1
REBONDS 23 L’Ukraine serait-elle l’Allemagne du XXI e siècle? L es accords de Minsk 2 signés le 12 février réaffirment le «plein respect de la souveraineté et de l’in- tégrité territoriale de l’Ukraine» tout en entérinant de fait les conquêtes territoriales des séparatistes prorusses. De façon générale, depuis un an, l’inté- grité de l’Ukraine semble d’autant plus affirmée dans les déclarations officielles qu’elle s’efface sur le terrain. Si cette scission, qui ne dit pas son nom, devait s’avérer durable, elle appellerait im- manquablement une comparaison his- torique : la séparation progressive de l’Allemagne en deux, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’annexion de la Crimée avait, en son temps, suscité de vifs débats quant à l’opportunité de la comparaison avec la crise des Sudètes de 1938. Au sujet du conflit dans le Donbass, la chancelière Merkel a récemment proposé une ana- logie moins polémique en évoquant le cas de l’Allemagne de l’Est, dont elle est originaire. Il s’agissait pour la chance- lière de souligner que la force n’avait pas été la solution à la division de l’Alle- magne, et ne résoudrait pas davantage la division de l’Ukraine. Cependant, l’analogie mérite d’être approfondie. En Allemagne aussi, la marche vers la scission se fit à reculons. En 1945, les alliés victorieux envi- sageaient d’administrer conjointement le pays, dans le cadre d’un Conseil de contrôle allié, et de signer, à terme, un traité de paix avec un nouveau gou- vernement allemand. En 1946, le minis- tre des Affaires étrangères soviétique, Molotov, et son homologue américain, Byrnes, se déclaraient encore favorables à l’unité allemande. Pourtant, un pro- blème de taille allait progressivement vider ces mots de leur contenu. En ce début de guerre froide, chaque camp craignait par-dessus tout que son rival ne réalise l’unité allemande à son profit, afin de s’en servir comme tête de pont. Soviétiques et Occidentaux pri- vilégièrent donc la consolidation de leurs zones d’occupation respectives. En 1948, le Conseil de contrôle allié cessa de fonctionner. En 1949, deux Etats allemands furent proclamés, un à l’Ouest, un à l’Est. En somme, tout le monde était pour l’unité allemande, mais personne n’était prêt à en prendre le risque. Ce scénario peut-il nous aider à penser l’avenir de la question ukrainienne? Comme dans le cas allemand, il est per- mis de penser que les Russes ne sou- haitent pas plus diviser l’Ukraine que les Européens. Cependant, leur prin- cipale crainte est que la réunification ukrainienne sous l’autorité d’un gou- vernement central pro-européen ne se traduise à terme par l’élimination de leur influence dans le pays. De la même façon, il y a un an, lors des manifestations de Maidan, les Occi- dentaux ne pouvaient admettre qu’une population largement pro-européenne soit réprimée par un gou- vernement lié à Moscou. Comme en 1946, la ques- tion est : «Est-il possible de faire coexister deux sphères d’influence dans un seul Etat?» La solution fédéraliste envisagée par certains ne serait peut-être qu’une so- lution transitoire, car la défiance entre les camps risque d’aboutir à la même paralysie institutionnelle que celle que connut le Conseil de contrôle allié en Allemagne. Même si les diplomates continuent à proclamer leur attache- ment à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, il est possible que la scission en deux Etats se révèle à terme la seule solution stable. Ce scénario devrait inciter les Euro- péens à réfléchir à leur mode d’action. Imposer à la Russie de coûteuses sanc- tions économiques ne pourra jamais constituer une réponse à un problème de long terme. Une alternative pourrait s’inspirer de la politique suivie par les Occidentaux en Allemagne : ne pas lut- ter contre la division, mais consolider une Allemagne de l’Ouest tournée vers l’Europe. En aidant l’Ukraine pro-euro- péenne à rebâtir et à défendre un Etat et une économie viables même en cas de sécession des régions prorusses, l’Union européenne pourrait, tout à la fois, œuvrer à la construction d’une paix durable, stabiliser son voisinage et affirmer son rôle international. Si la division de l’Allemagne a rendu possible la naissance de la construction européenne au XX e siècle, une nouvelle ruse de l’histoire pourrait ainsi aboutir à ce que la division de l’Ukraine lui offre un nouveau souffle au XXI e siècle. Par PIERRE HAROCHE Docteur en science politique, enseignant en relations internationales à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne Si la scission de l’Ukraine, qui ne dit pas son nom, devait s’avérer durable, elle appellerait une comparaison historique : la séparation progressive de l’Allemagne en deux. Retrouvez les tribunes et les chroniques sur : www.liberation.fr/debats SUR LIBÉRATION.FR LIBÉRATION LUNDI 23 FÉVRIER 2015

2015 Haroche_Libération

Embed Size (px)

DESCRIPTION

HarocheLibération

Citation preview

  • REBONDS 23

    Bachar al-Assadmoindre malcontre Daech: chiche!

    Les images bouleversent lopinioninternationale. Forcment, elles sonteffroyables. Aprs les journalistesoccidentaux, puis japonais, dcapits,

    un pilote jordanien est brl vif ! Les vidosde leur excution sont diffuses sur tous lesrseaux et lEtat islamique fait tremblerle monde entier. Ctait justement son but,il est atteint.L o il faudrait rpondre Nous navons paspeur! comme dans les manifestations spon-tanes, le soir de lattentat du 7 janviercontre Charlie Hebdo, les opinions publiquespaniques, ou des commentateurs peu avi-ss, dsignent Daech comme le malabsolu. Une expression qui contient toutesles angoisses que provoque cette campagnede communication par la terreur si bienorchestre par le groupe jihadiste.Face ce mal absolu, dautres horreurs appa-raissent ngligeables, voire acceptables.En Syrie, Bachar al-Assad deviendrait un

    moindre mal, un partenaire possible auxyeux de certains, y compris en France.Les forces gouvernementales syriennes et lesmilices pro-Assad sont pourtant cent foisplus meurtrires: elles ont tu 125000 civilsdepuis mars 2011. Il est vrai que les servicessyriens ne diffusent pas sur les ondes inter-nationales les images des horreurs quilscommettent. Aucune camra ne filme auquotidien les milliers de morts sous la tor-ture dans les prisons du rgime. Aucunecommunication ne relaie la famine organisepar le pouvoir dans certaines rgions assi-ges. Il est vrai aussi quil ne sagit que deSyriens.Si Daech est lennemi absolu, alors limp-ratif pour toute force arme en Syrie est dele combattre prioritairement. Lobservationde ce qui sy passe montre, hlas, quil nenest rien. Malgr la condamnation de lONU,les hlicoptres du rgime dversent, quoti-diennement, des barils de TNT sur les villessyriennes tenues par les groupes de loppo-sition: Alep, banlieue de Damas, Deraa, etc.Ils font, chaque passage, des dizaines devictimes civiles. Ils ciblent les habitations,les coles, les hpitaux. Bachar al-Assadpeut dmentir, comme il la fait dans unentretien rcent, ces attaques sont docu-mentes et les tmoins se comptent parmilliers.Depuis que la coalition a commenc ses op-rations, en aot 2014 et jusqu fin jan-vier 2015, alors que Bachar al-Assad se pr-sente comme un alli pour combattre Daech,les bombardements du rgime et lensemble

    de ses activits rpressives ont caus la mortde 6 343 Syriens.Depuis le 1er fvrier, 1 009 raids ariens onttouch 12 provinces sur les 14 que compte lepays, tuant 270 civils et en blessant 1 200.Durant la seule journe du 5 fvrier, les bom-bardements ariens et les missiles sol-sol ontfait 82 morts dans la Ghouta orientale, ban-lieue de Damas. Dans le mme temps, le r-gime syrien poursuit le sige du quartierpalestinien de Yarmouk et du quartier El-Waer Homs, affamant ses populations.Larme syrienne dploie autrement moinsdnergie contre Daech. Cible prioritairepour la coalition internationale, elle estsecondaire aux yeux du rgime syrien qui alongtemps laiss prosprer lorganisationjusqu devenir le monstre daujourdhui.Il faut rappeler quen juin 2011 il librait dela prison de Saidnaya des prisonniers sala-fistes et ex-jihadistes dont certains sontdevenus des cadres de Daech.Sur le terrain, les affrontements entre les for-ces du rgime et celles de lEtat islamiquesont rares. Lt dernier, sur la base de Tabqa,

    prs de Raqqa, bastion deDaech, le rgime a abandonn leur sort les soldats de sonarme. Selon sa stratgie, Ra-qqa ne fait pas partie du paysutile qui lui permet de con-server son pouvoir, il na doncpas cherch le dfendre. As-

    sad, un moindre mal? Chiche!Sil veut nous en convaincre, quil considreDaech comme la cible prioritaire. Nul besoinde runion Moscou. Quil propose auxgroupes de lopposition arme un cessez-le-feu, et que les deux parties retournent leursarmes contre lEtat islamique. Quil cesse debombarder les zones civiles et de les assiger,quil mette fin aux arrestations arbitraires etaux tortures, et quil concentre lnergie deses forces armes et scuritaires contre len-nemi dsign par tous. Bien sr, les groupesde lopposition devront accepter cette pro-position qui suspendra le martyre de la po-pulation syrienne, et ils devront retournereux aussi leurs armes contre lEtat islamique.Ils lont dj fait avec succs dbut 2014 enchassant Daech dAlep et dIdlib, dans lenord du pays, et plus rcemment en parti-cipant la libration de Koban aux cts desforces kurdes.LEtat syrien a la supriorit des armes dansce conflit, il a les cartes en main, cest donc lui de faire le premier pas sil en a la volontet la capacit. Un premier pas trs concret.Sil refuse cette perspective, il accrditera cequi a souvent t dit : Daech est lennemiutile du rgime syrien, un ennemi qui luipermet de se refaire une vertu, un ennemiqui lui est indispensable pour survivre.

    Le Collectif des dmocrates franco-syriens:Bicher Haj Ibrahim ingnieur Salam Kawakibichercheur Bassma Kodmani politologueFrdric Farid Sarkis universitaire Marie-Claude Slick journaliste Manon-Nour Tannouschercheuse en relations internationales

    Par LE COLLECTIF DES DMOCRATESFRANCO-SYRIENS

    Cible prioritaire pour la coalitioninternationale, Daech est secondaire auxyeux du rgime syrien qui la longtempslaiss prosprer, jusqu ce quil deviennele monstre quil est aujourdhui.

    LUkraine serait-ellelAllemagnedu XXIe sicle?

    Les accords de Minsk 2 signsle 12 fvrier raffirment le pleinrespect de la souverainet et de lin-tgrit territoriale de lUkraine

    tout en entrinant de fait les conqutesterritoriales des sparatistes prorusses.De faon gnrale, depuis un an, lint-grit de lUkraine semble dautant plusaffirme dans les dclarations officiellesquelle sefface sur le terrain. Si cettescission, qui ne dit pas son nom, devaitsavrer durable, elle appellerait im-

    manquablement une comparaison his-torique : la sparation progressive delAllemagne en deux, au lendemain dela Seconde Guerre mondiale.Lannexion de la Crime avait, en sontemps, suscit de vifs dbats quant lopportunit de la comparaison avec lacrise des Sudtes de 1938. Au sujet duconflit dans le Donbass, la chancelireMerkel a rcemment propos une ana-logie moins polmique en voquant lecas de lAllemagne de lEst, dont elle estoriginaire. Il sagissait pour la chance-lire de souligner que la force navaitpas t la solution la division de lAlle-magne, et ne rsoudrait pas davantagela division de lUkraine. Cependant,lanalogie mrite dtre approfondie.En Allemagne aussi, la marche vers lascission se fit reculons.En 1945, les allis victorieux envi-sageaient dadministrer conjointementle pays, dans le cadre dun Conseil decontrle alli, et de signer, terme,un trait de paix avec un nouveau gou-vernement allemand. En 1946, le minis-tre des Affaires trangres sovitique,Molotov, et son homologue amricain,Byrnes, se dclaraient encore favorables lunit allemande. Pourtant, un pro-blme de taille allait progressivementvider ces mots de leur contenu.En ce dbut de guerre froide, chaquecamp craignait par-dessus tout que sonrival ne ralise lunit allemande sonprofit, afin de sen servir comme tte depont. Sovitiques et Occidentaux pri-vilgirent donc la consolidation deleurs zones doccupation respectives.En 1948, le Conseil de contrle allicessa de fonctionner.En 1949, deux Etats allemands furentproclams, un lOuest, un lEst.En somme, tout le monde tait pour

    lunit allemande, mais personnentait prt en prendre le risque.Ce scnario peut-il nous aider penserlavenir de la question ukrainienne ?Comme dans le cas allemand, il est per-mis de penser que les Russes ne sou-haitent pas plus diviser lUkraine queles Europens. Cependant, leur prin-cipale crainte est que la runificationukrainienne sous lautorit dun gou-vernement central pro-europen ne setraduise terme par llimination deleur influence dans le pays.De la mme faon, il y a un an, lorsdes manifestations de Maidan, les Occi-dentaux ne pouvaient admettre quunepopulation largement pro-europenne

    soit rprime par un gou-vernement li Moscou.Comme en 1946, la ques-tion est : Est-il possiblede faire coexister deuxsphres dinfluence dansun seul Etat? La solutionfdraliste envisage par

    certains ne serait peut-tre quune so-lution transitoire, car la dfiance entreles camps risque daboutir la mmeparalysie institutionnelle que celle queconnut le Conseil de contrle alli enAllemagne. Mme si les diplomatescontinuent proclamer leur attache-ment lintgrit territoriale delUkraine, il est possible que la scissionen deux Etats se rvle terme la seulesolution stable.Ce scnario devrait inciter les Euro-pens rflchir leur mode daction.Imposer la Russie de coteuses sanc-tions conomiques ne pourra jamaisconstituer une rponse un problmede long terme. Une alternative pourraitsinspirer de la politique suivie par lesOccidentaux en Allemagne: ne pas lut-ter contre la division, mais consoliderune Allemagne de lOuest tourne verslEurope. En aidant lUkraine pro-euro-penne rebtir et dfendre un Etatet une conomie viables mme en casde scession des rgions prorusses,lUnion europenne pourrait, tout lafois, uvrer la construction dunepaix durable, stabiliser son voisinage etaffirmer son rle international.Si la division de lAllemagne a rendupossible la naissance de la constructioneuropenne au XXe sicle, une nouvelleruse de lhistoire pourrait ainsi aboutir ce que la division de lUkraine lui offreun nouveau souffle au XXIe sicle.

    Par PIERRE HAROCHE Docteuren science politique, enseignant enrelations internationales luniversitParis-I Panthon-Sorbonne

    Si la scission de lUkraine, qui ne ditpas son nom, devait savrer durable,elle appellerait une comparaisonhistorique: la sparation progressivede lAllemagne en deux.

    Retrouvez les tribuneset les chroniques sur:www.liberation.fr/debats

    SUR LIBRATION.FR

    LIBRATION LUNDI 23 FVRIER 2015