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Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.) Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ? 2012 Dossier

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Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2011 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2012 interroge l’un des enjeux majeurs de nos sociétés contemporaines : l’agri-culture. Longtemps restée écartée des politiques de développement, celle-ci fait un retour en force sur le devant de la scène internationale. Mais si l’évidence d’un besoin d’investissements massifs dans le secteur agricole est aujourd’hui reconnue, d’im-portantes controverses demeurent. L’agriculture peut-elle être un moteur du déve-loppement ? Peut-elle assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale qui vient de franchir le cap des 7 milliards d’individus ? Comment concilier la produc-tion agricole avec les exigences du développement durable ? Un nouveau modèle doit-il être inventé ? Entre intérêt récent des investisseurs, débat sur les modèles de productions inscrits dans des réalités physiques, climatiques, environnementales et sociales et réflexion sur nos modes de consommation et d’alimentation, l’agri-culture, qui cristallise tant les espoirs que les résistances à la mondialisation, est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de gouvernance mondiale.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

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25,40 € Prix TTC France6951305ISBN : 978-2-200-27528-0

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur le terrain dans plus de 50 pays et dans 9 départements et collectivités d’outre-mer, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agri-culteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2010, l’AFD a consacré plus de 6,8 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 13 millions d’enfants, l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 33 millions de personnes et l’octroi de microcrédits bénéficiant à un peu plus de 700 000 personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 5 millions de tonnes de CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Pierre JACQUET, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts et membre du Cercle des économistes, est chef écono-miste de l’Agence française de développement (AFD). Il est aussi président du département d’économie, gestion, finances et professeur d’économie internatio-nale à l’École des Ponts-ParisTech. Il est notamment administrateur de l’Institut français des relations inter-

nationales (IFRI), de l’Institut de la gestion déléguée (IGD) et de Proparco. Il a appartenu entre 1997 et 2006 au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre. Il écrit une chronique mensuelle sur les acteurs du développement dans Le Monde de l’économie.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Ins-titut du développement durable et des relations inter-nationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions de l’environnement de 1997 à 2002, elle a

été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étran-gères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute at Columbia University, Oxford Martin School). Elle est également membre de l’India Council for Sustainable Development et du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies e.V. (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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Les pays développés, politiques et opinions confondues, obnubilés par leurs propres ajustements structurels et soucieux des coûts de leurs opéra-tions militaires sur d’autres théâtres,

n’ont mobilisé que parcimonieusement les ressources demandées par les organisations multilatérales et les ONG pour la population somalienne en 2011. Cette faible mobilisation témoigne peut-être d’un sentiment d’impuis-sance et d’une incompréhension face à une situation des plus complexes. En effet, dans la crise actuelle de la Corne de l’Afrique, il est bien diffi cile de dire le poids relatif de la géopolitique régionale, des fractures internes à la société somalienne, de la destruction des économies pastorales 1, agricoles et marines et de la sécheresse. Certes, reconnaître la diver-sité des causes et admettre qu’elles se nour-rissent les unes des autres n’est pas suffi sant, mais cela n’en reste pas moins nécessaire.

Des Afriques, des crisesD’une manière générale, l’expression « crise alimentaire » est beaucoup trop simpliste pour décrire la réalité. Au-delà des aléas climatiques, chaque crise doit être analysée au regard de l’histoire des communautés, de leurs relations avec leur environnement, de

1. On a pu dire dans un passé récent que l’embargo sanitaire sur les exportations de bétail somalien vers les pays arabes avait contribué aux tensions entre clans.

Crises alimentaires en Afrique : causes climatiques ou politiques ?

leur insertion dans les États modernes et de leur participation aux échanges mondiaux. Les crises qu’a connues l’Afrique au cours des six dernières années en témoignent. Dans la Corne de l’Afrique même, il faut distinguer les crises qui affectent de manière cyclique les écosystèmes et les sociétés pastorales (2000, 2011) des crises qui affectent les zones densément peuplées des hauts plateaux abyssins (1973, 1984, 2000). Les crises sahé-liennes des années 1970 et 1980 étaient pluviométriques, avec des conséquences à la fois pastorales et agricoles. Les mouve-ments sociaux et politiques qu’ont connus les capitales africaines – au nord et au sud du Sahara – depuis 2008 ont été provoqués par des hausses importantes et subites des prix des aliments et de l’énergie. En Afrique australe, c’est une crise politique induisant une hyperinflation sur fond d’inégalités agraires qui a été à l’origine d’une crise alimentaire au Zimbabwe (2004).

Il faut donc éviter toute forme totalisante d’incompréhension de « la crise alimentaire », qui conduit souvent à une incompréhension de « l’Afrique » en général. « Les » Afriques connaissent « des » crises. Ni plus ni moins que les autres aires régionales d’ailleurs, si on veut bien prendre un peu de recul et consi-dérer la taille, la géographie, les dynamiques démographiques et le poids de la période coloniale sur l’histoire contemporaine du continent africain.

Jean-Luc FRANÇOIS, AFD

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Mobilité et adaptation des sociétés pastoralesLes sociétés pastorales des zones arides et semi-arides qui traversent l’Afrique d’est en ouest, sur les deux tropiques, sont structu-rées de telle façon qu’elles peuvent surmonter d’importantes variations dans les ressources en pâturage et en eau. Outre la domestica-tion des espèces et la sélection des races d’ani-maux, elles ont développé deux types d’adap-tation aux aléas du climat, qui structurent leurs relations sociales, internes et externes : la mobilité et les échanges de bétail. La mobi-lité s’exerce entre des territoires quasi exclu-sivement pastoraux (zones les plus arides) et des territoires agricoles (mieux arrosés) pour lesquels des accords doivent être passés entre éleveurs et agriculteurs. Les trajectoires et l’ampleur des déplacements des troupeaux sont aussi variables que le climat est aléatoire. Cette mobilité va de pair avec des traditions de commerce sur de grandes distances. L’autre solution est la répartition des animaux entre différents troupeaux. Grâce à un système de prêts et de gardiennages dans le cadre d’al-liances tribales, claniques et familiales, il est possible de répartir le risque d’une disparition complète du cheptel familial en le distribuant sur de très grands espaces.

Les États et les économies modernes ne savent pas intégrer ces mécanismes à leur stratégie de développement. D’une part, la sédentarisation est un leitmotiv des politiques agricoles et les frontières modernes ignorent les rationalités pastorales. Il en résulte toujours un appauvrissement des pasteurs. Et autour des zones de sédentarisation, les parcours sur lesquels les troupeaux sont concentrés se dégradent irrémédiablement. D’autre part, l’exploitation agricole des zones humides (irri-gation le long des fl euves, drainage des maré-cages, mise en culture des savanes) empêche les étapes pastorales de saison sèche. Enfi n, les solidarités sont affaiblies par le creusement des écarts de statut entre éleveurs et commerçants des mêmes communautés ; la marginalisation politique et sociale des premiers étant accélé-rée par la diffi culté à scolariser leurs enfants. Cependant, les politiques pastorales mises en

œuvre par plusieurs pays 2 au Sahel montrent qu’il est possible de construire de nouveaux accords de mobilité, en reconnaissant les terroirs et les itinéraires pastoraux, en bornant – physiquement – leurs contours, en soute-nant des institutions locales de prévention et règlement des confl its, en renforçant les liens entre éleveurs et agriculteurs, en organisant la scolarisation des enfants et, enfi n, en donnant accès à des terres cultivables et irrigables à une partie des familles. Bref, en changeant la vie des éleveurs sans les marginaliser ni les séden-tariser totalement. Ce sont des enjeux pour les pays de la Corne de l’Afrique.

Peuplements et migrationsMais cette région a d’autres défi s à relever. Sur les hauts plateaux abyssins, comme partout où les exploitations agricoles sont trop petites pour permettre une épargne et où, en bonne année, la production suffi t à peine à nourrir la famille, tout accident naturel (sécheresse, ravageurs, inondations) ou événement poli-tique peut s’avérer dramatique. La diversité des cultures, leur association, leur succes-sion, les qualités de précocité et de résistance de chacune des variétés, la répartition des parcelles dans le terroir pour tirer avantages des sols, de l’ensoleillement, de l’altitude, de l’écoulement des eaux, etc., constituent autant de moyens de réduire les effets des aléas du temps sur la production. Mais la réduction de la surface moyenne des exploitations agricoles du fait de la croissance démographique conduit certaines régions à des impasses.

Dès lors, deux options sont à considérer. D’une part, et c’est le plus facile à proposer, des investissements publics qui peuvent changer la donne. Stocker l’eau, la gérer économique-ment, aménager les bassins versants pour restaurer la fertilité des sols, introduire des cultures de plus grande valeur commerciale sous des labels de qualité permet, à l’instar de ce qui a été fait dans les agricultures du sud de l’Europe, de « changer de vie en restant au pays ». D’autre part, et c’est le plus diffi cile à

2. Au Mali, au Tchad, au Niger et au Cameroun, avec l’appui de l’AFD notamment.

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La famine, à la croisée des problèmes

Source : données rassemblées par l'auteur et Damien Conaré, Le Courrier de la planète.

ALGÉRIELIBYE

ÉGYPTE

MAURITANIEMALI

GAMBIE

NIGER

TCHAD

SOUDAN

SUD-SOUDAN

NIGERIA

DJIBOUTI

ÉTHIOPIE

KENYAOUGANDA

TANZANIE

RÉPUBLIQUEDÉMOCRATIQUE

DU CONGO

RWANDA

BURUNDI

ZAMBIE

ZIMBABWE

BOTSWANANAMIBIE

AFRIQUEDU SUD

LESOTHO

SWAZILAND

ANGOLA

GABON

GUINÉEÉQUATORIALE

CENTRAFRIQUE

GUINÉE

SIERRA LEONE

LIBERIA

CÔTED'IVOIRE TO

GO

NIN

MAURICE

GUINÉE-BISSAU

GHANA

CAMEROUN

SÉNÉGAL

MOZAMBIQUE

MADAGASCAR

MALAWI

SOMALIE

TUNISIE

MAROC

CONGO

BURKINAFASO

2008

Sahel, 1970 Sahel, 1984

Biafra, 1970 2008

2005

Darfour, 2004

1973, 1984, 2000

1984

1992, 2000, 2011

2011

2004

2010

2002

2004

Proportion de personnessous-alimentées (2005-2007)

Causes principales des famines (1970 à 2011)

Causes conflictuellesCauses climatiques à impact agricole et/ou pastoralCauses macro économiques, d’origine nationale (dépréciation de la monnaie)ou « importée » (flambée sur les marchés internationaux)

Pays ayant connules émeutes de la faim en 2008

Augmentation du nombre de personnessous-alimentées sur la période 1990-2007

10 25 40 60 %

Pas de données

2 000 km

D’une manière générale, l’expression « crise alimentaire » est beaucoup trop simpliste pour décrire des réalités très variables selon les situations géographiques, socio-économiques ou politiques. Toute forme totalisante d’explication de « la crise alimentaire » masque par nature la disparité des causes et donc des solutions.

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dire et à faire, il faut envisager « un avenir meil-leur ailleurs ». Hors de l’agriculture et/ou hors du terroir natal. Malheureusement, dans les pays en développement, sauf situation spéci-fi que, créer des emplois non agricoles dans les

zones rurales à temps plein ou à temps partiel (la pluriactivité) n’a de sens que si l’économie agricole elle-même se transforme radicalement et a besoin de services qu’elle peut rémunérer. Cela renvoie donc à la première option. Le

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départ des zones agricoles « en crise perman-ente » peut se faire vers deux destinations : vers les villes (et au-delà l’étranger) ou vers d’autres régions agricoles. On ne considère souvent que l’exode rural vers les villes. Or l’histoire est faite de migrations de grande ampleur d’un ter-ritoire devenu moins favorable à l’agriculture vers d’autres. Le peuplement des Amériques par les populations fuyant la misère des cam-pagnes européennes en est le dernier exemple majeur. L’Afrique en offre quelques illustrations et surtout des perspectives importantes. Par exemple, la mise en valeur de terres cultivables, voire irrigables, par des agriculteurs « alloch-tones » a été réussie dans le delta intérieur du Niger et les zones libérées de l’onchocercose, en Afrique de l’Ouest. En revanche, les opéra-tions conduites de manière autoritaire sous le régime du Derg en Éthiopie ont conduit à des crises humanitaires. Cependant, et sans ignorer les risques de tensions intercommunautaires que peuvent engendrer ces migrations, elles représentent une partie de la solution pour réduire la pression foncière dans certaines zones structurellement vulnérables à des aléas climatiques et à de trop fortes densités. La ville ne saurait être le seul exutoire, d’autant que la croissance moderne est moins créatrice d’emplois du fait des gains de productivité du travail dans l’industrie. Accompagner par les États, en matière d’infrastructure et de gouver-nance, des mouvements de peuplement de nou-veaux espaces agricoles est probablement plus effi cace et plus durable qu’attribuer de vastes espaces à des investisseurs étrangers. On peut même penser que les deux dynamiques pour-raient être complémentaires, dès lors que des relations contractuelles seraient facilitées par une présence régulatrice des pouvoirs publics et la création d’institutions de développement des territoires.

Flambée des prix et crises importéesCertaines crises alimentaires sont aussi des crises des prix, dont les causes ne sont ni clima-tiques ni agricoles, mais commerciales, fi nan-cières et macroéconomiques. Il en a été ainsi en 2005 au Niger, alors que les greniers de la région la plus productive du pays avaient été vidés par

les bons prix offerts par le marché du Nigeria. Ce fut le cas également à Madagascar en 2002 et au Mozambique en 2011, lorsque la dépré-ciation des monnaies nationales a fait fl amber les prix des aliments importés. De même, en 2008, l’affolement des marchés des matières premières (aliments et énergie) a déclenché des émeutes dans un grand nombre de capi-tales africaines. Ces crises-là ont frappé les consommateurs, urbains d’abord, mais égale-ment ruraux. Car, souvent, les agriculteurs sont contraints de vendre à bas prix au moment de la récolte pour racheter ensuite lorsque les cours sont hauts.

Ces événements rappellent que la faim est d’abord générée par les inégalités sociales et la pauvreté qui oblige à consacrer une part importante des revenus à l’alimentation. Ainsi, des populations ont faim même dans des situations d’abondance agricole (comme par exemple au Brésil, puissance agricole s’il en est). Cependant, les pays qui ont le mieux traversé ces périodes sont ceux qui importent peu ou qui ont les moyens fi nanciers d’amortir l’impact des fl ambées sur les consommateurs. Dans le cas de l’Afrique subsaharienne, la voie à suivre est clairement celle de la relance de la production sur des produits de base qu’elle importe de manière croissante malgré ses avantages comparatifs naturels (le riz, les huiles et de nombreux produits de l’élevage).

Foncier, politique et crise alimentaireEnfi n, comme en Amérique du Sud, le conti-nent africain a connu des crises agraires pouvant dégénérer en crise politique et fi nale-ment en crise alimentaire. Ainsi du Zimbabwe en 2004. On doit s’y arrêter car cette problé-matique dormante ou active – commune à certains pays d’Amérique latine – fi nit toujours par se mettre en travers du développement. Les inégalités agraires sont un lourd héritage de l’histoire en Afrique australe. Un statu quo dans lequel la grande majorité des agricul-teurs resteraient cantonnés sur de très petites exploitations situées sur des terres « commu-nautaires » les moins productives (non irri-guées, par exemple) ou enfermés dans des statuts de salariés agricoles sans terre, peu

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qualifi és et saisonniers. Cette situation pour-rait ne plus être acceptable socialement et plus tenable politiquement. C’est d’ores et déjà un sujet de sécurité et de paix civile.

Si le « rêve citadin » devient moins attrayant, la revendication foncière sera alors plus expli-cite. Ces inégalités historiques étant à la fois foncières et raciales, elles doivent bien évidem-ment être traitées dans le cadre d’une politique de black economic empowerment 3. Cet objectif est diffi cile à réaliser sans engagement public résolu. Pour qu’il aille de pair avec le maintien des performances du secteur agricole et agro-industriel, il faut que les « nouveaux fermiers » disposent d’un « capital » suffi sant, terme recou-vrant ici aussi bien les compétences nées de l’expérience, les liens sociaux et économiques avec les autres maillons des fi lières concernées, que l’accès aux fi nancements. Si le transfert de propriété s’effectue à « inégalité foncière constante », si les racines de la crise ne sont pas extirpées mais transférées au sein de la société noire, elles surgiront dans d’autres domaines. Il faut donc créer des exploitations agricoles de taille raisonnable et à haute intensité de main-d’œuvre. Cela suppose, à l’instar de ce qui a été fait dans certains pays de l’ex-Union soviétique, des dispositifs assurant l’insertion des exploitants nouveaux dans des fi lières qui les connecteront aux marchés. Or, pendant que les pays d’Afrique australe peinent à résoudre ces inégalités agraires, d’autres font le choix de les créer. L’octroi par les États (même avec le consentement des communautés concernées) de très grandes surfaces à des investisseurs, étrangers ou nationaux, avec une rationalité de « mise en v aleur rapide », de « modernisation », d’« économie d’échelle », devrait être analysé simultanément en termes d’économie, de sécurité alimentaire, mais aussi de lien social.

3. Programme lancé après l’Apartheid par le gouvernement sud-africain pour réduire les inégalités en accordant des opportunités économiques aux groupes jusqu’alors marginalisés – les Africains noirs, les métisses, les Indiens, les Chinois.

Autrement dit, en termes de risque de « crise à venir ». La comparaison des trajectoires des agricultures exportatrices de manioc, de maïs, de coton et d’hévéa du Brésil et du nord-est de la Thaïlande (région qui connaissait la faim encore dans les années 1970) est à cet égard éclairante. Par leur productivité et leur fl exibilité, les exploitations diversifi ées de taille moyenne à gestion familiale de l’est de la Thaïlande offrent un modèle à la fois compé-titif au niveau économique et structurant pour la société rurale. Dès lors, il apparaît comme le plus à même d’amortir des crises d’origines diverses (taux de change, volatilité des prix d’un produit, aléa climatique affectant une culture annuelle, etc.).

La dynamique démographique et le réchauf-fement climatique imposent à l’Afrique des transformations structurelles importantes. Au plan de la sécurité alimentaire, son ouverture aux marchés mondiaux présente des avantages et des inconvénients (des prix élevés, bas ou variables). La diversité de son capital naturel (des déserts aux riches terres volcaniques bien arrosées) l’expose à des crises « naturel-les » récurrentes mais offre la possibilité d’une croissance agricole comparable à celle d’autres régions du monde. Les options tech-niques sont connues qui permettent de tirer le meilleur parti de la diversité des ressources naturelles. Mais ce sont sans doute les ques-tions posées par les dynamiques de peuple-ment, leurs implications foncières et sociales qui sont déterminantes. Elles requièrent des engagements politiques et des investisse-ments publics d’autant plus importants que les risques naturels ou politiques sont grands. Reconnaître les droits des communautés, permettre l’accueil de migrants ou encore sécuriser le foncier des exploitants historiques comme des investisseurs sont des défi s partic-ulièrement diffi ciles à relever. Mais les ignorer aidera le ciel et la démographie à transformer aisément des crises sociales et politiques en crises humanitaires récurrentes. ■

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La première partie dresse le bilan de l’année 2011 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2012 interroge l’un des enjeux majeurs de nos sociétés contemporaines : l’agri-culture. Longtemps restée écartée des politiques de développement, celle-ci fait un retour en force sur le devant de la scène internationale. Mais si l’évidence d’un besoin d’investissements massifs dans le secteur agricole est aujourd’hui reconnue, d’im-portantes controverses demeurent. L’agriculture peut-elle être un moteur du déve-loppement ? Peut-elle assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale qui vient de franchir le cap des 7 milliards d’individus ? Comment concilier la produc-tion agricole avec les exigences du développement durable ? Un nouveau modèle doit-il être inventé ? Entre intérêt récent des investisseurs, débat sur les modèles de productions inscrits dans des réalités physiques, climatiques, environnementales et sociales et réflexion sur nos modes de consommation et d’alimentation, l’agri-culture, qui cristallise tant les espoirs que les résistances à la mondialisation, est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de gouvernance mondiale.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

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Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur le terrain dans plus de 50 pays et dans 9 départements et collectivités d’outre-mer, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agri-culteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2010, l’AFD a consacré plus de 6,8 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 13 millions d’enfants, l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 33 millions de personnes et l’octroi de microcrédits bénéficiant à un peu plus de 700 000 personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 5 millions de tonnes de CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Pierre JACQUET, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts et membre du Cercle des économistes, est chef écono-miste de l’Agence française de développement (AFD). Il est aussi président du département d’économie, gestion, finances et professeur d’économie internatio-nale à l’École des Ponts-ParisTech. Il est notamment administrateur de l’Institut français des relations inter-

nationales (IFRI), de l’Institut de la gestion déléguée (IGD) et de Proparco. Il a appartenu entre 1997 et 2006 au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre. Il écrit une chronique mensuelle sur les acteurs du développement dans Le Monde de l’économie.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Ins-titut du développement durable et des relations inter-nationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions de l’environnement de 1997 à 2002, elle a

été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étran-gères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute at Columbia University, Oxford Martin School). Elle est également membre de l’India Council for Sustainable Development et du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies e.V. (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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Dossier

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