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MIGRATIONS D À propos rie l' immi g ration D V IH- ida en mili eu arabo-11111sulma11, reco111111a11daliom ; el proposilion.i,; e.rlmil dl' la rer111 • l irai-Sida D J\ ouve lles d es réghms D Les ég li. i; e.., el l' immi g ration par l i' l 'i·r<' ./.-C. !11 •srt111• ·1wD L'é(J'li se et les mi grants au service de Îa diation du Christ par !t• l 'i•r e } .- !-: IJl'!j1111111•1111 N 11111 éro 233 D La Cimad e auprè.'i des étrmwers, pour le respect de la dignité lÎe chacun fJ",. .Il. La11r 1' 11! r:iora1111011i DA 11 it ud e de.i,; m édecins fran çais face ù leurs confrèr es ét rangers ... dans les années tre nt e 1•. rt mit r/'1111 li1·n· rlr• .Il. Uul11!t Srlwr D L 'e. ramen de co ns cience d'un médecin />flr IJha11çois (,' 011s/ D Bienlteureu:J; Frédéric Ozanam 11ar l i' /)' Holwrf C11n 'f Jauriet!Fécrier 199

MIGRATIONS · 2015-09-23 · Les vœux du Président L'an dernier, l'un d'entre vous m'a écrit pour me dire que mes vœux étaient un peu pessimistes. Aussi, voudrais-je cette année

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MIGRATIONS

D À propos rie l 'immigration

D VIH- ida en milieu arabo-11111sulma11, reco111111a11daliom; el proposilion.i,;

e.rlmil dl' la rer111• l irai-Sida

D J\ ouvelles des réghms

D Les égli.i;e.., el l 'immigration

par l i' l 'i·r<' ./.-C. !11•srt111•·1w1·

D L'é(J'lise et les migrants au service de Îa médiation du Christ

par !t• l 'i•re } .- !-: IJl'!j1111111•1111

N11111éro 233

D La Cimade auprè.'i des étrmwers, pour le respect de la dignité lÎe chacun

fJ",. .Il. La11r1'11! r:iora1111011i

DA 11 i t ude de.i,; m édecins français face ù leurs confrères étrangers ... dans les années trente

1•.rtmit r/'1111 li1·n· rlr• .Il. Uul11!t Srlwr

D L 'e.ramen de conscience d 'un m édecin

/>flr IJ• ha11çois ( ,'011s/

D Bienlteureu:J; Frédéric Ozanam

11ar li' /)' Holwrf C11n' f

Jauriet!Fécrier 199

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Les vœux du Président

L'an dernier, l'un d'entre vous m'a écrit pour me dire que mes vœux étaient un peu pessimistes.

Aussi, voudrais-je cette année m'efforcer d'en former de plus heureux pour chacun d'entre vous et pour ceux qui vous sont proches ou lointains.

Tout va bien. Le front social est serein, le monde calme, l'avenir souriant. L'année sera donc bonne ...

On dit bien qu'il y a plus de 5 millions de chômeurs en France et que comme chez nous, en Allemagne, 12 % de la population active est sans travail ; que la violence dans nos villes engendre des jeux de nuit tragiques et des feux de camps d'un nouveau style pour« enfants des rues» sans collier.

On dit également qu'en Algérie des crimes atroces sont perpétrés quotidiennement ; que les Kurdes ne savent plus où aller; que l'embargo en Irak tue des milliers d'enfants et com­promet toute une génération d'adolescents ; qu'en Afrique existe une zone concentrationnaire qui, pour 3 % de la population mondiale, rassemble 55 % de séropositifs VIH du monde entier.

Je sais bien tout cela, mais enfin, s'il fallait s'arrêter à ces« détails de !'Histoire» on ne vivrait plus !

C'est vrai, tout compte fait, il n'y a guère de motifs de chanter I'Alleluia. Mais si l'envie d'entreprendre prévalait sur le désespoir, il y aurait alors toutes chances pour que l'année 1998 soit plus heureuse.

C'est ce que je vous souhaite à l'approche du 3e millénaire de l'ère chrétienne.

pr Marc Gentilini

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WlEIDlECCllNlE e IDI:m l1~W@WWI:m Revue du Centre Catholique des Médecins Français

BIMESTRIEL

llh /11('f 1•11r 1'11 Cluf

P' Claude LAROCHE

Cuu.w•il 11rtfio11rtl

P' GENTILINI, Président (Paris), MM. les Docteurs ABIVEN (Paris),

BARJHOUX (Chambéry), BLIN (Paris), DE BOUCAUD (Bordeaux), BOST (Paris),

BOUREL (Rennes), BOUVIER (Reims), BREGEON (Angers) ,

CAZOTTES (Perpignan), CHARBONNEAU (Paris),

DEROCHE (Joué-les-Tours) , ESCHARD (Reims), GAYET (Dijon),

M- les D" GONTARD (Paris), GROSBUIS (Garches),

MM. les D" LAROCHE (Paris), LIEFOOGHE (Lille),

MASSON (Bar-sur-Aube), RÉMY (Garches). Père J.-C. BESANCENEY, aumônier national

C11111i11: d1• r r dactiou

M. ABIVEN - F. BLIN - M. BOST M. BOUREL - P. CHARBONNEAU

P. CHARDEAU - F. GONTARD S. GROSBUIS - M.J. IMBAULT-HUART

J.M. JAMES - Cl. LAROCHE J.M. MORETTI s.j.

J.-L. TERMIGNON - J.-C. BESANCENEY

A d111i11 isf rai iou /(1:d11«1io11 l '11bl frifé

Centre Catholique des Médecins Français

5, avenue de !'Observatoire 75006 Paris

Tél. : 01 46 34 59 15 Fax : 01 43 54 1 O 07

' A bo11m•nu•11ts

Un an: 350 F Étranger : 370 F

Le numéro s imple franco : 60 F Le numéro double franco: 100 F C.C.P. : C.C.M.F. 5635-34 T Paris

s • • • •

N° simple 233 - JANVIER-FÉVRIER 1998

• ommaire

Les vœu:t: du Président . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Il" couv.

Li111i11aire par le D' Marc Bost . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

;( propos de /'i111111igra/ion Une lecture du Père J.-C. Besanceney . . . . . . . . . . . . . . . . :3

VIH- S ida e11111ilil'11 arabo-musulma11 . r<•co111111mula t io11s el propos il ions extrait de la revue Arcat-Sida . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -t

N o111Jelles des régions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

• Lt•s ég·lise.o; et l 'immigralion par le Père J.-C. Besanceney ... . ......... ......... .

• L't;glist! el /e.o; migrants au service de la m édiation du Christ par le Père J.-F. Berjonneau ........................ .

• La Ci11zade auprès ries étmugers. pour le resp ect dl' la dignité dt• rlmc1111 par M. Laurent Giovannoni ...... . ... . ..... ......... .

• A flitude des m édecins frauçais face ù ll'urs coufrèrl's étrangers ... dans les années trente extrait d'un livre de M. Ralph Schor .. .... ........... . .

• l't•.mmen de co11sciencl! d '1111 m édecin

10

15

24

par le D' François Goust. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

• Bie11hl'ure11.1· Frédéric O:::.ruwm

• •

par le D' Robert Gayet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 t

Bibliographie......... . ...................... ltt· couv .

Appel des cotisalio11s et/ ou abonnem ents 199 .... IV• couv .

MÊDECINE DE L'HOMME N° 233 e 1

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Liminaire

par le D' Marc BOST (*)

Ce numéro «Migrations», qui nous paraissait simple à réaliser lors de son élaboration, a pris davantage de temps, comme le précédent, pour être imprimé. Nous nous excusons de ce retard, mais il paraît de plus en plus difficile, comme pour d'autres revues, d'avoir non seulement des articles par des auteurs compétents, mais des articles« dans les temps» .... Puis nous nous sommes aperçus que le sujet dépassait les préoccupations actuelles : «trop de Maghrébins»,« trop d' Africains» ... dans cette période de crise.

Or, depuis le milieu du XIXe siècle, a fortiori depuis 1920 environ, la France a bénéficié de l'arrivée : des Polonais (dans les mines) ; des Italiens (dans le Bâtiment) ; des Espagnols et des Portugais. Puis l'indépçndance del' Algérie (1962) et les besoins des« trente glorieuses», ont encore accéléré le phéno­mène. A la tolérance facile des années de plein emploi, a succédé la réserve puis la méfiance, voire le rejet en cette période de pénurie d'emploi. Réaction paraissant normale à beaucoup, encore accentuée par certain parti politique ....

Dans l'un de ses ouvrages, Levi-Strauss évoque l'expression par laquelle un groupe amérindien qua­lifie les autres hommes: «Ce sont des œufs de pou ! ».Ne sommes-nous pas gagnés par ce« sentiment amérindien » ?

Il est intéressant de comparer dans ce numéro, l'article concernant le problème posé dès 1930 «attitude des médecins français face à leurs confrères étrangers», et le problème actuel des «médecins étrangers». En fait, c'est bien parce que des postes hospitaliers, peu rémunérés ou peu considérés se trouvent vacants, qu'on a fait appel à une« autre solution» ...

Ne s'agit-il pas en fait, d'un problème mondial, non seulement dans sa rivalité Nord/Sud, mais plus général : les Turcs en Allemagne ; les Américains du sud au Canada ; les Pakistanais en Grande-Bretagne ; les Mexicains aux USA, etc ... ?

La France, qualifiée de terre d'accueil, y est peut-être plus sensible, d'autant que nous avons égale­ment les difficultés propres à une« ancienne puissance coloniale», cette réalité créant des liens, parfois des regrets; mais parfois aussi une« mauvaise conscience».

Notre qualité de médecin, qui plus est de médecin chrétien, nous imposait de réaliser un tel numéro, même imparfait, mais sûrement source de réflexion. Le serment d'Hippocrate nous fait obligation de ne faire aucune distinction de race. Notre qualité de chrétien nous oblige à une compréhension et à une aide souvent nécessaire.

Nous pourrions parodier une parole du Christ : «Pourquoi m'avez-vous tant attendu quand j'étais utile, pour maintenant me rejeter ? » ...

(*)Médecin attaché à !'Hôpital Bichat, Service infecliologie, P' Vildé.

2 e MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

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À propos de /'immigration

Une lecture du Père J.-C. BESANCENEV (*)

Ce sujet permanent de discours pas.sionnels, d~ tâtonnements politiques mais aussi de prises de posi­tions constructives, vient d'être éclairé par plusieurs ouvrages récents. L'un d'eux, intitu!é « H_istoir~ de l'immi­gration en France de la fin du x1x0 siècle a nos Jours» (1), constitue une documentation absolument complète de tous les aspects de cette réalité complexe et mouvante qu'est l'immigration en France.

En historien, l'auteur dit ce qui a été, ce qui s'est passé, ce qui est. Il ne prend pas parti, ne défend aucu.ne politique, mais amène à nous remettre devant des faits, des réalités. Faits eux-mêmes justifiés par les sources très nombreuses consultées, comme le montre une bibliographie très détaillée, par des tableaux statistiques également nombreux et provenant des sources les plus sûres. Devant une réalité qui a toujours suscité en France beaucoup de passion, souvent même de violence, .ver­bale et en acte et dont chacun ne peut rencontrer qu une parcelle, cet o~vrage représente le type même du docu­ment « objectif ».

Il s'agit d'un document d'~ne lecture à la fois pas­sionnante mais évidemment exigeante. Le plan est histo­rique, depuis la situation avant 1914 jusqu'à la ~ituatio~ la plus récente, chaque période comporte un~ pres~nta~1on du phénomène migratoire, ~.our ~uelle:s raisons 11 existe ou se modifie, quels types d 1mm1grés 11 concerne, qu~lle insertion se réalise, quelle attitude adopte I~ population française à leur égard, quelles mesures legales sont prises pour l'encadrer ....

Toutes les dimensions du phénomène sont exami­nées : sociales, humaines, politiques. ~n y trouv~ des informations aussi bien sur les aspects demograph1ques, l'immigration clandestine, les attitudes différe~tes des immigrés eux-mêmes que sur celles des frança1~, su_r.1~ niveau de santé et de médicalisation, sur la vulnerab1hte au chômage, sur la délinquance, sur l'habi~at et son insertion dans les agglomérations, sur le .degre de ~~ola­risation sur la constitution de couples mixtes, le militan­tisme i~migré ... bref sur tous les aspects du fait immi­gration.

Très schématiquement, on pourrait ramasser l'e~­semble comme l'histoire d'une interaction mouvementee entre une population autochtone et des populations diverses se trouvant amenées à coexister. Lorsque les besoins démographiques - la natalité française étant en

diminution régulière depuis un siècle - et les besoins de main-d'œuvre provoquent. des arrivées massives ~·i~mi­grés, la population française d~ns son ensembl~ mtegre assez bien le phénomène. Mais lors~ue I~ con1onctur~ économique devient défavorable, l 1mm1gré apparait comme un cc concurrent», un indésirable, et l'interaction tend à devenir plutôt conflictuelle, la différence n'est plus tolérée mais ressentie comme une agression. Les pou­voirs publics ont toujours tenté de gérer cette inte~action sans jamais vraiment y réussir. La cascade de decrets, de lois, d'arrêtés, est impressionnante, et les mesures toujours conjoncturelles et donc fragiles.

Outre cette dynamique, des idéologies xénophobes extrémistes se sont toujours manifestées, particulière­ment dans les années 30-40 et les années récentes. Le meilleur antidote à ces idéologies, jouant sur le passion­nel et sur l'absence de référence à des sources sûres, est justement d'en avoir. Il est par exemple capital de savoir que le taux d'étrangers en,.France, ~près diver~es yar!a­tions est exactement le meme ... qu en 1931, c est-a-dire aux ~!entours de 7 %. Mais les vagues successives pro­viennent toujours de nouvelles contrées, si bien que l'ac­coutumance acquise est périodiquement remise en ques­tion. D'autant qu'une des raisons de l'immiwation est la nécessité de quitter son pays pour des raisons autres qu'économiques : le nombre des « réfugiés ,, est sans cesse croissant dans le monde.

Enfin, n'oublions pas que « les immigrants et l~urs descendants ont enrichi la population française d'environ 1 o millions de personnes en un peu plus d'un siècle ». Car un grand nombre ont deman~é et obtenu la nation~­lisation, et d'autre part jusqu'à present leurs enfants nes en France sont français.

cc Cette étude dit l'auteur, rend intelligible la situation actuelle en éclair~nt la question complexe de l'immigra­tion qui constitue l'un des problèmes fon~~mentaux de la société française ». Comprendre pour res1ster, avec des arguments fermes, aux slogans destructeurs qui ne font qu'exciter les passions. •

(*) Aumônier national du C.C.M.F. (1) Histoire de l'immigratio':l en France - de la fin. du x1X" siècle

à nos jours - Ralph Schor - Pans 1996 -Armand Colm éd.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 233 • 3

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VIH-Sida en milieu arabo-musulman, recommandations et propositions

Revue ARCAT-SIDA

La rédaction de la revue ARCAT-SIDA, nous autorise aimablement - et nous l'en remercions - à reproduire ci-dessous, un extrait de " VIH-SIDA en milieu migrant arabo-musulman - synthèse bibliographique - rapport d'enquête », paru en 1997.

La problématique du VIH-sida dans le milieu arabo­musulman en France est complexe, faisant appel à diffé­rents niveaux d'analyse, sociaux, économiques, cultu­rels, comportementaux ... Il nous semble tout d'abord important de considérer que le problème ne se pose pas qu'en termes d'information, au sens restrictif du terme. En effet, on sait, d'une part, que l'information n'est pas suffisante pour déterminer les changements de compor­tements, mais, d'autre part, la dimension sociale, selon nous, qui caractérise le déni et son corollaire rapporté, le fatalisme, impose la mise en place d'une stratégie de santé publique globale, multidisciplinaire et transversale dont l'objectif serait de déclencher une véritable dyna­mique sociale dans le milieu arabe-musulman.

/. - Cadre général : pour une .'Jtratégie de prévention et de soutien dans le milieu arabo-mu.~ulman

lmpérat(fs nationau;?.: de santé pubüque et prise en compte du conte.rie

La difficulté pour tous les acteurs de la lutte contre le VIH-sida ou plus largement des professionnels de la santé, à poser les termes de la problématique« migrant et VIH-sida » apparaît comme une évidence. On peut relever deux points de débat majeurs. D'une part, cette problématique est souvent pensée en termes exclusive­ment culturels, provoquant la résistance des tenants d'un universalisme ou d'un humanisme universel qui se refuse à envisager toute spécificité des populations concernées. D'autre part, elle se heurte au débat universalisme contre communautarisme, dans lequel les uns défendent l'idée d'un service public universel, se méfiant de toute création de ghetto communautaire, et les autres pensent au contraire résoudre les difficultés repérées, par la création de structures ou de groupes spécifiques.

Il semble ici que les termes du débat, tels qu'ils sont posés, conduisent à une véritable impasse et empêchent une vision claire des enjeux. Face à ce constat, il paraît fondamental que les pouvoirs publics posent le cadre conceptuel et politique permettant de sortir de cette dichotomie et d'appréhender le problème du VIH-sida dans ce milieu d'une façon relativement consensuelle

4 e MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

afin de déployer une stratégie équilibrant impératifs natio­naux de santé publique et prise en compte des attentes et des besoins de ces populations.

Ainsi, on pourrait partir du constat que certaines franges de la population sont plus vulnérables, compte tenu des conditions socio-économiques, de la trajectoire migratoire et de l'accès aux droits universels, qui, pour toute une série de raisons (les différences, les repré­sentations des uns et des autres, les facteurs socio­économiques, la méconnaissance par les professionnels de ce milieu ... ), est freiné.

À partir de là, on peut affirmer que l'objectif premier est bien d'assurer l'accès aux offres de soin et de pré­vention du service public universel mais que, afin d'atteindre cet objectif, il est nécessaire de mettre en place des actions et des programmes ciblés - sachant que ce n'est pas la population qui est spécifique mais que ce sont les moyens de l'atteindre. Etant donné les diffi­cultés repérées, on ne peut en effet pas se cantonner à une réponse formelle, universaliste, qui se contenterait de réaffirmer les droits d'accès aux services publics pour tous. Il semble au contraire incontournable de mettre en place des lieux de médiation, dans la proximité, afin d'as­surer cet accès aux structures existantes.

Il s'agit donc - et la responsabilité en incombe aux pouvoirs publics - de promouvoir une double approche, réaffirmant le droit et la nécessité d'accès de ces popula­tions à l'offre existante, et développant des réponses spécifiques afin que les droits soient remplis et effectifs.

Par ailleurs se pose également la question des don­nées épidémiologiques et de leur éventuelle publication. Il est clair que la publication de telles données peut com­porter un réel risque de stigmatisation, notamment dans le contexte politique qui caractérise l'immigration en France. De plus, il n'est pas nécessaire, selon nous, de donner une preuve scientifique fondée pour mettre en place des actions de prévention ou d'optimisation de la prise en charge médicale ou psychosociale. Poser le recueil et la diffusion de données épidémiologiques comme un préalable à l'action apparaît en effet comme très restrictif et oublie la question des droits à la santé auxquels chacun peut prétendre.

Il s'agirait plutôt, à notre sens, de promouvoir une approche de santé publique prospective et pragmatique qui mette en relief les facteurs de risque prédisposant les personnes du milieu, partant du problème tel qu'il se

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pose dans le groupe et plaçant la personne au centre de ses préoccupations. Il nous semble ainsi préférable d'af­finer une observation pertinente de la problématique du VIH-sida dans le milieu, plutôt que de chercher à en faire la preuve par l'épidémiologie.

Toutefois, toute donnée épidémiologique n'est pas toujours inutile. Selon nous, s'il n'est peut-être pas vrai­ment nécessaire de mener de grandes enquêtes natio­nales, prenant en compte la nationalité ou l'origine natio­nale des individus, il serait sans doute pertinent de disposer d'études portant sur des groupes délimités, por­tant par exemple sur les comportements, les facteurs de risque, l'accès aux soins, l'entrée en maladie ... De telles données permettraient une meilleure compréhension des facteurs de vulnérabilité de ces populations, dans l'objec­tif de concevoir une démarche de prévention appropriée et une optimisation de la prise en charge médico-sociale.

Par ailleurs, il reste que, de toute façon, l'éventuelle diffusion de données épidémiologiques, si elle était effec­tive, ne peut s'envisager hors d'un cadre éthique rigou­reux et clair, afin d'éviter toute utilisation tendancieuse de ces dernières.

Il nous semble qu'une stratégie globale fondée sur la double approche réponses universelles - réponses spé­cifiques doit être mise en œuvre afin de susciter une véri­table dynamique sociale dans le milieu. En effet, il s'agi­rait, selon nous, de multiplier les espaces de parole où tous les problèmes liés au VIH-sida pourraient être soule­vés et discutés tant au niveau intra-familial, social qu'entre les institutions et les usagers.

Pour une prise en compte collective du Vif/­sida dans le milieu

Comme nous l'avons vu, il semble bien que le déni et la mise à distance du VIH-sida caractérisent le milieu arabo-musulman, tant pour les personnes concernées que non concernées. Maladie honteuse, le VIH-sida est rejeté à la frontière du groupe et, quand une personne est atteinte, elle l'est par erreur ou parce qu'elle a fauté, et les attitudes de compassion - ou plutôt d'ouverture, de com­préhension et d'empathie par l'échange et la parole -sont difficiles.

Il nous semble que le déni et le silence constituent en quelque sorte le système de réaction social du milieu arabo-musulman face au sida, et qu'ils en constituent également la vulnérabilité, jouant quasiment comme fac­teurs sociaux de risque face à l'épidémie. C'est dans ce sens, selon nous, qu'il s'agit de promouvoir une véritable prise en compte du VIH-sida par le milieu, c'est-à-dire comme un fait existant, réel, concernant tous les membres du milieu et que, loin d'être attaché à la honte et à la culpabilité, l'ensemble du groupe - ou plutôt des groupes- est concerné par la prévention et le soutien ou l'aide aux personnes atteintes. Il est important que cha­cun puisse s'exprimer sur le VIH-sida, prenne la parole afin de montrer l'existence et l'impact de cette pathologie, en évitant toute dramatisation.

C'est pourquoi il nous semble fondamental, comme méthode et comme objectif même, d'impliquer et d'asso­cier la population elle-même aux programmes et aux actions de soutien, et notamment par le biais de toute per­sonne jouant un rôle particulier dans le milieu, toute per­sonne connue ou reconnue, c'est-à-dire des médiateurs.

Ces derniers sont en effet les plus à même de jouer un rôle dans la prise de conscience, de par leur proximité, l'impact de leur parole et leur position d'intermédiaire avec les structures professionnelles. De par leur proxi­mité, ils ont une connaissance de leur public ou de la population avec laquelle ils agissent, qui les rend moins en décalage que les professionnels et plus à même de tenir compte du contexte tant social, économique, que moral ou culturel. De par leur impact, leur discours a plus de poids et ils ne peuvent être suspectés d'être contre le milieu. Enfin, ils ont une position d'intermédiaire, social et parfois professionnel, qui rend plus facile un travail en partenariat avec les structures existantes.

Par l'implication de nombreux acteurs à tous les niveaux, par la multiplication des espaces de parole, il s'agirait de permettre une plus grande visibilité sociale du VIH-sida, ainsi qu'une meilleure prise en charge des per­sonnes atteintes. La visibilité du VIH-sida provoquerait, dans un processus dialectique, une acceptation sociale du VIH-sida et, de là, renforcerait la prise de conscience du risque.

Cela étant, cette dynamique interne ne peut être déconnectée des espaces de prise en charge et de pré­vention existants. Elle doit permettre que de multiples liens se tissent entre les personnes du milieu, les média­teurs et les professionnels. On a vu comment les profes­sionnels sont détenteurs d'un savoir technique, scienti­fique sur le VIH-sida, mais qu'il s'agit de contextualiser. Ils devraient ainsi jouer le rôle de ressource pour les struc­tures et les acteurs de proximité, détenteurs d'un capital relationnel avec leur public. Il s'agirait ainsi de promou­voir un véritable travail de partenariat qui permettrait un échange de savoir-faire et une adaptation des compé­tences mutuelles au profit d'une plus grande visibilité de la prise en charge et de la prévention de l'infection par le VIH dans le milieu.

Stratégie de communication

La dimension humaine de la prévention

Il paraît important de repenser quelque peu la straté­gie de communication sur le VIH-sida, en réorientant davantage les discours sur la dimension humaine de la prévention.

Un des facteurs fondamentaux du déni et de l'exté­riorité provient sans doute du fait que l'information est coupée de sens, axée qu'elle est, le plus souvent, sur des données médicales, objectives, abstraites, au détri­ment des dimensions humaines, psychologiques et sociales. De façon générale, une information abstraite provoque des attitudes de mise à distance ; on peut esti­mer que cette mise à distance est encore plus marquée pour cette population. En fait, il semble que la désincar­nation de l'information scientifique renforce les méca­nismes de déni dans le milieu. En effet, il est rare que tous les aspects subjectifs, toute la dimension du vécu de la maladie, de la souffrance, de l'angoisse devant l'annonce d'une séropositivité, ou à la suite d'une prise de conscience du risque, soient abordés lors des infor­mations sur le VIH-sida. Il est alors difficile que les per­sonnes et les groupes se réapproprient l'information ; tout se passe comme si l'information, abstraite, sans croisement de subjectivités, restait cc en dehors » du groupe et ne le concernait pas.

MÉDECINE DE L'HOMME N" 233 e 5

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1 VIH-Sida en milieu arabo-musulman, recommandations et propositions

Peut-être pouvons-nous ainsi mieux comprendre comment les réponses, dans les familles, sont davantage basées sur l'aspect matériel que sur le soutien psycholo­gique et les échanges avec la personne atteinte. Ou encore que des familles, apprenant la séropositivité d'un de leurs membres, ne comprennent absolument pas comment cela est possible. Se sentant jusque-là absolu­ment non concernés par une maladie réputée « hon­teuse», les individus et les familles sont souvent conster­nés, sidérés par l'apparition du VIH-sida parmi les leurs, et se trouvent démunis pour faire face à cette épreuve.

En revanche, lorsqu'une intervention est enrichie de tous les différents aspects de l'épidémie, lorsque de nom­breux exemples, histoires de vie, viennent ponctuer une information, celle-ci prend tout à coup une autre valeur ; nous avons constaté l'efficacité de cette démarche à de nombreuses reprises. Dans un milieu marqué par le déni et par la mise à distance, par la honte et par le « fata­lisme », il semble d'autant plus important d'insister sur la dimension humaine de l'épidémie, réelle, subjective, afin que l'information prenne sens et concerne, atteigne véri­tablement les personnes présentes. Si la maladie du sida est connue, si elle est considérée comme grave, toutes les questions de la solitude et de la souffrance, de la dif­ficulté de la gestion du risque sont oubliées, et il semble crucial de les réintégrer dans la façon de parler du VIH­sida.

En fait, on ne peut envisager l'information sans qu'un sens lui soit donné et qu'il soit compris par l'individu et par le groupe. C'est dans ce cadre également, nous semble­t-il, qu'il faut penser un assouplissement des discours de prévention axés sur le « tout-préservatif ». En effet, un discours centré sur la promotion du préservatif n'a pas de portée si ce dernier paraît impensable ou impossible. Dans ce cas, il faudrait bien plutôt trouver le message qui aura le plus de sens.

Hiérarchisation des messages et des risques, par exemple, ou envisager, dans l'échange, pourquoi l'utilisa­tion du préservatif est impossible. C'est bien la personne, avec ses références, ses certitudes, ses contradictions, ses doutes ... qui doit être au centre du discours de pré­vention.

Prévention primaire et secondaire

Par ailleurs, il nous semble important de ne pas dis­socier, de façon générale, mais plus encore dans ce milieu, la prévention de la prise en charge, ou les diffé­rents niveaux de prévention : primaire et secondaire. En effet, dans un milieu marqué par le silence entourant la maladie et, dans certains sites, par une forte proximité du VIH-sida, un intervenant est toujours susceptible de s'adresser à des personnes concernées, lesquelles ont probablement besoin de soutien et d'orientations. Il faut bien alors que l'intervenant soit en mesure de répondre aux sollicitations qu'il rencontre, dans la perspective de garantir la mise en œuvre de la prise en charge, au sens large (c'est-à-dire médico-psycho-sociale}, des per­sonnes atteintes.

De surcroît, pour certaines personnes, le moment d'une information sur le VIH-sida sera l'unique occasion

6 e MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

lors de laquelle elles pourront envisager le problème ou l'éventualité de leur contamination ; une séance d'infor­mation est parfois le seul lieu, le seul moment où va pou­voir s'initier une démarche de dépistage, de soins ou une demande de soutien et d'information. Or, une des difficul­tés majeures tant de la prise en charge que de la préven­tion, tout au moins dans les milieux défavorisés, est bien de toucher les personnes atteintes afin qu'elles entre­prennent les démarches nécessaires (dépistage, soins, etc.). Ainsi, a fortiori dans ce milieu marqué par le silence et l'isolement des personnes atteintes, il ne s'agit pas de manquer l'occasion que représente une séance d'infor­mation.

Enfin, favoriser l'émergence des besoins et des demandes des personnes concernées lors des séances d'information, entre véritablement dans une stratégie de réduction des risques.

En effet, les études nationales montrent que la proxi­mité avec une personne atteinte est un facteur important de changement de comportement. Or, dans le milieu arabo-musulman, même s'il existe, dans certains cas, une forte proximité avec la maladie, on ne retrouve pas forcément cette corrélation. Il nous semble que, si la proximité n'entraîne pas une prise de conscience et une plus grande tolérance (envers les personnes contami­nées), c'est en raison du poids social existant, qui ne permet pas, ou ne permet que très peu, les prises de parole. Si le silence est personnel, intérieur, et ne permet pas à une personne de parler de sa maladie, il est aussi social, à l'extérieur, ne permettant pas de parler de peur d'être jugé. Si quelqu'un connaît une personne contami­née, elle ne va probablement pas en parler à son entou­rage, et le sida restera une maladie honteuse et impen­sable pour soi.

C'est pourquoi soutenir les personnes séropositives, médicalement mais également sur un plan social et per­sonnel, les accompagner dans leurs relations avec leurs proches, aider à ce que les choses émergent et soient dites, permettrait une banalisation du VIH-sida, une prise de conscience individuelle et collective du risque et une meilleure tolérance sociale. Dans cette optique les séances d'informations générales sur le VIH-sida, telles que définies plus haut, sont un moyen central d'atteindre cet objectif de visibilité et de prise de conscience.

Observations sur les dispositifs e.1.:istants

Prise en charge

Comme on a pu le constater, la prise en charge est souvent difficile pour les personnes du milieu, que ce soit au niveau de l'accès aux soins, souvent plus tardif, que de la qualité même de la prise en charge. En effet, dans le contexte familial complexe que nous avons décrit, les personnes et leur famille auraient besoin d'une réelle prise en charge psychosociale. C'est pourquoi, sans doute, les personnes ou les familles ont davantage recours aux lieux qui proposent une prise en charge glo­bale, comme les hôpitaux, les PMI, les centres de MST, les centres antituberculeux ou les centres associatifs. Ils sont également probablement plus à l'aise dans ces lieux

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car ils les connaissent. L'optimisation de la prise en charge, c'est-à-dire le caractère multidimensionnel des réponses médico-sociales pourrait ainsi renforcer l'accès égalitaire aux soins et à la santé.

De même, on a aussi constaté dans ces groupes une certaine difficulté de faire la démarche de dépistage. Cette dernière est certes problématique pour chacun, puisque c'est déjà envisager la prise de risque, mais elle doit être encore plus douloureuse quand la perspective d'une séropositivité est envisagée dans un milieu où la personne sait d'emblée qu'elle sera tenue à un silence total. Ainsi, de façon générale, il nous paraît important que les professionnels chargés du dépistage et des actes médicaux prennent en compte la dimension sociétale du vécu de l'infection dans le milieu. La dimension de sou­tien et de counselling pré- et post-test est d'autant plus indispensable pour ce public.

S'il ne s'agit pas de détourner chaque structure de ses fonctions initiales, il n'en demeure pas moins que la démarche de prise en charge doit prendre en compte l'accompagnement, le soutien et l'orientation des per­sonnes vers les structures adéquates. Par conséquent, la promotion d'une telle prise en charge globale nécessite une meilleure connaissance des réponses existantes et des interrelations entre les différentes structures.

Une prise en charge globale semble encore plus incontournable pour les groupes marginalisés du milieu pour lesquels une problématique d'exclusion aggrave l'in­fection par le VIH, comme c'est le cas, entre autres, des prostitué(e)s arrivé(e)s en France depuis relativement peu de temps et issu(e)s de l'immigration la plus déshéri­tée. Pour ce type d'usagers, la relation avec un profes­sionnel est fondamentale, d'autant plus quand elle est exclusive, et l'offre de soins ou de soutien ne peut abso­lument pas se concevoir en dehors du contexte social. Dans ce cas, la globalité de la prise en charge est une condition pour qu'une réponse éventuelle puisse être envisagée (logement, alimentation). Il est en effet très important de reconstruire un lien pour ces personnes, ainsi que de renforcer l'estime de soi. On peut par exemple envisager une insertion par la santé ; en appré­hendant la santé comme un capital qu'il s'agit de préser­ver. Une dynamique d'insertion peut être engagée à par­tir du moment où on met en place une prise en charge sanitaire, une démarche régulière de soins, un espace de parole et de prise en charge.

Par ailleurs, il arrive que des patients s'acheminent vers une démarche spirituelle et religieuse qui est parfois l'ultime recours pour se maintenir en vie ou pour accepter une prise en charge médicale. Face aux difficultés que vivent généralement les usagers, il semble important que les professionnels comprennent cette démarche et per­mettent qu'elle s'opère dans les meilleures conditions, afin d'assurer une meilleure qualité de vie, dont les critères sont énoncés par la personne elle-même. Au-delà d'une prise en charge médicale de qualité, il convient d'appré­hender la personne dans sa globalité. Ainsi, s'il est néces­saire de prendre en compte les dimensions socio-écono­miques, le contexte environnemental et familial, il importe également de ne pas mettre de côté la dimension intime, personnelle, que constitue une démarche religieuse à l'approche de la maladie et de la mort.

De plus, il nous semble important également de développer dans ce sens des liens avec des structures

musulmanes en France, mais aussi dans l'objectif de favoriser une prise en compte sociale de cette pathologie par la solidarité et par la visibilité du soutien aux per­sonnes atteintes.

Enfin, face au constat des difficultés rencontrées par les professionnels et les usagers lors des prises en charge, il est parfois recommandé de développer les for­mations, destinées aux professionnels, aux dimensions culturelles de la maladie, de la sexualité ou de la mort.

Cette démarche permet sans aucun doute de donner aux professionnels un certain nombre d'outils et de les sensibiliser aux différences existant sur de nombreux points. Cependant, de l'avis même des spécialistes, ce type de formation n'a pas pour objet de proposer des recettes aux professionnels et on ne peut penser qu'elles constitueraient la solution à la problématique du VIH-sida dans le milieu.

En outre, chaque intervenant ne peut et n'a pas à être confronté à un milieu différent du sien, en connaître toutes les subtilités et tous les fonctionnements. Bien plus, on peut se demander si ce qui est en jeu ici n'est pas plutôt la qualité de la relation engagée avec une personne, c'est-à-dire, à nouveau, une relation non jugeante, caractérisée par l'ouverture du professionnel, le respect et l'effort de compréhension.

En fait, l'attente de cette formation ne doit pas être un préalable à l'action. La formation des professionnels ne peut être qu'un outil parmi d'autres, s'intégrant dans une stratégie d'ensemble. A notre sens, cette dernière doit bien plutôt se définir à partir des structures et des per­sonnes reconnues dans le milieu, qu'il s'agit de repérer et de mettre en relation avec les professionnels, afin de créer un véritable processus d'interaction entre les diffé­rents acteurs. Ce processus doit être lui-même pensé comme une méthodologie permettant, d'une part, la prise de responsabilité par les médiateurs et, d'autre part, la prise de conscience et l'adaptation des pratiques des professionnels.

La prévention

Les actions de prévention, menées au sein de foyers de travailleurs immigrés, tout comme, de façon générale, les actions d'information auprès de tel ou tel public, ont l'intérêt de rendre accessible l'information. Toutefois, on peut remarquer que, en dehors d'une information stricto sensu, elles ont peu de perspectives en termes sanitaires et sociaux.

Souvent menées selon une conception restrictive de la prévention, sans que soit envisagée la dimension de la prise en charge, elles ne remplissent pas leur rôle de soutien et d'échange avec les personnes concernées, ainsi que de réorientation sur les structures existantes. C'est ainsi que, fréquemment, des acteurs de prévention sont déstabilisés par la rencontre, lors d'une séance d'in­formation, avec une personne séropositive ou malade, alors que les personnes déjà contaminées devraient faire l'objet d'une préoccupation particulière afin d'optimiser leur prise en charge médico-sociale, de surcroît quand on sait qu'elles sont souvent enfermées dans un silence pesant.

De plus, l'information est souvent ponctuelle et sortie de son contexte de vie, alors qu'il s'agirait d'insister sur les différents paramètres de la vie quotidienne (comme, par exemple, la difficulté pour un travailleur émigré d'an-

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VIH-Sida en milieu arabo-rnusulman, recommandations et propositions

noncer sa séropositivité à son épouse restée au pays), afin que l'information puisse être utile et soit réappropriée par les personnes. De même, ce type d'intervention devrait être inscrit dans le temps avec une certaine régu­larité, permettant une vraie présence.

On pourrait quasiment instituer en méthode d'inter­vention la nécessité de prendre en compte les différentes dimensions de l'infection par le VIH (humaine, de préven­tion secondaire, etc.) ainsi que de répondre aux demandes qu'une telle information génère. Il s'agit alors que les acteurs de santé réfléchissent au préalable sur le type de réponses qu'ils peuvent apporter, tant au niveau sanitaire, social, qu'en termes de soutien. La prévention n'est pas une fin en soi et si, parfois, le droit à l'informa­tion est satisfait, il n'est souvent que trop formel, et ponc­tuel pour s'exprimer en savoir et en capacité d'agir pour soi-même.

Le constat de la difficulté à parler du VIH-sida ainsi que de la difficulté des prises en charge doit amener les acteurs de prévention au respect d'une démarche déon­tologique selon laquelle il s'agit non seulement de donner une information scientifique, mais aussi de se mettre à la disposition des personnes ; on peut estimer, en ce sens, que les intervenants ont une obligation ou un devoir de réponse aux publics auxquels ils s'adressent.

Par ailleurs, il convient d'insister également sur l'éthique de la relation dans une démarche de prévention et de soutien. En effet, les acteurs de santé sont parfois choqués par certaines pratiques, comme, par exemple, le mariage d'une personne atteinte avec une jeune fille du pays, ou encore la maternité d'une jeune femme séropo­sitive, ou l'absence de comportements préventifs d'un travailleur émigré avec son épouse restée au pays d'ori­gine ... Il nous semble que les acteurs de santé se doivent de ne pas juger les attitudes ou les réponses des per­sonnes, mais qu'il leur faut plutôt s'interroger sur les rai­sons de telle ou telle pratique. Essayer de comprendre la logique des personnes ne signifie pas l'accepter, mais se donner les moyens de comprendre les difficultés. dans lesquelles sont pris les individus ou les familles. A l'op­posé du contrôle, nous devons nous situer ici dans une stratégie de réduction des risques.

Les personnes sont en effet bien souvent livrées à elles-mêmes, ne bénéficiant d'aucun soutien et dans l'in­capacité d'envisager d'autres réponses ou d'autres solu­tions. Ainsi, on peut estimer que les professionnels ont une part de responsabilité dans ces attitudes et ces pra­tiques parfois dénigrées, dans le sens où aucune action - ou très peu - n'a été engagée jusqu'à présent pour sou­tenir les personnes et les familles. Il est pourtant pos­sible, indéniablement, par le dialogue et l'échange, par l'instauration d'une relation de confiance, d'ouvrir des espaces où pourront se débloquer les situations et se lever les obstacles et les difficultés.

Pour ce faire, il s'agit bien de se positionner dans une relation non jugeante, non injonctive, pour soutenir les personnes dans leurs choix et leurs décisions.

8 e MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

Conclusion

On peut se demander si l'absence de programme de prévention en direction du milieu migrant arabo­musulman et, plus généralement, des autres publics immigrés n'est pas liée, pour une part, à une difficulté des pouvoirs publics comme de certains acteurs de préven­tion, d'envisager de nouvelles approches dans ce domaine. Or ce problème requiert la mise en place d'une véritable stratégie de santé publique.

L'accès aux soins et à l'information des personnes issues du milieu arabo-musulman est rarement rempli de façon satisfaisante par les dispositifs existants, à voca­tion universelle. Toute la demande sociale de soins reste à la charge des professionnels sanitaires et sociaux qui, faute de moyens administratifs, financiers ou en raison d'une méconnaissance du milieu, n'y répondent que très partiellement. Ainsi, les personnes les plus fragiles du milieu cumulent deux handicaps : la difficulté d'accéder aux soins et la difficulté de bénéficier du soutien et de l'attention des institutions, qui attendent qu'une demande claire soit formulée avant de proposer une réponse.

Or, si cette population n'est pas en mesure de formu­ler une demande claire et explicite en termes de soutien et de prévention, en raison du poids du silence et des tabous sociaux, il revient en principe aux professionnels d'anticiper cette demande, au regard de leur expérience professionnelle et de leurs objectifs de santé publique.

Ainsi, l'absence d'une stratégie d'intervention auprès de et avec ce public met à mal la politique égalitaire et universelle de santé.

D'autre part, depuis quelques années, on a vu émer­ger des actions de prévention du VIH-sida, parfois même de soutien, en direction du milieu ou en son sein. Cer­taines de ces initiatives sont de qualité, d'autres semblent déconnectées, parcellaires, voire considérées comme illégitimes par les professionnels. De plus, souvent, la santé est uniquement rapportée à sa sphère médicale, et toutes les autres dimensions, humaines, sociales, ayant trait aux représentations ... sont mises de côté.

Cette diversité des actions, qui émergent souvent sous la pression des faits et à la suite de l'émergence de la pathologie chez des personnes proches des interve­nants, pose les questions de leur cohérence, de leur coordination ainsi que de leur évaluation.

Certaines voix institutionnelles ou associatives se sont élevées pour affirmer que toute action ciblée sur le milieu serait génératrice de stigmatisation et laisserait libre cours aux hypothèses spéculatives. D'autres ont tendance à estimer que la tâche de prévention auprès de ce public est trop lourde, trop difficile, tant seraient grands les différences, les représentations et les tabous. Or il s'agit effectivement de prendre position, entre un milieu qui « résiste » et s'enferme dans un silence culpa­bilisant autour d'une réalité trop brutale, et un corps pro­fessionnel sommé de faire face à une épidémie dans ce milieu qu'il appréhende à peine, parfois enclin à défendre sa vision et ses méthodes instituées.

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De quels acteurs la lutte contre le VIH-sida dans le milieu arabo-musulman a-t-elle besoin ? Quels types de réponses faut-il envisager et promouvoir ?

Les voies classiques de prévention, trop souvent fon­dées sur l'information générale, pragmatique et porteuse d'une certaine morale, ont montré leurs limites. Ainsi, il nous semble nécessaire de rénover les approches de prévention, en posant le principe d'une véritable associa­tion et participation des populations concernées. L'ap­proche jusqu 'ici util isée, fondée sur une information grand public, doit être reconsidérée à partir de l'analyse et de la recherche des vecteurs de sociabilité. Elle néces­site une identification des réseaux de sociabilité naturelle et du rôle des médiateurs dans la constitution de ces réseaux.

entre les savoirs scientifiques et les savoirs profanes de ces populations soit comblé. La communication, dans le milieu migrant, s'avère donc être une nécessité, mais est insuffisante si l'on veut modifier les comportements et rendre plus visible le risque et sa réalité sociale. Agir dans le cadre de la prévention en milieu migrant arabo­musulman ne peut consister à diffuser une information scientifique coupée de sa réalité humaine. Elle doit plutôt prendre en compte de manière indissociable toutes les dimensions, culturelles, religieuses, socio-économiques, qui relèvent de la trajectoire migratoire.

Il s'agit d'impulser un important travail de réappro­priation singulière et collective pour que le fossé existant

Il est impératif de rendre socialement compréhen­sible et acceptable un discours de santé à travers les dif­férents canaux de sociabilité et d'échange. Il faut per­mettre que chacun ait la chance d'accéder à de nouvelles formes de savoi rs et favoriser leurs appropriat ions comme de nouvelles données venant s'intégrer aux valeurs individuelles et sociales. ,, •

J\Touvelle.~ de.'i rég·ion.'i

GROUPE DE DIJON, . COMPTE RENDU DE L'ACTIVITE

AU COURS DE L'ANNÉE 1996-1997

Notre groupe comporte actuellement 25 membres actifs habituels. La plupart des participants sont des retraités plus ou moins âgés. Les quelques membres non retraités sont très occupés et participent rarement à nos activités mensuelles. Il y a déjà longtemps que nous avons dû renoncer aux réunions du soir où nous réfléchissions sur un thème défini, faute de participants. En accord avec le professeur GAYET, notre président, qui fait preuve d'un dévouement et d'un dynamisme remar­quables, nous sommes convenus de limiter nos activités à une rencontre mensuelle, le samedi matin. Nous nous réu ni sso ns actuellement à la maison de retraite Saint­Philibert, rue Condorcet. Notre rencontre est centrée sur la célébration de l'eucharis­tie suivie d'un repas en commun. Elle est précédée, Je plus souvent possible, d'un exposé fait, en général , par l'un d'entre nous, sur un sujet variable mais d'intérêt général. Nous faisons appel, de temps à autre, à des conférenciers étrangers à notre groupe. Notre aumônier actuel est le Père FERRY, dominicain. Nous invitons, chaque fois que cela lui est possib le , le Père ROBIN, responsable de la pastorale de la santé. Je rappelle, qu'au cours des années 1993-94-95, nous avons tenté d'intéresser les médecins dijonnais aux problèmes d'éthi­que médic.ale. C'est ainsi que f.ul créé le groupe " Ethique médicale et Evangile "

ouvert à un nombre important de médecins. Chaque rencontre comportait : un volet technique assuré par un médecin, fondé sur son expérience propre et un support bibliographique ; et un volet éthique assuré par Je Père ROBIN qui nous apportait la. lumière évangélique et la position de l'Eglise. Plusieurs sujets furent ainsi traités : Euthanasie, Soins palliatifs, Conseil géné­tique, Acharnement thérapeutique, Sur­veillance échographique de la grossesse et annonce du handicap, Vérité médicale et liberté du malade. Mais, peu à peu, la fré­quentation a diminué et en l'absence de sujet nouveau mobilisateur et d'intérêt sou­tenu, nous avons dû abandonner. Notre dernière réunion, au printemps 1995, était adressée à un très large public du Monde de la Santé. Elle était intitulée : " Le génôme à l'épreuve de la science " et confiée au Professeur de génétique de Nancy et à un prêtre moraliste de Stras­bourg, ami du Père Robin. Sur les 150 per­sonnes présentes il y avait une minorité de médecins.

Depuis cette date, nous nous sommes donc limités à nos rencontres mensuelles et on peut retenir les thèmes suivants :

Au cours de l'année 1995-96 : - compte rendu du congrès C.C.M.F. de Lourdes : " Médecine et Miracle " par le Père FERRY, le P' GAYET et le D' PUGEAUT.

- " Ur:i v_oyage à Medjugorje .. par le D' LEVEQUE.

- " Actualité sur.le _Linceul de Turin .. par les Docteurs LEVEQUE et PUGEAUT.

- " Saint Dominique et les Frères prêcheurs " par le Père LAURENCEAU, prieur des Dominicains.

Au cours de l'année 1996-1 997 : 5-10-96 : rapport audiovisuel sur un pèle­rinage en Syrie et au Liban par le D'BABLON. 9-11 -96 : " Transgression en médecine " par le Père BESANCENEY, aumônier natio­nal du C.C.M.F. 7-12-96 : film sur un voyage en Jordanie par le P' MARIN. 4-1-97 : "Chrétiens et SIDA .. par le Père LAURENCEAU. 1-3-97 : mise au point d'un rapport pour le bureau national du C.C.M.F. sur " l'informa­tion en médecine " avec l'ensemble des participants et rédigé par le D' PUGEAUT. 5-4-97 : " Réflexions sur la Foi " par le P' MARIN. 3-5-97 : " La communication en méde­cine " par le D' BOGGIO, diacre. 7-6-97 : " Peintures byzantines des Monas­tères Moldaves " par le P' GAILLARD.

Nous venons d'inaugurer la nouvelle ren­tr~e par une confér~nce de Monsieur REGNIER sur " Les Eglises romanes en Bourgogne " · Notre groupe s'est un peu rajeuni cette année en accueillant plusieurs couples de jeunes retraités très actifs qui apportent un sang neuf et nous donnent beaucoup d'espoir.

• MÉDECINE DE L'HOMME N' 233 e 9

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Les églises et l'immigration

par le Père J.-C. BESANCENEV (*)

10 e MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

D'une manière constante, les autorités religieuses ont publiquement promu une attitude d'accueil des immi­grés, pour des raisons qui ont évolué, et demandé la reconnaissance de leurs droits.

Avant la guerre

Dès les années 20, « Les autorités catholiques créè­rent des œuvres et un périodique, « L'étranger catholique en France,,, qui préparaient l'intégration des étrangers,, (Schor, p. 77). Car à cette époque les flux migratoires provenaient essentiellement de pays limitrophes à domi­nante catholique.

Quelques années plus tard, la hiérarchie catholique rappelle que « Dieu ayant voulu l'unité et la solidarité du genre humain, le droit de migration était naturel. Un chré­tien avait le devoir d'accueillir un immigré chassé de chez lui par la pauvreté ou un réfugié politique, même marxiste ou juif. Cependant, il paraissait légitime de réglementer les migrations en fonction des ressources de chaque pays et des besoins de main-d'œuvre, d'écarter les indi­vidus dangereux, agitateurs, espions, délinquants, ceci pqur ne pas troubler la vie des groupes organisés. L'Eglise espérait que les immigrés, presque tous d'ori­gine catholique, seraient fraternellement reçus par leurs coreligionnaires français, et qu'ils s'intégreraient en gar­dant leur foi. Mgr Emmanuel Chaptal, chargé de l'aposto­lat des étrangers par l'archevêque de Paris, exhorta le clergé français à accorder toute sa bienveillance aux nouveaux venus, qui, faute de cette attention, resteraient sous la coupe des missionnaires polonais et italiens jugés nationalistes. De nombreux évêques et des intel­lectuels catholiques comme Jacques Maritain, François Mauriac, Marc Sangnier, s'attachèrent à lutter contre le racisme et I'« antisémitisme». (Schor, p. 113).

Qu'en a-t-il été de cette hypothèse que la commu­nauté de foi pourrait constituer un moyen d'intégration ? En réalité, cc l'émigration, le poids des soucis matériels, la fréquente mobilité géographique des ouvriers, l'obligation faite à quelques-uns de travailler le dimanche, l'isolement d'hommes séparés de leur famille restée pratiquante, tous ces facteurs se liguaient pour affaiblir la vitalité reli-

(•)Aumônier national du C.C.M.F.

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gieuse. Cependant la pratique des étrangers restait très supérieure à celle des français » (Schor, p. 99).

« Le lien religieux, s'il ne doit pas être surestimé, finissait cependant par s'établir. Le clergé étranger n'était pas assez nombreux pour encadrer toute la population immigrée. Il pouvait ralentir la dénationalisation de celle-ci, non l'empêcher, d'autant que la hiérarchie catho­lique, très méfiante, contrôlait les agissements des missionnaires et essayait d'entraver les initiatives jugées contraires aux intérêts du pays d'accueil » (Schor, p. 100).

Cependant, le catéchisme, le patronage, les équipes sportives liées aux paroisses étaient fréquentés par des enfants et des jeunes d'origine étrangère, si bien qu'une certaine intégration se réalisait. Enfin, les organisations religieuses étrangères encadraient un certain nombre d'immigrés en donnant l'image de colonies étrangères paisibles, ce qui désarmait les préventions et facilitait l'insertion.

Le temp.'1 des réf ugié.'I

L'expansion allemande en Europe provoqua une vague de réfugiés, aspect de l'immigration, suivi peu après de l'exode d'un demi-million de réfugiés espagnols. Le temps des réfugiés «politiques» ne faisait que com­mencer.

En ce qui concerne l'immigration d'autrichiens, « Ce furent les personnalités religieuses qui accordèrent l'appui le plus durable à ceux qui refusaient !'Anschluss. » Ils étaient divers : juifs, militants de gauche, monar­chistes, intellectuels. « Le Secours aux autrichiens » fondé dès mars 1938 sous le patronage du Cardinal Verdier et du baron Guy de Rothschild, était animé par François Mauriac, Mgr Qhaptal ... et bénéficiait de l'aide du Consistoire Israélite. A Lyon, le comité de secours aux chrétiens réfugiés d'Allemagne et d'Autriche était placé sous la présidence du cardinal Gerlier et du pasteur Roland de Pury. » (Schor, p. 141 ).

Plu.'l récemment

L'épiscopat français, en créant le Comité Épiscopal pour 1!3s Migrations, témoignait de l'importance accordée par l'Eglise de France à l'accueil des immigrés. Bien des chrétiens catholiques et protestants se retrouvent dans des organisations soit caritatives, soit destinées à pro­mouvoir les droits des étrangers. La progression des cou­rants racistes et xénophobes a conduit à une fermeté de plus en plus grande de l'épiscopat, comm!3 en témoigne cette dernière déclaration du Comité Episcopal des Migrations :

« 1.3.2 Les chrétiens

Le racisme est ressenti par les chrétiens comme un défi à leur foi. Aussi, depuis une vingtaine d'années, ont­ils multiplié les déclarations et les initiatives en faveur des étrangers. Les évêques catholiques ont d'emblée placé le débat au niveau théologique pour montrer, comme le déclara Mgr Dalloz, archevêque de Besançon, le 17 ,mars 1985, que : « Le racisme est incompatible avec l'Evan­gile ». Dans une brochure intitulée Un peuple en devenir,

publiée en janvier 1995, le Comité Épiscopal des Migra­tions reprit la même formule et ajouta : « L'accueil de l'étranger n'est pas matière à option( ... ). Vivre ensemble, est inéluctable». Les clercs rappellent que Dieu a voulu l'unité du genre humain et que le message du Christ, uni­versel, s'adresse de manière égale à chacun. Le cardinal Lustiger, archevêque de Paris, a pu tirer cette conclusion, le 16 novembre 1984 : « Toute atteinte portée par le racisme( ... ) est une blessure à l'image du Créateur», ou er;icore, le 9 octobre 1994 : « Il n'y a pas d'étrangers dans l'Eglise».

Les autorités catholiques ne prétendent pas apporter des solutions pratiques à la question de l'immigration et se bornent, par des formules très générales, mais fort remarquées, à rappeler que les étrangers resteront en France et doivent bénéficier de la solidarité nationale. Ainsi, le 15 décembre 1983, l'épiscopat déclara aux der­niers venus : « Vous êtes en quelque sorte nos compa­triotes ». Dans un texte publié le 10 mai 1985, l'épiscopat ajouta : «Les immigrés font partie de notre avenir». Le 11 novembre 1990, les responsables catholiques réunis à Lourdes appelèrent à une « logique de compréhen­sion » avec les musulmans. Le 31 mars 1991, Mgr Vilnet, évêque de Lille, invité à l'émission radiophonique le Grand Jury R.T.L.-le Monde, plaida pour« une cohabita­tion maîtri~ée » entre français et immigrés. Mgr Herbulot, évêque d'Evry, reprit à son compte la formule « l'immi­gration est une chance pour la France » (Bernard Stasi -Laffont, Paris, 1984) et considéra que nier les droits des étrangers représentait « une atteinte mortelle à notre démocratie » (La Croix - 16 Avril 1991 ). Sur le terrain, des prêtres comme François Lefort à Nanterre et Chris­tian Delorme à Vénissieux, s'engagèrent dans des actions de soutien. Le père Delorme fut ainsi l'un des principaux organisateurs de la Marche des beurs pour l'égalité, de Marseille à Paris, entre le 15 octobre et le 3 décembre 1983. Dès 1972-1973, de nombreuses églises accueillirent les étrangers grévistes de la faim qui luttaient contre la circulaire Fontanet-Marcellin. En 1993, les chrétiens manifestèrent de sérieuses réserves à l'en­contre des « lois Pasqua » sur le;S étrangers. Ces posi­tions ont plusieurs fois valu à l'Eglise catholique d'es­suyer les foudres du Front National. Après le message du 15 décembre 1983 disant que les étrangers étaient cc en quelque sorte nos compatriotes », Roland Gaucher répli­qua sur les ondes téléphoniques de « Radio Le Pen » que ce texte« scandaleux( ... ), attentat contre notre iden­tité nationale », avait été rédigé par des évêques traités de « menteurs » et « excellences déboussolées ,, (Le Monde, 16 décembre 1983). Ceux qui étaient visés par l'insulte refusèrent la polémique, mais ils réagirent quand le Front National, à l'occasion des élections européennes de 1984, lança le slogan : cc Voter Le Pen, c'est voter Dieu». Le cardinaJ Decourtray, archevêque de Lyon, Mgr Gaillot, évêque d'Evreux, parmi d'autres, réfutèrent cette affirmation émamant d'un parti jugé xénophobe. La Croix (7 mars 1985) répliqua : cc La mesure est dépassée lorsque Dieu est appelé à la rescousse de ces thèses racistes». En 1987, Mgr Delaporte, arch~vêque de Cam­brai et président de la Commission Episcopale des Migrations, ajouta que le Front National, par sa doctrine d'exclusion, constituait cc la menace suprême pour l'iden­tité nationale » (Radio-Fréquence Nord, 18 avril 1987). Des initiatives interconfessionnelles s'attachèrent, de manière ouverte ou implicite, à répondre aux idées du

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!Les églises et l'immigration

Front National. Le 15 février 1985, les communautés catholique, protestante et juive de Belfort entamèrent un « jeûne de protestation spirituelle contre le racisme et pour l'amitié », après la tenue d'une réunion du parti de Jean-Marie Le Pen dans la ville. En septembre 1992, catholiques, protestants et orthodoxes lancèrent une « campagne œcuménique » pour défendre la place des étrangers en France. En mai 1995, après que Jean-Marie Le Pen eut obtenu aux élections présidentielles plus de 25 % des voix en Alsace, Mgr Brand, archevêque de Strasbourg, le grand rabbin Gutman, les pasteurs Hoeffel et Pfeiffer rappelèrent que l'enseignement des grandes religions se trouvait «en opposition absolue avec les conceptions racistes et d'exclusion ».

QU'AS-TU FAIT DE TON FRÈRE ?

En août 1969, le Pape Paul VI dans un document qui constitue la charte de la pastorale des Migrants, présen­tait l'immigration comme un facteur de fraternité entre les peuples : « De cette mobilité des peuples, découle une nouvelle et plus vaste poussée à l'unification de tous et de l'univers entier. Les migrations, en effet, favorisent et promeuvent la connaissance réciproque et confirment clairement ce rapport de fraternité entre les peuples dans lesquels les deux parties donnent et reçoivent à la fois. »

(Pastoralis Migratorum Cura, n° 2)

LES MIGRANTS, CRI DES PAUVRES DANS NOTRE SOCIÉTÉ

Vingt-cinq ans après, la réalité de l'immigration appa­raît tout autre : les flux migratoires se sont diversifiés et accélérés de façon spectaculaire. Les Nations-Unies comptaient, en 1989, 50 millions d'êtres humains vivant hors de leurs frontières. Ce chiffre est passé à 1 OO mil­lions en 1993. Cette intensification est provoquée par la misère dans laquelle ne cessent de s'enfoncer certains pays du Tiers-Monde, en particulier d'Afrique. Elle est aussi le résultat de la déstabilisation et des violences tri­bales ou nationalistes d'autres pays, à l'Est de l'Europe en particulier. Les migrations dans notre pays ont changé de signe : elles ne sont plus, comme il y a quarante ans, la force d'appoint dont notre économie avait besoin pour son développement. Elles sont désormais un cri des pauvres du monde entier, victimes de la misère ou de la violence, qui vient retentir jusqu'au cœur de notre société.

DANS UN CONTEXTE DE PEUR FACE À L'A VENIR

Dans le même temps, le contexte des pays d'accueil a changé. Nous sommes confrontés à une crise pro­fonde. Le chômage s'est développé de façon structurelle. La peur de l'avenir a replié des secteurs entiers de notre société sur une identité plus figée et fermée. Des dis­cours, désignant les étrangers comme facteurs d'insécu­rité et concurrents sur le marché du travail, se sont multi­pliés. Ils ont trouvé écho chez beaucoup de nos concitoyens. Cette situation a incité les pouvoirs publics à mettre en place une nouvelle législation visant à réguler les flux migratoires, à restreindre la possibilité d'entrée

12 e MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

sur le sol national, à dissuader les candidats à l'immi­gration.

DES DROITS FONDAMENTAUX EN QUESTION

Il n'es\ pas dans notre propos de mettre en cause le droit de l'Etat à légiférer en la matière. La situation est trop grave. Les équilibres nationaux sont trop fragiles.

Cependant, de nombreux chrétiens engagés dans la solidarité avec les étrangers sur les lieux de la vie quoti­dienne, (quartiers, école, travail...) appellent notre atten­tion. Des droits fondamentaux de la personne humaine sont atteints:

- Des parents étrangers d'enfants nés français, vivant de façon irrégulière sur le sol national, se voient refuser toute perspective de régularisation. Ils ne peuvent plus, de ce fait, assurer un avenir digne à leurs enfants.

- Des étrangers, conjoints de Français, ne peuvent séjourner régulièrement en France s'ils n'y étaient pas déjà résidents avant le mariage. Ils ne peuvent, en effet, recevoir la carte de résident qu'après un an de mariage.

- Une lecture restrictive de la Convention de Genève empêche des personnes, ayant fui la violence et parfois menacées de mort dans leur pays, d'accéder au droit d'asile.

*

NOTRE INQUIÉTUDE

Ces situations appellent de notre part une vigilance accrue:

- Elles renforcent, dans certains secteurs de l'opi­nion publique, la conviction qu'une des solutions à la crise résid~ dans l'exclusion d'une partie de la population immigrée. A l'heure où la nation toute entière est appelée à se mobiliser contre l'exclusion, nous affirmons que l'in­tégration des uns ne peut se faire au prix de l'exclusion des autres.

- Elles manifestent l'existence et sans doute la crois­sance au sein de la société, d'un groupe social cc sans­droit », vulnérable à tous les trafics. Or, chaque personne humaine, fût-elle en situation illégale, a droit au respect. Elle ne doit pas passer a priori pour un malfaiteur.

- Elles révèlent que le problème de l'immigration ne sera pas résolu uniquement par des mesures administra­tives ou policières. Le décalage qui sépare de façon croissante les pays riches des pays pauvres, appelle à une révision profonde des données économiques et poli­tiques qui régissent leur relation.

CONCERTATION DE TOUS ET CONVERSION

L'accélération des flux migratoires et la réaction qu'ils suscitent, posent à nos sociétés un problème complexe. Pays d'origine et pays d'accueil, associations humani­taires et pouvoirs publics, représentants des immigrés eux-mêmes, sont appelés à une nouvelle concertation. Celle-ci exige une conversion profonde des comporte­ments habituels.

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L'ÉGLISE EST INTERPELLÉE, SA MISSION EST EN CAUSE

L'Église se, sent concernée au plus haut point par cette situation. A travers les jeunes en difficulté d'intégra­tion, les déboutés du droit d'asile, les personnes déraci­nées qui ne trouvent nulle part où pouvoir se fixer, Dieu ne cesse de poser cette question : cc Qu'as-tu fait de ton frère? »

Il ne s'agit pas seulement pour les chrét!ens d'un devoir d'hospitalité. C'est l'identité même de l'Eglise qui est en cause : germe d'un peuple nouveau où tout homme, à travers l'originalité de sa culture, est reconnu comme un frère. C'est ce que rappelait le Pape Jean­Paul Il en 1985 dans son Discours au 11° Congrès mondial de la pastorale des migrations:

cc En tout cela, l'Église a un rôle éducatif capital à exercer auprès du peuple, des responsables, et des ins­tances de la société pour éclairer l'opinion publique et stimuler les consciences. Mais elle doit, elle-même, témoigner de la qualité de l'intégration qu'elle pratique en son sein. N'est-elle pas le " Sacrement de l'unité " accueil­lant dans l'unité la diversité catholique, témoignant de la réconciliation que le Christ a obtenue par sa croix ? Les communautés chrétiennes devraient vivre, mieux que d'autres groupes sociaux, cette dynamique de l'unité fraternelle et du respect des différences. Grâce à /'Esprit Saint, elles doivent travailler à édifier sans cesse un peuple de frères, parlant la langue de l'Amour, pour être ferment de la construction de l'unité humaine, de la civilisation de l'Amour. »

*

LE CHRIST NOUS APPELLE

Dans la force de l'Esprit, parfois au milieu de bien des difficultés dans notre propre vie quotidienne, veillons à garder un cœur accueillant à ceux qui, proches de nous, vivent dans une très grande précarité, sans droits, cachés et angoissés dans la clandestinité. En eux, c'est toujours le Christ-Jésus qui nous appelle à trouver les moyens de la solidarité, ici et dans le monde entier.

Dan~ cette perspective, évêques et prêtres du Comité Episcopal des Migrations, nous présentons aujourd'hui un document de réflexion aux Communautés chrétiennes et aux hommes de bonne volonté. Il prend en compte les difficultés et les enjeux de l'intégration aujour­d1hui dans notre pays. Il dégage les fondements bibliques de l'engagement des chrétiens dans le domaine de la rencontre avec les étrangers. Il demande à être étudié, travaillé, partagé au sein des mouvements, services, paroisses, comrrlUnautés de l'immigration, groupes divers de notre Eglise. Vous le ferez, enracinés là où vous êtes dans la société : en dialogue constant avec tous les hommes, Français et immigrés, qui veulent répondre aux cris de ces exclus. C'est un appel à devenir ensemble l'Église.

Paris, le 5 janvier 1995

Jean Deledicque, Évêque auxiliaire de Lille, Président. Claude Frikart, Évêque auxiliaire de Paris. Pierre Joatton, Évêque de Saint-Étienne,

Président jusqu'en 1994.

Eugène Lecrosnier, Évêque de Belfort-Montbéliard. Charles Bense, Vicaire Général de Bayonne-Pau. Jacques Bouchet, Vicaire Général de Marseille. Yves de Mallmann, Vicaire Épiscopal de Paris. Claude Rameau, Vicaire Général de Nevers. Pierre Trillas, Vicaire Général de Perpignan.

Continuité et étapes Ainsi l'intérêt des autorités religieuses pour les immi­

grés a-t-il évolué. Lorsque ceux-ci étaient originaires de pays limitrophes et à dominante catholique, l'accueil des communautés chrétiennes semblait pouvoir constituer un moyen d'une intégration qui paraissait tout à fait souhai­table, alors que les prêtres étrangers cherchaient surtout à préserver l'identité culturelle de leurs compatriotes. Quant au flux d'immigrés politiques après !'Anschluss, c'était plutôt la dimension caritative qui était soulignée.

Après la guerre, les vagues migratoires venant de régions plus lointaine~ et aux appartenances religieuses diverses, l'intérêt de rEglise, sans négliger le soutien spi­rituel des migrants catholiques, s'est déplacé devant la montée de la xénophobie pour militer pour la reconnais­sance de l'immigré comme frère en humanité, dépositaire de droits, et reconnu comme enrichissant de par son alté­rité même.

*

1983-1993: QUELQUES INTERVENTIONS DE L'ÉGLISE EN MATIÈRE D'IMMIGRATION

À maintes reprises dans le.passé, l'Église catholique, par la voix de la Commission Episcopale des Migrations, est intervenue dans le débat public concernant l'immigra­tion et la politique qui prétend la régir. Pour se limiter à ces dix dernières années rappelons simplement quelques-unes de ces interventions :

Juillet 1983 : À la suite de plusieurs agressions contre des jeun~s Maghrébins : communiqué conjoint de la Commission Episcopale des Migrations : cc La volonté de sauvegarder d'abord ses avantages, le repli sur soi le recours à la violence ne mènent à rien ».

Décembre 1983 : Message des Évêques aux immi­grés qui sont en France, à l'occasion de la nouvelle année : cc Il est possible et bon de vivre ensemble. »

Mars 1984 : Déclaration des représentants des Communautés chrétienne, juive et musulmane sur le racisme et le pluralisme dans la société.

2 juin ,1985 : Texte de plusieurs présidents de Com­missions Episcopales. Construire l'avenir avec les immi­grés : cc Au-delà des différences, les chances d'un avenir commun.»

Mai 1986 : Réaction de la Commission Épiscopale des Migrations à l'avant-projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers. La Commission exprime son inquiétude devant tout projet qui supprimerait des garan­ties nécessaires à un statut des étrangers en France.

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1 Les églises et l'immigration

Octobre 1987 : Déclaration d~ Monseigneur Dela­porte, Président de la Commission Episcopale des Migra­tions, devant la Commission des sages au sujet du Code de la Nationalité.

Novembre 1988 : À propos des élections munici­pales : cc Vivre ensemble dans la commune » document de !'Inter Commission « Racisme ».

Janvier 1990 : « Immigration et fraternité univer­selle », - déclaration de Mqnseigneur Pierre Joatton, Président de la Commission Episcopale des Migrations.

Novembre 1991 : Déclaration de Monseigneur Pierre Joatton à propos de la publication du Front Natio­nal : cc 50 mesures pour régler le problème de l'immigra­tion » - cc Non à la charte de /'anti-solidarité ! »

Février 1992 : cc Nation et immigration » ~ Réflexion des secrétaires de plusieurs Commissions Episcopales réunis dans !'Inter-Commission cc Racisme».

-Annonce

Septembre 1992 : Appel lancé pour l'ouverture de la Campagne œcuménique cc Accueillir /'étranger».

Mai 1993 : Message de Monseigneur Joatton aux immigrés, à propos des lois votées sur le Code de la Nationalité, les contrôles d'identités, l'entrée et le séjour des étrangers : « Nous avons besoin de vous ! »

Ainsi, avec des variant~s, n'est-ce pas toujours le même message fondé sur l'Evangile et la bible, que tente de véhiculer l'Eglise par ses déclarations, mais aussi par certaines paroles qui sont vraiment des actes qui enga­gent, comme s'engagent de nombreux chrétiens catho­liques et protestants dans les associations de soutien aux immigrés ? Tout en maintenant l'importance de l'accueil pastoral pour les catholiques, l'aspect cc caritatif» s'est effacé derrière l'aspect militant, prophétique.

D'une certaine manière, n'est-ce pas le même mes­sage de fraternité qui se trouve diffusé par le pays d'accueil, et d'une autre, plus risquée, par les évêques et chrétiens d'Algérie restés sur place? Ill

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L'église et les migrants

• au service de la médiation du Christ

par le Père J.-F. BERJONNEAU (*)

(Extraits de l'intervention aux Semaines Sociales de France, le dimanche 23 novembre 1997, reproduits Ici avec l'aimable autorisation de l'auteur)

(( Ouand un émigré viendra s'installer chez toi dans votre pays, vous ne l'exploiterez pas. Cet émigré installé chez vous, vous le traiterez comme un indigène, comme l'un de vous. Tu l'aimeras comme toi-même. Car vous­mêmes avez été des émigrés dans le pays d'Égypte. C'est moi le Seigneur votre Dieu. »(Lévitique 19, 33).

Je crois que si je vis aujourd'hui cette passion de la rencontre avec l'étranger et si se creuse en moi le désir toujours plus profond de la connaissance de l'autre, c'est parce que j'ai moi-même été étranger envoyé pendant 2 ans comme coopérant dans les hauts plateaux de !'At­las Saharien, pays rude, aux vastes horizons, peuplé de populations nomades ou semi-nomades; j'y ai vécu le choc de la rencontre avec des hommes qui m'étaient totalement étrangers. J'y ai vécu avec éblouissement cette proverbiale hospitalité où l'hôte, l'incpnnu, le pas­sant est accueilli comme envoyé de Dieu. Etrange aven­ture où, dans le même temps, la différence de l'autre m'a révélé des dimensions insoupçonnées de ma propre identité et où j'ai appris moi-même à devenir étranger, pèlerin sur cette terre. Temps de grâce, inoubliable, dont je garde le souvenir comme d'une blessure féconde, comme d'un appel à me sentir chez moi en tout lieu tout en sentant l'appel d'ailleurs en toute villégiature. Comme le dit si bien l'épître à Diognète en parlant des chrétiens : « Toute patrie étrangère leur est une patrie et toute patrie leur est étrangère ».

À travers bien des méandres qui m'ont mené des chantiers du bâtiment où j'étais plus étranger à la maçon­nerie que mes compagnons de travail étrangers, à l'au­mônerie de la prison ou j'émigre encore chaque semaine, me voici mainten~nt encore pour quelque temps secré­taire d,u Comité Episcopal des Migrations au service d'une Eglise où les uns et les autres devraient pouvoir se dire : « Vous n'êtes plus des étrangers ni des émigrés car nous sommes tous membres de la famille de Dieu »

(Ép. 2 -19), et qui pourtant se réclame d'une autre cité et se dit encore en pèlerinage, donc en voie de migration.

(•) Secrétaire du Comité Épiscopal des Migrations.

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L'église et les migrants au service de la médiation du Christ

De nouvelles inquiétudes à prendre en compte

La rencontre de l'autre, de l'étranger est donc au centre de mes préoccupati9ns et du service que j'assume avec d'autres au sein de l'Eglise.

L'observation que nous faisons de l'évolution de la situation de l'immigration dans notre société, n'est pas sans nous interroger par les paradoxes qu'elle révèle.

D'une part nous sommes témoins des inquiétudes exprimées par de nombreux citoyens de notre pays face au phénomène de l'immigration. Le contexte s'y prête : le chômage ne recule pas, affectant de plus en plus de jeunes dont l'avenir apparaît incertain. De larges couches de la société ont conscience de pouvoir un jour ou l'autre basculer dans la précarité, renforçant ainsi le sentiment profond de fragilité.

Par ailleurs, un nouveau monde étrange surgit. Celui de la mondialisation semblant remettre en cause des équilibres traditionnels que l'on croyait immuables, fai­sant chanceler des identités réputées fortes. La concep­tion classique de la souveraineté nationale que l'on croyait acquise est ébranlée. Et beaucoup s'interrogent sur les capacités réelles des pouvoirs politiques de résoudre la crise.

Dans ce contexte difficile, certains sont tentés de se replier sur des sécurités qui ont fait leurs preuves dans le passé. D'autres décident de rester cc entre eux». L'autre, l'étranger est perçu comme un facteur supplémentaire d'inquiétude.

Des gens disent : cc On n'est plus chez nous ! ».

Cette affirmation prend un double sens où s'additionnent les peurs. Cela peut signifier que les étrangers apparais­sent plus nombreux dans certaines cités. Mais cela évoque aussi un sentiment cruel d'exil par rapport aux références du passé.

Cette précarité rend plus difficile la rencontre de l'autre. Et lorsque celle-ci se vit dans un contexte de grande précarité, de dégradation d'habitation dite collec­tive, de cohabitation sans espaces de médiations, la ren­contre peut devenir une déchirure. Et la différence cultu­relle devient une épreuve supplémentaire dans un quotidien déjà lourd à porter.

De nouvelles mobilités à comprendre Et pourtant ! Il faudra bien apprendre à vivre ensemble. Car la mobilité des population~ au plan international

s'amplifie de façon spectaculaire. A côté des migrations · traditionnelles de populations venues pour proposer leur

force de travail ou pour échapper à la violence qui sévit dans leur pays, nous observons de nouveaux visages de la mobilité sociale.

Des entreprises se délocalisent, appelant techni­ciens et ingénieurs à s'expatrier pour un temps. Faut-il rappeler qu'actuellement 1 500 000 français vivent en étrangers en dehors de leur pays ?

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Des grands chantiers appellent des travailleurs de divers pays à des migrations temporaires. Des congrès internationaux rassemblent pour quelques jours des chercheurs scientifiques ou des intellectuels. Des étu­diants toujours plus nombreux incluent dans leur temps de formation des séjours à l'étranger.

Cet été, à l'occasion des Journées Mondiales de la Jeunesse, Paris a vu plusieurs centaines de milliers de jeunes d'origines diverses, se rassembler, heureux de se rencontrer pour célébrer dans la même foi au Christ, une fraternité universelle.

Ainsi la génération qui vient, pourtant fragilisée par un avenir incertain, s'ouvre à une nouvelle conscience planétaire : elle est amenée à en mesurer les implications et les exigences.

La rencontre de l'autre, de l'étranger, est devenue pour beaucoup une réalité quotidienne. Elle peut repré­senter une chance lorsque la différence est accueillie comme un don et que, organisée selon des normes, elle permet à des personnes d'horizons culturels divers d'en­trer en dialogue et de grandir ensemble en humanité.

Elle peut constituer un défi et un risque quand ce brassage de populations se fait de façon sauvage, non maîtrisée, que la rencontre devient confrontation, et que la confrontation provoque des blessures qui poussent des populations à se replier sur elles-mêmes et que gran­dissent la peur et les risques de violence.

Avant d'envisager la manière dont l'Église peut situer sa mission face à un phénomène qui revêt une telle ampleur et qui comporte de tels enjeux (chance ou défi), il nous faut prendre le temps du recul et de la dimension spirituelle. Certes, il y a urgence à agir et à intervenir face à tant d'appels, à se donner des points de repère pour ménager la rencontre et à relever les défis que comporte cette situation. Mais que serait une action qui ne puiserait sa force et sa pertinence dans une attitude d'accueil humble et confiante, d'un sens qui nous vient d'ailleurs, d'une révélation qui inspire notre action. Pour donner à la rencontre de l'autre, de l'étranger, tout le poids spirituel qu'elle appelle, il nous faut contempler de quel amour nous sommes nous-mêmes aimés. C'est pourquoi, dans cette première partie, je voudrais avec vous entrer dans une réflexion sur la mission de médiation du Christ, source de notre vie, lumière sur nos pas, passion qui sou­tient nos choix.

/. - La Jt!lission de Médiation du Cllrb1t Dans un contexte où nous sommes appelés à vivre

ensemble et à entrer en échange avec des personnes de cultures différentes,

Les questions qui se posent à nous sont les suivantes : • Comment réaliser ce désir de la rencontre et du

rassemblement par-delà ou au travers de l'épreuve que peut constituer la peur ou le conflit ?

• Comment marcher plus loin que la peur pour entrer dans la fécondité d'une vraie rencontre ?

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Face à ces questions, les chrétiens se tournent vers la mémoire du Christ telle que les premières com­munautés chrétiennes l'ont transmise dans le Nouveau Testament.

Elles aussi ont éprouvé les difficultés de vivre ensemble dans l'amour fraternel, par-delà leurs diffé­rences (qu'on pense aux immenses difficultés qu'elles ont rencontré dès les premiers temps, quand il a fallu que des juifs et des païens vivent dans la même commu­nauté). Elles se sont tournées vers le Christ et c'est en lui qu'elles ont puisé leur force de communion.

Elles ont vu en lui le Médiateur: « Il n'y a qu'un seul Dieu, Il n'y a qu'un seul Médiateur entre Dieu et les hommes : Un homme, le Christ Jésus, qui s'est donné lui-même en rançon pour tous les hommes »

(1 Tim. 2, 5-6).

Qu'est-ce qu'un médiateur? Celui qui par sa soli­darité avec les deux parties en cause est capable de leur permettre d'entrer en alliance, de se réconcilier le cas échéant, et d'entrer dans une nouvelle communion.

Dans la médiation du Christ il y a double mouvement, échange. Le mouvement dont Dieu a toujours l'initiative : cette alliance qu'il ne cesse de proposer aux hommes, à tous les hommes.

Et le mouvement de réponse et d'offrande qui tourne les hommes vers Dieu et qui dans le même temps les fait entrer les uns avec les autres dans une nouvelle commu­nion.

En Jésus-Christ médiateur, Dieu se donne aux hommes, mais c'est aussi l'homme qui se donne à Dieu et qui entre de ce fait, dans une communion nouvelle avec ses frères, dans un mouvement de réconciliation.

Nous avons donc à notre tour, nous chrétiens, à entrer dans ce mouvement de médiation qui, par l'incar­nation du Christ et son Mystère pascal, nous fait entrer dans une nouvelle communion avec Dieu et inséparable­ment dans une nouvelle relation de fraternité avec ceux que nous considérons encore comme des étrangers.

Dans cette perspective, Jésus est beaucoup plus pour nous qu'un exemple à suivre pour répondre aujour­d'hui aux défis des nouvelles confrontations avec l'étran­ger. Son amour est de l'ordre de la source. Il est pour nous chemin de rencontre et d'altérité avec nos frères.

Lorsque nous sommes incorporés à son mouvement de médiation, notre désir de rencontre avec l'autre prend sens, force et intelligence.

Sachant donc que toute sa mission consiste à « rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés »

(Jn 11, 52), il nous faut maintenant aller plus avant et contempler quelques traits de cette mission de médiation telle que le Christ l'a accomplie durant sa vie terrestre.

1) Jé.ms-Chrisl nous a présenté w1 Dieu a 11 r isrwe d 'é 111 i o.,.é ti b

Le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu passionné par la rencontre de l'homme, de tout homme et de tous les hommes.

Le désir de Dieu essentiel, c'est !'Alliance. Et notre désir de la rencontre avec l'autre c'est l'image de Dieu imprimée en nous.

Cette volonté de Dieu de rencontrer tout homme s'est faite dans le mouvement même de l'incarnation.

Dieu est devenu homme parmi les hommes en la personne de Jésus. Il a voulu se faire accueillir par les siens comme un étranger qui vient simplement frapper à la porte : « Il est venu chez les siens. Et les siens ne l'ont pas reçu».

Dans l'incarnation, Dieu a accompli un~ véritable et essentielle migration que nous décrit l'Epître aux Philippiens:

« Lui qui est de condition divine n'a pas considéré comme une proie à saisir d'être l'égal de Dieu. Mais il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur devenant semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme ... » (Phili. 2, 5-7).

Ainsi le Fils est sorti du Père et a accompli sa migra­tion ... un peu comme la migration première d'Abraham à qui Dieu à l'aube des temps avait dit : « Va, quitte la mai­son de ton Père,, (Gn, 12, 1).

L'alliance de Dieu avec les hommes a pris le visage d'un émigré dans la faiblesse, dans la pauvreté, livré à l'hospitalité ou au rejet des hommes.

En se retirant, en consentant à n'être pas tout, en prenant la condition de l'étranger qui demande à être accueilli, il a fait exister les femmes et les hommes, autres que lui-même.

Et c'est sous les traits de l'étranger qu'il s'est fait reconnaître après sa résurrection : le jardinier avec Marie-Madeleine, l'étranger au bord du lac, le pèlerin du chemin d'Emmaüs. Cet étranger ne sait rien des événe­ments qui se sont passés, mais il donne la clé de lecture qui va faire passer ses compagnons du désespoir au tressaillement de joie de la résurrection.

En Jésus-Christ Dieu a pris le visage de l'étranger, non seulement pour nous demander de prendre soin de l'étranger et d'entendre sa clameur ... Mais aussi pour que nous reconnaissions que nous-mêmes, nous ne sommes que des hôtes de passage, des gens d'ailleurs, des per­pétuels migrants sans cesse à la recherche de l'autre, prêts à ne pas retenir jalousement nos liens du sang, notre statut, notre univers familier.

Identité humaine de Jésu.fl et mission de médiation

Cette mission de médiation, Jésus l'a assumée au cœur de son identité humaine de fils du Peuple d'Israël. Et il nous invite à prendre au sérieux le statut de notre propre identité dans l'accueil de l'autre.

En fait, la nouveauté de son expérience s'enracine dans une double fidélité qu'il assume dans une tension féconde : fidélité à l'identité de son peuple et fidélité à son identité de Fils Bien Aimé du Père.

a) Jésus n'a jamais renié sa propre identité humaine de Fils d'Israël, Il sait le prix des identités. Sa vie humaine s'est inscrite dans un peuple et dans une tra­dition bien spécifique qu'il a entièrement assumés.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 233 0 17

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L'église et les migrants au service de la médiation du Christ

Conscient de l'alliance entre Yahvé et son peuple, il s'est fait l'héritier de toutes ses valeurs. Il a grandi dans la conviction que l'alliance mettait son peuple en responsa­bilité vis-à-vis des nations.

Jésus se situe en fidélité par rapport à l'essentiel de la Loi qui structure son peuple. Il n'est pas venu pour l'abolir mais pour l'accomplir. Et il réaffirme sans cesse que le cœur de cette loi c'est inséparablement l'amour de Dieu et l'amour du prochain.

Il sait que cette loi est nécessaire pour arracher les hommes à l'inhumain et à la violence et pour réguler les relations entre les membres de son peuple, y compris avec les émigrés.

b) C'est au cœur de cette identité de Fils d'Israël que Jésus fait /'expérience unique, bouleversante de la nouvelle proximité de Dieu, qu'il appelle son Père. Et tout au long de sa vie il vivra une fidélité à son identité de Fils Bien-Aimé du Père.

La source de sa mission et de son désir de rencon­trer l'autre c'est cette mystérieuse et intime relation qu'il entretient avec le Père. La médiation qu'il va assumer au milieu des hommes prend sa source dans cette déclara­tion d'amour initiale au jour de son baptême : « Celui-ci est mon Fils Bien-Aimé, Celui qu'il m'a plu de choisir. » (Mt. 3, 17).

Parce que la proximité de l'amour du Père s'est manifestée en Lui, le Royaume s'est approché de tous les hommes.

En Jésus, Fils Bien-Aimé du Père, tout homme, quelle que soit son origine, est appelé lui aussi à entendre cette bonne nouvelle : « Toi aussi tu es un Fils Bien-Aimé ,, .

Le mouvement même de la médiation du Christ com­mence par cette nécessité intérieure de couvrir les dis­tances qui séparent les hommes et de partager avec tous ses frères en humanité sa joie de Fils.

Donc Jésus maintient cette tension entre ces deux fidélités essentielles.

D'une part, parce qu'il est bien enraciné par son incarnation, dans son identité de Fils d'Israël, parce qu'il sait qui il est, d'où il vient, il est en mesure de rencontrer l'autre.

D'autre part, mû par l'inspiration de l'amour du Père qui est en lui, il vit un mouvement d'ouverture sans pré­cédent. Il franchit les frontières de son peuple pour vivre l'aventure et le risque de la rencontre avec« les autres».

La mission de Jé.Yus et .Yon ouverture à l'étranger s'est déployée pourtant progre.<;.<; ivement

Jésus, malgré sa présence aux marges du royaume d'Israël, ne s'est pas porté d'emblée vers les étrangers. Au départ, comme Fils d'Israël, il s'est situé au milieu de son peuple.

18 O MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

À la suite des prophètes, il apparaît que son souci premier c'est de rassembler le Peuple d'Israël comme peuple porteur de la Bonne Nouvelle.

C'est ce qui expliquerait les premières consignes de la mission qu'il confie à ses disciples : « Ne prenez pas le chemin des païens et n'entrez pas dans une ville des samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël» (Mt. 10, 5-6).

La démarche de Jésus, marquée par son identité de Juif, ne se fera en direction des étrangers que lentement, progressivement. Il faut respecter les temps et les rythmes pour rencontrer l'autre, respecter les conditions nécessaires à la rencontre.

Le déploiement de la mi.Y.Yion de médiation jusqu'aux étranger.'/

Deux réalités vont intervenir dans la démarche de Jésus pour que sa mission s'ouvre aux étrangers et qu'elle devienne véritablement médiation.

1) La lecture que Jésus fait de la loi de son peuple.

2) Le surgissement de l'étranger dans le champ de sa mission.

a) Une nouvelle lecture de la loi

La démarche première de Jésus vise à rassembler les brebis perdues d'Israël.

Dans la visée missionnaire de Jésus la première étape consiste à réintégrer dans la communion du peuple ceux qui en sont exclus par la Loi. Cette loi qui régit Israël est marquée par un code strict de sépara­tion entre le pur et l'impur qui marque la cohésion du peuple. Sont rejetés dans la catégorie des impurs et donc exclus de la communion d'Israël, ceux qui sont caractérisés par certaines maladies (cf. la lèpre), les pécheurs notoires, ceux qui fréquentent les étrangers (les publicains).

En appelant ceux-ci à une réintégration dans la com­munion du Peuple par la voie de la conversion, Jésus invite à une nouvelle lecture inventive de la Loi. Il appelle à une intériorisation personnelle de cette loi : « il n'y a rien d'extérieur qui puisse rendre l'homme impur. Mais ce qui sort de l'intérieur de l'homme, voilà ce qui rend l'homme impur» (Mc. 7, 20 21 ).

En rapatriant la loi du pur et de l'impur au cœur de chaque homme et en ne la situant plus dans des pra­tiques extérieures, Jésus met en cause les critères de cohésion de son peuple et la frontière absolue qui sépa­rait l'humanité en deux camps : les bons et les mauvais, les exclus et les élus.

Ce faisant, il appelle à passer d'une tradition humaine bien circonscrite à son peuple à une tradition plus profonde enracinée dans l'amour de Dieu et apte à la relation avec l'autre. Et dans cette démarche, il ouvre un chemin de rencontre avec l'étranger que la Loi, dans la conception des pharisiens, rendait impossible.

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b) Le surgissement de l'étranger

Dans cette perspective ce n'est plus seulement Jésus qui dépasse les barrières juridiques ou religieuses qui le tenaient à distance des étrangers. Ce sont les étrangers qui font irruption dans le champ de son atten­tion. Il y a donc un double mouvement, sur le chemin de rencontre entre Jésus et les étrangers. Jésus, est amené à renverser ce qui fait obstacle à la rencontre, pour que soit manifesté dans toute son ampleur l'amour de Dieu. Et les étrangers viennent à lui et surgissent sur son che­min. Ainsi pour le Centurion romain : « Jésus entrait à Capharnaüm quand un Centurion s'approcha de lui et le supplia » (Mt 8,5). Ainsi surtout pour la Syra-Phénicienne qui fait irruption dans le champ de l'attention de Jésus, alors que celui-ci s'est retiré à l'étranger : « Et voici qu'une Cananéenne vient de là et se mit à crier ! »

(Mt. 15. 22). Le propre de l'étranger c'est de surgir là où l'on ne

l'attendait pas. Il survient. Il surprend. Il déstabilise. Il vient en quelque sorte perturber l'ordonnancement d'une vie que l'on souhaitait organisée et régulée, peut-être même d'une société que l'on voulait tranquille, à l'abri des autres.

Et dans l'Évangile, le surgissement de l'étranger sur le chemin de Jésus est la plupart du temps motivé par la souffrance ou par le désir d'être sauvé d'une situation désespérée, condition que tout homme, dans quelque culture que ce soit peut comprendre.

Jésus lui-même vit donc cette dimension provocante et perturbante de la rencontre avec l'étranger. En toute rencontre avec l'étranger il y a un caractère onéreux que l'on ne peut éviter.

Dans l'épisode du dialogue avec la Syra-Phéni­cienne le chemin sera long et difficile avant que ne s'opère la vraie rencontre. La proximité n'est pas un donné initial. Elle est toujours distance à parcourir, épreuve à traverser. L'identité même de Jésus, fils d'Israël, semble opérer une résistance : le silence pre­mier qu'il lui oppose, la référence à l'exclusivité des brebis perdues d'Israël, l'évocation du pain des enfants qui ne doit pas être jeté aux petits chiens, tout nous rap­pelle cette consistance de l'identité juive de Jésus. Il y a dans ce récit comme un constat : « L'ouverture à l'étran­ger ne va pas de soi ! » Il faut de la durée pour s'appri­voiser et entrer en altérité.

Et finalement c'est la persévérance, la confiance de cette étrangère qui est comme révélatrice de l'ampleur et de l'universalité de la mission de Médiation de Jésus.

Enjeu de la rencontre de Jésw; avec les étrangers

Les exclamations de Jésus découvrant la foi qui anime les étrangers qu'il rencontre sont significatives ; à propos du Centurion : « En vérité je vous le déclare, chez personne en Israël, je n'ai trouvé une telle foi» (Mt. 8, 10).

À la Syro-Phénicienne : « Femme ta foi est grande ! »

(Mt. 15, 28). Il y a là comme des tressaillements de joie en Jésus,

annonciateurs du Royaume qui vient. Dans ce surgisse­ment de l'étranger dans la vie et l'attention de Jésus,

c'est l'universalité de sa mission qui est en cause. Jésus est comme rendu à l'évidence du travail de la foi qui s'opère en ces hommes et ces femmes d'autres cultures, à partir de leurs souffrances et de leurs appels à être sauvés.

Plus tard c'est sans doute à la lumière de ces ren­contres, que les disciples s'entendront dire « Allez donc: de toutes les nations faites des disciples ! » (Mt 28, 19).

Dans ces rencontres qui ont habité la mémoire des premières communautés c~rétiennes se trouve comme annoncée l'espérance de l'Eglise.

Ces étrangers sont les prémices de ce peuple nou­veau, de ce peuple en devenir où les différences d'histoire, de langues, de cultures, ne sont plus faites pour séparer les hommes, où il n'y aura plus les fils d'un côté, les petits chiens de l'autre, mais où tous seront rassemblés dans une même filiation dans l'amour universel du Père.

Si le graiu de blé rneurl il porte beaucoup de fruit

Cette ouverture à l'autre, à l'étranger, ce chemin par­couru pour le rejoindre dans sa souffrance et dans son appel, Jésus va en payer le prix. Car cette proximité de l'étranger, considéré comme rejeté, provoque incompré­hension et hostilité.

Son ouverture à tous est qualifiée de provocation pour la cohésion sociale et religieuse de la nation dont il est membre.

À force d'aller vers les autres, les étrangers, Jésus entre lui-même dans un processus de marginalisation et d'exclusion.

La passion de rencontrer l'autre devient souffrance, agonie, condamnation. La mort qui le crucifie, la dérision que certains y ajoutent, manifestent la résistance de beaucoup à l'attitude d'ouverture qui accrédite la prédica­tion du Royaume.

Dans l'Évangile de saint Jean, c'est au moment pré­cis où des grecs, c'est-à-dire des païens, s'approchent de Philippe pour lui demander de pouvoir rencontrer Jésus que celui-ci déclare solennellement que l'heure est venue de vivre un passage définitif. L'heure de la gloire du fils de l'homme, c'est aussi l'heure du don de sa vie comme le grain tombé en terre.

« Voici venue l'heure où doit être glorifié le Fils de l'homme ... Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul Mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ... » (Jn. 12, 23-26).

La Crofa.· ·"igne du tragique du péché du refu." de l'autre

La mort de Jésus peut être lue comme la consé­quence du péché dont nous parle le livre de la Genèse.

Refuser le rapport d'altérité est un chemin qui conduit à la mort. Jésus dans l'entière communion qu'il vit avec son Père, accepte de prendre sur lui ce péché du monde. li livre sa vie. Il accomplit là sa médiation.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 233 e 19

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L'église et les migrants au seroice de la médiation du Christ

Le péché du refus de l'autre fait son œuvre en lui. Il tranche la relation qu'il entretenait avec les autres, la mul­titude.

La croix manifeste jusqu'à quelle extrémité tragique le péché peut conduire. Jésus porte sur lui les consé­quences de ce péché.

C'est en remettant au Père cet Esprit de réconcilia­tion que le Fils entre dans la mort.

La crofa_: ."ligne de l'amour de l'autre , ' l' t A pou.s.se a e;r rerne

Mais la mort de Jésus, devient nouvelle parole.

Elle est le signe de l'amour de l'autre, de tous les autres, poussé jusqu'à l'extrême.

« Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tous les hommes » (Jn. 12, 32).

Cet amour humilié se révèle plus fort que la haine et que la mort.

Le péché du refus de l'autre n'a pas le dernier mot.

Dans la plénitude de cet Amour qui a habité Jésus durant sa vie terrestre, Dieu ressuscite Jésus.

Jésus ressuscité ouvre pour tous les hommes une nouvelle fraternité. Le Christ ressuscité devient le contemporain de chaque homme, lui offrant de vivre avec ses frères un nouveau rapport d'alliance. L'Esprit remis au Père par Jésus sur la croix est communiqué à l'huma­nité tout entière.

Désormais, il n'y a plus de fatalité de la violence et de la peur dans la rencontre de l'autre. Dans la mort et la résurrection du Christ, la médiation est accomplie : pour celui qui met sa confiance dans le Christ, la peur de l'étranger peut être dépassée. La réconciliation entre les hommes de toutes cultures est acquise dans le don que le Christ a fait de sa vie par amour pour tous.

Tel est le cœur de notre foi chrétienne.

*

Il. - Au service de la rencontre : l'Églù1e che1nir1 de médiatio11

L'Église se situe dans l'histoire des hommes comme servante de la médiation du Christ.

La Sacra111e11talité de /1,g/ise

«Sacrement, c'est-à-dire signe et moyen de l'union intime avec Dieu et de ,l'unité du genre humain » dans la personne du Christ, l'Eglise porte l'Evangile de l'amour fraternel et de la rencontre de l'autre en vivant effective­ment le mystère qui la constitue.

20 o MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

C'est le mérite de la lettre aux catholiques de France d'avoir souligné cette sacramentalité de l'Eglise et d'avoir montré comment l'agir même des chrétiens, leur manière de vivre la réconciliation et la communion ,reçues du Christ, est la contribution spécifique que l'Eglise peut apporter dans les débats actuels d'une société traversée par ces interrogations li~es à la présence des étrangers en son sein. Le Comité Episcopal des Migrations a voulu prendre à son compte cette çiémarche dans le document qui va bientôt paraître : cc A la rencontre de l'autre : L'immigration, un rendez-vous pour la foi».

Au cœur de la société où nous vivons, la sacramen­talité de l'Église se déploie selon trois aspects :

1) Tout d'abord il faut souligner l'enracinement de son action dans le mystère qui la constitue

Pas d'explication de l'engagement de l'Église dans le débat sur l'immigration, sans référence à ce mystère d'amour qui la constitue.

Cet enracinement dans le mystère du Christ exige des chrétiens mobilisés sur ce terrajn de l'immigration, une éducation où la catholicité de l'Eglise soit une véri­table expérience spirituelle.

2) L'Église tout en étant sacrement du Christ, a un caractère profondément historique et social. Elle est inscrite dans l'identité de la nation où elle se trouve. Elle a contribué par son histoire à la formation de cette iden­tité. Elle en connaît les limites et les fragilités. C'est au cœur de cette société qu'elle vit le mystère de sa catholi­cité. Elle contribue ainsi au vivre ensemble de la société où elle se trouve.

3) L'Église, Sacrement du Christ dans l'histoire des hommes, a un caractère prophétique. Elle ne renonce jamais au cœur de ce monde, à annoncer le Royaume de Dieu où tous les hommes seront récon­ciliés.

, Elle demeure tendue vers ce Royaume inauguré par l'Evangile du Christ et dont aucune forme de regroupe­ment sur cette terre n'épuise la réalisation plénière.

Au nom de ce Royaume qui vient, il lui arrive de dénoncer clairement les tendances au repli ou à la néga­tion de l'autre, les atteintes à la dignité des personnes surtout des plus fragiles et des plus vulnérables.

Au nom de ce Royaume, elle peut être amenée en certaines circonstances à poser des gestes prophétiques pour alerter les consciences endormies, comme cela s'est passé dans l'accueil réservé par certaines églises aux sans-papiers.

, De toutes manières, l'Évangile qu'elle porte met l'Eglise en désir de l'autre, de la Bonne Nouvelle de la rencontre avec l'autre quelle que soit sa culture, sa langue ou la couleur de sa peau. Dans cette perspective elle demeure «ferment d'universalité concrète »,surtout lorsque certains secteurs de la société où elle vit sont tentés par le repli sur une conception figée de l'identité et par le rejet de l'autre.

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2) Les chemins de la médiat ion de tl~{!;lise au cœur de notre société

Le signe de la catholicité dans l'accueil des chrétiens venus de l'immigration

Comment les chrétiens pourraient-ils être témoins de cette volonté du Christ de rassembler dans « l'unité les enfants de Dieu dispersés», s'ils ne sont pas signes d'une communion fraternelle entre baptisés de cultures différentes au sein même de leurs communautés?

Et pourtant, dépasser la simple cohabitation ou la tolérance mutuelle n'est pas chose facile. La catholicité suppose pour chaque église diocésaine un long chemin à parcourir.

Il faut bien se rendre à l'évidence : même dans l'Église, la rencontre des cultures différentes peut consti­tuer une épreuve. Des chrétiens venus d'Afrique, par exemple, ne se sentent pas bien accueillis dans les paroisses où ils se rendent. Et certains chrétiens de France supportent difficilement les expressions de foi démonstratives de certains chrétiens immigrés.

L'Église catholique sous l'inspiration de Paul VI, da~s la lettre Pastoralis Migratorum Cura, a donc ouvert la voie à une réflexion sur les processus d'intégration des chré­tiens venus de l'immigration dans les communautés chré­tiennes qui les accueillent. En voici quelques éléments :

a) Tout baptisé d'origine étrangère est membre à part entière de l'église diocésaine qui l'accueille et où il demeure

Les ouvriers de la dernière heure, nouvellement arri­vés, sont traités sur un pied d'égalité avec ceux qui sont présents depuis longtemps.

L'objectif essentiel de toute église particulière qui accueille des étrangers qui partagent la même foi en Jésus-Christ, réside donc dans le fait qu'ils prennent leur place au sein de la communion, qu'ils devi~nne:nt, au même titre que les autres, responsables du temo1gnage de l'Évangile. Et que, restant attachés à leur racines cul­turelles, ils soient témoins de la catholicité, dans la recon­naissance de leur différence.

b) La catholicité devient alors un processus, qui passe par la reconnaissance des communautés, les aumôneries nationales

On ne devient pas sur le coup, membre à part entière d'une église dont on est étranger par la langue, par l'his­toire ou par la culture.

Dans ce processus, les communautés catholiques d'origine étrangère, dites autrefois missions ethniques, occupent une place importante dans l'église d'accueil.

Ces communautés regroupent des personnes parta­geant la même langue maternelle et soudées par la même culture. Elles sont souvent accompagnées par des prêtres de même origine. Une trentaine de ces aumône­ries existent sur un plan national (Europe de l'Est, Europe latine, Afrique, Asie, Antilles ... ).

Ces communautés sont à géométrie variable. Elles ont un rôle essentiel dans les premiers temps

de la migration où les immigrés sont marqués par le choc de la confrontation à une culture étrangère. Elles sont alors des lieux de sécurité où les immigrés peuvent

trouver non seulement un soutien spirituel et pastoral mais aussi une reconnaissance sociale.

Il faut souligner ce que ces communautés peuvent fournir comme appui dans les premiers temps de l'inté­gration. Dans un pays comme la France, privilégiant les parcours individuels d'intégration dans le cadre de la laï­cité, ces communautés sont des pôles où peut se négo­cier le passage de la culture du pays d'origine à celle du pays d'accueil.

c) Dans la durée, ces communautés sont appe­lées à devenir des relais

On considère comme une richesse pour la commu­nion de toute église particulière la subsistance et l'ex­pression de communautés vivant leur foi et leur fidélité au Christ dans leur culture propre.

Mais l'identité de ces communautés doit toujours être considérée comme une identité de relation. Il ne peut s'agir de communautés repliées, cultivant les valeurs idéalisées des pays d'origine.

Toute communauté est ordonnée à la croissance du Corps du Christ qui se développe dans l'échange et la réciprocité.

L'horizon de toute communauté c'est d'accueillir avec les autres la communion donnée en Jésus-Christ.

d) L'entrée en réciprocité d'une église locale dite d'accueil avec les communautés d'origine étrangère constitue une démarche essentielle pour que cette église approfondisse le mystère qui la fonde.

En exprimant ouvertement leur foi, les chrétiens d'origine étrangère obligent l'église qui les accueille à ne pas enfermer sa relation au Christ dans une culture don­née. Le Dieu qui la convoque et qui l'envoie est un Dieu qui reste au-delà de ses prises, toujours insaisissable. Aucune église ne peut le réduire ou le séduire dans une culture donnée.

e) La catholicité consiste donc dans un mouve­ment d'échange

D'une part l'église particulière qui accueille a à s'ouvrir à la réalité de la culture et de l'histoire de ces chrétiens venus d'ailleurs.

D'autre part les baptisés d'origine étrangère auront à vivre cette migration pastorale et spirituelle pour prendre leur place dans l'église qui les accueille.

Au service de cette rencontre, de cet échange, de cette réciprocité, en Église, une équipe assume ce charisme de la médiation entre les uns et les autres : le service diocésain de la pastorale des migrants.

Je crois qu'on n'a pas encore bien pris en considéra­tion dans les églises particulières 1'.enjeu essentiel, pour la sacramentalité et la mission de l'Eglise, de la présence des chrétiens d'origine étrangère.

La Pastorale des migrants devient moins une pasto­rale de l'accueil de l'étranger qu'une pastorale des migrations spirituelles que les u11s et les autres ont à accomplir au sein d'une même Eglise pour entrer en communion dans le Christ.

Je souhaite à ce titre que le souffle des Journées Mondiales de la Jeunesse où des jeunes du monde entier se sont rencontrés, vienne réveiller nos paroisses et nos communautés. Qu'elles réalisent ce que ce grand mot de

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L'église et les migrants au service de la médiation du Christ

cc catholique » veut dire, dans la conscience que toute personne de culture étrangère rencontrée, a quelque chose de neuf à nous apprendre sur l'inépuisable Mys­tère de la présence du Christ à notre monde.

Ulle Égli.'le présellte .'Jur le.~ lieux· de f racture.'l .'Jociales

Dans la logique de l'incarnation du Christ qui rejoint les plus pauvres, il est significatif que des chrétiens soient présents sur les lieux de fracture sociale, dans · ces quartiers où vivre ensemble est plus difficile, à cause du chômage, de la cohabitation dans des logements bruyants et dégradés, de l'insécurité.

La médiation de l'Église passe par la présence durable des chrétiens au cœur de ces cités et par le compagnonnage avec leurs habitants. La passion de la rencontre qui anime les disciples du Galiléen doit se manifester à l'épreuve de ces lieux d'exclusion. Les modes de présence de ces chrétiens sont divers.

a) Les paroisses en milieu populaire

Elles constituent des lieux repérables. Elles sont sou­vent un carrefour de nations différentes. Les chrétiens d'origine immigrée y sont souvent plus nombreux que les chrétiens autochtones. Elles sont des lieux de rassem­blement où la référence à la même tradition, aux mêmes textes fondateurs, la célébration des mêmes liturgies, la convergence aux mêmes fêtes qui pendant l'année, per­mettent à chacun de se sentir peu à peu membre d'un même peuple.

Ce peuple arc-en-ciel se forge dans l'accueil des dif­férents langages, des rythmes, des musiques de chaque culture représentée. Il grandit dans la lente et patiente pédagogie de la rencontre, du dialogue, parfois de la réconciliation, soutenue par le charisme de médiation des animateurs pastoraux : prêtres, laïcs et religieuses.

Face à l'anonymat des quartiers et à la crise du lien social, ces paroisses sont des lieux de convivialité et de reconnaissance des personnes. Face à l'insécurité elles offrent un espace de confiance où l'on apprend à dépas­ser ses peurs. Face à la débâcle des points d~ repère du vivre ensemble, elles présentent, à partir de l'Evangile du Christ, un chemin de fraternité, de sens de vie spirituelle pour chacun de ses membres.

Ces paroisses peuvent devenir signes d'intégration pour l'ensemble du quartier. En proposant à des laïcs venus de l'immigration de prendre des responsabilités, ces paroisses ouvrent des chemins nouveaux de citoyen­neté. Elles sont des lieux où se transforme le regard sur ces quartiers. On y passe d'une vision fataliste et miséra­biliste à un appel positif à s'engager activement pour changer les conditions du vivre ensemble.

b) Présence des chrétiens dans la vie associative

Des chrétiens, français ou immigrés, souvent enga­gés dans les collectifs de la Mission ouvrière (A.C.E., J.O.C., A.C.O .... ) sont actifs dans les associations qui

22 e MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

ont pour objectif de retisser le lien social et de relever les défis humains et sociaux de ces quartiers. Ils sont dans ces associations, compagnons d'humanité, partenaires d'autres membres musulmans ou de tradition laïque.

En partenariat dans ces associations ils s'engagent dans des projets sociaux qui visent à soutenir les proces­sus d'intégration, à désenclaver ces quartiers, à aména­ger la convivialité. La diversité des cultures et des tradi­tions religieuses donne une coloration nouvelle à l'exercice de la citoyenneté. Il ne s'agit pas seulement d'affirmer l'égalité des droits, il faut aussi reconnaître que les processus d'intégration passent par l'échange et la réciprocité de personnes de cultures différentes.

À travers ces engagem~nts associatifs les chrétiens manifestent le visage d'une Eglise ouverte au partenariat, engagée dans le dialogue, attentive aux réalités sociales et à tout ce qui peut permettre à la personne humaine d'affirmer sa dignité.

Ils témoignent d'une foi engagée au service de tous les hommes sans exception, passionnée par la recherche de nouveaux chemins de fraternité.

c) La rencontre avec les musulmans

C'est sur les terrains de ces quartiers que des chré­tiens sont amenés à rencontrer des musulmans. Parce qu'ils sont confrontés à des problèmes communs (coha­bitation dans les immeubles, conditions de travail, scola­rités difficiles, délinquance, toxicomanie ... ) des chrétiens et des musulmans sont appelés à faire route ensemble. S'instaure alors entre eux un dialogue de la vie, enraciné dans une volonté de relever ensemble les défis du quartier.

Peu à peu, à travers bien des tensions, des portes s'ouvrent. La défiance recule. Ici ou là, les invitations sont lancées par des musulmans ou des chrétiens à l'occa­sion des fêtes religieuses. C'est ainsi que ce qui marque l'identité des familles, l'attachement à leur tradition reli­gieuse, marqué par l'observance de fêtes, de rites, de temps de prière se dévoile aux yeux des uns et des autres. Dans cette connaissance mutuelle les stéréo­types et les amalgames dangereux sont remis en ques­tion.

Dans certaines cités, sous l'impulsion d'associations musulmanes, des jeunes d'origine maghrébine ou afri­caine découvrent de nouvelle manière la foi musulmane. Elle leur permet d'affirmer leur identité, de se retrouver en communautés, de s'engager ensemble pour relever le défi de la délinquance. Cette démarche religieuse peut s'accompagner d'une véritable interrogation spirituelle, sur la prière, la place de la Révélation dans la vie per­sonnelle, la manière de se situer comme croyant dans une société laïque et sécularisée.

Ces interrogations provoquent parfois ces jeunes musulmans à tenter la rencontre avec des chrétiens. Mal­heureusement encore peu de jeunes chrétiens sont ouverts à ce type de rencontre et formés à un tel dia­logue.

Pourtant un des enjeux de ce dialogue qui devrait aussi réunir des représentants de la laïcité, est de contri-

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buer à ce que des jeunes croyants musulmans trouvent leur place et leur marque dans la société française.

C'est la fonction des Relais Maghreb-Méditerranée au sein de la Pastorale des Migrants d'aider les chrétiens qui visent cette rencontre, à réfléchir à ce qui est engagé pour l'~venir de notre société, pour la laïcité, et bien sûr pour l'Eglise.

3) Une !~'plis~ qui ose prendr~. la P.arol~ dans le debat public sur l w11111gratwn

À plusieurs reprises une parole publique d'Église a été prononcée sur c,ette question de l'immigration. Tantôt, ce fut le Comité Episcopal des Migrations qui s'est exprimé. Tantôt ce fut tel évêque à partir d'un événement survenu dans son diocèse. De plus en plus souvent, la démarche est œcuménique. Nombreux sont les t~xtes qui émanent des trois co-présidents du Conseil d'Eglise Chrétiens en France.

Ces textes qui sont souvent des prises de position touchant telle ou telle réalité de l'immigration appellent quelques remarques.

a) Le poids de ces paroles est lié à l'expérience des chrétiens dont nous venons de parler.

Lorsque les responsables d'Église s'expriment, ils savent que leur parole s'appuie sur le savoir-faire des chrétiens de cultures différentes en matière de vivre ensemble. S'ils appellent à dépasser les peurs c'est parce qu'ils savent que dans des contextes pourtant éprouvants, des chrétiens se sont découverts dans une fraternité surprenante dans la diversité de leurs cultures.

Ces paroles ne sont donc ni naïves, ni irrespon­sables, car elles sont passées à l'épreuve du réel.

b) Cette parole est revêtue d'une autorité morale incontestable : Celle du Pape Jean-Paul Il qui ne cesse d'appeler les sociétés à respecter la dignité du migrant et à voir dans l'étranger clandestin ou dans le réfugié «l'icône contemporaine du voyageur dépouillé, roué de coup et abandonné sur le bord de la route de Jéricho ».

Et le Pape invite toute l'Église à se mobiliser dans cette nouvelle fraternité au nom de son identité même de sacrement de la présence du Çhrist : « Dans l'Église, écrit-il, nul n'est étranger et l'Eglise n'est étrangère à aucun homme ni à aucun lien. En tant que sacrement d'unité et donc sigf)e et force de regroupement de tout le genre humain, l'Eglise est le lieu où les immigrés en situation illégale eux aussi sont reconnus et accueillis comme des frères. » Message pour la journée mondiale des Migrants, 1996.

c) Cette parole puise donc sa force dans le ser­vice de la médiation que Jésus a confiée à son Église. Elle n'est pas teintée d'opportunisme ni d'esprit partisan. Elle veut sincèrement servir la rencontre de populations différentes qui, dans la conjoncture actuelle, se tiennent à distance et en méfiance les unes par rap-

port aux autres, et pourtant qui ont, selon certaines condi­tions, à apprendre à vivre ensemble.

Et si cette parole intervient sur le champ politique c'est parce que celui-ci est le lieu où ont à s'inscrire de façon claire ces valeurs qui structurent le message chré­tien : le respect de la dignité et des droits inaliénables de la personne humaine, en particulier le droit d'asile et le droit de vivre en famille, la mise en œuvre de la loi au ser­vice du Bien Commun. Le souci de la protection des plus pauvres. Le refus de toute attitude aboutissant au rejet de l'autre.

En conclusion, je ~eviendrai simplement sur le Mystère Pascal vécu en Eglise. Dans cet engagement au service de la médiation, immanquablement les chrétiens rencontrent résistance et opposition. Nous avons été pré­venus: le disciple n'est pas au-dessus du Maître. La croix fait partie de sa condition. Il peut nous arriver à nous­mêmes de devenir étrangers pour nos semblables. Il nous faut apprendre que ce conflit, assumé dans la foi et dans l'amour du Christ est un lieu théologal. C'est un chemin de libération. C'est le passage par lequel nous sommes assimilés au Christ. Nous entrons dans le mys­tère pascal. Nous savons désormais avec le Christ res­suscité que ce passage mène à la vie nouvelle où il n'y a plus ni juif, ni grec et où le mur de haine est tombé.

Mais en attendant, dans la contingence des situa­tions, il faut assumer ces conflits. Il ne s'agit ni de les rechercher pour eux-mêmes, ni de tenter par tous les moyens de les fuir en édulcorant le message et en gar­dant un silence coupable. Nous assumons ces conflits en nous demandant toujours si nous avons eu raison d'inter­venir, si nous avons trouvé les mots justes, si nous avons fait progresser les consciences et surtout en cherchant à inventer les gestes du pardon et de la réconciliation.

Et nous savons que cette tension forte que nous vivons à certains moments entre cette société qui est la nôtre et ces étrangers que nous voulons rencontrer comme des frères ne nous laissera pas indemnes. Elle nous transformera profondément. Accepter de se laisser conformer au Christ bien au-delà de ce que nous pen­sons, c'est accepter aussi d'entrer en migration spiri­tuelle.

Dans cette démarche nos communautés sont appe­lées à vivre un certain dessaisissement, à prendre un chemin de pauvreté.

Ce service de la médiation appelle un long processus de conversion, d'ouverture à la véritable altérité qui revient à reconnaître l'autre comme autre et à l'aimer comme un frère. Le chemin exige une grande force d'amour, celle de !'Esprit du Christ. Il appelle une vraie liberté spirituelle, un profond courage et le sens du dis­cernement. Finalement, dans ce grand débat qui anime notre société autour de la rencontre de l'étranger et du vivre ensemble, daps l'affrontement aux peurs et aux identités repliées, l'Eglise est appelée à un rendez-vous de Dieu et à un temps privilégié de renouvellement de sa fidélité au Christ. lil

MÉDECINE DE L'HOMME N° 233 O 23

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La Cimade ' aupres

des étrangers, pour le respect de la dignité de chacun

par Monsieur Laurent GIOVANNONI (*)

24 e MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

/. - La Cimade, d'hier ... Depuis sa création, en 1939, la Cimade, service

œcuménique d'entraide, s'est donné pour but de déve­lopper « au nom de l'évangile libérateur, une solidarité active en faveur des exclus, de ceux qui souffrent, qui sont exploités ou opprimés» (article le' de ses statuts).

Le sigle de la CIMADE ne peut se comprendre sans ~on histoire : le Comité Inter Mouvements Auprès Des Evacués (C.l.M.A.D.E.) fut créé en 1939, au tout début de la guerre, pour venir en aide aux populations de l'est de la France (notamment d'Alsace) évacuées dans le sud-ouest lors de l'invasion de l'armée allemande. Ras­semblement des mouvements de jeunesse protestants et orthodoxes, présidée par le pasteur Bœgner, président de la Fédération Protestante de France, la Cimade déve­loppa très rapidement ses actions en faveur de toutes les victimes de la guerre. Dès 1940, ses premiers équipiers furent autorisés à entrer dans les camps d'internement du sud de la France (Gurs, Rivesaltes, Brens, Le Récé­bédou ... ) pour y exercer une présence auprès des popu­lations internées Ouifs allemands, réfugiés républicains espagnols ... ):

« La Cimade avait été créée pour apporter une aide " aux évacués en général ». Nous nous retrouvions en fin d'année 1940 derrière les barbelés du ghetto de Gurs. Nous y vimes un appel précis. L'antisémitisme prenait corps à Vichy. Les arrestations et les camps d'interne­ment se multipliaient. Tout racisme est inadmissible du point de vue chrétien. Il fallait donner des signes tan­gibles de cette conviction, alerter l'opinion publique, pro­tester auprès des autorités responsables, mobiliser les forces protestantes, et surtout aider ceux qui souffraient le plus. » (1)

... il aujourd'hui : Près de 60 ans plus tard, le contexte n'est bien évi­

demment en rien comparable. L'action de la Cimade pro­longe cependant les mêmes objectifs que Madeleine Barat exposait : être présents auprès des « déracinés » réfugiés, déplacés, migrants, leur apporter une aide concrète, alerter l'opinion publique de ce qui est contes-

(*) Responsable du poste Cimade lie-de-France. (1) Madeleine Barot, première secrétaire générale de la Cimade, dans

" les clandestins de Dieu - Cimade 1939-1945 .. , Labor et Fides, 1968.

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tabl~. ou inacceptable, protester auprès des autorités, mobiliser les réseaux et notamment les milieux chrétiens.

Si cette longue présence auprès des étrangers s'est manifestée de différentes façons selon les époques, elle se traduit aujourd'hui par un certain nombre d'actions complémentaires qui confèrent à la Cimade une connais­sance précise des problèmes et lui permettent d'élaborer des propositions, comme elle vient de le faire avant les débats relatifs aux lois sur l'immigration, le droit d'asile et la nationalité.

Les permanences d'accueil des demandeurs d'asile, des réfugiés et des migrants constituent la base du travail de la Cimade. Que ce soit dans les postes permanents ou dans les groupes locaux de bénévoles existant un peu partout en France, l'accueil consiste avant tout à aider un étranger à s'y retrouver dans ses démarches administra­tives, à le conseiller, à intervenir en sa faveur auprès des administrations concernées, à l'aider à former des recours devant les juridictions concernées, etc. De ce travail au quotidien, la Cimade développe des relations constantes avec les différentes administrations, avec les ministères, et se trouve ainsi en position d'intermédiaire, voire de médiatrice lorsque des conflits apparaissent. Ce fut notamment le cas, au cours des années récentes, lors des mouvements de grève de la faim des déboutés du droit d'asile en 1991, des parents étrangers d'enfants françai~ en 1995, des sans-papiers de Saint-Bernard en 1996. A chaque fois, bien avant l'apparition publique de la crise, et souvent avec ses partenaires catholiques, la Cimade avait alerté les pouvoirs publics sur les consé­quences de certaines dispositions et sur les problèmes croissants qu'elles engendraient. Elle a pu ainsi jouer un rôle important pour négocier une issue aux grèves de 1991 et 1995. Lors de l'occupation de l'église Saint-Ber­nard, des démarches discrètes avaient été engagées malheureusement sans succès.

Ce rôle constant d'accompagnement des étrangers, d'interpellation des pouvoirs publics et de médiation explique sans doute que les différents gouvernements aient depuis 1984 confié et renouvelé à la Cimade une mission d'accompagnement social et juridique des étran­gers dans les centres de rétention administrative - les lieux où sont retenus les étrangers en situation irrégulière avant d'être renvoyés du territoire français. C'est aujour­d'hui dans douze centres de rétention - situés sur l'en­semble du territoire -, que les équipiers de la Cimade assurent ce rôle difficile et bien souvent ingrat. Il s'agit d'aider les étrangers à exercer les voies de recours dont ils disposent, d'intervenir auprès de l'administration en cas d'erreur d'appréciation, de décisions illégales ou de situations humaines particulières, d'apporter une aide pour que les intéressés puissent récupérer leurs affaires, de prévenir la famille.

Mais la question du statut juridique des étrangers, pour important qu'elle soit, n'est pas tout : la Cimade a tenu à développer des actions tendant à favoriser l'inser­tion des étrangers dans la société française. Ainsi, son foyer de Massy (Essonne) accueille près de 80 réfugiés et une vingtaine d'étudiants. L'adaptation linguistique des réfugiés constitue un autr~ volet conséquent de son action : sous contrat avec l'Etat, les cc cours de français »

pour les réfugiés constituent, au-delà de l'apprentissage du français, un moyen pour les aider à s'adapter à la vie et à la société françaises.

Enfin, dernier volet important de l'association, ses actions de solidarité avec les pays du sud : en Afrique, au Moyen Orient ou en Amérique latine, une trentaine de projets de développement et de défense des droits de l'homme sont soutenus par le service international de la Cimade et par des groupes locaux engagés dans des actions de Partenariat.

II. - Le.Y débat.'/ de.'J dernier.Y moi.~ : le.'J pmûtio11s de la Cimacle

011t'er/11re 011 fermeture des jiwlfières ~

Les débats qui ont accompagné la préparation des lois Chevènement et Guigou - portant respectivement sur l'immigration et le droit d'asile et sur la nationalité - ont parfois été caricaturaux, opposant les tenants de l'ouver­ture des frontières à ceux qui prônent un strict contrôle.

Cette façon de poser le débat est par trop simpliste : lancé il y a quelques années, le slogan « pour une immi­gration zéro » est une absurdité. Cet objectif contredit l'histoire de la France, qui a toujours été une terre d'im­migration, renie des accords internationaux tels que la convention de Genève sur les refugiés, la convention européenne des droits de l'homme ou encore les accords d'Helsinki sur le respect de la libre circulation des per­sonnes. Surtout, cette volonté de fermeture des fron­tières n'a aucun sens dans le monde actuel où tout cir­cule - capitaux, marchandises, informations -, et de plus en plus vite ; un monde où les déséquilibres écono­miques et démographiques ne peuvent qu'engendrer de nouvelles migrations.

Pour autant, la position inverse qui prône l'immigra­tion sans contrôle ni limite n'est pas jugée comme sou­haitable ni réaliste par la Cimade. Si la poursuite d'une immigration est normale, son organisation et sa régula­tion s'avèrent nécessaires.

Plutôt que d'aborder l'immigration toujours en terme de « flux », de « volume » et de « combien ? » comme s'il s'agissait d'un problème de baignoire - la Cimade préfère se préoccuper d'abord du droit des gens, et s'attacher à faire en sorte que leurs libertés et droits fon­damentaux soient effectivement pris en compte et res­pectés. Dans ce sens, la Cimade a participé à l'élabo­ration et approuve totalement la note d'orientation de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme qui propose, pour toute législation relative aux étrangers, de revenir aux principes de base de la Répu­blique, et notamment au principe d'égalité:

« L'ensemble de la législation sur le statut des étran­gers - sous réserve des traités internationaux devrait ainsi être revu à la lumière de cette idée fondamentale, en recherchant, pour chaque restriction apportée au prin­C!f!'! d'égalité, y compris en matière pénale, si elle est jus­t1f1ee, notamment au regard des normes posées par les conventions internationales, la Constitution et la jurispru­dence du Conseil Constitutionnel, et si sa mise en œuvre est entourée des garanties juridictionnel/es adéquates (motivation des décisions individuelles ; possibilité d'un recours efficace). » (2).

(2) Note d'orientation concernant les droits des étrangers. Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme, 3 juillet 1997.

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La Cùnade auprès des étrangers, pour le respect de la dignité de chacun

Sans-papiers

L'autre débat important de ces derniers mois porte sur la question des sans-papiers et sur l'ampleur des régularisations nécessaires. Dès le mois de juin 1997, le nouveau Gouvernement publiait une circulaire permet­tant le réexamen de la situation administrative des étran­gers en situation irrégulière. Les critères indiqués par cette circulaire, ainsi que les premiers chiffres, laissent penser qu'un nombre important de «sans papiers» ne pourront pas bénéficier d'une régularisation et se retrou­veront donc dans quelques mois au point de départ.

Aux positions tranchées, la Cimade privilégie une position pragmatique basée sur les faits.

Les lois de 1993, aggravées par des pratiques admi­nistratives très rigides, ont eu pour effet de faire baisser le nombre d'étrangers nouvellement autorisés à résider en France. Alors que le chiffre de ces « nouvelles entrées » d'étrangers variait autour de 1 OO à 120 000 par an, les années récentes ont vu ce chiffre fondre jusqu'à 49 000 en 1995 et 50 000 en 1996 (3).

Cette baisse, conséquence de l'objectif « immigra­tion zéro», s'est traduite dans les faits par le maintien en situation irrégulière d'un nombre important d'étrangers qui auraient dû obtenir un titre de séjour. Un rapide calcul indique, sur quatre années, un différentiel de 140 000.

L'autre élément à prendre en compte est relatif au fait que l'administration ne peut - même si elle le voulait -expulser manu militari plus de 15 000 étrangers par an. Quant à l'aide au retour volontaire, elle n'a toujours eu qu'un effet marginal.

Aussi, le simple bon sens invite à prôner une très large mesure de régularisation, afin d'assainir une situa­tion difficile avant que ne soit mise en œuvre la nouvelle législation.

III. - Nouvelles lois sur la nationalité, l'immigration et le droit d'asile: les propositiont; de la Cimade

Plusieurs mois avant la dissolution de lAssemblée Nationale, un groupe de travail interne à la Cimade avait entamé une réflexion tendant à élaborer des propositions de modifications de la législation, dans la perspective des élections programmées en 1998. Ce travail fut mené à terme au début de l'été dernier avec l'accélération du calendrier électoral : une brochure (4) spéciale a été publiée pour rendre compte de cette réflexion et exposer les modifications essentielles souhaitées par la Cimade. Les points saillants sont :

(3} Ces chiffres globaux comprennent, pour chaque année, le nombre de cartes de séjour délivrées pour la première fois à un étranger au titre soit de l'immigration économique, soit du rapprochement familial, soit du statut de réfugié.

(4) Cimade - Pour une nouvelle législation relative aux étrangers -argumentaire- juillet 1997.

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Sur le droit de l'immigration

Conditions d'entrée en France : la Cimade propose de rétablir dans les faits le principe de la libre circulation des personnes - à distinguer de la liberté d'installation. Plusieurs dispositions sont proposées:

À défaut de voir supprimés à court terme les visas de court séjour-bien que la Cimade s'interroge grandement sur leurs rôles - leur encadrement s'impose : nécessité d'une motivation en cas de refus de délivrance, possibi­lité d'un recours efficace (c'est-à-dire qu'une réponse à ce recours, devrait intervenir dans un délai maximum de deux mois), clarification des critères de délivrance.

Aux frontières françaises, un étranger dont l'entrée en France est refusée doit pouvoir déposer un recours suspensif de la mesure de refoulement jusqu'à la décision du tribunal (qui peut, comme pour la procédure de recon­duite à la frontière, rendre sa décision dans les 48 h}.

Droit à la stabilité du séjour :

En 1984, des lois avaient entériné le fait qu'un grand nombre d'étrangers possèdent l'essentiel de leurs attaches en France et qu'ils ont vocation à y poursuivre leur vie. L'instauration de la carte de résident de 1 O ans, et l'impossibilité légale d'éloigner ces étrangers du terri­toire français leur conféraient une véritable sécurité du séjour, condition indispensable à une bonne insertion dans la société. Depuis, ces protections ont été amoin­dries, limitées voire supprimées. La Cimade souhaite leur rétablissement.

Droit au respect de la vie familiale :

La procédure de regroupement familial, qui permet à un étranger résidant en France de faire venir son conjoint et ses enfants, est depuis des années soumise à des conditions strictes de ressources et de logement. Dans la même logique que celle retenue par la commission natio­nale consultative des droits de l'homme, la Cimade estime que ces conditions doivent être supprimées, le droit à la vie familiale devant être garanti sans restriction.

Garantir la liberté individuelle et le droit à un recours effectif:

Plus généralement, la Cimade propose que toute déci­sion faisant grief puisse faire l'objet d'un recours suspensif qui permette à l'étranger de faire valoir sa situation et de se défendre avec l'aide d'un conseil, et ce, bien évidemment, avant que la mesure de refus de séjour soit mise à exécu­tion. De même, conformément aux règles générales du droit français, toute privation de liberté (dans les centres de rétention ou les zones d'attente des aéroports) doit être autorisée et contrôlée dans les plus brefs délais par le juge judiciaire, garant de la liberté individuelle.

Sur le droit d'asile

La convention de Genève, fondement du droit inter­national de protection des réfugiés, est mal interprétée par la jurisprudence française. Ainsi, les personnes qui

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fuient des persécutions n'émanant pas des autorités légales de leur pays ne peuvent obtenir le statut de réfu­gié. De très nombreux algériens sont de ce fait exclus de cette protection.

Le retour à l'esprit de la convention de Genève s'im­pose. La Cimade souhaite que la législation française adopte les recommandations du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés. Dans le même esprit, la Cimade souhaite que l'office qui examine les demandes et qui octroie le statut de réfugié {l'O.F.P.R.A.) puisse devenir réellement indépendant du pouvoir politique et voir sa compétence exclusive pleinement reconnue.

Sur le droit de la nationalité

Le fait que des parents demandent pour leurs enfants nés en France la nationalité française peut être la marque d'une forte volonté d'intégration. Pourtant, cette possibilité de demander la nationalité française pour leur enfant a été supprimée en 1993, laissant les jeunes nés en France dans l'insécurité jusqu'à l'âge de 16 ans. La Cimade souhaite le rétablissement de cette possibilité, et propose que soit grandement facilité l'accès à la nationa­lité francaise des étrangers qui le souhaitent lors du renouvellement de leur carte de résident de 1 O ans.

El:plique1; convaincre

L'ensemble de ces propositions, détaillées et argu­mentées, a été adressé par la Cimade à l'ensemble des groupes parlementaires représentés à lAssemblée Nationale et au Sénat.

Avant que les projets de loi ne soient débattus au Parlement, les membres de la Cimade sont allés rencon­trer de nombreux élus, dans leur circonscription ou à Paris. La Cimade a été reçue par le ministre de !'Intérieur,

Jean-Pierre Chevènement, par le Garde des Sceaux, Mmo Elizabeth Guigou, par les rapporteurs de la commis­sion des lois de l'Assemblée, Messieurs Mermaz et Gouzes, par les conseillers techniques de différents ministres (affaires sociales, affaires étrangères, intérieur, justice). La Cimade a également participé activement à la rédaction de l'avis de la Commission nationale consulta­tive des droits de l'Homme sur ces deux projets de loi (5), avis comportant 31 propositions de modifications concrètes.

Enfin, avec plus de trente autres associations et mouvements chrétiens (C.C.F.D., Secours Catholique, Entraide Protestante, A.C.A.T., Mouvement des Cadres Chrétiens, Emmaüs, Mission Populaire, etc.), un courrier commun a été adressé aux députés et au sénateurs.

À chacun d'agir là où il se trouve Il est difficile d'apprécier l'influence de cette action de

lobbying : à l'heure où sont écrites ces lignes, I' Assem­blée Nationale commence à peine l'examen des articles du projet de loi.

Mais quoi qu'il advienne, la Cimade est bien décidée à poursuivre son travail quotidien, à accroître sa pré­sence auprès des demandeurs d'asile, des réfugiés et des immigrés. Elle appelle tous ceux qui partagent ses valeurs à s'associer à sa démarche. Spécialiste ou non, juriste ou disposant simplement de bonne volonté, cha­cun peut trouver le moyen d'agir concrètement pour que le droit et la dignité des gens soient respectés. N'hésitez pas à prendre contact avec nous! (6) Ill

(5) Avis adopté en séance plénière le 1" octobre 1997. (6) Siège de la Cimade : 176, rue de Grenelle, 75007 Paris -

Tél. : 01 44 18 60 50. Cimade lie-de-France -Accueil des étrangers: 46, bou­levard des Batignolles, 75017 Paris- Tél.: 01 40 08 05 34.

Le prochain numéro de la revue « Médecine de l'Homme »

de MARS-AVRIL-MAI-JUIN 1998 - N° 234-235, aura pour thème :

«VIEILLISSEMENTS»

MÉDECINE DE L'HOMME N" 233 e 27

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Attitude des médecins français face à leurs confrères étrangers ... dans les années trente

Avec l'aimable autorisation des ÉDITIONS ARMAND COLIN, nous publions ci-dessous, quelques extraits du livre de Ralph Schor: "HISTOIRE DE L'IMMIGRATION EN FRANCE - de la fin du XIX' siècle à nos jours" (Nov. 1996), consacrés à l'attitude des médecins français face à leurs confrères étrangers, dans les années trente.

Clt. P. - Le.'l a1111ée.'l 30 : le letnp.'l de.~ cri.'le.'l

••• « 1.:3.2. La dénonciation de la« pléthore médicale»»

Grâce à un très souple système d'équivalences uni­versitaires, la législation en vigueur permettait aux jeunes étrangers de s'inscrire dans les facultés de médecine françaises, puis, leur diplôme obtenu, de s'installer dans ce pays. Vers 1930, la statistique des médecins étran­gers exerçant en France, 3 % de la profession, restait modeste. Mais, dans certaines régions, la proportion s'élev~it davantage, ainsi dans la Seine où elle atteignait 11 %. A ces chiffres, il fallait ajouter la présence de prati­ciens réfugiés politiques, ne pouvant officiellement prati­quer leur art, faute de posséder un diplôme français, mais dispensant parfois discrètement des soins, notamment à leurs compatriotes. Les Français s'inquiétaient davan­tage que le renom de la science française, la souplesse de la réglementation et la sélection à base raciale insti­tuée dans certaines facultés étrangères attirassent de nombreux jeunes dans les établissements de Paris et de la province : la proportion des étudiants en médecine étrangers, souvent juifs, était passée de 12,5 % en 1919 à 25 % en 1930. Ainsi, l'université semblait former de futurs concurrents pour les praticiens du pays d'accueil.

Les médecins français, affolés par ce constat, portè­rent le débat sur la place publique. Ils mobilisèrent leurs syndicats, les groupements d'étudiants, l'Académie de médecine ; ils alertèrent le Parlement et la grande presse ; ils se félicitèrent du soutien parfois bruyant que la droite et l'extrême droite leur accordèrent. Le corps médical dénonçait le surpeuplement de la profession, majorait les chiffres de la présence étrangère, accusait la gauche de naturaliser en masse les médecins étrangers quand elle exerçait le pouvoir. Mais les nationaux ne signalaient pas que le taux d'encadrement médical par habitant situait la France très bas parmi les pays évolués, au dix-septième rang mondial. Qu'une partie des nouveaux venus fussent des réfugiés politiques ne modifiait pas la situation aux yeux des plaignants. Les modérés regrettaient la viola­tion des droits de l'homme, mais ne souhaitaient pas pour autant accueillir les proscrits vus comme des concur­rents. Quant aux extrémistes, surtout ceux de l'Action

28 Cl MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

Française, très présente dans ce débat, ils observaient seulement que la majorité des étudiants et des médecins réfugiés étaient juifs, ce qui les disqualifiait à tous égards.

Les conséquences de l'invasion étaient jugées catas­trophiques. Les médecins répugnaient à employer le terme de « concurrence » qui leur paraissait trop commercial et ne cadrait pas avec la haute idée qu'ils se faisaient de leur métier. Ils préféraient dénoncer la « pléthore », dont ils étaient victimes. De cette pléthore ils évoquaient, avec une certaine discrétion, mais sans fausse honte, les implications matérielles: de nombreux confrères, après des études longues et onéreuses, vivaient dans la gêne. Dès lors la qualité morale de la pro­fession risquait de baisser ; les actes médicaux seraient multipliés, les soins dispensés plus vite et moins bien.

L'absence de moralité des étrangers semblait, en tout cas aux yeux des Français, un fait déjà acquis. Le docteur Cibrié, secrétaire général de la Confédération des syndicats médicaux, incriminait les médecins « venus de loin vendre de la médecine comme on vend des tapis aux terrasses des cafés » (1 ). Ces individus étaient accusés de se parer de titres imaginaires, d'exer­cer illégalement, de pratiquer des avortements, de diffu­ser des stupéfiants, de prescrire des arrêts de travail injustifiés, pourvu qu'on les payât bien. Et, à supposer qu'un médecin étranger fût honnête, jamais il ne pourrait comprendre la mentalité profonde de la France et égaler un homme issu de cette vieille terre en finesse, en déli­catesse, en dévouement, toutes qualités indispensables à l'exercice de la médecine.

1.:3.8. Les étapes de la protection du coqJs médical

Les médecins obtinrent une première satisfaction avec la loi préparée par un sénateur modéré, le docteur Raymond Armbruster. La nouvelle réglementation, pro­mulguée le 21 avril 1933, stipulait que, pour exercer la médecine et la chirurgie d~ntaire, il fallait être Français et posséder le doctorat d'Etat français. Cependant, les étrangers en cours d'études et les docteurs d'État exer­çant régulièrement au jour de la promulgation n'étaient pas astreints à la naturalisation.

(1) 0' Cibrié, Le Médecin de France, 15 avril 1930.

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Le barrage établi par la loi Armbruster parut bientôt trop fragile, surtout quand les avocats, grâce à la loi du 19 juillet 1934, eurent obtenu que les naturalisés fus­sent écartés du barreau pendant dix ans. Ce furent les étudiants en médecine qui relancèrent la contestation au début de1935. Soutenus par leurs camarades des autres facultés, par les syndicats médicaux et par l'ex­trême droite, Jeunesses Patriotes et surtout Action Française, les étudiants déclenchèrent à travers toute la France un mouvement massif et parfois violent. La grève s'étendit largement dans les établissements d'enseignement supérieur ; les réunions et les cortèges se multiplièrent aux cris de" La F~ance aux Français "• " Conspuez les métèques .. , " A la porte les métè­ques" • mots d'ordre illustrant l' influence des maur­rassiens, omniprésents. Les manifestations prirent parfois un tour antisémite et de jeunes étrangers furent molestés.

Le gouvernement, impressionné par cette agitation, réserva un bon accueil aux délégations de protestataires et promit dans un premier temps de consulter les syndi-

Co1rununiqué.~ de Pre.r.;.r.;e

cats avant d'accorder la naturalisation à un médecin immigré. Une nouvelle loi, datée du 22 juillet 1935, pré­parée sous la pression des étudiants et des médecins, aggrava les dispositions adoptées deux ans auparavant. Désormais, seuls les naturalisés ayant accompli leur ser­vice militaire pouvaient exercer la médecine et la chirur­gie dentaire ; les réformés devaient attendre une période égale à celle du service avant de s'installer. Les fonctions de médecine publique étaient interdites aux naturalisés durant cinq ans à partir de l'obtention de la nationalité française.

Ainsi, les classes moyennes, commerçants, avocats, médecins, réagirent comme les ouvriers en dénonçant la concurrence des étrangers et en exigeant une protection légale. Les membres des professions libérales, qui se flattaient de former une élite morale et intellectuelle, pou­vaient, comme les autres catégories sociales, sombrer dans la xénophobie quand leurs intérêts matériels étaient menacés. Les campagnes de défense sociale et écono­mique furent largement politisées. La question des réfu­giés le fut encore davantage. "· ·· •

La Communauté du Puits de Jacob propose :

Renseignements et inscriptions : - " Bi lan des pol it iques récentes à l'égard de l'immigration 11 par Jean­Marie Delarue ;

SESSION POUR LES CHRÉTIENS DES PROFESSIONS DE SANTÉ

6-14 juin 1998

Pour médecins, infirmières, kinés, et autres soignants chrétiens ou en recherche de Dieu qui aspirent à l'unifi­cation de leur vie spirituelle et de leur activité professionnelle.

Une démarche vivante qui allie connais­sance de soi, rencontre de l'autre et vie dans l'Esprit.

Animée par

François VIGNON, médecin

Bernard BASTIAN, prêtre et médecin

et une équipe de la Communauté.

Communauté du Puits de Jacob 12, rue des Dentelles, 67000 STRASBOURG Tél. : 03 88 22 11 14 Fax: 03 88 32 40 65

• BIENTÔT EN LIBRAIRIE

Intégrale des interventions et synthèse de la 62" session

de novembre 1997

" Les immigrés : défis et richesses "

Au sommaire

- " Un monde de migrations ,, par Michel Foucher ;

- " L'insertion des immigrés par le travail et l'entreprise dans un contexte de crise et de chômage 11 par Michel Bon ;

- " Vivre avec l'autre " par Paul Ricœur ;

- " Paroles de témoins engagés 11 par Christian Delorme, Stéphane Hessel et Adil Jazouli

- " La .spiritualité chrétienne et l'action de l'Eglise " par Jean-François Ber­jonneau

- " La laïcité et le dialogue inter­religieux 11 par Mohammed Arkoun et Danièle Hervieu-Léger.

(Bayard-éditions/Centurion - 120 F)

Pour tous renseignements :

Semaines Sociales de France 3-5, rue Bayard, 75008 PARIS

Tél.: 01 42 56 55 40 Fax : 01 42 56 55 45

MÉDECINE DE L'HOMME N' 233 e 29

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L'examen de conscience d'un médecin

Durant toute mon activité professionnelle de généra­liste libéral, je faisais périodiquement le point sur mon comportement dans mes relations avec mes patients. Au fil des jours, je me suis senti de plus en plus écrasé par le nombre excessif des appels. Et, hélas, je me suis laissé entraîner à des rencontres rapides, à des actes brefs et, de ce fait, dangereux sur divers plans.

Aussi avais-je rédigé très tôt une méditation que je relisais comme une prière. Je n'ai pas la prétention de jouer le bon apôtre, mais il me paraît un devoir surtout depuis que, malade, je suis passé « de l'autre côté de la barricade ,, - de diffuser, surtout pour mes jeunes confrères, ces lignes qui m'ont aidé. Voici ces réflexions qui ont guidé ma vie de praticien. Elles constituent en quelque sorte mon « Décalogue ,, .

1. Refuse de te présenter, toi, médecin, comme un homme pressé et qui n'a pas de temps à perdre.

2. Après une consultation et avant la suivante, respire profondément, détends-toi, oublie les préoccupations qui te poursuivent. Accueille autrui bien relaxé, le visage détendu, paisible, le regard bienveillant. Qu'il ne voie pas en toi l'homme submergé, distrait, anxieux. Au contraire, sois attentif à la personne qui quête ton aide. Scrute son comportement, analyse les paroles qui traduisent ses soucis. Un dialogue s'ensuit pour préciser certains faits relatés.

3. Après ces premières confidences, pratique un exa­men complet de la personnalité corporelle, mais polarisé plus particulièrement sur les troubles qu'accuse le patient.

4. Reviens ensuite au dialogue pour préciser certains points, écouter à nouveau le patient qui pose alors des questions oubliées au début de la consultation.

5. Les problèmes essentiels étant bien éclairés, un diagnostic assez sûr peut apparaître. Tu le commu­niques au patient avec le pronostic qu'il contient. S'il peut être un facteur d'inquiétude, sois nuancé et tiens compte du niveau culturel et de l'affectivité de ton interlo­cuteur.

6. Tu abordes alors le problème du traitement, curatif et préventif.

30 e MÉDECINE DE L'HOMME N" 233

par le or François GOUST (*)

Évidemment, une prescription pharmaceutique est le plus souvent nécessaire. Tu expliques le motif de chaque drogue. C'est à toi de dire que, dans son cas, il n'y a pas de contre-indication, ce qui implique que tu connais bien, et depuis longtemps, son état de santé. (Il ne doit pas découvrir à la lecture du prospectus l'exis­tence d'éventuelles contre-indications dont on ne lui aurait pas parlé).

7. Tu dois aussi bien connaître les conditions de vie de ton patient pour l'inciter à les modifier, s'il ne respecte pas ou peu les règles fondamentales de l'hygiène considérée dans son ensemble.

8. Termine par un bilan synthétique. Si le diagnostic révèle une maladie grave, il faut tenir compte du niveau de conscience du patient, être prudent et nuancé dans les révélations. Préparer le terrain pour qu'il lutte jusqu'au bout.

9. Dans le cas où le diagnostic est incertain, il est bon de fixer un autre rendez-vous, d'attendre des informations scientifiques complémentaires. Parfois, il est nécessaire de se faire aider et contrôler par un confrère plus compé­tent, spécialiste ou généraliste de plus haut niveau. Se croire incapable d'erreur et prétendre ne rien ignorer est une marque d'orgueil, d'égocentrisme, sources d'erreurs qui peuvent être mortelles.

1 O. Notre profession est à la fois une science et un art. Elle ne peut être enfermée dans un seul individu, si diplômé soit-il. Un bon exercice médical implique une relation durable non seulement entre le généraliste et son patient, mais aussi entre tous les artisans de la santé qui œuvrent dans un même secteur démographique.

* *

En conclusion, je souhaite que ce bref résumé de mon expérience professionnelle incite mes confrères, surtout ceux qui viennent d'entrer dans la carrière, à méditer aussi sur leur manière de se comporter. lliil

(") Ancien membre du Comité de lecture de la revue Médecine de l'Homme - Médecin généraliste à Ivry-sur-Seine, pendant 40 ans ...

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Bienheureux Frédéric Ozanam 1813-1853

par le or Robert GAYET (*)

Un grand merci à Monsieur Gayet qui anime depuis de nombreuses années le groupe de Dijon, et qui continue de participer activement au C.C.M.F., puisqu'il nous adresse cette biographie très précise de Frédéric Ozanam. Nous aurons l'occasion de revenir prochainement dans Médecine de l'Homme, sur la signification, pour nous, de la béatifica­tion de ce chrétien laïc totalement engagé dans sa foi et en même temps très inséré dans les questions politiques, sociales et intellectuelles de son temps.

/. - Qui était Frédéric Ozanam ?

Pour la première fois de notre histoire, sous les voûtes de Notre-Dame de Paris, une cérémonie de béa­tification, celle de Frédéric Ozanam, a eu lieu le 22 août 1997 au cours du séjour du Pape Jean Paul 11, venu pré­sider les Journées Mondiales de la Jeunesse.

Mais qui était donc Frédéric Ozanam pour mériter un tel honneur ?

La majorité des catholiques français n'en avait qu'une vague idée jusqu'à cet événement exceptionnel.

Cet homme qui passa comme un météore dans la première moitié du x1xe siècle, avait marqué celui-ci en tant que catholique engagé, occupant la plus haute des fonctions universitaires.

Mais ce n'est pas le seul aspect de sa personnalité.

Énumérons les sous-titres de certains des nombreux livres rédigés sur lui après sa mort : - pour Henri GIRARD, en 1930, Un catholique roman­

tique, - pour Ivan GOBRY en 1983, La foi opérante, - pour Madeleine des RIVIÈRES, Un savant chez les

pauvres.

Il fut tout cela, mais principalement comme l'a souli­gné Jean Paul Il, un saint laïc de notre temps.

N'oublions pas les autres qualificatifs qu'on peut lui donner: poète, historien, lettré, philosophe, linguiste, mais avant tout, un catholique fervent engagé au service des pauvres et des déshérités.

C'est de cet homme aux facettes multiples, que je veux vous entretenir aujourd'hui, en vous proposant suc­cessivement d'aborder : - une biographie très écourtée, - son adolescence, - ses années d'étudiant à Paris, - Ozanam chrétien social, - le professeur en Sorbonne, - !'écrivain.

• Enfin, la béatification tant attendue se réalisant le

22 août. Y ayant personnellement assisté, du fait de liens de

parenté, je vous ferai participer à des temps forts enre­gistrés en vidéo-cassettes-essentiellement l'adresse du Cardinal Lustiger et la formule de béatification prononcée par le Pape.

Il. - Étapes de la vie de Frédéric Ozanam

Biographie sommaire

Né le 23 avril 1813 à Milan, de Jean Antoine Oza­nam médecin, et de Marie Nantas, tous deux d'origine lyonnaise. 1815 Retour à LYON où son père est nommé médecin

de l'Hôtel Dieu, exerçant par ailleurs, en privé. 1823 Entrée en 6° au Collège Royal de Lyon, devenu

ensuite Lycée Ampère. 1833 Il fonde avec un groupe d'amis les Conférences

de Charité, qui prendront le nom de Société de Saint-Vincent-de-Paul.

1835 Fondation des Conférences de Notre-Dame de Paris avec le Père Lacordaire.

1836 Retour à Lyon : docteur en droit - docteur ès Lettres. 1839 Chaire de Droit commercial -Avocat. 1840 Agrégation des Facultés de Lettres : reçu 1°r. 1842 Installation à Paris - Chaire de rhétorique au

Collège Stanislas - Chargé de cours de littérature étrangère (ou comparée) en Sorbonne.

1844 Titulaire de la chaire de littérature étrangère en Sorbonne.

1852 Congé de maladie : cesse ses fonctions. 1853 Décès le 8 septembre 1853 à Marseille, âgé de

40 ans. Repose dans la chapelle des Carmes de l'Institut Catholique à Paris, ancien monastère des Domini­cains.

(*) Centre Catholique des Médecins Français, Dijon.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 233 e 31

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JBienheureux Frédéric Ozanam (1813-1853)

III. - L'adolescent

En 1815, deux ans après sa naissance, son père quitte l'Italie et vient s'installer comme médecin à Lyon. Il exerce à l'Hôtel Dieu et dans le privé.

Sur quatorze enfants, quatre sont vivants : Alphonse 1:aîné, de 9 ans plus âgé que Frédéric, deviendra prêtre. Elisa, qui lui donna ses premières leçons d'histoire sainte, de géographie, de poésie ; qui mourut à 18 ans, et le plus jeune qui deviendra médecin et que nous retrou­verons à plusieurs reprises.

En 1819, il faillit mourir de typhoïde, mais survécut, restant de santé fragile.

En 1823, il entre au Collège Royal, qui deviendra le Lycée Ampère, où il manifeste un goût vif pour la poésie, tant latine que française.

À quatorze ans, en seconde, il remplit un cahier entier de vers latins.

C'est à cette période qu'il connut des doutes dans sa foi, surmontés grâce au professeur de théologie, l'abbé Noirot qu'Ampère comparait à Socrate.

Au cours de son année de philosophie, il méditait d'écrire un ouvrage dont le titre était "démonstration de la vérité de la religion par l'antiquité des croyances his­toriques, religieuses et morales"· La réalisation de ce projet ambitieux ne se fera pas, mais ses fondements seront repris tant dans ses conférences à la Sorbonne, que dans les ouvrages qu'il publiera.

Pour l'instant, il écrivait des poèmes, où les beautés de la nature étaient décrites avec flamme, mais il décou­vrait à travers celles-ci, la présence du Créateur, comme l'avait fait saint François d'Assise auquel il vouera un culte passionné.

IV. -L'étudiant parisien

Quittant Lyon pour venir à Paris étudier le droit - son père voulait qu'il devienne avocat -, il va se trouver plongé dans un monde étudiant turbulent et surtout athée, ayant très vite l'occasion de s'affronter avec les adeptes de Saint-Simon et d' Auguste Comte, lequel venait d'éditer un livre sur le positivisme, ce qui heurtait les convictions de Frédéric.

Il saura s'entourer d'une pléiade d'amis de cœur, fer­vents catholiques, avec lesquels il va créer des confé­rences d'histoire et de culture, qui rapidement vont se transformer en conférences de charité.

Le 23 avril 1833, le soir de son anniversaire, avec un petit groupe de sept amis, Frédéric prit l'initiative de créer les Conférences de Charité, sous le patronage de Saint­Vincent-de-Paul, changeant totalement l'orientation des réunions qui n'aboutissaient à aucun résultat concret. .

Il déclare, à ce propos : "Que faire pour être vrai­ment catholique sinon ce qui plaft le plus à Dieu. Secou­rons donc notre prochain comme l'avait fait Jésus-Christ et mettons notre foi sous la protection de la charité. Le

32 • MÉDECINE DE L'HOMME N° 233

souci primordial d'une Conférence de Saint-Vincent-de­Paul est de maintenir ses membres par des exemples et des conseils mutuels dans la pratique d'une vie chré­tienne"·

Plus tard, il fera une véritable profession de foi : « Il semble qu'il faille voir pour aimer et nous ne voyons Dieu que par les yeux de la foi et notre foi est si faible, mais les hommes et les pauvres, nous les voyons des yeux de la chair. Ils sont là, nous pouvons mettre le doigt et la main dans leurs plaies et les traces de la couronne d'épines sont visibles sur leur front et ici, l'incrédulité n'a plus de place possible et nous devrions tomber à leurs pieds et leur dire avec !'Apôtre : « Tu es Dominus et Deus meus»: Vous êtes nos maîtres et nous serons vos ser­viteurs. Vous êtes pour nous des images sacrées de ce Dieu que nous ne voyons pas et ne sachant aimer autre­ment, nous l'aimerons en vos personnes».

En pratique, ils allaient dans les foyers démunis, conseillés par la Sœur Rosalie, apportant amitié, encou­ragement et une part de leur nourriture et de leur modeste budget. Les fins de mois étaient difficiles mais cela n'arrêtait pas les serviteurs des pauvres. Cette association, dont le début fût si modeste, a pris une extension prodigieuse :

Bilan actuel, près de

- 900 000 adhérents,

- 47 000 «Conférences» dans 141 pays répartis sur les cinq continents.

Ozanam, par ailleurs, entretenait des relations d'ami­tié et de cœur avec de petits groupes de catholiques engagés.

- Montalembert, Lamennais, dont il déplore la rupture ayec Rome, qui sanctionna les prises de position que l'Eglise ne pouvait approuver.

- Le père Lacordaire (qu'il avait connu au collège Sta­nislas, où il était professeur) plus âgé que lui de onze ans, qui le fascinait par sa fougue, son intelligence et son éloquence.

Frédéric Ozanam, avec son accord, pris l'initiative d'aller voir Monseigneur de Quelen archevêque de Paris, pour autoriser Lacordaire à prêcher les confé­rences de Carême de Notre-Dame.

Réticent, le prélat ne va se décider à en donner l'exclusivité à Lacordaire qu'après une deuxième, puis F. Ozanam étant revenu à la charge sans se découra­ger, une troisième demande plus pressante en 1835. Ce fut un succès total : des foules se pressaient à chaque sermon.

Lacordaire entre chez les Dominicains en 1841 , dont il devient provincial en 1850.

Il fut élu à l'Académie Française au siège de Tocque­ville et prononça l'éloge funèbre de son ami en 1859.

*

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Ozanam, malgré son jeune âge, fut accueilli avec bienveillance par les plus grands personnages du monde littéraire de l'époque. - Chateaubriand, le reçut et il fréquenta le salon de

Madame Récamier. - Lamartine le prit en affection et l'invita à séjourner à

son Château de Saint-Point. - Il eut quelques échanges avec Victor Hugo.

Ce n'étaient pas les joutes intellectuelles qu'il recher­chait, mais partout où il se montrait, il se faisait l'apôtre de convictions religieuses dont nous allons maintenant mon­trer la profondeur.

V. - Le chrétùm .r.;ocial

Sous ce titre, je veux aborder tout ce qui motivait l'action de Frédéric, à savoir le don de soi aux autres.

Il avait eu l'exemple de ses parents, qui tous deux, avant la création des Conférences de Charité, savaient se dévouer devant les détresses qu'ils observaient dans leur quartier et chez les malades, suivis par l'un et l'autre, souvent en cachette, ce qui donnait lieu à des rencontres dans les escaliers du vieux Lyon.

La création de la Société Saint-Vincent-de-Paul ne calma pas l'ardeur de Frédéric, qui prit sa plume et se lança à corps perdu dans les problèmes posés par la question sociale dans la civilisation industrielle qui s'édi­fie sous ses yeux.

Il collabore à de nombreuses revues et je choisis quelques exemples de ses écrits :

" Ce qui dévore les hommes de nos jours, n'est plus une question de politique, c'est de savoir qui /'emportera de l'esprit d'égoïsme ou de l'esprit de sacrifice, si la société ne sera qu'une grande exploitation, au profit des plus faibles ou une consécration de chacun au service de tous ,, .

" Il y a beaucoup d'hommes qui ont trop et qui veu­lent avoir encore plus, il y en a beaucoup plus d'autres qui n'ont rien et qui veulent prendre si on ne leur donne rien''·

" Une lutte se prépare entre d'un côté la puissance de l'or, de l'autre la puissance du désespoir. Notre devoir, à nous chrétiens, est de taire que l'égalité s'opère autant que possible entre les hommes, que la charité fasse ce que la justice seule ne saurait faire "·

Pressentant les événements tragiques qui allaient aboutir à la Révolution de 1848, à laquelle il va se retrouvé mêlé de façon directe, il lance un appel :

" Nous devons nous occuper du peuple qui a trop de besoins et pas assez de droits, qui réclame avec raison une part plus complète aux affaires publiques, des garan­ties pour le travail et contre la misère ! ,,

Il conclut en ces termes : " C'est dans le peuple que je vois assez de foi et de

moralité pour sauver une société dont les hautes classes sont perdues. ,,

Cette déclaration sera mal accueillie par ceux qu'il visait, à savoir les possédants !

Les événements vont se précipiter : le 22 février, l'in­surrection éclate ; le 23 février, le roi Louis-Philippe

abdique en faveur de son petit-fils le Comte de Paris. Un gouvernement provisoire est constitué qui proclame la liberté de la presse, des réunions, mais cela ne donne pas à manger aux indigents et les ouvriers à l'Hôtel de Ville, réclament le droit au travail. On crée les fameux ateliers nationaux de Louis Blanc et on promet des élec­tions générales. Le 27 février, le père Lacordaire reparaît à Notre-Dame et dans toute la France, on plante des arbres de la liberté. Ozanam va écrire : « la devise du peuple : liberté, égalité, fraternité, c'est l'évangile même», ce qui n'est pas du goût des conservateurs.

Le 29 février : Ozanam coopère avec le père Lacor­daire pour la création d'un journal auquel ils donneront le nom cc L'ère Nouvelle », dont le 1er numéro sortira le 15 avril. Les articles ne sont pas signés, mais au style, on reconnaît leurs auteurs, notamment les deux fondateurs.

Il aura assez rapidement 1 O 000 abonnés.

Les élections des membres de la nouvelle chambre des députés sont prévues pour le 28 avril. Poussé par des amis lyonnais, un peu à contre cœur, Frédéric Oza­nam accepte de s'y présenter et il va énoncer son pro­gramme dans un manifeste le 15 avril :

" Acceptation des idées issues des événements de février 1848, défense des droits naturels, édification de la démocratie, décentralisation administrative et écono­mique, droit au travail, équité des rémunérations, liberté d'association, justice et prévoyance sociale ".

Il ne figurera pas parmi les élus où on trouva : Lacor­daire, Lamennais et Lamartine.

La menace de fermeture des Ateliers Nationaux, va déclencher une nouvelle et violente insurrection du 23 au 26 juin. Les émeutiers dressent des barricades.

Ayant quelques amis dans les troupes engagées contre les révoltés, et pour arrêter les combats, Ozanam ayant revêtu sa tenue de garde républicaine et avec l'ac­cord du général Cavaignac, demande à Mgr Affre arche­vêque de Paris, d'être médiateur entre les combattants. Celui-ci revêt sa soutane violette et sa croix pastorale, refuse d'être protégé, et tombe en haut d'une barricade, blessé par un coup de feu qui lui brise la colonne verté­brale. Amené par les insurgés à l'Hôtel Dieu, il sera reçu par un interne ... Charles Ozanam. Après 36 heures de grandes souffrances, il succombe avec cette parole : " Que mon sang soit le dernier ".

Ce drame affecte profondément Frédéric Ozanam, q~i va rédiger de nombreux articles en dix jours dans l'Ere Nouvelle, donnant lieu à des critiques violentes.

Montalembert, son ami, se désolidarise de lui, l'accu­sant de confondre socialisme et démocratie, démocratie et christianisme.

De son côté, Lacordaire, ,qui a donné sa démission de député, décide de quitter l'Ere Nouvelle, ce que fera à son tour Frédéric Ozanam en avril 1849, un an à peine après sa création.

Lamennais, faisant bande à part, va être condamné pour s~s prises de position ce qui entraîne une rupture avec l'Eglise.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 233 e 33

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!Bienheureux Frédéric Ozanam (1813-1853)

À ce propos, Ozanam, accablé par tous ces événe­ments, va tirer la conclusion suivante:

" Nous sommes punis catholiques, d'avoir eu plus de confiance dans le " genre " des hommes que dans la puissance de notre Dieu ".

Pour terminer ce chapitre, rappelons que c'est Oza­nam qui, le premier, a parlé de !'Apostolat des Laïcs et que, par ailleurs, il fut un précurseur dans le domaine social, ses idées ayant été reprises quarante ans plus tard par Léon XIII, dans l'Encyclique « Rerum Nova-rum ».

Tous ces événements ont profondément affecté Ozanam, qui se sent de plus en plus isolé et dont la santé va progressivement se dégrader au cours des cinq années qui lui restent à vivre.

VI. - Le professeur

Regagnant Lyon en 1836, il est successivement nommé Docteur en Droit, puis en 1839 Docteur ès Lettres. Il va conjuguer la profession d'avocat avec la chaire de droit commercial qui ne l'intéresse que modé­rément.

En 1840, ayant perdu sa mère et n'ayant plus de rai­son de faire une carrière à Lyon, il décide de tenter sa chance et représente à Paris l'agrégation de Lettres avec comme sujet de thèse : " Essai sur la philosophie de Dante"· Il est reçu premier. Le président du jury et futur ministre de l'instruction publique Victor Cousin, à la fin de l'exposé, rempli d'admiration, s'écrie : << Monsieur Oza­nam, il est impossible d'être plus éloquent que vous "·

*

Le 23 juin 1841, il épouse Amélie Soulacroix, fille du Recteur de lAcadémie de Lyon, mais va se fixer à Paris, devenant suppléant de Faurie!, qui a la chaire de Littéra­ture comparée (ou étrangère) à la Sorbonne.

Malgré leurs idées totalement opposées, (Fauriel avait en 1794, participé à l'expulsion des moines), son patron le prendra en grande estime ; chargé de cours en 1842, il lui succédera en 1844, devenant à son tour titu­laire de la chaire.

Dans ses mémoires, il relate la première leçon du très jeune professeur de 27 ans : << Je fus pris d'un trac terrible en franchissant le seuil de la salle, prenant place dans le fauteuil, mes yeux se lèvent sur un auditoire de plus de 300 personnes, pris d'angoisse car il s'agissait de mon avenir suspendu à une parole "·

Un auditeur le décrit : " Homme très jeune, au front méditatif, à l'œil profond, perçant, à la physionomie étran­gère, se jetant tête baissée dans sa chaire, s'asseyant en rejetant sa chevelure mérovingienne et demandant un silence impossible, d'un geste de main à un auditoire enthousiasmé qui le couvrait d'applaudissements"·

Sans être un tribun, il avait, après une certaine len­teur dans le début de ses cours, un don de persuasion,

34 e MÉDECINE DE L'HOMME N• 233

captivant son public. Il ne laissait rien au hasard, prépa­rant ses leçons avec une grande minutie, traitant les sujets avec clarté et conviction devant un auditoire nom­breux et attentif.

Son érudition, sa connaissance des langues étran­gères, faisaient merveille. Son programme étant centré sur l'évolution des religions depuis ce qu'il appelait les t~mps barbares, remontant les siècles jusqu'au Moyen Age et à la Renaissance.

Il ironisait sur son arrivée en Sorbonne, car ce n'était pas rien que de succéder à un athée, en disant :

" Quand on m'a pris, je n'ai jamais eu besoin de dis­simuler ou d'atténuer mes convictions "·

Il avait un sens aigu de ses responsabilités, tant dans ce qu'il enseignait que dans les écrits qui complétaient son enseignement. Malgré une santé fragile, il accomplit une œuvre littéraire importante, dont nous parlerons plus loin.

Il fera de sa chaire un créneau chrétien, dans l'uni­versité française de cette période, profondément mar­quée par l'égoïsme et l'athéisme.

Il continuera son enseignement en Sorbonne pen­dant douze ans, de 1840 à 1852, n'ayant de cesse de tra­vailler à l'alliance de la foi, de l'église, et de la liberté.

Il combattait pour la vérité, mais il était tolérant et déclarait : " Il faut accueillir avec estime et bienveillance l'opinion d'autrui, même si elle est contraire à la nôtre. Apprenons à défendre nos convictions sans heurter nos adversaires, à aimer ceux qui pensent autrement que nous"· N'est-ce pas une attitude évangélique?

Par contre, il est sévère pour les intolérants qui pro­clament détenir la vérité. Jeune étudiant, n'avait-il pas fustigé les adeptes de Saint-Simon et d'Augusta Comte ?

Il avait un sens aigu de son devoir et je relate ici une de ses leçons dans des circonstances romantiques :

En 1852, le lendemain du coup d'état, la Sorbonne était en ébullition, les étudiants accusant les professeurs d'incurie. Apprenant cela, Ozanam fébrile et alité, malgré l'opposition des siens et de son médecin, s'habilla et se rendit à la Sorbonne où il fit, blême, tel un spectre, une apparition qui calma instantanément les étudiants, inter­loqués de voir cette homme presque mourant, s'adresser à eux du haut de sa chaire : « Messieurs, on reproche à notre siècle d'être un siècle d'égoïsme et on dit les pro­fesseurs atteints de l'épidémie générale».

« Pourtant c'est ici que nous usons nos forces. Je ne m'en plains pas. Notre vie, ma vie vous appartient. Nous vous donnons jusqu'à notre dernier souffle et vous sau­rez, Messieurs, si je meurs, ce sera à votre service. » Belle leçon d'amour et d'humilité !

Il dut cesser, peu après, toute activité professorale, gardant le peu de forces qui lui restait pour lutter contre la dégradation de sa santé, s'altérant un peu plus chaque jour.

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VII. - L'écrivai11

Toute son œuvre va être centrée sur le thème de la réconciliation, de la religion et de la science.

Il dira : "Le progrès n'existe que selon l'ordre chré­tien : il vient de Dieu qui en est l'origine abstraite, l'homme en devenant le dépositaire et l'agent. >>

Il veut rétablir la souveraineté de Dieu là où elle est la plus contestée. S'appuyant sur saint Augustin et saint Thomas d'Aquin, il fait tenir l'histoire de l'humanité dans l'accomplissement des vertus théologales.

Il acquiert une érudition considérable, exposant dans ses article~. les grands thèmes de son apologie du chris­tianisme. A la fois poète - il le restera toute sa vie -philosophe, historien et surtout chrétien, il s'exprimera avec une conviction inébranlable, d'abord par ses leçons magistrales en Sorbonne qu'il complète par des publica­tions dans les revues spécialisées, et surtout par ses ouvrages dont j'énumérerai rapidement les principaux :

1) Quand il dit : cc Occupons-nous des barbares », ce n'est pas une boutade. Il étudie l'apparition du christia­nisme dans les peuplades envahissantes. - Les Germains avant le christianisme. - L'établissement du christianisme en Allemagne. - La civilisation chrétienne chez les Germains.

Qu'il groupera sous le nom d' « Études Germaniques ».

Il démontre que le monde occidental, partagé entre la civilisation méditerranéenne et celles des envahisseurs venus de l'est, va s'affranchir des idoles qui étaient hono­rées chez chacune d'entre elles, pour se ranger du côté du catholicisme et du Dieu unique. Le baptême de Clovis en est un exemple.

2) La philosophie catholique au 111° siècle - Dante Alighieri en avait fait l'objet de sa thèse.

Ozanam avait été inspiré par les fresques de Raphaël, dans la chambre de la signature.

Il avait été choqué par la présence dans les person­nalités, de Dante, couronné de lauriers, car beaucoup le considéraient comme adversaire du pape, manichéen, panthéiste.

Mais, par la suite, il devint son ardent défenseur, prouvant par ses travaux, que sa philosophie était tout à fait orthodoxe et méritait une réhabilitation.

Il démontre que Dante a sa place entre saint Thomas d'Aquin et saint Bonnaventure, ayant réuni dans une magnifique synthèse artistique les deux courants qui ali­mentaient au x1ve siècle la pensée catholique, l'intellec­tualisme aristotélicien et le mysticisme francais.

Ozanam affirmait que l'égalité a fait la société moderne. cc Le christianisme disait-il, sait tirer des ruines humaines et des tribus campées sur ces ruines une société nouvelle», sympathisant avec la philosophie de l'histoire telle que l'avait exprimée dans la cité de Dieu, saint Augustin.

Non seulement le christianisme a, peu à peu, conquis l'âme barbare par la prédication, par la péni­tence, par la prière, mais il a enrichi l'âme antique en approfondissant la vie intérieure par la notion du péché.

Il rédigera un mémoire sur les poètes franciscains et traduira les Fioretti de François d'Assise.

Ses œuvres complètes - en huit volumes - paraî­tront en 1855-1856 avec une introduction de Lacordaire.

Sa volumineuse correspondance entre 1829 et 1840 sera publiée grâce à son arrière petit-neveu, Didier Ozanam, chartiste.

Pressentant que sa mort est proche, le jour de ses quarante ans, il rédige son testament, qu'il fait précéder du cantique d'Ezechias (Isaïe ch. 38) :

«J'ai dit:

Au milieu de mes jours, j'irai aux portes de la mort. J'ai cherché le reste de mes années.

J'ai dit: Je ne verrai plus le Seigneur sur la terre des vivants,

ma vie est emportée loin de moi comme on replie la tente des pasteurs. Le fil que j'ourdissais est cassé, comme sous les ciseaux du tisserand. Entre le matin et le soir, vous m'avez assez conduit à ma fin. »

et il est prêt au sacrifice de sa vie avec cette prière :

" Seigneur, je veux ce que vous voulez, je le veux comme vous le voulez, je le veux aussi longtemps que vous le voulez, je le veux parce que vous le voulez. »

VIII. - La béatificatiou

La cause a été introduite dans le diocèse de Paris le 15 février 1925, son postulateur étant Amin de Tarrazi, président international de la Société Saint-Vincent-de­Paul.

Il y aura plusieurs procès :

- un procès diocésain, - un procès infirmatif, - un procès apostolique en 1955.

La cause étant portée à Rome, elle sera soumise en dernier lieu au plus haut niveau, la congrégation pour la cause des saints, composée de cardinaux.

En 1983, à l'occasion du 150° anniversaire de la Société Saint-Vincent-de-Paul, le pape Jean-Paul Il décJare : « Il faut remercier Dieu pour le cadeau qu'il a fait à l'Eglise en la personne d'Ozanam.

On demeure émerveillé par tout ce qu'il a pu entre­prendre pour la société, pour les pauvres.

Cet étudiant, ce professeur, ce père de famille, à la foi ardente et à la charité inventive, au cœur de sa vie trop vite consumée.

Son nom reste associé à celui de Saint-Vincent-de­Paul, qui deux siècles plus tôt, avait fondé les Dames de la Charité, sans que l'équivalent ait encore été institué pour les hommes.

Et comment ne pas souhaiter que l'église mette aussi Ozanam au rang des bienheureux et des saints ? »

Le 6 juillet 1993, le pape le déclare vénérable par décret pour l'héroïcité de ses vertus.

MÉDECINE DE L'HOMME N° 233 o 35

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1 Bienheureu.1; /' rédéric Q::,anam ( 1S13-1553)

Le 25 jui llet 1996, il signait le décret reconnaissant le miracle survenu le 2 février 1926 sur un enfant de 18 mois, brésilien, Luis Benedetto Ottoni , atteint de diphté­rie foudroyante, pour lequel la famille avait demandé l'in­tercession de Frédéric Ozanam. Guéri, il est encore en vie.

Au cours d'une grand messe solennelle, le Saint­Père introduit la cérémonie en invoquant la mémoire de Frédéric Ozanam, puis le Cardinal Lustiger et le Postula­teur s'avancent vers le Saint-Père et demandent qu'il soit procédé à la béatification du serviteur de Dieu Frédéric Ozanam. La voie de la béatification, du fait de ce miracle ,

était ouverte et Frédéric Ozanam sera proposé comme modèle aux laïcs , en particu lier, aux jeunes à la recherche de repères spirituels, moraux et humains.

Après une courte biographie d'Ozanam lue par le Cardinal Lustiger, le pape récite la formule de béatifica­tion et annonce que le nouveau bienheureux aura sa fête le 9 septembre dans le calendrier. Le Cardinal Lustiger remercie le Saint-Père, puis accompagné du Postulateur, échange avec lui le baiser de paix.

En ce 22 août 1997, il devient le héros de ces Jour­nées Mondiales de la Jeunesse, étant reconnu chrétien d'exception.

" Saint laïc pour notre temps. " À la prière après la communion, le Pape conclut :

La cérémonie va se dérouler à Notre-Dame de Paris. " Toi qui nous a fortifiés par cette communion, Sei­gneur, aide nous à suivre l'exemple du Bienheureux Fré­déric Ozanam, dans l'amour qu'il sut Te témoigner et la charité dont il fit preuve envers Ton peuple '" achevant la cérémonie par une bénédiction. •

Première béatification dans cette cathédrale où se trou­vent réunis autour du Saint-Père, cinq cents évêques venus du monde entier et une foule de parents, amis et membres de la communauté Vincentienne.

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Cette petite revue du Centre Chrétien des sages-femmes, traite de problèmes très humains. Ainsi, ce numéro contient un pre­mier article t rès intéressant int itulé : " Régulation des naissances " Il y est demandé que le clergé manifeste de l'indulgence à l'égard des couples qui prati­quent la contraception. Ainsi se manifeste la totale bonté de Dieu. Suit un article d'information sur quelques associations ou œuvres qui s'intéressent aux aides aux futures mères, car il ne faut pas nous cacher que la maternité est par­fois un drame pour certaines femmes. Enfin, un court article nous rappelle " l'his­toire de l'accouchement '"

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Ce numéro comprend un premier article sur " le statut de l'embryon et la loi " qui rap­pelle les idées, au cours des siècles, sur le statut de l'embryon et les circonstances dif­ficiles devant lesquelles se trouvent les gynécologues et sages-femmes.

• Directeur de la Publication 0 ' Claude LAROCHE 34, rue de Bassano, Paris-a•

. par le 0' Pierre Charbonneau

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Ce numéro des catholiques de l'enseigne­ment public, a pour titre : " Enseigner les religions à l'école "·

L'objectif est celui d'aborder les rapports entre le domaine de la foi, ou de la cul­ture rel igieuse, et ce lui des sciences humaines. L'occasion a été donnée à la fois par l'entrée effective dans les pro­grammes d'histoire, depuis deux ans, des questions religieuses, et par l'intérêt sus­cité autour des émissions d'Arte " Corpus Christi "·

Sur le premier point, on lira les impressions et interrogations d'un professeur sur l'en­seignement du christianisme en classe de seco nde, ainsi que les in terrogat ions des professeurs sur cet enseignement étant donné l'inculture religieuse. Quelles limites à l'intervention de l'école dans ce domaine?

Mais pour Hans Küng, les religions peuvent être autre chose que ce facteur de division trop souvent mis en évidence par l'histoire.

Le deuxième point concerne l'émission " Corpus Christi " de la semaine sainte 1997 qui a suscité diverses prises de posi­tions ou expressions dont quelques-unes sont présentées dans ce numéro.

• ISSN 0543·2243

Commission Paritai re N° 54216

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Ce numéro constitue un dossier très impor­tant sur l'évaluation des soins en psychia­trie.

Première question : combien ça coûte ? Bonne question, car on n'a rien sans rien. Mais l'auteur met bien en évidence les diffi­cultés rencontrées pour répondre.

L'informatisation aide pour répondre à cette première question ; aussi un directeur d'hô­pital traite de la nécessité et des difficultés de l'informatisation à l'hôpital.

Puis le docteur Louis Brunel traite de /'infor­mation médicale et des questions posées.

Sont abordés ensuite les problèmes d 'éva­luation. Un psychiatre traite de l'évaluation médicale, tandis qu'un infirmier psychia­trique souligne les objectifs, les enjeux, la méthodologie, concernant l'évaluation des soins infirmiers en psychiatrie.

Enfin une psychologue donne les effets de la médicalisation croissante.

Numéro très intéressant et d'une grande actualité.

• Suite page Ill co111:

IMPRIMERIE ~ ALENÇONNAISE Rue Édouard-Belin, 61002 Alençon

Dépôt légal : 1• trimestre 1998 - N° d'ordre: 40766

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Le titre de ce numéro est .. La Laïcité "· Pierre Moitel, formateur, nous rappelle tout d'abord toute l'h istoire du mot dans un article intitulé " Quand les mots ont une his­toire "· Deux articles nous exposent des réalisa­tions de catéchèse, l'une en paroisse pour les enfants d'un l.M.P., l'autre dans divers l.M.P. Entre les deux, une équipe a rédigé un texte sur .. l'aumônerie d'établisse­ment " où sont indiquées les diverses situa­tions rencontrées et les quelques règles qui doivent guider les responsables.

On lira avec un vif intérêt l'article de Émile Poulat intitulé : " Solution laïque. Problème chrétien "· Si nous sommes entrés dans une " ère post-chrétienne '" ce n'est pas la fin, démontre l'auteur, des religions, ni du religieux, mais une reconsidération de leur place et de leur rôle dans le monde actuel. Enfin, Pierre Mayol, du Ministère de la Cul­ture, montre bien, dans un article intitulé : " La laïcité inachevée '" que celle-ci se définit trop par des négations et qu'elle devrait trouver un rôle plus positif.

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Dans l'éditorial, il est précisé que l'un des objectifs de ce numéro, est de bien mettre en évidence qu'il faut être des observateurs actifs des évolutions qui impriment leur marque à notre temps.

Or, ce qui est traité dans ce fascicule, à savoir l'apparition et le développement de ce qu'on appelle les besoins spirituels, constitue un exemple de ces évolutions constantes que nous vivons.

Comme le met en évidence le premier article, sur " Je spirituel, le religieux et la

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foi '" existe une réflexion qui se poursuit. Mais qu'en est-il aujourd'hui en ce temps de modernité?

Un essai de mise en perspective du spiri­tuel e t du religieux nous est également donné. D 'autres articles, difficiles à résu­mer, nous donnent des informations inté­ressantes sur les relations entre " le spiri­tuel, le religieux et la foi "·

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" Du paternalisme des soignants à l'auto­nomie des patients. "

Ce numéro est la conséquence d'un arrêt du 25 février 1997 de la Cour de cassation dans lequel est énoncé que : " Le médecin est tenu d'une obligation particulière d'infor­mation vis-à-vis de son patient et qu'il lui incombe de prouver qu'il a exécuté cette obligation"·

Un premier article intitulé : .. La grève des internes, symptôme révélateur d'une mala­die du système de soins ? '" comprend deux parties. La première donne une des­cription des logiques qui structurent actuel­lement notre système de soins et les réformes en cours. Dans la deuxième, il est recherché comment les logiques sont ques­tionnées et quelles peuvent être les solu­tions envisageables.

Un deuxième article est intitulé : " Du pater­nalisme des soignants à l'autonomie des patients. Il est traité du consentement du malade, du concept d'autonomie, de la question de l'identité personnelle, du statut du corps. Dans quelle mesure les droits des patients se substituent-ils dans la morale médicale, aux devoirs des médecins vis-à­vis des patients ? "

Entre les deux, est publié un article très important sur " La trisomie 21 et abandon : une réalité à Paris ".

(Suite de la page 36)

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Cette revue d 'information et de formation fondée par les dominicains de la province de Lyon, veut satisfaire aux exigences de la recherche théologique en se faisant l'écho des questions posées au christianisme.

Ce numéro est consacré aux Béatitudes. M.E. Be/y et O. Gonneaud ouvrent tout d 'abord le parcours en exposant la question philosophique du bonheur et en /'ouvrant au don évangélique des Béatitudes. Puis le texte de Mathieu est analysé de façon rigou­reuse et son contenu est ensuite interprété.

Colette Kessler met bien en évidence que les Béatitudes ne sont pas étrangères à la tradition juive et que le contenu est proche de la méditation des rabbins.

Dennis Gira incite au dialogue avec le monde bouddhique.

Christian Biot donne quelques illustrations du fait qu'il n 'est pas toujours simple de prê­cher le bonheur annoncé, dans des situa­tions tragiques.

Le but de ce cahier est d 'inciter à la médita­tion, aussi des textes courts font office d'in­terludes spirituels entre les articles.

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La Bible, qui était le livre de chevet des pro­testants, ne l'est plus actuellement. Pour l'auteur, la méconnaissance de la Bible est devenue le fait majeur tant dans les com­munautés protestantes que catholiques. Cette méconnaissance est dommageable, aussi la revue publie un long article de B. Rordorf qui propose sa propre réflexion sur cette passion biblique endormie et engage à quelque chose d'essentiel qui n'est autre que notre responsabilité à inventer de nou­velles lectures bibliques.

Ralph Schor, Histoire de l'immigration en France, de la fin du )ftX" s iècle à nos j ours. Paris, Nov. 1996 - Armand Colin Editeur - Paris.

L'ouvrage collectif : " Un peuple el) devenir - l'Église et les migrants " proposé par le Comité Episcopal des Migrations, aux éditions de !'Atelier - Janvier 1995

À paraître (voir page 29) : Intégrale des interventions et syn­thèse de la 62• session des Semaines Sociales de France sur le thème " les immigrés : défis et richesses"·

Enfin , deux textes seront publiés ultérieurement dans Médecine de l'Homme : un de M. Lavanchy du Haut Comité aux Réfugiés ; une interview du P' Gentiflni.

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1998

APPEL DES COTISATIONS ET ABONNEMENTS

Chers lecteurs, chères lectrices, voici venu le temps de penser à régler votre cotisation et/ou abonnement pour l'année 1998. Il n'y aura pas d'appel individuel, en vue d'économiser les frais non négligeables - en particulier postaux - que cela entraîne. Vous êtes donc invités à vous servir du bulletin 1998 inséré dans Médecine de l'Homme tout au long de l'année. Un grand merci à tous ceux qui ont déjà répondu à cet appel.

Le secrétaire général, le trésorier, vous remercient par avance de vous acquitter très prochainement de votre paiement, indis­pensable à la bonne marche des finances du C.C.M.F.