144

Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

  • Upload
    others

  • View
    328

  • Download
    44

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea
Page 2: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

1

Aussitôt rentrée, Jane se dirigea vers le réfrigérateur. Il était pratiquement vide, mais il restait

encore quelques canettes de Coca. Elle en prit une, puis se mit à boire sans se soucier d'utiliser

un verre. La boisson à la main, elle ôta ses chaussures d'un coup de pied et revint dans le séjour.

Quel bonheur d'être enfin de retour ! se dit-elle en regardant, autour d'elle, la vaste pièce qui

faisait à la fois office de salon et de salle à manger. Elle avait eu raison de supprimer la cloison

qui, à l'origine, délimitait l'espace. L'appartement comportait aussi une petite cuisine, sa

chambre, ainsi qu'une salle de bains. Elle l'adorait et s'y sentait chez elle.

Elle avait laissé sa valise dans l'entrée et s'apprêtait à aller la chercher lorsqu'elle vit le voyant

de son répondeur clignoter. Sa mère, sans doute, songea-t-elle avec résignation. Mme Lang

devait avoir hâte de savoir si sa fille était bien arrivée. Comme à son habitude, elle avait vérifié

que le vol était à l'heure, mais avait besoin d'entendre la voix de sa fille pour être totalement

rassurée. Avec un soupir, Jane appuya sur le bouton. En dehors de ses proches, elle n'attendait

pas d'appels. Elle fut donc très étonnée de reconnaître une voix masculine.

— Jane ? Es-tu là ? Si tu es là, je t'en prie, réponds ! C'est important...

Elle se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche. En dépit de sa décision d'oublier Demetri

Souvakis, il lui suffisait d'entendre sa voix pour être bouleversée. Pourtant, ce n'était pas grâce à

son charme personnel qu'il était devenu millionnaire bien avant son vingt-cinquième anniversaire

! Non... il avait hérité de l'affaire familiale et avait fait fructifier sa fortune avec une absence de

scrupules qui avait fini par contaminer sa vie privée, songea-t-elle avec une soudaine amertume.

Jane s'efforçait de respirer calmement, dans l'espoir de ralentir les battements de son cœur,

lorsque le répondeur s'enclencha de nouveau.

— C'est moi, Jane... ton mari. Theos, tu es là, je le sais ! Si tu continues, je vais aller chez

toi. N'est-il donc pas possible de nous comporter comme des êtres civilisés ?

Son arrogance et sa conviction qu'elle était à sa disposition aidèrent Jane à reprendre son sang-

froid. Comment pouvait-il s'annoncer comme son époux alors que, depuis cinq ans, il ne s'était

jamais inquiété de son sort ? Avec rage, elle enfonça ses ongles dans la paume de ses mains,

espérant endiguer la marée de souvenirs douloureux. De quel droit et pour quelle raison osait-il

venir la relancer ? Pour sa part, elle avait totalement réussi à le chasser de sa vie... Enfin, disons,

presque réussi...

Page 3: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Elle soupira de nouveau. Elle se souvenait, comme si c'était hier, de sa première rencontre avec

le père de Demetri, à la galerie. Léo Souvakis s'était montré charmant et extrêmement courtois à

son égard. Il cherchait une sculpture à rapporter en Grèce, lui avait-il expliqué, un bronze, de

préférence, pour compléter sa collection.

A l'époque, Jane ne travaillait pas depuis longtemps, mais, déjà, elle savait reconnaître les

pièces de qualité. Une délicate statuette de Diane lui avait paru pouvoir convenir à son client.

Celui-ci avait été ravi de son choix et l'avait chaleureusement remerciée. Ils discutaient des

mérites comparés de la céramique et de la porcelaine lorsque Demetri avait fait son apparition...

Jane secoua la tête. Ce n'était pas le moment d'évoquer le passé. Elle rentrait d'un voyage

éprouvant en Australie et en Asie, et ne rêvait que d'une chose : se mettre au lit et dormir douze

heures d'affilée !

Elle s'apprêtait à se lever lorsqu'elle entendit un troisième message.

— Jane ? Tu es là, ma chérie ? En principe, tu devais rentrer à 8 heures, n'est-ce pas ? Il est 8

heures et demie et je suis très inquiète... Sois gentille, rappelle-moi dès ton retour.

Ignorant les précédents messages, Jane prit l'appareil pour rappeler sa mère.

— Bonjour, maman, dit-elle d'une voix alerte. Désolée d'apprendre que tu t'es fait du souci.

Nous avons été un peu retardés... une escale non prévue à Dubaï...

— Oh, je comprends, maintenant ! s'écria Mme Lang sans cacher son soulagement. Je me

doutais bien de quelque chose de ce genre. Donc, tu vas bien ? As-tu fait bon voyage ? Tu m'en

parleras pendant le déjeuner.

Déjeuner ? Jane parvint à ne pas crier. Déjeuner avec sa mère était hors de question.

— Pas aujourd'hui, je suis vannée, maman. Avant tout, j'ai besoin de huit heures de sommeil.

— Huit heures ? Vraiment, Jane, je suis surprise. Pour ma part, je ne dors jamais plus de

quatre heures par nuit. N'as-tu donc pas réussi à te reposer dans l'avion ?

— Pas vraiment. Si nous remettions ce déjeuner à demain, maman ? De cette façon, j'aurais

le temps de récupérer un peu.

Page 4: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Il y eut un silence, puis Mme Lang déclara d'un ton douloureux :

— Tu as été partie trois semaines, Jane. J'aurais cru que tu aurais envie de me voir... d'autant

plus que, comme tu le sais, je n'ai pas beaucoup de distractions...

A qui la faute ? Jane fut tentée de répliquer mais préféra se montrer diplomate.

— Pourquoi ne pas inviter Lucy à ma place ? Elle serait ravie de te rendre visite.

— Sans doute, mais si ta sœur vient, elle viendra avec Paul et Jessica. Comme d'habitude, ils

vont mettre la maison sens dessus dessous !

— Enfin, maman... Paul et Jessica sont tes petits-enfants !

— Sans doute, mais ils sont affreusement mal élevés...

— Oh, maman !

— Très bien, puisque tu ne te soucies pas de venir voir ta mère, je vais me contenter de ma

propre compagnie. C'est dommage... je voulais te parler de la visite que j'ai eue la semaine

dernière...

Evidemment, il s'agissait de Demetri !

— Tu as eu de la visite, reprit Jane en se forçant à ne pas trahir son impatience. C'est une

excellente nouvelle.

— Pas du tout ! Enfin, tu es au courant, je suppose ? C'est ce qui t'oblige à annuler notre

déjeuner... ?

— Que vas-tu chercher ! Tu fais allusion à Demetri, sans doute ? Il m'a laissé plusieurs

messages, en effet. Voyant que je ne répondais pas, il a préféré te contacter...

— Evidemment !

— Et tu lui as dit où j'étais ?

Page 5: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Je ne suis pas entrée dans les détails... je me suis bornée à lui indiquer ta date de retour.

Tu n'espères tout de même pas me voir mentir pour toi ?

— Non, maman, reprit Jane en étouffant un soupir. A-t-il précisé les raisons de son appel ?

— Comme je te l'ai dit tout à l'heure, pour en savoir plus, tu devras attendre d'avoir du temps

à me consacrer ! Je n'aime pas parler au téléphone de sujets personnels, tu le sais. A demain,

donc?

Jane réprima un juron. Elle n'avait pas besoin de ça ! Pour se remettre de la fatigue du voyage,

elle avait envisagé de prendre deux jours de congé avant de retourner à la galerie. Et voilà qu'elle

était obligée d'aller voir sa mère uniquement pour apprendre ce que lui voulait Demetri !

— Et que dirais-tu de dîner avec moi ? s'enquit-elle, certaine que sa mère allait être ravie.

Une de ses joies était de la tenir à sa merci. Heureusement pour Jane, son plaisir se faisait de

plus en plus rare ! Depuis le début, sa mère avait appelé de ses vœux l'échec de son mariage.

Certes, lors de sa séparation avec Demetri, elle l'avait soutenue avec beaucoup de dévouement.

Jane savait cependant, que, d'une certaine façon, sa mère se réjouissait d'avoir eu gain de cause.

— Dîner ? répéta-t-elle après avoir hésité. Ce soir, tu veux dire?

C'était un jeu pour elle, Jane en était consciente, mais cette fois, elle était trop fatiguée pour lui

donner la réplique.

— Comme tu voudras. Laisse-moi un message quand tu seras décidée.

— Est-ce une façon de parler à ta mère ?

Devant le silence de Jane, Mme Lang parut se rendre compte qu'elle était allée trop loin et

préféra capituler.

— Ce soir sera parfait, ma chérie. 7 heures ? Ou est-ce trop tôt pour toi ?

— 7 heures, donc. Merci, maman. A ce soir.

Soulagée, Jane reposa le combiné. Lorsque la sonnerie retentit de nouveau, elle répondit d'une

voix excédée. Il s'agissait d'une erreur et non de Demetri, comme elle le redoutait. En réalité, il y

Page 6: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

avait peu de chances pour qu'il appelle de nouveau. S'il se trouvait à Londres, c'était pour ses

affaires, et il n'avait sûrement pas de temps à lui consacrer. D'ailleurs, cela n'avait rien de

nouveau ! songea-t-elle avec amertume. Apparemment, il était toujours aussi pressé.

Avec un soupir, elle renonça à défaire ses bagages et se dirigea vers la salle de bains pour se

doucher avant d'aller au lit. Elle se sentait épuisée. Debout devant le miroir embué, elle repoussa

ses cheveux en arrière et scruta son reflet. En cinq ans, elle avait dû changer. Quelques fines

griffures marquaient le coin de ses yeux mais, par ailleurs, sa peau était souple et fraîche. Elle

avait peut-être gagné un centimètre autour des hanches, mais sa poitrine était toujours haute et

ferme.

Quelle importance, d'ailleurs ? Trop fatiguée pour se sécher correctement, elle se borna à nouer

en chignon ses cheveux humides, puis courut se glisser entre ses draps. A cet instant, rien, pas

même ses soucis concernant Demetri n'auraient pu l'empêcher de s'endormir !

Ce fut la sonnerie du téléphone qui la réveilla en sursaut. Elle prit le combiné avant de

comprendre qu'il s'agissait, en fait, de la sonnette de la porte d'entrée. Sais doute un visiteur qui

avait perdu le code de l'immeuble et appelait au hasard.

Avec un soupir, elle s'adossa contre les oreillers pour consulter le réveil posé sur la table de

chevet. Il était plus de midi. En fait, elle avait dormi moins de quatre heures mais se sentait déjà

mieux. A vrai dire, elle était toujours moins fatiguée lorsqu'elle voyageait vers l'est. Dans ce

sens-là, elle souffrait moins du décalage horaire.

Comme la sonnette retentissait encore, elle passa un léger déshabillé de soie puis sortit de la

chambre pour s'approcher de l'Interphone placé dans l'entrée.

— Oui?

— Jane?

En reconnaissant la voix de Demetri, son sang ne fit qu'un tour.

— Jane, tu es là, je le sais ? Christo, vas-tu te décider à ouvrir ?

Jane ne fit pas un geste. Incapable de bouger, elle se sentait glacée. L'impression d'avoir perdu

ses repères était soudain plus vive et l'empêchait de parler. C'était beaucoup trop tôt ! Elle avait

besoin de temps pour recharger ses batteries et retrouver ses marques. Si elle était forcée

d'affronter son mari, elle préférait le faire après avoir récupéré, au moaie.it de son choix.

Page 7: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Jane !

Elle l'entendit jurer avant de continuer.

— Jane, tu es là, inutile de te cacher. Ta mère a eu la gentillesse de m'en informer.

A son ton, il était en colère, au bord de l'explosion, comprit-elle, paralysée d'effroi.

— Allez... ouvre-moi ! Tu ne voudrais pas que je sois accusé de venir te harceler ?

C'est bien la dernière chose qui lui serait venue à l'esprit ! Demetri Souvakis était trop

orgueilleux pour s'abaisser à poursuivre une femme de ses assiduités. D'ailleurs, il ne risquait pas

grand-chose car, à cette heure de la journée, les autres locataires étaient au travail ou partis faire

leurs courses !

— Je ne suis pas habillée, Demetri, se résigna-t-elle à murmurer.

— Aghapita, ce ne serait pas la première fois que je te verrais toute nue ! Allez... ouvre-moi!

J'ai passé une bonne partie de la semaine à essayer de te joindre. Tu n'as tout de même pas

l'intention de dormir jusqu'à ce soir !

Outrée par son sans-gêne, elle riposta sèchement.

— Je viens de faire plus de quinze mille kilomètres en avion, Demetri ! Ta devrais

comprendre. Si ma mémoire est bonne, toi-même tu ne supportes pas le décalage horaire !

— C'est vrai, Signomi. Je suis vraiment navré...

En dépit de ses excuses, il ne semblait guère désolé.

— Je n'ai pas réfléchi, mais cette attente était intolérable ! Tu me connais, n'est-ce pas ? Je

ne suis pas très patient.

— Si je comprends bien, tu n'as donc pas changé ?

— Dans ce cas précis, j'ai été un modèle de patience, il me semble ! Maintenant, vas-tu enfin

ouvrir ou...

Page 8: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Il se tut, mais Jane devina ce que cet effort devait lui coûter.

— ... ou j'enfonce cette porte, finit-il par conclure rageusement.

Jane hésita. Elle aurait bien aimé le pousser à bout mais, vis-à-vis des habitants de l'immeuble,

elle devait songer à sa réputation. Sans un mot, elle appuya sur le bouton. Elle entendit un léger

bourdonnement, puis des pas précipités dans l'escalier.

Laissant la porte ouverte, elle recula pour se réfugier à l'autre bout du séjour. Elle n'avait même

pas eu le temps de s'arranger un peu, ne put-elle s'empêcher de penser. Elle tentait avec plus ou

moins de succès de mettre de l'ordre dans ses cheveux lorsque Demetri apparut sur le seuil.

Grand et mince, son teint mat, ses cheveux sombres et drus trahissaient ses origines. Lui aussi

avait vieilli, se dit-elle pour se rassurer. Pourtant, en dépit de ses tempes légèrement marquées de

gris, il semblait aussi solide et déterminé que jamais, et il restait tout aussi attirant. Sa présence

suffit à la troubler en lui rappelant le premier jour où il avait poussé la porte de la galerie pour

retrouver son père. Lorsque celui-ci avait fait les présentations, il l'avait saluée avec courtoisie,

certes, mais sans lui manifester d'intérêt particulier. Son indifférence l'avait intriguée, elle devait

bien l'avouer.

Une seconde plus tard, Demetri pénétra à son tour dans le séjour. Voilà donc l'endroit où elle

vivait ! songea-t-il. Il avait eu des échos de sa réussite professionnelle. La rumeur disait vrai. Il le

voyait au luxe de son appartement situé dans un ancien immeuble victorien. Malgré lui, il admira

les proportions du vaste séjour, éclairé à ses deux extrémités par de larges fenêtres.

Malgré la colère qu'elle lui inspirait, son regard se trouva attiré par elle comme par un aimant.

Debout, devant la cheminée, Jane avait croisé les bras sur sa poitrine. Elle portait un léger

déshabillé dont elle avait rassemblé les pans autour d'elle comme pour se protéger. A la voir, on

aurait pu croire qu'elle avait peur de lui. A quoi s'attendait-elle? II n'avait pas l'intention de la

manger !

— Jane..., murmura-t-il en s'efforçant de parler posément.

Elle baissa sa garde, il le sentit immédiatement. Elle avait l'air en forme et était plus séduisante

que jamais. Trop séduisante pour laisser insensible un homme qui envisageait pourtant de

divorcer. Jane avait toujours produit cet effet-là sur lui. D'ailleurs, c'était une des raisons pour

lesquelles il l'avait épousée et avait tant de mal à la remplacer...

— Demetri...

Page 9: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

En le voyant s'adosser contre la porte pour la fermer, elle s'était redressée, comme pour mieux

se préparer à affronter la suite.

Bien entendu, elle n'était pas maquillée, mais elle avait les joues roses, sans doute à cause du

stress. Ses yeux qui continuaient à venir hanter ses rêves étaient toujours aussi verts et aussi

limpides que les torrents de son île, se dit-il avant de faire un pas dans sa direction.

— Que deviens-tu ?

Le cœur battant, Jane le regarda approcher. Chacun de ses mouvements était empreint d'une

souplesse féline. Sur lui, n'importe quel vêtement aurait eu de l'allure mais, de toute évidence,

son jean et sa veste en cuir noir venaient d'une boutique réputée. Il portait son alliance, nota-t-

elle, étonnée. L'anneau qu'elle lui avait offert lorsqu'ils avaient échangé leurs serments dans la

petite chapelle de Kalithi, l'île qui appartenait à sa famille et où il vivait lui-même entre deux

voyages d'affaires. Son père avait pris sa retraite peu avant leur mariage, un mariage qui n'avait

pas eu l'approbation de sa mère. Elle n'avait jamais admis que son fils épouse une étrangère,

encore moins une Anglaise, une femme indépendante.

— Je vais bien... un peu fatiguée, naturellement. Je n'ai pas beaucoup dormi au cours des

dernières vingt-quatre heures.

— Et je t'ai réveillée ?

Demetri avait posé la main sur le dossier d'un des deux canapés placés de part et d'autre de la

cheminée.

— Je suis vraiment désolé.

— Vraiment ? Si tu me disais plutôt ce que tu fais ici, Demetri ? Tu n'es pas venu me voir

pour échanger des banalités. Tu as bien dit que c'était important...

Demetri baissa les yeux pour fixer les coussins du sofa avant de lui répondre.

— C'est important, en effet.

Il se tut puis releva la tête pour la regarder droit dans les yeux. Devant son expression, elle

éprouva un sentiment de malaise.

— Je veux divorcer, Jane. Est-ce assez important pour toi?

Page 10: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

2

C'était maintenant au tour de Jane de détourner les yeux. En dépit de ses efforts pour se

contrôler, elle tremblait de tous ses membres, tout en espérant le cacher à Demetri.

Pourtant, sa déclaration ne l'avait pas surprise. Au début de leur séparation, elle avait vécu dans

l'attente d'une décision de ce genre. D'ailleurs, à l'époque, elle aurait accepté de bonne grâce de

divorcer. Mais le temps avait passé. Elle avait fini par penser que rien ne changerait jamais.

— Tu vas bien ?

Il avait remarqué son trouble et traversait la pièce pour venir la rejoindre ! Elle devait à tout

prix se ressaisir.

— Laisse-moi m'habiller, dit-elle sans respirer, de peur de se mettre à pleurer.

— Janie...

Il avait utilisé le nom qu'il lui donnait lorsqu'ils faisaient l'amour, et elle faillit craquer.

— Accorde-moi un instant, reprit-elle avant d'aller s'enfermer dans sa chambre.

Une fois seule, cependant, le chagrin la submergea et ses larmes se mirent à couler. En hâte,

elle gagna la salle de bains. A tâtons, elle prit une poignée de mouchoirs en papier sans cesser de

sangloter.

— Agapita...

Elle ignorait combien de temps elle était restée à pleurer lorsque la voix de Demetri la fit

sursauter. Il était entré sans faire de bruit. Jamais de sa vie, elle ne s'était sentie aussi humiliée.

— Va-t'en ! Co... comment oses-tu ? Tu n'as pas le droit !

Appuyé contre le chambranle, Demetri soupira avant d'observer gentiment.

— J'ose parce que je tiens à toi. Janie... Comment aurais-je pu deviner... ? Je croyais que tu

serais heureuse d'être débarrassée de moi...

Page 11: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Jane ravala ses larmes.

— Je le suis...

— Tu n'en as pas l'air !

— Tu aurais tort d'en tirer des conclusions hâtives ! Je viens de parcourir la moitié du monde

et je suis exténuée...

Elle se tut puis parvint à sourire avant de continuer.

— La nouvelle m'a prise au dépourvu, j'en conviens, mais je n'ai pas pour autant le cœur

brisé !

Demetri ne semblait pas entièrement convaincu.

— Alors, quoi ? Tu as l'habitude de t'effondrer à chacun de tes retours de voyage ? C'est ce

que tu veux me faire croire ?

— N'en rajoute pas, je t'en supplie ! D'accord... qu'est-ce que je peux dire, Demetri ? Que je

suis bouleversée ? Désolée ? Affligée d'apprendre qu'une autre malheureuse va devoir te

supporter ? conclut Jane avec un rire amer.

Malgré lui, Demetri sentit la moutarde lui monter au nez. Il était venu la trouver avec les

meilleures intentions du monde, et voilà comment elle l'accueillait ! C'était bien d'elle... dire

n'importe quoi sous le coup de la colère, quitte à le regretter ensuite. Pourtant, cette fois, elle ne

semblait pas disposée à lui faire ses excuses.

— Tu exagères, tu sais ? reprit-il.les poings serrés.

— Ce n'est pas nouveau, répondit-elle en essuyant ses joues humides.

— Tu aurais tout intérêt à surveiller tes propos. D'après mon avocat, rien ne m'oblige à te

proposer la moindre compensation financière.

— Je ne veux pas de ton argent ! Je n'en ai jamais voulu ! Va-t'en ! Laisse-moi m'habiller, à

présent !

Page 12: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Demetri l'observa. En dépit de ses grands airs, elle était bouleversée, Ses incroyables yeux verts

étaient remplis de larmes, et sa bouche — cette bouche qu'il avait si souvent embrassée — était

agitée d'un léger tremblement.

En dépit de sa contrariété, il réussit à s'exprimer calmement.

— C'est vraiment ce que tu désires ?

— Quoi d'autre ?

La tête rejetée en arrière, Jane le défiait du regard. Malgré lui, il ne put s'empêcher de l'admirer.

Il éprouvait pour elle de l'admiration, certes, mais quelque chose de plus fort, également, une

chose qui le poussa à combler la distance qui la séparait d'elle.

Acculée contre la baignoire, Jane était incapable de se dégager. Lorsqu'il tendit la main pour

l'enlacer, elle resta immobile, comme tétanisée.

— Et que dis-tu de cela ? s'enquit-il d'une voix soudain plus rauque.

Sans lui laisser le temps de réagir, il se pencha vers elle pour effleurer ses lèvres.

Comment elle réussit à empêcher ses jambes de se dérober sous elle, Jane aurait été incapable

de le dire. Il y avait si longtemps que Demetri ne l'avait touchée, si longtemps qu'elle n'avait

senti la caresse de ses doigts sur sa peau... Malgré son désir de garder les yeux ouverts, en voyant

tout près d'elle ses longs cils, l'ombre bleutée qui couvrait ses joues et son menton, elle eut envie

de les fermer pour mieux s'abandonner à son baiser.

Comment tout cela était-il arrivé ? Une seconde plus tôt, ils étaient en train de se quereller, et

maintenant, voilà qu'elle le laissait la toucher, l'embrasser et glisser sa jambe entre les siennes.

Sans doute parce qu'elle avait pleuré et qu'elle était fatiguée, songea-t-elle en s'efforçant de

trouver une logique à ses propres réactions. Lorsqu'elle était émue, elle était vulnérable. Demetri

le savait. Il le savait d'autant mieux qu'il l'avait bien souvent fait pleurer...

Dans l'immédiat, tout cela importait peu et, lorsque, la bouche contre la sienne, il murmura son

nom, ses lèvres s'écartèrent docilement. Elle sentit la chaleur de son souffle l'envahir et eut

l'impression de sombrer, submergée par la sensation de ne plus s'appartenir — une sensation plus

forte que la raison.

Page 13: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Demetri laissa sa bouche courir sur son visage pour savourer le goût amer de ses larmes. Enivré

par sa proximité, il la prit par la taille pour l'attirer à lui. D'une main fébrile, il dénoua la ceinture

de son déshabillé et découvrit sa poitrine aux mamelons dardés. Bouleversé, il laissa ses doigts

courir sur sa peau fine et pâle, taquina de l'index l'aréole plus sombre avant de murmurer :

— Skata, Jane...

Il allait regretter ce moment de folie, il en avait conscience… Mais à cet instant, son univers se

limitait au violent besoin d'assouvir son désir.

Jane se mordit la lèvre pour retenir un gémissement. Elle devait se libérer. Elle ne pouvait pas

lui céder, c'était hors de question. Pourtant, malgré elle, elle se sentit fondre entre ses bras. Son

peignoir découvrait ses épaules et, lorsqu'il la souleva pour l'emporter dans sa chambre, il glissa

sur le sol. Sans savoir comment, elle se retrouva allongée sar son lit. Les yeux mi-clos, elle vit

Demetri enlever sa veste et son T-shirt, révélant son torse large et musclé.

— Demetri..., souffla-t-elle au moment où il se penchait sur elle pour taquiner de la langue

la pointe de son sein.

Cette fois, Jane renonça à lutter. Soudain, elle ne rêvait que d'une chose : sentir Demetri la

toucher au plus secret d'elle-même. Elle voulait le caresser elle aussi, jouer avec le duvet sombre

qui ornait sa poitrine avant d'aller se perdre sous la ceinture de son jean. Lorsqu'elle tendit la

main, il l'arrêta.

— Bientôt, agapi mou, dit-il en se redressant pour achever de se déshabiller.

A peine eut-elle le temps de l'admirer dans toute la splendeur de sa virilité que, déjà, il

s'inclinait et couvrait tout son corps de baisers passionnés.

— Theos... j'aime ton odeur, j'adore le goût de ta peau ! Es-tu prête, à présent ?

— Oui... oui mais pas sans toi, murmura-t-elle d'une voix mal assurée, brûlant pourtant de le

sentir au plus profond d'elle-même.

— Tu veux... ? Maintenant... ?

D'un seul mouvement, il s'enfonça en elle, lui arrachant un cri.

Page 14: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Je... je ne t'ai pas fait de mal ?

— Non... s'il te plaît... Demetri... maintenant... !

L'eût-il voulu qu'il n'aurait pu attendre. Seul le désir de profiter pleinement de l'instant l'incita à

ralentir le rythme pour admirer le délicieux tableau qui s'offrait à ses yeux. C'était fou, il en était

conscient, mais jamais, auparavant, il ne l'avait désirée comme il la désirait en cet instant !

— Demetri..., balbutia-t-elle au moment où il cessait enfin de se dominer.

— Tu es si belle. Theos, j'aimerais tellement que tout ça n'ait pas de fin !

— Moi aussi, avoua-t-elle en nouant ses jambes autour des hanches de Demetri.

Celui-ci eut l'impression qu'une digue se rompait. Renonçant à lutter, il céda au plaisir qui

l'emportait.

Demetri fut réveillé par le bruit de la douche. Un peu perdu, il regarda le plafond au-dessus de

lui, puis ses yeux se posèrent plus bas, sur le mur et les fenêtres. Il faisait jour. La lumière filtrait

entre les doubles rideaux.

Où diable se trouvait-il ?

Soudain, la mémoire lui revint. Jurant entre ses dents, il se redressa pour mieux étudier ce qui

l'entourait. Grands dieux, il était dans l'appartement de Jane ! Il était venu la prévenir de son

intention de divorcer, et voilà qu'il se retrouvait dans son lit ! Où avait-il la tête ?

Il referma les yeux, avec l'espoir d'être en train de rêver. Hélas, ce n'était pas un rêve... Il était

bien chez Jane, dans son lit, nu, sous le drap qui le recouvrait. Ce n'était pas plus mal, d'ailleurs,

car son désir se réveillait, plus exigeant que jamais...

Pourtant, il n'était pas question de s'y abandonner, de courir rejoindre Jane sous la douche

comme il aurait aimé le faire. Se forçant à se lever, il mit son caleçon puis, sans prendre le temps

de réfléchir, enfila son jean et son T-shirt.

Page 15: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Le bruit de l'eau s'arrêta brusquement. Au prix d'un effort, il résista à l'impulsion de courir

retrouver Jane. Après avoir fini de s'habiller, il sortit de la chambre.

Une fois dans le séjour, il passa les doigts dans ses cheveux. Theos..., songea-t-il, encore mal

remis de sa surprise. Comment une simple discussion s'était-elle transformée en intermède galant

? Il n'arrivait pas à le comprendre. Pourquoi avait-il eu la sottise d'aller se mettre dans une

histoire pareille ? Pourquoi n'avait-il pas eu le bon sens d'attendre qu'elle soit prête à l'entendre ?

Elle lui avait pourtant demandé de patienter. Lorsqu'elle était sortie de la pièce, il avait supposé

qu'elle allait s'habiller. C'est seulement en l'entendant pleurer qu'il s'était inquiété et l'avait suivie

dans la salle de bains...

En fait, Jane avait toujours eu le don de l'émouvoir. Au cours des trois années où ils avaient

vécu ensemble, ils s'étaient fréquemment disputés. Chaque fois, il l'avait poursuivie pour vérifier

que tout allait bien... exactement comme il l'avait fait cette fois.

Il soupira. En dépit de ses efforts, il ne comprenait pas très bien pourquoi ses larmes l'avaient

bouleversé à ce point. Il n'était pas responsable de la situation actuelle. Si elle ne supportait pas

l'idée de divorcer, pourquoi n'avait-elle jamais tenté d'avoir avec lui une franche explication ?

Même s'il ne comprenait pas ses réactions, il savait au moins une chose. Jamais depuis leur

séparation, il n'avait éprouvé un plaisir d'une telle intensité. A vrai dire, il n'avait jamais tiré

beaucoup de satisfaction de ses relations avec d'autres femmes. Et même si, lors du départ de

Jane, il s'était promis de la remplacer, il ne l'avait jamais fait. Il avait perdu le compte du nombre

de jeunes filles que sa mère lui avait présentées dans l'espoir de lui trouver la compagne idéale.

Hélas, jusque-là, personne n'avait été capable de prendre la place de Jane. Ce qui venait de se

passer ne faisait que le confirmer.

S'il s'était déplacé en personne pour la voir, au lieu de lui envoyer son avocat, c'était par simple

courtoisie. Il pensait s'en tenir à une brève visite, mais la situation avait dégénéré. Incapable de

rester en place, il alla à la fenêtre et aperçut sa voiture garée devant l'immeuble. Son chauffeur

devait commencer à se poser des questions, songea-t-il distraitement.

A cet instant, il entendit la porte s'ouvrir derrière lui et se tourna vivement. Il se sentait en faute.

Il aurait sans doute mieux fait de s'éclipser sans attendre, mais il était trop tard, à présent.

Timidement, Jane fit quelques pas dans sa direction. Elle avait pris le temps de se sécher les

cheveux qui, maintenant, encadraient souplement son visage. Elle portait un T-shirt vert

émeraude et un jean à taille basse qui découvrait une bande de peau crémeuse. Elle était toujours

aussi belle, se dit Demetri. S'il ne l'avait pas bien connue, il l'aurait soupçonnée d'avoir choisi ses

Page 16: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

vêtements pour l'aguicher. Certes, elle était extrêmement séduisante, mais son expression n'avait

rien d'encourageant. Elle l'observa d'un œil glacial avant de prendre la parole.

— Tu es encore là ? Veux-tu un peu de café ?

Du café ? Mais... de quoi parlait-elle ? se demanda Demetri sans savoir s'il devait rire ou se

fâcher. Deux minutes plus tôt, elle se pâmait entre ses bras, et voilà que, maintenant, elle le

traitait comme n'importe quel invité !

— Efkharisto, then thelo, merci, pas pour moi, répondit-il en la suivant dans la cuisine. Tout

va bien ?

— Oui, pourquoi ça n'irait pas ? reprit-elle en versant l'eau dans la cafetière. Assieds-toi.

C'est l'affaire d'un instant.

— Merci, mais non. Veux-tu que nous parlions ?

Sans le regarder, Jane s'approcha du placard pour prendre une tasse en porcelaine décorée.

— Tu ne veux vraiment rien ? enchaîna-t-elle en évitant de répondre à sa question.

— Merci, non, répéta Demetri d'un ton impatient.

Avait-elle la prétention de se comporter comme si rien ne s'était passé ?

— Jane, regarde-moi, ajouta-t-il encore. Non... pas comme ça ! Regarde-moi vraiment. Que

penses-tu ? Dis-le-moi !

Page 17: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

3

Même si elle l'avait voulu, Jane aurait été incapable de lui répondre. Rien n'avait changé, elle

devait s'en souvenir. Faire l'amour n'avait pas d'incidence sur le problème qui se posait à cl le.

Certes, Demetri était un amant fabuleux... surtout lorsqu'il voulait obtenir quelque chose de sa

part, se dit-elle avec un brin de cynisme. Le sexe était une arme dont il s'était souvent servi, par

le passé. Cette fois-ci, il devait la soupçonner de l'avoir délibérément provoqué. Elle ne l'avait

pas repoussé, en effet, elle ne pouvait le nier.

Elle s'était conduite comme une idiote, songea-t-elle, furieuse contre elle-même. Si seulement il

ne l'avait pas surprise à un moment de moindre résistance ! Sa gentillesse avait eu raison de sa

défiance.

— Je ne pense à rien. Et toi ? Comment vois-tu les choses, Demetri ?

Grâce au ciel, se dit-il, elle ne pouvait pas lire dans son esprit car, en réalité, il n'avait qu'une

seule idée en tête. La prendre dans les bras et l'emporter dans son lit !

— Je pense... je voudrais m'excuser, finit-il par déclarer. Je... je n'avais vraiment pas

l'intention de...

— Eh bien, moi non plus !

Elle semblait terriblement déterminée, et Demetri en eut un pincement au cœur. Pourtant, elle

avait eu sa part dans ce qui s'était passé. Pourquoi refusait-elle de l'admettre ? Elle n'allait pas

céder : la connaissant, il en était convaincu. A pas lents, il s'approcha de la fenêtre. Sa voiture

n'avait pas bougé. Si seulement il avait pu se mettre au volant et partir sur-le-champ ! A cet

instant, il aurait tout donné pour oublier ce qui s'était passé, oublier qu'il était venu avec

l'intention de divorcer. Au lieu de cela, il s'était conduit comme un parfait idiot !

— Alors ?

Jane s'était approchée sans faire le moindre bruit. Sa tasse à la main, elle s'assit sur l'accoudoir

d'un des deux canapés.

— Tu as rencontré quelqu'un ? demanda-t-elle.

Page 18: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

La question était pertinente. Pourtant, Demetri n'avait pas envie d'y répondre et d'admettre qu'il

y avait quelqu'un, en effet En réalité, il n'avait pas eu le choix. Il était l'aîné de la famille. A la

mort de son père, il prendrait la direction du groupe.

— Mon père est mourant, finit-il par répondre.

Il n'avait pas jugé utile de la ménager et fut surprise de la voir vaciller.

— Léo est mourant ? répéta-t-elle d'une voix faible. Mon Dieu... Pourquoi ne m'as-tu pas

prévenue ? Je n'arrive pas à le croire. Il était si bien... si... si solide.

— Le cancer n'épargne personne, répondit-il sèchement. Au début, il a refusé de se soigner.

Lorsqu'il s'est décidé à consulter, il était déjà trop tard.

— Mon Dieu ! Pauvre Léo ! C'est mn homme remarquable. Avec moi, il a toujours été

adorable ! Contrairement à ta mère, il m'a toujours gentiment accueillie.

Demetri garda le silence. Jane avait raison, bien entendu. Sa mère, Maria Souvakis, s'était

toujours opposée à son mariage avec une étrangère.

— Depuis combien de temps es-tu a u courant ? s'enquit Jane, persuadée que la maladie de

son père avait un rapport avec son intention de divorcer. A-t-il demandé à me voir ?

La question prit Demetri au dépourvu. Son père aurait été ravi de revoir sa belle-fille, sans nul

doute, mais sa mère n'accepterait jamais de la recevoir. Depuis cinq ans, elle suppliait son fils de

tout faire pour obtenir l'annulation de son union.

De manière paradoxale, Demetri, lui, n'était pas particulièrement pressé. Sa situation avait des

avantages. Elle le mettait, notamment, à l'abri des femmes en quête de bonnes fortunes.

Comme il gardait le silence, Jane insista :

— Alors ?

Acculé, Demetri soupira. Les mains dans les poches, il fit quelques pas en direction de la

fenêtre.

Page 19: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Avant de mourir, mon père veut un petit-fils. Comme Yanis est entré dans les ordres et

que les femmes n'intéressent pus Stefan, il ne reste que moi.

— Que c'est vieux jeu ! Mais... et le bébé ?

— Le fils de Ianthe ? Marc est mort. Tu ne le savais pas ?

— Comment l'aurais-je su ? Depuis notre séparation, je n'ai jamais eu de tes nouvelles, je me

permets de te le rappeler.

— Poli kala. Marc est mort juste après sa naissance. Il était prématuré et n'a pas survécu. Les

médecins n'ont rien pu faire pour le sauver.

— Pauvre Ianthe !

— Oui, pauvre Ianthe, répéta Demetri avec une nuance d'amertume dans la voix. Elle ne

méritait pas ça.

— C'est vrai. Donc, vous allez pouvoir vous marier, je suppose ? Ta mère sera ravie.

L'air dur, Demetri s'arrêta pour la dévisager.

— Pas du tout ! Contrairement à ce que tu crois, Ianthe ne m'a jamais intéressé. J'ai

l'intention d'épouser Ariane Pavlos. Tu te souviens peut-être de sa famille ? Ariane et moi

sommes des amis d'enfance. Elle est revenue en Grèce après un long séjour aux Etats-Unis.

— Comme c'est romantique ! s'écria Jane en s'efforçant de ne pas trahir ses sentiments. Et...

pour le bébé de Ianthe, Ariane est au courant ?

— Elle en sait bien assez.

Demetri était conscient d'avancer en terrain miné. Jamais il n'aurait dû venir. Il aurait dû écouter

son avocat et le laisser contacter Jane. En venant la voir, il n'avait pas mesuré le danger.

— Ecoute, je dois te laisser, reprit-il, comme le silence devenait intolérable. Tu me hais, je

comprends, mais, sincèrement, je n'avais pas prévu de...

— ... de me séduire?

Page 20: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Comme tu y vas ! protesta-t-il, furieux. Tu en avais autant envie que moi !

Consciente d'être de mauvaise foi, Jane se sentit rougir.

— D'accord. Tu as peut-être raison, mais pourtant, il y a eu des précédents !

— Que puis-je dire, Jane ? Je suis venu discuter de notre divorce. Je ne m'attendais pas à te

trouver à moitié nue !

— Quoi ? Vraiment, tu exagères !

— Pas tellement, murmura Demetri. Mon avocat prendra contact avec toi, enchaîna-t-il en se

dirigeant vers la porte. Malgré... malgré ce que tu m'as dit, je suis prêt à te verser la somme que

réclamera ton avocat.

Jane se leva d'un bond sans se soucier de la tasse qu'elle faillit renverser.

— Combien de fois devrai-je te le répéter ? Je ne veux pas de ton argent, Demetri ! Merci,

mais je suis parfaitement capable de gagner ma vie !

— Mais, je...

— Oublie ça !

Sans lui laisser le temps de protester, elle se précipita dans l'entrée pour ouvrir la porte à la

volée.

— Va-t'en, à présent ! Sors avant que je tienne des propos que je pourrais regretter.

Sans plus attendre, Demetri reprit l'avion pour Kalithi. A l'origine, il avait prévu de prolonger

son séjour londonien pour participer à un séminaire organisé par l'association des producteurs de

pétrole. Encore ébranlé par sa rencontre avec Jane, il demanda à son assistant d'appeler pour

l'excuser. Son père serait contrarié, naturellement. Le vieil homme était fier de la notoriété de son

fils et de son entreprise. L'opinion de celui-ci était plus mitigée. Etre le numéro un d'un groupe

de dimension internationale comportait de nombreuses contraintes et lui prenait beaucoup de

temps. Sa prise de fonction, huit ans auparavant, n'était sans doute pas étrangère à l'échec de son

Page 21: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

mariage. Si Jane et lui avaient eu davantage de temps pour parler de leurs problèmes, s'il avait eu

le loisir de se justifier, de lui expliquer e qui s'était passé, elle ne l'aurait sans doute pas quitté. En

l'occurrence, il n'avait même pas eu l'occasion de lui démontrer qu'il n'était pas le père de l'enfant

que Ianthe attendait.

Il faisait déjà nuit lorsque le petit Cessna atterrit à Kalithi. Son assistant, Théo Vasilis,

voyageait avec lui. Il fut le premier à descendre pour s'assurer de la présence du robuste 4x4 qui

les conduirait à la propriété. A la surprise de Demetri, ce n'était pas le chauffeur qui était au

volant, mais Ariane Pavlos.

Quand elle le vit, un sourire illumina ses traits.

— Bonjour. Tu es content, j'espère ?

Demetri esquissa une grimace. En fait, il se serait bien passé de voir Ariane dans l'immédiat.

Pour ne pas la blesser, il se força à sourire, tout en s'inclinant pour l'embrasser.

— Très content. Il y a longtemps que tu m'attends ?

— A peine six ans ! riposta-t-elle en riant. Je t'ai manqué, J'espère ?

Evitant de répondre, Demetri se détourna pour attacher sa ceinture.

— Comment va mon père ? s'enquit-il pour changer de sujet. Il a dû être furieux de me voir

rentrer si tôt.

— Il... il ne va pas trop mal, répondit-elle avec indifférence, l'œil sur le rétroviseur.

Attention ! reprit-elle en voyant Théo Vasilis mettre les bagages dans le coffre.

Comme il ouvrait la portière pour monter à l'arrière, elle continua sans cacher son irritation.

— Est-il vraiment nécessaire qu'il vienne avec nous ?

— Pourquoi pas ? Il doit présenter à mon père un rapport détaillé sur nos activités, répondit

Demetri, soulagé par la présence de son assistant.

— Vos activités ? répéta Ariane d'un ton faussement candide. Tu fais allusion à ton entretien

avec ton épouse, je suppose ? Moi-même, j'aimerais en savoir davantage.

Page 22: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Il ne s'agit pas de ça, mais de nos rendez-vous avec nos différents partenaires !

— C'est tellement ennuyeux ! Parle-moi de ta femme... A ton avis, va-t-elle nous créer des

problèmes ?

Au prix d'un effort, Demetri retint une réplique acerbe.

— Je ne pense pas, dit-il avant de se tourner vers Théo, silencieux à l'arrière. Avez-vous

pensé à prendre les documents dans l'avion ?

C'était une fin de non-recevoir et Ariane ne s'y trompa nullement. Avec une moue boudeuse,

elle se concentra sur sa conduite.

Après avoir quitté l'aérodrome, ils empruntèrent la petite route qui menait au domaine. Dans

l'obscurité, on distinguait à peine les bas-côtés et la silhouette des rares cyprès. Même sans la

voir, Demetri devinait la présence de la mer en contrebas. C'était le printemps et, demain, au

réveil, au lieu du trafic londonien, il entendrait le vent et le murmure des vagues.

A vrai dire, il avait tort de songer à Londres. Il n'avait pas besoin de se souvenir de ce qui s'était

passé le matin même entre Jane et lui. Malgré lui, il ne pouvait s'empêcher de comparer la brune

Ariane à sa femme. Elles étaient totalement différentes. Ariane avait des formes voluptueuses,

tandis que Jane, blonde et mince, cachait un tempérament de feu sous un abord froid et distant.

— Es-tu allée au mariage de ta cousine ? s'enquit-il pour rompre le silence qui devenait

pesant.

— Julia ? Bien sûr ! répondit Ariane tout en négociant le virage qui menait à l'entrée de la

propriété.

Elle fit un appel de phares et le gardien sortit de sa loge pour ouvrir les grilles.

— Naturellement, j'étais la seule femme de toute l'assistance à ne pas avoir de cavalier !

Thia Thermia a trouvé bizarre que tu ne sois pas avec moi !

— Je m'en doute.

En fait, l'opinion de Thermia Adonides, la mère de Ianthe, laissait Demetri parfaitement

indifférent.

Page 23: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Au passage, il leva la main pour saluer Georgiou, le portier, tandis que la voiture reprenait de la

vitesse pour emprunter l'allée gravillonnée. La maison, située sur une hauteur dominant l'océan,

était occupée par ses parents. Demetri, lui, s'était fait construire une villa un peu à l'écart mais,

depuis le départ de Jane, il y habitait rarement.

Sa mère se plaignait de ses trop rares visites, mais ses affaires lui prenaient beaucoup de temps.

Néanmoins, depuis la maladie de son père, il s'efforçait de venir plus souvent. C'est aussi ce qui

l'avait incité à envisager de se remarier. Ariane, qui était grecque et amie de la famille, était la

candidate idéale.

Une cour pavée s'étendait devant les bâtiments qui, en plus de la maison de ses parents,

comportaient de nombreuses dépendances. Ariane s'arrêta devant l'entrée principale puis coupa

le contact. Au moment où, d'un même mouvement, Théo et Demetri ouvraient leurs portières,

elle posa la main sur le bras de celui-ci.

— Attends, murmura-t-elle. Parle-moi, Demetri. Dis-moi que tu n'as pas changé d'avis.

Demetri tourna la tête pour la dévisager. Devant sa mine angoissée, il éprouva un sentiment de

culpabilité.

— Changer d'avis ? répéta-t-il en effleurant sa joue. Ma chérie, pourquoi cette question ?

Page 24: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

4

Pas d'erreur, elle était enceinte !

S'efforçant de juguler sa panique, Jane respira bien à fond avant de remettre dans son sac les

résultats du test. Depuis quinze jours, c'était le troisième résultat positif, et même si les tests

n'étaient pas toujours fiables, elle ne pouvait pas être tombée trois fois sur des exemplaires

défectueux !

Au prix d'un effort considérable elle réussit à refouler ses larmes. Comment était-ce possible?

En principe, elle n'était pas fertile, au moment où elle avait fait l'amour avec Demetri — enfin,

plutôt, lorsqu'elle avait couché avec lui. Jusqu'à présent, elle avait toujours eu des cycles

réguliers...

Au début de leur mariage, Demetri et elle avaient décidé d'attendre pour avoir un enfant. Pour

lui permettre de continuer à travailler, Demetri lui avait offert une galerie dans le centre de

Kalithi. Ainsi, elle avait pu rester en contact avec Olga, son ancien professeur. A l'époque, tout

s'était bien passé. Dans la mesure où la galerie lui appartenait, Jane pouvait suivre Demetri dans

la plupart de ses déplacements. Ce mode de vie lui convenait parfaitement. Quand Ianthe avait

annoncé qu'elle attendait un bébé, son bonheur s'était écroulé. Incapable de pardonner sa trahison

à Demetri, elle avait été soulagée de ne pas avoir d'enfant susceptible de souffrir de la séparation.

Elle soupira de nouveau. A vrai dire, lorsque Demetri l'avait embrassée, elle n'avait pensé à rien

l'autre qu'au plaisir de se retrouver dans ses bras, elle devait se l'avouer. Le contact de ses lèvres

sur les siennes avait suffi à lui faire perdre la tête. Elle n'avait pas eu à se forcer beaucoup pour

succomber à son étreinte. Ce n'est que deux semaines plus tard qu'elle avait commencé à

s'inquiéter. Qu'allait-elle devenir, à présent ?

L'arrivée de sa patronne la força à mettre ses problèmes de côté. A plus de soixante-dix ans,

Olga Ivanovitch avait gardé la vivacité d'une femme beaucoup plus jeune. Elle était russe,

d'origine juive. Avant la guerre, elle vivait en Allemagne avec ses parents, mais les événements

l'avaient obligée à se réfugier en Angleterre pour éviter les persécutions. C'est son père qui avait

fondé la galerie, mais c'est Olga qui avait développé l'affaire pour en faire une adresse réputée du

West End. Avec sa longue Jupe et son vaste manteau, elle ressemblait à une vieille hippie,

songea Jane avec indulgence. Elle avait beaucoup d'affection pour celle qui avait été son mentor

tout au long de ses études.

Page 25: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Secouant son opulente chevelure d'un rouge flamboyant, Olga lu questionna avec un accent

slave soigneusement cultivé :

— Alors... il est venu ?

— Oui, il est venu.

Olga faisait allusion à un collectionneur qui s'intéressait aux bronzes ramenés de Bangkok par

Jane. Il avait promis de rappeler pour leur faire connaître sa décision.

— Alors ? reprit Olga d'un ton impatient.

— Il les a achetés, répondit Jane. Nous devons lui expédier chez lui, dans le Suffolk.

— Merveilleux ! Bien entendu, tu auras droit à ta commission, ma chérie ! Tu t'es bien

débrouillée. A la prochaine occasion, tu pourras repartir. Tu as du flair pour dénicher des trésors

dans les endroits les plus inattendus...

Jane réussit à sourire, mais en réalité, elle était bouleversée, incapable de penser à autre chose

qu'au test dissimulé dans son sac à main. D'un geste machinal, elle passa la main sur son ventre

plat. Etait-il possible qu'elle porte l'enfant de Demetri ? Combien de temps lui restait-il avant de

ne plus pouvoir cacher son état ?

Comme si elle avait lu dans ses pensées, Olga s'approcha et s'enquit en fronçant les sourcils :

— Tu es bien pâle... Tu dors suffisamment ? Ton petit ami ne te tient pas éveillée toute la

nuit, je suppose ?

— Il n'y a personne dans ma vie. je vous l'ai déjà dit ! protesta Jane. Alex Hunter n'est pour

moi qu'un ami.

— Ce n'est peut-être pas son avis !

Maintenant qu'elle avait la certitude d'avoir vendu les bronzes, Olga focalisait son attention sur

Jane. Combien de temps lui faudrait-il pour découvrir qu'elle attendait un enfant ? Et Alex ?

Quelles seraient ses réactions ? Elle lui avait pourtant assuré que tout était fini entre elle et

Demetri.

Page 26: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Je vous demande pardon ? dit-elle pour gagner du temps.

— Alex Hunter... il n'est peut-être: pas de cet avis.

— Oh... J'aime beaucoup Alex, mais il n'est rien pour moi. D'ailleurs, nous ne nous

connaissons pas depuis très longtemps...

— Le temps ne fait rien à l'affaire. Je me fais du souci pour toi, Jane. Quand te décideras-tu

enfin à tirer un trait sur le passé ?

— Je...

— Ne devrais-tu pas songer à divorcer ?

Une fois de plus, Jane fut stupéfaite de l'intuition d'Olga. C'est une faculté qu'elle avait souvent

admirée chez sa vieille amie, mais qui, dans les circonstances actuelles, ne manquait pas de

l'inquiéter.

Sans attendre la réponse de son associée, Olga alluma une cigarette et souffla un nuage de

fumée bleue. Jane n'aimait pas l'odeur du tabac mais, cette fois, elle eut un début de nausée et dut

se précipiter pour sortir de la pièce.

Dans la petite salle de bains, tout se mit à tourner. Il y avait longtemps qu'elle ne s'était pas

sentie aussi mal en point. Pourtant, à part une tasse de thé, elle n'avait rien pris au petit déjeuner.

Soudain, elle eut une illumination. Elle n'était pas malade, mais tout simplement victime de

nausées matinales. Si elle avait douté du résultat des tests, elle avait maintenant la confirmation

de son état !

A cet instant, on frappa à la porte.

— Jane ? Jane... tout va bien ?

Comme de bien entendu, Olga commençait à s'inquiéter.

— Tout va bien, Olga. J'ai dû manger quelque chose qui ne m'a pas convenu et puis... votre

cigarette...

— Ma cigarette t'a rendue malade ?

Page 27: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Olga semblait sincèrement horrifiée et Jane se crut obligée de la rassurer.

— Non... non, pas vraiment. Je suis vraiment navrée...

Olga murmura quelques mots et prit Jane par l'épaule. Ses vêtements sentaient le tabac froid, et

la jeune femme prit sur elle pour ne pas s'écarter.

— Leibchen, il n'y a rien entre Alex et toi ? Tu es sûre ?

— Que voulez-vous dire ?

— Eh bien... je me posais la question... Tu n'as pas une autre raison de te sentir malade ?

— Une autre raison ?

— Ai-je besoin de te faire un dessin ? insista Olga en tournant la tête pour dévisager Jane.

— Vous voulez dire... que je pourrais être enceinte ?

— N'est-ce pas une possibilité ? Tu ne serais pas la première à succomber aux charmes d'un

homme séduisant.

Vexée, Jane se dégagea vivement.

— Je vous l'ai déjà dit ! Alex et moi... nous n'avons jamais...

— Jamais ?

— Jamais ! Et maintenant, si nous parlions d'autre chose ? Où allons-nous trouver les pièces

que Sir George nous a commandées ? s'enquit Jane, dans l'espoir de mettre un terme à la

discussion.

Vaincue, Olga haussa les épaules avant de regagner le hall d'exposition.

Le reste de la journée, Jane ne put s'empêcher de songer au problème. Qu'allait-elle décider ?

Garder ou non le bébé ? Bien entendu, la logique lui commandait de parler à Demetri. Comment

aborder le sujet alors qu'il s'apprêtait demander le divorce ? Et puis, il n'était pas tout seul. Il y

Page 28: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

avait la femme qu'il souhaitait épouser... sans oublier sa mère. Jane imaginait sans peine la

réaction de Maria Souvakis à l'annonce de sa grossesse !

Sans attendre la fin de la journée, Jane rentra chez elle sous prétexte qu'elle était enrhumée.

C'est avec un réel soulagement qu'elle se laissa tomber au fond du canapé, après s'être préparé

une tasse de thé.

Elle se reposait depuis quelques minutes lorsque le téléphone se mit à sonner. Sa mère,

probablement ! songea-t-elle en étouffant un soupir. Elle hésitait à répondre mais finit par se

résigner à décrocher.

— Oui, dit-elle d'un ton rogue.

En reconnaissant la voix de Demetri, elle faillit lâcher le combiné.

— Tu es encore d'excellente humer, à ce que je vois, déclara-t-il sèchement. Que se passe-t-

il, cette fois ?

— Tout va bien, Demetri... du moins tout allait encore bien il y a deux minutes !

— Toujours aussi aimable ! Tu attendais mon appel, je suppose ?

— Pourquoi donc ? s'enquit Jane, inquiète à l'idée d'avoir manqué un de ses messages.

S'il lui téléphonait, ce ne pouvait être qu'au sujet du divorce.

— J'ai parlé à ta mère, lui expliqua Demetri d'un ton étonnamment patient. Elle m'a donné le

numéro de la galerie. J'ai appelé, mais tu étais déjà partie. Comment vas-tu ? Tu te sens mieux ?

De toute évidence, Olga l'avait mis au courant de son malaise. La discrétion ne faisait pas partie

de ses qualités.

— Olga t'a dit que je ne n'étais pas en forme ?

— En effet. Ce n'est pas grave, j'espère ?

C'était très grave, en un sens. Mais dans l'immédiat, elle n'avait pas envie de lui faire part de ses

soucis.

Page 29: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Un gros rhume. Que veux-tu, Demetri ? Ton père ne va pas plus mal ?

— Non. A vrai dire, il est même un peu mieux. Son traitement semble lui faire de l'effet.

— Je suis vraiment contente ! Lorsque tu le verras, transmets-lui tous mes vœux. Je pense

beaucoup à lui, tu sais.

— Vraiment ?

— Oui, vraiment, reprit Jane, vexée qu'il puisse avoir des doutes. Ce n'est pas parce que tu

m'as trahie que je dois en vouloir à ton père !

A l'autre bout du fil, elle l'entendit soupirer.

— Tu fais allusion à Ianthe, je suppose ?

— Quoi d'autre ?

— Oh, je ne sais pas trop... tu aurais pu songer à ce qui s'est passé l'autre jour...

— Est-ce utile d'en parler ?

— C'était agréable. Jane, mais cela ne mérite pas de s'y attarder. D'ailleurs, à vrai dire, ce

n'est pas la raison de mon appel...

— Oh... espèce de... !

— De quoi ? De mufle ? Je connais tes sentiments pour moi, inutile de te répéter !

— Pourquoi appelles-tu, dans ce cas ? Si ce n'est pas pour t'excuser, je n'ai aucune envie de

t'écouter.

Elle allait raccrocher lorsqu'il l'arrêta.

— Attends ! Mon père... mon père désire te voir. Ne me demande pas pourquoi, mais c'est

un fait. Il m'a chargé de t'inviter. Acceptes-tu de venir ?

Page 30: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— En Grèce?

— A Kalithi, bien sûr.

— Tu n'es pas sérieux ?

— Mais si. Il considérerait ta visite comme une immense faveur.

— Mais... jamais ta mère n'acceptera !

— Elle n'a pas le choix.

— Et toi?

— La question n'est pas là.

— De toute façon, je ne peux pas quitter mon travail. Olga compte sur moi.

— Prends des vacances... ou un congé sans solde. Si l'argent pose problème, je...

Une fois de plus, il était convaincu que sa fortune était la solution universelle !

— Pas du tout !

— Alors, quel est le problème ? A moins que ton ami ne s'oppose à ton départ. Tu ne m'en as

pas parlé, Jane. Depuis combien de temps sors-tu avec lui ?

Jane fut tenté de l'envoyer promener mais préféra mettre les choses au clair.

— Alex Hunter est un ami, rien de plus. Contrairement à ce qu'insinue Olga, je ne sors pas

avec lui. Elle se fait du souci et aimerait que quelqu'un prenne soin de moi.

— Et le fait-il ?

— Faire quoi ?

Page 31: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Prendre soin de toi ? D'après ta patronne, il est expert-comptable et travaille à la City.

Pour ma part, j'ai du mal à te voir avec un comptable, aghapita.... un homme terne en complet

veston !

— Mes fréquentations ne te regardent pas ! s'écria Jane, acculée à prendre la défense du

malheureux Alex. Tu t'attends vraiment à ce que j'accepte l'invitation de ton père ? Que me veut-

il exactement ? Tu en as une idée ?

— Peut-être te faire ses adieux, répondit sobrement Demetri. J'aimerais que, pour quelques

jours, tu acceptes de mettre nos différends de côté. En plus, la maison de mes parents est loin de

la villa que j'avais fait construire pour nous deux. Si tu le souhaites, tu ne seras même pas obligée

de me croiser.

Page 32: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

5

Le ferry accosta à Kalithi en fin de journée. La traversée avait duré trois heures depuis

Andros où Jane avait atterri en provenance de Londres. A son arrivée, elle était épuisée.

Il y avait huit jours que Demetri l'avait appelée et cinq que le médecin avait confirmé ce qu'elle

pressentait. Elle n'avait encore annoncé sa grossesse à personne, en dépit de ses fréquents

malaises et des soupçons d'Olga.

En apprenant son départ, Mme Lang avait attribué sa nervosité à l'appréhension de revoir la

famille Souvakis. Elle aurait préféré que Jane refuse de retourner en Grèce. A la veille de

divorcer, à son avis, un tel voyage ne s'imposait pas. Bien entendu, c'était aussi le sentiment

d'Olga comme celui d'Alex.

— Je trouve tout cela bizarre ! avait dit ce dernier. Tu as confiance en ton mari ? N'est-ce

pas une manœuvre pour t'obliger à rentrer ?

— Je t'en prie !

Jane avait eu du mal à conserver son calme. Elle venait d'avoir la même discussion avec Olga,

mécontente de voir son associée lui réclamer une semaine de congé.

— Demetri veut divorcer, je te l'ai dit, mais son père est très malade et me réclame, paraît-il.

— Si je comprends bien, tu n'as que sa parole.

— Demetri ne mentirait pas sur un pareil sujet. En outre, il a rencontré quelqu'un... une

Grecque. Il l'épousera dès que le divorce sera prononcé.

— Je vois.

Alex avait paru rassuré. Pourtant, Jane s'était demandée si Olga n'avait pas raison, finalement,

et s'il ne se considérait pas comme davantage qu'un ami. Un ami lui aurait-il posé toutes ces

questions, et se serait-il comporté comme s'il avait des droits sur elle ? Surprise et un peu

contrariés, elle avait préféré ne pas lui préciser sa date de retour.

Page 33: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

A présent, tout en descendant de la passerelle, elle s'interrogeait sur le bien-fondé de sa

décision. Avait-elle bien fait d'accepter l'invitation de Léo Souvakis ? Comment réagirait-elle en

revoyant Demetri, maintenant qu'elle avait la certitude de porter son enfant ?

Pour tout bagage, Jane n'avait qu'un sac. Néanmoins, elle fut une des dernières à quitter le

bateau. Aussitôt sur le quai, elle regarda autour d'elle. Demetri n'était nulle part en vue. S'il ne

venait pas, elle allait être forcée de trouver un taxi. Jadis, lorsqu'elle vivait en Grèce, elle avait

une petite voiture de sport pour ses déplacements...

Elle se tenait au pied d'un énorme conteneur lorsqu'elle aperçut une femme en train de

l'observer. Elle ne l'avait jamais vue mais, pourtant, avait vaguement l'impression de la connaître.

Brune et de taille moyenne, elle avait le type grec, mais son attitude et ses vêtements de prix la

distinguaient nettement des femmes environnantes. Jane sentit son cœur battre plus vite en

croisant son regard.

— Etes-vous Jane ? s'enquit-elle après s'être approchée.

Elle s'était exprimée en anglais, mais avec un fort accent qui la rendait difficile à comprendre.

Jane fut très étonnée de s'entendre appeler par son prénom.

— C'est exact. On vous a envoyée me chercher ? répondit-elle sans chercher à se montrer

aimable.

Avant de lui répondre, la femme l'examina de la tête aux pieds. Jane rougit sous son regard

scrutateur, consciente du négligé de sa tenue comparé à l'élégance de la nouvelle venue.

— Je suis venue vous chercher, rectifia cette dernière. Kiria Souvakis a pensé que ce serait

l'occasion de faire connaissance. Je suis Ariane Pavlos. Demetri et moi allons nous marier dès

qu'il sera divorcé.

Jane, stupéfaite, reconnaissait bien là la façon de faire de sa belle-mère ! Lui envoyer... lui

envoyer qui, au fait ? La fiancée de Demetri... Sa maîtresse ? Même pour Maria Souvakis, le

procédé manquait d'élégance. Demetri était-il au courant ? Oui, probablement...

— C'est très aimable à vous, reprit-elle, refusant de donner à Ariane le plaisir de deviner sa

gêne. Vous avez une voiture ?

— Oui, bien sûr, répondit Ariane, manifestement frustrée par le sang-froid de Jane. Elle est

là-bas. Si vous voulez me suivre...

Page 34: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Avec un petit pincement au cœur, Jane reconnut le cabriolet que Demetri lui avait offert. Sans

aucun doute, encore une manœuvre de Maria !

Le jour tombait, apportant un peu de fraîcheur dans les rues surchauffées. Au bord de la mer

Egée, c'était déjà l'été et, partout, la moindre parcelle de terre était couverte d'une végétation

exubérante.

Après avoir mis son sac dans le coffre de la petite voiture, Jane s'assit à côté d'Ariane.

— Endaxi, dit-elle. O.K. Panieh !

Elle pensait sans doute que Jane ne parlait pas sa langue. Pourtant, en deux ans, Jane avait

réussi à apprendre le grec. D'ailleurs, c'était indispensable pour pouvoir travailler. En outre,

Demetri adorait l'entendre s'exprimer dans sa langue maternelle... En particulier lorsqu'ils

faisaient l'amour...

Cette simple évocation suffit à la troubler. D'un geste machinal, elle posa la main sur son

ventre. Le bon sens l'incitait à parler du bébé à Demetri, mais elle n'avait pas envie qu'il la

soupçonne de chercher à le manipuler.

— Combien de temps allez-vous rester ?

La question d'Ariane interrompit le cours de ses pensées.

— Je ne sais pas encore.

En réalité, elle avait réservé son billet pour la fin de la semaine, mais n'avait pas envie de

l'avouer.

— Comment va Léo ? D'après Demetri, il réagit bien au traitement.

Tout en parlant, elle admira la cote déchiquetée, les rochers qui plongeaient dans la mer

uniformément bleue. Elle avait oublié la beauté sauvage de l'île.

Ariane tourna la tête pour lui jeter un rapide coup d'œil.

— Kirieh Souvakis va bien... Peut-être un peu confus, parfois. Nous nous sommes fait

beaucoup de souci à son sujet.

Page 35: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— C'est normal.

Pourtant, Jane avait l'impression qu'Ariane se souciait plus de son arrivée que de la santé du

père de Demetri.

— Il a surtout hâte de voir Demetri heureux, continua Ariane. Un homme doit avoir une

femme et urne famille.

— Demetri a une femme...

— Plus pour très longtemps, sotos D'après Demetri, vous êtes d'accord pour lui accorder le

divorce.

— Vraiment ?

Jane était tentée de lui révéler ce qui s'était passé chez elle quelques jours auparavant, mais il

n'était pas dans son caractère de se montrer inutilement cruelle.

— Où est-il en ce moment ? reprit-elle, les yeux fixés sur le paysage. A la maison ?

Il y eut un silence, puis Ariane avoua à contrecœur :

— Non, il est en déplacement. Il ne reviendra pas avant la fin de la semaine.

Jane eut l'impression de recevoir un coup. Demetri l'avait pourtant prévenue, mais son absence

était pour elle une cruelle déception. Enfin, sont séjour en serait facilité, se dit-elle pour se

réconforter.

— Vous aviez pensé le voir ?

Jane se mordit la lèvre pour retenir une réplique cinglante.

— Pas du tout. Oh... nous sommes presque arrivées...

Saisie d'une soudaine nostalgie, elle reconnut le paysage familier, les grilles à l'entrée de la

propriété, l'allée bordée de cyprès et puis, plus loin, la maison blanche, coiffée d'un toit de tuiles

rouges. Comme Ariane arrêtait la voiture, elle ouvrit sa portière pour s'empresser de descendre.

Page 36: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Elle n'était pas là pour le plaisir, et n'avait aucune envie de rassurer Ariane ni de n'attarder en sa

compagnie.

Un domestique avait fait son apparition et Jane le laissa s'occuper de ses bagages. Elle était mal

à l'aise, consciente de l'ambiguïté de sa situation et inquiète à la perspective de revoir ses beaux-

parents.

— Apo etho inch, kiria, déclara l'homme après avoir pris son sac. Parakalo, akolootha meh.

En l'entendant, Ariane leva un de ses fins sourcils avant d'expliquer à Jane :

— Il va vous montrer votre chambre.

— J'ai compris, répliqua Jane avec irritation. Merci d'être venue me chercher, Ariane. Peut-

être aurons-nous l'occasion de nous revoir.

Ariane pinça les lèvres.

— Sigoora, thespinis, certainement. En fait, kiria Souvakis m'a invitée à rester quelques

jours... d'après elle, ce sera plus facile.

Plus facile pour qui ? eut envie de répliquer Jane avant d'emboîter le pas au domestique chargé

de ses bagages. A sa suite, elle traversa une cour pavée, pour gagner une vaste terrasse ornée de

massifs de fushias et de lobelias qui poussaient à l'abri d'une tonnelle couverte d'une vigne

grimpante.

Une large porte-fenêtre menait à un hall donnant sur un luxueux salon. Au plafond, des

ventilateurs tournaient doucement pour rafraîchir l'atmosphère.

D'un geste, l'homme fit signe à Jane de le suivre à travers un patio où chantait une fontaine

décorée d'une fresque ancienne. Un escalier menait à l'étage et, tout en montant les marches, Jane

admira les vases remplis de fleurs au délicat parfum.

La demeure se composait d'une construction centrale et de deux ailes indépendantes, Jane ne

l'avait pas oublié. Jadis, elle et Demetri occupaient une suite située au dernier étage du bâtiment.

La maison semblait déserte, à présent. Il émanait des pièces une impression de désolation. Même

si Jane avait espéré gagner sa chambre en évitant la mère de Demetri, elle fut surprise que

personne ne se soit donné la peine de venir l'accueillir. C'était sans doute délibéré, songea-t-elle

Page 37: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

après un instant de réflexion. Une façon de lui signifier qu'elle était une étrangère et le serait

toujours.

Un long corridor menait à ses appartements, composés d'un salon et d'une grande chambre

ouvrait sur un balcon. Pendant que le domestique déposait ses bagages, Jane traversa la pièce

pour aller jusqu'à la fenêtre ouverte, heureuse d'entendre le bruit des vagues dans le lointain et de

sentir la brise caresser son visage.

— Soo aresi afto, thespinis ?

L'homme voulait savoir si tout lui contenait, et elle acquiesça avant de le congédier d'un sourire.

Après avoir refermé la porte derrière lui, elle s'appuya un instant contre le battant. Elle se

sentait épuisée à la perspective de ce qui l'attendait. Elle s'était préparée à affronter la mère de

Demetri mais n'avait pas pensé rencontrer sa fiancée.

Elle aurait dû ranger ses affaires et suspendre ses robes, mais elle n'en avait pas le courage.

Rapidement, elle ôta ses chaussures avant de se laisser tomber sur l'immense lit. A peine la tête

sur l'oreiller, elle sentit ses paupières se fermier.

Page 38: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

6

Un coup frappé à la porte la réveilla en sursaut.

Ouvrant les yeux, Jane regarda autour d'elle, incapable de savoir où elle se trouvait. La mémoire

lui revint en entendant le bruit des vagues contre les brisants. Elle se redressa brusquement, Ni

brusquement qu'elle eut le vertige et un début de nausée.

— Thespinis ! Baro na bo ?

Dans le couloir, la voix féminine incita Jane à se lever pour aller ouvrir. Pourvu qu'il ne s'agisse

pas de Maria ! Elle ne se sentait pas encore prête à lui faire face, pas avant de s'être changée, en

tout cas.

A son vif soulagement, elle découvrit sur le seuil une jeune domestique tenant un plateau

chargé de rafraîchissements.

— Merci.

Elle avait très soif, découvrit-elle en prenant le plateau.

— Kirieh Souvakis vous propose de rejoindre le reste de la famille pour l'apéritif. Vers

7h30.

Jane jeta à sa montre un coup d'œil incrédule. Il était déjà 7 heures ! Elle avait dormi plus de

deux heures. Elle n'avait même pas pris le temps d'aller saluer le père de Demetri !

— Euh... volontiers. Neh. Ineh mia khara. Efkharisto, acquiesça-t-elle en refermant la porte.

Après s'être désaltérée, Jane emporta le reste de son verre dans la salle de bains et fit couler la

douche avant de se glisser sous le jet

Une demi-heure plus tard, elle alla vérifier sa tenue dans le miroir de l'armoire. Heureusement,

sa robe de soie émeraude n'avait pas souffert du voyage. Ses sandales à hauts talons mettaient en

valeur ses longues jambes bronzées. Avec un peu de mascara et une touche de rouge à lèvres,

elle serait présentable. Ses cheveux étaient encore très légèrement humides mais, une fois coiffés

en arrière, ils n'étaient pas si mal. L'aspect mouillé les faisait paraître plus foncés, ce qui

Page 39: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

rehaussait la couleur de ses yeux. Avec un dernier coup d'œil à son reflet, elle respira bien à fond

avant de sortir de sa chambre.

La nuit était tombée, à présent. Le couloir, l'escalier et le hall étaient illuminés par des dizaines

de lampes et de vasques dissimulées dans les murs et le plafond. Toutes les pièces étaient

nimbées d'une lumière dorée qui soulignait le luxe de la décoration.

Dans le hall, une servante l'attendait pour la conduire jusqu'à ses hôtes. Après avoir traversé

l'entrée, elles suivirent un long passage menant à l'arrière de la villa. Un des côtés de la galerie

était ouvert, et donnait sur le jardin et la plage en contrebas.

Au lieu de continuer en direction de la terrasse, la jeune domestique tourna à droite pour

rejoindre la serre. Une véritable jungle s'élevait jusqu'au sommet d'une immense verrière où

régnait en toute saison une chaleur tropicale.

Comme la jeune fille s'effaçait pour la laisser entrer, Léo Souvakis se leva pour venir à sa

rencontre. Il devait s'appuyer j sur une canne pour marcher mais, en dépit de sa fatigue, il

l'accueillit d'un chaleureux sourire avant de l'embrasser.

— Je suis vraiment ravi de vous voir. Vous êtes superbe. Ariane vous a trouvé fatiguée à

votre arrivée...

— J'ai eu le temps de me reposer, répondit-elle, contrariée qu'Ariane se soit permis de parler

d'elle en son absence. En fait, je me suis endormie. Sinon, je serais venue vous saluer plus tôt. Je

suis vraiment contente de vous revoir, Léo. Je ne vous demande pas des nouvelles de votre santé,

vous devez être las de répondre indéfiniment à la même question...

— Ce n'est que trop vrai ! Venez... je vais faire les présentations. Maria, bien sûr... Ariane,

dont vous avez fait la connaissance tout à l'heure. Stefan... vous vous souvenez de lui, n'est-ce

pas ? Voilà aussi Yanis... enfin, frère Joseph, à présent. Il est venu tout exprès pour vous voir.

Jane échangea quelques mots avec les uns et les autres. A l'exception d'Ariane, elle connaissait

tout le monde, bien entendu. Cinq ans plus tôt, elle faisait partie de la famille, même si la mère

de Demetri ne l'avait jamais réellement acceptée.

Les minutes suivantes, elle dut répondre à une multitude de questions concernant la galerie et

les responsabilités que lui avait confiées Olga. De toute évidence, Demetri avait vanté sa réussite

professionnelle, et elle ne put s'empêcher de se sentir flattée.

Page 40: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

La conversation devint plus générale et, au cours du repas, Jane eut l'occasion de bavarder avec

les uns et les autres. La table était très large et la lumière des bougies empêchait de voir les

expressions de chacun. Il n'était pas difficile, cependant, de constater la froideur de Maria. Quant

à Ariane, elle ne pouvait cacher sa contrariété. Heureusement, Léo et ses deux plus jeunes fils

firent de leur mieux pour la mettre à son aise et alléger l'atmosphère. Stefan était semblable à lui-

même, charmant et plein d'humour, mais Jane fut frappée de voir la manière dont Yanis avait

changé. Cinq ans plus tôt, il était encore au séminaire et achevait ses études pour devenir prêtre.

A présent, dans sa soutane noire, avec sa barbe et sa moustache, il n'avait plus rien du jeune

homme dont elle se souvenait.

La mère de Demetri venait de proposer de passer dans le salon lorsqu'on entendit un hélicoptère

survoler la maison. Au bruit, Jane rougit et s'agita sur son siège. Demetri, probablement. Ariane

avait dû arriver à la même conclusion, se dit-elle en voyant son expression.

— Demetri ? murmura cette dernière en se tournant vers Léo Souvakis. Ne devait-il pas

revenir en fin de semaine ?

— Il a hâte de te retrouver, ma chérie ! s'écria Maria d'un ton enjoué. Va donc l'accueillir.

Léo voudra bien t'excuser...

Avant que la jeune femme ait eu le temps de repousser sa chaise, le père de Demetri leva la

main pour l'arrêter.

— C'est sûrement Théo Vasilis, l'assistant de Demetri. Je lui ai demandé un certain nombre

de renseignements. Il a sans doute préféré me les apporter.

Tandis que Maria protestait, convaincue que jamais Théo ne se serait permis d'utiliser

l'hélicoptère de la société, Jane baissa la tête pour dissimuler sa gêne. Il ne pouvait pas s'agir de

Demetri. C'était hors de question. Il le lui avait promis... Mais qu'avait-il promis exactement ? se

reprit-elle après une seconde de réflexion. De ne pas la déranger, certes, mais jamais il n'avait

pris l'engagement de ne pas venir à Kalithi. Après tout, il était ici chez lui. En outre, Ariane

l'attendait.

— Il vient d'atterrir, reprit Léo en prenant sa canne. Je vais aller l'attendre sur la terrasse.

— Je peux y aller, commença Ariane.

Mais Léo fit un signe impérieux.

Page 41: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Va boire ton café. S'il s'agit de Demetri, j'ai besoin de lui parler tranquillement. Tu

comprends ?

Jane observa Ariane et sabelle-mère. L'une et l'autre semblaient désarçonnées par ce brusque

accès d'autorité.

— Tu es censé te reposer ! s'écria Maria d'un ton sec.

— Ne t'inquiète pas pour moi. Je dois dire un mot à mon fils.

— Pourquoi ne pas attendre d'avoir bu ton café ? C'est parce qu'elle est là ?

— Jane, son nom est Jane ! rectifia Leo, les yeux brillants de colère. Sers le café, je te prie.

Je ne serai pas long.

Il sortit de la pièce et, pendant un instant, chacun resta à sa place. Profitant de l'accalmie, Jane

repoussa sa chaise et se leva d'un bond.

— Si vous voulez bien m'excuser, Maria, je vais me retirer. La journée a été longue et je n'ai

pais encore défait mes bagages...

Le prétexte était mince, mais Maria parut s'en contenter.

— Si vous êtes sûre...

— Tout à fait. J'ai été très heureuse de te revoir Stefan, et toi aussi Yanis.

Léo était près de la porte d'entrée lorsqu'elle arriva dans le hall. En hâte, elle ôta ses sandales

avant de se faufiler derrière lui sur la pointe des pieds pour grimper l'escalier.

Une fois sur le palier, elle s'arrêta pour reprendre sa respiration, puis se pencha pour regarder en

bas, avant de se rejeter en arrière en reconnaissant la voix de Demetri.

Pas question qu'il se figure qu'elle l'attendait... Même si elle se décidait à lui parler du bébé, elle

restait fermement résolue h divorcer. Sur ce plan, rien n'avait changé. Ce n'était qu'un menteur et

elle n'avait aucune raison de lui pardonner !

Page 42: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Perdue dans ses pensées, elle regagna sa chambre et, sans allumer le plafonnier, traversa la

pièce pour aller à la fenêtre. Dans le jardin, la piscine était illuminée. Souvent, la nuit, lorsque

toute la maisonnée était endormie, Demetri et elle descendaient se baigner avant de faire

l'amour...

Elle revint près du lit préparé pour la nuit. Quelqu'un avait allumé les lampes de chevet et rangé

ses affaires dans l'armoire et la commode.

Son excuse n'avait donc pas trompé Maria, qui n'avait pourtant pas jugé bon de la retenir. Rien

d'étonnant, au fond. Sa présence contrariait ses projets et ceux d'Ariane, naturellement.

Jane baissa les bretelles de sa robe et la fit glisser jusqu'à ses pieds. Elle ne portait pas de

soutien-gorge et, en jetant un coup d'œil à sa poitrine, elle eut l'impression que ses seins avaient

légèrement grossi. Enjambant sa robe, elle gagna la salle de bains pour mieux se regarder. Oui...

sa silhouette avait changé. Elle ne s'était pas trompée.

Distraitement, elle posa la main sur son ventre. Rêvait-elle ? Là aussi, il lui semblait sentir un

léger renflement. Elle n'était pourtant enceinte que de six semaines, à peine. Dès son retour à

Londres, elle se promit de questionner sa sœur. Quoique... Lucy n'avait jamais été capable de

garder un secret. Elle risquait d'en parler à leur mère. Non, dans l'immédiat,, mieux valait garder

le silence... du moins tant qu'elle n'aurait pas pris de décision...

— Tu t'admires ?

Elle sursauta en reconnaissant la voix de Demetri. Depuis combien de temps était-il là en train

de l'observer ? L'avait-il surprise en train d'étudier son reflet ? Sans doute. Sinon, pourquoi ce

regard enfiévré ?

Page 43: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

7

Elle se força à détourner les yeux pour ne pas le regarder et resta silencieuse pendant de

longues minutes. Elle aurait dû prendre une serviette pour se couvrir, mais quelque chose —

peut-être le désir pervers de le défier — l'empêcha de le faire. Qu'attendait-il exactement de sa

part ? Elle se le demandait. Pourtant, il devait bien se douter que son attitude allait à rencontre du

bon sens le plus élémentaire. Ils étaient en train de demander le divorce et sa future fiancée

l'attendait au rez-de-chaussée. Comment allait-il se justifier ? Quant à elle, elle aurait mieux fait

de lui ordonner de sortir immédiatement. Au lieu de cela, elle se borna à remarquer :

— Une impression de déjà-vu, Demetri ?

Du coin de l'œil, elle vit son visage s'assombrir.

— Peut-être. Habille-toi, s'il te plaît. Je voudrais te parler. Je vais attendre dans la pièce à

côté.

— Dans ma chambre ?

— Non, dans le salon. S'il te plaît, dépêche-toi.

Sans s'émouvoir, Jane resta plantée devant le miroir.

— Je n'ai peut-être pas envie de m'habiller, observa-t-elle d'une voix douce. Je suis montée

dans l'intention de me coucher. Je suis fatiguée. Tu devrais t'en aller. Nous discuterons demain.

— Demain, je ne serai plus là. J'ai une réunion à Athènes. Je serai absent deux jours. Si tout

va bien, j'espère revenir à la fin de la semaine.

— En quoi suis-je concernée ? s'écria Jane avec vivacité.

— Habille-toi, reprit-il en lui tendant le peignoir accroché derrière la porte.

Jane ne fit pas un geste pour attraper le vêtement qui tomba sur le sol. Demetri se mit à jurer

avant de le ramasser et de s'approcher pour le lui mettre sur les épaules.

— Mets ça ou je ne réponds de rien !

Page 44: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Oh, je suis morte de peur !

Jane commençait à s'amuser lorsqu'elle prit conscience de jouer avec le feu. Demetri était

homme à réagir violemment à la moindre provocation.

— Jane...

Au moment où il s'apprêtait à resserrer le peignoir autour d'elle, elle recula d'un pas. Une fois

encore, le peignoir tomba à terre et la main de Demetri effleura sa poitrine.

A son contact, elle eut l'impression que, dans ses veines, coulait de la lave en fusion. La peau

tendre de ses seins se mit à la brûler. Le rouge aux joues, elle dut se retenir pour ne pas l'implorer

de la caresser pour apaiser la fièvre qui la consumait.

A cet instant, elle croisa son regard dans le miroir. Il avait deviné ce qu'elle éprouvait, comprit-

elle, honteuse de son émoi. Il n'était pas question, cependant, qu'il se fasse des illusions et la

soupçonne d'être venue à Kalithi dans le but de le récupérer ! Furieuse contre elle-même, elle

ramassa le peignoir et s'empressa de l'enfiler.

— D'accord... Allons de l'autre côté. Je me demande quelle est cette nouvelle urgente, mais

tu vas mie l'apprendre, je n'en doute pas.

Demetri s'effaça pour la laisser passer. Il portait un costume gris foncé avec une chemise de

soie gris pâle. Il avait défait son col et n'avait pas de cravate. Il était impressionnant, eut-elle le

temps de songer. En toute circonstance, il émanait de lui une sotte d'aura, un mélange irrésistible

de charisme et d'autorité.

Le salon se trouvait dans l'obscurité. En hâte, Jane s'empressa d'allumer la lumière. Elle se

sentait vulnérable, tout à coup. Pourquoi Demetri avait-il éprouvé le besoin de lui rendre visite ?

Que se passait-il qui ne puisse attendre le lendemain matin ? Soudain, elle se souvint de ce qu'il

lui avait dit II était attendu à Athènes.

Quoi qu'il en soit, sa présence la troublait. Avec ses cheveux noirs et son teint basané, il avait

l'air plus dangereux que jamais. Il remplissait l'espace et, autour de lui, l'atmosphère semblait se

raréfier.

Elle aurait aimé s'asseoir mais, comme il ne faisait pas mine de bouger, elle préféra rester

debout devant lui. Essayant d'oublier ses crampes d'estomac, elle releva la tête pour le dévisager

avec toute la froideur dont elle était capable.

Page 45: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Demetri se tenait sous l'arcade séparant la chambre du salon. En fait, il se sentait fatigué, lui

aussi. Le moment n'était pas idéal pour avoir une discussion avec celle qui, bientôt, ne serait plus

sa femme. En outre, elle n'avait pas envie de le voir : elle l'avait prouvé en s'éclipsant avant son

arrivée. Pourquoi n'avait-il pas écouté sa mère et attendu d'être à Athènes pour lui téléphoner ?

Mais en réalité, il brûlait de savoir pourquoi Olga Ivanovicth avait jugé utile de l'appeler.

— J'ai reçu un coup de fil, commença-t-il.

Elle appréhendait la suite, il le comprit à son expression.

— Un coup de fil ? murmura-t-elle d'une voix mal assurée. En quoi suis-je concernée ?

reprit-elle après avoir réfléchi un instant.

— L'appel était d'Olga Ivanovitch, continua Demetri.

Cette fois, Jane eut l'air réellement contrariée. De quoi avait-elle peur ?

— Olga ? Mais... pourquoi... ?

— Neh, tu te demandes sans doute comment elle a réussi à me joindre ? Eh bien, la dernière

fois que je l'ai contactée, mon numéro de téléphone s'est affiché. Apparemment, elle l'a noté...

— Je... je ne comprends pas ! Qu'avait-elle à te dire ? A-t-elle un objet à proposer à ton

père?

C'était de cette façon que Jane avait fait la connaissance de Léo Souvakis et, plus tard, de son

fils. Dans le cas présent, c'était peu vraisemblable, mais toute autre hypothèse lui paraissait

encore plus improbable.

— Quelle idée ! Elle est au courant des problèmes de santé de mon père, non ?

En dépit de la chaleur ambiante, Jane ne put réprimer un frisson.

— Je n'en ai pas la moindre idée ! s'écriai-t-elle, convaincue.de n'avoir rien à perdre en lui

livrant le fond de sa pensée. Pourquoi ne me racontes-tu pas ce qu'elle t'a dit exactement, au lieu

de jouer avec moi au chat et à la souris ?

— Je ne joue pas, ma chère.

Page 46: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Tout en parlant, Demetri avait défait un autre bouton de sa chemise, exposant une bande de

peau uniformément bronzée.

— En fait, ta patronne se soucie de ta santé, reprit-il en l'observant à travers ses cils baissés.

D'apirès elle, tu es zerbrechlich... fragile, en quelque sorte. Elle m'a conseillé de ne rien faire

susceptible de te contrarier. Alors, j'aimerais savoir ce qui se passe, je l'avoue. Qu'as-tu été lui

raconter ?

— Rien de spécial, répondit Jane qui aurait aimé envoyer Olga au diable. Tu... Rappelle-

toi... Je n'étais pas très bien avant de quitter Londres. Olga se fait du souci pour moi, c'est tout.

— Je m'en souviens parfaitement mais, d'après ce que tu m'as expliqué, il s'agissait d'un

rhume. Rien qui nécessite un coup de fil affolé !

— Tu as raison. Olga est très gentille, mais il lui arrive de dramatiser. Elle a dû craindre que

tu... que tu...

— Que je quoi, Jane ? insista Demetiri en avançant d'un pas.

— Que tu... que tu te moques de moi.

Elle avait dit n'importe quoi, peu disposée à reconnaître qu'il gardait le pouvoir de la blesser.

Elle changea de position, hésita puis finit par demander d'un ton faussement indifférent :

— Ariane ne va passe demander où tu es passé ?

— Ariane a confiance en moi, rétorqua-t-il, stupéfait de se sentir immédiatement sur la

défensive. Quoi ? Tu pensais que Je ne l'avais pas prévenue de ma visite ? Que j'étais venu en

cachette d'elle ?

— Non, je...

— Parfait, car tu aurais eu tort d'imaginer le contraire !

Sans savoir pourquoi, Demetri était en colère. Jane était là, plus belle que jamais, et ce spectacle

le rendait furieux. En réalité, sa présence chez ses parents le dérangeait en lui rappelant ce qu'il

avait perdu.

Page 47: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Ariane et moi nous nous comprenons parfaitement.

— Tu m'en vois ravie ! Si tu n'as plus rien à me dire, qu'attends-tu ? J'aimerais aller me

coucher, si tu n'y vois pas d'inconvénient.

Demetri patienta un instant, le temps de se calmer avant de poser la question qui lui brûlait les

lèvres.

— Pourquoi as-tu accepté de venir, Jane ?

A son air, il vit qu'elle était profondément choquée. Rien d'étonnant, au fond, car sa question

était vraiment stupide.

— Pourquoi ai-je accepté de venir ? répéta-t-elle en secouant la tête. Tu le sais, Demetri. Je

suis là à la demande de ton père.

— Tu aurais pu refuser !

— Refuser le souhait d'un mourant ? Pour qui me prends-tu, Demetri ?

— C'est bien là le problème ! gronda-t-il. Qui es-tu, exactement ? Un ange ou un démon ?

Jane resta bouche bée. Au bout d'un long moment, elle parvint à répliquer :

— Grâce au ciel, moi, je n'ai pas à me poser la question. Tu es un monstre d'égoïsme, je n'ai

jamais eu le moindre doute à ce sujet !

— Et toi, tu n'es pas égoïste, peut-être ? insista-t-il, incapable de s'avouer vaincu. C'est donc

là ton excuse pour avoir commis l'erreur de me quitter ?

— Ce n'était pas une erreur !

— Vraiment ? J'ai du mal à le croire. Je te trouve bien hypocrite de me juger alors que,

l'autre jour, tu ne t'es pas fait prier pour m'ouvrir ton cœur et le reste !

Jane rougit sous l'outrage. Sans réfléchir, elle leva la main et le gifla de toutes ses forces.

Page 48: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Demetri n'avait pas bougé. Un peu honteuse, elle vit sur sa joue s'imprimer la marque de ses

doigts mais, déjà, il l'avait prise par les poignets et l'attirait à lui.

— Ah, c'est comme ça !

— Demetri ! cria-t-elle.

— Tais-toi !

— Mais... tu ne peux pas...

— Ipa skaseh, répéta-t-il en la prenant par les cheveux pour lui renverser la tête avant de

prendre ses lèvres avec férocité.

Partagé entre une violente colère et un sentiment de frustration au moins aussi intense, il

l'obligea à reculer et la plaqua contre le mur, tandis qu'il écrasait ses lèvres contre les siennes et

forçait le passage entre ses dents serrées.

Il aurait voulu lui arracher ses vêtements et la prendre là, sur- le-champ, sans se préoccuper de

ses sentiments.

Elle gémit sourdement et tenta de se débattre mais, au lieu de l'attendrir, ses protestations ne

firent qu'attiser sa rage. Ecartant les pans de son peignoir, il fixa ses seins orgueilleusement

dressés, le léger renflement de son ventre et, plus bas, l'ombre d'or pâle de sa toison.

— Tu es belle ! gronda-t-il entre ses dents. J'ai envie de toi !

Au prix d'un effort considérable, Jane parvint à libérer ses mains. Sans réfléchir, elle visa ses

yeux, mais ne réussit qu'à lui griffer la joue.

— Arrête ! Ne dis pas que tu n'as pas envie de moi ! murmura-t-il en reculant légèrement.

Elle s'apprêtait à frapper de nouveau mais, devant son expression, elle suspendit son geste.

— Mais non ! protesta-t-elle.

D'un baiser, il lui ferma la bouche.

Page 49: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Ne mens pas ! C'est pour ça que tu es là, n'est-ce pas ? reprit-il en faisant glisser le

peignoir de ses épaules. Tu as décidé de me rendre fou, n'est-ce pas ?

— Non ! cria-t-elle, au moment où le peignoir tombait par terre.

Déjà, Demetri n'était plus en mesure de l'entendre. Avec fièvre, il caressa ses épaules, son dos

et, plus bas encore, la chute de ses reins. Avec autorité, il l'attira tout contre lui pour sentir la

force de son désir.

— Tu sens ? dit-il d'une voix sourde. Oui... bien sûr. Mais sais-tu ce que j'éprouve ? Tu

imagines la torture d'être là, près de toi, sans pouvoir te posséder ?

— Demetri...

— Je sais... je sais, Jane.

— Demetri, je t'en prie !

Il n'était plus capable de l'écouter. D'une main mal assurée, il la prit par le cou et la fit taire d'un

baiser passionné. Sourd à l'appel de la raison, il continua à l'embrasser et à la caresser

inlassablement.

Après coup, Jane en vint à se poser la question. L'aurait-il prise ainsi, debout, contre le mur du

salon, s'ils n'avaient pas été interrompus ?

Demetri achevait de déboutonner sa chemise tandis que, de son côté, Jane se pressait contre lui,

heureuse de sentir son corps contre le sien, lorsqu'on frappa à la porte.

Pendant un bref instant, ils restèrent immobiles puis, jurant entre ses dents, Demetri enfouit son

visage au creux de son épaule.

— Jane...

L'espace d'une seconde, elle crut qu'il venait de murmurer son nom, avant de reconnaître la voix

de son beau-père.

— C'est ton père, dit-elle en le repoussant.

Page 50: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Je sais, chuchota-t-il en retour.

— Que vas-tu faire ? continua-t-elle en se baissant pour ramasser son peignoir. Il ne faut pas

qu'il te trouve ici. Va-t'en !

— Et où donc ? Tu ne comptes tout de même pas me cacher dans la salle de bains ?

— Pourquoi pas ?

— Pas question !

— Jane !

Il y eut une courte pause, puis Léo Souvakis reprit la parole.

— Tu n'es pas seule, peut-être ? Je reviendrai plus tard.

— Non, je...

Tout en parlant, Jane faisait des signes désespérés à Demetri pour l'inciter à trouver un endroit

où se cacher. Au lieu de l'écouter, il mit de l'ordre dans ses vêtements, reboutonna sa chemise,

puis traversa la pièce pour aller ouvrir la porte.

Page 51: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

8

A sa plus grande surprise, Jane passa une excellente nuit.

Pourtant, elle ne s'y attendait pas. Après la soirée qu'elle venait de passer, elle avait craint de

rester éveillée à ressasser les derniers événements de la journée. Au lieu de cela, elle n'endormit

si tôt la tête sur l'oreiller.

Le signe d'une conscience pure ? Elle en doutait. Ce qu'elle avait fait — et ce qu'elle avait

autorisé Demetri à lui faire — était impardonnable. Si elle avait été raisonnable, elle aurait dû

passer In nuit à regretter sa stupidité.

Sa grossesse justifiait certainement en partie ce besoin de dormir, se dit-elle après avoir

réfléchi. Tant qu'elle était à Londres, elle avait été soucieuse et son sommeil avait été perturbé

mais, hier, elle n'avait eu aucun mal à s'endormir. Ce matin, elle se sentait parfaitement reposée,

plus reposée que depuis longtemps, depuis le retour de Demetri dans sa vie.

Pourtant, il était temps de se lever, à présent. Cette fois, ses crampes d'estomac n'étaient pas

uniquement dues à son état mais à l'appréhension de revoir le père de Demetri. Qu'avait-il dû

penser en voyant son fils sortir de sa chambre sans même le saluer, avant de dévaler quatre à

quatre l'escalier ? Jane n'osait imaginer ses réactions en découvrant Demetri en compagnie de la

femme dont il s'apprêtait à divorcer. Le jugement était imminent. La veille de son départ de

Londres, elle avait reçu les documents officiels. Même si elle n'avait encore rien signé, la

procédure était maintenant lancée.

Elle avait dormi sans se donner la peine: d'enfiler un T-shirt, elle s'en rendit compte en

repoussant Les couvertures. Avoir à affronter Léo Souvakis après le départ précipité de son mari

avait été pour elle une telle humiliation que ses habitudes en : avaient été perturbées. Sur

l'instant, le père de Demetri avait dévisagé son fils d'un air stupéfait. Ce n'est qu'en voyant Jane

en peignoir qu'il avait paru prendre toute la mesure de la situation. Quant à elle, elle était

consciente du tableau qu'elle offrait, avec ses cheveux en désordre, ses joues en feu et ses lèvres

meurtries. Léo était loin d'être stupide. Il avait bien dû se douter de ce qui s'était passé. C'est pour

cette raison qu'il avait refusé d'entrer comme elle le lui proposait.

— Non, merci, pas ce soir, Jane, avait-il déclaré, les yeux fixés sur l'endroit où son fils avait

disparu. Bonne nuit, ma chère. Dormez bien.

Page 52: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

De toute évidence, le moment lui avait paru mal choisi pour s'attarder. Tout en prenant congé de

lui, Janie aurait aimé avoir le courage de se justifier. A la réflexion, comment aurait-elle fait ?

Les choses étaient bien telles qu'elles le paraissaient. Dans ces conditions, inutile de lui

demander son avis sur son comportement et celui de son fils.

Une domestique apporta le petit déjeuner pendant qu'elle se douchait. En revenant dans sa

chambre, elle trouva sur la table le plateau avec café, jus d'orange et toasts. L'odeur du café lui

souleva le cœur, mais elle se força à grignoter un toast et se sentit aussitôt un peu mieux. Manger

était le meilleur remède à ce genre de malaise, elle se souvint de l'avoir lu dans un magazine

féminin. Résolument, elle décora le pain et but le jus d'orange. Un peu réconfortée, elle réussit

même à avaler une goutte de café.

Après avoir fini son petit déjeuner, Jane décida de s'habiller. Dans la commode, elle trouva ses

vêtements soigneusement pliés. Après avoir hésité, elle enfila un débardeur rose pâle et un short

assorti. La couleur lui donna immédiatement bonne mi ne, constata-t-elle après avoir relevé ses

cheveux en chignon. Prenant son courage à deux mains, elle sortit de sa chambre. Il était à peine

9 heures. Avec un peu de chance, elle ne croiserait personne avant d'arriver dans le jardin.

Elle refusait de penser à Demetri mais ne put s'empêcher de se demander s'il était bien parti. En

bas, dans le salon, elle aperçut Stefan. Assis devant le piano, il jouait en sourdine.

Elle n'avait pas fait de bruit ; pourtant, il sentit sa présence et se leva pour venir la saluer. Tout

comme elle, il était simplement habillé d'un short et d'un T-shirt.

— Jane ! s'écria-t-il avec un grand sourire. As-tu bien dormi ? Tu n'étais pas trop... pas trop

fatiguée après ce long voyage ?

Son hésitation était révélatrice de la gêne ressentie au cours du dîner, mais Jane préféra

l'ignorer.

— Très bien, répondit-elle en lui tendant la joue. Tu ne travailles pas, ce matin, à ce que je

vois ?

Lorsqu'elle avait quitté l'île, Stefan était le secrétaire particulier de son père mais, de toute

évidence, il avait pris un jour de congé.

— Pas aujourd'hui. As-tu déjeuné ? J'appelle Angelina...

— C'est fait, je te remercie.

Page 53: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Tout en parlant, Jane s'était avancée jusqu'au milieu du salon et regardait autour d'elle avec

admiration.

— Cette pièce est magnifique... et quelle tranquillité ! J'avais oublié comme tout est calme

ici.

— C'est sinistre, tu veux dire ! s'exclama Stefan d'un ton sec.

Jane l'observa, stupéfaite. Pourtant, la veille au soir, il lui avait semblé satisfait de son sort. A

présent, un nuage obscurcissait ses traits juvéniles.

— Tout dépend de ce que l'on recherche, je suppose ? reprit-elle, sans s'engager.

— Et toi, Jane, que cherches-tu ? Est-ce que ta réussite professionnelle suffit à te combler ?

— Je ne sais pas trop, répondit-elle avec franchise. Euh... où sont les autres ? Encore au lit ?

— Mon père descend rarement avant midi. En général, ma mère reste avec lui mais, comme

Ariane est là, elle va peut-être faire son apparition un peu plus tôt. Yanis est reparti et notre frère

aîné a quitté l'île à l'aube.

— Demetri ?

Jane était étonnée. Elle n'avait même pas entendu l'hélicoptère décoller. Néanmoins, elle était

soulagée. Elle ne risquait plus de le croiser.

— Demetri, confirma Stefan avec un coup d'œil amusé. En principe, il rentre demain soir.

Comment vas-tu t'occuper d'ici là ?

Jane se sentit rougir.

— Que veux-tu dire ? Je ne suis pas ici pour voir Demetri !

— Non ?

Stefan ne semblait pas convaincu. Sa mère partageait sans doute sa manière d'envisager les

choses, songea Jane avec amertume.

Page 54: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— C'est ton père qui a demandé à me voir, reprit-elle. Je n'ai pas pu... enfin, je n'ai pas voulu

refuser.

— Vraiment ?

Stefan haussa les épaules d'un air indifférent. Plus petit el plus frêle que ses frères, il y avait

quelque chose de féminin dans sa façon de sourire.

— Si tu le dis... Je me suis peut-être laissé influencer par l'opinion de ma mère...

Jane hocha la tête. Elle s'apprêtait à quitter la pièce lorsqu'il tendit la main d'un geste d'excuse.

— Je suis désolé. Je me conduis comme un véritable mufle, Ne m'écoute pas, Jane, je dis

n'importe quoi. Ecoute... si nous allions faire un tour tous les deux ?

Jane eut une brève hésitation.

— Je ne sais pas si...

— S'il te plaît ! Nous pouvons aller jusqu'à la plage... à moins que tu ne préfères t'asseoir au

bord de la piscine ? Tu aimes nager, je le sais.

— D'accord, allons nous promener, acquiesça Jane qui, pour des raisons évidentes, ne tenait

pas à se montrer en maillot de bain.

Quitter la maison lui éviterait le risque de rencontrer Ariane ou sa belle-mère.

Ils sortirent directement de la salle à manger par les portes-fenêtres qui donnaient sur la

terrasse. Cette partie de la maison n'avait pas changé depuis de départ de Jane. Avec ses murs

bleus, son sol en marbre blanc, la grande table de verre et en acier, la pièce possédait une

élégante simplicité. La terrasse était spacieuse et accueillante avec son dallage de terre cuite, la

treille couverte de vigne et les marches en pierre qui menaient à l'immense piscine ovale.

Stefan et Jane longèrent le bord du bassin, dépassèrent la pool-house et le sauna, pour

emprunter un sentier qui serpentait entre les massifs de fleurs et les pelouses irriguées par un

système d'arrosage automatique. En dépit de l'eau et de la végétation, il faisait une chaleur

suffocante. Jane, qui avait oublié de se munir d'écran total, songea qu'elle allait attraper des

coups de soleil. A vrai dire, depuis son arrivée, rien ne se déroulait comme elle l'aurait souhaité !

Page 55: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Heureusement, en atteignant la plage, une petite brise marine vint les rafraîchir. Sans attendre,

Jane enleva ses sandales pour marcher jusqu'à la mer.

— Eh ! Pio Arga ! Pas si vite ! lui cria Stefan en courant derrière elle. Nous avons toute la

matinée.

Toi, peut-être, songea Jane avec un brin de cynisme, de plus en plus surprise de voir Stefan

passer tout son temps à flâner. De toute évidence, en ce moment, il était désœuvré.

Pieds nus, Jane goûtait la fraîcheur de l'eau. Le moment aurait été idéal pour se baigner,

pendant que le soleil n'était pas trop ardent...

— Tu devrais apprendre à te détendre, lui déclara Stefan en venant la rejoindre. Ici, ce n'est

pas l'Angleterre !

— Comme si je l'ignorais ! répondit-elle, les yeux fixés sur le sable en train de s'écouler

entre ses orteils. A propos... que fais-tu exactement, Stefan ? Tu n'aurais pas été chargé de me

surveiller, par hasard ?

Stefan eut l'air blessé.

— Crois-tu que j'aurais accepté ? Non... j'ai simplement pensé que tu pouvais avoir envie

d'un peu de compagnie.

Perplexe, Jane le dévisagea avant de détourner la tête et de se remettre à marcher.

— O.K. Alors, explique-moi ce que tu fais. Tu ne travailles plus pour ton père ?

— Mes problèmes personnels n'ont aucun intérêt. En revanche, moi je suis intriguée par tes

relations avec Demetri. Es-tu consciente du fait qu'il va épouser Ariane dès que le divorce sera

prononcé ?

— Oui, il me l'a dit.

— T'a-t-il expliqué pourquoi ?

Jane poussa un soupir.

Page 56: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Quelle importance, Stefan ? Demetri souhaite divorcer. Il n'y a rien à ajouter.

— Au contraire ! Demetri n'aurait absolument pas besoin de divorcer...

— Que veux-tu dire par là ?

— J'étais tout disposé à donner un petit-fils à mon père mais, de toute évidence, je ne suis

pas assez bon pour ça... même si ; je vis avec Philippe depuis plus de six ans !

Stupéfaite, Jane s'arrêta pour mieux le regarder.

— Attends... Philippe Martin et toi, vous êtes...

— En couple ? Oui, en effet. Tu as pourtant bien eu l'occasion de le rencontrer, non ?

Demetri ne t'a pas raconté que nous étions ensemble?

— Il m'a simplement dit que vous étiez amis.

Jane se sentait stupide. Même lorsque Demetri avait précisé que les femmes n'intéressaient pas

Stefan, elle n'avait pas compris qu'il était homosexuel.

— Bien sûr, rien d'étonnant, poursuivit Stefan en donnant un coup de pied rageur dans un

galet. Demetri est le fils aîné, l'héritier... c'est à lui d'assurer la transmission du nom !

Jane se mordilla les lèvres d'un geste machinal. Demetri était-il vraiment au courant de la

situation ? Avait-il mesuré la souffrance de Stefan ?

— Je suis désolée, murmura-t-elle, prise au dépourvu.

Stefan lui adressa un sourire un peu forcé avant de déclarer avec philosophie :

— Peu importe. Veux-tu que nous allions un peu plus loin?

Ils continuèrent à marcher le long de la plage puis, au bout d'un kilomètre, firent demi-tour et

revinrent sur leurs pas. A la fin de la promenade, Jane avait le dos et les épaules brûlants. Son

visage devait être rouge comme une tomate, elle le sentait sans avoir besoin de se regarder. Elle

n'était pas au mieux de sa forme lorsqu'elle aperçut Ariane et sa belle-mère confortablement

Page 57: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

installées sur la terrasse à l'ombre d'un parasol. Bravement, elle continua à marcher dans leur

direction tandis que Stefan, avec un mot d'excuse, s'éclipsait pour pénétrer dans la maison.

— Ah, Jane ! s'écria Maria, consciente du malaise de sa belle-fille. Venez donc vous asseoir

avec nous. Nous prenons le café...

Evidemment, Maria n'avait nulle envie de sa compagnie, Jane en était consciente. Elle voulait

simplement l'empêcher de regagner sa chambre comme elle le désirait

Incapable de lui tenir tête, Jane se laissa tomber dans le siège le plus proche et se força à

sourire. En dépit de ses efforts, l'odeur du café lui donnait mal au cœur.

— Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je préférerais un peu d'eau, murmura-t-elle au

moment où la domestique arrivait.

— De l'eau ! s'écria Maria avec impatience. Que se passe-t-il ? Vous êtes souffrante ?

— J'ai chaud et j'ai très soif.

— Elle n'a pas l'habitude du climat, observa Ariane sans cacher son mépris. Elle ressemble à

une écrevisse, Maria. Il vaut peut-être mieux qu'elle aille dans sa chambre...

Jane n'appréciait guère qu'on parle d'elle comme si elle n'était pas là mais, en l'occurrence, elle

saisit l'occasion.

— Ariane a raison. Je vais monter, si vous le permettez. Peut-être pourrais-je avoir un peu

d'eau dans ma chambre ?

Contrariée, Maria pinça les lèvres.

— Vous pourriez sûrement vous asseoir un instant ? Nous n'avons pas encore eu le temps de

bavarder. Vous ne voulez pas savoir comment va Léo, ce matin ?

— Si, bien entendu ! Je pensais que...

— Je me doute de ce que vous pensiez ! Vous préféreriez sûrement ne pas avoir cette

conversation, l'interrompit Maria. Mettons les choses au point, Jane. Je n'étais pas d'accord avec

Léo. Quelles que soient ses raisons, en ce qui me concerne, vous n'êtes pas la bienvenue dans

Page 58: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

cette maison. Maintenant que vous avez vu mon mari, j'aimerais que vous trouviez une excuse

quelconque pour partir sans attendre.

Choquée, Jane reprit d'une voix altérée :

— Je ne comprends pas... Pourquoi n'avez-vous pas empêché Demetri de me téléphoner ?

Vous étiez libre de prétendre que j'avais refusé de venir.

— Léo aurait insisté. Quant à Demetri, je ne me voyais pas en train de lui mentir.

Jane hocha la tête mais le regretta aussitôt. Depuis son retour de la plage, elle avait des vertiges

et se sentait au bord de la nausée. Elle s'agrippa aux accoudoirs de son siège pour tenter de se

stabiliser.

— Montez dans votre chambre, reprit Maria avec irritation. Si vous ne pouvez pas patienter

cinq minutes, mieux vaut vous en aller ! Vous n'oublierez pas ce que je viens de vous confier,

j'espère ? Vous avez intérêt à partir. Je vous préviens... Vous ne vous en tirerez pas aussi

facilement la prochaine fois !

Que voulait-elle insinuer ? Jane n'en avait pas la moindre idée et n'était pas réellement en état

de s'en préoccuper.

Page 59: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

9

Demetri revint sur l'île le jour suivant. Prétextant la maladie de son père, il n'avait pas assisté

à la fin des débats. En réalité, il n'avait pas menti, mais omis d'avouer qu'il rentrait surtout pour

retrouver Jane et s'assurer que personne n'avait profité de son absence pour la harceler. En dépit

du divorce imminent, il se sentait responsable de son bien-être pendant la durée de son séjour

chez ses parents.

Lorsque le pilote posa l'hélicoptère sur la piste non loin de la maison, il poussa un soupir de

soulagement et se précipita pour sortir de l'appareil.

— Je n'aurai pas besoin de vous, Théo, déclara-t-il à son assistant. Vous pouvez rentrer chez

vous si vous le désirez.

— Si cela ne pose pas de problème, j'aimerais autant coucher ici ce soir, répondit Théo en

montrant la partie de la villa où séjournaient parfois les employés du groupe.

Tout en parlant, il avait posé sa valise sur le tarmac avant de continuer.

— En fait, j'ai prévu de voir Ianthe... si vous n'y voyez pas d'inconvénient, bien sûr.

— Pourquoi y verrais-je le moindre inconvénient ? demanda Demetri en faisant signe au

pilote de décoller. Elle est assez grande pour savoir ce qu'elle fait.

— Je sais, mais...

— Mais quoi ?

— Eh bien...

A présent, Théo semblait extrêmement gêné.

— Tout le monde sait que vous et elle étiez...

— ... amis, acheva à sa place Demetri. Nous sommes amis et nous l'avons toujours été.

Contrairement à tout ce qu'on a pu raconter, il n'y a jamais rien eu entre nous.

Page 60: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Mais, votre femme...

— Elle a refusé de me croire. Peu importe... c'est une vieille histoire. Un jour, peut-être,

Ianthe vous dira qui était le père de son enfant. D'ici là, faites-moi confiance. J'ai de l'affection

pour Ianthe et je me réjouis de la savoir heureuse. Entendu ?

— Merci.

Demetri prit sa valise et suivit Théo jusqu'à la maison. En bas du perron, Théo poursuivit sa

route tandis que Demetri pénétrait dans le hall. Il était désert mais, alertée par le bruit, sa mère

apparut, venant de la terrasse.

— Demetri ! s'écria-t-elle, surprise de le voir. Il y a un problème ?

— Non, pourquoi ? répondit Demetri en dissimulant de son mieux son irritation. Comme

prévu, j'ai assisté à la conférence et me voilà de retour !

Il se tut pour continuer après une courte pause :

— Où est papa ?

Maria Souvakis fronça les sourcils d'un air mécontent.

— Tu fais bien de poser la question ! Il est parti faire un tour en voiture avec cette... femme.

Ce n'est pas prudent, il le sait. Il va être fatigué. Bien entendu, il n'y a pas eu moyen de le

raisonner !

Demetri dissimula son soulagement avant de lui répondre.

— Ce n'est pas une promenade avec Jane qui risque de le fatiguer !

Aussitôt, il se mordit la lèvre. Pourquoi ne pouvait-il s'empêcher de prendre sa défense ?

N'avait-il pas pris la décision de divorcer ?

— J'aurais dû savoir que tu ne serais pas de mon avis, déclara Maria d'un ton sec. Après tout,

c'est toi qui nous l'as imposée.

Demetri se garda bien de répondre, mais sa mère continua sans se décourager.

Page 61: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Grâce au ciel, Ariane est partie avec eux. Elle empêchera ton père de faire des bêtises.

Etonné, Demetri ne put s'empêcher de répéter :

— Des bêtises?

— Comme de l'inciter à prolonger son séjour, par exemple, expliqua-t-elle pour se justifier.

Tout à coup, elle parut se rendre compte que son fils venait d'arriver et le prit par le bras.

— Viens donc. Thermia est là, elle aussi. Nous sommes en train de boire du thé glacé. Elle

sera ravie de te voir...

Demetri en doutait. Pour sa part, la mère de Ianthe était bien la dernière personne qu'il

souhaitait rencontrer. Et Ianthe ? Etait-elle là, aussi ?

Au lieu de suivre sa mère comme elle l'y invitait, il resta à sa place.

— Une seconde, maman. J'arrive à peine. J'ai chaud et je suis fatigué. Avant tout, j'ai envie

d'une douche et de boire quelque chose de plus fort que du thé !

— Quelle idée ! Que penserait Thermia si tu n'allais pas la saluer ?

— Elle est seule ?

— Non, bien sûr ! Ianthe est avec elle.

Super ! songea Demetri en s'efforçant de faire bonne figure. Qui avait eu l'idée saugrenue de les

inviter ? se demanda-t-il en suivant Maria dans le petit salon. Sa mère, probablement.

En l'apercevant, Ianthe ne put maîtriser un très léger sursaut. De toute évidence, elle n'était pas

particulièrement heureuse de le voir.

— Demetri, se borna-t-elle à murmurer en inclinant la tête. D'après tante Maria, tu ne devais

pas rentrer avant demain matin.

Elle avait toujours appelé « tante » Maria Souvakis mais, en réalité, celle-ci et sa propre mère

n'étaient que des cousines éloignées.

Page 62: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Demetri jeta à sa mère un coup d'œil sarcastique, mais elle s'était détournée pour faire le

service.

— Un peu de thé, Demetri ?

— Non, merci. Je ne peux pas m'attarder. Puisque papa va bien, je vais aller chez moi.

Maria s'immobilisa, la carafe à la main.

— Mais... Demetri, tu ne vas pas repartir sans le voir ?

— Je le verrai plus tard. Dans l'immédiat, je dois empêcher Théo de redescendre en ville.

— Théo est ici ?

C'était Ianthe qui venait de parler, et Demetri surprit dans ses yeux une lueur d'intérêt

— Oui... il passe la nuit ici. Tu aurais aimé le voir ?

— Oh... c'est-à-dire...

— Je ne pense pas, intervint Maria Souvakis. Pourquoi Ianthe aurait-elle envie de rencontrer

Théo Vasilis ? D'ailleurs, Thermia m'expliquait justement que ce jeune homme n'arrête pas

d'envoyer des messages à Ianthe. Il commence à être envahissant !

Demetri haussa un sourcil en direction de Ianthe.

— C'est vrai ?

— Oui, il m'envoie des sms.

— Et tu le trouves pénible ? Pour sa part, il semble convaincu que ses attentions ne te sont

pas désagréables.

Ianthe jeta un coup d'œil affolé à sa mère, puis à sa tante.

Page 63: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Eh bien, je... je... je l'aime bien, balbutia-t-elle en rougissant jusqu'à la racine des

cheveux.

— Alors ? reprit Demetri. Tu désires le voir, oui ou non ?

Comme elle semblait hésiter à répondre, il poursuivit sans cacher son irritation :

— Tu as vingt-trois ans, Ianthe, tu es adulte. Si tu as envie de lui parler, personne ne peut

t'en empêcher.

— Demetri !

Sa mère l'observait d'un air horrifié. Exaspéré par son attitude, Demetri l'ignora pour

s'approcher de Ianthe.

— Alors ?

— Oui, j'aimerais bien le voir, avoua-t-elle en se levant.

Rapidement, Demetri prit congé de sa mère et de Thermia et sortit de la pièce, Ianthe sur les

talons.

Ils étaient dans le hall lorsque Demetri entendit une voiture s'arrêter devant la maison.

— C'est sans doute ton père et Ariane... et ta femme, déclara naïvement Ianthe.

— En effet, tu as sûrement raison. Décidément, le hasard fait bien les choses !

— Pourquoi dis-tu ça ?

Pour toute réponse, Demetri haussa les épaules avant de continuer :

— Allons à leur rencontre, puisque nous sommes ici.

En sortant sur le perron, ils virent la vieille Bentley s'immobiliser en bas de la terrasse.

Page 64: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Sans avoir conscience d'être observée, Jane sortit la première. Apparemment, elle avait servi de

chauffeur à Léo Souvakis. A présent, elle faisait le tour de la voiture pour lui ouvrir la portière et

lui tendre une main qu'il accepta avec reconnaissance avant de prendre sa canne.

— Merci, ma chère, dit-il.

Au même instant, il reconnut son fils devant la maison.

— Demetri ! s'écria-t-il, faisant sursauter Ariane qui sortait à son tour, une expression

boudeuse sur le visage.

Au cri de Léo, elle releva la tête.

— Chéri !

En deux pas, elle combla la distance qui la séparait de Demetri et se jeta à son cou pour

l'embrasser.

— Te voilà revenu !

— Comme tu le vois ! dit-il, les yeux fixés sur Jane et son père en train de gravir les marches

du perron.

Sans plus se préoccuper d'Ariane, il posa sur les dalles son porte-document, avant de descendre

à leur rencontre, tandis qu'Ariane et Ianthe échangeaient un coup d'œil dépourvu d'aménité.

— Je me débrouille très bien, lui déclara son père.

— Tu cherches à te faire valoir auprès de ta dulcinée ? ajouta Jane avec un sourire

malicieux.

— En tout cas, toi, tu n'as pas l'air impressionné ! rétorqua-t-il en prenant le bras de son père

pour le soutenir. Crois-moi ou non, je ne m'attendais pas à trouver Ianthe à mon arrivée !

— Je m'en moque, reprit Jane avec une certaine mauvaise foi. Attention à la marche, Léo !

continua-t-elle en se détournant.

— J'ai vu. Je ne suis tout de même pas impotent !

Page 65: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Tu n'as plus l'habitude des escaliers, intervint Demetri d'un ton sec. O.K.... tu n'as plus

besoin de moi, ajouta-t-il comme son père posait le pied sur la terrasse.

— Merci.

Encore contrarié, Léo se redressa pour regarder autour de lui. En apercevant Ianthe, son

expression s'adoucit.

— Bonjour, ma chère petite. Où alliez-vous de ce pas, Demetri et toi ?

— Nous n'allions nulle part ! l'interrompit Demetri dont l'irritation allait croissant.

— Je cherche Théo, expliqua Ianthe avec une certaine nervosité. En principe, il a prévu de

passer la nuit ici.

— Ah ! Et ta mère est d'accord ?

— La question n'est pas là ! s'écria Demetri, qui commençait à s'énerver.

— Ce n'est pas parce que tu n'en fais qu'à ta tête que tout le monde doit en faire autant !

protesta Léo avant de se tourner vers Jane. Venez, ma chère. Seriez-vous assez aimable pour me

donner le bras ?

Gênée, Jane eut une brève hésitation. Elle avait toutes les raisons d'être gênée, songea Demetri

avec amertume. S'il l'avait invitée, ce n'était pas pour semer la zizanie entre son père et lui. Pour

sa part, il commençait à en avoir assez !

— J'aimerais parler à ma femme, si tu peux te passer d'elle cinq minutes, déclara-t-il sans se

soucier des regards incendiaires que lui lançait Ariane.

Après tout, ils n'étaient pas encore mariés. Il n'avait pas de compte à lui rendre.

— Tu ne peux pas attendre ? lui demanda son père.

Cette fois, la coupe était pleine et Demetri se rapprocha de Jane.

— Non, je ne peux pas ! Jane, suis-moi dans la bibliothèque, s'il te plaît. Nous y serons

tranquilles pour discuter.

Page 66: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Jane jeta autour d'elle un coup d'œil désespéré, mais elle n'avait pas plus d'aide à attendre

d'Ariane que de Ianthe. Quant à Léo, il semblait résigné et, appuyé sur sa canne, se dirigeait vers

la porte du salon.

— Je... comme tu veux, répondit-elle de mauvaise grâce. Ne vous inquiétez pas, nous n'en

avons pas pour longtemps, ajouta-t-elle à l'intention de Ianthe qui paraissait soudain un peu

perdue.

— Je t'en prie ! s'écria Demetri en la prenant par le bras pour l'entraîner en direction de la

maison.

Il s'apprêtait à entrer lorsqu'il prit conscience de la manière cavalière dont il se comportait.

— Ariane, je te verrai tout à l'heure au dîner. Ensuite, nous aurons toute la soirée pour

bavarder, je te le promets.

— Endaxi. Saghapo. Je t'aime, répliqua Ariane, un peu rassérénée.

Demetri s'abstint de lui répondre. Jane avait parfaitement saisi les propos d'Ariane, il le comprit

en la sentant se raidir. Elle tenta de se libérer mais, sans douceur, il resserra sa prise pour

l'entraîner vers la bibliothèque.Ce n'est qu'après avoir claqué la porte qu'il consentit à la relâcher.

Furieuse, Jane alla jusqu'à la fenêtre où elle regarda sans les voir les fleurs grimpantes qui

tapissaient les murs extérieurs et retombaient un peu plus bas sur la terrasse. Au-delà des bois qui

marquaient la limite de la propriété, on distinguait le miroitement de la mer.

Le silence s'éternisait, mais Jane n'était pas disposée à le rompre la première. Qui sait ?

Quelqu'un s'était peut-être aperçu de son état ? songea-t-elle avec appréhension.

En entendant un bruit de papier froissé, elle tourna la tête. Derrière elle, debout devant le grand

bureau de son père, Demetri prenait connaissance du courrier.

— Vas-tu m'expliquer, Demetri ? s'écria-t-elle, tremblante d'indignation. Tu m'obliges à te

suivre et tu ne trouves rien de mieux à faire que de lire la correspondance de ton père ! A quoi

joues-tu ?

— Je ne joue pas.

Continuant à ranger les papiers en désordre, il s'arrêta pour remarquer :

Page 67: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Tu sembles avoir séduit mon père. Tout à l'heure, il était sous le charme...

— Et c'est pour me dire ça que tu m'as amenée jusqu'ici ?

— Non, je voulais savoir si tu avais reçu les documents que t'a transmis mon avocat. En

principe, ils auraient dû arriver il y a une semaine, avant ton départ de Londres.

— Eh bien, ce n'est pas le cas !

Ce n'était pas tout à fait un mensonge, puisqu'elle les avait reçus la veille de prendre l'avion !

— Tu es sûre?

— Tout à fait sûre, répéta-t-elle d'un ton faussement candide.

Les bras croisés, Demetri s'appuya contre le bureau.

— C'est surprenant, observa-t-il en la dévisageant avec attention. Lorsque je lui ai parlé, ce

matin, il m'a assuré que tout était parti.

— Il y a peut-être eu des retards dans l'acheminement du courrier, rétorqua-t-elle en

esquissant un pas en direction de la porte. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, je vais monter

me doucher...

— Akomi. Une seconde...

Il n'avait pas bougé mais, à son ton, elle comprit qu'il ne la laisserait pas partir avant d'en avoir

terminé avec elle.

— Dis-moi... quand penses-tu rentrer à Londres ?

— Chercherais-tu, par hasard, à te débarrasser de moi ?

— J'aimerais tout simplement savoir ce que tu as raconté à mon père.

— Ah... je vois ! Le problème n'est donc pas vraiment la date de mon départ. Ne te fais pas

de souci... Je n'ai parlé à personne de ce qui s'était passé l'autre jour, dans mon appartement.

Page 68: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Dans ta bouche, on dirait une menace.

— Non. Sois tranquille. Tu n'as absolument rien à craindre de moi.

— Craindre ? répéta Demetri, décidé à avoir le dernier mot. Pourquoi devrais-je avoir peur

de toi, Jane ? D'ailleurs, Ariane se moque bien de tout ce que tu pourrais lui raconter !

— Tu crois ça ?

L'expression de Demetri s'assombrit.

— Et toi ? Tu regrettes ce qui s'est passé ? C'est ce que tu cherches à me faire comprendre ?

Stupéfaite, Jane ouvrit de grands yeux.

— Tu plaisantes ? Evidemment que je regrette !

— Pourquoi ? D'après cette folle avec laquelle tu travailles, tu as l'habitude de ces

intermèdes galants ! Ton copain Alex ne te quitte pas d'une semelle, paraît-il.

— C'est faux !

Jane tenait à rétablir la vérité. Pour la première fois, elle souhaita qu'Olga cesse de se mêler de

ce qui ne la regardait pas.

— Pourquoi devrais-je te croire ? insista Demetri.

— Déjà, parce qu'Alex ne sait même pas où j'habite ! Tu as tort de supposer que tout le

monde te ressemble, Demetri. Quoi que tu puisses en penser, il n'y a absolument rien entre Alex

et moi !

— Dans ce cas, que fais-tu avec lui ?

— Cela ne te regarde pas ! Je ne te demande pas ce que vous faites, Ariane et toi. Si ma

mémoire est bonne, je ne t'ai jamais posé de questions sur ce qui s'est passé entre Ianthe et toi...

Elle se tut puis acheva tout bas :

— D'ailleurs, ce n'est pas utile. Je le sais parfaitement.

Page 69: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

10

— Tu ne sais rien du tout !

Demetri s'était redressé et dominait Jane de toute sa hauteur. A cette vue, elle se sentit trembler.

Il semblait fou de rage. Face à lui, elle ne faisait pas le poids. Effrayée, elle recula pour se mettre

hors de sa portée. A peine avait-elle esquissé un mouvement, cependant, qu'elle buta contre un

siège, derrière elle. Perdant l'équilibre, elle se retrouva assise dans le fauteuil, Demetri penché

sur elle. L'espace d'un instant, elle eut peur qu'il ne la frappe mais, au lieu de cela, il se borna à

poser ses mains sur les accoudoirs, de chaque côté d'elle, l'empêchant de bouger.

Il était si près d'elle qu'elle sentit la chaleur de son souffle sur sa peau brûlée par le soleil. Pour

accompagner Léo Souvakis, elle avait mis un débardeur et une jupe en jean qui, maintenant,

remontait plus haut que ses genoux.

— Ecoute-moi, aghapi, car je ne le répéterai pas. J'ai couché avec Ariane, j'en conviens,

mais il n'y a jamais rien eu entre Ianthe et moi.

Jane eut un choc en l'entendant avouer ses relations avec Ariane mais parvint à se contrôler.

— Quelqu'un a bien couché avec elle, en tout cas !

— En effet, mais ce n'est pas moi !

— Pourquoi t'a-t-elle accusé ?

— Tu n'as qu'à le lui demander. Peut-être te dira-t-elle la vérité...

Pour la première fois depuis qu'ils étaient entrés dans la pièce, Jane releva la tête pour le

regarder bien en face.

— Je n'arrive pas à comprendre pourquoi tu t'es laissé accuser, si tu étais innocent.

— Au début, je n'en avais pas l'intention, mais ma mère...

— Bien sûr ! J'aurais dû me douter que ta mère était mêlée à cette histoire !

Page 70: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Elle adore Ianthe. Elle la considère pratiquement comme sa fille.

— Moi, je n'ai pas eu cette chance ! observa Jane avec amertume.

Demetri poussa un soupir.

— C'est vrai. Les choses n'ont pas été faciles pour toi, mais si tu étais restée, elles se seraient

sûrement améliorées...

— Avant ou après ton aventure avec Ianthe ?

— Je viens de t'expliquer...

— Entendu, reprit Jane en haussant les épaules. D'ailleurs, je ne comprends pas bien

pourquoi tu te soucies de mon opinion.

— Pourtant, je m'en soucie !

— Pourquoi ?

— Et pourquoi, selon toi ?

Jane pinça les lèvres.

— Parce que personne ne doit mettre en doute la parole du grand Demetri Souvakis ?

suggéra-t-elle. Ou, tout simplement, parce que tu adores me dominer et me savoir à ta merci ?

— Moi, j'aime te dominer ?

Il avait parlé d'une voix moins assurée. Jane lui jeta un coup d'œil à la dérobée. A sa vive

surprise, il semblait décontenancé.

— Tu le sais parfaitement !

— Comment ça ?

D'un geste, elle montra la manière dont il la maintenait prisonnière et l'empêchait de se lever.

Page 71: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Dois-je te faire un dessin ?

— O.K., admit-il sans bouger pour autant. Un point pour toi. Néanmoins, peut-être devrais-

tu t'interroger sur les raisons de mon comportement.

— Sur le fait que tu cherches à m'imposer ta volonté ?

— Je n'ai jamais dit que cela me plaisait, s'empressa-t-il de rectifier.

Levant la main, il lui prit le menton pour l'obliger à le regarder.

— Tu me rends fou et tu le sais très bien !

Jane eut un frisson, tandis qu'une vive rougeur montait de son décolleté pour gagner son cou et

son visage. A cette vue, Demetri fut submergé par un désir plus fort que la raison. Oubliant toute

prudence, il se pencha pour l'embrasser. En sentant son souffle se mêler au sien, il se mit à

genoux puis, prenant son visage entre ses mains, il écrasa ses lèvres sous les siennes, força sa

langue entre ses dents serrées. Aussitôt, il se souvint de la dernière fois où il lui avait fait

l'amour, de son corps contre le sien et de la douceur de sa peau.

— Demetri ! protesta-t-elle, d'une voix à peine audible.

Désirait-elle vraiment qu'il la libère ? Il cessa de l'embrasser pour lui jeter un coup d'œil

interrogateur mais, les yeux clos, elle ne fit pas un geste pour le repousser.

Une fois de plus, ses baisers lui faisaient perdre la tête, eut-elle le temps de penser tandis que,

tout en lui murmurant des mots doux, il caressait ses bras, ses épaules et son dos.

Elle frissonna en sentant ses doigts courir le long de sa colonne vertébrale. Sa peau moite

exhalait un parfum de miel et de soleil. Ivre de désir, Demetri laissa sa main remonter sous sa

jupe, le long de ses jambes nues.

— Aghapita, murmura-t-il en inclinant la tête pour embrasser la chair tendre à l'intérieur de

sa cuisse. Tu es si belle !

— Demetri... non !

— Mais si !

Page 72: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Il n'était pas d'humeur à écouter ses protestations. Quant à Jane, elle avait de plus en plus de

mal à garder son sang-froid. Et puis, elle aimait voir son assurance habituelle faire place à des

émotions plus simples, plus authentiques, à entendre sa voix s'altérer sous l'effet du désir.

Doucement, il écarta ses jambes pour déposer sur sa peau une pluie de petits baisers. Elle

sursauta, tenta de se redresser mais, d'un geste, il la força à rester immobile.

— Détends-toi..., murmura-t-il. Laisse-moi faire.

Il était fou, eut-elle le temps de penser. Que se passerait-il si, par hasard, sa mère ou Ariane

arrivait ? De toute évidence, cette éventualité ne l'avait pas effleuré. Ivre de volupté, il releva sa

jupe et écarta son string en dentelle blanche avant d'enfouir sa bouche dans le triangle à la

jonction de ses jambes.

— N'est-ce pas mieux ainsi ? s'enquit-il en relevant la tête pour l'embrasser sans cesser pour

autant de la caresser. Qu'en penses-tu ?

Jane était incapable d'articuler un mot. Excité de la sentir ainsi à sa merci, Demetri prit sa

bouche avec une sorte de fièvre.

— Se thelo. Je te veux. Angikse me !

Comme hypnotisée, Jane leva les mains pour l'aider à se débarrasser de son veston puis laissa

courir ses doigts sous sa chemise de soie.

Avec fébrilité, il retroussa son débardeur pour libérer sa poitrine, puis taquina de la langue

l'extrémité de ses seins. Loin d'avoir mal, Jane se retrouva plus excitée qu'elle ne l'avait jamais

été. Si certaines femmes enceintes n'avaient pas envie de faire l'amour, ce n'était pas son cas !

Demetri déboutonna son jean et elle retint son souffle en prenant la mesure de son excitation.

— Theos, balbutia-t-il d'une voix entrecoupée.

— Tu... tu veux ? s'enquit-elle dans un souffle.

— Oui!

Page 73: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Elle aussi le voulait. Elle n'avait plus le choix, comprit-elle tout à coup. Au risque de le

regretter, elle n'était plus capable de résister.

— Mais... pas ici ! protesta-t-elle, consciente d'être visible de l'extérieur.

Demetri fit entendre un rire étranglé.

— Ne t'avise pas de bouger !

D'un seul coup de rein, il fut en elle. Jane l'accueillit avec un soupir de plaisir, heureuse de

sentir ses attentes enfin pleinement comblées.

— Je ne te fais pas mal ?

— Non...non !

— Tu es si belle et... nous sommes si bien ensemble, non ?

— Non... enfin, je veux dire... oui, réussit-elle à balbutier. Je t'en prie... n'arrête pas...,

acheva-t-elle en fermant les yeux.

— Même si je le voulais, ce serait impossible... Tu m'appartiens !

Comment aurait-elle pu le nier ? Sûrement pas en cet instant, en tout cas, où le plaisir

l'emportait. Avec un cri doux comme un gémissement, elle resserra ses jambes autour de lui et

s'arqua en arrière, dans un spasme de joie et de pure volupté.

Jane aurait été incapable de dire combien de temps elle était restée ainsi prostrée. Ils étaient

encore étroitement enlacés, et un geste de sa part aurait suffi à raviver le désir de Demetri, elle en

était bien consciente.

Au prix d'un effort, cependant, elle libéra sa main pour consulter sa montre. Mon Dieu ! Voilà

une heure qu'ils se trouvaient dans la bibliothèque ! Quelqu'un n'allait sûrement pas tarder à venir

voir ce qui se passait. Jane frémit à l'idée de voir apparaître sa belle-mère ou Ariane.

Page 74: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Cette perspective était suffisamment horrible pour lui donner la force de se dégager. Il n'était

pas question qu'on puisse la surprendre dans une situation aussi humiliante ! Une fois encore,

elle avait laissé Demetri prendre l'avantage sur elle, Elle aurait pourtant dû tirer une leçon de

l'expérience passée !

— Que fais-tu ?

Demetri avait parlé d'une voix assoupie. Profitant de sa torpeur, elle réussit à le repousser pour

se relever.

— Je m'en vais, dit-elle en s'empressant de mettre un peu d'ordre dans ses vêtements. A ta

place, je m'habillerais. Si Ariane arrive, elle ne sera sûrement pas ravie de te trouver dans cet état

Demetri jura entre ses dents mais s'exécuta docilement.

Jane s'apprêtait à partir lorsqu'il se dressa devant elle.

— Je n'en ai pas encore fini avec toi, déclara-t-il.

— Moi, si ! riposta-t-elle, touchée malgré elle par son aspect.

Avec sa chemise froissée et ses cheveux en désordre, à cet instant, il ressemblait à un petit

garçon.

— De toute façon, je te reverrai au dîner, ajouta-t-il encore.

Jane aurait préféré se soustraire à cette obligation mais, en tant qu'invitée, elle n'avait pas le

choix. Sans répondre, elle ouvrit la porte et sortit de la pièce, espérant pouvoir regagner sa

chambre sans rencontrer un membre de la famille. Elle avait hâte d'être seule pour avoir le temps

de réfléchir à la situation. Dans l'immédiat, le plus urgent était de partir, de quitter l'île avant

d'être forcée d'annoncer à Demetri qu'elle portait son enfant. D'une certaine façon, elle aurait

trouvé plus facile de lui avouer qu'elle l'aimait encore.

A cette pensée, elle se mordit la lèvre. Voyons... Etait-ce la vérité ? Avait-elle été assez folle

pour retomber une nouvelle fois amoureuse de lui ? Quoi qu'il en soit, jamais Demetri

n'accepterait de croire que sa grossesse était un accident. Dans ces conditions, comment

poursuivre une relation basée sur le doute et le soupçon ? Il n'y avait pas à hésiter. Elle devait

s'en aller. D'ailleurs, même si, par hasard, Demetri la croyait, comment pourraient-ils vivre avec,

Page 75: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

entre eux, le souvenir du bébé de Ianthe ? Et puis, il entretenait une liaison avec Ariane. Elle ne

se sentait pas le droit de perturber sa vie... Même si lui ne s'était pas gêné pour bouleverser la

sienne !

Elle arrivait en haut de l'escalier lorsqu'elle entendit son nom. Persuadée qu'il s'agissait de

Demetri, elle continua à avancer mais, soudain, reconnut la voix de Léo.

Elle s'arrêta, consciente du spectacle qu'elle offrait, avec ses vêtements en désordre et ses lèvres

meurtries par les baisers.

— J'allais me changer, murmura-t-elle en se penchant au-dessus de la balustrade de bois

tourné.

— Vous étiez avec Demetri, m'a appris Ariane. Il ne vous a pas ennuyée, j'espère ?

Ennuyée !

Jane faillit éclater de rire à cette idée.

— Il... il voulait savoir si j'avais reçu les papiers du divorce.

Elle se tut puis continua d'une voix mal assurée.

— Je suis contente d'avoir l'occasion de vous parler, Léo. Je vais rentrer à Londres. Il est

temps de vous quitter.

— Déjà?

— Oui... maintenant que Demetri est de retour...

— C'est bien ce que je craignais ! Il vous a harcelée ?

— Non... non, pas du tout ! C'est juste que... ma présence vous dérange et...

— Pas moi, en tout cas !

— Certes, mais vous comprenez ce que j'entends par là, n'est-ce pas ? J'ai été ravie de vous

revoir, mais à présent, ma place n'est plus ici.

Page 76: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Léo poussa un soupir.

— Si votre décision est prise...

— Elle est prise, en effet.

Devant la déception de son beau-père, Jane redescendit l'escalier pour le serrer dans ses bras.

— S'il ne s'agissait que de vous, Léo, je serais bien restée, vous savez.

— Alors, pourquoi partir ?

— C'est préférable. Essayez de me comprendre.

— Demetri est au courant, bien sûr ?

— Euh... pas encore.

— Il a peut-être son mot à dire, vous ne croyez pas ?

— Peut-être...

Elle n'avait pas le courage de l'affronter pour lui annoncer la nouvelle.

— Léo, vous voudrez bien vous en charger ? Je veux dire... l'informer de mon départ, mais...

pas tout de suite, pas avant le dîner, s'il vous plaît ?

Léo eut l'air troublé.

— Vous avez peur de lui, Jane ?

— Non... non, mais je préfère m'en aller discrètement. Maintenant, si vous le permettez,

Léo, je vais aller me doucher.

Page 77: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

11

Au grand soulagement de Demetri, Thermia était déjà repartie lorsqu'il descendit pour le

dîner. Seuls ses parents, Stefan et Ariane l'attendaient dans le jardin d'hiver. Bien qu'il brûlât du

désir de savoir où Jane était passée, il préféra s'abstenir de poser la question.

Dès son arrivée, son père l'interrogea sur la conférence à laquelle il venait d'assister, puis ce fut

au tour d'Ariane de donner libre cours à sa curiosité.

— Pourquoi es-tu resté si longtemps dans la bibliothèque ? Qu'avez-vous fabriqué, cette

femme et toi ? Pendant ce temps-là, j'ai dû faire la conversation à ta mère et à ta tante. Je m'en

serais passé !

— Thermia n'est pas ma tante mais une vague cousine, rectifia automatiquement Demetri. Et

que devient Ianthe ? Elle n'est pas encore rentrée ?

— Non, répondit Ariane d'un ton boudeur. Elle te manque ?

— Pas du tout ! Ianthe et moi, n'avons rien à nous dire.

Ariane parut se satisfaire de cette déclaration mais ajouta perfidement :

— Ce n'est pas l'avis de ta femme, en tout cas. D'après ce que j'ai remarqué, elle n'était pas

ravie, de vois voir ensemble. Cela lui rappelle de mauvais souvenirs, je suppose ?

Cette fois, Demetri eut du mal à dissimuler sa contrariété.

— Quels mauvais souvenirs ? Jane connaît à peine Ianthe.

Ariane haussa les épaules.

— Certes, mais elle n'a sûrement pas oublié l'époque où vous étiez intimes.

— Jane et moi ?

— Mais non, idiot... toi et Ianthe ! Allons, Demetri... tout le monde est au courant. Je sais

parfaitement que tu étais le père de son enfant.

Page 78: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Tu ne sais rien du tout ! murmura Demetri, les yeux étincelants de colère. Quoi qu'il en

soit, je refuse d'en discuter avec toi... ou avec n'importe qui, d'ailleurs !

— Je vois ! s'écria Ariane en levant les sourcils d'un air amusé. C'était donc le sujet de votre

discussion ? Jane et toi, vous vous êtes disputés ? continua-t-elle avec une satisfaction évidente.

Je n'ai pas de mal à imaginer ses réactions !

Demetri fut tenté de mettre les choses au point mais préféra se taire. Mieux valait lui laisser ses

illusions. Elle serait moins tentée de lui poser des questions sur son emploi du temps. Comment

avait-il pu faire l'amour à Jane, dans la bibliothèque, au risque d'être surpris ? Il ne parvenait pas

à y croire. Quel sort lui avait-elle donc jeté ? Quand cesserait-il enfin de la désirer au point

d'oublier la prudence la plus élémentaire ?

— Ta mère a hâte de la voir partir, poursuivit Ariane sans se rendre compte qu'il ne l'écoutait

pas. A mon avis, même Léo commence à regretter de l'avoir invitée.

Demetri en doutait. Vu la façon dont son père se comportait avec elle, il était clair qu'il

éprouvait pour elle une profonde affection. C'était d'ailleurs étrange de la part d'un homme qui

poussait son fils à demander le divorce...

A cet instant, il sentit une présence derrière lui. Tournant la tête, il vit son père accueillir celle

qui occupait toutes ses pensées. Pour l'occasion, Jane portait un pantalon de soie noire et une

tunique assortie. Le noir accentuait la pâleur de son teint et faisait ressortir sa blondeur.

Elle portait sa tunique à même la peau, et le profond décolleté dénudait son cou et ses épaules

très légèrement hâlés. A cette vue, Demetri se souvint de son corps contre le sien...

A cette évocation, il ressentit une violente excitation. Heureusement, le jardin d'hiver était dans

la pénombre et personne ne parut s'aviser de son trouble. Lorsque son père vint le rejoindre en

compagnie de Jane, il avait repris possession de lui-même.

— Si tu servais un verre à ton épouse, Demetri ? suggéra le vieil homme en lui jetant un

coup d'œil malicieux.

Décidément, rien ne lui serait épargné ! songea Demetri, furieux contre son père. Au prix d'un

effort, il réussit pourtant à s'enquérir avec une feinte indifférence :

— Un peu d'ouzo ?

— Un jus d'orange, s'il te plaît

Jane s'était exprimée sans daigner lui accorder un regard. Avec un sourire, elle s'adressa à

Stefan qui venait d'arriver.

Page 79: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Stefan, j'ai oublié de te remercier pour m'avoir emmenée à Kalithi. C'était très gentil de ta

part.

Stefan murmura quelques paroles aimables, mais Demetri serra les poings pour réprimer un

mouvement de colère. Que faisait donc son frère avec sa femme ? En principe, Stefan n'était pas

sensible au charme féminin. Dans ces conditions, pourquoi diable avait-il jugé bon de

l'accompagner à Kalithi ? Elle était assez grande pour prendre la voiture et y aller toute seule !

Hors de lui, il commit l'erreur de la dévisager en lui apportant son verre et reçut en retour un

regard provocant.

— Merci, dit-elle. Et toi, tu ne bois pas, ce soir ?

— Je n'en ai pas envie.

Dans son état actuel, s'enivrer aurait pourtant été la meilleure solution !

— Alors, qu'as-tu acheté à Kalithi ? reprit-il en levant un sourcil. Si j'avais su que tu avais

besoin de quelque chose, j'aurais pu te le rapporter d'Athènes.

— Ignores-tu qu'il n'est pas nécessaire à une femme d'avoir « besoin » de quelque chose

pour éprouver l'envie de faire du shopping ? l'interrompit Stefan d'un ton léger. Tu es pourtant un

homme marié !

— Plus pour très longtemps, intervint Ariane qui se sentait exclue de la conversation. N'est-

ce pas, mon chéri ? continua-t-elle en glissant son bras sous celui de Demetri. Tu as hâte de

retrouver ta liberté.

Demetri vit Jane pincer les lèvres comme pour retenir une réplique cinglante mais, à sa vive

surprise, ce fut Stefan qui s'empressa de prendre sa défense.

— Heureusement je suis là ! dit-il en l'enlaçant pour la serrer tendrement contre lui. Nous

nous entendons parfaitement, n'est-ce pas, très chère ?

Jane réussit à sourire.

— C'est vrai et, toute la journée, tu t'es très bien occupé de moi.

Page 80: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Demetri aurait eu envie d'effacer d'un coup de poing le sourire de son frère. Il parvint,

néanmoins, à maîtriser sa rage pour demander, tout en se dégageant de l'étreinte d'Ariane :

— Je ne comprends pas... Pourquoi n'as-tu pas pris ta voiture pour aller en ville ? Elle est

bien dans le garage, non ?

— Oh... ta mère m'a fait cadeau de la petite Porsche, Demetri, s'écria Ariane en tentant de lui

prendre la main. Comme Jane ne vit plus ici, à présent...

— Ma mère n'a pas le droit de disposer de ce qui ne lui appartient pas ! rétorqua Demetri,

blême de colère.

Stefan lui-même parut surpris de cet accès de fureur.

— Ce n'est pas comme s'il s'agissait d'une voiture neuve..., commença-t-il.

Mais un regard de son frère suffit à le faire taire.

— Cette voiture est celle de Jane, insista Demetri à la stupeur d'Ariane. Hristo, pourquoi ne

m'a-t-on pas demandé mon avis ?

Maria Souvakis avait écouté sans y participer l'échange de propos mais, cette fois, elle

dévisagea son fils aîné d'un air réprobateur.

— Enfin, Demetri, c'est juste une voiture... pas les joyaux de la couronne !

— Oui... et tu n'as pas pu résister à l'envie d'humilier Jane, n'est-ce pas ? riposta Demetri, de

plus en plus furieux.

Il se tut puis se tourna vers Ariane.

— Et toi, ne me dis pas que tu as pris la Porsche pour aller chercher Jane à l'arrivée du ferry!

— Mais si, bien sûr !

De toute évidence, l'enjeu de la discussion échappait totalement à Ariane, qui ajouta encore :

— Comme ta mère vient de te le dire, ce n'est qu'une voiture, après tout !

Page 81: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Peut-être, mais c'est la voiture de Jane... pas la tienne !

Cette fois, il risquait de prononcer des paroles qu'il regretterait plus tard. C'est ce que comprit

Jane en décidant de se mêler à la conversation.

— Je n'en veux pas, déclara-t-elle en soutenant son regard. Je la laisse bien volontiers à

Ariane.

Elle se tut, esquissa un léger sourire avant de préciser :

— Après tout, d'une certaine façon, il s'agit d'une voiture de fonction !

— Si tu crois...

Demetri ne put achever sa phrase car son père l'interrompit sèchement.

— Le dîner est servi. Voilà plusieurs fois qu'Angelina essaie d'attirer notre attention. Si nous

passions à table ? conclut-il en lançant à Demetri un regard d'avertissement.

Le repas ne contribua pas à remonter le moral de Jane. Une salade grecque fut servie après des

aubergines grillées et avant le poisson, accompagné de légumes assaisonnés d'ail, d'huile d'olive

et de coulis de tomate. Tout était délicieux mais extrêmement épicé. En temps normal, Jane

aurait probablement adoré mais, depuis le début de sa grossesse, la plupart des aliments lui

donnaient la nausée. Et son altercation avec Demetri n'avait rien arrangé. Dans ces conditions,

elle fut heureuse de voir enfin le dessert arriver. Elle espérait que personne n'avait noté son

manque d'appétit mais, au moment de quitter la table pour passer dans le salon, Demetri

s'approcha et lui demanda à mi-voix :

— Tu n'avais pas faim ?

— Et ça t'étonne ?

— C'est moi qui te coupe l'appétit ?

— Tes réactions m'ont paru excessives. Après tout, Ariane va devenir ta femme. Pourquoi

ne pourrait-elle pas se servir de mon ancienne voiture ?

— Cela ne représente donc rien pour toi ?

Page 82: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Ecoute... depuis cinq ans, la Porsche est au garage. Pourquoi ne pas l'utiliser ?

— J'ai veillé à ce qu'elle soit régulièrement entretenue.

— Tu as bien fait.

Jane s'efforçait de paraître indifférente, mais l'insistance de Demetri commençait à l'agacer. Sa

présence, sa proximité physique était pour elle une véritable torture dans la mesure où, entre eux,

le gouffre devenait chaque jour plus profond. Même si lui semblait l'avoir oublié, elle ne

parvenait pas à faire totalement abstraction de ce qui s'était passé dans la bibliothèque.

— C'est pour ça que tu as demandé à Stefan de te conduire en ville, je suppose ? J'ignorais

que vous étiez proches à ce point.

— Tu ignores une foule de choses en ce qui concerne ton frère, déclara Jane sans réfléchir.

Aussitôt, elle se mordit la langue. Que lui arrivait-elle ? Elle n'avait pas à se mêler de leurs

histoires de famille.

Gênée, elle jeta un coup d'œil autour d'elle. Tout le monde s'était assis et les observait avec

étonnement.

— Viens, on nous attend.

— Une seconde.

Fort heureusement pour Demetri, la bonne choisit précisément ce moment pour apporter le café.

Profitant de la diversion, il se pencha pour demander à Jane de préciser sa pensée.

— Peu importe. Viens... ta mère et Ariane nous jettent des regards assassins.

— Je veux savoir ce que tu as voulu dire, insista Demetri sans l'écouter. Quelles sont donc

ces choses que j'ignore au sujet de Stefan ? Il n'a tout de même pas découvert tout à coup qu'il

préférait les femmes ?

— Arrête d'être aussi vieux jeu ! Stefan ne changera pas. D'après ce qu'il m'a confié, lui et

son ami sont en couple depuis plus de six ans.

Page 83: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Je suis au courant. Ils ont une maison à Kalithi. Si Stefan est souvent ici en ce moment,

c'est à cause de la maladie de notre père.

A présent, tous les yeux étaient fixés sur eux. De plus en plus gênée, Jane s'efforça de mettre fin

à leur aparté.

— C'est exact. Donc, tu vois... tu sais tout.

Demetri fronça les sourcils, l'air de plus en plus sombre.

— Tu ne m'as encore rien expliqué. Que devrais-je savoir que je ne sais pas ?

— Oh... Demetri, murmura Jane avec un soupir. Ce n'est pas le moment de discuter de tout

ça.

— Très bien, acquiesça-t-il en inclinant la tête. Je viendrai te voir dans ta chambre un peu

plus tard.

Cette fois, Jane ne put résister au plaisir de lui lancer une pique.

— N'avais-tu pas promis à Ariane de passer la soirée avec elle?

Heureusement pour elle, la présence de ses parents empêcha Demetri de lui faire la réponse

qu'elle méritait

— Après ce qui s'est passé cet après-midi ? se borna-t-il à observer. Je ne crois pas, non.

— Oh, Demetri...

Jane eut l'impression que son cœur allait éclater. Au prix d'un effort, elle parvint à contenir un

rire hystérique et répondit la première chose qui lui vint à l'esprit

— Tu te fais vieux, Demetri. Lorsque nous étions ensemble, tu avais un peu plus

d'endurance !

Au loin, la sonnerie du téléphone retentit, mais Demetri l'ignora. Il regardait Jane, les yeux

pleins de colère, et elle s'empressa d'aller s'asseoir à côté de son père, sur le sofa. Elle avait tort,

elle en était consciente. Ce n'était pas élégant de le provoquer, alors qu'il n'était pas en mesure de

Page 84: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

riposter. Pourtant cette fois, elle était allée trop loin. Sous le coup de la fureur, il oublia tout ce

qui l'entourait.

— Que cherches-tu à me faire comprendre, exactement ? s'enquit-il en comblant la distance

qui le séparait du canapé. Jane, je te préviens...

Jane ne sut jamais ce qu'il s'apprêtait à lui dire car, à cet instant, Angelina surgit, tout agitée, à

la porte du salon.

— Je vous prie de m'excuser, kirie, déclara-t-elle à Demetri. On vous appelle d'Athènes... de

la part de kirie Avensis. Je lui ai expliqué que vous étiez encore à table, mais il a insisté. D'après

lui, c'est une question de vie ou de mort...

Demetri hésita une fraction de seconde avant de suivre la domestique en dehors de la pièce. Son

départ suscita un silence que Léo s'empressa de combler.

— Jamais Avensis n'aurait téléphoné si ce n'était pas grave, murmura-t-il en s'efforçant de se

redresser.

Comme il avait du mal à se mettre debout, il se tourna vers son épouse.

— Maria, veux-tu aller voir ce qui se passe, s'il te plaît ? J'irais bien, mais...

Pour une fois, Maria s'exécuta sans se faire prier.

— Bien sûr, dit-elle en posant sa tasse de café. Si vous voulez bien m'excuser...

— Tu aurais pu m'en charger, papa, déclara Stefan d'un air maussade. Tu sais, je suis

parfaitement capable de transmettre un message.

Léo baissa la tête et parut sincèrement affecté par la remarque de son fils.

— Désolé, Stefan, je n'y ai pas pensé. Bien entendu, tu peux y aller. Va voir si tu peux te

rendre utile.

— Est-ce bien la peine ?

— J'en suis sûr, répondit Léo qui avait repris une contenance plus assurée. Si tu veux bien...

Page 85: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Après une brève hésitation, Stefan se leva à son tour et quitta le salon, laissant son père en

compagnie de Jane et d'Ariane.

— Que s'est-il passé, à votre avis ?

Ariane venait d'exprimer ce que tout le monde pensait et Léo hocha la tête avant de lui

répondre.

— Dieu seul le sait. Peut-être une avarie sur l'un des pétroliers. ..

— C'est grave ? insista Ariane.

— Peut-être. Espérons que non.

Jane humecta ses lèvres desséchées.

— C'est Demetri qui doit s'en occuper ?

— Pas nécessairement, reprit Léo, les yeux perdus dans le vague. En principe, nous avons

des spécialistes capables de résoudre tous les problèmes techniques, mais Demetri voudra

sûrement être là pour tout superviser.

— Exactement comme vous l'auriez fait vous-même, murmura Jane.

Le vieil homme se pencha pour lui tapoter la main.

— Vous me connaissez bien, ma chère. Oui vous avez raison. J'aimerais être sur place.

Jane sourit. A cet instant, Maria revint une expression soucieuse sur le visage.

— Alors ? demanda Léo avec impatience.

— Il y a eu un accident, répondit-elle en reprenant sa place sur le canapé.

— Quel genre d'accident ?

Léo avait du mal à réprimer son impatience, mais Maria tenta de l'apaiser.

Page 86: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Ne t'inquiète pas. Demetri s'en occupe. Et maintenant... quelqu'un désire un peu plus de

café ?

— Maria !

— D'accord, d'accord ! Il y a eu une explosion. On ne connaît pas encore les circonstances

exactes de l'accident, mais l'Artemis a un trou juste au-dessus de la ligne de flottaison.

Léo se mit à jurer avant de répéter :

— Une explosion ? Il n'y a pas de blessés ?

— Non, apparemment. Mais dans l'immédiat, on ne connaît pas encore l'étendue des dégâts.

— Dieu merci ! Et l'Artemis ? Risque-t-il de sombrer ?

— Ce n'est pas impossible, murmura Maria en lissant sa jupe d'un geste machinal. Tu ne

dois pas t'inquiéter, Léo. Demetri s'occupe de tout.

— Il va regagner Athènes, je suppose ?

— Oui, l'hélicoptère doit venir le prendre.

— Parfait, acquiesça Léo. De cette façon, il pourra rejoindre directement le bateau.

— Oh... je ne pense pas.

Maria semblait réellement inquiète et Jane éprouva à son tour une bouffée d'angoisse.

— Mais si, enchaîna Léo. Je connais Demetri. Il va vouloir être sur place pour superviser les

secours et surveiller les travaux.

— Mais... n'est-ce pas dangereux ?

C'était Ariane qui venait de parler, et le père de Demetri lui jeta un regard dénué d'indulgence.

Page 87: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— La vie est dangereuse. Tu ne le savais pas ? Jane, elle, ne l'ignore pas. N'est-ce pas, ma

chère ?

Prise au dépourvu, Jane hésitait à répondre mais, au même instant, Stefan poussa la porte, la

tirant d'embarras.

— Maman t'a expliqué ce qui s'était passé ? s'enquit-il en se tournant vers son père.

Comme Léo acquiesçait d'un signe de tête, il enchaîna avec un petit clin d'œil à l'adresse de

Jane :

— J'accompagne Demetri. N'est-ce pas une grande première ?

— Vous ne pouvez pas partir tous les deux ! intervint Maria, affolée. Et... et ton père ? Et

moi ? Que se passera-t-il si, l'un ou l'autre, avons besoin de toi ?

— Laisse-le tranquille, Maria ! l'interrompit son mari. Il est temps de nous souvenir que

nous avons trois fils et non pas deux. Stefan... tu feras attention, n'est-ce pas ?

— Ne t'inquiète pas, papa, déclara Stefan en posant brièvement la main sur l'épaule de son

père, avant de quitter la pièce.

Maria semblait au bord des larmes. Quant à Jane, elle était morte de peur, terrifiée de savoir

Demetri et Stefan en danger. Elle aurait voulu aller retrouver Demetri pour l'implorer de se

montrer prudent, mais elle n'en avait pas le droit. Au bout d'un moment, c'est Ariane qui se leva

pour rejoindre Stefan.

— Eh bien, tout ceci ne doit surtout pas retarder votre départ, déclara Maria à Jane, sans se

soucier des signes désespérés que lui adressait son mari.

Elle s'arrêta, puis conclut d'un ton froid :

— Léo m'a fait part de votre intention de partir rapidement. Dans les circonstances actuelles,

cela me semble une sage décision.

Page 88: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

12

Jane gara sa voiture devant la maison de sa mère puis resta immobile à sa place, à s'interroger

sur la meilleure façon de lui annoncer qu'elle attendait un enfant. Elle redoutait une indiscrétion

d'Olga, et puis, à quoi bon attendre ? Elle n'avait pas vraiment le choix. Tôt ou tard, sa mère

s'apercevrait de son état. Pourtant, elle n'avait guère envie de lui avouer la vérité. Elle ne se

sentait pas le courage de subir ses reproches, ni d'être traitée comme une criminelle !

La veille, elle avait quitté Kalithi. Le père de Demetri avait bien tenté de la retenir, mais comme

elle maintenait sa décision, il s'était arrangé pour qu'un hélicoptère l'emmène directement à

Athènes prendre l'avion pour Londres.

Jane lui en avait été reconnaissante. Elle était fatiguée et avait mal dormi. La veille de son

départ, elle avait passé la nuit à se faire du souci au sujet de Demetri. Elle avait peur pour lui

ainsi que pour Stefan. Si Maria ne s'était pas montrée aussi odieuse, elle n'aurait pas hésité à

prolonger son séjour, le temps de savoir si tout risque était écarté. D'après Léo, les nouvelles

étaient bonnes, mais elle aurait préféré s'en assurer elle-même, sachant que, dès son retour à

Londres, elle n'aurait que les médias comme source d'informations.

Léo l'avait accompagnée jusqu'à l'hélicoptère. Loin des yeux de son épouse, il l'avait

chaleureusement remerciée de sa visite et avait exprimé le souhait de la revoir bientôt. Jane avait

promis de revenir. Elle en doutait, pourtant. En effet, d'ici quelques semaines, il ne lui serait plus

possible de cacher sa grossesse.

En fait, elle ne reverrait probablement jamais le père de Demetri, et elle le regrettait Pendant

que le pilote mettait ses bagages dans l'appareil, elle avait eu l'impression qu'il avait encore

beaucoup de choses à lui dire. Il voulait sans doute lui demander de ne pas juger son fils trop

sévèrement, mais n'avait pas été capable de trouver les mots pour exprimer ses sentiments.

A présent, le moment était venu d'oublier Kalithi. Sa vie était ici, à Londres. D'ici un jour ou

deux, elle appellerait Olga et reprendrait le travail.

Mme Lang ouvrit la porte à l'instant où Jane pénétrait dans le jardin.

— Quelle surprise ! s'exclama-t-elle en embrassant sa fille avant de s'écarter pour la laisser

passer. J'ignorais que tu étais rentrée.

— Je suis arrivée hier soir. Veux-tu que nous nous installions dans la cuisine ?

Page 89: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Non, montons, nous serons beaucoup mieux.

La maison était tout en hauteur. Seules la cuisine et une des salles de bains étaient au rez-de-

chaussée. Les pièces à vivre se trouvaient au premier et au deuxième étage.

— Je viens de faire du thé. Monte devant. Je vais aller le chercher.

— As-tu besoin d'aide ?

— Tu plaisantes ! J'en ai pour une minute...

Avec un haussement d'épaules, Jane gravit l'escalier pour arriver dans le séjour qui donnait sur

le devant de la maison. La pièce était chaleureuse, avec ses tapis d'orient, ses rideaux de dentelle

et ses meubles polis recouverts de bibelots. Comme à chacune de ses visites, Jane ne put

s'empêcher de comparer la richesse du décor au dépouillement quasi spartiate de son propre

appartement.

Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que sa mère hésite à recevoir Lucy et sa petite famille,

songea-t-elle avec un brin de cynisme. En dépit de leurs efforts, chaque mouvement des enfants

risquait de déclencher une catastrophe.

— Assieds-toi, je t'en prie !

Sa mère venait d'apparaître, un plateau dans les mains. Elle le déposa sur la table basse devant

la cheminée. Il ne faisait pas froid mais, comme d'habitude, la pièce était surchauffée.

Jane s'installa dans un fauteuil et prit la tasse que sa mère lui tendait

— Alors, que deviens-tu ? lui demanda celle-ci après s'être assise à son tour. Je te trouve

mauvaise mine, enchaîna-t-elle après l'avoir regardée avec plus d'attention. Ton séjour ne t'a pas

réussi, il me semble.

— Tout s'est bien passé. Léo s'est montré très gentil.

— Et Demetri ? Il était là-bas, lui aussi ? Mais... attends... aux informations, ce matin, on a

parlé d'un pétrolier en feu en Méditerranée. Tu n'es pas au courant, je suppose ?

Jane se sentit pâlir.

Page 90: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Qu'ont-ils dit ? Il n'y a pas de blessés ?

Sa mère pinça les lèvres d'un air dédaigneux.

— En tout cas, le nom de Demetri n'a pas été cité. D'ailleurs, il n'est sûrement pas sur place.

Les hommes dans son genre évitent de prendre des risques !

— C'est faux ! protesta Jane. En fait, je suis au courant de l'accident. L'explosion a eu lieu la

veille de mon départ Demetri et son frère ont quitté Kalithi pour se rendre sur les lieux.

— C'est la raison de ton retour ?

— Pas du tout ! J'avais déjà prévenu Léo de mon intention de rentrer.

— Eh bien...

Avant de continuer, sa mère but une gorgée de thé.

— D'après ce que j'ai pu comprendre, le feu a été rapidement circonscrit. Le risque était

surtout pour les autres bateaux.

Incapable de parler, Jane hocha la tête. Ce n'était pas pour les bateaux qu'elle s'inquiétait, mais

pour les hommes, et en particulier pour son mari.

Il y eut un long silence que Mme Lang fut la première à rompre.

— Comment va M. Souvakis ?

— Pas trop mal. Naturellement, il est très faible et a beaucoup maigri, mais

intellectuellement, il n'a pas changé.

— Tu es sérieuse ?

— Oui, pourquoi ?

— Eh bien, il sait que Demetri et toi êtes en train de divorcer, n'est-ce pas ? Dans ces

conditions, il aurait pu se dispenser de t'inviter. Il ne comptait tout de même pas sur une

réconciliation entre son fils et toi !

Page 91: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Les mains tremblantes, Jane s'empressa de reposer sa tasse sur le dessus de la table.

— Non, bien entendu.

Sa mère lui lança un regard acéré et Jane sentit la couleur déserter son visage.

— Et toi?

— Quoi, moi ?

— N'avais-tu pas l'espoir que Demetri change d'avis ?

— Non!

C'était la stricte vérité. A son départ de Londres, elle n'avait aucune arrière-pensée.

— Je... C'est moi qui l'ai quitté, maman ! Pas l'inverse.

— Hum...

Sa mère ne semblait pas convaincue. Le moment était bien mal choisi pour lui parler du bébé.

— Quand es-tu censée reprendre ton travail ? s'enquit Mme Lang, inconsciente du malaise

de sa fille.

— Je ne sais pas... demain... ou après-demain. Je dois appeler Olga.

— Tu n'es guère enthousiaste !

— Eh bien... depuis quelque temps, je ne suis pas très en forme.

— C'est bien ce que je pensais ! s'écria Mme Lang d'un ton triomphant. Je te l'ai dit... déjà

avant ton départ, tu semblais fatiguée.

— Et, comme d'habitude, tu avais raison.

— Que t'arrive-t-il, au juste ? As-tu vu le médecin ?

Page 92: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Oui, je l'ai consulté avant de quitter Londres, admit Jane, résignée au pire.

— Et tu n'as pas jugé utile de m'en informer ! s'écria sa mère d'un ton vibrant d'indignation.

Tu as dû en parler à cette... cette Ivanovitch, puisque tu lui dis tout ! Evidemment, moi, je ne suis

que ta mère. Je ne mérite pas de savoir...

— Je suis enceinte !

Jane avait parlé sans même réfléchir, uniquement pour mettre un terme aux récriminations de sa

mère. Horrifiée, elle se tut, dans l'attente de ses réactions.

Cette fois, le silence dura plus longtemps. Sa mère reposa sa tasse d'un geste machinal puis

demanda doucement :

— C'est Demetri, je suppose ?

Vaincue, Jane se tassa dans son siège.

— Oui.

— Oh, Jane ! Depuis combien de temps le sais-tu ? C'est donc la véritable raison de ton

voyage en Grèce ?

— Non ! Demetri ignore tout. Il ne doit pas savoir. D'ailleurs, il s'apprête à épouser

quelqu'un d'autre.

Sa mère la dévisagea d'un air incrédule.

— Tu plaisantes ?

— Pas du tout !

— Mais, Jane, comment peux-tu lui accorder le divorce alors que tu portes son enfant ? Tu

as perdu la tête !

Jane poussa un soupir.

Page 93: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Maman, ma grossesse ne change rien à l'affaire... Depuis longtemps, il n'y a absolument

plus rien entre nous.

— Je n'arrive pas à te croire !

— Ce qui s'est passé entre Demetri et moi était une... une erreur... un simple accident. Cela

n'aurait jamais dû se produire.

— Alors, pourquoi, dans ce cas ?

— Oh, je ne sais pas...

Jane se félicita de n'avoir jamais parlé à sa mère des raisons qui poussaient Demetri à vouloir

divorcer.

— J'étais... je n'étais pas dans mon état normal et il... il a...

— ... profité de la situation.

— Non, pas vraiment.

— Alors, quoi ?

Devant l'insistance de sa mère, Jane se sentit rougir.

— Maman, je t'en prie ! C'est arrivé, c'est tout !

Sa mère l'observa avec plus d'attention.

— Mais... tu ne prends donc pas de précautions ?

— C'était un accident, je te l'ai déjà dit, répondit Jane avec franchise. Je n'ai pas été

raisonnable, mais à cette époque du mois, je croyais ne courir aucun risque.

— Grand dieux !

— Je sais, j'ai été stupide. Je m'en rends compte, à présent.

Page 94: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Je me demande combien de jeunes femmes se sont fait la même réflexion ! murmura

Mme Lang en se levant pour arpenter le salon. A vrai dire, Demetri est autant à blâmer que toi.

— Sans doute, mais tout comme toi, s'il était au courant, il rejetterait la responsabilité sur

moi, déclara Jane avec un haussement d'épaules.

— Même si...

— Maman, ce n'est pas le problème de Demetri, c'est le mien et ça le restera !

— Mmm... Cet homme semble avoir l'habitude de faire des enfants à tort et à travers.

Mme Lang hésita puis acheva plus bas :

— Comme s'appelle cette femme déjà... Ianthe... ? L'as-tu rencontrée, pendant ton séjour ?

— Je l'ai vue, oui.

— Et c'est elle qu'il s'apprête à épouser ?

— Non... En fait, le bébé est mort au bout de quelques jours, murmura Jane.

Sa mère leva un sourcil.

— Comme c'est pratique !

— Tu ne comprends pas ! s'écria Jane, qui éprouvait le besoin de défendre Ianthe. Elle a été

très affectée.

— Et Demetri ?

— Je suppose, mais il...

Jane se tut puis acheva plus bas :

— ... il continue à prétendre que le bébé n'était pas de lui.

Page 95: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Tu ne le crois pas, j'espère ?

— N... non...

— C'est déjà une chose ! s'écria Mme Lang sans chercher à cacher son soulagement. Alors,

que vas-tu faire ? Tu as l'intention d'élever seule cet enfant ?

— C'est une des possibilités, en effet.

— Comment ça, « une des possibilités » ? s'enquit Mme Lang avec vivacité. Tu n'as pas

vraiment le choix, il me semble ? Si tu ne veux pas de l'aide de Demetri...

Elle se tut puis, comme si l'idée venait de la frapper, elle reprit d'une voix tremblante :

— Tu ne songes pas à avorter, n'est-ce pas ? Je veux dire... rien ne presse. Pour ma part, je

serais heureuse de faire tout mon possible, et Lucy t'aidera, j'en suis sûre.

— Oh, maman ! s'écria Jane, des larmes pleins les yeux. Tu imagines un bébé chez toi !

— Si cela doit t'inciter à garder l'enfant, la question ne se pose pas, rétorqua sa mère d'un ton

ferme. D'ailleurs, il est bien temps que je me débarrasse d'une partie de ce fatras, reprit-elle avec

un coup d'œil à la pièce surchargée de meubles et de bibelots. Lucy n'arrête pas de me le répéter.

Et puis, n'oublie pas... Cet enfant sera mon petit-fils — ou ma petite-fille — au même titre que

Paul et Jessica.

— Oh, maman ! balbutia Jane en se levant pour prendre sa mère dans ses bras. Je t'aime, tu

sais.

— Il ne manquerait plus que ça ! A présent, bois ton thé avant qu'il ne refroidisse. Tu dois

prendre soin de toi. Ce n'est pas le moment de négliger ta santé !

Page 96: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

13

Debout devant la fenêtre ouverte, Demetri contemplait la mer à la lueur du couchant, lorsqu'il

entendit frapper à sa porte.

Il ne s'était pas encore changé pour aller dîner chez ses parents et poussa un juron. Pourvu que

ce ne soit pas Ariane, se dit-il tout en allant ouvrir. Il était déjà en retard et n'avait ni le temps ni

l'envie de se quereller avec elle. D'ailleurs, même s'il l'avait voulu, il aurait été incapable de lui

expliquer pourquoi, depuis la visite de son épouse, il ne lui avait pas fait l'amour.

Ce n'était pas elle, découvrit-il à son vif soulagement, mais un domestique venu le prévenir que

son père était là et désirait le voir. Son père ? Comment avait-il fait pour arriver jusque-là ? se

demanda-t-il en s'empressant de descendre.

— Papa ! s'écria-t-il en voyant son père affalé au fond du canapé. Tu n'es tout de même pas

venu seul ?

— Non, non, répliqua Léo en regardant son fils avec une tendresse mêlée d'irritation. Le

chauffeur m'a amené. Bien que...

Il se tut, reprit son souffle, puis poursuivit d'un ton plus ferme :

— ... bien que je sois encore capable de conduire, tu peux me croire !

— Je n'en doute pas, répondit Demetri.

Il ne voulait pas le contrarier mais, de toute évidence, le simple effort qu'exigeaient quelques

pas avait suffi à l'épuiser.

— Veux-tu boire quelque chose ? Tu prendras un peu de vin, peut-être ?

— Du vin ? répéta Léo sans enthousiasme.

— Tu préfères de l'ouzo ?

Demetri s'approcha du bar pour verser de l'eau fraîche sur un doigt de la liqueur anisée.

Page 97: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Est-ce à ton goût ? s'enquit-il en tendant à son père le verre embué où flottaient des

glaçons.

— Parfait ! Comme tu le sais, ta mère m'interdit les boissons fortes. Pourtant, si je dois

mourir, pourquoi s'acharner à prolonger mon agonie ?

— Tu n'es pas sérieux ! répliqua Demetri en s'asseyant en face de son père, les jambes

allongées devant lui. De toute façon, ce ne sont pas quelques gouttes d'alcool qui vont te faire

mourir.

— Quelques gouttes, hein ?

Léo leva son verre pour vérifier la teinte de la boisson puis, devant l'air soucieux de son fils, se

décida à sourire.

— D'accord. Je dois te dire merci, je suppose ? Mais, de temps à autre...

Demetri acquiesça d'un signe de tête. Rien d'étonnant à ce que son père soit parfois déprimé.

Néanmoins, s'il était venu jusque-là, ce n'était sûrement pas pour l'entretenir de sa santé.

— Alors... qu'est-ce qui t'amène ? Quelque chose ne va pas ?

— C'est à toi de me le dire.

Léo se tut pour boire une gorgée d'ouzo, puis jeta un coup d'œil à son fils avant de déclarer :

— Mmm... c'est délicieux !

Demetri fronça les sourcils.

— Qu'es-tu venu me demander ?

— Allons...

Léo attendit, mais comme Demetri gardait le silence, il se résigna à continuer.

— Ariane est persuadée que tu as changé d'avis et renoncé à l'épouser. En tout cas, c'est ce

qu'elle a raconté à ta mère.

Page 98: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Demetri se sentit rougir.

— Ariane ferait mieux de garder ses impressions pour elle.

— Ce n'est donc pas vrai ?

— Que j'ai changé d'avis ? Je n'ai rien dit de tel, répliqua Demetri, sur la défensive.

— Ou fait ? suggéra son père d'un ton sec. Comment dire... ? Ariane trouve que tu la

négliges.

Furieux, Demetri se leva d'un bond.

— Pour l'amour du ciel, qu'est-elle allée inventer ?

— Ai-je besoin de te mettre les points sur les « i », Demetri ? Et ne me dis pas que cette

affaire ne me regarde pas ! Contente-toi de me répondre : as-tu revu Jane depuis qu'elle a

regagné Londres ?

Cette fois, Demetri resta bouche bée.

— Mais non, tu le sais parfaitement !

— Je ne sais rien du tout.

— Tu le devrais, pourtant. Voilà trois semaines que je suis à Athènes pour régler les suites

de l'explosion sur l'Artemis. Quand aurais-je eu le temps de me rendre en Angleterre ?

— Et elle n'est pas venue te voir à Athènes ?

— Qui ? Jane ? Bien sûr que non !

— Très bien, je te crois.

Léo se tut pour tremper une nouvelle fois ses lèvres dans le liquide glacé.

— Encore une question. En as-tu eu envie ?

Page 99: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Envie de quoi ?

— De la voir, Demetri. De voir Jane. C'est une question très simple, pourtant.

Demetri poussa un juron. Ecartant le siège qu'il occupait précédemment, il marcha jusqu'au bar

pour se verser une copieuse rasade d'un malt de douze ans d'âge. Sans prendre le temps de le

savourer, il en but la moitié avant de se tourner vers son père.

— O.K., déclara-t-il en passant la main dans ses cheveux. Inutile de finasser. Qu'attends-tu

exactement de moi ? Je suis prêt à te dire tout ce que tu veux entendre. De cette façon, nous

gagnerons du temps.

L'expression de Léo se durcit.

— Inutile de monter sur tes grands chevaux, Demetri ! Contente-toi de répondre à ma

question. Ce n'est pas compliqué !

— En effet.

— Devant tes réactions, force m'est de constater que mes craintes étaient fondées.

— Mais non, pas du tout ! J'ai négligé Ariane, je le reconnais, mais tout va changer lorsque

je serai divorcé. Inutile de t'inquiéter.

En face de lui, Léo ne semblait pas convaincu.

— La visite de Jane n'a donc pas modifié tes sentiments pour Ariane ?

— Non !

Léo poussa un soupir.

— C'est bizarre... je n'arrive pas à te croire.

— Papa, en l'occurrence, l'important n'est pas ce que je ressens. Depuis déjà longtemps, Jane

a décrété qu'entre nous, tout était terminé. Tu le sais parfaitement.

Demetri se tut mais, comme son père gardait le silence, il reprit avec réticence.

Page 100: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— D'accord. Entre nous, il existe encore une forme d'attirance, je l'admets. Mais en ce qui

concerne Ianthe, jamais Jane n'acceptera de me pardonner. Pour le coup, j'en suis sûr !

— Tu pourrais lui dire la vérité.

— Elle ne me croirait pas. Elle ne m'a jamais cru.

— Parce que tu n'as jamais été totalement franc avec elle.

— Certes, mais si elle m'avait aimé, elle m'aurait fait confiance.

— Oh, Demetri, ne sois pas aussi borné ! Quelle aurait été ta réaction en apprenant que Jane

attendait un entant dont tu n'étais pas certain d'être le père ?

Demetri baissa la tête et but une gorgée de whisky.

— Je lui aurais accordé le bénéfice du doute... enfin, je l'espère.

— Quelle générosité ! Demetri, je te connais. Tu aurais été fou de rage et tu aurais refusé de

l'écouter.

Vexé, Demetri haussa les épaules.

— Tu as vraiment une piètre opinion de moi ! Donc, si je comprends bien, tu me

déconseilles de divorcer, c'est ça ?

U se tut, réfléchit un instant avant d'achever :

— Je croyais que tu avais de l'affection pour Ariane.

— J'aime beaucoup Ariane, en effet, répliqua son père avec impatience: Lorsque tu étais

jeune, je la considérais comme la femme idéale pour toi. Seulement, entre-temps, tu as rencontré

Jane. Dès la première minute, j'ai compris qu'elle serait le grand amour de ta vie.

— Quelle imagination ! Au début, elle ne me plaisait même pas !

— Peut-être, mais il suffisait de vous voir. Entre vous, l'atmosphère était chargée

d'électricité.

Page 101: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Mmm...

Demetri n'avait pas envie d'évoquer sa première rencontre avec Jane, mais ne put empêcher les

souvenirs d'affluer. En réalité, il avait été furieux de voir Léo parler d'art avec une fille à peine

assez vieille pour avoir achevé ses études.

En fait, sa fureur était essentiellement dirigée contre son père. Etait-il jaloux ? Oui, sans doute.

Il lui en avait voulu d'avoir réussi à attirer l'attention d'une jeune et jolie femme. Lorsque Léo

avait demandé à Jane de venir à son hôtel lui apporter le bronze qu'il venait d'acheter, il avait

proposé de passer lui-même à la galerie avant de quitter Londres.

Bien entendu, malgré son insistance, Jane avait protesté, l'assurant que cela ne lui posait aucun

problème. Olga Ivanovitch avait suivi sans intervenir cet échange de propos, mais, de toute

évidence, elle avait perçu la tension entre le père et le fils, et parfaitement saisi l'enjeu de la

discussion.

Au final, son père s'était incliné. L'air un peu déconfit, il avait accepté l'offre de Demetri. C'est

ainsi que, quelques jours plus tard, ce dernier était revenu à la galerie...

Le magasin était sur le point de fermer, il s'en souvenait. Le rideau de fer était à demi baissé et,

en ouvrant la porte, il avait eu l'impression qu'il n'y avait personne. Au même instant, Jane avait

surgi du fond de la boutique et, à sa vue, son cœur s'était affolé.

— Je regrette... nous sommes sur le point de fermer, avait-elle commencé avant de le

reconnaître. Oh, c'est vous ?

— En effet. Vous m'attendiez, je pense ? Mon assistant ne vous a donc pas prévenue ?

— Prévenue contre vous ? Etes-vous donc si dangereux ? avait-elle répondu, une lueur

amusée au fond de ses yeux verts.

— Dangereux, non, mais pressé, avait-il riposté, vexé de se sentir sur la défensive. Le... la

statue... est-elle prête ?

Elle avait soupiré et il avait eu honte de sa grossièreté.

— C'est prêt, avait-elle acquiescé en se dirigeant vers son bureau. Si vous voulez me suivre,

je vais vous la donner, ainsi que le certificat d'origine.

Page 102: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Merci.

Sans savoir pourquoi, il ne pouvait s'empêcher de se montrer brutal. Pourtant, il n'avait rien à

lui reprocher. Elle s'efforçait simplement de se montrer aimable. Pourquoi, en sa présence,

sentait-il se réveiller ses plus mauvais instincts ?

Le bureau était une petite pièce, avec des étagères sur tous les murs, un ordinateur et une

imprimante. La table de travail était recouverte de vieux sacs d'emballage.

— Pardon pour le désordre. J'ai entrepris de ranger et je n'ai pas encore fini de tout remettre

en place.

En hâte, elle avait débarrassé une chaise des papiers qui l'encombraient et avait proposé :

— Asseyez-vous. Je cherche les documents.

Elle semblait épuisée, avait noté Demetri sur le seuil de la porte. Et lui ne faisait rien pour lui

faciliter les choses. Sans réfléchir, il s'était avancé et avait soulevé le tas de sacs vides.

— Si vous me montriez l'endroit où je peux les déposer ? Vous y verriez plus clair...

Sous le coup de la surprise, elle avait écarquillé les yeux et souri, d'un sourire qui avait illuminé

ses traits. La première fois déjà, il l'avait trouvée séduisante, mais soudain, il était frappé par sa

beauté.

— C'est vraiment trop aimable mais ces sacs sont pleins de poussière. Vous allez vous salir.

— Ne vous inquiétez pas pour ça, avait-il assuré, oubliant qu'il portait un costume Armani.

Je mets tout ça dehors, n'est-ce pas ?

— Oui.

Elle avait hésité une fraction de seconde puis, voyant qu'il semblait réellement décidé à l'aider,

était passée devant lui pour lui ouvrir la porte. Au passage, elle l'avait effleuré. Ce très léger

contact avait suffi à enflammer ses sens. Inconsciente de son trouble, elle l'avait guidé le long

d'un étroit couloir qui menait à une porte, à l'arrière de l'immeuble. Contre le mur extérieur, il

avait aperçu une pile de sacs et de cartons.

Page 103: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Vous n'avez qu'à les mettre là, avait-elle déclaré en s'effaçant pour le laisser passer. Les

éboueurs les emporteront plus tard. Merci, merci beaucoup !

— Efkaristisi mou, avait-il répondu et, devant son absence de réaction, il avait continué en

anglais. Je vous en prie.

— Vous êtes très fort, avait-elle observé naïvement.

Pour la première fois depuis son arrivée, il lui avait souri.

— Vous êtes trop aimable. On ne me fait pas souvent ce genre de compliments.

Il aurait pu préciser qu'il n'avait guère l'habitude de travailler de ses mains mais avait préféré

s'abstenir, de peur de paraître prétentieux. Il s'était contenté de brosser le devant de son costume

pour tenter d'en ôter la saleté.

— Vous êtes trop modeste, avait-elle riposté.

Elle marchait devant lui et il avait pu la détailler à loisir. Grande et élancée, elle avait de

longues jambes, une taille fine, des fesses hautes et fermes. Ses cheveux, attachés lors de leur

première rencontre, étaient maintenant défaits et arrivaient plus bas que ses épaules.

Résistant à l'envie d'enfouir son visage dans la masse ondoyante aux reflets de miel et d'or, il

n'avait pu s'empêcher de se demander si elle avait un rendez-vous. A sa première visite à la

galerie, elle était en tailleur, mais cette fois, elle portait une robe extrêmement courte qui, tout en

mettant en valeur sa silhouette, semblait peu adaptée à ses activités...

Perdu dans sa contemplation, il ne s'était pas rendu compte qu'ils étaient revenus dans le petit

bureau.

— Les papiers doivent être par là, avait murmuré Jane en ouvrant un tiroir.

Appuyé contre le chambranle, Demetri l'avait longuement observée, séduit par son charme

discret. Inconsciente de l'examen dont elle faisait l'objet, elle s'était penchée, lui offrant ainsi une

vue plongeante sur son décolleté.

Page 104: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Une fois de plus, il s'était forcé à détourner les yeux. Que lui arrivait-il ? Cette fois, son père

n'était pas avec lui. Il n'avait donc absolument rien à se prouver. En outre, avec sa fortune et sa

position sociale, il n'était pas en manque de conquêtes féminines...

— Où est ce fichu papier ? avait-elle murmuré en ouvrant les tiroirs les uns après les autres.

Manifestement, elle n'avait qu'une envie, se débarrasser de lui. Une grande première pour

Demetri !

— Pourtant, il devrait être là ! Olga me l'a remis avant de partir... juste après le coup de fil

de voue secrétaire. J'étais sûre que... aie !

En l'entendant crier, Demetri s'était approché.

— Que se passe-t-il ? Vous êtes blessée ?

Un peu de sang perlait au bout de son index et, sans réfléchir, Demetri lui avait pris la main et

posé ses lèvres sur la minuscule coupure. Comme elle le dévisageait d'un air interloqué, il avait

cru bon de s'excuser.

— Je regrette, dit-il. J'ai eu tort de faire ça.

— Oui, vous avez eu tort ! avait-elle riposté, le ton vibrant d'indignation. Je ne sais pas

pourquoi j'ai crié, d'ailleurs. Ce n'est rien... Je me suis coupée avec une feuille de papier.

Tout en parlant, elle s'était reculée et regardait son doigt.

— Je vais mettre un pansement.

Demetri avait hoché la tête et s'était écarté pour lui permettre de prendre une boîte dans le

dernier tiroir de son bureau. Il avait du mal à comprendre son propre comportement. Il n'était pas

venu ici dans le but de la séduire, mais bien pour empêcher son père de se ridiculiser en

courtisant une femme en âge d'être sa fille.

Certes... ce n'était peut-être pas tout à fait vrai. S'il était là, c'est bien parce qu'il avait eu envie

de la revoir. Même dans son tailleur strict, elle lui avait fait une très forte impression.

Page 105: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Elle avait sorti un pansement de la boîte et, tout en ôtant le film de protection, elle lui avait

adressé un petit sourire contraint.

— Je n'arrête pas de me couper avec du papier. J'aurais intérêt à porter des gants !

— Et cacher de si jolies mains ? avait riposté Demetri en prenant le bout de sparadrap.

Laissez-moi vous aider, avait-il continué en le posant au bout de son index. Voilà ! N'est-ce pas

mieux comme ça ?

Jane avait regardé leurs doigts entrecroisés, puis haussé les épaules.

— Oui, merci. A présent, si vous le permettez, je vais chercher le bronze pour votre père.

Demetri avait lâché sa main. Sans la quitter des yeux, il avait murmuré :

— Si c'est ce que vous voulez...

— Mais vous, c'est bien ce que vous voulez ? avait-elle insisté, surprise par son attitude.

— Vous n’avez pas la moindre idée de ce que je veux vraiment.

Elle avait légèrement pâli puis, comme dans un rêve, elle avait pivoté pour marcher jusqu’à son

bureau.

Page 106: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

14

Comme malgré elle, très vite, ses yeux étaient revenus vers lui.

— Que voulez-vous, exactement ? avait-elle murmuré d'une voix mal assurée. Si vous

cherchez une aventure d'une nuit, je vous arrête tout de suite. Ce n'est pas mon genre.

Demetri n'avait pu s'empêcher d'être touché par sa naïveté.

— Ni le mien, avait-il rétorqué avec une feinte indignation. D'ailleurs, vous ai-je proposé de

sortir avec moi ? Non, n'est-ce pas ? Sauf erreur, je ne vous ai absolument rien demandé !

Elle avait rougi jusqu'à la racine des cheveux et il avait regretté de s'être montré brutal. Et puis,

elle n'avait pas tort, bien entendu. Il avait joué avec l'idée de la séduire et de l'attirer dans son lit

Etre percé à jour l'avait un peu vexé.

— Du moment que nous nous comprenons, avait-elle ajouté avant de poursuivre ses

recherches.

Au bout de quelques minutes, elle avait relevé la tête et s'était écriée d'un ton triomphant :

— Ah... le voilà !

Pour toute réponse, Demetri avait eu un sourire condescendant.

— Vous m'en voyez ravi.

— Pour vous, ce n'est peut-être pas important, monsieur Souvakis, avait-elle riposté en

rougissant de plus belle. Mais mon travail consiste à vérifier que tout est en règle. Votre père

n'aimerait sûrement pas acheter un objet de ce prix sans son certificat d'origine.

Demetri avait haussé les épaules.

— Vous avez très certainement raison. Mon père se soucie de ce genre de détails.

Collectionner les antiquités est l'une de ses passions. Pour ma part, tout cela me laisse

indifférent.

Page 107: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Dans ce cas, pourquoi êtes-vous ici ?

Cette fois, Demetri n'avait pu résister au désir de la toucher.

— J'avais envie de vous revoir, avait-il avoué en effleurant sa joue.

Elle avait rejeté la tête en arrière mais n'avait pas bougé.

— Vous venez de dire que vous ne vouliez pas coucher avec moi !

Moqueur, Demetri avait levé un sourcil.

— Il y a de nombreuses autres possibilités ! Vous n'avez jamais eu de petit ami ?

— Si, bien entendu Vous n'avez tout de même pas la prétention de devenir mon petit ami ?

— Non, avait-il admis. J'ai passé l'âge de me considérer comme un « petit » ami !

— Que voulez-vous, dans ce cas ?

— Dois-je vous faire un dessin ? J'aimerais mieux vous connaître. Ensuite, qui sait ? Si nous

nous plaisons, peut-être pourrons-nous envisager de coucher ensemble. Qu'en dites-vous ?

— Je le savais !

Tout en parlant, elle avait reculé et fixait sur lui des yeux dont le vert avait viré au noir.

— C'est tout ce qui vous intéresse, n'est-ce pas ? Pourquoi ne pas l'admettre ?

— Parce que ce n'est pas vrai ! Ai-je donc réellement l'air d'un coureur de jupons ?

— Je ne sais pas. Je ne vous connais pas, monsieur Souvakis.

— Justement. Avant de commencer à m'insulter, peut-être devriez-vous attendre de me

connaître mieux.

— Mais je ne veux pas vous connaître ! s'était-elle écriée, d'une voix de petite fille.

Page 108: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Vous en êtes bien sûre ? lui avait-il demandé.

Incapable de résister, il l'avait prise par le poignet et l'avait attirée contre lui. Il l'avait maintenue

fermement par la taille et avait plongé son regard dans ses yeux effrayés.

— En êtes-vous bien sûre ? avait-il répété.

Tétanisée, elle était restée immobile une fraction de seconde puis, avec vivacité, elle avait libéré

une de ses mains et l'avait violemment repoussé.

— Lâchez-moi !

— Et si je ne veux pas ? avait-il murmuré, excité par le contact de ses jambes nues contre les

siennes. Que ferez-vous ? Vous êtes seule ici, vous me l'avez dit tout à l'heure.

— Cherchez-vous à me faire peur ?

— Non!

Honteux de son comportement, il s'était écarté.

— Si vous me donniez le bronze ? Ensuite, je partirai puisque, apparemment, c'est ce que

vous voulez.

— Oui.

Il avait cru sentir dans son ton un manque de conviction. Mais peut-être était-il victime de son

imagination ? Jusque-là, elle ne lui avait donné aucune raison de douter de sa sincérité.

Le paquet était beaucoup plus volumineux qu'il ne s'y attendait et, devant sa surprise, elle lui

avait demandé :

— Vous allez pouvoir vous débrouiller ?

— Pourquoi ? Vous me proposez de m'aider ?

Jane avait marqué un temps d'hésitation.

Page 109: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Si vous le désirez. J'ai l'habitude des objets encombrants.

— Et l'habitude, aussi, des clients encombrants ?

Il s'était exprimé d'un ton sec, et elle avait croisé les bras sur sa poitrine avant d'observer

timidement :

— Je vous ai vexé, n'est-ce pas ?

— Quelle importance ? De toute façon, nous ne nous reverrons jamais.

— Je n'aimerais pas que votre père me reproche mon manque d'amabilité.

— Je vois ! Tout est là, n'est-ce pas ? Vous craignez de perdre un bon client !

Vaincue, elle avait courbé les épaules.

— Je ne suis qu'une simple employée.

— Eh bien, ne vous faites pas de souci. Mon père serait ravi d'apprendre que vous m'avez

remis à ma place. Il me trouve beaucoup trop... comment dire... beaucoup trop arrogant.

A ces mots, elle n'avait pu s'empêcher de sourire.

— Mais vous l'êtes !

— Vos regrets n'ont pas duré longtemps !

— Sans doute parce que je vous aime mieux quand vous...

— ... quand je me conduis comme un imbécile ?

Elle avait retenu son souffle avant de lui répondre.

— Même si vous le vouliez, vous ne pourriez pas vous conduire comme un imbécile.

— Vous croyez ?

Page 110: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— J'en suis sûre.

— Même si je vous avouais que j'ai envie de vous embrasser ?

Prudemment, elle avait reculé d'un pas.

— Non... vous ne le feriez pas.

Tout en prenant le carton contenant la statue, Demetri avait acquiescé.

— C'est vrai, et c'est là où nos chemins se séparent. Auriez-vous l'amabilité de me tenir la

porte ? Ma voiture est garée juste devant la boutique...

— Oh... volontiers ! s'était-elle écriée en venant le rejoindre. Vous allez sûrement avoir une

amende.

— Je n'en mourrai pas, avait-il répliqué en descendant prudemment les marches du perron.

Vous aviez raison, avait-il continué, une fois arrivé devant un énorme 4x4.

— Oh...

Jane l'avait suivi et s'était empressée de saisir le papillon glissé sous l'essuie-glace.

— Je vais le donner à Olga. Elle fera le nécessaire.

Après avoir mis le paquet dans son coffre, Demetri s'était retourné.

— N'y pensez plus. Je m'en occuperai.

— Mais vous ne pouvez...

— Vous voulez parier ?

Jane s'était mordu les lèvres avant de remarquer :

— Tout ceci ne serait pas arrivé si vous ne m'aviez pas aidé à débarrasser mon bureau. En

réalité, tout est de ma faute.

Page 111: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Quelle importance ? avait-il déclaré en lui prenant le papillon des mains avant de le

froisser et de le jeter dans le caniveau. Je vais m'en occuper.

Cette fois, elle avait eu l'air interloqué.

— C'est ainsi que vous traitez vos contraventions ?

— Uniquement celles qui me sont infligées pour être venu en aide aux belles dames en

détresse, avait-il répondu d'un ton moqueur. Ne vous faites pas de souci.

— Vous êtes si... si...

— Si bête ? avait-il suggéré. Oui, je sais.

— Vous n'êtes pas bête du tout !

— Peut-être, mais je ne vous plais pas.

Elle avait rougi. Elle n'était pas aussi sûre d'elle qu'elle semblait le paraître, avait-il compris. A

cet instant, s'il l'avait voulu, il aurait facilement pu la tenir à sa merci. L'avenue était déserte et

l'obscurité commençait à tomber.

Il n'avait pas l'intention d'abuser de la situation, cependant II ne tenait pas à détruire le lien

fragile qui commençait à se tisser entre eux. Lorsqu'elle avait posé ses mains sur ses épaules et

s'était dressée sur la pointe des pieds pour effleurer ses lèvres, il fut donc très surpris.

— Je n'ai jamais dit que vous ne me plaisiez pas !

Stupéfait, Demetri était resté sans voix. Son baiser était bref, quasi impersonnel mais il sentit

qu'elle était bouleversée. Le visage consterné, elle s'était reculée, prête à courir se réfugier à

l'intérieur de la galerie. Les yeux rivés aux siens, elle semblait attendre qu'il la rassure et lui

affirme qu'il ne s'était rien passé.

— En définitive, j'ai dû faire quelque chose de bien, avait-il observé d'un ton nonchalant.

— J'ignore ce qui m'a pris !

Page 112: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Un homme bien élevé n'aurait pas insisté, mais Demetri était à bout de patience. La coupe était

pleine, à présent ! Qu'avait-elle imaginé ? Qu'il était de bois ? s'était-il demandé avant de

l'enlacer.

— Moi, je le sais. Laissez-moi vous montrer...

Sans attendre sa réponse, il l'avait embrassée comme il rêvait de le faire depuis son arrivée. Une

main derrière sa nuque, il avait pris ses lèvres, les avait écrasées sous les siennes, l'empêchant

presque de respirer.

Au début, elle avait tenté de résister en s'appuyant contre le capot de la voiture mais, très vite,

elle s'était laissée aller de tout son poids contre lui.

A son contact, il avait eu l'impression d'être suspendu entre l'enfer et le paradis. Le paradis,

parce qu'il la désirait comme jamais il n'avait désiré aucune femme avant elle. L'enfer car, même

si elle avait été consentante, il n'était pas question de la prendre, là, dans la rue. Il hésitait à

retrousser sa jupe lorsqu'il avait senti sa main se poser sur lui dans une légère caresse.

— Theos, avait-il balbutié, pris au dépourvu par son initiative.

Même ses fantasmes les plus extravagants ne l'avaient pas préparé à un tel tourbillon de

sensations. Au contact de ses doigts, il avait eu l'impression de devenir fou.

Tout, en elle, l'attirait : sa peau, l'odeur de ses cheveux... Il aurait voulu être nu avec elle, la

tenir étroitement enlacée, se perdre en elle et oublier tout ce qui l'entourait.

Que faire ? s'était-il demandé. Il ne pouvait tout de même pas lui proposer de l'accompagner à

son hôtel ?

Une fois de plus, elle l'avait étonné.

— Rentrons, avait-elle dit en reprenant son souffle. Il est temps de fermer la galerie et... il y

a un sofa dans le bureau d'Olga...

Leur histoire avait commencé de cette façon, se souvint Demetri. En dépit de sa fougue, Jane

n'avait connu qu'un homme avant lui, il le découvrit rapidement. Elle était gauche et manquait

d'expérience mais était adorable de fraîcheur et de naïveté. Avant lui, elle n'avait jamais éprouvé

de plaisir, lui avait-elle avoué. Elle était convaincue que le sexe offrait peu d'intérêt.

Page 113: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Il n'avait pas tardé à lui prouver le contraire. La première fois où ils avaient fait l'amour, il avait

dû lui faire un bâillon de sa bouche pour étouffer ses cris. L'expérience les avait laissés éblouis et

il n'avait eu de cesse de la renouveler.

Bien entendu, tout n'avait pas été facile. D'emblée, la mère de Jane ainsi que sa propre mère

s'étaient opposées à leur union. La mère de Jane ne lui faisait pas confiance, et Maria ne

comprenait pas qu'il puisse envisager d'épouser une Anglaise.

Leur enthousiasme avait balayé les obstacles, cependant Même Jane avait été surprise de la

rapidité avec laquelle il l'avait demandé en mariage. Ils avaient passé leur lune de miel dans les

Caraïbes, de longues journées à flâner au soleil sur une île privée, suivies de nuits encore plus

longues passées à faire l'amour. Comme il l'avait aimée ! Et comme il l'aimait encore !

— Tout va bien, Demetri ?

La voix de Léo le rappela à la réalité. Perdu dans ses pensées, il n'avait pas vu le soleil se

coucher et en avait presque oublié la présence de son père.

— Je te prie de m'excuser, répondit-il en allant se verser un deuxième whisky. J'étais en train

de réfléchir, c'est tout.

— Tu pensais à Jane ?

Demetri lança à son père un coup d'œil irrité.

— Comme si j'avais le choix. !

— Vraiment ?

— Restons-en là, si tu veux bien, papa. Si nous poursuivons cette conversation, nous

risquons de prononcer des mots que nous regretterons. Je n'ai pas envie de me disputer avec toi.

— Pourquoi ? Dis-moi la vérité, je suis de taille à tout entendre. Sois franc avec moi...

Pourquoi as-tu accepté de divorcer de Jane pour épouser Ariane ? Est-ce uniquement pour me

donner un petit-fils ?

Excédé, Demetri ne put s'empêcher de soupirer.

Page 114: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Papa...

— Réponds-moi, s'il te plaît !

— D'accord. C'est un élément qui a pesé dans ma décision, je ne peux pas le nier.

— C'est ta mère qui t'a influencé, n'est-ce pas ? C'est aussi elle qui m'a fait croire que tu étais

amoureux d'Ariane, et elle encore qui a persuadé Stefan que je n'accepterais jamais l'enfant qu'il

pourrait avoir avec son compagnon.

— Tu veux dire... Stefan et Philippe ?

— Oui.

Léo hocha la tête et lui tendit son verre.

— Avant d'aller plus loin, sers-moi un autre verre. Que cela plaise ou non à ta mère, toi et

moi, nous avons à parler.

Page 115: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

15

Jane était seule lorsque Alex Hunter poussa la porte de la galerie.

L'espace d'un instant, elle crut qu'il s'agissait de Demetri et sentit son cœur s'affoler. Depuis son

retour à Londres, six semaines auparavant, elle n'avait eu aucune nouvelle de lui. En dépit de ses

efforts pour se convaincre que tout était normal, elle ne pouvait s'empêcher d'être inquiète. Elle

avait même tenté de téléphoner à Kalithi pour s'assurer qu'il était sain et sauf mais, chaque fois,

elle était tombée sur Angelina. La mère de Demetri avait dû donner ses ordres et, après plusieurs

essais infructueux, Jane avait renoncé à appeler.

Depuis son retour, elle avait mis un terme à ses relations avec Alex. Mais elle avait eu beau lui

signifier son congé, il refusait de l'accepter. Il l'avait accusée de s'être moquée de lui et de lui

avoir laissé croire qu'elle l'aimait. C'était faux, naturellement, mais Jane avait renoncé à le

raisonner.

Au début, elle avait espéré pouvoir continuer à le fréquenter mais avait rapidement déchanté.

Pourtant, il était là alors qu'il n'avait aucune raison valable de venir à la galerie.

Si seulement, elle avait écouté Olga et était rentrée chez elle comme elle lui conseillait !

— Tu travailles beaucoup trop pour une femme dans ta situation, avait-elle remarqué avec

un coup d'œil éloquent.

Depuis qu'elle était au courant de sa grossesse, Olga était aux petits soins pour elle, même si,

comme sa mère, elle ne comprenait pas pourquoi elle refusait d'informer le père.

En fait, dès le départ d'Olga, Jane avait eu l'intention de fermer mais, au moment de baisser le

rideau, elle avait vu les cartons empilés dans un coin. Avant de partir, elle avait décidé de les

ouvrir pour en vérifier le contenu.

Elle le regrettait, à présent. Sans avoir positivement peur d'Alex, elle aurait préféré éviter de se

retrouver seule avec lui. Elle n'avait pas envie de lui annoncer qu'elle attendait un enfant, et tenta

de se dissimuler derrière le dossier qu'elle était en train de pointer.

Elle s'en voulait de se laisser ainsi impressionner et le salua avec une froideur inhabituelle chez

elle.

Page 116: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Bonjour, Alex. Si tu viens voir Olga, ce n'est pas de chance. Elle vient juste de sortir.

Alex haussa les épaules avec indifférence. Il était grand, mais avait des épaules étroites. Sa

maigreur lui donnait l'air d'un adolescent attardé.

— Peu importe. Je ne suis pas là pour elle.

— Oh, Alex... !

— Je sais... tu m'as dit que tu ne voulais plus me voir.

— Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit En fait je croyais que nous étions amis, mais

apparemment, je me suis trompée. Tu voulais davantage...

— Toi aussi... du moins avant de revoir ton ex-mari !

Jane poussa un soupir avant de rectifier :

— Pour le moment, c'est encore mon mari. En ce qui me concerne, tu n'es pas juste, Alex.

Mes relations avec Demetri n'ont rien changé à mes sentiments pour toi.

Alex lui lança un regard plein de ressentiment.

— Pourquoi es-tu sortie avec moi, dans ce cas ? Nous avons pourtant passé de bons

moments ensemble, il me semble ?

— En effet.

Jane croisa les bras sur sa poitrine sans lâcher son dossier.

— C'est juste... mais jamais je n'ai eu plus que de l'amitié pour toi, Alex. C'est pour cela que

j'ai préféré être honnête avec toi.

— Il n'y a pas longtemps, cela ne semblait guère te poser de problème !

— C'était avant que tu m'avoues ton amour, lui rappela Jane, de plus en plus mal à l'aise. Je

n'ai jamais eu l'intention de te blesser. Tu peux me croire.

Page 117: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Pourtant, tu l'as fait.

Tout en parlant, Alex s'était rapproché. Sans prévenir, il tendit la main et lui arracha le dossier

avant de le jeter violemment sur le sol.

— Bon sang, ne pourrais-tu pas poser ce satané dossier pendant que nous parlons ?

Les mains vides, Jane eut, soudain, l'impression d'être nue. Elle portait un pantalon en lin et une

blouse en coton froncée sous la poitrine. Ce n'était pas un vêtement de grossesse, car beaucoup

de jeunes filles en portaient également, mais habillée de la sorte, son ventre ressortait nettement.

— Tu es enceinte ! observa Alex, les yeux écarquillés. Demetri est au courant, je parie.

— Pas du tout !

Cette fois, Jane était en colère. Rapidement, elle traversa la pièce et se pencha pour ramasser le

dossier avant de continuer.

— Quoi qu'il en soit, ce ne sont pas tes affaires ! Tu ferais mieux de partir, à présent.

— Tu n'as pas prévenu Demetri ?

— Ai-je dit que le bébé était de lui ?

— Non, mais je suppose...

— Tes suppositions sont fausses, riposta Jane d'un ton sec. Pourquoi ne fais-tu pas ce que je

t'ai demandé ? J'aimerais que tu t'en ailles.

Sans paraître l'écouter, il insista encore :

— Et qu'as-tu décidé ?

— Pardon ? s'enquit Jane, sidérée par son l'audace.

— Tu vas épouser le père du bébé ? Quoi que tu dises, il s'agit bien de Demetri, non ?

Page 118: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Je t'interdis...

— Bien entendu, tu n'épouseras personne !

— Je suis déjà mariée, je te le répète. Bon... il est temps de fermer, à présent. Laisse-moi, s'il

te plaît.

Alex se rapprocha encore.

— Je t'en prie, écoute-moi ! Je veux seulement t'aider. Je t'aime. Même si tu m'as trompé, je

continue à t'aimer.

Jane aurait tout donné pour voir arriver un client et mettre ainsi un terme à la conversation.

Néanmoins, refoulant sa panique, elle s'efforça de s'exprimer posément.

— Je ne t'ai pas trompé, Alex. Je suis désolée de t'avoir blessé, mais toute cette discussion

est parfaitement inutile.

— Au contraire ! Pourquoi refuses-tu de m'épouser ? Je serais un bon père, j'en suis sûr.

Tous les enfants ont besoin d'un père, tu n'es pas de mon avis ?

Il avait perdu l'esprit !

— Mais je ne t'aime pas ! protesta Jane, totalement horrifiée.

— Je sais.

— Mais alors...

— Moi, je t'aime.

— Non, je...

— Je t'ai toujours aimée. Je t'ai aimée dès ma première visite à la galerie. Mme Ivanovitch le

sait bien. C'est elle qui m'a parlé de la manière dont ton mari t'avait traitée. Elle m'a conseillé de

me montrer patient...

Page 119: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Jane ferma les yeux. Olga et sa fâcheuse habitude de se mêler de ce qui ne la regardait pas ! Ses

conseils dataient sûrement d'un certain temps. Si elle avait été là, elle aurait pu raisonner Alex,

lui faire comprendre que tout avait changé.

— Je regrette, reprit-elle. Je suis extrêmement touchée, mais... je ne peux pas t'épouser.

— Pourquoi ?

— Tu sais très bien pourquoi.

— Non. Réfléchis... Tu ne m'aimes pas encore, mais un jour, tu m'aimeras.

— Non, Alex.

Elle s'était exprimée avec fermeté, mais Alex continua à avancer et posa la main sur son épaule.

— Allez... donne-moi une chance ! Laisse-moi te montrer...

— Non, Alex.

Elle se sentait franchement effrayée, à présent.

— Tu ne sembles pas te rendre compte de ta situation, continua-t-il en lui caressant le bras.

Une divorcée... Une mère célibataire... Peu d'hommes sont disposés à accepter l'enfant d'un

autre...

Il était tout contre elle et, en dépit de ses efforts pour le repousser, il réussit à l'enlacer.

— Laisse-moi veiller sur toi. C'est ce que tu désires, au fond.

— Non, Alex. Je t'en prie... Tu dois me laisser, maintenant !

— Je ne dois rien du tout ! rétorqua-t-il en l'acculant dans un coin de la pièce. Je suis libre de

faire ce que je veux. Qui va m'en empêcher ?

— Alex, pour l'amour de Dieu... !

Page 120: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Jane commençait à perdre espoir. Le cadre d'un tableau représentant le tsar de Russie lui rentrait

dans le dos, tandis que le carton du dossier qu'elle venait de lâcher lui meurtrissait la cheville.

D'un coup de pied, elle l'envoya dans les jambes d'Alex.

Il poussa un juron, vacilla et relâcha sa prise, ce qui permit à Jane de se dégager. Secouée de

sanglots, elle courut en direction de la porte.

Elle était au milieu de la pièce lorsqu'elle entendit la sonnette et distingua une silhouette

féminine à travers la vitre. Grâce au ciel, Olga était revenue !

— Vous êtes là ! s'écria-t-elle. Je vous en prie... Dites à Alex de me laisser tranquille !

— Alex?

La voix lui était inconnue et elle ferma les yeux, honteuse à l'idée de se donner ainsi en

spectacle. Puis elle releva la tête. En fait, elle connaissait cette voix ! Ianthe Adonides se tenait

devant elle, plus élégante que jamais, avec son collier de perles et son tailleur Chanel !

La famille Souvakis possédait une maison dans le quartier de Bloomsbury. Avec ses trois

étages, l'élégante demeure donnait sur Russel Square. Jadis, elle avait appartenu à un aristocrate ;

Demetri l'avait confié à Jane. A l'origine, il s'était réservé le sous-sol. Lorsqu'il était à Londres,

c'est là qu'il séjournait. C'est là aussi qu'il avait emmené Jane lorsqu'ils étaient devenus amants.

C'est encore là qu'il l'avait demandée en mariage. Ils étaient si heureux à l'époque ! Comment

avait-elle pu laisser sa jalousie détruire leur bonheur ? Pourquoi avait-elle refusé de lui faire

confiance ?

Elle demanda au chauffeur de taxi de la laisser au coin de Bedford Place et fit à pied le reste du

chemin. Elle se souvenait parfaitement de la maison. Il y avait de la lumière dans l'entrée, vit-elle

en approchant. Il y avait donc quelqu'un à l'intérieur. Ce n'était peut-être que la gouvernante, ou

bien encore Théo Vasilis. Il était à Londres, lui aussi, lui avait confié Ianthe.

La nuit commençait à tomber. Jane s'empressa de gravir les marches du perron et sonna à la

porte. En attendant qu'on vienne lui ouvrir, elle vérifia que sa veste était bien fermée. Dans

l'immédiat, elle préférait continuer à cacher sa grossesse à Demetri.

Page 121: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Elle eut l'impression d'attendre des heures et dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas s'en

aller. Que ferait-elle si Demetri refusait de lui parler ? Que se passerait-il si, contrairement à ce

qu’Ianthe lui avait affirmé, Ariane et lui étaient encore ensemble ?

Le bruit de la clé dans la serrure la fit sursauter. Aussitôt, la porte s'ouvrit pour laisser

apparaître une femme fraîche et rose, d'une trentaine d'années. A sa vue, Jane esquissa un

mouvement de recul. Etait-ce pour elle qu'Ariane et Demetri avaient rompu ? Dès que l'inconnue

se mit à parler, cependant, elle comprit son erreur.

— Puis-je vous renseigner ?

— Hum... M. Souvakis est-il chez lui ?

La femme fronça légèrement les sourcils.

— II vous attend ? Mademoiselle... Madame... ?

— ... Souvakis. Je suis... Mme Souvakis, l'épouse de Demetri.

Dominant sa surprise, l'employée parvint à murmurer :

— Je vous prie de m'excuser. M. Souvakis ne m'avait pas avertie de votre visite.

A cet instant, Jane fut tentée d'entrer sans plus attendre, mais Demetri et elle étaient séparés

depuis cinq ans. Cette femme ne la connaissait nullement.

— Je ne l'ai pas prévenu, admit-elle, un peu gênée. Où est Mme Grey ? poursuivit-elle,

désireuse de voir un visage familier.

— Mme Grey ? répéta la femme, qui semblait un peu plus rassurée. Vous connaissez Mme

Grey ?

— La gouvernante de M. Souvakis ? Oui, bien sûr. Est-elle encore ici ?

— Elle a pris sa retraite. Je suis Freda Sawyer. C'est moi qui la remplace.

— Je vois.

Page 122: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Soudain, une voix masculine demanda :

— Qui est là, Freda?

Jane eut un sursaut.

— C'est Théo ? Pouvez-vous lui demander de descendre ?

— Ce n'est pas M. Vasilis, mais Mme Souvakis..., commença la gouvernante.

Un bruit de pas dans l'escalier l'empêcha de poursuivre.

— Je dois partir bientôt, déclara Demetri en atteignant le hall. J'ai rendez-vous à...

A cet instant, il reconnut Jane et cessa de parler.

— Bonsoir, Demetri, réussit à balbutier Jane. Puis-je entrer, s'il te plaît ?

Demetri échangea un coup d'œil avec Mme Sawyer avant de préciser :

— Je vous présente ma femme.

Il recula d'un pas et, d'un geste, invita cette dernière à le suivre.

— Entre donc. Je m'apprêtais à sortir, mais si c'est urgent, je peux t'accorder cinq minutes.

— C'est urgent, confirma-t-elle. Comment vas-tu, Demetri ? Tu as l'air en forme, conclut-

elle au moment où la porte se refermait.

En réalité, il semblait épuisé, rectifia-t-elle mentalement. L'explosion de l'Artemis, la maladie

de son père l'avaient durement éprouvé. Léo Souvakis était encore en vie, lui avait confié Ianthe,

mais, de jour en jour, sa santé déclinait

Demetri ne se donna pas la peine de lui répondre. Evidemment il devait bien se douter qu'elle

n'était pas là pour s'enquérir de sa santé !

— Nous serons dans le salon, reprit-il, à l'intention de la gouvernante.

Page 123: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Il hésita une fraction de seconde, puis ajouta en se tournant vers Jane :

— Veux-tu du café ? Quelque chose de plus fort ?

— Euh... peut-être une tasse de thé, murmura-t-elle. A condition que cela ne te dérange pas...

— Du thé, Freda. Pour une personne. Si tu veux bien me suivre, enchaîna-t-il en montrant

l'escalier.

Avant de lui emboîter le pas, Jane eut une hésitation.

— Tu... tu ne vis plus au sous-sol ?

— C'est l'appartement de Freda et de son mari, à présent, répliqua Demetri d'un ton sec. II y

a des années que j'ai déménagé.

— Oh...

Occupée à observer tout ce qui l'entourait, Jane ne trouva rien à répondre. Cette partie de la

maison ne lui était pas familière. A la porte du salon, elle admira les murs tendus de soie, les

tableaux de maîtres, les chandeliers en cristal posés sur la cheminée en marbre, les canapés en

cuir et les tapis d'orient.

La pièce était immense. Une paroi coulissante permettait de moduler l'espace en fonction des

besoins. Lorsque le père de Demetri était à Londres, les Souvakis recevaient beaucoup. Jane se

souvenait encore des soirées qu'ils donnaient.

Elle se tourna pour parler à Demetri mais, déjà, il s'était écarté pour s'approcher du bar. Il avait

maigri. Des fils d'argent couraient dans ses cheveux noirs. Il aurait eu grand besoin d'aller chez le

coiffeur, remarqua-t-elle avec un certain étonnement.

— Alors ? dit-il en revenant vers elle, un verre de whisky à la main. Que me vaut l'honneur

de ta visite ?

Lentement, Jane traversa la pièce pour venir le rejoindre.

— L'honneur ? J'aimerais mieux « le plaisir ». Comment va ton père ? répondit-elle pour

retarder le moment d'aborder les véritables raisons de sa présence.

Page 124: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Aussi bien que possible, je te remercie. Mais rien ne t'empêchait de téléphoner pour

prendre de ses nouvelles.

Il se trompait, mais Jane n'avait pas envie de se lancer dans de vaines explications.

— Oh, Demetri...

En dépit de ses efforts pour se dominer, sa voix avait tremblé, et Demetri lui jeta un coup d'œil

glacial.

— Tu arrives sans prévenir et tu t'attends à être bien accueillie, alors que tu es partie comme

une voleuse de Kalithi !

— Mais... mais, non, pas du tout !

— Non ? Stefan et moi étions sur l'Artemis, tu le savais, pourtant. Nous étions en danger, tu

n'y as pas pensé ? Tu t'en moquais, je présume ?

— Pas du tout ! J'ai été très inquiète.

— Vraiment ?

— Mais oui, bien sûr ! Néanmoins...

Elle se tut, refusant de mettre en cause la mère de Demetri.

— Depuis mon retour, j'ai appelé plusieurs fois sans succès.

— Tu espères que je vais te croire ?

— C'est pourtant la vérité !

— Quelle est cette invention ? Tu as oublié le numéro de la maison ?

— Non, bien entendu, reprit Jane en soupirant. Angelina a peut-être mal compris...

Page 125: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

De toute évidence, Demetri mettait sa parole en doute. Désespérée, elle tenta une dernière fois

de se justifier.

— Ariane n'approuvait pas ma présence là-bas.

— Elle t'a fait une remarque ?

— N... on.

— C'est bien ce que je pensais.

— Demetri, je voudrais...

— Que veux-tu exactement ? s'enquit-il en terminant son verre avant d'aller se resservir. Tu

es ennuyée parce que les choses n'avancent pas ? Je n'ai pas contacté mon avocat, je l'avoue. Ces

derniers temps, j'avais d'autres soucis.

— Je sais, murmura-t-elle en se mordillant les lèvres. Vois-tu toujours Ariane ?

Elle avait parlé sans réfléchir, anxieuse de vérifier que Ianthe ne lui avait pas menti.

Furieux, il s'écarta du bar pour lui faire face.

— Pourquoi cette question ? Tu te moques pas mal de ce que je fais ou pas !

— C'est faux ! Je n'ai jamais cessé de me soucier de toi !

— Dans ce cas, tu as une étrange façon de le montrer ! riposta-t-il avec amertume. Si tu me

disais ce qui t'amène ? J'aimerais bien en finir, acheva-t-il en consultant sa montre. Je suis

attendu pour dîner.

— Ianthe est venue me voir.

Jane n'avait pas eu l'intention de se montrer brutale, mais tant pis, il ne lui avait pas laissé le

choix. Pourtant, devant son expression, elle se demanda si les aveux de Ianthe n'arrivaient pas

trop tard.

— Je n'y crois pas.

Page 126: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— C'est pourtant vrai. Elle... elle est venue à la galerie. Elle m'a appris que vous étiez

séparés, Ariane et toi.

— Depuis, le jour où je suis venu chez toi, il n'y a plus rien entre nous, riposta-t-il d'un ton

froid. Tu aurais pu t'en douter.

— Je... je ne comprends pas. A mon arrivée à Kalithi, Ariane m'a laissé entendre que...

— Que nous couchions ensemble ? Et toi, tu l'as crue, bien entendu ! Comme si j'avais

l'habitude de coucher avec toutes les femmes qui me font des avances !

Il se tut, but une gorgée de whisky, et conclut d'une voix sourde :

— Et tu prétends te soucier de moi ! Ce serait drôle si ce n'était pas si pathétique !

Page 127: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

16

Le retour de Mme Sawyer, qui apportait le thé, permit à Demetri de se calmer. Il avait envie

d'un autre whisky mais réussit à se dominer. Etant donné les circonstances, il avait intérêt à

garder les idées claires.

De son côté, Jane avait pris place près de la table où Freda venait de poser son plateau.

Néanmoins, elle ne fit pas un geste pour prendre sa tasse, nota-t-il alors que la gouvernante

quittait la pièce après avoir refermé la porte.

— Ianthe a dû te dire qu'elle était venue à Londres avec Théo Vasilis et moi ? s'enquit-il en

s'asseyant en face d'elle.

— En effet

Que faire ? Une fois de plus, il se retrouvait en position d'accusé. Etouffant un soupir, il lui jeta

un coup d'œil à la dérobée. Elle était particulièrement en beauté et rayonnait littéralement. Une

fois de plus, il regretta le gâchis qu'était devenue leur vie. Pour sa part, jamais il n'avait cessé de

l'aimer et de la désirer !

Elle s'était laissé pousser les cheveux, remarqua-t-il en la dévorant des yeux. Une mèche

bouclait souplement sur le revers de sa veste, comme une invitation à écarter son vêtement pour

la déshabiller.

Comme toujours, en sa présence, Jane sentit son cœur battre à coups redoublés. Demetri avait

toujours eu le pouvoir de la troubler... Et ce soir plus que jamais, maintenait qu'elle savait la

vérité et avait pris la mesure de sa propre stupidité.

— Ianthe est venue te voir à la galerie, c'est ça ? reprit-il.

— Oui...

Elle se tut et, au lieu d'en arriver au fait, se lança dans une foule d'explications :

— Heureusement, d'ailleurs... Alex était là... tu sais, Alex Hunter... à l'arrivée de Ianthe, la

situation menaçait de dégénérer.

Demetri fronça les sourcils.

Page 128: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Dégénérer ? Comment ça ?

— Oh... tu sais bien. Il... Alex a du mal à se résigner à ne plus me voir... je veux dire... en

dehors du travail. Si Ianthe n'était pas arrivée, il...

— Tu veux dire que cet... cet individu t'a harcelée ? s'écria Demetri en se relevant d'un bond.

Je vais aller le voir... je vais le tuer ! Comment a-t-il osé poser ses sales pattes sur ma femme ? Il

ne va pas tarder à le regretter !

Jane se leva à son tour et soutint son regard avant de lui demander :

— A propos... suis-je encore ta femme, Demetri ?

— Dans l'immédiat, oui, répondit-il, luttant contre l'envie de la prendre dans ses bras. Peu

importe, d'ailleurs. Cet homme saura qu'on ne peut impunément s'en prendre à ma famille !

— Il ne m'a pas vraiment harcelée, Demetri, mais il... il m'a fait très peur.

— Le salaud ! reprit Demetri en passant les doigts dans ses cheveux. Si je comprends bien,

je dois remercier Ianthe pour son intervention ?

— Oui.

— C'est paradoxal, non ?

— Sans doute...

Après avoir hésité un instant, Jane fit un geste en direction du canapé.

— Tu ne veux pas t'asseoir ? J'ai quelque chose à te dire.

— Et tu préfères me l'annoncer avec ménagement ?

— Non, mais...

— Je te préviens, Jane, si tu as l'intention de reprendre à ton compte les élucubrations de

Ianthe, je...

Page 129: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Pas du tout !

Tout en parlant, elle avait posé la main sur le bras de Demetri et sentit sa tension.

— Je t'en prie, Demetri ! Accepte de m'écouter.

Demetri ne put s'empêcher de regarder la main qui l'effleurait. Son contact lui faisait l'effet

d'une décharge électrique. Il avait tellement envie de la toucher qu'il avait du mal à respirer.

Néanmoins, il parvint à se dominer et murmura tandis qu'elle s'asseyait :

— Je t'écoute.

A son tour, il prit place dans l'angle opposé du canapé. En dépit de ses efforts pour l'éviter, il

sentait la chaleur de sa jambe et dut lutter pour arriver à se concentrer.

Quant à Jane, elle avait douloureusement conscience de la manière dont il la regardait. D'un

geste instinctif, elle posa la main sur son ventre pour trouver le courage de continuer.

Quelques jours plus tôt, elle avait passé sa première échographie et vu l'image de son futur

bébé. Sa mère l'avait accompagnée, mais Jane n'avait pu s'empêcher de regretter l'absence de

Demetri. Après tout, il s'agissait aussi de son enfant. Elle avait presque hésité à le prévenir, mais

elle le savait occupé à organiser son mariage avec Ariane et n'avait pas voulu le déranger.

— Eh bien ?

Demetri s'impatientait. Jane se pencha en avant pour prendre sa tasse et boire une gorgée de thé

avant de déclarer :

— Tu dois te demander ce que j'ai de si important à t'annoncer ?

— Crois-tu ? s'enquit-il d'un ton sarcastique.

— Je t'en prie, ne te moque pas de moi !

L'expression de Demetri s'assombrit,

— Comment suis-je censé me comporter ? Que cherches-tu exactement ? A me provoquer ?

Page 130: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Je ne cherche rien du tout, protesta Jane en jouant avec la ceinture de sa veste. Je... je ne

t'ai pas encore dit ce que Ianthe m'a raconté.

— Elle a dû t'annoncer qu'Ariane et moi ne couchions plus ensemble, je suppose ?

Choquée, Jane pinça les lèvres.

— As-tu vraiment besoin d'entrer dans les détails ?

— Voilà que tu t'exprimes comme ma mère, à présent ! Peu importe, d'ailleurs. De toute

évidence, ses révélations t'ont amenée à réviser ton jugement ?

— Oui...

— Bon... c'est déjà une bonne chose !

— Ecoute... toi-même, tu as admis avoir eu une liaison avec Ariane, observa Jane, sur la

défensive.

— Je ne suis pas un moine !

Demetri s'apprêtait à se lever lorsqu'elle l'arrêta en lui prenant le poignet. Même à travers la

manche de sa chemise, elle pouvait sentir la chaleur de sa peau et le battement de son pouls.

— Attends ! murmura-t-elle d'une voix entrecoupée. Ianthe m'a tout avoué. Je veux dire... au

sujet du bébé. Maintenant, je sais que... que le père était Yanis, pas toi.

Un bref instant, il resta immobile à la dévisager. Incapable de deviner ses pensées, elle se tassa

légèrement, redoutant sa colère.

— Ianthe a tout avoué ? se borna-t-il à répéter. Theos, pourquoi a-t-elle fait cela ?

Déconcertée, Jane humecta ses lèvres desséchées.

— Je... je ne sais pas trop. Peut-être parce que vous avez rompu, Ariane et toi ?

— Je ne vois pas le rapport !

Page 131: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Elle a dû penser que jamais tu ne parviendrais à trouver le bonheur en dehors de...

— ... en dehors de toi, c'est ça ? s'enquit-il avec un rire amer.

Cette fois, elle ne put le retenir lorsqu'il libéra son bras et se leva d'un bond.

— Mon Dieu ! Et maintenant, je dois te dire merci, je suppose ? continua-t-il tout en

marchant de long en large. Va au diable, Jane, je ne veux pas de ta pitié !

— Je n'ai pas pitié de toi, Demetri.

En fait, c'est plutôt elle qui aurait eu besoin de pitié, songea-t-elle en esquissant un pas dans sa

direction. Devant son regard furibond, elle s'arrêta à quelques pas de lui.

— Je t'en prie, écoute-moi ! J'ai été stupide, je l'avoue...

— Cette fois, je suis parfaitement d'accord avec toi !

— ... mais comment aurais-je dû réagir ?

— Tu aurais pu me faire confiance.

— Tu as raison, j'aurais pu, en effet. Avec le recul, tout paraît tellement simple ! Selon toi,

j'aurais dû te croire alors même que Ianthe t'accusait !

— Ianthe a menti.

— Maintenant, je le sais. A l'époque, personne — absolument personne, pas même ton père

— n'a jugé bon de me révéler la vérité !

D'un geste las, Demetri passa la main dans ses cheveux et murmura très bas :

— Pour mes parents, ce n'était pas facile.

Cette fois, Jane était en colère.

— Je m'en doute, figure-toi !

Page 132: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Yanis venait d'être admis au grand séminaire. Il risquait l'exclusion.

— Et il n'aurait pas pu y penser avant de coucher avec Ianthe ?

— Je suis entièrement d'accord avec toi, reconnut Demetri en lui jetant un rapide coup d'œil.

On ne peut pas excuser sa conduite.

— Sans parler de la tienne ! l'interrompit Jane. Et celle de la famille !

— Rien ne s'est déroulé comme prévu ! Ianthe n'était pas censée rejeter la responsabilité sur

moi.

Jane fronça les sourcils.

— Mais je croyais... personne n'a protesté.

Lentement, Demetri hocha la tête.

— Ma mère a tout fait pour éviter le scandale, je le crains.

— Comment ça ? Explique-toi !

— Oh... C'est tellement loin, maintenant...

— Ce n'est pas une réponse.

— Bon... d'accord. Dès le départ, ma mère était contre notre mariage, tu le sais ? Lorsque

Ianthe s'est confiée à elle, ma mère a persuadé mon père et Stefan de garder le silence pour

protéger Yanis. Cet été-là, Ianthe avait passé beaucoup de temps à la villa... Tu t'en souviens

sûrement ?

— Oui, et alors ?

— Alors ? Tu as déjà deviné, déclara Demetri d'un ton sans expression. J'ai dû me sacrifier.

J'ai été assez bête pour penser que tu m'aimais assez pour avoir confiance en moi.

— Tu aurais pu me dire la vérité, insista Jane. Au lieu de te contenter de répéter que tu

n'étais pas le père du bébé, tu aurais pu me parler de Yanis.

Page 133: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Tu as raison. J'aurais dû le faire, en effet, admit Demetri d'un air sombre. Seulement, à

l'époque, j'étais trop sûr de moi. L'idée que tu puisses douter de moi ne m'a pas effleuré !

Jane le dévisagea d'un air incrédule.

— Tu as vraiment cru que j'allais rester, accepter que tu m'aies trompée avec une autre

femme ?

— Evidemment ! C'est ce que font les gens lorsqu'ils s'aiment suffisamment. Ils essaient de

comprendre... de pardonner. A aucun moment, je n'ai pensé que tu allais me quitter ! J'étais sûr

de ton amour !

— Et tu avais raison, balbutia-t-elle, prête à pleurer. Avec le recul, je regrette d'être partie,

mais toi aussi, tu dois essayer de me comprendre. Ianthe prétendait que tu l'aimais et que tu

m'avais épousée par dépit. Selon elle, c'est pour cette raison que ta mère n'approuvait pas notre

union.

— Quel tissu de mensonges ! Je n'ai jamais été amoureux de Ianthe, elle le sait parfaitement!

Elle était folle de Yanis, elle le suivait partout comme un petit toutou ! En apprenant qu'il allait

devenir prêtre, elle a perdu la tête. Bon... Yanis était jeune. Il s'est senti flatté. Il n'a même pas

compris ce qui lui arrivait

— Si seulement tu m'avais dit la vérité !

— Si seulement tu m'avais informé de ton départ ! Tu imagines un peu mes réactions en

trouvant la maison vide au retour du travail ? D'après ma mère, ta décision était irrévocable.

Jane esquissa une moue désabusée.

— J'aurais dû me douter que ta mère était derrière tout ça !

— J'étais effondré. Sans mon travail, j'aurais fait une bêtise.

— Tu aurais pu venir à Londres et m'avouer la vérité.

— Oh, Jane ! s'écria Demetri en se laissant tomber dans un fauteuil près de la fenêtre.

Penses-tu que je n'ai pas tout tenté?

Page 134: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Attends... je ne comprends pas...

— Lorsque j'ai pris conscience que tu ne reviendrais pas, j'ai essayé de te joindre... plusieurs

fois. Mais, d'après ta mère et ce... cette Ivanovitch, tu refusais de me voir.

— Non, je...

— J'ai laissé plusieurs messages sur le répondeur de ta mère pour te demander un rendez-

vous. Je suis même venu rôder autour de la galerie dans l'espoir de te croiser mais, soit tu sortais

par la porte de derrière, soit tu t'arrangeais pour m'éviter...

— Je n'étais pas au courant, murmura Jane, qui avait pâli. A mon retour à Londres, j'ai vécu

chez ma mère, en effet, et j'ai repris mon travail à la galerie. Dans ces conditions, je ne vois

vraiment pas comment nous avons pu nous manquer. Oh... mon Dieu... je crois savoir,

maintenant.

A l'époque, Olga lui avait proposé de se rendre à New York. La perspective d'avoir à quitter

Londres après ce qui s'était passé ne la séduisait guère, mais pour ne pas décevoir Olga, elle avait

accepté.

En réalité, Olga et sa mère l'avaient manipulée, elle s'en rendait compte, à présent. Les deux

femmes s'étaient liguées pour la tenir éloignée de Demetri.

En quelques mots, elle mit ce dernier au courant de ses conclusions.

— Si je comprends bien, Ianthe et ma mère n'ont pas été les seules à vouloir nous séparer, se

borna-t-il à déclarer.

— En effet. Je suis tellement désolée !

— Moi aussi, reprit Demetri en cachant son visage dans ses mains. Dire que pendant tout ce

temps, je te croyais heureuse !

— Moi aussi, je pensais que tu l'étais, balbutia Jane.

Demetri releva la tête pour la dévisager.

— Comment as-tu pu croire une chose pareille ?

Page 135: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Pourquoi pas ?

Sans la quitter des yeux, Demetri observa d'une voix lasse :

— Bon, au moins, à présent, nous savons la vérité.

— Et tu ne vois rien d'autre à ajouter ?

— Que pourrais-je ajouter ? s'enquit-il sans chercher à dissimuler son amertume. Je ne sais

même pas ce que tu attends de moi. De la compréhension ? Des excuses ? Tu les as, mais en ce

qui me concerne, jamais je ne pourrai me pardonner.

— Oh, Demetri...

Incapable d'attendre plus longtemps, Jane se précipita pour s'agenouiller près de lui.

— Me pardonneras-tu un jour d'avoir douté de toi ?

Avant de lui répondre, Demetri l'attira à lui. Le front contre son épaule, il murmura d'une voix

étranglée :

— C'est moi qui ai besoin de ton pardon, aghapi. Si je n'avais pas été aussi stupide, jamais tu

ne m'aurais quitté !

— Si seulement j'étais restée, si seulement j'avais forcé Ianthe à tout m'avouer... Je n'ai

jamais cessé de t'aimer, tu sais. Même lorsque je croyais te détester, j'avais encore des sentiments

pour toi.

Demetri s'écarta légèrement pour la dévisager.

— C'est vrai ? J'ai du mal à te croire !

— Je suis incapable de te mentir, reprit-elle en prenant son visage entre ses mains avant de

l'embrasser. Tu me crois, à présent ?

Les yeux dans les siens, Demetri lui demanda encore :

— Tu veux bien revenir en Grèce avec moi ? Accepteras-tu de venir vivre à Kalithi ?

Page 136: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Si c'est ce que tu souhaites... si tu m'aimes...

— Si je t'aime?

D'un bond, Demetri s'était relevé pour la serrer contre lui.

— Je t'aime à la folie ! Pourquoi penses-tu que j'ai tellement tardé à demander le divorce ?

Pourquoi crois-tu que je t'ai invitée à venir passer quelques jours à Kalithi ?

— Mais ton père...

— Bien sûr, mon père avait envie de te voir, je ne dis pas le contraire. Mais au cours de ton

séjour, il a deviné mes sentiments pour toi. D'ailleurs, il a été furieux et m'a reproché mon

comportement... vis-à-vis d'Ariane, notamment.

— J'étais tellement jalouse d'elle ! murmura Jane en lui effleurant la joue.

— Tu avais tort. Il m'a suffi de te revoir pour l'oublier. Malgré tout, en revenant d'Athènes,

après l'explosion, l'annonce de ton départ m'a rendu fou de rage.

— Mais... ton père ne t'a pas dit... ?

— Tu n'es pas au courant ? A mon retour, mon père était souffrant... sans doute le choc

consécutif à l'accident... Bref, il a été alité quelques jours. Lorsqu'il a été remis, j'étais déjà rentré

à Athènes.

— A Athènes ?

— Oui. Sans toi, j'étais incapable de rester à Kalithi. Une fois de plus, c'est le travail qui m'a

évité de perdre pied. Stefan était très inquiet. Un moment, il a eu peur que je ne me rende malade

à force de boire et de faire n'importe quoi.

De nouveau, Jane lui effleura la joue du bout des doigts.

— J'ai été stupide.

Page 137: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Pas plus que moi, répliqua Demetri en glissant la main sous le col de sa veste pour lui

caresser le cou. Après ma visite chez toi, j'aurais dû tout te dire au sujet de Ianthe, mais tu avais

l'air si... distante... si sûre de toi... si satisfaite de ta vie.

— Oh, Demetri ! Il a suffi que tu me touches pour me faire perdre la tête ! Tu as bien dû le

comprendre, ce fameux jour, dans mon appartement ?

A cette évocation, Demetri ne put s'empêcher de sourire.

— Tu ne vas pas me croire, mais je n'avais pas d'idée préconçue en te rendant visite. A vrai

dire, je m'attendais plus ou moins à ce que tu me jettes dehors.

— Moi, te jeter dehors ?

— Au figuré, s'entend. J'étais sûr que tu serais ravie à la perspective de reprendre ta liberté.

— C'est vraiment ce que tu croyais ?

— Pour être tout à fait franc, je ne pensais pas grand-chose. C'est en te revoyant que j'ai

compris pourquoi ma mère insistait pour que je laisse mon avocat s'occuper du problème.

— Et moi donc ! murmura Jane. Lorsque tu as poussé la porte de la salle de bains, j'ai eu

l'impression que mon cœur s'arrêtait !

— Moi, je voulais seulement te serrer dans mes bras, répondit-il en enlevant sa veste.

Exactement comme je le veux maintenant, continua-t-il sans cesser de la regarder. Viens... je t'en

prie... laisse-moi te prouver mon amour...

— Mais... ton rendez-vous...

— Théo va s'en charger. Me crois-tu vraiment capable de te laisser maintenant ? conclut-il

en se penchant pour lui donner un baiser passionné.

Jane ne se souvenait plus très bien de la disposition des chambres. Elle n'avait que rarement

séjourné dans la demeure des Souvakis à Londres, car sa mère aurait été vexée si Demetri et elle

n'avaient pas accepté son hospitalité, lors de leurs rares séjours en Angleterre.

Page 138: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Ariane n'est jamais venue ici, murmura tendrement Demetri devant son désarroi. Quoi

que tu puisses en penser, notre histoire n'a jamais dépassé les frontières de Kalithi.

— En revanche, là-bas, elle a vécu chez toi, je suppose ? s'enquit Jane, inquiète à l'idée que,

d'une minute à l'autre, il allait remarquer sa silhouette épanouie.

— Non, reprit-il tout en lui mordillant l'oreille. Lorsqu'il m'est arrivé de partager son lit,

c'était chez mes parents.

— Je... je préfère que tu ne m'en parles pas. Je n'ai pas envie de t'imaginer en train de lui

faire l'amour.

— D'avoir des relations sexuelles avec elle, rectifia-t-il doucement. La seule femme à qui

j'aie fait l'amour, c'est toi.

— Eh bien, je... pour moi, il n'y a jamais eu personne en dehors de toi, avoua-t-elle dans un

souffle.

— Tu ne peux pas savoir comme cet aveu me comble ! s'écria-t-il d'une voix mal assurée. Je

suis égoïste, je sais, mais jamais je n'aurais supporté de te partager !

— Tu n'es qu'un affreux macho !

— Tu as raison. Peux-tu me pardonner ?

— Je vais y réfléchir, répondit Jane en levant la tête pour le regarder d'un air extasié. Oh,

Demetri, rends-loi compte... sans les scrupules de Ianthe, jamais nous ne nous serions revus !

Demetri effleura doucement sa poitrine avant de lui répondre.

— Je ne suis pas d'accord.

— Pourquoi ? Tu étais à Londres et, pourtant, tu n'as pas essayé de me contacter, non ?

— J'ai vu mon avocat, expliqua-t-il. Je lui ai dit que je renonçais à divorcer.

— C'est vrai ?

Page 139: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Oui. Je me suis dit que si tu souhaitais reprendre ta liberté, tu serais bien forcée de me

téléphoner.

— Mais... ton père ?

— Mon père est au courant de mes sentiments pour toi, avoua-t-il en écartant les bords de

son chemisier. Nous avons eu une longue discussion, lui et moi. Sans ma mère, jamais il n'aurait

imaginé que j'étais amoureux d'Ariane, continua-t-il en étouffant en soupir. Elle a également

raconté des bobards à Stefan... enfin, cela ne nous concerne pas...

— Elle a tout fait pour le décourager d'adopter un enfant avec son compagnon ?

Demetri fronça les sourcils.

— Comment es-tu au courant ?

— Stefan m'en a parlé. Nous avons sympathisé, pendant que tu étais à Athènes. Il était

blessé du peu de confiance que son père lui témoignait.

— Vraiment ? Eh bien, les choses vont changer. Elles changeront encore plus lorsqu'il

deviendra mon bras droit.

— C'est une idée de ton père ?

— Non, la mienne. A partir de maintenant, je refuse de mettre en péril notre relation ! Le

travail est parfait pour ceux qui n'ont rien d'autre dans leur vie, j'en ai pris conscience ces

derniers temps. Maintenant que nous sommes réunis, ton bonheur est ma priorité.

— Stefan acceptera ?

— J'en suis sûr. Rends-toi compte... Au cours de ton séjour à Kalithi, il a passé plus de

temps avec toi que moi-même !

Stupéfaite, Jane écarquilla les yeux.

— Mais... tu es jaloux !

Page 140: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Parfaitement ! Je suis terriblement jaloux, avoua-t-il en se penchant pour effleurer des

lèvres sa joue, puis son oreille, avant d'enfouir sa bouche dans le creux entre ses seins. Je te veux

tout à moi, conclut-il en la couvrant de baisers. Je t'aime, continua-t-il en la mordillant

légèrement. Se thelo... je te veux !

— Mon Dieu, Demetri, balbutia-t-elle en s'agrippant à lui.

Avec douceur, il se dégagea pour déboutonner sa chemise, puis la reprit tendrement contre lui.

Enivrée par son contact, par l'odeur de sa peau, Jane décida d'attendre encore un peu pour lui

parler du bébé...

Ils restèrent enlacés sans cesser de s'embrasser. Demetri aurait désiré prendre son temps pour

savourer chaque instant, mais il oublia vite ses bonnes résolutions. Il aimait Jane, il la voulait et

voulait la posséder. Dans l'immédiat, c'était tout ce qui comptait. Ils avaient l'avenir devant eux,

des mois et des années pour explorer la carte du Tendre sans se lasser...

Fou de désir, il l'entraîna jusqu'au lit puis, fébrilement, il se débarrassa de ses vêtements, tandis

que, de son côté, elle achevait de se déshabiller.

D'un seul coup de rein, il fut en elle. Il s'apprêtait à basculer sur le côté pour la caresser mais,

avec un soupir de volupté, elle s'accrocha à lui pour lui imposer son rythme et lui interdire de se

retirer.

Lentement, il sentit le plaisir les submerger. Cette fois, ils étaient seuls. Personne ne risquait de

venir les déranger. Ils avaient toute la nuit devant eux, cette nuit et toutes les autres...

Il faisait encore nuit lorsque Jane ouvrit les yeux. Il lui fallut un moment pour s'orienter mais,

déjà, Demetri avait allumé la lampe de chevet. Appuyé sur un coude, il l'observait depuis un bon

moment.

— Alors ? dit-il en se penchant pour effleurer ses lèvres. J'ai cru que tu ne te réveillerais

jamais.

Surprise par le contact de sa barbe naissante, Jane eut un petit sursaut.

— Quelle heure est-il ?

— Minuit et demie. Pourquoi ? Tu as faim ?

Page 141: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Faim ? répéta Jane, la main posée sur l'estomac. Je... Non... Pas spécialement.

— Tu es sûre ? insista Demetri en s'écartant pour prendre un verre de vin sur la table de

chevet. Tu n'as pas soif ? Je regrette, je n'ai pas de champagne, mais ce chardonnay est

délicieux...

— Euh...

Jane s'appuya contre les oreillers puis, en rougissant, tendit la main pour remonter le drap.

— Non, merci, pas pour moi.

Demetri fronça les sourcils, alerté par son ton.

— Que se passe-t-il ? Il y a un problème?

— Un problème ? Non... pas exactement.

Cette fois, Demetri était inquiet. Il reposa son verre, puis pivota pour s'installer plus

confortablement à côté d'elle. Sans réfléchir, elle tendit la main pour effleurer sa jambe et sentit

son désir revenir. Comme elle l'aimait ! Comment, par bêtise, avait-elle pu gâcher toutes ces

années ?

— Que se passe-t-il ? insista-t-il en lui prenant la main pour l'immobiliser. Je t'en prie, dis-

moi tout.

Jane eut une brève hésitation.

— Tu te souviens de ce que tu m'as dit... que tu me voulais tout à toi ?

— Oui, naturellement.

— Quelle serait ta réaction si je t'annonçais que, dans six mois, il y aura du changement ?

— Je... tu veux dire... tu veux que ta mère s'installe chez nous?

Cette fois, Jane ne put s'empêcher de rire.

Page 142: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

— Non... pas ma mère, idiot !

Elle se tut puis, lentement, repoussa le drap qui la couvrait.

— Tu n'as rien remarqué ? Tu ne trouves pas que j'ai un peu grossi ?

Demetri soutint son regard, puis baissa les yeux pour mieux l'examiner.

— Theos..., balbutia-t-il d'une voix tremblante. Tu es enceinte !

— Mmm... Qu'en penses-tu ? lui demanda Jane sans parvenir à cacher son anxiété.

— Ce que j'en pense ? s'écria Demetri en s'agenouillant près d'elle pour mieux la

contempler. Ce que j'en pense ? répéta-t-il. Je suis... je suis... sous le choc ! Quand avais-tu

l'intention de me l'annoncer ? acheva-t-il en secouant la tête comme pour s'éclaircir les idées.

— Comment aurais-je pu t'avertir ? Tu t'apprêtais à épouser Ariane...

— Jane, tu sais très bien pourquoi j'envisageais de l'épouser !

— Je sais, mais... étant donné les circonstances... je n'aurais pas voulu que tu me soupçonnes

de te manipuler. Je ne voulais pas gâcher une deuxième fois ta vie.

— Et d'après toi, ignorer que tu attendais un bébé n'aurait pas gâché ma vie ? Theos, un

bébé! Je vais être bientôt père ! Je n'arrive pas à le croire !

— Mais tu... tu n'es pas fâché ? murmura Jane d'une toute petite voix.

Demetri prit son visage entre ses mains et lui donna un baiser passionné.

— Fâché ? Tu plaisantes ? Je suis... je suis... fou de joie ! Ma femme ! Mon enfant ! Je n'ai

plus rien à désirer ! Grâce à toi, je suis le plus heureux des hommes !

Page 143: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Epilogue

Nicolas Demetri Leonides Souvakis vint au monde le jour de la saint Valentin. Il pesait un

peu plus de quatre kilos et, malgré sa fatigue, Jane le présenta à sa belle-famille avec un sourire

de triomphe.

Demetri ne l'avait pas quittée pendant les longues heures qu'avait duré son accouchement. Elle

avait tenu bon pour éviter la césarienne, et tout fait pour que son mari soit le premier à accueillir

son enfant à son arrivée au monde.

Grâce au ciel, Léo était encore parmi eux. Le retour de Jane à Kalithi, l'annonce de sa grossesse

avaient semblé lui donner un second souffle. Et, en dépit de ses préventions, la mère de Demetri

n'avait pu cacher sa fierté en apprenant qu'elle allait bientôt être grand-mère.

Stefan aussi avait été très heureux. Aussitôt après avoir vu le bébé, il était parti à Londres pour

chercher la mère et la sœur de Jane.

De son côté, Olga avait envoyé un message de félicitations. Elle pensait venir voir le bébé à

l'occasion d'un de ses voyages en Grèce et espérait que Jane reprendrait son travail à Kalithi.

Après avoir rendu visite à Jane et au bébé, Mme Lang et Lucy étaient rentrées à la villa.

Comme tous les invités, elles logeaient chez les parents de Demetri. Sa belle-fille avait besoin de

repos, avait précisé Maria Souvakis, faisant preuve de bon sens pour la première fois de sa vie.

C'est ainsi que, tard dans la soirée, Jane et Demetri se retrouvèrent enfin seuls. Vêtue d'une

longue chemise de nuit de soie ivoire, Jane accueillit son mari avec un grand sourire. En dépit de

l'heure tardive, elle semblait reposée et positivement radieuse.

— Tu n'es pas trop fatiguée ? lui demanda-t-il en venant s'asseoir sur le bord du grand lit.

— Un peu, admit-elle. Mais ne t'inquiète pas, tout, va bien. Et toi ? Tu n'as pas envie de te

coucher ?

Demetri haussa les épaules.

— Si, mais je n'aime pas dormir seul.

— Rien ne t'y oblige, dit-elle en s'écartant pour lui faire de la place. Viens...

Page 144: Le Jardin d'Eve - Jane s'efforçait de respirer calmement, dans …le-jardin-d-eve-azur.e-monsite.com/medias/files/l-enfant... · 2018-03-19 · 1 Aussitôt rentrée, Jane se dirigea

Demetri hésita puis consulta la pendule.

— Tu as besoin de te reposer.

— Toi aussi. J'aimerais que tu restes avec moi, Demetri. Moi non plus, je n'aime pas dormir

seule.

Demetri l'observa pendant un long moment, puis se releva et commença à se déshabiller.

Comme il semblait vouloir conserva son caleçon, Jane lui fit un clin d'œil.

— Tu ne vas tout de même pas coucher tout habillé ?

Au moment où il venait la rejoindre, elle ajouta d'un ton malicieux :

— Je ne sais pas ce que pensera la nurse, demain, en amenant Nicolas pour sa tétée, mais

tant pis ! Au pire, elle sera jalouse de moi, conclut-elle en l'étreignant après avoir éteint la lampe

de chevet.