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Les auteurs de cet ouvrage ne visent pas ici à retracer l’histoire de la ville depuis le XIXème siècle et encore moins à donner une vision globale de ce que c’était la ville dans l’histoire récente. L’idée consiste à poser au travers de 14 textes, 14 regards spécifiques sur la ville qui tentent de cerner cinq questions : Comment diffuser l’architecture, comment considérer le patrimoine, comment fabriquer une image de la ville, comment gérer l’espace et comment criti- quer la ville ?

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Les auteurs tiennent particulièrement à remercier l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles qui a permis avec son soutien financier l’impression de l’ouvrage.

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Elke Mittmann

Rhita Cadi-Soussi, Louis Rambert, Antoine Watremez

Matthieu Cadaert, Marine Faisandier, Matthieu Perraut, Laura Vasdeboncoeur

Alexandre Nesi, Antoine Watremez

Achevé d’imprimer en juillet 2012 par l’imprimerie Autres Talents, Aubagne, France

© Les auteurs, Versailles, 2012

Coordination

Conception graphique

Relecture

Iconographie

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INTRODUCTION p.8

DIFFUSER L’ARCHITECTURELos Angeles, Dream Factory, Louis Rambert p.13

Les Ruines dans l’imaginaires collectif contemporain, Charlotte Laurentin p.21

Pages critiques, Matthieu Perraut p.27

CONSIDÉRER LE PATRIMOINEVersailles est mort, vive Versailles, Matthieu Cadaert p.39

Les Âges des Grands Ensembles, Laura Vasdeboncoeur p.47

Reconversion des industries modernes, François Perrier p.55

FABRIQUER L’IMAGEPuerto Madero, un exemple singulier de requalification portuaire, Antoine Reynaud p.65

La diffusion du loisir dans la ville, Hugo Bizouarne p.73

A morrocan way of life, Rhita Cadi Soussi p.81

GÉRER L’ESPACEGouvernance des espaces métropolitains, Théo Larvoire p.91

Infrastructures & métropoles, Alexandre Nesi p.99

Grandes industries et utopies sociales, Marine Faisandier p.107

CRITIQUER LA VILLELe reste de Paris, Lambrine Lambropoulou p.117

La fin du lieu, Antoine Watremez p.125

BIBLIOGRAPHIE/CREDITS p.132

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INTRODUCTIONQu’est-ce que c’est la ville aujourd’hui ? Est-ce un corps homogène, amorphe ou informel ? Est-ce une structure linéaire, su-perposée ou chaotique ? Est-ce un espace ouvert ou fermé ? Est-ce une appréhension réelle, fictionnelle ou virtuelle ? Est-ce une succession des différentes histoires qui as-surent sa survie et qui sont la source d’une réinvention perpétuelle de la ville ?

Il n’y a pas une réponse mais une multitude d’approches pour cerner le phénomène de la ville d’aujourd’hui. C’est avec les diffé-rentes phases de l’industrialisation dès le début du XIXème siècle que la ville occi-dentale s’installe dans une dynamique fré-nétique qui bouleverse un système urbain qui pour beaucoup n’avait peu changé depuis des décennies, voire des siècles. Le système urbain s’éclate, s’étale et implose.

C’est surtout pendant le XXème siècle, que les bouleversements encore plus radicaux interviennent : les industries sont cette fois-ci, non seulement à la base d’un déve-loppement encore plus mégalomaniaque, mais aussi à la base des destructions des villes dépassant largement les crises natu-relles les plus dévastatrices.

La ville occidentale, et surtout européenne, après ces dévastations devient dès 1945 le réceptacle d’une multitude d’expérimen-tations, interventions, changements voire défigurations urbaines et architecturales qui se succèdent, se superposent, se contre-disent et transforment la ville inlassable-ment. A cela se greffent toutes les trans-formations intervenues depuis le dernier quart du XXème siècle liées à la désindus-trialisation d’une part ou à la métropoli-sation de l’autre part, et à l’écroulement

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du système communiste dans les pays du Pacte de Varsovie.

Les auteurs de ce petit ouvrage ne visent pas ici de retracer l’histoire de la ville depuis le XIXème siècle et encore moins de donner une vision globale de ce que c’était la ville dans l’histoire récente ou de répondre à la question initiale de cette in-troduction. L’idée consiste plutôt de poser au travers de 14 textes, 14 regards spé-cifiques sur la ville qui tentent de cerner cinq questions : Comment diffuser l’archi-tecture, comment considérer le patrimoine, comment fabriquer une image de la ville, comment gérer l’espace et comment criti-quer la ville ?

Cet ouvrage est issu d’un cours dispensé en 2011/2012 à l’Ecole Nationale Supé-rieure d’Architecture de Versailles en

troisième année (H32) qui traitait la ques-tion de la ville face à la métropolisation, la globalisation, la patrimonialisation et la décroissance. L’objectif consistait à comprendre l’histoire de ces phénomènes urbains afin d’en saisir par la suite les répercussions sur la dimension architectu-rale et urbaine de la ville d’aujourd’hui.

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PARTIE 1 :

DIFFUSERL’ARCHITECTURE

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PARTIE 1 :

DIFFUSERL’ARCHITECTURE

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Si l’on retourne ne serait-ce que deux années en arrière, pour moi, Los Angeles incarnait la ville américaine vitrine d’un «lifestyle» mondialisé, jouissant du même intérêt cultu-rel qu’un quelconque Disneyland, et d’une authenticité qui n’avait d’égal que les décors de célèbres plateaux de tournage qu’elle accueillait.Bimbos décolorées, surfeurs écervelés du côté de Venice, starlettes et minets adulés dans leurs villas de Beverly Hills, et autres stars plus ou moins fameuses dans les bars branchés et les luxueuses boutiques de West Hollywood, à la rencontre «fortuite» des paparazzis. Le tout ponctué de-ci-delà de quelques prostitués, dealers et petites frappes dans les quartiers défavorisés. Toute cette population endémique du sud de la Califor-nie perpétuant une tradition du «cool» et de l’apparence, représentait pour moi, au fond, un certain exotisme... Mais que je ne pouvais m’empêcher de dénigrer. Cette ville n’avait alors dans mon esprit strictement aucun intérêt, si ce n’est allait y faire la fête, plus tard, lors d’un trip extravagant et décadent à travers les villes mythiques des États-Unis. Quelques jours dans la très respectable New York, pour justifier l’aspect culturel d’un tel voyage, et puis partir m’encanailler sur le strip de Vegas, pour terminer au Chateau Marmont avec quelques blondasses et roc-kers oubliés, comme un Kerouac, un peu

futile. Car au fond c’est ce que je suis, un peu prétentieux, mais aussi, très futile.Puis je me suis rappelé de mes lectures, de Bret Easton Ellis, James Ellroy, Rayond Chandler… L.A. n’était d’un coup plus si stérile, elle était un personnage protéiforme.Puis on m’a parlé de Reyner Banham, alors je l’ai lu, relu Bret Easton Ellis, James Ellroy, mais d’autres aussi, Philippe Besson, Octavia Butler, puis j’ai revu Blade Runner et Cali-fornication. Le spectre du pueblo s’élargissait encore. Véritable lieu d’une révolution de la pensée et des moeurs, elle précédait alors une nouvelle définition du monde. Loin d’être idéale, derrière son beau sourire charmeur, Los Angeles dissimulait la dégénérescence des classes moyennes.Puis évidemment il y avait les Cases Study Houses, les Eames, Neutra et Lautner.Le soleil de la Californie brillait dès lors sur mon coeur.Si elle peut passer outre l’estime de nom-breux commentateurs de l’architecture d’au-jourd’hui, cette effervescence, poudre aux yeux pour certains, est pour moi loin d’être vaine. Derrière cette usine à rêves, là où les milliers de piscines en plein désert décrivent l’opulence et l’égoïsme de ces touaregs en costumes Band Of Outsiders et robes Prada, là où les immenses terrains sont emprunts de désolation, sous des freeways couvert de Range Rovers, L.A. dessine et incarne le

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LOS ANGELESDREAM FACTORYET AUTRES PETITES HISTOIRES...

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mirage de sa propre folie.Los Angeles représente donc un rêve pour certain, mais aussi un cauchemar pour d’autres. La demi-mesure n’a pas droit de citer chez les anges.Pour chacun elle est un cliché, la simple évo-cation de son nom installe chez quiconque un imaginaire particulier, palmiers, échangeurs, drive-in, milkshakes, freeways, surfs, pollu-tion, boutiques de luxe et vanité.Dans cette ville vitrine, où tout le monde se prépare des heures durant devant un miroir, où l’on sculpte son corps parfait quotidien-nement lors de son cours privé de pilate, personne ne regarde jamais personne. À Los Angeles, rien ne rassemble naturellement, sinon le soir venu, lors des sorties dans les clubs branchés ou sur les tapis des soirées «privées».À force d’institutionnaliser le cool, L.A. est devenue la capitale du désenchantement et à tant vouloir briller, même le soleil semble la blaser.

FAKE ME I’M FAMOUSLos Angeles, le star system, la culture popu-laire, les palmiers, les belles voitures et les jolies filles, les grosses maisons et les soirées qui font rêver.Le rêve américain, si il existe, prend vie à L.A. Tout les espoirs y sont permis, toutes les wannabe starlettes pensent que leurs faveurs les propulseront, ici, sur les collines chic.C’est dans ce décors idyllique que L.A. a construit son propre mythe. À vrai dire, à Los Angeles, on ne croule pas sous le poids de l’histoire, pas d’Haussmann, pas de Sullivan, alors cette histoire, on se l’invente.L’avènement de Los Angeles n’est aussi peut être pas exclusivement du aux différents lobbys dont les perspectives mercantiles auraient permis de créer une ville à l’image de leur folies. C’est donc successivement que différentes vagues d’intellectuels et écrivains ont investis Los Angeles.Chacun y va de son fantasme, ou de son

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intérêt, chacun ajoute sa touche. Si bien qu’elle est devenue un patchwork d’ersatz architecturaux. Puis les intellectuels sont passé à l’arrière. Les héros qu’ils créaient ce sont incarnées dans les «humains» qui les interprétaient, meilleurs VRP du rêve américain, avec leurs corps et leurs visages parfaits, l’amalgame entre fiction et réel c’est confirmé. Los Angeles est devenue l’étendard factice de ce monde idéal, un décor publici-taire globalisé. Elle est devenue le Vatican de la consumer society.Les panneaux publicitaires se substituent à l’architecture, vendants des voitures, du soda, des séries TV. L’individu est mis au même niveau que le produit de consommation. La ville entière est un produit. Dans cette société Warholienne où chacun aspire à son quart d’heure de gloire, Los Angeles clame le triomphe de l’image sur la réalité. Chacun peut espérer à son tours s’inventer sa propre légende dans cette ville du fantasme. Mais Los Angeles reste un mirage, et les réminis-cence du réelle ne disparaissent jamais.

«DISPARAÎTRE ICI»Los Angeles, la ville de l’apparence ? Si tout les projecteurs éclaire cette façade, qu’en est-il du fond, existe-t-il ?Le Pueblo, c’était un désert, des indiens, de l’air, du ciel, du soleil, beaucoup d’air, des arbres de Joshua, quelques haciendas, et des courants d’air... La ville de l’apparence cacherait-elle la ville du vide ?Aucune autre ville n’est autant porteuse de cet isolement, de cette idée de désert social et de vacuité de l’existence. A tel point que l’on pourrait très bien disparaitre ici sans que personne ne s’en rende compte.C’est donc dans cette ambiance évanescente que l’on peut voir évoluer quelques héros fordiens, que plus rien ne semble rattacher à la vie, si ce n’est un spleen agrémenté d’une langueur. Bercé dans les routes sinueuses des collines, agressé par les néons des enseignes commerciales de la ville, hypnotiser par le rythme inquiétant des palmiers, de Beverly Hills à Venice, un parcours dans Los Angeles est un récit en soi.

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LOST ANGELESLa crise de 1929 attire donc les écrivains réa-liste de l’époque. Le rêve américain tourne au cauchemar et ce derniers trouvent en L.A. le pain béni nécessaire à la dénonciation du système...En utilisant les classes moyennes, frappées de plein fouet par cette crise, ils établissent le style “noir”. Dans cette société wellsienne où l’ont figure littéralement une ville a plusieurs niveaux, géographiques, certes, mais surtout social, les inégalités n’ont rarement été aussi flagrantes.On peut aussi voir dans cette vision pessi-miste de Los Angeles et d’Hollywood, le propre échec ou la déception de ces mêmes auteurs, attirés par la ville lumière, et qui ce sont brulé les ailes. Une bonne partie d’entre eux, venue à L.A. pour alimenter cette Dream Factory, sont devenus les victimes de la Nightmare Company.Raymond Chandler, James Cain, William Faulkner, qui ont été les forçats du synopsis à la grande époque d’Hollywood, sont

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avant tout allé a L.A. attiré par l’appât du gain. Nombre d’entre eux ont pris leur re-vanche par l’écriture. Ainsi Joseph Kessel publie en 1936 Hollywood ville mirage.Francis Scott Fitzgerald a commencé à écrire Le Dernier Nabab, charge mélancolique contre la machine à broyer, avant de mourir sans l’avoir terminer, en 1940.Blade Runner installe chez le grand public une vision d’anticipation dystopique de Los Angeles et du système capitaliste. De cette fantaisie, seul persiste l’idée vendue par Metropolis et 1984 de la ville à plusieurs niveaux. Une ville basse, populaire, où s’agite une masse ouvrière, à la merci d’une ville haute, dirigeante, bourgeoise et machia-vélique.Cette ville intelligente surveille en perma-nence ses sujets. Elle devient dans ce cas, réellement un élément actif du film, en tant que police, milice et incarne physiquement les forces de l’ordre.

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Dès que l’on accepte les règles du jeu, Los Angeles devient une ville du plaisir, et non du vice. Elle représente effectivement la terre pro-mise des rêveurs. Ici, tout est possible, dès que l’on sait que tout est faux.Et face à l’existence, la ville disparaît, ici même, alors qu’elle nous accueille.On se promène avec douceur, bercé par le rythme de la vie. On embrasse le ciel, le soleil nous caresse. On déambule sur les routes sinueuses en grimpant dans les collines, et là, après quelques miles, miracle, elle nous apparaît : L.A. VILLE MIRAGE.

LOUIS RAMBERT

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Dans la culture occidentale, les ruines fas-cinent depuis des siècles des générations et générations d’artistes, architectes, écrivains, penseurs… Le motif de la ruine a une place de choix dans l’imaginaire collectif de nos sociétés, cela depuis la Renaissance. Par le biais de l’immense production artistique qui y a été consacrée, une «esthétique des ruines» a traversé les siècles. Aujourd’hui la figure de la ruine connait un regain d’intérêt prononcé dans le monde de l’art contemporain. L’art est souvent l’un des meilleurs indicateurs du «Zeitgeist» : l’esprit de notre temps.Quelle place à la ruine dans l’imaginaire col-lectif aujourd’hui ? Dans quelle lignée s’inscrit la poétique des ruines contemporaines si tant est qu’elle existe encore?

RUINES ET VIOLENCEAujourd’hui, les images de violences font partie de notre quotidien : les médias ne nous épargnent pas, et les images de villes en cendres sont légions. De fait à ce jour, la ruine apparait principalement comme un symbole de destruction, de désastre.

Les ruines, support symbolique de notre his-

toire douloureuse : Sternenfall, Anselm Kiefer, 2007Depuis les années 1960, l’oeuvre de l’artiste Anselm Kiefer dénonce et rappelle les évé-nements de la Seconde Guerre Mondiale. Les tours de béton effondrées sont des sculp-tures autonomes : des «monument symboles, ruines allégoriques» (Dagen 2007) 1. C’est une métaphore de notre passé, et plus préci-sément de la guerre.L’artiste fait de son oeuvre un acte de mé-moire, donnant a voir ce qui ne doit pas être oublié. Son oeuvre est le vestige d’une his-toire qui ne repartira jamais de zéro. Ici la ruine est un moyen d’empêcher, de prévenir l’oubli de ce pan de l’histoire.

Les ruines, cadre imaginaire d’un futur chaotique :Exotica, Anne & Patrick Poirier, 2000Cette immense maquette contient tous les éléments constituant nos villes contempo-raines. Mais c’est une ville abandonnée, vide. Aucune explication n’est fournie quant à la raison de cette ville en déshérence. Depuis combien de temps est-elle abandonnée ? On ne le sait. Privée de vie, de mouvement, la ville absurde n’a plus de raison d’être. De part son anonymat spatial et temporel, cette

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LES RUINES DANS L’IMAGINAIRE COLLECTIF CONTEMPORAINENTRE LE VOYEURISME ET LA POÉTIQUE DES RUINES

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ville tentaculaire excite l’imagination de tout un chacun qui peut se replacer aisément au sein de ce cauchemar.

RUINES ET VOYEURISME Le tourisme de ruines, entre catharsis et fas-cination morbide :Les Katrina tours, Nouvelle Orleans, Loui-siane, Etats UniesNotre société actuelle subit un banalisation croissante de la violence qui, via une dédra-matisation dans les médias et jeux vidéos, s’est accrue dans notre quotidien. Les ruines n’ont pas échappé a la projection d’une cer-taine fascination morbide contemporaine.Peu après le passage de l’ouragan, dès oc-tobre 2007, des «Katrina tours» (Hernandez 2008)2 ont été organisés par l’industrie tou-ristique locale. Cette commercialisation de la misère a fait des ruines une simple curiosité touristique, plus animée par une fascination morbide que par une réelle volonté cathar-tique. On constate que les ruines, le désastre, étant propice au pathos et à la catharsis col-lective, n’échappe pas aux règles d’un capi-talisme toujours plus avide. Le spectacle de la destruction devient une simple distraction à peine subversive et l’acte de mémoire, voyeurisme.

RUINES ET SOCIÉTÉDepuis le XVIIeme siècle, la ruine est une métaphore de la précarité de la vie humaine. Dans notre société fragilisée par les crises mondiales successives, cet aspect de la per-ception des ruines est toujours extremement vivide.

Les ruines imaginaires d’une société dépas-sée : Believe in the age of disbelief, Cyprien Gaillard, 2005L’oeuvre de ce jeune artiste traite de ce phé-nomène de l’archéologie de la modernité. Cette série de gravures met en scène des tours de logements sociaux telle celles que

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l’on retrouve dans toutes les régions subur-baines de France. En détournant l’iconogra-phie des gravures flamandes du XVIIeme, il présente ces structures comme des «veduta» traditionnelles. Cyprien Gaillard imagine les ruines futures de ces tours encore bien pré-sentes. Ces tours de cités sont aujourd’hui les emblèmes de l’échec de l’utopie urbanistique moderniste. Elles sont le symbole du mal être et des clivages de notre société contem-poraine. Cyprien Gaillard souligne le para-doxe d’une époque qui prétend ignorer sa propre fin. En inscrivant dans la mythologie humaine cette architecture, si inhumaine soit-elle, il relègue cette architecture au passé.

La ruine, oeuvre d’une société en péril : Anarchitecture, Richard GreavesRéalisées a partir de reste de granges a l’abandon, ces constructions au bord de l’effondrement nous font basculer dans une irréalité perturbant les codes de l’architecture actuelle. Ici encore, la ruine fait architecture. Ce chaos érigé comme critère esthétique est symbole de notre précarité. Suite à la crise immobilière qui a ébranlé l’économie et la société américaine ces dernières années, ces anarchitectures on trouvé une résonance bien

particulière. Il nous semble observer un pay-sage traditionnel canadien a travers le prisme déformant d’un cauchemar qui pourrait être celui de l’effondrement capitaliste.

Vers une nouvelle poétique des ruines ou ruin porn ? La photographie de ruines à Detroit :Depuis quelques années est né un nouveau genre photographique lié a ce que l’on appelle l’exploration urbaine. De très belles séries ont été produites notamment par Y. Marchand et R. Meffre3. Cet ouvrage est apparu pour certains comme une résurgence d’une poétique des ruines romantiques vue a travers le prisme d’un certain désarroi, cynisme post-moderne. Mais certains (sur-tout les habitants locaux) y ont vu une forme d’exploitation de la misère. Dénommant ce phénomène «ruin porn» (Leary, 2011)4, ils accusent ces photographes de gommer l’exis-tence d’individus vivant entre ces ruines en occultant les réels problèmes de la ville. Malgré ces remarques, il semble véritable-ment qu’une nouvelle poétique des ruines soit née. Cette poétique des ruines est mon-diale car c’est la poétique des ruines de la modernité, de la mondialisation.

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RUINES ET RENAISSANCELes ruines en temps que passage d’un temps révolu à un autre deviennent un symbole de changement et d’évolution . La ruine est un lieu ou un renouveau sans limite est possible.

La ruine, lorsque que la dystopie rejoint l’utopie :Gan eden, Niklas Goldbach, 2006Gan Eden est un oeuvre vidéo dans le pa-villon des Pays Bas construit par les archi-tectes MVRDV dans le cadre de la World Expo à Hanovre.Ce pavillon avait été élaboré comme un exemple d’architecture durable et une cri-tique de notre société de consommation. Abandonné à la fin de la World Expo, le pavillon a commencé à tomber en pièces.Ici, l’utopie tombe en ruine et prend alors le visage de la dystopie contemporaine. Iro-nique retournement de situation : l’homme contemporain signe encore une fois son apti-tude a consommer puis à délaisser même ses propres rêves. Paradoxalement, via l’invasion

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progressive de la nature, le pavillon en tant que ruine a finalement atteint son but. La ruine, quand l’oeuvre d’art totale amène à l’utopie : Inujima art project, Seirensho, Hiroshi Sam-buichi, 2008Cette ancienne usine a été métamorphosée par l’architecte Hiroshi Sambuichi en un lieu hors du commun: sorte de ruine 2.0. Amé-nagé en un espace d’exposition autonome, ce bâtiment vit en symbiose avec l’environ-nement. Ce lieu nouveau, est pourtant tou-jours une ruine qui poursuit inexorablement sa déréliction. Ce projet ouvre la porte à de nouveaux horizons où l’abandon laissera place aux prémices d’un avenir dans lequel l’homme saura peut être enfin accepter son impuissance face au temps et à la nature.

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Vers un renouveau initié par la ruine?Ainsi la ruine, cadre du renouveau d’une nature souveraine, porte en son sein le possible avenir de notre époque. La ruine permet d’entre-voir la possibilité de la cohabitation entre nature et culture. C’est peut être pour ces raisons que notre époque, en envisageant la dé-croissance, marque un regain d’intérêt prononcé pour la figure de la ruine. Les ruines actuelles, à travers leur récupération par les jeunes classes créatives porte l’espoir d’une possible transition vers un nou-veau modèle de société.

CHARLOTTE LAURENTIN

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Pourquoi une publication architecturale cri-tique ?Parce qu’il doit exister un espace de ré-flexion sur l’architecture indépendante des institutions et ouvert à l’ensemble des ac-teurs de la vie intellectuelles et artistique.Parce que, placée au cœur des enjeux poli-tiques, sociaux, économiques, esthétiques…, l’architecture bénéficie d’une position pri-vilégiée et insuffisamment exploitée pour observer les transformations de l’environne-ment et de la société.Parce que décrire et interroger l’architecture et ses enjeux, c’est renouer avec une critique engagée du monde tel qu’il se construit.Ce travail cherche à mettre en perspective l’idée fréquemment reprise d’une crise ac-tuelle de la publication architecturale cri-tique. A l’heure des monographies de « star-chitectes » et des publications qui s’auto décrivent comme étant des manifestes ou titrent « Learning from », pour beaucoup le débat se limite souvent à une superficialité de comptes rendus trop dépendants d’un système professionnel et médiatique. Une sorte de paresse intellectuelle qui apparaitrait dans la discipline : « L’idée que quelqu’un fasse quelque chose et que d’autres critiques, commentent et discutent du projet (le rendant plus profond) a essentiellement disparue ». L’objectif de ce travail, plus que de répondre à la question « vivons nous une crise de la critique architecturale ? », est de la com-prendre. Pourquoi le débat semble s’essouf-fler dans la littérature architecturale ? Existe-t-il toujours des publications critiques ? Les trois parties de cette étude sont à prendre comme trois histoires ou trois moments importants dans cette réflexion.

UNE HISTOIRE DU MANIFESTELe manifeste en tant que genre littéraire fut le fer de lance du mouvement moderne. Le manifeste est l’exposé d’une théorie, souvent nouvelle et radicale dans le cas du mouve-ment moderne. Pour beaucoup, lorsque l’on parle aujourd’hui de manifeste il ne s’agit que d’un livre ou d’une publication critique. Cependant, le manifeste est plus marqué que cela, il affirme une position en oubliant sou-vent les autres points de vue ou en les effa-çant volontairement.Vers une architecture de le Corbusier, paru en 1923 est l’exemple canonique du mani-feste. Le Corbusier indique aux architectes une façon de pratiquer l’architecture et de la penser. Il prévient contre les dangers qu’il y aurait à confondre architecture et construc-tion. Il prône la Tabula Rasa, leitmotiv du mouvement moderne. Le Corbusier prône donc des théories, il affirme et oublie ce qui a été déjà réalisé. C’est à ce genre d’énon-ciation radicale et autiste que le manifeste devrait aujourd’hui renvoyer.Learning From Las Vegas est un bon contre exemple du manifeste moderniste. Paru en 1968, le livre des Venturis (avec Steven Ize-nour) est un manuel dont l’idée centrale est le retour à l’existant comme matière première de la conception. Il n’affirme pas qu’aucune autre solution ne soit envisageable et que cette théorie soit irréfutable. Ce livre ouvre la voie vers un nouveau genre de publication architecturale et sonne le glas du manifeste. Dans sa préface à L’enseignement de Las Vegas, Valéry Didelon replace l’œuvre des Venturis (reprenant les propos de Koolhaas) comme étant le premier manifeste rétroactif.

PAGES CRITIQUES

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À l’inverse des manifestes modernistes, ce livre n’a pas pour objectif d’énoncer une uto-pie ou un traité ni de rompre avec une idéo-logie ou de fonder un art nouveau. Il est plus d’ordre didactique visant « l’élaboration de principes universels et de règles génératives permettant la création, non la transmission de préceptes ou de recettes ».Rem Koolhaas publie en 1978 Delirious New York, devenu une icône dans l’histoire de la publication architecturale. Ce livre influence toujours son travail et représente l’un des points clés de sa carrière. Comme celui des Venturis. Il reconnaît la ville existante comme base de réflexion et matière première de la conception architecturale et urbaine. Est-ce en cela que l’oxymore du manifeste rétroactif prend son sens ? Selon Koolhaas : «Manhattan est une montagne d’évidences sans manifeste.» Il vient donc révéler la théo-rie induite par les créateurs de Manhattan et créer le Manhattanisme. New York Délire « révèle en filigrane une seconde thèse : la métropole exige et mérite une architecture spécifique qui soit capable d’exploiter les possibilités offertes par la condition métro-politaine (…)».Si l’objectif de Delirious New York est de révéler une théorie pour la ville de New York et pour la ville en générale, cet ouvrage comme celui des Venturis est un ouvrage didactique. Koolhaas l’explique lui-même dans sa préface avec la notion de manifeste rétroactif. Je pense donc qu’il est maladroit de parler de Delirious New York comme d’un manifeste pour la ville. Il est aussi déplorable de lire dans la presse que quatre-vingt pour cent des livres qui paraissent aujourd’hui sont des manifestes (dans les brochures des éditeurs ou articles consacrés aux publica-tions). Si le manifeste a vraiment marqué l’histoire de la publication architecturale, il devrait aujourd’hui renvoyer à l’idée de l’affirmation d’une théorie radicale et auto-nome.

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SUPERCRITICAL, CONTENT & FORMSupercritical est le premier numéro d’une série de publications de la AA School de Londres, les « architecture words ».Brett Steele, un critique d’architecture Anglais, a répondu aux volontés de Rem Koolhaas et de Peter Eisenman d’organiser une conférence entre les deux théoriciens. L’ouvrage retranscrit cette conférence qui s’est tenue à la AA le 30 janvier 2006. Kool-haas et Eisenman y abordent les thèmes de la publication et de l’enseignement mais aussi des recherches menées dans leurs agences comme la réflexion entre le rapport de la forme avec le contenu d’un bâtiment, la relation entre la pratique et la théorie etc. La seconde partie est une réaction à cet événe-ment commenté par deux critiques d’archi-tecture et chercheurs anglais, Jeffrey Kipnis et Robert Somol qui donnent leur point de vue sur cet échange et critiquent les théories architecturales des invités. Ensuite, Brett Steele fait une petite histoire de Koolhaas et Eisenman dans une partie « Background ». Il y replace une conférence de chacun, respecti-vement en 1975 et 1976, toujours à Londres. Enfin, la dernière partie du livre est un « ré-sumé » ou un essai en cent points à propos

des deux architectes par Brett Steele. L’intérêt particulier de ce livre réside dans le fait que ces deux architectes, considérés comme de véritables théoriciens, ont com-mencé leur carrière par écrire et écrivent tou-jours beaucoup. Leur pratique elle-même est aussi qualifiée de critique. Enfin, les thèmes abordés pendant cette conférence se rap-prochent de cette étude sur la critique archi-tecturale dans les livres. Il est donc question ici du contenu. Par ailleurs, la forme de ce livre est intéressante car peu d’ouvrages retranscrivent des conférences d’architecture en donnant un point de vue critique après avoir fait un petit historique des intervenants en les replaçant dans leur contexte archi-tectural. Peter Eisenman et Rem Koolhaas sont des architectes de l’écrit comme le défini Brett Steele dans afterwords. Ce livre concerne donc la critique architecturale et est un livre critique. Supercritical s’inscrit dans une série de publications (dix à ce jour) sur des thèmes variés et faisant intervenir dif-férentes personnalités. Publié par une école d’architecture, cet ouvrage montre la volonté de la AA de garder un discours architectural critique.

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DES REVUES CRITIQUESLes revues d’architectures ont fait leur appa-rition à la fin du XIXème siècle. Si elles sont un moyen de véhiculer des doctrines, de montrer des réalisations et des projets, elles présentent aussi un grand nombre d’infor-mations utiles à la profession. Les revues deviendront vite des éléments de cohésion, regroupant plusieurs personnes qui partagent des convictions. Les architectes ne tarderont pas à prendre le contrôle de la plupart des politiques éditoriales et ainsi à maîtriser les publications. Si certains les caractérisent comme étant un simple « reflet » d’une période dans l’architecture, elles ont aussi été un acteur incontournable de la critique architecturale. En montrant un grand nombre de choses qui ne sont pas retenues dans les livres, les revues ont participé à l’histoire de l’architecture et à l’innovation. La presse spécialisée et dédiée à la culture est en plein essor, particulièrement en Allemagne ou une quarantaine de revues se lancent à cette période, dont certaines seront très influentes.

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Les premières revues urbaines apparaissent également. L’entre-deux-guerres verra appa-raître un nouveau genre moins virulent. La Casabella apparaitra en 1928, Domus et L’Architecture d’Aujourd’hui en 1930. Elles se feront rapidement le porte drapeau du mouvement moderne et tenteront de l’impo-ser comme un modèle. Dans les années soixante et soixante-dix, on assiste à une po-litisation des revues. Les sciences humaines et sociales font une apparition dans le milieu architectural et dans les revues. Par ailleurs l’AMC et l’Architecture d’Aujourd’hui donnent une grande place aux transforma-tions que subi l’enseignement à cette période, les revues seront le lieu du débat pendant la révolution de mai 68. On assiste à une émer-gence des revues d’avant-gardes. Les années soixante et soixante-dix représentent une pé-riode de très forte intensité créative et contes-tataire, le nombre de revues a aussi explosé mais beaucoup ne dureront pas. Les années quatre-vingt marqueront un retour vers la technique et la promotion d’architectes.

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La critique architecturale a évoluée depuis les premiers traités d’ar-chitecture jusqu’à aujourd’hui. Selon Hélènne Jannière, on entendait déjà parler de crise de la critique dans les années trente. Il semble donc que nous n’ayons pas de crainte à avoir quant à sa disparition. Cependant, il est regrettable que les architectes n’aient plus cet enga-gement pour leur profession et que personne ne se mobilise vraiment dans le milieu professionnel pour tenter d’aller plus loin. Il existe aujourd’hui un grand nombre de revues et de magasines spécialisés mais qui deviennent des produits de luxe. La logique est donc à la rentabilité. La critique négative semble avoir été remplacée par la non publication. D’une manière générale, elle est de moins en moins présente dans la presse quotidienne. Si les publications ne seront peut être plus jamais de l’ampleur de celles des années soixante et soixante dix, il convient de se poser la question d’un déplacement de la critique. L’incroyable réseau des webzines nous met au défi de reconsidérer les formes de publications. Comment l’usage des médias contemporains se conjugue-t-il avec cette histoire de la publication critique ?

MATTHIEU PERRAUT

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PARTIE 1 :

CONSIDÉRERLEPATRIMOINE

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PARTIE 1 :

CONSIDÉRERLEPATRIMOINE

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article 1

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Pour répondre encore mieux aux ob-jectifs fixés par la Convention de l’UNESCO et par ses propres statuts, une vaste planifi-cation de travaux est lancée. Le 30 octobre 2003 est annoncée la mise en oeuvre du « Grand Versailles », un projet de déve-loppement et de travaux attendu depuis les travaux d’urgence effectués grâce aux dons de Rockfeller. Étalé sur 17ans et pour un coût de 500 millions d’euros, il s’agit du plus grand chantier que l’ancien domaine royal ait connu depuis Louis-Philippe dans le but de restaurer le Château pour retrouver l’état dans lequel il était à la fin du règne de Louis XIV, de mettre aux normes les instal-lations techniques et d’amélioret l’accueil des publics avec une offre de visite plus large et plus lisible. Mais comment faire entrer aujourd’hui dans un monument historique d’hier ?

LA GRILLE ROYALELe chantier de restitution la Grille Royale est sans aucun doute celui qui aura fait naître le plus de polémiques. « Il s’agit de l’opération la plus spectaculaire et la plus audacieuse

jamais réalisée à Versailles, qui transformera complètement l’image du Château » titrait le communiqué de presse lors de l’annonce du chantier de la Grille Royale. Et pour cause, la restitution de la grille répond aux trois objec-tifs du Grand Versailles.

Les critiques fusent contre cette politique passéiste qui prône un retour à l’état architec-tural de l’Ancien Régime. Beaucoup s’insur-gent contre cette ligne directrice qui instituée par les travaux scientifiques de Pierre de Nol-hac dès son arrivée au Château en 1887. La déontologie actuelle de la restauration veut, lorsqu’une restitution est décidée, que l’on restitue le dernier état historique connu. Ce qui est loin d’être le cas pour la Grille Royale qui suscite l’incompréhension chez les spé-cialistes : comment a pu être autorisé un tel projet, perçu comme la volonté de détruire un état historique existant – en l’occurence l’état Louis Philippe - pour revenir à un état qui n’a jamais existé ? Car pour restituer le Versailles de Louis XIV, il faudrait dans ce cas abattre l’intégralité de l’aile Gabriel construite sous Louis XV, ainsi que

« Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change »Giuseppe Tomasi Di Lampedusa - Le Guépard

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VERSAILLES EST MORTVIVE VERSAILLESLA FABRIQUE D’UNE IMAGE

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le pavillon Dufour, érigé sous Louis XVIII, mais aussi la Galerie des Batailles pour y res-tituer les anciens appartements princiers qui occupaient sous Louis XIV l’aile du midi, ce qui est impossible.La restitution de la Grille Royale est un sujet complexe. Sa réalisation est le fruit d’un savant mélange d’éléments ornemen-taux issus de quelques gravures et d’autres grilles du Domaine en raison de l’absence de plans originaux. Si l’Etablissement Public ne cherche pas à rendre compte d’une vérité historique pure, il a néanmoins la volonté de reconstituer la symbolique de la monarchie. Le chantier de la Grille Royale en particu-lier est le paradigme de cette ambition. Le rétablissement de cette grille est une clef symbolique dans la compréhension du Châ-teau et de son système de glorification de la monarchie. La grille est le coeur de compo-sition du Château comme de la ville : c’est notamment sur elle et non sur la chambre du Roi que convergent les trois avenues du trident Versaillais. La Grille Royale délimite la partie la plus sacrée de cette machine de représentation du pouvoir qu’est le Château de Versailles. En désignant dans la succes-sions des cours, l’espace dans lequel seuls les carosses royaux pouvaient pénétrer, la resti-tution de la grille rétablit le monument dans l’une de ses dimensions essentielle : celle de la mise en scène.

QUEL VERSAILLES POUR DEMAIN ?La réalité du Versailles d’aujourd’hui est complexe à saisir car un aspect primordial n’est pas clairement énoncé dans la ligne directrice de la politique générale du Châ-teau. Une dichotomie certaine existe entre le Château de Versailles et l’image qu’on en a. Les deux sont intimement liés mais ne parviennent à dialoguer ensemble dans une logique cohérente. Le Château est comme tiraillé : d’un côté des voix s’élèvent contre une politique qui vise à le transformer en Disneyland de la culture tandis que d’autres

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fustigent la volonté de revenir à un état fan-tasmé idéal qui n’aurait pas existé mais qui réconcielierait toutes les histoires tumul-tueuses du Château auxquelles notre monu-ment a été soumis. Car Versailles n’a jamais été réconcilié avec lui même, agglomérat de strates successives qui n’ont jamais été prévues pour cohabiter harmonieusement, le palais des rois de France peine à trouver une cohérence. Là où la politique du Château est ambigüe, c’est sur l’engagement pris par l’administration et les différents services de conservation pour revenir, lors des chantiers de restaurations, au Château tel qu’il était avant la Révolution, alors même que la mo-dernité a fait son entrée au Château avec ces mêmes travaux. Modernité installée explicitement dans le Domaine grâce à l’art contemporain qui a investi les salles et les différentes parties du parc, suscitant toujours plus de critiques. Là encore, des voix s’élèvent et crient au blasphème réalisé à l’encontre de ce sacro-saint monument. Un article du Figaro met des mots sur la ligne politique implicite du Château : « Ces belles âmes du patrimoine sont bien décidées à défendre le château

de Versailles contre lui-même et ce qu’ils appellent avec effroi sa « disneylandisation. » Objets de tant d’indignation : les travaux de restauration entrepris au château depuis quatre ans. Le simple citoyen pourrait, à bon droit, se réjouir de voir l’État s’enga-ger massivement pour un monument dont le simple nom suffit à évoquer la grandeur de la France ». Et l’auteur de poursuivre : « Si l’on devait céder aux sirènes de l’immo-bilisme, il faudrait fossiliser Versailles et l’enfermer, à double tour, derrière une vitrine bien poussiéreuse, les visiteurs étant priés de passer leur chemin ou de se tenir à distance. Or grâce à une politique volontariste, jamais Versailles n’a été aussi ouvert et populaire. Le vieux château attire aujourd’hui des publics qu’autrefois il intimidait. ».Le Château de Versailles d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier. La modernité y entre au galop dans un carosse stylisé, symbolique-ment immobilisé dans sa course, signe d’une avancée inexorable vers l’avenir tout en restant dans une certaine continuité tempo-relle. Cette métaphore est l’image même du Château. A la différence près que le projet du Grand Versailles a permis au carosse de reprendre sa course en mettant en place

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des chantiers novateurs. Tout comme l’art contemporain avait permis à de nouveaux publics de côtoyer les ors de la monarchie, des aménagements contemporains attireront sans doute des nouveaux visiteurs. Attirer plus de monde, mais aussi offrir davantage et plus intelligement, c’est l’ambition de la nouvelle galerie d’histoire du Château. Amé-nagée dans des salles du Musée de Louis-Philippe devenues inadaptées à la fréquen-tation et à l’intéret actuel des visiteurs, cette galerie présentera les principales étapes de l’évolution architecturale des lieux, depuis la création d’un pavillon de chasse par Louis XIII jusqu’aux grands travaux de restauration des XXème et XXIème siècles, ainsi que le passage de la résidence royale aux galeries historiques de Louis-Philippe et au musée d’aujourd’hui par le biais notamment de dis-positifs multimédia récents aptent à captiver le plus grand nombre pour offrir aux yeux de tous la richesse foisonnante de l’histoire du Château de Versailles.

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Grâce au Grand Versailles, le Domaine n’est plus assoupi et est redevenu une réalité pré-sente qui doit se réinventer et innover pour exister. Car le risque était grand « d’en faire un lieu de mémoire, une sorte de musée défi-nitivement fixé comme il en existe tant, où il est certes agréable de se promener, mais [où] le patrimoine est alors ramené à un simple décor, muet, endormi, support de rêves et de revendications stériles ». Le Château n’a pas le temps de se couvrir de poussière, tout y bouge continuellement, et s’il fallait rebondir sur les polémiques soulevées par la restitu-tion de la Grille Royale, la lecture du présent mémoire pourrait nous amener à penser qu’il aurait sans doute été préférable de réinstaurer la frontière symbolique du Château dans une facture contemporaine, comme pour la gale-rie d’histoire du Château, la réhabilitation du Pavillon Dufour par Dominique Perrault ou la future installation lumineuse des frères Bouroullec dans l’escalier Gabriel.

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Le chantier le plus décrié du Grand Versailles aurait alors trouvé une cohérence qui à elle seule aurait permis la compréhension glo-bale de la politique générale de l’Etablissement Public qui vise à faire exister Versailles aujourd’hui. Car Versailles existe ! Il renoue avec son histoire ponctuée de chantiers qui se succèdent et qui nous prouvent que Versailles est aussi un monument du présent, que Ver-sailles s’écrit aussi aujourd’hui, pour demain.

Versailles n’est pas mort. Vive Versailles !

MATTHIEU CADAERT

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À son origine le Grand Ensemble devait incarner l’émergence d’une société plus juste et plus rationnelle d’après guerre. Il repré-sente aujourd’hui encore incontestablement une des pages les plus glorieuses de l’histoire économique française.Dans les années 50 les nouveaux logements sont reçus avec enthousiasme. Comment en aurait il été autrement pour ces millions de gens qui au sortir de la guerre n’avaient jamais connu que l’absence de point d’eau ou de toilettes, la cohabitation forcée de plusieurs générations, la privation de tout confort et même pour beaucoup d’entre eux le sol en terre battue, la zone, le gourbi, le bidonville. Le « HLM » a été un progrès, mieux une libération, une accession à la dignité de l’être humain après les horreurs de la guerre. D’autant que la mixité y était à l’époque bien réelle : au début des années 60, les Courtillières à Pantin se présentaient comme un habitat plutôt petit bourgeois, pacifié, et où fonctionnaient parfaitement les dispositifs spatiaux inventés en rez-de-chaussée par Emile Aillaud, à savoir : lieux de bricolage mi-publics mi-privées, ouverts sur l’extérieur et sur le parc central, en fait de vrais lieux de convivialité. Les petits employés en quête d’un logement décent, les victimes de l’exode rural ou les premiers rescapés de la débâcle coloniale s’y retrou-vaient en bonne harmonie, communiant dans

l’esprit d’un progrès promit et déjà largement constatable. Lieu de promotion sociale, le pari semblait tenu.Mais l’euphorie provoquée à leur création s’est dissoute dans une représentation média-tique négative, caricaturant une réalité beau-coup plus complexe. Deux des problèmes majeurs inlassablement évoqués concernent : les vices de construction (isolation phonique et thermique insuffisante, apparitions de moi-sissures, de fissures) due à la précipitation dans laquelle s’est faite la construction, et les équipementsles infrastructures de transports inachevés et les équipements manquants (faute de crédits et d’une absence de coordination, les équi-pements et infrastructures quand ils peuvent l’être, sont réalisés tardivement et pas suffi-samment doté financièrement pour fonction-ner correctement provoquant le mécontente-ment et à terme la colère des habitants)D’autre part, après la période de création d’un mode de vie nouveau et enthou-siaste, est venue le moment où l’on a consi-déré le Grand Ensemble comme le quar-tier d’accueil privilégié de populations en difficultés. Entraînant le retrait des classes moyennes sur qui reposait en grande partie l’ouverture sociale. Forme de discrimination positive qui visait à envoyer dans les Grands Ensembles les premières victimes de la crise économique en proie aux difficultés sociales

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LES ÂGES DESGRANDS ENSEMBLESUNE ÉPOQUE GLORIEUSE ? ENTRE UTOPIE ET RÉALITÉ SOCIALE

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(carences financières, immigrés en mal d’ intégration,…).Enfin, un sous entretien des logements et des équipements existants a fini de dégrader une image générale déjà ternie.Le Grand Ensemble devient vite la bête noire d’une société en crise. L’opinion publique et les médias se déchaînent contre cette ges-tion de l’intendance défaillante, accusant les ambitions planificatrices d’un Etat centraliste trop autoritaire et ambitieux dont on va vou-loir se détacher. C’est pourquoi en 1965 les pouvoirs publics changent de bord et encou-ragent eux mêmes le développement de la maison individuelle.

Pendant quelques temps deux modèles de vie antagonistes vont évoluer en parallèle : le Grand Ensemble avec ses valeurs collecti-vistes modernistes et son contre exemple, la communauté villageoise prônant un retour à la vie traditionnelle. Enfin la circulaire Guichard de 1973 tourne définitivement le dos au Grand Ensemble et met fin à sa programmation. Celui-ci ne sera alors plus regardé que pour ses coûts en frais de chauffage et d’entretien, sans plus de considérations sociales et humanistes. En parallèle le nouveau gouvernement en-gage de forts investissements pour promou-voir l’accession à la propriété, privilégiant une politique d’aide à la personne annonçant des difficultés matériels encore plus impor-tantes pour le Grand Ensemble. Le temps de la concertation urbaine est officiellement terminé.Cependant cette architecture de la Recons-truction a victorieusement subit l’épreuve du temps et forme de nos jours le monument d’un moment fondateur de notre histoire collective. Si les discours d’aujourd’hui semblent faire écho à ceux d’hier, (les ZUP ne devaient elles pas résoudre la délinquance de jeunes reclus dans de vieux bourgs ruraux ravagés par la tuberculose ?) en stigmatisant sans nuance la forme du Grand Ensemble

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on ne fait que reprendre le raisonnement qui l’a rendu possible. Mais ce ne serait pas la première fois que des quartiers qui appa-raissaient condamnés à la démolition pour leur vétusté, leur insalubrité, deviennent une génération plus tard le nec plus ultra de la civilisation urbaine. De stigmatisés ces même quartiers redeviennent désirés (exemple des faubourgs parisiens ou des friches indus-trielles). Ainsi les leçons de l’histoire doivent nous amener à réfléchir sur de prétendues consensus et évidences.Il semble en effet, dans le cas du Grand Ensemble, que les tendances d’aujourd’hui lui sont propices : les valeurs de la Résis-tance (pouvoir du collectif, liberté et progrès) sont redécouvertes et l’écologie démontre l’intérêt d’une construction économe en éner-gie et durable. Dans un contexte de pénurie de logement social comment admettre le dynamitage d’une partie d’entre eux encore viables et alors même que le processus de démolition-reconstruction est écologique-ment contre productif. De plus la volonté de patrimonialisation assez récente qui commence à émerger en faveur du Grand Ensemble correspond au développement de la mondialisation : le

patrimoine devenant le garant d’une iden-tité menacée par l’ouverture des frontières et des barrières. Si le bilan de la protection Monument Historique appliquée au loge-ment social reste assez maigre on peut noter cependant le succès d’une procédure beau-coup plus souple : « la protection label du XX ème siècle ». Distinction sans aucunes conséquences juridiques et financières (ex-cepté qu’elle offre une dérogation au travaux d’isolement par l’extérieur), elle détient un effet pédagogique et fait entrer celui qui la possède dans un club rendu prestigieux par sa relative difficulté d’accès. Elle provoque une prise de conscience du propriétaire, des habitants et de l’opinion publique, freinant le plus souvent toute velléité de destruction ou de mutation lourde.En dépit de cette première action de recon-naissance, il existe peu de moyens de proté-ger les grands ensembles de la démolition ou des mutilations qui les ravagent. Le Minis-tère de la Culture s’avère réticent à s’attaquer à l’énorme massif architectural du logement social constituant pourtant une grande ré-serve pour le XXI ème siècle. Un problème majeur se pose : comment faire prendre conscience de l’importance d’une

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transformation respectueuse de nos grands ensembles alors même que le Ministère de la Culture risque de faire exploser un budget qui ne suffit déjà plus à ses responsabilités actuelles.Il faudrait donc pouvoir compter sur la mobi-lisation des acteurs du bâtiment pour soutenir des projets capables d’offrir un renouvelle-ment urbain concret et durable de quartiers socialement sinistrés. Depuis 10 ans le Mi-nistère de la culture essaie d’insuffler ce sou-ci du débat dans les projets de réhabilitation. Malheureusement cette appréciation positive n’est encore le fait que de segments bien définis de l’opinion qui ne tiennent pas vrai-ment les leviers de commande. Mais déjà par la simple connaissance et le travail d’inven-taire, on créé du patrimoine. En le nommant et en le dégageant du diffus qui l’englue on le fait passer à l’existence et on l’ouvre à nombre de questions : comment rendre ses quartiers dits « sans issues » attractifs, com-ment les valoriser ? Comment adapter ce standard des années 50 à notre société

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contemporaine ? Nos grands ensembles sont ils réellement dans une incapacité à répondre aux désir du présent, en sont ils si différents ? Aime t’on un lieu pour ce qu’il est ou parce qu’on y a vécu heureux ? Autant de réponses à écrire qui ne s’avèrent pas toujours aussi complexes qu’il n’y paraît. En atteste le tra-vail effectué par quelques rares architectes tel que Lacaton & Vassal…À une heure où on assiste au foisonnement de discours autour du renouveau urbain, de la régénération des territoires, de la reconver-sion de sites, de la rénovation d’immeuble et autres substituts de réhabilitation, le Grand Ensemble ne peut plus être un lieu qu’on habite parce qu’on y est contraint. Ces futurs séduisants, qu’on cherche à nous vendre au travers d’un jargon fait d’un préfixe « re » visant à nous conduire vers l’abstraction d’un passé imparfait, restent encore incertains. Leurs réussites passant avant tout inévita-blement par un processus de destigmatisa-tion auprès de l’ensemble d’une société.

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Il s’agit ici moins de réhabiliter que de trouver un avenir pérenne à ces édifices dans la tourmente.

LAURA VASDEBONCOEUR

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L’espace géographique évolue, souvent lente-ment, parfois rapidement, voire brutalement, en particulier lorsqu’un système écono-mique se substitue à un autre qui a structuré l’espace suivant une logique différente. C’est ce qui s’est produit, au cours des trente der-nières années, dans de nombreuses régions d’Europe et d’Amérique du Nord, où le sys-tème industriel qui dominait depuis le XIXe siècle, a subi de profondes transformations, voire s’est effondré pour céder la place au système que l’on qualifie en conséquence de post-industriel. Si le passage d’un système à l’autre a été relativement précoce et progres-sif en Europe occidentale, il a été par contre tardif et brutal en Europe centrale et orientale où le processus a suivi directement l’effon-drement des régimes communistes en 1989.

UNE STRATÉGIE DE RENOUVELLE-MENTDans le secteur du bâtiment , les inter-ventions sur les constructions existantes regroupent différentes approches dont il est utile d’éclaircir les terminologies : La restau-ration, la reconversion et la réhabilitation. La restauration est la sauvegarde ou la réfection à l’identique de tout ou partie d’un bâtiment, en vertu de sa valeur patrimoniale (au sens culturel du terme). Toute modification de l’état originel est proscrite, à moins d’être clairement lisible et facilement réversible. La réhabilitation est l’action d’améliorer un édi-fice en conservant sa fonction principale ; le

terme s’emploie aussi bien pour des modifi-cations légères que pour des restructurations lourdes. Il n’exclut pas l’adjonction d’une partie neuve. La reconversion est un processus qui permet d’éviter sa désaffectation, le changement de fonction d’un bâtiment. Réhabiliter ces espaces dégradés signifie d’abord qu’il faut les adapter au nouveau système économique et leur restituer un nou-vel usage en les réaménageant, autrement dit les reconvertir. Mais les possibilités de reconversion dé-pendent d’abord de l’évolution économique régionale, de la localisation des friches, de la nature des projets et des acteurs qui réalisent la réhabilitation : opérateur privé ou institu-tion publique, État ou collectivité territoriale. Pour permettre le « recyclage » des espaces dégradés laissés en friche par le déclin de l’ancien système en y implantant de nou-velles activités, il est toujours nécessaire de leur faire subir des opérations chirurgicales de plus ou moins grande ampleur, destinées à permettre leur réinsertion dans le nouveau système. Cela consiste à détruire une partie des an-ciennes infrastructures et des anciens bâti-ments non réutilisables et à réaliser de nou-velles infrastructures destinées à accueillir les activités de la reconversion. En pratique, beaucoup d’opérations de réhabilitation aboutissent à faire table rase du passé ; mais il est parfois possible de conserver certains

LA RECONVERSION DES INDUSTRIES MODERNES

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éléments à valeur patrimoniale pour les réaffecter à de nouveaux usages, ou plus simplement pour donner une identité au site d’accueil de nouvelles activités.

IMPACT DES RECONVERSIONS DANS LE CONTEXTE ACTUEL ET QUEL IMAGE ONT CES RECONVERSIONS ?La fin du XXè siècle et le début du XXIè siècle auront vu se développer et se réaliser un nombre important d’opérations de recon-version d’anciens sites industriels. La prise en compte des effets néfastes d’un développement basé uniquement sur l’exten-sion explique pour partie la montée en puis-sance des projets de renouvellement urbain.

«Ce principe correspond parfaitement au concept de développement durable : il s’agit de remettre en état plutôt que de démolir, de réutiliser les friches plutôt que de pousser à la croissance urbaine en périphérie et de renforcer par tous les moyens possibles la cohésion sociale.»

Ce type de bâtiment n’a pas du tout été créé dans l’optique d’être plus tard reconverti. Bien au contraire, la marque qu’on y retrouve est la spécificité de l’activité qui s’y dérou-lait. Il en résulte des caractéristiques techniques à l’épreuve du temps (imprimeries…), des espaces surdimensionnés pour l’homme (halles à bestiaux, hangars à avions…), des formes originales (turbines géantes…), qui vidées de l’activité pour causes socio-écono-miques sont en recherche d’un nouveau sens. C’est ce que l’architecte cherche à faire lors d’une reconversion : le bâtiment est déjà là et offre à l’architecte de concevoir dans et avec un espace rempli de qualités et de valeurs exceptionnelles, tant dans le physique (maté-riaux, image dans le paysage…) que dans l’abstrait (charge émotive du lieu). À un certain moment, des personnes ont commencé à prendre conscience de ces

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valeurs et une nouvelle liste du patrimoine architectural a pu s’établir, dédiée au patri-moine industriel. S’en est suivie une diffu-sion de connaissance sur ce type de patri-moine. Mais l’intérêt porté au bâti industriel est somme toute assez récent, donc on peut considérer que la plupart des réalisations à ce jour ont été « expérimentales », les concep-teurs ne s’appuyant pas sur des théories déjà éprouvées. La reconversion des friches industrielles s’inscrit dans la tendance du renouvellement de la ville sur elle-même. Ce principe cor-respond parfaitement au concept de déve-loppement durable : il s’agit de remettre en état plutôt que de démolir, de réutiliser les friches plutôt que de pousser à la crois-sance urbaine en périphérie et de renforcer par tous les moyens possibles la cohésion sociale. Les études de cas de reconversion nous démontrent les conséquences positives que peuvent avoir les projets de reconversion des friches industrielles pour les collectivités locales et pour atteindre le développement durable. L’originalité de la reconversion des friches industrielles provient du fait qu’elle s’appuie, dans la plupart des cas, sur des initiatives directement issues des préoccu-

pations du terrain et portées par les divers acteurs locaux. Cependant, il ne faut pas se cacher que la volonté politique possède un poids énorme dans la finalité des projets et qu’elle doit être porteuse de nouveaux modes de pensée quant à l’aménagement du territoire. Il s’agit en fait de favoriser un urbanisme soucieux de l’environnement et de provoquer un développement fondé sur une gestion économe de l’espace et des ressources existantes. Les différents paliers gouvernementaux doivent élaborer des stra-tégies, afin d’endiguer la consommation de sites vierges en utilisant au maximum les infrastructures existantes. En plus de devenir une alternative à la croissance périphérique des centres urbains, la ville enrichira égale-ment son caractère multifonctionnel et favo-risera un développement local.La plupart des reconversions industrielles ne sont pas anodines. En effet elle suscite pour la plupart un questionnement sur l’utilisation future des lieux environnants. Ceux-ci amène à se questionner en amont, sur la dimension de séduction des reconversions. Les sites et les bâtiments anciens jouissent d’une valeur particulière, celle des lieux hors du temps. Cette qualité permet la patrimonialisation et

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stabilise la ville. Contrairement à d’autres formes urbaines, les cités européennes restent à la recherche d’une ville stabilisée, susceptible de franchir les époques. Pour cela, il nous faut prendre en compte la valeur historique mais aussi la valeur de charme, cette combinaison entre un espace de qualité et une appropriation de qualité. Les divers exemples de « ré-invention » des bâtiments industriels effectués jusqu’à maintenant nous donnent à voir les différentes formes pos-sibles et pertinentes de reconversion et leurs raisons d’être. Leur étude fait ressortir un point autour du-quel tourne toute la conception : le dualisme. Ancien/moderne, structure/fonction, par-cours/lieux, etc. Toute la conception de l’architecte semble être basée sur une modulation constante de ces dualités pour créer un projet cohérent.

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Il est établi que la reconversion des friches industrielles est une action qui a des consé-quences positives pour une ville, du point de vue économique, mais parfois aussi du point de vue environnemental et social. De là, il est pertinent de s’interroger sur l’existence d’un lien entre la reconversion ou la réhabili-tation des friches industrielles et l’atteinte du développement durable à l’échelle de la ville. Comment la revitalisation des espaces indus-triels laissés en friche, et toute la décontami-nation qui entoure généralement les projets, contribue-t-elle à faire de la ville qui encadre le projet une ville viable? Le Guggenheim de Franck O.Gehry à Bilbao est l’un des exemples forts du point de vue socio-attrac-tif, mais celui-ci ne prend en compte qu’une accroche sur l’ancien site industriel. D’autres reconversions arrivent à répondre à cette question en reconvertissant les industries par leur amélioration technologique ou problé-matique.

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On peut le retrouver grâce à la Tate Modern de Herzog et Demeu-ron qui ont réussi à combiner parfaitement Industrie et Attraction. On le retrouve également dans le projet en cours de Zumthor qui garde la structure de l’industrie mais injecte à l’intérieur un nou-veau programme.

FRANÇOIS PERRIER

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FABRIQUER L’IMAGES

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FABRIQUER L’IMAGES

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EFFERVESCENCE DES RECONVER-SIONS PORTUAIRES DANS LE MONDE DEPUIS 1970 // NOUVELLES PROBLÉ-MATIQUES POSÉESLa délocalisation des activités maritimes et la libération d’espaces plus ou moins vastes que la ville pouvait se réapproprier, a été un phé-nomène largement subi qui a pris de court les décideurs politiques et les aménageurs. Le modèle nord-américain prend forme durant les années 1970, et compte tenu de l’absence de formules alternatives à cette époque, il se diffuse assez rapidement dans l’ensemble des États-Unis. Simultanément, l’apparent succès de ce modèle propage son influence sur les pays industriels des autres continents. À partir des années 1970, toutes les villes portuaires de l’ d’Europe Occidentale sont concernées par l’apparition de friches et par l’extension d’espaces délaissés. Une sensibi-lité collective nouvelle émerge sur des thé-matiques comme l’environnement, la qualité de vie, l’urbanité ou encore la question de l’eau.

UNE PLURALITÉ DE MORPHOLOGIE PORTUAIREAu-delà de la différence entre ports à domi-nante linéaire, et ceux, compacts et com-plexes, à docks, les configurations corres-pondent à des zones géographiques.- Sur le pourtour méditerranéen, on trouve le plus souvent des villes panoramas em-

brassant la courbe d’une baie naturelle, qui restent intégrées à la zone portuaire élargie.- Le modèle compact se distingue de la ville portuaire éclatée à l’image des quartiers portuaires dispersés autour de la péninsule de Stockholm. Alors que les ports des eaux profondes asiatiques s’articulent autour d’îles artificielles, le terrain gagné sur la mer en Europe du Nord abrite, derrière barrages et hautes digues, des fragments de ville autour de larges bassins portuaires.- Pour ce qui est des villes portuaires améri-caines situées sur des péninsules, le système répétitif de jetées perpendiculaires à la terre se lit comme la continuation dans l’eau de la trame régulière des rues. L’expansion conserve ici la typologie des jetés : au fur et à mesure que s’en construisent de nouvelles, les anciennes sont abandonnées.

L’EXEMPLE PARTICULIER DU PUER-TO MADEROL’originalité du cas de Buenos Aires réside dans l’intensité du débat dont cette opération fait l’objet depuis un demi-siècle. Rappe-lons le statut institutionnel très particulier de Buenos Aires : aire métropolitaine de près de 12 millions d’habitants, dont la partie centrale est capitale fédérale, relevant de la compétence de l’État central, tout en ayant sa municipalité élue. La zone du Puerto Madero s’inscrit quant à elle dans le seul territoire de la capitale fédérale.

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PUERTO MADEROEXEMPLE SINGULIER DE REVITALISATION DE ZONEPORTUAIRE ?

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Dans cette dynamique de reconversion et revitalisation des zones industriélo-portuaires qui concerne l’ensemble des villes-ports des pays développés, le Puerto Madero se singu-larise-t-il ? L’ouverture de la ville sur son fleuve, vœux des habitants toujours proclamé, voeux tou-jours trahit, est-il réalisé grâce à ce projet ?Quelle image finale cette reconversion donne-elle à la ville ?

LE PORT COMME PREMIER POINT DE DÉPART POUR BUENOS AIRESInauguré en 1889, le Puerto Madero s’arti-culait autour de quatre bassins qui s’étiraient parallèlement au front de ville et face aux-quels étaient alignés des entrepôts de briques. Isolé par deux avenues de circulation intense et par un corridor ferroviaire, ce port formait un espace utilitaire fermé entre le centre-ville et l’estuaire, une barrière qui coupait Buenos Aires du monde fluvio-maritime et qui ame-nait la ville à se retourner sur elle-même. Au cours des décennies suivantes, le nouveau port entraîna l’abandon progressif du Puerto Madero. Le secteur en friche fit l’objet de plusieurs projets de reconversion visant à l’intégrer à la ville. En 1991, un concours national d’idée fut lancé afin de statuer sur un projet de reconversion du territoire portuaire du Puerto Madero.

MONTAGE ADMINISTRATIF, FINAN-CIER ET POLITIQUE DU PROJET // COMPARAISON AVEC BOSTON Cette comparaison fait état d’un système de partenariat privé-public, qui semble être l’un des plus courants concernant les projets de reconversion des fronts d’eau en milieu urbain. Il apparaît alors un schéma bilatéral : L’État ou la municipalité cède ses terrains ou propriétés à une société anonyme qui les représente, cette dernière traite et collabore avec les acteurs privés. Cette organisation est assez complexe et s’entrecroise en diverses strates administratives, politiques ou éco-

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nomiques. L’État et les partenaires publics doivent alors être en phase et veiller à ce que les deux parties privées et publiques soient également considérées. Il semble que dans le cas du Puerto Madero, les critiques se tournent vers une entreprise démesurée, dans un pays qui reste fragile économiquement. En outre, les alternances politiques récur-rentes dans ce marasme institutionnel, affai-blissent le projet, à l’image du changement municipal en 1992, qui a engendré la perte de défenseurs du projet originel, ouvrant une brèche que les promoteurs ont utilisé a leur fin, dénaturant largement l’aménagement initial.

CONTEXTE ET SITUATION DU PROJET // COMPARAISON AVEC BARCELONELa mise en parallèle de ces deux exemples de situation de fracture en milieu urbain, montre deux approches différentes. À Bar-celone, l’architecte a cherché à minimiser la place des infrastructures ferroviaires et auto-mobiles en les recouvrant. Le Balcon urbain créé permet de délimiter deux espaces qui communiquent, celui de la ville et celui du port. Il ouvre la ville sur son port et donne à voir vers la baie. À l’inverse, le Puerto

Madero, bien que situé en plein centre-ville, constitue une barrière. Les infrastructures autoroutières et ferroviaires encore trop pré-sentes en bordure du quartier et la conserva-tion des anciennes diques du port ne permet qu’une prolongation de quatre avenues entre la ville et le nouveau quartier. En outre, la réserve écologique reste un espace difficile à traverser pour se rendre sur les rives du fleuve. Le projet du Puerto Madero est sensi-blement passé à côté d’une volonté des por-tenos de renouer avec leur estuaire, élément à l’origine du fondement de la ville. Les différentes limites du quartier participent à la fabrication d’un morceau de ville qui vit en autarcie, qui suit un schéma de gated com-munitie, de plus en plus répandu à Buenos Aires.

PROGRAMMES ET RECALIBRAGE SPATIAL // COMPARAISON AVEC ROT-TERDAML’analyse programmatique des deux projets fait montre d’une volonté de rééquilibrer les richesses sur le territoire urbain constitué par Buenos Aires ou Rotterdam. Dans le premier cas, il existe une fracture Nord/Sud, dans le second elle se situe de part et d’autre

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du fleuve. À Rotterdam, le projet se décline sous une pluralité de formes, mettant sur-tout en avant des pôles universitaires (ou de formation professionnel), économiques avec de grands groupes internationaux… C’est ici que réside la différence avec Buenos Aires. En effet, bien que la programmation soit assez similaire, le cas du Puerto Madero montre des limites dans les secteurs d’acti-vités dynamisantes. Il se démarque surtout pour ses logements de standings, dont la base reste le style « loft » d’une centaine de mètres carrés.

MÉMOIRE ET PATRIMOINE // COMPA-RAISON AVEC LONDRESLes images qui résultent de ces réhabilita-tions sont très largement similaires. De façon voulue, les acteurs de ces différents projets mettent en avant le patrimoine industriel, témoin d’une activité portuaire aujourd’hui inexistante. Sans doute que cette conserva-tion qui s’opère dans l’ensemble des projets de requalification portuaire a pour

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but de mieux faire accepter les nouveaux programmes qui n’intègrent aucunement les activités portuaires ou industrielles. La mé-moire du lieu se fige dans quelques éléments qui participent à l’élaboration d’une image qui semble se standardiser à des fins touris-tiques, voire de « marketing urbain ».

La réhabilitation des docks du Puerto Madero reste un succès et la zone continue d’attirer les investisseurs. Néanmoins, le projet n’est pas en tout point une réussite. Il semble aujourd’hui porté par une frénésie architec-turale et une logique de surenchère où la spéculation immobilière fragilise la stratégie d’interaction avec la ville. Puerto Madero reste une « enclave » dans cette ville car il n’a pas su s’intégrer à celle-ci, et continue d’être séparé de son fleuve par la réserve éco-logique. Cette enclave est sans doute l’une des raison du désintérêt de la zone pour les portenos alors qu’elle devait initialement leur permettre de se réconcilier avec le Rio de la Plata.

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Nous l’avons vu, il existe des modèles quant à la récupération de ces fronts d’eau, et le modèle dominant qui s’impose, notamment aux Etats-Unis, est non seulement en rupture quasi-totale avec les fonds antérieurs, mais il privilégie essentiellement le tertiaire de bureaux, le commerce et le tourisme, avec un léger dosage résidentiel, limité à un habitat de standing. Ce modèle laisse supposer une opération de standardisation dictée par les modèles de villes-ports des pays industrialisés et se calque donc sur le cas pourtant si singulier et sensible du Puerto Madero. Il semble n’être apprécié qu’aux yeux des touristes, et c’est peut-être là que réside l’unique but du projet. L’image engendrée est celle de docks, des bassins, de la réserve écologique ou encore des tours à l’architecture plus que surprenante. Mais les promoteurs y ont fait construire des tours de logements, avec piscine terrain de tennis, par-kings souterrains ; un habitat de très haut standing qui offre une vue imprenable sur la ville ou le Rio et loge l’élite portena. La finalité du projet fait état d’un quartier élitiste, aseptisé, voir un nouveau « bar-rio cerrado », sorte de gated communitie, en décalage complet avec la ville de Buenos Aires.Cependant, Buenos Aires fidèle à son histoire, faite de vagues suc-cessives d’immigration, a entrepris dans ce projet son « géo-marke-ting » en empruntant à Londres ses Docklands, à Paris sa gestion des services, à Barcelone et Madrid ses idées et techniques urbaines, à New York, Chicago et Los Angeles ses formes nouvelles. Peut-être que ce qui paraît comme un moule pour « faire » de la requalification portuaire est au final adapté au cas de Buenos Aires, qui a toujours utilisé les courants d’architecture internationale à ses fins.

ANTOINE REYNAUD

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article 1 :loisir dans la ville

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Le Loisir, une des quatre fonctions de l’urba-nisme énoncé par les modernes. Notion au départ claire et distincte des autres fonctions de la ville, on la retrouve aujourd’hui sous d’innombrables formes dans la ville. Elle s’immisce dans le quotidien. Il n’a plus for-cément de formes et de limites précises. Le loisir devient partie intégrante des espaces publics, devient modalité d’un urbanisme de plus en plus sujet au marketing. Il dérive à travers toutes les échelles de la ville en inter-venant sur nos modes de vie et de consom-mation.En interrogeant la définition de la fonction loisir à travers la vision moderne, post mo-derne et contemporaine, nous allons montrer comment elle s’inscrit en milieu urbain, et comment elle a contaminé celui ci jusqu’à s’affirmer comme une forme urbaine à part entière.Selon Françoise Choay, Tony Garnier et Le Corbusier font partie du mouvement de l’ur-banisme progressif. Avec des préceptes, voire des dogmes, clairement énoncés, ils tentent d’organiser la ville pour répondre aux pro-blèmes qu’elle pose. Cette idéologie moderne s’appuie particulièrement sur l’utilisation de nouveaux matériaux mis en œuvre grâce aux nouvelles techniques. Dans les deux cas, l’ar-chitecture et l’urbanisme sont indissociables et participent à un idéal total d’une ville moderne où l’hygiénisme et la spécialisation

des fonctions dominent. La ville est divisée en fonctions bien définies qui provoquent un zonage à l’échelle urbaine en les séparant clairement les unes des autres. La fonction loisir est bien présente mais traitée de façon succincte et circonscrite. Le loisir, élément récréatif de la ville, est la nouvelle forme du repos du travailleur, cultivé et sain.Selon Renato Poggioli, il y eu un échec de la tentative de réalisation du merveilleux moderne. Colin Rowe, lui, parle de totalita-risme technique où l’homme est relayé par la machine.Il faut préciser que le loisir chez les postmo-dernes s’accompagne de changements socio-logiques importants comme l’avènement de la société de consommation des années 70 et l’hégémonie de l’automobile comme moyen de transport. On constate l’avènement de certains modèles architecturaux comme les centres commerciaux et les parcs d’attrac-tions où l’accès grâce à l’automobile est privilégié.Du fait des changements sociologiques et économiques, la population dispose de plus d’heures de récréation et d’une automobile. Ces deux facteurs ont contribué aux modèles canoniques de l’architecture commerciale et de loisir que nous connaissons aujourd’hui. En réinterprétant les codes esthétiques de la culture de masse, les architectes postmo-dernes se montrent critiques vis à vis de

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LA DIFFUSION DULOISIR EN VILLE

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celle-ci, mais refusent tout autant l’élitisme moderne. Cette vision « populaire » de l’ar-chitecture et du loisir est poursuivie par les architectes contemporains à travers des pro-jets qui s’expriment différemment.La vision du loisir chez les contemporains s’exprime de manière différente. Nous pou-vons penser au mouvement du New Urba-nism, retour aux formes néo-traditionnelles où la « communauté suit la forme ». Ces retours à d’anciens modèles s’accompagnent souvent de considérations liées au loisir et au commerce. C’est donc une réinterprétation des codes au profit de la création d’un monde de loisir fait de pastiche qui rend l’espace plus rassurant et maîtrisable. Il s’agit ici de création de nouveaux quartiers, voire de Gated Communities, qui sont traités de ma-nière à éveiller l’imaginaire de la population pour les rendre attractifs. Le loisir n’est plus une forme mais une condition sine qua non de projets architecturaux ou urbains.Il faut remarquer que le casino, le centre commercial et le parc à thème sont trois formes architecturales d’espace privé/public.Le lieu public n’existe pas à Los Angeles au sens de l’espace public européen. On ne peut donc pas parler de disparition puisqu’il n’a jamais été présent. L’urbanisation de ces villes est trop récente pour avoir pu générer ce genre d’espaces. La seule solution créa-trice d’espace public est devenu « l’enclave spécifique ». Ces nouveaux espaces publics sont souvent l’initiative du privé et sont donc soumis à des logiques commerciales de profits à courts et moyens termes. C’est antidémocratique dans la mesure où ces espaces sont destinés à des clients, ils sont parfois même payants. On assiste donc à une commercialisation des villes : l’espace public devient un produit comme les autres soumis aux lois du marché.Ces enclaves sont traitées de manière à concentrer un maximum de services et de commerces dans un espace compact et sou-vent isolé de la ville. A ce titre, on peut

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parler de micromégapole, ville autonome dans la ville qui se nourrit d’elle tout en la rejetant. Ce phénomène a inspiré la création de villes nouvelles et de portions de villes. Les principes mis en place pour ces objets architecturaux ont été adoptés par la ville. Le loisir devient donc une modalité de l’espace urbain.« Le principe organisationnel de Las Vegas est le Loisir. Elle est une ville possible grâce à la climatisation. Elle fonctionne en deux types d’architectures : l’une extérieure, commerciale, décrite par Venturi ; l’autre intérieure, repliée sur elle même, coupée de l’extérieur et de ses contraintes. La chaîne du divertissement rafraîchi se poursuit, ou commence avec l’automobile climatisée. Avec l’autoroute qui les relie, Los Angeles et Las Vegas forment un continuum qui tra-verse le désert. Zone de loisirs et plateforme agissent comme des opérateurs de déterrito-rialisation. L’automobile, plateforme mobile, déterritorialise en continu ».Ville du loisir, Las Vegas s’attache à recréer une réalité qui existe ailleurs. A plus petite échelle, plus concentrée et faite de pastiche, cette réalité qui n’est qu’un collage de cli-chés le long du Strip devient plus maîtrisable,

plus symbolique et renvoie à un imaginaire qui existe chez le public. Las Vegas, parc d’attraction urbain où la ville est haussée au rang de spectacle comme le suggérait l’expo-sition de la Strada Novissima en 1980. La limite entre Celebration City, ville nou-velle crée par la société Disney dans les années 90, et une Gated Community est très fine. La ville représente la mise en place de règlements stricts faisant en sorte qu’une communauté vive ensemble. Cette volonté du vivre ensemble est ici traduite par des règles et une forme architecturale et urbaine strictes. Le modèle néo-traditionnaliste qui est appliqué dans Celebration City rappelle la mise en scène de certains parcs d’attractions de Disney. On entre dans un parc à thème sans attraction. Le loisir sert la forme urbaine mais rappelle les Gated Communities dans sa relation au reste du territoire. C’est dans les mégapoles que ce phénomène est le plus frappant, notamment à Los Angeles.La Gated Community, c’est d’abord la sup-pression de deux atouts de la ville moderne : le libre accès et la gratuité de l’espace public. Elles ne font pas la ville, mais elles se posent en dehors, il n’y a alors plus de territoire commun. En effet, elles ne peuvent exister

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que dans un vaste réseau d’infrastructures et dans un environnement urbain. Ce sont des mini villes privées qui ont leur propre espace public. Chaque Gated Community est carac-térisée par un regroupement de personnes de la même origine ou de la même classe so-ciale. C’est une homogénéisation de la popu-lation comprise dans un espace restreint et clos. Au delà de ces types de regroupement, les Gated Communities peuvent proposer une activité ou un style de vie en particu-lier. Les gens s’y regroupent et partagent la même passion comme le yacht (Piper Lan-ding), l’avion (Stellar Airpark Estates), etc… (Selon Fortress America, Blakely et Snyder). Dans son livre Prisonniers volontaires du rêve américain, Stéphane Degoutin exprime clairement cette caractéristique : « Pénétrer dans une gated community, c’est se retrouver dans un parc d’attractions sans attractions ». Caractéristique indissociable de la notion de rêve et de fantasme : « La plateforme du rêve est la forme fondamentale de la fonctio-nélémentaires de l’urbanisme moderne, don-

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-née par les urbanistes et les entertainers américains comme la part du rêve en opposi-tion à l’industrie et à l’habitat ».Los Angeles, ville de l’Urban Sprawl, fournit un support générique ainsi que les infrastruc-tures nécessaires à la fonction de loisir qui se développe beaucoup en Californie du Sud. Elle gagne les autres fonctions urbaines, à moins qu’elle ne les fusionne et ne les rende indistinctes. L’espace public est particuliè-rement touché au profit de l’espace intérieur qui s’enrichit à mesure que l’espace public s’appauvrit. Cette dégénérescence est par-ticulièrement observée à Los Angeles, ville générique, suburbaine, sans fin. La première fonction investie par le loisir reste le com-merce, qui devient alors du shopping, génie et résidu à la fois. Le centre commercial, prend place dans la ville de Los Angeles comme autant d’attractions commerciales destinées aux pratiques suburbaines. On assiste à une récréation permanente dont les centres commerciaux, les parcs à thèmes et les casinos sont les exemples exacerbés.

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« La place donnée à la fonction de loisir, et déjà son expression, y est au point particulier où s’exacerbant, cette fonction tend à dis-paraître comme fonction (spécifique, assignable) pour devenir une modalité dominante des espaces urbains. » (Olivier Ratouis)Cette citation s’avère être devenue réalité depuis la création de Cele-bration City, ville pensée et construite par la société Disney qui des-sine habituellement des parcs à thèmes. C’est donc par des opérateurs privés que le loisir contamine la ville. Le loisir devient le principe fondamental d’un établissement urbain et de l’espace public et perd son statut de fonction pour celui de la modalité.Il s’agit donc de recréer un nouveau monde plus maîtrisable, plus facile. De quelle réalité parle-t-on maintenant ? Surement de celle d’une ville-parc-d’attractions, où façades et pastiches seraient au service d’un émerveillement continu dans lequel le rêve et le réel se confondent.

HUGO BIZOUARNE

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À quoi reconnait-on une ville? Souvent à son architecture ou à sa population, à ses contrastes ou à ses contradictions, à son image réelle ou rêvée,… parfois à ses pal-miers. Casablanca, fait partie de ces villes qui transgressent les limites de la globalité. C’est une hétérogénéité qui semble s’effacer derrière les façades homogènes de ses gros plans, et que l’échelle agrandie brouille : Casablanca, c’est cette réalité qui remet les pieds sur terre au rêve californien. Les villas d’Anfa et de Californie, ne constituent ce-pendant que l’aspect flamboyant d’une ville en constante reconstruction, qui ne garde de son passé que les images d’une ville d’excès à l’identité complexe. C’est une ville dont le passé reflète le présent, et dont l’image fon-damentale n’est qu’imposture.Mais avant de comprendre l’image, il faut se saisir de son influence. Bienvenue dans la fa-buleuse Californie, où on se prélasse devant les yeux ahuris de la masse incomprise.

THE SHAPE OF DESIRE AND DREAM

« People desire buildings that represent their social, ceremonial, and community life. They want these buildings to be more than a func-tional fulfillment. They seek the expression of their aspirations in monumentality, in joy and excitement.» Sigfried Giedion

L’architecture moderne américaine a d’abord été la conséquence d’une mode et d’un mode de vie. Dans les années 50, Il fait beau en Amérique, et encore plus en Californie. Sa société est encline à son effervescence, à la nouveauté, aux changements des moeurs, à l’évolution du goût et à l’amélioration de la technique. La société de consommation par excellence déverse alors sur elle-même un nouveau culte : le culte glamour* (Alice T. Friedman le défini comme étant un terme aussi bien utilisé pour un objet, une personne, ou une expérience, à condition qu’il ou elle soit magique). Elle démontre dans «Ameri-can Glamour and the evolution of modern ar-chitecture» que les façades lisses et brillantes de l’architecture des années 40 et 50 reflète une culture passionnée par les promesses du Jet Age, ainsi qu’une fascination gran-dissante pour cette architecture moderne de demi-siècle dont les américains adoucissent les contours de l’avant-garde.Ce goût exacerbé de la culture populaire sera entendue par Neutra, Saarinen, Johnson & Lapidus, utilisant dans leurs bâtisses de la couleur, de nouvelles techniques de mises en scène empruntés aux cercles influents de la mode et du cinéma, et réussissent à établir une connexion avec leur public : hommes et femmes sont conquis, délaissés par les frus-trations des années 20, ils décident de mener une vie théâtrale et superficielle. Ce mode de vie devient un besoin.

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A MORROCANWAY OF LIFELA CALIFORNIE CASABLANCAISE

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Hormis les journaux dédiés aux profession-nels («Architectural Forum», «Progressive Architecture», «House & Home»..) c’est un type de littérature assez différent qui sensi-bilisera le grand public aux thèmes architec-turaux : « American Home», « Architectural Digest « , « Better Homes and Gardens», « Good House-keeping» , « Ladie’s Home Journal», « House & Garden « et « House beautiful « jouèrent un rôle essentiel dans la promotion d’une vision moderniste de la vie à un public non spécialisé. Ils se concen-traient sur l’architecture résidentielle pour mettre en évidence les valeurs domestiques et les priorités données au logement de la société américaine de l’après-guerre, tout en assurant dans le même temps la publicité des architectes auprès de leur public.La Californie fait alors office d’exemple de lifestyle et d’architecture et déversera son influence dans le monde grâce à l’explosion des médias. À Casablanca, on s’identifiera aussi à ce rêve faussement dénué d’ennui, le «on» désignant cette poignée de privilégiés qui se donneront comme objectif la moder-nité comme mode de vie sous le soleil maro-cain.

LA MODERNITÉ, ARCHITECTURE DES PRIVILÉGIÉSLa modernité est à Casablanca, un aspect indéniable. Laboratoire expérimental d’il-lustres architectes et urbanistes, la modernité s’est transmise par ces travaux de grande ampleur. Mais quelle est réellement la vision du marocain sur la vie moderne et comment se matérialise-t-elle ? La ressemblance et la persistance de la colline d’Anfa avec celles de la Californie est frappante, ou presque.Comme l’on appelé Monique Eleb et Jean-Louis Cohen, la période d’après 1945 à Casa-blanca est qualifiée de période du nouvel âge d’or. Cette période est marquée par la forte diffusion d’idéaux culturels qui envahissent la ville et ses esprits « sous la forme d’une américanisation beaucoup plus précoce qu’en

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métropole « qui se reflétera aussi bien dans les modes de vie que dans l’architecture de l’habitation bourgeoise. Ce processus est lié au débarquement des Américains sur le territoire casablancais, qui tant bien que mal donneront vie à l’idéalisation de la ville américaine par le cinéma. « Casablanca est prise en otage par Hollywood». Elle devient la ville de toutes les aventures, et semble aux yeux du monde du cinéma être le moi adé-quat des conflits et des intrigues ( une répu-tation qui perdure, car y seront tournés des films comme Syriana en 2005 et Contagion en 2011 ) : Casablanca est chargée d’un sens nouveau aux yeux du monde. Mais qu’en est-il d’un Casablanca chargé d’un sens nouveau à travers l’écran d’Hollywood ?Dans Picturing Casablanca, Susan Ossman tente d’expliquer comment la ville s’est développée en même temps que l’image mé-diatisée. Dès le début du protectorat, la ville s’agrandit avec une spontanéité bruyante, contrariant joyeusement le plan de Lyautey. Les cinémas et les européennes en tenues légères d’été deviennent un spectacle habi-tuel dans les rues de la ville. Les nouveaux médias envahissent la vie quotidienne tandis que les propos qui entourent les images et

la vie sociale se mettent à ressembler à ceux des européens. Casablanca à le goût de la liberté, et dans les années 50, cette liberté est américaine. Et pendant que la jeunesse s’encanaillent sur la côte, leurs mères lisent le dernier «Housekeeping» (magazine améri-cain spécialisé dans la maison et présent dans les kiosques dans les années 50 au Maroc) devant la piscine. Il faudra peu de temps pour que les voitures américaines et les villas stupéfiantes de modernité viennent marquer une culture où hédonisme est égal à exhibi-tionnisme.Les architectes sont aussi séduits par l’Amé-rique : les maisons de Neutra ou de Schindler correspondent aux demandes de leurs clients, et empruntent leur modernité de ligne. On retrouve le plaisir de la vie à l’extérieur, et les terrasses, les loggias, les pergolas se mul-tiplient.Casablanca aura aussi ses figures architectu-rales modernes : Azagury, Jaubert, Zévaco, Lévy, Ewerth utiliseront tous les principes de cette architecture, élaborant une sorte de langage commun : pilotis, brise-soleil, pans de murs jouant du contraste entre brique et verre, pierre apparente et béton brut ou en-duit. « Élément récurrent parfaitement

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repérable le long des rues de la ville, le pare-soleil en béton armé formant pergola est par-ticulièrement fréquent. Il dérive à la fois des projet de Le Corbusier - en particulier pour Alger et Rio - et des villas de la Californie du Sud.» Monique Eleb

PRIVATOPIA, ENFERMEMENT DE LA BOURGEOISIE CASABLANCAISEC’est dès les années 20 que la bourgeoisie et l’élite intellectuelle, se fait construire un monde dans lequel elles exercent leur puis-sance : elles y travaillent, y vivent, enfermées et aveuglées par une image que ce monde se renvoie à lui-même agissant comme une conscience inconsciente des réalités sociales qui l’entourent.L’ensemble forme un espace résidentiel hermétiquement clos au-dehors, mais sensi-blement hiérarchisé. Dans ces quartiers de forteresses, on roule en voiture avec chauf-feur pour les dames et les enfants, que l’on conduit vitres fumées dans des écoles privées (dont l’école américaine de Casablanca).

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Les femmes poursuivent leur route à tra-vers les artifices que leurs hommes se sont construits, et vont au mall (le tout dernier centre commercial de Casablanca, le Mor-rocco Mall vient d’ouvrir ses portes - 2012). Paul Bowles notait dans les années 60 que la grande majorité des habitants ne venaient pas dans le centre. Ce sont aujourd’hui les classes privilégiés qui le fuient, devenu dense et populaire, brisant leur rêve d’Amérique et leur rappelant qu’ils sont au Maroc.Casablanca est une ville complexe, forte et faible à la fois de ses 3 millions d’habitants. Si j’ai décidé d’étudier un des aspects de sa modernité, c’est pour en faire ressortir le plus gros ses contrastes : Casablanca est un ghetto urbain, catalogue architectural de toutes les décennies, catalogue social de toutes les injustices.

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À quoi reconnait-on donc Casa ?Pas à son architecture ou à sa population, mais bien à ses contrastes et ses contradictions, à toutes ses images rêvées devenues réelles, à toute sa dualité et l’envers de son chaos.

RHITA CADI SOUSSI

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PARTIE 4 :

GERERL’ESPACE

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PARTIE 4 :

GERERL’ESPACE

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D’un travail de recherche préliminaire sur les enjeux contemporains de l’espace métropoli-tain est née un questionnement sur la gouver-nance. La façon dont on agit sur ces espaces toujours plus vastes et dont les morphologies évoluent continuellement, devient progressi-vement une préoccupation centrale de cer-tains urbanistes. Ceux-ci invoquent commu-nément la nécessité urgente de faire émerger de nouvelles formes de gouvernance afin de répondre aux grands changements sociétaux.Afin de bien comprendre quels sont les te-nants et aboutissants de ce sujet d’actualité, il convient dans un premier temps de s’inté-resser de manière généraliste au terme. Nous explorerons ensuite à travers une approche théorique les liens qu’entretiennent ville et gouvernance puis retracerons, des prémices à l’issue du XX° siècle, l’histoire de la prise en main des espaces métropolitains. Enfin, nous verrons comment les transformations radi-cales de la métropole provoquent une crise des méthodes de gouvernance et imposent leur renouvellement.Dans un deuxième temps nous porterons notre regard sur des exemples concrets : Le grand Est de la ville de Londres, et la consul-tation du Grand Paris, qui sont tous les deux des témoins de la possible accélération de l’évolution de la gouvernance.

GOUVERNANCE

Qu’est ce que la gouvernance ?

Il s’agit ici de s’intéresser d’abord aux ra-cines du mot gouvernance mais aussi à son sens contemporain. Il tire son origine du verbe grec kubernân qui signifiait piloter et fut utilisé pour la première fois pour désigner le fait de gouverner les hommes par Platon. Il donne naissance dans la langue latine au verbe gubernare dont le dérivé gubernianta s’est transmis dans les langues anglaise, espagnole, portugaise, italienne et française. Tombé en désuétude, il refait son apparition dans la langue anglaise dans les années 1980, utilisé par des politologues et économistes avec la volonté particulière de se différencier du terme gouvernement en tant qu’institu-tion, il désigne désormais la manière ou l’art de gouverner. Cette réapparition du terme anglais remet au goût du jour son équivalent français : gouvernance.Il recouvre maintenant de multiples signifi-cations et se prête à de multiple usages. Il est majoritairement utilisé dans deux domaines où il revêt des sens différents : l’économie et l’urbanisme. Dans le second, la gouvernance désigne expressément les outils permettant de rétablir ou de maintenir une cohésion ter-ritoriale.

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GOUVERNANCE DESESPACES MÉTROPOLITAINS

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Ville et Gouvernance

Notre environnement urbain est marqué par une multiplicité et une pluralité de signes imprimés dans le territoire par tous ceux qui nous ont précédés. De nombreuses généra-tions ont contribué à y écrire, effacer, ajouter. Ces signes ancrés dans le territoire sont les concrétisations d’intentions, de projets et d’actions dirigés par des individus isolés, ou des groupes d’individus plus importants. Ils se sont parfois superposés, déformés, stra-tifiés donnant lieu à des situations qu’il est difficile d’interpréter et d’analyser.Les villes en général, et a fortiori les métro-poles sont le résultat d’un processus com-plexe d’accumulation de ces signes. Au quotidien, tous les acteurs de la métropole sélectionnent des éléments qui sont voués à disparaître, être modifiés, requalifiés tandis que d’autres perdurent, conservés ou figés dans un état historique. Le paysage urbain constitue donc en quelque sorte un répertoire de signes matériels. Chaque individu mar-quant le territoire devient acteur de la gou-vernance en s’investissant dans la gestion de l’espace urbain.

Histoire et concrétisation de la prise en main des espaces métropolitains

À la fin du XIX° siècle, dans les grandes cités européennes, les élites conviennent que les villes ne peuvent plus évoluer de manière hasardeuse et qu’il faut contrôler leur déve-loppement. Basés sur l’expertise sanitaire (hygiénisme), les balbutiements de la gouver-nance se mettent en place. Ils se caractérisent d’abord par la prise en main de la gestion de la ville par des corps de métiers variés : architectes, ingénieurs, géomètres, etc. À l’issue des destructions des années 1940-1944 l’État devient cependant le principal moteur des transformations du territoire, de la planification économique, de la construc-tion massive de logement et de la maîtrise

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de l’urbanisation et cette situation perdurera jusqu’en 1982. C’est face aux nouveaux enjeux métropolitains que la gouvernance se développera à nouveau dans un champ d’interactions multiples, cohérent avec la décentralisation mais bien plus complexe en raison de la difficulté à appréhender les nouvelles situations urbaines et de l’alourdis-sement des règles et des systèmes d’actions (relation entre les différents acteurs de la gouvernance).

Évolution des espaces métropolitains et crise de la gouvernance

La métropolisation est un phénomène mon-dial qui touche tous les pays industrialisés. On assiste à une concentration des hommes, activités et richesses dans les métropoles. Ces espaces, traversés par de vastes trans-formations, tendent vers une hétérogénéité, une discontinuité et dépassent les logiques du rayonnement régional. Ils ne se cantonnent pas au regroupement, à la superposition ou à la fusion de modèles urbains déjà existants mais cristallisent aussi l’apparition de nou-veaux modes de vie et de production. Fran-çois Ascher, urbaniste et sociologue français,

fait ici appel au concept de «Métapolis» qu’il définit par un «ensemble dépassant et englo-bant les zones métropolitaines». Comme l’annonce le titre de son livre «Métapolis ou l’avenir des villes», cette appellation est l’occasion d’engager le débat sur le futur de la métropole. La notion de citadinité est décrite comme l’une des clefs de la prise en main de l’évolution de la métropole. Aujourd’hui, la question de la gestion de cet espace métropolitain survient dans un cadre particulier dans lequel il s’agit d’enrayer le communautarisme et l’individualisme, pour au contraire favoriser la diversification et l’enrichissement. C’est avant tout un pro-blème sociologique et politique qui met en exergue la solution communément envisagée de concevoir, déclencher et faire émerger de nouveaux modes de gouvernance.

CASE STUDIESAprès avoir explicité ce qu’est le gouver-nance, il est nécessaire de s’attacher à des cas concrets. Les mouvements de l’Est Londonien et de la consultation du Grand Paris montrent la façon dont la mutation des moyens de gouvernance peut s’initier autour d’impulsions spécifiques.

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Le grand Est Londonien

L’Est de Londres fait actuellement l’objet d’un grand projet de régénération urbaine : Le Thames Gateway. L’évolution de la ville, marquée par sa géographie, laisse un héritage déséquilibré entre les zones Ouest et Est, avec pour ce dernier un déficit social, cultu-rel et un manque d’infrastructures de com-munication. L’histoire de la ville est évoquée à travers les mutations métropolitaines des Docklands qui initient sous l’ère de Marga-reth Thatcher un glissement de la gouver-nance vers les sphères privées. L’actualité est quant à elle parcourue par l’explication des enjeux mis au goût du jour par les Jeux Olympiques de 2012, qui ont entraîné une modification rapide de la gouvernance face à une échéance.

Consultation du Grand Paris

La consultation du Grand Paris est un cas intéressant à mettre en perspective de l’Est

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Londonien. Il illustre la manière totalement différente dont la prise en main de l’espace métropolitain peut être menée à évoluer sous l’impulsion d’une initiative étatique voulant marquer l’histoire de la capitale française. La ville connaît par certains aspect des problé-matiques semblables à celle de Londres. En dépit d’une échéance temporelle, la consulta-tion du Grand Paris se concrétise par la mise en place d’un appareil de réflexion théorique sur la ville : l’Atelier international du Grand Paris. Il permet de transcender les interfé-rences induites par le grand nombre d’acteurs de la ville en réunissant leurs représentants au sein d’une institution qui a vocation à assurer la continuité de la démarche lancée en 2008.

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L’évolution de la gouvernance des espaces métropolitains repré-sente aujourd’hui un enjeu considérable pour parvenir à définir l’action sur l’environnement urbain et coordonner les acteurs qui y participent. Les cas concrets abordés ici illustrent la possibilité sous l’élan d’évènements spécifiques de procéder à ces mutations dans les moyens de gouvernance.L’important semble désormais de déclencher ces mutations hors d’un cadre contraint et de faire émerger, afin de répondre aux change-ment sociétaux répercutés dans les grands territoires métropolitains, des modes de gouvernance adaptés.

THEO LARVOIRE

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UTOPIES

La ville relationnelleLes Smithson s’efforcent de prendre en compte l’individu en réduisant la présence de l’architecture. Ils commencent donc à définir la ville des flux, entre relation et mouvements. Alison et Peter Smithson ont, dès le début des années cinquante, fait porter leur réflexion sur la possibilité de restaurer une forme de continuité urbaine définie par l’espace de la communauté, c’est-à-dire les réseaux de relations entre les gens, leurs déplacements entre les bâtiments, les services et les échanges routiers. La cohésion sociale tient à l’aisance du mouvement.L’urbanisme des CIAM a posé une évidence par rapport aux infrastructures : le trafic routier doit être séparé des lieux habités. Le Golden Lane figure avec sa morphologie de ligne brisée le déplacement de l’habitant lui-même. Il marche, s’arrête et échange. C’est la circulation piétonne qui engendre la ville. Le réseau de circulation est ainsi pensé par un accroissement et un dispersement de bâti-ments-rue. Le trafic autoroutier reste toujours absent de la représentation, laissant les barres de logements figurer le flux et occuper seules le territoire.

La recherche des Smithson, tout au long des années cinquante, visera à articuler et à mettre en forme les mouvements à vitesse différente de la voiture et du piéton, notam-ment avec le diagramme Developping City (1956). L’image d’un réseau de bâtiments frétillant et instable qui recouvre les voies de circulation n’en est que plus évidente. Une référence prisée des architectes, notam-ment des métabolistes, qui accordent la plus grande importance à l’étude de la relation de l’architecture à son environnement plutôt qu’à l’architecture elle-même.

Cluster CityLes Smithson développent leur ville rela-tionnelle en Cluster City : c’est une ville de réseaux ponctués, nouvelle forme de la communauté. Le terme de cluster permet de penser l’image globale d’une structure hié-rarchisée et non figée: quand l’organisme urbain croît, l’image des parties conserve son identité et ses connexions aux autres. C’est un système diffus et non pyramidal, polycen-trique mais non iso tropique. Cette définition se rapproche de celle de la métropole.Leurs échecs successifs aux concours de Gol-den Lane, et pour Hauptstadt Berlin tiennent à leur insistance à chercher un système pour

« La métropole pourrait être définie comme un réseau de villes reliées entre elles »Dominique Perrault

INFRASTRUCTURES &MÉTROPOLES

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la ville existante et à passer par-dessus. De Golden Lane à Berlin, la distance au sol s’est modifiée, la surélévation d’une infrastructure s’est substituée à la déambulation rampante du cluster.

Flux et fixesAprès leur voyage aux Etats-Unis en 1957, les Smithson passent de la recherche d’un espace de proximité associé à un mode de relation sociale, à un travail territorial lié à l’automobile. La recherche se concrétise par l’installation et la connexion de points forts dans un espace sans fin. La solution du cluster pour gérer le développement des regroupements communautaires à l’échelle de la rue, du quartier, ou de la ville, s’étend à l’échelle d’une «ville ouverte », d’un terri-toire total et sans fin, qui se voit ponctué de fixes. La route a succédé à la rue.

MétabolismeLa théorie de la ville par les Smithson se retrouve dans celle des métabolistes japonais. L’approche métaboliste vise à l’invention de structures toujours plus complètes, dont les principes organisationnels «élastiques» doivent permettre de gérer l’aménagement du territoire dans un processus de croissance et de transformations permanentes. K. Tange décrit clairement sa position comme le pas-sage de la volonté du Team Ten dont font partie les Smithson, d’être en adéquation avec une société en changement, à la création des formes représentatives de cette société. Dans le projet Helix city de Kurokawa on se rend très bien compte que les japonais ont déjà compris l’importance de penser l’infras-tructure en même temps que la ville celles-ci étant intrinsèquement liées l’une à l’autre.

INFRASTRUCTURE AUTOROUTIERE

L’autoroute urbaine dans les années soixanteLes infrastructures ont, de tout temps, consti-tué l’élément fondamental organisateur de

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la ville. Pourtant les infrastructures sont longtemps restées cantonnées aux savoirs et aux débats techniques, au domaine du génie civil ou militaire, comme si ville existait sans elles.Ce bouleversement urbain place les archi-tectes français dans un moment de doute, «entre rejet et fascination».

Nouveau paysage urbainC’est précisément cette esthétique de l’auto-route qui, sur la même période, est au centre des questions dans le contexte nord-amé-ricain et sa tradition paysagiste. Comment l’Amérique a-t-elle pensé ses infrastructures de transport à l’échelle d’un territoire qui connaît un étalement urbain sans précédent ? Les villes essayent de se doter d’un réseau de boulevards à étages inspiré du meilleur imaginaire de la métropole du futur, où les voitures filent sans connaître ni ralentis-sement ni entrave dans un tissu bâti d’une extrême concentration.

L’autoroute ou la métropole en mouvementCe phénomène se retrouve dans l’Europe d’aujourd’hui, transcendant les frontières nationales. De nouveaux « paysages» s’im-

posent. L’autoroute accueille des scènes de vie sociale comme espace public à part entière. Dès lors la question du rapport des infrastructures à la ville s’inverse.

Intégration urbaine ?Les études de la métropole Tokyoïte et des villes européennes et américaines montrent les transformations que connaît la ville et les territoires désormais conditionnés par de nouvelles mobilités, discontinuités, occu-pations diffuses. L’implantation d’infras-tructures dans le tissu des villes existantes produit des situations de confrontation, d’opposition ou d’assimilation, totalement intégrées ou finalement rejetées selon les contextes.

LEARNING FROM TOKYO

Un hybride métropolitainL’autoroute métropolitaine de Tokyo, construite à la fin des années 1950, révèle à l’Occident la réalisation d’une de ses pro-jections modernistes, à savoir la génération de la ville par des réseaux d’infrastructures de transport fusionnant en un même ouvrage avec le bâti. C’est principalement une ville

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où architecture et infrastructure sont expo-sées, manifestées, entremêlées et indisso-ciables, visuellement et conceptuellement. Au Japon, l’imbrication du grand magasin et du système de transport public, train puis métro, est une figure habituelle et historique, apparue dès les années 20 à Tokyo (le sys-tème « Depato »). On ne peut s’empêcher de lire aussi dans l’autoroute tokyoïte le sentiment d’un rattrapage de modernité, à l’échelle d’une métropole et non d’un bâti-ment.Les auteurs du livre Made in Tokyo se donnent pour tâche de rendre compte de «la situation urbaine concrète» de leur époque, des faits et non des projets. Accepter la ville « telle qu’elle est » : cette position critique postmoderniste des années 1960 est deve-nue la théorie de l’hybride métropolitain de Tokyo, toujours adaptable à de nouveaux enjeux.

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Aujourd’hui, associer infrastructure et archi-tecture présente une vraie difficulté concep-tuelle. Il semble que l’Europe ne parvienne pas à penser cette relation autrement que dans deux positions extrêmes : d’une part l’exacerbation moderniste, d’autre part la négation de l’infrastructure, recouverte et transformée en nouveau sol comme pour la ZAC Paris Rive Gauche. Ainsi, on ne par-viendrait pas à assumer la situation contem-poraine: non pas fantasmer de nouveau sur l’infrastructure, non pas la nier, mais simple-ment poser dessus n’importe quelle couche de réalité. Alors que nous pensions réactiver un projet architectural à partir des infrastruc-tures c’est à la disjonction entre réseaux et architecture que nous sommes confrontés.

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L’ensemble des réseaux ayant recouvert l’Europe impose de nou-veaux « paysages» : l’autoroute est devenue espace public à part entière. Dès lors la question du rapport des infrastructures à la ville s’inverse. On le voit, l’autoroute est devenue un modèle d’urbanisa-tion qui impose son ordre, ses logiques d’implantation, ses pratiques et sa«culture» urbaine. Ces nouveaux lieux sont l’image de la métro-pole que décrit Dominique Perrault.

ALEXANDRE NESI

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On voit se multiplier ce qu’on appelle, au dix-neuvième siècle, les « utopies sociales », qui abordent, à leur manière, la « question sociale ». Alors que les utopies classiques (inspirées par celle de Thomas More) sont par essence anti-historiques, les utopies sociales sont perméables au temps historique, concret, irréversible.Je m’intéresserai ici à ces utopies dites «réa-lisables», liées à certaines grandes industries. Des utopies qui, partant de problèmes réels, tentent d’apporter des réponses aux difficul-tés sociales de leurs époques respectives.C’est à travers Claude Nicolas LEDOUX, Jean-Baptiste André GODIN et Emile-Justin MENIER que je tenterais de comprendre les causes mais aussi les conséquences de ces systèmes. Ledoux le précurseur, Godin le communau-taire et Menier le familial, tous trois en quête d’une condition sociale et d’une légitimité pour l’ouvrier, ils retraduisent leurs principes dans des systèmes distincts mais néanmoins comparables.

CLAUDE NICOLAS LEDOUX : UNE CITÉ IDÉALE, UNE PROSPECTIVE

L’architecte visionnaireLa seconde moitié du XVIIIe siècle, dans laquelle se situe la plus grande partie de l’oeuvre de Ledoux, est une époque de com-plètes mutations: intellectuelle, économique et politique; elle va donc beaucoup influencer l’architecture et la forcer à un renouvelle-ment: ce sera le «Néo-classicisme».Le soucis constant de C. N. Ledoux sera de jeter les bases d’une architecture nouvelle, fonctionnelle et rationaliste; il veut adapter la forme à la fonction, réalisant ainsi l’union du «beau» et du «pratique» nécessaire à l’aire industrielle et incontournable de l’architec-ture du XXe siècle.De Thomas More à Fou-rier en passant par Le Corbusier, l’architecte C. N. Ledoux s’inscrit donc dans une longue tradition où l’architecte peut guérir la société de tous ses maux.

«Monsieur X, avant de se proposer de changer la conduite des autres, se mettra à réfléchir et étudiera quels aspects de la conduite des autres il peut réellement changer et de quels moyens il dispose. Si finalement il trouve une stratégie permettant d’obtenir le changement recherché, son utopie devient une utopie réalisable.»

Yona FRIEDMAN

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GRANDES INDUSTRIESET UTOPIES SOCIALESLA QUÈTE D’UNE CONDITION SOCIALE

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Une utopie, une prospective: la ville de ChauxLedoux ne se contente pas que de construire une usine à sel pour le compte des fermiers généraux. En effet il va également proje-ter les plans d’une cité industrielle «dans laquelle les habitants vivraient dans la concorde et la fraternité»

François Dagonet

Le programme à traiter est vaste. Il associe bâtiments de production, avec leurs éléments techniques, et logements pour le personnel ouvrier et administratif.Pour sa cité, Ledoux à étudié une quantité importante d’édifices intéressant tous les sec-teurs de la vie publique ou privée : - Edifices publics - Bâtiments à caractère économique - Edifices à caractère social - Les constructions à usage éducatif ou de loisirsEn pensant ainsi la saline et la cité indus-trielle, Ledoux est l’un des premiers à se pencher sur l’association industrie/ouvriers à laquelle de nombreux industriels, tels Godin ou Menier, s’intéresseront quelques décen-nies plus tard.

JEAN-BAPTISTE ANDRÉ GODIN: LE FA-MILISTÈRE, UN PALAIS SOCIAL

Un industriel éclairéEn 1859, la révolution industrielle a jeté sur les routes des millions de personnes; le prolé-tariat vivant dans des conditions d’insalubrité effroyables.C’est dans ce contexte que Godin, artisan serrurier né en 1817 ayant fait fortune avec l’invention du poêle, va lancer son projet.Cet entrepreneur qui est aussi un militant po-litique très actif, n’aura de cesse de chercher à faire appliquer une égalité entre bourgeois et ouvriers, et le familistère en est l’applica-tion même.

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La Solution Godin L’industriel achète un terrain dans la ville de Guise en Picardie, à proximité de son usine et dresse les premiers plans de son futur Fami-listère. Avant de se lancer dans la construc-tion, Godin effectuera différentes recherches en matière d’amélioration des conditions de vie des ouvriers, et réalisera notamment cette étude sur les besoins humains.Pour le familistère, Godin reprendra la forme générale du palais que Fourier avait pu utili-ser dans son Phalanstère. Il souhaite recréer le château de Versailles dans lequel il n’y aurait aucune hiérarchie sociale.C’est donc en 1859 que débute le chantier qui durera jusqu’en 1879. Le familistère est composé d’un bâtiment central flanqué d’ailes qui délimitent une cour centrale. La grande innovation de Godin sera la cour vitrée. Ces bâtiments surmontés de verrières et se refermant sur eux-mêmes donnent au Familistère un côté introverti, et crée un système d’auto-sur-veillance. En effet, la cour est un espace voué au regard et c’est ainsi que, sans avoir besoin de mettre en place une quelconque police, l’architecture régule elle-même les problèmes de délinquance.

Godin n’aura de cesse de vouloir offrir les qualités de vie des bourgeois aux ouvriers.C’est dans cet esprit qu’il va établir des plans d’appartements destinés à chaque famille et conçus sur la base des normes d’hygiène et de sécurité de l’époque. Godin souhaitait que chaque familistérien puisse disposer d’un logement dont la taille était adaptée aux caractéristiques de leur famille.Si Godin prône l’habitat collectif et non une petite maisonnette comme solution au logement des ouvriers c’est qu’il croit en la possibilité de services communautaires indis-sociables de l’habitat collectif.C’est pourquoi il va développer toutes sortes de services pour les familistériens .Grâce à ces différents éléments, le Familis-tère devient une ville totale. Une ville totale dont le but premier, selon le fondateur, est de sauver les âmes des familistériens. Mais ces services mis en place vont aussi per-mettre d’aller au delà du simple logement et «d’entourer ceux-ci de toutes les ressources et les avantages dont l’habitation du riche est pourvue»

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LA CITÉ PATERNALISTE D’EMILE-JUSTIN MENIER

La cité ouvrière: un modèle de vie imposé.C’est en 1874 que M. Menier fonda la cité ouvrière que ses fils ont développé par la suite. Cette cité est en réalité un important village d’aspect agréable et soigné, placé en avant de l’usine.E.J. Menier est convaincu que l’indivi-dualisme est le seul moyen pour l’homme d’évoluer et de se construire, en opposition à l’habitat collectif qui lui ne fait qu’absorber l’individualité au profit de la communauté.Chaque maison a deux logements indépen-dants. Grâce à cette disposition E. J. Menier souhaitait favoriser la vie de famille.Ces habitations se veulent être le lieu privi-légié de la reproduction, la force de travail, mais ne sont en aucun cas prévues pour une occupation autre, comme du travail à domi-cile. E. J. Menier va aussi mettre en place des rituels visant à cadrer cette vie de famille. Par exemple, les repas de famille sont pris

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selon un rituel établi. Mais le contrôle de M. Menier sur la vie de ses ouvriers ne s’arrête pas là. En effet il ins-taure des conditions d’accession à la location de ses logements, e couple doit être marié et tous les membres doivent travailler à l’usine.Menier met un point d’honneur à conserver coûte que coûte la cité propre et ordonnée. Pour cela il va mettre en place différents systèmes, comme le nettoyage des rues par un corps d’éboueurs et le dépôt des ordures ménagères dans une fosse.La mise en place d’une police des familles de la cité

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On pourrait interpréter ces projets comme des lieux de surveillance et de moralisation destinés à instaurer une jeune classe ouvrière.Le confort de l’ouvrier est pensé mais l’industriel ne perd pas de vue pour autant la rentabilisation de son industrie et donc l’efficacité de ses ouvriers.Hygiène, santé et éducation renforcent alors la productivité et la rentabilité des industries, et le soin apporté à la qualité de vie des ouvriers rejaillit sur la production.

MARINE FAISANDIER

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PARTIE 5 :

CRITIQUERLA VILLE

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PARTIE 5 :

CRITIQUERLA VILLE

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En France, le logement est-il en train de devenir un élément de construction urbaine et non plus seulement de politique sociale ?

«La connexion politique du logement/poli-tique urbaine se produit très tôt : par le biais de l’hygiène d’abord, on passe de considé-rations sur l’habitation au cadre de vie, puis aux questions sur les limites de la ville et de ses fonctions».

L’extension de la ville alimente très tôt le séparatisme social qui s’agrandit et forme des enclaves juste en dehors de Paris, constituant deux mondes: Paris et son reste.

LES GHETTOS DE LA BANLIEUE PARI-SIENNE : UN MALENTENDU OU UNE RÉALITÉ INAVOUÉE ?Aux XVI et XVIIème siècles, le ghetto dé-signe les quartiers juifs qui seront plus tard, avec la Seconde Guerre Mondiale, associés au quartier de Varsovie. « le ghetto est un espace de relégation destinés aux populations les plus modestes et séparés des bienfaits de la centralité par des lignes de rupture ». Une autre approche permet de le voir comme « un quartier au dehors du social avec des lignes de démarcations psychologiques ». Les anciens quartiers ouvriers étaient aussi ségrégés. Aussi, les ghettos français se dif-férencient des étatsuniens par rapport à leur échelle et à leur hétérogénéité ethnique. Mais ils restent des ghettos dans la mesure « où

les plus pauvres est les familles issues des immigrations coloniales y sont assignés ». La ségrégation urbaine et la discrimination raciale se sont renforcées, la formation d’une organisation sociale spécifique s’est créée, comme c’elle d’une logique sociopolitique de fermeture et de discrimination. Certaines ZUS se sont racialisées et le sentiment d’in-sécurité est devenu une réalité. Loin d’être le résultat d’une évolution naturelle des choses, le ghetto est donc la conséquence d’« une construction sociale, politique et culturelle ».

LE RÔLE DE L’URBANISME ET DE L’IMMIGRATIONLa zone annexée en 1930 entourant Paris sur le tracé des anciennes fortifications est constituée de paysages de baraquements réalisées avec des matériaux de fortune qui vont devenir les bidonvilles (13 526 constructions en 1926). Ses habitants sont appelés la «faune de la zone», une référence animale à la marginalisation déjà existante. La dichotomie centre-périphérie est établie. En parallèle, l’industrialisation conduit à une insuffisance quantitative de logements ouvriers dans le centre à cause du renchéris-sement des petites locations et de la « rente foncière urbaine », signalant l’expansion radio concentrée de Paris. La banlieue fait allusion au ghetto, puisque le «bann» de racine germanique se réfère à l’exclusion, tandis que le suffixe latin «leu-ga» veut dire lieu. Sa formation anarchique

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LE RESTE DE PARIS

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se base sur le laisser-aller et le laisser-faire. Pendant longtemps elle restée une «sorte de laboratoire d’exploitation ouvrière et un lieu effectif de rejet mais est devenue une partie intégrante de la région industrielle de Paris, explorée, reconnue, elle avait pris l’allure d’un faubourg parisien».

La pratique urbaine du zonage redéfinie par le Plan Voisin est liée au travail et à sa régu-larisation. Elle a été utilisée en France pour résoudre la question urbaine. Mais la mora-lisation de la vie familiale par le logement est une «formule subtile de domination et de protection de l’ordre social, en privant les populations laborieuse des avantages de la centralité».

Enfin, avec la nouvelle rationalité urbaine d’Haussmann qui cherche à décongestion-ner la ville hygiéniste, la différenciation des classes sociales s’accentue.

L’immigration est un des facteurs les plus décisifs de la formation de la banlieue. De 1914 à 1931 la France joue le rôle de recru-teur et de réservoir européen. Avec l’expan-sion de la manufacture automobile et de la construction, l’immigré prend le rôle de la figure sociale de la modernisation. Il est indispensable et utile mais doit en même temps rester invisible. La spatialisation de son logement est aussi mise à la marge. Les bidonvilles ethniques comme la petite Es-pagne de la plaine Saint-Denis engloutissent Paris. Les cités de transit s’imposent en 1970 dans des endroits défavorisant la vie collec-tive. Situées loin des centres-villes, elles sont inaccessibles en transport en commun et ne disposent ni d’accès aux commerces ni aux structures socio-éducatives. Alors apparait le risque de la formation de ghettos de béton : «le bidonville vertical».

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LE GRAND ENSEMBLE : D’UNIFICA-TEUR SOCIAL AU FORMATEUR DE GHETTO Les formes économiques et sociales de l’après guerre exigeaient une production de logements selon une échelle et un système constructif modernes. Les HBM, devenus OPHLM (Office Public d’Habitat à Loyer Modéré) en 1949, vont longtemps servir d’outil principal à l’Etat pour lutter contre la crise des logements à travers la construction de grands ensembles. Le manque d’urbanité qui les caractérise est un outil de lutte contre la formation d’une vie sociale qui s’avérerait dangereuse pour la classe ouvrière. Au cours des années 1950-1970, l’urbanisme joue le rôle d’unificateur social. Mais ceci change rapidement à cause de la réduction des emplois industriels, du chômage qui affecte surtout les immigrés et du caractère public des caractéristiques ethniques inappréciées par les propriétaires privés. Le résultat est l’évasion des classes moyennes qui cherchent un mode de vie alternatif : l’habitat pavillon-naire.

Les points critiquables concernant les grands ensembles se résument à travers un terme

que la presse a lancée en mars 1962, la «sar-cellite». La critique devient l’argument prin-cipal de ce en fait des enclaves ghettoïsées : l’éloignement du centre et de ses bénéfices, l’absence des transports en commun la nuit, la pollution sonore, l’insuffisance commer-ciale et le manque d’équipements collectifs, d’espaces verts et publics, la valeur architec-turale qui est entièrement fondée sur le fonc-tionnalisme, la rupture du paysage urbain, le gigantisme, l’insécurité, l’homogénéité aux niveaux économique et social. Après les an-nées 1970, ces grands ensembles deviennent un lieu d’exclusion et de relégation pour la population issue de l’immigration.

Les violences urbaines de 2005 expriment la protestation de la population contre l’aban-don des banlieues et résultent d’un affronte-ment opposant deux populations différentes : celle qui est intégrée dans la société, et celle qui en est exclue. La question sociale clas-sique et l’antagonisme des classes sont les interprétations principales de ce phénomène.

DÉMOLIR OÙ RÉNOVER ?Les opérations de démolition - reconstruc-tion sont inscrites dans la loi de Renou-

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-vellement Urbain de 2003, dite loi Borloo. Elles permettent à la ville de se renouveller sur elle-même, limitant ainsi l’étalement urbain. Le débat se fait entre ceux qui sont favorables à la démolition et la considèrent comme unique solution, entre autres pour « casser » les ghettos, et ceux qui attribuent aux grands ensembles l’étiquette du «plus gros patrimoine architectural existant en France».Les 4 000 logements de la Courneuve sont un bon exemple de cette pratique.

La barre Debussy est détruite en 1986, suivie par celles de Renoir, Ravel et Balzac. A leur place on y construit des unités d’habitations à échelle humaine, avec un accent sur l’espace semi-public, comme celle de l’architecte Emmanuelle Colboc. Les équipements pu-blics comme la bibliothèque municipale sont mis en valeur.

Malgré les réticences d’historiens et de so-ciologues, plusieurs cités HLM sont deven-

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-ues des enclaves ghettoïsées. C’est une réalité qui s’est enracinée dans la politique française de l’urbanisme et du logement. La gestion de cette problématique est décisive pour les générations à venir : «Seule une dispersion des populations actuellement can-tonnées dans les grands ensembles permet-trait de sortir de l’effet ghetto et donnerait à l’agglomération urbaine ce qui devrait la qualifier, un mélange enrichissant et non pas des enclaves vite contrôlées par des mafias.»

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«Seule une dispersion des populations actuellement cantonnées dans les grands ensembles permettrait de sortir de l’effet ghetto et donne-rait à l’agglomération urbaine ce qui devrait la qualifier, un mélange enrichissant et non pas des enclaves vite contrôlées par des mafias.»

LAMBRINE LAMBROPOULOU

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La notion de lieu apporte une issue signifi-cative à la question de l’espace au delà de sa dimension géométrique. L’idée de lieu a toujours existée mais sa théorisation date des années 50 au moment même où les frontières s’estompent et où la mondialisation com-mence à laisser craindre, à tord ou à raison, une homogénéisation globale. Le lieu rassure l’homme parce qu’il se réfère à l’expérience vécue ; il est l’espace de notre « perception première ». Son intérêt constitue ainsi une « résistance humaniste au néo-positivisme ambiant ».

La théorie du non-lieu de Marc Augé vient bouleverser cette approche en affirmant que les valeurs défendues par le lieu s’érodent au profit d’espaces nouveaux. Les non-lieux sont la concrétisation de ce que Marc Augé appelle la surmodernité, qui détermine le monde contemporain. Elle prend comme modèle la figure de l’excès ; excès de temps d’abord qui correspond à une accélération de l’histoire et à une surcharge événementielle, excès d’espace ensuite qui se caractérise à la fois par la conquête de l’espace et par l’accès à un monde globale par l’information et l’image (Fig. 1), excès d’individualité enfin où l’homme constitue un monde en soi. Le non-lieu est ainsi caractéristique de l’époque contemporaine ; il manifeste l’instantanéité, l’instabilité, l’éphémère. Les supermarchés, les aires d’autoroutes, les aéroports, les gares sont autant d’endroits où la relation de l’homme à l’espace est clairement définie et identique en tout point du globe.

Malgré tout, quelles qualités peut avoir le non-lieu ? La question peut se poser quand on constate l’affluence de tels espaces. Nous verrons ici l’émergence du non-lieu dans la critique postmoderne et ses différents aspects à travers un zone commerciale dans le nord de Paris : la RD14.

LA CRISE DU LIEUSelon Marc Augé, le non-lieu est d’abord non identitaire parce que l’instabilité de la relation que l’homme entretient avec lui ne permet ni de s’identifier durablement ni de construire sa propre identité par rapport à lui. Ensuite il est non relationnel ; il souffre d’un manque d’urbanité dû à l’instantanéité des rapports entre les hommes qui le fréquen-tent. Enfin il est non historique parce ce que n’étant ni identitaire ni relationnel, le non-lieu ne peut pas établir une stabilité minimale inscrite dans la durée.La crise du lieu pourrait prendre comme point de départ l’éclatement de la ville du Moyen-Age, espace de localisation. Selon Foucault, il remonte au XVIIe siècle avec les découvertes de Galilée dont la plus impor-tante a été celle d’un « espace infini et infini-ment ouvert », qui s’oppose alors à l’espace médiéval, clos, hiérarchisé et sacralisé. La ville industrielle voit ensuite l’apparition d’un discours critique dont l’influence sur la ville moderne sera considérable. Les théories positivistes prennent pour modèle la figure de l’homme-type, individu universel qui se défi-nit principalement selon des besoins quanti-fiables. La confiance dans la technique est

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LA FIN DU LIEU

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au centre de cette pensée, orientée vers l’ave-nir. Françoise Choay parle de modèle pro-gressiste. En réaction émergent un ensemble de critiques qui dénoncent cette idéologie. Nous pouvons y voir les premières manifes-tations de ce qui constitue le non-lieu.

Le postmodernisme se définit d’abord par un rejet du modernisme. Il est anti-révolution-naire et récuse l’élitisme de l’avant-garde. La distance qui la séparait du public s’est trans-formée en une sorte d’autosuffisance, allant jusqu’à la déconnecter du public qui l’affec-tionnait, la classe dirigeante. Ainsi, la culture populaire prend, à tous les niveaux, une place prépondérante dans la production postmo-derne. Le réalisme de la création culturelle est une des conséquences de ce populisme. Il se caractérise par un intérêt pour la vie quoti-dienne.

Les idées postmodernes trouvent leurs pré-mices dans l’architecture. Selon Porthogesi, c’est précisément parce qu’elle a une inci-dence considérable sur la vie quotidienne. La critique proclame l’échec de l’idéologie progressiste et c’est justement les thèmes du non-lieu qui sont attaqués. L’identité, l’urbanité et l’histoire sont les aspects que l’urbanisme moderne a négligé. Parce que le postmodernisme est rejet plus que véritable orientation, la crise du lieu qu’il dénonce correspond avant tout à une crise du moder-nisme.

AUTOMOBILE, IMAGE, CONSOMMA-TION ; LES SIGNES D’UN NON-LIEULa grande distribution est apparue dans les années 60 avec la modification des modes de consommation et l’apparition des pre-miers hypermarchés. Le développement de la RD14 est plus tardif. Il a principalement eu lieu entre 1987 et 1992. L’ensemble de la zone a pris une ampleur considérable (Fig. 4), augmentant progressivement sa surface de vente totale – 230 000 m² – ainsi que sa zone

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de chalandise - 500 000 habitants. L’infras-tructure y est primordiale parce qu’elle définit un urbanisme en soi. La zone com-merciale se retrouve ainsi dans la ville sec-torisée décrite par David Mangin. L’infras-tructure modifie la forme de la ville et crée des espaces délimités qui sont en quelques sortes des îlots à grande échelle. D’autre part, l’infrastructure est l’une des causes de l’implantation de la grande distribution à cet endroit parce qu’il propose une bonne acces-sibilité et une forte visibilité. La zone s’est donc formée à l’image de l’automobile.

L’automobile produit du non-lieu parce qu’elle génère du mouvement mais aussi parce qu’elle arrache l’homme à une expé-rience première du lieu. Contrairement à ce que suggéraient les théoriciens du lieu, l’homme n’est plus un être-en-situation mais un homme-spectateur. Il est devenu l’obser-vateur de son environnement (Fig. 5), alors dématérialisé par les nouvelles technologies. Cette « décorporéification » est suggérée par Richard Sennett qui parle de l’impassibilité des corps dans la ville. De la même manière, l’idée de vitesse évoquée par Paul Virilio est présentée comme un facteur d’amoindris-

sement de l’expérience et ainsi de l’espace vécu, le lieu.

Comme sur le strip de Las Vegas, l’architec-ture est antispatiale, c’est une architecture de communication directe. La victoire de l’oeil sur l’expérience s’exprime comme partout dans la société contemporaine, et témoigne de l’apogée d’un « monde de la vision, le produit des techniques de diffusion mas-sive des images ». Alors que la relation au monde est mise à distance, l’image constitue une alternative à l’espace. L’émergence de nouvelles technologies fournit de nouveaux supports qui constituent un ensemble d’in-terfaces à la réalité. Sur la RD14, l’image s’exprime à travers l’enseigne ; elle véhicule l’identité d’une marque et oriente le consom-mateur.

Le produit n’est plus à la vue du client ; l’ab-sence de vitrines en témoigne. De la même manière, la réclame a disparue laissant place à la publicité qui vend une image plus qu’un produit. Ce « fétichisme de la marchandise » prend sa source dans les médias de diffusion pour produire une zone d’achat purement fonctionnelle. La consommation disparaît de

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l’espace urbain, mais reste toujours au centre de la conscience collective sous la forme d’une expérience existentielle. La consom-mation produit donc du fonctionnalisme primaire avec comme outil la communication de masse. L’espace disparaît au profit d’un but commun, l’achat.

ANONYMAT ET CULTURE GLOBALEL’idée d’une substitution du rapport public/privé par une fusion du proche et du lointain est en ce sens particulièrement pertinente.

Un espace immense s’ouvre aujourd’hui à l’homme qui est contraint, à l’inverse, de se constituer un monde en soi, dans une quête d’invidualisme. Sur la RD14, cette notion se manifeste auprès de l’usager à travers l’im-personnalité de la zone et une sorte de fami-liarité avec l’espace.

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D’un coté s’exprime une certaine forme d’anonymat que le client considère comme un point positif. De l’autre apparaît l’appartenance à une culture globale qui provoque chez l’usager un sentiment de confiance.

Évidemment cette réponse est une des issues possibles à donner à l’aspect sensible du non-lieu et à sa multiplication. Malgré tout, ces espaces proposent un débat passionnant et leur étude nous renseigne en vue d’une pra-tique contemporaine de l’architecture.

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«À l’ancienne occultation privé/public, à la différenciation de l’habitation et de la circulation, succède une surexposi-

tion où cesse l’écart du «proche» et du «lointain».»Paul Virilio

ANTOINE WATREMEZ

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Les auteurs de cette ouvrage ne visent pas ici à retracer l’histoire de la ville depuis le XIXème siècle et encore moins à donner une vision globale de ce que c’était la ville dans l’histoire récente. L’idée consiste à poser au travers de 14 textes, 14 regards spécifiques sur la ville qui tentent de cerner cinq questions : Comment diffuser l’architecture, comment considérer le patrimoine, comment fabriquer une image de la ville, comment gérer l’espace et comment criti-quer la ville ?