16
LES CONFLITS EN AFRIQUE UNE RÉSOLUTION IMPROBABLE par Yann BEDZIGUI (*) La plupart des médias occidentaux regorgent de ces brèves évoquant un lointain conflit africain, bien évidemment tribal. En quelques lignes ou quelques secondes, un champ lexical convenu est censé provoquer une réaction quasi pavlovienne de pitié et de résignation chez les auditeurs / lecteurs / spectateurs : génocide, purification ethnique, crise humanitaire, haines tribales, division Nord-Sud. La petite note d’espoir étant l’appel d’une entité nommée « communauté internationale » aux parties à trouver une « solution politique » au conflit. Certes, les maux cités ci-dessus ne sont pas étrangers à la majorité des conflits africains, mais ils sont davantage les effets de problèmes, plus que de questions, de plus en plus complexes. Cette grille de lecture ne tient pas compte de la transformation des con- flits africains depuis la fin de la Guerre froide. Les différentes crises internes tendent à devenir les catalyseurs régionaux de conflits impliquant une mul- titude d’acteurs étatiques et non étatiques. Cette mutation rend difficile la résolution de ces conflits et exige une remise en question des modes d’inter- vention de la communauté internationale. En effet, si le triptyque «tensions ethniques - ressources - guerre civile» s’avère simplificateur, qu’en est-il de son supposé remède «accord de paix - Casques bleus - élections»? Ce dernier, comme la perception médiatique des conflits, ne s’attaque-t-il pas davan- tage aux effets plutôt qu’aux causes ? Le but de cette analyse est de dégager les raisons de la persistance des conflits, afin de proposer des pistes pour que la résolution des crises s’extirpe des sentiers battus dans lesquels elle s’est embourbée. Les conflits se déroulant en République démocratique du Congo (depuis 1996), au Sou- dan (au Sud depuis 1983 et au Darfour depuis 2003) et en Côte d’Ivoire (depuis 2002) serviront de toile de fond à cette analyse. Ces trois crises, en dépit des différences d’ordre géographique ou temporel, présentent des caractéristiques communes : ce sont des conflits qui persistent en dépit de la signature d’accords de paix et de la présence de forces (*) Doctorant-allocataire de recherche à l’Université Panthéon-Assas (Paris II, France).

11 Bedzigui Afrique

Embed Size (px)

DESCRIPTION

DROIT

Citation preview

  • LES CONFLITS EN AFRIQUE

    UNE RSOLUTION IMPROBABLE

    par

    Yann BEDZIGUI (*)

    La plupart des mdias occidentaux regorgent de ces brves voquantun lointain conflit africain, bien videmment tribal. En quelques lignesou quelques secondes, un champ lexical convenu est cens provoquer uneraction quasi pavlovienne de piti et de rsignation chez les auditeurs /lecteurs / spectateurs : gnocide, purification ethnique, crise humanitaire,haines tribales, division Nord-Sud. La petite note despoir tant lappeldune entit nomme communaut internationale aux parties trouverune solution politique au conflit. Certes, les maux cits ci-dessus nesont pas trangers la majorit des conflits africains, mais ils sontdavantage les effets de problmes, plus que de questions, de plus en pluscomplexes.

    Cette grille de lecture ne tient pas compte de la transformation des con-flits africains depuis la fin de la Guerre froide. Les diffrentes crises internestendent devenir les catalyseurs rgionaux de conflits impliquant une mul-titude dacteurs tatiques et non tatiques. Cette mutation rend difficile larsolution de ces conflits et exige une remise en question des modes dinter-vention de la communaut internationale. En effet, si le triptyque tensionsethniques - ressources - guerre civile savre simplificateur, quen est-il deson suppos remde accord de paix - Casques bleus - lections? Ce dernier,comme la perception mdiatique des conflits, ne sattaque-t-il pas davan-tage aux effets plutt quaux causes?

    Le but de cette analyse est de dgager les raisons de la persistance desconflits, afin de proposer des pistes pour que la rsolution des crisessextirpe des sentiers battus dans lesquels elle sest embourbe. Les conflitsse droulant en Rpublique dmocratique du Congo (depuis 1996), au Sou-dan (au Sud depuis 1983 et au Darfour depuis 2003) et en Cte dIvoire(depuis 2002) serviront de toile de fond cette analyse. Ces trois crises, endpit des diffrences dordre gographique ou temporel, prsentent descaractristiques communes : ce sont des conflits qui persistent en dpit dela signature daccords de paix et de la prsence de forces

    (*) Doctorant-allocataire de recherche lUniversit Panthon-Assas (Paris II, France).

  • 162 yann bedzigui

    internationales (1); de plus, le Soudan, la Cte dIvoire et la Rpubliquedmocratique du Congo (RDC) sont chacun les picentres de systme deconflits dans leur aire gographique. Nous verrons dans un premier tempsque cest un enchevtrement dlments structurels et conjoncturels qui est lorigine des conflits en Afrique, puis nous analyserons linefficacit desinterventions militaires comme mode de rsolution des crises et la mise enplace de gouvernements dunion nationale; enfin, nous proposerons quel-ques solutions susceptibles damliorer la gestion des conflits.

    Causes et constantes des conflits en Afrique

    Les conflits congolais, ivoirien et soudanais sont le produit de lenchev-trement entre des causes structurelles et des lments conjoncturels, quicontribuent leur donner de lintensit. Les deux causes structurelles iden-tifies ici sont un hritage de la colonisation, savoir la distribution dupouvoir et lattention porte aux diffrences ethniques comme mode demobilisation. Les lments conjoncturels sont les ingrences extrieures, lerle des matires premires dans les conflits et labsence de victoire mili-taire.

    Causes structurelles

    La configuration politico-administrative hrite de la colonisation

    Lune des caractristiques communes entre les conflits en RDC, en CtedIvoire et au Soudan est assurment la distance sparant la capitale dupays concern du lieu de la rbellion. Pratiquement toutes les rbellionsprennent racine et dbutent dans les zones frontalires avec des paysvoisins : que ce soit les Kivus en RDC, la frontire avec le Rwanda etlOuganda, le Nord de la Cte dIvoire, frontalier avec le Burkina Faso, leDarfour, frontalier du Tchad. Cette constante est une consquence delorganisation territoriale des pays africains hrite de la colonisation : lapriorit donne par les colonisateurs lexportation des biens expliquequils aient privilgi comme centres administratifs et conomiques des bor-dures ctires ou fluviales, au dtriment de larrire-pays. Ainsi, Kinshasa,la capitale de la RDC, est situ en bordure du fleuve Congo, Khartoum

    (1) En RDC, les Nations Unies ont dploy une force de 21 868 hommes, sans compter les deux inter-ventions ponctuelles de lUnion europennes : Artmis en Ituri en 2003, puis EUFor en 2005, lors des lec-tions consacrant le processus de paix. Ces deux oprations ont mobilis respectivement 2 200 hommes (dont1 035 sur le terrain) et 2 200 hommes (dont 1 200 sur le terrain). La Cte dIvoire, en plus de la forceLicorne, dun effectif de 2 400 hommes, dploye par la France sur la ligne de dmarcation entre le Nordet Sud du pays, compte aussi sur son territoire une force des Nations Unies de 10 445 hommes. Le Soudanavait jusquau 31 aot 2006 et le vote de la rsolution 1 769 tablissant une force hybride ONU-UA de21 000 hommes la particularit davoir deux oprations de maintien de la paix distinctes, pour les deux con-flits sur son territoire : au Darfour, la Mission de lUnion africaine (MUAS), dun effectif approchant les8 000 hommes, et, au Sud, la Mission des Nations Unies au Soudan, dun effectif de 13 784 hommes.

  • les conflits en afrique 163

    dans la valle du Nil et Abidjan sur la cte atlantique. Cette organisationterritoriale a eu les rpercussions politiques que sont des disparits en ter-mes dinfrastructures, de dveloppement et, surtout, en termes de contrlede lEtat sur certaines rgions (2).

    A cette configuration politico-administrative sest ajout le fait que lesEtats africains ont t crs avant dtre des nations. Ainsi, le sentimentnational dans des pays comme lex-Zare et la Cte dIvoire, est-il davan-tage n de lallgeance au dirigeant en place respectivement Joseph-DsirMobutu (3) et Flix Houphout-Boigny que de la dfinition formelle dunprojet national. Bien quexistant jusqu aujourdhui, ce sentiment nationalna pas mis fin la persistance de la solidarit ethnique comme outil demobilisation politique (4). Ladoption de constitutions dmocratiques etlinstauration du multipartisme au dbut des annes 1990, en fragilisant cesrgimes autocratiques, a aussi branl la domination de la conception de lanation quils avaient jusque-l impose. Le rgne de la majorit quimpliquele scrutin majoritaire a remis au cur du dbat la question de la composi-tion de la nation, donc du corps lectoral. La marginalisation politique decertaines populations (les rwandophones en Rpublique dmocratique duCongo, les Musulmans en Cte dIvoire) a t un catalyseur de crises futu-res.

    Cependant, la faiblesse du sentiment national doit tre relativise dans lespays en proie des conflits. La plupart des mouvements rebelles manifes-tent un attachement au cadre territorial et national hrit de la colonisa-tion (5). Except le SPLA depuis la mort de son chef historique JohnGarang (6), les mouvements rebelles du Darfour, de la RDC ou de la CtedIvoire naffichent pas de tendances scessionnistes et ne rclament pas unrattachement aux pays voisins (7).

    Les diffrences ethniques et religieuses comme lment de mobilisation

    Il est difficile de nier que les tensions ethniques ou religieuses nexistaientpas avant les conflits en Afrique. Cependant, ces tensions constituent rare-ment llment dclencheur du conflit. Loin dtre un lment structurantdes conflits, lappartenance ethnique ou religieuse savre avant tout unoutil de mobilisation pour des mouvements rebelles et des gouvernements

    (2) Grard Prunier, Darfour : chronique dun gnocide ambigu, La Table Ronde, Paris, 2005, p. 59.(3) Herbert F. Weiss / Tatiana Carayannis, The enduring idea of Congo, in Ricardo Ren Laremont

    (dir.), Borders, Nationalism and the African State, Lynne Rienner Publishers / Boulder, Londres, 2005,p. 159.

    (4) Lazare Ki-Zebo,La crise de lEtat en Afrique, LEurope en formation, n 296, print. 1995, p. 65.(5) Yves-Alexandre Chouala, Patriotes rebelles. Lgitimation et civilisation patriotiques des luttes poli-

    tiques armes en Afrique, Revue juridique et politique, n 4, 2006, p. 563.(6) Grard Prunier, Aprs la mort de John Garang : la paix soudanaise en question, Gopolitique afri-

    caine, n 19-20, t-aut. 2005, pp. 5-64.(7) Cf. Filip Reyntjens The privatization and the criminalisation of public space in the geopolitics of

    Great Lakes region, Journal of Modern African Studies, vol. XLIII, n 4, 2005, pp. 604.

  • 164 yann bedzigui

    contests en qute de soutien populaire. Le cas du Soudan en butte aucours des vingt dernires annes des rbellions au sud et louest du paysest assez rvlateur.

    Les gouvernements soudanais successifs se sont livrs, au cours des vingtdernires annes, une manipulation des identits des rbellions qui amodel non seulement la perception, par la communaut internationale, desconflits se droulant dans le plus grand pays africain, mais aussi la percep-tion quont les rebelles deux-mmes.

    La configuration du pouvoir au Soudan durant la colonisation et depuislindpendance en 1956 a toujours favoris les lites arabes de la valle duNil au dtriment des rgions priphriques que sont le Sud et le Darfour,peuples de populations africaines (8). Depuis lindpendance, cette configu-ration a t conteste par les rgions priphriques, qui rclament un par-tage plus quitable du pouvoir et des richesses avec le centre. Afin de neu-traliser cette contestation, les diffrents gouvernements soudanais ontdisqualifi les diffrents mouvements rebelles en les rduisant des mouve-ments identitaires. Ainsi, la rbellion au Sud, lors de la guerre de 1955-1972puis du SPLA (Sudanese People Liberation Army) de 1983-2005, a t qua-lifie de rbellion chrtienne en dpit de ses tendances marxisantes (9).Cette tactique visait notamment mobiliser les autres rgions priphriquesdu Soudan en appelant la solidarit musulmane pour combattre lesimpies; cette mobilisation permettait aussi dviter toute coalition dergions priphriques contre les lites de la Valle du Nil. Ainsi, la tentativedu SPLA de fomenter une rbellion au Darfour a chou du fait des rti-cences des populations sallier des Chrtiens (10). Lorsque deux mou-vements rebelles ont lanc une insurrection au Darfour en 2003, le gouver-nement soudanais a fait appel une solidarit raciale de certaines milicessuprmatistes arabes pour les rprimer. Khartoum a, de fait, instrumenta-lis des tensions ethniques dj exacerbes par les conflits fonciers entre lespasteurs arabes et les agriculteurs africains (11).

    Lexemple soudanais montre que la mise en avant des identits ethniquesou religieuses est le paravent dun rgime contest, afin dviter des ques-tions de fonds comme le partage du pouvoir. La comprhension du conflitdu Darfour comme dautres conflits africains ne repose pas seulement sur

    (8) Francis Deng, Sudan turbulent road to nationhood, in Ricardo Ren Laremont (dir.), op. cit.,p. 43.

    (9) La rpression du Nord a beaucoup particip de la construction dune identit du Sud dans ladversitreligieuse. Plus le pouvoir musulman sest montr intransigeant, plus il a favoris la radicalisation confes-sionnelle dune rgion o les Chrtiens taient somme toute trs minoritaires. Rtrospectivement, la politi-que du Nord nen parat que plus absurde puisquelle a prcipit la christianisation du Sud : Marc-AntoineProuse de Montclos, Le Soudan : une guerre de religions en trompe-lil, LAfrique politique. IslamsdAfrique : entre local et global, 2002, p. 43.

    (10) Grard Prunier, op. cit., p. 131.(11) Mariam Bibi Jooma, Situation Rapport : Darfur and the Battle for Khartoum, Institute of Security

    Studies, disponible sur le site Internet www.iss.co.za , 4 sept. 2006, p. 10.

  • les conflits en afrique 165

    la dimension interne, mais sur lenchevtrement de plusieurs phnomnes,dont les tensions internes et les ingrences des pays voisins.

    Elments conjoncturels

    Les ingrences de pays voisins

    La proximit des provinces en rbellion aux frontires du pays renforcela probabilit dune alliance ad hoc entre les mouvements rebelles et lespays avoisinants. Cet aspect des conflits africains est gnralement sous-estim. Le postulat rpandu de la faiblesse intrinsque de lEtat africaintend exclure toute vellit dexpansion de sa part ou de menes extrieu-res en vue dassurer sa scurit. Or, la rgionalisation des crises africainesprouve le contraire : elle ne procde pas tant dune solidarit ethniquetransnationale que de la volont dun Etat dintervenir chez son voisin pourdes buts prcis (12).

    La cause principale de linstabilit persistante dans lEst de la Rpubli-que dmocratique du Congo est lingrence de ses voisins rwandais etougandais depuis 1996. Ces deux pays, qui ont particip militairement aurenversement du marchal Mobutu, ont cr lAFDL de Laurent-DsirKabila, qui servait de vitrine congolaise ce qui tait de fait une invasiontrangre. Le Rwanda et lOuganda justifiaient alors leurs actions par desobjectifs scuritaires qui taient de priver leurs rbellions respectives deleurs sanctuaires zarois dans les Kivus et en Ituri (13). Les vnements ontcependant montr que ces objectifs scuritaires dissimulaient des visesexpansionnistes.

    Le rgime rwandais a utilis le territoire congolais comme un thtre deprojection de sa puissance au dtriment du rgime de Mobutu, du rgimede Kabila qui chappa la dfaite en 1998 face son ancien alli unique-ment grce la mobilisation populaire et au soutien de lAngola, du Zim-babwe, du Soudan et de la Namibie et de son ex-alli ougandais quil avaincu militairement Kisangani (RDC) (14). Cette affirmation de sa puis-sance a permis au Rwanda de contrler, aprs 1998, les Kivus via sa vitrinecongolaise, le RCD (Rassemblement des Congolais pour la dmocratie)-Goma. Ce mouvement rebelle qui se prtend protecteur des populations tut-sies est devenu, depuis le retrait officiel des forces rwandaises en 2002, sonbras politique en RDC.

    Le Rwanda, travers le RCD-Goma, instrumentalise le sentiment anti-tutsi de la majorit des Congolais en raction aux invasions rwandaises

    (12) Richard Bangas / Richard Otayek, Le Burkina Faso dans la crise ivoirienne : effets daubaine etincertitudes politiques, Politique africaine, n 89, mars 2003, pp. 71-87.

    (13) Olivier Lanotte, Guerres sans frontires, GRIP / Complexe, Bruxelles, 2003, p. 94. (14) Bernard Leloup, Le Rwanda et ses voisins, LAfrique des Grands Lacs : Annuaire 2004-2005,

    pp. 152-159.

  • 166 yann bedzigui

    pour justifier son refus de dsarmer ou dintgrer les forces armes natio-nales, afin de maintenir son emprise sur les Kivus (15). Il contribue de cettemanire dtacher cette rgion et ses populations de la RDC pour lins-taller durablement dans lorbite rwandaise.

    Les ressources naturelles, outil de prolongation des conflits

    Les liens entre la prsence de ressources naturelles et lventualit de cri-ses dans les pays africains est aussi vident quil peut tre diffus. Dans nostrois tudes de cas, la richesse du sous-sol constitue une donne importante,que ce soit en RDC (minerais, diamants, bois) au Soudan (ptrole) ou enCte dIvoire (cacao).

    Sil est avr que la prsence dimportantes ressources matrielles dansune rgion augmente la probabilit des conflits du fait de labsence de redis-tribution des revenus tirs de leur exploitation (16), une incertitudedemeure propos de son importance dans lchelle des priorits des belli-grants. Deux tendances qui ne sont pas exclusives se dgagent.

    La premire est que le contrle des rgions produisant des matires pre-mires constitue un but intermdiaire, lequel serait laffaiblissement delEtat qui en tire ses revenus. La tentative de la rbellion ivoirienne desemparer de la boucle du cacao en 2003 stoppe par la force franaiseLicorne (17) dans un pays qui en est le premier producteur mondialrelve de cette logique dtranglement financier de ladversaire.

    La seconde tendance observe, lEst de la RDC mais aussi au Sud duSoudan, fait du contrle de ces zones un objectif prioritaire des fins definancement des activits militaires. Au Soudan, lexploitation des champsptroliers situs la frontire avec le Sud a permis au gouvernement defaire pencher la balance militaire en sa faveur par rapport au SPLA (18).Dans lEst du Congo, le contrle de lIturi et des Kivus par les diffrentsmouvements rebelles et leurs parrains ougandais et rwandais a donn lieu une exploitation acclre des minraux comme lor, le coltan (19)Lexploitation des ressources savre pernicieuse pour la mise en uvre dunprocessus de paix et srige rapidement en facteur de prolongation du con-flit. Du fait des positions conomiques avantageuses acquises pendant leconflit, il devient difficile pour de nombreuses parties dintgrer un cadre

    (15) Filip Reyntjens, Rwandan : ten years from genocide to dictatorship, African Affairs, vol. CIII,n 411, avr. 2004, p. 207.

    (16) Harvard Buhang / Jan Ketil Rod, Local determinants of Africa civil wars : 1970-2001, PoliticalGeography, vol. XXV, n 3, pp. 318-319.

    (17) Comfort Ero / Anne Marshall, LOuest de la Cte dIvoire : un conflit librien, Politique africaine,n 89, mars 2003, p. 95.

    (18) Francis Deng / J. Stephen Morrison, Report of the CSIS Task Force on US-Sudan Policy, USPolicy to End Sudans War, Center of Strategic and International Studies, disponible sur le site Internetwww.csis.org, fv. 2001, p. 4.

    (19) Jeroen Cuvelier, Rseaux de lombre et configurations rgionales : le cas du commerce du coltanen Rpublique dmocratique du Congo, Politique africaine, n 93, mars 2004, pp. 82-92.

  • les conflits en afrique 167

    politique lgal qui exclut certaines pratiques (20). Les acteurs qui en profi-tent privilgient donc le statu quo en entretenant linstabilit.

    Labsence de victoire militaire

    Le droulement des conflits africains porte en germe lchec de toute ten-tative extrieure dimposer la paix. En labsence dune victoire de lune desparties, toute sortie de crise est voue tre un consensus mou, pralable de futurs affrontements.

    Les trois conflits tudis ici permettent de dgager, en dpit de leurs dif-frences, un modle classique de droulement en trois tapes, dont lultimeest la stagnation. Premire tape, le dclenchement dune rbellion partirdune province frontalire, souvent avec le soutien de lEtat voisin : parexemple, le conflit du Darfour dbute dans cette province frontalire avecle Tchad, avec le soutien de certains proches du prsident Dby (21).Deuxime tape, lchec des rebelles devant la capitale, aprs que les forcesgouvernementales ont bnfici dun soutien extrieur : ainsi, loffensive duRwanda et de lOuganda et de leurs allies congolais sur Kinshasa a tmise en chec par le gouvernement de Kabila assist par lAngola et le Zim-babwe. Troisime tape, le repli de la rbellion vers son point de dpart etla partition du pays : les mouvements rebelles ivoiriens se sont replis versle nord du pays quils contrlent, entrinant ainsi la division du pays.

    Lincapacit des belligrants remporter une victoire militaire dfinitivetient la faiblesse de leurs moyens en dpit des soutiens extrieurs et de lastratgie employe. Labsence de capacit relve de la faiblesse de nombreu-ses armes gouvernementales, dont le budget est consacr leur rmunra-tion plus qu leur quipement (22). Les forces les mieux entranes sontgnralement les gardes prsidentielles, qui disposent davantage de capaci-ts dfensives, puisque leur fonction premire est de protger le rgime enplace. Les mouvements rebelles, en labsence dun soutien accru de leursparrains et dun entranement consquent, peuvent manquer de capacitspour lemporter militairement. De plus, les mouvements rebelles sont sou-vent composs de dserteurs ou de mutins et ont le mme dficit de forma-tion que leurs adversaires.

    La victoire militaire est rendue encore plus hypothtique par la configu-ration des guerres civiles africaines. Dans des conflits o les lignes de par-tage se font sur des bases ethniques, la victoire militaire ncessite la dis-parition des populations soutenant ladversaire ou sa neutralisation pour

    (20) Philippe Hugon, Conflictualit arme en Afrique : le rle des facteurs conomiques, The EuropeanJournal of Development Research, vol. XVIII, n 2, juin 2006, p. 26.

    (21) Roland Marchal, Chad / Darfur : how two crises merge, Review of African Political Economy,vol. XXXIII, n 109, pp. 467-482.

    (22) Marc Fontrier, Des armes africaines : comment et pourquoi faire?, Outre-Terre, n 11, 2005,pp. 375.

  • 168 yann bedzigui

    un certain temps. Cette stratgie dmontre paradoxalement la faiblesse descapacits des belligrants, en ce que les actes de violence lgard descivils sont prfrs des affrontements directs. La mise en uvre de cettestratgie exige cependant une planification, des moyens et un contextedindiffrence de la communaut internationale. Si ces trois lments ontt concordants au Rwanda et au Darfour, il nen a pas t ainsi en CtedIvoire, par exemple, o la prsence de la force Licorne a dissuad les par-ties de sattaquer ouvertement aux civils. Toutefois, la multiplication desatrocits, loin de dcourager les populations, ne contribue qu gonfler leseffectifs de la rbellion des rescaps des violences. Le poids croissant de cesderniers au fur et mesure du conflit fait que les calculs rationnels ayantmotiv linsurrection sont remplacs par des envies de vengeance et desattitudes jusquau-boutistes, qui rendent difficile terme ltablissementdun dialogue (23). Il se dgage clairement que les hostilits cessent oubaissent dintensit davantage du fait de lincapacit des acteurs lemporter que dune relle volont. Cette tendance est renforce par desinterventions extrieures, dont limpact sur le conflit nest pas forcmentdcisif.

    Linefficacit des solutions extrieures

    Les interventions militaires comme remdes aux conflits

    Une vision optimiste des conflits

    La persistance des conflits en dpit du dploiement de forces de maintiende la paix est dsormais chose commune. Les interventions de forces inter-nationales dans les conflits africains se basent sur lhypothse que les belli-grants dposeront les armes aprs la signature dun accord de paix. Cetteapprciation optimiste sous-estime quel point la guerre sest intgre dansles comportements sociaux. Elle procde dune vision consistant opposerla violence la politique (24). Lusage de phrases telle que une solutionpolitique pour mettre fin la violence dmontre que la violence est tou-jours perue comme un chec de la politique. Pourtant, la maxime de Clau-sewitz selon laquelle la guerre est la continuation de la politique par dautresmoyens acquiert une certaine vracit au Darfour, dans les Kivus et aunord de la Cte dIvoire : le conflit arm a pris dans ces rgions le relaisdun dbat politique dans limpasse. Pourtant, les organisations des NationsUnies continuent de penser la violence comme un tat dexception, alorsque des pays comme le Soudan ou la RDC battent en brche cette

    (23) Idean Saleyan, Refugees and the study of civil war, Civil Wars, vol. II, n 2, juin 2007, p. 132.(24) Jeppe Plenge Trautner, The politics of multinational crisis management : the European Unions

    response to Darfur, SPIRIT, 13 sept. 2005, p. 5.

  • les conflits en afrique 169

    conception : warfare State (25) pour le premier et failed State pour le second,ce sont deux pays o labsence dun systme de gouvernement ou de repr-sentation a conduit les diffrentes minorits ethniques prendre les armes.Ds lors, le dploiement dune force charge de maintenir une paix surtoutsynonyme de statu quo savre dlicat (26).

    Cette vision amne se demander si limpact des interventions extrieu-res dans les conflits nest pas paradoxalement leur prolongation. Dans nostudes de cas, le dploiement de forces onusiennes na pas eu deffet parti-culier sur le cours des conflits. Il y a davantage dexemples dimpuissanceface aux violences que le contraire. Cela ne signifie pas pour autant que lesoprations de maintien de la paix sont inutiles. Cependant, les interventionssystmatiques dans les conflits qui sont justifies par des impratifs huma-nitaires passent sous silence leurs consquences politiques. Si la poursuitedes conflits a des effets dsastreux sur la situation humanitaire, larrt deshostilits sous la pression extrieure na-il pas des effets tout aussi ngatifssur le plan politique long terme? Certes, un conflit comme celui du Dar-four bat en brche une telle hypothse : sans le dploiement de la MUAS,les populations africaines auraient probablement disparu du Darfour sous lapression des milices djandjawids et de larme soudanaise; dans le mmetemps, on constate que les violences lgard des populations ont continumalgr la prsence de la force panafricaine, cette dernire tant dchireentre deux approches de son rle.

    Entre une neutralit inefficace

    Linefficacit des forces de paix vient de leur incapacit maintenir ou imposer la paix, mme lorsquelles disposent du mandat robuste adquat.

    Les missions dployes en RDC (MONUC), au Soudan (MINUAD) et enCte dIvoire disposent toutes dun mandat relevant du chapitre VII de laCharte, donc de limposition de la paix. Pourtant, elles peinent accomplirces tches du fait de leur incapacit prvenir les violations, par les belli-grants, daccords de paix quils ont pourtant signs. Cette difficult pro-vient de la confusion faite entre deux attitudes pourtant distinctes : la neu-tralit et limpartialit. Le rapport Brahimi soulignait clairement ladistinction entre une impartialit synonyme de pleine adhsion aux prin-cipes de la Charte et aux objectifs du mandat et une neutralit qui impliqueun traitement gal de toutes les parties tout le temps qui peut mener unepolitique dapaisement (27).

    (25) Sudan is a warfare State where the power, security, and prosperity of the state elite depends on thecontinuation of internal armed conflict : propos de Jeppe Plenge Trautner, ibid.

    (26) Marc-Antoine Prouse de Montclos, Les Occidentaux peuvent-ils sauver lAfrique?, Politiquetrangre, n 3, 2006, p. 556.

    (27) Report of the Panel on United Nations Peace Operations, A/55/305-S/2000/809, 48, United Nations,21 aot 2000, p. 25.

  • 170 yann bedzigui

    Cette dernire attitude, qui conduit la passivit, est une constanterpandue dans les diffrentes oprations de maintien de la paix. Or, cettepassivit rpond plus au souci de neutralit des organisations internationa-les quaux besoins de protection des populations civiles prises dans les con-flits. Elle est guide par la volont dune force de maintien de la paix dedemeurer un interlocuteur pour lensemble des parties qui lui interdit touteinitiative contraignante leur gard (28). Cette attitude a des rsultats con-trasts, car il savre difficile de rester quidistance des belligrants. Ellene peut donc que renforcer lhostilit de certaines parties et des populationsvictimes de violences. La multiplication des attaques contre la MUAS auDarfour, par les mouvements rebelles, sinscrit dans ce raisonnement, demme que les manifestations populaires contre la MONUC aprs la prise deBukavu (RDC) par le RCD-Goma. En dpit de ces dsagrments, la neu-tralit comporte moins de risques quune attitude impartiale.

    et une impartialit risque

    Limpartialit consiste dans lindpendance lgard des belligrants etdans la prise dinitiatives leur encontre sans pour autant prendreparti (29). LOpration Artmis mene par lUnion europenne en Ituri(RDC) en 2003 sinscrivait dans cette logique : la force intrimaire aemploy la force lgard des deux milices adverses pour scuriser la villede Bunia sans tre accuse de prendre parti (30). Une telle posture peut servler difficile tenir du fait des moyens que cela exige, mais aussi delimplication de forces gouvernementales. Lune des spcificits du thtredes oprations de la force europenne en Ituri tait labsence des forcesarmes congolaises (FARDC). Tel est pourtant le dfi auquel doivent faireface la force Licorne en Cte dIvoire, la MUAS au Soudan et la MONUCen RDC. La marge de manuvre de ces forces est dautant plus rduite queleur dploiement doit tre autoris par le gouvernement concern. Ds lors,ces forces peinent sinterposer lorsque des forces gouvernementales sontimpliques, sans tre accuses de partialit.

    Une force impartiale intervenant dans une opration dimposition de lapaix ne peut donc avoir que des rsultats limits. En effet, ne pouvantimposer la paix quaux seuls rebelles, elle se rvle objectivement partiale.Parmi les trois tudes de cas, il nexiste pas dexemple dune force interna-tionale ayant employ la force lgard dune arme nationale en raction une violation du cessez-le-feu. Une telle action risque de produire, outrelescalade de la violence, une opposition frontale entre le gouvernement et

    (28) Ted Van Baarda / Fred Van Iersel, The uneasy relationship between conscience and militarylaw : the Brahimi report unresolved dilemma, International Peacekeeping, vol. IX, n 3, aut. 2002, pp. 30-32.

    (29) Dominik Donald, Neutrality, impartiality and UN peacekeeping at the beginning of the XXIstcentury, International Peacekeeping, vol. IX, n 4, hiv. 2002, p. 22.

    (30) Katarina Manson, Use of force and civilian protection : peace operations in the Congo, Interna-tional Peacekeeping, vol. XII, n 4, hiv. 2005, p. 508.

  • les conflits en afrique 171

    la force de maintien de la paix dploye. Ds lors, lobjectif de cette der-nire passe, de fait, au changement de rgime, les actions de ce derniertant considres comme faisant obstruction la paix. Or, un tel objectifest en totale contradiction avec la philosophie qui sous-tend les interven-tions internationales dans les conflits. Il nest donc pas surprenant que lesforces de maintien de la paix se cantonnent une attitude neutre aux impli-cations nettement moins risques.

    Des solutions politiques imposes de lextrieur

    Au mois de mai 2004, alors que la communaut internationale se flicitaitde la signature venir dun accord de paix entre le gouvernement souda-nais et le SPLA, John Garang temprait les enthousiasmes : cet accord napas t atteint parce que les deux parties le souhaitent, disait-il, mais parcequelles furent forces par un ensemble de pressions (31). Cette phrase auraitpu tre prononce par les mouvements rebelles du Darfour en 2006, tantlAccord de paix du Darfour sign par le gouvernement soudanais et unefaction du SLA/M devait davantage aux pressions amricaines et europen-nes qu une relle volont des belligrants (32). Il en est de mme en Rpu-blique dmocratique du Congo ou en Cte dIvoire. Les lignes qui suiventanalysent limpact dune constante dans les accords de paix censs mettrefin aux conflits : la cration dun gouvernement dunion nationale symboli-sant la rconciliation.

    Lgitimation de la rbellion ou soutien au pouvoir lgal?

    Cette constante reflte les contradictions de la socit internationale, quihsite entre soutien au pouvoir lgal et lgitimation de la rbellion imposepar les vnements. Si la formation dun tel gouvernement a pour objectifdadapter le fonctionnement des diffrents pouvoirs et des diffrentes institu-tions aux intrts et aux forces en prsence (33), elle tend dune certainemanire la division du pays lappareil institutionnel, par linclusion en sonsein dacteurs qui tirent leur lgitimit des armes. La difficult de lAccordde Linas-Marcoussis de 2002 tre appliqu par le pouvoir ivoirien sinscritdans cette logique. En proposant et en obtenant lattribution du porte-feuille de la dfense aux mouvements rebelles sans concertation aveclarme ivoirienne, la France a davantage donn limpression de lgitimer larbellion tout en dlgitimant le Prsident en exercice (34). La question quise pose est de savoir comment mener une action constructive lorsque le

    (31) Grard Prunier, op. cit., p. 154.(32) Roland Marchal, op. cit., p. 25; International Crisis Group (ICG) Policy Briefing, Darfurs Fragile

    Peace Agreement, Africa Briefing, n 39, disponible sur le site Internet www.icg.org, 20 juin 2006, p. 8. (33) Adama Kpodar, Politique et ordre juridique : problmes constitutionnels poss par lAccord de

    Marcoussis du 23 janvier 2003, Revue de la recherche juridique et droit prospectif, n 4, 2005, p. 2 504.(34) Laurent DErsu, La crise ivoirienne, une intrigue franco-franaise, Politique africaine, n 107,

    pp. 85-104.

  • 172 yann bedzigui

    pouvoir lgal est en butte lhostilit de la communaut internationale,dont il demeure pourtant linterlocuteur oblig. Peut-on traiter de la mmemanire un pouvoir lgal, reconnu internationalement mais contest, et desmouvements rebelles, sans se voir accus de complaisance par les uns ou decomplicit par les autres? Telle est la question laquelle la France peine rpondre depuis le dbut de son implication dans la crise ivoirienne.

    La cration ad hoc de ce type de gouvernement relve dune logiquedextraversion, en ce que la communaut internationale se dote ainsidinterlocuteurs qui lui sont surtout viables. Nexistant que par la pressioninternationale, ils symbolisent aussi bien labsence dappropriation, par lesparties, du processus de sortie de crise que la fragilit de ce dernier enlabsence de caution politique et financire extrieure. Lchec du Premierministre ivoirien de transition Charles Konan Banny organiser un scrutinou convaincre les rebelles ivoiriens de dsarmer nest de ce point de vuegure surprenant.

    Lexemple ivoirien : entre tutelle internationale et respect de la souverainet nationale

    La nomination de ce Premier ministre aux pouvoirs largis, afin demener bien lorganisation du scrutin prsidentiel et le dsarmement desrebelles, devait combler le vide juridique caus par lexpiration du mandatde Laurent Gbagbo le 30 septembre 2005. Or, cette dcision, qui refltaitles hsitations et les contradictions de la communaut internationale, posaitproblme, tant du point de vue de la lgalit que de la lgitimit du Pre-mier ministre ainsi dsign.

    Dun point de vue lgal, la nomination de Charles Konan Banny sous lapression internationale revenait affirmer la primaut des rsolutions desNations Unies sur la constitution ivoirienne, donc la mise sous tutelle dupays. Or, cette orientation ntait pas partage par le camp prsidentiel. Eneffet, la rsolution 1 633 du Conseil de scurit transfrait lessentiel despouvoirs du Prsident ivoirien au nouveau Premier ministre. De manireindirecte, elle faisait de Laurent Gbagbo le principal obstacle la paix.

    Sur le plan de la lgitimit, le Groupe international de travail (GIT) (35)sest dot dun interlocuteur viable, dfaut dtre un Premier ministreacceptable par toutes les parties (36). En choisissant le gouverneur de laBanque centrale des Etats dAfrique de lOuest, le GIT entendait privilgierun personnage sans vcu politique, qui ne tirait sa lgitimit ni des urnes

    (35) Cr par le Conseil de paix et de scurit de lUnion africaine le 6 octobre afin de suivre le processusde paix en Cte dIvoire, il est compos du Bnin, du Ghana, de la Guine, du Niger, du Nigeria, de lAfri-que du Sud, de la France, du Royaume-Uni, des Etats-Unis, des Nations Unies, de lUnion africaine, de laCEDEAO, de lUnion europenne, du FMI et de la Banque mondiale.

    (36) Franois Soudan, Trois jours qui ont chang la Cte dIvoire, Jeune Afrique, n 2 344, 11-17 dc.2005, pp. 12-15.

  • les conflits en afrique 173

    ni des armes. On peut dailleurs se demander si, en nommant Konan Banny(Baoul et fils de planteur, comme Houphout-Boigny, membre de lancienparti unique), le GIT nentendait pas ressusciter la figure tutlaire de cedernier comme facteur de stabilit nationale et rgionale

    Cet exemple montre comment des solutions politiques imposes par desacteurs extrieurs srs de leur fait peuvent savrer inefficaces. Labsencedappropriation du processus de paix par les acteurs du conflit du processustend aggraver alors la situation.

    Quelques pistes pour rsoudre les crises africaines

    La persistance des conflits africains rend ncessaire une nouvelle appro-che de leur rsolution sur les plans diplomatique, militaire et interne. Cettenouvelle approche, qui doit responsabiliser les acteurs des conflits, doitsarticuler sur la primaut de la mdiation et de la rforme des pays afri-cains sur les interventions militaires.

    Pour un renforcement des mcanismes de prvention et demdiation des crises

    Il convient de dfinir des modalits et des structures dinterventionrapide dans les conflits. Ces structures doivent mme en temps de paix tu-dier la situation politico-conomique des pays africains et dceler les causespotentielles de conflits.

    De ce point de vue, la cration dune structure continentale dalerterapide, base sur la coopration et les changes dinformations entre lUnionafricaine et les organisations sous-rgionales, est donc capitale. Le protocoledu Conseil de paix et de scurit de lUnion africaine prvoit dailleurs lacration dun systme continental dalerte rapide continental, dissmin enmcanismes rgionaux (37). Il serait plus sage, du fait des moyens limitstant de lUnion africaine que des organisations sous-rgionales, dviter demultiplier les organes ayant les mmes fonctions. Alors que les organisa-tions sous-rgionales ont toutes reconnu lutilit des mcanismes dalerterapide et sen dotent progressivement, il serait contre-productif que lUnioninstalle des organes distincts dans les sous-rgions.

    La subsidiarit entre le systme continental et les mcanismes rgionauxdevrait donc tre conceptualise et mise en uvre. Une piste retenir seraitle brassage de personnel entre les diffrentes entits, la mise en place dunsystme de communication et de partage de donnes, des financements con-

    (37) Union africaine, Protocole relatif au Conseil de paix et de scurit, art. 12, disponible sur le siteInternet www.africanunion.org, p. 18.

  • 174 yann bedzigui

    joints. De mme, une convergence des vues entre les pays africains simposesur le concept de mcanismes dalerte rapide : par exemple, la CEDEAOdispose dun mcanisme ouvert la socit civile (38), tandis que le mca-nisme de la SADC est considr comme un prolongement des organes scu-ritaires (39). Il appartient lUnion africaine de faire merger un consensuscontinental et de promouvoir une harmonisation entre les diffrents mca-nismes (40).

    Ce sont les mcanismes dalerte rapide qui devront fournir, en cas dcla-tement dun conflit, les donnes ncessaires aux quipes de mdiation con-tinentale ou sous-rgionale : identification des acteurs-clefs et des enjeux,proposition de solution de sortie de crises. Les quipes de mdiation se base-raient sur ces donnes pour tablir un calendrier de ngociations adapt etun cadre de ngociation le plus large possible, tenant compte de la dimen-sion rgionale des conflits.

    Quelques mesures dordre militaire

    Le renforcement des forces africaines

    Depuis sa cration en 2002, lUnion africaine a fait de la cration duneforce africaine permanente une priorit symbolisant son implication dans larsolution des conflits. La Force africaine permanente, qui sera opration-nelle en 2010, sera compose de cinq brigades rgionales de 5 000 hommeschacune, pour un total de 25 000 hommes. La cration dune force africainene doit cependant pas signifier la fin de lengagement des forces des NationsUnies, car elle ne peut grer elle seule les conflits se droulant sur le con-tinent, faute de moyens humains et logistiques. Par exemple : les effectifstotaux de la future Force africaine (25 000 hommes) sont quivalents auxmissions des Nations Unies dans le seul Soudan (MINUS dans le sud etMINUAD au Darfour). Les errements de la MUAS ont surtout dmontrque lorganisation panafricaine ne dispose pas dune culture approfondie dumaintien de la paix, du fait de la priorit donne au respect de le souverai-net soudanaise au dtriment des populations civiles. La solution quisimpose serait de progressivement multiplier lenvoi de forces hybrides, demanire privilgier un partage dexpriences et de connaissances entre lesCasques blancs et les Casques bleus.

    En attendant que la Force africaine arrive maturit, une solution tran-sitoire tudier serait le recours aux socits militaires prives.

    (38) Jakkie Cilliers, Towards a continental early warning system for Africa, Institute of Security Stu-dies Occasional Papers, n 102, disponible sur le site Internet www.iss.co.za, avr. 2005.

    (39) Id.(40) John F. Clarke, Early warning analysis for humanitarian preparedness and conflict prevention,

    Civil Wars, vol. VII, n 1, print. 2006, pp. 66-68.

  • les conflits en afrique 175

    Le recours aux socits militaires prives

    Lventuelle implication des socits militaires prives (SMP) dans lerglement militaire de conflits en Afrique se justifie par la faiblesse descapacits africaines, mais aussi par les tergiversations des pays dveloppsquant la fourniture en comptences et en moyens aux oprations de main-tien de la paix. Il est difficile de nier que le recours aux socits militairesprives (SMP) dans les oprations de maintien de la paix risque, terme,de transformer cette activit en un march, bafouant ainsi le principe desolidarit internationale qui le sous-tend. Toutefois, lurgence de certainsconflits exige lmergence dun consensus international sur cette question.Ce consensus devrait sarticuler autour du caractre transitoire du recoursaux SMP.

    Lexemple du Darfour, la suite de la rsolution 1 706 crant une forcehybride ONU-UA, est clairant. Alors que la rsolution a t vote un anauparavant, le Secrtaire gnral adjoint aux oprations de maintien de lapaix de lONU, Jean-Marie Guhenno, dplorait, en novembre 2007, lemanque de moyens, dont des hlicoptres ncessaires la projection des for-ces (41). Dans ce cas prcis, la sous-traitance de cette tche une socitmilitaire prive savre plus que ncessaire, pour un souci defficacit. Lesmoyens propres dont disposent les socits militaires prives et la rapiditavec laquelle elles peuvent les mettre disposition seraient une plus-valuepour des oprations de maintien de la paix (42). Une telle implication peutse rvler bnfique pour lensemble des forces trangres sinterposant dansun conflit. En effet, la mauvaise image de cow-boy dont jouissent les SMPpourrait paradoxalement avoir le mrite de renforcer la capacit de dissua-sion de lensemble des forces et viter les violations rptes dun cessez-le-feu.

    Sur le plan interne, la ncessaire dfinition dune nouvelle gou-vernance africaine

    Les conflits que nous avons observs dans le cadre de cette tude consis-tent pour la plupart en une opposition entre un pouvoir central dunpoint de vue gographique et politique et les rgions priphriques. Cetteconstante, qui sexplique par labsence de contrle politique et socio-cono-mique du territoire par les Etats, soulve des griefs de la part de certaineslites et des populations. On peut ds lors se demander si on ne doit paspasser dune Afrique des Etats une Afrique des provinces. Une telle vo-lution peut savrer hypothtique, mais nen demeure pas moinsdactualit : il ne sagit pas de promouvoir une nouvelle balkanisation de

    (41) Philippe Bolopion, LONU alerte sur le risque dchec au Darfour, Le Monde, 15 nov. 2007.(42) Oldrich Burles, Private military companies : a second best peacekeeping option?, International

    Peacekeeping, vol. XII, n 4, hiv. 2005, p. 543.

  • 176 yann bedzigui

    lAfrique sur la base de lignes ethniques battues en brche par les migra-tions , mais un renforcement du processus de dcentralisation dans lespays africains.Une telle impulsion devrait tre donne par les gouverne-ments concerns et faire lobjet dun consensus national. A lchelle sous-rgionale, un fonds dappui aux provinces serait cr afin de suppler lesEtats dans les projets de dveloppement des provinces enclaves et sous-dveloppes.

    Pour les bailleurs de fonds, une telle configuration prsente lavantagedallouer laide au dveloppement directement des rgions, via, par exem-ple, les organisations sous-rgionales, et non des pouvoirs centraux sus-ceptibles de mauvaise gestion et de dtournements. Ainsi, il serait possiblede combattre les disparits politiques, conomiques et sociales et de rduirela probabilit de conflit.

    * **

    La persistance des conflits en Afrique tient lincapacit de nombre depays dfinir un projet politique permettant de conjuguer le dveloppe-ment conomique et la construction dun Etat de droit au service des popu-lations.

    Cependant, il convient aussi de se demander si les Etats en Afrique dis-posent des moyens ncessaires la rsolution des questions lorigine descrises. Alors que les institutions de Bretton Woods ont thoris et appliqusur le continent noir, travers les fameux plans dajustement structurel, leretrait de lEtat de la sphre conomique, comment stonner que le seuloutil dont disposent dsormais les Etats africains pour maintenir un ordreapparent afin de rassurer les investisseurs soit la technique sociale la plusrudimentaire : la violence (43)? Lexercice par lEtat de ses fonctions rga-liennes contre ses populations nest-elle pas la suite logique dune idologiedominante, qui limite ce champ prcis la puissance tatique et nglige lesattentes que nourrissent les populations lgard de lEtat, en termes dergulation sociale et de redistribution sociale des richesses?

    De ce point de vue, langle mort de la rsolution des crises semble trelimpact de la mondialisation des changes sur les pays africains. La prioritdonne au retour de lEtat de droit, la tenue dlection dans les solutionsde sortie de crise laissent penser que les conflits africains constituent desimples drglements administratifs et politiques. Labsence de rflexion surla dfinition dun ordre conomique plus juste voue les sorties de crises lchec sur le long terme.

    (43) Lazare Ki-Zerbo, op. cit., pp. 67.