a eu les yeux plus per-çantsque tout lemonde.

DanslarevueNaturedu8novembre, leschercheurs expliquent comment ils ontphotographié un objet « invisible» carsitué derrière une mince couche de verreopaque. En situation normale, un laseréclairantuntelmilieucrée,commeunpha-

re dans un brouillard, un halo informe enaval. Et inversement, si l’objet réfléchit lalumière reçue, l’observateur ne voitqu’une tache floue. Ce trouble vient de ceque la lumière est diffusée dans toutes lesdirections par le milieu, que ce soit unbrouillard, du verre ou unemince couchedepeau.Impossibled’ydistinguerlemoin-dredétail.

En 2007, la même équipe avait trouvéune astuce pour transpercer l’opacité. Enanalysant,à l’aided’undétecteursituéder-rière l’obstacle, lehalorésultant, ils étaientcapables, en retour, de modifier la formede la lumière incidente jusqu’à ce que lehalo se transforme en une tache bien net-te. Il y a quelques mois, une équipe israé-liennede l’InstitutWeizmannautilisé cet-te idée pour focaliser un rai lumineux et

détecterdesobjetsmalgrélaprésenced’unmilieu turbide. Les Néerlandais, dans leurnouvelle expérience, font mieux car ilsn’ontpasbesoind’installerun instrumenten aval dumilieu opaque. «Nous n’étionspas sûrs d’y arriver et le résultat nous a unpeu surpris», témoigneAllardMosk.

L’idée est simple. Au lieu d’éclairer sousunseul angle l’obstaclediffusant la lumiè-re et l’objet situé derrière, les physiciensbalaient sous plusieurs angles leurs cibleset enregistrent les halos créés en retour.Or, il se trouve que ces halos successifs sedéplacent d’une manière prévisible enfonction de l’angle. «L’image de l’objet seretrouvecodéedanscesdéformations.Heu-reusement, ce code n’est pas difficile àdéchiffrer par un ordinateur», expliqueAllardMosk.Ilafallunéanmoinsplusieurs

dizaines deminutes et unmillier d’anglesdifférents pour photographier la lettregrecque pi, cachée derrière un verre opa-que de dix micromètres d’épaisseur. Etdeux fois plus pour une cellule de plante.«C’est une belle avancée, techniquementsimple à réaliser. Mais en pratique on estlimitépar l’épaisseurde lacouchetraverséepar la lumière», remarque Geoffroy Lero-sey, de l’Institut Langevinà Paris.

En effet, plus l’épaisseur est grande,moinslescorrélationsentrelesdifférentesimages des halos sont bonnes, et moinsprécisesera la reconstructionfinale.Néan-moins, AllardMosk pensepossible de voirà travers une feuille de papier, voire unecouchedepeau.Dequoi,enbiologie,obser-ver l’intérieur d’unœuf sans le casser parexemple.p

Voirà travers lebrouillarddevientpossibleUnetechniquenéerlandaised’imageriesejouedel’opacitédesobstaclesmatérielsoubiologiques

30123Samedi 10 novembre 2012

Page 4: 10%*$!*$! #& (/+) +*3& - KAZUTIME

n e u r o s c i e n c e s

LetempsUnsixièmesensàexplorer

Laperceptiondutempsévolueavecl’âgemaisaussienfonctiondenotreétatémotionnel.Demieuxenmieuxdécryptésparlesscientifiques, lescircuitscérébrauxquirégissentcettesensationpeuvent

êtreexploitésàdesfinsthérapeutiques,notammentchezlespatientsatteintsdelamaladiedeParkinson

MarcGozlan

Le temps fait partie intégrantede notre vie quotidienne, quenous soyons pressés, reposés,sous l’emprise d’une émotionou en proie à l’ennui. Qu’ils’agisse de marcher, conduire,

écouterde lamusique, entendre la sonneriedu téléphone,participeràune conversationou faire du sport, le temps est là : omnipré-sent et immatériel. Alors que la perceptionde la vue, du toucher, de l’ouïe, de l’odorat,dugoûtmetenjeudesrécepteurssensorielsspécialisés,iln’existeaucunrécepteurspéci-fiquedutemps!Etpourtantletempsestaus-siprésentennous,danslecerveau,véritablemachineà traiter le temps.

«Dès le plus jeune âge, le nourrisson estplongé dans unmonde avec de nombreusesrégularités temporelles. Il apprend alors lesduréesassociéesàdesactionsdont il fait l’ex-

périence au quotidien», souligne la profes-seure Sylvie Droit-Volet, du Laboratoire depsychologie sociale et cognitive (CNRS, uni-versitéBlaise-Pascal, Clermont-Ferrand).«Ilréagit, en s’agitant ou en pleurant, quand cequ’il attend n’arrive pas au bon moment :quand lemobile au-dessus de son lit s’arrêtede tournerplus tôt que d’habitude, quand samèremetplusdetempsqueprévuàfairesonbiberon», ajoute-elle.

Le très jeune enfant «vit dans le temps»avantd’avoirconsciencequeletempspasse.Il appréhende le temps directement à tra-vers son expérience des actions. Ainsi, noteSylvieDroit-Volet,«pour l’enfantde 3ans, letemps est multiple, spécifique à chaqueaction». A 5-6ans, un enfant devient capa-blede transposer laduréeapprise lorsd’uneaction (appuyer sur une poire en caout-chouc)suruneautre (tirersurunemanette).«Il commence à comprendre qu’un tempsunique existe indépendamment desactions», indique-t-elle.

La sensibilité au temps s’améliore pen-dant l’enfance du fait du développementdes capacités d’attention et demémoire detravailchezl’enfant,quidépendentdelalen-tematurationducortexpréfrontal.Eneffet,juger correctement le temps demande nonseulementde luiprêter attention,maisaus-sideconserverenmémoirelefluxdel’infor-mation temporelle et de maintenir uneattention soutenue. C’est ainsi que lesenfantsavecuntroublededéficit de l’atten-tion avec hyperactivité éprouvent des diffi-cultés à estimer correctement le temps.

Unmoyen d’augmenter la précision desperformancestemporellesconsisteàcomp-terletemps.«A5ans, l’enfantn’estpascapa-ble de compter le temps,mais peut le faire siunadulteledemande.Cependant,lecompta-ge ne suit pas vraiment le rythme des secon-des. A partir de 8ans, l’enfant commence àcompter tout seul le temps avec régularité,mais il faut attendre l’âge de 10ans pourqu’il compte le temps spontanément avec

régularité, sans l’aide d’un adulte», préciseSylvieDroit-Volet.

Surlabasedenotrecapacitéprécoceàesti-mer le temps, des chercheurs ont imaginé,dès 1963, que le temps perçu par notre cer-veau (temps subjectif) est calé sur le tic-tacd’unependule intérieure, de lamêmefaçonque notre vie est rythmée par le tic-tac denotremontre (tempsobjectif). Ilsontmodé-lisé un mécanisme de mesure du temps,une sorte d’horloge interne. Celle-ci estconstituéed’une«basedetemps»émettanten permanence des impulsions («tic-tac»)qui sont stockées dans un accumulateur. Ladurée subjectivedu tempsdépenddunom-bre d’impulsions accumulées. Quand l’hor-loge interne s’accélère, le nombre d’impul-sionsaugmenteet le tempsparaîtplus long.

Parailleurs,dèsqu’ondétournesonatten-tiondutemps, les impulsionssontbloquéesetneparviennentplusà l’accumulateur.Dufaitqueces«tic-tac»nesontpascomptabili-sés, le tempsestalorsjugépluscourtqu’ilne

SCIENCE&TECHNO é v é n e m e n t

Le très jeune enfant«vit dans le temps»

avant d’avoirconscience

que le tempspasse

PATRICK TABERNA/AGENCE VU

4 0123Samedi 10 novembre 2012

Page 5: 10%*$!*$! #& (/+) +*3& - KAZUTIME

D es distorsions temporelles se produi-sent-elles lorsqu’onobservedes per-sonnes selonqu’elles sont au reposou

enmouvement?Une étude franco-brési-liennedirigéepar SylvieDroit-Volet,

publiée en 2011 dans la revuePLoSOne, a cherchéàdéterminer si l’estima-

tionde la duréedeprésentationd’images illus-trantdifférentes attitudes corporellespouvaitvarier en fonctiondumouvement incarnéparcesposes.

Des étudiants de Sao Paulo ont regardé pen-dant des durées identiques (inférieures à

deux secondes) des images de sculptures dedanseuses d’EdgarDegas représentantdesballerinesprenant différentes poses, qu’el-les soient statiques ou enmouvement(notamment les premier et troisième

tempsde laGrande Arabesque, etDanse espagnole), correspon-

dant à des pas de danse et dontdes éditions en bronze sont conser-

vées auMuséed’art de la plus grande ville duBrésil. Il ressort que la durée de présentationdes images de laGrande Arabesque a été jugéeplus longue quepour celles où la ballerineadopte unepose plus oumoins statique.

Ainsi, «la vue d’unepositiondu corps expri-mantplus demouvementa entraînéunallon-gement subjectif du temps par rapport à uneimageexprimantmoins demouvement. Cerésultat peut s’expliquerpar l’incorporationdumouvementobservé chez l’autre, autrementdit par une réactivationpartielle de l’état sensi-tivo-moteur impliquédans lemouvementample conduisantà cette posture corporelle»,note SylvieDroit-Volet.

Selon la théoriede l’esprit incarné, cette réac-tivationentraîneraitplus d’«éveil», avecpourconséquenceune accélérationde l’horlogeinterneet donc, au final, unedistorsion tempo-relle. Celle-ci a une finalité: nouspermettredemieuxnous adapter à l’autre, que celui-ci soitunepersonne âgéeattachanteouunemagnifi-queœuvred’art.p

M.Gn

«Une informationextérieure temporellepeutsoulagerdessymptômesmoteurs»

é v é n e m e n t SCIENCE&TECHNO

l’est objectivement. Utile pour prédire lecomportement de sujets dans les recher-ches en psychologie, l’horloge interne n’estcependantqu’unemétaphore,carnonplau-sible sur les plans neurophysiologique etneuroanatomique.

Unmodèle physiologiquement plus réa-liste a été développé au début desannées2000 par le professeur WarrenMeck,delaDukeUniversityàDurham(Caro-line du Nord, Etats-Unis). Dans ce modèle,baptisé «striatal beat-frequency», la repré-sentationdutempsestsous-tenduepar l’ac-tivité oscillatoire de neurones situés dansles régions superficielles du cerveau (cor-tex). Chaque neurone oscillateur présenteune activité caractérisée par un rythmequilui est propre. La fréquence des oscillationsest détectée par certains neurones du stria-tum dorsal, sous-structure des «ganglionsde la base», terme désignant un ensemblede centres nerveux enfouis profondémentsous le cortex.

«Chacun de ces neurones reçoit jusqu’à30000connexions provenant d’un contin-gentdeneuronesducortexoscillantàdesfré-quences différentes. Ces neurones du stria-tumseraientàmêmede lire le codetemporelémispardesneuronesoscillateurscorticaux.Ils s’activeraientnotamment lorsquel’activi-té oscillatoire correspondrait à des profilsd’activitédétectés antérieurementet stockésenmémoire», indiqueWarrenMeck.

Parallèlement à ce modèle dans lequell’activité neuronale est à l’origine de l’esti-mation du temps, les structures cérébralesimpliquéesdans le traitementde l’informa-tion temporelle diffèrent selon qu’il s’agitd’estimer la durée d’un stimulus («tempsexplicite») ou de percevoir la durée quinous sépare d’un événement dont on s’at-tend qu’il se produise dans les secondes ouminutesà venir («temps implicite»).

«Pour des durées allant de quelquesmilli-secondes à quelques minutes, le traitementdutempsexpliciteetdutempsimpliciten’im-plique pas les mêmes zones neuroanatomi-ques», souligne Jennifer Coull, chercheuse

CNRS au Laboratoire des neurosciencescognitivesà l’universitéd’Aix-Marseille.Cesdifférencess’expliquentdu faitque«le trai-tement du temps implicite sert presque tou-jours à réaliser un but sensitivo-moteur –“Avant de participer à une réunion de tra-vail, ai-je ou non le temps de prendre uncafé?”–,alors que le traitement du tempsexpliciteviseàestimeruneduréeen tantquetelle», note la spécialiste. Les études sur letempsexplicitemontrentquedeuxstructu-res corticales, l’aire motrice supplémentai-re,qui coordonne lesgestes complexes, et lecortex préfrontal droit, sont constammentactivées.

Il aétémontréque lecervelet joueunrôlemajeurdans les tâchesmotricesnécessitantla perception du temps implicite. D’autreszones du cerveau peuvent être impliquéesdans l’estimationdu timing implicite, com-me le cortex pariétal gauche, qui gère lesintentions dumouvement, et le cortex pré-moteur gauche, région du lobe frontal dontle rôle est deplanifieret d’organiser lemou-vement. Il arrive que le cortex préfrontaldroit, habituellement impliqué dans l’esti-mation du temps explicite, soit sollicitépour l’estimation du temps implicite. C’estle cas lorsqu’un événement ne survient pasdans le délai auquel on s’attendait à le voirapparaître, par exemple lorsqu’un feu rou-gedurebienplus longtempsqueprévu. Il seproduit alors unemise à jour par le cerveaudes prédictions temporelles avec une nou-velle anticipationdudélai d’attente.

Par ailleurs, « les zones cérébrales impli-quées diffèrent selon le contexte, et ced’autant que la durée du stimulus est brève,inférieure à quelques 200millisecondes»,préciseJenniferCoull.Onobservequelecor-tex visuel est activé lorsqu’on évalue ladurée d’un stimulus visuel. De même, il seproduituneactivationducortexmoteurpri-maire lorsque l’estimation temporelle estassociée à une action, et le cortex auditif estsollicité lorsde l’estimationde laduréed’unstimulus sonore.

Surtout,laperceptiondutempsparlecer-veau met en jeu des processus liés à lamémoireetàl’attention.Pourpreuve,lasen-sation que le temps passe plus vite si on esttrès occupé, qu’on s’adonne à une activitépassionnante ou amusante. Il s’envolemême lorsqu’on est amoureux! A l’inverse,l’eaumettra un temps fou à bouillir si l’ongarde les yeux fixés sur la casserole. Demême, l’étudiantn’enfinirapasde regardersamontresi lecoursluisembleprodigieuse-mentennuyeux…

«Du fait de la participation conjointe deprocessusmnésiquesetattentionnels, le trai-tementpar le cerveaude l’information tem-porelle ne peut reposer que sur un réseaufonctionnel, non sur une structure unique.Cela explique sans doute la raison pourlaquelleiln’existepasdemaladieneurologi-queoupsychiatriqueuniquementcaractéri-sée par des déficits temporels», note Jenni-fer Coull.

La dopamine est le principal neurotrans-metteur impliqué dans le traitement dutemps. Les agonistes dopaminergiques,médicaments qui renforcent l’action de ladopamine, ont tendance à accélérer notreperception du temps, qui passe alors plusvite. C’est aussi le cas pour certaines dro-gues, comme la cocaïne, qui renforcent l’ac-tion de la dopamine. A l’inverse, les neuro-leptiques utilisés dans la schizophréniediminuent l’activité de la dopamine, avecpourconséquencelasensationquele tempss’écouleplus lentement.

A ces nouvelles connaissancesneuroana-tomiques, neurophysiologiques et neuro-chimiques du traitement du temps sontvenus s’ajouter les résultats de récentes

recherches en neuropsychologie qui mon-trent comment, sous l’effetdesémotions, letempsperçuestpluscourtoupluslongqu’ilne l’est en réalité.

Sylvie Droit-Volet et SandrineGil, maîtredeconférencesauCentrederechercheCNRSsur lacognitionet l’apprentissage(universi-té de Poitiers), ont rapporté, en 2011, que lechangement d’état émotionnel induit parcertains films affecte la perception dutemps. Ces psychologuesont présenté à desétudiants des extraits de films connuspourinduire une sensation de peur (films d’hor-reur: The Blair, Scream, Shining) ou de tris-tesse(filmsdramatiques:CityofAngels,Phi-ladelphia, Dangerous Mind). Une troisièmecatégorie de films «neutres» (séquences deprévisions météorologiques ou d’informa-tions boursières) a été utilisée. Il a ensuiteété demandé à ces étudiants d’évaluer laduréed’un stimulusvisuel.

«Lapeur provoqueunedistorsion tempo-relle, la duréedu stimulus étantperçue com-me plus longue qu’en réalité», fait remar-quer Sylvie Droit-Volet. Le fait d’avoir peurprovoquerait un «éveil », une activationphysiologique qui accélère le rythme del’horloge interne. Cet «éveil» se traduit parune dilatation des pupilles, une accéléra-tiondu rythmecardiaque, une élévationdela pression artérielle, une contractionmus-culaire. Il est le reflet d’un mécanisme dedéfense déclenché dans une situation demenace, l’organisme se préparant à agir, enl’occurrenceàattaquerouàfuir.Cettesures-timation temporelle dans une situation demenace a également été observée par ceschercheurs chez des enfants de 3ans.

Enrevanche,«contre touteattente, la tris-tesse n’affecte pas la perception du temps,sans doute parce ce que l’émotion ressentieenregardantunfilmtristen’estpasassezfor-tepourprovoquerunralentissementphysio-logique», note Sylvie Droit-Volet, en ajou-tant qu’il conviendrait de travailler sur desétatsprofondsde tristessedans lesépisodesdépressifs majeurs. Son équipe évalueactuellement si l’horloge interne ralentitchez des sujets sains adeptes de la médita-tion-relaxation. Peut-on, dans cet état, êtreréellementhorsdu temps?

SandrineGiletSylvieDroit-Voletontéga-lement travaillé sur la perceptiondu tempsquandl’autreexprimeune«émotionsecon-daire» : une expression faciale de honte.Voir un visage exprimant la honte incitecelui qui l’observe à comprendre l’originede ce sentiment. «Cette activité réflexive

entraîne un détournement de l’attention dutraitement du temps qui conduit à ce que letempsestiméparaissepluscourtqu’ilne l’esten réalité», souligne SylvieDroit-Volet. Cet-te sous-estimation temporelle ne s’observequ’àpartirde8ans, lorsquel’enfantaapprislanotiondehonte.

La «théorie de l’esprit incarné» (encorenommée «théorie de la cognition incar-née») explique en quoi la perception desémotions d’autrui modifie notre percep-tiondutemps.Elleestsous-tendueparl’exis-tenced’unprocessus internedemimétismeou de simulation de l’état émotionnel del’autre qui nous permet de nous adapter àl’autreetdebiencomprendredecequ’il res-sent. Ainsi, lorsqu’un adolescent côtoie unepersonneâgéequi parle etmarcheplus len-tement que lui, sonhorloge interne ralentitpoursesynchronisersur le tempsdusenior.Il seproduitchezle jeuneunralentissementsubjectif du temps qui permet à ces deuxpersonnesdemieux interagir socialement.

Sylvie Droit-Volet et ses collègues ontmontréque, si l’onempêcheceprocessusdemimétisme en bloquant les expressionsfaciales de l’individu qui observe l’autre enlui mettant un stylo dans la bouche, plusriennesepasse.L’horlogeinternenechangeplus de rythme, quelle que soit l’émotionperçue chez l’autre. De même, des étudesont indiqué qu’une personne «botoxée»reconnaîtmoins bien les expressions émo-tionnelles et ressent moins d’empathievis-à-visdes autres.

«Notre perception du temps est un bonrévélateur de notre état émotionnel», résu-me Sylvie Droit-Volet, qui souligne que lesdistorsions temporelles émotionnelles nerésultent pas d’un dysfonctionnement dusystème de l’horloge interne mais, aucontraire, de son excellente capacité às’adapterauxévénementsdenotreenviron-nement. Selon elle,«il n’existepasun tempsunique, homogène,mais plutôt demultiplestemps dont on fait l’expérience. Nos distor-sions temporelles sont le reflet direct de lafaçon dont notre cerveau et notre corpss’adaptent à ces tempsmultiples, ces tempsde la vie».

Le philosophe André Bergson n’avait-ilpas raison quand il expliquait, dans sonouvrage Durée et simultanéité. A propos delathéoried’Einstein,que l’«ondoitmettredecôté le temps unique, seuls comptent lestemps multiples, ceux de l’expérience» ?Autre façon de dire que le temps perçu estonnepeutplus relatif. p

LesdanseusesdeDegasauservicede lascience

Lexique

Tempsexplicite: il consiste àjugerde façon consciente la duréed’un stimulus, d’unévénementoud’une action, de l’ordrepar exem-plede deux secondesoud’unedemi-heure, ou encore la duréeséparantdeux stimuli, commedeuxpincements.

Tempsimplicite: il consiste àutiliserde façon inconsciente ladurée apprised’un stimulus oud’une actionafindepouvoir réagirefficacementàun événement, enl’occurrencepouranticiper la surve-nuede cedernier dont on sait qu’ilva immanquablementse produire.C’est le cas d’unautomobiliste quiattendque le feu rougepasse auvert et seprépare à démarrer.

Distorsiontemporelle: ellecorrespondau fait que le temps sub-jectif, c’est-à-dire le temps estimé,ne correspondpas au tempsobjec-tif, celuimesurépar unemontre.Ondistingue la surestimationet lasous-estimationtemporelle (tempsestimérespectivementplus long etplus court qu’il ne l’est en réalité).

Danseuses en bronze,d’EdgarDegas (1834–1917).

HERVÉ LEWANDOWSKI/ RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE

D’ORSAY). STERLING & FRANCINE CLARK ART INSTITUE,

WILLIAMSTOWN, USA/THE BRIDGEMAN ART LIBRARY

J enniferCoull (université d’Aix-Marseille) a récemmentorganiséun colloque sur le traitementdu

tempspar le cerveau. Entretien aveccette spécialiste enneuro-imageriefonctionnelle.

Quelles sont les implications clini-ques des études sur les bases neura-les du traitement du temps?

Il existe un chevauchementneuro-anatomiqueentre les aires cérébralesrecrutéesdans le traitementde l’infor-mation temporelle et celles tradition-nellement impliquées dans les proces-susdepréparationet de déroulementdumouvement, à savoir les ganglionsde la base et l’airemotrice supplémen-taire. Deplus, unmêmeneurotrans-metteur, la dopamine, est impliquédans l’estimation temporelle et lesfonctionsmotrices. Caractériséepardes troublesmoteurs liés à une dégé-nérescencedeneurones cérébraux

produisant la dopamine, lamaladiedeParkinson s’accompagneégale-mentde déficits temporels, pour lacomposante tantmotricequepercep-tivedu temps explicite.

Cette intrication entre timing etmotricité est-elle déjà exploitée?

Oui, à des fins thérapeutiquespourles patients parkinsoniens.Onpeutainsi améliorer lamobilitéde cesmaladesparunprogrammede stimu-lation rythmiquede lamarche. Enapportantune informationextérieu-re temporelle, sous la formed’un sti-mulus auditif rythmique, il est possi-ble de soulager certains symptômesmoteurs. L’explication tient sansdou-te au fait que l’on stimuledes réseauxneuronauxcommunsaux fonctionstemporelles etmotrices.

De fait, les ganglions de la base, quijouentun rôle dans lemouvementvolontaire et sontdéfaillantsdans la

maladiede Parkinson, sont impliquésdans le traitementdes rythmes.

Qu’apporte la neuro-imagerie fonc-tionnelle chez ces patients?

Elle amontré que, pourpallier ladéfaillancedes circuits neuronauxdopaminergiquesentre cortexet stria-tum, les patientsparkinsoniens sollici-tentplus le cervelet que les sujetssains lors d’une tâche temporellenécessitant l’estimationd’un rythme.

Il a aussi été établi que l’administra-tiond’unagonistedopaminergiquedans le traitementde lamaladie deParkinsonaccroît non seulement l’ac-tivationdu striatumetdu cortexpré-frontal,mais aussi la connectivitéentre ces deux régions. L’imageriecérébrale fonctionnellepeut doncenrichirnos connaissances sur lemoded’actionprécis de traitementsmédicamenteux.p

Proposrecueillis parM.Gn

50123Samedi 10 novembre 2012

Page 6: 10%*$!*$! #& (/+) +*3& - KAZUTIME

i n v e n t i o n s i n s o l i t e s

La science improbablen’estpas l’apa-nagedes chercheurs. Enmédecine,ce sont aussi souvent les patientsqui l’écrivent. En témoignecette édi-

fiantemonographieparueen 2000dansThe Journal ofUrology, recensant toutes lesbêtisesque les êtreshumainspouvaientcommettreavec leurs voiesurinaires. Pasmoinsde800 cas publiés entre1755 et 1999yont été passés aupeigne fin et la premièredes constatationsque font les auteurs,deuxmédecinsde l’universitédeCalifor-

nie, c’est que «la variétédes corps étran-gersplacés autourdes voies urinaires oumisà l’intérieurdéfie l’imagination».

Touturologuequi se respecte, disent-ils, s’attendàdevoir un jour ou l’autredésincarcérerunpénis introduit – soitpar jeu érotique, soit par de facétieuxcamaradesdebiture ayant trouvéunusa-ge amusant auxbouteilles vides – dansdesorificespour lesquels il n’a pas été étu-dié. Il y a ces jeunes épousées superstitieu-ses qui enserrent la vergede leurmaritoutneufdansun anneau lorsde la nuitdenoces, unepratiquequi est supposéeprévenir l’apparitionde l’impuissanceetse traduit surtoutparune apparitionauxurgences.Mais lesmédecinsont aussi sou-vent affaire à des bricoleurs, qui coincentleuroutil dansdes écrous, des cylindreset tuyauxdivers, des jointsmétalliques,des dés à coudre, des roulements àbilles,des rouleauxde scotch, despignonsdevélooudes biennommées clés à pipe…

Voilàpour les problèmesexternes (quine concernentque les hommespouruneraisonanatomiquementévidente).Maisonpeut aussi jouer avec sonurètreparl’intérieur.Ce canal quipermet l’excré-tionde l’urinedepuis la vessie se transfor-meparfois en annexeduBazarde l’HôteldeVille : aiguilles, stylos, hameçons, poin-çons, baleinesde corsets, tuyauxdepipe,allumettes, fil électrique, lamede rasoir…Est-ce que ça rentre? Il faut croire queoui.Les arts de la tablene sont pas en reste:arêtesdepoisson, coquilles de pistache,

côtede coyote, serpentde 45cmde long(décapité, tout demême), branchettesdevigne,manchede couteau, fourchette àquatredents et, après le repas, des brossesàdents. Il arriveaussi que, en guisedecontraception,quelques imaginatifs col-matent leméaturinaire avec du chewing-gumoude la cire chaudepour empêcherla sortie du sperme.

La variété des objets qui finissent dansla vessie n’est pasmoins grande. Sou-vent, signale l’étude, c’est en voulant reti-rer les bibelots insérés dans l’urètrequ’on les fait remonter plus haut dansl’appareil urinaire. Dans la liste des curio-sités, notonsdepetites bouteilles de par-fum, quantité de thermomètres, desescargots, dumucusnasal, des fourmis,mais aussi une vertèbre d’écureuil. Uneétudede cas publiée dans la revueUrolo-gy en 2006évoque l’histoire de ce jeunehommede 21ans, attardémental, quisignala avoir glissé une grenouille enplastiquedans sa vessie. Personnene lecrut dans sa famille d’accueil et ce n’estqu’aubout d’un an qu’un scannerdu bas-sinmit en évidence la présence de laditegrenouilledans sa vessie.

Tous les patientsn’ontpas la franchisede ce jeunehomme. La plupart du temps,ils font commes’ils n’étaientpas au cou-rant, commesi les objets étaient arrivés làparuneopérationduSaint-Esprit: «Non,vraiment, docteur, je n’ai pas lamoindreidéede lamanière dont ce pénis de chienest parvenudansmavessie.» p

Unanaprès, larechercheaccélèreauJapon

Pendantdes longues semaines,enmars2011,nousavonsretenunotresouffle.T2K, l’expérienceàlaquelle jeparticipe, se trouveà

J-PARC(Tokai), àmi-cheminentreTokyoetFukushima.Le laboratoire, situéàquelquesdizainesdemètresde laplage, abritenom-bred’équipementsfragiles.Outre le trem-blementdeterreet le tsunami,nousavonsaussicraint leseffetsdunuageradioactif.

Enoctobre,notrecollaborations’est réu-niepour faire lebilanduredémarragede

l’expérience.Ledirecteurdulaboratoire,dansunedespremièresprésentations, s’estfélicitéque tous lesdommagesmatériels–iln’yaeuaucunblessé–aientété réparés.Desroutesse sonteffondréesdeplusieursmètres,ainsiqu’unbâtiment. Il a été littéra-lementsoulevéet remisàsaplace.Cequiapris leplusde tempsaétéde repositionneravecprécision les400grandsaimantsdel’undesaccélérateurs.

Deséquipesse sont relayéesavecachar-nementet, endécembre2011, laprisededonnéespour la recherchepouvait recom-mencer. Ledirecteurétait aussi fierque lenombred’expériencesproposées, 500cet-teannée, soitenaugmentationconstanteetque36%dutempsutilesoit consacréauxutilisateurs industriels.

Lesphysiciensse sontréjouisdesnou-veauxrésultatsobtenus,quiontétéprésen-tésauxgrandesconférencesde l’été.Maislemondede la rechercheestunpeucom-meceluide laReinerougedansunedesaventuresd’Alice: il faut courirsimple-mentpourresterà lamêmeplace.Eneffet,de l’autrecôtéde l’océan,noscollèguesamé-ricainspréparentunenouvelleexpériencequidevraitprendredesdonnéesen2013etquichassesurnotremêmecréneaudephy-sique, les transformationsdesneutrinos.

Unegrandepartiedenos discussionsinformellesa été consacrée auxprojetsfuturs au Japon.Au laboratoireKEK,unpeu leCERN japonais, unnouvel accéléra-teur, SuperKEK-B, est en constructionpourexplorer desdésintégrations très

rares, enutilisant des faisceaux très inten-ses.Nos collègues japonaisproposent aus-si un très granddétecteur souterrain, 25foisplusmassif queSuper-Kamiokande,quipourrait étudier les neutrinos et leséventuellesdésintégrationsdesprotons.Ici, le défi est de creuserune caverneartifi-cielle d’unmilliondemètres cubes et del’équiperde centainesdemilliersde détec-teursde lumière.Mais le point d’orguedecesprojets est le collisionneur linéaire ILC,unaccélérateurde 32kmqui pourrait êtresituédans la régionduNord, dévastéeparle tsunami. Ce projet est lié à un impor-tantplande relancede la région, avecentre autres la constructiond’une villenouvelle «globale».

Aunrécentsymposium,TakashiNishio-ka,présidentd’uneassociationquipro-meut la scienceet la technologie,a expli-quéquele Japonavaitdans lepasséune lon-gueurd’avancedans l’industriemanufactu-rière.«Il fautquenous trouvionsmainte-nantunepositionde leaderdansundomai-neplus innovant. La technologiedesaccélé-rateursdesparticulespourrait être lemoteurd’unnouveaumodèle industriel.»

Si cette volonté n’est pas dénuée d’ar-rière-penséepolitique, il est intéressantde constater que ce pays, où recherche etgroupes industriels sont très liés, n’estpas frileux pour les investissements dansles grands projets de recherche, avec desretombées à tous les niveaux, desconnaissances fondamentales jusqu’àl’économie.p

Maisquefaitcestylodansmavessie?

IMPROBAB LO LOG I E

PierreBarthélémyJournaliste et blogueur

(Passeurdesciences.blog.lemonde.fr)(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

Scénariosdefindumonde

L’astrophysicien Jean-PierreLuminet fait le tourdespérilsvenusduciel quipourraientanéantirnotreplanète

Exposition«Amazing science»Enclin d’œil à la culturedescience-fictiondesmagazinesaméricainsdes années 1930,l’Insermet le Commissariat àl’énergie atomiqueont conçuuneexpositionqui invite le public àplongerdans lesmystères duvivant, de lamatièreoudel’Univers. Lamanifestation,présentéepour la première fois àl’éditiondesUtopialesdeNantes,poursuit ainsi l’aventure desAmazing Stories, cette publicationdeSF née en 1926qui enchantait seslecteurs avecdes «romancesscientifiques».> Jusqu’au 12novembre, à laCitéNantesEventsCenter, 5, ruedeValmy,Nantes (40).> http://presse-inserm.fr/amazing-science-une-exposition-pulp-et-scientifique/4360/

Centenaire«Henri Poincaré:dumathématicienauphilosophe»Le samedi 17novembre, à l’InstitutHenri-Poincaré (Paris), plusieursévénementsmarqueront lecentenairede la disparitionducélèbremathématicienetphysicienHenri Poincaré. Auprogramme,des ateliers etanimations scientifiques, unspectaclede clownspédagoguesetdeuxconférences grandpublic.> Inscriptions surwww.poinca-re.fr

L E S COU L I S S E SD E L A PA I L L A S S E

MarcoZitoPhysicien des particules,

Commissariatàl’énergieatomiqueetauxénergiesalternatives

(PHOTO: MARC CHAUMEIL)

SCIENCE&TECHNO r e n d e z - v o u s

David Larousserie

En cette année de fin du mondeannoncé,l’astrophysicienJean-Pier-re Luminet, bien connu aussi pourses œuvres de vulgarisation, fait le

tourdespérils venusdu ciel qui pourraientanéantirnotreplanète.Astéroïdegéantper-cutant la Terre, planète imaginaire surgis-sant de nulle part ou petites pluies demétéorites, tout y est. Mais, derrière l’op-portunisme éditorial, le lecteur découvrirasurtout toutes les facettes d’un sujet fasci-nantquiest lié,certes,àdegrandescatastro-phes,maisaussià lanaissancedenotrepro-pre planète.

Quelques définitions d’abord. Météore,météorite, météoride, astéroïde, astroblè-mes, de quoi parle-t-on? Le premier termedésigne le phénomène visuel, sous formed’une plus ou moins longue traînée lumi-neuse dans le ciel. Le deuxième décrit l’ob-jet à l’origine de cette lumière touchant laTerre:morceauxde comète, d’astéroïde, depoussières spatiales… Le troisième, plusgénéral, concerne tout typedeprojectile.

L’astéroïde est un corps rocheux gravi-tant, engroupe, autourduSoleil à cinqkilo-mètresparsecondeetqui,àl’occasiondecol-lisions dans le troupeau, se détache et peuttoucherlaTerre.L’astroblèmeestune«bles-sure» de la Terre, correspondant à la tracelaissée par la chute d’un astéroïde. Les plusgrandsfontplusde150kilomètresdediamè-tre, comme Sudbury au Canada, ChicxulubauMexiqueouBedout enAustralie.

Chute d’un astéroïdeIroniquement, l’auteur rappelle que les

coupables de ces grands cataclysmes sontinvisibles, disparus, volatilisés. Même lesplusgros. Pour ces derniers, en effet, le chocestsiviolentquelarocheferreuseestvapori-sée.Lespluspetitesmétéorites,dequelquesmillimètres,brûlent,elles,bienavantdetou-cher le sol et forment les étoiles filantes.Finalement, seuls des projectiles de diamè-tre inférieur à 100 mètres peuvent resterintacts. Et lesmorceauxvalent cher.

Jean-Pierre Luminet raconte aussi la lon-gue histoire qui a conduit à être certain del’origine extraterrestre de ces objets. Oucomment des bouts de la planèteMars ontpuêtre retrouvés sur laTerre. Il revientbiensûr sur la fin desdinosaureset la coïnciden-ce temporelle entre leur disparition, il y a65millionsd’années,etlachuted’unastéroï-de au Mexique. D’autres extinctions pour-raient aussi être corrélées avec des impactsdemétéorites. Cette partie exposant le tra-vail des chercheurs, les hauts et les bas desdécouvertes, est l’unedeplus réussie.

Enrevanche, lavingtainedepagescollantà l’actualité de la fin du monde, prévue endécembre, apparaît bien moins riche. Larecension des précédentes apocalypsesannoncées et repoussées permet certes desemoquerdes crédulesmaisn’aideraguèreà les convaincre.

Enfin, la dernière partie de l’ouvrage estconsacréeà ladescriptiondusystèmeinter-national de veille et à quelques techniquesimaginées pour se protéger des plus grosgéocroiseursmenaçant la Terre. Là aussi, lefoisonnement intellectuel scientifique ettechnique pour attaquer cette question estpalpable. Tout comme les difficultés à faireaccepter le financementde ces recherches.

Miseenréseauetrecensementdetouslesastéroïdespluslargesqu’unkilomètre;utili-sation de bombes nucléaires bien poséespourdévier le projectile sans le faire éclateren morceaux, destructeurs également ;remorquagepareffetgravitationnelà l’aided’un vaisseau spatial survolant la roche…Toutes ces techniques ont leur défaut, etleur succès dépend beaucoup du tempsdontlesintervenantsdisposeront.Mais,sta-tistiqueoblige,unechoseestsûre:oui,noussommes menacés par un impact. Reste àsavoiroù et quand.p

Astéroïdes : la Terre en danger, de Jean-PierreLuminet (Le ChercheMidi, 262p., 17¤).

Agenda

Biographie«Newtonou le triomphede l’alchimie»Cette réédition enpoche est l’occasiondedécouvrir lamanièrede travaillerd’une célébrité scientifiqueduXVIIesiècle, IsaacNewton. Rat debibliothèquequi copie (pour sadocumentation) et rassemble tous leslivresqui passent à sa portée. Solitairetransformant sa chambre enlaboratoiredephysique et surtout dechimie.Ouvert aumondepar sacorrespondanceet les nombreusescontroversesqui émaillent sa carrière(sur le calcul différentiel, sur la natureondulatoirede la lumière, sur la loi dela gravitation…).Quasi hérétiqueen sepiquantd’alchimieet se voyant enadepte, prochedepercer les secretsdivins. L’originalité du livre est denepas faire de cette dernière facette unélément secondairede la carrière deNewton,mais bienun fil rougequi leconduit finalement à formuler la plusrationnellede ses découvertes, lagravitationuniverselle. Cependant ladémonstrationde l’auteur est asseztechnique (chimiquement etmathématiquement) et parfoisdifficile à suivre.> Jean-PaulAuffray (Le Pommier,272p., 9¤).

L E L I V R E

Livraison

6 0123Samedi 10 novembre 2012

Page 7: 10%*$!*$! #& (/+) +*3& - KAZUTIME

r e n d e z - v o u s SCIENCE&TECHNO

Desinsectesauservicedelapoliceetdelamédecine

Sandrine Cabut

Ils répondentauxdouxnomsde Luciliacericata,Ophyracapensis,Dermesteunda-latus ; ouàceuxplusexplicitesdeThana-tophilus rugosusou Sarcophagacarnaria.

Parcequ’ils se régalentdes resteshumains, lesinsectesnécrophages,dont fontpartie ces cinqespèces, sontutilisésdepuisdes siècles commeauxiliairesde lapolice scientifique.

L’étudedecespetits charognardsqui coloni-sent les cadavresselonunordreétablipermeteneffetd’estimer l’intervallede tempsécoulédepuis ledécès, cequipeutapporterdesélé-mentsdécisifsdansuneenquêtecriminelle.C’est l’entomologiemédico-légale, aussi appe-lée forensique,unedisciplinequi connaît cesdernièresdécenniesun regaind’intérêt enEuropeetmêmeunevéritableexplosionauxEtats-Unis, selonDamienCharabidze, entomo-logisteà l’institutmédico-légaldeLille et l’unde ses rares spécialistes français(www.forenseek.org).

Dans un article à paraître dans lesAnnalesde la Société entomologiquede France, le cher-cheur fait une synthèse des progrès récentsdans ce domaine. Il apparaît ainsi que lesrecherches sur ces «travailleurs de lamort»conduisent à bien d’autres applications quela seule déterminationde l’intervalle postmortem (IPM).

«Laprésencede certaines espècesayantuneairede répartitionstrictepeut théoriquementindiquerundéplacementdu corps survenuaprès lapontede ces espèces», écritDamienCharabidze, enprécisantque les cas recensésdans lemonde restentexceptionnels. Parexemple, les deuxespèces françaisesdugenreCalliphora (mouchesbleues) lesplus souvent

retrouvéessurdes cadavreshumainsne fré-quententpas lesmêmesmilieux:Calliphoravicinaest traditionnellementcitadine, tandisqueCalliphoravomitoriaestplutôt observéeenzone rurale.«Laprésencede cettedernièresurun cadavredécouvert en centre-ville (…)n’impliquepasnécessairementundéplace-mentde corps.Il s’agit cependantd’unélémentd’informationà considérer»,précise l’entomo-logiste.Demême,Necrodes littoralis (uncoléop-tère) est très fréquentdans lanature,mais trèsrarementvuenzoneurbaine.

L’entomologiemédico-légale se révèle aussiutile dans lemondedes vivants. Certainesespècesdenécrophagespeuvent se dévelop-perantemortem, notamment lors de plaiescutanées importantes avecnécroses. Ce phé-nomèneest connusous lenomdemyiase. «Laprésencedemyiase peut également être unindicateurdemauvaise hygiènepermettantd’établir la négligence envers des personnesdépendantes (enfants oupersonnesâgées) etéventuellementde dater l’apparitiondes plaiesoudes sévices», relèveDamienCharabidze.Dansun tout autre registre, les insectesnécro-phages font l’objet de recherchespour éluci-der leurs remarquablespropriétés antibacté-riennes et antifungiques.

Décritedès l’Antiquité, l’asticothérapieesttoujoursutilisée pour soigner diversesplaies,notammentchez les diabétiques.Mais faceaux réticencespsychologiques, les chercheurstententplutôt d’isoler lesmolécules activespour concevoir des dérivés synthétiques. Lalucifensin, unpeptide sécrétépar les larves delamoucheverte (Lucilia sericata), serait ainsiefficace contredes bactéries comme les sta-phylocoquesdorés, selonplusieurspublica-tions récentes.p

Florence Rosier

Figure mythique de laneurologieetdelapsy-chiatrie, le professeurJean-Martin Charcot(1825-1893) voit sonimage sensiblement

écornéedanslefilmAugustine,d’A-lice Winocour, en salles depuis le7novembre. Dans le rôle principal,Vincent Lindon incarne avec fines-se et profondeur cette sommitémédicale, pourqui fut créée la tou-te première chaire de neurologiedumonde , en 1882,à l’hôpitalde laSalpêtrière (Paris).

Mais cette œuvre dresse le por-trait sombred’unCharcot impéné-trable,mutique, auxémotionsver-rouillées.Uncliniciencerteshabitépar son métier, mais débordé parsesambitionsacadémiques.Augus-tine décrit aussi sa relation ambi-guë avec sa patiente éponyme (lachanteuse Soko). La parfaite incar-nationdecettedéfinitiondel’hysté-riqueselonLacan:«Uneesclavequicherche unmaître sur qui régner.»Au sommet de l’échelle sociale, lemandarin va progressivement selaisser séduire par cette maladetout en bas de l’échelle, dans unesociétéd’une froide cruauté.

Audemeuranttrèsbelle,cettefic-tion occulte la dimension vision-naire,legéniemédicaldupersonna-ge.«Charcotaétélepremieràintro-duire ladémarchescientifiquedansl’étudedesmaladiesdusystèmener-veux, résume Yves Agid, neurolo-gue à la Pitié-Salpêtrière. Avec unsiècled’avance,ilafondélaneurolo-gie moderne. Il reste le plus granddesneurologues.»

Quifut levraiCharcot?«La figu-re du maître de la Salpêtrière restel’objet d’une fascination aussi iné-puisable qu’ambivalente», écrit lephilosophe Marcel Gauchet dansLe Vrai Charcot (Calmann-Lévy,1997), cosigné avec la psychiatreGladysSwain.

Le personnage est resté secret.«Cequ’onsaitdeluivientdesespro-ches, qui se partagent en deux cou-rants opposés, raconte Jacques Poi-rier, neurologue et historien de lamédecine: ses hagiographes, quifurent surtout ses élèves, et sesdétracteursinvétérés,telsLéonDau-detoules frèresGoncourtquienontdressédesportraitsauvitriol.»

«C’étaitindiscutablementundes-pote, avec ses élèves commeavec safamille. Il était taciturne, introverti,égocentrique. On a parfois attribuécettecuirasseàuneextrêmesensibi-lité,poursuitM.Poirier.Maisc’étaitun “austèrequi semarre”. Il adoraitles spectacles de clown et pouvait

braillerdeschansonsdesalledegar-de.» Cet anticlérical affirmé, sansopinionpolitiqueconnue,étaitaus-si dotéd’unsinguliercharisme.

Travailleur acharné, d’uneimmense culture, Jean-MartinCharcot était animé de hautesambitions, avide d’honneurs et depouvoir. Issu de la petite bourgeoi-sie (sonpère était carrossier), il suitàParisunparcoursscolaireetmédi-cal classique.En 1862, il épouseuneveuve fortunée dont il aura unefille et un garçon, le futur explora-teur Jean-Baptiste Charcot. Lamême année, il est nomméméde-cin-chefà laSalpêtrière,alors«hos-picede la vieillesse-femme», dédiéaux indigenteset auxaliénées.

Dans cette cour des miracles,pendantplusdedixans,Charcotvadécrire, avec une minutie quasiobsessionnelle, les signes cliniquesde ses patients, photos et croquis àl’appui – il avait un très bon coup

decrayon.Puis, à l’autopsie, il scru-teaumicroscope les lésionscorres-pondantes sur des coupes du cer-veauoude lamoelleépinière.

«Charcot vautiliser cettemétho-de anatomo-clinique pour indivi-dualiser de très nombreuses mala-dies», explique Lionel Naccache,neurologue et chercheur Inserm àl’Institutducerveauetde lamoelleépinière(ICM)àlaPitié-Salpêtrière.Ainsi de la sclérose en plaques, en1868, ou de la sclérose latéraleamyotrophique, nommée «mala-diedeCharcot» enFrance.

«Cette période fondatrice a étél’AusterlitzdeCharcot»,estimeLio-nel Naccache. Attirant de nom-breux élèves, Charcot fera école–uneécolesurnommée«Charcote-rie»par sesdétracteurs…

«En 1870 s’opère un tournantdans l’œuvre de Charcot : c’est ledébut de son intérêt pour l’hysté-rie», raconte Jacques Poirier. SelonLionelNaccache,cettepériodeinau-gure son «Waterloo». Car l’empe-reurdelaneurologievatenterd’ap-pliquer,envain,saméthodeàl’hys-térie. Sans jamais trouver delésions ou de troubles physiologi-ques apparents – en partie parce

que les symptômes dépendent duregardd’autrui.

C’est alors qu’entre en scène Sig-mund Freud, jeune étudiant enmédecine, qui sera l’élève de Char-cot quatre mois en 1885. Le futurpère de la psychanalyse témoignede l’ascendant déterminantqu’exerce Charcot sur lui : «Char-cot [est] un des plus grands méde-cinsdont laraisonconfineaugénie,[…] personne n’a jamais eu autantd’influence sur moi», écrit-il dansune lettre à sa fiancée. Montrantque l’hystérie ne peut être unemaladie neurologique pure, Char-cot amis le doigt sur la dimensionpsychiquedecettemaladie.«Freudva s’engouffrer dans la brèche qu’ila vue s’ouvrir sous ses yeux», relateMarcel Gauchet. En clarifiant cettenotion, il découvrira l’inconscient.

La fin du filmAugustinemontrela patiente simulant une crised’hystérie, lorsd’unedes fameusesleçons dumardi de Charcot. «Quecertains malades aient été des

acteurs,qu’ilyaiteutromperiedelapart de collaborateurs de Charcot,c’est malheureusement vrai »,reconnaît Roger Teyssou, qui vientdepublierCharcot, Freudet l’hysté-rie (L’Harmattan, 190p., 19euros).

Son plus fidèle élève, Babinski,est ici un témoin à charge : «Sesleçonsattiraient lesgensdumonde,des acteurs, des littéraires, desmagistrats, des journalistes, deshommes politiques et quelquesmédecins. L’expositiondes sujets enétat de léthargie, de catalepsie, desomnambulisme, de sujets présen-tantdescrisesviolentes,ressemblaittrop à de la mise en scène théâtra-le.»

Le «Waterloo» de Charcot tientsurtout à cette dérive exhibition-niste et mondaine, où le neurolo-gue vieillissant semble poser encaricature de lui-même.Mais cetteultime défaite ne doit pas faireoubliertousles«Austerlitz» : ilres-teungéniesanségaldans l’histoirede laneurologie.p

Jean-MartinCharcot,lafacecachéed’unneurologue

p o r t r a i t | IlafondélaneurologiemoderneauXIXesiècle.Maissalégendeestmiseàmaldanslefilm«Augustine»,d’AliceWinocour,ensallesdepuis le7novembre

a f f a i r e d e l o g i q u e

z o o l o g i e

«Personnen’ajamais euautant

d’influencesurmoi»SigmundFreudpsychanalyste

Leneurologuefrançais

Jean-MartinCharcot

(1825-1893),photographiéparNadar, vers 1875.IMAGNO/ROGER-VIOLLET

Planche issue du «Dictionnaire infernal»(Paris, 1863).

70123Samedi 10 novembre 2012

Page 8: 10%*$!*$! #& (/+) +*3& - KAZUTIME

8 0123Samedi 10 novembre 2012

Les20et21novembre,àNaples,seréu-nirontlesministresenchargedel’es-pacedes20Etatsmembresdel’Agen-ce spatiale européenne (ESA), qui

décideront des programmes futurs et deleursenveloppesbudgétaires.

Dans la situation de crise économiquedans laquelle se trouve notre Europe, avecl’objectif tracé de réduire la dette des Etats àdes niveaux acceptables, est-il pertinent decontinuer à investir de l’argent public dansl’activité spatiale? Nous en sommes pleine-mentconvaincuscar,commenousnouspro-posons de le démontrer dans cette tribune,l’espaceestunmoteurdecompétitivitéetdecroissance, toutesdisciplinesconfondues,etles budgets qui lui sont alloués constituentun véritable investissement «rentable» quinousaidera à sortir de la crise.

Depuis notre sélection comme astronau-tes – il y a plus de vingt ans –, nous avonscontribuéà laconception, laqualificationetl’exécution de missions complexes et denatures très variées. La préparation à cesmissions nous a amenés à collaborer avecdes experts issusd’organisationspubliqueset privées dans tous les domaines touchantà l’espace.

L’histoire démontre que le progrès et lebien-être des sociétés sont essentiellementles fruits de la connaissance. Celle-ci résulted’un travail intellectuel selon plusieursdémarches possibles comme la recherche,l’innovationet l’exploration.Nouspouvonstémoigner que l’espace est incontestable-mentunsecteurintégranttrèsfortementlestrois démarches, offrant ainsi l’un desmeilleurs investissements conduisant auprogrèsdenos sociétés.

Toutes lesétudeséconomiquesconcluentque les activités spatiales ont dans l’écono-mie un effet multiplicateur de l’investisse-ment initial dans un rapport de quatre àvingt, selon l’activitéconsidérée.Et cela sanscompter les retours non mesurés, à fortevaleur ajoutée sociétale, tels que l’inspira-tionet lamotivationdes jeunespour lesétu-desscientifiques, leprestigeet l’identitéren-forcéede la société.

Néanmoins, l’espace fait face à un para-doxe: la complexité de ses missions donnesouvent au grand public l’impression quedes sommes faramineuses sont mises enjeu.Riendeplusfaux:l’activitéspatialeinsti-

tutionnelle représente en moyenne uninvestissement de 10euros par Européen etpar an (le prix d’une entrée de cinéma), etseulement 1europour les seuls vols habités,dont les retombées sur notre économie semesurent à plusieurs fois leur valeur. Pourinformation, c’est un investissement dixfois inférieur à celui réalisé par les citoyensaméricains.

Ces budgets représentent pour plus de90% le travail de haut niveau d’ingénieurs,scientifiques et techniciens européens, acti-vités à haute valeur ajoutée qui élèvent lesavoir-fairede la société.

L’ESA est l’agence spatiale des recordsdont les Européens peuvent être fiers. Elle aréalisé l’atterrissage le plus lointain dans leSystème solaire, le rendez-vous le plus pro-che du noyau d’une comète, l’accostage leplus précis en orbite, la mission lunaire laplus économe en carburant, et elle seule aexplorélesquatrecorpscélestesdenotreSys-tèmesolairemunisd’uneatmosphèrepalpa-ble. Elle a engendré le lanceur le plus fiabledumonde, Ariane-5. Elle a conçu le point le

plusfroiddansl’univers(0,1degréau-dessusduzéroabsolu)auseindel’undesesobserva-toires spatiaux… Tout cela en investissantdesbudgetstrèsnettementinférieursàceuxdes Américains. Les missions spatiales del’ESA détiennent aussi statistiquement lerecorddu tauxde succès leplus élevé.

La compétence de nos scientifiques et denos ingénieurs français et européens enmatière spatiale est reconnue mondiale-ment. La politique industrielle de l’ESA etdes agences spatiales nationales, comme leCentre national d’étudesspatiales (CNES) en

France, a rendu l’industrie européenne trèscompétitivesurlemarchémondialdessatel-lites de télécommunications et des servicesde lancement, dont elle rafle la moitié descontrats. A l’ESA, la France a toujours été lepays leader, avec la plus forte industrie spa-tialeassociéeauplusgrandréseaudelabora-toiresscientifiques.L’espaceestundomained’excellence pour notre pays et un axe decroissancedenotre société.

Nousqui avons eu le privilège de pouvoiradmirer la Terre depuis l’espacenepouvonsnous empêcher de la comparer à notre pro-pre vaisseau spatial. Comme lui, elle appa-raît isolée dans le noir du cosmos, et limitéeen dimensions donc en ressources. Nousavons pris spontanément conscience de lanécessitédelagérercommetelle.Etnoussau-rons d’autantmieux la gérer quenous com-prendrons finementson fonctionnement.

Les satellites d’observation de la Terre, ycompris la Station spatiale internationale(ISS), sont les meilleurs outils pour cela. Ilspermettent à distance d’analyser rapide-mentet précisément la compositionde l’at-mosphère, des sols, des forêts, des glaces etdesocéanscommejamaiscelaneseraitpos-sible par les seules analyses de surface. Lapanopliedesprogrammesdel’ESAenmatiè-re d’observationde la Terre est la plus com-plètequisoit,avecaumoinsunsatellite lan-cé par an consacré à l’exploration scientifi-que de notre planète. Leurs contributionsseront vitales pour comprendre et trouverles réponses à la question du réchauffe-ment climatique dont les enjeux économi-ques et sociétaux sont de plusieurs ordresde grandeur plus importants que les inves-tissements nécessaires à ces programmessatellitaires.

L’explorationhabitéede l’espacese limiteaujourd’hui à la station spatiale internatio-nale ISS et àquelquesvolsponctuelshabitéschinois.L’ISSapermisauxcinqgrandsparte-nairesde«grandir»ensembledans l’espace,malgré les défis posés par leurs différencestechnologiques et culturelles. L’ISS consti-tue à la fois un formidable laboratoire derecherche impossible sur Terre et un indis-pensablebancd’essais de coopération inter-nationale préalable à tout programmeconjoint d’exploration lointaine habitée duSystèmesolaire.Deparsonhistoire, l’ESAestla plus expérimentée des agences spatiales

en matière de coopération internationale.Elle est donc probablement lamieux placéepour aider à l’élaboration d’un projet globald’exploration habitée de l’espace, incluantentre autresnos collègues chinois.

Nous, lesastronauteseuropéens,sommeslestémoinsprivilégiésdecetteaventurefan-tastiqueetdutrèsgrandintérêtdupublic,enparticulier pour les vols habités. En mêmetemps, nous constatons pour notre Europele besoin d’optimisme et de vision. Noussommesconvaincusquelesprogrammesdel’ESA, si lesministres européens le décident,aideront notre continent à reprendreconfiance et à rester un grand acteur de laconnaissanceetduprogrès, doncde la crois-sance,pour lebénéficede tous.p

Si vous souhaitez soumettre une tribune libre,prière de l’adresser à [email protected]

SCIENCE&TECHNO

LA VOIXESTLIBRE

J6c8LKI83K6¾J6

MATHIEU VIDARD

LA TÊTE AU CARRÉ

DU LUNDI AU VENDREDI DE 14H À 15H

Avec chaque vendredi

la chronique de la rédaction du cahier

DONNEZ VOS

OREILLES

À LA SCIENCE

L’ESAest la plusexpérimentée

des agences spatialesenmatière

de coopérationinternationale

L’activitéspatialeestundomained’excellencepournotrepaysetunaxedecroissancedenotresociété.C’estlepointdevuedecinqastronautesfrançais,àlaveilled’uneréunion,àNaples,des20Etatsmembresdel’Agencespatialeeuropéenne

L’espace,uninvestissementpourlaFranceetpourl’Europe| t r i b u n e |

1

2

3

4

5

Fond marin :entre 20 et 50 m

2. RaccordementUn câble permet de transférer l’énergiedu mouvement vertical du flotteur versla pompe hydraulique. Il est fixé aufond du flotteur et au bras de la pompehydraulique par des connecteurs enacier.

3. PompeUne pompe sous-marine transforme l’énergiecinétique en énergie hydraulique grâce à uncylindre qui met l’eau d’un circuit relié aulittoral sous haute pression.

4 et 5. FixationLa technique d’ancrage et de fondationretenue, inspirée de celle utilisée pourl’exploitation pétrolière et gazière offshore,laisse au dispositif toute sa libertéde mouvement, quelle que soit la directiondes vagues.

Des bouées immergéespour produire de l’électricité

INFOGRAPHIE LE MONDE

7 m

5 m

De 1 à 2 mde la surface

Eau de mersous hautepression

Eau de merbasse pression

Turbinehydroélectriqueet générateur

Sous l’effet des vagues,le mouvement des bouéesentraîne le va-et-vientdes pompes hydrauliques

Réseauélectriquedomestique

Dans la famille des énergies marines, l’énergie des vagues– ou houlomotrice – est celle qui suscite le plus grand foisonnementd’idées, sous forme de dispositifs destinés à transformer la houle enélectricité. La technologie Ceto, développée par la start-up australienneCarnegie Wave Energy et testée actuellement à Fremantle, dans la régionde Perth, est particulièrement prometteuse, au point qu’EDF et DCNSse sont associés à Carnegie pour l’expérimenter prochainement au largede l’île de La Réunion.

L’originalité de Ceto est d’utiliser d’énormes flotteurs immergés et ancréssur le fond marin, dont les mouvements, provoqués par la houle,actionnent des pompes hydrauliques. Ces pompes mettent sous hautepression l’eau d’un circuit raccordé au littoral. L’électricité est produitepar une turbine située à terre, ce qui est un réel avantage en termesde maintenance.

1. FlotteurLa bouée Ceto3, actuellement testéeen Australie, peut délivrer jusqu’à80 kilowatts (kW) d’électricité.Elle est située juste sous la surfacede la mer, ce qui permet d’éviter toutepollution visuelle.La nouvelle génération de flotteursdéveloppée par Carnegie Wave Energya un diamètre de 11 m et une puissancethéorique de 240 kW.

Ceto, un procédé de production d’énergie d’origine marineraccordé directement au réseau terrestre

SOURCE : CARNEGIEWAVE.COM

¶Jean-François Clervoy,

Michel Tognini,Jean-Pierre Haigneré,Léopold Eyharts,Philippe Perrin,

astronautes de l’Agencespatiale européenne (ESA).