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2012 01 interview mj_la banque suisse

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Page 1: 2012 01 interview mj_la banque suisse

Interview de Michel Juvet parue dans « La Banque Suisse » - n°1 - Janvier 2012

Les informations de la présente ont été puisées aux meilleures sources. Toutefois, notre responsabilité ne saurait être engagée.

Département Recherche – Bordier & Cie – Genève - Nyon - Berne - ZürichT. +41 58 258 00 00 – F. +41 58 258 00 40 – [email protected] – www.bordier.com

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Comment s’est passée votre nomination comme associé de Bordier? Avez-vous dû postuler?

Je n’ai jamais postulé. Sincèrement, je pensais que c’était trop compliqué. En revanche, j’ai toujours voulu être impliqué dans la vie de l’entreprise, participer aux décisions. Je me suis toujours senti responsable de l’avenir de cette banque et de son envi-ronnement, même si je n’en étais pas copropriétaire.

Comment cela s’est-il passé?

Un jour, les associés m’ont convoqué. Ils m’ont indiqué qu’ils avaient réfl échi à l’évolution de la banque et qu’ils voulaient prendre un nouvel associé. Ils m’ont alors demandé si j’étais d’accord d’être celui-là.

Est-ce que vous vous y attendiez?

Non, pas du tout. Cela a été une vraie surprise. Je n’ai pas pu répondre immédiatement, j’ai demandé à réfl échir. Car une telle décision implique de grandes responsabilités et des engagements fi nanciers et moraux!

En quoi cela a-t-il été une surprise?

Parce que je ne m’attendais pas à ce que l’on me demande d’intégrer le Collège des associés. Mais je l’ai pris comme une récompense et une énorme marque de confi ance par rapport à tout ce que j’avais fait, même si cela fait vingt-cinq ans que je suis dans l’entreprise et que j’ai eu le temps de montrer mes compétences et ma solidité. C’est aussi une fi erté.

Est-ce que vous en rêviez?

Je n’y songeais pas, mais j’ai toujours eu l’ambition d’être responsable de ma vie et de ma carrière. Ma philosophie a toujours été d’améliorer mes compé-tences en regardant devant et avec toute la modestie qu’il faut. Je considère que c’est une suite logique, un aboutissement.

N’avez-vous pas de craintes?

Je reconnais une inquiétude certaine. Toutefois celle-ci n’est pas personnelle, même si la fonction induit une responsabilité illimitée. Mon inquiétude naît du passage d’une étape. Désormais, j’ai aussi une forte responsabilité envers les 200 personnes qui travaillent dans le groupe. L’environnement actuel est diffi cile et développer la banque en maintenant sa bonne santé, tout en créant des emplois en Suisse constituent des défi s. Je ne suis pas défaitiste et ne crains pas de ne pas être à la hauteur. Simplement, c’est une chose à laquelle je ne pensais pas autant auparavant.

Vous êtes passé du statut d’employé à celui d’entre-preneur...

Absolument. Ce changement de perspectives nourrit des inquiétudes, mais alimente aussi une énorme envie de se dépasser.

L’attrait du statut a-t-il joué un rôle dans votre décision?

Ce qui m’intéresse, c’est le challenge, pas le statut, bien que je me rende déjà compte qu’à l’extérieur

Patrick Oberli

Michel Juvet explique comment il est devenu associé chez Bordier et Cie.Une nomination atypique dans le monde de la banque privée.

« Je suis passé d’employé à entrepreneur »

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Interview de Michel Juvet parue dans « La Banque Suisse » - n°1 - Janvier 2012

Les informations de la présente ont été puisées aux meilleures sources. Toutefois, notre responsabilité ne saurait être engagée.

Département Recherche – Bordier & Cie – Genève - Nyon - Berne - ZürichT. +41 58 258 00 00 – F. +41 58 258 00 40 – [email protected] – www.bordier.com

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ce dernier est très important. C’est presque le regard de l’autre qui est le plus troublant. Je sens que l’on me considère différemment.

Avec vous, c’est le métier de l’analyse qui est mis en valeur.

C’est en tout cas une des premières fois qu’une per-sonne qui a fait sa carrière dans l’analyse parvient à ce statut. Pour moi, c’est un signal. On donne ainsi de l’importance à ce métier dans la stratégie de la banque. On reconnaît que l’analyse fi nancière est un vrai métier nécessaire à sa gestion, que ce n’est pas qu’un alibi.

Avez-vous parfois eu ce sentiment?

Pas chez nous. Mais à Genève, clairement. Quand j’ai commencé, tout le monde s’improvisait un peu analyste. Puis, il y a eu une phase où le monde ban-caire s’est dit qu’il fallait professionnaliser l’activité. Plusieurs certifi cats ont vu le jour, comme le CFPI ou le CFA. Ce qui a entraîné, dans les années 1980, la séparation des activités d’analyse et de gestion privée. Dans les années 1990, les établissements ont considéré qu’il n’était pas nécessaire d’avoir des analystes spécialisés dans tous les domaines. La stratégie s’est alors orientée vers l’achat de produits ou de fonds. Ce fut le retour de bâton pour les ana-lystes. Ils ne servaient plus à grand-chose.

Et aujourd’hui?

Je pense que nous sommes dans une troisième phase où l’on remarque que l’on a besoin des deux orienta-tions. Les événements sont plutôt macroéconomiques et il faut des avis forts pour les comprendre.

Votre cellule d’analyse fi nancière comprend com-bien de personnes?

Nous sommes 12. La prochaine étape dans la re-cherche fi nancière sera probablement de développer de la compétence sur les marchés asiatiques. Car nous avons ouvert une banque à Singapour. Nous sommes confrontés à des clients locaux qui veulent aussi des avis sur leur région. L’aspect macroéco-

nomique peut très bien être traité depuis Genève. En revanche, pour des avis précis sur des sociétés, il est plus pertinent d’être sur place.

L’environnement actuel est très incertain. Ressen-tez-vous une plus grande responsabilité?

Il y a toujours des incertitudes. En vingt-cinq ans, il y a bien eu cinq ou six périodes où l’on s’est demandé si le monde allait s’en sortir. La différence est qu’aujourd’hui, cela se passe en Europe, près de chez nous.

Comment gérer cette incertitude?

Comme presque tout le monde: en prenant plus de temps pour la réfl exion et l’analyse et en prenant moins de risques. Tout en essayant d’être le plus objectif possible. Sur les marchés, le niveau d’incer-titude va de pair avec la quantité d’émotions. C’est là qu’il faut essayer de prendre le plus grand recul pour avoir la meilleure objectivité. Aujourd’hui, ce qui est vraiment diffi cile à gérer dans la crise européenne, c’est la vitesse. Nous n’avons pas le temps de fi nir une analyse stratégique qu’il faut déjà l’adapter. C’est un challenge que je n’avais jamais connu auparavant.

Cela vous empêche-t-il de dormir?

On y pense en permanence, mais cela a toujours été le cas pour moi. Quand je m’occupais des marchés asiatiques, j’y pensais le week-end et la nuit. Dès lors que l’on est dans un métier d’anticipation, nous sommes au front en permanence.

Comment êtes-vous arrivé chez Bordier?

En fait, c’est mon deuxième poste. J’avais d’abord travaillé quelques mois chez un autre banquier privé de la place. Puis j’ai vu une annonce de Bordier dans les journaux. La banque recherchait un jeune universitaire qui souhaitait pratiquer à mi-temps l’analyse fi nancière sur le marché japonais et assister le directeur de la gestion de fortune. J’ai sauté sur l’occasion. C’était en 1985. J’ai suivi en direct la création d’une bulle, suivie d’un krach. Un scénario

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Interview de Michel Juvet parue dans « La Banque Suisse » - n°1 - Janvier 2012

Les informations de la présente ont été puisées aux meilleures sources. Toutefois, notre responsabilité ne saurait être engagée.

Département Recherche – Bordier & Cie – Genève - Nyon - Berne - ZürichT. +41 58 258 00 00 – F. +41 58 258 00 40 – [email protected] – www.bordier.com

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qui se répète depuis dans le monde entier.

Vous n’êtes donc pas surpris.

Non, l’histoire se répète toujours. Il y a à chaque fois un excès de crédits. Les banques prêtent beaucoup d’argent, parce que tout paraît facile, et prennent trop de risques. En face, il y a des gens qui empruntent parce que tout est facile et qu’ils ne voient pas le risque. On se retrouve avec une économie fi nan-cièrement surdimensionnée et des banques sans provision. Finalement tout s’écroule.

Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans l’évolution de votre métier?

La vitesse et la masse gigantesque d’informations. Dans les années 1980, celles-ci existaient aussi, mais il y avait moins de réactions en chaîne. Pour-tant, le monde sortait de la crise d’endettement de l’Amérique latine et l’inquiétude était immense. La preuve: la question était de savoir s’il fallait garder les obligations de la Banque mondiale. On envisageait sérieusement que celle-ci ne puisse pas rembourser ses créanciers! Le monde fi nancier fuyait la BM et le FMI. C’était un truc incroyable. Ces institutions s’étaient tellement engagées en Amérique latine que le surendettement était colossal. Néanmoins, le rythme était moins élevé qu’aujourd’hui. J’ai aussi l’impression qu’il existe un nouveau cercle vicieux. Celui où les acteurs fi nanciers inquiets veulent se retirer d’un marché dans une situation grave, mais qui, en le faisant, aggrave encore la situation géné-rale. Au bout du compte, le pays se retrouve en péril. Avant, cela n’était pas aussi clair.

Comment casser ce cercle vicieux?

La réponse la plus simple est de dire que ceux qui créent le problème le résolvent aussi, de manière à rester crédibles aux yeux des créanciers. C’est aussi le problème de l’Europe, qui n’a pas réussi à imposer des solutions. Il lui est arrivé de proposer des actions, mais elle a rarement tenu ses promesses. Les créanciers ne sont pas comme les citoyens : pour eux les promesses doivent être tenues.

Revenons à votre nomination. Qu’espérez-vous apporter?

Diffi cile de répondre. On dit toujours que la situation fait l’homme.

Et encore...?

J’aimerais d’abord soutenir la continuité, car ce qui existe a été très bien fait. Notre développement est basé sur le durable et sur le meilleur service possible à nos clients. Je ne vois aucune raison de faire de l’expansion pour l’expansion qui fragiliserait ces deux notions. Le contrôle des risques et des coûts res-tera à l’ordre du jour. Plus spécifi quement, j’aimerais développer encore notre processus d’investissement, car nous sommes dans un métier de connaissance et nos clients ne peuvent être qu’intéressés par des avis de référence. Surtout dans ce nouvel environnement qui vise la clientèle déclarée.

Nous devons également encore mieux clarifi er les notions de performance absolue ou relative. En tout cas, l’utilisation de produits fi nanciers restera minoritaire et ne devra se faire que dans l’intérêt des clients. D’autres banques n’avaient pas compris ce respect des intérêts des clients en privilégiant avec ces produits leurs marges immédiates et elles en paient le prix aujourd’hui. Le client est la priorité. Il n’est pas un laboratoire pour tester des solutions.

Quel regard portez-vous sur les changements de réglementation?

Il est toujours diffi cile d’accepter des changements surtout lorsque nous n’en sommes pas à l’origine. Nous ne sommes pas une grande banque, mais sommes considérés comme telle. Mais nous devons obligatoirement suivre ces réglementations. Cela aura des coûts, notamment informatiques. Nous devrons donc nous impliquer encore plus dans la maîtrise des charges. Si aujourd’hui des banques souffrent, c’est parce que leur rapport coût/revenu est déséquilibré. Nous avons les capacités de maîtriser le choc. Mais il y a forcément une limite d’adapta-tion aux réglementations. Espérons que le pouvoir législatif le comprendra.