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BEING PHILIPPE GOLD ASSOIFFÉS L’ENFANCE DE L’ART - DOIGTS D’AUTEUR DE MARC FAVREAU L’AVARE LE LAC AUX DEUX FALAISES ANTIGONE AU PRINTEMPS LES ZURBAINS 2017 Cahier d’hiver Théâtre Denise-Pelletier 17 16 DIRECTION ARTISTIQUE CLAUDE POISSANT LES CAHIERS / NUMÉRO 98

16 Théâtre Denise-Pelletier 17...je l’aime encore autant. Son péché capital est contagieux. Et comme le plus laid de tous nos défauts illumine bien tous les autres, chez Molière,

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Page 1: 16 Théâtre Denise-Pelletier 17...je l’aime encore autant. Son péché capital est contagieux. Et comme le plus laid de tous nos défauts illumine bien tous les autres, chez Molière,

B E I N G P H I L I P P E G O L D

A S S O I F F É S

L ’ E N FA N C E D E L ’A R T - D O I G T S D ’A U T E U R D E M A R C FAV R E A U

L ’AVA R E

L E L A C A U X D E U X FA L A I S E S

A N T I G O N E A U P R I N T E M P S

L E S Z U R B A I N S 2 017

Cahier d’hiver

Théâtre Denise-Pelletier 1716 D I R E C T I O N A R T I S T I Q U E C L A U D E P O I S S A N T

LES CAHIERS / NUMÉRO 98

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Ce cahier jette sur l’hiver comme sur nos spectacles un peu plus de lumière. Joëlle Bond, comédienne, auteure et commissaire de ces pages, nous propose une façon réjouissante d’aborder ces œuvres qui souvent, grâce à leur humour, flirtent avec la légèreté. Mais en réalité, quand on s’y abandonne, ces spectacles affichent tous sous le rire ambiant le courage infléchissant qui naît du tragique. Il y a donc dans cette récréation littéraire plein de détours pour y faire son chemin.

Mais qu’y a-t-il sur nos scènes et dans ces pages en cet hiver 2017 ?

L’eau. Murdoch et Norvège ont figé au fond de l’eau une histoire d’amour intemporelle que rend plausible deux choses, d’abord l’adolescence, ce tremblement éphémère et puissant, puis la fiction, ce projecteur sur nous-même qui intensifie si bien le réel. Dans nos pages, le metteur en scène Benoît Vermeulen et le comédien Benoît Landry tracent le parcours d’ASSOIFFÉS tandis que le journaliste Philippe Couture nous dessine un portrait de son auteur Wajdi Mouawad. Pour l’occasion, Marc-Antoine Cyr imagine Michel Tremblay, qui comme Murdoch, vivrait dans la fiction de ses personnages.

Le ciel. Ti-gars, à la conquête de lui-même, rencontre les éléments qui sont là au bout de ses doigts. En mettant les pieds dans LE LAC AUX DEUX FALAISES de Gabriel Robichaud, nous posons notre regard vers le haut. Maxime Robin évoque pour nous un peu de ce réalisme magique.

L’esprit. Celui du mot, celui de Marc Favreau, celui de L’ENFANCE DE L’ART qui redonne à l’auguste Sol un peu de ce qu’il nous a légué, l’intelligence du discours et sa candide poésie. Yves Dagenais nous parle de Sol le clown. Kim Yaroshevskaya de Favreau, l’homme. « Si tous les poètes voulaient se donner la main, ils toucheraient enfin des doigts d’auteur ! »

Le sang. À chaque fois qu’Antigone reparaît sur nos scènes, il y a toujours une cause. Puis une déchirure. Avec

ANTIGONE AU PRINTEMPS, Nathalie Boisvert clame-t-elle l’espoir ? Défie-t-elle les mythes en choisissant le sang de nos érables pour écrire le printemps 2012 ? Qu’en pense le chef d’Option Nationale et professeur de philosophie Sol Zanetti ? Et qui peut résumer Antigone ?

L’argent. Oui oui oui L’AVARE de Molière. Je l’ai lu à 14 ans et je l’aime encore autant. Son péché capital est contagieux. Et comme le plus laid de tous nos défauts illumine bien tous les autres, chez Molière, les disciples de la bonté et de la bienveillance ne payent pas de mine et ont bien peu d’intérêt. Louis-Karl Tremblay nous révèle, avec son abécédaire, beaucoup de son créateur. Et alors que cet Harpagon a 360 ans, la sociologue Julia Posca nous présente l’avare du nouveau millénaire. Puis trois acteurs « modernes » répondent à une question classique.

Moi. Philippe Gold propose une version améliorée de Philippe Boutin. Et Philippe Boutin est déjà si attentionné et positif qu’on peut se demander what is exactly BEING PHILIPPE GOLD ? Mélange explosif, gonflage d’égo ou désir d’un don absolu de soi-même ? Ses amis Emmanuel Schwartz et Christophe Payeur nous parlent de Boutin-Gold et l’auteur-acteur Jean-Philippe Durand s’amuse des icônes pop qui ont un nom d’emprunt.

Fin de conte. Un vingtième et dernier opus des ZURBAINS est une bonne raison pour publier un de ces contes notoires, Allah Maak. Rébecca Déraspe fait un portrait du Théâtre Le Clou, coupable inventeur de ces Zurbains, d’Assoiffés et de plus de vingt-cinq ans d’art et d’adolescence.

Et Maxime Beauregard-Martin invite à la même table les jeunes metteurs en scène Philippe Boutin, Nicolas Gendron et Frédéric Sasseville. Tandis que le dessinateur en résidence de la saison Patrice Charbonneau-Brunelle se confie à notre commissaire.

Bonne lecture, fol hiver !

Claude Poissant, directeur artistique

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F O L H I V E R

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T A B L E D E S M A T I È R E S

4 L’expérience de l’espace

7 De théâtre et de rébellion

9 Being Philippe Gold10 Mon ami Philippe Gold

11 Pop et pseudonymes

13 Assoiffés 14 Carnet de création d’Assoiffés

17 Le sourire de l’animateur

19 Wajdi Mouawad : celui par qui le théâtre québécois a élargi les frontières

21 Une trouée

23 L’Enfance de l’art - Doigts d’auteur de Marc Favreau

24 Sol, la quintessence de la poésie et de l’absurde

26 Quelques souvenirs de Marc Favreau

28 L’Avare29 Abécédaire

36 Ce qui nous consume : réflexion sur l’avarice moderne

38 L’épiphanie de soi-même

40 Chère Queen of Versailles

42 Pourquoi jouer les classiques ?

43 Le Lac aux deux falaises44 Embrasser l’inexplicable

46 Antigone au printemps47 Antigone : figure universelle

49 De Antigone... au printemps

51 Les Zurbains 201752 Ma petite déclaration d’amour au Théâtre Le Clou

54 Allah Maak

58 Équipe et C.A. du TDP

Des fois, je suis comédienne, des fois, auteure, des fois, traductrice et, d’autres fois... « fille de comm » de théâtre. On pourrait penser que c’est simplement une façon d’arrondir mes fins de mois. On va pas se mentir, ça aide, mais c’est surtout parce que j’y trouve un immense plaisir alliant mes deux passions : le théâtre et... être scolaire ! J’aime fouiller le théâtre, annoter mes lectures, imaginer des façons différentes et accessibles d’aborder le moment théâtral. Aller au théâtre en 2017, c’est un geste fort, qui nous arrache à notre Netflix et nous demande de braver le verglas pour aller rencontrer ce qu’on ne connaît pas. Je vous souhaite, avec ces auteurs, metteurs en scène, acteurs et concepteurs formidables, une rencontre à la hauteur de celle que j’ai eu cet automne en côtoyant leurs univers : un petit bout de magie et d’instant qui nous arrache, justement, à nos gris impôts et gluantes bottes d’hivers.

ISSN 2369-5374 / BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU CANADA INC

Théâtre Denise-Pelletier 4353, rue Sainte-Catherine Est, Montréal (Québec) H1V 1Y2

Administration : 514 253-9095 Billetterie : 514 253-8974 denise-pelletier.qc.ca

Les Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier sont publiés sous la direction de Julie Houle, avec le soutien d’Anaïs Bonotaux-Bouchard. La rédaction de ce Cahier est coordonnée par Joëlle Bond. Nous remercions les équipes de production, auteurs et metteurs en scène qui ont facilité la réalisation de ce numéro des Cahiers.

M O T D E J O Ë L L E B O N D Coordonnatrice invitée du Cahier d’hiver 2017

Le Théâtre Denise-Pelletier est membre des Théâtres associés inc. (TAI) et de l’Association des diffuseurs spécialisés en théâtre (ADST).

Partenaire médiaPartenaire de saisonLe Théâtre Denise-Pelletier (TDP) tient à remercier Partenaire de saison

Joëlle Bond

Comédienne et auteure dramatique, Joëlle Bond obtient son diplôme du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2008. Un an plus tard, dans le cadre des Chantiers du Carrefour international de théâtre 2009, elle présente son premier texte, Charme. Cette traversée sans prétention de l’héritage féminin construit depuis les années 1940 lui vaut la Bourse Première Œuvre de Première Ovation, prix désigné à un auteur de la relève pour un premier texte dramatique.

Avec sa compagnie, le petit luxe, elle présente Le Cardigan de Gloria Esteban en 2010 et Charme en 2013 à Premier Acte. Comme comédienne, on a pu la voir, entres autres, dans Tom à la ferme, Détour de chant, Laurier-Station, Frontières et Le Cas Joé Ferguson. Elle contribue aussi au texte de La fête sauvage de Véronique Côté au Théâtre de Quat’sous en décembre 2015.

Joëlle œuvre aussi à titre de traductrice, surtout dans les domaines de la comédie musicale et du théâtre. Sur les planches, on lui doit les versions françaises de Sweeney Todd, Les quatre filles du Docteur March, Peter Pan et Grace.

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Patrice, tu es le premier à faire une résidence du genre au Théâtre Denise-Pelletier. Comment as-tu été approché pour ce projet-là ?

PCB : C’est ma proposition, en fait ! J’avais assisté Claude Poissant lors d’un laboratoire au Centre National des Arts avec les Petites cellules chaudes, qui a mené, par la suite, à la création du iShow. Pendant tout le laboratoire, j’avais dessiné les acteurs, observé leur façon de travailler, collectionné les morceaux de texte, et ça a donné un genre de recueil qui témoignait du travail à la fin. J’ai donc proposé à Claude de refaire l’expérience à Denise-Pelletier, avec tous les spectacles de l’année. Je trouve que les traces que ça va laisser peuvent être intéressantes, surtout parce que le TDP a une mission éducative.

E N T R E V U E

L’EXPÉRIENCE DE L’ESPACE

Joëlle Bond rencontre Patrice Charbonneau-Brunelle, artiste en résidence.

P O U R Q U O I ?

Le projet de Patrice est si singulier qu’il m’a paru important de partager avec vous une portion de son travail avant la fin de sa résidence au printemps 2017.

- J. Bond

Le dessin, ç’a toujours été une passion ?

PCB : Oui, c’est ce qui m’a amené vers la scénographie, à la base. Et, curieusement, on est de moins en moins là-dedans maintenant, on est plus dans l’installation, on travaille sur Photoshop. C’est formidablement efficace, mais on perd la notion méditative du dessin, je trouve. L’été dernier, j’ai découvert le travail de Juhani Pallasmaa, un architecte qui parle de l’importance du travail manuel, de l’incarnation de l’extérieur par le corps à travers le dessin... Il encourage le dessin, parce qu’il laisse des traces de ton processus, de tes hésitations, ce qui permet, au final, d’aller plus loin dans ton idée. Il y a la notion de temps aussi. Le dessin prend du temps, il t’oblige à choisir ce que tu veux représenter, ce n’est pas une photo de répétition où tous les acteurs sont fixés sur l’image en un instant. Ce n’est pas une reproduction de l’instant, mais une suggestion.

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Le Timide à la cour : présentation de la maquette aux acteurs

L’Écolière de Tokyo : Miro fait son pré-set en chantant

L’Écolière de Tokyo : spectateurs à la discussion

Comment se passe le travail jusqu’à présent ?

PCB : Très bien ! Je suis allé voir tous les spectacles, à des moments différents du processus : avant la représentation, après, en répétition... et, parfois, pendant le spectacle !

Pendant ? Mais... il ne fait pas trop noir ?

PCB : Oui ! C’est un exercice de dessin à l’aveugle, alors ça donne ce que ça donne, mais ça fait partie du processus, de faire certaines expériences sans attendre de résultats. Pallasmaa, justement, parle de l’hégémonie de la vision, du fait que la vision prend parfois tellement de place qu’on s’empêche d’utiliser nos autres sens pour avoir accès à l’expérience totale de l’espace. L’idée, c’est un peu de documenter le processus de création des spectacles, sans le faire de manière exhaustive. J’aimerais pouvoir être là tout le temps, bien sûr, ou du moins être là plus souvent qu’une ou deux périodes de trois heures, mais, comme tout le monde, je n’échappe pas au reste de la vie qui continue !

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Le Timide à la cour : entrée du public

L’Avare : première lecture1984 : réunion de production post-enchaînement

PATRICE CHARBONNEAU-BRUNELLE a gradué du programme de scénographie de l’École nationale de théâtre du Canada en 2006. Il a ensuite signé la conception des décors et costumes d’une douzaine de spectacles jeune public parmi lesquels Un Château sur le dos du Théâtre Ébouriffé et Alice au Pays des merveilles du Théâtre Tout à Trac. En tout public, il a notamment créé les décors de 1984, collaboration entre le Théâtre le Trident et le Théâtre Denise-Pelletier, ainsi que pour Lignedebus du Théâtre I.N.K. (nominé au META’s 2016 pour meilleur décor). De plus, Patrice a participé à la création du iShow (prix du meilleur spectacle Montréal de l’AQCT 2013) et à la co-écriture de Rien à Cacher : No Way to Feel Safe (Jamais Lu Montréal 2016), a enseigné la scénographie au Collège Jean-Eudes et supervise les étudiants de la même discipline à l’ÉNTC depuis 2015. Désireux d’explorer plus loin les possibilités de l’art scénique, Patrice étudie la perception de l’espace chez le spectateur dans le cadre de sa maîtrise en théâtre à l’UQAM.

Parlons résultats, justement. Quel est le but, autre que créatif, de cette résidence d’un an pour toi ?

PCB : Dur à dire pour le moment. Évidemment, ça laissera des « archives », des dessins... On ne sait pas encore ce qu’on fera avec ça. Une exposition, peut-être ? Mais on ignore quelle forme ça prendra. Je n’ai pas envie de me mettre trop de contraintes ou de dates butoirs... comme je fais ce projet plutôt par passion, j’ai envie de garder la liberté d’une carte blanche tout le long du processus. Après ça, une fois que les dessins existeront, on verra quelle forme ça prend !

Pour en savoir plus sur le travail de Juhani Pallasmaa :

- The Architecture Of Image Existential Space In Cinema - The Eyes of the Skin : Architecture and the Senses - Understanding Architecture

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Nicolas Gendron, tu orchestres un cabaret hommage à Marc Favreau en t’affranchissant complètement de son personnage de Sol. Frédéric Sasseville-Painchaud, tu racontes une histoire d’Antigone, icône grecque de la désobéissance civile, parachutée en plein Printemps érable. Philippe Boutin, tu as fait table rase sur ta proposition d’origine afin de créer le spectacle-conférence Being Philippe Gold. Faut-il cultiver son côté rebelle pour faire du théâtre ?

FRÉDÉRIC SASSEVILLE-PAINCHAUD : Oui, un minimum ! Il faut garder un regard parallèle sur le monde dans lequel on vit, sur les gens que l’on côtoie. Être capable de se demander : « Est-ce que ce que l’on entend comme

T A B L E R O N D E

DE THÉÂTRE ET DE REBELLIONpar Maxime Beauregard-Martin

juste et bon l’est vraiment ? Est-ce que les rapports dans la société sont égalitaires ? » Il faut garder un petit pied dans la marge, même si ce n’est que sur la ligne. Sinon, nous pourrons aspirer à faire du divertissement. Mais aurons-nous une parole personnelle ? Pourrons-nous pousser nos réflexions plus loin ? Pas si sûr.

PHILIPPE BOUTIN : Nécessairement, oui ! Il n’y a rien que je déteste plus que quelque chose de propre et de convenu. J’aime surprendre le spectateur, brasser la cage. Avec l’idée de rébellion vient celle du danger de se planter. Comme créateur, c’est ce qui m’éveille.

NICOLAS GENDRON : J’entends ce que vous dites, mais personnellement, le mot rebelle ne me convient pas. Je ne serai pas celui qui va se lever sur les tables pour crier. Je me situe plutôt à l’autre bout du spectre. Peut-être suis-je le cliché du rêveur, mais ma résistance s’incarne par une recherche d’optimisme et de lumière à travers notre monde de fous.

F.S.P. : Mais être idéaliste, c’est aussi être rebelle ! C’est espérer mieux. Toute action sur la cage est importante : scier ses barreaux à la lime, la rentrer dans le mur, ou, dans le pire des cas, la repeindre. Il ne faut pas court-circuiter nos possibilités, parce que l’objectif reste le même : dépasser les limites de la cage !

P O U R Q U O I ?

Maxime est comédien, mais a aussi une formation en journalisme, c’est pourquoi je trouvais qu’il était la personne parfaite pour diriger cette table ronde. Il a donc réuni les trois jeunes metteurs en scène aux propositions polissonnes autour d’un café… et de l’idée de rébellion.

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Y croyez-vous, en cette révolte ?

F.S.P. : Oui, j’y crois. Mais ce qu’il y a de déprimant avec les révoltes, c’est qu’elles finissent toutes par mourir. Le brasier s’éteint, et il faut toujours le rallumer. C’est un cycle qui est magnifique, mais dur. Sauf que la petite flamme d’Antigone est toujours prête à reprendre du service.

P.B. : Au Québec, j’ai de la misère à y croire. Entre les riches et les pauvres, il y a une masse trop importante de gens qui sont confortables pour qu’une révolte se concrétise.

N.G. : Ce serait important d’en arriver à ce que le théâtre soit gratuit, ou plus accessible, pour justement éviter que ça ne devienne qu’un objet pour les gens confortables.

Qu’est-ce qui, pour vous, caractérise une parole forte ?

N.G : Une écriture qui donne le vertige. Qui nous happe par sa singularité et qui se démarque par la voix forte de son auteur. Une parole qui déclenche d’abord un coup de foudre intime – qui nous donne l’impression que les mots sont écrits spécifiquement pour nous – et qu’on a envie de partager.

F.S.P. : J’ai fondé ma compagnie, le Dôme – dont Antigone au printemps est l’acte de naissance – avec deux auteurs : Olivier Sylvestre et Nathalie Boisvert. On privilégie une approche collaborative. Nathalie assiste aux répétitions, et Olivier agit comme dramaturge. On cherche tous ensemble. On se questionne autant sur le texte que sur mon travail de mise en scène. C’est donc une parole qui est constamment en dialogue, et c’est un échange très nourrissant.

P.B. : J’aime beaucoup les artistes, comme Tarantino ou Dolan, qui écrivent et qui réalisent leurs scénarios. C’est ce que je fais au théâtre, et c’est ce qui m’intéresse le plus, sans enlever à tout le reste ! Quand j’écris, j’ai

aussi une idée claire de mes conceptions, des costumes, du décor. C’est intense. Soit on est dans le champ, soit on touche à quelque chose d’extraordinaire. Je fais du théâtre parce que ça cultive mon côté « petit garçon », et faire une création, c’est un peu comme jouer avec des bonhommes.

Philippe, ta création appelle à la quête d’une version premium de soi-même. Quelle serait votre conception d’une version premium, améliorée, du théâtre ?

F.S.P. : Peut-être un théâtre qui échappe complètement à la logique marchande. Que l’on puisse non seulement voir du théâtre, mais en faire, puis en discuter. Que ça devienne un lieu de rencontre vivant à l’intérieur d’une cité organisée. C’est comme pour le hockey : si tu apprends les règles en jouant dans une ligue amateur, tu as beaucoup plus de chances de regarder le hockey plus tard !

MAXIME BEAUREGARD-MARTIN est finissant du Conservatoire d’art dramatique de Québec et titulaire d’un baccalauréat en journalisme de l’UQAM. Comme interprète, il a participé aux créations de Mes enfants n’ont pas peur du noir et de Sauver des vies, à Premier Acte, avant d’y présenter Mme G., sa toute première pièce de théâtre. Cette saison, il était de la distribution de Les Marches du pouvoir à la Bordée, avant de se joindre comme comédien et auteur invité à la dernière mouture des Contes à passer le temps, à Québec. Maxime est fondateur de la compagnie On a tué la une !, dont les créations s’inspirent de l’actualité.

N.G. : Dans mon utopie de gars rêveur, le théâtre serait l’outil ultime de transformation sociale. Je suis le premier, comme spectateur, à rechercher l’émotion, mais je refuse la définition du simple divertissement.

P.B. : Pour moi, le théâtre le plus noble, c’est le théâtre social. C’est Freddy, à La Licorne. C’est un théâtre qui brûle, c’est un combat. Ce serait aussi un théâtre qui aurait les moyens de ses ambitions, et le luxe du temps.

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BEING PHILIPPE GOLD

S A L L E F R E D - B A R R Y 2 4 J A N V I E R A U 11 F É V R I E R 2 017

C R É A T I O N – P H I L I P P E B O U T I N

AVEC GABRIEL D’ALMEIDA FRE ITAS , S IMON L ANDRY-DÉSY ET C HRISTOPHE PAYEUR

ASSISTANCE À L A MISE EN SCÈNE ET RÉGIE – MARIE -CL AUDE D’ORAZIO

DRAMATURGE -CONSEIL – ÉT IENNE LEPAGECONCEPT ION – L AURENCE BAZ MORAIS ,

JÉRÉMIE BOUC HER, FRÉDÉRIC KE C HARTRAND, I LYAA GHAFOURI , JUL IE GROLEAU,

LET IC IA HAMAOUI , MIL AN PANET -GIGON , HUY PHONG DOAN

PRODUCT ION COURONNE N ORD

© Philippe Boutin

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Finissant en interprétation en 2013, à l’Option-Théâtre du Collège Lionel-Groulx, CHRISTOPHE PAYEUR est un comédien instinctif qui aime pousser les limites de son corps et son âme. Avant même sa sortie, il participe au spectacle Détruire, nous allons, écrit et mis en scène par Philippe Boutin, parrainé par Dave St-Pierre, dans le cadre du OFFTA 2013. Nous avons pu le voir également dans la web-série Boîte à malle. Il participe par la suite à des créations collectives en collaboration avec des autochtones. La pièce Puamun (rêve) fut présentée dans plusieurs communautés autochtones du Québec, quant à Muliats, elle fut présentée à la Salle Fred-Barry lors de la saison 15-16. Il était de la distribution de Ludi Magni (NTE), écrit et mis en scène par Benoît Drouin-Germain, épaulé par Daniel Brière et Alexis Martin, présenté à l’Espace Libre en avril 2015.

Comédien, musicien, metteur en scène et auteur, EMMANUEL SCHWARTZ mène simultanément, depuis sa sortie de l’Option-Théâtre du Collège Lionel-Groulx en 2004, une série de démarches artistiques radicales, en complicité avec des artistes comme le chorégraphe Dave St-Pierre, les réalisateurs Denis Villeneuve Next floor, Xavier Dolan Laurence anyways, Podz L’affaire Dumont, Simon Lavoie et Mathieu Denis Laurentie, l’auteur et metteur en scène Olivier Kemeid, le metteur en scène Marc Beaupré — pour qui il a été un Caligula à la hauteur des cauchemars d’aujourd’hui — et l’auteur-metteur en scène Wajdi Mouawad, dont il a mémorablement interprété le Wilfrid de Littoral, le Samuel dans Forêts et le Clément dans Ciels. Récemment il incarnait Tartuffe au TNM dans une mise en scène de Denis Marleau.

BEING PHILIPPE GOLD

I M P R E S S I O N S

MON AMI PHILIPPE GOLD

P O U R Q U O I ?

Comme Being Philippe Gold s’intéresse à la version premiumisée de Philippe Boutin, on a cru bon d’aller demander à deux de ses fidèles collaborateurs de nous décrire leur ami...

- J. Bond

Christophe Payeur Emmanuel Schwartz

Selon Christophe Payeur

Sportif, comédien, auteur, poète, cabotin, amoureux, princesse, rêveur et samouraï. Mais avant tout Philippe est pour moi, un ami, un camarade, un frère. Un grand acharné du travail et, un homme qui voit grand, très grand. Toujours à la recherche de plus gros et plus explosif. Il aime créer des événements, rassembler la culture pop aux classiques théâtraux. Ayant travaillé avec lui à plusieurs reprises, ce que je peux dire, c’est qu’il sait ce qu’il veut ; ses images, costumes, personnages, tout est clair et précis. Avec Being Philippe Gold, c’est tout le contraire. Jusqu’à présent nous sommes 4 acteurs… il nous avait habitués à 40-50-60 personnes ! Il veut également travailler avec le multimédia, chose qu’il n’a jamais essayé. Il explore le mime, le clown et tout autre procédé comique (ses inspirations vont de Mr. Bean à Monty Python, en passant par Bo Burnham, Tony Robbins et même Magritte). Being Philippe Gold s’inscrit dans son parcours artistique comme étant un élan de folie et une grande infusion de renforcement positif. Il tente de créer un moment d’extase et d’euphorie, tout simplement. Bref, c’est un gars qui sait rassembler les gens pour créer des moments magiques, poétiques et sportifs. Quelqu’un qui aime et surtout qui veut qu’on s’aime.

Vu par Emmanuel Schwartz

L’auteur-metteur en scène Philippe Boutin est un oiseau rare. Rêveur, fougueux, s’abreuvant à la démesure, créateur passionné aux yeux perçants, métisse culturel multipliant les croisements bigarrés entre l’ancien, le moderne et le WTF, jeune prince soon-to-be king du spectacle-événement, notre petit Castellucci à nous, si Castellucci s’obsédait pour le rap et Star Wars. Son univers en décalage dessine les contours d’une oeuvre viscérale, instinctive et sans compromis. Un travail sur le trop-plein de signifiants de notre époque, un théâtre épique qui côtoie le happening, des récits qui font opérer clins d’yeux anachroniques et romantisme assumé en cocktails explosifs pour spectateurs dégourdis. Proche collaborateur des heures tardives, vampire des passions historiques et contemporaines, fier porteur de mots enflammés, on le retrouve souvent au milieu de sa bande d’indéfectibles, dont j’ai le privilège de faire partie, questionnant la pertinence de sa propre démarche, cherchant, creusant le sens de ses pulsions premières afin de proposer une esthétique baroque, dépouillée de son apparat traditionnel, mais néanmoins puissamment bordélique. Ses rendez-vous sont de ceux qu’il ne faut pas rater. Super-lunes ou ouragans tropicaux mis en spectacles. Le genre de soirée qui fait dire « fallait être là ». Be there or be square.

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B I L L E T

POP ET PSEUDONYMES par Jean-Philippe Durand

Il est bien connu que certains artistes oeuvrent sous le nom de pseudonymes. La chanteuse Madonna, par exemple, se nomme réellement Louise Ciccone. Non, ce n’est pas pour passer sous silence une parenté probable avec le chanteur Nicola Ciccone, mais bien pour donner au public une formulation simple et marquante de son identité, pour l’oreille et la mémoire.

P O U R Q U O I ?

Jean-Philippe, collègue de classe au Conservatoire de Québec, est celui qui m’a permis d’assumer ma grande passion pour la culture pop. Il était donc tout naturel que je lui demande de fouiller les pseudonymes de personnalités connues avec l’humour que je lui connais.

- J. Bond

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C’est en 1644 que Jean-Baptiste Poquelin signa pour la première fois l’une de ses pièces sous le nom de Molière. Jamais l’auteur n’aura voulu en dire les raisons, même à ses meilleurs amis. Certains avancent que le geste est un hommage à Louis de Mollier, un danseur et musicien né en 1615. Pour ma part, je crois fermement que l’adresse courriel [email protected] était déjà prise. Et rajouter un « 2 » à la fin, personne n’aime ça.

Maintenant, fabulons. Est-ce que la carrière d’artistes reconnus aurait été différente si ces derniers avaient choisi des pseudonymes plus marquants ? Laurence Jalbert jalonnerait-elle les plaines de l’Irlande si on l’appelait Redhair Voxapella ? Claude Dubois chanterait-il devant une mégafoule japonaise s’il vivait sous le nom de Cloud Woods ? Nanette Workman sillonnerait-elle les centres d’achat du Saguenay si elle se nommait Nancy Flamand ? Ok, mauvais exemple.

Le nom y est pour quelque chose, certes, mais la matière de base, le talent réel, prendra toujours le dessus. Que l’on pense à Céline Dion ou Marie-Mai Bouchard… Ce ne sont pas des noms qui sautent des pages, bien que la carrière de ces dames soit exceptionnelle. J’imagine que c’est cette proposition visuelle et sonore qui fait que l’ensemble est mémorable ou pas. Si l’on porte bien son nom, ou pas.

Sur ce, je quitte, pressé d’aller au registre des prénoms, la tête trop pleine d’idées.

Signé Jean-Philippe Durand (ou sous peu, le baron von Word).

Diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2008, JEAN-PHILIPPE DURAND est comédien et auteur. Joueur à la LNI depuis 2008, il a dernièrement été promu au grade d’entraîneur. Récemment, on a pu le voir à la télévision sur les ondes de V dans «Et si ?» ainsi que dans Brassard en direct d’aujourd’hui. Il a également été chroniqueur à l’émission radio Parasol et gobelets diffusée sur Ici Radio-Canada Première.

BEING PHILIPPE GOLD

Je ne dis pas qu’un Reynald Beaulieu ne pourrait devenir une vedette internationale, loin de là : ce danseur de claquette jazz pourrait vous étonner. Mais s’il portait le nom disons de Trent Courage ou de Claquetti Claude, peut-être que ses chances de succès seraient décuplées.

Outre la volonté de porter une étiquette frappante, certains artistes doivent effectuer le changement pour leur syndicat. Que ce soit avec la Screen Actors Guild aux États-Unis ou l’Union des artistes au Québec, deux artistes ne peuvent porter le même nom s’ils oeuvrent dans le même champ de compétence. C’est pourquoi, par exemple, un jeune comédien nommé Michael Douglas se serait transformé en Michael Keaton, pour éviter les doublons.

Voici quelques exemples de pseudonymes dignes d’intérêt.

Saviez-vous que le comédien Tom Cruise s’appelait au départ Thomas Cruise Mapother IV ? Difficile de croire qu’il aurait pu avoir la même carrière au cinéma avec un nom de famille ressemblant à un vaisseau oublié d’une suite de Star Trek ou même à celui d’une nouvelle mise à jour d’un téléphone Samsung. Et question incontournable, qui sont les trois premiers Mapother ?

Dans le domaine de la pop mondiale, les transformations de noms sont monnaie courante. Lana Del Rey se nommait au départ Elizabeth Woolridge Grant, le chanteur Bruno Mars est né Peter Gene Hernandez alors que le chanteur Elton John portait le nom Reginald Kenneth Dwight. Ça fait long à rentrer sur un t-shirt.

Au Québec, la chose se fait plus rare. Nous savons par contre que la chanteuse France d’Amours se nomme réellement France Rochon, que la chanteuse IMA porte le nom de Marie-Andrée Bergeron, qu’Alex Nevsky est Alexandre Parent et que Patrick Norman s’appelait auparavant Yvon Éthier. Applaudissements nourris.

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ASSOIFFÉS T E X T E – WA J D I M O U AWA D

M I S E E N S C È N E E T C O L L A B O R A T I O N A U T E X T E – B E N O Î T V E R M E U L E N

AVEC RAC HEL GRATON , FRANCIS L A HAYE ET PHIL IPPE THIBAULT -DENIS

ASSISTANCE À L A MISE EN SCÈNE – NICOL AS FORT IN

SCÉNOGRAPHIE ET COSTUMES – RAYMOND MARIUS BOUC HERLUMIÈRES – MATHIEU MARCIL

CONCEPT ION SONORE – NICOL AS BASQUEENVIRONNEMENT SONORE – MART IN LEMIEUX

PRODUCT ION DU THÉÂTRE LE C LOU

S A L L E D E N I S E - P E L L E T I E R 8 A U 2 5 F É V R I E R 2 017

en savoir

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Création d’Assoiffés, printemps 2005

Traces de la genèse du spectacle à partir de mon cahier de notes

C’est au Byblos sur la rue Laurier, en janvier 2005, que Wajdi accepte de collaborer comme auteur pour mon prochain spectacle au Clou. On est sur la même longueur d’onde : il ne veut pas répondre à une « commande », et moi je ne veux pas un texte complet et arrêté. J’aime jouer sur la structure narrative, construire le spectacle avec l’auteur. On décide donc qu’il écrira en vrac et que j’organiserai le tout.

Il propose un petit rituel pour démarrer la recherche : on se rencontrera tous les matins pendant un mois dans son studio du Vieux-Montréal pour échanger, parler de la vie, de l’adolescence, de l’art. Une heure par jour.

N O T E S

CARNET DE CREATION D’ASSOIFFÉS par Benoît Vermeulen

9 mars 2005 : première rencontre

Notes prises pendant la rencontre :

- Lire L’Attrape-cœurs de Salinger

- Revaloriser la beauté

- Mike Leigh (parce que c’est un cinéaste majeur qui sait montrer l’adolescence)

- Un poulpe.

- Wajdi imagine : un grand « ado » (genre baraqué, 6 pi 6 po) qui se réveille avec un poulpe au ventre. Il devient de plus en plus transparent. Wajdi propose d’écrire différentes situations autour de ce garçon. Super. Moi je parle de mes envies de bricolage scénique.

- Il y a aussi l’idée d’un perso qui parle toujours puis s’arrête, endormi.

- Piste à explorer : si dans la vie il était impossible d’éviter quoi que ce soit !

Je suis sorti de cette première rencontre sans savoir si tout ça servirait à quelque chose de concret mais je m’en foutais, le plaisir était grand et la nourriture exquise.

J’ai noté : J’adore les rituels.

P O U R Q U O I ?

Claude m’a dit qu’il pensait que son ami Benoît Vermeulen avait peut-être conservé quelques « traces » de la création d’Assoiffés en 2005. Je trouve que c’est une chance inestimable de pouvoir vous offrir les premiers balbutiements de ce classique de notre dramaturgie jeune public.

- J. Bond

ASSOIFFÉS 14

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18 mars 2005

Notes du cahier :

- Lautréamont, Les chants de Maldoror

- La soif insatiable de l’infini

- Le sacré, la chapelle sacrée de l’adolescence

Libre réflexion : un reportage sur la beauté qui ouvre sur une obsession ou sur la soif insatiable de l’infini. Le grand ado pris contre la mode, contre tout ce qu’il est. Le sacré versus la fuite, le rejet.

Et si notre perso entrait en conflit avec quelqu’un. Si ce n’était pas lui qui portait la pieuvre ? Et si cette pieuvre, il ne l’a comprenait pas, elle l’énerve, il en a honte, mais cette pieuvre, pour l’autre, devient un signe de beauté. La beauté de la faille, de la faiblesse ou encore, de ce qu’il y a de plus grand que nous, un monstre qui se loge à même une vulnérabilité impudique et incompréhensible et qui nous relie les uns aux autres et aux chiens qui veulent mordre les étoiles et tout ce qui hulule et même s’entredévorer en n’étant qu’à l’écoute de cet insatiable désir d’infini.

Et si c’était la recherche elle-même qui devenait une passion. Ce n’est pas le positionnement qui compte mais le chemin pour s’y rendre. Ce désir de savoir.

Je note : Et si c’étaient 3 persos plutôt qu’un ? Celui qui parle tout le temps, celui qui doit faire un devoir sur la beauté et celui qui a une pieuvre dans le ventre.

26 mars 2005

Quand j’entre, Wajdi est tout souriant. Il me tend un texte. Trois pages. Denses. C’est le monologue d’un adolescent, Chicoine, qui se lève un matin et commence à parler, parler, parler et ne pourra plus s’arrêter de parler… Je le lis immédiatement. Je suis touché, emballé, impressionné. Il vient d’incarner en deux pages nos trois semaines de discussion.

On arrête nos rencontres matinales privées. J’organise un premier atelier de recherche avec quelques amis comédiens (Maxime Denommée, Marc Beaupré, Mathieu Gosselin, Marie-Ève Desroches, Sylvain Scott et Monique Gosselin)

11 mars 2005

À chaque rencontre, Wajdi arrive avec une question.

W : Avec qui, de n’importe quelle époque, aimerais-tu passer une heure en tête à tête ? Moi : Euhhh, Jésus ? Gandhi ? Pessoa.

Notes du cahier :

- On parle de la rencontre. De la vraie rencontre. De connaître quelqu’un au-delà des certitudes. On parle du paradoxe d’être contre tout, de vouloir rejeter tout ce qui arrive mais de faire tout quand même… (J’ai conservé cette idée dans le premier monologue quand Murdoch s’habille en gueulant qu’il ne s’habillera pas)

- Le déracinement à l’adolescence. Ce moment où le sentiment d’appartenance au monde nous libère de notre famille.

- Le plaisir des mots. L’importance des mots. (Murdoch en fait référence dans son adresse à son professeur)

- Mettre de la beauté partout.

- Expliquer un tableau.

Wajdi y va d’une première tentative de récit : un gars au ventre transparent parle tout le temps et doit faire une recherche sur la beauté. Il a une pieuvre dans le ventre. La recherche sur la beauté doit partir d’un mot du dictionnaire.

14 mars 2005

De cette rencontre, je n’ai noté que la question « Pourquoi tu te lèves le matin ? »

Je me souviens de ne pas avoir su quoi répondre. J’essayais d’être sincère avec moi-même… Question si simple mais si vertigineuse. Elle deviendra un des pivots central du discours de Murdoch. ET une obsession encore très présente souvent le matin pour moi.

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20 avril 2005

Je reçois les premiers morceaux des personnages de Norvège (le personnage avec la pieuvre est devenu féminin) et de Boon. Nous pouvons commencer la recherche formelle.

Notre atelier durera 24 heures. L’équivalent d’une journée. Espace de liberté. Totale, la liberté. À la fin, une seule certitude : Le tryptique ne tient pas la route. Il faudra trouver un lien entre les personnages. Je relance Wajdi pour la suite des choses…..

Le processus complet durera plus de 18 mois

Boon : On ne sait jamais comment une histoire commence. Je veux dire que lorsqu’une histoire commence et que cette histoire vous arrive à vous, vous ne savez pas, au moment où elle commence, qu’elle commence. Je veux dire… Je veux dire que vous n’êtes pas là, à marcher tranquillement dans la rue et tout à coup, vous vous dites : tiens, voilà, une histoire qui commence. Je veux dire on ne le sait pas… puis lorsque finalement on réalise qu’on est embarqué dans une histoire, on ne sait pas comment tout ça va se terminer. Personne ne peut savoir. C’est seulement à la fin. Lorsque tout est consommé qu’on ouvre les yeux et on se dit : l’histoire est terminée. Elle est terminée et parce qu’elle est terminée, vous vous mettez à entendre le silence, le grand silence qui a failli vous noyer. C’est comme ça. Alors pour conjurer le silence, on tente de trouver les mots. Pour raconter. Même si c’est n’importe quoi, mais un mot qu’on trouve au fond de soi, c’est comme une oasis au milieu du désert. On se précipite dessus et on le boit. On boit le mot.

15 avril 2005

Extrait du courriel aux acteurs

Bonjour chers artistes

D’abord merci d’avoir accepté de participer à cet atelier. Wajdi écrit présentement de façon très libre et sans soucis de structure pour me laisser le plus de liberté sur la forme que prendront les trames narrative et formelle du spectacle. L’atelier servira à établir, je l’espère, quelques pistes de base pour cette structure et, donc, pour guider la poursuite de l’écriture. Nous avons trois personnages en tête, dont Chicoine que vous avez reçu. Comme vous pouvez voir, ce personnage est colossal et son coté verbo-moteur demande une recherche de traitement…Nous aurons aussi un peu de matériel sur les deux autres personnages, que nous recevrons probablement lundi. Nous partons avec l’idée de créer un tryptique.

ASSOIFFÉS

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Cofondateur et codirecteur artistique du Théâtre Le Clou, il poursuit ses recherches en mise en scène en provoquant des rencontres entre un auteur et ses désirs formels et narratifs. Sont ainsi nées plusieurs des productions du Théâtre Le Clou : Les trains, Jusqu’aux Os!, Noëlle en juillet, Au moment de sa disparition, Romances et karaoké, Assoiffés, Éclats et autres libertés, Appels entrants illimités et Le garçon au visage disparu. Il a également mis en scène pour la compagnie plusieurs éditions du spectacle Les Zurbains. De plus, il a signé ces dernières années les mises en scène de Des arbres à la Manufacture, de Province du Théâtre de la Banquette Arrière, de Mélodie-dépanneur du Petit Théâtre du Nord et des Mauvaises herbes du Théâtre Bouches Décousues. Il enseigne et crée régulièrement des spectacles avec les finissants des différentes écoles de théâtre (L’Énéide en 2015 à Ste-Hyacinthe, Petites turbulences en 2014 à l’École Nationale du Canada, Comédie Plan Nord à l’École supérieurs de l’Uqam en 2013…) Il a participé, à titre de comédien, à de nombreuses productions avec le Théâtre PàP, Le Carrousel, le Théâtre Denise-Pelletier, le Groupe multidisciplinaire de Montréal et le Théâtre Il va s’en dire. Il a été responsable, de 2007 à 2012, de la section enfance-jeunesse du Théâtre français du Centre national des Arts à Ottawa, en tant qu’artiste associé au directeur artistique Wajdi Mouawad. Il a reçu deux fois le Masque de la mise en scène, d’abord en 2003 pour son travail sur Au moment de sa disparition, puis en 2005 pour Romances et Karaoké. En mai 2013, Benoît Vermeulen se voit remettre, par le recteur de l’Université du Québec à Montréal, M. Robert Proulx (Ph. D), la Reconnaissance de mérite artistique pour sa contribution exceptionnelle à l’univers artistique du théâtre pour adolescents.

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J’haïs les animateurs. Je leur en veux. J’en veux à leur vacuité. J’en veux à leur sourire d’animateurs que je tiens responsable de la bêtise du monde.

Devant le vide qui guette, devant le gouffre de la consommation, devant la domestication de l’existence, devant la détresse et devant la peur, l’animateur sourit. Il nous engourdit de son animation. Les petites voix intérieures qui hurlent de toutes parts que cette vie-là ne suffit pas, que quelque chose ne va pas, sont enterrées par son vacarme bavard. Même l’oeuvre d’art la plus irrévérencieuse est broyée par la chronique culturelle de l’animateur, qui en fait une pâte tellement lisse qu’on dirait de la trempette.

ASSOIFFÉS

P O U R Q U O I ?

Benoît était le Murdoch d’Assoiffés de 2006 à 2012. Dix ans après la création du rôle, nous lui avons demandé de nous parler de ce qui le mettait en colère maintenant qu’il a quitté l’adolescence et la distribution de ce Assoiffés que nous verrons en février.

- J. Bond

F I C T I O N

LE SOURIRE DE L’ANIMATEUR par Benoît Landry

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se trompe. Elle détruit d’abord et reconstruit ensuite. Comme le brasier, elle se répand parfois trop vite et ratisse trop large, mais ces cendres sont fertiles, et bientôt sur elles naissent des idées nouvelles et des solutions inespérées.

Le sourire de l’animateur ignore l’invisible.

Or, toutes les colères ne se valent pas. Parce qu’il ne comprend pas la colère, l’animateur ne sait distinguer celle qui insiste pour le bien commun de celle, puisée à même l’ignorance, qui attise la haine de l’autre et porte au pouvoir les médiocres. L’animateur brouille les cartes.

Parce qu’il ne comprend pas la colère, l’animateur s’attarde aux détails, aux débordements et aux excès d’émotivité, pour ne pas entendre le fond du cri, le mal qui hurle d’être entendu. Au printemps 2012, il n’a su que faire de la colère des centaines de milliers de jeunes qui descendaient dans les rues pour réclamer la fin de l’acceptation silencieuse de la laideur. L’oeil inquiet, mais

Formé en théâtre et en musique, BENOIT LANDRY oeuvre depuis 2003 comme comédien, chanteur, musicien et metteur en scène. Il a travaillé à titre d’interprète ou de concepteur sous la direction de Serge Denoncourt, René-Richard Cyr, Benoît Vermeulen, Martin Faucher, Lorraine Pintal, Daniele Finzi Pasca, Loui Mauffette, Claude Poissant, Monique Gosselin et Sylvain Scott, entre autres. Il a, d’autre part, signé la mise en scène des spectacles Les Sports d’été (2015), Chloé Lacasse - Les Vies possibles (2015), Le Voyage d’hiver (2013) et Les Grondements souterrains (2011), de même que l’installation Habitats, présentée dans le cadre du OFFTA 2015. Son travail de créateur s’élabore au sein de l’organisme de création multidisciplinaire Nord Nord Est, dont il est co-fondateur et directeur artistique.

ASSOIFFÉS

Le sourire de l’animateur m’angoisse. Ses dents blanches m’angoissent, me répugnent, même. Le flot de ses paroles m’angoisse, surtout quand je songe un instant au spectateur qui boit à la source de sa voix, qui s’imprègne de son ton d’animateur, plus fade qu’un menu sans gluten, plus rassurant que le ronronnement d’un moteur de VUS.

Le sourire de l’animateur me laisse cette intuition nauséeuse que derrière la couche de fausseté apparente s’en trouve une autre, puis une autre, puis une autre, toutes visqueusement consensuelles, toutes digérées d’avance et prêtes à être régurgitées à l’identique. Le sourire de l’animateur me donne envie de lui faire mal jusqu’à ce qu’il crache son morceau lui aussi. De saccager les fenêtres par lesquelles le soleil illumine le bonheur sans tache de sa cuisine blanche et rénovée. De chier dans son smoothie. De crever les pneus de son vélo de montagne. De faire sauter sa plateforme web-nouveaux-médias pour qu’enfin cesse son intarissable sécrétion d’opinions tellement entendues que je pourrais les lui vomir dans la bouche et me faire passer pour lui.

Les chroniques souriantes de l’animateur nous handicapent collectivement. À cause d’elles, toute chose que l’on vit est désormais précédée de sa propre image. L’art de vivre de l’animateur est un mirage toxique pour quiconque s’est mis à la recherche de beauté. Le sourire de l’animateur tue la beauté. Il dépeint un bonheur qui n’existe pas, une plénitude perpétuelle que tous cherchent désormais avec le désespoir inavoué de ceux qui se savent vaincus d’avance. L’animateur l’ignore, mais son sourire est cause de colère et de frustrations.

Pourtant, le sourire de l’animateur ne sait que faire de la colère. Contrairement à la bouche de l’animateur, la colère, elle, n’est pas propre. La colère éclabousse et

la bouche souriante, l’animateur a déploré l’imprécision de leurs revendications et la pauvreté de leur vocabulaire. Il n’a pas compris. Mais il souriait, infatigablement, pour nous dire que rien n’allait changer.

Quand l’heure sonnera, quand les plus faibles joindront leurs voix, piétineront les statistiques et couleront le navire, l’animateur ne bronchera pas. Jusqu’au naufrage, il sourira.

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PA R C O U R S

WAJDI MOUAWAD CELUI PAR QUI LE THEATRE QUEBECOIS A ELARGI SES FRONTIERES par Philippe Couture

Architecte d’un théâtre au souffle narratif puissant, qui raconte les guerres et embrasse les continents à travers des personnages adolescents en quête de soi, Wajdi Mouawad est l’un des premiers auteurs dramatiques québécois à avoir su croiser l’ici et l’ailleurs, faisant entrer notre dramaturgie dans un nouveau contexte transculturel.

P O U R Q U O I ?

En discutant avec Claude, nous avons réalisé que, si Wajdi Mouawad fait partie des figures qui ont fait l’histoire de notre milieu, son parcours est peut-être moins connu des plus jeunes. Nous avons demandé à Philippe Couture de nous raconter Mouawad d’un point de vue documentaire et sensible.

- J. Bond

ASSOIFFÉS

Ses origines libanaises, puis son départ vers Paris et son arrivée au Québec à l’âge de 15 ans ont fait de Wajdi Mouawad un artiste de l’exil, l’un de ces « écrivains migrants » qui ont marqué la littérature des vingt dernières années. Déracinement, identité multiple et enjeux d’appartenance à un monde mouvant traversent la plupart de ses pièces. De Rêves à Incendies, en passant par Willy Protagoras enfermé dans les toilettes, Littoral et Forêts, ses personnages parlent québécois mais leurs destins se mêlent aux récits du monde entier et aux douleurs ancestrales universelles. Par le truchement d’un monde arabe fantasmé, celui que dessine sa mémoire accidentée d’enfant du Liban, Mouawad raconte un Québec désormais habité par l’ailleurs et dont l’identité collective ne peut plus faire fi de son inscription dans le grand contexte mondial.

D’autres artistes québécois, comme Olivier Kemeid ou Mani Soleymanlou, ont depuis utilisé leur réalité d’immigrants de première ou deuxième génération comme ciment d’une oeuvre théâtrale placée au confluent des continents. Mais quand Mouawad écrit Willy Protagoras enfermé dans les toilettes en 1993, alors qu’il est toujours étudiant à l’École nationale de théâtre, il est l’un des premiers à évoquer avec autant d’insistance dans une pièce québécoise une guerre qui se déroule au loin. Cette première oeuvre mouawadienne, comme toutes celles qui suivront, est empreinte d’interculturalisme tout en étant farouchement québécoise par sa langue, et par sa manière de reproduire des motifs de l’oeuvre de Claude Gauvreau.

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Journaliste culturel et critique de théâtre, PHILIPPE COUTURE a écrit pour Voir, Le Devoir, Jeu et Liberté. Après une formation en journalisme et des études théâtrales à l’Université du Québec à Montréal, il a aussi collaboré à diverses émissions d’ICI Radio-Canada Première et créé des contenus pour radio-canada.ca. Il tente en ce moment de s’expatrier en Belgique pour y poursuivre son travail d’observateur des scènes théâtrales.

souvenir, notamment, qui l’a poussé à s’intéresser dans toute son oeuvre à des héros qui résistent à l’ennemi, qui affrontent la guerre avec courage, qui encaissent la douleur et la combattent.

Ces personnages, Amé et Simone dans Littoral ; Nawal et Sawda dans Incendies ; Ludivine et Sarah dans Forêts, sont issus de l’ailleurs et de l’histoire mais n’existent pourtant que par l’entremise de Wilfrid, de Jeanne, de Simon ou de Loup, des personnages jeunes et colériques que Wajdi Mouawad fait parler en québécois et qu’il invite à prendre le large.

Comme lui, ils sont des exilés qui cherchent la signification de leur présence dans un pays « dangereusement en paix ». Si la guerre est une réalité que le Québec n’a connue que de manière lointaine, Mouawad montre qu’elle nous appartient pleinement.

Habité par sa propre identité écartelée et par un rapport vif à l’histoire, Mouawad a créé au Québec une oeuvre interculturelle dont le métissage n’a pas vraiment d’équivalent dans le théâtre francophone d’aujourd’hui. Son lyrisme, son souffle et son ampleur ont aussi ouvert dans notre dramaturgie un nouvel espace d’écriture, une place enviable faite aux récits épiques et intergénérationnels, lesquels n’étaient pas légion dans le théâtre québécois pré-mouawadien.

1. http ://www.lexpress.fr/culture/scene/le-theatre-quebecois-de-moliere-a-mouawad_773859.html

ASSOIFFÉS

Suivra la marquante trilogie composée de Littoral, Incendies et Forêts, qui confirmera dans l’oeuvre de Mouawad, comme dans le théâtre québécois des années 1990 et 2000, une ouverture au monde. L’identité québécoise y est maintenant perçue à travers un jeu d’écho avec l’ailleurs, dans une perception désormais transnationale de l’histoire. L’ère de « théâtre migrant » qu’a ouverte Mouawad aura permis de dégager de nouveaux espaces dramaturgiques dans la production québécoise, s’ajoutant tout naturellement aux oeuvres réalistes et intimistes qui ont fait les beaux jours des années 80. Il faut dire que Robert Lepage, dont Mouawad se dit influencé, aura ouvert la voie en mettant en scène des personnages de Québécois désorientés, vivant un choc identitaire puissant au contact de l’étranger.

Personne n’était toutefois encore allé aussi loin que Mouawad. « Il a su parler de nous en parlant de l’étranger », disait en 2010 l’homme de théâtre Pierre Bernard à une journaliste de l’Express1. « Il a été le premier à introduire le thème de la guerre dans la réalité québécoise, où elle était inconnue. » Dans cette aventure passionnante et nécessaire, Mouawad aura d’ailleurs été suivi de près par des auteurs comme Philippe Ducros (L’Affiche), puis Larry Tremblay (L’orangeraie).

Un théâtre de mémoire et de combat

Wajdi Mouawad n’a pourtant connu la guerre que furtivement, ayant quitté le Liban à l’âge de 10 ans en 1978, trois ans après le début des hostilités. ll se rappelle pourtant clairement du bruit des bombes. C’est ce

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P O U R Q U O I ?

Je ne connaissais pas du tout Marc-Antoine Cyr. Mais comme j’ai bien fait de faire confiance à Claude sur ce coup-là ! Une véritable rencontre avec l’humain et l’auteur, sa gentillesse et son talent. Merci Marc-Antoine.

- J. Bond

F I C T I O N

UNE TROUÉE Divagation palimpseste autour d’Assoiffés et de La grosse femme d’à côté est enceinte

par Marc-Antoine Cyr

Février sur la rue Rachel. L’air sent le café froid et le gravier. Comme une odeur de fin.

Michel met son museau dehors. Il a rêvé à des affaires pas disables, qu’il racontera bientôt dans un livre. Il enfonce sa tête dans sa tuque, s’apprête à refaire son chemin dans les rues du Plateau. Tiens, il va passer par la ruelle aujourd’hui. Il pourra du bout d’une botte crever les peaux de glace qui recouvrent les flaques. Comme il le faisait avant, et que sa grosse mère lui criait du balcon :

Michel ! Descends ta tuque sur tes oreilles, tu vas te geler le cerveau !

Michel regarde autour de lui les balcons morts, les couvertes à barbecue, les décombres de bancs de neige dans les cours. Le calcium fait des taches sur le gravier, dans lesquelles il essaie de lire des paysages. Michel a pas envie d’écrire aujourd’hui. Juste de marcher. Juste de suivre la buée de son respir. Il couvre ses oreilles, sa mère avait peut-être raison.

En passant près d’un parc, entre deux bouts d’herbe morte, il aperçoit un chat qui fait semblant de s’intéresser à lui. Un chat qui lui rappelle quelqu’un.

Le chat regarde Michel, l’air de dire : t’es là, vieux fantôme ?

Le chat semble l’attendre. Semble lui dire : viens-tu ?

Michel a envie de rien écrire aujourd’hui. Pas d’idée nette.

ASSOIFFÉS 21

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On lui demanderait ce qu’il fait là dehors, il dirait : je sais pas. Je sais pas. Suivre un chat qui lui rappelle vaguement quelqu’un, ce serait déjà un projet.

Duplessis - le chat - savait qu’il avait rien d’autre à faire. Les humains sont souvent comme ça, prêts à suivre le premier matou. Surtout celui-là avec sa tuque de vieil ado.

Duplessis bondit. Michel suit Duplessis en se disant : qu’est-ce que je fais là ?

Le chat court vite, se retourne rarement pour vérifier que Michel est toujours là.

Quand il le fait, c’est l’air de dire : tu courais plus vite que ça avant, tit gars.

Michel croise les boutiques placardées, les mauvais parkings, les arbres en deuil, les condos neufs, les pharmacies pleines d’anglos. Avant il y avait des tavernes ici, des madames en pleines courses, des taxis, des vieux. Ça a changé, le Plateau.

Il a pas envie d’écrire aujourd’hui.

Le chat lui rappelle une enfance enfouie sous sa barbe et ses lunettes arrondies.

Arrivé vers le parc Lafontaine, Duplessis gravit les bancs de neige. Michel les enjambe. Le chat l’emmène au lac. Ça fait longtemps que Michel est pas venu jusque là.

Duplessis s’engage sur la glace mince qui recouvre l’eau, en espérant que Michel vienne aussi.

Michel hésite. Il a froid jusqu’au cerveau. Il se demande pourquoi il a suivi un chat.

Il demande : Duplessis, c’est toi ?

Le chat lui jette un regard méprisant que Michel prend pour de la gratitude.

Si le chat pouvait parler, il lui dirait : tu viens ? Je vais me lover sur ton ventre pour une fois, je vais t’infuser nos souvenirs, je vais juste me lover sur ton ventre et disparaître encore une fois. Viens, j’ai l’habitude.

Michel hésite. Il dit : je peux pas. Il faut que j’écrive. Demain, encore. Me taire maintenant, je peux pas.

Un coup de vent chante février au-dessus du lac. Il va neiger encore, ça se sent.

Des yeux, Duplessis insiste : viens donc, Michel, pour une fois. Viens mourir avec moi.

Michel dit : non, excuse-moi. T’es un malcommode, toi. Tu griffes, tu mords, tu lacères. Je t’ai écrit comme ça.

La glace craque. Duplessis perd une patte.

La glace recraque. Duplessis se noie.

Il regarde Michel avant de crever de froid.

Ses yeux de chat lui disent : de quoi t’as peur ? T’as pas neuf vies, toi ?

Puis il disparaît sans bruit. Le vent fait chut.

Michel lève les yeux : pourquoi je suis revenu là ?

Une trouée venait de s’ouvrir sur son monde.

MARC-ANTOINE CYR naît à Montréal en 1977. Diplômé de l’École nationale de théâtre du Canada en 2000, il voyage et promène ses écrits entre le Québec et la France. Il signe une quinzaine de textes dramatiques, tant pour le grand public que pour les enfants. Parmi ses textes créés à la scène au Québec, mentionnons Le fils de l’autre, Les oiseaux du mercredi, Les flaques, Cinéma maison, Les Soleils pâles, Je voudrais crever. Son travail a été soutenu par le Centre National du Livre ainsi que par les Conseils des Arts du Québec et du Canada. Triplement distingué par le Centre National du Théâtre, il obtient l’Aide à la création en 2009 pour sa pièce Quand tu seras un homme, en 2011 pour sa pièce Fratrie, et enfin, en 2012, pour Les Soleils pâles. Parmi ses textes produits en France, mentionnons la double création de Fratrie par deux compagnies différentes (Jabberwock et Didascalies & Co.), puis Les Soleils pâles, Prends soin (take care) et bientôt Les paratonnerres, Je reviendrai de nuit te parler dans les herbes (en coécriture avec Gustave Akakpo) et Doe (cette chose-là). En plus d’être l’auteur associé du metteur en scène Didier Girauldon, il poursuit des compagnonnages avec les metteurs en scène Marc Beaudin, Renaud-Marie Leblanc et Pierre Vincent. Marc-Antoine Cyr a été accueilli en résidence à Limoges, Strasbourg, Villepinte, St-Antoine l’Abbaye, Grenoble, Quimper, Mexico et Beyrouth. Ses textes sont publiés en France aux éditions Quartett. Il a cofondé en 2014 le club d’auteurs ACMÉ (Appuyés Contre un Mur qui s’Écroule) avec Clémence Weill, Solenn Denis, Aurianne Abécassis et Jérémie Fabre.

ASSOIFFÉS 22

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© Jean-Pierre Jeannin Latour

L’ENFANCE DE L’ART

D O I G T S D ’A U T E U R D E M A R C FAV R E A U

D ’A P R È S L ’ Œ U V R E D E M A R C FAV R E A U E T D E S A U T E U R S I N V I T É S :

M A R I E - L I S E C H O U I N A R D , A N N I E C L O U T I E R , D AV I D L E B L A N C , A N N E - M A R I E O L I V I E R

M I S E E N S C È N E E T A D A P T A T I O N - N I C O L A S G E N D R O N

AVEC MAXIME BEAUREGARD-MART IN , ISABEAU BL ANC HE, GABRIEL DAGENAIS , N ICOL AS GENDRON ET OL IV IA PAL ACCI

ET L A PART IC IPAT ION SPÉC IALE DE CLÉMENCE DESROC HERS ET MARCEL SABOURIN

CONCEPT ION MAXIME AUGUSTE , LET IC IA HAMAOUI , JOËLLE HARBEC

ET MARILYNE ROY

PRODUCT ION EXL I BR IS

S A L L E F R E D - B A R R Y 21 F É V R I E R A U 11 M A R S 2 017

en savoir

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H I S T O R I Q U E

SOL, LA QUINTESSENCE DE LA POESIE ET DE L’ABSURDE par Yves Dagenais

« Mes parents, ils étaient pas riches, les pôvres ! » Cette toute petite blague résume tout l’univers de Sol, alter ego de Marc Favreau, ce monde qui a habité mon enfance au petit écran noir et blanc de l’époque. Pour le décor, pas de mur, surtout pas le quatrième mur si cher au milieu théâtral, non, simplement une porte sur auto-portant, une fenêtre conçue de la même manière, une voiture qui ne démarrera jamais mais dont l’huile fait de bonnes et belles tartines et surtout une dynamique clownesque inconnue jusque-là au Québec, deux jeunes naïfs, romantiques et quelque peu stupides, vivent ensemble, sous le même toit et sont amoureux de la même fille, Isabelle, deux personnages dont l’un est un petit peu plus idiot que l’autre. Tout le reste n’est qu’imagination sans frontières, débordements constants de la ligne dramaturgique. Cette petite mise en situation de base suffit amplement à mettre en place vingt mille situations comiques possibles. Car, faut-il le rappeler, le clown doit faire rire.

Sol est un auguste. L’auguste est un type clownesque, un caractère clownesque pourrait-on dire, parmi les grands types clownesques. Même chez les clowns, il faut des classes, des castes. L’auguste est dominé par le clown. C’est celui qui reçoit le coup de pied au cul et le clown

le donne, avec ou sans élan. Sol est aussi d’inspiration du tramp, un clochard, un « hobo » contraction des mots « homeless boys ». Durant la crise économique des années 1920, des artistes clowns sont inspirés par les nombreux sans-abris, les itinérants à la recherche de travail. Parmi eux, de nombreux hommes d’affaires qui se promènent toujours avec leur costard usé, élimé, troué, leur cravate tachée, leur chemise déchirée mais gardant toujours leur dignité, leur fierté et dont le « look » prête inévitablement à rire malgré leur misère réelle. C’est Emmett Kelly qui donnera au tramp ses lettres de noblesses. Vêtu de haillons, maquillage dont la symbolique représente le mal rasé, le sale, le mal lavé, il se présente pour la première fois au grand cirque Ringling Brothers and Barnum & Bailey. Au début, la direction refuse de présenter ce clown en haillon, argumentant qu’il y en avait déjà assez dans la rue et que le cirque est là pour apporter la joie et le rêve. Après quelques années de tentatives, Emmett Kelly pourra enfin présenter son personnage et deviendra une grande vedette du célèbre cirque.

La naissance de l’auguste, selon la légende, puisque rien n’est prouvé hors de tout doute, vient de la maladresse d’un jeune garçon de piste ayant pour noble fonction

P O U R Q U O I ?

Yves Dagenais est l’un des spécialistes du clown en sol québécois. Son apport pour ce cahier me semblait incontournable !

- J. Bond

L’ENFANCE DE L’ART

Le clown Emmett Kelly du Ringling Circus

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de ramasser les crottes laissées par les chevaux lors des prestations équestres. Il devait faire vite avant que ne commence l’autre numéro. Un jour, Tom Belling qui aimait bien lever de temps en temps le coude, fait avec un collègue un pari qui va changer sa vie. Il met un costume de garçon de piste beaucoup trop grand pour lui. Lorsqu’arrive le moment opportun de ramasser les résidus de chevaux, il trébuche, puis visiblement a du mal à se relever et à exécuter son travail de manière professionnelle. Le maître de piste, en colère, engueule le jeune Belling mais celui-ci continue ses pitreries et ses maladresses sous les insultes du chef. Il le traite d’august, qui veut dire stupide dans le langage populaire berlinois. Le public se met de la partie et c’est le délire dans la salle. Le directeur du cirque, le cirque Renz en l’occurrence, assiste pour une rare fois à la représentation. À la fin du spectacle, il se dirige rapidement en coulisses, pointe Belling et lui dit : « Demain, tu refais la même chose ». De garçon de piste, il devient « auguste » et s’associera par la suite au « clown » pour créer la véritable dynamique clownesque du dominant et du dominé.

L’univers de l’auguste/tramp Sol est d’une richesse « Esssstradinaire ! » et son héritage va inspirer de nombreux artistes clowns dans les décennies à venir. Il jongle avec les mots. Sa naïveté, sa candeur, sa vulnérabilité, sa profondeur font de lui un des plus grands clowns du 20e siècle.

Comme le disait Charlie Rivel, un autre grand artiste clown, avec son fort accent catalan : « Le clown, i mourira jamais ! »

Fondateur et directeur artistique du Centre de recherche en art clownesque (CRAC), YVES DAGENAIS a dirigé, pendant plus de 25 ans, les destinées des Productions Omer Veilleux, dont le personnage clownesque Omer Veilleux, incarné par Yves, a présenté plusieurs spectacles solo sur quatre continents et plus de 30 pays. Faisant partie du corps professoral de l’École nationale de cirque de Montréal, le travail d’Yves Dagenais mise sur le développement, la promotion et la recherche en art clownesque.

L’ENFANCE DE L’ART

Poney et éléphant, affiche d’Adolf Freidlander pour le Cirque Zoologique Carl Hagenbeck, 1895/1896

Affiche du Ringling Brothers Circus, 1899

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QUELQUES SOUVENIRS DE MARC FAVREAU par Kim Yaroshevskaya

L’ENFANCE DE L’ART

P O U R Q U O I ?

C’est Nicolas Gendron, ami et coordonnateur d’un cahier précédent, qui m’a fait le cadeau de demander, par le biais d’un contact personnel, à madame Yaroshevskaya de collaborer à notre cahier. Nicolas est donc responsable de cette forte dose de magie qui imprègne ses pages, et je lui dois beaucoup de magie en retour !

- J. Bond

La première fois que je l’ai vu, c’était au théâtre. Je ne parlais pas très bien français encore. Je suis allée voir la pièce Dom Juan de Molière. Je n’avais pas compris grand’ chose, mais dans une scène, un jeune paysan, tout fougue, tout feu, parlant un patois impossible à comprendre, rendait la scène lumineuse, réjouissante… ! J’ai cherché le nom de ce comédien dans le programme : Marc Favreau.

Je ne l’ai rencontré que beaucoup plus tard. Alors que nous jouions dans La Boîte à Surprise, la série jeunesse de Radio-Canada.

La Boîte à Surprise ! Quelle joyeuse foire ! Couleurs vives… pétillante musique… chansons… personnages fantaisistes qui viennent à tour de rôle faire leur tour de piste… Parmi eux, l’ineffable clown Sol avec son acolyte ainsi que moi, Fanfreluche, la poupée…

Plus tard j’allais jouer dans ma propre série en compagnie de livres de contes. Contes que j’aimais lire, réécrire, inventer… J’aimais aussi inviter les comédiens que j’admirais à venir y jouer.

Marc Favreau y a joué souvent. Des personnages les plus disparates ! Vous vous souvenez peut-être de James the butler, serviteur de qualité ? Britannique à souhait, il servait le thé avec panache et, en conduisant l’automobile, il chantait : « Comme c’est agréa-ha-ha-ha-ha-ha-ha-a-ble…. » C’était très agréable, en effet.

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L’ENFANCE DE L’ART

L’autre jour à l’épicerie, quelqu’un m’a reconnue comme Fanfreluche, et aussitôt il s’est mis à chanter : « …à la manière de pingouins, gouin-gouin-gouin-gouin ! » que nous chantions en escaladant le grand glacier au pôle Nord, que Marc, en aimable pingouin, me faisait visiter. (Cette émission avait pour titre : Chez les Esquimaux, on ne disait pas encore « Inuit » à l’époque.)

Ou peut-être vous souvenez-vous de Marc en méchant loup dans une de mes versions du Petit Chaperon Rouge ?... L’air féroce, il faisait vraiment peur. Mais à voir ses manigances, on éclatait de rire ! Il n’y avait plus peur qui tienne… quel comédien !

Et oui, oui, oui, parlons de Sol ! L’incroyable Sol !

Ses monologues… Quel Génie de mots l’avait piqué… ?! Il embarque sur un mot comme sur un cheval fringuant et part - galopant dans toutes les directions, à la fois poétique, politique, philosophique… et va et va et va conférant au mot sa liberté… Et suive qui peut sa magnifique chevauchée...

Tous la connaissent comme Fanfreluche, mais ce n’est pas tout le monde qui sait que Kim Yaroshevskaya a scénarisé tous les épisodes de la populaire émission entre 1968 et 1971. Personnage créé dans les années 1950 avec la troupe de théâtre dont elle faisait partie, la poupée Fanfreluche a conquis le coeur des petits dans Fafouin et dans La Boîte à Surprise avant d’avoir sa propre émission. Continuant sa carrière d’actrice tant au cinéma que sur les planches, Kim Yaroshevskaya reconquérira le coeur des enfants d’une toute autre génération avec Passe-Partout de 1977 à 1987. On lui décerne l’Ordre du Canada en 1991.©

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Kim Yaroshevskaya, Marcel Sabourin, Marc Favreau

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L’AVARE

S A L L E D E N I S E - P E L L E T I E R 15 M A R S A U 8 AV R I L 2 017

T E X T E - M O L I È R E

M I S E E N S C È N E - C L A U D E P O I S S A N T

AVEC S IMON BEAULÉ -BULMAN , JEAN-FRANÇOIS CASABONNE, SAMUEL CÔTÉ ,

SYLVIE DRAPEAU, L AET I T IA ISAMBERT, JEAN-PHIL IPPE PERRAS, BRUNO P ICCOLO,

FRANÇOIS RUEL -CÔTÉ , GABRIEL SZABO ET CYNTHIA WU-MAHEUX

ASSISTANCE À L A MISE EN SCÈNE ET RÉGIE - AL AIN ROY

SCÉNOGRAPHIE - S IMON GUILBAULTMUSIQUE - L AURIER RAJOTTECOSTUMES - L INDA BRUNELLE

LUMIÈRES - ALEXANDRE P ILON-GUAY

PRODUCT ION DU THÉÂTRE DENISE - PE L LE T I ER

en savoir

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Abécédairepar Louis-Karl Tremblay

P O U R Q U O I ?

L’Abécédaire est en train de devenir une tradition des Cahiers, et j’aurais été bien mal avisée de ne pas la continuer ! De toute façon, il s’agit d’une joyeuse façon de creuser, dans notre cas, l’univers d’un auteur qui est souvent monté, mais sur qui on découvre toujours de nouvelles choses.

- J. Bond

Avarice

« La peste soit de l’avarice et des avaricieux. » (L’Avare, Acte I, Scène 3)

Le mot avare vient du latin avares qui signifie désirer vivement. L’avarice est un vice très répandu en 1668. L’économie stagne et le roi Louis XIV ne cesse d’augmen-ter les impôts. La classe bourgeoise s’enrichit sur le dos des moins nantis. Pour faire l’apologie de la générosité, Molière, peintre des moeurs de son temps, imagine un bourgeois qui est rongé jusqu’à la moelle par son désir de l’argent.

Harpagon n’est pas le seul avare célèbre. On peut éga-lement penser à Shylock dans Le Marchand de Venise de Shakespeare ; à Séraphin, personnage emblématique de Claude-Henri Grignon dans ses Belles histoires des pays d’en haut ; à Ebenezer Scrooge, personnage de Un Conte de Noël (A Christmas Carol) de Charles Dickens et même à Picsou, personnage inventé par Barks et popularisé par Disney.

L’AVARE

Béjart, Madeleine

Madeleine Béjart est aux côtés de Molière tout au long de sa carrière. Ils se rencontrent quelque part vers 1639 et fondent en 1643 l’Illustre-Théâtre. Molière y apprend le mé-tier de comédien et y joue les héros. La troupe ne connaît pas un énorme succès et met fin à ses activités deux ans après sa constitution. Leur dernière pièce les laisse dans une impasse financière qui mènera à l’emprisonnement de Molière. Se joignant à d’autres troupes, Madeleine et Mo-lière font ensuite une tournée de treize ans en province française et reviennent à Paris en 1658. De retour dans la capitale, Madeleine, dont le talent d’actrice est salué par les critiques de l’époque, jouera de grands rôles pour la troupe de Molière. Elle interprète d’ailleurs Frosine à la création de L’Avare.

Y a-t-il eu une idylle amoureuse entre Béjart et Molière ? Nul ne confirme, mais beaucoup le supposent. Certains historiens les disent amants, d’autres supposent que ce sont des rumeurs inventées par les détracteurs de Molière. Ces derniers sont allés jusqu’à dire qu’ils auraient eu une enfant, Armande, que Molière épouse en 1662.

Madeleine et Molière décèdent tous deux le 17 février, à un an d’intervalle, respectivement en 1672 et 1673.

Armande Béjart

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Colère, critique et censure du clergé

Les comédiens, auteurs et metteurs en scène de l’époque sont très mal vus par les représentants de la classe ecclésiastique. Ils sont accusés de libertinages, d’irréligion et sont même excommuniés par certains évêques. Selon les bien-pensants de la cour, ce sont des bohèmes sans morale.

En plus d’être considéré comme libertin, Molière s’attire l’ire du clergé et des dévots quand il écrit Le Tartuffe ou l’Imposteur (1644), pièce qui dénonce l’hypocrisie religieuse et fait réagir vivement le parti dévot. Même la reine mère, Anne d’Autriche, contribue à faire interdire la pièce. Tartuffe ne peut finalement être représenté qu’en 1669. Pourtant, à sa création, la pièce obtient un vif succès.

Dot

La dot est le bien qu’une femme apporte au ménage en se mariant. Traditionnellement, c’est le père de la mariée qui fournit la dot à sa fille. Bien que cette coutume perd en popularité au XIXe siècle, elle est encore pratiquée à l’époque de Molière. Il existait même une « grille » appelée Tarif ou Évaluation des partis sortables, pour faire facilement les mariages. La dot était ainsi calculée selon la fortune et la situation des pères. Pour les plus nantis, le montant pouvait varier entre 150 000 et 300 000 livres (entre 750 000 et 1 500 000 $ aujourd’hui). On comprendra pourquoi Harpagon, riche bourgeois rongé par l’avarice, insiste pour marier sa fille Élise à Anselme sans dot.

Envie

« Les envieux mourront, mais n’ont jamais l’envie. » (Tartuffe, v.1666, Acte V, scène 3)

Autre figure importante dans le royaume de Louis XIV : Jean-Baptiste Lully. Compositeur et violoncelliste, il est surintendant de la musique du royaume. En collaboration avec Lully, Molière écrit plusieurs comédies-ballets, parmi lesquelles Le Mariage forcé, L’Amour médecin, George Dandin, Le Bourgeois gentilhomme. Même s’il jouit d’une excellente réputation, la situation de Lully demeure précaire et il n’a pas de salle où se produire. Il enviait Molière, qui jouissait d’une situation financière aisée et disposait de la salle du Palais Royal pour présenter ses pièces. Pour améliorer son sort, Lully, plus rapide que Molière, achète le « Privilège de l’opéra », privilège vendu sous ordonnance royale, qui empêche quiconque de produire un spectacle avec plus de deux airs et deux instruments. Par conséquent, Molière ne peut donc plus présenter une grande partie de son répertoire, comprenant bon nombre de comédies-ballets. Comme l’ensemble de la musique dans l’oeuvre de Molière est écrite par Lully, les deux collaborateurs se livrent une guerre de droits d’auteur et demeurent en conflit. Toutefois, Molière obtiendra une dérogation à l’ordonnance royale pour présenter son répertoire.

Fauteuil

Ce qu’on appelle « fauteuil de Molière » est maintenant un objet mythique qui est passé à l’Histoire. Il s’agit en fait d’un fauteuil Louis XIII ayant d’abord servi à la création du Malade imaginaire, dernière pièce de l’auteur. En 1673, Molière, gravement malade, monte sur la scène du Théâtre du Palais-Royal pour jouer Argan, sympathique hypocondriaque, faisant un pied de nez à la maladie qui l’afflige. À la quatrième représentation, lors de la dernière scène, Molière aurait été pris d’un crachement de sang, aurait été conduit chez lui et n’aurait survécu que quelques heures. Après son décès, à la reprise de la pièce, un autre Argan s’est assis dans ce fauteuil et chaque fois qu’on jouait Le Malade imaginaire, il trônait au centre du décor. Quand il n’était pas sur scène, on le retrouvait dans la salle des comédiens et était réservé au plus éminent comédien de la troupe. Plusieurs acteurs se sont enorgueillis d’avoir eu l’honneur de s’y asseoir. Le fauteuil est maintenant sous une cage de verre dans le foyer de la Comédie-Française.

L’AVARE

Fauteuil de Molière

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Harpagon

Harpagon veut dire « rapace » en grec et « grappin » en latin. Comme c’est Molière lui-même qui crée le rôle, ce serait parce qu’il était pris du poumon qu’Harpagon est affligé d’une vilaine toux. Plusieurs ont succédé à Molière et ont pris les traits du désormais célèbre Avare. Parmi les acteurs célèbres qui ont joué Harpagon, on compte Louis de Funès qui adapta et réalisa le film en 1980.

Quelques-uns de nos Harpagon québécois :

Jean Gascon (m.e.s. Jean Gascon TNM, inauguration 1951).

Gaston Lepage (m.e.s Gaetan Labrèche, Théâtre Denise-Pelletier, 1981),

Luc Durand (m.e.s. Olivier Reichenbach, TNM 1984-85)

Roland Lepage (m.e.s. Jean-Pierre Ronfard, Théâtre du Trident, 1989-90),

Luc Durand (m.e.s Luc Durand, Théâtre Denise-Pelletier, 1995),

Luc Guérin (m.e.s. Serge Postigo, Juste pour Rire, 2010)

Influences et inspirations

L’auteur est influencé par le théâtre italien et notamment par la commedia dell’arte, d’où il tire son sens du rythme, quelques personnages (Mascarille, Scapin) et plusieurs lazzis (numéros comiques). La comédie de Molière est étudiée, calculée et ne repose pas sur des canevas ou des improvisations comme chez les Italiens. Toutefois, les historiens nous apprennent que plusieurs lazzis se trou-vaient dans les mises en scène du poète, mais qu’ils n’ont pas survécu à l’impression de ses pièces. Molière les a en-levés ; soit pour alléger la lecture, soit pour laisser libre cours à l’improvisation des interprètes.

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La Grange

De son vrai nom Charles Varlet, le sieur de La Grange est un comédien de la troupe de Molière. À partir de 1659, La Grange participe à tous les spectacles de la troupe de Molière. Il interpréta, entre autres, Cléante dans L’Avare et Dom Juan. Grâce à la tenue de son registre, appelé Registre de La Grange, les historiens ont pu en apprendre un peu plus sur les activités de la troupe de Molière. Ce cahier manuscrit, en plus d’être un registre comptable, indique les décès, mariages et visites de la troupe chez le roi ou dans des demeures privées. On peut y lire que L’Avare est créé le 9 septembre 1668, que la pièce engrange ce jour-là des recettes de 1069 livres et 10 sols et que la part de chacun des acteurs est de 67 livres et 15 sols.

La Grange succède à Molière à la tête de la Troupe du Roy après le décès du dramaturge.

Jean-Baptiste Poquelin

Fils de Jean Poquelin et de Marie Cressé, Jean-Baptiste Poquelin naît en janvier 1622 à Paris. Issu d’une famille bourgeoise, il est fils de tapissier ordinaire du roi et tout le destine à suivre les traces de son père. Il fait des études dans le meilleur collège de Paris, chez les Jésuites de Clermont, et fréquente l’École de droit. Mais, après ses études en droit, le théâtre l’appelle. Même s’il est étrange de quitter la bourgeoisie pour la vie de bohème, la vocation artistique s’impose à Poquelin. Il rencontre les Béjart, auxquels il va s’associer. C’est en 1644, dit-on, que Poquelin prend le nom de plume de Molière qu’il s’attribua lui-même. On peut voir la signature JBP Molière à la fin de ses manuscrits. Molière signe plus d’une trentaine de pièces comprenant farces, comédies et comédies-ballets.

Kyrielle de personnages

On recense près de cinq cents différents personnages dans l’ensemble de l’oeuvre du dramaturge. Dans son essai sur Molière1 , René Bray compte « six Sganarelle, cinq Valère, quatre Clitandre, trois Cléante et autant de Climène, de Dorante, d’Éraste, d’Élise, de Léandre, de Mascarille et d’Oronte ; vingt-deux noms sont utilisés deux fois. »

L’AVARE

1. BRAY, René, Molière, homme de théâtre, Mercure de France, Mayenne,1992, 317 p.

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Louis XIV

Le roi Louis XIV, aussi appelé Roi-Soleil, est le monarque français à avoir régné le plus longtemps, soit soixante-douze ans. Il a un rôle déterminant dans la carrière et le rayonnement de l’oeuvre de Molière. À partir de 1658, l’auteur et sa compagnie sont invités à plusieurs reprises à jouer devant la cour et le roi. Le souverain le nomme « bel esprit » du royaume et, en 1665, la troupe de Molière est nommée Troupe du Roy du Palais-Royal - troupe qui deviendra plus tard, avec l’annexion de la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, la Comédie-Française. La faveur de Louis envers Molière lui permet ses plus grands triomphes. Autre marque de l’appréciation du monarque envers l’auteur, le roi servit de parrain au premier enfant de Molière et d’Armande.

Mariage

« Un mariage ne saurait être heureux où l’inclination n’est pas » (L’Avare, Acte IV Scène 3)

À l’époque, il est pratique courante d’imposer, surtout aux jeunes filles, celui qu’elle devra prendre pour époux. Les mariages de l’époque sont plutôt des négociations d’affaires que des discussions de coeur. Si la jeune fille refuse le choix de son père, elle risque d’être conduite au couvent et d’y finir ses jours comme religieuse. Le thème du mariage imposé, provenant traditionnellement de la farce, est récurrent dans les comédies de Molière. Le mariage est imposé par la figure paternelle dans Le Mariage forcé, L’Amour médecin et L’Avare. Il est mariage de raison ou mariage financier. En ridiculisant et invalidant les mariages forcés dans ses pièces, Molière s’impose comme défenseur des mariages d’amour.

Ironiquement, Molière cède à un mariage de raison. Il épouse Armande Béjart, le 20 février 1662 (le contrat de mariage précédant la cérémonie le 23 janvier 1662), la supposée petite soeur de Madeleine Béjart. C’est Madeleine qui aurait fait pression en faveur de cette union pour que les biens et héritages des Béjart et des Poquelin passent à leurs héritiers. Armande avait alors vingt ans et Poquelin quarante.

Nicolas Mignard

En 1657, Molière était toujours comédien nomade en tournée dans la province française. Ses compagnons et lui, maintenant à Lyon, étaient à la recherche d’un lieu pour jouer. Les troupes d’alors louent les jeux de paume, ancêtre du tennis, pour leurs représentations. À Lyon, Molière loue un jeu de paume appartenant au peintre Nicolas Mignard.

Plusieurs portraits, gravures et bustes du célèbre auteur nous sont parvenus, mais l’une des plus intéressantes est cette toile de Nicolas Mignard qui a été peinte en 1658 alors que Molière était comédien et jouait les héros tragiques. Molière a trente-six ans lorsque le peintre l’immortalise en costume de César, personnage qu’il jouait dans La Mort de Pompée de Corneille. À ce jour, le Portrait de Molière dans le rôle de César fait partie de la collection d’oeuvres de la Comédie-Française.

L’AVARE

Louis XIV

Portrait de Molière dans le rôle de César, par Nicolas Mignard, 1658

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Orgueil

Molière écrit plusieurs pièces pour faire suite à des commandes de Louis XIV. Le roi choisissait parfois les sujets des oeuvres qui serviraient de divertissement à la cour. Les instructions de Louis étaient exécutées par l’auteur et donnèrent lieu notamment à Psyché et Les Amants. Il en va de même pour Le Bourgeois gentilhomme. L’histoire nous dit que le roi voulait piquer l’orgueil d’un de ses hôtes, ambassadeur de l’Empire ottoman sous Mehmed IV, en présentant une « turquerie dérisoire ». En sortant d’une réception donnée par le Roi, l’ambassadeur turc aurait dit devant plusieurs nobles : « Dans mon pays, lorsque le Grand Seigneur se montre au peuple, son cheval est plus richement orné que l’habit que je viens de voir. » Cet outrage aurait piqué le Roi à vif et expliquerait la commande à l’origine de la pièce.

Protecteur, Philippe d’Orléans, Petit-Bourbon

Au XVIIe, les troupes de théâtre sont soutenues par des protecteurs - sorte de mécènes qui financent et endossent les productions. En 1648, la troupe de Molière tombe sous la protection de Philippe d’Orléans, dit Monsieur, frère unique du Roi. Personnage qu’on décrit aujourd’hui comme étant homosexuel forcé au mariage. Il menait une vie fastueuse et adorait, entre autres divertissements, le théâtre. C’est grâce à Monsieur que la troupe joue devant le Roi et obtient le privilège de se produire à l’Hôtel de Bourgogne dans le théâtre appelé Petit-Bourbon.

Quiproquo

Le quiproquo est un malentendu au cours duquel on prend une situation, quelqu’un ou quelque chose pour un autre. C’est un procédé comique de situation largement utilisé dans la comédie classique. Dans L’Avare, il y a un quiproquo célèbre à l’Acte V, scène 3. Harpagon parle de sa cassette et Valère, lui, parle plutôt d’Élise. La comédie réside dans le fait que le spectateur connaît le malen-tendu, mais que les personnages l’ignorent ; Valère est coupable d’avoir volé le coeur d’Élise... et non la cassette d’Harpagon.

Règles

Le théâtre classique du XVIIe siècle est régi par certaines règles, inspirées des Grecs de l’Antiquité, notamment par La Poétique d’Aristote. On impose au théâtre classique la règle des trois unités : unité de temps, de lieu et d’action. La pièce doit se dérouler en vingt-quatre heures, dans un seul lieu (décor) et une seule intrigue doit faire l’objet du récit. Molière s’écarte de ces règles surtout en ce qui a trait à l’action. Le dramaturge se moque bien de savoir s’il a diverti le public selon les règles. Selon lui, la théo-rie ne précède pas la pratique ; la pratique vient d’abord. Autre usage de l’époque : les grandes comédies de cinq actes doivent être écrites en alexandrins, vers de douze syllabes. Molière écrit toutefois L’Avare en prose. La pièce reçoit donc un accueil mitigé.

Satire

Molière s’impose rapidement comme critique de la société dans laquelle il évolue. Par le biais de ses personnages et de ses pièces, il critique les modes et les moeurs de la société française. Ses comédies sont des tableaux satiriques de son époque. Le poète participe ainsi à l’évolution de la conscience collective sur leurs comportements. Il critique le mouvement précieux des salons dans Les Précieuses ridicules, le parti dévot dans Le Tartuffe, les médecins et leurs médecines dans L’Amour médecin, l’usure et les usuriers dans L’Avare. De son regard aiguisé, « Molière observait les manières et les moeurs de tout le monde, il trouvait moyen ensuite d’en faire des applications admirables dans ses comédies, où l’on peut dire qu’il a joué tout le monde2 » .

L’AVARE

2. Citation de La Grange, comédien dans la troupe de Molière.

Molière et les caractères de ses comédies, par Edmond Geffroy

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Tapissier du Roi

Le tapissier du roi a la charge de la confection, de la répa-ration et de l’entretien du mobilier et des accessoires du palais du Roi. Ce titre, plus honorifique que fonctionnel, donne un accès direct à la cour française et au Roi de France. Il s’agit d’une excellente condition pour quelqu’un appartenant à la classe bourgeoise. Le père Poquelin, ta-pissier du roi, prend des dispositions pour que son fils obtienne la survivance de la charge de tapissier quand celui-ci se retirera. Jean-Baptiste reçoit la charge en 1637, mais ne désirant pas prendre la relève de son paternel, la cède à son frère cadet quand il fonde l’Illustre-Théâtre. À la mort de son frère, Molière reprend la charge de tapis-sier du Roi et la gardera jusqu’à sa mort. L’auteur désirait assurément conserver l’accès privilégié que ce titre offrait à la cour et au Roi.

Usure et usuriers

Dans un contexte économique difficile, l’argent se fait rare dans le royaume de Louis XIV. Les gens du peuple cherchent souvent à emprunter pour subvenir à leurs besoins quotidiens. Même si les prêts avec intérêts sont considérés illégaux, ils sont tolérés si les intérêts de-mandés demeurent raisonnables. Plusieurs membres de la classe bourgeoise s’enrichissent sur le dos du pauvre peuple en contrevenant à la règle. On appelle usuriers ces prêteurs illégaux. À l’époque l’expression « usure » signifiait intérêt. Mais avec le temps, ce terme est devenu synonyme d’intérêt abusif. Le denier du roi fixait le taux d’intérêt maximum au denier vingt, c’est-à-dire 5% de la somme empruntée. Dans L’Avare, Harpagon demande 25% d’intérêt à son propre fils ; une usure spectaculaire.

Valets

Dans le théâtre moliéresque, le valet est le confident, le porte-parole, le messager, le faire-valoir du personnage principal. Les valets et servantes servent souvent à tracer les défauts du personnage-maître. Dans L’Avare, Frosine fait ressortir la naïveté d’Harpagon (Acte II, scène 5) ; La Flèche, sa suspicion maladive (Acte I, Scène 3) ; Maître Jacques, sa pingrerie domestique (Acte III, scène 1)3. Certains valets du répertoire de Molière sont parmi les plus grands rôles du théâtre classique.

Works of Moliere

Son nom est passé à l’usage dans l’expression « la langue de Molière ». Toutefois, le dramaturge n’est pas seulement reconnu dans la francophonie. Ses pièces sont traduites dans plusieurs langues et Molière demeure l’auteur français le plus joué à l’étranger. Aucun pays n’est resté indifférent au génie du poète. La première traduction anglaise est celle de John Ozell avec Monsieur de Pourcegnac (1704) suivi des Fourberies de Scapin (1730) puis de L’Avare (1732). Il faut attendre 1739 pour qu’Henry Baker et James Miller traduisent l’entièreté de l’oeuvre du dramaturge sous le nom de The Works of Molière. L’Avare est traduit en 1847 dans le monde arabe et en 1892 au Japon par Kôyô Ozaki.

Aujourd’hui encore, l’oeuvre de Molière est internationale et on ne cesse d’en faire des relectures contemporaines. Parmi les productions récentes, soulignons le travail marquant de La Shaubühne de Berlin sur Le Tartuffe. (Adaptation de Wolfgang Wiens, mise en scène de Michael Thalheimer, présenté au Festival Trans Amérique [FTA], 2015).

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3. Extrait de : L’Avare de Molière, Collection Parcours d’une oeuvre, sous la direction de Michel Laurin, Édition Beauchemin, 2000

Gravure de Molière

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Depuis sa sortie de l’École supérieure de Théâtre de l’UQÀM en 2008, LOUIS-KARL TREMBLAY travaille comme comédien et metteur en scène. En 2008, il cofonde sa compagnie, Théâtre Point d’Orgue et y travaille comme metteur en scène. Il s’attaque en 2009 aux Troyennes qu’il présente au Bain Saint-Michel. À l’automne 2011, il présente Le numéro d’équilibre d’Edward Bond à la salle Calixa-Lavallée et Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz au Théâtre Prospero. En 2012, il présente Judith aussi, texte de Pier-Luc Lasalle, et en avril, il propose une version inédite des Atrides à l’Église Saint-Jean-Baptiste avec 27 acteurs. Louis-Karl Tremblay a dirigé les étudiants de l’École supérieure de Théâtre de l’UQÀM dans Roméo et Juliette (2013) et Britannicus (2015) et est le metteur en scène des soirées-bénéfices du Centre du Théâtre d’aujourd’hui depuis 2013 ; il était de la distribution de Dans la cage présenté à Zone Homa (2014) et il a mis en scène Les Têtes baissées au Théâtre Prospero (2015).

XVIIe

C’est au XVIIe siècle que Galilée tourne sa lunette d’observation vers les étoiles, que Champlain fonde Québec et que Molière naît. C’est une époque prolifique chez les auteurs français : Pierre Corneille, Jean de La Fontaine, Jean Racine, Charles Perreault. Ce siècle est celui des règnes de Louis XIII (1610-1643) et XIV (1643-1715). Plusieurs inventions font aussi leur apparition et changent la face du monde : le métronome, la transfusion sanguine, le champagne (inventé par don Pérignon) et la sauce béchamel.

Yeux

Monsieur Jourdain : Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et […] je voudrais donc lui mettre dans un billet : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour » ; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante, que cela fût tourné gentiment.

Maître de philosophie : On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ». Ou bien : « D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux ». Ou bien : « Vos yeux beaux d’amour me font, belle Marquise, mourir ». Ou bien : « Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font ». Ou bien : « Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour. »

Monsieur Jourdain : Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ?

Maître de philosophie : Celle que vous avez dite : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. »

Zélinde

Zélinde, comédie, ou La véritable critique de L’École des femmes est une pièce de Jean Donneau de Visé écrite en 1663. Ce dernier, contemporain de Molière, écrit cette oeuvre qui s’inscrit dans ce qu’on appelle « la querelle de l’École des femmes ». Voici comment de Visé décrit Molière dans Zélinde : « Je l’ai trouvé appuyé sur ma boutique, dans la posture d’un homme qui rêve. Il avait les yeux collés sur trois ou quatre personnages de qualité qui marchandaient des dentelles, il paraissait attentif à leurs discours, et il semblait par le mouvement de ses yeux qu’il regardait jusques au fond de leur âme pour y voir ce qu’elles disaient. […] C’est un dangereux personnage ; il y en a qui ne vont point sans leurs mains ; mais l’on peut dire qu’il ne va point sans ses yeux ni sans ses oreilles. »

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B I L L E T

CE QUI NOUS CONSUME Réflexion sur l’avarice modernepar Julia Posca, chercheure à l’IRIS

Dans un monde où la publicité, la mode et l’obsoles-cence planifiée s’assurent que la consommation des ménages soit le moteur de la croissance de l’économie, toute personne normalement constituée (ou formatée, diront les plus cyniques) et à la recherche d’un sens à donner à sa vie sera encline à meubler son existence d’objets. En retour, la collection de biens, certains ordi-

naires et d’autres luxueux, qu’elle parviendra à amas-ser, renverra aux autres l’image qu’elle entend proje-ter d’elle-même. La petite robe noire passe-partout confirmera son penchant classique ; l’ensemble de thé japonais, son raffinement gastronomique ; la montre analogique sur son poignet, son côté performant.

P O U R Q U O I ?

On cherchait la personne capable de nous dresser un portrait de l’avarice aujourd’hui qui ne nous donnerait pas envie de pleurer, bâiller ou sortir tout notre argent de la banque pour l’entreposer dans des chaussettes thermales. On l’a trouvée !

- J. Bond

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JULIA POSCA est doctorante en sociologie à l’UQAM et chercheure à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Elle travaille sur divers enjeux liés aux transformations du capitalisme tels que le déclin de la classe moyenne, la hausse de l’endettement des ménages et la croissance des inégalités.

N’allez pas croire cela dit que de constituer cet arsenal sym-bolique équivaut à une partie de plaisir. Sa composition est la plupart du temps le fruit de moult sacrifices s’étendant d’une paie à l’autre, mais qui promettent toutefois d’être récompen-sés par une dose équivalente de prestige, ou à tout le moins par l’atteinte d’un statut social respectable. Alors que l’indus-trie financière profite de la stagnation des salaires de la ma-jorité pour multiplier ses offres de prêt, l’individu moyen de-vra aussi, pour ne pas manquer le train de la consommation ostentatoire, cumuler une dette souvent vertigineuse.

Maintenir un niveau de vie à la hauteur des attentes d’une société centrée sur le règne de l’apparence, alors qu’en même temps, dans l’ordre économique contemporain, les travail-leurs et les travailleuses sont devenus jetables et leurs re-venus incertains, peut dès lors prendre les allures d’un sport dangereux. C’est parfois au prix de sa santé mentale que notre pauvre moineau se bat pour demeurer au-dessus de la mêlée. Il doit éviter à tout prix d’être moyen ; il aspire plutôt à être différent, à ne pas entrer dans le moule.

Avec ses pairs, il forme ainsi un agrégat de gens solidairement engagés dans la dépense effrénée des ressources de la pla-nète, mais qui peinent à se considérer comme une commu-nauté de citoyens et de citoyennes capable d’attribuer un sens moins éphémère à leur existence, de se donner pour projet de société le bien-être plutôt que le paraître. Ainsi, ce culte de la richesse nous appauvrit à mesure qu’il nous consume. Il contribue à reproduire un climat de compétition qui ne fa-vorise jamais que les plus forts. Enfermés dans ce fantasme belliqueux qui légitime l’arbitraire des tout-puissants, nous n’avons pourtant pas encore été dépouillés du pouvoir d’in-venter un monde fait de ponts plutôt que de tranchées.

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E N T R E V U E

L’ÉPIPHANIE DE SOI-MEME par Joëlle Bond

J’ai rencontré Jean-François Casabonne quelques jours après les... étonnantes (?) élections américaines. Je le rencontrais pour la première fois, pour parler de L’Avare, oui, mais aussi de son parcours théâtral. Discussion sur l’avarice, la création et... invitation à « être sur le terrain de notre propre vie ».

Quelle place prend cet Avare dans votre parcours théâtral ?

L’Avare, en général, a une place très importante dans ma vie d’artiste. Quand j’ai voulu entrer à l’École nationale de théâtre du Canada, à quatorze ans, j’ai présenté un monologue de L’Avare en audition. Je me souviens que, déjà, ce texte-là m’animait. La directrice, Michèle Rossignol, m’a appelé pour m’encourager à aller vivre un peu avant de me lancer dans une formation théâtrale. Ce que j’ai fait, pendant les sept années qui ont suivi. Quand j’ai repassé mes auditions, j’ai présenté L’Avare, encore une fois, et Oedipe Roi. C’est drôle, parce que j’ai joué les deux rôles au théâtre professionnel par la suite. Claude Poissant a aussi été une figure marquante dans mon parcours, alors, de faire cet Avare avec lui, c’est encore plus spécial.

Pourquoi ?

Claude, pour moi et pour plusieurs personnes je crois, est comme une boussole, un guide, dans le milieu théâ-tral. Quand j’étais au Conservatoire, il était venu faire une création avec ma classe. Il a choisi de faire un montage à partir des textes de Gauvreau qui s’appelait Signé ; il met-tait les textes de Gauvreau en parallèle avec la signature du Refus Global. Je jouais Claude Gavreau. Claude Pois-sant et moi, ç’a été un match hallucinant, une belle ren-contre, et nous avons travaillé ensemble sur quelques productions par la suite. Après, comme toujours, la vie a suivi son cours, et nous avons poursuivi avec des équipes différentes, des projets différents... avec L’Avare, on se re-trouve, en quelque sorte !

Qu’y-a-t-il de personnel, à Claude et à vous, dans cette version de L’Avare que vous proposez ?

On a eu un bloc de répétitions pour le moment, mais, déjà, on commence à chercher ce que ce sera, et je peux dire qu’on trouve un Harpagon rempli d’une humanité in-quiète. En se demandant ce qui nous rend avare dans la vie, on se rend compte que ça vient d’une faille très pro-fonde, d’une insécurité qui te pousse à chercher à avoir le contrôle sur tout. La racine de l’avarice, c’est souvent la peur. Je pense que c’est une métaphore de l’humani-té, aussi. L’humanité a peur, elle vit une grande terreur et cherche à prendre le contrôle. Et c’est précisément ce contrôle qui nous enferme, qui nous étouffe. Harpagon est terrorisé de voir ce qui lui échappe. Quand on a peur que les choses nous échappent, on essaie d’enfermer, on accumule pour se sécuriser.

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Ça montre, en quelque sorte, des problèmes très contemporains !

Absolument. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, les gens très riches sont perçus comme des gagnants, des mo-dèles de réussite.

Je ne peux pas m’empêcher de penser aux récentes élections américaines...

C’est sûr que c’est effarant, ce résultat. Mais on ne peut pas s’abstraire de la colère, je pense. Les gens qui ont fait ce choix sont en colère, ils sont nostalgiques et ont peur de perdre leurs acquis. Je n’aime pas me position-ner comme au-dessus des gens et les dénigrer, et cette élection me prouve que, plus que jamais, nous avons une responsabilité d’être sur le terrain de notre propre vie. Il faut écouter, aller vers l’autre, être ouvert à la différence d’opinions et ne jamais être épris de nous-mêmes.

C’est difficile, pour un acteur, de ne pas s’éprendre de soi-même ? Il y a aussi toute cette dichotomie acteur et vedette, qui sont des métiers à la fois conjoints et différents, peut-être.

Honnêtement, et je le dis en toute humilité, j’ai l’impression d’échapper un peu à cette affaire-là. J’essaie, vraiment, d’embrasser des démarches artistiques complètement authentiques. Comprenons-nous bien : je n’ai pas de mérite, c’est plus fort que moi ! Et ça vient avec un certain deuil à faire, le deuil de cette reconnaissance-là, de ne pas être nécessairement toujours « à la mode ». Mais j’ai l’impression que ce genre de renoncement te permet de ressusciter à autre chose, en bout de ligne. S’affranchir de ça, c’est se donner la permission d’être pleinement ce que tu es, sans avoir à le « représenter » nécessairement. Et ça, c’est le sang qui coule et le coeur qui bat, ce n’est pas toujours ce que l’on voit, c’est aussi beaucoup ce que l’on sent, qui est plus vivant que la vie. Beaucoup se font remarquer en étant explosifs, et la provocation est une recette magique qui fonctionne bien souvent.

Mais comment trouver sa place, autant comme artiste que comme citoyen, alors ?

C’est très dur de savoir ce qui est juste. Mais pour être l’épiphanie de soi-même, il faut être, pour soi, une bous-sole de joie. Quand tu es dans la joie profonde, tu sens que tu es à la bonne place. Il faut être à l’écoute de ça. Ça permet à tes talents de fleurir, et ce n’est pas valide que pour les arts. Je regarde un gars comme Alexandre Taille-fer, ce qu’il fait avec Téo Taxi, ça envoie un méchant signal.

L’Avare, donc, ne trouverait pas sa place, ou refuserait de la céder ?

On parle de complexe de Laïos devant une situation où celui qui a de l’expérience impose son autorité sur l’inexpérience. L’Avare, c’est clairement ça. Et c’est le même problème qu’on a dans notre société, où les jeunes se font beaucoup dire de « prendre leur place »... mais quelle place peuvent-ils prendre si on ne la cède pas ? La jeunesse, c’est le radar de l’humanité, et les vieux ont tendance à s’ériger comme des murs alors qu’ils devraient être des phares. Moi, j’essaie de céder le passage, de danser avec le tsunami qui arrive et de l’accueillir. Ça nous enrichit beaucoup plus que ça nous appauvrit, en fait !

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Le documentaire Queen of Versailles suit Jacqueline Siegel, ancienne reine de beauté, et son mari David, multimillionnaire du time-sharing, alors qu’ils supervisent la construction de la plus grande maison unifamiliale en Amérique du Nord, inspirée du Château de Versailles. En 2008, la crise économique frappe les États-Unis, et les Siegel devront réviser sérieusement leur mode de vie. Y arriveront-ils ?

LETTRE

Chère Queen of Versailles,

Être toute seule avec toi, je te dirais que j’ai envie de te pousser dans neige. Mais là, on est devant du monde, alors je vais plutôt t’expliquer pourquoi j’ai eu envie de te pousser dans neige en regardant le documentaire où tu tiens la vedette, en reine de beauté recollée qui a ma-rié riche et supervise la construction de Versailles, la plus grande habitation unifamiliale... du monde. DU MONDE.

Tu me connais pas, mais j’ai l’esprit de contradiction très fort. Je n’ai pas lu Harry Potter, le Petit Prince me tape sur les nerfs avec sa maturité d’enfant-parabole, et, en gé-néral, quand tous les littéraires haïssent le nouveau livre d’une petite blogueuse de 14 ans, ben je lui cherche des qualités pis je la défends. Elle a rien fait, la petite blo-gueuse, et si les gens ont envie de la lire, ben, forcément, les gens ce ne sont pas tous des imbéciles, il doit ben y avoir quelque chose là-dedans.

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David et Jackie Siegel

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Alors en m’installant devant Netflix, j’étais d’une extrême bonne foi. Je me suis dit que tu avais bien le droit de te faire mettre un peu de Botox pour avoir l’air de 23 ans à 43. Après tout, ton mari répète sans cesse qu’il va t’échan-ger pour deux filles de 20 ans, ça créé une certaine forme d’insécurité. Tous les goûts sont dans la nature, nos vi-sions de la beauté et du succès peuvent différer ; moi, une maison copiée sur le Château de Versailles, je trouve ça aussi pertinent qu’un mini-Colisée dans une rocaille. Toi, t’as jamais eu de voisins qui te marchent sur la tête. Cha-cun ses choix.

Mais là où ça ne fonctionne pas, c’est quand le bateau coule pour ton mari, pour toi et pour vos multiples en-fants que vous peinez à retrouver sous les montagnes de jouets en plastique qui traînent sur le tapis blanc sale du grand manoir où vous vivez avant de devenir les Louis XIV du mauvais goût moderne. La crise économique frappe

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fort, et votre source de revenus (la vente de time-sha-ring1 et l’exploitation des familles de classe moyenne, en gros) diminue drastiquement. Votre réaction : ON VA SE REFAIRE ! Ton mari boude, te crie après et toi, dans un effort d’économie, tu te mets à acheter des cochonneries au Wal-Mart : un 15e vélo, un chien en faux poil qui fait des culbutes, j’en passe. On vous aurait souhaité d’avoir une légère prise de conscience, de vendre quelques-unes de vos possessions (je pense à quelques antiquités de votre entrepôt qui ne sont, en fait, que les vraies versions des affaires laittes qui décorent les casinos à Vegas, mais tu peux choisir ce que tu veux)... mais non. NON.

Le pire ? C’est que vous vous êtes refaites. Vous avez re-monté la pente après le documentaire, alors Dieu seul sait comment vous y êtes arrivés, mais vous y êtes arrivés. Comprends-moi bien, j’imagine que ça n’a pas été rose du tout, ta belle-fille s’est enlevé la vie, et les épreuves ont dû être nombreuses. Mais j’ai beau chercher, je vois mal comment on peut justifier un style de vie pareil. Évi-demment, ça nous arrive de jeter de la nourriture passée date, de s’acheter un gilet qui va clairement coller dans la sécheuse et de vouloir vivre au-dessus de ses moyens. On aime ça aller au restaurant même quand le frigo est plein. À part quelques esprits éclairés, on rêve tous, des fois, de vivre comme des vedettes. Mais toi, non seulement tu la vis, cette vie-là, mais tu l’as perdue et tu l’as rechoisie. Tu as choisi deux fois cette vie ostentatoire, vulgaire, déme-

1. Le time-sharing est une forme de forfait vacances à temps partagé, qui consiste à vendre, par exemple, une même chambre d’hôtel à Las Vegas à 52 clients qui pourront l’utiliser une semaine par année pour une longue période de temps. Un genre d’hypothèque-vacances qui enrichit énormément ceux qui vendent ces unités... 52 fois plutôt qu’une.

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surée, gargantuesque. Et même si mon esprit de contra-diction a ramé fort pour tenter de te justifier... au final, il n’a rien trouvé.

Bien respectueusement, parce que, des fois, tout ce qui reste, c’est le respect de base,

Joëlle Bond

Le château de Queen of Versailles

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I M P R E S S I O N S

POURQUOI JOUER LES CLASSIQUES ? Question posée à trois jeunes comédiens de L’Avare

par Joëlle Bond

Simon Beaulé-Bulman

Les grands classiques sont très attirants (quoiqu’intimidants) pour les comédiens, parce que nous savons que nous avons entre les mains un texte beaucoup plus grand que nous. C’est un exercice extrêmement formateur que d’incarner et de défendre ces personnages classiques, qui nous forcent à nous définir comme interprète, mais aussi comme individu. Qu’est-ce que nous pouvons amener au personnage que d’autres acteurs n’ont pas fait avant nous ? Comment rendre unique notre interprétation du personnage sans pour autant le dénaturer ?

Et c’est surtout, pour moi, un grand plaisir de plonger dans l’Histoire, de chercher à comprendre le contexte dans lequel le personnage évolue pour mieux saisir la portée de ses actions et la gravité de ses aspirations ; me rapprocher de ce personnage vieux de 350 ans et y trouver ce qui résonne chez nous, aujourd’hui.

C’est, au final, une grande leçon d’humilité que de jouer ces grands personnages, parce que nous savons que peu importe ce qu’on en fait, le rôle survivra à notre performance !

P O U R Q U O I ?

Pour savoir comment on aborde Molière dans la vingtaine, en 2017.

- J. Bond

Laetitia Isambert

Avoir l’opportunité de redonner vie à un personnage de Molière est sans aucun doute un cadeau immense pour grand nombre de comédiens. Tellement d’avenues sont possibles, tellement de portes sont ouvertes. Il me semble fascinant de creuser pour trouver un trésor enfoui derrière ces répliques. Un chemin rarement, voire jamais emprunté. Car c’est ce que permettent les textes de Molière : une liberté infinie. C’est d’ailleurs ce qui justifie leur passage à travers les siècles.

Voila donc cette chance qui s’offre à nous, de partager le résultat d’une chasse aux trésors…

Gabriel Szabo

Parce que c’est toujours les mêmes émotions qui m’envahissent quand je lis un classique. Cette fascination devant le fait que, malgré les siècles qui nous séparent, l’homme restera toujours fondamentalement la même bestiole préoccupée par ces mêmes tragédies futiles ou... futilités tragiques.

Et devant cela, je suis à la fois alarmé et inquiet devant le fait que nous ne changeons pas à travers les âges, mais aussi énormément ému devant ce qui me semble être un touchant exemple de notre fragilité. Et j’aime avoir en moi ces deux émotions qui se contredisent.

Des pièces comme celles de Molière nous ramènent à ce qu’est l’homme depuis toujours et nous montrent l’essence même de notre race humaine. N’est-ce pas ce qu’on recherche un peu au théâtre, un miroir grossissant de nos profondes beautés et laideurs qui nous montrent que nous sommes, finalement, tous les mêmes à travers les générations autant qu’à travers les frontières ?

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LE LAC AUX DEUX FALAISES

S A L L E F R E D - B A R R Y / 21 A U 2 5 M A R S 2 017

T E X T E - G A B R I E L R O B I C H A U D

M I S E E N S C È N E - L O U I S - D O M I N I Q U E L AV I G N E

AVEC ER IC BUTLER , JEANNE GIONET - L AVIGNE ET MARC - ANDRÉ ROBIC HAUD

CONCEPT ION - MARIE ÊVE A . CORMIER , GHISL AIN BASQUE, JEAN-FRANÇOIS MALLET ,

MARC PAUL IN , JOËLLE PÉLOQUIN

PRODUCT ION THÉÂTRE L’ ESC AOUETTE ET L E THÉÂTRE DE QUART I ER

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Où se situe l’intrigue du Lac aux deux falaises ? Où est-il, cet étrange lac, flanqué de deux falaises dont l’une, disparue, n’attend que le moment propice pour repousser ? Même si l’univers proposé par le texte de Gabriel Robichaud comporte des éléments qui nous sont familiers, force est d’admettre que la manière dont ceux-ci sont agencés confronte nos notions de ce qu’est le réel. Sans appartenir au monde du merveilleux, ni à celui du fantastique, Le Lac aux deux falaises appartient peut-être à un monde plus rare, plus évanescent et donc aussi plus surprenant... celui du réalisme magique.

Utilisé pour la première fois en 1925 par les critiques d’art allemands, le terme « réalisme magique » s’est étendu depuis, de la peinture jusqu’à la littérature, pour finalement connaître son apogée près de 40 ans plus tard en identifiant les œuvres littéraires latino-américaines d’auteurs tels que Gabriel Garcia Marquez (L’Amour au temps du choléra, Cent ans de solitude) ou Isabel Allende (La Maison aux esprits, Eva Luna). Il est depuis utilisé de façon plus générale pour qualifier une œuvre représentant un monde d’apparence réel où « le

LE LAC AUX DEUX FALAISES

B I L L E T

EMBRASSER L’INEXPLICABLE par Maxime Robin

P O U R Q U O I ?

Parce que Maxime est un être féérique et, qu’en plus, il a étudié les contes dans le cadre de sa maîtrise. Amoureux du théâtre jeune public, il a rencontré avec grand bonheur le texte de Gabriel Robichaud. Je le dis en toute humilité : il s’agit d’un match parfait !

- J. Bond

fantastique n’est qu’une tentation et […] travaille les choses et les êtres de l’intérieur1 ». Dans Cent ans de solitude, l’un des personnages vit plus de cent ans, alors que, dans La Maison aux esprits, l’héroïne naît avec les cheveux verts.

Mais les frontières du réalisme magique sont floues. Dans Le Lac aux deux falaises, la falaise qui pousse ne rappelle-t-elle pas les contes de fées de notre enfance, où les animaux et les choses étaient doués de parole ou de volonté propre ? Peut-être, mais c’est la familiarité qui fait ici toute la différence. Le monde d’une Cendrillon ou d’un Petit Chaperon Rouge est à des lieux de notre réalité. Il est peuplé de loups malicieux, de forêts enchantées et de royaumes féériques. Or, Le Lac aux deux falaises, si on exclut l’étrange comportement de ses parois rocheuses, n’est pas si différent de ce à quoi le Québec nous a habitué : un village déserté, quelques croix sur un pic rocheux, un lac, un vieil homme qui chasse. La troublante scène du retour de la grand-mère n’est après tout qu’un rêve et la cécité de Pépère n’est au fond qu’une blague. Tous ces éléments qui participent au climat d’étrangeté ne sont pas, à proprement parler, merveilleux. Ils ne font

que suggérer une dimension échappant au réel. C’est l’économie des phénomènes inexplicables qui fait ici la différence. Elle permet à la magie de s’insinuer tout doucement, dans un univers où on ne l’attendait pas.

Dans Introduction à la littérature fantastique, Tzvedan Todorov décrit le genre fantastique en ces mots : « Dans un monde qui est le nôtre, ou qui nous est familier, se produit un événement inexplicable […] La personne qui fait l’expérience de cet événement doit alors choisir de deux choses l’une : soit elle est victime d’une illusion des sens, d’un produit de son imagination – et les lois du monde demeurent inchangées ; soit l’événement a bel et bien eu lieu et fait partie intégrale de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois qui lui sont inconnues.2 » Échappant encore à un autre genre, le réalisme magique

1. Nysenholc, Adolphe, André Delvaux ou le réalisme magique, Édition Cerf-Colet, Paris, 2006, page 188.

2. Traduction libre de Maxime Robin à partir de Todorov, Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique, Éditions du Seuil, Paris, 1970, page 29.

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LE LAC AUX DEUX FALAISES

s’oppose à cette définition puisqu’il ne pose pas problème au lecteur où à son alter-égo littéraire, le héros. Celui-ci n’a pas de choix à faire, son monde n’est pas transformé. Dans le réalisme magique, l’inexplicable, s’il surprend d’abord, est tout de même le bienvenu. Dans La Maison aux esprits, les cheveux verts de Clara sont traités avec des lotions et des concoctions jusqu’à ce qu’il prennent une teinte plus « naturelle ». L’existence prolongée d’Ursula dans Cent ans de solitude est présentée, pour reprendre les mots de Marquez, avec « impassiblité ». Lorsqu’il voit la fille du lac pour la première fois, Ti-Gars pose une ou deux questions, mais finit éventuellement par accepter sa présence sans la questionner. Comme le lecteur, comme le spectateur, il s’abandonne à la magie, comprenant d’instinct qu’elle ne sera pas un obstacle à la compréhension de l’univers ou du récit, mais bien sa clef.

Mais la difficulté que pose le réalisme magique quand vient le temps de le définir ne s’arrête pas là. Les éléments magiques qui s’immiscent dans le réel, quelle est leur

signification ? À ce propos, les opinions divergent, si certains y voient une symbolique rappelant la mythologie propre à une culture ou à une région (rapprochant le genre du merveilleux) d’autres croient que l’interprétation ne doit pas dépasser l’intention de l’auteur qui cherche à exprimer ici, par le truchement d’éléments qui forcent la lecture métaphorique, les états d’âme d’un personnage. Qu’en est-il du Lac aux deux falaises ? Quelle lecture doit-on faire de ce qui échappe au réel dans le texte de Gabriel Robichaud ? Qui est véritablement la fille du lac ? Existe-t-elle vraiment ? Et sinon, comment parvient-elle à sauver la vie de Ti-Gars ?

Peut-être qu’il n’est pas nécessaire de trouver une réponse. Peut-être que l’idée, c’est justement de se poser la question. N’y a-t-il pas, quand on y regarde de plus près, un peu de magie dans notre réalité aussi ?

Formé à l’école de cinéma Mel Oppenheim et au Conservatoire d’art dramatique de Québec, MAXIME ROBIN est metteur en scène, comédien et directeur artistique de La Vierge folle, compagnie bien établie à Québec. On doit à La Vierge folle, entre autres, la soirée annuelle du temps des fêtes des Contes à passer le temps, qui en était cette année à sa sixième édition. Maxime a également obtenu sa maîtrise en film studies de l’université Concordia. Sa recherche avait pour objet l’adaptation cinématographique du Petit Chaperon Rouge et la tradition orale comme prise de parole et prise de pouvoir par les femmes.

Pour en savoir plus sur le réalisme magique :

Livres Todorov, Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique Adolf Nysenholc, André Delvaux et le réalisme magique Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude, L’Amour au temps du choléra Nicolas Gogol, Le Nez Isabel Allende, La Maison aux esprits, Eva Luna Italo Calvino, Les Villes invisibles Franz Kafka, Le Procès

Cinéma André Forcier, L’Eau chaude l’eau frette Bille August, La Maison aux esprits Tim Burton, Edward aux mains d’argent Spike Jonze, Dans la peau de John Malkovitch Yorgos Lanthimos, Le Homard Ingmar Bergman, Fanny et Alexandre André Delvaux, Rendez-vous à Bray

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ANTIGONE AU PRINTEMPS

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T E X T E - N A T H A L I E B O I S V E R T

M I S E E N S C È N E - F R É D É R I C S A S S E V I L L E - PA I N C H A U D

AVEC XAVIER HUARD, LÉANE L ABRÈC HE -DOR ET FRÉDÉRIC MILL AIRE -ZOUVI

CONCEPT ION - MYKALLE B IEL INSKI , C HANTAL L ABONTÉ , XAVIER MARY

COLL ABORATION - ALEX GAUVIN , OL IV IER SYLVESTRE , ÉMILY VALLÉE -KNIGHT

PRODUCT ION LE DÔME, CRÉAT IONS THÉÂTRALES

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ANTIGONE AU PRINTEMPS

I M P R E S S I O N S

ANTIGONE : FIGURE UNIVERSELLE

par Sol Zanetti

Si la tragédie d’Antigone, jouée pour la première fois au Ve siècle avant J.C., a été si souvent adaptée à l’époque contemporaine, c’est qu’elle met en scène une figure universelle. Universelle non seulement parce qu’elle traverse le temps en demeurant d’une troublante pertinence, mais aussi parce qu’elle exprime quelque chose qui transcende les cultures et parle à tout être humain.

L’éthique d’Antigone, c’est celle de la résistance, de la désobéissance aux lois injustes et à l’arbitraire de la tyrannie. C’est celle, entre autres, de l’homme qui se

dresse devant les chars d’assauts de la Place Tian’anmen, celle de Rosa Parks qui refusa de céder sa place à un blanc dans l’autobus et celle de Nelson Mandela qu’on emprisonnera pour avoir lutté contre l’apartheid.

Antigone désobéit aux lois d’une cité qui dérive, mais obéit à un principe de justice supérieur. Elle livre, avec une détermination inflexible, un combat pour quelque chose qui la dépasse. C’est la dignité humaine qu’Antigone érige en valeur sacrée lorsqu’elle cherche à donner à son frère honni une sépulture. L’humain enterre ses morts ; Antigone refuse qu’on retire à son frère sa dignité d’être humain.

Antigone fascine par son courage. Elle fait le choix que nous savons que nous devons faire, mais que nous choisissons souvent d’éviter. Elle est là pour nous faire accepter le destin tragique de ceux qui, même lors d’un combat inégal, se tiennent debout pour la justice, quel qu’en soit le prix.

Qu’aurions-nous fait à la place d’Antigone ? Dans quel monde vivons-nous lorsqu’à la place d’Antigone, d’autres plient ? Dans quel monde vivrons-nous si nous ne sommes pas prêts à résister aux lois injustes ? Quel monde façonnerons-nous si nous reculons devant les

P O U R Q U O I ?

Parce que Sol est un pédagogue extraordinaire, que ce soit dans la classe ou dans la vie. Parce qu’il prend le temps d’expliquer, d’écouter et garde l’esprit ouvert. Directement impliqué dans le milieu théâtral (sur un plan très personnel !), je savais qu’il était la meilleure personne pour nous parler d’Antigone, de printemps érable et d’art.

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ANTIGONE AU PRINTEMPS

risques et les difficultés qu’il y a à refuser l’ordre établi ? Quelle valeur aura notre monde si nous ne voulons pas payer le prix qu’exige la dignité humaine ?

Le printemps érable : la résurgence d’un conflit intemporel

« La loi spéciale ! On s’en câlisse ! »

Nous nous rappelons tous de ce slogan scandé par les manifestants au printemps 2012, suite à l’élaboration du projet de loi 78, conçu pour mettre fin à la grève étudiante et réduire le droit de manifester. La loi 12 qui en découla était une autre loi injuste, dénoncée par le Barreau du Québec, qui venait s’ajouter à une augmentation injuste des frais de scolarité. Alors que le fossé se creusait de plus en plus entre les lois du gouvernement et la justice sociale, des centaines de milliers de citoyennes et de citoyens se sont levés et ont refusé d’obéir.

Même si, par chance, il n’y a pas eu de morts durant la grève étudiante, plusieurs manifestants ont été blessés sévèrement, tandis que d’autres ont été détenus, se sont fait distribuer des contraventions ou ont été carrément poursuivis. Toutes ces personnes étaient prêtes à payer un prix pour préserver une valeur supérieure aux lois iniques d’un gouvernement embourbé dans des scandales de corruption. À quoi l’accessibilité aux études et le droit de manifester auraient-ils été réduits si tant de personnes n’avaient pas osé braver la loi au nom de la justice elle-même ?

Ce que nous avons vécu en 2012, c’est bel et bien le retour d’un conflit éternel entre la légalité et la justice, entre la loi et la dignité humaine, qui survient chaque fois qu’elles s’éloignent trop l’une de l’autre.

La nécessité du théâtre politique

Le théâtre, comme toutes les autres formes d’art, n’est pas tenu d’être « engagé ». Cela ne l’empêche pas d’être

SOL ZANETTI est né en 1982 à Québec d’une mère québécoise et d’un père italien. Après un baccalauréat en philosophie à l’Université Laval, il obtient un poste d’enseignant en philosophie au Campus Notre-Dame-de-Foy. Pédagogue enthousiaste, il partage sa passion à ses étudiants en se faisant un devoir de mettre leur intelligence au défi et d’éveiller leur désir de connaissance et d’éthique. Sa carrière l’a également amené à s’intéresser aux problématiques de santé mentale comme préposé aux bénéficiaires puis comme intervenant clinique, d’abord à L’Institut universitaire en santé mentale de Québec puis au Centre psychanalytique de traitement des psychoses, le « 388 ». Convaincu par le discours assumé de Jean-Martin Aussant, il commence à s’impliquer activement au sein du parti indépendantiste Option nationale et en devient le chef en octobre 2013.

un ingrédient essentiel de la vitalité politique d’un peuple. Raconter l’histoire d’Antigone en l’inscrivant dans l’ébullition du printemps 2012, c’est une façon de poétiser l’action politique, d’en révéler la noblesse et la grandeur. C’est une façon de mettre en lumière que ce qui s’est passé au Québec n’est pas un événement anecdotique et isolé, mais plutôt un chapitre de l’histoire de l’humanité dans sa marche vers une plus grande justice. « C’est à partir de sa propre culture que chaque peuple va vers l’universel », disait Dostoïevski.

Poétiser l’action, poétiser la résistance, c’est inspirer le désir d’une posture éthique révolutionnaire. La figure d’Antigone est une sorte de plaidoyer pour le courage qui est susceptible d’inspirer tout être humain. Nous avons besoin d’elle. Nous avons besoin de la mettre en scène dans nos luttes.

Son destin tragique est beau. Et c’est bien plus souvent la beauté que la raison qui inspire le courage. La raison n’est pas suffisante pour motiver l’agir éthique. Ce serait trop facile. Là où la raison atteint sa limite, l’esthétique arrive en renfort pour dissoudre les pires paresses et inspirer le désir du beau et de la justice. Le théâtre politique est nécessaire puisqu’il pousse à l’acte, puisqu’il dégèle l’humain en nous, le fait vibrer, le redresse et le réveille. Voilà pourquoi il nous fallait une Antigone au printemps.

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ANTIGONE AU PRINTEMPS

I M P R E S S I O N S

DE ANTIGONE... AU PRINTEMPS

P O U R Q U O I ?

Comment résumer une histoire que tout le monde connaît, mais confond souvent avec d’autres mythes ? Nous avons demandé à Olivier Choinière et Marie-Claude Verdier de nous résumer Antigone et à Nathalie Boisvert, de nous résumer son Antigone.

- J. Bond

Olivier Choinière

Antigone, c’est l’histoire de la justice et de la loi. La loi établit les règles qui permettent aux hommes de vivre ensemble. S’il n’y avait pas de règles, ce serait le chaos social. Or la limite de l’un n’est pas nécessairement celle de l’autre ; il y a forcément quelque chose d’arbitraire dans les lois, et donc d’injuste. La justice, quant à elle, cherche à réparer quelque chose, à équilibrer les forces et ultimement à donner un sens à l’existence.

Antigone, c’est l’histoire de la loi qui n’arrive pas à répondre à notre insatiable soif de justice.

OLIVIER CHOINIÈRE, diplômé en 1996 en écriture de l’École nationale de théâtre du Canada, s’est fait connaître avec Le bain des raines (1998), finaliste au Prix du Gouverneur Général, comme plus tard ses pièces Venise-en-Québec (2006) et Nom de domaine (2013), puis par Autodafé (1999) et Félicité (2007). Mommy (2013) s’est valu quatre prix au gala des Cochons d’or, en plus d’être finaliste au prix Michel-Tremblay. Il a dirigé 50 acteurs dans Chante avec moi (2010), une pièce qui a remporté un prix de l’Association québécoise des critiques de théâtre. Sa dernière pièce, Ennemi public, a été créée en février 2015 au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Olivier Choinière s’est valu le prix Victor-Martyn-Lynch-Staunton pour les arts de la scène ainsi que le Prix Siminovitch 2014.

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Nathalie Boisvert, auteure d’Antigone au printemps

C’est le printemps, quelque part dans un Montréal qui s’échauffe. Du ciel tombe inexplicablement des oiseaux, ils s’amoncellent, font peur. La population demande des réponses, se mobilise. C’est le printemps, et Antigone, en deuil de sa famille brisée par un terrible secret, se trouve au centre d’une révolution qui ressemble à toutes les révolutions du monde, avec ses amours, ses morts, ses victoires, ses opposants, ses exaltations. Coincée entre Étéocle, son frère qui s’est engagé pour mater la population, et Polynice, avec qui elle lutte pour que la vérité soit étalée au grand jour, Antigone essaie tant bien que mal de garder sa famille intacte. Lorsque ses frères s’entretueront lors d’une manifestation et qu’on tentera d’utiliser le corps de Polynice comme pièce à conviction, Antigone, poussée dans ses derniers retranchements, part sur l’autoroute enneigée pour inhumer le corps de son frère, qu’elle a ravi aux autorités. Malgré la douleur et le déchirement que ça implique, malgré l’amoureux qu’elle laisse derrière, malgré les conséquences possibles de sa désobéissance civile, Antigone reste entière, intacte. Solitude de se tenir debout face à un système qui est corrompu, solitude d’une fille jeune, qui est prête à tout pour que les luttes et les efforts pour dénoncer le système n’aient pas été vains. C’est d’abord cette solitude qui m’a émue, chez elle.

NATHALIE BOISVERT, auteure de théâtre et de poésie est récipiendaire de plusieurs prix dont le prix Gratien-Gélinas 2007 pour Buffet chinois. Elle a plus de quinze pièces de théâtre à son actif dont L’Été des Martiens, jouée au Canada, en France, en Belgique et dans trois productions différentes en Allemagne. Elle se passionne aussi pour le processus de création en écriture et le coaching d’auteurs.

Marie-Claude Verdier

Voulant maintenir l’ordre dans la Cité suite aux violences, Créon interdit l’enterrement du traître Polynice. Mais ce faisant, il bouleverse les lois plus fondamentales de la dignité humaine qui sont à la base même du contrat social entre les humains. Antigone s’oppose à lui avec toute la radicalité de sa jeunesse. Personne, ni sa sœur, ni sa bonne, ni son amoureux Hémon et surtout pas Créon ne la feront fléchir. Antigone défie l’ordre et enterre Polynice, ce qui la condamne à mort. Son décès entraîne celui du désespéré Hémon puis de sa mère Eurydice. C’est une très amère victoire : Créon a réussi à maintenir son pouvoir mais au prix de la perte de son fils et de sa femme.

MARIE-CLAUDE VERDIER fait ses premiers pas en écriture théâtrale à l’adolescence lorsque son conte Paradise.com est sélectionné par le Théâtre le Clou pour le spectacles Les nouveaux Zurbains série III en 1999. Le texte est publié dans les recueils Les Zurbains chez Dramaturges éditeurs et dans Jamais de la Vie des éditions du Passage. Elle a poursuivi son parcours à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM en critique et dramaturgie et elle a fait une maîtrise sur la dramaturgie des musées à l’Université de Glasgow en Écosse. À l’automne 2013, sa première pièce, Je n’y suis plus, a été présentée au Théâtre français du Centre national des Arts, dans le cadre de la biennale Zones Théâtrales et à la Salle Fred-Barry du TDP à l’automne 2014.

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LES ZURBAINS 2017

S A L L E F R E D - B A R R Y / 2 7 AV R I L A U 12 M A I

T E X T E - K I M T H Ú Y E T Q U A T R E A U T E U R S A D O L E S C E N T S

M I S E E N S C È N E - M O N I Q U E G O S S E L I N

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MA PETITE DÉCLARATION D’AMOUR AU THÉÂTRE LE CLOU par Rébecca Déraspe

P O U R Q U O I ?

Cette moitié de saison du Théâtre Denise-Pelletier propose deux productions du Clou qui ont marqué leur histoire, Assoiffés et les traditionnels Zurbains. Il fallait donc rendre hommage à cette compagnie, qui fête ses 27 ans cette année.

- J. Bond

Quand le Théâtre Le Clou a été fondé, en 1989, par Monique Gosselin, Sylvain Scott et Benoît Vermeulen, j’avais cinq ans. Cinq petites années de vie qui ne connaissaient même pas l’existence de l’art théâtral. Pendant que je jouais aux poupées avec mes voisines et que je découvrais la forêt-pas-enchantée derrière chez moi, eux, ils créaient des spectacles éclatés, sensibles, drôles et immensément significatifs.

J’aurais vraiment aimé vous dire que leur premier spectacle a changé ma vie, mais malheureusement, j’étais loin d’être prête à entendre parler de sexualité, d’amour, de vie et de mort. TU PEUX TOUJOURS DANSER, écrit par Louis-Dominique Lavigne et mis en scène par Claude Poissant, a marqué l’entrée en scène de leur toute jeune compagnie. Les critiques de l’époque furent dithyrambiques et 330 représentations rencontrèrent le public adolescent à travers le Canada.

Puis vint leur deuxième création, JUSQU’AUX OS, pour laquelle Benoît Vermeulen a signé sa première mise en scène. Encore une fois, la réussite fut retentissante. Comme si la compagnie permettait au « fameux milieu » de se réconcilier avec le théâtre pour adolescents en offrant un spectacle éclaté dont les questionnements reflétaient réellement les enjeux et les réflexions du public cible, sans jamais compromettre les qualités artistiques. Quelque chose comme « du vrai de vrai » théâtre, pour un « vrai de vrai » public. On peut dire que c’est avec AU MOMENT DE SA DISPARITION, leur quatrième

création, que la compagnie s’est implantée pour de bon dans le paysage théâtral québécois. Et depuis, leurs créations fleurissent, voyagent et atteignent la tête, le cœur et l’esprit de moult spectateurs.

Visiter LE CLOU

Dans leurs locaux, on trouve toutes sortes de choses qui marquent l’imaginaire des visiteurs. Dans la salle de répétition, des morceaux épars de décor trainent ici et là. Dans la salle de bain, des affiches de toutes les créations (ou presque) des ZURBAINS sont accrochées aux murs. On devient quasi nostalgique juste à regarder tous les artistes de théâtre qui ont – un jour ou l’autre – fait partie de l’épopée. En grimpant les marches, on arrive dans les bureaux administratifs de la compagnie et c’est toujours une petite fête. Quand on s’arrête devant le frigidaire, on trouve des aimants de partout dans le monde : artéfacts des villes qui ont accueilli l’une ou l’autre de leurs créations. On trouve ici et là des boîtes de carton identifiées avec les titres des différents spectacles qui ont vu le jour, créés par l’un ou l’autre des directeurs artistiques. Ça donne envie de les ouvrir et de fouiller leur monde. Si vous êtes chanceux, vous pourrez peut-être tomber sur un directeur artistique se promenant en pantoufles. Entrer au Clou, c’est avoir envie d’enlever ses souliers et d’y rester au moins quelques heures pour réfléchir et rêver les profondeurs humaines. Mais attention ! Avec ou sans pantoufles, ils sont d’une rigueur infaillible. Et d’une honnêteté indéniable.

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Rencontrer LE CLOU

Pendant qu’eux repensaient la représentation théâtrale, moi, je grandissais. J’ai été une adolescente, puis une jeune adulte qui s’est mise à rêver d’écriture et de théâtre. J’ai rencontré l’École nationale de théâtre du Canada. J’ai appris à écrire, j’ai appris à prendre mes responsabilités comme auteure dramatique, j’ai même appris à plonger à l’intérieur de moi pour essayer – ne serait-ce qu’un peu – de cerner mon « propos ». J’ai appris à allumer la braise. Et à faire des feux avec. (C’est une métaphore très douteuse, j’en conviens. Mais j’ai aussi appris à accepter que parfois, les métaphores douteuses créent des images assez claires.) En sortant de l’école, j’avais beaucoup à dire, je voulais, je voulais, je voulais. Et c’est là que j’ai fait la rencontre de Monique Gosselin. La fillette de cinq ans que j’étais en 1989 était maintenant prête à rencontrer le Théâtre Le Clou et, surtout, à grandir encore un peu à son contact. Ils m’ont donné une des premières expériences professionnelles de ma carrière qui consistait à être « auteure-tutrice » pour le concours d’écriture dramatique LES ZURBAINS – concept qui donne la parole aux adolescents.

Étrangement, moi qui avais envie de dire, de parler, d’être entendue, j’allais plutôt entendre dire, entendre parler, les entendre, eux, être entendus. Et ça a été une expérience réellement bénéfique. En rencontrant Monique Gosselin, j’ai été tout de suite séduite par son naturel désarmant, son attachante anxiété. Faut dire que Monique n’est pas du type « je punch puis je rentre tranquillement à la maison m’étendre sur mon long divan pour siroter un breuvage réconfortant ». Monique prend ça à cœur. Du genre « peut-être que ça se peut que Monique ne dorme pas durant plusieurs nuits parce qu’elle se donne vraiment beaucoup tout au long du processus ». Faut dire que LES ZURBAINS, c’est une expérience réellement complète qui allie création artistique, médiation culturelle et apprentissage de l’écriture dramatique pour des dizaines d’adolescents chaque année. J’ai moi-

même accompagné plusieurs jeunes auteurs dans leur processus d’écriture et j’ai pu constater de l’intérieur l’impact que LES ZURBAINS peut avoir sur eux. Et Monique a à cœur ce projet ; tellement que comme collaboratrice je reçois des courriels la nuit, le matin, le soir et à d’autres moments farfelus. Elle est complètement là. Et c’est juste magnifique (et épuisant).

Aimer LE CLOU

Le Théâtre Le Clou a aujourd’hui vingt-sept ans. J’imagine que si j’avais encore quinze ans, je me dirais que c’est une compagnie de « vieux démodés » ; faut pas oublier, quand même, qu’à trente ans, on est adultes et qu’on fait nous-mêmes nos repas. Mais ce qui est formidable avec Le Clou, c’est que jamais (je vous le jure) jamais leurs créations ne sonnent comme la matante-gênante-dans-un-party-pour-ados. Au contraire. Les co-directeurs artistiques se préoccupent de leur public et lui présentent des spectacles qui les prennent pour ce qu’ils sont : des êtres intelligents, sensibles et complexes. Ils ont le désir de s’adresser aux adolescents, avec intégrité. Pas comme des pédagogues à l’agenda secret didactique, mais comme des artistes qui mettent à profit leur ingéniosité afin de parler du monde à leurs contemporains.

Bientôt, j’aurai la chance de faire entendre ma voix en l’alliant à celle de Sylvain Scott, de Benoît Landry et de Chloé Lacasse. Nous ferons rien de moins qu’une comédie musicale. Parce que Le Clou, c’est aussi ça : des créations ludiques et profondes qui se réfléchissent et s’inventent des années à l’avance.

En attendant, je vous souhaite une rencontre.

Une vraie.

Avec eux.

Et je vous souhaite d’être – tout comme moi – renversés par leur immense talent, leur réelle générosité et leur envie de continuer à s’adresser au monde en tentant de le transformer, un spectateur à la fois.

RÉBECCA DÉRASPE a complété le programme d’écriture dramatique de l’École nationale de Théâtre du Canada en mai 2010. Elle est l’auteure des textes Le Radeau (Théâtre de la Petite Marée, été 2011), Deux ans de votre vie (Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui, une production Les Biches Pensives, prix BMO auteur dramatique), Plus (+) que toi (Cercle Molière, Winnipeg, 2015), Votre crucifixion (Contes Urbains 2013, une production d’Ubi et Orbi, Théâtre La Licorne), Peau d’ours (Petit théâtre du Nord, été 2014, en lice pour le prix Michel-Tremblay), Le merveilleux voyage de Réal de Montréal (Théâtre de la Petite Marée, été 2014 – en coproduction avec le Théâtre Bouches Décousues), Nino (Théâtre POCHE/GVE, Genève, décembre 2016), Gamètes (La Petite Licorne, mars 2017). Elle fait partie du collectif endoscope.collectif qui a créé la pièce Ceci est un meurtre (Théâtre Aux Écuries, avril 2015.). Elle travaille aussi comme scénariste.

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C O N T E

ALLAH MAAK par Amin Guidara, présenté dans le cadre des Zurbains 2013

Le chant du coq me réveille. Il y a ensuite le muezzin

qui chante l’appel à la prière. Je pense bien que je vais

l’égorger un jour et le faire rôtir à feu doux. Le coq, pas

le muezzin. Bon, assez paressé, il faut que je me lève,

la vie ne me permet pas de me la couler douce. Mama

m’attend dans la cuisine et me sert du pain avec de la

harissa et de la pastèque. Je me souviens pas de la fois

où j’ai mangé autre chose que ça au petit déjeuner. Mais

il faut pas se plaindre, Mama elle a toujours été là pour

nous et on a jamais manqué de nourriture. Je me sers un

peu d’harissa. Je mets de l’huile d’olive sinon c’est trop

piquant. Je sais pas comment mon frère Salem fait, lui, il

tartine son pain de harissa et le dévore sans verser une

larme. Merde ! J’en ai trop mis ! Je lèche le goulot pour

essuyer le dégât. « Huile d’olive de Sfax ». Sfax, le moteur

économique du pays, Sfax le paradis pour les emplois,

P O U R Q U O I ?

Dans le cadre des 20 ans des Zurbains, il me semblait tout approprié de laisser parler un des jeunes auteurs qui a fait l’histoire des Zurbains à notre place. Étant tutrice pour la fin de semaine d’écriture à Québec depuis quelques années déjà, j’entendais souvent parler de Allah Maak. Durant le jury, à la lecture d’autres textes, souvent on comparait des histoires à celle d’Amin Guidara, qui avait marqué les juges à l’époque. Voici donc un texte complet choisi (parmi une foule de textes fabuleux envoyés par la passionnée des passionnées, Monique Gosselin) du fameux Allah Maak, que j’ai ENFIN pu lire.

- J. Bond

LES ZURBAINS 2017

Sfax mon ancien rêve. Je voulais partir d’ici, me rendre à Sfax, décrocher un boulot, faire un grand mariage avec les amis, la famille, plein de monde et des caméramans, avoir des enfants, les voir grandir, s’instruire. Je voulais partir d’ici, mais c’est impossible. Mama elle a besoin de moi, que je lui rapporte de l’argent sinon comment elle va faire pour s’occuper de Salem, Leïla et les autres ? Déjà que les murs de la maison s’effritent. Et qu’on remercie Dieu chaque fois que l’eau chaude coule... Je suis condamné à vivre ici. Sfax sera pour une autre vie, inchallah.

Il faut que je m’active, quel jour on est encore ? Leïla, déjà plongée dans ses livres, me répond à mi-voix qu’on est vendredi 17 décembre. Ma petite sœur Leïla, je suis tellement fier d’elle, elle rapporte toujours des bonnes notes à la maison et elle a gagné un prix d’excellence.

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MikhaÏl Ahooja dans Allah Maak

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Elle ira loin cette petite, je le sens. Quand je la regarde, j’ai honte de moi. J’ai toujours pensé à l’argent avant les études. À 14 ans, je travaillais parfois comme maçon et j’allais m’acheter des cigarettes, des Lucky Strike, pour frimer devant les filles. Les filles, elles étaient toutes belles, surtout Yaël, la fille de Haïm Bellaïche. Elle était tellement jolie, elle avait des yeux verts comme les bijoux et des cheveux longs longs longs et noirs tellement noirs c’était comme la nuit et des dents blanches c’était comme la neige. Elle était parfaite, elle était belle, intelligente et souriante. Mais j’ai jamais pu l’approcher, j’étais trop gêné. Après elle est partie, en France il paraît. Comme tous les juifs font, ils partent de chez eux. Par peur de l’ancien frère sûrement. J’ai plus jamais entendu parlé d’elle. Ensuite à 17-18 ans environ, j’ai abandonné le lycée. Il ne me restait qu’une seule année pour décrocher mon bac, mais j’ai fait le con. Je passais des heures à ne rien foutre au café en discutant foot autour d’une chicha aux deux pommes et du thé à la menthe avec des pignons. J’en ai bu à m’en rendre diabétique et j’en ai fumé à m’en rendre asthmatique.

Ma mère me tire de mes pensées. -Ya weldi, tu veux du café ? Elle y verse trois cuillerées de sucre. Au diable le diabète, y a plus grave que ça... Je l’avale d’un trait, et voilà que Salem rentre dans la cuisine avec le maillot de l’équipe nationale, un faux bien sûr. C’est celui que je mettais quand j’avais la même taille que lui. Il est tout déchiré maintenant. Il se désagrège petit à petit, un peu comme moi.

Bon, quel jour on est encore ? Vendredi 17 décembre, youm ejjomâa... Il faut que j’aille à la mosquée, ça me fera du bien. J’embrasse Mama, encore en train de faire la vaisselle en écoutant Faïrouz. J’embrasse les autres. J’ouvre à peine la porte pour sortir que Mama me gueule après. –Est-ce que tu veux mourir ? Va mettre un manteau tout de suite ! Non mais qu’est-ce que j’ai fait pour avoir un fils comme ça ? Après elle continue de se parler toute seule, elle dit que je veux la rendre folle et pardonnez-le

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Dieu il ne sait pas ce qu’il fait. Ce n’est pas le manteau qui causera ma perte. Je l’enfile et j’embrasse de nouveau Mama. Allah maak. Que Dieu soit avec toi.

Assalamu alaykum. Assalamu alaykum. Je me relève et je salue mes frères dans la mosquée. La plupart sont barbus, moi je trouve ça laid. Mama elle dit pour rigoler que c’est pour rattraper la soupe pour ceux qui savent pas la boire. Il me semble qu’il y a dix ans il y avait pas autant de barbus, ni de femmes voilées, surtout les niqabs. C’est dommage, les femmes sont si belles alors pourquoi les cacher ? Quand j’étais petit, Mama elle portait pas le voile alors pourquoi maintenant ? Je vois l’imam Trabelsi. On dirait qu’il me sent approcher. Il referme le Coran, se retourne vers moi et me fait un grand sourire. -Comment ça va ? Et la famille ça va ? Ta mère elle se porte bien ? Et ta sœur toujours aussi studieuse ? Ça fait longtemps que je t’ai vu, tu étais où ? Ton père jamais il manquait la prière du vendredi ! Eh bien justement, je ne suis pas mon père, et je le connais pas non plus. L’imam me recommande d’aller me recueillir sur sa tombe. Bah ça

ne fera pas de mal. J’ai encore du temps avant d’aller travailler. Mais juste avant de quitter, je lui demande pourquoi c’est toujours la misère ici. Il me cite une phrase du Coran : « Dieu n’impose à chaque homme que ce qu’il peut porter. » Hé bien moi je dois porter le poids de huit hommes. Je salue l’imam. Il m’offre sa bénédiction d’un Allah maak. Je quitte la mosquée Al-Habib, fraîchement rénovée. Comment se fait- il que tous les gens ici n’ont même pas assez d’argent pour bien vivre et que la mosquée a refait son minaret ? Bon, faut pas poser trop de questions, on touche pas à Allah, Mohammed et les autres. De toutes façons, ils ont bien fait ça, c’est très joli. Seule chose qu’ils auraient dû changer, c’est la qualité des haut-parleurs, vraiment, ça c’est horrible. En plus, y a un peu trop de mosquées. Quand il y a l’appel à la prière c’est légèrement décalé, et on comprend plus rien. Je peux vous dire qu’à 5h30 du mat’ c’est pas super agréable...

Je marche vers le cimetière et une femme m’interpelle pour que je lui achète un bouquet de jasmin. Je mets

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dans sa paume un dinar. Avec ça elle pourra s’acheter quelque chose au midi. J’adore le jasmin, il a une odeur si particulière, mais c’est trop dur à expliquer. Ça me rappelle le parfum de Najwa, une avocate devenue pute malgré elle à cause du chômage. Le jasmin est une toute petite fleur blanche avec quatre pétales. Au matin la fleur est toute renfermée, au fil de la journée elle s’ouvre petit à petit et au soir, elle meurt. Elle n’a pas le temps de savourer la vie, mais au moins elle n’a pas le temps de souffrir non plus. C’est vraiment très joli. Mama un jour elle m’a expliqué que lorsqu’un homme porte une fleur de jasmin à l’oreille gauche c’est qu’il est célibataire et que lorsqu’on offre du jasmin, c’est une preuve d’amour. Ça tombe bien, je vais voir mon père.

J’arrive au cimetière. Ça me fait toujours le même effet : je suis surpris et choqué de voir tant de tombes, tant de morts, c’est tellement sinistre, même si les tombes sont blanches. J’arrive devant celle de Taïeb Bouazizi 1952-1987. Taïeb Bouazizi, l’ouvrier agricole. Taïeb Bouazizi, mon père. Un père pendant trois ans.

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Un père de qui je n’ai aucun souvenir, juste un lien de sang et d’amour. -Baba, si tu n’étais pas mort, tout serait différent. Tu m’aurais sans doute obligé à poursuivre mes études. À quitter Sidi Bouzid pour aller travailler à Sfax ou à Tunis. Mais non, il a fallu que tu meures, que tu nous abandonnes. Moi aussi j’ai abandonné, et voilà que je suis marchand de clémentines sans licence pour rapporter chaque jour juste assez d’argent pour subvenir aux besoins de la famille. 10 dinars par jour, moins que le salaire minimum. Je n’ai plus de rêves, plus d’espoir, plus d’ambitions. J’espère seulement un jour acheter une camionnette pour ne plus avoir à pousser cette charrette de merde. Pourtant j’ai essayé, Baba. J’ai essayé de trouver un boulot acceptable, mais ils m’ont tous dit la même chose. Il n’y a pas de place pour toi, dégage. J’ai tout essayé. Si je fais si pitié, Baba, c’est à cause de toi. Pourquoi es-tu mort ? Pourquoi nous as-tu laissés tous seuls ? M’entends-tu là-haut ? Je dépose le bouquet. Il faut que j’aille travailler maintenant. Allah maak ya Baba.

Je dépose ma charrette sur la grande place juste devant l’édifice du gouvernorat. Chaque jour, je prends le risque de travailler ici. La police ne veut pas que je vende ici, mais j’ai nulle part où vendre moi ! Je n’ai pas de licence, mais comment est-ce que je pourrais en avoir une ? J’ai déjà déposé une demande à la municipalité, mais rien n’avance là-bas. Rien n’avance nulle part si tu n’as pas d’argent. Ils m’ont déjà confisqué ma marchandise auparavant, mais je ne peux plus me permettre ça, je n’ai plus un seul sou. – Ça fera 500 millimes, madame, merci, vous aussi. Elles sont belles mes clémentines, sidi, toutes fraîches ! Un dinar seulement puisque c’est vous ! Un autre sourire de débile, j’ai trop l’air con. Voilà Jamel qui arrive. Lui il vend des pastèques à l’autre bout de la plaza. En fait c’est lui qui me fournit pour le petit-déjeûner. Né orphelin, il a dû se débrouiller pour faire un peu d’argent pour survivre mais le travail ne lui a pas laissé le temps d’étudier, il a décroché. Il est devenu marchand de fruits à temps plein. Comme moi et comme plein d’autres à

Sidi Bouzid, ce trou de merde. Il m’offre une cigarette, on fume tranquillement. Putain, les flics s’avancent vers nous ! Je dis à Jamel de partir, ça sert à rien d’avoir des emmerdes à deux. Il hésite puis il part. Bordel de merde, qu’est-ce qu’ils vont me faire encore ? Depuis sept ans, ils volent mon argent, ils me donnent des amendes, ils prennent ma marchandise. Ici, le pauvre n’a pas le droit de vivre. L’agente me gueule après : - Tu n’as pas le droit de vendre ici, qu’est-ce que tu ne comprends pas ? Ton kiosque trouble l’ordre public. Je dois te confisquer ta balance. - Non ! Ne faites pas ça ! Ça m’a coûté une fortune ! S’il- vous-plaît madame... J’essaye de lui bloquer l’accès à la balance, et elle fout un coup de pied dans le kiosque. Tout déboule. Mon gagne-pain roule sur la rue. Je n’ai plus rien, plus rien du tout... Je crie. Elle me gifle. Je tombe, abasourdi. Tout le monde m’a vu. Tout le monde a vu une femme me gifler. Tant pis, je me relève, je cours vers le gouvernorat pour porter plainte, mais on me refuse l’accès, on dit que je suis un fauteur de troubles. Je veux seulement la justice ! Pourquoi ne me laisse- t-on pas travailler ? Je n’en peux plus.

Je me rends à la station d’essence, je vole un bidon et je reviens en courant sur la grande place. Ma vie ne sert plus à rien, je ne sers plus à rien, ni pour moi, ni pour ma famille, Kifesh thabni naïsh ? ! Je verse le bidon d’essence sur moi. Je sors ma boîte d’allumettes. J’en allume une. Je brûle. Je meurs deux semaines plus tard le 4 janvier 2011 suite à mes blessures. Des brûlures au troisième degré sur tout mon corps. Je m’appelle Mohamed Bouazizi et sans le vouloir, j’ai déclenché la révolution tunisienne.

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Président

Monsieur Pierre-Yves Desbiens * CPA, CA, CF, MBA Vice-président Finance et administration Institut NEOMED

Vice-présidente

Madame Nathalie Barthe * Vice-présidente UX/Design produit Logient

Trésorier

Sylvain Boucher * Associé, services de certification Ernst & Young s.r.l. / S.E.N.C.R.L.

Secrétaire

Benoit Lestage *, LLB, D. Fisc. Directeur principal Service de fiscalité internationale Mazars

Administrateurs

Philippe-A. Allard, CFA, AFC, Président PEAK MEDIA

Luc Bourgeois Comédien

Maxime Brault Architecte MAXIME BRAULT ARCHITECTE

Rémi Brousseau * Directeur général Théâtre Denise-Pelletier

Myriam Houde Directrice, communications internes, particuliers et entreprise Banque Nationale du Canada

Frédéric Jacques Directeur de projet MCKINSEY CANADA

Jean Leclerc Comédien et metteur en scène

Bernard Lessard, MBA, CPA, CMA, Directeur de portefeuille DEL (Développement économique de l’agglomération de Longueuil)

Claude Poissant * Directeur artistique Théâtre Denise-Pelletier

Président honoraire Gilles Pelletier

Directeur artistique Claude Poissant

Directeur général Rémi Brousseau

Adjointe à la direction générale Nathalie Godbout

Responsable des infrastructures et directeur technique Guy Caron

Directrice des communications Julie Houle

Adjointe aux communications Anaïs Bonotaux-Bouchard

Attachée de presse (Salle Denise-Pelletier) Isabelle Bleau

Relations de presse (Salle Fred-Barry) RuGicomm

Conseiller au directeur artistique Jean-Simon Traversy

Responsable des services scolaires Claudia Dupont

Adjointe aux services scolaires Stéphanie Delaunay

Gérant Marc-André Perrone

Préposées au guichet Geneviève Bédard Jacynthe Legault Éric Champoux

Chef machiniste Pierre Léveillé

Chef éclairagiste Michel Chartrand

Chef sonorisateur Claude Cyr

Chef habilleuse Louise Desfossés

Chef cintrier Pierre Lachapelle

Coordonnateur technique (Salle Fred-Barry) Ghislain Dufour

Techniciens Xavier Berthiaume Maïté Bonotaux-Bouchard Raphaël Bussières Anthony Cantara Frédéricke Chartrand Patrice D’Aragon Laurent Duceppe Mathieu Dumont

L ’ É Q U I P E D U T H É Â T R E D E N I S E - P E L L E T I E R

Martin Dussault Michel Dussault Sébastien Fillion Alexandre Gohier Robin Kittel-Ouimet Marjorie Lefebvre Ève Léveillé Louis Léveillé Jonathan Pape Serge Pelletier Carlos Diogo Pinto Luc Racine Martha Rodriguez Michel Terrien

Responsable de l’entretien Patrice Jolin

Préposé à l’entretien Éric Belleau

Accueil Jean-Daniel Bélanger Ghislain Blouin Éric Champoux Benjamin Charrette Félix Dubé-Pache Myriam Fugère Shannie Godin Charles-Aubey Houde Tommy Joubert Lyne Labrie Collette Lemay Annie-Claude Letarte Marcie Michaud-Gagnon Marie Mumm Rico Étienne Raymond Jean St-Pierre

Bénévoles Lucette Bernèche Gratia Dumas Aline Gauthier Andrée Hassel Carmen Lebrun Janine Limoges Nicole Poulin

* Membres du comité exécutif

C O N S E I L D ’A D M I N I S T R A T I O N

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