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1.

Belle pressa ses mains l’une contre l’autre et se concentra sur l’essentiel : ne pas se laisser envahir par la

peur.

Le sol rugueux abîmait sa peau tendre, lui faisant regretter de ne porter qu’un simple maillot de bain.

Autour de ses poignets et de ses chevilles, le métal lourd frottait rudement mais c’était supportable si

elle ne bougeait pas trop.

Le plus dur, c’étaient les images brutales qui l’assaillaient sans cesse.

Ne pas avoir peur…

Tremblante, elle se tourna vers Duncan. Grâce au ciel, il avait réussi à trouver le sommeil sur le grabat

de fortune où il s’était allongé. Elle avait bricolé au mieux une attelle à sa jambe pantelante et le

saignement s’était arrêté. Il était très pâle mais elle ne pouvait rien faire de plus pour lui.

Sauf prier.

Ce qu’elle faisait depuis trente heures, depuis que leurs ravisseurs les avaient jetés là, dans cette pauvre

hutte qui les protégeait à peine du soleil brûlant. Sur cet îlot désert, ils étaient absolument seuls.

La veille, elle était partie en reconnaissance, la plupart du temps en rampant car ses lourdes entraves la

faisaient trébucher. Il lui fallait recueillir tout ce qui pouvait les aider ou servir à leur évasion. Si elle avait

pu se déplacer normalement, elle aurait fait le tour de l’île en cinq minutes : ce n’était qu’un atoll nu, qui

comptait quelques palmiers, beaucoup de sable et la cabane délabrée qui les abritait. Rien qui puisse

leur servir, avait-elle vite constaté. Ni les nourrir.

Inconsciemment, son regard avait dérivé vers la seule réserve d’eau laissée par leurs ravisseurs. Elle

n’avait rien bu depuis le lever du soleil, sachant que Duncan en avait plus besoin qu’elle. A présent, la

bouteille se trouvait presque vide et la langue de Belle, gonflée par la déshydratation, réclamait son dû.

Elle s’écarta de la bouteille pour ne pas céder à la tentation. Les avait-on oubliés ici pour qu’ils y

meurent ? Son estomac se contracta à cette pensée.

Rien de tout ceci n’avait de sens. Pas plus leur capture sur le bateau de plongée que leur abandon sur

cet îlot désert. Ni elle ni Duncan ne correspondaient au profil type des victimes de kidnapping. Ils

n’étaient ni riches ni puissants. Ils n’offensaient aucune sensibilité locale en venant explorer l’épave d’un

bateau de commerce du Ier siècle. Lorsqu’ils avaient mis leur projet en route, tout le monde à Kharoum

s’était montré amical et coopératif.

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Belle se mordit la lèvre. Si deux archéologues sous-marins mouraient de soif en pleine mer Rouge, qui

s’en soucierait ? D’ailleurs, aurait-on voulu les secourir qu’on n’aurait pas su où les trouver : l’îlot était si

exigu qu’il ne figurait sans doute sur aucune carte.

Allaient-ils revenir, ces hommes au regard brutal, qui semblaient à peine se retenir de leur planter un

poignard dans le cœur ? En dépit des foulards qui masquaient leurs visages, elle avait vu sur leurs

visages qu’ils n’hésiteraient pas à tuer. Une joie mauvaise brillait dans leurs yeux sombres. Leur peur les

amusait.

Belle frissonna, refoulant les larmes qui se pressaient sous ses paupières. Non, elle ne céderait pas à la

panique. Son seul espoir, et celui de Duncan, c’était qu’elle tienne. Sa seule pensée devait être de rester

en vie, à tout prix.

Elle pressa les paumes contre ses orbites douloureuses. Elle n’avait pas dormi et l’épuisement sapait ses

forces. Incapable de s’empêcher de trembler, elle se laissa aller contre le sol dur, luttant contre le

désespoir qui l’accablait.

Belle s’efforça de penser à sa famille, en Australie : savoir qu’ils l’attendaient lui donnerait la force de ne

pas succomber. Elle devait se concentrer sur son évasion.

Et, même si elle ne parvenait pas à dormir, elle devait fermer les yeux, dans l’espoir de retrouver un peu

de force.

* * *

Le bruit la réveilla. Un mugissement rauque avait déchiré l’air, et le toit de la hutte gémissait sous les

assauts du vent. Une tempête menaçait…

Ouvrant les yeux, elle se souvint du lieu où elle se trouvait… et réalisa que Duncan et elle n’y étaient plus

seuls.

Son cœur se mit à battre la chamade et son martèlement fit reculer le bruit du vent. Elle sentit sa gorge

sèche et brûlante se serrer à lui faire mal : un homme accroupi se penchait sur Duncan. Une torche

posée à terre éclairait la cicatrice qui balafrait la joue de l’homme et courait jusqu’à ses cheveux de jais.

Un fusil pendait à son épaule et elle vit briller, le long de sa jambe, la lame courbe d’un poignard oriental

attaché à sa botte.

Il tendait la main vers la gorge de Duncan… Belle, malgré sa terreur, comprit qu’elle devait agir : son

collègue n’était pas en état de se défendre. Pourtant, bouger le moindre muscle lui était horriblement

douloureux tant la peur la paralysait. Mais elle s’obligea à ramper, tout doucement, vers le poignard

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dont elle pouvait s’emparer si le rugissement du vent continuait à étouffer les bruits. Refermant les

doigts sur le manche de bois précieux et patiné, elle le tira vivement à elle. L’étranger, pris par surprise,

lâcha Duncan et se retourna. Belle avait réussi à se mettre à genoux et elle dirigea le poignard sur sa

gorge. L’homme se figea.

— Un mouvement et vous êtes mort, chuchota-t-elle de sa voix rauque.

Il y eut un instant de terrible calme puis, sortant de l’ombre à la vitesse de l’éclair, la main de l’étranger

s’abattit sur la sienne. Il referma son étreinte, serrant au point de lui couper la circulation mais elle

refusa de lâcher l’arme : ce poignard était leur seul espoir de salut.

— Doucement, petite tigresse.

La voix de l’homme était profonde et riche. Il reprit :

— Nous sommes vos amis. Nous venons vous aider.

Elle vit le regard étincelant s’approcher d’elle, sentit la chaleur du corps de l’étranger ; l’aura de

puissance qui émanait de lui la fit frissonner.

La pression de ses doigts sur son poignet augmenta d’un cran et elle ne put retenir un cri, à deux doigts

de l’évanouissement. Quand le poignard tomba au sol, l’homme relâcha aussitôt son étreinte. Le sang

afflua de nouveau dans les veines de Belle, presque douloureusement. Elle ramena son poignet à elle

pour le masser, refrénant des pleurs de frustration.

A cet instant, un deuxième homme fit irruption dans la cabane et elle retint son souffle. Les deux

étrangers échangèrent quelques mots rapides en arabe et, même si elle ne comprenait pas cette langue,

elle en saisit les intonations furieuses. L’homme qui venait d’entrer ramassa la torche et la braqua sur

son visage, heureusement sans s’attarder. Puis il éclaira Duncan et elle put voir qu’il dormait, peut-être

évanoui sous l’effet de la douleur.

— Tout va bien, mademoiselle Winters, fit son premier interlocuteur, l’homme à la voix grave dans

laquelle elle détecta cette fois une trace d’accent chantant. Nous sommes ici pour vous tirer d’affaire.

Des sauveteurs ? Belle en eut la tête qui tournait. Etait-ce seulement possible ?

La large main qui l’avait immobilisée se posa un instant sur son bras, très doucement.

— Est-ce que vous pouvez tenir le temps que nous nous occupions de votre ami ?

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Elle hocha la tête.

— Oui, ça ira.

L’homme lança un ordre à son compagnon, qui se pencha sur Duncan pour chercher son pouls. C’était

donc vrai… Ces étrangers étaient là pour les aider ! Une vague de soulagement la submergea. Sauvés !

— Buvez ceci.

L’homme lui tendit une gourde et elle sentit un merveilleux filet d’eau ruisseler dans sa gorge

desséchée. Aussitôt, elle pencha la gourde dans l’intention de la vider et déjà l’eau douce et vivifiante

emplissait sa bouche… L’homme l’arrêta.

— Doucement ! Trop d’un coup vous rendrait malade.

Il avait raison, bien sûr, mais elle aurait tout donné pour une gorgée de plus et tira désespérément sur la

gourde.

— Ça suffit, gronda la voix grave à son oreille.

S’il lui était resté quelque énergie, elle aurait pu se plaindre des manières autoritaires de l’homme. Mais,

en se méprenant sur ses intentions, elle avait épuisé ses dernières forces pour l’agresser, et elle n’en

avait même plus assez pour se tenir droite. Elle vacilla… Immédiatement, l’homme posa ses larges mains

sur ses épaules pour la stabiliser. Ses paumes calleuses irritèrent la peau tendre de Belle, brûlée par le

soleil, et elle tressaillit. L’homme laissa échapper un juron étouffé et ses mains se firent plus légères.

— Désolée, murmura-t-elle, je ne suis pas bien solide…

— C’est déjà étonnant que vous arriviez à tenir debout, fit-il d’un ton rude qui contrastait avec la

douceur nouvelle de son étreinte. Là, laissez-vous faire…

Il l’attira à lui et la souleva comme si elle ne pesait pas plus qu’une plume. Belle ressentit une impression

de chaleur et de force. Une odeur inhabituelle vint la titiller, faite de lumière, de sel et de virilité… Puis

elle fut déposée sur une couverture de coton.

— Restez allongée pendant que je m’occupe de M. MacDonald.

— Vous connaissez nos noms ? s’étonna Belle.

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— Ce n’est pas si souvent que des étrangers sont enlevés à Kharoum, répliqua l’étranger d’une voix

sombre. Bien sûr que nous savons qui vous êtes. Des recherches aériennes et maritimes ont été lancées

dès que votre skipper a signalé l’enlèvement.

L’homme se pencha, replaça une mèche vagabonde derrière l’oreille de Belle, et elle ferma les

paupières. Ce geste était si doux qu’elle eut envie de pleurer.

— Reposez-vous, à présent.

Elle comprit qu’il s’éloignait et tenta de lui obéir. Mais tous ses muscles étaient douloureux et sa gorge

aussi sèche que le vent brûlant qui soufflait depuis la péninsule arabique. Elle avait enduré beaucoup et,

à présent, elle se sentait à bout.

Le coton, pourtant, était doux sur sa peau, et les mains calleuses de l’homme, presque caressantes, lui

avaient apporté un regain d’espoir. Elle se sentait rassurée par sa voix basse et douce comme du

velours. Ses inflexions chaudes avaient fait réagir sa féminité, en dépit des circonstances extrêmes où

elle se trouvait. Et, si l’impression de sécurité qu’elle ressentait n’était qu’une illusion due à la fatigue,

elle aurait voulu que celle-ci dure à jamais. Elle était curieusement calme à présent, comme résignée, et

enfin capable de se détendre un peu.

Elle parvint peut-être même à dormir. Les murmures des deux hommes penchés sur les blessures de

Duncan étaient aussi apaisants que le bruit des vagues léchant le sable. Le claquement des palmiers sur

le toit de la hutte dissipa soudain sa rêverie. Le vent prenait de la force… Elle perçut un grondement

sourd au loin, comme un train qui approchait.

Les étrangers étaient toujours là et une deuxième lampe torche éclairait la cabane. Elle reconnut le

dessin couleur sable du camouflage de leurs uniformes, ceux que l’on portait dans le désert. Etaient-ils

soldats ? Mercenaires, peut-être ? En fait, elle s’en moquait, tant qu’ils étaient là pour les secourir. Le

plus grand, celui qui semblait être le chef, se retourna comme pour vérifier qu’elle allait bien, et pour la

première fois elle vit clairement son visage. Il ressemblait à un pirate avec son air de combattant

farouche ! Ses cheveux noirs, rejetés en arrière, soulignaient la rudesse de ses traits, comme taillés à la

serpe, où la balafre semblait une ponctuation naturelle. Pourtant, en dépit de sa sévérité, c’était là un

des plus beaux visages d’homme que Belle ait jamais vu. Du nez en bec d’aigle à la mâchoire carrée en

passant par les deux rides qui encadraient sa bouche, chaque centimètre révélait sa détermination. Mais

sa bouche, justement… sa bouche, elle, évoquait la sensualité et la douceur. Le faisceau de la torche

révélait un éventail de ridules au coin de ses yeux : l’homme devait passer la plupart de son temps

dehors et le climat brûlant avait tanné sa peau.

Il était vêtu comme un soldat, et pourtant elle ne l’imaginait pas dans l’armée. Ses cheveux un peu trop

longs lui donnaient un air négligé qui ne collait pas.

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Il termina le bandage de Duncan avec une habileté toute professionnelle et se retourna vers elle. Belle

retint son souffle et ils se regardèrent longuement. Assez longtemps pour qu’elle imagine voir jaillir dans

ses yeux une étincelle qui ressemblait à de la convoitise : on aurait cru un flibustier ayant enfin trouvé le

trésor recherché…

Elle frissonna devant l’expression déterminée de ce visage implacable.

L’homme se détourna abruptement et jeta un ordre à son compagnon qui vint aussitôt s’agenouiller

auprès d’elle, lui présentant la gourde. Elle s’en saisit avec gratitude et à cet instant seulement, alors

que les yeux de l’étranger se détournaient d’elle, Belle sentit se dissiper la tension qui était née entre

eux. Cette fois, elle prit garde de boire lentement. L’homme qui lui avait donné la gourde, et qui

semblait plus âgé que celui qu’elle avait comparé à un pirate, hocha la tête en signe d’approbation. Lui

aussi, avec ses cheveux courts ébouriffés et son visage buriné, avait l’air d’un forban étranger à la

civilisation… Seigneur ! Ses sauveteurs ressemblaient aux brigands d’un roman d’aventures ! A moins

que ce ne soit son imagination qui lui joue des tours, songea Belle… Affaiblie comme elle l’était, tout

était possible…

Rendant la gourde, elle se laissa aller sur la couverture : bientôt, peut-être dans quelques heures

seulement, elle serait de retour au royaume de Kharoum et recevrait tous les soins nécessaires. Et son

imagination délirante trahissait à quel point elle en avait besoin ! Duncan, de son côté, ne semblait pas

s’être réveillé. Les deux hommes rangèrent leur trousse médicale et Belle demanda avec angoisse :

— Il va s’en sortir ?

Le plus jeune des deux, l’homme à la cicatrice, releva la tête et leurs regards se rencontrèrent.

— C’est une mauvaise fracture et il a perdu pas mal de sang. Mais il ne semble pas trop déshydraté et,

une fois à l’hôpital, il devrait se remettre rapidement. Vous vous êtes bien occupée de lui.

Tout en négligeant de vous occuper de vous, sembla ajouter son regard perçant. Mais qu’aurait-elle dû

faire ? Boire à satiété en laissant Duncan mourir de soif ?

— Comment se fait-il qu’il ne se soit pas réveillé quand vous l’avez soigné ? Est-il évanoui ?

— Je lui ai donné un fort sédatif et il va rester inconscient un moment. C’est préférable, pour le

transport.

Belle approuva d’un hochement de tête. Mais elle ne serait vraiment soulagée que lorsque Duncan

aurait repris conscience.

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Les paupières lourdes, elle entendit les deux hommes discuter en arabe, alors que dehors, le vent faisait

rage, ébranlant les murs fissurés de leur hutte. Puis la discussion cessa : les sauveteurs semblaient

d’accord. Ils se placèrent chacun d’un côté de la porte de l’abri et entreprirent de la démonter, ce qui ne

leur prit qu’un instant : le plus âgé était trapu, et le plus jeune, large d’épaules, tous les deux musclés et

bien bâtis. Ils étendirent le pan de bois près du grabat où gisait son collègue, indifférents au sable qui

s’engouffrait dans la hutte.

Bien sûr… il fallait un brancard pour Duncan.

Il était temps qu’elle aussi se prépare à partir : elle se mit d’abord à genoux, grimaçant lorsque ses

chaînes frottèrent contre sa peau abîmée. Déjà essoufflée par l’effort, elle dut faire une pause, la

douleur de tout son corps se répercutant comme un roulement de tambour contre ses tempes.

— Où allez-vous comme ça ? fit le pirate d’une voix dangereusement basse dont les inflexions

s’enroulèrent telle une liane autour des reins de Belle.

Sourcils froncés, il la regardait de toute sa hauteur, et dans l’ombre elle apercevait le pli serré de sa

bouche sensuelle.

— Je me prépare à partir.

— Ce n’est pas le moment : il faudra que nous soyons deux pour emmener M. MacDonald au bateau. Je

ne peux pas le porter et m’occuper de vous tout à la fois.

— Je n’ai pas besoin de votre aide ! se récria Belle.

N’avait-elle pas réussi à survivre par ses propres moyens ? Elle parviendrait bien à rejoindre le bateau,

car ce qu’elle voulait plus que tout, c’était quitter cette île abandonnée des dieux. Marcher jusqu’à la

plage lui paraîtrait une promenade de santé après ce qu’elle avait traversé !

L’homme s’accroupit devant elle, bloquant la lumière de la torche pour qu’elle ne puisse voir

l’expression de son visage. Mais elle sentit son souffle tiède sur sa joue. Et le parfum piquant de sa

peau…

Tout au fond d’elle-même, une étincelle s’alluma.

— Vous êtes blessée, mademoiselle Winters, énonça-t-il d’un ton qu’il voulait patient. Vous avez fait

tout ce qu’il fallait pour tenir ; à nous de vous prendre en charge à présent. Laissez-nous faire.

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Il se pencha et drapa la couverture autour d’elle. Il avait raison, Belle gardait suffisamment de bon sens

pour s’en apercevoir. A contrecœur, elle fit un signe d’assentiment.

— Je vous laisse la torche, reprit-il. Je serai très vite de retour.

Les deux hommes, portant Duncan sur le brancard, disparurent dans l’obscurité, engloutis par les

hurlements du vent. Belle resta seule, désemparée : qui pouvaient-ils être ? Et, surtout, qui était le plus

jeune, celui dont la voix passait sur elle comme une caresse, et qui parlait un anglais parfait, avec juste

une pointe d’accent ? Un homme du cru, sans aucun doute, qui avait fait ses études en Grande-Bretagne

? C’était souvent le cas dans l’élite de Kharoum, petit royaume arabe farouchement indépendant, établi

sur une grande île de la mer Rouge qui, par le passé, avait abrité toute la flibuste du Moyen-Orient et

d’Afrique de l’Est.

L’homme, qui paraissait être le chef, marchait fièrement, comme s’il ne devait allégeance à personne sur

cette terre, et le port royal de sa tête lui rappela les princes des Mille et Une Nuits.

Belle se pelotonna sous la couverture pour s’abriter au mieux du sable. Si seulement le vent avait pu

s’arrêter ! Il ne s’agissait pas d’une petite tempête mais d’un phénomène de grande envergure, elle le

sentait. Bientôt, le vent aurait la puissance d’un ouragan et elle pria le ciel d’être hors d’affaire lorsque

le pire se déchaînerait.

Elle mit un moment à comprendre que l’homme était revenu car le bruit des rafales avait masqué son

pas. Il se tenait dans l’embrasure de la porte et l’observait, attentif à ne rien laisser paraître de ses

pensées. Son air de profonde concentration la fit frissonner. Quelque chose clochait…

— Que se passe-t-il ? murmura-t-elle alors que la peur desséchait sa bouche.

Il s’approcha lentement et s’assit à terre, croisant les jambes devant lui comme s’il disposait de tout son

temps.

— Il y a une complication.

L’appréhension noua le ventre de Belle. Elle plongea les yeux dans le regard brillant de l’étranger, y

puisant de la force. Elle n’était plus seule et, quoi qu’il arrive, elle s’en sortirait.

— Une complication ? Laquelle ?

— Daoud et moi sommes venus sur un zodiac qui est trop petit pour nous quatre, maintenant que le

brancard y est installé.

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— Je vois, fit-elle en refoulant les sanglots qui montaient dans sa gorge.

Un peu de patience, Belle… Daoud allait déposer Duncan en sécurité puis il reviendrait les chercher.

— Eh bien, il ne nous reste qu’à attendre son retour.

— J’ai peur que cela soit plus compliqué, répondit-il alors que, saisie par un affreux pressentiment, Belle

se crispait sous la couverture. L’ouragan approche. Un vrai cyclone. Daoud vient de partir, il aura tout

juste le temps d’atteindre le port avant que les choses ne se gâtent. Et ce serait du suicide pour lui ou

pour quiconque de reprendre la mer… Nous allons rester coincés ici jusqu’à ce que ça se calme. Peut-

être vingt-quatre heures.

L’homme parlait d’une voix calme, sans émotion apparente, et il regarda Belle, à la recherche d’un signe

trahissant sa faiblesse. Elle combattit la nausée qui montait en elle. Au moins Duncan était tiré d’affaire.

Mais la peur la tenaillait : comment faisait-il, lui qui la regardait, pour rester aussi imperturbable ? Son

dos droit, l’élégance de ses mains croisées devant lui, tout disait à Belle que, même si elle finissait par

paniquer, il serait à la hauteur.

Elle mordit sa lèvre qu’elle sentait trembler. Ce n’était pas le premier ouragan qu’elle devrait essuyer.

Elle en avait vus, petite, sur la côte Est de l’Australie et elle savait à quel point cela pouvait être

dévastateur. Mais, à l’époque, elle était bien protégée. Aujourd’hui… Malgré elle, ses yeux se portèrent

sur le toit de planches usées qui grinçait à chaque attaque du vent…

— Comment pouvons-nous nous préparer ?

Il inclina la tête avec satisfaction, regagnant toute son énergie après ce moment de pause. Belle eut

l’impression d’avoir réussi un test : peut-être s’était-il attendu à ce qu’elle panique, préparé à devoir la

maîtriser…

Il désigna la couverture qui la recouvrait.

— Vous permettez ?

Elle hocha la tête et il la replia pour révéler ses pieds nus, sur lesquels il fit porter l’éclairage de la torche.

Belle dut résister à l’impulsion de les cacher : ils étaient sales, couverts de sable et de sang séché. Ses

chevilles étaient rougies, à vif là où les anneaux avaient mordu la chair.

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Dans la semi-obscurité, le regard de l’homme était impassible mais elle sentit la tension qui émanait de

lui alors qu’il examinait ses blessures. L’air devint électrique, chargé d’une sauvage émotion. Etait-ce de

la colère qu’il réprimait ? De la frustration d’avoir à se charger d’elle pour affronter l’ouragan ?

L’instinct la prévenait de se méfier de cet homme dont elle ne parvenait pas à déchiffrer l’expression.

Mais ne lui devait-elle pas la vie ? Et il risquait la sienne pour elle, qui lui était totalement étrangère.

Quel danger pouvait-il représenter ?

Malgré l’incessant nuage de sable fin qui tournait autour d’eux, Belle percevait l’odeur de sa peau, sel et

savon mêlés, une odeur épicée, masculine… Elle frissonna.

— Ne vaudrait-il pas mieux libérer mes poignets d’abord ?

Elle se sentirait mieux si elle pouvait l’aider à réparer leur abri. Les mains libres, elle serait moins

dépendante de lui.

— Plus tard. Vos jambes en premier.

Pourquoi ? Où pourraient-ils bien aller sur cet îlot minuscule, à un mètre à peine au-dessus du niveau de

la mer, ce qui ne leur offrirait aucune protection quand l’ouragan… Soudain, elle comprit et fut saisie

d’effroi. L’homme le sentit et son regard intense se posa de nouveau sur elle.

— Ça va ?

Oh ! aussi bien qu’on pouvait aller à quelques heures de la noyade… Elle inclina la tête, montrant qu’elle

comprenait son raisonnement.

— Il me sera plus facile de nager quand nous serons submergés, c’est ce que vous voulez dire…

L’homme lui jeta un regard empreint d’une force et d’une assurance si évidentes qu’en dépit de toute

raison elle se calma.

— Je vous tirerai de là. C’est promis.

Son ton était solennel, comme s’il prenait là un engagement. Et Belle ne douta pas qu’il mettrait tout en

œuvre pour la protéger. Mais cela suffirait-il à les sauver ?

— Ayez confiance, mademoiselle Winters, fit-il alors d’une voix tranquille, comme s’il suivait le cours de

sa pensée. L’œil du cyclone doit passer un peu plus à l’ouest. Pour nous, ce sera déplaisant mais pas

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fatal. Nous allons y survivre, vous et moi. Et maintenant, si vous voulez bien vous tenir tranquille, je vais

m’attaquer à vos chaînes.

Il disposa près d’elle une petite trousse à outils puis saisit l’un des talons de Belle, l’enserrant dans sa

paume large et chaude. Elle retint son souffle, étonnée du pouvoir qu’avait sur elle ce simple contact.

C’était impersonnel, se dit-elle, tâchant de se convaincre, il ne voulait que stabiliser son pied pendant

qu’il travaillait. Cependant, de petits frissons parcouraient sa jambe… Sans doute une simple réaction à

tout ce qu’elle venait de vivre. Aucun homme, aussi sexy fût-il, n’avait le pouvoir de générer une telle

électricité avec ses seules mains… Belle ferma les yeux pour repousser l’image de son visage

aristocratique penché sur elle.

Elle se sentait protégée par cet homme hors du commun. Malgré le vent rugissant, malgré les

bourrasques de sable pénétrant dans leur abri, le monde de Belle se limitait au triangle de lumière

dessiné par la torche. Il l’enfermait dans un cocon fragile, sans doute illusoire mais en tout cas

protecteur. L’autorité qui émanait de son sauveteur l’assurait qu’il saurait non seulement lutter mais

triompher de tous les obstacles. Et pourtant, elle ne savait rien de lui, si ce n’était son incroyable et

farouche beauté.

Soudain, un mouvement saccadé lui fit rouvrir les yeux et elle vit le poignet de l’homme couvert de sang:

en tentant de forcer la serrure, il avait dérapé et s’était largement ouvert.

— Ça va aller ?

Il releva la tête vers elle, et elle aurait juré qu’une étincelle amusée dansait dans ses yeux.

— Je devrais survivre, se contenta-t-il de répondre.

Encore une manœuvre et la chaîne qui entravait Belle céda. Un profond soulagement l’envahit. Sans ces

anneaux à ses pieds, ses chances de survie augmentaient.

A présent, l’homme souriait franchement, et son éblouissant sourire ôtait un peu de sévérité à ses traits

mâles. Belle écarquilla les yeux. Jusqu’à présent, elle le trouvait sexy mais il était plus que cela :

fascinant. Aucun pirate, dans la vraie vie, ne pouvait être aussi beau !

— Votre patience a été récompensée, fit-il, posant ses outils. Et il était temps.

En effet, les premières rafales de pluie assaillaient leur abri. Le bruit du vent s’amplifiait. Bientôt, ils ne

pourraient même plus s’entendre.

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— Mes mains…

L’homme secoua la tête, montrant l’outil qui s’était brisé. L’espoir qui animait Belle fondit comme neige

au soleil. Verrait-elle jamais la fin de ce cauchemar ?

— Plus le temps, répondit l’homme en dirigeant sa torche vers le toit soulevé par la bourrasque comme

s’il était animé d’une respiration propre.

Les murs se mirent à trembler. L’homme jura doucement et se releva d’un bond, prenant son sac sur

l’épaule. Il se pencha sur elle, et elle vit son visage déterminé avant qu’il n’éteigne la torche. D’un geste,

il releva Belle.

— Levez les bras, fit-il à son oreille.

Elle sentit ses cheveux effleurer ses bras alors qu’il les faisait passer autour de son cou. Dans le

mouvement, elle se trouva plaquée contre lui puis il la souleva avec une déconcertante facilité. Elle était

à présent contre sa poitrine, bouclier de muscles chaud et rassurant. Belle se laissa aller avec

reconnaissance, réconfortée par le calme battement de son cœur. En dépit des trombes d’eau qui

s’abattaient sur la plage, elle en était presque à croire que rien de mal ne pouvait lui arriver tant qu’elle

était dans ses bras.

— Nous ne sommes plus en sécurité ici, cria-t-il pour couvrir le bruit du vent. Accrochez-vous bien !

Il sortit et l’ouragan les avala.

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2.

Le maelström les prit de plein fouet, manquant les renverser. Il semblait impossible d’avancer sous de

telles rafales, mais il progressait, la tenant dans une étreinte d’acier comme s’il ne voulait plus jamais la

lâcher.

Belle enfouit le visage dans son cou, se protégeant du sable qui piquait sa peau comme un millier

d’aiguilles. L’homme dégageait ce parfum unique, épicé, qu’elle avait déjà senti et qui semblait

n’appartenir qu’à lui.

Soudain il s’arrêta, et la déposa dans ce qui semblait être un trou dans le sable puis il se coucha sur elle,

la couvrant entièrement, s’interposant comme un bouclier entre elle et les éléments déchaînés. Belle

suffoquait, entre son poids et le sable qui s’infiltrait dans ses narines, mais elle comprit qu’il lui fallait

surtout se calmer et elle tenta de respirer plus lentement.

Le vent se mit à hurler avec une vigueur nouvelle et dans le vacarme elle entendit un bruit sourd,

comme si quelque chose tombait près d’eux. L’homme s’affala, pesant plus lourdement sur elle,

bloquant sa respiration. Pendant un instant, il resta ainsi affaissé, comme inconscient. Puis elle le sentit

reprendre force et il s’écarta d’elle juste assez pour qu’elle puisse reprendre son souffle.

— Ça va ? cria-t-elle à son oreille.

— Ça va. Restez bien accrochée, mademoiselle Winters.

Dans de pareilles circonstances, ce formalisme paraissait absurde. Et comment se serait-elle éloignée,

alors qu’il pesait de tout son poids sur elle, plus proche qu’un amant ? Elle ne portait que son maillot de

bain et elle sentait chaque muscle de ce corps superbement bâti qui partageait sa force avec elle et lui

redonnait espoir au milieu du désastre.

Cet homme, elle ne savait même pas qui il était… Elle faillit lui demander son nom mais se ravisa. Avec le

vent, il ne l’entendrait même pas. Le peu qu’elle pouvait faire pour lui, c’était protéger sa nuque de ses

mains, ce qu’elle fit de son mieux. Et, dans le souffle tiède qui effleurait sa peau, elle trouva une forme

primitive de réconfort.

* * *

Rafiq comprit qu’elle s’abandonnait en la sentant se calmer. Enfin, elle admettait qu’il n’y avait rien de

mieux à faire que de rester là sans bouger. Son corps s’était fait moins raide et sa respiration plus lente.

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Mais elle n’avait pas relâché son étreinte, déployant ses mains en éventail sur sa nuque, comme pour

repousser le mauvais sort.

Il réprima un sourire. Son geste était peut-être dérisoire mais Mlle Isabelle Margaret Winters, vingt-cinq

ans et habitante de Cairns en Australie, n’était pas la première venue. C’était une combattante, prête à

dépasser ses propres limites si la situation l’exigeait. Même acculée, elle n’abandonnait pas : elle l’avait

même menacé avec son propre poignard ! Il sourit à ce souvenir. Heureusement que Daoud n’était

arrivé qu’après, car, même s’il était un ami respectueux, il n’aurait pas résisté au plaisir de taquiner

Rafiq sur le sujet. Et il aurait dû remettre Daoud à sa place, comme lorsque ce dernier avait tenté de

l’évacuer avec MacDonald afin de rester avec Isabelle Winters. Daoud aurait dû savoir que jamais Rafiq

ne déléguait une responsabilité. Très jeune, il avait appris à endosser les obligations qui étaient les

siennes. S’il y avait une chose qu’il connaissait bien, c’était le devoir.

Il bougea légèrement, tentant d’atténuer la douleur qui déchirait son épaule à l’endroit où un lourd

morceau de bois arraché par la tempête s’était abattu sur lui. Il n’eut pas de succès mais perçut avec

plus de précision la forme du corps étendu sous le sien. Ses hanches plaquées à lui évoquaient les

plaisirs de la chair. Ses lèvres reposaient pratiquement sur son menton et il s’interrogea sur le goût de

ses baisers.

Chacun de ses sens était en alerte. Le sable envahissant ne lui cachait pas le parfum intrigant de sa peau.

Il en imaginait presque le goût sur sa langue. Et aussi, il percevait son égarement, sa peur…

Il se força à revenir au réel, furieux de sa faiblesse. Se laisser distraire par une jolie femme au moment

où l’atoll risquait d’être submergé par la mer, cela dépassait l’entendement ! L’îlot résisterait-il ? La

destinée en déciderait. Cette pensée lui rappela son grand-père : le vieil homme croyait fermement au

destin et même lorsqu’il avait perdu son fils, le père de Rafiq, il était resté digne et fier : c’était écrit,

disait-il sans blâmer personne pour cet accident.

S’il avait été encore là, il aurait dit à Rafiq que c’était son destin d’être en perdition sur cette île avec

Isabelle Winters. Qui ne s’y serait pas trouvée, elle, si Rafiq n’avait pas approuvé personnellement la

venue de l’équipe de chercheurs sous-marins. Sans son autorisation, elle n’aurait jamais pu obtenir le

visa nécessaire pour entrer dans son pays.

La culpabilité l’assaillit : par sa faute, elle se trouvait en péril, pion innocent dans une partie d’échecs

politique dont elle n’était même pas consciente…

L’ouragan allait retarder le retour de Daoud à Kharoum. Et, sans nouvelles de Rafiq, personne n’oserait

s’opposer à son ordre de verser la rançon si les otages n’étaient pas délivrés à temps. Son pays ne payait

pas de rançon, d’habitude. Mais cette fois il refusait d’avoir la mort de ces étrangers sur la conscience.

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Kharoum n’avait pas besoin d’une aussi désastreuse publicité. Son pays avait la réputation d’un Etat

stable, propre au commerce, tranquille. Il ne pouvait se permettre de jouer avec cela.

Donc, à cette heure même, la rançon, outrageusement élevée, passait dans les mains des ravisseurs. Et

cela ne resterait pas secret bien longtemps. A Kharoum, les nouvelles se répandaient à la vitesse du vent

dans le désert.

Au petit matin, toute la nation saurait que l’Œil du Paon, le trésor national révéré, l’héritage familial que

le monde lui enviait, avait été offert en échange de la vie d’une femme, celle-là même qu’il tenait dans

ses bras.

* * *

Belle s’éveilla au bruit sourd des vagues.

Elle était donc en vie…

Lentement, elle fit bouger ses jambes l’une contre l’autre. Le sable irrita la peau à vif de ses chevilles, et

des pulsations de douleur se propagèrent jusqu’à ses tempes. Au moins, cela prouvait qu’elle était

vivante alors que, la veille, elle doutait de voir encore se lever le soleil.

Sans lui, sans cet homme, elle aurait péri. Il avait fait rempart de son corps pour la protéger de l’ouragan

qui déchirait la nuit. Le rugissement du vent l’avait assourdie et rien n’avait plus existé pour elle que le

battement régulier du cœur de celui qui avait maintenu en vie la faible flamme de son espérance.

Qui était-il ? Et où était-il ?

Elle ouvrit ses paupières collées par le sable. Un rai de vive lumière l’aveugla et elle crut que sa tête allait

exploser sous la violence de sa migraine. Il fallait tenter de bouger les mains, à présent. Elle s’y essaya,

traversée par mille piqûres d’aiguilles alors que son sang recommençait à circuler : elle avait passé la

nuit avec les bras levés, entourant le cou de l’homme ; pas étonnant qu’elle soit presque paralysée.

Belle serra les dents et obligea son corps à bouger : roulant sur elle-même, elle parvint à se mettre à

genoux. Ses horribles menottes étaient toujours là… L’image de la brute qui les lui avait passées traversa

sa mémoire : il s’était réjoui de la voir ainsi entravée. Une nausée la saisit au souvenir de son sourire

sadique. Ces hommes armés savaient bien qu’elle ne pouvait rien contre eux mais, au moins, elle avait

tenu bon. Ils n’avaient pas gagné, elle était encore en vie.

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Elle réussit à se lever malgré la protestation de tout son corps, vacilla un instant puis parvint à retrouver

l’équilibre. L’horizon n’était pas encore dégagé mais les nuages gris se déchiraient par endroits pour

laisser place à des lambeaux de ciel bleu. La mer était encore haute et agitée, menaçante. Elle avait

modifié les contours de l’île, la redessinant pendant la nuit à grands coups de boutoir. De la hutte qui les

avait abrités, il ne restait que les murs écroulés, qui les auraient ensevelis s’ils étaient restés à proximité.

Heureusement que l’homme… Mais où était-il ? Blessé, pire peut-être ? Elle fit un tour complet sur elle-

même et, soudain, elle le vit.

Les jambes tremblantes de Belle cédèrent sous elle, et elle s’effondra sur le sable humide et brûlant, les

yeux écarquillés. Il venait de sortir de l’eau tel un dieu de bronze, nu, splendide de virilité et

éminemment désirable. Le pouls de Belle se déchaîna et une spirale de désir noua son bas-ventre, lui

coupant la respiration. Grâce au ciel, l’homme était de dos et ne pouvait percevoir sa réaction. Elle ne

l’avait jusqu’à présent vu qu’à la lumière d’une torche et même si elle avait passé la nuit plaquée contre

lui, percevant son corps sculpté et le dessin de ses muscles, elle n’était pas préparée à cela.

De larges épaules, un torse puissant, des hanches minces, une peau lisse, constellée de gouttelettes

brillantes qui faisaient luire ses cheveux de jais. Belle serra les poings alors que son regard descendait

jusqu’à ses fesses parfaitement dessinées, surplombant des cuisses d’acier qui évoquaient la force,

l’endurance… Il s’étira et, fascinée, elle regarda le jeu des muscles dans son dos. Il allait se retourner,

sans nul doute, et voir qu’elle le regardait ! Alors qu’il secouait ses cheveux, envoyant autour de lui un

tourbillon de gouttes salées, elle se releva et tourna le dos à la mer. Comment avait-elle pu jouer les

voyeuses ? Mais l’homme était si primitivement beau qu’il incarnait une énergie masculine propre à

émouvoir toute femme. A l’effrayer, aussi.

Une déflagration de désir aiguillonna Belle, et elle se sentit chaude, humide, prête à se lover dans les

bras qui l’avaient protégée toute la nuit. Mais, cette fois, son corps puissant la réchaufferait d’une autre

manière, ses mains la caresseraient…

Elle secoua la tête, surprise par l’absurdité de ses pensées : elle venait à peine de survivre à la plus

terrible des épreuves, faite de violence et de douleur, de menaces et d’effroi. Comment pouvait-elle

ressentir un désir aussi primitivement sexuel ? Etait-ce une réaction à la proximité de la mort ? Elle

aurait voulu pouvoir se cacher, rester seule avec ses émotions, sa confusion. Mais il n’y avait nul lieu où

se réfugier. Elle était prisonnière de l’îlot, seule avec le flibustier…

* * *

Rafiq se rhabilla et la regarda : elle semblait désemparée. Il lui fallait une volonté de fer pour tenir

debout malgré ses blessures et son épuisement, songea-t-il, la même détermination qu’elle avait

déployée tout au long de l’épreuve. Ses chevilles étaient marquées par les fers, ses cheveux dessinaient

un nuage embroussaillé autour de son visage, et elle aurait dû avoir l’air pathétique. Mais ce n’était pas

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le cas. Elle était simplement belle, constata Rafiq en reprenant sa chemise et se dirigeant vers elle. Il ne

voyait que la perfection d’un corps plein de vie, l’invitation de ses hanches qui avaient épousé les

siennes toute la nuit au point qu’il avait failli en devenir fou, obligé qu’il était de résister à l’irrésistible. Il

était absurde de nourrir de telles pensées en ce moment. Il ignora l’appel de la tentation.

— Mademoiselle Winters…

Il la vit se tendre mais elle ne se retourna pas.

— Comment vous sentez-vous ? reprit-il.

Elle ne tourna qu’à moitié son visage vers lui, et il apprécia son profil net, son petit nez droit et son

menton volontaire.

— Heureuse d’être en vie. Et vous ?

— Je me sens… tout d’une pièce, répondit-il, mettant dans sa voix une légèreté qu’il était loin de

ressentir. Nous avons eu beaucoup de chance, vous et moi.

Elle hocha la tête. Malgré ses bonnes résolutions, il ne put s’empêcher de laisser son regard errer sur

elle, tout juste vêtue d’un maillot bleu azur. A la vue de ce corps parfait, sa bouche s’assécha et ses

paumes devinrent moites.

Il aurait voulu effacer les terreurs de la nuit de la façon la plus simple et la plus efficace qui soit : par le

plaisir. Celui de la chair. Mais il vit aussi qu’elle était tendue, très raide. Il n’était pas étonnant qu’elle

soit effarouchée, presque nue comme elle l’était face à un étranger ! Cela expliquait la tension de ses

épaules et son air terriblement gêné. Elle ne pouvait que se sentir vulnérable après tout ce qu’elle avait

traversé.

Cette idée s’installa tel un poids mort sur sa poitrine : Isabelle Winters s’était trouvée face à une bande

composée des pires misérables. Il aurait voulu la prendre dans ses bras pour la réconforter, mais ç’aurait

été une grave erreur.

Comme pour le confirmer, elle s’éloigna de quelques pas.

— Une équipe va venir nous secourir sous peu, assura-t-il.

Elle hocha la tête mais resta à distance, aussi fragile qu’une statue de verre filé. Il n’en faudrait pas

beaucoup pour qu’elle se brise… Un rayon de soleil jouait dans ses cheveux blonds et dessinait sa svelte

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silhouette. Cette étrangère déclenchait en lui des réactions entièrement nouvelles. Il avait connu bien

des femmes, très séduisantes, conscientes de leurs atouts. Mais Isabelle Winters possédait une chose

rare, à laquelle tout en lui réagissait. Etait-ce son exceptionnelle force d’âme ? Son courage physique ?

Ou son port de tête royal, en dépit de son état de fatigue ?

Peut-être l’attirait-elle parce qu’elle était la seule femme avec qui il ait passé une nuit sans lui faire

l’amour.

Il la vit vaciller ; le contrecoup des épreuves devait miner sa détermination. Ravalant un juron, il

s’approcha pour la soutenir, et ce simple contact fit monter dans ses reins une vague de chaleur.

Il l’aida à s’asseoir et, quand il la regarda, il constata que ses pupilles étaient dilatées dans l’iris bleu de

ses yeux. Elle était visiblement en état de choc.

— Vous devez vous réchauffer, fit-il en déboutonnant rapidement sa chemise.

La mâchoire d’Isabelle se serra et il vit un frisson la parcourir. Ses mains se pressaient convulsivement

l’une contre l’autre, et ses seins pointaient sous le tissu élastique de son maillot. Ce fut au tour de Rafiq

de serrer les dents pour maîtriser la réaction immédiate de son corps.

— Je n’ai pas froid ! Nous sommes sous les Tropiques, protesta-t-elle.

— Laissez-moi faire, se contenta de répondre Rafiq en lui drapant sa chemise autour des épaules.

Il émanait d’elle une odeur douce, terriblement féminine. Il lui fallut se secouer pour ne pas y

succomber. Il s’éloigna.

— Vous êtes blessé ! s’exclama-t-elle en voyant son épaule.

Elle tendit instinctivement les bras vers lui. Vêtue de sa chemise trop grande pour elle, elle ressemblait à

une suppliante, très féminine, les seins rehaussés par le mouvement de ses bras. Et, en la regardant, il

sentit une force urgente et primitive monter en lui, l’instinct des anciens pirates de son île qui

soumettaient les esclaves et prenaient sans scrupules ce qui était à leur portée. Son sang ne fit qu’un

tour à l’idée qu’il pouvait lui aussi la faire sienne. Il descendait d’une longue lignée de conquérants, de

prédateurs et de chefs de clan. Ses ancêtres étaient renommés pour leurs passions sauvages,

poursuivant sans relâche et possédant sans pitié l’objet de leur désir. Le même sang coulait dans ses

veines. Qui pouvait renier des siècles de conditionnement ? Il se rappela la douceur de la peau

d’Isabelle, l’étrange mélange de force et de vulnérabilité qui la rendait unique, parfaite pour lui.

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Il n’avait qu’à tendre la main. A la prendre.

Et puis il vit son regard perdu, sa confusion, et la réalité reprit ses droits. Il secoua la tête pour dissiper le

brouillard vicié qui s’était emparé de son esprit.

— Vous êtes blessé, répéta Isabelle.

— Ce n’est rien.

Il avait parlé d’une voix brusque et elle baissa le regard, laissant retomber ses mains.

Il s’en voulait. N’était-il pas un sauvage de la pire sorte ? Les règles de la société civilisée et son sens des

responsabilités proclamaient qu’elle n’était pas pour lui. Il n’aurait jamais dû la désirer aussi

viscéralement.

Et, pourtant, il ne pouvait nier ce qui lui arrivait. La première fois qu’il avait croisé son regard, il s’était

senti brûlé au plus profond de lui-même et en cet instant cette brûlure était toujours vive. Mais il avait

envers elle une obligation de protection, plus forte que tout.

* * *

— Laissez-moi examiner vos blessures.

La voix de l’homme était basse et elle joua sur les nerfs à vif de Belle avec la douceur du velours. Elle

leva les yeux vers lui, qui la regardait toujours.

Il avait un regard étrangement clair, d’un vert océan qui contrastait avec le noir aile de corbeau de ses

cheveux. Elle le fixa, fascinée par l’étincelle brûlante et sexy qui dansait dans ses yeux. Pourtant,

l’expression de son visage était dure, désapprobatrice. Avait-il deviné ses pensées secrètes, et le

délicieux frisson qui l’avait agitée quand il s’était penché sur elle ? Avait-il perçu l’excitation qui s’était

emparée d’elle lorsqu’elle l’avait vu ôter sa chemise pour révéler un torse musclé ? Il avait fallu à

Isabelle un extrême effort de volonté pour ne pas suivre du regard le triangle de toison sombre qui

s’amenuisait en direction de son ventre.

Son corps était tellement sculpté qu’il devait appartenir à une section d’élite, de celles qu’on appelait à

la rescousse en cas de grave danger. Son allure devait lui valoir quantité de succès féminins… Et il devait

sans doute redouter que la pauvre femme qu’il avait devant lui ne se jette à son cou comme toutes les

autres ! L’embarras empourpra les joues de Belle. Il avait sans doute bien compris ce qui l’agitait, mais

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avait suffisamment de savoir-vivre pour ne rien en laisser paraître. Si elle avait de la chance, il

attribuerait sa réaction à un stress post-traumatique. Comme elle était décidée à le croire elle-même.

— Mademoiselle Winters, reprit-il en s’asseyant devant elle d’un mouvement souple, j’aimerais

examiner vos poignets.

Elle les lui confia, prenant une longue inspiration pour se calmer alors que les paumes calleuses de

l’homme prenaient possession des siennes.

— Appelez-moi Belle, souffla-t-elle.

— Belle…

Il avait fait rouler le nom sur sa langue et un aiguillon de feu la traversa.

— Appelez-moi Rafiq, dans ce cas, reprit-il.

Elle hocha la tête.

— Rafiq, très bien.

Il regarda attentivement les blessures que lui avaient laissées les lourdes menottes de fer.

— Avec une prise d’antibiotique pour combattre l’infection, cela devrait aller. Et, pour vos chevilles,

poursuivit-il en délaissant ses mains, ce n’est pas trop mal non plus. Avec un peu de chance, vous

n’aurez que peu de cicatrices.

Belle hocha la tête et ne respira normalement que lorsqu’il se fut relevé. Sa proximité, le souffle tiède

qui effleurait sa peau, tout lui tournait la tête et elle était sûre qu’il lisait le désir dans ses yeux comme

dans un livre ouvert.

— Etes-vous blessée… ailleurs ? demanda-t-il, un peu tendu.

Il fixait son attention sur sa cuisse, où un large bleu marquait la peau. Belle frémit en se rappelant d’où

lui venait cette contusion. Des hommes costauds, aux silhouettes lourdes, à l’odeur acide de sueur et

d’excitation mêlées… Des yeux cruels dont l’étincelle disait qu’ils avaient pris plaisir à brutaliser Duncan

et feraient de même avec elle. Un instant, le cauchemar reprit possession d’elle, et elle sentit monter à

sa gorge une irrépressible vague de panique. Mais, très vite, elle se secoua, s’obligea à chasser de son

esprit ces terribles souvenirs.

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— Oh ! Ce n’est rien, fit-elle d’un ton faussement léger. Tout cela disparaîtra bientôt.

Un flot d’arabe guttural, empli de fureur, s’échappa des lèvres de Rafiq, et elle lut sur ses traits une telle

sauvagerie qu’elle en tressaillit. En une seconde, il s’était mué en un homme intense et dangereux,

qu’elle ne reconnaissait plus. Puis il la regarda, frémissante devant lui, et son visage changea pour

reprendre son calme naturel.

— Pardonnez-moi, mademoiselle… Belle, se reprit-il.

Elle vit le battement rapide d’une veine à la base de son cou. Il n’était pas aussi calme qu’il le prétendait.

Désignant la jambe d’Isabelle, il poursuivit :

— Je ne peux supporter que mes compatriotes vous aient traitée ainsi. Des excuses sont insuffisantes

pour un tel crime, mais vous avez les miennes.

Il poussa un lourd soupir, comme s’il était personnellement atteint par ce qu’elle avait subi.

— Ce n’est pas votre faute, Rafiq. Au contraire, vous vous êtes mis en danger pour nous sauver.

Il l’arrêta d’un geste tranchant.

— Cela me rend fou de voir que vous avez souffert aux mains de ces brigands. Quand nous serons

rentrés, n’ayez crainte, vous aurez droit aux meilleurs soins médicaux. A une aide psychologique. A tout

ce qu’il vous faudra. Et, pendant que vous vous remettrez, nous poursuivrons vos assaillants. Bientôt, ils

passeront en justice et, croyez-moi, ils recevront le châtiment qu’ils méritent !

L’orage dans son regard fit courir un frisson d’appréhension le long de sa colonne vertébrale tandis que

Rafiq reprenait :

— Nous avons des femmes médecins très compétentes qui pourront s’occuper de vous. Vous pourrez

partager ce que vous avez vécu.

Il avait détourné le regard à ces mots, comme pour respecter l’intimité d’Isabelle, et elle comprit

pourquoi il était si indigné à la vue de ses contusions. Elle se sentit tout à la fois embarrassée et

désireuse de dissiper son inquiétude.

— Rafiq, fit-elle en posant la main sur la sienne avant même d’y avoir réfléchi, ils ne m’ont pas… Enfin…

Ils ne m’ont blessée que pour que je leur obéisse. Je n’ai pas été…

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Il referma les doigts sur la main de Belle et la puissance de son étreinte se diffusa en elle à la vitesse de

l’éclair.

— Violée ? acheva-t-il.

Elle secoua la tête. Elle s’en sortait bien et survivrait à tout ceci. Ses blessures étaient mineures. Mais

pourquoi le regard avide de ses assaillants la poursuivait-il ainsi ? Pourquoi sa gorge se serrait-elle à leur

souvenir ?

— Habibti, murmura Rafiq, touchant sa joue d’un doigt si doux, si léger qu’elle se sentit au bord des

pleurs. Vous avez traversé tant d’épreuves… Ne combattez pas vos émotions, il n’y a pas de honte à être

bouleversée.

Elle réagit aux riches inflexions de sa voix autant qu’à ses paroles, et hocha la tête, oscillant

instinctivement vers le solide réconfort que lui offrait sa poitrine. Quand il la saisit par les bras, Belle

sentit sa maîtrise lui échapper. Elle se contrôlait depuis trop longtemps et la voix chaude de l’homme

faisait tomber ses défenses, se frayait un chemin en elle, déliait ses émotions. Le soulagement se mêla

au souvenir de la terreur et sa poitrine se souleva.

De longues minutes il la maintint à distance mais, quand le premier sanglot jaillit, rauque d’avoir été

trop longtemps retenu, Rafiq attira Belle dans ses bras et l’y berça doucement. Ses lèvres murmuraient

des mots rassurants dans ses cheveux. Peu à peu, elle évacuait la souffrance avec ses larmes. La tiédeur

du corps de Rafiq la réchauffait et son odeur salée, musquée, effaçait le souvenir des effluves âcres de la

détention. Son cœur ralentit contre le sien et peu à peu elle se calma. Elle se sentait flotter à présent,

légère, comme vidée de toute substance. Ses pleurs cessèrent mais il la tenait toujours, la caressant de

sa voix douce et chaude qui parlait à ses sens. Elle aurait voulu rester dans ses bras à jamais.

Puis elle l’entendit, ce bruit sourd et rythmé qui annonçait l’arrivée d’un hélicoptère. En sécurité contre

Rafiq, elle vit l’appareil se poser. C’était la délivrance mais, curieusement, elle ne se sentait ni heureuse

ni soulagée. Le sable tourbillonna autour de l’hélicoptère et vint fouetter ses jambes. Elle voulut relever

la tête.

— Là, fit Rafiq paisiblement, inutile de se précipiter.

Il fut doux à Isabelle de se serrer de nouveau contre lui. Toute volonté propre, cette volonté qui l’avait

maintenue en vie, la désertait à présent.

Les pales de l’hélicoptère s’immobilisèrent. Sans pour autant la lâcher, Rafiq s’était tendu. A

contrecœur, Belle releva la tête, ouvrit les yeux… Un groupe d’hommes s’avançait et elle reconnut les

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premiers: Daoud, impressionnant avec ses yeux perçants et son visage mangé par la barbe, et un

homme plus jeune, le consul britannique à Kharoum, qu’elle avait rencontré à son arrivée.

Il n’y avait pas de consul australien à Kharoum, mais Duncan était britannique et son gouvernement,

cherchant à resserrer les liens avec la riche petite nation pétrolière, avait soutenu leur expédition

conjointe.

Daoud s’approcha et parla rapidement. Puis ce fut au tour du consul, David Gilham, de s’approcher :

— Altesse, puis-je exprimer…

— Altesse ? répéta Belle en se redressant, sidérée.

Le consul se tourna vers elle.

— Mademoiselle Winters, j’espère que vous allez bien.

Elle hocha la tête, toujours soutenue par Rafiq. Ses bras étaient un étau et il ne la lâchait pas.

— C’est bon de vous revoir, dit-elle.

Alors les bras de Rafiq se détendirent et elle fit quelques pas hésitants vers le jeune consul.

— Je suis heureux de voir que vous ne semblez pas gravement blessée, c’est un grand soulagement pour

nous tous. Eh bien, je crois qu’il est temps que je fasse les présentations, reprit-il en regardant Rafiq

comme s’il attendait une approbation qui vint sans tarder. Mademoiselle Winters, permettez-moi de

vous présenter Son Altesse le cheikh Rafiq Kamil Ibn al Akhtar, prince régnant de Kharoum.

Page 25: 1.le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/delivree...1. Belle pessa ses mains l’une conte l’aute et se concenta su l’essentiel : ne pas se laisse envahi pa la peur. Le

3.

Rafiq salua d’un bref signe de la tête le garde en poste devant la chambre d’hôpital où reposait Belle. A

sa vue, un médecin se précipita.

— Altesse, j’ai bien peur que Mlle Winters se soit assoupie…

— Ma visite sera courte, rétorqua Rafiq alors que le garde s’écartait pour le laisser entrer.

Pourquoi était-il si pressé de voir Belle ? Il préférait ne pas examiner de trop près ses motivations…

Toute la journée, il avait fait ce que le devoir commandait : visiter les îlots ravagés par la tempête,

organiser le déploiement des secours, présider un conseil des ministres exceptionnel pour prendre des

mesures contre les kidnappings et évaluer le risque politique qu’ils posaient. Il avait bien sûr écouté les

spécialistes de la sécurité et suivi les progrès de l’enquête. Chacune de ces tâches était aussi

indispensable qu’urgente.

Et, maintenant, ce qu’il faisait n’était urgent que pour lui. Depuis qu’il l’avait laissée à la charge des

médecins, il brûlait de revoir Belle. Après avoir pris une profonde inspiration, il entra dans la chambre.

Les volets tirés adoucissaient la lumière de cette fin d’après-midi, et la chambre était plongée dans le

calme. Immédiatement, son regard alla vers le lit où un nuage de cheveux blonds encadrait un visage

bien trop pâle. Belle était endormie et reposait, immobile, sous le drap de coton blanc.

Le cœur de Rafiq fit un bond douloureux dans sa poitrine. N’était-elle pas trop calme ? Il n’entendait

même pas sa respiration. D’une enjambée, il se rapprocha du lit. Le docteur qui le suivait tenta de le

freiner.

— Elle dort depuis des heures, Altesse, et il est vraisemblable qu’elle ne se réveille pas avant demain.

Nous vous préviendrons alors, si vous le désirez.

Rafiq s’arrêta devant le lit, les mains jointes derrière le dos. Il tenait ce geste de son grand-père car,

comme celui-ci le lui avait enseigné, il y avait des moments où il fallait agir vite et d’autres où il fallait

afficher son calme.

Il observa la fragile silhouette étendue devant lui, si vulnérable, et, lorsqu’il perçut enfin le léger son de

sa respiration, la tension qui le tenaillait se relâcha.

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Bien sûr qu’elle était en vie ! Qu’avait-il donc craint ? Le personnel médical ne connaissait-il plus son

métier ? Ils avaient parlé d’épuisement, de brûlures et de déshydratation mais rien d’assez grave pour la

mettre en danger.

Elle avait eu de la chance.

Mais les bandages à ses poignets, les cloques sur ses épaules, le goutte-à-goutte à son bras… Rafiq serra

les poings alors qu’une décharge d’adrénaline noyait ses veines. Une sombre fureur lui noua le ventre,

comme chaque fois qu’il songeait aux auteurs de cette abomination.

De la chance, oui, Belle en avait d’être encore en vie. Ses ravisseurs, grâce au ciel, avaient décidé de les

laisser mourir sur l’île à petit feu, plutôt que de les achever sur-le-champ. Et, heureusement aussi, le

chef de la bande, Selim al Murnah, n’avait pas pris part au kidnapping. Ce monstre de cruauté n’aurait

pas manqué d’exercer ses sinistres talents sur une jeune et jolie femme. Belle à la merci de ce malade,

c’était une image qu’il ne pouvait supporter. Une bile amère lui monta à la gorge. Elle avait échappé de

peu à la torture et à la mort.

Il regarda longuement ces traits déjà si familiers, les pommettes hautes, le nez droit, volontaire, les

cheveux d’or… Et sa bouche… Même craquelée comme elle l’était encore par les brûlures du soleil et la

soif, elle gardait tout son pouvoir de séduction. C’était une bouche faite pour le plaisir de l’homme, une

bouche de courtisane dont l’image le hantait depuis la première fois qu’il avait vu Belle, à moitié nue,

épuisée mais si courageuse qu’il l’en avait admirée.

— Altesse ?

Le murmure le fit sursauter et il se retourna. Le praticien le regardait d’un air inquiet.

— Très bien, fit Rafiq, inclinant la tête. Je vois que vous faites tout votre possible pour Mlle Winters.

Soyez assuré de ma gratitude. Elle et M. MacDonald sont des invités de marque chez nous. Tenez-moi au

courant de leurs progrès.

— Bien entendu, Altesse.

Rafiq allait sortir lorsqu’un imperceptible mouvement attira son regard. Le drap blanc avait frémi. Belle

fronça légèrement les sourcils, et lentement ses yeux s’ouvrirent. Le souffle de Rafiq se bloqua lorsqu’il

vit une étincelle allumer son regard : elle l’avait reconnu.

— Vous êtes venu, murmura-t-elle d’une voix rauque.

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Rafiq fut envahi d’un soulagement immense. Pour la première fois depuis de longues heures, la raideur

de ses épaules s’atténua. Il pressa doucement la main de Belle, comme pour lui insuffler un peu de sa

force.

— Bien sûr que je suis venu, ma chère. Vous ne pensiez pas que j’allais vous abandonner ?

Elle ne répondit pas, se contentant de le dévorer des yeux, ces yeux bleus dans lesquels Rafiq aurait

voulu se noyer. Leur clarté s’insinua en lui, le clouant sur place. Soudain, il sentit la main de Belle devenir

molle et ses paupières se fermèrent.

— Si vous permettez, Altesse…

A contrecœur, Rafiq laissa sa place au médecin qui prit le pouls de Belle.

— Tout va bien, fit celui-ci, elle s’est juste rendormie. Peut-être va-t-elle récupérer plus vite que prévu,

votre visite a paru la réconforter.

Il y avait comme une interrogation muette dans la voix du praticien. Mais Rafiq connaissait

suffisamment l’art de la communication pour s’y être préparé.

— Je faisais partie de l’équipe qui a récupéré les deux archéologues, fit-il en guise d’explication. Il est

normal qu’elle m’ait reconnu tout de suite.

— Oh ! bien sûr, murmura le médecin sans insister.

Rafiq résista au besoin qui le tenaillait de regarder Belle une dernière fois et se dirigea vers la chambre

de Duncan. Le collègue de Belle était éveillé et les volets entrouverts de sa chambre laissaient passer un

rayon de soleil qui enflammait ses cheveux roux. Sa jambe était surélevée et son torse bandé. Il avait été

blessé en essayant de protéger Belle. C’était manifestement un homme courageux. Pourquoi Rafiq était-

il aussi réticent à faire plus ample connaissance ?

— Je suis content de vous voir en meilleure forme, monsieur MacDonald, dit-il après que le docteur eut

procédé aux présentations.

— Altesse, répondit Duncan, marquant une pause après le titre comme le faisaient la plupart des

Occidentaux, je vous dois des remerciements. D’après ce que je comprends, vous êtes responsable de

notre sauvetage.

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— Vous n’avez pas besoin de me remercier, monsieur MacDonald. Nous sommes heureux d’avoir pu

vous retrouver en vie, vous et Mlle Winters.

— Belle ! Comment va-t-elle ?

Rafiq entendit l’inflexion angoissée de sa voix.

— Bien. Elle dort et va se remettre complètement.

— C’est que je me sens responsable d’elle, expliqua Duncan, soulagé.

Rafiq connaissait bien ce sentiment. Au moins Duncan avait-il la consolation d’avoir fait de son mieux

pour lui épargner la souffrance. Mais Rafiq, lui, portait tout le poids de la responsabilité. C’était lui qui

avait donné son accord à leur venue… Et cela le rongeait.

— Au nom de tous les Kharoumis, puis-je vous exprimer nos plus profonds regrets ? Nos forces de

sécurité écument le pays à la recherche de vos ravisseurs.

— Ils seront jugés ?

— Bien entendu, il n’y a plus depuis longtemps de justice expéditive dans notre pays. Vous serez

convoqué pour témoigner, si votre état de santé le permet.

Selim et ses complices seraient traqués comme les chiens enragés qu’ils étaient. La dissension politique

était une chose. Mais les complots et la violence ne sauraient être tolérés. Le kidnapping faisait partie

d’une stratégie visant à déstabiliser la démocratie de Kharoum. Selim s’abritait derrière une idéologie

extrémiste mais ne recherchait en fait que le pouvoir personnel.

— Nous vous avons retrouvés, après tout, ajouta Rafiq avec un demi-sourire.

Et Dieu sait combien ils avaient été près de l’échec. L’atoll était tellement petit… Heureusement qu’il

avait pris part aux recherches, car il connaissait assez Selim pour chercher dans la bonne direction.

— Et je sais ce que nous vous devons. Altesse, reprit Duncan après une hésitation. Puis-je abuser de vos

bontés ? Ma fiancée n’a pas de visa pour Kharoum et je sais qu’en obtenir un peut prendre des

semaines…

Rafiq ne put retenir le large sourire qui s’épanouit sur son visage, le premier sincère depuis qu’il était

entré ici ! Donc, MacDonald était fiancé.

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— Bien sûr, je vais donner des ordres pour accélérer la procédure et demander à Mlle Winters si elle a

besoin d’un service semblable.

— Belle ? Ça m’étonnerait qu’elle en ait besoin. Ni fiancé ni petit ami ne l’attendent à la maison.

Bien. Voilà qui devenait intéressant.

* * *

Belle s’enfonça avec un soupir de soulagement dans la confortable banquette en cuir de la limousine. Au

moins, elle était sortie de l’hôpital. Au bout de trois jours, elle se sentait parfaitement remise mais le

personnel avait insisté pour qu’elle passe toute une batterie de tests supplémentaires. A croire qu’ils

avaient ordre de ne pas la lâcher… Elle avait dû les menacer de partir avec ou sans leur autorisation. Et,

à présent, elle se retrouvait dans une somptueuse limousine, alors qu’elle avait demandé un simple taxi.

Elle n’avait pourtant rien d’un VIP !

La limousine démarra en souplesse. Belle aurait dû être heureuse de regagner le logement de fonction

qu’on avait mis à leur disposition. Elle avait tant à faire ! Rassurer sa mère par un long coup de

téléphone, trouver un remplaçant à Duncan, se rendre sur le site de l’épave pour vérifier que la tempête

ne l’avait pas endommagée… Pour un navire échoué deux mille ans plutôt, il était encore en

remarquable condition. Si jamais l’ouragan l’avait abîmé, c’était tout son projet qui s’écroulait, juste au

moment où elle commençait à se faire une réputation dans le milieu de l’archéologie sous-marine.

Pourquoi n’était-elle pas plus excitée à l’idée de reprendre le cours normal de sa vie ?

Une sorte de tension la rongeait qui, peu à peu, se transformait en peur. Peur de ne pas être en sécurité,

seule dans leur appartement de fonction. Peur de voir surgir des hommes masqués, brandissant des

fusils. Elle avait revécu tant de fois leur agression qu’elle avait du mal à se persuader que tout cela était

derrière elle. Le médecin avait parlé d’une machination politique dans laquelle Duncan et elle n’étaient

que des pions qui s’étaient trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Et pourtant, son angoisse

ne cédait pas.

Elle tenta de se réconforter en admirant la vieille ville brillamment éclairée, aux quartiers animés. Ils

dépassèrent un marché nocturne et, soudain, la limousine obliqua. Belle découvrit le palais, illuminé

comme un château des Mille et Une Nuits. A sa vue, tout un imaginaire se réveilla en elle, génies et tapis

volants, nuits chaudes et parfumées de jasmin… La façade du palais, qui donnait sur la mer, affichait la

solidité d’une forteresse, ceinte de solides murailles. Mais, du côté qui surplombait la ville, c’était un

chef-d’œuvre d’art islamique avec ses dômes dorés, ses arches délicatement sculptées, ses jardins et ses

fontaines.

La limousine s’arrêta face à une grille gardée.

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— Mais vous ne pouvez pas entrer là ! lança Belle.

Sans se soucier d’elle, le chauffeur montra un papier au garde et, au grand étonnement de Belle, le

portail s’ouvrit.

— Mais que faites-vous ? Ce n’est pas ma destination.

Le chauffeur lui répondit avec le plus grand calme.

— J’ai ordre de vous conduire ici, mademoiselle.

Le cœur battant, elle se renfonça dans son siège. Il n’y avait qu’une seule explication à cela : il voulait la

revoir. Celui qu’elle essayait d’oublier depuis qu’elle avait repris ses sens, l’homme qui l’avait vue faible

et désemparée, qui avait su atténuer son désespoir, la réconforter contre lui, la rassurer de ses douces

paroles. Mais aussi celui qui avait lu le désir cru dans ses yeux et qui s’était dérobé. C’était à cet homme

qu’elle allait devoir faire face.

La voiture s’arrêta et un valet en longue tunique s’avança pour lui ouvrir. D’un geste vif, elle lissa ses

cheveux. Elle n’était pas vraiment vêtue pour une entrevue royale mais au moins, cette fois, elle portait

quelque chose de plus convenable qu’un maillot de bain ! Elle espéra que son courage l’aiderait à

vaincre son embarras, et sortit.

Rafiq al Akhtar lui avait sauvé la vie, elle pouvait quand même le remercier. Ce serait humiliant de lire

dans ses yeux le souvenir de ce qui s’était passé entre eux mais ce serait vite terminé. Et elle n’aurait

plus à le revoir par la suite.

— Masa’a alkair, mademoiselle Winters. Bonsoir. Soyez la bienvenue au palais.

C’était Daoud qui s’avançait dans sa longue tunique flottante, l’air bien différent de celui qu’elle lui avait

connu.

— Masa’a alkair, Daoud. Cela me fait plaisir de vous revoir. Je tenais à vous remercier pour tout ce que

vous avez fait pour Duncan et moi.

— Je vous en prie, mademoiselle, ce n’était que mon devoir. Si vous voulez me suivre…

Ils franchirent de lourdes portes de bois sculpté gardées par deux valets qui les refermèrent derrière

eux. Belle frémit au bruit sourd évoquant celui d’une porte de prison. Toute retraite lui était maintenant

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interdite. Mais non, elle n’avait rien d’une prisonnière dans ce palais ! Après une brève audience, elle

repartirait comme elle était venue. Il n’y avait absolument pas de quoi paniquer.

La salle qu’ils traversèrent était d’un luxe incomparable. Sous un dais de brocart, elle découvrit le trône,

auquel on accédait par deux marches. Heureusement, songea Belle, que Rafiq n’avait pas eu l’idée de la

recevoir ici ! Cette entrevue la mettait déjà assez mal à l’aise sans qu’elle ait à prendre en compte la

magnificence des lieux !

Finalement, Daoud atteignit une porte, elle aussi à double battant, à laquelle il frappa.

— Entrez.

Belle, frémissante, reconnut la voix qui avait hanté ses nuits avec ses sonorités de miel, promettant le

réconfort et bien d’autres choses encore. D’où lui venait une telle faiblesse ?

Daoud s’effaça pour la laisser passer et, inspirant profondément, Belle entra. Bientôt, elle serait délivrée

de cette formalité.

Mais, dès qu’elle vit Rafiq, elle s’immobilisa. Il était aussi beau que dans son souvenir.

— Belle, je vous en prie, venez.

Il s’approcha jusqu’à ce qu’elle se sente enveloppée dans son aura, hypnotisée par ce regard vert océan

qui ne la lâchait pas. Ses cheveux noirs étaient brillants comme s’ils étaient humides. Il portait une

tunique longue de coton fin, grise et parsemée de vaporeuses arabesques vertes. La tunique était

ouverte au col, révélant le cou droit et quelques centimètres de sa poitrine d’ambre. La cicatrice nette

sur sa joue rappelait les dangers que sa fonction lui faisait traverser. Belle s’obligea à enfouir dans sa

mémoire le souvenir de leurs moments d’intimité forcée, de sa peau luisante quand il était sorti de

l’eau…

— Altesse.

Il s’approcha et prit sa main.

— Ah non ! Rafiq, je vous prie, dit-il en l’attirant vers lui.

La lumière émeraude de ses yeux la captivait, et la sensualité de ses lèvres ôtait toute sévérité à son

visage. Malgré elle, elle se sentit rougir sous son regard.

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— Je suis si heureux de vous voir en bonne santé.

Sa voix basse et profonde joua sur ses nerfs déjà à vif.

— Mlle Winters sort à peine de l’hôpital, fit la voix de Daoud derrière eux. Elle doit être encore bien

faible.

— Merci, Daoud, répondit un peu sèchement Rafiq, je ne la garderai pas longtemps. Tu peux disposer, à

présent.

Daoud s’inclina avant de se retirer, refermant silencieusement les portes derrière lui.

Ils étaient seuls. Rafiq n’avait pas lâché sa main et conduisit Belle au centre de la pièce, vers un

confortable sofa recouvert de coussins. Quand elle perçut son parfum épicé et chaud, terriblement

mâle, quelque chose tressaillit en elle, comme une réponse instinctive. Il s’assit sur un second sofa en

face d’elle mais, même à cette distance, Belle subissait l’assaut de son charme. Il y avait entre eux une

connexion palpable, un lien vibrant qui la déconcertait et allumait en elle une chaleur palpitante. Peut-

être le personnel de l’hôpital avait-il eu raison d’insister sur son besoin de repos ? Pareille réaction ne

pouvait être normale.

— Comment vous sentez-vous ? demanda Rafiq.

— Oh ! très bien… Tout le monde a été formidable à l’hôpital. Gentil, très attentif.

— Nous étions tous soucieux de votre convalescence. J’ai demandé régulièrement de vos nouvelles.

Bien sûr. Quel embarras pour leur gouvernement si les deux étrangers n’avaient pas survécu ! Il n’y avait

rien de personnel dans l’intérêt que Rafiq portait à sa santé. Et pourtant il s’était déplacé à son chevet…

et elle avait passé les trois jours suivants à rêver de lui.

— Je ne vous remercierai jamais assez. Sans vous, Duncan et moi ne serions plus de ce monde. Nous

vous devons la vie.

— Vous ne me devez rien, Belle, vous n’étiez qu’une victime innocente et il était de mon devoir de vous

tirer d’affaire. Comme il l’est encore d’assurer votre sécurité.

— Je suis en sécurité, non ? lança-t-elle en fronçant les sourcils.

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Y avait-il un problème ? Soudain, l’image de visages grimaçants se remit à danser devant les yeux de

Belle. Elle allait rentrer seule dans le petit logement de fonction. Tout pouvait arriver. Une sueur froide

perla à son front.

— Vous le serez, répondit Rafiq, le visage fermé. Nous ne prendrons aucun risque. Jusqu’à ce que vos

ravisseurs soient sous les verrous, vous restez au palais.

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4.

Au palais ? Dans le lieu même où il habitait ? Le voyant chaque jour, soumise à la torture des fantasmes

qu’elle ne pouvait réprimer en sa présence ? Non, merci.

— Ce ne sera pas nécessaire, dit-elle d’un ton qu’elle eut le plaisir de découvrir très calme alors que son

cœur se déchaînait.

— Oh mais si, c’est nécessaire et il en ira ainsi.

Le ton de Rafiq était implacable. Un frisson d’excitation la parcourut et Belle porta une main à son front.

Il lui semblait avoir basculé dans une autre réalité, où l’impensable devenait le lot quotidien. Mais, après

ce qu’elle avait traversé, plus rien n’était impossible.

— Vous êtes souffrante ?

Il y avait de l’inquiétude dans sa voix, démentant le flegme affiché.

— Non, dit-elle en secouant doucement la tête. Je suis juste un peu perdue.

Et soudain fatiguée, si fatiguée…

— Vous avez besoin de repos. Nous reparlerons de tout cela demain.

— Non !

Rafiq leva un sourcil incrédule. Pour la première fois, Belle voyait pointer en lui l’arrogance de l’homme

né pour diriger et être obéi.

— Je veux en discuter tout de suite, reprit-elle. Et Duncan, il est en danger, lui aussi ?

Soudain, elle se figea au souvenir des gardes en faction à leur porte d’hôpital et dans les couloirs.

— Ne paniquez pas, Belle. Il est bien gardé et vous le serez aussi. Rien de mal ne peut vous arriver ici.

Une assurance absolue résonnait dans sa voix posée qui parvint une fois encore à la tranquilliser. C’était

magique, se dit-elle en sentant la tension quitter ses épaules.

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Depuis le premier instant sur l’îlot, elle lui avait fait une confiance aveugle, certaine qu’il parviendrait à

vaincre même les forces de la nature.

— Cependant, reprit Rafiq, je ne veux courir aucun risque. Ceux qui vous ont kidnappés sont des

hommes aux abois, qui n’ont rien à perdre et peuvent tout tenter. Plus vous êtes près de moi, mieux je

peux assurer votre sécurité.

Près de lui ? L’idée faisait naître en elle des images interdites, des fantasmes qu’elle s’était promis de ne

plus nourrir. Belle tenta de maîtriser son imagination pour réfléchir. Elle ne suivait pas le raisonnement

de Rafiq. Ses ravisseurs participaient à une machination politique, si elle avait bien compris. Ils n’avaient

rien contre elle en particulier.

— Je préférerais retourner à notre logement de fonction, reprit-elle avec entêtement.

Elle avait besoin de la routine du travail pour oublier ce qu’elle avait vécu. Et tenter d’oblitérer le

souvenir de Rafiq. Elle sentait son sang circuler plus vite, une effervescence de tout son corps qu’elle ne

connaissait pas auparavant. Et tout cela l’effrayait.

— Pas question, trancha Rafiq d’un ton si définitif qu’elle comprit qu’il n’envisageait même pas la

discussion. Tant que vous êtes à Kharoum, je suis responsable de votre sécurité. Et je peux décider de

mettre fin à votre séjour.

Etait-ce une menace ? Il lui rappelait en tout cas que sa présence sur l’île ne dépendait que de son bon

vouloir. Les sourcils froncés de Rafiq s’étaient détendus et il la contemplait avec une intensité qui la

rendit nerveuse. Allait-il compromettre la suite de leur expédition simplement parce qu’elle refusait de

se plier à sa volonté ?

— Je vous remercie de votre sollicitude, Altesse, mais…

Elle se leva et sentit la tête lui tourner. Aussitôt la main de Rafiq fut sur son bras pour la stabiliser.

— Mais vous n’en voulez pas, acheva-t-il en souriant. Ne vous inquiétez pas, allez vous reposer tout

d’abord et nous en parlerons demain tout à loisir.

Le sourire éblouissant de Rafiq transformait ses traits autoritaires et il devenait l’homme le plus sexy

que la terre ait porté. Du pouce, il caressa doucement son bras et ce geste intime déclencha en elle des

vagues de désir. Elle se sentit pencher vers lui et pria le ciel de ne pas tomber dans ses bras.

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— Mademoiselle Winters, fit-il d’une voix douce et persuasive, voudriez-vous me faire l’honneur de

passer la nuit ici comme mon invitée ? Ce sera pour nous un privilège de vous faire goûter à l’hospitalité

de Kharoum après les épreuves que vous avez traversées.

Evidemment, demandé ainsi. Cet homme avait-il la moindre idée du sex-appeal qu’il dégageait ?

— Eh bien, merci pour cette invitation. Ce sera très plaisant.

Il la regarda en souriant, consumant le reste de ses défenses. Son regard était un océan inconnu où elle

craignait de perdre pied.

* * *

Le soleil était déjà haut quand Belle se réveilla dans l’immense lit de sa chambre luxueuse. Au-dehors,

un oiseau chanta quelques trilles. La lumière filtrée jouait sur les fresques délicates qui recouvraient les

murs de grappes de fruits et de fleurs exotiques.

Elle était en vie. Et en sécurité chez Rafiq.

A l’évocation de son hôte, des fragments de rêves remontèrent à sa mémoire : elle s’était soumise à

toutes ses demandes, même les plus intimes. Et elle y avait pris tant de plaisir… Certes, ce n’était qu’un

rêve mais, pour une femme qui ne s’était jamais rien laissé dicter par aucun homme, pareilles

divagations étaient étonnantes.

Elle se précipita hors du lit comme si le diable était à ses trousses. N’aurait-elle pas dû être heureuse

d’avoir évité les cauchemars tant redoutés ? Mais l’alternative, ces fantasmes érotiques débridés où

Rafiq jouait le rôle principal, eh bien, ce n’était pas tenable non plus.

Depuis plus de deux ans, elle menait une existence austère, entièrement dévouée au travail. Elle n’avait

eu le temps ni pour les amis, ni pour une quelconque romance. D’ailleurs, peu d’hommes étaient attirés

par une femme qui faisait passer son métier avant tout. Et son indépendance d’esprit n’aidait guère.

Donc le sexe n’avait pas tenu une grande place dans sa vie. Peut-être avait-elle la réaction normale et

saine d’un corps jeune soumis à l’abstinence.

C’était comme si le cyclone auquel ils avaient survécu plaqués l’un contre l’autre s’était logé au cœur

d’elle-même, plaçant son épicentre au plus profond de sa féminité et balayant ses défenses tout comme

ses inhibitions.

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Non, elle ne devait pas se laisser aller à penser ainsi. Le praticien l’avait prévenue du stress post-

traumatique qui la guettait. Sa faiblesse, cette impression de fragilité étrangement combinée à une

vibration profonde devaient en être des symptômes. Même si la voix de Rafiq était douce et veloutée au

point de charmer les oiseaux. Même si elle ne pouvait détacher les yeux de lui.

Mais aujourd’hui, après une bonne nuit de sommeil, les choses en iraient autrement : à la vue de Rafiq,

elle ne ressentirait que de la gratitude.

* * *

Elle suivit un dédale de corridors et déboucha sur une cour intérieure. Le spectacle sublime qui s’offrait

à elle l’arrêta net : un cloître à hautes arches minutieusement découpées en dentelle de marbre

encadrait un patio de citronniers aux fruits luisants. Au milieu se trouvait une fontaine entourée d’un

bassin bas, carrelé de mosaïques, et le murmure constant de l’eau rafraîchissait l’air. Un parfum de fleur

d’oranger imprégnait les lieux, assaillant de douceur les sens de Belle. Elle s’approcha du bassin dont le

chatoyant carrelage avait retenu son regard. La mosaïque représentait un gigantesque paon à la queue

largement déployée. Le jeu de l’eau sur les couleurs vives donnait l’impression que le plumage de

l’animal était vivant. Le talent de l’artiste qui l’avait réalisé devait être immense, songea-t-elle en se

penchant pour mieux apprécier les détails.

— Vous aimez notre paon ? demanda une voix sensuelle sortie de l’ombre du cloître.

Belle n’eut pas besoin de lever la tête pour savoir qui avait parlé : elle aurait reconnu ce timbre

n’importe où. Déjà son pouls s’accélérait, l’excitation montait en elle… S’il lui suffisait d’entendre cet

homme pour se retrouver dans cet état, elle était mal partie ! Précautionneusement, elle garda les yeux

sur la mosaïque.

— C’est spectaculaire. Je n’ai jamais rien vu de tel.

— La mosaïque est un art très prisé à Kharoum.

Rafiq s’approchait. Belle serra les poings et s’obligea à ne pas bouger. Mais la chaleur monta de son

ventre à ses joues. Et elle n’osait toujours pas le regarder !

— Autour du paon, demanda-t-elle, les carreaux sont-ils dorés à la feuille d’or ?

— C’est de l’or pur.

Cette fois elle s’était retournée, d’un bloc, et soutint son regard vert.

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— Mais il y en a des mètres carrés ! poursuivit-elle, sidérée.

— Péché d’orgueil, peut-être, répondit Rafiq en haussant les épaules comme s’il évoquait une simple

peccadille. Il fallait bien un tel écrin pour mettre en valeur le paon : le violet vient de l’améthyste, le vert

du jade et de la malachite. Il y a aussi du grenat, de la topaze, de l’ambre, du lapis-lazuli…

— Cela a dû coûter une fortune, murmura Belle, incapable de détacher son regard des profondeurs

océanes du sien.

Les riches accents du rire de Rafiq résonnèrent sous le cloître. Belle se mordit la lèvre. Quelle naïveté !

Les cheikhs de Kharoum n’étaient-ils pas célèbres pour leur immense fortune ? Que leur importait le

coût d’une œuvre d’art ?

— Mes ancêtres avaient un goût prononcé pour le luxe et ils aimaient montrer leur richesse. La

mosaïque a plusieurs centaines d’années. Elle a dû être commandée à la suite d’une saison

particulièrement fructueuse.

— D’une saison ? Que voulez-vous dire ?

Le sourire de Rafiq s’élargit et Belle sentit ses jambes fléchir sous l’assaut de son charme.

— D’une saison de flibuste. Pendant des siècles, Kharoum a vécu des taxes extorquées à ceux qui

voulaient passer en mer Rouge. Mes ancêtres étaient pirates et le pillage faisait partie de leurs

coutumes si un navire ne voulait pas payer.

La cicatrice de sa joue était comme un rappel de ce passé tumultueux. Belle sentit son souffle s’accélérer

en contemplant ce visage arrogant dont le soleil soulignait les angles et les lignes aristocratiques. Elle

frémit d’un désir primitif, trépidant.

L’homme exsudait la volonté de possession et elle l’imaginait sans difficulté aux commandes d’un navire

comme ses ancêtres, pillant et s’attribuant ce qui excitait sa fantaisie. L’héritage de ses ancêtres n’était

pas loin sous l’enveloppe du monarque moderne, à la tête d’une nation démocratique qui tirait ses

revenus du pétrole off-shore.

Belle avala péniblement sa salive, captivée par l’étincelle qui dansait dans les yeux de Rafiq, soudain

consciente du parfum musqué de sa peau bronzée toute proche.

— Donc, vos ancêtres se sont enrichis par le pillage ?

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Elle aurait dû connaître l’histoire de l’île mais, absorbée par ses recherches archéologiques, elle avait

négligé d’étudier le récent passé de Kharoum. Elle savait qu’il y avait eu des pirates mais pas qu’ils

étaient menés par la famille royale !

Rafiq hocha la tête.

— Oui et, comme vous le voyez, ils ont su profiter de leurs richesses. Le paon est devenu un emblème de

ma famille.

Il s’était approché et, la prenant par le bras, lui fit faire le tour de la fontaine. La chaleur de sa main la

pénétrait et elle retrouvait les sensations vécues en rêve.

— L’oiseau est magnifique, jeta-t-elle dans un effort désespéré pour faire la conversation et ne pas se

laisser submerger par ce qu’elle ressentait. Mais c’est un emblème inhabituel.

Surtout pour une famille de pirates, qui avait pu produire un héritier tel que Rafiq, un modèle de virilité

qui irradiait dans la chaleur du désert. Il la dirigea vers deux sièges ombragés de citronniers et elle se

laissa aller avec reconnaissance sur les coussins chatoyants.

— Le paon est l’un des deux motifs que vous trouverez dans la décoration du palais, expliqua-t-il. L’autre

est le faucon, prisé pour sa puissance, sa rapidité et ses talents de chasseur. A des époques moins

civilisées, il représentait les valeurs les plus éminentes des hommes de ma famille. Le paon, lui,

symbolisait la riche beauté de leurs épouses. La partie du palais où nous nous trouvons est l’ancien

harem et ce bassin décoré est un hommage aux femmes du cheikh.

Un frisson étrangement plaisant secoua Belle à l’idée d’avoir passé la nuit dans le harem d’un cheikh. De

Rafiq… Décidément, les choses ne s’arrangeaient pas pour elle.

Deux jeunes servantes arrivèrent et posèrent sur une petite table à côté d’eux un plateau de fruits, des

pâtisseries et du café. Rafiq les remercia d’un signe de tête, sans quitter Belle du regard. Elle lui posait

un problème, et pas seulement à cause des complications politiques que créait sa présence au palais. Ce

n’était pas cela qui l’avait tenu éveillé une bonne partie de la nuit mais la femme elle-même :

intelligente, pleine de vie. Désirable.

— Servez-vous, je vous en prie.

Rafiq avait senti son bras trembler quand il l’avait touchée et elle s’était presque effondrée dans le

fauteuil qui l’attendait. Il la savait résistante pourtant, elle avait montré son stoïcisme lors de leur nuit

sur l’îlot. Et, aujourd’hui, il la voyait vaciller. Devrait-il appeler un docteur ? Elle évitait son regard, et il

remarqua le soulèvement rapide de ses seins, ses efforts pour stabiliser sa respiration. Après tout, peut-

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être n’était-ce pas d’un médecin dont elle avait besoin. Il se rappela la façon dont elle l’avait regardé la

veille, comme si elle ne voyait que lui et rien du luxueux décor du palais. Quand il posait la main sur elle,

elle tressaillait. Il en ressentit une profonde satisfaction.

Il leur versa une tasse de café fort et aromatique.

Le soleil jouait dans les cheveux de Belle, les transformant en une parure d’or pur, ses yeux étaient plus

brillants que les saphirs des joyaux princiers, et ses lèvres… Soudain, il les voulait, fraîches et tendres

contre sa peau brûlante.

— Bien sûr, il n’y avait pas que l’or et les joyaux que mes ancêtres prenaient comme butin. Les al Akhtar

étaient réputés pour n’aimer que les belles choses. Et leur goût en matière de femmes était renommé.

A cette remarque, Belle faillit s’étrangler sur le petit triangle de pâte d’amande qu’elle goûtait.

— Ils n’hésitaient pas, reprenait Rafiq, à enlever les plus belles femmes sur les navires ennemis. Ils

considéraient cela comme leur droit.

Il se pencha sous le prétexte de choisir à son tour une pâtisserie, se rapprochant de Belle au point de

pouvoir lire la fascination qui se mêlait à l’indignation dans ses yeux. Elle le fusilla du regard.

— Pas étonnant que votre famille ait eu la réputation de donner des souverains impitoyables !

— Bien sûr, de nos jours, de tels procédés seraient jugés barbares mais, trois générations plus tôt, ce

n’était pas le cas. Et cela engendrait parfois de belles histoires. Mon arrière-grand-mère ne voulait plus

repartir une fois libérée du bateau qui l’emmenait.

Belle écarquilla les yeux.

— C’est-à-dire ?

Son visage délicat reflétait une palette d’émotions contradictoires.

— Elle venait d’Angleterre, expliqua Rafiq, en route pour les Indes où elle devait épouser un militaire

qu’elle connaissait à peine. Dans la famille, on raconte qu’après son enlèvement mon arrière-grand-père

et elle sont tombés très amoureux l’un de l’autre.

— Mais elle n’a pas pu…

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Rafiq se cabra.

— Que voulez-vous dire ? Qu’elle n’a pas pu tomber amoureuse d’un homme d’une autre culture ? dit-il

d’un ton tranchant.

— Non, pas du tout, dit Belle en secouant la tête, faisant voleter ses cheveux d’or autour d’elle. Je me

demandais seulement comment elle avait pu accepter de n’être qu’une femme parmi toutes celles du

harem.

Rafiq prit une gorgée de café et parut étrangement satisfait de sa réaction.

— Ah, votre inquiétude concerne seulement le rang qu’elle tenait dans son affection, non le fossé

culturel qui les séparait… Vous êtes une romantique, Belle. Mais rassurez-vous, même s’ils se sont

rencontrés de façon peu orthodoxe, elle en est vite venue à le vouloir autant qu’il l’avait voulue. Mon

arrière-grand-père était très jeune alors et il n’avait pas de concubines. Il lui est resté fidèle.

Il lui avait pris la main en parlant et avait senti un frisson parcourir sa peau tendre. Cela lui plaisait

qu’elle réagisse aussi instinctivement à sa caresse. Son pouls battait vite, révélant ce qu’elle aurait sans

doute préféré cacher…

— En fait, poursuivit-il, poussé par quelque démon intérieur, leur couple a jeté les bases d’une tradition

dans la famille. Depuis leur histoire d’amour, les al Akhtar n’ont plus pris qu’une femme. Et, quand ils

trouvent la perle rare, ils ne la laissent plus partir.

La tension entre eux avait crû peu à peu, et elle atteignit un pic qu’il put lire dans le regard sidéré de

Belle. Soudain, il relâcha sa main. Elle la reprit vivement mais, sur sa peau, elle sentait toujours la trace

de celle de Rafiq et brûlait de rétablir le contact.

Rafiq ne l’avait pas lâchée des yeux, cependant. Elle était faite de contrastes, songea-t-il, une âme

déterminée et courageuse dans une enveloppe corporelle féminine et attirante. A l’évidence, elle était

troublée par la réaction qu’il suscitait chez elle. Il s’était érigé en protecteur de sa personne mais il

n’avait pas prévu à quel point elle l’intriguerait. Elle avait raison d’être nerveuse !

Il mordit dans une fraise, appréciant l’acidité qui succédait à la douceur sucrée. Belle serait-elle aussi

douce qu’une baie de plein été ? Juteuse et sucrée comme la mûre ?

— Quelle étrange histoire, soupira Belle, déstabilisée.

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— Oui, passé et présent se rejoignent parfois… Mais, aujourd’hui, il nous faut parler de l’avenir : vous

disiez hier vouloir réintégrer votre logement de fonction.

— En effet, j’ai beaucoup à faire pour préparer le remplacement de Duncan et remettre l’équipe en

ordre pour retourner à l’épave.

— Je crains que ce ne soit pas si simple, dit-il en prenant une longue gorgée de café.

Belle reposa sa tasse, se calant dans son siège à l’approche de ce qu’elle devinait être une mauvaise

nouvelle.

— L’ouragan a endommagé l’épave ?

Il secoua la tête. Vérifier l’état de l’épave n’avait pas été la priorité des équipes de secours.

— Nous n’y sommes pas allés. Notre problème n’a rien à voir avec vos recherches mais plutôt avec la

rançon qu’il a fallu payer pour vous.

Belle lui jeta un regard étonné.

— Une rançon ? Alors que vous êtes vous-même venu nous délivrer ?

— Mais nous n’étions pas sûrs d’y parvenir à temps. Et vous auriez été en grave danger si la rançon

n’avait pas été versée. Malheureusement, la nouvelle que nous vous avions récupérés n’a pas pu

parvenir à nos services avant l’expiration du délai pour le versement de la rançon.

— Et combien vous devons-nous ?

Rafiq n’en croyait pas ses oreilles. Comptait-elle les rembourser ? Même si elle l’avait pu, ç’aurait été

une atteinte à l’honneur de son pays. Il répliqua d’un ton plus vif qu’il ne l’aurait voulu :

— Vous vous méprenez. Il ne s’agissait pas d’argent mais de l’Œil du Paon.

Belle fronça les sourcils.

— Je crois que j’en ai entendu parler. Il s’agit bien d’un joyau ?

Oui, et c’était bien plus encore : c’était la pièce maîtresse de la collection royale, une parfaite imitation

en pierres précieuses de l’œil qu’on voyait sur la queue des paons. Les énormes émeraudes qui le

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composaient étaient d’une valeur inestimable, que surpassait encore sa signification historique et

culturelle.

— C’est la possession la plus précieuse de ma famille, car, depuis des générations, c’est le cadeau de

chacun des cheikhs à sa femme. C’est une tradition établie chez nous et, puisque j’ai cédé ce joyau en

échange de votre personne, il représente le prix d’une épouse. Pour tout Kharoumi, aujourd’hui, Belle,

vous êtes ma fiancée.

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5.

Fiancée… Tradition ! Belle chercha l’air, étouffant sous le poids des mots qui saturaient son cerveau.

Elle avait vu l’étincelle amusée dans les yeux de Rafiq alors qu’il lui parlait de ses ancêtres et de leurs

razzias mais, là, il ne plaisantait pas le moins du monde. Tout son être semblait tendu vers elle et son

visage affichait le plus grand sérieux.

Epouser cet homme ? C’était impossible, voyons !

Pourtant, ce n’étaient pas de sa part des paroles en l’air. Venue de nulle part, l’image de leur couple,

proche, intime, vint titiller son imagination. Elle se sentit rougir violemment, et frissonna.

Rafiq, lui, semblait maître de lui-même et de ses passions, ce qui lui donnait un sex-appeal qui

bouleversait Belle autant qu’il l’effrayait. Il avait déjà pris possession de son subconscient et, à présent, il

parlait de partager sa vie !

— Votre peuple… pense que nous sommes fiancés ?

La voix de Belle s’était brisée sur le dernier mot.

— Suivant la coutume, oui. Une coutume qui date du XVIe siècle, d’après les experts.

Autant dire une éternité… Le peuple de Kharoum devait y attacher une valeur presque mystique. Belle

commençait à peine à comprendre le prix payé pour s’assurer qu’elle reste en vie, et les conséquences

lui nouaient l’estomac. Comment Rafiq pouvait-il conserver un calme aussi royal ? Elle se renversa

contre le dossier de son siège, cherchant à retrouver son équilibre. Et si possible le sens commun.

— Mais, enfin, il y avait Duncan et la rançon était pour lui aussi, tenta-t-elle de raisonner. Le peuple de

Kharoum doit bien comprendre que vous ne cherchiez pas à m’acheter…

La fixité du regard de Rafiq était en soi une réponse. Le piège s’était refermé sur elle et il n’y avait pas de

solution aisée pour s’en affranchir.

— Bien entendu. Mais mon peuple ne veut pas abandonner ses traditions. Il a investi la modernité, vous

l’avez vu dans la ville, dans nos nouvelles infrastructures. Nous consacrons de fortes sommes à

l’éducation et le changement est en cours. Mais la fidélité des citoyens à tout ce qui touche la royauté

n’est pas prête de changer. C’est l’une des raisons qui fait de moi le chef de l’Etat alors que nous avons

un Parlement démocratiquement élu.

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Il se servit une nouvelle tasse de café avec toute la sérénité d’un homme sûr de son pouvoir. Mais les

traits durs de son visage trahissaient que, pour lui comme pour son peuple, on ne transigeait pas avec la

tradition.

— J’ai donné le joyau et je suis revenu avec vous, conclut-il. Pour mon peuple, l’équation est simple :

nous allons nous marier.

Il la regardait avec une telle intensité qu’elle sentait la caresse de son regard sur sa peau. La situation

avait beau être absurde, elle ne pouvait s’empêcher de réagir à sa virilité.

Elle secoua la tête, refusant ses affirmations, refusant le désir presque sauvage qu’elle sentait monter en

elle. Les hommes du clan al Akhtar volaient leurs femmes en haute mer et s’assuraient qu’elles n’aient

plus jamais envie de partir. C’était invraisemblable et excitant tout à la fois. Elle avait envie de cet

homme, de l’héritier de ces traditions. Comprendre cela figea Belle sur place. Elle le connaissait à peine

et pourtant une part d’elle-même exultait qu’il veuille la faire sienne ! Elle était excitée à l’idée de lui

appartenir.

Elle, qui avait bâti sa carrière à la force du poignet dans un milieu principalement masculin, qui

s’assumait à l’âge où les autres filles rêvent du prince charmant et qui savait que les fins heureuses

n’existaient que dans les romans !

Un bruit de pas décidé lui fit lever la tête, dispersant les pensées qui l’assaillaient. Daoud approchait,

habillé en treillis, et Belle sentit la tension monter en Rafiq.

— Saba’a alkair, mademoiselle, dit Daoud en s’inclinant légèrement. Je suis heureux de vous voir bien

reposée. Si vous permettez, j’ai un message urgent pour le prince.

Elle hocha la tête et Daoud reprit, se tournant vers Rafiq :

— Ce que vous aviez prévu et redouté est arrivé. A Shaq’ara, il y a moins de quinze minutes.

Sous le coup de la nouvelle, le visage de Rafiq devint aussi impassible qu’un masque. D’un mouvement

souple, il fut debout devant elle :

— Excusez-moi, Belle. Aussi importante que soit notre conversation, une urgence m’oblige à vous

laisser. Nous continuerons plus tard, si vous voulez bien m’attendre ici ?

— Très bien, accepta Belle, subjuguée devant l’énergie et l’autorité qui émanaient de lui.

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Il était prêt à entrer en guerre, comme ses ancêtres avant lui.

— Je vous remercie. N’hésitez pas à demander tout ce que vous voulez, le personnel s’occupera de vous.

D’un pas martial, il s’éloigna dans l’ombre, suivi du fidèle Daoud. Belle porta la main à son estomac qui

se tordait d’appréhension. Mais, cette fois, ce n’était plus pour elle qu’elle avait peur, c’était pour cet

homme énigmatique qui l’avait sauvée et déclenchait en elle de si sauvages passions. Il avait détruit

l’illusion qu’elle nourrissait d’être maîtresse d’elle-même, l’obligeant à reconnaître ses besoins de

femme et réussissant le tour de force de compter plus pour elle, au bout de quelques jours, qu’aucun

homme dans sa vie.

* * *

La soirée était arrivée et Belle ne tenait plus en place. Elle avait visité les différentes pièces de réception,

admiré, les yeux écarquillés, les pierres précieuses qui ornaient les murs de la salle du trône. Mais

aucune ne brillait autant que le sourire de Rafiq quand il l’avait convaincue, la veille au soir, de passer la

nuit au palais. Elle avait ensuite découvert les salles d’armes où d’anciens cimeterres et de vénérables

mousquets tapissaient les murs. Ce déploiement évoquait le passé conquérant de Kharoum, l’histoire

que lui avait contée Rafiq. Mais, en l’imaginant, ce n’était pas son ancêtre que Belle voyait debout sur le

pont du bateau, les yeux brillants comme des escarboucles, prêt à saisir ce qu’il estimait sien. C’était

Rafiq, qui venait arracher sa future épouse à un avenir tout tracé. Et l’épouse, bien sûr, c’était elle.

Mais elle ne devait pas s’inquiéter outre mesure. Même si les traditions avaient un poids certain dans

son pays, Rafiq ne pouvait vouloir d’elle comme femme : elle n’était ni princesse ni riche. De plus, elle

était étrangère, travaillant pour vivre, ni exotique ni sophistiquée. A eux deux, ils trouveraient le moyen

d’échapper à ces curieuses fiançailles. Mais alors, si c’était ce qu’elle souhaitait vraiment, pourquoi

avait-elle passé la journée à se rêver comme… comme quoi ? Sa conquête ? Son butin ? Sa femme ?

Un frisson d’excitation la parcourut. Ces fantasmes de cape et d’épée étaient des réactions au

kidnapping, au stress. Elle ne devait pas s’affoler. Pourtant il y avait plus que de la rêverie dans ses

étranges pensées. C’était la première fois qu’elle vivait une relation aussi forte avec un homme et le

besoin qu’elle avait de la poursuivre était impérieux. Elle voulait être à lui. Le reconnaître demanda à

Belle un intense courage intérieur.

D’autant que les heures qui s’écoulaient accroissaient l’angoisse qu’elle ressentait pour lui. Bien sûr, il

était parfaitement en sécurité. Le peuple de Kharoum n’exposait pas ainsi son prince bien-aimé.

Cependant, Rafiq n’avait pas hésité à mettre sa vie en danger pour venir à sa rescousse. Que risquait-il, à

cette heure ? Elle se souvint de son allure martiale lorsqu’il l’avait quittée, et une nouvelle vague de

crainte l’envahit.

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Il fallait qu’elle trouve à se distraire de ses pensées, sinon elle allait devenir folle. De retour dans sa

chambre, après le départ de Rafiq, elle avait passé une heure au téléphone à rassurer sa mère, lui jurant

qu’elle n’avait pas besoin de venir à Kharoum et que Rosalie, son autre fille enceinte de huit mois, avait

bien plus besoin de sa présence. Elle avait parlé à Rosalie aussi, promettant de leur rendre visite très

vite, dès qu’elle aurait réglé le remplacement de Duncan.

A présent, que faire ? Belle se promena dans la pièce, trop agitée pour lire. Du coin de l’œil, elle aperçut

un paravent de bois de rose sculpté, qui se révéla cacher un gigantesque écran plasma. Elle activa la

télécommande, zappant d’une chaîne à l’autre jusqu’à ce qu’une image attire son attention. Il s’agissait

d’un journal d’information local et, si elle n’en comprenait pas la langue, elle comprenait les sous-titres

en anglais et le nom qui s’affichait sur l’écran : Shaq’ara. Le lieu même pour lequel Rafiq était parti… La

bouche sèche, Belle suivit le reportage : l’endroit n’était que ruines, véhicules brûlés, murs écroulés. Et

puis un cratère, énorme, au milieu de la rue… Une ambulance passait, toutes sirènes hurlantes. Belle

frissonna, soudain glacée. Ce devait être une attaque à la bombe, une explosion. Mais à Kharoum ? Le

pays était réputé pour sa stabilité. Soudain, la caméra fit un gros plan sur deux hommes. L’un, âgé et

barbu, avait la tête recouverte d’un keffieh noué de façon élaborée. Il tendit la main vers un deuxième

homme qui lui serra le bras. Rafiq ! Elle ne l’avait pas reconnu d’abord, vêtu de la longue robe

traditionnelle et coiffé d’un simple keffieh blanc. Mais il n’y avait pas à s’y tromper, cet air décidé

n’appartenait qu’à lui ! Le pouls de Belle se mit à battre. Même sur un écran, Rafiq lui faisait de l’effet.

Face aux deux hommes, une foule s’était massée, scandant des paroles qu’elle ne comprenait pas. Elle

crut reconnaître le nom de Rafiq. Quoi qu’il ait pu se passer dans la ville, Rafiq était là-bas pour soutenir

son peuple et celui-ci lui en était reconnaissant.

Le reportage prit fin et Belle éteignit l’écran. Rafiq n’avait pas hésité à se rendre sur les lieux mêmes du

danger et rien ne garantissait sa sécurité. Mais ce genre de considération n’était pas propre à l’arrêter,

elle le connaissait assez pour savoir qu’il ne transigeait pas avec son devoir. Ce n’était pas un chef qui

donnait ses ordres à distance. Elle en éprouvait de l’admiration pour lui mais cela ne la rassurait pas.

Pour se détendre, elle arpenta le magnifique tapis de sa chambre et elle l’avait parcouru en tous sens

quand, vers les 11 heures du soir, elle entendit un pas décidé dans le couloir. Le cœur battant, elle

courut ouvrir.

Rafiq était sur le seuil, emplissant son champ de vision. Il ne s’était pas changé, s’étant contenté d’ôter

sa coiffe. En robe longue sur son treillis et ses bottes, il était superbe, éminemment viril.

— Rafiq ! Vous allez bien ?

— Comme vous le voyez, Belle. Mais pourquoi n’êtes-vous pas couchée ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Oh ! rien, rien…

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Elle avait du mal à reprendre son souffle, comme si elle avait couru.

— Personne ne semblait savoir quand vous alliez rentrer, reprit-elle. J’étais un peu inquiète. Surtout

depuis que j’ai su où vous étiez.

— Comment l’avez-vous appris ?

— La télévision.

Rafiq lui prit la main. Sa chaleur pénétra sa peau, rassurante. Pourtant, c’était sans doute lui qui avait

besoin de réconfort, même s’il répugnait à l’admettre. La journée avait dû être longue et devant elle,

elle voyait non pas le chef d’un Etat fabuleusement riche, mais l’homme qui l’avait sauvée et qui, à son

tour, avait besoin de soutien.

Elle l’attira vers le sofa aux coussins somptueusement brodés et il s’assit à côté d’elle avec

reconnaissance.

— Racontez-moi…, demanda Belle.

— Ce n’est pas convenable pour vous.

— Parce que je suis une femme ?

Sa réflexion le fit sourire et le pli amusé de sa bouche déclencha une étincelle de chaleur en elle.

— Vous êtes bien susceptible, Belle. Pourquoi prenez-vous la mouche ainsi ? Pour notre peuple, c’est

l’une des manières de protéger les femmes.

Un frisson interdit la parcourut à l’idée que Rafiq la protégeait parce qu’elle était sienne. Absurde. Elle

n’appartenait à personne ! Elle n’avait pas besoin d’un homme pour prendre soin d’elle. Et pourtant le

frémissement de tout son corps contredisait sa raison.

* * *

Rafiq se rejeta en arrière pour mieux la contempler. Tout un jeu d’émotions se succédait sur son beau

visage. Il n’aurait pas dû prendre autant de plaisir à sa compagnie. S’il lui était resté deux sous de bon

sens, il l’aurait envoyée se coucher en s’excusant d’être rentré si tard. Mais, quand il avait vu son

soulagement, l’intérêt qu’elle lui portait et son trouble, il n’avait pu s’empêcher d’en vouloir plus.

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— Mais je ne suis pas une femme de Kharoum, dit-elle avec une amorce de sourire. Je peux supporter

d’entendre le récit de votre journée… si vous voulez en parler, toutefois.

Elle avait baissé la tête sur ces derniers mots, l’air presque timide. A quoi pensait-elle ? Elle ne se laissait

pas facilement effaroucher, il devait en convenir.

— Eh bien, une bombe a explosé en pleine ville. Grâce au ciel, on ne déplore pas de morts, seulement

plusieurs blessés auxquels j’ai rendu visite à l’hôpital.

— Ce n’était pas un attentat-suicide, alors ?

— Ces gens-là sont trop ambitieux pour se suicider. Ils se disent fondamentalistes, luttant pour le retour

des valeurs traditionnelles, mais ce sont seulement des opportunistes, des criminels qui cherchent à

usurper le pouvoir.

Pour son cousin Selim, le retour aux valeurs traditionnelles signifiait son arrivée sur le trône, qui

sonnerait le glas de la démocratie. S’il parvenait à ses fins, la corruption régnerait et ruinerait le pays. Il

fallait l’arrêter à tout prix. La paix de son pays était en jeu.

— Qui était le vieil homme qui faisait face à la foule avec vous ? interrogea Belle, faisant irruption dans

ses pensées.

Elle s’était penchée vers lui et ses cheveux brillaient comme de l’or à la lumière de la lampe. Ses yeux

d’un bleu azuréen étaient pareils à des joyaux. Mais c’était sa bouche qui attirait Rafiq. Elle avait des

lèvres voluptueuses, tentantes, qui promettaient le paradis à un guerrier fatigué.

Soudain, l’incertitude qui le rongeait depuis plusieurs jours s’évanouit. Un poids lui glissa des épaules.

Pourquoi était-il resté si longtemps dans le doute alors que le chemin était si évident ? Une seule option

s’ouvrait à lui s’il voulait protéger son peuple. Et, comme il était leur cheikh, il se devait de la saisir.

— Les terroristes prétendent qu’ils veulent réactiver les valeurs du passé et disent être soutenus par les

anciens de la communauté, mais c’est faux. J’ai rencontré certains des plus révérés, dont ce vieil

homme, et ils m’ont dit qu’ils ne soutiendraient jamais celui qui a recours à la violence.

Elle hocha la tête et leurs yeux se rencontrèrent. Rafiq sentit son sang circuler plus vite et le désir

irradier ses reins. Il devait bien se l’avouer : il aurait grand plaisir à accomplir ce que le devoir lui

commandait. C’était aussi pour cela qu’il avait d’abord repoussé l’idée, qui répondait trop précisément à

ses désirs les plus égoïstes.

Page 50: 1.le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/delivree...1. Belle pessa ses mains l’une conte l’aute et se concenta su l’essentiel : ne pas se laisse envahi pa la peur. Le

— Ces hommes vont tenter de déstabiliser le pays par la violence, continua-t-il. Nous avons évité une

attaque sur un marché pas plus tard que la semaine dernière. Et, à ma grande honte, le chef de ces

bandits est l’un de mes cousins éloignés. Il ne veut rien tant que soumettre Kharoum à sa loi. S’il

devenait cheikh, il mettrait le pays en coupe réglée.

— Mais, s’il n’est qu’un cousin éloigné, comment peut-il espérer la légitimité ? Votre titre est

héréditaire, non ?

— C’est exact, mais, si le peuple considère que le pays est mal dirigé, le titre peut passer à un autre

membre de la famille. Un conseil des anciens en déciderait.

Selim aurait du mal à gagner les membres du conseil à sa cause. Mais, parfois, la terreur pouvait

convaincre mieux que les paroles… Et Kharoum souffrirait.

— Votre kidnapping fait partie de son plan, reprit Rafiq en fronçant les sourcils. Il comptait mettre la

pression sur le gouvernement, et la rançon est un élément clé de sa stratégie.

Belle pesa ses paroles avant de poser sa question :

— Pourquoi demander un joyau impossible à monnayer plutôt que de l’argent qui leur procurerait des

armes ?

— L’Œil du Paon est bien plus qu’un joyau. Il est intimement associé au règne de notre dynastie. Pour

vous, cela peut paraître étrange, compléta Rafiq en voyant le regard interrogateur de Belle, mais ici ce

ne sont pas des choses avec lesquelles on plaisante. La perte de ce bijou entame le prestige de ma

famille. Mon aptitude à régner pourrait être remise en cause. C’est pour eux mieux que de l’argent…

La voix de Rafiq se noua au souvenir de son père et de son grand-père, qui avaient tant fait pour amener

Kharoum à la modernité. Il saurait se montrer digne d’eux.

— Mais alors… ? interrogea Belle, la gorge nouée.

— La stabilité de la nation pourrait vaciller. Nous ne sommes une démocratie que depuis trente ans. Le

pouvoir est réparti entre le Parlement et le chef de l’Etat. Tant que nous travaillons de concert,

personne ne songe à protester. Mais beaucoup croient encore que le cheikh seul devrait commander.

Selim joue là-dessus et il n’hésitera pas à provoquer le chaos. Tout du moins à essayer, corrigea-t-il en

voyant le regard horrifié de Belle. Le peuple de Kharoum est pacifique en dépit de son histoire

mouvementée et il voit avec lucidité le bénéfice d’un gouvernement moderne. Il faudra à Selim plus que

quelques bombes pour parvenir à ses fins.

Page 51: 1.le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/delivree...1. Belle pessa ses mains l’une conte l’aute et se concenta su l’essentiel : ne pas se laisse envahi pa la peur. Le

Et c’était la raison pour laquelle les experts en sécurité ne lui laissaient pas une seconde de paix : un

assassinat résoudrait une bonne partie des problèmes de Selim…

— Nous savons qui sont les conspirateurs, reprit-il, et nous les traquons. Ils ne nous échapperont pas

longtemps. Mais ils peuvent causer de gros dégâts. Il devient de la plus haute importance que je ne

montre aucun signe de faiblesse.

Il y eut un silence pendant lequel Belle réfléchit.

— Qu’allez-vous faire ?

Belle était assez fine pour comprendre qu’il n’allait pas rester les bras croisés devant l’adversité. Il la prit

par le bras et l’attira à lui, jusqu’à ce que le parfum de son corps se mêle au sien. C’était là qu’elle devait

être, à ses côtés.

Elle déglutit avec un peu de mal et Rafiq perçut le signe de son trouble. Il aurait voulu poser la main sur

son cou et retrouver sa peau de soie, comme pendant la nuit qu’il avait passée contre elle. Mais, pour

l’instant, il se contenterait de lui tenir la main. Il en tourna la paume vers lui et la caressa doucement,

sentant les petits frissons qui remontaient le long du bras de Belle. Il existait vraiment une alchimie

incroyable entre eux, songea-t-il en entendant le souffle de Belle s’accélérer.

Oui, il aurait plaisir à faire son devoir.

Et le plaisir serait partagé.

— Vous avez raison, habibti, je dois agir… Le peuple de Kharoum croit fermement que vous êtes ma

future femme et que j’ai cédé le joyau par amour pour vous. Toute autre explication serait interprétée

comme un signe de faiblesse, intolérable chez leur prince. Donc je vais faire de vous ma femme.

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6.

Heureusement qu’elle était assise !

Le rythme délibérément lent de sa voix se répercuta dans son cerveau. Sa femme…

— Vous plaisantez, murmura Belle, lui reprenant sa main d’un geste vif, incapable de raisonner dès lors

qu’il la touchait.

— Je ne plaisanterais pas d’une chose aussi sérieuse.

Le regard de Rafiq la tenait prisonnière et elle reconnut, tout au fond d’elle-même, la brûlure du désir.

Cette sensation était tout aussi effrayante que la détermination qu’elle lisait sur les traits aristocratiques

de Rafiq.

— Mais… c’est impossible !

Il secoua la tête.

— Au contraire. Vous et moi, ensemble, cela n’a rien de compliqué.

Ensemble ? Non, il ne pouvait penser à… ça. Il voulait parler du geste politique. La cérémonie était

nécessaire pour rassurer son peuple.

— Vous savez bien ce que je veux dire, dit-elle en s’adossant au vaste divan. Epouser une femme parce

que vous avez payé sa rançon, c’est ridicule.

Sous ses yeux, le séducteur raffiné céda la place au prince offensé. Sans qu’il ait bougé, elle le sentit plus

près d’elle, la dominant de toute sa hauteur. L’étincelle outragée de son regard, la colère qui faisait

palpiter ses narines, tout cela le rendait terriblement intimidant.

— Il n’y a rien de ridicule à prendre les mesures qui s’imposent pour protéger mon peuple. C’est mon

devoir !

Mais ce n’était pas le sien à elle, songea Belle en se mordant les lèvres.

Elle s’obligea à affronter son regard courroucé.

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— Ce n’était pas ce que je voulais dire, dit-elle.

L’autorité conférée par des siècles de pouvoir était bien sûr impressionnante mais Belle trouvait plus

facile de le défier quand il était en colère que lorsque la promesse sensuelle de son regard faisait vaciller

son bon sens.

— Il me semble qu’il doit exister une alternative à ce mariage, précisa-t-elle.

— Si vous avez une suggestion, je suis prêt à l’entendre, dit-il en haussant un sourcil moqueur.

Elle se tordit les mains, prise au piège de son propre discours.

— Je ne suis pas assez au fait de vos coutumes pour proposer quoi que ce soit. Epouser une étrangère

peut être mal vu, non ?

Quelque chose changea dans le regard de Rafiq, et Belle eut envie de prendre ses jambes à son cou.

— Mon peuple est ouvert d’esprit. Et puis… qui pourrait dire que nous sommes étrangers l’un à l’autre

après une nuit passée ensemble sur la plage ?

Le temps parut suspendu soudain, et Belle, comme en rêve, le vit s’approcher. Il lui fallut un suprême

effort pour ne pas se recroqueviller au fond du divan… ou se jeter dans ses bras. Quand il la regardait

ainsi, elle pouvait presque croire qu’il ressentait la même attirance qu’elle, lui qui représentait

l’incarnation même de tous les fantasmes : fort, protecteur, intelligent, honorable… et incroyablement

beau. Fallait-il croire à autant de qualités rassemblées en un seul homme ?

Belle prit une grande inspiration.

— Mais… nous ne sommes pas amoureux.

Oh ! Seigneur, avait-elle été assez naïve pour lâcher cela ?

— Amoureux… Vous l’êtes donc de quelqu’un ?

La question plana un instant entre eux, provocante…

Comment s’était-elle mise dans un pareil pétrin ? Plus elle tentait d’échapper à ces sables mouvants,

plus elle s’y enfonçait !

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— Non ! Je ne voulais pas dire qu’il y avait quelqu’un mais j’aurais pu espérer, un jour…

Elle s’arrêta, honteuse d’avouer un rêve aussi puéril à celui qui ne voyait le mariage que comme une

affaire d’Etat.

— Donc, vous me refuseriez à cause d’une improbable future rencontre ? Et mon pays, dans tout cela ?

jeta Rafiq en fronçant furieusement les sourcils.

— Je suis prête à faire de mon mieux pour vous aider mais de là à vous épouser ! Votre peuple ne peut

l’exiger alors que nous ne nous connaissons que depuis quelques jours !

— Cela peut suffire à choisir une femme.

Il y avait quelque chose dans l’expression de Rafiq qui évoquait son ancêtre pirate. Belle secoua la tête,

dissipant des pensées qu’elle ne pouvait se permettre en cet instant.

— Mon peuple a beau être intraitable, reprit Rafiq, il a aussi un goût prononcé pour la romance. Les

gens sont curieux de savoir pour qui j’ai renoncé à une telle fortune. Pour eux, cela ne peut être qu’en

raison d’un grand amour, Belle.

Belle se passa la langue sur les lèvres. Comment de simples mots pouvaient-ils ébranler autant ses

certitudes ?

— Il y a sûrement une alternative, s’entêta-t-elle.

— Vous connaissez un peu Kharoum à présent. Mon peuple est prêt à accepter l’idée que j’agisse par

amour. Mais échanger un trésor national contre la vie d’une étrangère serait perçu comme une faiblesse

et donnerait à Selim l’occasion de s’affirmer comme un meilleur choix. Voilà l’alternative, lui au

pouvoir… Voilà ce que je cherche à éviter. A tout prix.

C’était abominable pour son avenir mais cela faisait sens. Dans ce pays tout au moins. Rafiq s’était mis

en danger pour elle. La plupart des pays n’auraient jamais versé de rançon pour deux étrangers et

auraient laissé l’affaire entre les mains des diplomates. Belle préférait ne pas envisager ce qu’il serait

advenu d’eux, alors… Rafiq n’avait pas hésité entre sa réputation et leur vie.

Comment pouvait-elle lui dire non à présent ?

* * *

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Rafiq attendit que Belle ait prévenu sa famille pour annoncer les fiançailles. Aussitôt, des foules se

massèrent aux portes du palais pour leur souhaiter un avenir heureux.

Le cheikh assista à ces manifestations avec soulagement. Plus il se maintenait dans l’estime de son

peuple, plus Selim voyait ses chances reculer. Il avait joué la bonne carte, et juste au bon moment. Mais

l’assentiment de sa future femme n’avait pas été facile à décrocher, songea Rafiq en souriant, amusé au

souvenir de sa détermination. Elle aurait fait une excellente avocate ! Bien des hommes se seraient

vexés de sa résistance mais Rafiq voyait au-delà des apparences. Ce n’était pas lui qu’elle refusait,

c’étaient les circonstances. Qui ne se rebellerait pas contre le sort qui lui imposait de s’unir à un quasi-

inconnu ? Lui-même, à trente et un ans, avait déjà refusé bien des unions proposées par son chambellan

qui, pourtant, triait sur le volet les candidates… Mais il ne les connaissait pas, et n’avait aucune envie de

les connaître !

Belle redoutait de voir sa liberté entamée, et rejetait l’idée d’un choix imposé par la nécessité. Les

femmes voulaient qu’on leur fasse la cour, elles avaient besoin de romance. Elle aurait tout cela… par la

suite.

En attendant, elle ne pouvait cacher ce qu’il lui inspirait… A cette pensée, Rafiq fut empli de satisfaction.

Les réponses du corps de Belle étaient à l’image des siennes, instantanées, urgentes, indéniables. Et,

parmi tous les obstacles qu’elle avait soulevés la veille, jamais elle n’avait parlé d’incompatibilité

physique. Un frisson d’anticipation le parcourut. Le simple fait d’évoquer Belle le rendait impatient… Il

serait de son devoir d’assurer le plaisir de sa femme, afin qu’elle ne regrette jamais leur union. Lui-

même comptait y trouver bien des félicités.

Il ajusta sur sa tunique la large ceinture de cérémonie brodée aux emblèmes des al Akhtar, le faucon et

le paon. Puis il descendit rejoindre Belle d’un pas plein d’énergie.

* * *

Aussi immobile qu’une statue, Belle laissait les femmes s’affairer autour d’elle. Tout en bavardant

gaiement, elles ajustaient à sa taille les longues tuniques de soie bleu azur qui seraient sa robe de

fiançailles. Belle avait-elle besoin d’autant d’habilleuses ? Sans doute pas, mais aider la fiancée du prince

à se préparer était un grand honneur et elle n’aurait pas eu le cœur de les en priver. Elles semblaient

vraiment heureuses pour elle et la couvraient de petits cadeaux : flacon de parfum de rose, coffret orné

de nacre, bouquets…

Un vrai conte de fées… si elle avait pu choisir de le vivre.

Belle en avait à peine dormi, ressassant sa discussion avec Rafiq, son inébranlable détermination.

Aujourd’hui, elle allait être unie à un homme qu’elle connaissait à peine, et devenir citoyenne d’un pays

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qu’elle n’habitait que depuis un mois ! Un frisson glacial la parcourut. En dépit des assurances de Rafiq,

Belle doutait qu’une fois élevée au rang de princesse royale elle puisse poursuivre ses recherches

archéologiques. Elle faillit éclater d’un rire hystérique en s’imaginant sur le bateau en tenue de plongée,

entourée de ses dames de compagnie dans leurs atours brodés ! Pour elles, le mot « trésor » n’évoquait

sans doute que l’or et les joyaux. Pour Belle, un trésor était une amphore ébréchée ou un outil de

navigation remontant à l’Antiquité…

De A à Z, sa vie allait être bouleversée. Rafiq n’avait fait aucune difficulté pour lui promettre de

nombreuses visites en Australie, offrant même de mettre son jet privé à disposition de sa famille quand

celle-ci viendrait la voir. Mais cela consolerait-il Belle de vivre à des milliers de kilomètres de chez elle ?

Elle avait presque espéré que sa mère soit si affectée de ce mariage qu’elle doive y renoncer.

Cependant, bien que stupéfaite, sa mère s’était montrée compréhensive : si Belle avait pris sa décision,

n’était-ce pas pour le mieux ?

Le mieux ? Belle frémit. Etait-elle à même de décider raisonnablement de quoi que ce soit après ce

qu’elle avait vécu, fantasmant en permanence sur Rafiq et laissant ses désirs obscurcir son jugement ?

Peut-être cette obsession était-elle le résultat de trop de privations : elle avait passé des années à se

montrer raisonnable, étudiant puis travaillant sans s’accorder aucun flirt, aucune frivolité, et ce, depuis

que son père avait abandonné le foyer… Belle avait alors juré d’aider sa mère à assumer les

responsabilités familiales.

Etait-il vraisemblable que cette union soit autre chose qu’une comédie destinée à rassurer le peuple de

Kharoum ? Pourtant, Rafiq disait ne pouvoir se passer d’elle… Belle rougit, alors que les femmes se

pressaient autour d’elle en bavardant dans un mélange d’arabe et d’anglais. Rêver d’amour dans ces

conditions… n’était-ce pas pathétique ? Dès que les circonstances politiques le permettraient, Rafiq

mettrait fin à cette mascarade. Belle aurait dû être soulagée à cette idée. Pourquoi sa poitrine se serrait-

elle donc si douloureusement ? Parce qu’elle n’était plus elle-même ces derniers temps, voilà pourquoi.

La psychologue de l’hôpital avait parlé de bouleversement émotionnel, conséquence prévisible de son

traumatisme. Les sentiments qu’elle portait à Rafiq devaient venir de là. Il l’avait sauvée, après tout… Il

se montrait protecteur, homme d’honneur, il était beau à couper le souffle, respecté dans sa fonction,

intègre… Pas étonnant qu’elle se soit mise à rêver de lui ! Il ne restait plus à Belle qu’à souhaiter que ses

fantasmes se dissipent avant que Rafiq ne les découvre.

Un soudain silence la ramena au réel. Les femmes autour d’elle s’étaient tues… Belle sut qu’il allait

arriver. L’aura de Rafiq le précédait.

Les dames de compagnie exécutèrent une révérence plongeante alors que Rafiq entrait. Le cœur de

Belle manqua un battement. La gratitude qu’elle éprouvait pour son sauveteur justifiait-elle qu’elle se

liquéfie à son approche ? Un besoin à la fois doux et brûlant crispait son ventre. Rafiq dirigea son regard

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vers Belle comme si rien autour n’existait et elle en fut électrisée. Comme elle avait tort d’interpréter ce

qui n’était pour lui que l’expression de sa reconnaissance ! Grâce à elle, il allait sortir d’une situation

politique délicate. En dépit de sa voix chaude aux inflexions de miel, Belle ne signifiait rien d’autre pour

lui. La seule façon de conserver sa dignité, c’était d’ignorer le désir qui la jetait vers lui.

Les femmes s’étaient discrètement retirées. Rafiq sourit et Belle se sentit défaillir.

— Vous êtes exquise, Belle…

La chaleur lui monta au visage à ce compliment. Mais ce qu’elle interprétait comme un désir de

possession dans les yeux de Rafiq n’était que le fruit de sa propre imagination ! Quand il lui prit la main

pour la porter à ses lèvres, elle ne put se retenir de frémir, pourtant. L’avait-il remarqué ?

— Merci, murmura-t-elle. Vous êtes superbe, vous aussi. On croirait un prince des Mille et Une Nuits.

— Vous êtes une romantique, Belle, répliqua Rafiq en riant, je le savais ! Et c’est une excellente chose

pour mon ego ! Tout homme a besoin de compliments. J’ai décidément bien fait de vous choisir pour

épouse !

Il sortit en sa compagnie et Belle, troublée par sa proximité, trébucha. Il la retint, soudain terriblement

sérieux.

— Tout ira bien, Belle, je vous en fais la promesse. Vous n’aurez pas à regretter cette union. Je sais le

sacrifice que je vous demande… Combien c’est dur pour vous…

Il la regarda avec une telle tendresse qu’elle crut défaillir.

— Je suis à vos côtés, reprit-il, et vous allez traverser tout ceci avec grâce et dignité.

Il s’était penché pour lui parler et son souffle tiède effleurait sa joue. Belle refréna l’élan qui la poussait

vers lui, vers ses lèvres si tentantes…

— Je… je vais essayer.

— Vous allez réussir. Cette journée sera un grand succès. Je n’oublierai pas ce que vous consentez pour

mon pays.

Pour son pays… Bien sûr, c’était là l’enjeu. Une grande bouffée de bon sens vint doucher les fantasmes

de Belle. Tout cela n’était qu’une comédie, un coup politique.

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* * *

Apparemment, elle tint son rôle à la perfection, malgré la tension nerveuse et les muscles de son visage

crispés en un radieux sourire. Quand, au bras de Rafiq, elle fit son entrée dans l’immense salle du trône,

personne ne cria à l’imposture. La foule débordait jusque dans l’antichambre et tous les regards se

portèrent sur elle.

— Pas de souci, Belle, il vous suffit de me suivre, murmura Rafiq en la faisant asseoir à ses côtés.

Le chambellan présenta la première personne venue les féliciter. Il y avait là de riches familles nobles en

costume traditionnel, d’autres vêtues à l’occidentale et d’autres enfin d’origine plus modeste. Tous

étaient les bienvenus et le prince leur répondait avec autant d’attention. Lorsque les vœux étaient

prononcés en anglais, Rafiq encourageait Belle à répondre elle-même. Sinon, il lui fallait simplement

sourire et elle pouvait observer à loisir le rapport entre Rafiq et son peuple, amical et respectueux. Il n’y

avait aucune trace de colère dans les regards de ceux qui leur souhaitaient une éternelle félicité et cela

rassura Belle. Rafiq lui traduisait une grande partie des compliments, choisissant sans nul doute les plus

fleuris à en croire l’étincelle d’humour qui dansait dans ses yeux en la voyant rougir…

Finalement, il donna ordre au chambellan de diriger les invités vers la salle où étaient servis les

rafraîchissements.

— Vous avez besoin d’une pause, fit-il en conduisant Belle vers un petit salon tendu de brocart d’or.

Une table basse était dressée : fruits, amandes et gâteaux au miel les attendaient. Une cafetière

odorante fumait.

Belle inspira, réconfortée par la bonne odeur du café. Se laissant tomber sur un divan rembourré, elle

sentit qu’elle était tout ankylosée : l’audience avait duré des heures…

— Combien de temps faudra-t-il encore tenir ?

Rafiq sourit, la couvant de ce regard vert qui l’hypnotisait, gardien de tant de secrets.

— Oh ! ce n’est que le début. Les invités vont continuer à se presser toute la semaine. Jusqu’à ce que

nous soyons mariés…

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7.

— Une seule semaine avant le mariage ? demanda-t-elle, secouant sa chevelure dorée dans laquelle le

soleil ne se lassait pas de jouer. Ce n’est pas possible !

Rafiq regarda le rouge monter joliment aux joues de Belle. Elle avait protesté ainsi quand il avait affirmé

devoir l’épouser. Mais cela n’avait été pour lui qu’encouragement à persévérer. Ne voyait-elle pas qu’il

était trop tard pour faire marche arrière ? Les enjeux étaient trop importants.

Rafiq lui avait proposé le tutoiement, à présent que leurs fiançailles étaient officielles, et Belle avait

accepté.

— Les longues fiançailles ne sont pas coutumières ici, Belle. Tu en verras les avantages, répliqua-t-il

donc.

Lui-même en percevait d’ailleurs pour la première fois la principale vertu. Maintenant qu’il avait décidé

d’épouser Belle, cette perspective menaçait d’entamer ses scrupules et il avait du mal à garder ses

distances, puisqu’elle était sur le point de lui appartenir exclusivement.

— Peut-être, mais chez moi il est d’usage de ne pas se précipiter, répliqua Belle avec un petit air têtu.

Comme cette moue butée lui plaisait ! C’était tellement charmant que Rafiq sentit une vague de chaleur

l’envahir et le désir monter en lui. Il avait envie de la prendre dans ses bras, de la serrer fort et de

l’embrasser jusqu’à ce qu’elle n’ait plus l’énergie de lui faire la tête.

— Je me rends compte que tout cela est nouveau pour toi. Effectivement, ce n’est sans doute pas

comme ça que tu envisageais tes noces.

L’idée même d’imaginer Belle en Australie épousant un autre homme, un quidam quelconque qu’elle

aurait fait semblant d’aimer, lui était proprement intolérable. Il évinça l’idée de son esprit et continua :

— Néanmoins, il est impératif de préserver la tradition. Du fait même que j’épouse une étrangère, il va

falloir montrer d’autant plus notre respect des conventions.

— Je n’ai donc aucune voix au chapitre ?

Les yeux de Belle lançaient des flammes et Rafiq réprima un sourire. Ces petites querelles étaient en

passe de devenir l’une de ses distractions favorites ! Mais, bientôt, il pourrait se racheter en se

réconciliant avec elle sur l’oreiller…

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D’ailleurs, il était agréable de la voir insister pour participer à l’organisation. Elle avait jusqu’ici illuminé

de sa grâce et de sa beauté les vieux murs de son palais, mais elle semblait intérieurement absente.

Rafiq s’était demandé si elle souffrait encore du choc de son enlèvement. Elle était pâle et souvent

silencieuse, même avec ses dames de compagnie.

— Si, bien sûr, tu vas pouvoir tout arranger à ta manière. Il y aura beaucoup de décisions à prendre. Je

te dirai ce qui est impératif. Le reste sera fait selon ton désir.

— Et si je décide que je préfère prolonger les fiançailles ?

Rafiq secoua la tête.

— Là, je n’ai pas de marge de manœuvre. Le but même de ce mariage est d’assurer une stabilité

politique. Plus on le repousse, et plus les gens vont s’interroger. Il ne faudrait pas qu’ils en viennent à

penser que notre union est une vitrine.

— N’auraient-ils pas raison ? murmura Belle.

La tension avait monté d’un cran, et Rafiq se rappela opportunément qu’il venait de faire servir le café.

— Tiens, bois un peu, le moral reviendra plus facilement.

Belle prit sa tasse en évitant le regard de Rafiq.

— Il faudra un peu plus qu’une tasse de café pour faire passer cet arrangement à la va-vite, grommela-t-

elle.

— Es-tu en train de me dire que tu reviens sur ta parole ? s’inquiéta Rafiq. Tu avais accepté ce mariage…

— Je ne reviens sur rien du tout, répondit Belle après un temps en se mordant la lèvre. Mais ne peut-on

repousser… juste un petit peu ?

Rafiq se rassit confortablement, heureux d’entendre que les préoccupations de Belle ne portaient que

sur les délais, et non sur le fond du problème.

— Ecoute, plus tôt nous serons mariés, et plus vite la situation reviendra à la normale. Ce qui est mieux

pour nous deux. Nous discuterons des détails plus tard, avec l’équipe chargée de l’organisation. D’ici là,

il serait bon que tu établisses ta liste d’invités. Quant à ta famille, ils pourront résider au palais, bien

évidemment.

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Avoir sa famille autour d’elle lui ferait probablement plaisir. Mais le froncement de sourcils de la jeune

femme semblait indiquer qu’il en était autrement.

— Ça ne sera pas nécessaire, dit-elle enfin.

— Vraiment ? Tu ne veux pas qu’ils viennent ?

— Ce n’est pas le bon moment. Ils ne pourront pas venir.

Tout cela avait l’air d’une mauvaise excuse. Qui donc ne pouvait se libérer pour aller au mariage de sa

fille ?

— Comment cela ? Tu sais, mon jet privé peut partir dès qu’ils le souhaitent et aller les chercher au plus

près de chez eux, je ne vois pas…

— C’est autre chose. Ma sœur va accoucher.

— Toutes mes félicitations, dit Rafiq, soulagé. C’est un événement très heureux pour votre famille.

Pendant une seconde, le regard de Belle trahit un profond chagrin. Puis elle se reprit, et son visage ne

montra plus rien.

— Merci, fit-elle d’une voix blanche, mais la grossesse n’est pas facile. Donc Rosalie n’est pas autorisée à

voyager.

Evidemment, cela expliquait bien des choses. Belle était triste que sa sœur ne puisse venir au mariage.

— Nous la ferons venir dès qu’elle aura accouché, l’assura-t-il, et je mettrai une équipe médicale à sa

disposition. Tes parents, en revanche, voudront venir ?

— Il n’y a plus que ma mère, et elle doit s’occuper de Rosalie.

Rafiq se maudit silencieusement d’avoir ainsi forcé Belle à lui dévoiler ses problèmes familiaux. Il n’avait

surtout pas envie de la rendre triste, et y arrivait pourtant très bien.

— Je suis désolé, Belle. Je ne savais pas que ton père était mort. Vous étiez proches ?

Belle serra les dents. Il lui fallut une seconde avant de répondre :

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— Je le croyais. Et puis, un jour, il est parti sans même un mot d’explication.

La blessure était encore à vif, l’amertume de sa voix la trahissait. Rafiq ne pouvait qu’imaginer la

difficulté de survivre au rejet d’un père. Il aurait aimé prendre Belle dans ses bras pour la réconforter,

mais il était probable, à voir son air bravache, qu’elle n’apprécierait pas ce geste.

— Est-ce récent ?

— Non, il est parti la veille de mes douze ans.

Les blessures reçues à cet âge tendre marquaient pour longtemps. Comment cet homme avait-il pu la

traiter ainsi ? Abandonner ses responsabilités, et tous ceux qui l’aimaient ?

Belle prit quelques fruits secs dans un grand plat en argent. Elle affichait un air neutre, et ses

mouvements ne trahissaient aucune nervosité. Pourtant, sa tension était palpable.

Rafiq réfléchissait : le départ de son père avait sans doute forgé le caractère si farouchement

indépendant de Belle. Elle était autonome et plus fière que beaucoup. C’était ce qui lui avait plu de

prime abord chez elle. Belle restait une énigme à ses yeux par bien des aspects. Il était néanmoins résolu

à explorer tous les recoins de sa fascinante personnalité.

— J’ai perdu mes parents à onze ans, dit-il pour meubler le silence. Ils étaient en hélicoptère, et

revenaient d’une tournée dans nos îles.

A ces mots, Belle avait reporté son regard sur lui, mais Rafiq était loin dans ses pensées. Il se souvenait

de l’immensité vide du ciel bleu alors qu’il attendait leur retour.

— Il y a eu un problème mécanique. Et aucun survivant.

— Oh ! Rafiq… Les perdre ainsi, tous les deux…

Il pouvait voir la compassion dans son regard. Au moins, elle ne pensait plus au départ de son père.

— J’avais mon grand-père, heureusement ! C’est lui qui m’a élevé. J’ai eu beaucoup de chance, c’était

un homme exceptionnel.

— Je suis sûr qu’il serait très fier de toi aujourd’hui.

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— Je suis très honoré que tu penses ainsi, répondit Rafiq, surpris lui-même du plaisir que lui causaient

les paroles de Belle. Je pense que ta mère doit l’être également de toi.

Elle sourit, à son grand soulagement. Il détestait la voir amère : même morte de fatigue et de peur, elle

n’avait jamais eu l’air aussi vulnérable qu’il y avait quelques instants.

— Je suis impatient de la rencontrer, reprit-il. D’ailleurs, il serait bon que nous parlions de ce mariage,

elle et moi. Il est temps que je me présente : bientôt, nous serons de la même famille.

Il pourrait ainsi l’assurer qu’il pourvoirait aux besoins de sa fille.

— Sans doute, approuva Belle prudemment.

* * *

Six jours plus tard, sa vie changea du tout au tout.

Sous le regard de milliers de Kharoumis, elle épousa leur prince souverain. Des millions de gens

regardèrent la cérémonie sur leur téléviseur, et parmi eux la famille de Belle. Le couple princier reçut la

bénédiction du peuple au travers des vivats et des applaudissements lancés par la foule.

Pourtant, rien de tout cela n’avait semblé réel à Belle. Jusqu’à présent.

Alors que l’immense horloge allait sonner les douze coups de minuit, elle se retrouva seule avec Rafiq

pour la première fois depuis le début de la journée.

Dans le conte qu’elle avait lu petite, Cendrillon perdait ses pouvoirs au douzième coup de minuit, et tout

redevenait normal. Mais, en regardant l’immense boudoir qui devenait le sien, Belle sut que l’inverse

allait être son lot, dorénavant. Et ce qui allait changer pour toujours était à deux doigts de se produire :

Rafiq la regardait fixement. Trop fixement. Elle pouvait sentir qu’il était nerveux, lui aussi. Quant à elle,

son souffle était court, et elle ne savait que faire de ses mains.

Toute la journée, elle avait fait de son mieux pour tenir son rang, tout d’abord durant la cérémonie de

mariage traditionnelle, puis durant une réception plus occidentale avec les délégations internationales.

Elle avait traversé avec grâce l’épreuve des interminables séances photo, puis s’était tenue aux côtés de

Rafiq durant la réception, pendant qu’il honorait de sa conversation tel ou tel invité de marque.

Et voici qu’ils étaient enfin seuls. Voici que, tout à coup, tout était bien réel, malgré l’étrangeté des

événements du jour. Elle avait bel et bien épousé Rafiq.

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Son ventre se contracta étrangement. L’adrénaline de la journée disparaissait, et elle sentait ses muscles

se contracter. Etait-ce de l’anxiété ?

Ou bien de l’impatience ?

Rafiq s’approcha et Belle se concentra sur la pureté du vert de ses yeux. Et ce qu’elle y vit la cloua sur

place.

Même vêtue de sa robe traditionnelle, où son corps se cachait sous de nombreux plis, elle se sentit plus

nue que la première fois qu’elle l’avait vu, vêtue de son simple maillot de bain et de ses menottes. Le

regard de Rafiq l’avait rassurée alors… Il était à présent chaud comme de la braise, et dévoilait ses

envies de possession. Belle ne put s’empêcher de reculer d’un pas.

— Tu dois être fatiguée. La journée a été longue.

La voix de l’homme était grave et douce à la fois. Noire comme la tentation, elle l’enveloppait tout

entière.

— Tu veux bien m’aider ? reprit-il.

Il leva les mains par-dessus la tête pour se défaire de ses vêtements. Ses lèvres s’incurvèrent en un

sourire délicieux, son air de mâle prédateur envolé comme par magie, au point que Belle aurait pu se

demander si elle avait rêvé.

— Bien sûr !

Autant se rendre utile, plutôt que de rester les bras ballants. Belle fit de son mieux pour ignorer le frou-

frou de sa robe de satin, le poids du collier à son cou. Tout cela, ces joyaux, ces étoffes précieuses,

semblait sorti d’un rêve étrange, celui-là même qu’avait été son mariage. Rien de tout cela ne lui

correspondait. N’était-elle pas une archéologue à la réputation montante, et dévouée à sa carrière ?

Cela lui faisait du bien de se le rappeler. Elle attrapa l’étoffe que lui tendait Rafiq et, une fois qu’il s’en

fut extirpé, plia consciencieusement le vêtement, se concentrant sur cette tâche simple pour éviter de le

regarder. Mais le souffle de Rafiq caressait son visage et la chaleur de son corps irradiait le sien. Tous ses

sens étaient en éveil.

Voilà, c’était fait. Elle pouvait reculer, désormais.

— Merci, Belle.

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Quand elle leva les yeux vers lui, son pouls s’accéléra. Sa bouche… Belle se perdit un instant dans la

contemplation de ces lèvres sensuelles. Elle savait qu’elle n’aurait pas dû s’y perdre, mais c’était plus

fort qu’elle.

— Et maintenant nous voilà mariés, dit-il avec un sourire satisfait.

— Officiellement, oui…

— Officiellement. Légalement. Et aussi moralement. Ce qui est fait est fait, Belle, ne te voile pas la face…

Belle écarquilla les yeux.

— La vérité, c’est quand même que nous nous sommes mariés pour raison politique. Pour la sécurité de

Kharoum. Pour éviter un soulèvement qui allait scinder le pays en deux.

— Allons bon, voilà que je crois entendre Daoud ou l’un de mes ministres : « Agis rapidement pour

éviter un bain de sang. Rappelle à chacun que la maison des al Akhtar est forte. Marie-toi pour gagner

du temps et nous laisser celui de casser la rébellion qui veut tuer la démocratie. »

— C’est ce que tu as fait, non ?

— Oui, mais pas seulement…

La voix de Rafiq s’était changée en un murmure délicieux qui semblait glisser sur sa peau. Belle

frissonna.

— Tu es à moi, Belle, fit-il en s’approchant. Tu t’es donnée à moi aujourd’hui, et pas juste sur le papier.

C’est aussi ton corps que tu m’as donné.

Belle sentit son pouls s’accélérer et retint son souffle : ce n’était pas possible. Il n’avait pas réellement

dit cela !

— Tu m’appartiens, corps et âme, confirma-t-il.

Il ponctua ses paroles d’une douce caresse sur la joue de Belle. Puis la main de Rafiq descendit le long de

son cou, et caressa la gorge ornée du magnifique collier. La peau de Belle frissonna, et un désir interdit

la parcourut tout entière.

— Je suis à toi. Cela ne te plaît pas ?

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Décontenancée, presque perdue, Belle fixait l’homme qui avait chamboulé sa vie avec la force et la

soudaineté des tempêtes du désert. Il avait pris le contrôle de son être. Elle aurait dû se sentir humiliée,

mais le sentiment qu’elle éprouvait était mêlé d’impatience, ce qui n’avait aucun sens.

Belle essaya d’organiser ses idées. Elle avait épousé Rafiq pour l’aider à protéger son peuple. C’était la

seule raison. Enfin, elle voulait le croire… Bien sûr, elle l’avait trouvé beau, dès le premier regard, mais

elle savait qu’il était hors de portée et elle avait fait de son mieux pour combattre cette inclination. Elle

n’aurait quand même pas fait tout cela juste par désir ? Elle avait plus de bon sens que cela…

Savoir que Rafiq la désirait troublait son jugement. Elle n’arrivait plus à réfléchir correctement.

Comment en était-elle arrivée là ? Elle s’était convaincue qu’elle était la seule à ressentir ce besoin

physique, et son cœur se réchauffa à l’idée qu’elle se soit trompée. A sa manière de la dévorer du

regard, il était clair que Rafiq n’avait pas que des considérations politiques en tête.

— Tu es une femme qui regarde les choses en face, Belle. N’essaie pas de détourner la vérité.

La main de Rafiq continuait d’explorer le décolleté de son vêtement, glissant sur sa peau chaude et

douce, et liquéfiant Belle sur place. Il prit sa main et la porta à sa propre joue. Elle caressa les contours

de son visage, de la douceur des lèvres à la rugosité de la barbe naissante. Ce simple plaisir, celui du

toucher, la bouleversa tellement qu’elle se sentit fondre. Son désir se matérialisa au plus profond de son

ventre et remonta jusqu’à la pointe de ses seins.

— Rafiq…

— Chut, ne dis rien…

Rafiq porta la main de Belle à sa bouche et, en l’embrassant, donna de petits coups de langue sur sa

paume. Jamais elle n’avait expérimenté de sensation aussi érotique, et Rafiq dut le sentir, puisqu’il

recommença. Belle ferma à demi les yeux pour cacher la lueur qui s’était allumée au fond de son regard:

elle ne se battait plus contre Rafiq, mais contre elle-même.

— N’aie pas peur, habibti, murmura-t-il doucement. Tu n’es obligée à rien si tu ne le veux pas…

Les mots semblaient résonner directement contre la paume de Belle et irradier son corps.

Il était tellement tentant ! Que le ciel lui pardonne, mais il aurait été si agréable de capituler…

Belle fit appel à toutes les bonnes raisons qu’elle pouvait avoir de garder ses distances. L’instinct de

survie déjà, puisqu’un jour il lui faudrait quitter cet homme. Lorsque leur mariage serait annulé, elle

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regretterait de lui avoir laissé entrevoir la force qui la poussait vers lui. Si elle ne voulait pas mourir de

honte une fois que tout serait terminé, il lui fallait conserver une distance, pour préserver sa dignité. Et

sa tête aussi, plus simplement… car il la faisait tourner.

Et si elle l’embrassait ? Une fois, juste une fois. Pour savoir. Après tout ce qu’elle avait traversé, elle

avait bien droit à cela, non ? Après tout, elle pouvait bien profiter un peu de ce moment.

Sur un mouvement involontaire, son écharpe de soie glissa à terre dans un bruissement discret,

emportant avec elle les dernières résistances de Belle.

Lentement, elle leva les mains et vint les poser avec douceur sur les larges épaules de l’homme. Puis ses

mains glissèrent jusqu’à sa nuque, s’attardant dans sa chevelure magnifique. Le souffle court, Belle se

haussa sur la pointe des pieds et vint se coller au torse musclé de Rafiq. Elle s’arrêta une seconde pour

profiter du délicat frisson que ce contact avait déclenché en elle.

Belle était nerveuse, certes, mais elle avait aussi envie de plus, et décida d’ignorer la voix qui résonnait

en elle comme une alarme. Elle désirait tant cet homme qu’elle n’avait plus la force de se le cacher à

elle-même.

Les lèvres de Rafiq étaient douces, et avaient le goût de la volupté. Fermant les yeux, Belle prit le temps

de parcourir l’ourlet de ses lèvres, pour en saisir le contour, sans l’embrasser encore. Puis elle accentua

le contact et leurs lèvres se rencontrèrent réellement. Mais ce n’était pas assez.

— Embrasse-moi, embrasse-moi vraiment, exigea-t-elle en levant les yeux vers lui.

Son corps était moite de désir. Ce n’était pas trop demander, un seul véritable baiser, si ? Rafiq sourit en

réponse. Un sourire dangereux, satisfait du désir qu’il avait déclenché chez sa femme. Il lui prit

fermement la taille et la ramena tout contre lui.

Oui ! Voilà ce dont elle avait besoin. Elle laissa échapper un soupir de satisfaction.

Tout fut alors différent. Une soudaine énergie prit vie au contact de leurs lèvres, à la douceur de la

langue sur la sienne. Tout devenait plus fort, plus intense, la puissance de son regard, la force avec

laquelle il la serrait, le battement de leurs deux cœurs. Rafiq avait pris le contrôle de leur baiser avec la

passion et le savoir-faire auquel elle était en droit de s’attendre. Tout son corps de femme s’enflammait,

comme si les mains et la bouche de cet homme étaient d’ores et déjà en train de lui faire l’amour : les

sensations étaient exquises et Belle avait l’impression de lui appartenir corps et âme.

Puis Rafiq leva la tête. Sa distance, sa fierté avaient disparu et seule restait la sensualité hors du

commun que cet homme dégageait.

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— Enfin ! Je croyais que tu n’oserais jamais me le demander, habibti.

D’un seul mouvement, il la souleva dans les airs et la tint dans ses bras. La chaleur qu’il dégageait

semblait envelopper Belle. Leurs deux cœurs battaient à l’unisson.

— Et tu es à moi ! conclut-il.

En deux enjambées, il traversa la pièce en direction du lit nuptial.

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8.

Rafiq sentit le corps de la jeune femme se raidir. Intérieurement, il se maudit d’avoir laissé libre cours à

son envie de la posséder. Il avait essayé de se contrôler, d’agir en homme civilisé, mais la bataille avait

été perdue dès qu’il l’avait vue porter le fameux collier d’or et de diamants, symbole de leur union. Ou

plutôt de sa victoire.

Depuis cet instant, elle lui avait appartenu. Ce n’était pas la cérémonie qui les avait réellement unis. Ni

même les félicitations de leurs proches. C’était au moment où le collier était entré en contact avec sa

peau que tout s’était joué. Belle avait pris sa main et un sentiment de triomphe avait alors envahi Rafiq,

aussitôt suivi d’un désir encore plus puissant, celui de la protéger. Elle avait accepté de placer sa vie

entre ses mains et n’aurait pas à le regretter, jamais.

Il avait eu beaucoup de mal à refréner l’envie qui l’assaillait. Il s’était sagement abrité derrière le

décorum de la cérémonie, se laissant porter par le flot lent du rituel. Il s’était tenu raide, imprégné de sa

fonction, alors qu’il aurait voulu la traîner jusqu’à la première chambre afin de libérer son corps de ce

désir impérieux.

Mais, dorénavant, elle était tout à lui. Le baiser avait scellé leur union et l’excitation coulait à présent

librement dans ses veines à la vue du satin qui épousait les courbes de Belle. La délicatesse du spectacle

appelait le toucher, et il prendrait bientôt plaisir à la débarrasser de ces tissus encombrants.

Il semblait néanmoins y avoir un dernier obstacle. Belle ne s’abandonnait pas complètement à ses

caresses…

— Rafiq, dit-elle dans un souffle, pose-moi, s’il te plaît.

Il en avait bien l’intention. Le lit nuptial était justement à disposition, prêt à recevoir le corps de sa jeune

femme, même si, aux yeux de Rafiq, il aurait suffi de la vaste étendue d’un désert de sable nu pour les

accueillir, tant son désir de se perdre dans le corps de Belle était impérieux.

Il repoussa cette pulsion brutale et la déposa avec douceur sur le lit, avant de s’asseoir près d’elle. Les

longs cheveux blonds de Belle envahirent l’oreiller. Sous les voiles qui la recouvraient, il voyait pointer

ses seins, signe évident du désir qui la taraudait malgré le questionnement qui persistait au fond de ses

yeux. Il caressa un instant les courbes du corps chaud de Belle. Douce, délicate, sa peau avait la finesse

d’un pétale de rose. Les doigts de l’homme repoussèrent le tissu jusqu’à effleurer la pointe d’un sein et

elle ne put retenir un soupir. Une décharge électrique parcourut Rafiq.

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Le corps de sa femme lui répondait instantanément et ses palpitations faisaient écho à celles nées au

creux de ses reins.

— Rafiq, attends…

La voix de Belle n’avait plus cet accent de fierté dont il avait l’habitude. Il sourit, sachant que le dernier

obstacle était sur le point de tomber.

— Non, Belle, lui souffla-t-il, se penchant pour goûter enfin la douceur de sa peau.

Elle trembla lorsqu’il embrassa sa joue et le coin de sa bouche, puis gémit lorsqu’elle sentit la rigidité de

l’homme qui prenait place au-dessus d’elle.

Rafiq expira doucement. Il lui fallait garder le contrôle de lui-même, contenir les émotions qui le

poussaient à la posséder brutalement, comme le dernier des barbares. Déjà, son corps souple était

contre le sien. Les cuisses de Belle se refermèrent sur lui. Il se sentit approcher de son intimité…

Toute sa vie il avait attendu ce moment. Sa perle, sa femme… Il caressa de la main le visage et le cou de

Belle, enivré de sentir la vie pulser en elle au contact de ses doigts. Mais Belle ouvrit soudain grand les

yeux, et l’arrêta :

— Non, attends, on ne peut pas…

— Mais…

— Tu ne me désires pas réellement. Pour toi, je suis juste un outil : ce mariage est une mascarade.

Rafiq aurait explosé de rire en d’autres circonstances, mais les émotions qui l’agitaient étaient bien trop

puissantes pour cela. Il s’étendit sur elle en guise de réponse, pressant son intimité contre celle de Belle,

uniquement séparée de lui par un fin voile de soie. Les jambes de Belle s’étaient écartées d’instinct pour

lui laisser la place à laquelle il avait droit. Tout ce qui se passait était juste et parfait, elle ne pouvait le

nier.

— Et maintenant, penses-tu que tout cela n’est qu’une mascarade ? Ne vois-tu pas de quelle manière

nos deux corps se cherchent ? Ils sont faits l’un pour l’autre !

Elle hocha la tête d’un air pensif et ferma les yeux. Son visage était crispé par l’angoisse, et ce détail eut

l’effet d’une douche froide sur le corps brûlant de Rafiq. Il amena de nouveau sa main vers le visage de

la jeune femme et, en caressant doucement ses lèvres, lui demanda :

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— Pourquoi veux-tu lutter contre l’inévitable, Belle ? Tu m’appartiens. Tu sais au fond de toi que notre

union est vraie. Ton corps le sait, même si ton esprit le refuse encore.

Comme par enchantement, toute lueur disparut des yeux de Belle et sa mâchoire se serra, donnant à

son visage l’allure déterminée qu’il lui connaissait depuis le premier jour. Elle l’avait si souvent regardé

ainsi, en s’opposant à lui…

— Le désir existe, oui, dit-elle. Mais c’est tout.

C’était tout ? Rafiq n’arrivait pas à en croire ses oreilles. Comment pouvait-elle écarter d’un revers de

main la complexité des sentiments qui les étreignaient ? Elle n’était tout de même pas assez naïve pour

croire à ce qu’elle disait ! Quant à lui, il n’avait aucune intention de passer sa nuit de noce ailleurs que

sur la couche de sa femme.

— Les circonstances seules nous ont unis, finit-elle en détournant les yeux comme si voir son mari lui

était devenu pénible.

— Laisse-moi deux minutes pour t’aider à faire la part des choses, entre ce qui ressort des circonstances

et ce qui vient du fond de nous-mêmes, dit-il en laissant sa main glisser vers le sein de la jeune femme.

Celui-ci, ferme et dur, réagit à ce contact, trahissant le désir de Belle. La bataille était perdue d’avance !

Son corps s’était déjà rendu…

— Non, Rafiq, s’il te plaît.

Etait-ce une larme qu’il apercevait au coin de son œil ?

— Que t’arrive-t-il ? demanda Rafiq, se relevant à demi, déconcerté par les peurs de sa femme.

— Ce n’est pas un vrai mariage… C’est une alliance politique, un arrangement, tu le sais bien.

Alors la bouche de Belle se tordit de désespoir et Rafiq eut l’impression d’avoir reçu un grand coup dans

la poitrine.

— Habibti, tu ne seras jamais un pion à mes yeux.

Il écarta les mèches de cheveux du visage de sa femme et fit de son mieux pour ignorer qu’elle

tressaillait à ce contact. Il avait déjà du mal à se contrôler, et ce genre de détail ne l’aidait pas. La simple

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vue de Belle, de ses lèvres douces et brillantes, de ses yeux immenses et de son corps tremblant de désir

lui était insupportable.

— Tu es courageuse, forte, honnête et incroyablement belle… Et tu es ma femme, maintenant : quel

genre d’homme pourrait te laisser dormir seule le soir de tes noces ?

— Ce n’est pas le fait de dormir avec toi qui me pose problème.

— J’avais bien compris…

Il lui sourit et sa main dessina le contour de son sein, ce qui eut pour résultat d’alourdir le souffle de

Belle.

— Nous sommes mariés, Belle, reprit Rafiq. Il n’est pas question de comédie. Tout cela nous est bien

arrivé…

Sa main se fit un peu plus pressante sur le sein de Belle, et celle-ci frémit.

— Non, dit-elle en tentant d’échapper à son étreinte. Il faut qu’on parle.

Rafiq eut un geste d’impatience.

— Nous avons tout le temps voulu pour parler. Avant cela, j’aimerais me consacrer à une activité bien

plus satisfaisante.

Il tenta de se rapprocher mais Belle le repoussa, et Rafiq roula sur le flanc, désappointé. Il fronça les

sourcils : elle n’était pas simplement angoissée à la perspective de leur nuit de noces, il y avait autre

chose.

— J’ai accepté de t’épouser pour préserver la paix de ton royaume. Pas pour devenir l’une de tes

poupées !

La mâchoire de Rafiq se serra devant l’insulte. Il avait donné à Belle son nom, sa protection, une

situation, et s’était lié à elle pour la vie. Et maintenant elle lui faisait l’affront de balayer tout cela d’un

revers de main ?

— Peut-être que tu ne l’as pas fait pour moi, gronda-t-il. Mais dorénavant tu es ma femme, et selon les

lois de ce pays j’ai le droit de prendre ce qui m’est dû.

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Les joues de Belle pâlirent, et Rafiq s’en voulut immédiatement de l’avoir menacée. Il fallait qu’il

apprenne à se contrôler, et à maîtriser ses pulsions…

— Belle, murmura-t-il d’une voix coupable. Ne me regarde pas comme ça…

Il passa sa main dans les cheveux de sa femme avant de continuer :

— Je n’aurais pas dû dire ça, c’est indigne de nous. Tu sais bien que je ne lèverais jamais la main sur toi…

Elle opina du chef, mais sans le regarder. La main de Rafiq descendit le long de la gorge de Belle, la

caressant doucement. Elle effleura le collier d’al Akhtar, symbole de leur union, avant de sentir le jeune

cœur qui battait la chamade.

— Je prendrai uniquement ce que tu voudras bien me donner.

Il l’embrassa au coin de la bouche, puis sur l’ourlet délicat d’une lèvre, pour essayer de se faire

pardonner. Ses baisers errèrent tendrement le long de la joue, le souffle chaud de sa respiration

caressant l’oreille de Belle, puis leurs bouches se trouvèrent de nouveau. Belle hésita un instant avant

de lui rendre son baiser, timidement. Il luttait pour rester maître de lui, mais de nouveau leurs corps

s’enflammèrent et celui de Belle se lova contre le sien.

Quand elle gémit en entrouvrant la bouche, Rafiq sentit le désir resurgir dans toute sa violence. Bientôt,

elle serait à lui !

— Non ! Non, pas comme ça… Il ne faut pas.

Elle l’avait repoussé une nouvelle fois, l’éloignant de lui.

Rafiq se redressa de nouveau, et vit que rien n’était réglé : Belle était en pleine confusion.

— Je suis désolée, Rafiq, je n’aurais pas dû t’embrasser… Je n’essaie pas de te leurrer… A vrai dire, je

n’avais jamais pensé que tu aurais réellement envie de…

— De ma femme ?

Que s’était-elle donc imaginé ? Avait-il l’air d’avoir de l’eau dans les veines ? Savait-elle à quel point il lui

était difficile de rester assis à ses côtés sans rien faire ?

— Si c’est ce que tu croyais, continua-t-il, tu as une idée bien étrange du mariage…

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La voix de la jeune femme s’enroua, son visage s’empourpra, et elle se mordit la lèvre avant d’expliquer:

— Je suppose que nous avons des points de vue différents à propos de notre… arrangement…

— De notre mariage, insista Rafiq.

Belle marqua une pause.

— De toute façon, c’est la mauvaise période du mois, murmura-t-elle en regardant par-dessus son

épaule.

* * *

Rafiq sécha l’eau qui coulait de son corps et jeta la serviette dans un coin. Ses mâchoires serrées

révélaient sa tension, et ses lèvres affichaient un sourire sans joie. Au moins cette douche froide avait eu

l’effet escompté… Il ramena ses cheveux en arrière et soupira. La douche lui avait aussi laissé le temps

de réfléchir et de mettre tout cela en perspective : Belle, en fait, était morte de terreur. Elle avait vécu

bien des choses en un laps de temps très court, et il lui fallait du temps pour s’en remettre. Elle avait

montré tant de courage face à l’adversité, ces dernières semaines, qu’il en avait oublié à quel point tout

cela avait été dur pour elle.

Il était certain qu’elle le désirait autant que lui, mais elle avait besoin d’un peu de temps pour

l’admettre. Il lui faudrait être patient même si, de son côté, il la désirait férocement. Il la voulait tout

contre lui, dans ses bras, dans son lit, et il allait faire tout ce qui était en son pouvoir pour y parvenir.

Bon sang ! Il n’arrivait toujours pas à croire qu’elle l’avait repoussé. Alors qu’il avait reconnu tous les

signes de son désir, même si elle avait tenté au mieux de les cacher.

Il pouvait user de la ruse pour la séduire, et elle céderait. Pourtant il hésitait encore. Il voulait Belle, soit,

mais il la voulait désireuse de se donner, enflammée, insatiable.

Il allait donc en rester là pour le moment et apprendre de cet échec. Il allait la courtiser, la tenter, et

enflammer son désir. Jusqu’à ce qu’elle vienne d’elle-même à lui.

Il ouvrit la porte de la salle d’eau et vit un rayon de lune se glisser jusqu’au lit. Son pouls battit la

chamade lorsqu’il devina le corps de Belle abandonné sous les draps. Il se plaça au-dessus d’elle, et

referma ses bras sur son corps, l’emprisonnant dans une barrière de coton.

— Tu ne vas pas dormir ici ? fit-elle presque craintivement.

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Rafiq se glissa sous le drap et le remonta.

— Nous sommes mariés, Belle, t’en souviens-tu ? Où irais-je dormir ?

— Mais…

— Notre mariage n’a rien d’une mascarade, habibti. N’en doute jamais. Je suis ton mari et je vais dormir

à tes côtés. Cette nuit, demain, et toutes les autres nuits.

Le souffle de la jeune femme laissa deviner son émotion, mais elle n’ajouta rien. Satisfait, Rafiq posa la

tête sur l’oreiller. Belle, cependant, se rapprocha du bord du lit pour l’éviter. Rafiq ne montra pas sa

désapprobation. Elle était fière, mais elle apprendrait. Cela prendrait le temps qu’il faudrait. Après tout,

son grand-père ne lui avait-il pas appris la patience, la manière d’apprivoiser ses instincts pour agir au

bon moment ? Belle était le plus beau défi qu’il eût jamais eu à relever, mais il connaissait déjà l’issue de

cette bataille. Et la victoire serait douce, pour elle comme pour lui.

Rafiq fit un mouvement sous le drap et caressa doucement Belle, tout en réfléchissant. D’abord, le

kidnapping. Puis le cyclone. Puis des fiançailles et enfin un mariage royal qui la plaçaient dans une

situation radicalement différente de tout ce qu’elle avait pu connaître jusqu’à présent.

— Habibti, murmura-t-il en la serrant contre lui.

Il la sentit se tendre une seconde, mais passa son bras autour d’elle.

— Tout ira bien… Détends-toi maintenant, et dors bien.

Il sourit en sentant la chevelure de la jeune femme lui chatouiller la bouche. Sa respiration saccadée

trahissait son énervement. Plus tard, bien plus tard, Rafiq entendit un soupir, et enfin Belle se détendit.

L’instant d’après, elle était endormie contre lui. Il continua à regarder la lune par-dessus l’épaule de sa

femme, jusqu’à ce que ses rayons argentés pâlissent devant les premières lueurs du jour.

* * *

Belle s’éveilla lentement des brumes d’un rêve délicieux où Rafiq la tenait contre lui en lui promettant

de ne jamais la laisser partir. Elle cligna des yeux plusieurs fois et, n’ayant aucune envie de se réveiller,

se retourna sur elle-même. Encore dix minutes…

Le contact d’une jambe musclée l’éveilla tout à fait. Son cœur eut un sursaut et ses yeux s’ouvrirent en

grand. Son oreiller était fait d’un bras et sous son ventre elle pouvait sentir une cage thoracique… Elle

Page 76: 1.le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/delivree...1. Belle pessa ses mains l’une conte l’aute et se concenta su l’essentiel : ne pas se laisse envahi pa la peur. Le

avait certainement dû bouger durant la nuit, car elle tenait dorénavant lieu de drap à Rafiq, étendue de

tout son long sur lui. Il n’y avait plus que le satin de sa chemise de nuit entre eux deux, et encore ! Le

vêtement lui était remonté sur le ventre, et ses jambes étaient ouvertes autour de Rafiq, dont l’odeur

mâle l’enivrait déjà. Cette position en laissait imaginer beaucoup d’autres, qu’elle s’efforça de chasser

de son esprit.

Elle ne put néanmoins s’empêcher de profiter une seconde du moment. Elle pourrait très bien le

réveiller d’un baiser puis se laisser aller à découvrir les joies d’une matinée au lit avec celui qui était

désormais son mari. Il était probable que ce serait formidable. Enivrant. Peut-être même un peu trop.

Elle n’avait déjà que trop fantasmé sur lui. Il avait figuré pour elle un idéal de noblesse et de puissance,

prince prêt à tous les sacrifices pour son peuple. Il possédait d’indéniables qualités — loyauté, caractère

— qu’elle avait cherchées chez beaucoup d’hommes sans jamais les trouver.

Les qualités mêmes dont son propre père avait cruellement manqué… Rafiq était honnête, direct, digne

de respect. Lui, on pouvait le croire sur parole.

Sans même mentionner qu’il était beau comme un dieu, et la fascinait avec son air sauvage et

séducteur. Il semblait rompu à toutes les situations, du combat au corps à corps aux délices

langoureuses de la chambre.

Il avait passé toutes les défenses, tous les obstacles qu’avait érigés Belle entre elle et les hommes. Elle

n’arrivait plus à réfléchir lorsqu’il était à côté d’elle, et la manière dont son bas-ventre la lançait lui

rappelait qu’elle n’avait pas que de l’admiration pour cet homme.

Elle se mordit la lèvre et tenta de réfléchir posément. Pourquoi avait-elle réagi ainsi hier soir ? Et

pourquoi ne voulait-elle pas profiter de la situation pour partager un plaisir mérité aussi longtemps que

leur mariage durerait ?

Le désir de Rafiq l’avait foudroyée. Il était resté tellement impassible tout le temps de leurs fiançailles

qu’elle n’avait jamais imaginé l’ampleur de cette envie. Mais ce n’était pas la cause de son refus. Ni

même le fait qu’elle n’avait pas l’habitude de se laisser aller à de simples pulsions sexuelles. Elle sentait

instinctivement qu’il y avait quelque chose à perdre en cédant. Lorsque le pays serait apaisé et qu’il lui

faudrait repartir, il ne fallait pas que son cœur reste ici.

Le souffle court, Belle dut faire face à la vérité. Elle voulait… elle voulait que Rafiq l’aime ! Elle s’était

aveuglément jetée dans une situation intenable…

— Tu es réveillée, Belle ?

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La voix grave de l’homme avait résonné doucement à son oreille, et pourtant elle tressaillit, comme

prise en faute. Se redressant, elle bascula de son côté du lit.

— Désolée, je ne voulais pas t’envahir, je…

— Chut, fit-il en lui couvrant la bouche de la main. Pourquoi t’excuserais-tu ?

Il retira sa main d’un mouvement doux, en la glissant le long des lèvres puis du cou de la jeune femme

dans un geste très érotique. Ses grands yeux verts brillèrent d’un éclat plus pur, mais son visage resta

impassible. Puis il se retourna et repoussa le drap.

— J’aime que tu aies dormi tout contre moi, mais, puisque tu es réveillée, il est temps de se préparer.

Rafiq était nu, et les yeux de Belle s’écarquillèrent à la vue du corps qui se tenait devant elle. Elle le

regarda s’éloigner vers la salle de bains. La lumière matinale épousait son corps musclé, glissant sur sa

peau mate, et Belle se sentit honteuse de le dévorer ainsi des yeux.

— Se préparer ? Pourquoi ? demanda-t-elle dans un souffle étranglé.

Rafiq marqua une pause sur le pas de la porte et se retourna légèrement, la scrutant par-dessus son

épaule.

— Voyons, pour partir en voyage de noces, évidemment !

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9.

— Tu es sûr ?

Belle n’avait pas tout à fait réussi à dissimuler le tremblement de sa voix.

— Oui, tout à fait, répondit-il avec un sourire éclatant de blancheur. Tu n’as pas peur, quand même ?

— Non…

Malgré tout, Belle ne se sentait pas à l’aise. Elle avait l’impression d’être en permanence sur le point de

faire une bêtise. Si en plus Rafiq se mettait à sourire ainsi, elle n’allait pas arriver à se concentrer, et

encore moins à contrôler cette planche à voile qui semblait animée de désirs propres.

— Tu veux que je vienne ? Si je monte avec toi, je pourrai me mettre juste derrière et te guider…

Belle leva les yeux au ciel : il était clair qu’il ne monterait pas sur cette planche. S’il venait l’aider, il allait

devoir la toucher, l’envelopper de ses bras. Il y avait déjà eu assez d’ambiguïté entre eux lorsqu’il lui

avait appris à tirer à l’arc.

Il lui avait fallu faire preuve d’héroïsme pour ne pas succomber lorsqu’elle avait senti le souffle de Rafiq

sur sa joue. Et, lorsqu’il s’était rapproché encore, elle avait senti ses muscles bandés tout contre elle

pendant qu’il lui murmurait des instructions à l’oreille. Résultat, elle s’était sentie si faible qu’elle avait

tremblé de désir durant toute l’opération et avait dû attendre longtemps avant de pouvoir mettre une

flèche dans la cible. Aujourd’hui, sur une planche à voile, ils seraient tellement proches qu’ils ne feraient

plus qu’un. Cette idée la fit rougir…

— Belle, attention !

Trop tard. Belle n’avait pas senti arriver la vague… Elle tomba à l’eau en riant. C’était bien la cinquième

fois, il était clair qu’elle n’avait aucun talent pour les sports nautiques. Son sourire s’évanouit lorsqu’elle

se sentit agrippée par deux bras puissants, qui la hissèrent hors de l’eau.

— Tu peux me lâcher, tu sais, dit-elle d’une voix étrangement enrouée lorsqu’elle se rendit compte de

l’extrême proximité de son regard.

Les yeux verts étaient empreints d’une flamme particulière, intense, attirante, qui lui coupa le souffle. Le

silence se fit lourd, et une nouvelle fois Belle préféra ignorer son instinct, mais elle ne put s’empêcher de

poser les mains sur les larges épaules de Rafiq.

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— Oui, bien sûr, fit-il en lâchant prise.

Il se dirigea ensuite vers la planche qui flottait au loin. Belle trouva un endroit où elle avait pied et se

dressa sur le sable. Il ne s’était rien passé. Presque rien. Un regard, quelques secondes, et pourtant une

douleur sourde s’était éveillée au plus profond d’elle. Il l’avait regardée comme si elle était la première

femme du monde.

— Tu veux arrêter ? Retourner à la plage ?

Le visage de Rafiq ne dégageait plus aucune émotion. Il avait repris contenance, car elle était sûre qu’il

avait lui aussi ressenti l’intensité de leur échange silencieux. Depuis leur mariage, une semaine s’était

écoulée et Belle avait eu le temps de remarquer quelques détails du comportement de son mari. Il

aimait prendre le temps de réfléchir, et pour ce faire se composait un visage impassible en attendant de

prendre une décision.

— Non, répondit-elle en tendant le bras vers la planche. Je ne suis pas encore prête à m’avouer vaincue.

Rafiq eut un petit sourire en coin.

— J’aurais pu prédire que tu allais dire ça.

Malgré sa volonté de rester aussi impassible que lui, Belle ne put s’empêcher de répondre à ce sourire.

Rafiq avait lui aussi passé du temps à l’observer durant ces derniers jours. Il avait vite compris qu’elle

n’aimait pas abandonner la partie. Il retint donc la planche pendant que Belle se remettait en place et

hissait la voile hors de l’eau. Une petite vague vint compliquer les choses, mais elle compensa

habilement et positionna la voile de manière à prendre le vent. La planche fit quelques mètres.

— Penche-toi en arrière, cria Rafiq.

Mais Belle y avait déjà pensé, se plaçant instinctivement de manière à compenser la force du vent.

Désormais, elle filait sur l’eau ! Elle ajusta sa prise, et se concentra sur sa stabilité, que le vent menaçait

sans cesse.

Rafiq avait raison : ce sentiment de liberté était euphorique. Il n’y avait plus qu’elle et la mer. Comment

avait-elle pu vivre aussi longtemps près de l’eau et même plonger pour son travail sans jamais trouver le

temps d’une activité de loisir ? La réponse était la même que celle qui expliquait qu’elle ne soit sortie

avec aucun homme en deux ans : obnubilée par son métier, elle s’était oubliée.

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Une vague mieux formée surgit soudain sur son flanc, et la fit chavirer. Elle se vit, comme au ralenti,

basculer par-dessus sa voile et tomber à l’eau.

En refaisant surface, elle ôta ses cheveux trempés de son visage, et se retourna vers Rafiq pour lui crier :

— Tu as vu ?

Il n’était déjà plus qu’à une petite encablure de là, nageant rapidement. Mais elle parvint à récupérer la

planche.

— J’ai vu, dit-il en arrivant près d’elle.

Lorsqu’il se haussa à ses côtés sur la planche, Belle ne put s’empêcher de dévorer des yeux cette peau

dorée par le soleil, et ce corps sculpté qu’elle voyait nu dans le lit qu’ils partageaient. Il était chaque fois

plus difficile de ne pas le toucher, de ne pas caresser sa peau. La tentation était…

— Belle, ça va ?

Elle releva les yeux vers Rafiq et détourna aussitôt le regard, effrayé qu’il puisse lire en elle à livre

ouvert.

— Oui, tout va bien, fit-elle en essayant d’avoir l’air joyeux. C’était super. Comme tu me l’avais dit.

Ils essayèrent en même temps de tendre la main vers la voile. La main de Rafiq effleura la sienne. Elle

était large, puissante, souple… Comme l’était son corps. Qu’elle se sentait donc petite et fragile… Allons

! Il fallait arrêter de penser à lui comme ça. Elle allait devenir folle !

— Tu veux essayer encore ?

— Non, merci. Ça suffira pour aujourd’hui. Rentrons.

— Comme tu préfères.

Il n’y eut aucune inflexion particulière dans la voix de Rafiq. Avait-il deviné ses pensées ? Pourvu qu’il

n’en soit rien !

La situation n’était pas facile à vivre : ils avaient passé la semaine entière ensemble, profitant

ostensiblement de leur voyage de noces dans le pavillon de chasse familial situé sur la côte nord. Rafiq

avait expliqué qu’il était hors de question de déclencher des soupçons en boudant le voyage de noces.

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Mais cette semaine aux côtés de Rafiq n’avait fait que renforcer les sentiments de Belle et, même si elle

les dissimulait de son mieux, elle craignait de ne pas y parvenir bien longtemps… Elle découvrait Rafiq au

jour le jour. C’était un homme joyeux, expansif, qui savait profiter de la beauté d’une randonnée à

cheval sur la plage ou des joies d’une balade. Et son sourire la séduisait autant que la sensualité

débordante qui se dégageait de lui.

Belle soupira et prit pied sur la plage pendant que Rafiq tirait la planche au sec. Elle se remémorait leurs

premiers baisers et sentait sa raison défaillir. Pourquoi garder une telle distance alors qu’ils passaient

ensemble des moments merveilleux ?

Il avait essayé de lui enseigner des rudiments d’arabe, prétextant que cela l’aiderait à se débrouiller

seule. Mais elle passait son temps à regarder ses lèvres bouger sensuellement, se laissant bercer par le

son des mots doux comme du miel, sans arriver une seconde à se concentrer sur leur sens. Il devait la

trouver bien sotte…

Après avoir déposé la planche sur un rack, Rafiq revenait vers elle. Belle se composa un visage, feignant

de regarder les jeux de la lumière sur l’eau plutôt que les mouvements du corps parfaitement

proportionné de Rafiq.

— Ton travail te manque ? fit-il de sa voix profonde où perçait une pointe d’inquiétude. Tu préférerais

être sur ton bateau ?

— Non… Je ne faisais qu’admirer la vue.

Etrangement, elle ne mentait pas. Elle avait pourtant passé son existence à se construire une carrière

dans ce milieu d’hommes. Mais ces heures avec Rafiq avaient pris une place à part dans sa vie. Malgré la

tension nerveuse qui la rongeait dès qu’il approchait trop. Et cette semaine avait agi comme un antidote

au stress qu’elle avait enduré. Rafiq avait respecté le moindre de ses souhaits, ne lui imposant aucune

contrainte. Il lui avait fait découvrir un autre monde, une autre vie. Elle ne s’était jamais sentie choyée à

ce point.

Elle se retourna vers lui et le regarda dans les yeux :

— Merci, Rafiq. Je ne me suis pas amusée ainsi depuis une éternité. Ces vacances ont été fabuleuses.

Le coin des lèvres de Rafiq se releva en un lent sourire, sculptant son beau visage.

— Tout le plaisir est pour moi, Belle. Après tout, n’est-ce pas ce que chacun attend d’un voyage de

noces?

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Belle ouvrait la bouche pour répondre que ceci n’était pas un vrai voyage de noces, mais elle y renonça.

A quoi cela aurait-il servi ?

— Et je suis heureux d’apprendre que ton travail ne te manque pas trop, acheva-t-il.

Il prit une grande serviette et enveloppa les épaules de Belle. Mais ce fut son regard approbateur qui

réchauffa le mieux la jeune femme.

— Je compte quand même terminer cette mission…

— Bien entendu. Lorsque nous rentrerons, j’aimerais bien que tu m’amènes sur le site.

Belle approuva du chef.

— Volontiers. Ça t’intéresse ?

L’archéologie marine n’intéressait en général les gens que si l’on remontait de l’or ; même les poteries

les plus merveilleuses n’éveillaient qu’un intérêt poli.

— Evidemment que cela m’intéresse. L’archéologie nous révèle notre propre histoire. Et, puisque cela te

plaît tellement, il est naturel que je me penche dessus.

Puisque je suis ton mari. Voilà les mots qui résonnaient en creux dans ce discours, et Belle en ressentit

les vibrations muettes.

— Dans combien de temps les nouveaux membres de l’expédition arrivent-ils ? reprit Rafiq. Je n’aime

pas l’idée que tu plonges seule.

— Je ne plonge jamais seule, répliqua-t-elle, pour des raisons de sécurité. Mais cela ne t’ennuie pas que

je retourne travailler ?

Il lui adressa un regard étonné.

— Tu es très attachée à ton travail. Tant mieux. Pourquoi cela devrait-il me gêner ?

— Mais… C’est-à-dire que… Puisque je suis ta… ta femme, dit-elle en trébuchant sur le mot, je croyais

que…

— Que j’imposerais des règles surannées quant au rôle de la femme dans le couple ?

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Les lèvres de Rafiq s’écartèrent en un sourire dévastateur qui la fit fondre sur place. Il continua :

— Voilà une idée intéressante, il est vrai. Je pourrais te garder au secret dans mon harem. Tu ne verrais

aucun autre homme que moi, et tu vivrais ainsi pour mon bon plaisir.

Les joues de Belle s’empourprèrent devant le regard malicieux de Rafiq. Etrangement, aussi saugrenue

qu’elle soit, l’idée de ne vivre que pour son plaisir ne lui déplaisait pas tant que ça. Comme si ce langage

parlait à la partie la plus primitive de son subconscient. Elle fit un pas en arrière, décontenancée par sa

propre réaction. Mais déjà Rafiq la prenait par le bras pour la conduire sur le chemin qui menait au

pavillon.

— Ah, soupira-t-il, feignant la déception, je me doutais bien que tu ne voudrais pas tout abandonner

pour t’occuper exclusivement de moi… Ma propre mère était pédiatre lorsque mes parents se sont

mariés. Elle a continué à diriger une clinique bien après.

— Ah, je ne savais pas… pour ta mère.

Belle rougit. Elle avait présumé qu’il lui faudrait se battre pour garder une activité après son mariage.

— Ne t’inquiète pas, Belle, répondit-il, l’invitant à passer devant lui devant les escaliers. Je ne vais pas

t’empêcher de travailler. Cependant, si tu y consacrais un peu moins de temps qu’auparavant, j’avoue

que j’en serais heureux.

Voilà un poids qui se libérait des épaules de la jeune femme. Elle était liée par un contrat de mariage

jusqu’à nouvel ordre, mais au moins cela n’affecterait pas sa carrière. Elle avait tellement craint d’avoir à

y renoncer ! Belle se retourna d’un bloc, faisant face à Rafiq.

— Merci. C’est important pour moi.

Elle avait envie de le prendre dans ses bras, de le remercier mieux que ça, mais ne savait comment faire.

— Je suis heureux que cela te fasse plaisir, mais c’est normal, répondit Rafiq de sa voix douce et

caressante.

Quand son regard trouva le sien, Belle en eut le souffle coupé.

— Pour moi, ce qui est important, c’est que tu sois heureuse, conclut-il.

Belle ne pouvait plus détacher son regard du sien. Le souffle de l’homme effleurait sa peau.

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Son corps, proche à le toucher, était une invitation à la sensualité qu’elle ne pouvait plus ignorer. Mais,

bien plus que cela, elle se sentait heureuse, comblée. Elle savait à présent qu’il la respectait, qu’il se

sentait concerné par son bonheur. Il avait accepté leur relation platonique, accepté aussi de la voir partir

pour son travail. Et de cet étrange arrangement qui avait été le leur au long de cette semaine il avait fait

un délice quotidien plutôt qu’un avilissant fardeau. Son mari était réellement un homme extraordinaire.

Alors était-il si surprenant que l’imaginable se produise ? Il fallait se rendre à l’évidence : elle l’aimait.

* * *

Belle se réveilla le lendemain aux premières lueurs de l’aube et pour la première fois se trouva seule au

lit.

Voilà qui était déplaisant.

Elle qui s’était maintenant habituée au luxe de se réveiller dans la tiédeur d’un corps d’homme… Ils

partageaient un lit immense qui, selon Rafiq, avait vu défiler des générations. Les piliers du baldaquin

étaient sculptés de figurines usées, probablement des sirènes qui, chaque soir, étaient les témoins

silencieux des envies et des doutes de ce couple qui n’en était pas encore un. Chaque soir, Belle

regardait son époux en feignant d’avoir les yeux fermés et attendait impatiemment qu’il veuille bien la

prendre dans ses bras pour s’endormir. Elle avait très envie de faire l’amour avec lui, et pourtant se

trouvait effrayée des conséquences. Elle savait que ce mariage ne durerait pas.

Par quelle étrange aberration arrivait-elle à l’aimer, mais sans accepter qu’il la touche ? D’un autre côté,

comment se donner à un homme qui n’avait aucun véritable sentiment pour elle ? Si le choix de Rafiq

avait été libre, il se serait sûrement porté sur une femme belle et sensuelle, née pour régner, quelqu’un

de bien plus approprié pour ce rôle de princesse royale qu’elle ne l’était.

Et, pourtant, chaque matin leurs jambes étaient emmêlées et leurs corps si proches… Et chaque matin

ses bonnes résolutions s’amenuisaient.

— Ah, tu es réveillée.

Comme à son habitude, le cœur de Belle s’accéléra lorsque Rafiq entra. Il portait un long pantalon bleu

et une chemise de lin blanc ouverte au col qui découvrait son torse bronzé. Ses cheveux étaient coiffés

en arrière et il souriait. Sa beauté la laissa un instant sans voix. Elle se reprit :

— Où… où étais-tu ?

— Je t’ai manqué ? demanda-t-il en s’approchant.

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Il lui prit doucement la main et la porta à ses lèvres pour un baiser sensuel qui la fit frémir. Puis en baisa

la paume, et ce, sans la quitter des yeux. Belle ne put retenir un frisson. Son ventre était d’ores et déjà

en feu sous l’effet de ses caresses sensuelles à l’extrême.

— Je me demandais simplement où tu étais, répondit-elle, un peu tremblante, en retirant sa main.

— J’avais une conférence vidéo. Et une surprise à préparer.

Il jeta un coup d’œil au corps de Belle étendu sous le drap.

— Tu auras besoin de vêtements longs et d’un chapeau, continua-t-il. Il va faire sacrément chaud dans le

désert.

— Dans le désert ?

— Oui, je t’emmène en pique-nique.

* * *

Deux heures plus tard, Belle, chevauchant un pur-sang arabe, contemplait du haut de la colline l’oasis

qui s’étendait à ses pieds, tel un coin de paradis perdu au milieu des sables. Les palmiers culminaient au-

dessus des oliviers centenaires et des buissons en fleurs. Le bruit clair d’une source se faisait entendre,

parfois entrecoupé par des piaillements d’oiseaux.

— Alors, ça te plaît ? demanda Rafiq.

— C’est magnifique… Et tellement inattendu !

Pour elle qui avait toujours vécu sur la côte, la beauté aride du désert était une surprise. Rafiq avait

décrypté pour elle ces nouveaux paysages, lui montrant les différentes formes des rochers, les traces

d’animaux, la manière dont le vent sculptait les dunes, la grâce fugitive d’une ombre de rapace… Chaque

minute avait été un délice. Et cette oasis de verdure en promettait d’autres.

— Allons voir de près, proposa-t-il en piquant des deux.

Elle le suivit, admirant son aisance à cheval. Il faisait corps avec le pur-sang et offrait un spectacle

magnifique, la chemise collée au corps par la brise, et le chèche battant au vent. Il ne s’agissait pas d’une

vision romantique, ni d’un conte pour jeunes filles, mais de son mari.

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Et il était à elle, comme le lui rappelait sans cesse la voix de la tentation qui jouait de ses sentiments, de

son admiration et de son désir de succomber.

Rafiq avait-il deviné qu’en dépit des déclarations de Belle, de toutes ses manœuvres pour l’ignorer, il lui

avait dérobé son cœur ? Que la femme qu’il avait épousée par pure convenance était contre toute

attente tombée amoureuse de lui ? Comment son monde avait-il pu se mettre à tourner autour de cet

homme ? Elle ne le comprenait pas elle-même.

Après tout, puisqu’ils étaient mariés et qu’il réclamait ses droits sur son corps de femme, pourquoi ne

pas les lui accorder et y trouver un plaisir mutuel ? Mais Belle n’arrivait pas à oublier que Rafiq n’était

pas amoureux d’elle…

Elle reprit ses esprits et descendit à sa suite vers l’oasis.

— Belle ?

Elle leva les yeux et sentit sa raison vaciller quand elle rencontra son regard vert brûlant de désir. Il

n’était pas aisé de lui résister.

— Viens, dit-il, une lueur amusée au fond des yeux. J’ai une surprise pour toi.

Le pouls de la jeune femme se mit à battre plus vite. Son cheval suivit et dévala la pente en direction des

deux bassins d’eau turquoise qui formaient le centre de l’oasis, reflétant le ciel au milieu de la nature

verdoyante. Une fois en bas, ils mirent pied à terre et, ayant attaché les chevaux à l’ombre, ils

commencèrent à marcher le long de l’eau.

Tout à coup, Rafiq se retourna vers Belle, et ses mains puissantes se refermèrent sur sa taille. Il la

rapprocha fermement de lui et une vague de chaleur se répandit dans le corps de la jeune femme. Sa

respiration se troubla devant la force de celui dont la poigne l’intimidait, la rendant vulnérable. Et elle

pouvait voir au fond de ses prunelles vertes qu’il était en proie aux mêmes démons qu’elle.

Le désir venait du plus profond d’elle-même, et montait en cercles lents pour prendre possession de son

corps entier, affolant sa poitrine, alors qu’elle sentait l’haleine douce et chaude de l’homme, et voyait le

sang battre dans les veines de son cou. Elle eut durant quelques secondes le désir fou d’y poser ses

lèvres, de goûter à cette peau, mais Rafiq lâcha prise et s’écarta. La déception fut presque douloureuse.

* * *

— Viens, dit-il d’une voix qui la fit frissonner, prenant sa main. Je pense que cela te plaira.

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Le ton de Rafiq était tendu ; il partageait les mêmes tourments qu’elle mais, curieusement, cela ne la

réconfortait pas… Belle le suivit, faisant comme si de rien n’était. Pourtant, une force irrésistible soudait

leurs mains l’une à l’autre. Ils contournèrent un buisson d’épineux, et soudain, comme surgie de nulle

part, une grande tente berbère se dressa entre les palmiers dattiers. A quelques pas de là, un filet d’eau

serpentait doucement, formant un bassin au creux des rochers. Belle laissa échapper un soupir de plaisir

devant la beauté du lieu. La tente s’ouvrait sur le flanc, une lampe tempête y pendait. Le tout

ressemblait à un conte. Shéhérazade elle-même aurait pu s’asseoir sur les tapis chatoyants qu’elle

apercevait. Rafiq pressa sa main.

— Ça te plaît ?

— J’adore…

Se tournant vers lui, elle capta, une brève seconde, une expression nouvelle au fond de ses yeux, qu’il

masqua vite.

— Mais quand as-tu… organisé tout cela ?

— Les rondes de surveillance des hélicoptères sont bien pratiques. L’un d’eux a fait un crochet un peu

plus tôt et déposé deux ou trois choses pour notre pique-nique. Lorsque mon grand-père et moi

passions la nuit dans le désert, nous utilisions cette tente. Je me suis dit que tu l’aimerais aussi.

Deux ou trois choses… Là d’où elle venait, il ne fallait qu’un sandwich et une vieille couverture pour

pique-niquer !

— C’est merveilleux, Rafiq, merci beaucoup.

— Tout le plaisir est pour moi, Belle, dit-il d’une voix profonde qui lui coupa le souffle. Allons donc nous

rincer le visage, cela nous débarrassera de la poussière du désert.

La sensation de l’eau fut étonnamment fraîche contre sa peau. Belle sentait les gouttes couler sous sa

chemise et le long de son dos, rafraîchissant tout son corps. Puis elle se lava les mains et se tourna vers

Rafiq qui la regardait. Il n’y avait là rien de nouveau : Rafiq passait son temps à l’observer sans laisser

filtrer une seule émotion. Mais il y avait cette fois une lueur dans ses yeux qui la fit rougir. Il lui tendit la

main et la guida sous la tente.

La première impression de Belle fut que l’ombre de la tente était apaisante, après leur balade sous un

soleil de plomb. Ensuite, elle remarqua le luxe dont ils étaient entourés. De grands tapis aux motifs

chamarrés doublaient la toile de la tente, les isolant du soleil. D’autres s’étalaient au sol, parsemés de

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coussins, et offraient une telle perspective de confort qu’elle eut du mal à ne pas s’y abandonner. Une

table à thé en cuivre était posée dans un coin et à côté se tenait le seul détail incongru dans ce décor :

une grande glacière. Elle suivit l’exemple de Rafiq et ôta ses chaussures avant de poser le pied sur les

tapis. La sensation fut étonnante, chacune de ces merveilles devait coûter une petite fortune.

— Mets-toi à l’aise, je vais chercher de quoi boire.

Elle profita de chaque instant, et chaque pas dont elle foulait la laine serrée semblait l’éloigner du

monde et de la modernité. Elle voguait hors du temps, dans un espace où des odeurs de santal

parfumaient l’air, et où même les ombres prenaient des teintes pastel.

— C’est merveilleux, répéta Belle en s’adossant à un coussin de brocart dont la douceur était presque

étrange après deux heures passées à cheval. Je n’ai jamais rien vu de tel.

— Je suis très honoré que tout te plaise.

Il se pencha pour verser un long trait de jus de fruits frais dans un verre décoré d’arabesques d’or.

— Merci, murmura-t-elle, soudain enrouée.

Rafiq, d’abord impassible, laissa s’épanouir un demi-sourire sur son visage. Elle en fut émue et porta le

verre à ses lèvres pour se donner une contenance. Le jus était doux et légèrement acidulé. Jamais Belle

n’avait rien goûté de pareil.

— C’est un cocktail traditionnel, expliqua-t-il. On y trouve de la grenade et du melon, avec un peu de

menthe.

— Quel délice ! Merci…

La conversation avait pris un tour emprunté, un brin trop poli, comme si chacun d’eux essayait de

camoufler ses sentiments derrière des propos futiles. Les silences étaient bien plus dangereux encore…

— C’était une bien jolie matinée, ajouta-t-elle à la hâte lorsqu’il vint s’asseoir près d’elle. Je n’aurais

jamais pensé trouver tant d’eau au beau milieu du désert.

— Et tu ne t’es pas encore baignée. L’eau est revigorante.

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Le regard de Rafiq donnait à ces simples mots une couleur nouvelle. Instantanément, Belle les imagina

nus dans l’eau et sa température monta d’un cran. Elle finit son jus de fruits d’un trait et Rafiq lui prit le

verre des mains.

— Mais je n’ai pas apporté de maillot, murmura Belle.

— Eh bien tant pis, fit-il en inclinant la tête, laissant le silence s’installer.

Il posa à son tour son verre, puis se pencha en arrière et, appuyé sur un coude, se contenta de la

regarder.

— Puisque c’est la première fois que tu viens ici, reprit-il, je ferai tout ce qui te sera agréable.

Tout ce qui lui serait… agréable ? Belle le fixa intensément pour voir si le sous-entendu était

intentionnel, mais elle se perdit presque aussitôt dans la contemplation de son beau visage. Son odeur

musquée embaumait la pièce. Chaque nuit, elle subissait ainsi le supplice de Tantale, allongée contre lui

sans oser faire un mouvement de peur de voir s’envoler ses résolutions.

Il prit sa main, et la posa délicatement sur la sienne, en en caressant la paume du bout de ses doigts. Elle

frissonna.

— Tu peux me demander ce que tu veux, Belle, souffla-t-il.

— J’aimerais…

Mais elle s’arrêta, reprit ses esprits. Un besoin tel que le sien s’exprimait difficilement à voix haute. Elle

ne pourrait jamais avouer ce qui la consumait. Entre-temps, le regard de Rafiq s’était posé sur sa

poitrine, attiré par sa respiration irrégulière. Aussitôt, ses seins réagirent et elle se sentit à l’étroit dans

l’étoffe de ses sous-vêtements. Une coulée de désir s’éveilla au plus profond d’elle-même.

— Oui ?

Rafiq leva les yeux vers elle et elle sut qu’elle avait perdu, défaite par l’ardeur même qu’elle lisait dans

son regard.

— J’aimerais… que tu m’embrasses.

Belle sentit sur sa paume la pointe de la langue de Rafiq et elle dut fermer les yeux pour éviter de laisser

transparaître l’effet que cette caresse avait sur elle.

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— Est-ce là tout ce que tu veux ? murmura-t-il encore, ponctuant sa phrase de petits baisers.

Belle sentit ses dernières barrières céder, balayées par la sensualité de Rafiq, qui trouvait écho au creux

de son corps.

— J’aimerais…

Son souffle se bloqua alors qu’il lui mordait doucement la peau, et elle sentit un torrent de désir

l’imprégner. Leurs doigts s’entremêlèrent, et elle ouvrit de nouveau les yeux. Il était près d’elle,

tellement près… Elle finit par trouver les mots qui se devaient d’être dits.

— J’aimerais que tu me fasses l’amour…

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10.

Lorsque Belle avait prononcé ces mots, ses joues s’étaient empourprées. Quand il vit ses paupières se

fermer, Rafiq sut qu’il avait gagné.

Un sentiment de triomphe et d’allégresse l’envahit alors. L’aveu de Belle le délivrait. Il lui fallait la

prendre, la posséder, marquer cette femme de son empreinte indélébile. Ses instincts les plus primitifs

l’exigeaient.

Il vit le désir dans le regard de Belle, surprit l’odeur musquée qui trahissait son attente, et fit de son

mieux pour se détendre. Il la voulait, tout de suite. Sans préliminaires, ni débat, avec la sauvagerie des

tempêtes du désert.

Ce serait superbe. Onirique. Cataclysmique. Mais cela risquait de se terminer trop vite. Beaucoup trop

vite… Or Belle méritait mieux que cela.

Il prit une seconde pour se calmer. Son instinct lui imposait d’embrasser Belle, mais il se contenta de sa

main, ne se faisant pas encore assez confiance pour l’embrasser sur la bouche. Il était si tendu qu’un

seul mouvement un peu trop intense aurait pu avoir des conséquences désastreuses.

Les paupières de Belle tremblèrent et elle soupira légèrement. Elle attendait qu’il lui fasse enfin l’amour,

et elle posa ses bras frais sur ses épaules, se penchant sur lui.

— Rafiq, murmura-t-elle d’une voix langoureuse.

Ses lèvres étaient ouvertes et son corps blotti contre lui, attendant ses caresses. Il avait eu raison dès le

début, pensa-t-il. Maintenant que Belle abandonnait sa réserve, maintenant que sa passion s’exprimait

au grand jour, chacun de ses soupirs évoquait les houri, ces créatures célestes à la séduction irrésistible.

Tout en elle semblait venir droit du paradis, jusqu’à la manière dont elle murmurait son nom. Il n’avait

plus qu’une envie : succomber à la tentation et combler son désir. Ses mains se portèrent sur la poitrine

de sa femme, qui accepta en se cambrant d’un mouvement de hanches vieux comme le monde.

L’instant suivant le trouverait à genoux entre les cuisses de Belle, épanchant son désir au contact de son

intimité.

L’idée même de se plonger dans cette moiteur était si puissante qu’il se crut sur le point de perdre la

tête. Il serra les dents, ignora le cri intérieur qui lui hurlait de la posséder immédiatement, laissa

retomber ses mains, et trouva la force de se lever. Avant même qu’elle n’ait eu le temps de protester, il

l’avait soulevée et amenée contre lui. Il la serrait trop fort et il le savait, mais il ne pouvait refréner cet

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instinct, la voix de sa raison résonnant bien faiblement au milieu de l’incroyable brouhaha de ses

émotions.

Les yeux de Belle, écarquillés par la surprise, ne le quittèrent pas alors qu’ils traversèrent la tente

précipitamment, les coussins volant sur leur passage. Son regard reflétait un mélange d’excitation, de

désir mais aussi de… de peur ? Etait-ce possible ? De la part de l’indomptable Belle ? Elle ferma les yeux,

et il n’eut plus moyen de savoir si cette peur était réelle ou s’il l’avait imaginée. Mais le moment avait

été bénéfique : il avait mis fin à l’égarement de Rafiq qui reposa doucement Belle sur un vaste matelas

tendu de draps blancs, au fond de la tente.

— Habibti, tu m’as demandé de te faire l’amour, murmura-t-il d’une voix rauque qui sonnait

étrangement, même à ses propres oreilles, mais maintenant j’aimerais que tu te détendes…

Se détendre ? Comme si c’était possible ! Belle l’observa : avait-il la moindre idée de l’incongruité de ses

propos dans une telle situation ? Comment voulait-il donc qu’elle se calme ? Chaque nerf de son corps

était tendu de désir, exacerbé par ces journées d’attente où son corps avait crié dès qu’il la touchait.

N’avait-il pas compris à quel point elle avait besoin de lui ? De ses baisers ? De ses mains ?

Celles-ci jouaient avec le premier bouton de sa chemise. Allait-il enfin l’ôter ? Belle se mordit la lèvre

pour cacher son impatience, puis elle se résolut à agir et, d’une main tremblante, fit sauter ce premier

bouton.

— Non !

La réprobation dans la voix de Rafiq l’arrêta net.

— Non, habibti, pas maintenant. Pas encore.

Belle le regarda intensément et elle ne vit pourtant que la flamme d’un désir fou qui dansait au fond de

ses yeux. Alors pourquoi lui demandait-il de ne pas le toucher ? C’était impensable !

Elle allait ouvrir la bouche pour protester lorsque Rafiq prit les devants, passa un bras autour d’elle et la

souleva juste assez pour faire passer son chemisier par-dessus sa tête. Une seconde après, son soutien-

gorge avait disparu. Rafiq la reposa de nouveau sur les draps blancs. La poitrine de Belle pointait vers le

ciel, et son sang battait sauvagement à ses tempes.

— Tu es encore plus belle que je ne l’imaginais, murmura-t-il, portant sa main au contact d’un sein.

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Une infinité de sensations délicieuses emplirent Belle lorsque Rafiq la toucha. Elle ne put retenir un petit

soupir de plaisir, et la chair tendre de sa poitrine fit naître des vagues de plaisir au plus profond de son

intimité.

— Rafiq, s’il te plaît…, gémit-elle.

Elle retint ses mots en voyant le sourire carnassier de Rafiq. Il pencha sa tête et vint la couvrir de milliers

de petits baisers. Puis sa bouche fit son chemin pour atteindre sa poitrine, et Belle ne put dissimuler son

exaltation lorsque sa langue vint tourmenter les extrémités délicates de sa poitrine. C’était trop, c’était

merveilleux. Mais pas encore suffisant, et Belle passa ses bras autour du cou de Rafiq, en rapprochant

son bassin de lui. Elle voulait sentir le poids de son corps d’homme sur le sien. Les caresses de Rafiq se

firent de plus en plus rapides, et l’urgence du plaisir grandissait en elle. Avait-il la moindre idée de la

torture qu’il lui faisait subir ?

Il était bien probable que oui. C’était écrit dans son regard… Et voilà ce qu’il en résultait : Belle était là, à

sa merci, gémissante et passionnée, lui offrant son corps et son cœur en partage, alors que peu de

temps avant la peur lui faisait fuir tout contact. Mais il était trop tard : elle avait remisé ses principes, et

ne le regretterait pas. Elle était sur le point de connaître le paradis.

Sa main se faufila et elle se débrouilla pour atteindre la chemise de Rafiq, en défaisant deux boutons

pour toucher enfin son torse, mais celui-ci l’écarta.

— Bientôt, dit-il, avec une promesse au fond des yeux. Mais pas encore.

Elle était sur le point de crier sa déception, mais ce fut le moment qu’il choisit pour défaire le pantalon

de Belle dont celle-ci se trouva délestée en quelques mouvements, nue et tremblante devant lui. Le

regard de Rafiq avait quelque chose de prédateur, comme un lion avant l’attaque, ou comme un prince

devant qui s’agenouillait l’esclave du harem.

Il était victorieux… mais bizarrement cela n’effrayait plus Belle. Etre ainsi dénudée devant lui n’était ni

gênant ni avilissant. C’était libérateur, euphorisant. Elle voyait au fond des yeux de Rafiq qu’il était en

proie aux mêmes désirs. Ses hésitations venaient de sa difficulté à se contrôler. Elle était maîtresse et

amante autant qu’il était maître et seigneur.

— Rafiq, dit-elle en s’étonnant des accents langoureux de sa voix, je veux que tu me touches.

Elle le vit avaler difficilement sa salive. Il posa ses mains fermement sur elle, au point que sa peau

blanchit. Belle sourit : ils étaient égaux à présent. Il ne l’aimait peut-être pas, mais il la désirait autant

qu’elle. Elle porta la main au chèche qui couvrait encore la tête de Rafiq et le défit lentement, sourire

aux lèvres. Ils se regardaient droit dans les yeux, sans rien dire ni rien dévoiler de leurs envies.

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La longue bande de lin se défit, et la chevelure d’un noir luisant tomba sur les épaules de Rafiq. Les

mains de la jeune femme descendirent alors le long du corps puissant pour atteindre de nouveau sa

chemise et glisser ses mains contre son torse, caressant les muscles déliés. Belle sentait le cœur de Rafiq

pomper massivement son sang, et chaque battement semblait déstabiliser la jeune femme par sa force,

la vie remontant avec puissance le long de la gorge de l’homme et jusqu’à ses tempes. Son odeur

musquée s’imposait à elle. Il faudrait aller jusqu’au bout.

Belle ne put s’empêcher de tendre sa bouche vers lui et d’embrasser doucement sa peau pour en

percevoir le goût. Elle parcourut ses pectoraux, en effleura les extrémités sensibles puis, presque

naturellement, suivit le parcours de la fine ligne de poils noirs jusqu’aux abdominaux. De l’intérieur de

ce corps semblaient lui parvenir de puissantes vibrations. Alors que sa main défaisait le pantalon de

Rafiq, elle se sentit soudain renversée en arrière, clouée par le poids du corps puissant qui la faisait

vibrer. Rafiq prit alors les mains de Belle et les maintint derrière sa tête, découvrant sa poitrine.

— Rafiq ?

La brusquerie du mouvement l’avait un peu surprise.

— Ne me touche pas, articula-t-il difficilement d’une voix à peine reconnaissable.

Ne pas le toucher ? Belle fronça les sourcils. Y avait-il un protocole, une étiquette en la matière dont on

ne l’aurait pas prévenue ?

Rafiq marqua une pause, ferma un instant les yeux. Sa respiration était difficile et son corps tendu

trahissait sa nervosité.

— Belle, reprit-il plus doucement, il vaut mieux que tu ne me touches pas. Sinon, au lieu de t’aimer, je

vais te dévaster.

Une pulsion traversa le corps de Belle. L’idée lui semblait finalement assez excitante.

— Rafiq… Mais que fais-tu ?

Il venait de récupérer le chèche glissé entre eux. Puis il porta la main aux poignets de Belle, et passa le

doigt sur sa cicatrice d’un air préoccupé.

— Tu as toujours mal ?

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Elle répondit par la négative. La blessure avait bien cicatrisé, et elle espérait qu’il n’y aurait bientôt plus

signe de l’incident. Rafiq hocha du chef en réponse, puis commença à lier les poignets de Belle ensemble

à l’aide de son chèche.

Belle écarquilla les yeux de surprise. Il n’allait tout de même pas… Rafiq sentit cette sourde opposition,

marqua un arrêt et leva les yeux vers Belle.

— Me fais-tu confiance ? demanda-t-il d’une voix douce.

Rafiq attendit patiemment la réponse, immobile. Belle repoussa son appréhension : il s’agissait de Rafiq,

l’homme qu’elle aimait. Elle sentit un sourire envahir son visage. Oui, elle lui faisait entièrement

confiance. Elle voulait se donner corps et âme à ce mariage.

— Oui, Rafiq.

Rafiq émit un petit soupir de soulagement. Il passa tendrement son pouce sur les lèvres de Belle, caressa

sa joue et sa gorge. Elle tourna la tête et en réponse embrassa cette main qui la caressait.

— S’il te plaît, Rafiq. Aime-moi…

Une lueur magnifique, brillante d’exultation, s’alluma au fond des yeux de Rafiq. Dans l’échange de leurs

regards, ils sentirent leur complicité s’agrandir. Rafiq se pencha sur elle pour l’embrasser et, tout contre

ses lèvres, murmura :

— Je suis tellement honoré, Belle.

Puis il étira son long corps d’athlète au-dessus d’elle, réduisant le champ de vision de Belle au triangle

de ses pectoraux. Elle sentit ses poignets passer dessus sa tête, le lien se nouer autour d’eux. Comment

pouvait-elle accepter une proposition qui la laissait aussi vulnérable ? Mais toutes ces questions

s’évanouirent lorsque les mains de Rafiq réveillèrent son désir de lui appartenir. Il posa les lèvres sur sa

bouche. Voilà exactement ce dont Belle avait besoin : un baiser langoureux, celui d’un amant qui saurait

prendre son cœur et son corps dans un élan de passion. Belle aurait même pu se laisser aller à croire

que Rafiq l’aimait, quand il la touchait ainsi. Mais elle savait que c’était impossible. L’idée était

séduisante néanmoins, et elle décida de s’y attarder un peu, comme elle aurait paressé dans un bain

chaud.

Alors que la langue de Rafiq prenait possession de sa bouche, sa main dessina les contours de son cou,

de sa poitrine, et enfin de ses hanches. C’était bon, mais Belle avait besoin de plus.

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Elle essaya de se rapprocher de lui, mais ses poignets entravés la retenaient. Soudain, une décharge de

plaisir paralysa en elle toute velléité de bouger. La main de Rafiq se glissait entre ses cuisses…

Elle ne rompit pas leur baiser, plongeant au contraire sa langue au plus profond de la bouche qui la

torturait, alors que les doigts de Rafiq passaient et repassaient doucement sur le point le plus sensible

de son intimité. Belle tressaillit d’espoir, attendant la libération. Mais Rafiq, bien qu’ayant écarté ses

jambes, se faisait attendre…

— Rafiq !

Belle n’avait pu retenir ce cri qui exprimait toute l’urgence de son envie. Rafiq leva le regard vers elle, et

d’un geste doux glissa deux doigts en elle, ce qui la fit littéralement exploser. Une chaleur l’inonda,

l’enveloppant comme un cocon.

Rafiq ne l’avait pas quittée des yeux. Il la vit ouvrir grand la bouche à la recherche d’une bouffée d’air, il

vit son visage s’empourprer et son regard étonné s’agrandir au fur et à mesure qu’il la caressait.

Belle aurait dû se sentir vulnérable, exposée… Mais elle se sentait seulement aimée.

— Tu es belle, ma petite tigresse, murmura-t-il en caressant ses lèvres de son souffle. J’aime te voir

vibrer à chacune de mes caresses.

Il mordit doucement sa lèvre. Ce fut comme s’il lui découvrait une nouvelle zone érogène jamais

éprouvée auparavant. Le souffle de Belle en fut coupé une seconde, et un soupir de rage lui échappa :

— Délivre-moi, Rafiq !

Elle essaya d’attraper sa bouche, mais celui-ci se redressa juste assez pour qu’elle échoue.

— S’il te plaît, continua-t-elle en haletant, j’ai besoin de toi.

— Et tu m’auras, Belle, ne t’inquiète pas. Chaque chose en son temps.

Au lieu de défaire le nœud qui la retenait, il se pencha de nouveau pour prendre la pointe de ses seins

entre ses lèvres.

— Détache-moi, gémit-elle d’une voix rauque.

— Chut, habibti, répondit-il d’une voix calme. Laisse-toi aller. Tu seras bientôt libérée, tu verras.

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Que voulait donc dire « bientôt » pour lui ? Au lieu de la laisser libre de lui rendre ses caresses, il prit au

contraire tout son temps pour goûter à son rythme chaque centimètre de son corps. Il semblait presque

ne pas se préoccuper d’elle et Belle apprenait à chaque contact à quel point il savait éveiller ses sens.

Elle n’avait jamais connu une telle sensualité, n’avait jamais appartenu aussi entièrement à un homme.

Rafiq jouait, l’amenait au bord du précipice, prenant plaisir à exacerber chacune des sensations qu’il lui

procurait.

Derrière chacun de ses gestes se dissimulait une envie de possession totale que Belle pouvait lire au

fond de ses grands yeux. Il la marquait au fer rouge de son désir, saturant ses sens de plaisirs inouïs qui,

petit à petit, soumettaient son corps et son cœur.

Les spasmes du plaisir s’évanouirent doucement, laissant place à un sentiment de bien-être. Belle

rayonnait. Ses yeux reflétaient la flamme qu’il avait allumée en elle.

Elle sentit les dernières tensions quitter son corps. Elle avait l’impression de flotter. L’obscurité autour

d’elle était chaude et accueillante. Belle sourit et ce ne fut que lorsque Rafiq agrippa ses hanches qu’elle

comprit qu’elle ne rêvait pas. Il était maintenant penché sur elle, la dominant de son corps musclé. Elle

sentit sa virilité s’insinuer en elle, étonnamment large et puissante, et pourtant ses hanches ne purent

se retenir d’épouser les siennes. Une tension se réveillait, venue du plus profond de son corps.

Rafiq la regardait toujours. Il ne souriait ni ne disait le moindre mot. Son regard était fixe, comme si

l’effort nécessitait la plus grande concentration. Les muscles saillants de son cou et de ses épaules

tremblaient du contrôle qu’il leur imposait et tout à coup, d’un mouvement lent mais ferme qui sembla

interminable aux yeux de Belle, Rafiq abaissa doucement son corps et la cloua sur place jusqu’à ce que

leurs peaux soient en contact.

Belle se mit à haleter, sentant tout son corps accueillir le sien. Elle l’avait tellement voulu, mais pourrait-

elle résister à tant de force ? Rafiq lui souleva alors les cuisses pour s’enfoncer plus profondément

encore en elle. Il vint embrasser la peau délicate de son cou en murmurant des mots que Belle ne put

comprendre mais elle sentait que son corps répondrait favorablement à tout ce qui devrait suivre.

— S’il te plaît, murmura-t-elle. Délivre-moi, à présent.

Rafiq ne semblait pas l’avoir entendue. Sans se laisser influencer, il se retira, puis revint de nouveau,

multipliant les frictions délicieuses entre leurs deux corps qui semblaient faits l’un pour l’autre. Belle

supportait sans faillir cette magnifique virilité et son corps vibrait d’anticipation à chaque mouvement

lent et silencieux. Le souffle de Rafiq se fit plus lourd, et le corps de Belle répondit en parfait accord. Son

amour pour cet homme noyait en elle toute autre pensée que celle de se donner. Chaque baiser de

Rafiq lui faisait vivre le point culminant de tout roman d’amour. Au-delà de la sensualité et de la virilité

qu’il dégageait, Belle sentait quelque chose d’autre, comme si Rafiq touchait à l’essence même de son

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âme… Il lui faisait vivre l’expérience la plus érotique de toute sa vie. L’apogée de tous ses rêves, de ses

espoirs. Il lui faisait vivre la caresse ultime de l’amant, celle de l’âme sœur.

Elle parvint à glisser ses mains dans sa chevelure sombre et lui rendit un baiser dévastateur, tandis que

Rafiq agrippait ses hanches afin d’accélérer le mouvement de son bassin. Belle ne put alors que

s’accrocher à son cou, les doigts griffant sa peau brûlante, dominée par les sensations qui la portaient au

pinacle. Le corps de Rafiq eut un bref instant de flottement alors que Belle se trouvait au bord du

précipice puis, d’un coup presque brutal, il la projeta dans une spirale de sensations interminables qui

l’emmenèrent plus loin qu’elle n’avait jamais été.

L’écho de son prénom lui parvint aux oreilles, et le corps de Rafiq se fit plus lourd sur le sien. L’instant

d’après, Rafiq défaisait ses liens, pour qu’ils puissent se reposer ensemble, blottis l’un contre l’autre.

Soudain, Belle se rendit compte que les larmes avaient envahi son visage. Elle ne s’était pas rendu

compte qu’elle pleurait. C’était ridicule, consternant. Mais elle ne voyait aucun moyen d’endiguer ses

pleurs.

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11.

Rafiq l’entoura de ses bras. Belle s’allongea de tout son long contre lui, le visage posé contre son torse,

les cheveux éparpillés sur ses larges épaules et les jambes mêlées aux siennes. Les larmes chaudes

roulèrent sur la peau bronzée de son amant. Rafiq laissa tendrement sa main glisser le long des courbes

délicieuses de la jeune femme, de ses épaules rondes jusqu’à sa taille fine. Même après ces heures

passées à explorer ce corps, à en apprendre la géographie et les secrets dans le confort de leur

confiance mutuelle, il avait l’impression de la découvrir pour la première fois.

— Chut, habibti, tout va bien, lui murmura-t-il. Il n’y a pas de raison de pleurer…

Elle enfouit le visage contre son torse.

— Je sais, marmonna-t-elle. Cela n’a aucun sens…

Elle eut un dernier petit sanglot, et Rafiq la serra fort contre lui, murmurant les paroles rituelles qui

calmaient les enfants. Bouleversé par ces pleurs, il ne pouvait cependant se défaire de l’impression

d’être un imposteur. Il était évident qu’il lui fallait consoler Belle, mais n’était-il pas à l’origine de ces

larmes ? Elles n’étaient rien moins que la conséquence du voyage sensuel et débridé où il l’avait

entraînée. Il avait perdu le compte du nombre de fois où elle avait joui sous ses doigts, tout cela parce

que, égoïstement, il refusait la délivrance qu’elle implorait. Il avait marqué jusqu’à son âme de son

empreinte indélébile. Il avait voulu que jamais elle ne puisse appartenir à un autre.

Il n’aurait pas dû la pousser au bout de ses émotions comme il l’avait fait, sans écouter ses suppliques.

Mais il lui aurait fallu être un surhomme pour arriver à se contrôler.

Belle avait été si parfaite, son corps répondant à chacun de ses appels, qu’elle avait incarné ses désirs les

plus fous, surpassé tous les rêves éveillés qu’il avait fait nuits, après nuit, en la regardant dormir.

Son ego s’était nourri de chacun de ses gémissements et il avait continué à la tourmenter sous prétexte

de la préparer minutieusement à lui. Bien sûr, sans ces préliminaires, elle aurait pu éprouver une gêne

physique, vu ses proportions inhabituelles et la délicatesse de son corps de femme. Mais il était allé trop

loin.

Rafiq écouta les derniers sanglots s’éteindre dans la gorge de Belle en pensant qu’il lui avait pris

aujourd’hui beaucoup plus qu’il ne lui avait donné jusqu’à présent.

— Endors-toi maintenant, Belle. Tout va bien.

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Il la sentit se recroqueviller contre lui. La chevelure qui glissait contre ses épaules était douce et presque

provocante. Au point de lui donner des idées…

Maintenant, il était temps de payer le prix de ses actions, songea Rafiq avec un humour lucide. Belle

était comblée… et morte de fatigue. Elle allait s’endormir, alors qu’il aurait préféré qu’elle ait de

nouveau envie de lui… Il lui fallait dorénavant endurer une torture bien méritée : la tenir tout contre lui

pendant qu’elle dormait, sans rien faire d’autre que la regarder.

* * *

Belle s’éveilla lentement. Ses yeux piquaient un peu et ses muscles étaient tout engourdis, comme si elle

avait nagé des heures durant. Le fait même d’essayer d’ouvrir les yeux lui était tellement pénible qu’elle

abandonna après quelques instants, s’autorisant le luxe de traîner un peu au lit.

Il lui fallut une bonne autre minute avant de se rendre compte que ce n’était pas sur un oreiller qu’elle

se rendormait. Un cœur battait sous son oreille, et sa joue reposait sur un torse musclé.

Rafiq ! En une seconde, tous les souvenirs lui revinrent à la mémoire et ses yeux s’ouvrirent en grand.

Elle s’était montrée insatiable, déchaînée… Le rouge lui monta aux joues. Cela ne lui ressemblait pas :

qu’allait-il penser d’elle ? Si seulement elle parvenait à se rhabiller avant qu’il ne s’éveille, elle serait

mieux à même d’affronter les conséquences d’un abandon qui frôlait la luxure.

Elle essaya donc de glisser le long de son torse sans le réveiller… et se retrouva face à la manifestation

du désir de Rafiq… Même endormi, il la voulait encore !

— Belle, tu es réveillée, dit-il soudain.

Sa voix profonde la fit vibrer. Tant pis pour sa dignité, donc. Il allait falloir accepter ce qu’elle avait fait…

— Oui, répondit-elle en un murmure, fascinée de le voir aussi insatiable qu’elle.

Elle remonta vers celui qui tendait déjà la main pour une caresse. Celle-ci fut douce et tendre, et Belle,

sidérée, dut constater qu’à ce simple contact son pouls s’était accéléré. Son corps lui signalait qu’elle

aussi était prête pour Rafiq…

— Tu as bien dormi ? Ça va mieux ?

— Oui, dit-elle sans oser lever les yeux.

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La longue main de Rafiq voyagea dans son dos, effleura à peine ses fesses et repartit vers ses épaules.

Belle sentit son estomac se nouer. Son souffle se coupa dans l’attente de plus. Rafiq s’en rendit compte.

Ce furent donc ses deux mains qui se posèrent sur ses seins en les flattant généreusement. Belle se

mordit la lèvre, folle d’excitation.

— Tu dois être épuisée après tout ce qui s’est passé, fit Rafiq d’un ton contrit. Je n’aurais pas dû te

pousser à bout.

Belle se crispa. Peut-être était-il choqué par la manière dont elle s’était comportée ! Après tout, elle en

rougissait rien qu’à se le rappeler !

Il la sentit se raidir et lui releva le menton, la forçant à affronter son regard.

Elle n’était pas sûre exactement de ce qu’elle s’était attendue à voir dans celui de Rafiq. En tout cas, elle

ne s’attendait pas à le trouver si grave, si tendu. Il avait presque l’air de souffrir.

— Rafiq ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

Rafiq lui répondit d’un semblant de sourire.

— Rien que quelques mètres d’éloignement ne puissent régler.

Un sursaut de son membre viril lui épargna de devoir s’expliquer plus amplement. Belle était si

préoccupée de sa propre conduite qu’elle n’avait pas pensé que Rafiq puisse éprouver les mêmes

scrupules… Elle fut heureuse de constater qu’il était affecté du même mal qu’elle.

— L’éloignement n’est pas la seule solution, murmura-t-elle en regardant les yeux de l’homme

s’agrandir de surprise.

Mais celui-ci secoua la tête.

— Hors de question. Je ne veux pas te faire mal. Tu dois te sentir courbaturée… Nous n’avons pas besoin

de…

Mais le désir avait envahi son regard. Elle glissa sa main entre eux et le rapprocha d’elle. Elle le sentit

haleter.

— Si, justement, murmura-t-elle, déposant tendrement ses baisers sur le torse musclé.

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Rafiq avait fermé les yeux et cela décupla l’audace de Belle. Si seulement elle pouvait lui faire éprouver

le dixième du plaisir qu’il lui avait donné précédemment, elle serait comblée. Il ne lui fallut qu’une

seconde pour se positionner au-dessus de lui et l’enfourcher. Les yeux de Rafiq s’ouvrirent en grand. Il

semblait dévoré du même désir brûlant qui la tourmentait. Elle s’abaissa doucement vers lui, profitant

de la magie de cet instant et du lien qui les unissait, et qui ne pouvait être uniquement physique, elle en

était sûre à présent. Chaque battement de son cœur témoignait de la profondeur de cette émotion. Et,

si elle regardait au fond des yeux de Rafiq, elle pouvait lire les mêmes symptômes.

Elle ouvrit la bouche, à tel point possédée par la beauté de l’instant qu’elle fut sur le point de révéler la

vérité, de laisser échapper son secret. Sur le point d’avouer son amour…

Mais Rafiq bougea, posa les deux mains sur ses hanches, intensifiant encore leur union. La spirale de

désir qui les entraînait entama un nouveau cycle qui leur fit perdre la tête. Belle sombra dans cet état

second où toute parole était inutile et même impossible.

Et ce qui avait commencé comme un cadeau de sa part devint un délice mutuellement partagé. La

poigne calme de Rafiq empêchait sa compagne de chercher trop vite la satisfaction de son besoin. Il lui

imposa au contraire la délicieuse attente, expérience ultime du plaisir partagé.

Chaque mouvement était un florilège de sensations. Et, au-delà du plaisir physique, un simple regard de

Rafiq la menait au paradis. Leurs deux souffles semblaient se faire écho et, lorsqu’elle sentit monter du

tréfonds d’elle-même les tremblements qui annonçaient la jouissance, elle sentit les mouvements de

Rafiq s’accélérer. Elle bascula d’un seul coup, juste au moment où un assaut puissant annonçait

l’épanchement de Rafiq. Le spasme interminable poussa Belle à crier le prénom de son amant mais son

cri fut noyé sous le rugissement d’animal foudroyé que Rafiq laissa échapper au même instant.

Belle s’écroula sur son torse, passa ses bras autour de son cou. Le plaisir avait été cataclysmique, et elle

avait besoin de se sentir protégée par sa force rassurante. La preuve élémentaire du désir de son amant

qui résidait dorénavant au plus profond de son corps lui fit vivre un instant de plaisir primitif. Elle se

sentait épuisée, mais heureuse, étonnée par l’intensité du voyage qui…

— On ne s’est pas protégés ! murmura-t-elle soudain.

Comment avait-elle pu être aussi négligente ? Comment avait-elle pu à ce point se laisser absorber par

son désir ?

— Il n’y a rien à craindre, habibti…

Sa voix grave était éraillée et elle fut heureuse de l’avoir à tel point chamboulé.

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— Tu n’as rien à redouter en ce qui concerne les maladies, reprit-il avec un grand sérieux. Et je ne pense

pas, te connaissant, qu’il faille que je m’inquiète de mon côté.

Sa main chaude descendait à présent le long du dos de Belle. Elle se sentit plus détendue, malgré sa

préoccupation.

— Ce n’était pas ce qui me souciait. Je voulais dire que je n’utilise pas de moyen de contraception…

Il était peu probable qu’elle puisse concevoir un enfant si tôt dans son cycle mais le risque ne pouvait

être ignoré. Elle sentit un frisson à cette idée, et se demanda s’il s’agissait de peur ou d’autre chose. La

voix de Rafiq se radoucit et il lui répondit :

— Nous sommes mariés, Belle. Il est naturel que nous ayons des enfants ensemble.

Ces mots semblèrent flotter dans l’air quelques instants, évoluer en cercle devant ses yeux comme la

main de Rafiq sur ses hanches. Elle aurait dû s’habituer à sa manière de la toucher, mais il y avait dans sa

caresse quelque chose de nouveau. Chaque mouvement sur sa peau semblait affirmer qu’elle était à lui.

Au moment où la main de Rafiq quitta sa hanche, elle se sentit tout à coup fragile, presque délaissée.

— Qui sait ? reprit-il. Le miracle de la vie est peut-être à l’œuvre à l’instant même. Il est possible que

j’aie planté la semence d’où naîtra l’héritier du trône de Kharoum…

Ces mots eurent un effet particulier sur Belle. Elle sentit son ventre se nouer, et un sentiment

d’impatience brûlante l’emplit à l’idée de porter cet enfant, l’enfant de Rafiq, bien qu’elle n’ait jamais eu

le désir d’être mère. La pensée d’être enceinte de son mari lui semblait juste et parfaite. Devant ses

yeux défilèrent des images d’eux ensemble, autour d’un bébé adorable aux cheveux sombres…

Mais l’instant d’après, le charme se rompit. Il fallait voir ces images pour ce qu’elles étaient : de purs

fantasmes. Elle aurait aimé qu’un enfant naisse de leur amour, mais tout ce dont Rafiq se préoccupait

était sa succession. Sécuriser l’avenir de son royaume, voilà ce qui lui importait.

Ce n’était pas l’idée de faire un enfant avec elle qui lui plaisait, mais la possibilité d’avoir un héritier qui

avait empli sa voix de fierté. L’enfant légitime d’un monarque régnant. Tel était son cahier des charges.

Belle pressa vivement ses paupières l’une contre l’autre. Elle ne pleurerait pas ! Pas cette fois-ci, à aucun

prix. Elle avait besoin d’être seule pour laisser libre cours à sa déception. Elle fit donc un mouvement

pour s’écarter du corps musclé de Rafiq. Il comprendrait son besoin de se reposer, même si sa virilité

semblait insatiable.

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Rafiq la retint en passant ses bras autour d’elle.

— J’ai besoin de dormir, mentit-elle.

Elle avait de fait besoin de réfléchir, de reprendre le contrôle de ses émotions.

— Eh bien, endors-toi contre moi ! dit-il gentiment.

— Non, je vais me mettre là-bas et…

— Tu vas rester là où tu es. J’aime te serrer tout contre moi.

Belle ne put s’empêcher de ressentir une joie nouvelle à ces mots. Mais il lui fallait se protéger,

dorénavant. Elle refréna ses émotions. La main de Rafiq se posa sur sa hanche, les battements de son

cœur prirent un rythme lent et régulier. Il ne tarderait pas à s’endormir… Belle se remémora la

satisfaction évidente de Rafiq à l’idée d’avoir un héritier. Elle n’aurait pas dû en être surprise. Elle s’était

engagée en connaissance de cause : ce mariage n’était rien d’autre qu’une manière de faciliter les

choses jusqu’à ce que les forces de sécurité mettent la main sur les chefs de la rébellion. Rafiq avait

montré clairement ses intentions quant à l’aspect physique de leur union. Puisqu’ils étaient mariés, il

était pour lui logique qu’elle en vienne à être enceinte. Mais jamais il n’avait parlé d’engagement

sentimental.

Elle ne pouvait pas lui en vouloir : il l’avait épousée pour des raisons politiques, soit, mais Rafiq était un

homme honorable, qui avait risqué sa vie pour elle et même encouru le courroux de son peuple en

payant une rançon inestimable. Il ne lui avait ni menti ni fait aucune promesse qu’il n’ait tenue. A quoi

d’autre aurait-elle dû s’attendre ? Il était le prince d’un Etat souverain plutôt conservateur, et avait été

élevé depuis sa plus tendre enfance dans le culte du chef. Alors évidemment, maintenant qu’il était lui-

même dirigeant, il n’allait pas se sentir coupable de coucher avec sa propre femme, ni d’y trouver du

plaisir.

La faute était entièrement sienne, songea Belle : elle s’était jetée dans un piège qu’elle aurait dû éviter à

tout prix. Mais elle s’était persuadée que tout irait bien, que c’était mieux pour le royaume, mieux pour

ce peuple qu’elle avait appris à aimer, et mieux pour Rafiq qui affrontait chaque jour les ennemis de la

démocratie. Belle s’était convaincue que cette union rembourserait la dette contractée auprès de lui.

Sans son intervention, Duncan et elle seraient probablement morts de déshydratation ou des blessures

causées par le cyclone.

Belle soupira. Il fallait admettre que toutes ces belles raisons en cachaient une autre : elle s’était mariée

par amour. Elle avait vu le piège, mais s’était donnée tout entière à l’homme qu’elle aimait, repoussant

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les arguments de sa raison. N’avait-elle pas espéré, aussi, qu’une fois marié Rafiq tombe également

amoureux d’elle ?

Elle avait cru aux contes de fées. Et il semblait qu’elle y croie encore, puisque quelques minutes plus tôt,

dans la fièvre de sa passion, elle avait failli avouer son amour à voix haute. Heureusement qu’elle s’était

abstenue ! La simple luxure pouvait tout à fait expliquer le comportement passionné de Rafiq, sans que

s’y mêle aucun sentiment.

Et voilà qu’à présent il évoquait la possibilité que de leur union naisse un enfant. Un enfant né d’un

couple légitime, oui, mais sans amour.

* * *

Rafiq attendit d’être sûr que Belle soit endormie pour la faire délicatement rouler sur le côté avant de la

recouvrir d’une couverture de soie. Elle devait être épuisée pour dormir aussi profondément. D’un

tendre geste de la main, il ôta une mèche dorée du visage de Belle et la passa derrière son oreille. Il put

ainsi voir qu’elle avait une marque rouge à la base du cou. Il devait bien s’avouer qu’il avait perdu tout

contrôle sur lui-même, tout à la joie intense de la posséder enfin.

Malgré tout, il était agréable de songer qu’elle était à lui, et de manière irrévocable. Il aurait de

nombreuses autres occasions de renouveler cette possession : il avait toute une vie pour satisfaire le

désir qu’il avait d’elle.

Il continua à la détailler du regard. La finesse de ses traits faisait de cette femme une beauté classique,

et un simple froncement de ses sourcils bien dessinés pouvait donner à croire qu’elle était hautaine ou

distante, mais il suffisait de regarder sa bouche et son sourire franc pour voir qu’il n’en était rien. Sa

bouche trahissait sa nature profonde, pensa-t-il, sa tendresse comme son caractère passionné.

Dorénavant, voilà qu’elle était à lui : une femme délicate, pleine de vie, pulsant de désir et qui possédait

un courage faisant défaut à bien des hommes. Tout ce qui s’était passé depuis son enlèvement le

prouvait. Elle avait même réussi à conquérir le cœur des Kharoumis en s’adressant à eux dans leur

propre langue le jour du mariage…

Rafiq sentit un immense sentiment de fierté lui soulever la poitrine. Elle serait une reine parfaite pour le

royaume. Et une épouse hors du commun. Sans parler de la mère qu’elle serait pour leurs enfants…

Depuis qu’elle lui avait dit ne pas être protégée, il ne pouvait échapper à l’image de son ventre arrondi

par ses œuvres. Bien sûr, leur attachement n’avait fait que croître depuis qu’ils s’étaient rencontrés,

mais une grossesse l’attacherait à lui plus sûrement que ne le ferait aucun papier ou aucune morale.

Voilà ce qu’il voulait : la certitude qu’elle reste pour toujours à ses côtés.

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Mais elle, se sentait-elle prête à être mère ? Il aurait dû la sonder un peu avant de faire connaître sa

propre opinion. Il lui faudrait être plus prudent à l’avenir.

Il glissa hors des draps et fit quelques pas sur les grands tapis, à la recherche de leurs vêtements

éparpillés. Belle avait besoin de repos, et il ne se faisait pas assez confiance pour rester étendu près

d’elle sans avoir très vite envie de lui refaire l’amour. Rafiq enfila son pantalon et ramena ses cheveux

en arrière.

Il souleva l’entrée de la tente et profita de la douce chaleur, contemplant le paysage qu’il connaissait si

bien. Il se sentait bien ici, accompagné de Belle. Chaque chose semblait être à sa place. Durant une

seconde, il imagina la merveilleuse rencontre qui aurait pu avoir lieu si son grand-père avait été encore

en vie. Rafiq aurait aimé lui présenter sa femme, lui montrer qu’il suivait le chemin que son aïeul avait

tracé.

Il s’étira, détendu et satisfait de son rêve éveillé. Il suivit du regard le vol gracieux d’un faucon qui

surplombait les rochers et piqua soudain de l’autre côté, vers une dune de sable. Avait-il repéré une

proie ? Soudain, le regard de Rafiq, attaché au vol de l’oiseau, se fixa sur une ligne sombre qui maculait

la dune de sable vierge. Les traces de cavaliers…

Il se mit à réfléchir à cent à l’heure. Belle et lui étaient arrivés par le côté rocheux de l’oasis et il n’y avait

alors aucun signe de passage sur ces dunes. De plus, l’hélicoptère avait vérifié la zone. Ces traces étaient

donc récentes.

La mâchoire de Rafiq se serra lorsqu’il réfléchit aux implications de sa découverte. Il se recula à

l’intérieur de la tente, pour ne pas constituer une cible. Pourtant, les hommes de sa garde personnelle

étaient à proximité. Tant que Selim ne serait pas capturé, il savait qu’il ne pouvait emmener Belle dans

le désert sans précautions. Ses soldats roulaient en 4x4, stationnés juste derrière les dunes, afin de

préserver l’intimité de leur cheikh. Mais, dans ce cas, auraient-ils laissé passer des hommes à cheval

dans cette zone ultra-sécurisée ? Non, il avait dû leur arriver malheur. Les cavaliers étaient passés au

travers du cordon de sécurité… Et Rafiq se doutait de leur identité. En une autre occasion, il aurait béni

l’opportunité de briser le cou de ce chacal de Selim. Mais pas aujourd’hui. A présent, Belle était avec lui,

et si jamais il lui arrivait quoi que ce soit…

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12.

— Belle…

Rafiq joignit ses lèvres aux siennes une courte seconde, juste le temps de la réveiller. Puis sa voix s’éleva,

calme, mais étrangement déterminée, et sa main se posa sur la joue de Belle.

— Ne fais pas de bruit. Il faut que tu te lèves, maintenant. Nous sommes en danger.

A ces mots, les yeux de la jeune femme s’écarquillèrent. Elle ouvrit la bouche pour essayer de

comprendre, mais Rafiq lui fit signe de garder le silence.

Son front était barré de lignes soucieuses, son regard dur, et elle sentit que ce qu’il redoutait le plus

était probablement sur le point de se dérouler. Un frisson glacé la saisit au souvenir des hommes sans

pitié qui l’avaient enlevée.

— Il va falloir me faire confiance, reprit-il, et faire ce que je te dis. Tu comprends ?

Elle fit un signe d’approbation. Rafiq ne détacha pas tout de suite son regard du sien, et l’émotion

qu’elle y décela la mit en émoi. Puis le visage de son époux redevint le masque impassible qu’il arborait

dans les moments de crise.

— Tiens, dit-il en lui tendant quelque chose avant de s’écarter d’elle. Couvre-toi.

Belle se rendit compte que tout son corps tremblait de nervosité, et elle eut beaucoup de mal à enfiler

ce qu’elle finit par identifier comme étant la chemise de Rafiq. Elle se sentit mieux une fois que le coton

eut recouvert ses épaules, comme si la chaleur de son mari la protégeait dorénavant. A peine avait-elle

eu le temps d’en fermer les premiers boutons qu’ils entendirent un bruit étouffé venant de l’extérieur.

Elle tourna vivement la tête vers Rafiq qui n’avait pas bougé d’un pouce et chuchotait en arabe dans un

talkie-walkie ; il camoufla ensuite celui-ci sous l’un des nombreux tapis et se dirigea vers elle.

— On va nous venir en aide. Quoi qu’il arrive, n’oublie pas qu’à partir de maintenant il nous faut

simplement gagner du temps, fit-il en la prenant doucement aux épaules.

— Rafiq, murmura-t-elle, désespérée à l’idée que, s’ils devaient mourir ici, elle n’aurait plus l’occasion de

lui confier le secret de son cœur, Rafiq, je t’…

Une apostrophe en arabe lancée d’une voix sonore la coupa dans son élan. Plusieurs hommes en armes

pénétrèrent d’un coup dans la tente. Rafiq, calmement, se dressa entre eux et Belle, la protégeant de

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son corps. Mais Belle eut le temps de s’apercevoir avec horreur qu’elle connaissait leurs assaillants. Le

petit à tête de furet avec son sourire vicieux, et le géant, sur le côté, qui tripotait nerveusement son long

couteau recourbé… Celui-là, elle ne pourrait pas l’oublier. C’était lui qui avait brisé la jambe de Duncan

comme un fétu de paille. Elle le regarda droit dans les yeux sans y découvrir aucun éclat d’humanité, et

se sentit tout à coup prise de nausées. Elle se rapprocha en tremblant du dos de Rafiq et posa la main

sur lui, comme pour lui demander de partager avec elle un peu de sa force.

— Que veux-tu, Selim ? demanda Rafiq d’une voix forte à l’homme qui venait à son tour de pénétrer

dans la tente. Sont-ce là des manières pour présenter tes respects à ton cheikh ?

L’homme ne répondit pas immédiatement. Son visage resta une seconde impassible puis la mince ligne

de ses lèvres sembla s’affiner encore. Il fit un pas vers le couple et ses hommes se groupèrent derrière

lui. Qu’allait-il se passer ? Belle frémit. Ils étaient armés jusqu’aux dents et eux n’avaient pas même un

poignard !

Selim se planta devant Rafiq et débita un flot de paroles que Belle ne pouvait espérer comprendre. Mais

leur situation n’était que trop claire. Selim, le renégat de la famille, allait parvenir à ses fins et prendre le

pouvoir…

Belle étudia l’expression déterminée du nouveau venu, la dureté de ses traits. Voilà un homme qui ne

reculerait pas.

— Ah, bien sûr, l’interrompit Rafiq. Un simple transfert de pouvoir ! Et tellement plus légitime si je suis

présent à la cérémonie, tout disposé à te confier les rênes du pays !

Selim sourit, et son œil évoquait celui d’un oiseau de proie. Il affichait un air satisfait qui fit frissonner

Belle de terreur. Ce cousin avait l’air bien plus dangereux qu’aucune des armes pointées sur eux.

Combien de temps faudrait-il aux secours pour les atteindre ? Chaque seconde lui semblait une éternité,

et elle avait l’impression que les deux cousins parlaient depuis des heures… Le temps… Gagner du

temps. Voilà ce que Rafiq avait dit. C’était probablement la raison pour laquelle il le faisait parler.

Mais Selim n’était pas né de la dernière pluie. Rapidement, il mit un terme à la conversation et jeta

quelques mots à ses hommes de main. L’un d’eux quitta la tente et les deux autres s’avancèrent, l’un

vers Rafiq et l’autre, vers elle. C’était lui qui l’avait frappée lors de son enlèvement. Le bandit, l’air

sadique, avait l’air heureux de la revoir et Belle se pressa un peu plus contre Rafiq.

Celui-ci fit un pas de côté et se retrouva ainsi face à face avec le géant qui voulait s’en prendre à sa

femme. Rafiq prononça quelques mots en arabe d’un air déterminé qui fit hésiter le ruffian. Le second,

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avec sa tête de furet, avait l’air de se délecter de la situation et la regarda tout à coup avec convoitise,

ce qui la terrifia un peu plus.

— Nous allons vous suivre, dit Rafiq. Mais personne ne touche à ma femme.

Pendant une seconde, personne ne bougea. Belle regarda par-dessus l’épaule de Rafiq : chacun semblait

hésiter devant l’autorité naturelle du cheikh. Puis Selim jeta quelques mots en arabe, probablement une

allusion vulgaire qui fit rire ses hommes, et le géant tendit le bras vers elle.

Tout se passa très vite alors. Rafiq fit un pas vers lui, son poing vola et, avant que Belle ait pu

comprendre quoi que ce soit, le géant était genou à terre, plié en deux en se tenant l’estomac. Son

camarade laissa échapper un juron et pointa immédiatement son pistolet en direction de Rafiq. Belle

laissa échapper un cri de terreur.

— Tais-toi, catin ! lança Selim avec un fort accent. Un seul cri de ta part et tu verras ton cher époux

s’éteindre sous tes yeux !

Belle n’avait aucun doute sur la réalité de la menace. L’estomac noué, elle comprit qu’il n’y avait rien à

faire. Rien d’autre qu’attendre le dénouement de ce drame, en priant pour qu’ils voient le soleil se lever

de nouveau.

La brute se leva, titubant un peu ; il grogna une forme d’imprécation et Belle put voir au fond de son

regard qu’ils avaient peu de chances de s’en sortir vivants. Selim jeta un ordre, mais le bandit ne

l’écouta pas. Au contraire, il sortit son couteau à lame recourbée de son fourreau.

— Rafiq !

Le cri d’angoisse de Belle fut couvert par la voix autoritaire de Selim, qui n’appréciait pas l’initiative de

son homme de main. Mais le bandit semblait décidé et rejeta l’ordre de son chef d’un haussement

d’épaules.

Il n’y avait qu’une seule issue possible à ce combat. Rafiq avait beau être musclé et agile, il n’était pas de

taille à affronter un homme aussi massif, et bien armé.

Quelques secondes passèrent silencieusement. Les deux hommes se toisaient. Puis, tout à coup, il y eut

une série de mouvements rapides de part et d’autre. Les adversaires se rapprochèrent et Belle vit la

lame scintiller, volant droit vers le cœur de Rafiq. Elle étouffa un gémissement, mais déjà Rafiq esquivait

le coup, au tout dernier moment, déstabilisant son adversaire et l’entraînant au sol. Il prit alors le dessus

et fit de son mieux pour contenir le géant. Mais l’homme était puissant ; la situation se renversa en un

instant et le bandit parvint à se remettre sur pied, faisant chanceler Rafiq.

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Belle regardait désespérément autour d’elle, cherchant ce qui pourrait lui servir d’arme. Mais

l’aménagement de la tente avait été prévu pour l’amour… Il y eut un bruit sourd de lutte, aussitôt suivi

d’un grognement de douleur inarticulé. Une longue traînée de sang s’épandit à terre, maculant les

somptueux tapis.

Il n’y aurait pas de quartier. Les deux corps roulèrent aux pieds de Belle, et elle entendit un craquement

sourd qui lui rappela celui de la jambe de Duncan. Elle était folle d’angoisse. Jamais elle ne s’était sentie

aussi affreusement inutile qu’en ce moment où elle regardait celui qu’elle aimait se battre comme un

lion pour sa vie.

Elle eut la tentation de se jeter sur l’immense agresseur, et allait mettre son projet à exécution lorsque,

tout à coup, les deux corps eurent un spasme, un gémissement se fit entendre et une deuxième vague

de sang, plus importante, jaillit. Le pire était arrivé… Belle resta les yeux fixés sur les corps étrangement

emmêlés, certaine que, lorsque le vainqueur se redresserait, sa vie aurait changé pour toujours. Elle

essaya le temps d’une seconde d’imaginer l’existence sans Rafiq, mais son imagination refusait

l’inacceptable.

Selim fut le premier à réagir, jetant quelques mots en direction des combattants. Belle ne put remarquer

que le cousin de Rafiq avait l’air inquiet, tant elle était elle-même bouleversée. Elle ferma les yeux,

paralysée, incapable d’admettre l’inévitable.

— Belle…

Ce fut la voix de Rafiq qui la secoua de sa torpeur. Son mari était devant elle, à genoux, le flanc ouvert et

la gorge rouge de traces de doigts sanglants. Il fit de son mieux pour se lever en tremblant. Derrière lui

gisait le corps sans vie de son adversaire, dans une mare de sang.

— Rafiq !

La voix de Belle était étranglée, déchirée par l’émotion. Elle fit un pas vers lui, bras grand ouverts, mais

du coin de l’œil elle aperçut un mouvement qui attira son attention. Le deuxième homme de main, le

petit au regard vicieux, pointait son revolver en direction de Rafiq, lentement, mais d’un air absolument

déterminé.

Non !

Belle se jeta en avant, renversant Rafiq sur son passage. Il y eut une explosion puis plus rien.

L’immensité vide du silence, le repos confortable de l’ombre…

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13.

Belle se réveilla et reconnut la chambre d’hôpital qu’elle avait occupée précédemment. Quelle

coïncidence, qu’on l’ait placée deux fois au même endroit… Sauf que cette fois-ci elle n’était plus aussi

impatiente d’en sortir.

La première fois qu’elle avait été soignée ici, elle avait souhaité s’échapper au plus vite tant elle était

impatiente d’oublier les traumatismes liés à son enlèvement. Elle était sûre que le retour au travail

serait le meilleur antidote…

Belle ne put s’empêcher de sourire. Rien ne s’était déroulé comme prévu depuis… A présent, elle

quitterait l’hôpital non plus en tant qu’archéologue impatiente de reprendre ses travaux mais en tant

qu’épouse du cheikh Rafiq al Akhtar, prince souverain du royaume de Kharoum. Elle ne gouvernait plus

sa destinée, liée qu’elle était à celle de Rafiq.

Belle sentit une impression étrange l’envahir. Elle ne savait pas comment aborder l’avenir. Devait-elle se

sentir excitée, heureuse, ou angoissée ? Pour l’instant, elle était comme dans un cocon de soie, séparée

du monde par son enveloppe qui filtrait les émotions les plus intenses. Il était étrange d’accepter, pour

une fois, de ne pas tout contrôler.

Lorsqu’elle s’était éveillée pour la première fois après sa blessure, un médecin l’avait tout de suite

prévenue que Sa Majesté le prince se rétablissait, le coup de couteau ayant manqué les organes vitaux.

A partir de là, heureuse et rassurée, Belle avait refermé les yeux. Elle s’était réveillée et rendormie ainsi

plusieurs fois.

Maintenant qu’elle était de nouveau consciente, elle sentait la douleur malgré la sédation. Les médecins

l’avaient rapidement rassurée en lui annonçant que la balle avait pu être retirée de son épaule, et

qu’avec un traitement approprié et un peu de repos elle serait bientôt sur pied.

Daoud était également venu la voir, la félicitant pour son courage, et pour sa chance aussi. On avait peu

de chance de survivre en se jetant au-devant d’une balle…

Alors qu’elle était miraculée, pourquoi se sentait-elle aussi… vide ?

Belle soupira et laissa son regard errer sur les gerbes de fleurs qui s’amassaient dans sa chambre. A son

chevet, un magnifique bouquet d’orchidées avait été mis en valeur par une aide-soignante

consciencieuse.

— Un cadeau de Sa Majesté, lui avait murmuré celle-ci.

Page 112: 1.le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/delivree...1. Belle pessa ses mains l’une conte l’aute et se concenta su l’essentiel : ne pas se laisse envahi pa la peur. Le

Rafiq… Les lèvres de Belle tremblèrent et elle détourna la tête. Elle n’avait vu son époux que deux fois

depuis le combat sous la tente. Il avait été présent dès qu’elle avait ouvert les yeux : à peine le

chirurgien avait-il eu le temps de lui donner des nouvelles du prince que Rafiq lui-même avait surgi pour

lui prendre la main, se frayant un passage à coup d’épaules parmi les assistants du chirurgien. Mais elle

s’était bientôt évanouie de nouveau.

Il était revenu, la nuit dernière. Lorsqu’il avait passé la porte, elle avait cru que son cœur allait s’arrêter

tellement il était beau. Elle avait senti son pouls s’accélérer.

Néanmoins, son élan avait été brisé par le regard de Rafiq. Il n’était pas venu vers elle, mais avait

attendu, loin du lit, les mains croisées dans le dos. Il ne s’était pas assis, et même pas approché. Il était

resté droit et tendu, sombre, hors de portée.

Elle n’avait pas non plus tendu le bras pour essayer d’établir un contact : elle avait su se retenir, une fois

le premier émoi passé. Elle n’allait pas ainsi afficher ses élans de tendresse alors qu’il s’adressait à elle

d’un ton neutre en évoquant la venue possible de sa mère qu’il avait contactée en Australie. Il lui avait

parlé seul à seule, et pourtant leurs yeux ne s’étaient pas rencontrés une seule fois. Une fois que Rafiq

en avait eu terminé avec le détail de la capture des conspirateurs par les forces de sécurité qu’il avait

alertées, il l’avait prévenue qu’on aurait besoin d’elle au procès, puis il s’était retiré.

Depuis, il semblait à Belle que son cœur était mort. Elle avait fait le deuil de ses désirs fantasques, et

réalisé que c’était la fin de leur couple. C’était logique, puisque le mariage avait été arrangé à des fins

politiques qui n’avaient aujourd’hui plus d’importance.

Elle avait passé la nuit, songeuse, à réfléchir à ce que disait la loi de ce pays en matière de divorce.

— Belle…

C’était la voix de Rafiq, aussi veloutée et troublante que jamais. Elle leva les yeux et le contempla. La

robe traditionnelle qu’il portait augmentait son aura, sa prestance. Durant un instant, une image lui

revint à la mémoire : le souvenir de ses longs cheveux reposant sur le torse de Rafiq, lorsqu’ils étaient

sous la tente. Les caresses qu’il lui avait prodiguées, le désir au fond de ses yeux… Mais tout cela avait

été une erreur. Une aberration. Il fallait se débarrasser de ce souvenir.

— Bonjour, Rafiq. Tu es venu… me chercher ?

Rafiq s’arrêta une seconde, interloqué.

— Evidemment. Je suis ton mari…

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C’était là son devoir, et Rafiq ne plaisantait pas avec ce genre de choses. Il accomplirait toutes ses

obligations avec rigueur. Quand comptait-il lui annoncer que leur mariage prenait fin ?

— Tu es prête ? demanda-t-il après qu’on ait installée Belle dans un fauteuil roulant.

Belle jeta un œil en direction de son chevet.

— Mes orchidées…

Il était sans doute affreusement sentimental de s’attacher ainsi à des fleurs mais ce bouquet comptait

pour elle plus que tous les autres.

— Elles suivront, dit Rafiq en poussant la chaise vers la sortie, avant de remercier chaleureusement le

personnel.

L’équipe s’était groupée dans le hall pour souhaiter à la patiente princière un bon rétablissement. Belle

fit un effort pour se lever et les saluer mais elle chancela et, aussitôt, le bras de Rafiq la retint. Il la prit

dans ses bras.

— Tu ne devrais pas ! protesta-t-elle. Ta blessure…

Belle vit s’épanouir un petit sourire de fierté sur son visage. Un frisson la parcourut.

— Je vais bien, Belle. Assez bien pour porter ma femme.

Sa femme… Voilà qui la rappelait à ses devoirs. Belle ne dit rien, serra les dents et regarda droit devant

elle. La limousine attendait à l’extérieur. Elle sentit le souffle de Rafiq sur son cou, les muscles de son

torse contre elle, ses mains tenir fermement ses cuisses. Une fois à la voiture, il la déposa sur le siège

arrière et elle se plaça le plus loin possible de lui, mortifiée d’être aussi troublée par les quelques

instants qu’elle avait passés dans ses bras. Le trajet jusqu’au palais n’aurait dû prendre que quelques

minutes, mais la route était envahie par la population qui acclamait son prince et il fallut rouler au pas.

— Penses-tu qu’un sourire serait négociable ? murmura Rafiq en agitant la main en direction de la foule.

Certaines personnes attendent depuis des heures de te voir passer.

— De me voir passer ? demanda Belle, interloquée.

— Bien sûr, lui répondit-il très sérieusement. Tu es devenue une héroïne nationale, Belle. Tu as sauvé

leur prince d’une mort certaine. Chaque homme, chaque femme et chaque enfant savent que la jeune

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et belle épouse du cheikh s’est jetée entre lui et son assassin pour lui sauver la vie. Et c’est la vérité. Tu

m’as sauvé la vie. Au péril de la tienne.

— Ce n’était rien…, souffla-t-elle.

Le regard de Rafiq étincela puis il se maîtrisa. Après une pause, il reprit :

— Cet acte de bravoure dont tu sembles faire si peu de cas a convaincu jusqu’au dernier des

conservateurs que j’avais finalement bien fait de t’épouser.

Belle se mordit la lèvre pour masquer sa déception. Elle espérait un témoignage de reconnaissance plus

personnel, moins politique. L’amertume lui serra la gorge.

Elle se retourna vers la vitre et leva machinalement la main vers la foule qui la regardait à l’extérieur.

Qu’il était difficile de leur sourire…

* * *

Rafiq jeta un regard en coin à sa femme et se demanda une nouvelle fois s’il avait bien fait d’insister

pour qu’elle sorte de l’hôpital aujourd’hui. Le docteur avait prévenu que Belle était encore en état de

choc, même si son corps récupérait plutôt bien de la blessure. Une équipe médicale allait de toute

manière la prendre en charge dès son arrivée et elle aurait tous les soins dont elle pourrait avoir besoin.

Le souvenir du coup de feu lui revint un instant à la mémoire et comme chaque fois Rafiq se sentit sur le

point de défaillir. Il ne pouvait supporter cette image qui se présentait régulièrement à ses yeux dès qu’il

baissait la garde. Il revoyait Belle inconsciente, couverte de sang, la vie s’échappant d’elle à chaque

pulsation. Il revoyait ses grandes mains inutiles qui n’avaient pas su l’aider, entendait ses cris la

suppliant de rester en vie.

Le froid, comme chaque fois, le saisit intérieurement. Il avait failli la perdre. Tout cela parce qu’il l’avait

mise lui-même en danger avec son plan stupide pour la faire succomber à ses charmes, pour la mettre

en confiance. Comment avait-il pu ainsi l’exposer alors que Selim n’avait pas encore été capturé ?

Certes, les officiers de sa garde lui avaient assuré que l’oasis était sans danger. Mais il aurait dû s’en

tenir à son plan initial et rester au pavillon de chasse où la sécurité était sans faille… C’était sa faute si

Belle avait été blessée. Sa faute si elle avait du mal à surmonter le choc de sa blessure ! Il n’était pas

digne d’être son époux. Et d’ailleurs, très vraisemblablement, elle allait lui demander le divorce,

maintenant que la raison de leur mariage avait disparu.

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Malade de désespoir, il se demanda s’il aurait la force d’y consentir. Mais, elle méritait de choisir son

avenir en toute liberté. Déjà, lors de sa deuxième visite, il avait fait de son mieux pour ne pas s’imposer

à elle, pour ne pas lui compliquer la tâche. Mais pour sa sortie d’hôpital, il n’avait pu se retenir de la

prendre dans ses bras.

Lorsque la limousine arriva à l’entrée du palais, une nuée de serviteurs se déploya pour leur venir en

aide, l’un d’eux avec une chaise roulante. Mais Rafiq les prit de vitesse et porta une nouvelle fois Belle

dans ses bras. Il faudrait qu’elle exprime elle-même le désir de s’en aller pour qu’il desserre son étreinte,

mais d’ici là sa place était contre lui.

Une fois entrés, ils se trouvèrent accueillis par Daoud. Celui-ci portait une valisette de cuir à la main.

— Votre Altesse, dit-il en s’inclinant devant Belle. Je suis heureux de vous accueillir chez vous.

— Merci, Daoud, répondit-elle, la voix trop tendue pour être naturelle.

— Ma femme est fatiguée, dit Rafiq brusquement. Nous nous occuperons de la valisette plus tard,

lorsqu’elle se sera reposée.

— Je ne suis pas fatiguée, coupa Belle sur le même ton, si éloigné de sa douceur habituelle. Qu’y a-t-il là-

dedans ?

— Rien qui ne puisse attendre, marmonna Rafiq sans la poser et en s’engageant dans un long couloir.

— Daoud ? insista Belle. Qu’est ceci ?

— C’est-à-dire que… il s’agit là d’une tradition, Votre Altesse, dit Daoud d’un ton un peu contrit en les

suivant. Lorsque le prince se marie, il doit apparaître avec son épouse devant le peuple, elle arborant…

— Ah, bien sûr, l’Œil du Paon ! coupa Belle. Vous l’avez retrouvé ?

Rafiq la regarda du coin de l’œil, en espérant discerner une trace de plaisir ou d’excitation dans ses

paroles. Allait-elle sortir de sa froide réserve ?

— Oui, répondit Daoud, mais hier seulement.

— Bien, je suppose qu’il me faudra le porter, alors, dit Belle sans enthousiasme. Si la tradition le veut,

alors nous allons nous y soumettre, puisque c’est le devoir d’un couple princier.

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Rafiq se rembrunit. Il y avait un soupçon de sarcasme dans la voix de Belle. Que n’aurait-il pas donné

pour la retrouver telle qu’elle était avant tout cela, passionnée, chaleureuse…

— Très bien, interrompit Rafiq en se dirigeant vers la salle du trône. Débarrassons-nous de cette

formalité. Suivez-nous, Daoud.

* * *

Belle resta sans voix, fascinée par ce collier magnifique, dont l’orfèvrerie impressionnante en faisait une

œuvre d’art. Chacune de ces pierres devait valoir la rançon d’un roi. Rafiq avait abandonné cela pour

elle ? Cela semblait incroyable. Néanmoins, il fallait relativiser les choses : il l’avait surtout cédé pour des

raisons politiques, et pour préserver son pays de l’opprobre internationale. Enfin, cela ne lui retirait pas

tout crédit. Peu de souverains auraient payé la rançon d’étrangers au prix d’un trésor national.

Le regard de Belle passa du collier, posé sur son écrin de velours bleu sombre, au visage de Rafiq qui la

regardait par-dessus son épaule. Il semblait toujours impassible. A quoi pouvait-il bien songer ?

— Vous pouvez vous retirer, Daoud, merci, dit Rafiq d’un ton sec. Faites dire au chambellan que nous

allons paraître dans un instant. Pas longtemps, ma femme a besoin de repos.

— Je pense que le peuple comprendra, Votre Altesse, répondit Daoud en s’inclinant avant de quitter la

pièce.

— Tu es sûre de toi, Belle ? demanda Rafiq, se tournant vers elle.

Elle acquiesça. Autant en finir rapidement car elle n’était pas si vaillante que cela. Maintenant qu’ils

étaient au palais, il lui semblait que ses émotions refaisaient surface de manière imprévisible. Il lui serait

difficile de se composer longtemps un visage en public. Rester calme à proximité de Rafiq n’était pas

chose facile.

Rafiq souleva le collier de son écrin, et Belle vit la lumière se refléter à l’infini au travers des pierres

précieuses. Puis il vint derrière elle et passa le collier autour de son cou. Il écarta la chevelure de la jeune

femme, et elle entendit le déclic du fermoir. Le collier pesait lourd, comme un symbole de ses devoirs.

Belle prit une longue inspiration et se regarda dans le miroir. Il n’y avait plus grand-chose en elle qui lui

rappelle l’ancienne Belle Winters.

Elle jeta un coup d’œil dans le miroir en direction de Rafiq. Il se tenait droit, grand et beau, en attendant

qu’elle soit prête, elle, la petite archéologue transformée par ce bijou magnifique. Même avec son bras

en écharpe et vêtue à l’occidentale comme elle l’était, quelque chose avait changé en elle.

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Belle fronça les sourcils. Il était vrai qu’elle se sentait différente. C’était comme si le poids des traditions

s’était déposé sur ses épaules en même temps que le collier. Elle ressemblait véritablement à une

épouse royale.

Elle cligna des yeux, dubitative devant son propre reflet, et songea de nouveau que l’illusion était

parfaite. Pourtant, il manquait l’amour pour souder leur couple. Elle aurait préféré que, comme ses

ancêtres, Rafiq l’ait enlevée par simple désir, par pure convoitise, et non par calcul politique.

— Ne pleure pas, habibti…

Rafiq avait parlé d’une voix rauque, troublée par l’émotion. Belle pouvait à peine voir son visage tant sa

vision était altérée par les larmes. Sa gorge retenait à grand-peine les sanglots qui cherchaient à s’en

échapper.

— Belle…

La main de Rafiq caressa doucement sa joue. Puis, tout à coup, il se pencha et prit les mains de sa

femme entre les siennes.

— Belle, ma Belle, tout cela a été trop dur pour toi. Ce n’est pas grave, nous ferons cette présentation

au peuple plus tard, quand tu iras mieux.

Belle s’essuya les yeux pour tenter d’endiguer le flot de ses larmes.

— Non, donnons donc aux gens le conte de fées qu’ils sont venus voir. Et finissons-en.

Belle n’avait plus aucune intention de cacher son amertume. Il y eut un silence.

— Je ne vois pas exactement ce que tu veux dire par là, finit par dire Rafiq d’un ton calme. Tu sais, le don

de l’Œil du Paon n’est pas juste une cérémonie pour plaire au peuple…

Belle se rendit compte tout à coup que Rafiq lui serrait les mains de plus en plus fort. Puis elle leva les

yeux et vit une lueur étrange dans le regard de son époux. Immédiatement, elle sentit son cœur se

réchauffer peu à peu. Ce regard, c’était…

— Tu sais, continua-t-il, aux temps où les cheikhs entretenaient un harem, l’Œil n’était donné qu’à la

favorite. Seule cette élue du cœur le portait. Et, même si, comme je te l’ai dit, les choses ont changé

depuis lors, les al Akhtar sont restés fidèles à cette tradition. Ce symbole est celui d’une constante

affection entre les époux.

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La lueur au fond des yeux de Rafiq était devenue flamboyante.

— L’Œil est donné à la nouvelle épouse pour symboliser son règne sur le cœur de son époux.

Rafiq se pencha pour embrasser une main, puis l’autre.

— Aujourd’hui, nous partageons la même chair, le même cœur, murmura-t-il en posant la main de la

jeune femme sur son propre cœur qui battait la chamade. Et je te donne l’Œil car toi seule en es digne.

Jamais je ne pourrai l’offrir à une autre. Aujourd’hui, tu es à moi, Belle, quelles que soient les

circonstances qui nous aient amenés à vivre ensemble.

La poigne de Rafiq était forte, bien réelle sur son bras. Il ne s’agissait ni d’un rêve, ni d’un fantasme.

Belle aurait voulu dire quelque chose, mais restait sans voix. Rafiq se laissa tomber à genoux devant elle.

— Je t’aime, Belle. Voilà pourquoi l’Œil est à ton cou. Tu es mon épouse, ma femme, mon amour.

Touche mon cœur et vois comme il bat pour toi, habibti. Tu es tout pour moi.

Belle tremblait de toute son âme. L’espoir renaissait et lui donnait des ailes. Rafiq avait avoué, Rafiq

l’aimait, elle avait le droit d’y croire, elle pouvait enfin l’accepter, elle… Etait-ce vrai ?

Belle tenta de retirer sa main, mais Rafiq la retint.

— Ce n’est pas cela, murmura-t-elle, tu m’as épousée pour le bien du royaume, pour… ne pas perdre la

face devant ton peuple…

Les mots de Belle s’égrenaient de plus en plus lentement à mesure qu’elle voyait grandir le sourire de

Rafiq.

— Evidemment, cette solution m’a été suggérée, mais crois-tu que j’aurais épousé n’importe qui par

peur du qu’en-dira-t-on ? Tu pensais donc que je n’avais aucune autre façon de régler mes soucis

politiques ?

— Mais hier soir tu étais si distant, comme si tu regrettais d’être obligé de me garder, finit-elle

douloureusement. J’ai cru que tu voulais mettre fin à notre arrangement…

Rafiq se fit plus sombre.

— Mes doutes de la nuit dernière n’étaient que des doutes sur moi-même, mais jamais je n’ai douté de

mon amour pour toi.

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C’était dit, et c’était répété. La dernière preuve, l’indéniable, celle qui venait du fond du cœur, venait

d’être délivrée. Pour un homme comme Rafiq, d’un tempérament aussi fier, il était dur de confier ses

doutes.

Rafiq al Akhtar n’était pas le genre d’homme à reculer devant ses responsabilités, et il aurait pu diriger

son royaume sans l’aide de quiconque s’il l’avait souhaité. Mais il avait fait le choix courageux de la

démocratie, et il avait fait le choix de l’épouser. Elle…

Belle s’autorisa enfin à y croire, et une sensation délicieuse l’envahit. Elle ravala un sanglot d’émotion.

— Je n’ai été distant la nuit dernière, petite tigresse, que parce que je m’en voulais de t’avoir exposée

au danger. C’est une expérience qui me montre de nouveau que tout chemin est humble, même le

mien.

Belle put, pour la première fois, lire un peu de vulnérabilité au fond des yeux du cheikh.

— Tu es passée par tellement d’épreuves, et toutes par ma faute, continua-t-il d’une voix rauque. J’avais

peur que celle-ci ne soit celle de trop, et que tu décides de partir. C’était beaucoup, même pour une

femme de caractère telle que toi ! Je craignais tant que tu ne veuilles me quitter… Je t’en prie, dis-moi

qu’il n’en est rien !

Belle n’osait pas en croire ses oreilles. Tous ses rêves se trouvaient donc comblés ?

Elle reprit sa main et la leva jusqu’au visage de son époux. La mâchoire de celui-ci se serra lorsque la

paume de la jeune femme se posa délicatement sur sa joue.

— Tu n’as pas à m’en prier, Rafiq, murmura-t-elle enfin. Parce que, vois-tu, je n’ai aucune envie de

partir. Je t’aime.

Pendant un long moment, ils restèrent les yeux dans les yeux, à partager une communion intense,

incomparable. Le temps ne comptait plus, et ils ne formaient plus qu’un. C’était enfin la paix, la douceur,

la tendresse. C’était juste et parfait.

Peu importait le nombre d’années qu’il leur restait à vivre ensemble, Belle savait qu’elle serait à lui dès

qu’il poserait sur elle ce regard d’adoration muette.

Il l’attira doucement à lui et ne put réprimer une légère grimace quand elle s’appuya à son flanc.

— Ta blessure ? s’inquiéta Belle. Le coup de couteau mettra longtemps à cicatriser ?

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— Une éraflure, répondit-il, bravache. Maintenant que tu es à mes côtés, je pourrais me battre contre le

monde entier s’il le fallait. Et gagner !

— Commence donc par m’aider à faire bonne figure devant les foules qui nous attendent.

— Ne t’inquiète pas, habibti. Ils t’aiment déjà tous. Je te l’ai dit une fois : mon peuple… notre peuple,

pardon, est un peuple fondamentalement romantique.

Il fallait espérer qu’il ait raison. Elle voulait que les Kharoumis l’acceptent et que Rafiq soit fier d’elle.

— De toute façon, tout le monde sait maintenant que je suis fou de toi, reprit son époux. Je n’ai pas su

cacher mes sentiments si ce n’est, apparemment, à la femme que j’aime.

Belle sourit. Ils pouvaient en rire, à présent qu’elle ne doutait plus. Rafiq lui embrassa la main et elle

frémit. Elle allait avoir du mal à aligner deux pensées cohérentes s’il continuait à l’embrasser ainsi.

— Même Daoud le savait, ajouta encore Rafiq. Ce bon Daoud… Tu sais que je ne lui avais absolument

pas demandé de sortir l’Œil du Paon aujourd’hui ! Il a pris sur lui de le faire. Or il n’aurait jamais pris une

telle initiative sans être sûr de mes sentiments pour toi.

— Tu devrais te méfier de lui, fit Belle en riant. Il te connaît trop bien ! Mais ne tardons pas plus à le

satisfaire : la foule nous attend et Daoud doit déjà être sur le balcon…

Rafiq approuva du chef et l’embrassa à pleine bouche.

— Tu as raison mais n’oublie jamais cela : tu es à moi, et je suis à toi, simplement parce que nous le

voulons tous deux.

Lorsqu’ils apparurent enfin sur le grand balcon, la foule put constater que la tradition était maintenue.

L’Œil du Paon reposait au cou de celle qui avait su capturer le cœur de leur prince.