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L’importance des symboles architecturaux –monuments, lieux de rencontre, points de repère– dans la démocratie française contemporaine. Eric Cassar - 2003 sous la direction de Francois Lucquin

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L'importance des symboles architecturaux

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L’importance des symboles

architecturaux

–monuments, lieux de rencontre, points de repère–

dans la démocratie française

contemporaine.

Eric Cassar - 2003 sous la direction de Francois Lucquin

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La réflexion s’appuiera sur des exemples ayant pour origine principale Paris et

sa banlieue.

Sommaire

Introduction……………………………………………………….. 2

I/ Le symbole, la démocratie…………………………………………… 3

1/ Le symbole………………………………………………………… 3

2/ les symboles architecturaux d’abord comme représentation

d’un régime, d’une idéologie, d’un pouvoir………………………….. 5

3/ l’apparition de l’espace public, image de la démocratie…………... 6

4/ la démocratie et le symbole………………………………………... 8

II/ Le non-lieu, l’absence de repères symboliques particuliers :

emblème de l’uniformisation…………………………………………… 12

1/ définitions………………………………………………………….. 12

2/ ses origines, sa naissance………………………………………….. 13

3/ les différents types de non-lieux : critiques.………………………. 16

4/ l’individu dans le non-lieu………………………………………… 21

5/ problèmes engendrés par les non-lieux……………………………. 23

6/ les solutions proposées aujourd’hui, mesures envisagées…………. 26

III/ L’art du lieu et de l’époque, l’importance des symboles

divers : emblème de la diversité…………………………………... 28

1/ symboles comme identification de l’espace et du temps…………… 29

2/ appartenance territoriale comme création d’une identité

commune pour les habitants………………………………………….. 33

3/ l’identité comme repérage dans l’espace et dans le temps………… 38

4/ l’espace de rencontre d’aujourd’hui : un symbole démocratique…. 40

5/ illustrations………………………………………………………… 41

6/ comment transformer les non-lieux……………………………….. 43

Conclusion………………………………………………………... 44

Bibliographie……………………………………………………………... 45

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Introduction

Au cours du XXème siècle, siècle de la démesure, la société s’est

intéressée à la création, à moindres coûts, d’espaces hors normes aux fonctions

uniformes : espaces d’habitation (nécessité d’un logement pour tous), de

commerce (centres commerciaux), de transports (aéroports…) de communication

(télévision, Internet). Mais le temps a montré que certains de ces lieux ne

présentaient aucun intérêt en dehors de leur fonction initiale. D’espaces

uniformes, ils sont logiquement devenus monotones avec des répercussions

importantes sur les individus qui les pratiquent. Aujourd’hui, face à la

multiplication de ces espaces à problèmes ; sociologues, anthropologues,

architectes, politiques… s’interrogent. Ce mémoire souhaite montrer que

l’architecture : art dans la société, dans la ville, dans la vie devrait être une

composante essentielle de la solution du problème. En effet, les symboles :

monuments, points de repère ou lieux de rencontre colorent les espaces, les

identifient, les diversifient et permettent aux populations de se retrouver ici,

maintenant et dans les années à venir. Actuellement la grande majorité des

symboles architecturaux présents dans notre société ont été l’œuvre de

pouvoirs plus ou moins totalitaires. Plusieurs questions s’imposent alors :

Pourquoi le symbole est-il essentiel pour l’homme ? Que doit être un

symbole démocratique ?

Comment sont nés ces espaces à problèmes ? Quelles sont leurs

caractéristiques, les maux qu’ils engendrent ?

Pourquoi l’introduction de symboles à l’échelle humaine serait-elle une

composante de réponse, participerait-elle au bien être des populations ?

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I/ Le symbole, la démocratie

1/ le symbole

D’après le Littré le symbole est « la figure ou image employée comme

signe d’une chose ». En effet, le symbole a pour fonction première de

représenter un concept, une chose ou un groupe d’individu.

Pour Hegel, l’architecture qui commence tantôt par une caverne, tantôt

par un morceau de bois est historiquement parlant le 1er des arts. Et cet art

prend plusieurs formes à travers l’histoire, la première et l’essentielle est

celle d’art symbolique qui « au lieu de l’identité du contenu et de la forme,

n’offre qu’une manifestation extérieure de la signification intérieure, qui révèle

seulement l’affinité des deux éléments ; il ne fait qu’indiquer le contenu intime,

essentiel qu’il devrait exprimer. »1. Même si l’architecture évoluera en prenant

des formes ayant des significations moins évidentes, elle restera aux yeux de

tous en plus d’un art, la représentation d’une chose (un pays, un peuple, une

époque ou…) parce qu’on ne peut parler d’architecture qu’à partir du moment où

la construction est une expression artistique, qu’elle signifie, qu’elle symbolise.

A/ Un concept fondamental de l’homme pour l’homme

Les idées philosophiques esquissées ci-dessous sont certes discutables

et réfutables mais, sans y adhérer aveuglement, il semble intéressant d’en

prendre connaissance et de s’y référer pour comprendre l’importance – qu’il est

difficile de nier tant l’histoire et le présent en sont remplis ! – des symboles

pour l’homme. Le symbole est un des premiers objets de l’anthropologie parce

1 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique

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qu’il est à la fois l’expression de la cohésion, de l’identité et de l’altérité, de

la différence (par rapport à un autre symbole).

a/ le quadriparti

Martin Heidegger dans ‘Etre et temps’ définit pour lui la première

relation symbolique, celle qui émane du fait même d’exister sur terre. La

présence, l’être là (le Dasein) c’est être en relation avec 1) le ciel, 2) la terre

et les autres hommes, 3) les dieux, le divin (le sacré est en l’homme), 4) la

mort. L’existence humaine n’est pas indépendante mais liée à ce cadre

symbolique de Dasein. « La Terre est-elle dans notre tête, ou bien sommes-

nous sur la terre ? »2.

Cette thèse montre la présence forte dans l’homme, dès sa naissance,

d’un premier système de repères symboliques. Son évolution dans le monde

depuis l’enfance jusqu’à l’age adulte s’effectuera nécessairement en prenant

appuis sur ceux ci et sur d’autres repères symboliques que l’espace lui

proposera ou ne lui proposera pas.

b/ le structuralisme

Le structuralisme est un courant de pensée des années 60 qui considère

que des structures inconscientes régissent le fonctionnement des sociétés.

Ainsi Lévi-Strauss écrit dans ‘Histoire et ethnologie’ « En ethnologie comme en

linguistique [...] ce n’est pas la comparaison qui fonde la généralisation, mais le

contraire. Si [...] l’activité inconsciente de l’esprit consiste à imposer des formes

à un contenu, et si ces formes sont fondamentalement les mêmes pour tous les

esprits [...], il faut et il suffit d’atteindre la structure inconsciente, sous-

jacente à chaque institution ou à chaque coutume, pour obtenir un principe

d’interprétation valide pour d’autres institutions et d’autres coutumes. ». Ainsi

chaque individu est inconsciemment constitué d’une superposition de couches

inconscientes de symboles ; par exemple un européen qu’il soit ou non croyant

porte en lui des structures judéo-chrétiennes et greco-romaine.

Pour Lévi-Strauss, le 1er système symbolique est le langage. Mais avant

le langage on trouve des formes symboliques, chaque société se fixe notamment

des repères avec la nature environnante.

2 Martin Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?

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B/ Une représentation de la diversité du genre humain

Pour qu’un symbole représente l’identité d’un groupe d’individus à une

époque donnée il faut que les personnes représentées s’y reconnaissent. Le

symbole ne sert pas à identifier complètement un individu mais à souligner son

appartenance à un groupe. On trouve dans tous les domaines (artistiques,

religieux, politiques, idéologiques…) de l’histoire présente et passée une

multitude de symboles qui représentent une multitude de groupes d’individus, de

civilisations, d’époques… depuis les pyramides d’Egypte au drapeau américain en

passant par les masques africains, la croix gammée etc.

Chaque individu est la superposition de plusieurs identités ainsi, selon

l’angle sous lequel on le regarde, on peut le reconnaître dans plusieurs

symboles. Un citoyen, par exemple, appartient à la fois à un quartier, une ville,

un département, une région, un pays, un continent, le monde, il peut avoir une

religion, pratiquer certaines activités et donc être représenté par une multitude

de symboles différents.

La multiplicité des symboles met en valeur la diversité et donc la

richesse du genre humain.

2/ les symboles architecturaux d’abord comme

représentation d’un régime, d’une idéologie, d’un pouvoir

Si Hegel parle pour les débuts de l’architecture de la cabane comme

habitation de l’homme et du temple comme l’enceinte consacrée au culte de la

divinité, il faut reconnaître que les premiers symboles architecturaux

représentaient avant tout les pouvoirs religieux et politiques. « Et cette idée

que l’architecture est faite par le prince et pour le prince (que ce prince soit

d’Etat ou d’Eglise) restera sous-jacente dans toute l’histoire de

l’architecture. »3. En effet jusqu’aux années 1900, la question de l’habitat ne

sera jamais envisagée dans les livres d’architecture (Vitruve, Alberti) et il ne

3 Michel Ragon, L’architecte le prince et la démocratie

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nous reste des civilisations anciennes (Egyptienne, Maya…) que des palais,

temples, pyramides. Les notion de patrimoine et notamment de patrimoine social

n’apparaîtront véritablement qu’au XXème siècle.

A/ la religion

Les Temples grecs, bouddhistes, les vestiges de l’architecture pré-

colombienne, les cathédrales …

Depuis que l’homme existe les détenteurs du sacré (qu’ils se sont

accaparés) : prêtres, évêques ou autres ont toujours su influencer les

populations et le pouvoir pour financer des monuments représentatifs de leurs

dieux, de la pensée scolastique ou plus simplement de leur pouvoir.

B/ le pouvoir ou son représentant

Les pyramides, les châteaux, les palais, les places…

Tous les monarques, empereurs, dictateurs ont fait construire des

bâtiments à leur effigie que ce soit pour montrer leur pouvoir (à leur peuple et

aux autres peuples), inspirer la crainte, le respect, l’amour ou simplement pour

laisser une trace.

3/ l’apparition de l’espace public, image de la démocratie

On trouve plusieurs définitions à démocratie : « Régime politique dans

lequel le peuple exerce sa souveraineté lui-même, sans l’intermédiaire d’un

organe représentatif (démocratie directe), ou par représentants interposés

(démocratie représentative). » (Larousse). « Société libre et surtout égalitaire

où l’élément populaire a l’influence prépondérante. / Régime politique dans

lequel on favorise ou prétend favoriser l’intérêt des masses. La démocratie

impériale à Rome. …» (Littré).

La démocratie apparaît pour la 1ère fois en Grèce en -570 environ et en -

510 à Athènes après le départ du tyran Hippias et grâce aux réformes

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radicales proposées par Clisthène. Elle place sur un pied d’égalité tous les

citoyens (mais exclue à la fois les femmes, les métèques et les esclaves) et

aura de grandes conséquences sur la vision du monde et l’aménagement de

l’espace avec notamment la création de l’agora, espace politique et public.

A l’origine simple lieu d’assemblée à caractère principalement militaire

l’agora naît dès la seconde moitié du –VIIe siècle, ses fonctions vont ensuite

évoluer, elle introduira les notions d’espace public, d’égalité et de personne.

Rappelons brièvement, les différentes étapes d’évolution de l’espace dans le

monde grec à cette époque :

1/ ‘pensée mythique et archaïque’ (jusqu’au - VIIe siècle environ)

La ville est constituée d’une juxtaposition de foyers non reliés entre eux.

Deux divinités se situent sur le même plan Hestia et Hermès. Hestia représente

le dedans, le clos, le fixe, le repli du groupe humain sur lui-même, et Hermès le

dehors, l’ouverture, la mobilité, le contact avec l’autre que soit. « On peut dire

que le couple Hermès-Hestia exprime, dans sa polarité, la tension qui se marque

dans la représentation archaïque de l’espace : l’espace exige un centre, un

point fixe, à valeur privilégiée, à partir duquel on puisse orienter et définir des

directions toutes différentes qualitativement. »4. Ainsi l’espace est déterminé

pour chaque individu à partir du foyer de sa maison.

2/ La démocratie

Elle entraîne l’apparition de l’agora telle qu’on la conçoit communément.

L’agora se présente d’abord comme, un espace circonscrit et centré (le cercle

est la forme la plus belle, la plus parfaite, elle apparaît aussi en cosmologie,

en astronomie chez les grecs) placé sous le double patronage d’Hestia et

d’Hermès. Toutes les constructions urbaines sont centrées autour de cette

place. C’est la première fois d’après Jean-Pierre Vernant, que se dégage un

schéma de vie sociale né d’une réflexion consciente qui sépare en deux plans le

domaine privé, familial et, au centre de la cité, le domaine public symbolisé par

la place publique, l’agora, espace où se discutent toutes les décisions d’intérêt

commun. Ce centre qui de symbole religieux (Hestia, déesse du foyer) devient

symbole politique (foyer commun Hestia koinè) est soumis à la loi d’isonomie,

chacun se trouve l’égal de l’autre, le rapport de l’homme avec l’homme est

pensé sous la forme d’une relation d’identité, de symétrie, de réversibilité à

4 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les grecs

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l’image d’un système politique dont la loi est l’équilibre, la symétrie, la

réciprocité.

3/ Hippodamos de Milet (- Ve siècle)

Théoricien politique qui conçoit l’organisation de l’espace urbain comme un

des éléments de la rationalisation des relations politiques, il est souvent

considéré comme le premier grand architecte urbaniste du monde grec. Il crée

une ville au tracé orthogonal régulier, en damier, centrée sur l’agora et divise

fonctionnellement le tissu urbain.

Véritable révolution dans l’histoire des villes, symbole politique, poumon

au centre de la cité, l’agora, réorganisée et remodelée, forme un espace public

circonscrit et délimité qui traduit les aspects d’homogénéité et d’égalité et non

plus ceux de différenciation et de hiérarchie. La pensée se rationalise, s’ouvre

à une conception nouvelle de l’espace s’exprimant dans la vie politique,

l’organisation de l’espace urbain, la cosmologie et l’astronomie. (Expression de

la polis grecque, l’agora mourra avec elle, vidée de son sens.)

Pour finir sur une note actuelle peut-être devrions-nous aujourd’hui

réécouter Pausanias qui au IIe siècle avant J.C. dans sa ‘Périégèse’ hésite à

donner le nom de cité à Panopeus de Phocide car « cette ville ne possède ni

bureaux d’administration, ni gymnases, ni théâtre, ni agora, ni fontaine » !

4/ la démocratie et le symbole

On trouve deux types de symboles :

- ceux qui existent déjà et qui peuvent changer de signification

comme par exemple le château de Versailles qui perd son symbole de

pouvoir au profit de l’image d’une époque, d’une ville

- ceux qui sont créés de toute pièce par la démocratie.

A/ les symboles architecturaux dans la démocratie

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Nous allons essentiellement faire cas ici des symboles que la démocratie

s’est réappropriée.

L’évolution d’un lieu comme une cathédrale est intéressant, construite

vers le XIIIe siècle pour imposer plus encore la pensée scolastique, c’est au

départ un lieu sacré mais doucement et toujours sous le contrôle de l’église cet

espace devient lieu de rencontre avec des marchands, puis le lieu de rencontre

se déplace sur le parvis et s’oriente en suggérant la création d’une place.

L’espace public n’est qualifié ici que de manière concrète ; sa véritable création

en terme symbolique (représentation de la société civile) n’apparaîtra qu’à La

Renaissance puis dans la ville du XVIIIème siècle. Les siècles passant, la

cathédrale, quant à elle, redeviendra plus encore un lieu sacré où l’on pourra

aimer se recueillir ; ce sera aussi un lieu de visite, on admirera les vitraux et

l’architecture.

Même si dans un premier temps un bâtiment glorifie celui qui a ordonné

sa construction, les symboles du pouvoir d’hier deviennent, s’ils n’ont pas été

détruit, symbole d’un lieu aujourd’hui (j’ai cité une cathédrale ce pourrait être

Notre-Dame mais aussi l’arc de triomphe et la place de l’étoile, le Louvre qui

devient un musée, les châteaux de la Loire des lieux de ballades et de

contemplation). Le peuple se réapproprie les biens des princes du passé, des

bâtiments sont classés, certains appartiennent aux citoyens du monde, on ne

peut plus détruire ou modifier les pyramide d’Egypte, Sainte Sophie ou …

La démocratie a revalorisé les concepts de patrimoine artistique, culturel

et social. L’apparition de ses notions démocratiques entraîne et oblige les

gouvernements à investir dans la restauration et l’entretient des monuments

passés (tel en son temps Périclès qui reconstruisit la plupart des temples). En

démocratie plus encore que dans les autres régimes, le monument (la ville)

appartient à celui qui le regarde : les églises n’appartiennent pas uniquement

aux croyants, elles sont un brio d’architecture et une représentation de la

culture et de l’époque qui les a fait naître. En démocratie le monument en tant

qu’œuvre artistique appartient à l’ensemble des individus dans leur diversité, il

rajoute du signifiant à l’espace.

Un problème nous fait alors face. Devons nous remercier les princes pour

les chefs d’œuvres qu’ils ont fait éclore ? Puisqu’il n’y a plus (ou ne devrait

plus avoir) de princes dans la démocratie, comment laisser aux générations

futures de nouvelles œuvres architecturales ?

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B/ les symboles architecturaux de la démocratie

contemporaine

Il y a ceux du passé que la démocratie s’est réappropriée et les

nouveaux symboles (Pyramide du Louvre, La grande arche, La villette,

Beaubourg, Le stade de France et… est-ce tout ? Ne devraient-ils pas y en

avoir d’autres plus nombreux à plus petites échelles dans tous les quartiers et

dans la banlieue parisienne ? ).

Avant le XXème siècle les logements n’ont jamais été inclus dans

l’histoire de l’architecture alors doivent-ils symboliser notre système ? Que

recherche-t-on comme référence pour une architecture démocratique ?

L’architecture rurale, le bidonville, l’architecture marginale, tout ce qui semble

s’être construit de manière organique ? Non l’art c’est ce qui reste quand tout

a disparu alors l’architecture démocratique doit pouvoir être, dans l’éthique

républicaine, n’importe quel type de bâtiment à partir du moment ou on a

accepté de faire quelque chose de beau et de nouveau. Contrairement aux idées

reçues, il n’y a pas que le peuple qui doit juger et savoir, il faut aussi, de

temps en temps, faire confiance à ceux qui proposent, s’il respecte les individus

dans leur proposition.

L’architecture démocratique c’est sans doute créer des places publiques,

des villes fonctionnelles, des logements corrects, mais c’est aussi faire pour la

belle place un musée, un opéra, un théâtre, une bibliothèque, une salle de

sport, un lieu de rencontre et donner la possibilité à tous de profiter de ces

services.

Alors quels seront les symboles de demain ? Que va-t-on laisser pour

les générations futures ? … du patrimoine social, ethnique mais quel sera le

patrimoine artistique si le peuple ou ses représentants refusent la construction

de lieux iconoclastes à la démesure de la mégalomanie de ceux qui les feront

ou ont fait éclore ? Que sera le futur château de Versailles, Louvre ou

Pyramide ? Qui aura droit au même budget ? Pourquoi la démocratie ne devrait

pas inscrire ses idées dans l’histoire en laissant des traces ? Des musées… des

espaces mettant en valeur le perfectionnement ou l’enrichissement culturel des

individus, tendant à les combler tous… On en voit parfois dans les grandes

villes : La Villette, Beaubourg…. Mais il en manque toujours beaucoup, chaque

ville devrait avoir à son échelle, un bâtiment différent avec une fonction

propre. Créons plus d’écoles à l’aspect ludique et original pour nos enfants,

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acceptons de dépenser plus pour un monde plus beau. Voilà comment nous

pourrions, pour nous et pour les générations futures, mettre en valeur la ville

et la démocratie !

Au lieu de cela quand des problèmes économiques surgissent, les

dirigeants répondent à court terme, pensent trop au présent, n’anticipent pas

assez, les budgets scientifiques et culturels diminuent, d’autres augmentent !

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II/ Le non-lieu, l’absence de repères symboliques particuliers :

emblème de l’uniformisation

Un non lieu est, à l’image de notre époque, un symbole de la

mondialisation, du monde occidental, du capitalisme.

« La perte du lieu est un fait avéré qui implique avant tout la perte de

son identité tant du point de vu de ses limites que de son caractère. »5.

1/ définitions

Le lieu

D’après le Larousse, le lieu est une partie déterminée de l’espace.

Néanmoins « Les mots d’espace et de lieu ne signifient rien qui diffère

véritablement du corps que nous disons être en quelque lieu, et nous marquent

seulement sa grandeur, sa figure, et comment il est situé entre les autres

corps. Toutefois le lieu et l’espace sont différents en leurs noms, parce que le

lieu nous marque plus expressément la situation que la grandeur ou la figure,

alors qu’au contraire nous pensons à celles-ci lorsqu’on nous parle de

l’espace. »6.

Pour Marc Augé, le « lieu anthropologique » est la construction concrète

et symbolique de l’espace à laquelle se réfèrent tous ceux à qui elle assigne

une place.

Les lieux sont alors :

5 Christian Norberg-Schulz, L’art du lieu 6 René Descartes, Principes

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- Identitaires « Naître, c’est naître dans un lieu ». La notion

d’appartenance à un lieu pouvant être plus ou moins étendue

(quartier, ville, région, pays, continent, planète…). Le XIXème

siècle a en effet fait ressortir le sentiment régional qui s’est

encore accru avec le phénomène de mondialisation. Aujourd’hui

l’individu se sent corse, basque ou breton.

- Relationnels, on partage avec d’autres l’inscription au sol. Et

ceci depuis des siècles.

« La notion de territoire ne se restreint pas à la possession.

Les différentes formes d’usages du sol auxquels ont accès les

paysans vont de l’exploitation individuelle aux droits collectifs

dits « d’usages ». La territorialité avant de s’exprimer par

l’attachement à un lieu particulier est d’abord rapport entre les

hommes. »7.

Retournons le u et le lieu devient lien.

- Historiques, l’habitant du lieu anthropologique vit dans l’histoire,

dans un espace où ses ancêtres ont laissé des traces. L’endroit

a un « vécu ».

Le non-lieu

D’après Marc Augé toujours un espace qui ne peut se définir ni comme

identitaire ni comme relationnel ni comme historique sera un non-lieu.

C’est un espace où l’on cohabite sans vivre ensemble.

Quelque chose qui se produit : a lieu.

Quelque chose qui ne se produit pas n’a pas lieu, a non-lieu.

2/ ses origines, sa naissance

Les non-lieux naissent dans la 2nde moitié du XXème siècle. La formule de

Hannes Meyer « Architecture = fonction x économie » ne rencontra pas un écho

immédiat après la guerre mais elle influença profondément l’idée que se fit la

7 Marcel Roncayolo, La ville et ses territoires

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Page 15: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

société de l’architecture. A tel point que déjà en 1928, il déclara « Aujourd’hui

la formule (fonction x économie) est à la base de tout ; l’art qui est

composition, n’est pas fonctionnel, et la vie en tant que fonction n’est pas

artistique. »

Les non-lieux sont le reflet d’un nouveau rapport à l’espace et au

temps propre à notre époque :

Dans la modernité – caractère de ce qui était moderne (nouveau) à la fin

du XIXème siècle (révolution industrielle) et au début du XXème – , le présent

déborde le passé et le revendique, il ne l’efface pas mais le met en arrière

plan (Jean Starobinski). Baudelaire dans son premier ‘Tableaux parisiens’ écrit

« Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité ». Dans ce vers on conserve

bien les temporalités du lieu, les clochers et les tuyaux sont confondus.8

La sur-modernité ou moderne contemporain (notre époque) est

caractérisée entre autre (et d’après Marc Augé) par une accélération de

l’histoire (oubli des évènements…), une accélération du temps (tout va beaucoup

plus vite), un rétrécissement de l’espace (Tokyo et Paris ne sont plus qu’à

quelques heures de distance), une multiplication des espaces, un excès d’images

(publicité, télévisions…), une individualisation de référence, une mise en spectacle

du monde (rapport au monde uniquement à travers les images)…

La sur-modernité traite l’histoire comme un exotisme particulier, « elle

fait de l’ancien (de l’histoire) un spectacle spécifique »9, elle donne donc aux

distances temporelles la même valeur qu’aux distances spatiales, c’est à dire

qu’elle traite le passé d’un lieu comme un lieu spatialement lointain, distant. En

répertoriant ainsi les lieux anciens comme lieu de mémoire, elle est

« productrice de non-lieu ». C’est le cas par exemple de l’autoroute que l’on

empreinte et où l’on nous renseigne sur les sites traversés par des panneaux

indicateurs. Dans les non-lieux, on nous parle de lieux, ainsi de même qu’au

bord de l’autoroute, dans un aéroport on nous indique par des images Istanbul

ou d’autres destinations de rêve, dans un supermarché on nous vante l’origine

des produits, oranges d’Espagne, bleu d’auvergne.10

8 Marc Augé, Non-lieux introduction à une anthropologie de la surmodernité 9 Ibid. 10 Ibid.

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La sur-modernité cherche toujours à augmenter la rentabilité économique,

et pour cela à rapprocher les espaces. Il faut un réseau de transport national

et international qui permette des déplacements rapides. Les autoroutes, gares

et aéroports se multiplient. Il faut toujours aller plus vite, être plus rentable,

ainsi on préfère faire ces courses d’un coup et moins cher dans l’anonymat d’un

supermarché. On utilise des moyens ultra-rapides pour aller d’un point a à un

point b – le déplacement ne faisant d’ailleurs plus parti du voyage à

proprement parler – sans perdre une seconde (aéroport, autoroute, gare…) on

utilise l’échangeur (pas de rencontre avec l’autre) plutôt que le carrefour. On

veut gagner du temps pour... l’utiliser dans d’autres non-lieux (centres

commerciaux pour acheter le dernier portable ou la paire de nike à la mode) ou

dans…des lieux on part deux jours à Venise (en voyage organisé…) ou au bord

de la mer. Sur-modernité rime en effet avec mondialisation.

« C’était un marchand de pullules perfectionnées qui apaisent la soif. On

en avale une par semaine et l’on n’éprouve plus le besoin de boire. – Pourquoi

vends-tu ça ? –C’est une grosse économie de temps. Les experts ont fait des

calculs. On épargne 53 minutes par semaine. – Et que fait-on des 53 minutes ?

– On en fait ce que l’on veut… Moi, se dit le petit prince, si j’avais 53 minutes

à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine… »11.

Dans le cas des avions, trains, sur l’autoroute ou dans les gares ; on

est pris dans la machine infernale, les non-lieux sont des passerelles hors du

temps qui nous télétransportent vers d’autres lieux. Le dernier non-lieu à la

mode n’est-il pas d’ailleurs Internet où paradoxe, on « chat » avec une

personne à l’autre bout de la planète alors qu’on ne discute pas avec son

voisin ! On visite le Guggenheim de NY alors qu’on n’a jamais mis les pieds à

Beaubourg…

Sans réfuter l’apport évident des moyens de transport et de toutes ces

nouvelles technologies, il est intéressant de garder un esprit critique. Chacun

est en droit, ou a le devoir, de se demander : « Suis-je maître de mes choix ou

esclave du système ? ».

11 Antoine de Saint-Exupéry, Le petit prince

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Les non-lieux sont/étaient une réponse rapide et non réfléchie à

certains problèmes qu’il faut/fallait résoudre au plus vite et à moindre coût.

- détruire les bidonvilles et construire des logements pour tous

Il était nécessaire de construire rapidement des logements sociaux

hygiéniques. Défendu par les courants architecturaux (les ciam) le modèle des

barres et des tours semblait offrir hygiène et confort à moindre coût. La rue

disparaissait on n’en percevait pas toutes les incidences.

- augmenter le pouvoir d’achat des plus pauvres

Après avoir construit des « zones » de logements (les banlieues), il faut

construire des zones commerciales où les prix défieraient toutes concurences,

les gens s’y rendrait en voiture, ils auraient accès à tout type de magasins ou

plutôt (super, hyper… marchés). Comme pour les barres ou les tours les

constructions ne doivent pas coûter cher. Le consommateur cherche toujours à

consommer plus et à moindre coût. Un des plus grands représentant de cette

sur-consommation et à l’origine de la grande majorité des non-lieux

(supermarchés, centres commerciaux, Mc donald…) sont les Etats-Unis. Là-bas,

ils sont partout et deviennent presque historiques ! Déjà dans les années 60

des artistes comme Andy Warhol (Campbells’ soup) ont montré du doigt cette

surenchère publicitaire et consommatrice. Paradoxe, incapables de tirer des

conclusions, aujourd’hui de nombreux pays en voix de développement sont fiers

d’exhiber, comme marque de richesse et de prestige, leur nouveau centre

commercial flambant neuf.

3/ les différents types de non-lieux : critiques (positives

et négatives)

Il existe plusieurs types de non-lieu, ils peuvent être des espaces réels,

« architecturés » (aéroports, cités, centres commerciaux, autoroute) ou virtuels

(Internet, télévision, voyages organisés).

Nous allons nous intéresser aux premiers, un point commun d’abord : ce

sont de grandes structures de grands espaces. Pour les cités, ce n’est pas la

Eric Cassar - 2003 16

Page 18: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

barre qui est non-lieu mais l’ensemble de l’urbanisme de barres, pour les hôtels

ce n’est pas l’hôtel mais le concept : l’ensemble des hôtels d’une chaîne (ex

formule 1 ou ibis), de même un centre commercial ou un aéroport sont de vastes

espaces à l’échelle humaine.

Un non-lieu n’a pas de spécificité, il ne se soucis pas de l’identité

spatiale (paysage, climat…) de l’espace sur lequel il s’implante. Il pourrait être

n’importe où, il ne dépend pas du lieu. Il est identique partout (un hôtel de

chaîne international est le même qu’il soit en Afrique, en Asie, en Europe ou en

Amérique). Le non-lieu est différent d’un lieu (on reconnaît une cité à une ville

« traditionnelle », on reconnaît un hôtel international à un hôtel local) mais, et

c’est là la grande différence, deux non-lieux sont identiques entre eux pour un

individu extérieur (une cité est à l’image d’une autre cité, un aéroport à l’image

d’un autre aéroport…).

Un non-lieu ne met pas en relation les individus les uns avec les

autres, il ne met pas en relation non plus l’étranger et l’autochtone, à cela

deux raisons :

Soit le lieu de rencontre n’existe pas, ou à une échelle dérisoire (centre

commercial, autoroute ou chaîne d’hôtel où l’on n’est jamais en contact avec la

vérité de l’espace, du lieu, de l’autre). Les aires d’autoroute en sont un parfait

exemple, elles sont identiques partout (Bretagne, Normandie, Bourgogne…) et

jamais en relation avec les habitants locaux.

Soit au contraire – je pense aux cités – le lieu de rencontre est partout

(no man’s land de parking et de pelouses) donc nulle part, pour preuve les

jeunes qui s’accaparent les cages d’escaliers… Très souvent il n’y a ni cafés, ni

places publiques… « La ville n’est plus un lieu de rencontre, propice à la

réunion, mais un parc ouvert dans lequel les bâtiments sont librement implantés

en tenant compte de la lumière et de la vue offerte. »12.

Un non-lieu offre un espace attendu sans imprévus et sans surprises.

Comme ils sont tous identiques, lorsqu’on va dans un non-lieu, quelle que soit

sa localisation, on sait à quoi s’attendre. On n’a ni mauvaise ni bonne surprise.

Si je réserve un hôtel à Marseille ou à Milan, en le choisissant dans une chaîne

hôtelière, je sais, pour avoir déjà fréquenté un de ces hôtels à Bordeaux, que

12 Christian Norberg-Schulz, L’art du lieu

Eric Cassar - 2003 17

Page 19: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

pour le prix demandé, j’aurai les services attendus (Tous les hôtels Ibis ou

autre étant identiques). Je réserve les yeux fermés sans perdre une minute. Je

ne serai ni déçu, ni agréablement surpris. Je peux ainsi, dans le cadre de

déplacements professionnels, garder l’esprit serein (plus de soucis, après ma

journée fatigante, je sais dans quel confort je me coucherai). Si je veux plus

d’imprévu, de mystère je prends le temps de choisir un autre hôtel original ou

je laisserai le hasard choisir sur place sans avoir la garanti de trouver une

chambre répondant à mon standing et à mes possibilités financières. Surprise

(bonne ou mauvaise) ou sécurité ? Le choix dépend souvent du contexte.

Un non-lieu permet au plus grand nombre de voyager. En rapprochant

les espaces les uns avec les autres (autoroutes, trains, avions) et en rendant

financièrement le voyage accessible, le non-lieu offre la possibilité à tous, s’ils

acceptent de faire les efforts, de découvrir d’autres paysages, de rencontrer

d’autres cultures, d’autres manières de vivre, d’autres lieux et ainsi

d’apprendre la tolérance, d’avoir une vision plus complète du monde… Mais le

voyage d’aujourd’hui doit davantage être considéré comme une découverte, une

mise en bouche que comme une expérience profonde d’un lieu, d’une culture.

Trop souvent, l’individu se vante d’une collection de destinations où la visite

s’est limitée à l’hôtel, la piscine et la plage.

Un non-lieu ne s’intéresse pas au passé de l’espace. Il n’est pas

composé d’une succession de couches superposées, il est uniforme à savoir

dans un non-lieu tout est construit à la même époque et le bâti, les

constructions ne font aucun clin d’œil à l’histoire de la terre sur laquelle il

s’implante. Il ne cherche pas à comprendre ce qui existe, il ne respecte pas ce

qui est ou plutôt était.

Un non-lieu ne s’intéresse pas au passé des individus, à leur histoire.

Les bâtis qui ne font aucun signe à l’histoire de la ‘terre’, n’en font pas non

plus à celles des habitants qui sont venus la peupler et qui la peuple toujours

aujourd’hui. Ils ne se sont pas adaptés un tant soit peu à leur culture, alors

que les habitants, pour la plupart des immigrés (dans le cas des grands

ensembles), peuvent avoir des origines culturelles très différentes de la nôtre.

Un non-lieu offre un paysage triste, uniforme sans limites précises

(visuellement mais aussi intellectuellement). La banlieue en est un parfait

Eric Cassar - 2003 18

Page 20: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

exemple, les bâtiments sont tous identiques on les repère par des lettres ou

des numéros. On cherche la « vie » et on la trouve soit trop présente dans

des centres commerciaux bondés soit trop absente dans des citées désertes et

peu sures, dans les deux cas l’image est monotone et l’espace mal délimité.

Dans le non-lieu, seul le contenu importe, le contenant est lui toujours

identique (ce qui change d’une barre à l’autre ce n’est pas la barre mais les

habitants, d’un centre commercial à un autre ce n’est pas le centre mais les

produits de consommation qu’ils abritent …). Quand en plus comme dans les

centres commerciaux le contenu ne change quasiment pas… comment se repérer !

Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs où est la spécificité ? Le non-lieu est image, à

l’image d’un studio de cinéma qui utiliserait les mêmes décors pour tous les

films. Vivre dans un paysage triste et uniforme rend évidemment triste et …

uniforme. Etre tous les mêmes, même vêtements, même intérêts…

Cela entraîne une absence de repères pour l’étranger et pour les

habitants. Le repère, qui en plus d’identifier un espace, a la vertu de

transformer les distances parcourues en plaisirs. Je peux traverser Paris sans

monotonie : Tour Eiffel, Invalides, musée d’Orsay, Le Louvre, Saint Michel, Notre

Dame, Hôtel de Ville, Beaubourg, Place des Vosges, Bastille… mais quand on

sort de la capitale si la densité d’habitants reste quasi identique il n’y a plus

de points de repère, plus de frontière on passe d’une ville à une autre sans

s’en rendre compte, les déplacements deviennent des corvées. Dans un non-lieu

(un centre commercial ou un aéroport) quand un repère existe, il est panneau,

fléchage ou plan de repérage (spécifiant : « vous êtes ici »)…

Un non-lieu offre l’anonymat, le critère possèdent deux faces

antinomiques. Ces bienfaits d’abord, on peut déambuler sans se soucier du

regard des autres, « l’air de la ville rend libre », on peut vivre son intimité

sans retenu dans la foule, on peut « être » sans avoir à subir les jugements

de ce qu’on a été, on a un sentiment de liberté (je rappelle qu’un non-lieu tel

qu’une cité n’est non-lieu que pour celui qui n’y habite pas, il est lieu pour

l’autre). Ainsi le centre commercial permet d’être à l’abri des regards, mais cet

abri du regard peut aussi être vécu comme une grande solitude : on est seul au

monde à coté de l’autre. Or l’homme est un « animal social » il a besoin de

contacts, de partager, il ne peut pas vivre sans rencontres ni relations

humaines.

Eric Cassar - 2003 19

Page 21: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

Quelques images de non-lieux :

Variations de façades de grands ensembles

Eric Cassar - 2003 20

Page 22: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

4/ l’individu dans le non-lieu

Un même espace peut être considéré comme un lieu pour les individus qui

le pratique et y vivent tous les jours et comme un non-lieu pour ceux qui ne

font que le traverser. Ainsi un aéroport est un non-lieu pour celui qui y prend

son avion ou y effectue une correspondance, c’est un lieu pour celui qui y

travaille tous les jours13. Dans le non-lieu, l’individu n’a pas d’identité, il est

n’importe qui, nous le qualifierons dans ce qui suit à l’aide du pronom

impersonnel : On. Dans un non lieu :

13 Marc Augé, Non-lieux introduction à une anthropologie de la surmodernité

Eric Cassar - 2003 21

Page 23: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

- On ne fait que passer

Les non-lieux ne font que se parcourir, ils se mesurent en unité de

temps...or le temps c’est de l’argent ! Ils sont aux yeux de celui qui les

parcoure un passage obligé pour pouvoir, après, profiter de son temps dans

d’autres lieux. Le non-lieu n’est jamais un espace de plaisir en lui-même, on ne

s’y promène pas. Si on veut y trouver parfois un plaisir alors le non-lieu peut

être l’espace du plaisir du plaisir ultérieur. On est heureux dans un aéroport en

pensant aux vacances imminentes, on est heureux dans un centre commercial en

pensant aux achats que l’on va y faire.

- On n’arrive pas à personnaliser l’espace

Dans les cités, non-lieu dans lequel vivent des familles, les individus

n’arrivent pas à personnaliser véritablement leur logement si bien

qu’aujourd’hui, après y avoir vécus plusieurs années, les ouvriers et employés

veulent ou rêvent de quitter les grands ensembles pour acquérir en

s’endettant des pavillons et pouvoir ainsi à la fois s’identifier au modèle de

bien-être dominant et créer un logement (intérieur + extérieur jardin) qu’ils

pourront modeler à leur image.

- On se sent seul.

En lui-même, le non-lieu est le contraire de l’utopie, il existe et n’abrite

aucune société organique14. Mais… « à l’opposée des relations impersonnelles

qu’imposent les grands magasins à rayons multiples, la rue commerçante est

regardée comme « un vrai village » permettant un retour aux sources, aux

origines familiales. »15.

Le lieu crée du ‘social organique’ alors que le non-lieu crée de la

‘contractualité solitaire’ (le statut de consommateur ou de passager solitaire

passe par une relation contractuelle avec la société)16 ; en effet, comme le dit

Marc Augé, nous désignons deux réalités complémentaires mais distinctes : des

espaces constitués en rapport à certaines fins (transport, transit, commerce,

loisir) et le rapport que des individus entretiennent avec ces espaces. Les deux

rapports se recouvrent (les individus voyagent, achètent…) mais ne se

confondent pas. Le non-lieu ne crée ni une identité singulière ni une relation, il

ne crée que solitude et similitude à l’image du consommateur de la société

14 Marc Augé, Non-lieux introduction à une anthropologie de la surmodernité 15 Michel-Jean Bertrand, Pratique de la ville 16 Marc Augé, Non-lieux introduction à une anthropologie de la surmodernité

Eric Cassar - 2003 22

Page 24: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

mondialisée qui va tout seul, mais comme les autres, dans des non-lieux

‘moulés’ que sont les grandes chaînes de restaurants insipides (buffalo grill,

courte paille ou mc donald…) ou les complexes cinématographiques isolés à

l’entrecroisement d’autoroutes. L’identité s’exprime alors par la similitude, l’on

cohabite sans vivre ensemble.

Le paradoxe de cette situation est que l’étranger de passage se

retrouve plus facilement dans l’anonymat de ces non-lieux (chaîne d’hôtel,

grande surface, station service, autoroutes) sans histoire, identique aux quatre

coins de la planète que dans la diversité et la richesse du lieu17. Mais cette

similitude qui entraîne l’anonymat est plus souvent malaise que bonheur.

L’individu doit apprendre à choisir les lieux (ou non-lieux) qu’il fréquente et ne

doit plus subir en victime. L’architecte doit lui montrer la diversité des espaces

avec leurs qualités et leurs défauts. Il doit proposer des alternatives ouvrir

des perspectives. Il doit écouter, mettre à l’aise et s’adapter aux besoins de

l’individu, voire les anticiper.

- On se perd

L’identité de l’individu est étroitement liée à celle du lieu. Aujourd’hui les

gens se plaignent de la monotonie monumentale de certains non-lieux, ils se

plaignent d’une absence de repère, d’une absence d’identité et toutes ces

plaintes se répercutent sur eux, l’absence de repère et d’identité spatiale

entraîne une absence de repère et une perte d’identité individuelle, souvent

l’individu ne se sent plus être.

« Etre ou ne pas être », dans le non-lieu cela n’a aux yeux de la société

(de l’autre) aucune importance ; mais aux yeux de l’individu pour lui-même il est

important « d’exister ».

5/ problèmes engendrés par les non-lieux

« La perte du lieu n’est pas uniquement un problème formel ; elle a pour

cause principale l’absence de compréhension globale incluant l’homme à travers

l’usage qu’il fait du lieu »18.

17 Marc Augé, Non-lieux introduction à une anthropologie de la surmodernité 18 Christian Norberg-Schulz, L’art du lieu

Eric Cassar - 2003 23

Page 25: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

la violence :

C’est parce que l’individu doit exprimer son existence qui n’est sous-

jacente ni dans son environnement spatial ni dans son environnement familial

(pour la plupart) qu’il va créer des substituts. Ce sera l’expression par des

formes à l’intérieur ou en dehors de la société, des cris : la musique (NTM…), le

sport ou la violence, l’extrémisme religieux… Il cherche à combler un manque.

Dans les banlieues tout ce que n’apporte pas l’espace des cités doit,

pour la survie des habitants, être créé autrement. Ainsi pour les habitants le

non-lieu a du doucement se transformer en lieu (appropriation du territoire,

utilisation d’un langage propre à la cité : le verlan, création d’identité de

relations et d’histoire…) a tel point que les jeunes se sentent très fortement

attachés à leur cité. Mais le lieu créé n’arrive pas à coexister avec les lieux

qui l’entourent (d’autres citées ou villes) le résultat se manifeste par des

rivalités entre les jeunes habitants (bandes révoltées) et les individus de

l’extérieur (ou bandes révoltées d’autres quartiers). Le manque d’identité

intrinsèque à l’espace d’une citée entraîne un manque d’altérité avec la citée

voisine, d’où un repli sur soi même, une affirmation violente de son identité, de

son appartenance à sa cité, de sa différence qui se traduit par des conflits.

Ces conflits se produisent souvent dans des non-lieux, les centres commerciaux

ou les transports en commun (bus ou RER) qui relient ces espaces entre eux. Si

certaines cités sont devenues difficilement accessibles (ou dangereuses) pour

les étrangers c’est parce qu’elles ne sont quasiment constituées que

d’habitations. Il n’y a ni petits commerces, ni cafés, ou équipements collectifs.

Elle forme une uniformité incohérente.

« Les grands ensembles ont été moins disqualifiés par leur situation

géographique ou la médiocre qualité de leur construction que par l’échec

d’une nouvelle territorialité. Eclatement aggravé par l’accroissement des

distances-temps entre les activités d’un même ménage, les lieux de

fréquentation, les équipements nécessaires. La crise urbaine n’est donc pas

liée à une forme d’habitat, mais au changement rapide, non contrôlé,

normatif parfois mais à contre courant des conditions de vie dans les villes,

de la cohésion sociale et politique de la collectivité territoriale. »19.

19 Marcel Roncayolo, La ville et ses territoires

Eric Cassar - 2003 24

Page 26: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

Les cités ont été parachutées dans des espaces sans cohérence avec

l’environnement autour à savoir la ville à laquelle la banlieue est rattachée,

sans point de repère, sans lieux de rencontre, sans identification. C’est une des

causes du mal-être des jeunes de ces cités. « Le caractère brillant et cohérent

de l’image de l’environnement conditionne de manière primordiale le bien être du

citadin, l’utilisation qu’il fait de la ville. »20.

L’appauvrissement de l’espace pour les générations futures

Faute de budget et parce que les élus raisonnent à court terme,

cherchant des coûts peu élevés, le non-lieu n’a en lui-même aucune qualités

artistiques à l’échelle humaine, il n’est pas beau, il est banal, uniforme il n’a

aucun caractère et il est identique partout. Monotone, il déqualifie l’espace :

une grande surface régionale n’est ni un espace urbain, ni un espace rural. Le

non-lieu ressemble à un espace jetable, une fois usé on le remplace par un

autre identique… tel un crayon à papier ou… sauf que des hommes ont (surtout

pour les logements) hanté ces lieux… A-t-on le droit de réduire à néant leur

passé, leur histoire ? Quel paysage veut on laisser aux générations futures ?

Des barres, des tours, des centres commerciaux qui se succèdent tous

identiques ? Pourquoi ne pas construire pour la durée et proposer de nouveaux

paysages ?

La contamination des espaces

Les non-lieux se multiplient. Les espaces de la circulation (autoroutes,

voies aériennes), de la consommation et de la communication (téléphone,

Internet) s’étendent à la planète entière, tous veulent leur centre commercial,

leur gare, leur aéroport ; les pays en voie de développement sont fiers de

pouvoir les exhiber pour montrer qu’eux aussi possèdent ces espaces de la

mondialisation. Le problème en soit ne réside pas dans le désir de posséder un

tel lieu mais dans celui de posséder le même lieu. Un aéroport est une porte de

la nation, il devrait être à l’image du pays ou de la ville auxquels il appartient,

un centre commercial devrait pouvoir exhiber son originalité comme à leur

20 Kevin Lynch, L’image de la cité

Eric Cassar - 2003 25

Page 27: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

époque les galeries Lafayette ou le printemps du boulevard Haussmann qui sont

devenus depuis de vrais « monuments » parisiens. A l’opposé, les non-lieux

sont un ensemble de clones qui s’éparpillent et s’étendent en contaminant les

espaces à travers le monde. Ils imposent leur totalité et leur autosuffisance

comme système. Le lieu, la ville devient un spectacle que les banlieusards

viennent voir le dimanche.

« La lutte contre toutes les formes de discrimination participe de ce

même mouvement qui entraîne l’humanité vers une civilisation mondiale,

destructrice de ces vieux particularismes auxquels revient l’honneur d’avoir

créer les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie, et

que nous recueillons précieusement dans les bibliothèques et dans les musées

parce que nous nous sentons de moins en moins capables de les produire. »21.

6/ les solutions proposées aujourd’hui, mesures envisagées

On commence à prendre aujourd’hui en compte les problèmes que des

sociologues avaient exhibés il y a presque 25 ans. « L’urbaniste doit cesser de

concevoir l’agglomération urbaine exclusivement en termes de modèles et de

fonctionnalisme […] de répéter des formules figées qui transforment les

discours en objet […] »22. On cherche aujourd’hui à améliorer certains non-lieux,

essentiellement voir exclusivement celui des cités. On propose plusieurs

alternatives :

- Raser les barres, les tours et avec, le passé de ceux qui y

logeaient.

- Les réhabiliter en cherchant à casser cette monotonie visuelle

(à Lorient, Castro a transformé trois tours de hauteurs

identiques en trois tours de hauteurs différentes, c’est un

début !).

- Introduire des espaces nouveaux. On a créé quelques théâtres

pour attirer des spectateurs dans des banlieues (Gennevilliers,

Nanterre, Bobigny) et ouvrir ces quartiers aux pratiques

21 Claude Lévi-Strauss, Le regard éloigné 22 Françoise Choay, L’urbanisme utopies et réalités

Eric Cassar - 2003 26

Page 28: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

artistiques ; on a construit une cathédrale (Mario Botta) avec

sa propre identité à Ivry.

Mais tous ceci reste dérisoire face à l’ampleur des problèmes, il ne faut

pas se contenter de créer des espaces hygiéniques pour le « peuple ». L’art, la

beauté, l’originalité, l’identité et plus largement l’art de vivre ne doivent pas

être réservé exclusivement aux riches. Alors sans créer des Versailles il faut

créer des lieux, du lien. Le non-lieu (pour certains d’entre eux) a sa place et

son importance, il ne faut pas le rayer, il ne faut pas non plus le multiplier à

tout va, le non-lieu doit apprendre à coexister, à se superposer au lieu et non

à le remplacer. Il faut chercher à conjuguer le sens du lieu avec la liberté du

non-lieu. Comment ? En y injectant des symboles à diverses échelles.

Eric Cassar - 2003 27

Page 29: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

III/ L’art du lieu et de l’époque, l’importance des symboles divers :

emblème de la diversité

« L’architecture d’après son caractère fondamental, reste toujours l’art

éminemment symbolique, même si les formes symbolique, classique, romantique,

qui marquent le développement général de l’art, servent de base à sa

division »23.

Les symboles architecturaux sont une réponse au mal être des non-lieux,

il faut aujourd’hui, injecter de l’art pour identifier ces espaces parce que

"l’architecture, loin d’être une résultante des actions de l’homme, concrétise au

contraire le monde qui permet ces actions"24. Chaque ville doit être un monde au

sens où l’écrit Marc Augé : "Une ville est un monde parce qu’elle est un lieu :

un espace symbolisé, avec ses repères, ses monuments, sa puissance

d’évocation, tout ce que partagent ceux qui se disent de cette ville."25, l’homme

doit se sentir dans la ville comme il habite le monde (Dasein heideggerien). L’art

de l’espace-temps doit investir les non-lieux.

Rappels :

Pour Marc Augé un lieu est caractérisé par : l’identité, le

relationnel, l’historique.

Pour Christian Norberg-Schulz, « la structure fondamentale de la

totalité unificatrice est définie par ses trois aspects existentiels : mémoire,

orientation et identification. »

23 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique 24 Christian Norberg-Schulz, L’art du lieu 25 Marc Augé, Pour une anthropologie des mondes contemporains

Eric Cassar - 2003 28

Page 30: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

1/ symboles comme identification de l’espace et du temps

(l’époque)

Le symbole, parce qu’il est à la fois l’expression d’une identité et d’une

altérité, structure l’espace, le délimite et le caractérise. Pour se sentir quelque

part…

Des symboles à différentes échelles

Créer des symboles à différentes échelles, c’est identifier l’espace, créer

une identité. Si l’on prend une ville comme Paris elle possède des symboles

« internationaux » : La Tour Eiffel, Notre-Dame, Le sacré Cœur, Le Louvre, des

symboles plus nationaux : la liste serait longue, et à une plus petite échelle

des symboles de quartier : Montmartre (sa topologie, ses escaliers, la place du

tertre, les petites rues…) qui est différent du marais (Beaubourg, La place des

Vosges, le centre historique…) lui-même différent de Saint Germain des prés

(les cafés mythiques, St Sulpice,…), de Bastille ou d’Oberkampf. L’espace est à

chaque fois différent, il possède son atmosphère, il est identifié par des

symboles conscients ou inconscients à toutes les échelles.

Des symboles pour signifier avant tout l’espace

Le symbole peut prendre plusieurs formes il peut avoir plusieurs

significations ou aucune signification évidente. Ce peut être un monument, une

place publique, un revêtement de sol, un style de lampadaire (mobilier urbain),

une sculpture, un café… tout ce qui sera propre au lieu, original. La signification

du symbole n’est pas primordiale en elle-même, savoir si « le monument, qui

s’adresse aux yeux, renferme en lui-même son propre sens, ou s’il est

considéré comme moyen pour un but étranger à lui, ou si enfin, quoiqu’au

service de ce but étranger, il conserve en même temps son indépendance »26

n’est pas essentiel. Que ce soit une église, une mosquée, un monument au mort,

un hôtel ou un café, ce qui compte avant tout – pour notre sujet – c’est que

l’objet, dans une certaine éthique, s’approprie le lieu et que le lieu s’approprie

26 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique

Eric Cassar - 2003 29

Page 31: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

l’objet. Ainsi on peut parler de symbole du lieu, d’identification de l’espace. Les

symboles doivent ensuite apprendre à s’organiser pour créer, en relation avec

les autres, une lisibilité spatiale. « L’organisation d’une agglomération est

satisfaisante lorsqu’elle est facilement lisible »27. Créer un symbole c’est créer

un objet (monument, place ou autre) qui réussit à arrêter le temps même une

demi-seconde qui attire l’attention, casse la monotonie, marque et propose un

temps fort (par opposition au temps de repos) dans l’espace urbain. Quand on

réussit par instant à arrêter le temps on met de l’espace, on fabrique du lieu.

Des symboles qui doivent s’adapter à l’environnement et à

l’époque

Le lieu est un espace-temps personnalisé ou plus largement un espace

identifié, c’est à dire que chaque symbole est l’image d’un espace et d’une

période temporelle plus ou moins longue, voir intemporelle pour certains

observateurs. Le symbole permet de se sentir quelque part et éventuellement

de voyager dans le temps. Intimement lié au lieu, il doit être différent selon sa

localisation. Alors, comme le fait remarquer Hassan Fathy dans ‘Construire avec

le peuple’, quand les bidonvilles du Caire sont remplacés par une architecture

occidentale qui importe son schéma sans l’adapter, on peut parler d’une

souillure de l’identité de l’espace. Pourquoi ne pas construire en prenant en

compte le climat et la culture du lieu ? Le symbole, la figure, l’objet doit

devenir indissociable de son milieu, de son écrin. Comment imaginer le château de

Versailles à Strasbourg, La tour Eiffel à Londres ? « Aucun élément n’est vécu

par lui-même ; il se révèle toujours lié à son environnement, à la séquence

d’événements qui y conduit, aux souvenirs d’expériences passées. »28.

Si le symbole (de part sa définition intrinsèque) doit personnaliser un

espace, il doit aussi s’adapter à son temps. Son évolution peut s’effectuer de

différentes manières :

- soit il reste symbole et change de signification

Il y a de multiples exemples, Le Louvre représentait le pouvoir

absolu puis il est devenu musée, on lui a ajouté la Pyramide. Ce

27 Françoise Choay, L’urbanisme utopies et réalités 28 Kevin Lynch, L’image de la cité

Eric Cassar - 2003 30

Page 32: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

monument est toujours resté un symbole fort de Paris, mais son image

s’est modifiée au cours des temps. Il en va de même pour la plupart des

monuments construits par des rois ou empereurs, ils sont aujourd’hui le

symbole du lieu qui les a vu naître (Versailles, Chambord) et d’une

époque passée. Même si elle n’oublie pas les hommes qui les ont fait

édifier (architecte, prince), la population souveraine de la patrie

(démocratie) se les est réappropriée.

- soit il reste symbole et garde sa signification

Le plus bel exemple est le monument aux morts, qui peut

difficilement changer de signification. Même si malheureusement plus le

temps passe et plus l’on oublie… Pour Pierre Nora, concepteur et maître

d’œuvre de l’imposant ouvrage ‘Les lieux de mémoires’, la mémoire qui

n’est pas comme l’histoire une « représentation du passé » mais « un

phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel »29 est

aujourd’hui un phénomène essentiellement privé ; elle disparaît. Les

commémorations nous le rappellent. Mais si l’intention première de ces

espaces est « d’enfermer le maximum de sens dans le minimum de

signes »30 dans un deuxième temps plutôt que de nous ‘rappeler en

permanence’ (volonté de mémoire), le lieu (de mémoire) doit, quelles que

soient les évolutions de l’espace et l’appropriation que l’utilisateur s’en

fait, ne jamais nous faire oublier. Ne jamais faire oublier mais ne pas

rappeler en permanence pour que le passé serve le présent sans pour

autant l’étouffer.

- soit il est remplacé par un autre symbole et n’a plus qu’un rôle

secondaire

C’est le cas de bâtiments qui ne vieillissent pas aussi bien que

prévu, des monuments comme le musée d’art moderne de la ville de Paris,

le Trocadéro ou même le Panthéon sont des lieux dont l’importance s’est

amoindrie avec le temps, ils ont été supplantés par de nouveaux espaces

(Beaubourg…).

Le Panthéon reste important, mais si pour la mort de Victor Hugo

un million de personnes s’y est rassemblé il y a 150 ans, il n’est pas

certain qu’aujourd’hui une telle manifestation est lieue ici. Vu le nombre

29 Pierre Nora, Les lieux de mémoires 30 Ibid.

Eric Cassar - 2003 31

Page 33: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

toujours croissant de monuments à Paris, il est normal que petit à petit

certains aient des rôles secondaires.

La superposition des symboles dans le temps : appropriation des

lieux, enrichissement de l’espace et mémoire sans nostalgie

Si la formule d’Alberti « rien ne saurait être ajouté ou retranché sans

dommage » peut être valable à l’échelle d’un monument ou objet architectural,

elle perd son sens quand on parle de lieu. Le lieu se modifie avec le temps, il

est pour les plus anciens d’entre eux, une juxtaposition de symboles du passé

(qui peuvent avoir changé de signification) et de symboles du présent dans le

même espace. Dans une petite ville, l’église, sa place, la médiathèque

appartiennent au même lieu, si chacun possède une identité et un intérêt, ils

deviennent symbole et représentation de la commune. Avec la médiathèque

(nouvelle venue) le temps a modifié le lieu, enrichi son identité ; de nouveaux

symboles sont apparus, certains ont pu disparaître ou s’effacer, dans l’avenir

d’autres s’y ajouteront.

La vieille ville doit se superposer avec la nouvelle ou inversement. Le

sens et l’image d’un lieu peuvent donc évoluer voire même se modifier dans le

temps. Un lieu est un espace toujours inachevé à long terme. Jadis, des

constructions tel que le château de Fontainebleau ont eu à subir de multiples

modifications (Fontainebleau est un palais où dialoguent des bâtis de diverses

périodes depuis le Moyen Age jusqu’à Napoléon Ier) aujourd’hui, à Paris,

Beaubourg côtoie les immeubles du moyen age, les colonnes de Buren ou la

pyramide du Louvre font écho et s’incorporent au bâti ancien. Les époques et

styles architecturaux se sont superposés. Le Parc André Citroën, Bercy…

discutent avec les vieilles pierres et même si la conversation n’est pas au

départ toujours évidente, s’ils sont bien conçus le temps tend à l’améliorer.

Dans sa globalité, le « nouveau doit contenir l’ancien » (Robert Venturi) comme

demain ne doit pas oublier hier. Le présent offrira plusieurs relectures du

passé. Les époques doivent se superposer par endroits se côtoyer à d’autres

dans tous les cas elles doivent discuter les unes avec les autres.

Le temps a modifié le lieu, les époques se sont superposées ; il participe

donc à l’histoire de l’espace. Grâce à ses « symboles », un lieu acquiert une

identité propre qui comme celle d’un homme ou d’une population évolue et se

Eric Cassar - 2003 32

Page 34: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

modifie. La superposition des symboles dans l’espace temps donne une vie au

lieu qui est en perpétuel changement, en perpétuel mouvement.

Espace et temps sont imbriqués, mais comme un lieu n’est pas extensible

à l’infini et qu’il faut vivre dans son époque et non dans la nostalgie d’une

époque passée, il ne faut conserver d’une période que certains éléments

fortement représentatifs. Au XXème siècle s’est amplifiée la notion de bâtiment

classé. Les constructions, considérées comme innovantes dans l’histoire de

l’architecture, ou porteuses d’un passé, d’une histoire qu’il ne faut pas oublier

(lieux de mémoire) sont répertoriées et entrent dans le patrimoine qui peut

être patrimoine de l’humanité, patrimoine artistique, historique et même social.

Ainsi, en se déplaçant dans l’espace et en côtoyant tous ces symboles dans

leurs diversités, on peut voyager à travers le temps. Le déplacement peut donc

s’effectuer spatialement et temporellement. Même si comme dans les autres

arts : en musique, en peinture, littérature… plus le temps passe et plus l’on ne

garde que l’essentiel.

Créer de nouveaux symboles pour une nouvelle époque c’est soit

identifier l’espace (dans le cas ou le lieu n’a pas d’histoire), soit identifier

l’espace-temps et ainsi mieux se l’approprier, l’enrichir et laisser aux

générations futures une représentation (de la beauté ?) de notre époque. Pour

le bien être de tous (sur la durée) et pour éviter la monotonie il est donc

important de créer à toutes les échelles de nouveaux lieux originaux (places

publiques, monuments, cafés, sculptures…) ou de nouveaux lieux dans un même

lieu.

2/ appartenance territoriale comme création d’une identité

commune pour les habitants

Enraciner l’homme dans l’espace et dans le temps.

Identifier l’espace, c’est lui donner une identité ; or donner une identité

au lieu c’est donner une part d’identité à celui qui y vit. « Le principal but de

pareilles constructions [monuments représentants des contenus d’un caractère

tout à fait général], en elles-mêmes indépendantes, n’est autre que d’élever un

Eric Cassar - 2003 33

Page 35: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

ouvrage qui soit un point de réunion pour une nation ou pour des nations

diverses, un lien autour duquel elles se rassemblent ; »31.

Chaque individu construit son identité dans une appartenance à plusieurs

groupes, je suis brun, noir, grand, j’aime le football, la musique classique… je

suis parisien, je vis en alsace et me sens strasbourgeois. L’appartenance

territoriale fait entièrement partie de l’identité de l’individu, « d’où viens-

tu ? » ou « d’où es-tu ? » est une des premières questions que l’on pose à un

inconnu, parce que la réponse va nous renseigner sur sa nature, son identité.

Sans entrer dans des clichés ou des généralités, il est vrai qu’on en connaît

un peu plus sur cet étranger, on connaît son milieu de vie et le milieu de vie

déteint forcément (de façon plus ou moins importante) sur l’individu. « Le quoi

et le où sont associés, et l’identité des êtres s’exprime principalement dans

une forme particulière de présence. »32. Cette présence qui fait écho à celle

évoquée dans le Dasein Heideggerien…

Le lieu de vie modifie, conditionne, modèle parfois la vie d’un habitant et

donc son identité. L’homme est un élément constitutif du quartier et comme

tous ses autres voisins, quelque soit son age, sa culture, il fait parti du

groupe des riverains. Appartenir à un lieu, c’est être un peu un représentant

de ce lieu. Le va et vient est permanent entre l’individu et son espace de vie,

on comprend vite qu’il est plus agréable de vivre dans des lieux possédant dès

le départ un certain charme, une certaine poésie ou tout simplement une

véritable identité, parce que (sans vouloir généraliser) si l’identité du lieu est

diversifiée et riche, l’habitant sent cette richesse en lui, il en est fier. « Une

bonne image de son environnement donne à celui qui la possède un sentiment

profond de sécurité affective. »33. Si au contraire elle est pauvre l’homme va

chercher à affirmer autrement son identité, son altérité, sa différence par

rapport aux natifs d’un autre lieu similaire au sien. Il crée un nouveau langage,

marque son territoire (tags…), s’associe en bandes, soutient une équipe de foot

(référence arbitraire car rarement composée uniquement de natifs de la région)

etc (voir II 5).

Le lieu anthropologique est l’idée que se font ceux qui l’habitent de leur

rapport au territoire, à leur proches et aux autres. Cette idée varie avec le

point de vu de chacun. « Le territoire est appris par l’individu et construit par

des pratiques et des croyances qui sont de nature sociale. La référence

31 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique 32 Christian Norberg-Schulz, L’art du lieu 33 Kevin Lynch, L’image de la cité

Eric Cassar - 2003 34

Page 36: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

culturelle fournit de meilleurs repères et une appropriation plus profonde que

la logique apparente du plan et des masses. Il est connu que certaines

populations immigrées dans les villes d’Europe occidentale se retrouvent mieux

dans les prétendus désordres de souks reconstitués ou de bidonvilles en forme

de labyrinthes que dans les ordonnancements classiques ou les divisions

didactiques de l’urbanisme contemporain. »34.

A/ l’identité commune peut prendre sa source dans des

éléments anciens

Le passé ou le paysage inamovible d’un espace peut être une spécificité

de cet espace, les individus peuvent donc s’y retrouver. L’identité de la

commune et donc de l’habitant peut ainsi prendre sa source :

- Dans un paysage authentique, propre à un environnement

Ainsi depuis toujours il existe une cohésion forte entre les gens

des montages, des mers ou plus généralement d’une même région. En

effet, vivre dans les montages à Chamonix ou ailleurs c’est retrouver

son identité dans le Mont Blanc ou dans tel autre massif montagneux ;

qui plus est, l’architecture des bâtiments des lieux est très souvent

régionale, traditionnelle, elle a donc une identité liée à son

environnement, elle a un sens qu’elle perdrait si elle était sortie de son

contexte (déplacée dans un autre lieu). « Un régionalisme dont les racines

plongent nécessairement dans l’architecture populaire, à la fois

fonctionnelle et artistique, qui exprime le vécu dans son ensemble et ne

sépare pas le sentiment de la pensée. »35. Les autochtones possèdent

tous un paysage qui caractérise jour après jour leur espace de vie et qui

les identifie.

- Dans des monuments du passé

Tel ou tel bâtiment que les touristes aiment visiter : le château de

Versailles ou la cathédrale de Chartres…

34 Marcel Roncayolo, La ville et ses territoires 35 Christian Norberg-Schulz, L’art du lieu

Eric Cassar - 2003 35

Page 37: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

- Dans des traces historiques

La grande histoire comme Verdun ou la présence de grands hommes

du passé : Chinon pour Rabelais, Charleville-Mézières pour Rimbaud,

Auvers-sur-Oise pour Van Gogh, Giverny pour Money, Ajaccio pour

Napoléon… ou de champions ou stars du présent, toute la station de ski

de La Clusaz a trouvé une part de son identité dans la championne

Carole Montillet.

Plus généralement, paysages et histoires créent à différentes échelles

des régionalismes dans lesquels l’homme s’enracine de façon plus ou moins

grande (Je suis breton, basque, corse…). « Une présence est forcément une

présence dans un lieu. »36.

B/ l’identité commune peut prendre sa source dans des

éléments nouveaux

1 - Si l’espace n’a pas d’identité (non-lieux), il est urgent de lui en

donner une.

2 - Si l’espace a déjà une identité il est intéressant :

- soit de spécifier encore cette identité

Si on repense à l’exemple des montagnes, la beauté de

l’environnement est une des raisons pour lesquelles des lois ‘paysage’

(littoral…) empêche la construction de bâtiments excentriques qui

pourraient gâcher ce paysage. L’espace est beau et identifié,

l’architecture doit donc chercher à le servir et non à le concurrencer.

Mais l’espace ne doit pas pour autant être oublié ou abandonné tel que ;

on peut, à une plus petite échelle, chercher à identifier un village d’un

autre village, même si tous les deux possèdent le même « grand

paysage ». L’identité s’exprime aussi dans l’altérité.

- soit de lui donner un nouveau souffle

en l’incluant dans notre époque et sans chercher à supprimer

l’identité passée mais en la complétant ; pour que les jeunes sentent que

leur génération tout en reconnaissant leur identité historique (l’identité

36 Ibid.

Eric Cassar - 2003 36

Page 38: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

historique du lieu) s’approprie aussi l’espace et essaie de le faire

évoluer, de l’actualiser, de l’améliorer. Pour vivre, un lieu doit, tout en

acceptant son histoire, rester soumis aux modifications continues de

l’existence. La géographie d’une ville comme Paris s’est toujours

transformée à tord ou à raison, des boulevards ont remplacé d’anciennes

fortifications, la ville s’est agrandie, Haussmann a percé le tissu ancien…

Dans les deux cas, il y a plusieurs façons d’aborder le problème :

- prendre en considération le passé du lieu et/ou de la ou des

populations

La difficulté est de les prendre en considération avec impartialité, un

parfait exemple de réussite est le projet de Renzo Piano à Nouméa ou les

maisons de Frank Lloyd Wright qui unissent parfaitement nature, populations et

architecture. Une autre représentation courante, à plus petite échelle est le

monument aux morts ou tout type de lieu de mémoire (voir III 1).

- Créer un nouveau symbole qui ne prend pas en compte le passé

mais qui par sa neutralité, par son style donne une cohésion au

groupe d’individus, et une identité forte à l’espace.

L’objectif est de lier des individus différents autour d’un même symbole,

créer une nouvelle identité qui se superpose à leur identité individuelle

(différent que de se lier uniquement à des passés différents) et de créer pour

le futur un passé commun fort. Les exemples sont nombreux : la Tour Eiffel,

mal acceptée au départ, elle aurait pu se situer dans n’importe quelle autre

ville mais avec le temps et parce qu’on lui a trouvée une utilité celle

d’émetteur radio, elle s’est imposée aux parisiens qui se sont reconnus en elle.

Plus récemment on pourrait citer l’opéra de Sydney de Jorn Utzon ou le musée

Guggenheim de Frank O Gehry à Bilbao, et à plus petite échelle tout type de

sculpture, fontaine… Le but est de créer un support pour l’identité future, la

vision ce fait ici davantage à long qu’à court terme.

Les deux concepts ci-dessus peuvent évidemment se superposer.

Eric Cassar - 2003 37

Page 39: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

« L’architecture est l’art du lieu. » ; « L’art du lieu sera l’art du

vécu »37.

S’il a de réelles qualités (esthétiques…), une fois le symbole reconnu et

accepté par les autochtones, il participe à donner envie de visiter le lieu voire

d’y vivre.

3/ l’identité comme repérage dans l’espace et dans le

temps

Le symbole, en plus de créer identification et identité, doit mettre en

spectacle l’espace. L’urbanisme et ses différentes composantes : bâtiments,

places publiques, rues doivent prendre en compte le grand et le petit paysage,

surprendre et émerveiller le promeneur avec des éléments nouveaux qui

joueront le rôle de points de repère.

A/ Repérage dans l’espace : orientation

« Un paysage s’inscrit dans le souvenir à cause d’éléments qui s’en

détachent en tant qu’identités distinctes. »38.

Pour que l’œil soit attiré, il est nécessaire de créer un parcours avec

des repères qui contrastent avec le contexte urbain et des temps de pause qui

relancent l’action. L’arrivée dans un lieu est toujours précédée de la traversée

d’un paysage. Elle doit servir de point de départ pour créer des séquences et

aménager un espace signifiant qui, à l’échelle humaine, prend en compte le grand

et le petit paysage, pour construire un rapport entre l’homme et l’espace qu’il

pratique et/ou contemple, pour créer un usage du lieu. « La promenade, la

flânerie en ville sont l’expression d’une liberté qui s’épanouit dans le paysage

urbain. »39.

L’introduction de ‘symboles’ divers avec leurs couleurs, leurs formes,

leurs textures, leurs odeurs, leurs sons : sculptures, places publiques,

37 Christian Norberg-Schulz, L’art du lieu 38 Ibid. 39 Marc Augé, Pour une anthropologie des mondes contemporains

Eric Cassar - 2003 38

Page 40: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

monuments, jardins, carrefours, limites, chemins, contre-allées, parcs, la taille

des rues, le jeu des mises en perspective, l’alternance d’espaces ouverts et

d’espaces plus intimes, la nature dans la ville qui se modifie selon les saisons…

participent à la lisibilité et à la création d’une « image de la cité »40 qui aide à

la compréhension de l’espace, à sa mémorisation – la mémoire identifiera des

zones, leurs atmosphères – et donc au déplacement de l’homme dans la ville, à

son orientation, à son repérage.

Comme dit précédemment, Paris est empli de ces points de repères je

peux traverser la ville sans monotonie : Tour Eiffel, Invalides, musée d’Orsay,

Le Louvre, Saint Michel, Notre Dame, Hôtel de Ville, Beaubourg, Place des

Vosges, Bastille… mais quand on sort de la capitale si la densité d’habitants

reste presque identique il n’y a plus de points de repère, les déplacements

deviennent des corvées, on se perd dans la monotonie des barres, positionnées

en fonction de l’ensoleillement, qui n’exercent aucun dialogues les unes avec les

autres : l’espace est sans fin, sans limites, sans sens, sans identité.

B/ Repérage dans le temps : mémoire

« La ville est une construction dans l’espace, mais sur une vaste échelle

et il faut de longues périodes de temps pour la percevoir »41.

Quand le lieu possède une histoire il peut être intéressant et agréable

de se repérer grâce au temps, aux époques. Passer d’un bâtiment du XVIIe à un

monument du XXème, du centre historique, où généralement des époques se

superposent, aux quartiers plus modernes. Mais aujourd’hui, très souvent, seuls

les centres possèdent une âme, du charme. En insérant aussi en banlieues des

repères forts, symboles de notre époque, nous ne délaisserions pas les

habitants des quartiers périphériques et nous permettrions aux promeneurs

et/ou habitants de se repérer ici et maintenant grâce au mélange des espaces

et des époques.

Pouvoir se repérer et transformer la corvée du déplacement en une

visite, passer en spectateur-acteur d’une œuvre à une autre dans le musée de

la ville où l’on ne se contente pas de contempler l’espace tel une image mais

où l’on part à sa rencontre…

40 Kevin Lynch, L’image de la cité 41 Ibid.

Eric Cassar - 2003 39

Page 41: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

4/ l’espace de rencontre d’aujourd’hui : un symbole

démocratique

La libre parole, le droit de manifestation, de critique, de rencontre sont

des éléments inhérents à la démocratie. Le lieu de rencontre qui apparaît avec

l’agora chez les grecs doit donc faire entièrement partie de l’urbanisme des

villes démocratiques, il a en plus le rôle de mettre en relation les individus les

uns avec les autres, de leur permettre d’échanger, de communiquer. Faciliter les

relations entre individus, est aujourd’hui (où les non-lieux se multiplient)

primordial tant pour le bien être que pour créer un équilibre dans notre

société, c’est en discutant avec l’autre qu’on apprend à mieux le connaître,

mieux le comprendre, mieux l’accepter.

Le lieu de rencontre fait parti de ces symboles forts et nécessaires à

toutes les échelles dans toutes les communes parce qu’il est créateur de

relation, de communication dans l’espace réel. Il est faux de croire que l’on peut

ou pourra ne se satisfaire que des relations dans l’espace virtuel (Internet et

le chat) bien au contraire, plus l’on sera connecté (téléprésent) et plus l’on

ressentira le besoin (la nécessité) d’avoir des rapports simples et concrets

avec les autres pour l’équilibre de notre corps, de notre esprit et de notre

être éternellement spectateur et acteur du monde (bien) réel.

Il est important comme cela a été dit précédemment (c’est le principe

même du symbole) de donner une identité forte à ce lieu de rencontre (un

mobilier urbain, un revêtement de sol, un monument, une sculpture, une

fontaine…). On pourrait citer le square arboré avec des jeux pour les enfants,

la place aménagée, à plus grande échelle, celle qui fait face au centre Georges

Pompidou où l’espace public est fortement identifié par le monument comme, à

plus petite dimension, l’église identifie la place d’un village. Les places peuvent

aussi avoir une fonction bien déterminée comme la place du marché. A Paris

(capitale) des espaces tel que La place de la République ou de la Nation, ne

sont pas vraiment identifiés, mais plus que de lieux de rencontre ou de

discussion, elles servent de lieux de manifestation.

Eric Cassar - 2003 40

Page 42: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

5/ illustrations

L’art du lieu et de l’époque = art (beauté (qualités esthétiques)) +

nouveauté (faire différent de ce qui existe, créer une identité) + lieu de

rencontre + point de repère = art de qualité qui résiste au temps et qui reste

à l’échelle du promeneur.

Place de l’hôtel de ville :

Parc de La Villette (sculpture) :

Eric Cassar - 2003 41

Page 43: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

Beaubourg (fontaine) :

Beaubourg et sa place :

Les colonnes de Buren :

Eric Cassar - 2003 42

Page 44: 2003 eric cassar l'importance des symboles architecturaux

6/ comment transformer les non-lieux

- Injecter des symboles forts (cf. 1 à 4) qui soient points de repère

et/ou lieu de rencontre et qui identifient l’espace, lui donnent une identité. (A

quand une agora pour chaque cité !).

- Créer des espaces nouveaux et différents les uns des autres.

- Modifier les non-lieux existants en les redécoupant et en les

identifiant à différentes échelles.

- Créer des lieux d’anonymat qui ne soit pas anonyme à l’image en leur

temps des Galeries Lafayette, des halles.

- Adapter le non-lieu à la région, à l’espace (géographie, climat, cultures)

où il se situe. Personnaliser extérieurement et intérieurement les centres

commerciaux en créant des zones de rencontre, en implantant des jardins

intérieurs, fontaines… Donner une identité différente à chaque aire d’autoroute,

traiter chaque aéroport comme la porte d’entrée (souvent principale) d’un pays

ou d’une région. La décentralisation en délégant l’urbanisme aux communes ne

permet-elle pas à chacun d’identifier sa ville comme il le souhaite ?

- Inclure le non-lieu dans un lieu, c’est à dire créer une grande surface

dans une belle enveloppe. Superposer le non-lieu et le lieu en juxtaposant des

espaces commerciaux et des espaces de détente possédant des qualités

intrinsèques.

Il y a deux philosophies, soit faire ce que l’on doit (par exemple ces

courses, un déplacement…) le plus vite possible pour gagner du temps libre, soit

faire ce que l’on doit dans des espaces qui pourraient mêler plaisir et devoirs…

C’est à l’architecte de soutenir la deuxième thèse, pour la richesse et la

diversité de l’espace. A quand la visite des centres commerciaux des aéroports

et autres aires d’autoroute !

Toute architecture doit enrichir ou mettre en valeur l’espace qui l’accueil,

elle doit être, devenir ou réfléchir un ou des symboles. Elle doit avoir du sens.

L’art identifie…

Eric Cassar - 2003 43

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Conclusion :

Le temps s’accélère, les distances rétrécissent, les espaces se

multiplient, l’individualisation s’amplifie ; il est donc plus que jamais temps de

mettre en valeur l’espace à l’échelle humaine, il faut imposer une architecture

qui ne serait plus uniquement fonctionnelle, banale et insipide dictés par des

seules contraintes économiques. Il faut plus que jamais une architecture

différente, qui signifie, redonne son importance aux formes, aux couleurs, à la

lumière pour que l’habitant ou le promeneur puisse de nouveau se reconnaître,

s’identifier, se repérer qu’on l’invite à rencontrer l’autre. L’architecture est

avant tout un art, l’individu à besoin d’art, d’art pour vivre et d’art de vivre…

Alors acceptons de temps en temps d’investir, de dépenser plus au départ pour

construire mieux, avec originalité ; l’histoire nous a déjà montrée que cela

entraînait des économies importantes à long terme. Le bien être a un prix celui

du courage.

Eric Cassar - 2003 44

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Eric Cassar - 2003 45

Bibliographie :

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surmodernité, Paris, Ed. du Seuil, 1992

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