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L’expression du passé récenten français Jukka H avu U niversité de Tam pere Langue française M ai2008

1.1. L'expression du passé récent en français

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L’expression du passé récent en français

Jukka Havu

Université de Tampere Langue française

Mai 2008

TABLE DES MATIÈRES

1. Délimitation du sujet.....................................................................................................1

1.1. L’expression du passé récent en français................................................................1La construction venir de + inf..............................................................................................................2

1.2. La construction venir de + inf. dans la tradition grammaticale et dans la

recherche antérieure.......................................................................................................91.2.1. Caractérisations générales..........................................................................................................9

1.2.2. Caractérisations approfondies..................................................................................................11

2. Bibliographie...............................................................................................................20

ii

1. Délimitation du sujet

1.1. L’expression du passé récent en français

Lorsque nous employons le terme « passé récent », nous nous référons à une catégorie

grammaticale dont la fonction est de localiser une situation dans un passé qui est

considéré comme chronologiquement proche du centre déictique. Le centre déictique

peut être exprimé de plusieurs façons ; à travers du contexte (p.ex. dans une situation

conversationnelle le centre déictique coïncide normalement avec le moment de la

parole), par une expression de localisation temporelle (hier á deux heures, Jean venait

de partir) ou par les propriétés d’une construction complexe (mais il n'eut pas plutôt

mangé qu'il eut soif). Dans la présente étude, nous nous concentrons surtout sur le

français préclassique, classique, moderne et contemporaine, grosso modo à partir du

début du XVIe siècle jusqu’à nos jours ; pendant ces plus de cinq siècles, le français a

développé plusieurs expressions du passé récent dont une seule a réussi à devenir

productive dans le système grammatical du français contemporain, la périphrase venir

de +inf.

Nous tenons à souligner le fait que nous employons le terme ‘expression du passé

récent’ comme dénomination d’une catégorie grammaticale. Il est clair que la langue

possède des moyens lexicaux pour localiser une situation dans un passé récent, computé

à partir d’un centre déictique (Pierre est arrivé tout à l’heure ; très récemment ; il y a

une minute ; à l’instant, etc.). Les expressions grammaticales du passé récent, qui

constituent l’objet d’étude du présent travail, sont dans la plupart des cas des

constructions grammaticalisées qui au cours de la transformation d’un élément lexical

en un morphème grammatical acquièrent la propriété d’exprimer la localisation d’une

situation dans le passé récent. Il est clair que le sens du passé récent (qui dans le cas de

venir + inf. est le seul que possède la construction) est dérivé du sens lexical ‘primaire’

de l’élément grammaticalisé (v. chap. xxx sur les procès de grammaticalisation).

Les constructions grammaticales pour exprimer le passé récent en français depuis le

début du XVIe siècle jusqu’à nos jours sont fondamentalement les suivantes (nos

exemples proviennent essentiellement des corpus de français littéraire ; les possibles

formes dialectales n’y apparaissent pas) :

1

1. Pierre vient d’arriver.2. Pierre sort de prendre un verre.3. [...] mais parmy la foiblesse de son âge, parmy le declin de sa santé, et parmy la

diminution de ses forces et de sa vigueur, ses dissimulations et ses cruautez ne diminuoient point, et continuoit tousjours en ses premieres humeurs, y estans mesme entretenu par les furieux conseils de ce Macron, qui achevoit de perdre les reliques de ceux qui s' estoient sauvez de ce grand naufrage, si le devin Thrasyllus n'eust rompu son dessein en trompant Tibere. (Frantext : Coeffeteau, Histoire romaine, 1646, p. 298, livre 2)

4. La leçon ne faisait que commencer.5. On ne les a pas plutôt mises au tombeau en cérémonie, qu'elles se dressent

plus vivantes que jamais sur la dalle funèbre. (Frantext : G. Clémenceau, Vers la reparation, 1899, p. 52, Préface)

Il est évident que les constructions indiquées ci-dessus ne sont pas homogènes, ni en ce

qui concerne leur structure syntaxique ni quant à leur sens. Les quatre premiers

exemples sont des périphrases verbales tandis que le cinquième relève d’une structure

où c’est la construction adverbiale ne + aux + pas + plutôt / plus tôt + participe passé

qui fait émerger le sens du passé récent.

Dans cette étude, nous allons nous concentrer essentiellement sur la périphrase venir de

+ inf. tout en donnant, pourtant un bref aperçu des autres expressions du passé récent.

La construction venir de + inf.

Dans la plupart des traités de grammaire française la construction venir de + inf. est

considérée comme une périphrase verbale exprimant une action achevée dans un passé

proche du centre déictique. Par conséquent, il s’agirait d’une construction

symétriquement opposée, du point de vue temporel, à la périphrase aller + inf. :

Cette périphrase [= venir de + inf., JH] évoque le moment qui suit le terme final de l’accomplissement du procès. Elle correspond symétriquement à la périphrase ALLER + INFINITIF. (Wagner et Pinchon 1962 : 293)

La périphrase venir de + infinitif est symétrique de la périphrase aller + infinitif. (Chevalier et al. 1970 : 333)

Venir de, symétrique de aller , saisit le procès immédiatement après son stade final : Elle vient de jouer. Sa valeur aspectuelle n’est pas identique à celle du temps composé correspondant, marquant l’accompli (Elle a joué ). Certains considèrent que venir de + infinitif exprime un « passé proche ». (Riegel et al. 1994 : 253)

Il nous paraît évident que ces définitions donnent lieu à plus d’une observation, car la

caractérisation qu’on en déduit ne prend pas en considération bien des phénomènes qui

2

nous semblent essentiels pour une analyse globale des fonctions de cette périphrase.

L’identification et l’examen de ces phénomènes, dont nous indiquerons les plus

importants ci-dessous, constitueront l’objectif principal de notre étude. Les paragraphes

qui suivent, où nous passerons en revue les observations sur venir de + inf. en contraste

avec aller + inf., ne doivent pas être considérés comme une évaluation critique des

grammaires de Chevalier et al. et de Riegel et al., qui sont des ouvrages portant sur

l’ensemble de la structure du français et qui, précisément pour cette raison, ne peuvent

pas procéder à une analyse très approfondie de chaque forme grammaticale.

La symétrie des deux constructions repose sur leurs propriétés temporelles. Par contre,

en ce qui concerne les propriétés déictiques, il est évident que aller + inf. est plutôt

symétrique avec venir + inf., expression lexicale indépendante qui, contrairement à

aller + inf., n’a pas subi les effets de grammaticalisation (v. cependant xxx).

(i) La construction aller + inf. est ambiguë, car à côté de l’emploi purement temporel,

le verbe aller peut conserver, même suivi d’un infinitif, sa valeur de verbe de

mouvement. Cet état de faits se reflète dans le comportement syntaxique de la

périphrase aller + inf. Lorsque le verbe aller possède la valeur sémantique de verbe de

mouvement, il est possible d’éliminer l’auxiliaire ou d’insérer un complément

circonstanciel entre le verbe aller et l’infinitif:

6. Où est-ce que tu vas? - Je vais acheter le journal.7. Où est-ce que tu vas? - Acheter le journal.8. Où est-ce que tu vas? - Je vais au kiosque acheter le journal.

La périphrase venir de + inf. n’admet pas cette possibilité, sauf peut-être (v. Togeby

1982 : 85) dans quelques cas sporadiques d’ellipse du verbe venir :

9. D’où est-ce que tu viens? - ?? Je viens d’acheter le journal.10. D’où est-ce que tu viens? - *Je viens du kiosque d’acheter le journal.11. D’où est-ce que tu viens? - * De sortir.12. D’où est-ce que tu viens? - ?? De dîner.

L’exemple 9, manifestement incohérent, est en contradiction avec le principe

d’informativité (le verbe venir de la réponse ne correspond pas au verbe venir de la

question). Le différent degré d’acceptabilité de 11 et de 12 réside, à notre avis, dans le

caractère éminemment nominal de l’infinitif dîner et semblables (souper, manger, se

promener, etc.) ; ces expressions dénotent des activités qui, d’après notre connaissance

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du monde, sont sujettes à une délimitation temporelle inhérente.1 Quoi qu’il en soit,

même les exemples du genre de 12, bien qu’ils soient présentés par certains

grammairiens comme corrects, d’après la plupart de nos informants ils sont d’une

grammaticalité douteuse.

Par conséquent, la symétrie des constructions aller + inf. et venir de + inf pourrait se

défendre exclusivement dans les cas où aller + inf. est employé comme un futur

périphrastique. Pourtant, comme nous allons voir par la suite, même dans ce cas la

prétendue symétrie de ces deux constructions est trompeuse.

(ii) La construction venir de + inf., communément caractérisée comme un « passé

proche » ou « passé récent » (cf. plus haut, p. 3), ne peut pas être considérée comme

sémantiquement symétrique de la périphrase de futur, aller + infinitif, bien que

fréquemment ce dernier soit appelé « futur proche » ou « futur immédiat ». La raison de

cette asymétrie vient surtout du fait que l’emploi de cette forme ne se limite pas à

conférer l’idée d’une action imminente:

13. Il travaille très lentement. Je crois que sa thèse ne va pas pouvoir être soutenue avant trois ans.

Cela est particulièrement évident lorsque aller + inf. est accompagné d’un localisateur

temporel explicite:

14. C’est un beau projet, mais ce sera long. On va terminer les travaux d’ici dans dix ans.

15. Le Soleil va éclater dans 5 millions d’ans.Même dans les cas de non synonymie des deux futurs, analytique et synthétique, la

différence fonctionnelle entre ces deux formes ne peut pas être attribuée à des facteurs

purement chronologiques:

16. Dépêche-toi! Le film va commencer / * commencera.17. Fais ce que tu voudras / * vas vouloir.18. Je me souviendrai / ? vais me souvenir toujours de ce que tu as fait pour moi.19. Si vous votez pour l’extrême droite, je vous dirai ≠ vais vous dire que vous êtes

un idiot.

1 Il ne faut pas confondre cette caractérisation avec la propriété aspectuelle de télicité (voir 3.4), qui présuppose l’existence d’un telos inhérent qu’on doit atteindre pour qu’on puisse parler de la réalisation définitive de l’action (p.ex. écrire une lettre). Les expressions citées sont plutôt des exemples de situations « transitionnelles » (voir François 1989 : 232).

4

Le futur analytique aller + inf. ne peut pas être considéré exclusivement comme

l’expression d’un futur immédiat, parce qu’il est compatible avec des localisateurs

temporels qui situent la situation dénotée dans un avenir lointain (ex. 15) et parce que,

même en l’absence d’un localisateur temporel, la situation dénotée par aller + inf. n’est

pas nécessairement considérée comme (subjectivement) proche du centre déictique.

Par contre, la construction venir de + inf. semble exprimer systématiquement que du

point de vue du locuteur (sens récupérable au niveau de l’intersubjectivité

communicative) la distance chronologique entre le moment de la situation et le centre

déictique est considérée comme brève, d’où la difficulté d’employer un localisateur

temporel pour indiquer que le moment de la situation se situe dans un passé plus ou

moins lointain (néanmoins, voir l’exemple 21 et plus bas, section 6.3.1.1). Le caractère

subjectif de cette évaluation temporelle apparaît évident si l’on compare 20 avec 23 ;

d’un point de vue objectif, la distance chronologique entre le moment de la parole et le

moment de la situation est ou peut être beaucoup plus longue dans le second de ces deux

exemples :

20. Pierre vient de sortir.21. En tant que bouquin, la chartreuse, que je viens de relire hier pour faire mes

Pâques, reste le livre complet, celui qui mériterait tous les éloges [...] (A. Gide et P. Valéry, Correspondance , 1942, p. 291)

22. Les archélogues viennent de trouver une cité maya enterrée sous une épaisse couche de lave.

23. ?? Les archélogues viennent de trouver en 1991 une cité maya enterrée sous une épaisse couche de lave.

(iii) La périphrase aller + inf., aussi bien dans sa fonction de verbe de mouvement

accompagné d’un complément infinitif que dans celle de futur, est parfaitement

compatible avec la négation:

24. Est-ce que tu vas aller au cinéma ? - Non, je ne vais pas aller au cinéma, je vais faire une promenade dans le parc.

25. On ne va pas terminer les travaux avant dix ans. Ça va être beacoup plus long.

En règle générale, la construction venir de + inf. n’admet pas la négation, sauf dans

trois cas : (i) celui d’une opposition adversative de deux infinitifs (ex. 27) ; (ii) celui où

c’est le sens de proximité temporelle véhiculée par l’auxiliaire qui constitue l’objet de la

négation (28), et (iii) celui d’une négation apparente (ex. 29). Dans les deux premiers

cas on a à faire à une structure prosodique particulière :

5

26. * Pierre est là ? - Oui, il ne vient pas de sortir.27. Pierre vient de sortir ? - Non, il ne vient pas de SORTIR, il vient de rentrer.28. Pierre vient de sortir ? - Non, il ne VIENT pas de sortir, il est sorti depuis

longtemps.29. Je me demande si je ne viens pas de dire une bêtise.

Dans certains textes qui appartiennent à des registres informels (internet, blogs, etc.) on

peut rencontrer des exemples de la négation employée avec la périphrase venir de +

inf. :

30. S'il ne vient pas de neiger, le parcours ressemble quasiment à une piste balisée. Dans le cas contraire, attention aux crevasses qui sont nombreuses et parfois cachées sous une mince couche de neige. (http://www.linternaute.com/sortir/escap/sudest/valleeblanche.shtml)

Ce phénomème n’étant toutefois pas systématique, il faut le classe parmi les éventuelles

tendances d’évolution des fonctions de la périphrase (v. chap. xxx).

(iv) L’auxiliaire de la périphrase aller + inf. dans sa fonction de futur se trouve

systématiquement au présent et à l’imparfait de l’indicatif ; toutes les autres formes

étant exclues (cf. Schwegler 1990 : 142, Picabia 1999 : 58-5)) :

31. * Je ne crois pas qu’il aille aller au cinéma demain.32. * J’ai un rendez-vous avec Pierre ce soir ; il ira aller me montrer comment ce

programme fonctionne.33. * Allant aller chez ma tante, j’ai vu Marie.

Cette restriction ne s’applique pas à l’emploi de venir de + inf. :

34. M. Ouine soupire, ferme les yeux, étend sur le lit ses jambes drapées de serge noire. Il a sans doute préparé cette phrase depuis longtemps, mais il semble aussi qu’elle vienne de lui échapper, comme un objet précieux d’une main trop pressante, trop caressante. (G. Bernanos, Monsieur Ouine dans les Œuvres romanesques, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, p. 1549)

35. Au moment où elle remettait son manteau, le train venant de quitter Incarville, dernière station avant Parville, elle me dit : «  Alors demain, re-Verdurin, vous n’oubliez pas que c’est vous qui venez me prendre. (M. Proust, Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 1113)

36. [...] suspendus derrière les vitres étaler leurs arabesques coloriées, ou bien les dentelles, les collerettes et les manchettes, et les mouchoirs éclatant de blancheur dans la neige de leurs tissus légers, la sueur de la honte lui montait au front de ne pouvoir satisfaire sur l’heure tant de fantaisies et de caprices qui devaient venir d’éclore. (G. Flaubert, Prem. éducat. sentimentale, 1845, p. 201-202)

(v) Une caractérisation qui consiste à affirmer que la périphrase venir de + inf. présente

une situation « immédiatement après son stade final » est inexacte, entre autres parce

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que la distance chronologique objective qui sépare le moment de la situation et le

moment de la parole peut varier considérablement (v. plus haut les exemples 20 et 23).

(vi) L’affirmation selon laquelle la « valeur aspectuelle n’est pas identique à celle du

temps composé correspondant, marquant l’accompli » (voir plus haut la caractérisation

de la périphrase venir de + inf. dans la grammaire de Riegel et al.) est peu claire, car la

valeur actionnelle ou aspectuelle de l’exemple Elle vient de jouer n’est pas spécifiée. Le

prédicat jouer est fondamentalement atélique, mais peut acquérir une valeur télique dans

des contextes spécifiques (jeu de cartes, par exemple). En outre, bien que la construction

venir de + inf. soit compatible avec de nombreux infinitifs dénotant des situations

atéliques (comme jouer dans son sens primaire), il est hors de doute qu’elle s’emploie

beaucoup plus fréquemment avec des infinitifs téliques qui adoptent très fréquemment

des emplois résultatifs.2 Nous nous demandons quelle est la différence aspectuelle de 37

face à 38 :

37. Il vient de sortir.38. Il est sorti tout à l’heure.

Il est vrai que le passé composé permet deux interprétations différentes ; Il est sorti peut

avoir (a) la fonction d’aoriste du discours, c’est-à-dire celle de localiser la situation dans

un moment ou période passés, identifiables à l’aide d’autres éléments dans la

proposition (p.ex. adverbes de temps) ou à l’aide du contexte conversationnel ou

discursif, ou (b) une lecture résultative, indicatrice de l’état résultant d’une action

accomplie dans le passé ; dans ce cas il est compatible avec un adverbe comme

maintenant ou similaires:

39. Pierre est sorti ce matin à dix heures.40. Maintenant Pierre est sorti.

2 À notre avis, elle vient de jouer est acceptable presque uniquement dans le cas d’une situation préconstruite. La préconstruction est un phénomène qui détermine la constitution de références discursives définies. Par exemple, dans (i) on affirme qu’un événement s’est produit dans une période de temps indéfini, et le pronom personnel de la deuxième proposition indique qu’on présuppose du référent discursif. Dans (ii) nous avons à faire avec une référent discursif défini, présupposé déjà dans la première proposition:

(i) Je lui ai envoyé une lettre. Il devrait la recevoir la semaine prochaine.(ii) Je lui ai envoyé la lettre. Il devrait la recevoir la semaine prochaine. Dans (i) la

première proposition n’est pas présupposée, comme on peut voir aisément en comparant (iii) et (iv):(iii) Je ne lui ai pas envoyé de lettre. * Je la lui enverrai la semaine prochaine.(iv) Je ne lui ai pas envoyé la lettre. Je la lui enverrai la semaine prochaine.

Il nous semble qu’aussi bien Elle a joué que Elle vient de jouer sont naturels uniquement dans le cas d’une situation préconstruite (v. aussi Havu 1998 : 84-87).

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À base de l’exemple 40, on pourrait avancer une hypothèse préliminaire selon laquelle

la fonction aspectuelle de venir de + inf. est de dénoter l’état postérieur à une action

accomplie dans un passé proche du centre déictique, fonction qui n’est pas distante de

celle du passé composé résultatif.

(vii) Nous ne savons pas très bien comment interpréter la dernière phrase de la

définition de Riegel et al., « certains considèrent que venir de + infinitif exprime un

‘passé proche’ » ; est-ce aussi l’avis des auteurs ou bien sont-ils en désaccord à propos

de cette caractérisation temporelle de la périphrase ? Il nous semble certain que, d’après

l’interprétation intuitive de tout locuteur français, la fonction de venir de + inf. est de

localiser la situation dénotée par l’infinitif dans un passé qui subjectivement est conçu

comme n’étant pas distant du moment de la parole (ou d’un autre centre déictique). En

effet, si l’on dit, par exemple:

41. Pierre vient de sortir.

l’emploi de la périphrase semble impliquer, a) que l’état resultant de l’accomplissement

de la situation dénotée par l’infinitif continue au moment de la parole,3 et b) que la

distance chronologique entre le moment de la parole et la situation dénotée par l’infinitif

est considérée comme brève d’après des critères subjectifs (récupérables, comme nous

l’avons déjà constaté, à l’échelle de l’intersubjectivité communicative).

Dans la section suivante, nous examinerons brièvement la description des fonctions de

la périphrase venir de + inf. dans la tradition grammaticale du français.

3 Plutôt que d’une véritable implication il s’agit ici d’une implicature conversationnelle qui, en outre, dépend des propriétés aspectuelles du prédicat verbal. Même dans le cas d’un prédicat télique, il est relativement aisé de s’imaginer des situations où l’interprétation résultative de venir de + inf. est annulée par d’autres éléments de la proposition:

(i) Pierre, il vient de sortir, mais le voilà de nouveau de retour. Il doit avoir oublié quelque chose.

Pourtant, dans le cas de prédicats téliques, l’interprétation résultative s’impose si la proposition de contient pas d’information contraire. Il serait difficile d’attribuer à (ii) une lecture non-résultative:

(ii) Où est Pierre? - Il vient de sortir.Avec les prédicats atéliques, la résultativité est évidemment exclue:

(iii) Je viens de voir Pierre.

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1.2. La construction venir de + inf. dans la tradition grammaticale et

dans la recherche antérieure

Nous nous concentrons d’abord sur la description de la périphrase venir de + inf. dans

les grammaires contemporaines du français et nous passerons ensuite à commenter des

études portant spécifiquement sur cette périphrase.

1.2.1. Caractérisations générales

La plupart des grammaires ne consacrent à la description de la périphrase venir de + inf.

que quelques lignes. Ces données nous sont utiles essentiellement pour démontrer

quelles sont les interprétations, souvent quelque peu impressionistes, que les

grammairiens donnent de cette construction et qui peuvent, par là même, constituer un

point de départ pour notre étude.

Togeby (1982 : xxx), qui étudie notre périphrase plus en détail que le plupart des

grammairiens, observe que venir de + inf. est un passé proche, mais pas un temps

composé proprement dit, car à cause de la présence de la préposition de il s'agit d'un

complément adverbial. Togeby constate que venir de + inf. ne s'oppose pas directement

à aller + inf., temps composé dans le sens propre du terme. La définition des temps

composés semble donc reposer sur des critères syntaxiques.4 Il observe également, à

l’aide d’exemples extraits de textes littéraires, que la périphrase venir de + inf,

contrairement à aller + inf., accepte aussi l’emploi de l’auxiliaire au futur, au

conditionnel, et qu’elle est grammaticale aussi après un si conditionnel. Togeby

constate que venir de + inf. se construit encore moins que aller + infinitif avec les

adverbes temporels, qui, s’ils sont présents, ont été ajoutés après coup. Les observations

de Togeby, certes pertinentes, ne suffisent pourtant pas à définir la fonction précise de la

périphrase venir de + inf. Par exemple, il n’est pas sûr (cf. plus bas, section 6.3.1.1) que

les localisateurs temporels soient toujours ajoutés après coup ; à notre avis, il semble

évident que la présence toujours plus fréquente de ces éléments doit être considérée

comme l’indice d’un procès de grammaticalisation en cours.

Touratier (1996 : 152) fait remarquer, après Damourette et Pichon (1911-1940) que la

différence de sens entre le passé composé et la construction venir de + inf. ne se définit

4 Ce critère ne saurait être opératif en espagnol, en portugais et, en moindre mesure, en catalan, car dans ces langues le futur immédiat se construit avec la préposition à.

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pas en termes de proximité temporelle et qu’avec « l’auxiliaire venir de le passé est

présenté comme effectivement récent ». La passé composé, de son côté, attribue à une

situation localisée dans le passé le caractère d’accompli. Cette définition est peu claire

quant à la distinction entre les fonctions temporelles et les fonctions aspectuelles. Le

terme « proximité temporelle » est inexact ; il s’agit probablement d’une « proximité

chronologique », car du point de vue temporel (si la temporalité est considérée ici

comme une catégorie grammaticale) il existe une différence indubitable entre venir de +

inf. et le passé composé. La différence aspectuelle établie par Touratier reste également

imprécise. Peut-on attribuer à la périphrase venir de + inf. le caractère d’inaccompli ?

Baylon et Fabre (1995 : 100) considèrent que venir de + inf. est une périphrase

aspectuelle, mais que dans la langue parlée on préfère souvent le verbe simple à

l’auxiliaire d’aspect, J’arrive au lieu de Je viens d’arriver ou J’arrive à l’instant. La

fonction aspectuelle de la périphrase n’est pas spécifiée. En outre, il semble évident que

l’emploi du verbe simple au lieu de la construction périphrastique ou adverbiale se

limite à certains verbes momentanés (v. chap. xxx sur les propriétés aspectuelles des

prédicats). Avec un prédicat télique et duratif l’emploi du verbe simple est impensable ;

on ne dirait certainement pas Ils repeignent leur maison dans le sens de Ils viennent de

repeindre leur maison.

Leeman-Bouix (1994 : 120) commente l’impossibilité d’employer les périphrases aller

+ inf. et venir de + inf. dans les temps composés et constate que dans le cas de aller+

inf. la raison en est la difficulté de présenter l’imminence comme une action accomplie.

Quant à venir de + in., cette explication n’est pas valable ; on pourrait expliquer cetter

restriction en considérant la redondance aspectuelle que présenteraient les constructions

comme *il est venu de sortir ; *il était venu de sortir (mais d’après ces critères, les

temps surcomposés ne sont-ils pas redondants ?). L’auteur reconnaît qu’en aucun cas

cela n’explique le contraste entre les phrases comme je suis très heureux qu’il vienne

d’arriver et *je suis très heureux qu’il aille sortir. Le statut catégoriel de la périphrase

n’est pas analysé d’une manière explicite.

1.2.2. Caractérisations approfondies

Gougenheim (1929 : 122-132) étudie l’évolution de venir de + inf. à partir de l’ancien

français jusqu’au nos jours et présente notamment une vision très complète des analyses

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qui ont été appliquées à cette périphrase dans la tradition grammaticale française. Quant

à la fonction primaire et à celle qui a été grammaticalisée, il constate, à la manière des

grammaires citées plus haut, que (p. 122) :

Venir de est aujourd’hui le correspondant dans le passé de aller, auxiliaire du futur prochain. [...] La langue du moyen âge emploie venir de suivi d’un infinitif, pour signifier que l’on est de retour, après avoir accompli telle ou telle action.

Gougenheim étudie aussi les formations concurrentes de venir de + inf., notamment ne

faire que de + inf., sortir de + inf. et partir de + inf. Dans la langue contemporaine, ces

constructions sont nettement moins productives que venir de + inf., voire dialectales ou

archaïques.

Wilmet (1997, voir surtout pp. 318-329) présente une description globale du système

verbal du français, et la construction venir de + inf. y figure dans la catégorie assez

hétérogène de « l’aspect ». L’auteur distingue tout d’abord entre deux catégories

aspectuelles fondamentales, a) aspect sémantique et b) aspect formel. L’aspect

sémantique est, grosso modo, l’information aspectuelle (ou actionnelle, cf. section 3.4)

du léxème verbal, tandis que l’aspect formel, qui se divise en aspect lexical et aspect

affixal, englobe les mécanismes grammaticaux d’auxiliation et d’affixation qui

déterminent le caractère aspectuel d’un prédicat verbal. En ce qui concerne l’ensemble

de l’aspectualité coverbale (sous-catégorie de l’aspect lexical), l’auteur identifie trois

sous-catégories aspectuelles, chacune avec une contrepartie temporelle (nous

employons ici la terminologie de l’auteur), à savoir l’aspect

a) perspectif (temps postérieur),

b) cursif (temps simultané) et

c) extensif (temps antérieur).

Dans l’ensemble des constructions périphrastiques, aller + inf. représente l’aspect

perspectif, être en train de + inf. l’aspect cursif, et être / avoir + participe passé

l’aspect extensif. En revanche, venir de + inf. (aspect extensif) et être sur le point de +

inf. (aspect cursif) laissent un résidu temporel, c’est-à-dire les caractères « récent » et

« imminent », respectivement, de l’information véhiculée par ces deux périphrases.

Wilmet commente également (p. 326-327) la combinatoire des aspects et notamment

11

trois phénomènes: a) d’après la tradition vendlerienne (cf. Vendler 1967) l’aspect

formel contribue à déterminer l’aspect sémantique du syntagme verbal, ce qui a pour

effet l’incompatibilité de certaines catégories (p.ex. les verbes statiques et la

construction venir de + inf.), b) parmi les aspects coverbaux il y en a qui se disqualifient

mutuellement (p.ex. venir de + inf. et être en train de + inf. > *Il vient d’être en train de

marcher / *Il est en train de venir de marcher), et c) certaines sous-catégories

aspectuelles, comme p.ex. l’aspect coverbal et l’aspect suffixal sont mutuellement

incompatibles (*Il est venu d’arriver vs Il vient d’avoir marché ).

Quant à l’analyse (implicite) que fait Wilmet de la périphrase venir de + inf., nous

avons l’impression qu’elle soulève plus de questions qu’elle n’offre de réponses. Peut-

être cette impression est-elle due à notre incapacité de suivre l’argumentation de

l’auteur, qui se base sur une grande quantité de données et sur une terminologie pas

toujours très facile à déchiffrer. Les questions qui se posent sont les suivantes :

(i) L’auteur constate (p. 326) que l’étude des compatibilités et incompatibilités des

différentes catégories aspectuelles, telles qu’elles ont été identifiées par lui, « mène droit

à d’inextricables conflits d’acceptabilité ». Il se demande ensuite:

Pourquoi ne pas conserver dès lors aux aspects leur indépendance relative dans l’horlogerie d’ensemble?

L’approche proposée nous semble en contradiction avec le fait indubitable que ces

compatibilités et incompatibilités existent réellement. Ne serait-il pas plus conforme à la

réalité de reconnaître que l’image temporelle qui émerge dans un énoncé concret est le

résultat de l’interaction de plusieurs facteurs, et que le jeu des compatibilités et

incompatibilités figure parmi les éléments qui limitent les choix des locuteurs et

conditionnent leur performance communicative (v. aussi Havu : 1998) ? Nous sommes

convaincus que l’acceptabilité douteuse des exemples 42 et 43 nous révèle quelque

chose sur les propriétés sémantiques de la construction venir de + inf., d’une part, et de

celles des prédicats descendre d’une famille et détester qqn, de l’autre:

42. * Jean vient de descendre d’une bonne famille.43. * Mon père vient de détester son collègue, M. Dupont.

En outre, comme l’ont démontré p.ex. Squartini (1995), Bybee et Perkins et Pagliuca

(1994 : 15—19), Traugott (1989), l’emploi d’un élément grammaticalisé est très

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souvent conditionné par la conservation partielle de ses propriétés sémantiques.

L’inacceptabilité des exemples 42 et 43 est due en grande partie au sens primaire du

verbe venir.

(ii) La périphrase verbale venir de + inf. n’occupe pas de place spécifique dans le

système élaboré par Wilmet. A la p. 318 de son étude (cf. aussi ci-dessus), l’auteur

constate que venir de + inf. « incarne » l’un des trois aspects coverbaux possibles, c’est-

à-dire l’aspect extensif, et reçoit également une contrepartie temporelle, à savoir

« temps antérieur ». En outre, la situation dénotée par l’infinitif est présentée comme

« récente ». Il s’ensuit que, à l’exception du caractère « récent » de venir de + inf., cette

définition établit l’identité temporelle et aspectuelle totale de cette périphrase avec le

passé composé dans l’emploi « extensif » de celui-ci. Or, il n’en est rien ; pour s’en

convaincre, il suffit d’examiner les exemples suivants:

44. Il n’est pas sorti récemment / * il ne vient pas de sortir.45. A-t-il écrit la lettre? / * vient-il d’écrire la lettre?46. Jean est parti depuis un mois / ?? Jean vient de partir depuis un mois.47. Il me semble que j’ai dîné quand je le vois / * il me semble que je viensde dîner

quand je le vois. 48. Dès qu’il a bu un verre de trop, il est bon à tuer / * dès qu’il vient de boire un

verre de trop, il est bon à tuer.

Les deux derniers exemples de l’emploi aspectuel du passé composé se trouvent chez

Wilmet (p. 353) ; les paraphrases avec venir de + inf. ont été élaborées par nous-même.

Il nous semble évident que ce sont justement des propriétés aspectuelles, temporelles et

peut-être même modales, qui bloquent l’emploi de cette périphrase dans les exemples

précédents. Une analyse exhaustive de venir de + inf. devrait prendre en considération

aussi ces limitations fonctionnelles.

(iii) Le nombre des catégories aspecto-temporelles identifiées par Wilmet est très élevé.

Par exemple, le passé composé (« présent composé » de l’auteur) est un « présent

antérieur », et ces propriétés aspectuelles sont « sécant » et « extensif ». Le passé simple

(« passé I »), par contre, est un temps « passé » qui présente l’aspect « global ». Sur la

p. 364 nous pouvons lire, à propos de l’emploi du passé composé au lieu du passé

simple dans le français parlé, que:

De façon générale, l’opposition d’un passé conjoint au présent et d’un passé disjoint du présent ne joue plus (nous soulignons).

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D’après l’auteur, c’est le passé conjoint qui l’a emporté sur le passé disjoint. Devons-

nous conclure que dans une proposition comme En 1715, Montesquieu a épousé Jeanne

de Lartigny nous avons toujours à faire à un « présent antérieur » avec les valeurs

aspectuelles de « sécant » et « extensif »? Intuitivement, on aurait plutôt tendance à

considérer l’exemple mentionné comme un « passé » aspectuellement « global ». Bref,

il nous semble que les définitions temporelles et aspectuelles de l’auteur soient plus

adéquates si elles sont appliquées aux EMPLOIS des différentes formes verbales et non

pas à ces formes en elles-mêmes. D’après ce point de vue, le passé composé serait, dans

le français parlé de nos jours, systématiquement ambigu quant à ses valeurs

aspectuelles, et ce sont justement les autres éléments de la proposition, ainsi que le

contexte conversationnel, qui permettent d’interpréter correctement les fonctions de

cette forme dans un énoncé concret.5

(iv) D’après la théorie de Wilmet, venir de + inf. est une construction éminemment

aspectuelle, dont la fonction est d’exprimer le « temps antérieur » et le « aspect

extensif » (p. 318) avec un résidu temporel de situation « récente ». Pourtant, à la p.

380, nous pouvons constater que:

Le futur composé possède un doublet en la périphrase venir de + infinitif : «… lisant les quotidiens que vous viendrez d’acheter au moment même où le cycliste les aura livrés » (Michel Butor)6

Or, dans le système de Wilmet, le « futur composé » (futur antérieur dans la tradition

grammaticale) est un « futur antérieur » du point de vue temporel, mais ses propriétés

aspectuelles, « global » et « extensif », diffèrent de celles du passé composé et du plus-

que-parfait (« sécant » et « extensif »).7 Par conséquent, même si dans l’opinion de

l’auteur nous pouvons établir une équivalence sommaire entre le passé composé et le

plus-que-parfait et les emplois de la périphrase venir de + inf., il faut renoncer au

caractère aspectuel « extensif » de cette dernière, car pour désigner un événement

localisé dans l’avenir, elle adopte la propriété aspectuelle de « global » :

5L’ambiguïté aspectuelle est communément acceptée pour certaines formes verbales; personne ne met en doute l’existence des deux valeurs aspectuelles de l’imparfait, celle de l’imparfait "progressif" et celle de l’imparfait "habituel" (Pierre court maintenant / tous les jours dans le parc ).6 Dans notre corpus, qui comprend environ 30.000 exemples, il n’y a aucun exemple de la périphrase venir de + inf. avec l’auxiliaire au futur. Si cela prouve quelque chose, c’est que cet emploi est extrêmement rare.7Nous tenons à répéter que l’emploi de la périphrase venir de + inf. au futur est extrêmement rare. Dans notre corpus (plus de 20.000 exemples), il n’y a aucun exemple de cette combinaison. En outre, les chercheurs qui mentionnent cet emploi, offrent tous le même exemple de Butor. Il serait, par conséquent, légitime de se demander s’il ne s’agit ici que d’un effet de style.

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49. Pierre est parti (depuis peu de temps). ≈ Pierre vient de partir.50. Pierre était parti (depuis peu de temps). ≈ Pierre venait de partir.51. Pierre sera parti (depuis peu de temps). ≈ Pierre viendra de partir.

Dans l’exemple 51 (dans la mesure où on peut considérer que cet emploi occupe

réellement une place dans le système verbal du français, ce qui semble être le cas

d’après Wilmet), le temps annulerait l’aspect « extensif » de venir de + inf. en le

transformant en « global ». Ce qui vient d’être dit nous amène à constater que, d’après

les critères de l’auteur, la périphrase venir de + inf. ne peut pas être un outil aspectuel

ou, ce qui vient à dire plus ou moins la même chose, qu’il change de valeur aspectuelle

selon la composante « temps » qui lui est appliquée.

La raison pour laquelle nous nous sommes permis de commenter en détail l’analyse de

Wilmet c’est qu’il s’agit d’une tentative de présenter un cadre théorique cohérent pour

l’étude du système verbal français dans toute sa complexité. Force nous est de constater,

pourtant, qu’au moins la description, assez sommaire il est vrai, des fonctions de la

périphrase venir de + inf. n’est pas exhaustive.

D’après la théorie de Vet (1980 : 34-35 et 96-97), d’inspiration reichenbachienne (voir

Reichenbach (1947) et, pour une évaluation et mise à jour de la théorie de Reichenbach,

Kamp et Reyle (1993 : 483-689), les auxiliaires aller et venir sont complètement

grammaticalisés et, par conséquent, le futur proche et le passé récent peuvent être

intégrés dans le système temporel du français. La différence qui existe entre le futur

proche et le futur, d’une part, et entre le passé récent et le passé composé, de l’autre,

relève du fait qu’en ayant recours aux formations périphrastiques on ajoute une

information supplémentaire sur la proximité de l’action et du point référentiel. En ce qui

concerne la périphrase venir de + inf., elle se rapproche du « parfait » (il s’agit du

« véritable parfait » du genre ella a vécu et j’ai dit) dans le sens qu’il ne peut pas y avoir

de « point référentiel auxiliaire » ry. En fait, la seule différence qui dans le système

formel de Vet distingue le « passé récent » du « parfait », est la présence obligatoire de

la propriété qui indique une relation symétrique de proximité ; d’après l’auteur, avec le

passé composé employé comme « parfait », l’existence de cette relation est « probable »

(Vet 1980 : 84). Vet arrive à la conclusion que nous venons de résumer après la

constation que la périphrase venir de + inf. ne se combine pas avec les adverbes de

localisation temporelle, de sorte que « le locuteur ne quitte pas le moment rx » (dans le

cas du passé composé dans la fonction de parfait, rx coincide avec s, c’est-à-dire le

15

moment de la parole). Le « parfait implicatif », Chantal est sortie (en ce moment), se

rapproche du « véritable parfait » dans la mesure où il exclut la présence d’un adverbe

qui localise l’événement.

La caractérisation réalisée par Vet sur venir de + inf. s’intègre dans une présentation

formelle de tout le système verbal du français que nous ne pouvons pas présenter dans

toute sa complexité. En ce qui concerne la caractérisation sémantique de la périphrase,

elle soulève pourtant des problèmes assez épineux que nous essaierons de commenter

dans ce qui suit:

Il n’est pas tout à fait exact que la périphrase venir de + inf. n’accepte jamais la

présence d’adverbes temporels localisateurs. Voici quelques contre-exemples (dont 54

est particulièrement intéressant, vu que l’adverbe localisateur précède le verbe ayant,

par conséquent, une fonction propositionnelle) :

52. J’ai en conséquence des dîners chez moi jusqu’à mardi, et le conseil vient de finir il y a une heure. (A. de Lamartine, Corresp. Générale, p. 151)

53. Manuel : Eh bien, on ne le dirait pas, à en juger par ce que tu viens de me demander il y a cinq minutes ! (E. Bourdet, Le Sexe Faible, p. 249)

54. Hier soir, Rostand et moi, nous venons de faire faire un grand pas en avant à notre rupture. (J. Renard, Journal (1887-1910), p. 305)

Il est certain que les exemples de ce genre ne sont guère fréquents si l’on considère

l’ensemble des occurrences de la périphrase venir de + inf. Ils ne sont pourtant pas

négligeables, surtout parce qu’ils démontrent très clairement la non-synonymie de la

périphrase venir de + inf. et du passé composé. Le passé composé, dans le système de

Vet, est systématiquement ambigu. Les cas où un prédicat au passé composé est ou peut

être accompagné d’un adverbe localisateur sont des occurrences d’une « action dans le

passé », tandis que les cas où le passé composé est incompatible avec tout adverbe

localisateur dénotent le résultat d’une situation terminée dans un passé non-spécifié. Du

point de vue formel, cela se traduit par la présence (qui est facultative dans le cas où le

contexte discursif donne des indications suffisamment précises sur la localisation

temporelle de la situation dénotée), dans le premier cas, et par l’absence obligatoire,

dans le second, d’un point référentiel ry. Il n’en est pas de même pour la périphrase

venir de + inf. D’après une interprétation intuitive, dans les exemples 52—54, l’emploi

de la périphrase n’élimine pas l’impression sur la proximité de l’action, de sorte que,

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malgré la présence de l’adverbe localisateur, il nous semble peu satisfaisant d’affirmer

que le locuteur quitte le point rx.

Selon Vet (1980 : 83-88) le passé composé est triplement ambigu (sous réserve des

propriétés actionnelles du prédicat) ; il peut avoir la fonction

a) d’une « action dans le passé » qui correspond à la fonction aoristique du passé composé (La Révolution a éclaté en 1789) ;

b) du « véritable parfait » (J’ai dit) ou

c) celle d’un « parfait implicatif » (Jusqu’à présent, je suis allé deux fois à Colmar).

C’est la présence des adverbes de temps ou le contexte discursif ou conversationnel qui

lui attribuent sa véritable valeur sémantique. Par contre, d’après l’auteur

[...] les constructions avec venir de + infinitif ne sont jamais ambiguës. Elles expriment l’antériorité de I [= intervalle) par rapport à rx et jamais la simultanéité de rx avec un des moments de Ii prostérieurs à ce I, ce que montre l’agrammaticalité de l’exemple suivant :

* Le paquet vient d’arriver maintenant.

Autrement dit, la forme venir de + infinitif n’exprime pas le PREC [= passé récent] implicatif ou le PRECP [= passé récent du passé] implicatif. (Vet 1980 : 97)

Pourtant, on trouve des exemples, même relativement anciens, de venir de + inf.

accompagné de l’adverbe maintenant ou en ce moment :

55. [...] maintenant à M Le Maire, qui ne se nomme point autrement, car c'est son nom. Il est champenois de nation et naissance, et de nourriture et demeure de Thoulouze. Il vient maintenant de me visiter ; il est demeuré tout ardent de vous voir lorsque je luy ay depeint une partie de vos vertus, [...] (Le Père Marin Mersenne, Correspondance. t. 5 : 1635, p. 479)

56. [...] que dirais-tu donc, maudit, si tu avais vu comme moi le beau prince que je viens de voir en ce moment, et que j'aime autant qu'il le mérite ? (A. Galland, Les Mille et une Nuits, t. 1, 1715, p. 479, Histoire des amours de Camaralzaman, prince de l'île des Enfants de Khaledan, et de Badoure, princesse de la Chine)

57. [...] J'ai l'air bête, mais je comprends bien... Seulement c'est pas une raison parce qu'il vient maintenant de mourir, pour toi en perdre le boire et le manger ! (L-F. Céline, Mort à crédit, 1936 p. 1097)

58. Agathe, en ce moment, vient de devenir folle, et tout subitement. (J-F. Regnard, Les folies amoureuses, p. 240)

59. Monsieur, je receus dimanche passé vostre lettre du 1 Mars avec les livres et papiers qui y estoient joincts, bien conditionnez, et maintenant je viens de

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recevoir l’autre du 8me avec le livre de l’elephant que je vous renvoyeray bientost [...] (N. de Peiresc, Lettres, t.1. 1617-1628, p. 167)

60. [...] quand j’ay leu le duplicata que m’aviez envoyé longtemps y a, et que je n’avois point pris garde estre descachetté, car dez lors je vous eusse envoyé les corrections que vous y trouverez, lesquelles je viens de faire maintenant pour servir une aultre foys [...] (N. de Peiresc, Lettres, t.5. 1610-1637, p. 30)

61. [...] il l’a continuée en défendant ceux de la monarchie, et maintenant il vient d’arriver dans ce pays pour unir les deux états par les liens communs des principes monarchiques et des vertus chrétiennes. (F. de Chateaubriand, Memoires d’outre-tombe, t.1 p. 435)

62. Le télégramme qu’il prétendra avoir reçu ce soir, pour fuir le duc et Soledad, c’est maintenant qu’il vient de le recevoir. (H. de Montherlant, Les bestiaires, p. 528)

63. [...] tu ne comprends pas que c’est l’orgueil même qui vient de se jeter dans vos filets, en ce moment ? (J. Giraudoux, Judith, p. 111)

En examinant les exemples qui précèdent, on est tenté de les considérer comme des

ocurrences, sinon complètement synonymes, au moins très proches d’un « véritable

parfait » o d’un « passé composé » implicatif.

De ce qu’on vient de dire dans les paragraphes précédents, il s’ensuit, à notre avis, que

pour comprendre le sens et la fonction de la périphrase venir de + inf. il est nécessaire

de recourir à la présence simultanée d’un rx et d’un ry (pour employer le cadre

conceptuel élaboré par Vet). Pour qu’un locuteur puisse faire une évaluation subjective

concernant la distance chronologique qui sépare le moment de la parole et le moment de

la situation, il est nécessaire qu’il soit capable de localiser dans le temps la situation en

question. C’est ce phénomène qui à notre avis explique en partie l’impossibilité

d’appliquer la négation à des situations exprimées à l’aide de la périphrase venir de +

inf. Cette restriction n’affecte pas l’emploi du passé composé dans ses fonctions

implicative, d’antériorité ou non-spécifique (pour cette dernière fonction v. Vet (1980 :

80-81) :

64. Pierre n’est pas sorti.65. Pierre n’est pas sorti à deux heures.66. Pierre n’a pas été aux États-Unis.

L’exemple 65 a au moins deux lectures possibles ; (i) la négation porte sur l’adverbe, ce

qui n’exclut pas que Pierre soit sorti à un autre moment, et (ii) il s’agit d’une situation

préconstruite, c’est-à-dire d’une situation qui constitue une référence discursive

déterminée où la localisation temporelle fait partie du prédicat verbal ; dans ce cas la

proposition est paraphrasable en La sortie de Pierre à deux heures ne s’est pas produite,

tandis que dans le premier cas une paraphrase possible serait p.ex. Il ne s’est pas produit

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une sortie de Pierre à deux heures. La même observation s’applique, mutatis mutandis,

aussi à l’exemple 66 qui peut avoir (i) une interprétation de situation préconstruite,

paraphrasable en Le séjour de Pierre aux États-Unis ne s’est pas réalisé et (ii) une

lecture expérimentale, Dans un intervalle non déterminé I qui arrive au moment de la

parole, il ne s’est pas produit de séjour de Pierre aux États-Unis.

L’étude de Vet, très suggestive d’ailleurs, se vérifie pourtant insuffisante en ce qui

concerne l’analyse globale des emplois de la périphrase venir de + inf., pour les raisons

suivantes : (i) la nature de la notion « passé récent » n’est pas explicitée, (ii) les

restrictions concernant la compatibilité sémantique de la périphrase avec certains

lexèmes verbaux n’ont pas été commentées par l’auteur, et (iii) la compatibilité avec les

adverbes de temps a été interprétée d’une façon incomplète.

Cette brève présentation du traitement appliqué à l’analyse de la construction venir de +

inf. dans la recherche antérieure démontre l’insuffisance des critères employés. Une

bonne partie des conclusions proposées par les auteurs cités peuvent être réfutées au

moyen d’occurences concrètes de la périphrase venir de + inf. Cela prouve la nécessité

de faire reposer l’argumentation sur un matériel empirique aussi complet que possible.

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