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178 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDlÉVALE, 52, 2009 COMPTES RENDUS absente des récits de pèlerinage médiévaux. L' . consacre peu de pages à la Galice et note curi sement : «Les étapes deviennent plus rares et moins spectaculaires. On a l'impression qu'il n'y avait plus de haltes pour les pèlerins. Si rès du but il n'y avait plus d'intérêt à des st tions ou il aurait valu la peine de s'arrêter » (p 173). N'est-ce pas là un signe que les mon ents décrits précédemment avaient leur raiso d'être locale, indépendante des pèlerins? L' . oublie que Le Cebreiro était un lieu de pèl rinage à Santa María la Real. Le ròle politique de Saint- Jacques-de-Compostelle, dont «le dévelop- pement est allé de pair avec celui du elerinage» (p. 184) est passé sous siIence. Mai le lecteur apprend que «les pèlerins étaient ssociés à la construction de la cathédrale - e acun devant apporter au chantier au moins e pierre du chemin » (p. 185). Après avoir ra pelé quelques éléments classiques des origines de la Recon- quista, l'A. rapporte une légend originale: en 722, la Vierge serait apparue Pélage en lui montrant une croix de bois qui lui assurerait la victoire. Recouverte d'or et d pierreries, cette croix, connue sous le nom de Croix de la Victoire, est conservée dans la Camara santa d'Oviedo (ill. p. 223). Le souvenir de cette apparition de la «Vierge des batailles» est conservé à Covadonga (p. 09). Un dossier d'annexes con lut cet ouvrage avec les légendes détaillées es illustrations, une chronologie conséquente quatre pages). Malheu- reusement, il manque u e liste des illustrations qui faciliterait les rech ches ainsi qu'un index des noms cités qui fe ait de cet ouvrage un instrument de travail lus efficace. Concernant la bibliographie, l'A. a consulté des auteurs français dont le plus récent est Marcel Durliat (1990). Les autres ou 'rages de Jacques Fontaine et Yves Bottineau s nt tous antérieurs à 1987. Enfin, l'A. propose ux cartes : celle des chemins en Espagne situant s principales villes et édifices et celle des che . s en Europe, carte politique du Conseil de l'E ope de 1987, sans base seien- tifique et en deh rs du sujet de l'ouvrage. 11 s'agit, en résu é, d'un beau livre d'art, mais fondé sur l'hist ire du pèlerinage des années 1980. 11 vaut p r la qualité des photographies et par les infor ations sur les monuments qu'il présente. L'abs nce d'index et de liste des illus- trations rend s n utilisation difficile. L'ouvrage a donné lieu à une édition française, dans une traduction de Dorian Astor : La route de Compostelle : le chemin de Saint-Il ,cques, Paris, 2005. La photographie de couve ture et divers choix typographiques en font un ouvrage plus élégant et encore plus agréable à nsulter. Une différence majeure apparaït dans la traduction de Camino francés; Ch min eles Francs dans l'édition allemande, i devient Chemin des français (ignorance o chauvi- nisme ?). Le texte du rabat de cou rture met mieux en valeur l'intérêt de l'ou rage pour l'étude de l'architecture et de 1 sculpture médiévale de part et d'autre des Py énées. Mais il souligne le role supposé de Cluny dans l'orga- nisation du pèlerinage et accentue l'importance de la vision historique erronée de l'ouvrage. Denise PÉRI avec Louis Víctor FARÍAs,Ramon MARTÍ,Aymat CATAFAU. - Las sagreres a la Catalunya medieval. Gérone, Documenta Universitaria, 2007, 249 pp. (Biblioteca d'história rural). La Catalogne est devenue le principal labora- toire de la réflexion sur la féodalité : belle revanche sur le schéma de la féodalité « classique », « d'entre Loire et Rhin » ! Cela est du non seulement au dynamisme et à la cornpé- tence de ses médiévistes mais aussi à l'extraor- dinaire qualité de ses archives : nulle part ailleurs on ne pourrait dire, comme le fait L. Tó en introduction, qu'il reste beaucoup de documen- tation du XI" s. encore à défricher pour avancer des idées plus fortement fondées (ceci en dépit de l'impressionnant effort d'édition rendant ces textes plus accessibles). Cette vigueur de la recherche catalane est bien exprimée par l'orga- nisation d'Ulle journée d'étude en 2000 par deux institutions culturelles, I'Association d'histoire rurale des pays de Gérone et le Centre d'his- toire rural d'un institut catalaniste de l'Uni- versité de Gérone, et par sa publication dans une excellente et déjà riche « Bibliothèque d'his- toire rurale » (éditée par la susdite association). Malgré l'existence d'une active Association d'his- toire et des sociétés rurales en France, les rares médiévistes français travaillant encore en histoire rurale se prennent à rêver d'un tel dynamisme à l'échelle d'une seule région française ... Dans le flot décourageant de l'historiographie médiévistique catalane, ce petit volume ajoute une pierre fort utile ; il rassemble trois synthèses complémentaires de trois des principaux spécia-

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absente des récits de pèlerinage médiévaux. L' .consacre peu de pages à la Galice et note curisement : «Les étapes deviennent plus rares etmoins spectaculaires. On a l'impression qu'il n'yavait plus de haltes pour les pèlerins. Si rèsdu but il n'y avait plus d'intérêt à des st tionsou il aurait valu la peine de s'arrêter » (p 173).N'est-ce pas là un signe que les mon entsdécrits précédemment avaient leur raiso d'êtrelocale, indépendante des pèlerins? L' . oublieque Le Cebreiro était un lieu de pèl rinage àSanta María la Real. Le ròle politique de Saint-Jacques-de-Compostelle, dont «le dévelop-pement est allé de pair avec celui du elerinage»(p. 184) est passé sous siIence. Mai le lecteurapprend que «les pèlerins étaient ssociés à laconstruction de la cathédrale - e acun devantapporter au chantier au moins e pierre duchemin » (p. 185). Après avoir ra pelé quelqueséléments classiques des origines de la Recon-quista, l'A. rapporte une légend originale: en722, la Vierge serait apparue Pélage en luimontrant une croix de bois qui lui assurerait lavictoire. Recouverte d'or et d pierreries, cettecroix, connue sous le nom de Croix de laVictoire, est conservée dans la Camara santad'Oviedo (ill. p. 223). Le souvenir de cetteapparition de la «Vierge des batailles» estconservé à Covadonga (p. 09).Un dossier d'annexes con lut cet ouvrage avecles légendes détaillées es illustrations, unechronologie conséquente quatre pages). Malheu-reusement, il manque u e liste des illustrationsqui faciliterait les rech ches ainsi qu'un indexdes noms cités qui fe ait de cet ouvrage uninstrument de travail lus efficace. Concernantla bibliographie, l'A. a consulté des auteursfrançais dont le plus récent est Marcel Durliat(1990). Les autres ou 'rages de Jacques Fontaineet Yves Bottineau s nt tous antérieurs à 1987.Enfin, l'A. propose ux cartes : celle des cheminsen Espagne situant s principales villes et édificeset celle des che . s en Europe, carte politiquedu Conseil de l'E ope de 1987, sans base seien-tifique et en deh rs du sujet de l'ouvrage.11 s'agit, en résu é, d'un beau livre d'art, maisfondé sur l'hist ire du pèlerinage des années1980. 11 vaut p r la qualité des photographieset par les infor ations sur les monuments qu'ilprésente. L'abs nce d'index et de liste des illus-trations rend s n utilisation difficile.L'ouvrage a donné lieu à une édition française,dans une traduction de Dorian Astor : La route

de Compostelle : le chemin de Saint-Il ,cques,Paris, 2005. La photographie de couve ture etdivers choix typographiques en font un ouvrageplus élégant et encore plus agréable à nsulter.Une différence majeure apparaït dans latraduction de Camino francés; Ch min elesFrancs dans l'édition allemande, i devientChemin des français (ignorance o chauvi-nisme ?). Le texte du rabat de cou rture metmieux en valeur l'intérêt de l'ou rage pourl'étude de l'architecture et de 1 sculpturemédiévale de part et d'autre des Py énées. Maisil souligne le role supposé de Cluny dans l'orga-nisation du pèlerinage et accentue l'importancede la vision historique erronée de l'ouvrage.

Denise PÉRIavec Louis

Víctor FARÍAs,Ramon MARTÍ,Aymat CATAFAU.- Las sagreres a la Catalunya medieval.Gérone, Documenta Universitaria, 2007,249 pp. (Biblioteca d'história rural).

La Catalogne est devenue le principal labora-toire de la réflexion sur la féodalité : bellerevanche sur le schéma de la féodalité« classique », « d'entre Loire et Rhin » ! Cela estdu non seulement au dynamisme et à la cornpé-tence de ses médiévistes mais aussi à l'extraor-dinaire qualité de ses archives : nulle part ailleurson ne pourrait dire, comme le fait L. Tó enintroduction, qu'il reste beaucoup de documen-tation du XI" s. encore à défricher pour avancerdes idées plus fortement fondées (ceci en dépitde l'impressionnant effort d'édition rendant cestextes plus accessibles). Cette vigueur de larecherche catalane est bien exprimée par l'orga-nisation d'Ulle journée d'étude en 2000 par deuxinstitutions culturelles, I'Association d'histoirerurale des pays de Gérone et le Centre d'his-toire rural d'un institut catalaniste de l'Uni-versité de Gérone, et par sa publication dansune excellente et déjà riche « Bibliothèque d'his-toire rurale » (éditée par la susdite association).Malgré l'existence d'une active Association d'his-toire et des sociétés rurales en France, les raresmédiévistes français travaillant encore en histoirerurale se prennent à rêver d'un tel dynamismeà l'échelle d'une seule région française ...Dans le flot décourageant de l'historiographiemédiévistique catalane, ce petit volume ajouteune pierre fort utile ; il rassemble trois synthèsescomplémentaires de trois des principaux spécia-

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VÍCTOR FARÍAS, RAMO MARTÍ, AYMAT CATAFAU 179

listes «catal'a~s» de la féodalité (dont le« français » A. Catafau, maïtre de conférences àl'Université de Perpignan), ceux qui ont le pluscontribué à faire repartir la réflexion sur lessagreres à partir de la fin des années 1980. Ona done là la présentation, pourvue d'une biblio-graphie générale in fine, de deux décennies derecherches sur ce thème, dans les textes et surle terrain, sous forme de trois mises au pointrésumant les travaux, qui sont souvent ceux desAA. eux-mêmes. L'excellente présentation parL. Tó, en introduction, de l'historiographie(ensuite détaillée par R. Martí) dispense deresituer ici ce courant de recherches autrementqu'à grands traits, et plutót du point de vue del'historiographie française.

Le problème abordé est un classique pour lesmédiévistes, notamment juristes, qui ont étudiéles institutions de paix des régions ou la violencechevaleresque a sévi : le périmètre légal deséglises (atrium), que les conciles, dès l'époquewisigothique (lO" canon du XIle concile deTolède), ont rendu inviolable isacraria, en catalansagrera) et dont l'époque féodale a fait un largeusage pour préserver les intérêts et la sécuritédes clercs et au tres inermes. L'approchematérielIe est venue compléter la perspectivejuridique en étudiant la formation des «habitatsecclésiaux» et du cimetière chrétien (sépulturead sanctos), dont un des plus curieux avatarsest le «cimetière habité ». En Catalogne, lagrande thèse de P. Bonnassie, qui reste le pointde départ des études de ce volume malgré sonorientation très économique, a bien éclairé lesformes les plus brutales de la «révolutionIéodale » ; on comprend done l'intérêt des médié-vistes étudiant ces régions pour les institutionsqui se mettent en place dans ce contexte. Dansune région aussi fragmentée (topographi-quement), riche, peuplée, diverse (divisée enmultiples comtés à la forte identité politique)et encore plus diversifiée par la localisationintense des pouvoirs à partir du XI" s., les nuancessusceptibles d'être apportées à une interprétationgénérale ne manquent pas, tant sont variées lesformes que peuvent y prendre les liens sociaux;d'ailleurs les trois contributions portent sur tro iszones bien distinctes, quoique toutes inclusesdans la vieille Catalogne historique (au nord leRoussillon, au centre la région de Gérone etau sud le diocèse de Barcelone).Plus que sm les origines des sagreres, c'est surles modalités de leur diffusion que se focalisent

ces études. Une des nuances les plus intéres-santes au schéma classique «clergé + peuplecontre féodaux laïcs» consiste dans l'instrumen-talisation des sagreres par les seigneurs féodaux ;de même, malgré le choix (logique) par les AA.d'un cadre ecclésiastique, le diocèse, pour leurétude, le ròle respectif du clergé et des popula-tions peut être scruté dans toutes ses modalitéslocal es, gràce à l'abondance des écrits(notamment les actes de dédicace des églises,édités par R. Ordeig); enfin, le recoupementdes sources écrites avec les données matérielIes(soit élaborées par d'autres, comme l'actifarchéologue J. Bolós, soit par les AA. eux-mêmes, tel A. Catafau), malgré les contradic-tions que certains intégristes présentent commeinsurmontables, permet de faire avancer ledossier de la «morphogenèse» des habitatsgroupés ouvert depuis quinze ans par M. Bourin'.

Au-delà de leur évident intérêt régional, cesprécisions permettent surtout de réinterpréterglobalement le phénomène féodal; en effet,l'ensagrerament catalan, dans sa modalité deconcentration de l'habitat, se rattache auxschémas généraux proposés pour l'évolution dupeuplement, incastellamento et encelIulement, etla Catalogne s'insère aussi dans le vaste réseauculturel (qui est celui des évêques clunisiens« grégoriens ») de diffusion des institutions depaix à partir du foyer aquitain, malgré la spéci-ficité ibérique de la tradition juridique wisigo-thique du droit d'asile.La contribution de V. Farías Zurita, enrichie dedix textes en annexe (curieusement dispersés ausein de l'article) et de cartes de localisation,porte sur «La proclamation de la paix et l'édi-fication des cimetières. Sm la diffusion dessagreres dans les évêchés de Barcelone et Gérone(XI"-XIII" s.)>>; elle résume et actualise sa thèseinédite (1989), dont l'ambition synthétique étaitpeut-être desservie par la rareté des monogra-phies de sagreres.

1. Les sagreres y étaient d'ailleurs déjà présentes, avecla contribution de Pierre BONNASSJE, «Aux origines desvillages ecclésiaux circulaires : les sagreres catalanes duXl' siècle », dans Morphogenèse du village médiéval (1X'-XII' siècle). Actes de la table ronde de Montpellier, 22-23 février1993, éd. M. BOURIN et al., Montpellier, Association pourla connaissance du patrimoine du Languedoc-Roussillon,1996 (Cahiers du patrimoine, 46), p. 113-121.

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180 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDIÉVALE, 52,2009 COMPTES RENDUS

En bonne méthode, il commence par observerla diversité du lexique, sagrera (décliné en latinen sacraria et sacrarium, à distinguer), cellera(vocable propre à la Catalogne nord-pyrénéenne)et cimiterium ; puis il observe le rythme dediffusion des mentions textuelles, à partir deleur apparition dans les années 1020, avec uneforte concentration dans les années 1075-1125;la distribution spatiale, à l'échelle régionale, deces mentions montre une localisation préféren-tielle dans les zones de plaine mais rarementsur le littoral même. La topographie locale dessagreres est plus difficile à aborder à travers lesseuls textes; dans l'interprétation du richelexique désignant les batiments (et silos),V. Farías incline pour une fonction principa-lement d'emmagasinage - dont on se demandesi elle s'exerce collectivement ou individuel-lement.

Après une brève phase «populaire» (années1020-1240), la paix de Dieu est récupérée parles élites féodales (dont sont issus les évêques) ;mais, au XIle s., c'est le comte qui réussit à sedégager de ces élites et à réintégrer cette paixecclésiastique dans sa justice. Entre-temps, lacrise du pouvoir comtal a permís aux évêquesde construire leur propre justice pour garantirmatériellement l'inviolabilité des sagreres, en sefondant sur la tradition carolingienne de parti-cipation épiscopale à la lutte plus généralecontre le crime. Il faut done remettre en causedeux éléments du «schéma canonique» : a) lerefuge dans les périmètres protégés semble êtreune initiative populaire, ensuite organisée parles conciles de paix; b) la multiplication dessagreres s'opère après la flambée des violenceschevaleresques, comme un moyen de controlesocial (par l'habitat) - et d'organisation patri-moniale, au vu des nombreux biens épiscopauxet canoniaux dans les sagreres.

En fait, le mouvement de concentration del'habitat dans les sagreres arrange jusqu'auxélites laïques, contre qui il est pourtant dirigé :celles-ci sont largement possessionnées dans ceslieux, et, malgré l'abandon à l'Église de certainsde leurs droits (les « restitutions grégoriennes »),culminant au XII" s., elles les utilisent pourréguler leur seigneurie.

À la suite de ce panorama général, qui manqueun peu de conclusions problématiques, la longuecontribution de R. Martí (<< L'ensagrerament :usages d'un concept ») alterne de longues

analyses érudites avec des parties plus historio-graphiques et conceptuelles. L'A. discute d'aborddes fonctions des sagreres dans l'ensemble del'évolution sociale : ne s'agit-il pas de l'instru-mentalisation d'une institution cléricale par lescommunautés paysannes (l-P. Cuvillier) ou d'uneétape dans la fixation du réseau paroissial ? Onpeut se demander si la diversité des analysesn'est pas liée à la diversité, à l'échelle locale,des situations et évolutions - et l'A. lui-mêmefonde son approche en ce domaine sur la seuledocumentation géronaise, en énumérantminutieusement des séries de témoignages.

R. Martí critique efficacement les mentions desagreres antérieures à 1030, qui ont fondé lathèse de leur origine «populaire» (thèse encoresoutenue, quoique avec prudence, parA. Catafau); ces forgeries, de même que lesactes douteux de conciles de paix, montrentrétrospectivement que la sagrera est devenue auxn- S. un mode majeur d'organisation juridiquedes hommes et de leurs activités. Il montreégalement que la grégorianisation de la paix deDieu profite largement à l'autorité comtale, etcompare utilement le mouvement de paix catalanavec la tradition juridique léonaise.

Les données matérielles, encore peu nombreuses(sauf pour le Vallès, dans le diocèse deBarcelone) - le principal cas géronais étant lafouille de Caulers par M. Riu, publiée en 1975 !- induisent que la sacraria est réellement unesacristie au départ et le demeure sou vent, sanseffets notables sur la périphérie immédiate dutemple (cf. les reproductions de que Iques plansd'églises fouillées en fin de volume). Ces donnéescontredisent souvent la simple lecture topogra-phique des sagreres «originelles », à laquellesont réduits beaucoup de travaux, qui est renduedifficile par les évolutions postérieures de ceszones souvent intensément utilisées. Au vu dela présentation des fouilles l'une après l'autre,la généralisation reste difficile - sinon pour ladistinction entre sagreres fortifiées ou non -quant aux formes d'occupation de la sacraria(périmètre légal et réel, nécropoles, batiments),à leurs rapports chronologiques et done à leurinterprétation sociale (greniers féodaux, ecclé-siaux, particuliers ?). Les fouilles semblentdonner raison à l'emploi roussillonnais duvocable «cellier» : dans et autour de l'église,comme dans les castra, s'agglutinent grandsgreniers et silos, parfois avant même l'institu-tionnalisation des sagreres. A-t-on fouillé surtout

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VÍcrOR FARÍAS, RAMON MARTÍ, AYMAT CATAFAU 181

des églises restées isolées, alors que les églisesà sagrera mentionnées abondamrnent par lestext es seraient des cons truc tions neuves? Cestla fonction cimetériale qui harmonise le mieuxles données textuelles et matérielles : dans cetterégion, ce serait le succès de la sépulture adsanctos qui obligerait à transformer l'espace péri-ecclésial en alieu ecclésiastique, engendrantensuite la sagrera dans les années 1060 (ce quiexplique sa durable appellation cimiterium) ; plusque de «cimetière habité », il faut parler decimetière occupé par d'antres emprises que lestombes.

En conclusion, l'A. récuse le modèlesagreralrefuge « anti-chevaliers » et en infère uneremis e en cause de la «mutation féodale », danssa modalité de rupture générale de l'ordrepublic; il rejoint - alors que cet ouvrage n'est,curieusement, jamais cité dans ce volume - lathèse proposée par R. Moore, pour qui lavéritable révolution est l'établissement d'unordre grégorien, plus que la féodalisation despouvoirs (La première révolution européenne}("-XIII' siècle, Paris, 2001). En mêrne temps,comme les dimes remplissant les vastes magasinsdes sacristies sont tenues en fief par les miliceschevaleresques local es, il n'y a pas contr adictiontotale entre clercs grégoriens et seigneurs laïcs,

La contribution d'A. Catafau, relative aux«celleres du Roussillon, du rnilieu du XIII" à lafin du xv: siècle. Permanences et évolutionsd'une forme de structuration du peuplement »,permet, par sa chronologie basse (qui est unecontrainte documentaire au tant qu'un choixépistémologique), d'éloigner «l'idole desorigines» dont ce sujet n'est pas toujoursexempt; cela permet d'insérer cettestructure/institution dans le mouvement socialglobal et de longue durée au lieu d'en faire laclé du système íéodal', autrement dit d'avoirune conception fonctionnaliste plus qu'essentia-liste. Toutefois, ce partage chronologique réaliséentre auteurs rend un peu artificiel un exposéqui aborde directement les usages tardifs descelleres, sans que soient exposées dans le volumeleurs formes et fonctions plus aneiennes danscette zone', Dans cette étude, l'usage régressif

2. Après tout, beaucoup de régions se sont passées decette structure dans leur organisation féodale ...

3. On prendra aisément connaissance de la thèsed'Aymat CATAFAU,Les Celleres et la naissance du village

d'une documentation planimétrique, forcémenttardive (dont l'A. fournit quelques reproduc-tions, en sus d'une earte de loealisations), estinévitable - et l'on est surpris que les autresauteurs n'en fassent pas mention, comme sil'abondance des ehartes permettait de recons-tituer un cadastre! -, mais elle est risquée quandles actes sont rares'.Les analyses minutieuses de la documentationécrite, notamment les précieux terriers du roide Majorque pour la fin du XIII" S. (dont l'éditionest d'ailleurs en cours) , permettent de recons-tituer les évolutions du paysage arehiteetural.Sur les quelque soixante-cinq celleres rous-sillonnais attestés (et une trentaine deprobables), les abandons semblent rares, quoiquela rareté de la documentation antérieure auXIII" s. fausse un peu le raisonnement; quelquesautres sont des greniers ayant réellement servià la population mais ensuite accaparés par desrésidences cléricales - mais une autre modalité,la transformation de la cellera (pur ensemblede greniers à l'origine) en quartier d'habitation(barri), dans lequel on trouve mêrne des mas,est beaucoup plus fréquente. Toutefois, au moinsune moitié des celleres conserve jusqu'à la findu Moyen Àge des magasins, et ces zones restentle cceur fonctionnel des villages qui se sontparfois agglutinés autour (principalement dansla plaine du Roussillon).

Au sein des celleres, les rapports spatiaux entreéglise, eimetière et entrepóts puis enceinte, santcomplexes, avec de multiples déplacements etréorganisations avant une fixation provisoire aubas Moyen Àge, quand ces espaces prennent lenom de força ou castell (puis de nouvelles évolu-tions jusqu'au XIXe s.) ; on entrevoit la complexitéde la lecture proposée aux archéologues si l'onpouvait fouiller ces zones... Sur le plan socio-politique, la paix de Dieu joue un róle mineurà l'origine des celleres, mais les seigneurs fonciers

en Roussillon (x<-xv siècle), Perpignan, Presses universitairesde Perpignan, 1998, qui fonde l'exposé de l'A. (malgré descompléments et rectifications dans ses travaux postérieurs)dans le compte rendu de l'ouvrage par Laurent FELLERdans Histoire et sociécés ruraies, 14, 2000, p. 255-257.

4. Les débats méthodologiques autour du travaild'A. Catafau sont résumés par l'A. dans «Les celleres duRoussillon, mises au point et discussions », Cahiers deFanjeaux, 40 l= L'église au village. Lieux, formes el enieuxdes pratiques religieuses], 2006, p. 17-40.

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ecclésiastiques y implantent des entrepòts pourleurs rentes; mais ce sont surtout les féodauxlaïcs qui s'y installent et les acquièrent parfoisen totalité, les transformant en instrument dedornination complémentaire.

Enfin, A. Catafau positionne clairement lessagreres dans la problématique de l'incastella-mento, en abordant leurs rapports topogra-phiques avec les castra. Aux celleres ecc\ésiauxdu XI' S. constitués sur les cimetières, qui n'ontpas rassemblé les résidences mais seulement lesréserves, les maitres des chàteaux (qui ontpolarisé des territoires castraux dans lesquels setrouvent souvent plusieurs celleres) rajoutent auxXIle-XIII" S. des cellariae castri, sou vent au piedde la fortification (cas de La Roque d' Albère),qui concurrencent la fonction d'entrepòt desprécédents et, plus encore, réussissent àregrouper une partie de l'habitat semi-dispersédes mas; autrement dit, une «récupération»totale de l'institution, mais pas in situ!

Regrouper les hommes ou regrouper leursrichesses? C'est la seconde solution qui a étéchoisie en Catalogne, selon une logique seigneu-riale que l'on est tenté de qualifier d'écono-mique. Une bonne partie des habitats médiévauxcatalans ont été liés aux sagreres et celLeres,même s'ils n'en sont pas forcément issus. Maiscertains problèmes restent difficiles à résoudre,car, malgré la richesse des actes de la pratiquedans les comtés catalans sud-pyrénéens, raressont les sagreres à avoir été étudiées de façonmonographique, sauf précisément dans la thèsed'A. Catafau : a) comme tous les habitatscollectifs, les sagreres regroupent les bàtimentsavec un succès très variable; b) les fonctionsmatérielles de ces habitats (résidence et/ouentrepêt, réserves privées ou fiscales) échappentparfois à l'interprétation, et les droits sur euxsemblent évoluer considérablement; c) de cefait, leur ròle dans la coalescence d'un habitatsouvent dispersé en mas reste difficile à évaluer.

D'ailleurs, sur ce dernier point, à l'exceptiond'A. Catafau, les AA. de ce .volume, focaliséssur le ròle des sagreres dans la réorganisationdes pouvoirs (et même SUI' la tradition juridiquedes canons de paix, cf. R. Martí), n'adoptentpas franchement l'optique du peuplement et dela territorialisation; de ce point de vue, il nefaut pas raisonner à population constante, maisenvisager que ces habitats agglomérés accueillentseulement les surplus d'une population en forte

"

croissance démographique, qui, de ce fait, n'aban-donne pas forcément les mas dispersés; parailleurs, malgré l'acquisition de monopoles parles églises (la sépulture et la concentration desdimes', voire la sécurité des personnes et desbiens), il faut s'interroger sur la lenteur de laparoissialisation - dans les régions d'habitatdispersé, les églises à fonctions centrales sonttrop nornbreuses pour attirer fortement et pourpolariser un territoire".

Au-deià de ce choix méthodologique, on observeque les AA., en suivant des chemins différents,finissent par con verger sur plusieurs points. Lesconciles de paix nous font penser que l'agglo-mération des hommes autour des églises est unmouvement initié et contrêlé par les clercs, dansleur désir «grégorien» bien réel de prendre enmain toute la société ; ce serait done un « contre-incastellamento ». En fait, l'ensagrerament estbeaucoup moins clair, car les élites s'accom-modent entre elles (thèse de 1. M. Salrach) pourse partager les cens paroissiaux croissants, mêmesi l'institutionnalisation de la paix contraint lesféodaux à un peu plus de sacrifices. Par ailleurs,on ne peut écarter totalement, au moins pourle Roussillon, le ròle des initiatives populairesdans la formation matérielle originelle dessagreres; sur ce point, il me semble que lastructure même de la documentation (normesconciliaires, notices de plaids, traosactionsvénales), manquant de documents synthétiqueset descriptifs pour les Xe-XII" s., rendra toujoursincertaine la détermination du ròle de l'Église,des puissants laïcs et des communautéspopulaires dans les premiers temps. Mais c'estfinalement le destin de toute la recherche surles insaisissables «origines du village », commesur la «révolu tion féodale» ...

Pour finir, malgré les incontestables services querend ce livre, on peut regretter le curieux formatchoisi pour le publier. Même si les trois contri-butions réunies ici sont forcément complémen-

5. Le réseau d'églises décimales couvre bien certaineszones catalanes dès la fin du IX' S. !

6. Cf. L'habitat dispersé dans l'Europe médiévale etmoderne. Actes des XVIII' journées iniemationales d'histoirede l'abboye de Fiaran 15-16-17 septembre 1996, éd.B. CURSEl',TE, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1999(notamment l'article de Luis Tó) et Daniel PICHOT, Levillage éclaté. Habitat et société dans les campagnes de l'Questau Moyen Age, Rennes, Presses universitaires de Rennes,2002 et la revue Médiévaies, 49 l= La paroisse], 2005.

Page 6: 178 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDlÉVALE, 52,2009 COMPTES … · 180 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDIÉVALE, 52,2009 COMPTES RENDUS En bonne méthode, il commence par observer la diversité

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taires sur le fond (en dépit des différencesd'interprétation, qui ne sont nullement gênantes),leur assemblage constitue un puzzle pasforcément ajustable dans la forme, d'autant plusque les deux premières contributions sont sansconclusions; pour un volume qui reste justementde taille modeste, on aurait pu souhaiter unevéritable synthèse, étant bien entendu que celle-ci ne serait que provisoire : la parfaite maïtrisedu sujet par les trois AA. les désignait préci-sément à cet effet... Ou alors, une série plusvolumineuse de contributions ponctuelles et plusbrèves exposant les derniers acquis desrecherches.

Stéphane BorSSELLIER.

Fernando GONZÀLEZMUÑoz, éd. trad. [esp].Exposición y refutacion del Islam: La v 'siónlatina de las epistolas de al-Hàsimi ]y al-Kindi. La Corogne, Universidade da oruña,2005, CXXXVIII-290 pp. (Monografí s,llI).

F. Gonzalez Muñoz présente une édititraduction espagnole de l'un des text les pluslus sur l'islam en Europe entre le xuc et leXVIC s., texte qui se présente sous la orme d'unéchange épistolaire entre un mus lman (al-Hàsimí) et un chrétien (al-Kindí) tous deuxproches du calife abbasside al-M 'rnün (813-834). En fait, les deux lettres, écri es en arabe,sont sans doute l'ceuvre d'un chré ien anonymedu IXe ou du xe s. Dans la pre ière lettre, Ieprétendu musulman présente l'i arn à un amichrétien nestorien et l'invite à s convertir; enréponse, le chrétien expose ne longue etrninutieuse réfutation de l'isla accompagnéed'une défense du christianism et invite à sontour son ami musulman à se e nvertir. La Lettredu chrétien est à la fois apologétique etpolémique : elle professe I Trinité tout enaffirmant l'unité de Dieu, avant d'attaquerMahomet afin de prouver u'il n'était pas unprophète. Elle retrace sa bi graphie de manièreaussi négative et mépris nte que possible,montrant tout au long un bonne connaissancedu Coran et de l'histori graphie musulmane.Bien qu'il prétende con ertir des musulmansréfléchis, l'auteur écrit pour des lecteurschrétiens. Il espère leur instiller un sentimentde supériorité religieuse qui les aidera às'accrocher à leur foi tout en acceptant leurróle subalterne dans une société musulmane. Cetexte semble avoir joui d'un certain succès

auprès des chrétiens arabophones et cecijusqu'en Espagne, ou il a été utilisé par diversauteurs, notamment Pierre Alp se, dans lechapitre anti-islamique de ses D alogi contraIudeos.

Ce texte fut ensuite traduit de l' rabe en latinà l'initiative de Pierre le Véné able, abbé: deCluny, vers 1142/1143 ; il faisait artie de ce quel'historiographie appelle la e llectio toletana(même si rien n'indique un lie particulier avecTolède), une sorte d'anthologje de traductionsde textes à propos de l'isla , dont la piècecentrale était la traduction du Coran par Robertde Ketton. La traduction de I Lettre fut confiéeà Pierre de Tolède (vrai emblablement unMozarabe ou sinon un m sulman récemmentconverti au christianisme) s condé par Pierre dePoitiers, secrétaire de l'abb de Cluny, qui veillaà la fois au style latin t à l'orthodoxie duproduit final. En 1143, ierre le Vénérableenvoya la nouvelle trad ction de la Lettre àBernard, abbé de Clairv ux, en demandant àcelui-ci de la lire et de 'utiliser pour formulersa propre réfutation de l' slam. Si Bernard refusade le faire, d'autres aut urs, du XIle s. jusqu'auXVIC s., utilisèrent la tra ction latine de la Lettrecomme une source fo amentale sur Mahometet l'islam.

Dans une longue intro uction, l'A. décrit d'abordles contextes historiq e et culturel dans lesquelsfut composé ce texte apologétique, puis présenteune analyse détaillé e du texte arabe fondéesurtout sur la trad ction française de GeorgesTatar et sur un bibliographie importanteconsacrée au texte. nsuite il présente le contextede la traduction. Ici l'A. s'appuie sur des ouvragessolides mais ancie s (de 1. Bishko, 1. Kritzeck etM.-T. d'Alverny) t semble ignorer des travauxrécents (notamm t de D. Iogna-Prat). Il présenteensuite une ana se pointue et fort intéressantede la traductio ou il montre en détail à quelpoint les deux ierre ont modifié le text e en letraduisant : élininant des passages jugés sansintérêt, modifi t le texte là ou le point de vuede l'auteur e rétien ne s'accorde pas avec lathéologie lati e du XIle s. P. ex., contrairementau texte amb ,'la traduction latine qualifie lesJacobites et es Nestoriens d'hérétiques; elleemploie en énéral un ton et des prop os plusagressifs et p us hostiles pour qualifier Mahometet les musu ans. Pierre le V énérable présenteMahomet e 1l11l1eun hérésiarque, et les traduc-teurs de la Lettre infléchissent leur texte dans