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Les auteurs du rapport

Bérengère Wallaert, Orthophoniste spécialisée en troubles de la communication, mère de 4 enfants. Elle accompagne les parents et forme des groupes à la parentalité bienveillante depuis 2009.

Christine Rossignol, Directrice de projets à Apprentis d’Auteuil. Elle a été professeur de français et

chargée de cours à l’université, et directrice de l’Institut supérieur de Pédagogie - Formation de

l’Université Catholique de Paris.

Marc Vannesson, délégué général de VersLeHaut

Précisions méthodologiques :

Le rapport a été rédigé sur la base d’un appel à contributions lancé par VersLeHaut en juin 2017 et diffusé

largement auprès de nos partenaires, de notre conseil scientifique, des réseaux sociaux... De nombreuses

contributions – de tous niveaux - ont nourri la réflexion des auteurs de ces pages qui reprennent plus d’une

soixantaine d’exemples de dispositifs de terrain. Le rapport s’est aussi nourri de nombreux rapports et livres,

d’entretiens avec des acteurs et chercheurs, d’études françaises et internationales, d’articles scientifiques ou

journalistiques, cités en référence. Il reprend également certains passages du livre « Tous éducateurs !

Et vous ? », publié chez Bayard Editions, ainsi que certaines propositions développées de façon plus détaillée

dans les rapports « Soutenir les familles, le meilleur investissement social » (juin 2017), « Pas d’éducateur, pas

d’éducation ! » (mai 2016), « Vivre, grandir, construire ENSEMBLE » (janvier 2016).

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Présentation de VersLeHaut

Lancé en 2015 avec l’ambition de nourrir le débat public, les décideurs et les acteurs de l’éducation,

VersLeHaut est un think tank hors du champ partisan dédié aux jeunes, aux familles et à l’éducation.

VersLeHaut associe à sa réflexion des acteurs de terrain, des jeunes et des familles, des experts et des

personnalités de la société civile tout en appuyant son travail sur des études et des recherches scientifiques.

VersLeHaut diffuse des propositions concrètes afin d’élaborer un projet éducatif adapté aux défis du XXIe siècle

et mobilisant l’ensemble du corps social.

Un regard sur ce qui marche

Créé à l’initiative de plusieurs acteurs engagés en faveur de la jeunesse, VersLeHaut s’attache particulièrement

à valoriser les expériences de terrain réussies, en France, comme à l’étranger.

VersLeHaut travaille de manière indépendante, dans un esprit de coopération et d’ouverture.

Les membres fondateurs de VersLeHaut

Déjà publiés :

LE POINT SUR LA MISE EN ŒUVRE DES REFORMES POUR

L’ECOLE, Septembre 2018

CE QUE LES PAYS DU SUD PEUVENT NOUS APPRENDRE EN MATIERE EDUCATIVE, Juin 2018

MANIFESTE POUR LA RESPONSABILITE EDUCATIVE DES ENTREPRISES, Juin 2018

SERVICE NATIONAL UNIVERSEL : POUR UNE DYNAMIQUE GLOBALE, Avril 2018

CONTRE LES FAKE NEWS, L’ÉDUCATION PLUS EFFICACE QUE LA CENSURE, Avril 2018

ILS NE DORMENT PAS ASSEZ ! 5 PROPOSITIONS POUR L’ÉDUCATION AU SOMMEIL, Mars 2018

LES JEUNES FACE À LA TENTATION DE LA « RADICALISATION ». QUE FAIRE ?, Janvier 2018

ÉGALITÉ FEMMES / HOMMES : POUR UNE ÉDUCATION À LA RELATION, Décembre 2017

TOUS ÉDUCATEURS ! ET VOUS ? POUR UNE SOCIÉTÉ ÉDUCATRICE, Bayard Editions, Octobre 2017

APRÈS LE TWEET DU MEDEF, QUELLE RESPONSABILITÉ ÉDUCATIVE POUR LES ENTREPRISES ?, Septembre 2017

ACCUEIL, BESOINS & ESPOIRS DES MINEURS NON ACCOMPAGNÉS, Septembre 2017

À L’ÉCOLE DE LA CONFIANCE, QUELLE PLACE POUR LES PARENTS ?, Août 2017

SOUTENIR LES FAMILLES, LE MEILLEUR INVESTISSEMENT SOCIAL, Juin 2017

BAC : QUELS ENJEUX DERRIÈRE LA RÉFORME ?, Juin 2017

ÉCOLE : DE LA SÉLECTION PAR L’ÉCHEC AU DÉVELOPPEMENT DES TALENTS DE CHACUN, Février 2017

MOBILISATION GÉNÉRALE POUR L’ÉDUCATION !, Novembre 2016

ÉCOLE : DE L’ENTRE-SOI À L’ENTRE-NOUS, Septembre 2016

ÉDUCATION : QUEL « RETOUR SUR INVESTISSEMENT » ?, Juin 2016

PAS D’ÉDUCATEUR, PAS D’ÉDUCATION !, Mai 2016

VIVRE, GRANDIR, CONSTRUIRE ENSEMBLE, Janvier 2016

SOYONS À LA HAUTEUR DES ESPÉRANCES DE LA JEUNESSE, Novembre 2015

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Préambule

La pédagogie n’est pas une fin en soi… 1.Attention, sujet explosif ! Les questions pédagogiques font souvent l’objet de débats très clivants. On aime

opposer les approches, quitte à caricaturer les positions. Les « adeptes » de telle méthode pensent avoir trouvé

la solution miracle et sont convaincus qu’elle doit s’appliquer partout. On prête alors souvent à ceux qui

défendent une autre approche les pires intentions. On brandit des arguments plus ou moins scientifiques pour

se draper dans sa certitude, et l’on s’étripe sur des questions de vocabulaire ou des débats très théoriques du

type : « Que faut-il mettre au centre du système ? L’enfant, le savoir, l’enseignant ? ». Comme si répondre à

cette question dans une tribune allait résoudre tous les problèmes de l’Education nationale.

Dans la vie des classes, la réalité est souvent moins tranchée : l’éducation est souvent du domaine de

l’assemblage plutôt que du choix exclusif. On conjugue les approches. On préfère le « en même temps » au

« ou bien ». C’est sans doute moins satisfaisant pour ceux qui ont l’esprit de système, mais c’est la seule façon

de prendre en considération les individus et de faire progresser chacun, à partir de là où il est.

Peut-être est-il temps d’en finir avec les approches clivantes ? C’est d’ailleurs ce que souhaitent les familles et

les professionnels. L’éducation reste un travail artisanal, parce que c’est une relation, et qu’elle fait entrer en

jeu une multitude de paramètres que nul ne peut maîtriser complètement : le fonctionnement du cerveau, les

conditions sociales, la culture familiale, l’interaction avec les pairs, la dimension affective et émotionnelle…

Celui qui prétend faire abstraction de tous ces paramètres pour s’en tenir à une logique unidimensionnelle fait

fausse route.

Cette acceptation de la complexité éducative ne veut pas dire qu’il faut fermer les yeux sur les apports

scientifiques, qu’il faut donner libre cours à ses lubies ou à ses penchants et traiter les enfants en cobayes

d’expérimentations douteuses. Les éducateurs ont au contraire un devoir de se nourrir en permanence des

recherches scientifiques pour enrichir leurs pratiques, se remettre en cause, progresser... De ce point de vue,

on peut déplorer la faiblesse des mesures d’impact et des évaluations scientifiques rigoureuses dans le champ

éducatif, notamment en situation « réelle » et à grande échelle.

Cette complexité éducative est une invitation à la bienveillance. Le mot est à la mode s’agissant de la relation

entre jeunes et adultes. Il est moins souvent appliqué s’agissant des adultes entre eux ! Et si les conflits

idéologiques laissaient place à une recherche humble et apaisée des meilleurs moyens de faire progresser

chaque jour les enfants ?

Cette complexité est surtout une invitation à ne pas confondre la fin et les moyens. A trop « sacraliser » les

moyens – tel outil, telle pratique, tel dispositif à la mode… -, on en vient parfois à perdre le sens de l’éducation

et la question des finalités. La transmission des savoirs, le développement des compétences, l’épanouissement

de la personne… Comme s’il fallait « innover pour innover » ou bien « développer le numérique pour

développer le numérique »… L’urgence est sans doute de s’entendre sur les finalités de nos politiques

éducatives et d’admettre qu’il y a plusieurs chemins pour y répondre.

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Le défi de la « personnalisation », en réponse à la 2.massification et à l’individualisme

C’est l’une des convictions que nous développons dans ce rapport, confortée par la diversité et la multiplicité

des réponses à l’appel à contributions lancé par VersLeHaut pour le préparer : l’un des blocages du débat

éducatif français est sans doute la quête d’un « modèle pur et parfait ». Alors que l’une des clés de la réussite

éducative serait sans doute la capacité d’observer le réel, de faire confiance et de donner aux acteurs les

moyens de s’adapter aux grands défis de la « personnalisation ».

N’ayant pas suffisamment tiré les conclusions d’un changement d’échelle au cours du siècle passé1 –

changement d’échelle qui a entraîné un changement de nature -, le système scolaire est resté trop rigide,

s’adaptant lentement et difficilement aux besoins des familles, aux exigences de l’avenir et aux difficultés de

ceux qui – de plus en plus nombreux – ne rentrent pas dans « le moule ».

Après une phase de « massification » du système scolaire, et alors qu’il est confronté à une dynamique

générale individualiste, l’enjeu pour notre école est désormais de réussir à prendre en compte la personne :

toute la personne (éducation intégrale), et toutes les personnes (éducation inclusive). Pas comme un individu

isolé. Pas comme une particule élémentaire dans une masse indifférenciée. Mais comme un être en relation

avec les autres, partie prenante d’une communauté éducative et acteur de la société.

Ce rapport propose des pistes en ce sens, avec une diversité de réponses éducatives et quelques leviers de

transformation validés par de nombreux travaux de recherches. Cependant, tous les dispositifs présentés n’ont

pas fait l’objet de mesures d’impact ; ce rapport n’a pas de prétention normative. Certaines réponses valables

pour des publics et des tranches d’âge donnés n’ont pas forcément vocation à être généralisées. A travers plus

d’une soixantaine d’exemples, le rapport fournit des pistes de ressourcement et d’inspiration ; il n’est pas un

guide des bonnes pratiques à décliner les yeux fermés.

Le risque de fracturation du système scolaire 3.Nous voulons surtout attirer l’attention sur un risque majeur pour notre système éducatif : le fait d’avoir,

demain, un système à plusieurs vitesses :

un moule rigide, « standardisé », pour la majorité des jeunes, et notamment pour les plus pauvres ;

et, en marge, des acteurs capables de développer des approches pédagogiques plus actives, plus

personnalisées, inspirées par la recherche :

o un « marché de niche », avec des établissements réservés aux familles capables de payer

cher,

o des dispositifs de remédiation « sur mesure » pour des jeunes en situation de décrochage.

Certes, les inégalités sont déjà très présentes dans le système scolaire – d’une certaine façon, on peut déjà

parler d’un système à plusieurs vitesses – mais le grand risque est que l’écart se creuse et que le phénomène

s’accélère au cours des décennies à venir. Il est encore temps de réagir, et de considérer le développement de

dispositifs innovants – au sein de l’Education nationale et à la marge – comme autant d’aiguillons pour faciliter

la transition éducative.

1 Pour rappel, il y avait 10 000 bacheliers par an dans les années 20, 30 000 dans les années 50, plus de 600 000

aujourd’hui.

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Dans cette perspective, la place des enseignants est centrale. Il ne faut pas nier leur identité professionnelle.

Leur souci de transmettre les trésors qu’ils ont reçus, leur soif d’ouvrir de nouveaux horizons aux jeunes pour

lesquels ils s’engagent. Même lorsqu’il s’agit de rendre les élèves acteurs de leur apprentissage, l’enseignant

conserve un rôle décisif. Les travaux scientifiques ne cessent de rappeler l’importance déterminante de « l’effet

maître ». Les évolutions pédagogiques ne conduisent pas à une dévalorisation de l’enseignant mais à de

nouvelles postures. C’est lui le pilote : il faut savoir où l’on veut emmener ses élèves et comment. Cela

demande beaucoup de travail et de talent !

Aujourd’hui, les enseignants se trouvent dans une position difficile : on leur demande en permanence de

changer de posture mais on ne leur dit pas comment faire. C’est une source de malaise. Comme le note

Béatrice Sabaté, formatrice en discipline positive, qui intervient notamment auprès d’enseignants de

l’Académie de Créteil, « quand on observe Tarzan, on voit qu’il ne lâche pas une liane tant qu’il n’en a pas saisi

une nouvelle. Eh bien, pour les enseignants, il faut leur donner les moyens de développer de nouvelles

approches, plutôt que de les exhorter à changer de posture. ».

L’ambition de ce rapport est de donner aux décideurs publics et aux acteurs de l’éducation des clés de réflexion

pour favoriser le déploiement de pédagogies actives, et notamment de donner aux enseignants et aux

éducateurs les moyens de se former et d’agir.

Il faut mettre en vigueur dans le système éducatif un principe clé qu’ont compris les sociétés de services : « la

symétrie des attentions ». Si l’on veut vraiment prendre soin des élèves, s’adapter à leurs besoins pour les tirer

vers le haut, il faut commencer par prendre soin des enseignants.

Mais n’oublions pas que l’école ne peut pas tout, toute seule. Cette nouvelle dynamique éducative concerne

toute la société ! C’est une invitation à vivre l’aventure enthousiasmante de l’éducation ! S’il y a un domaine où

l’engagement personnel fait la différence, c’est bien celui-là.

NB : Sauf mention contraire, le terme « école » désigne dans ce rapport l’enseignement scolaire, de la

maternelle au lycée.

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Sommaire

Introduction ............................................................................................................................................................ 7

I. Un modèle unique ? Sortir des querelles pédagogiques .............................................................................. 20

1. Retrouver le sens et la personne : quid des finalités éducatives ? .......................................................... 21

2. Vive l’assemblage ! Il n’y a pas de « modèle » pur et parfait................................................................... 25

II. Des pratiques fécondes pour une éducation intégrale : tous les enfants et tout l’enfant ........................... 30

Personnaliser les parcours ....................................................................................................................... 31 1.

Susciter, développer la motivation et la participation ............................................................................. 41 2.

Considérer l’enfant dans sa globalité ....................................................................................................... 50 3.

Faire pour apprendre ............................................................................................................................... 62 4.

Construire avec les autres ........................................................................................................................ 64 5.

Associer les familles ................................................................................................................................. 66 6.

Réinventer la relation enseignant/enseigné ............................................................................................ 69 7.

Et le numérique dans tout ça ? ................................................................................................................ 74 8.

III. Des bonnes volontés au changement systémique ........................................................................................ 78

Les conditions du succès et du déploiement ........................................................................................... 79 1.

Les changements structurels pour favoriser la transition éducative ....................................................... 84 2.

Focus sur les enfants placés en protection de l’enfance .................................................................................... 100

Conclusion ........................................................................................................................................................... 104

Annexe : Ce qui est en jeu dans la pédagogie ..................................................................................................... 105

Quelques lectures intéressantes ......................................................................................................................... 115

Remerciements ................................................................................................................................................... 116

Synthèse : nos 20 propositions ........................................................................................................................... 118

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Introduction

Si vous pensez tenir entre vos mains le énième rapport alarmiste et déprimant sur l’école, détrompez-vous...

La vocation de VersLeHaut est plutôt d’aller chercher les initiatives qui démontrent l’impact positif de

l’éducation ; les dispositifs qui font leurs preuves et font mentir les prévisions pessimistes… Notre envie est de

valoriser les élèves qui réussissent en surmontant leurs difficultés, les professeurs et les éducateurs qui

s’engagent avec passion et refusent le déterminisme, les avancées scientifiques ou les approches pédagogiques

qui ouvrent de nouvelles perspectives… Tous ces signaux qui montrent qu’il n’y aucune fatalité à l’échec

éducatif !

Nous sommes persuadés que valoriser les réussites, c’est donner à chacun l’envie d’agir. Nous croyons à la

contagion de l’enthousiasme. C’est le principal objectif de ce rapport.

Mais ces réussites ne doivent pas masquer l’ampleur de l’urgence éducative. Les bilans sur l’état de l’école, du

collège et du lycée se comptant par dizaines, rien ne sert de faire long. Encore faut-il avoir le courage de

regarder la réalité en face : l’école met souvent les enfants et les enseignants en difficulté. Nous nous

contentons ici de rappeler quelques points de contexte.

Un système qui mobilise beaucoup de ressources, 1.pas toujours bien allouées2

12 865 700 d’élèves inscrits, 1 104 400 de personnels (dont 884 300 d’enseignants),

62 597 établissements scolaires (51 246 écoles, 11 351 collèges et lycées),

102 milliards d’euros dépensés en 2016 pour l’enseignement scolaire (1er

et 2d degrés) (Etat,

collectivités locales, ménages…).

Source : OCDE, Regard sur l’éducation – Données 2013, 2016.

2 Sources : Ministère de l’Education nationale – Repères et références statistiques 2017.

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Si les dépenses par élève en France se situent au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, on voit cependant :

Un sous-investissement au primaire (-14%), alors même que c’est à ce niveau que se joue l’essentiel

pour donner à chacun les bases nécessaires à sa réussite (le niveau acquis à la fin des premières

classes de primaire détermine fortement la suite du parcours scolaire - voir plus loin).

Un investissement très fort au lycée : +35%.

Un sous-investissement dans les ressources humaines : les rémunérations des enseignants sont

inférieures à la moyenne de l’OCDE.

Constatant que les difficultés qui apparaissent au primaire ont tendance à se perpétuer dans la suite du

parcours scolaire, beaucoup insistent au contraire sur la nécessité d’investir davantage dès le plus jeune âge

pour permettre à chacun de maîtriser les fondamentaux et lutter ainsi plus efficacement contre les inégalités

sociales.

En 2012, dans son rapport sur l’école, le Haut Conseil de l’Education rappelait l’importance des premières

années de scolarité : « les lacunes dans les apprentissages de ces années-là ont des répercussions négatives sur

toute la scolarité ultérieure, car les retards pris sont très difficiles à rattraper. » Et, dans une enquête récente

de février 2017, l’Insee, qui a suivi une cohorte de jeunes entrés en 6e en 2007, montre ceux qui sont en

difficulté au début du collège restent majoritairement en difficulté à 18/19 ans. Seulement 14 % des collégiens

les moins performants en 6e entrent dans le supérieur à la sortie du bac, contre 77% des élèves les plus

performants dans cette même classe.

Point important à noter, selon les auteurs de l’étude, « toutes choses égales par ailleurs, [le niveau acquis en

6e] joue plus sur le destin scolaire des jeunes que le sexe, l’origine sociale, le lieu de résidence, le type

d’établissement, ou encore l’âge d’entrée en 6e ».

3 Autrement dit, un élève qui a acquis un niveau solide au

primaire – même s’il est issu d’un milieu social défavorisé - a d’importantes chances de réussite scolaire. En

revanche, si les fondamentaux ne sont pas là, on construit sur du sable…

Pour être compris comme un investissement, le coût de l’éducation peut être mis en parallèle avec celui de

l’échec scolaire. Le gouvernement évalue par exemple à 230 000 euros sur une vie ce que coûte à la société un

décrocheur qui va peiner à s’insérer.

Une école affaiblie par le flou sur ses missions, des 2.attentes fortes et disparates, des fractures idéologiques paralysantes

Les représentations de l’école sont qualitativement très empreintes d’affect. Comme le souligne une analyse

du réseau Canopé sur le climat scolaire : « Les élèves affirment que le lycée ‘est leur deuxième maison’. Les

parents déclarent ‘nous confions ce que nous avons de plus cher à l’école, elle doit les protéger’, les enseignants

disent ‘ce qui compte pour moi, c’est la qualité des relations avec les élèves, avec mes collègues’ ».

3 « Quelle entrée des jeunes dans la vie adulte ? », Insee Première, février 2017. A partir d’un panel de 35 000

jeunes représentatifs, entrés pour la première fois en 6e en 2007 (collèges publics et privés). Jean-Paul Caille

(DEPP du ministère de l’Education nationale), Éric Chan-Pang-Fong et Juliette Ponceau (sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques du ministère de l’Education nationale), Olivier Chardon et Gaëlle Dabet (Insee).

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La société attend beaucoup de l’école, sans toujours bien savoir ce qui est de son ressort, mais elle doute en

parallèle de sa capacité à remplir ses missions de base.

29% des jeunes et 36% des parents n’ont pas confiance dans l’école pour assurer à tous l’acquisition des

savoirs de base4,

42% des jeunes et 45% des parents… pour apprendre le respect des autres et la citoyenneté,

51% des jeunes et 48% des parents… pour favoriser l’épanouissement personnel de chacun,

52% des jeunes et 53% des parents… pour être un facteur de réduction des inégalités sociales.

La mission de l’école dans le Code de l’Education

Objectifs et missions du service public de l'enseignement : dispositions générales (article L121-1) « Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d'enseignement supérieur sont chargés de transmettre et de faire acquérir connaissances et méthodes de travail. Ils contribuent à favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d'orientation. Ils concourent à l'éducation à la responsabilité civique et participent à la prévention de la délinquance. Ils assurent une formation à la connaissance et au respect des droits de la personne ainsi qu'à la compréhension des situations concrètes qui y portent atteinte. Ils dispensent une formation adaptée dans ses contenus et ses méthodes aux évolutions économiques, sociales et culturelles du pays et de son environnement européen et international. […]» Objectifs et missions de l’enseignement scolaire (article L122-1-1) « La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l'acquisition d'un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l'ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité. Le socle doit permettre la poursuite d'études, la construction d'un avenir personnel et professionnel et préparer à l'exercice de la citoyenneté. […] »

A 65%, les Français gardent

majoritairement confiance dans

le système scolaire. Mais cette

confiance n’est pas très élevée

lorsqu’on la compare à d’autres

institutions, comme les hôpitaux,

l’armée ou la police5.

Ce déficit de confiance est sans

doute lié à un manque de clarté

sur les finalités de l’école, et à

des polémiques permanentes

souvent liées à l’idée d’un

« modèle éducatif qui devrait

être valable partout et pour tous,

en toutes circonstances »… Bien loin de la diversité des enjeux sur le terrain.

On manque souvent de références objectives et d’évaluations sérieuses pour « dépassionner » les débats et

mieux prendre en compte les besoins des jeunes et des familles. Alors, on s’affronte à coups d’arguments

4 Baromètre « Jeunesse&Confiance » 2017, VersLeHaut / OpinionWay.

5 Baromètre de la confiance en politique, Cevipof / OpinionWay, janvier 2017.

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théoriques et on n’est jamais loin de la guerre scolaire, comme en témoignent les récents débats autour de

l’apprentissage de la lecture en CP, les conflits sans fin sur les questions pédagogiques, les questionnements

sur l’usage du numérique à l’école…

Aborder ces sujets demande autant de courage que de finesse et d’humilité. Les déclarations fracassantes,

quand bien même inspirées par de bonnes intentions, font parfois plus de mal que de bien.

Recul des compétences fondamentales des élèves 3.français

Les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, notamment au regard des classements internationaux.

Par exemple, entre 2003 et 2015, le taux d’élèves « peu performants » a fortement augmenté :

7,5 points de plus en mathématiques (le taux d’élèves de 15 ans peu performants passant de 16 à 23,5 %).

6,6 points de plus en compréhension de l’écrit (de 15 à 21,5 %) (selon l’enquête Pisa 2015 qui évalue le

niveau des jeunes de 15 ans dans 64 pays).

LES RESULTATS DU SYST EME EDUCATIF FRANÇAIS DANS LES ENQUETES PISA, PAR BERNARD HUGONNIER

6

Au global, des résultats qui placent la France dans la moyenne des pays de l’OCDE

Performance moyenne des élèves (PISA)

La France se situe 40 points en dessous des meilleurs pays de la zone (Japon, Estonie, Finlande), soit un

écart représentant une année d’éducation.

Selon l’enquête TIMSS parue en 2016, le niveau en mathématiques des élèves de CM1 en France est en

dessous de la moyenne internationale (12 points d’écarts) et européenne (37 points d’écarts)7.

Une part insuffisante d’élèves très performants

Pourcentage d’élèves très performants dans PISA (= niveau de réponses 5 et 6 en sciences)

6 Données issues d’une présentation de Bernard Hugonnier, ancien directeur adjoint Education à l’OCDE,

membre du conseil scientifique de VersLeHaut, lors d’une rencontre organisée par le think tank à Sciences Po Paris, le 9 février 2016, sur le thème « Quelles réponses face à l’échec scolaire ? ». 7 Classement effectué en 2015 par l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement

(IEA) suite à l’enquête internationale Timss (Trends in International Mathematics and Science Study).

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• En France, ce pourcentage était de 7,9% en 2012.

• Si la France avait le même pourcentage d’élèves très performants que le Japon, son élite se développerait

de 58 400 élèves par an.

Une part croissante d’élèves en grande difficulté

Pourcentage d’élèves rencontrant de grandes difficultés dans les tests PISA (= niveau de réponses inférieur à 2)

• En France, ce pourcentage était de 18,7% en 2012 (+3,4 points en 3 ans !).

• Si la France avait le même pourcentage d’élèves en grande difficulté que le Japon, le nombre d’élèves se

trouvant dans cette situation serait diminué de 100 000 par an.

• Andreas Schleicher, directeur Education de l’OCDE, relève qu’en mathématiques, les 10% d’élèves les plus

faibles en France se classent au même niveau que les 10% d’élèves les plus faibles au Mexique.

Un déterminisme social et culturel très fort 4.L’école peut plus ou moins compenser l’impact du milieu social des élèves sur le niveau de leurs performances.

Plus cette compensation est forte, plus le système est équitable et inversement.

Parmi les 72 pays qui ont participé à l’enquête PISA 2015, seuls quatre pays (l’Argentine, la Hongrie, le

Luxembourg et le Pérou) compensent moins bien cet impact que la France. Par exemple, en France, près de 40

% des enfants de milieu populaire sont peu performants en mathématiques contre seulement 5 % des enfants

favorisés.

Performance en sciences et équité du système scolaire

Cette incapacité à lutter contre les inégalités sociales est une tare d’autant plus préoccupante pour notre

système scolaire que c’est l’un des objectifs prioritaires affichés par les principales réformes éducatives depuis

plusieurs années. Comme si les choix posés pour contrer les inégalités sociales conduisaient en fait à leur

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accroissement, malgré les bonnes intentions et les bonnes volontés… C’est la thèse défendue par certains

chercheurs, comme Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, s’agissant de l’apprentissage de la lecture8, ou bien

par l’américain Eric Donald Hirsch9 qui considère que les approches visant le développement de compétences

plutôt que l’apprentissage de « contenus » ont des effets négatifs sur l’équité scolaire. Chacun dans son

domaine, ces chercheurs appellent à des changements de méthodes et d’approches pédagogiques pour

effectivement mieux lutter contre ces inégalités.

La question des inégalités sociales est très souvent évoquée dans le débat public. Elle ne doit pas masquer une

autre fragilité du système scolaire : une difficulté à combler les écarts entre la moyenne de la population et les

élèves issus de l’immigration.

Certes, l’école contribue à une certaine ascension sociale des jeunes issus de l’immigration qui sont souvent

plus diplômés que leurs parents. Selon la Direction de l'Animation de la Recherche, des Etudes et des

Statistiques (DARES) du ministère des Affaires sociales, « un tiers des fils et filles d’immigrés en emploi

occupent, entre 35 et 50 ans, un emploi plus qualifié que leur père au même âge10

, sachant que l’effet du

diplôme est très important : avoir un diplôme de niveau Bac+3 ou plus augmente de plus de trois fois les

chances d’être en mobilité ascendante par rapport à un diplôme de niveau Bac ».

Cependant, s’agissant des diplômes et des parcours scolaires, l’écart reste important entre les jeunes issus de

l’immigration et le reste de la population.

En France, 55 % des 18-35 ans issus de l’immigration qui ont suivi toute leur scolarité en France

(« deuxième génération » ou immigrés arrivés avant 6 ans) sont titulaires du bac, soit 7 points de moins

que les jeunes non-immigrés.

De même, 13% des jeunes issus de l’immigration sortent sans diplôme du système scolaire, contre 8%

pour la moyenne de « la population majoritaire ». On note de fortes différences selon les pays d’origine et

selon le sexe.11

Par exemple, parmi les descendants d’immigrés originaires de Turquie, 26,6% sont sans diplôme (+18,8

points par rapport à la « population majoritaire »). Le taux est de 17,7% pour ceux dont les parents sont

nés en Algérie (+9,9 points).

Les parcours scolaires sont différents selon les pays d’origine. On note par exemple que les diplômes

professionnels courts (CAP-BEP) sont particulièrement prisés chez les jeunes descendants de

l’immigration portugaise ou turque.

S’agissant des filles, les descendantes d’immigrés sont presque autant bachelières que la population

majoritaire (62% vs 65%). Celles dont les parents sont nés en Asie du Sud-Est sont même plus

performantes que la population majoritaire (70% de bachelières vs 65%).

En revanche, l’écart est de 12 points s’agissant des garçons descendants d’immigrés : 48% sont titulaires

du bac ou d’un diplôme supérieur, contre 60% des garçons dans la population majoritaire.

8 « Réapprendre à lire. De la querelle des méthodes à l’action pédagogique », Sandrine Garcia et Anne-Claudine

Oller, Éditions du Seuil, 2015. 9 « Why Knowledge Matters : Rescuing Our Children from Failed Educational Theories », E.D. Hirsch, Jr.,

Harvard Educational Publishing Group, 2016. 10

Analyses, n°58, la DARES du ministère des Affaires sociales, septembre 2012. 11

« Parcours scolaires et sentiment d’injustice et de discrimination chez les descendants d’immigrés », Y. Brinbaum et J.-L. Primon, Economie et Statistique, n° 464 - 465 - 466, p. 215-243, 2013.

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Il faut bien entendu prendre en compte la variable sociale : la surreprésentation des classes sociales

défavorisées parmi les familles issues de l’immigration est la principale clé d’explication. Comme le notent

Yaël Brinbaum, Laure Moguérou et Jean-Luc Primon, 65% des descendants d’immigrés appartiennent à des

familles d’ouvriers/employés, par leur père (contre 41% de la population majoritaire). Le chiffre monte à plus

de 70% s’agissant des descendants d’immigrés du Maghreb et de Turquie.

La question de la discrimination est évoquée en mode mineur : seuls 14% des descendants d’immigrés

déclarent « avoir été moins bien traités » lors des décisions d’orientation.

Mais, comme le relève Bernard Hugonnier, les classements PISA montrent que les écarts de performance entre

les élèves non-immigrés et ceux issus de l’immigration sont plus importants en France que dans la moyenne

des pays de l’OCDE.

Même s’ils se réduisent, ces écarts persistent et restent plus importants en France que dans la moyenne des

pays de l’OCDE, s’agissant des élèves de la seconde génération d’immigrés.

La surreprésentation de jeunes issus de l’immigration dans certains établissements scolaires représente un défi

particulier qui n’est pas vraiment pris en compte dans nos politiques éducatives. Comme si le sujet était tabou.

Cette « ignorance » volontaire frise parfois l’absurde dans certains textes sur la mixité scolaire où la question

de la proportion d’enfants immigrés dans une classe est tout simplement évacuée, comme si elle n’avait

absolument aucune incidence.

Pourtant, dans un rapport de 2015 qui tirait des enseignements des enquêtes PISA12

, l’OCDE souligne que « la

faible performance des élèves immigrés peut en partie être liée au fait que ces derniers tendent à se

concentrer dans des établissements d’enseignement défavorisés. Une forte concentration de désavantages

12 « Les élèves immigrés et l’école : avancer sur le chemin de l’intégration », OCDE, 2015.

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socio-économiques est en général associée à un écart plus marqué de performance entre les élèves immigrés

et leurs pairs autochtones.

51% des descendants d’immigrés affirment avoir fréquenté un collège à

moyenne ou à forte proportion d’immigrés, contre 23,5% de la population

moyenne (et 17% de la population non-immigrée). Ce chiffre s’élève à

68% pour les jeunes dont les pays sont nés en Afrique sahélienne, à 59%

pour les descendants de natifs d’Algérie.

Part des jeunes de 18/35 ans scolarisés en France ayant déclaré avoir

fréquenté un collège à moyenne ou forte proportion d'immigrés, selon

le pays d’origine de leurs parents13

Actuellement, la carte scolaire ne fait que reproduire ou accentuer les

inégalités territoriales. Ainsi, selon la sociologue Michèle Tribalat, si la

part des jeunes issus de l’immigration parmi les moins de 18 ans est de

18% à l’échelle nationale, elle s’élève à 50% en Seine-Saint-Denis et

dépasse les 75% dans certaines villes comme Clichy-sous-Bois,

Aubervilliers, La Courneuve…

Mais le système scolaire français a tendance à considérer qu’enseigner

dans une classe où la majorité d’élèves ont des parents qui ne

connaissent pas le système scolaire français est neutre.

Il y a quelques années, le sociologue Hugues Lagrange montrait, dans son ouvrage « Le déni des cultures », que

si les politiques publiques fermaient les yeux sur ces réalités, elles ne permettraient pas d’apporter des

réponses adaptées au réel. 14

Des disparités fortes selon les académies, 5.les établissements…

On note des disparités très fortes selon les académies et les quartiers, avec des établissements qui décrochent

largement par rapport à la moyenne nationale. Le ministère de l’Education nationale publie ainsi, en lien avec

le Cereq, un « Atlas des risques sociaux d'échec scolaire » (données de 2014), au niveau national et par

académie, qui donne à voir ses disparités.

Le Conseil national d’Evaluation du Système scolaire (Cnesco) vient de publier un « Panorama des inégalités

scolaires d’origine territoriale en France »15

qui montre à quel point l’Éducation nationale et les collectivités

territoriales déploient des ressources (humaines, budgétaires, offres de formation…) très variables selon les

territoires : globalement, les territoires qui ont le plus de besoins éducatifs sont aussi ceux qui sont le moins

bien dotés, au mépris du principe d’égalité revendiqué par une République ‘une et indivisible’.

Cela illustre l’extrême hétérogénéité du système scolaire, avec des défis très différents d’une région à l’autre,

d’un canton à l’autre, d’un établissement à l’autre. Notre système scolaire, qui reste encore très centralisé – au

13 Source : Enquête « Trajectoires et Origines », Ined-Insee, 2008.

14 « Le déni des cultures », Seuil, 2010.

15 Octobre 2018.

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15 www.verslehaut.org

nom de l’égalité -, ne permet manifestement pas d’apporter des réponses adaptées à cette diversité des enjeux

éducatifs, ce qui conduit à figer ou à renforcer les inégalités.

Une part importante des jeunes sans diplôme…. Et un 6.grand écart entre le monde du travail et le monde de la formation

En 2011, 11,9 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans sont sortis sans diplôme ou avec uniquement le brevet des

collèges. Pour ces jeunes en décrochage, l’insertion professionnelle reste très problématique, les trajectoires

personnelles difficiles.

Selon l’édition 2017 du baromètre « Jeunesse&Confiance » de VersLeHaut, pour 71% des 16/25 ans, « réussir

sa scolarité, c’est assurer sa réussite professionnelle ». Même si cet indicateur baisse de 10 points par rapport à

2015, il témoigne d’une confiance des jeunes dans l’institution scolaire pour favoriser leur insertion

professionnelle. Les parents sont même 80% à être convaincus de cette corrélation. Et il est vrai que le taux

d’insertion professionnelle reste lié au niveau de diplôme.

Mais que disent les employeurs ? 79% de chefs d’entreprise considèrent que l’enseignement que les jeunes

reçoivent aujourd’hui dans le système scolaire n’est pas adapté aux réalités du monde du travail16

.

Ce grand écart est source de beaucoup de désillusions. Le taux de chômage des jeunes est très élevé en

France : 24% des 15/24 ans en 2015 (contre 18,4% en moyenne dans l’Union Européenne ; 6,9% en Allemagne ;

10,4% aux Pays-Bas).

Ce taux ne suffit d’ailleurs pas à dire l’ampleur du problème. En effet, alors que les jeunes diplômés du

supérieur arrivent à trouver du travail – pour lesquels ils sont parfois surqualifiés -, les jeunes peu ou pas

diplômés connaissent quant à eux une éviction très forte du marché de l’emploi.

On constate d’ailleurs que les moins diplômés sont les plus touchés par le chômage de longue durée : l’Insee

relève qu’« un peu moins de la moitié des chômeurs non diplômés ou ayant le brevet est au chômage depuis

un an ou plus contre à peine un tiers parmi les titulaires d’un diplôme supérieur ou égal à Bac + 2 ».17

18

16 Baromètre « Jeunesse&Confiance » 2017, OpinionWay / VersLeHaut - Le Parisien

17 « Une photographie du marché du travail en 2015 », Insee Première, N

o 1602, 13/06/2016.

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Une crise des vocations et des enseignants en manque 7.de formation pédagogique

Les professeurs sont d’abord recrutés sur leurs savoirs, c’est-à-dire sur leur capacité à connaître pour bien

transmettre les savoirs contenus dans le programme. Mais ils ne sont pas assez formés sur la « manière » de

transmettre.

Par ailleurs, les enseignants expriment souvent leur souffrance face à des conditions de travail difficiles et un

manque de reconnaissance. Ils sont d’ailleurs de plus en plus difficiles à recruter : aux concours de

l’enseignement secondaire, près d’1 poste sur 5 n’a pas été pourvu en 2017 (Source : Ministère de l’Éducation

nationale et de la Jeunesse).

Des compétences qui manquent 8.Les défaillances sur les savoirs fondamentaux sont couplées à des manques sur des compétences qui

apparaissent fondamentales pour relever les enjeux de demain :

Savoir réfléchir,

Savoir vivre et travailler en groupe,

Savoir se connaître soi-même,

Savoir créer…

Des enfants peu adaptés au cadre de l’école… ou un 9.cadre scolaire peu adapté aux enfants

Beaucoup d’enfants ne correspondent pas au « profil » demandé par l’école : en retard, précoces, agités,

handicapés,... Selon le vocabulaire parfois utilisé dans l’institution, ils ne sont pas « scolaires »…

L’école est restée très semblable à ce qu’elle était il y a quelques décennies, alors que les enfants

grandissent dans un univers très différent. La société a profondément changé depuis cinquante ans. Or, on

a conçu l’instruction pour l’enfant d’après-guerre. Maintenant, bien souvent, les deux parents travaillent,

l’enfant participe à toutes les décisions familiales, obtient des réponses sur internet, et est rivé plusieurs

heures par jours devant un écran. De plus en plus d’enfants sont marqués par des ruptures familiales qui

ont un impact mesuré sur les parcours scolaires.

Les enfants aiment moins l’école que dans d’autres pays. Même si les enquêtes montrent que, dans la

grande majorité, les collégiens se sentent bien à l’école, à la question de savoir si les élèves aiment l’école,

la France arrivait à la 20e place sur 25 selon l’enquête publiée par l’OCDE en 2009. D’autres études

soulignent le manque de bien-être à l’école. Par exemple, les élèves avec un stress élevé lors des devoirs

de mathématiques sont 7 % en Finlande et 53 % en France. C’est pourtant un sujet qui mobilise les

familles : 78,1% des parents veulent activement améliorer le bien-être de leur enfant à l’école (selon

l’enquête de la FCPE réalisée en juin 2017 auprès de 7 000 familles).

Le climat scolaire pose également problème. Le thème de la « souffrance scolaire » est de plus en plus

évoqué19

. Fait peu relevé, la France apparaît comme un des pays les moins bien classés de l’OCDE

18 Source : Insee, Observatoire des Inégalités.

19 « Le climat scolaire perçu par les collégiens », Tamara Hubert, Ministère de l’Education nationale - Direction

de l'Evaluation, de la Prospective et de la Performance, Bureau des Etudes sur les Etablissements et l’Education prioritaire, 2013.

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% d'élèves répondant "jamais ou presque jamais"

ou seulement "à quelques cours"France

Moyenne

OCDE

classement parmi

les pays de l'OCDE

Les élèves n'écoutent pas ce que le professeur dit 64 71 28/34

Il y a du bruit et du désordre 56 68 33/34

Le professeur doit attendre longtemps avant que

les élèves se calment 64 72 30/34

Les élèves ne peuvent pas bien travailler 76 81 31/34

Les élèves ne commencent à travailler que bien

après le début du cours 63 75 33/34

CLIMAT DE DISCIPLINE PENDANT LES COURS - SELON LES ELEVES

s’agissant de la discipline en classe, selon la perception des élèves eux-mêmes20

. Or, l’OCDE note « qu’un

climat de discipline propice à l’apprentissage présente non seulement une corrélation positive avec les

performances des élèves, mais les résultats de PISA suggèrent aussi qu’il peut atténuer l’impact socio-

économique des élèves sur la performance. »

Autre manifestation de cette inadaptation de l’école aux enfants : la question des rythmes scolaires.

Aujourd’hui, la France est le pays de l’Union Européenne qui a le moins de jours d’école par an : 162,

contre 200 en Italie et au Danemark21

, alors que dans le même temps, on déplore les journées trop

chargées. La question des rythmes scolaires est hautement sensible : son traitement politique montre

que, bien souvent, l’intérêt des adultes (enseignants, parents, collectivités locales) passe avant celui

des enfants. L’organisation actuelle en ‘stop and go’, avec un rythme soutenu de journées longues

pendant des périodes courtes, entrecoupées de longues vacances, est particulièrement défavorable

aux élèves les moins à l’aise. Sans compter que les activités extrascolaires, plus développées dans les

milieux favorisés, sont également facteur d’aggravation des inégalités22

.

La tendance à chercher ailleurs d’une partie des 10.familles

Face aux difficultés de l’école, les familles qui le peuvent sont tentées par le système privé ou alternatif des

écoles hors contrat ou dans une moindre mesure par l’école à la maison.

Plus de 3 parents sur 4 considèrent que l’école publique ne s’ouvre pas assez aux pratiques pédagogiques

issues de la recherche ou celles d’autres écoles alternatives23

. Près d’un parent sur deux se dit prêt à inscrire

son enfant dans un établissement scolaire payant près de chez lui pour qu’il puisse bénéficier d’une pratique

pédagogique alternative.

Le hors contrat ne représente que 1 379 établissements24

répartis en 963 groupes scolaires, mais il est en

croissance continue depuis 2010. 25

20 « Pisa à la loupe », n°32, OCDE, Septembre 2013.

21 «The Organisation of School Time in Europe. Primary and General Secondary Education », 2017/18, European

Commission/EACEA/Eurydice, Eurydice Facts and Figures, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2017. 22

« The Impact of Participation in Extracurricular Activities on School Achievement of French Middle School

Students : Human Capital and Cultural Capital Revisited », Philippe Coulangeon, Social Forces, Volume 97, Issue 1, 1 September 2018. 23

Sondage BVA pour Apprentis d’Auteuil auprès de parents de moins de 26 ans, novembre 2018. 24

Recensés par la Fondation pour l’Ecole. 25

Sources : Fondation pour l’Ecole.

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Les écoles hors contrat à Paris par arrondissement

Il faut noter que la majorité de ces

nouveaux établissements sont

aconfessionnels (88%).

Evidemment, ce sont les familles les

mieux dotées culturellement et

économiquement qui ont le plus les

moyens d’inscrire leurs enfants dans les

écoles de ce type. Si l’on considère, par

exemple, la notoriété de la méthode

Montessori, on note sans surprise qu’elle

est nettement plus connue par les

parents de CSP+ (66%) que par les parents ouvriers (17%), soit un écart de près de 50 points26

.

De même, ce sont les cadres et professions intellectuelles supérieures qui sont le plus prêts à inscrire leurs

enfants dans une école payante pour qu’ils puissent accéder à des pratiques pédagogiques alternatives (56%, +

7 points par rapport à la moyenne).

Lorsqu’on observe l’implantation des

écoles hors-contrat à Paris27

, par

arrondissement, et qu’on classe les

arrondissements par nombre d’écoles

hors-contrat pour 1 000 jeunes de moins

de 20 ans, on voit que, globalement, les

arrondissements les plus populaires sont

les moins bien classés (hormis les 1er

et

3e arrondissements qui comptent très

peu d’élèves).

On note aussi un recours fréquent aux

cours supplémentaires. Selon le cabinet

Xerfi28

, le marché du soutien scolaire est

estimé entre 1,5 milliard et 2 milliards

d’euros (dont 75% ‘au noir’ ou ‘de gré à

gré’). Près d’un jeune de 15 ans sur 4

bénéficie d’un soutien scolaire gratuit ou

payant et les Français sont les plus gros

consommateurs d’Europe (après la

Russie), avec 40 millions d'heures de

cours particuliers chaque année.

Quant aux orthophonistes, elles

prennent en charge un nombre croissant

d’enfants en difficulté, considérés

comme ‘dys’.

26 Sondage BVA pour Apprentis d’Auteuil auprès de parents de moins de 26 ans, novembre 2018.

27 A partir de la liste transmise par la Fondation pour l’Ecole

28 « Le marché du soutien scolaire », Cabinet Xerfi, 2016.

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En parallèle, de très nombreuses et très fructueuses 11.initiatives au sein de l’Education nationale ou ailleurs, ainsi que des progrès scientifiques qui nous permettent de mieux comprendre la relation éducative et les mécanismes de l’apprentissage.

Ces initiatives et ces découvertes scientifiques ont beaucoup à nous apprendre. Elles peuvent être l’occasion de

redonner un souffle aux équipes éducatives et aux jeunes. C’est le sujet de ce rapport qui ne prétend surtout

pas apporter une réponse à tous les problèmes de l’école, mais qui souhaite ouvrir des pistes de réflexion et

d’action à partir d’initiatives qui existent déjà, sur le terrain.

Au sein du système éducatif français ou à l’international, certains ont fait leur mue, en changeant

profondément leur modèle scolaire. Il y a beaucoup de différences entre eux, mais une constante : ils

s’appuient sur un enfant actif, impliqué, concerné par ses savoirs. Ils n’ont pas abandonné l’exigence de la

transmission mais ils ont cette volonté de s’appuyer sur la curiosité naturelle de l’enfant, qui n’est pas « un

vase que l’on remplit, mais un feu qu’on allume ».

A travers ce rapport, à partir de l’expérience même d’enseignants et d’acteurs de terrain, nous voulons

proposer des pistes d’amélioration pour le système scolaire français.

Certaines relèvent du pouvoir politique.

D’autres, directement des équipes éducatives. Dans tous les cas, nous avons une certitude : il n’y a aucune

fatalité à l’échec scolaire ! Au contraire, l’expérience des acteurs de terrain prouve qu’une multitude d’actions

permettent de faire avancer les choses !

Il y a cependant besoin de changements structurels qui permettront de faciliter la transition éducative et de

donner un nouveau souffle à l’école.

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I. Un modèle unique ? Sortir des

querelles pédagogiques

CHAPITRE I

Un modèle unique ? Sortir des querelles pédagogiques

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1. Retrouver le sens et la personne : quid des finalités éducatives ?

A) SORTIR DU « MOULE » ?

L’école française a gardé un modèle pyramidal hérité du 19e siècle dont la principale finalité était, d’une part,

l’acquisition par l’ensemble de la population d’un socle de base à la fin de l’instruction obligatoire et, d’autre part, la formation d’une élite, sélectionnée progressivement par des examens et des concours, jusqu’à des études longues fondées sur l’excellence intellectuelle.

Dans ce schéma, ceux qui ne poursuivaient pas leurs études continuaient leur formation dans des écoles professionnelles ou hors de l’école, avec l’implication d’autres acteurs, à commencer par les employeurs. On se formait à un métier via l’apprentissage, le tutorat informel, « sur le tas »… et cette situation n’avait rien de honteux, puisqu’elle concernait la majeure partie des jeunes. Quant à ceux qui continuaient leurs études, on leur présentait comme exemple, au sommet de la pyramide, l’Université ou les grandes écoles. Même si la méritocratie permettait l’ascension d’enfants du peuple aux plus hautes fonctions, celle-ci restait quand même limitée et la mixité sociale des élites n’était pas la priorité politique.

L’évolution économique et sociale, avec les révolutions industrielles et technologiques, le déclin du secteur primaire (agriculture, industrie, mine, sidérurgie…), l’aspiration à une plus grande ouverture sociale de l’élite… justifiaient une évolution de notre système de formation. Il ne s’agit pas de la regretter. Mais l’allongement progressif de l’instruction obligatoire, puis l’objectif de conduire 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat aurait dû conduire à une réflexion de fond sur l’évolution de ce schéma pyramidal, pas seulement à une hausse de moyens. La massification a tout changé : elle devait pousser à s’interroger sur les finalités de l’éducation, sur l’articulation entre l’école et les autres acteurs – notamment les employeurs -, sur la capacité à former le plus grand nombre sans tomber dans l’uniformisation.

Au lieu de cela, on a gardé le schéma ancien, avec comme critère de réussite, la poursuite d’études longues et le primat de l’abstraction spéculative. Cette dernière est devenue le modèle de référence dès l’école primaire, sans trop prendre en considération ceux qui avaient d’autres talents à faire valoir et qui ne rentraient pas dans le « moule ». On a dévalorisé leur potentiel en sanctionnant leur échec dans des matières spéculatives, sans vraiment proposer d’alternative. Dans le secondaire, le déploiement des formations professionnelles, bien moins prestigieuses que les filières ‘générales’, est apparu comme un pis-aller. ‘Générales’, le terme en lui-même semble insister sur la noblesse de ce choix par rapport aux autres filières. Les employeurs ont progressivement été mis sur la touche et se sont déchargés de leur responsabilité éducative sur l’Education nationale qui a pris le monopole de la formation.

On voit bien qu’à travers cette vision pyramidale de l’école se joue aussi une vision pyramidale de la société, comme en témoigne, par exemple, une passe d’armes lors d’un débat télévisé pendant la primaire de la droite pour l’élection présidentielle de 2017. Bruno Le Maire, alors candidat, proposait d’ouvrir des options « découverte des métiers » deux heures par semaine au collège. Nathalie Kosciusko-Morizet l’avait contredit vivement : "C'est les mêmes qui viennent des grandes écoles, qui poussent leurs enfants dans les filières les plus élitistes, qui veulent trier les enfants dès l'âge de 11 ans et mettre fin au collège unique… Bruno, ce n'est pas vrai que tu aurais proposé à tes propres enfants en 6

e de devenir mécanicien ou pâtissier. » Sans porter de

jugement sur le fond de la proposition, on peut regretter la vision méprisante que semble conforter cette sortie et l’incapacité de Bruno Le Maire à y répondre . Il n’y aurait qu’une forme d’intelligence, qu’une voie de réussite… et c’est sur ce modèle que l’école devrait fonctionner.

Preuve de cette vision pyramidale qui persiste : pour piloter le système scolaire, à qui confie-t-on les plus hautes responsabilités ? A des « purs produits » de l’Université. Les recteurs d’académie, « chanceliers de l’Université », qui sont les maillons clés de l’Education nationale, doivent être des universitaires habilités à diriger des recherches. Depuis 2010, une dérogation permettait à 20% des recteurs d’être nommés parmi des directeurs d’administration centrale ou, « l’honneur est sauf », parmi des titulaires d’un doctorat ayant une

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expérience d’au moins dix ans dans l’enseignement ou la recherche. Un nouveau décret du 3 octobre 2018 prévoit une dérogation pour 40% du corps des recteurs, sur avis d’une commission chargée de valider la nomination. Ceux qui dirigent la machine scolaire, y compris l’école maternelle, primaire ou secondaire, sont d’abord et avant tout des personnalités reconnues pour leur excellence académique. Cela conditionne de facto leur vision de l’école et de la réussite. Un docteur de l’Université a certes des compétences et une légitimité forte sur le plan académique auprès du corps enseignant, mais est-il « par essence » le mieux à même de piloter un système de formation dont la vocation n’est pas uniquement de former des intellectuels ? En quoi son excellence scientifique et sa connaissance du milieu universitaire sont-ils des gages pour impulser des projets pédagogiques favorisant l’apprentissage de la lecture ou pour renforcer l’excellence des lycées professionnels ?

Beaucoup ne perçoivent toujours pas cette évolution indispensable de notre organisation éducative et continuent de comparer l’école du XXI

e siècle avec l’école de la Troisième République, en feignant de croire que

ce sont les mêmes élèves et la même vision de l’école. Selon eux, il suffirait de reprendre quelques règles d’antan pour redresser la barre… On a envie de leur rappeler cette sentence du général de Gaulle, qui vaut aussi pour l’éducation : « On peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages… Mais quoi ! Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. »

Pour prendre en compte les répercussions de la massification de l’enseignement, il faut absolument passer d’un système pyramidal à un système en étoile, avec un cœur commun – la maîtrise des fondamentaux, d’un socle culturel… - et un souci du développement des talents de chacun, par des méthodes adaptées, des parcours de réussite diversifiés.

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Nous sommes face à un changement de même ampleur que lorsqu’on est passé autrefois d’un système de

préceptorat avec un adulte et un jeune au système de la classe, avec un professeur et plusieurs élèves.

A l’époque, on a dû repenser l’éducation : les objectifs, les méthodes, les outils, la répartition des rôles…

La question qui se pose aujourd’hui est du même ordre. Et d’ailleurs, alors que l’on parle de plus en plus de

prise en compte de chaque jeune avec ses spécificités, il est amusant de voir remonter certaines aspirations qui

relèvent plus du préceptorat que de la classe… Saurons-nous relever ce défi de la personnalisation pour réussir

la massification ? Pour proposer à chaque jeune un parcours scolaire adapté pour qu’il acquière les savoirs et

compétences qui lui permettront de développer son potentiel et de devenir un adulte libre et responsable,

acteur de la société ? L’enjeu est d’arriver à s’adapter à chaque élève tout en assurant l’égalité des chances et

en construisant les conditions du vivre-ensemble.

B) POURQUOI ATTENDRE LE DECROCHAGE POUR PERSONNALISER ?

Aujourd’hui, hélas, notre système scolaire n’est capable de s’adapter à la situation d’un jeune que lorsqu’il a décroché. Tant que le jeune tient encore, même s’il souffre, même s’il se « noie », on conserve une logique de moule – illustrée par l’expression « collège unique » -, dans lequel tout le monde doit entrer. C’est seulement une fois qu’un élève est en rupture complète et qu’il est déscolarisé que tout devient permis pour tenter de le faire « raccrocher ». On peut alors faire du « cousu-main », avec des plateformes de remédiation, des micro-lycées… qui permettent de prendre le jeune là où il est, avec ses difficultés et ses talents. Ces dispositifs innovants, largement développés au cours des dernières années au sein de l’Education nationale, ont permis de trouver des solutions contre le décrochage scolaire, grâce à une grande capacité d’adaptation. Mais pourquoi faut-il attendre la dernière extrémité avant de réagir alors que, pour beaucoup, cette vision pyramidale est une fiction qui tient de moins en moins bien ?

Rappel de la mission de l’éducation dans les textes L’Article L 111-1 al 5 du Code de l’éducation prévoit que « le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté » L’article 29 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, quant à lui, énonce les finalités de l’éducation parmi lesquelles figure au tout premier rang celle de « Favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ». L’UNESCO définit l’éducation inclusive comme une éducation « fondée sur le droit de tous à une éducation de qualité qui réponde aux besoins d’apprentissage essentiels et enrichisse l’existence des apprenants. Axée en particulier sur les groupes vulnérables et défavorisés, elle s’efforce de développer pleinement le potentiel de chaque individu. Le but ultime de l’éducation de qualité inclusive est d’en finir avec toute forme de discrimination et de favoriser la cohésion sociale.”

C) INSTRUIRE OU EDUQUER ? FAUT- I L CHOISIR ?

Lorsqu’on aborde la nécessité pour l’école de développer tout le potentiel d’une personne et pas seulement

son intelligence spéculative, on craint parfois que cela se fasse au détriment des contenus et de la transmission

des savoirs. Comme s’il fallait choisir entre les savoirs et les compétences, entre le développement de

l’intelligence et celui des compétences psycho-sociales, entre apprendre et apprendre à apprendre.

Bien sûr, l’école est le lieu par excellence du savoir et si elle abandonne la transmission des contenus, les

jeunes qui n’ont pas, dans leur milieu social et culturel, ces apports seront les plus pénalisés. Mais il faut

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accepter de se remettre en cause sur la meilleure façon de transmettre et surtout, accepter que la personne

comme un tout.

Par exemple, certains sont tentés de fixer une barrière infranchissable entre l’éducation et l’instruction,

l’éducation devant relever de la sphère familiale, tandis que l’école serait uniquement le lieu de l’instruction.

Sur les réseaux sociaux, circulent des

messages avec cette "adresse aux parents",

qui est présentée comme une traduction

d'un panneau qui serait affiché dans une

école portugaise...

On comprend l'idée générale de ce

message qui traduit le découragement de

certains enseignants ayant le sentiment de

devoir assumer seuls des responsabilités

éducatives qui relèvent d'abord de la

sphère familiale, au détriment de leur cœur

de métier.

Mais pourquoi infantiliser ainsi les parents ?

Et pourquoi séparer ainsi l'école et les

familles ?

Pourquoi séparer éducation et instruction

de façon si caricaturale ? Comme si l’enfant

était un être coupé en deux, que les

professeurs instruiraient à l'école de 8h30 à

16h30 en s’adressant uniquement à son

cerveau, tandis que les parents

l'éduqueraient à la maison le reste du

temps…

Préférons l’idée de la continuité éducative entre les familles et l’école ! Il ne s’agit pas de mélanger les rôles –

les parents sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants et les professeurs ne sont pas là

pour les remplacer-, mais cherchons à additionner les forces plutôt qu’à les opposer ! Certes, l'école ne peut

pas tout, mais c'est lui faire injure que de considérer qu'elle se réduit à l'apprentissage de disciplines...

D'ailleurs, cet apprentissage a en lui-même des vertus éducatives. Pour prendre un exemple évoqué dans ce

message qui donne le sentiment que l'éducation à l'honnêteté relèverait de la famille, tandis que

l'apprentissage de l'histoire ou des mathématiques relèverait de l'école, il est à espérer que l'apprentissage de

ces disciplines dans le cadre scolaire contribue à donner aux jeunes générations le goût de la vérité.

Bref, séparer instruction et éducation est une vue de l'esprit. Nous devons au contraire veiller à éduquer la

personne dans toutes ses dimensions !

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Proposition 1 : Adosser à la Constitution une « charte de l’éducation », texte précisant les finalités des politiques éducatives dans notre pays, à l’image de la charte de l’environnement.

Ce texte ne devra pas être le fruit d’un travail en chambre, entre experts ou professionnels. Il devra être écrit

après une large consultation, impliquant l’ensemble de la société civile. A partir du moment où les Français

auront formulé « ce que nous voulons pour l’éducation », il deviendra plus simple de trouver les moyens de

l’atteindre, notamment d’un point de vue pédagogique.

Proposition 2 : Lancer des Etats généraux de l’Education mobilisant l’ensemble de la société civile, les acteurs éducatifs, les jeunes et les familles pour définir ensemble « ce que nous voulons pour l’éducation ».

2. Vive l’assemblage ! Il n’y a pas de « modèle » pur et parfait

A) QUAND LES METHODES DE VIENNENT SYSTEMES…

Dans un article éclairant, en annexe de ce rapport, Christine Rossignol montre qu’aucune pédagogie ne peut

prétendre embrasser toutes les composantes d’une situation d’apprentissage, tant les paramètres sont

nombreux. Les focus différents et complémentaires des différentes approches pédagogiques laissent aux

enseignants l’autonomie de bâtir leur propre assemblage. Assemblage dont l’efficience dépendra de deux

choses. D’abord, la qualité de la régulation pour que les choix se fassent en réponse aux besoins de l’enfant.

Ensuite, la clarté de l’enseignant sur la cohérence des visées de l’institution, des approches et sa propre visée.

Célestin Freinet lui-même mettait en garde contre la prétention de définir des modèles : « Nous sommes plus

préoccupés de bâtir pratiquement que de dresser aristocratiquement des constructions qui peuvent être parfois

des modèles, certes, mais qui restent des modèles inaccessibles à la grande masse des éducateurs. »29

.

Quand les méthodes pédagogiques deviennent des systèmes, elles se coupent du réel, des besoins de l’enfant,

de la nécessité d’observer et de s’adapter…

Il faut d’abord reconnaître que tout en prétendant s’appuyer sur les sciences de l’éducation, certains experts

ont fait fausse route et ont conduit à amplifier les problèmes qu’ils prétendaient combattre. Les dégâts de la

« méthode globale » pour l’apprentissage de la lecture sont l’exemple le plus dramatique d’un tel dévoiement.

Il arrive encore que des experts, davantage inspirés par une idéologie et une vision déterministe de la

sociologie que par une approche réellement scientifique, prêchent sur un ton péremptoire des théories qui ne

font l’objet d’aucune évaluation.

29 « L’Imprimerie à l’école (Technique nouvelle d’éducation populaire) », Célestin Freinet, L’imprimerie à

l’école, Vence, 1935.

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Dans un article approfondi sur les méthodes de lecture où il déplore les caricatures courantes sur ce sujet et où

il remet en cause ceux qui pensent avoir trouvé LA méthode parfaite pour apprendre à lire, Luc Cédelle,

journaliste au Monde, explique avoir être horrifié à la lecture d’une interview de Jean Foucambert, un des

principaux apôtres de la méthode globale : « Je ne crois pas me tromper beaucoup en avançant que

Foucambert considère la combinatoire (le b.a.-ba) comme un instrument de la bourgeoisie pour empêcher les

prolétaires de penser en réduisant la lecture à une procédure utilitaire. » Pour qui découvre la « guerre » qui

s’est jouée sur ce sujet pendant des années, on a peine à croire qu’il puisse y avoir des clivages « politiques »

sur la méthode de lecture. On se pince quand on apprend que, pour certains, le «décodage des lettres » serait

de droite, et « l’attention porté à la compréhension » serait de gauche. Les enfants et leurs parents n’en ont

rien à faire ! Ils veulent juste savoir lire, ce qui implique évidemment de décoder et de comprendre ! Serait-il

possible de tourner la page une bonne fois pour toutes sur ces histoires d’un autre temps pour n’avoir en tête

que l’intérêt des jeunes ?

Apprentissage de la lecture : la fin de la guerre des méthodes ? Les travaux scientifiques récents permettent désormais d’y voir plus clair et de proposer des remèdes à des difficultés qu’on attribue parfois trop vite à des problèmes cognitifs ou médicaux, alors qu’ils sont surtout liés à des problèmes de méthodes et d’apprentissage. S’ils écartent la « méthode globale » et insistent sur l’importance du codage et du décodage des syllabes et sur la lecture à voix haute, ils proposent des critères à respecter et à adapter selon les élèves plutôt qu’une approche fermée, à « appliquer les yeux fermés ». L’une des difficultés majeures tient au fait qu’entre une approche en laboratoire, portant sur le fonctionnement du cerveau, et ce qui se vit dans une classe, il y a un gouffre. Et c’est aux enseignants de faire le pont entre les enseignements de la recherche et la vie de l’école. S’en tenir à une méthode idéale « en théorie » n’est pas satisfaisant. Certains grands principes semblent cependant faire consensus, de Stanislas Dehaene à Roland Goigoux, deux chercheurs qui pourtant s’opposent sur bien des points. Ainsi, dans un texte de mai 2018, Roland Goigoux évoque-t-il un consensus de la recherche sur 3 points

30 :

« La nécessité d’un enseignement explicite des correspondances graphèmes-phonèmes, d’un entraînement au déchiffrage et à la lecture à haute voix et sur l’importance des activités d’écriture. » De même, un consensus est établi sur le fait que, « plus les élèves accèdent rapidement au déchiffrage, plus ils ont accès à la lecture autonome des textes ». Stanislas Dehaene, président du Conseil scientifique de l’Education nationale, propose quant à lui 7 grands principes

31 :

L’enseignement explicite du code alphabétique ; La progression rationnelle (en tenant compte de la fréquence, de la difficulté…) ; L’apprentissage actif associant lecture et écriture ; Le transfert de l’explicite vers l’implicite ; Le choix rationnel des exemples et des exercices ; La stimulation de l’engagement actif, de l’attention et du plaisir de l’élève ; L’adaptation au niveau de l’enfant. Dans un guide « Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP » à destination des enseignants diffusé au printemps 2018, le ministre Jean-Michel Blanquer reprend certains de ces principes, en « forçant » le trait sur certaines exigences (ne pas recourir à l’apprentissage/la reconnaissance de mots clés avant de savoir les déchiffrer…), sans doute pour marquer une distance nette avec les approches globales.

30 « Formation de formateurs dans le domaine de l’enseignement de la lecture et de l’écriture au cours

préparatoire », Roland Goigoux, Mai 2018. 31

« Apprendre à lire. Des sciences cognitives à la salle de classe », Odile Jacob, 2011.

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Même si le sujet reste « sensible », on peut espérer un apaisement dans les années à venir… Vu les piètres résultats des élèves français, n’est-ce pas une cause nationale qui devrait rassembler les bonnes volontés ?

Beaucoup d’étudiants en Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Enseignement (ESPE) se plaignent, encore

aujourd’hui, d’une formation peu rigoureuse. Ils préféreraient que tous leurs formateurs soient au moins un

minimum au contact direct des élèves, avec une grande expérience pratique. Cela éviterait le prêche de

généralités qui ne s’appuient sur aucune preuve. Certains experts en pédagogie appliquent auprès des

enseignants qu’ils forment toutes les pratiques qu’ils condamnent lorsqu’il s’agit des élèves : infantilisation,

refus du débat et de la remise en cause, absence d’évaluation…. Récemment, lors d’une rencontre organisée

pour des enseignants, un pédagogue donnait une conférence aussi intéressante que paradoxale sur « la classe

inversée » (voir plus loin), pratique qui invite les professeurs à utiliser le temps en classe pour des activités

centrées sur l’élève plutôt que pour de la transmission directe de savoirs, centrée sur l’enseignant. Même si

elle n’est pas la solution miracle à tous les problèmes de l’école, bien menée, cette pratique peut avoir de

l’intérêt et des vertus pédagogiques. D’ailleurs, beaucoup d’enseignants la pratiquent déjà à leur manière, plus

ou moins ponctuellement. Mais dans le cas présent, la conférence était donnée par un chercheur en pédagogie

qui expliquait à quel point le cours magistral était dépassé alors même que son propre exposé, par ailleurs

passionnant et drôle, en avait tous les aspects : pendant une heure, sur une estrade, un orateur devant un

amphithéâtre avec un public attentif pour l’écouter et prendre des notes… Il faisait bien malgré lui la

démonstration qu’avec du talent, on peut être un excellent pédagogue en s’appuyant sur des schémas

traditionnels.

B) UN PEU D ’HUMILITE : PERSONNE N ’A LA SOLUTION MIRACL E !

Le reproche majeur qu’on peut faire aux experts en sciences de l’éducation, c’est leur propension à considérer

que l’approche qui trouve grâce à leurs yeux a vocation à s’appliquer partout, en toutes circonstances, quel que

soit l’enfant et son âge. Pris d’enthousiasme pour une méthode, ils en viennent parfois à croire que c’est la

panacée et qu’il faut d’urgence la généraliser. On constate ensuite un emballement étonnant pour telle

approche qui devient peu à peu incontournable, avec des effets de mode déroutants. En retour, naissent

immédiatement des réactions négatives. Se mettent alors en place des oppositions frontales, bien éloignées du

réel. Tous sont sommés de choisir : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi ». Par exemple, entre une

logique « constructiviste » et une logique « descendante » : l’enfant comme producteur de ses propres savoirs,

à force de recherches et de tâtonnements, ou bien l’enfant comme réceptacle d’un contenu qu’il doit

« ingurgiter » passivement.

Evidemment, on ne peut pas choisir entre deux approches aussi caricaturales. D’ailleurs, dans ces cas-là, choisir

est une « hérésie », au sens étymologique du terme32

. On pense à la formule de Chesterton33

qui s’applique la

plupart du temps aux grandes polémiques éducatives dont la France a le secret : « Le monde s’est divisé entre

conservateurs et progressistes. L’affaire des progressistes est de continuer à commettre des erreurs. L’affaire

des conservateurs est d’éviter que les erreurs ne soient corrigées. ». En matière éducative, il faut bien souvent

concilier des approches qui se complètent, plus qu’elles ne s’opposent, et les adapter en permanence selon les

jeunes, selon les âges, selon les disciplines. Par exemple, lier apprentissage et transmission ; parier autant sur la

32 Du grec, choix.

33 « The Illustrated London News », Chesterton, le 19 avril 1924, cité par Julia David dans « Ni réaction ni

révolution. Les intellectuels juifs, la critique du progrès et le scrupule de l’histoire », L’Harmattan, Avril 2013.

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capacité de l’enfant à chercher par curiosité que sur la responsabilité de l’adulte à lui transmettre. C’est tout

l’enjeu d’une vraie pédagogie.

Il y a toujours une part d’ambiguïté dans la critique du « pédagogisme ». D’une part, elle fait porter la

responsabilité de l’échec éducatif sur quelques « bêtes noires » identifiées comme les « assassins de l’école »34

,

selon le titre d’un ouvrage récent de la journaliste Carole Barjon qui ciblait nommément certains inspirateurs

des grandes réformes pédagogiques des dernières décennies… Il est normal que l’on demande des comptes à

ceux qui contribuent, directement ou indirectement, à la définition du système scolaire. Mais cette critique est

parfois une façon de mieux nous dédouaner de notre propre responsabilité et de nos propres renoncements.

D’autre part, le réquisitoire contre le « pédagogisme » sert parfois de prétexte à un rejet en bloc de l’idée

même de pédagogie. Pourtant, contrairement à ce qu’on pourrait penser à force de se moquer des

pédagogues, notre éducation en manque cruellement ! Le succès en librairie des ouvrages inspirés de la

pédagogie Montessori témoigne de cette quête des parents et des enseignants. Même si leur apport est

précieux, il est dangereux de penser que les neurosciences – aussi utiles soient-elles ! – vont dispenser demain

les éducateurs de toute réflexion pédagogique, sous prétexte qu’un scanner du cerveau suffira à juger toutes

les pratiques. Même si la connaissance des mécanismes du cerveau est une avancée indéniable, l’éducation

n’est pas un protocole technique. Le scientisme ne remplacera jamais la relation. Nous avons insuffisamment

recours aux approches pédagogiques rigoureuses, fondées sur une prise en compte des contenus dans leur

singularité et des élèves dans leur personnalité.

Il revient aux enseignants de fonder leurs pratiques sur des travaux scientifiques rigoureux, sur leurs

compétences et leurs talents propres, et surtout sur les besoins des jeunes. Offrons-leur les moyens de se

former aux meilleures sources, de se ressourcer et d’évaluer leurs pratiques en continu… et faisons-leur

confiance !

Les parents semblent reconnaître cette nécessité d’un « assemblage », loin des options trop tranchées. En

réponse à la question « Faut-il que l’école s’adapte aux enfants ou bien faut-il que l’enfant s’adapte à

l’école ? », ils répondent dans une grande majorité (60%) : « Les deux »35

.

34 « Mais qui sont les assassins de l’école », Carole Barjon, Ed. Robert Laffont, 2016.

35 Sondage BVA pour Apprentis d’Auteuil, novembre 2018.

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II. Des pratiques fécondes pour une

éducation intégrale : tous les

enfants et tout l’enfant

CHAPITRE II

Des pratiques fécondes pour une éducation intégrale :

tous les enfants et tout l’enfant

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Il ne s’agit pas dans cette partie de dresser un catalogue exhaustif de « bonnes pratiques » pédagogiques. Ce

serait impossible. Ce serait surtout en contradiction avec le propos que défend ce rapport : il n’y a pas un

modèle à appliquer en fermant les yeux. Nous avons voulu valoriser la diversité des approches, montrant la

capacité d’innovation des équipes éducatives pour mieux transmettre aux jeunes générations. Nous avons

aussi cherché dans les différentes approches, des points de convergence qui répondent à des besoins éducatifs

actuels.

Ce rapport ne prend pas position pour telle ou telle approche. Il n’est pas un « banc d’essai » des méthodes

pédagogiques ou un guide didactique pour transmettre tel savoir ou développer telle compétence. Nous avons

identifié 7 grands leviers qu’on retrouve dans beaucoup d’approches et qui permettent aux élèves de mieux

apprendre :

Personnaliser les parcours ;

Susciter et développer la motivation et la participation ;

Considérer l’enfant dans sa globalité ;

Faire pour apprendre ;

Construire avec les autres ;

Associer les familles ;

Réinventer la relation enseignant/enseigné.

Et nous avons voulu consacrer un développement au numérique.

Personnaliser les parcours 1.Que faire lorsqu’on a en face de soi des enfants qui ne sont pas « scolaires », c’est-à-dire qui ne s’adaptent pas

parfaitement aux attentes de l’école ? C’est la question qui se pose au quotidien dans les établissements

d’éducation spécialisée qui accompagnent des enfants avec des besoins spécifiques, liés à un handicap, à des

troubles. Ces établissements ont développé des fonctionnements dont on peut s’inspirer pour tous les autres.

En effet, l’élève « typique » n’existe pas, il n’y a que des enfants différents, comme le constate chaque jour

n’importe quel éducateur. Chacun doit composer avec les talents, les manques, les difficultés, les besoins

particuliers des enfants particuliers qui lui sont confiés. Si on ne peut pas amener l’élève à s’adapter à ce qu’on

attend de lui, sur quoi peut-on jouer ? De nombreuses initiatives ont souligné qu’on pouvait intervenir sur le

cadre lui-même, en particulier sur le rythme des apprentissages qui sont actuellement proposés dans le temps

limité consacré à une année de programme. On peut également jouer sur la façon de transmettre le contenu

du programme, en adaptant le contenu à chacun.

Différenciation, individualisation, personnalisation ? "La différenciation et l’individualisation sont des modes d’organisation pédagogiques permettant la mise en œuvre du processus de personnalisation. Ainsi la différenciation de la pédagogie, ou pédagogie différenciée, "met en œuvre un cadre souple où les apprentissages sont suffisamment explicités et diversifiés pour que les élèves puissent travailler selon leurs propres itinéraires d’appropriation tout en restant dans une démarche collective d’enseignement des savoirs et savoir-faire communs exigés" (Halina Przesmycki, « La pédagogie différenciée », Hachette éducation, 2004). Autrement dit, l’enseignant gère le temps scolaire en alternant des moments de travail avec l’ensemble du groupe (classe), des moments de travail en sous-groupes et des moments de travail individualisé. Pour ce qui concerne l’individualisation, il s’agit d’un mode d’organisation pédagogique dans lequel l’élève travaille de manière individualisée, en fonction de ses acquis et de ses besoins, avec l’aide d’un plan de travail et des consignes lui permettant d’effectuer les tâches scolaires en

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autonomie, pendant un temps donné avec, si nécessaire, des ressources qui lui sont fournies ou qu’il va chercher. L’enseignant intervient en appui, explicite, conseille… L’un des travers de ces approches peut être de survaloriser la dimension individuelle au détriment de la dimension collective, comme si l’enfant était une « particule » indépendante, sans lien avec sa classe. L’idée de « personnalisation » insiste quant à elle sur la notion de « personne », c'est-à-dire comme un être en relation avec les autres et son environnement. Personnaliser une situation d’apprentissage, c’est trouver un équilibre entre l’individuel et l’interactif, la prise en compte des singularités et la coopération entre pairs dans un cadre de référence commun. N’oublions pas de mettre la relation au cœur du projet éducatif. Certes, il s’agir pour l’enfant de devenir progressivement un homme ou une femme libre, mais la liberté véritable est un fruit de l’éducation. Elle grandit dans la relation, à travers « des liens qui libèrent ». Développer cette approche personnelle et communautaire, prendre soin à la fois de la personne et de la communauté est sans doute l’un des défis majeurs pour les éducateurs de notre temps marqué par l’individualisme, les tentations identitaires et l’emprise de la technique. Comme le signale Philippe Meirieu dans son dernier ouvrage, « La Riposte

36 », il faut prendre garde :

un dévoiement des approches pédagogiques peut avoir comme conséquence un aggravement d’une tendance individualiste. L’école, la classe, ne doivent pas être perçue comme des obstacles à l’épanouissement personnel. Elles sont des communautés éducatives qui doivent contribuer à la croissance de chacun de leur membre. « Différencier, c’est avoir le souci de la personne sans renoncer à celui de la collectivité. », résume Philippe Meirieu. A noter : au collège, seuls 22 % des enseignants français déclarent pratiquer un enseignement différencié, contre 44 % en moyenne dans les pays ayant participé à l’enquête TALIS 2013.

A) ADAPTER LE RYTHME A C HACUN

Les classes multi-niveaux

Par la force des choses, beaucoup d’écoles de France qui ne sont pas en ville ont des classes multi-niveaux, car

les enfants ne sont pas en nombre suffisant dans chaque classe d’âge pour ouvrir une classe simple. Cette

réalité des écoles de campagne a été montrée avec beaucoup de délicatesse dans le film de Nicolas Philibert,

« Etre et avoir ». Les plus grands et les plus petits vivent et apprennent ensemble à des rythmes différents sous

le contrôle d’un seul adulte.

Mais, plus profondément, même avec des enfants nés la même année, les enseignants ont des classes « multi-

niveaux ». Car un âge unique ne signifie pas un niveau unique, des capacités uniques, une façon de travailler

unique. La présence d’un enfant avec des besoins spécifiques (porteur de handicap, dys…) renforce cette

situation. C’est ainsi que, de fait, chaque enseignant est amené à faire de la pédagogie différenciée au sein de

sa classe. Cet exercice est difficile pour l’adulte qui peine à se partager dans des classes à effectifs importants,

et pour lequel une homogénéité des profils permettrait probablement d’aller plus vite.

A l’international, des expériences fructueuses nous donnent un éclairage sur la réalité des classes multi-

niveaux. Karin Boller, la directrice de l’école Kurmi Wasi, dans la montagne bolivienne, résume le principe, qui

semble universel : « Nous avons commencé à travailler sous cette forme, du fait du nombre réduit d’élèves par

groupe, mais nous avons vite découvert que cela présentait de nombreux avantages pédagogiques. Dans une

classe multi-niveaux, l’enfant a la possibilité de prendre de l’avance sur les contenus, mais de suivre aussi le

rythme du groupe qui travaille les fondamentaux de la leçon. Chaque enfant travaille avec le groupe selon son

propre rythme ».

36 « La Riposte – Ecoles alternatives, neurosciences et bonnes vieilles méthodes », Philippe Meirieu, Editions

Autrement, 2018.

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Il y a deux sortes de classes : celles mêlant des âges soudés, comme un CP-CE1 par exemple, ou même tous les

niveaux de primaire ensemble quand le nombre d’enfants permet seulement d’ouvrir une classe unique ; et

celles avec des âges disjoints, comme le CP-CM2 de l’école Victor Hugo de Colombes.

EXEMPLE : CLASSE UNIQUE ET ECOLE RURALE

Le réseau Canopé propose un site dédié aux problématiques spécifiques des classes uniques :

« L’école à classe unique fait cohabiter plusieurs niveaux d’enseignement, souvent deux ou trois, parfois plus

encore. C’est ce qui détermine avant tout les contraintes pédagogiques auxquelles l’enseignant est confronté.

La contrainte spécifique des classes uniques est celle de la gestion d’un groupe d’élèves de taille réduite mais

hétérogène par la différence d’âge, surtout dans les cas les plus extrêmes où coexistent dans la même classe,

par exemple, les cinq niveaux (du CP au CM2).

Il existe des fondamentaux de l’enseignement en classe unique : différenciation pédagogique, pédagogie

active, projets coopératifs sur le long terme, apprentissage des pratiques de travail autonome et mise en

autonomie des élèves sur des temps spécifiques. L’organisation matérielle de la classe joue un rôle important

et, par voie de conséquence, les moyens aussi.

Selon Catherine Rothenburger, chercheuse et enseignante en milieu rural dans une classe unique mêlant tous

les primaires, « la classe s’entend plus comme une fratrie que comme une classe ». La plupart des enfants

viennent déjà en fratrie, puisque toutes les familles du village sont là. Puis les enfants se voient en dehors de

l’école, au stade, ou chez eux. Ils ont l’habitude de jouer ensemble, et de vivre ensemble. De fait, la classe

engendre un autre mode de relations entre élèves dans lequel la collaboration joue un rôle central.

L’enseignante s’appuie sur ce fonctionnement dans de nombreuses situations. Par exemple, elle observe les

articulations qu’il y a entre les enfants. Elle a identifié des binômes harmonieux qu’elle a placés côte-à-côte sur

derrière les tables, en privilégiant des âges différents afin de pouvoir utiliser les ressources des plus âgés, tout

en développant leurs compétences de transmission. L’effet « grand frère » profite ainsi aux plus jeunes, mais

également aux plus âgés qui ont l’occasion de revoir leurs fondamentaux, et qui apprennent également

beaucoup en transmettant.

On souligne surtout deux inconvénients de la classe unique en milieu rural. D’une part, avoir le même

enseignant du CP au CM2 peut constituer un avantage en matière de suivi des progressions, mais aussi un

redoutable inconvénient si les relations sont mauvaises entre un enseignant et un élève. Ce qui n’est pas vrai

dans les cas d’intégration de classes à cours multiples dans d’autres contextes, où plusieurs classes

fonctionnent à côté. D’autre part, on regrette que les compétences développées par les élèves dans les classes

uniques soient très mal valorisées ailleurs. Ainsi, l’autonomie, la coopération horizontale et verticale ont moins

de place au collège ou même simplement dans une école plus grande qui fonctionne de façon classique.

De nombreux facteurs ont contribué à la diminution très rapide de leur nombre depuis soixante ans :

démographie, exode rural, politiques de regroupements plus ou moins négociées, financement, méfiance des

parents envers un type d’enseignement suspecté de ne pas donner toutes leurs chances aux élèves. Pourtant,

c’est l’inverse qui se produit, et aujourd’hui elles apparaissent en ville par choix pédagogique.

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A la rentrée 2014, 49 % des élèves de l’école publique étaient dans des classes multiniveaux (dont 85 % à deux

niveaux) : 75 % des élèves ruraux et 40 % des élèves urbains. »37

Comme le signale le réseau Canopé, les résultats des classes à niveau unique semble bon : « L’enquête publiée

en 1995 dans le no 43 de la revue « Éducation et Formation » donne l’avantage aux écoles rurales et, dans

celles-ci, aux classes à cours multiples : les classes à cinq niveaux obtiennent les meilleurs scores aux tests

d’évaluation en mathématiques et en français. »

Cependant, il faut reconnaître qu’une majorité de parents (65%)38

est hostile au principe des classes multi-âges.

Dans leur raisonnement, cela renvoie vraisemblablement à l’idée d’une école qui manque de moyens et qui

mélange tout le monde sans considération pour le niveau de chacun, alors même qu’en réalité, les classes

multi-âges forcent à la différenciation.

EXEMPLE : LE CP-CM2 DE L’ECOLE VICTOR HUGO DE COLOMBES (92)

D’avance, les enfants sont « choisis » pour faire partie de cette classe. On y mêle des profils d’enfants ayant

une attitude d’élèves, c’est-à-dire avec un minimum d’autonomie et de sens de la consigne. Ce qui ne signifie

pas qu’ils soient plus doués que les autres. Le niveau n’est pas un critère. La classe ne dépasse pas 24 élèves, 12

de chaque âge. L’idée est de s’appuyer à la fois sur l’autonomie des élèves et sur la transmission entre enfants,

qui ont fait leurs preuves. Le maître commence par expliquer une consigne aux petits. Il est essentiel qu’elle

soit bien comprise puisque la réalisation de l’exercice se fera lorsqu’il s’occupera des grands. Ce qui exige de la

part de l’enseignant d’être très clair, concis et précis, et de valider en permanence : « Qui veut bien redire la

consigne ? ». L’enfant apprend déjà à être bien présent. Les plus grands, de leur côté, rangent, préparent leur

travail, avancent sur leurs dossiers, révisent, en attendant leur tour. Ils réinventent dans les faits le principe de

travaux en autonomie modélisé par Freinet. Puis, l’enseignant les regroupe à leur tour pour leur expliquer une

nouvelle notion.

Après quelques mois, les grands peuvent devenir des tuteurs. C’est-à-dire qu’ils peuvent accompagner le travail

des plus petits avec une consigne centrale : ne pas faire à la place. Ce système de tutorat s’exerce de plusieurs

façons : un plus grand avec un petit, mais aussi un enfant plus avancé avec un autre du même âge. L’enseignant

37 https://www.reseau-canope.fr/ecole-rurale-et-reussite-scolaire/lecole-en-milieu-rural.html

38 Sondage BVA pour Apprentis d’Auteuil, novembre 2018.

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s’appuie sur l’expertise du cerveau enfantin pour « débloquer » une incompréhension d’un élève.

Si ni l’enseignant, ni le plus grand, ni l’enfant-pair ne réussit à faire comprendre une notion, l’enseignant

n’hésite pas à demander à un autre enseignant ou aux Réseaux d’Aides spécialisées aux Elèves en Difficulté

(RASED). L’idée étant de rester humble face aux limites de chacun, toujours dans l’intérêt de l’enfant, et de

passer de « moi » éducateur » à « nous » enseignants de l’enfant. Si au terme de ces essais l’enfant n’a toujours

pas réussi à surmonter une difficulté, l’enseignant saura qu’il doit travailler avec les autres membres de la

communauté éducative, à commencer par les parents, afin de venir en aide à l’enfant qui traverse peut-être un

événement difficile ou dont on découvre une difficulté particulière.

Le travail d’équipe et de recul sur soi est particulièrement valorisé. D’ailleurs, un exercice préconisé dans

l’école est de simuler une « caméra fond de la classe ». L’enseignant essaie de se voir agir, mentalement,

d’analyser ce qui a fonctionné, ce qui a fait décrocher l’un ou l’autre, etc. Cet exercice peut même être réalisé

avec le regard réel d’un autre enseignant bienveillant.

EXEMPLE : A L’ECOLE-COLLEGE DECROLY A SAINT MANDE (94)

La communauté scolaire Decroly est un établissement public accueillant environ 350 enfants de 3 à 15 ans. Elle

assure aux enfants une scolarité pendant 12 ans, de l’entrée à la maternelle à la fin de la 3e,

« Les modules regroupent des enfants d’âges différents (groupes de 7e/6

e, 6

e/5

e, 5

e/4

e, 4

e/3

e). Ainsi,

chaque enfant de 6 e

, 5 e

et 4 e

se retrouvera, à divers moments de la semaine, en tant que plus jeune ou en tant

que plus âgé d’un groupe.

Dans son petit groupe de travail, il peut aider, être aidé, expliquer, proposer une solution plus

expérimentale, se rattachant davantage à du concret, ou déjà utiliser des démarches plus conceptuelles.

Les connaissances, les outils de travail des enfants étant effectivement différents, il sera possible alors de

confronter des démarches différentes, de retravailler des notions mal ou pas assimilées, ou d’aller au-delà de

ce qui est habituellement proposé à une classe d’âge. »39

Le rythme des apprentissages guidé par l’enfant

EXEMPLE : CHACUN CHOISIT SON RYTHME. PEDAGOGIE MONTESSORI

« Il importe de laisser faire la nature le plus librement possible et, plus l’enfant sera libre dans son

développement, plus rapidement et plus parfaitement il atteindra ses formes et ses fonctions supérieures. »

Nous touchons à un fondement de la pédagogie Montessori. C’est l’enfant qui sait s’il est prêt, c’est lui qui

passe à une activité plus complexe quand il a épuisé les ressources de la précédente. L’adulte ne décide pas de

l’âge auquel il doit acquérir telle ou telle compétence. C’est lui qui « absorbe » à travers ses expériences. C’est

en effet en laissant un enfant faire ses propres expériences et mener ses apprentissages en suivant ses besoins,

qu’il va devenir maître de ses choix et de son existence. L’idée clef est l’autonomie, sachant que cette

indépendance nourrit la curiosité naturelle de l’enfant, qui n’est pas entravée par la demande de l’adulte.

L’enfant fait ses découvertes et ses recherches quand il est prêt, et de même ne s’attarde pas sur quelque

chose d’acquis. Il a sa propre temporalité et, en ce sens, reste toujours au maximum de ses capacités. Le rôle

39 Source : www.decroly.fr

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de l’adulte est d’accompagner ce développement, en présentant le nouveau matériel à l’enfant qui en est à

cette étape, en le laissant agir par lui-même, et surmonter seul ses difficultés, en le laissant face à ses erreurs

sans intervenir, sauf à se réjouir d’un succès obtenu, afin de maintenir très serrée la motivation interne

(cf. prochaine partie).

Comment se passe une journée type au sein d'un établissement montessorien ?

Les enfants travaillent pendant des intervalles de deux heures et demi minimum sans interruption afin que

chacun puisse atteindre le degré optimal de concentration. Celui-ci est personnel à chacun et n'est jamais

atteint lorsque l’enfant est interrompu dans son travail à un mauvais moment. C’est pourquoi il n’y a pas de

récréation commune à tous et à heure fixe pendant la matinée ou l’après-midi. Chaque enfant se fait des

pauses intellectuelles quand il en a besoin en allant dans la bibliothèque ou dans le coin réservé à l’atelier d’art.

Ainsi il se ressource sans gêner les autres. Une grande récréation permet aux enfants de s’aérer à l’heure du

déjeuner et la journée se termine plus tôt que dans les écoles traditionnelles pour permettre aux enfants de

bien se dépenser physiquement et de s’aérer40

.

De façon générale, ce respect du rythme propre de chacun, des différences et du développement de sa

personnalité sont des notions que l’on retrouve de façon centrale chez les principaux penseurs des pédagogies

alternatives, comme Montessori, Freinet et Decroly.

B) S’ INSPIRER POUR TOUS D ES INIT IATIVES PENSE ES AU DEPART POUR

QUELQUES-UNS

Sur les 350 000 enfants handicapés scolarisés en France, 80% le sont en milieu ordinaire (dont 30% en classes

ULIS – Unités localisées pour l’inclusion scolaire). On peut s’en réjouir. Ces enfants sont massivement arrivés

récemment. Ils n’étaient que 100 000 en 2006. Mais dans leur grande majorité, ni les classes, ni les professeurs

ne sont préparés à les accueillir. La formation initiale des professeurs comporte seulement 12 h pour l’accueil

de l’enfant handicapé. Or, on sait que les spécificités de ces enfants revêtent des réalités extrêmement

différentes. Il est très difficile de les faire rejoindre le peloton d’élèves qu’on a déjà le plus grand mal à

homogénéiser. Beaucoup d’enseignants se retrouvent en difficulté majeure et certains militent en faveur du

retour de ces enfants en institution spécialisée. En face, les professionnels du secteur spécialisé s’émeuvent de

la condition d’accueil des enfants handicapés dans le secteur « ordinaire » et freinent les départs. Ils déplorent

le phénomène répandu du « fond de la classe avec l’AVS » qui détonne avec la participation pleine des enfants

au sein des petits groupes dans les institutions dites adaptées.

L’idée serait donc de ne plus chercher à ce que tous les enfants atteignent le même niveau à la fin de l’année.

Mais que chaque enfant développe son plein potentiel, quel qu’il soit. Cette approche, centrée sur le niveau

réel de chaque enfant et non le niveau prévu de la classe bénéficierait à chaque enfant, qu’il soit dyslexique,

dyspraxique, en difficulté attentionnelle, précoce, avec des retard dus à sa condition sociale, ou tout

simplement qu’il soit plus ou moins avancé dans un domaine plus qu’autre, ce qui est le cas de la totalité des

enfants. Ils partent avec des capacités et des talents différents, ils arrivent avec des compétences différentes.

C’est profondément égalitaire, car chacun a reçu exactement ce dont il avait besoin.

C’est bon pour un enfant « différent », c’est bon pour tous.

40 Source : Plurielles.fr : « La méthode Montessori : pour des enfants stimulés, curieux et autonomes ».

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Des attentes différentes pour chacun

EXEMPLE : LE GEVASCO A LA DAUPHINELLE, COLOMBES (92)

Le Gevasco (Guide d’évaluation scolaire) est un outil qui permet de procéder à l'évaluation des élèves en

situation de handicap depuis 2012. Il permet de décider quels vont être les apprentissages à privilégier pour

chaque enfant dans l’année à venir. Il permet de recueillir des informations relatives à chaque enfant

handicapé en situation scolaire au regard de ses activités d'apprentissage, de sa mobilité, de sa sécurité,

des actes essentiels de la vie quotidienne, de ses activités relationnelles ou de sa vie sociale.

C’est en quelque sorte un diagnostic individuel de chaque enfant avec le regard croisé des enseignants,

des personnels médicaux ou sociaux, en présence de l'élève et de ses parents. Ce projet précise l'orientation et

peut comporter le recours à une aide humaine, à du matériel pédagogique adapté, à des aménagements

pédagogiques. Son intérêt c'est qu'il prend en compte les acquis de l'élève et non ses incapacités.

Il est renseigné au sein des établissements scolaires par les équipes éducatives ou les équipes de suivi de la

scolarisation réunies par l'enseignant référent, en présence de l'élève et de ses parents, puis adressé à la MDPH

(Maison départementale des personnes handicapées). L'équipe pluridisciplinaire de la MDPH analyse alors les

besoins de l'élève et propose à la CDAPH (Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes

handicapées) toutes les mesures nécessaires qui concourent à la scolarisation. Ces mesures sont organisées au

sein du projet personnalisé de scolarisation de l'enfant, projet qui précise l'orientation et peut comporter le

recours à une aide humaine, à du matériel pédagogique adapté, à des aménagements pédagogiques...

Chaque enfant, handicapé ou non, a ses compétences propres et ses besoins spécifiques, ses acquis et ses non-

acquis, ses talents et ses problématiques, ses conditions de vie particulières. L’outil Gevasco serait donc

particulièrement opportun à tout enfant dit « ordinaire » qui ne se limite pas à la photographie « acquis/non-

acquis » que donnent des évaluations classiques faites par un intervenant unique, l’enseignant.

EXEMPLE : LES PROGRAMMES PERSONNALISES DE REUSSITE EDUCATIVE

Outre les programmes d’accueil pour les enfants en situation de handicap ou souffrant de troubles

d’apprentissage, le ministère de l’Education nationale prévoit la mise en place de programmes adaptés aux

jeunes qui ont une maîtrise insuffisante de certaines compétences, notamment en français et en

mathématiques (et en langue vivante au collège) : les programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE).

Ce programme, proposé par l’équipe éducative à l’enfant et à sa famille comme un contrat, prévoit un plan

d’actions pour compenser les retards détectés et des évaluations pour mesurer les progrès effectués. Limité

dans le temps, un PPRE peut être reconduit.

EXEMPLE : LE PARCOURS PERSONNALISE DU JEUNE A APPRENTIS D’AUTEUIL

Pour chaque jeune accueilli dans un établissement d’Apprentis d’Auteuil est mis en place un « Parcours

personnalisé du jeune ».

> Un accompagnement à travers des entretiens individuels et des temps de bilan avec tous les acteurs engagés

dans cette démarche.

> Un engagement clair et réalisable du jeune, de sa famille et des professionnels de l’établissement.

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> Un écrit établi à partir d’un bilan qui indique des objectifs explicites et compris de tous, les moyens mis en

œuvre par chacun, jeune, adulte, famille, et le délai.

> Les objectifs peuvent relever de plusieurs domaines comme savoir être, compétences sociales ou scolaires,

orientation, stages…

> Un outil d’autoévaluation visant à développer une image positive de soi.

> Un écrit dynamique réactualisé dans les objectifs et les moyens mis en œuvre.

Le Parcours personnalisé du jeune fait le lien entre le jeune, l’éducateur et le professeur référents et la famille.

Il concrétise le projet d’établissement pour chaque jeune. Ce qui prime avant tout, ce n’est pas la situation

dans laquelle le jeune arrive, mais la confiance que les adultes lui portent pour l’aider à se construire. Réduire

l’écart entre ce qui est demandé à un jeune et ce qu’il peut réussir engage une dynamique de progrès.

EXEMPLE : LA PLATEFORME DE REMOBILISATION SCOLAIRE D’APPRENTIS D’AUTEUIL

A Paris, dans le 9e arrondissement, une plateforme de remobilisation scolaire a été ouverte par Apprentis

d’Auteuil pour favoriser le « raccrochage » scolaire de jeunes placés à l’Aide sociale à l’Enfance en situation de

décrochage. Le dispositif fonctionne en « sur mesure ». Il permet de suivre sur place jusqu’à 8 jeunes, tout en

assurant le suivi continu de 14 jeunes.

Lorsqu’un jeune placé décroche, le chef de service ou l’éducateur référent font remonter le cas. Après un

rendez-vous d’admission, un stage d’observation de 15 jours commence, avec 4 types d’ateliers (planification

des tâches, cuisine, sport…). A l’issue de ce stage d’observation, un parcours « sur mesure » de 4 semaines est

construit pour chaque jeune, en lien avec son école, avec un emploi du temps individualisé. Cette période

comprend des ateliers de remise à niveau, des ateliers individuels, des ateliers collectifs (atelier philosophie,

atelier « improvisation », atelier « revue de presse »…)… Le suivi personnalisé est assuré par des éducateurs qui

sont formés aux pratiques de recherches-actions et s’inspirent de la « pédagogie institutionnelle. » Un tableau

de suivi, avec des « indicateurs de remobilisation » permet de « mesurer » les progressions du jeune et sa

capacité à retourner dans l’établissement scolaire. L’outil est utile pour le jeune qui voit où il en est, pour

l’équipe d’éducateurs qui peut ajuster ses interventions et revoir ce qui ne marche pas. Il sert aussi de base

pour le dialogue avec les enseignants afin de préparer la réintégration scolaire. La période de 4 semaines est

renouvelable. A la sortie du dispositif, les éducateurs gardent le contact avec le jeune, sa famille et les

éducateurs. Ce suivi dans la durée est l’une des clés du succès du dispositif.

Cette plateforme qui s’adresse aux jeunes décrocheurs permet aussi de maintenir la mobilisation d’un jeune en

attente d’une orientation adaptée. C’est par exemple le cas pour des jeunes mineurs non accompagnés (MNA).

Les éducateurs soulignent d’ailleurs l’impact positif de ces jeunes migrants sur les autres élèves : « Ils sont très

motivés, avides d’apprendre et suscitent donc une plus grande mobilisation des autres jeunes. »

EXEMPLE : UN RENDEZ-VOUS POUR CHAQUE JEUNE AVEC LE DIRECTEUR

Une fois par trimestre, le directeur de l’école du Puy-du-Fou – la Puy-du-Fou Académie - reçoit chaque jeune

pour un entretien personnel (Il n’y a que 100 élèves dans l’école). Deux questions structurent l’entretien :

« Etes-vous heureux à l’école ? Quels sont les points sur lesquels vous avez progressé ? ». A travers ces

rencontres, le directeur manifeste son attention à la progression et au bien-être de chacun des élèves. En lien

avec les enseignants et les parents, il peut alors proposer pour chacun une réponse adaptée.

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Des professionnels différents au sein des établissements

EXEMPLE : L’ART THERAPIE, BARBARA LAU, ECOLE SOCIOCRATIQUE DE GOMETZ-LE-CHATEL (91)

A l’école sociocratique, on a voulu réduire le stress qui empêche de se concentrer et, de façon générale, de

travailler. Chaque semaine, Barbara Lau, art-thérapeute, vient proposer de courtes séances individuelles de

drama-thérapie pour les enfants qui en ont besoin (de « drama », le drame, le théâtre, car il s’agit d’une

technique utilisant la mise-en-scène des situations et des émotions). Barbara pratique en effet la DVT

(Developmental Transformation), une technique qu’elle est la première à proposer en France, mais qui a été

initiée dans les années 1980 aux Etats-Unis par David Read Johnson, docteur en psychologie. Elle a pour but de

diminuer la tension en libérant ses traumatismes. Le thérapeute et le patient inventent un jeu de rôle, des

espaces d’improvisation où les situations difficiles sont symbolisées - parfois les rôles inversés - afin d’être

rejouées en toute sécurité intérieure. Le corps a toute sa place, on y écoute ses blocages et ressentis. Une

quinzaine de minutes suffisent pour que les situations se dénouent. Une fois le stress déposé, l’enfant peut

retourner avec son groupe et reprendre sereinement les apprentissages. Il arrive que le travail se poursuive sur

plusieurs séances, mais pas forcément. C’est l’enseignant qui repère les élèves qui pourraient être aidés par

cette technique et qui les envoie une ou plusieurs fois auprès de Barbara.

Elle anime aussi parfois des séances de groupe. Par exemple, les enfants se déplacent entre des carrés dessinés

au sol qui symbolisent différentes émotions. L’idée est toujours de faire s’exprimer les émotions afin de les

remettre à leur place et de pouvoir ainsi s’épanouir et rester concentré sur sa tâche d’élève, sans être

perturbé. Le principe est d’apprendre à s’adapter aux changements en s’appuyant sur ses ressources internes.

La méthode est applaudie par les enseignants qui y ont recours aussi pour eux-mêmes à l’occasion.

EXEMPLE : LA COLLABORATION EDUCATEURS/ ENSEIGNANTS A APPRENTIS D’AUTEUIL

« Accueillir, éduquer, former, insérer » : ces quatre verbes définissent le projet d’Apprentis d’Auteuil. Au sein

des établissements scolaires, ils se traduisent par la collaboration entre éducateurs et enseignants. Binômes

intervenant dans les classes, suivi conjoint du parcours personnalisé du jeune, travail avec les familles,

accompagnement individuel pendant le temps scolaire de jeunes en difficulté dans le sein du groupe classe…

Ce travail en commun peut prendre diverses formes.

Pour un jeune qui se cherche, croiser les regards de l’éducateur et de l’enseignant, c’est construire quelque

chose de cohérent. La construction d’un parcours, de son parcours, n’est pas toujours visible pour le jeune,

l’interaction des regards des adultes le porte et lui permet d’avancer dans ce parcours qu’il découvre peu à

peu.

Tous les enfants ont des besoins spécifiques

Dans les pays anglo-saxons, les enfants porteurs de handicap sont appelés « children with special needs » soit

« enfants aux besoins spécifiques ». Cela souligne que ce qui est désigné n’est pas le handicap, le trouble de

l’enfant, mais l’aide qui peut être apportée. Par exemple, en Suède ce qui déclenche la prise en charge d’un

enfant différent, ce n’est pas le signalement de son handicap par le médecin, mais la demande d’adaptation

repérée par l’enseignante. Ce basculement se fait peu à peu dans tous les pays de l’OCDE.

C’est ainsi que des difficultés de tout niveau peuvent être repérées et compensées. On n’est pas obligé de

trancher si un trouble « dys » est un handicap ou non, sachant que la difficulté peut revêtir des difficultés

d’importance très variable. Qu’il soit ou non « reconnu » handicapé, l’enfant a besoin d’une aide particulière.

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(cf. proposition 51 du rapport »Plus simple la vie. 113 propositions pour simplifier le parcours administratif des

personnes en situation de handicap »).

En allant plus loin, on peut facilement admettre que tout enfant possède ses propres besoins spécifiques.

Et que la majorité des enfants aura besoin, à un moment donné de sa scolarité, de soutien particulier. En cela,

l’enfant porteur de handicap est juste l’un des leurs. L’enseignement s’adaptera à sa situation.

EXEMPLE : L’ECOLE INCLUSIVE EN ITALIE

C’est en misant sur cette stratégie que l’Italie a supprimé toutes ses institutions spécialisées. Aucun enfant

d’âge scolaire ne se trouve en dehors des murs de l’école. Comment est-ce possible ? Dès 1977, l’Italie a opté

pour une intégration radicale de tous les enfants sans exception dans le milieu scolaire ordinaire et même dans

les classes ordinaires. Les classes - et a fortiori les écoles- spécialisées ont été totalement supprimées.

Le système repose sur différents piliers, parmi lesquels on compte l’autonomie des établissements, qui

jouissent d’un système décentralisé. Ce qui facilite l’adaptation des réponses éducatives. Mais surtout, l’Italie a

misé sur le facteur humain. Dans chaque classe, un enseignant de référence est secondé par un « enseignant

de soutien », à raison d’un pour quatre enfants intégrés. De plus, la formation continue soutient

l’accompagnement des maîtres et des chefs d’établissement.

Depuis, plusieurs textes de loi ont conforté cette volonté d’inclusion, d’intégration sociale par la scolarisation,

passant d’une école pour tous à une école adaptée à chacun. Elle semble surtout s’être ancrée non seulement

dans les sensibilités (des maîtres et des parents), mais aussi dans les pratiques effectives de projets éducatifs

personnalisés pour les élèves concernés (à partir d’orientations nationales formulées par décret présidentiel).

« Le spécial a-t-il encore droit de cité en Italie ? Il n’est plus question de revenir aux institutions spéciales, qu’il

s’agisse de classes ou d’écoles réservées aux élèves en situation de handicap. Mais la référence à la pédagogie

spéciale a toujours cours. Il faut donc distinguer soigneusement le « spécial institutionnel » qui n’a plus de

réalité en Italie (mais, bien entendu, subsistent les soins hospitaliers, lorsqu’ils sont nécessaires) et le « spécial

pédagogique » qui demeure en usage. Dans ce dernier cas, l’objectif est de répondre à des besoins éducatifs

particuliers, voire de tenter de réduire les situations handicapantes en ajustant les actions pédagogiques aux

caractéristiques propres des élèves. Certains auteurs italiens n’hésitent pas à considérer la pédagogie spéciale

comme une aire disciplinaire spécifique en Université et à définir des pratiques significatives et

opérationnelles, non pas reproductibles uniformément, mais pouvant inspirer les praticiens dans d’autres

contextes (Canevaro, Ianes, 2013). Dans ces conditions, la pédagogie spéciale s’inscrit dans le normal et fournit

un appui pour l’éducation des enfants avec besoins éducatifs particuliers. Elle n’est pas un isolat au sein de

l’institution scolaire. » (Cahiers des PEP n°19.03.2014 - PEP = Pupilles de l’enseignement public).

Proposition n° 3 : Proposer à chaque élève – et non pas seulement à ceux qui sont dans une situation particulière - un « parcours personnalisé » prenant en compte ses compétences et lui fixant des objectifs adaptés. Associer les familles à ce « contrat ».

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Susciter, développer la motivation et la participation 2.

Les 4 piliers de l’apprentissage par Stanislas Dehaene, docteur en psychologie cognitive expérimentale (La Recherche, sept. 2018) :

L’attention, qui agit comme un filtre qui cache ce qui n’est pas utile. L’attention se porte naturellement là où se dirige celle des autres. A l’enseignant de bien l’orienter.

L’engagement actif : lorsque l’enfant est motivé, il déploie un comportement de scientifique qui émet des hypothèses, les valide ou les rejette. La curiosité est le principal déclencheur de cet engagement actif, entraînant le circuit de la récompense. Curiosité et plaisir maximisent l’apprentissage, tandis que la punition est délétère.

Le retour sur erreur : il a deux effets sur l’enfant, cognitif et évaluatif. Lui signaler où il s’est trompé, mais aussi lui indiquer qu’il n’est pas doué. La solution est de dédramatiser l’erreur.

La consolidation : ce n’est pas en lisant son cours mais en le restituant (par exemple en l’expliquant à un camarade) qu’on retient bien, en particulier parce qu’on se rend compte de ses lacunes.

A) LES EFFETS DE LA MOTI VATION INTERNE OU EXTERNE

Pourquoi la motivation est-elle un facteur clé ? La motivation, c’est le moteur de toute action. C’est le principe

même de répondre à un de nos besoins. En voici une définition complète formulée par un spécialiste en

neurosciences de la motivation, François Fenouillet : « La motivation est l’ensemble des mécanismes

biologiques et psychologiques qui permettent le déclenchement de l’action, son orientation – vers un but ou

pour s’en éloigner - et son intensité (plus on est motivé, plus l’activité est grande et persistante) ».

Pour résumer, le moteur de l’action, ce sont les défis que l’enfant se lance à lui-même. Ces défis seront

d’autant plus ambitieux que l’enfant aura conscience de ses compétences. C’est toute la question de l’estime

de soi. La motivation est l’une des principales clés des apprentissages puisqu’elle conditionne à la fois

l’investissement et la persévérance dans toute activité.

Les deux sortes de motivation :

- La motivation externe est un engagement qui n’est pas lié à l’activité elle-même mais à ses conséquences

(récompense, punition...). Comment ça marche ? Et pourquoi c’est peu efficace ? La motivation extérieure

s’épuise très rapidement et annihile toute volonté. Le vase qu’on essaie de remplir ne se remplit pas.

- La motivation interne, c’est quand l’action trouve sa justification en elle-même, motivation qui est liée à

l’activité elle-même, à la satisfaction que l’on ressent grâce à sa pratique. On l’appelle aussi la motivation de la

persévérance. Les sciences cognitives d’aujourd’hui viennent étayer cette idée introduite par Montaigne :

la motivation intrinsèque est la motivation du plaisir et de la persévérance.

Qu’est-ce qui soutient la motivation interne, celle qui fait bouger chacun, accomplir de grandes et de petites

choses ? 3 éléments sont identifiés depuis plusieurs décennies et appuyés depuis par les progrès des

neurosciences : l’autonomie/non-surveillance, l’absence de récompense/punition, le sentiment de

compétence.

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« Bravo est un gros mot » « Bravo, excellent travail, je suis très contente de toi » : ces mots banals sont bannis d’une ambiance Montessori. Pas question d’enfermer l’enfant dans un jugement de valeur tombé d’une instance souveraine adulte. Maria Montessori naviguait au contraire vent debout contre les deux piliers de l’école traditionnelle que sont la punition et la récompense (…). Car, disait-elle, toutes ces pratiques rendent l’enfant dépendant du regard de l’adulte, en fonctionnant comme une béquille émotionnelle sans laquelle l’élève ne saurait de lui-même avoir accompli un acte de valeur. Au contraire, l’enfant doit trouver en lui l’énergie suffisante pour aller au bout de sa tâche et s’en sentir fier. Aussi, il est recommandé d’inciter l’enfant à évaluer son propre travail : « Je suis contente de voir que tu es arrivé au bout de ton travail, lui dira-t-on. Tu as l’air d’y avoir consacré beaucoup d’énergie. Tu me demandes si c’est bien, mais toi qu’en penses-tu ? »

41 .

C) BOOSTER L ’ESTIME DE SOI

Selon l’enquête PISA 2013, en France, plus de 50% des élèves sont très tendus lorsqu’ils ont un devoir de

mathématiques. 65% estiment qu’ils vont avoir des difficultés et 73% des mauvaises notes. Comme le dit

Caroline Veltcheff, inspectrice d’Académie : « Ceci signifie l’urgence de travailler, en France, sur l’estime de soi

des élèves en mathématiques » (Réseau Canopé). Ce qui n’est pas le même débat que de travailler le niveau

réel en mathématiques ! En effet, sur les 73% qui craignent systématiquement une mauvaise note, seule une

partie en obtiendra une en effet. En revanche, tous verront leur apprentissage limité par l’anxiété.

Comment stabiliser l’estime de soi des enfants ? Les auteurs Adèle Faber et Hélène Mazlish ont été des

inspiratrices du mouvement des pédagogies positives et bienveillantes qui nous enseignent comment parler à

nos enfants pour qu’ils aillent bien et donnent le meilleur d’eux-mêmes. Elles résument le pilier de l’éducation

de la façon suivante : « Il n’y a pas de clef plus significative pour l’avenir d’un enfant que l’opinion qu’il se fait

de lui-même. »

L’estime de soi fait référence au terme « estimer » qui veut dire « déterminer la valeur de ». L’estime de soi est

donc la vision et l’attitude juste que nous avons envers nous-même. Cela implique que, lorsqu’on regarde le

parcours d’une personne, on s’aperçoive qu’elle a cherché à atteindre ce à quoi elle croyait pouvoir prétendre.

Et ses choix étaient d’autant plus ambitieux qu’elle croyait pouvoir obtenir beaucoup.

En d’autres termes, on ne peut projeter un avenir de réussite et de succès que lorsqu’on a pu développer son

estime de soi, de préférence dès le plus jeune âge, car le rattrapage est très difficile.

EXEMPLE : LE KIT POUR DEVELOPPER L’ESTIME DE SOI DE CHAQUE ENFANT, LIVING SCHOOL (PARIS)

En juin 2012, la Living School a lancé l’événement « Tous les enfants du monde ont des talents, tous ! ». L’idée

est de reconnaître et de valoriser le fait que chaque enfant porte un immense potentiel constitué par ses

richesses, ses talents et ses compétences. Avoir confiance dans ses compétences est un tremplin pour la vie.

Comme l’explique Caroline Sost, fondatrice de l’école : « Plutôt que de porter son regard sur les limites et les

difficultés des enfants à coups de « Tu peux mieux faire », il serait bon d’orienter résolument son regard sur

l’immense potentiel des enfants. Les enfants disposent effectivement d’un potentiel infini pour créer, inventer,

grandir, se développer » (propos recueilli par Antonella Verdiani pour l’ouvrage « Ces méthodes qui rendent

nos enfants heureux »).

L’école a conçu un kit, à destination de tout éducateur ou professionnel de l’éducation, visant à installer un

climat positif et constructif dans lequel les enfants peuvent développer leur confiance en eux. L’idée est en

41 « Maria Montessori (1870-1952). ‘Apprends-moi à faire seul’ », Martine Fournier et Florence Kennel,

Sciences humaines, n° 279, Mars 2016.

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particulier de donner aux enfants le droit à l’erreur, en considérant leur potentiel et sans jugement de valeur.

Ce kit propose d’instaurer par exemple des moments pour célébrer les réussites des enfants. Les outils sont

faciles à mettre en œuvre, mais demandent l’implication de tous les acteurs, y compris les parents, les voisins,

les autres classes ou écoles. Par exemple, ils peuvent monter un « marché des connaissances » : les enfants

proposent d’enseigner à d’autres ce qu’ils savent (jouer quelques notes au violon, faire une figure de

gymnastique…). Ainsi apparaît le « trésor intérieur » de chacun.

Dans l’ensemble de ses initiatives, la Living School insiste sur le principe du non-jugement, pilier du vivre

ensemble. Elle le définit comme « l’absence de critique négative ou de condamnation envers les autres et

envers soi-même ». En partant du principe que chacun fait du mieux qu’il peut avec ce qu’il est, ce qu’il a et ce

qu’il sait à un moment donné, on tourne son regard vers ses potentiels, et non vers ses manquements ni ses

limitations. Le vocabulaire compte dans l’expression du non-jugement, afin de transformer des jugements de

valeur en observations. De « elle est toujours en retard » à « elle est arrivée deux fois après la sonnerie », le

regard change pour permettre à l’autre de sortir d’un comportement et d’avancer.

EXEMPLE : LA SEMAINE DE LA REUSSITE : FAIRE PRENDRE CONSCIENCE AUX JEUNES DE LEURS TALENTS ET LEUR

REDONNER L’ENVIE D’AVANCER

Lancée en 2009, la « Semaine de la réussite » d’Apprentis d’Auteuil est l’occasion de se féliciter les uns les

autres. Elle a pour but de récompenser l’investissement des jeunes sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de

l’obtention d’un diplôme, du développement d’un talent particulier, d’une participation à un chantier

international ou d’efforts de comportement. Dans un même établissement sont ainsi mis à l’honneur des

jeunes pour l’obtention d’un diplôme comme pour leur curiosité intellectuelle, leur ponctualité,

l’investissement dans le sport, l’ouverture aux autres ou encore la créativité artistique et technique. Tous

reçoivent un « Certificat de réussite d’Apprentis d’Auteuil » lors d’une cérémonie à laquelle les familles, la

communauté éducative et tous les partenaires d’Apprentis d’Auteuil sont conviés.

EXEMPLE : LE TRAVAIL SUR LA PERSEVERANCE SCOLAIRE AVEC ENERGIE JEUNES

Cette association intervient dans les établissements scolaires des quartiers défavorisés pour travailler sur la

persévérance scolaire. Le principe est simple : au collège, des intervenants bénévoles – cadres d’entreprises

privées, jeunes retraités, volontaires du service civique… - interviennent 3 fois par an devant une classe de

collège. En s’appuyant sur un matériel pédagogique inspiré des travaux en neurosciences et des techniques de

« coaching » et de formation en entreprise, tout en valorisant des parcours de réussite édifiants pour les jeunes

(Thierry Marx…), ils invitent les élèves à avoir de l’ambition, à se fixer des objectifs, à tenir des engagements,

à respecter quelques règles simples (se coucher tôt, ranger ses affaires, écouter en classe…). Le professeur

principal est présent dans la classe pendant la présentation. Interrogé à l’issue d’une séance, un professeur de

mathématiques confiait : « Pour l’essentiel, ce sont des messages que nous essayons de faire passer de notre

côté aux élèves et à leurs familles. Mais quand c’est porté par des personnes extérieures, avec une « mise en

scène » forte, cela prend une autre dimension. En tout cas, cela fait du bien de voir qu’on n’est pas tout seul… ».

De son côté, un intervenant, cadre dans une grande multinationale qui le mettait à disposition quelques heures

par an pour intervenir, témoignait de sa joie de rencontrer un monde qu’il ne connaissait pas : « Je voulais faire

quelque chose pour les autres. Ces jeunes de quartiers difficiles dont on parle parfois avec méfiance dans les

médias, je les vois devant moi. Je me suis rendu compte qu’ils avaient les mêmes problématiques que mes

enfants à leur âge, la même envie de réussir et de s’en sortir.» Côté résultat, une étude d’impact publiée en

2016 notait que « les collégiens qui ont bénéficié de la formation Energie Jeunes obtiennent des notes

sensiblement plus élevées (…) que ceux qui n’y ont pas participé » et ce, « dès la première année d’un

programme bâti sur quatre ans. »

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Les jeunes notent des engagements dans leur carnet de liaison et essayent de les tenir. Ils font le point de

séance en séance. Les parents sont également impliqués et tenus informés. Ce dispositif assez léger est une

illustration de cette alliance éducative à reconstruire. Il a le mérite de donner aux jeunes quelques repères

simples et d’encourager ceux qui pourraient décrocher. Pour les enseignants, il est bon de se voir soutenu,

encouragé, avec des personnes extérieures à l’établissement scolaire qui viennent porter un discours qui

converge avec les exigences de la scolarité.

D) REPENSER LA PLACE DE L ’ERREUR

Selon Caroline Deltcheff42

, l’enquête PISA 2013 montre que les élèves français ne sont pas au clair avec la

notion d’erreur : « Les élèves français s’attendent moins qu’ailleurs à avoir une aide. Le statut de l’erreur

n’étant pas clarifié, les élèves n’ayant souvent pas le droit de refaire un devoir raté font que l’aide est

davantage perçue comme une stigmatisation que comme une nouvelle chance. »

Daniel Favre, spécialiste des sciences de l’éducation, partage cette conviction dans son ouvrage « Cessons de

démotiver les élèves » : « En France (surtout), l’erreur a une représentation négative. Elle est associée au

registre du mal, à la « faute ». On a d’ailleurs des « bonnes » ou des « mauvaises » notes alors que les notes

sont seulement hautes ou basses ».

L’erreur est souvent sanctionnée, dès l’école maternelle en France, par un jugement ou une appréciation.

Comme le relève Céline Alvarez dans son livre « Les lois naturelles de l’enfant » : « Même une appréciation

positive donne à l’erreur un statut qu’elle ne devrait pas avoir. L’erreur devrait être neutre. Il s’agit simplement

d’un retour d’information qui indique qu’une prédiction doit être réajustée ». Un des problèmes majeurs avec

ce jugement, c’est qu’il paralyse la prise de risque, ce qui empêche les essais qui mènent aux apprentissages.

De même que les feuilles d’un arbre se développent prioritairement du côté du soleil, de même l’enfant tend

vers les activités dans lesquelles il se sent à l’aise. Si l’enfant est certain qu’il va échouer, il n’essaie pas. On ne

tente que ce qu’on se croit capable d’accomplir, et on ne travaille avec ardeur que là où on se sent compétent.

Ainsi, souligner aux yeux d’un enfant son incompétence dans un domaine le prédispose à l’échec dans ce

même domaine. Inversement, lui montrer ses potentiels, même minimes, va le rassurer dans sa capacité à

réussir. Cela lui ouvre la possibilité d’essayer, d’échouer, de dépasser les échecs et donc d’apprendre. Pour

franchir ces étapes, qu’on appelle le travail, on doit avoir chevillé au corps la certitude qu’au bout du chemin

on y arrivera, qu’on est capable. Cela vient de l’estime de soi, et y retourne. En effet, quand on a beaucoup

travaillé pour quelque chose et qu’on a réussi, on gagne en estime de soi. C’est donc un cercle vertueux.

L’idée est donc de favoriser l’essai qui mène à la maîtrise. Sans essai, pas de progression possible. Et pas

d’entrée dans le cercle vertueux de la réussite. Or, essai signifie erreur. Sanctionner l’erreur induit de refuser

l’essai. Comment faire pour favoriser l’essai et le sentiment de compétence chez l’enfant ? En modifiant

l’approche de l’évaluation dans le système scolaire français.

E) AGIR SUR L ’EVALUATION

Le sentiment d’efficacité personnelle et la réussite

Un échec antérieur diminue le sentiment d’efficacité personnelle, ce qui conduit l’élève à réussir moins bien,

comme l’a montré la recherche depuis le début des années 2000. Sophie Génelot, chercheure à l’IREDU, qui

pilote un projet de classes sans note depuis 2013, a testé à son tour cette donnée. Elle a proposé aux élèves de

42 Source : Réseau Canopé.

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tracer de mémoire une figure géométrique complexe. Une partie des élèves croyaient faire du dessin, l’autre

partie croyait faire un devoir de géométrie. Les plus faibles habituellement en géométrie, s’ils croyaient

dessiner, ont réussi aussi bien que les plus forts. Pourquoi ? Parce que, « en dessin, ma réputation n’est pas en

jeu, je suis tout entier consacré à la tâche que je réalise », tandis que les faibles en géométrie ont chuté. Ils ont

activé leur réputation, leur attention était perturbé, les performances moins bonnes.

Comme le relève le Cnesco dans son rapport sur la qualité de vie à l’école : « À l’école primaire, la motivation et

la satisfaction scolaire des élèves sont renforcées lorsque les activités scolaires offrent un niveau optimal de

défi intellectuel et qu’elles génèrent de la part des enseignants des rétroactions informationnelles plutôt

qu’évaluatives, la reconnaissance des efforts de maîtrise de la part des élèves plutôt que la simple performance

scolaire, et qu’elles limitent la compétition interpersonnelle (Baker, Dilly, Aupperlee et Patil, 2003). »

Une autre évaluation de ses propres compétences permet une façon différente de se percevoir, y compris au

sein de la classe. C’est une des idées centrales de la pédagogie Montessori : l’éducation est basée sur des

activités non-compétitives qui aident l’enfant à développer une image positive de lui-même et à renforcer sa

confiance au moment d’affronter des défis ou des changements de façon optimiste.

Que ce soit observé de façon empirique ou prouvé de façon scientifique, personne ne conteste que l’enfant ait

besoin de connaître ses acquis, et ses manques, pour progresser. Ainsi, les travaux de John Hattie43

(analyse

très intéressante, même si elle a des limites, à partir de 800 méta-analyses, qui fonde son approche de

« la pédagogie explicite ») insistent particulièrement sur l’importance du « feedback » à donner à l’élève,

comme facteur clé de réussite scolaire.

En revanche, les débats sont vifs sur la question des notes.

65% des parents sont hostiles à la suppression des notes, dont 28% très défavorables44

. En revanche, les

parents sont plus de 3 sur 4 à considérer que, dans les évaluations, il faut mettre l’accent sur l’appréciation

plutôt que sur la note. Cela tombe bien, c’est un des points de force des enseignants français en matière

d’évaluation. Selon l’enquête TALIS, ils sont 74% à ajouter un commentaire écrit à la note ou à l’appréciation

des travaux de leurs élèves, quand la moyenne des autres pays est à 55%.

On le voit, la question de l’évaluation est extrêmement sensible. C’est souvent un point de crispation, où les

uns et les autres adoptent des positions tranchées, apparemment irréconciliables. Entre les tenants de la note

et du classement, et ceux qui prônent la suppression des notes, on tombe facilement dans la caricature et

l’anathème. Qu’il est dur d’avoir un avis équilibré sur ce sujet ! A défaut d’avoir une opinion tranchée, peut-

être peut-on a minima s’entendre sur quelques principes :

L’évaluation doit avoir systématiquement une portée éducative. Une note « sèche » qui ne viserait qu’à

« casser » un élève ou « classer » un élève n’a pas d’intérêt. Evaluer un élève, c’est l’estimer. Estimer son

travail. Le prendre au sérieux et lui donner de la valeur, vouloir son bien. Bien souvent, d’autres finalités –

qui ont aussi leur légitimité - prennent le dessus : répondre à une demande sociale des familles, préparer

une sélection pour l’enseignement supérieur… Il est donc nécessaire de sans cesse remettre l’accent sur la

finalité éducative de l’évaluation.

L’évaluation doit toujours s’inscrire dans une démarche globale. Il est donc essentiel d’être vigilant à ce

qu’on en dit avant, pendant et après. Il faut être très clair sur ce qui va être évalué : comment, pourquoi. Il

43 Visible learning for teachers, John Hattie, 2008.

44 Sondage BVA pour Apprentis d’Auteuil, novembre 2018.

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faut être très clair ensuite sur ce que dit l’évaluation : l’appréciation de ce qui a été réussi, des points de

progrès, des points à améliorer…

Un rappel préalable : il faut dire à l’élève que ce n’est pas lui, en tant que personne, qui est évalué, mais son

travail ou son niveau d’acquisition d’un savoir ou d’une compétence.

Philippe de Beauregard, qui a créé une école au Puy-du-Fou, raconte ainsi une conversation avec un élève qui

lui disait ne pas aimer l’école. « Pourquoi ? Parce que je n’aime pas être noté. » « Moi, je ne te noterai jamais.

Ta personne est inestimable. Tu n’as pas de prix. Je ne peux pas le mesurer. En revanche, je peux évaluer ton

travail. »

L’évaluation, lorsqu’elle est liée à l’idée de classement, renforce l’idée de compétition au détriment de

l’idée de coopération. Il est à noter que les parents considèrent qu’actuellement l’école assure un équilibre

entre la coopération et la compétition mais, à l’avenir, ils sont 46% à souhaiter qu’elle favorise davantage

la coopération45

.

Enfin, il ne faut pas négliger le fait que l’évaluation est aussi un moyen d’associer les familles au suivi de la

scolarité des enfants. Des modes d’évaluation trop complexes (par exemple, une liste de dizaines et de

dizaines d’items difficilement lisibles) ne facilitent pas cette implication des parents dans la scolarité de

leurs enfants.

Qu’il s’agisse de notes, de « smileys », de remarques « Acquis, En cours d’Acquisition… », ce n’est pas tant le

symbole qui compte que le sens qu’on lui donne. Tout est affaire d’accompagnement éducatif. Une plus grande

diversité dans les moyens d’évaluation est sans doute un moyen de mieux s’adapter aux différents profils.

L’auto-évaluation

Que se passe-t-il quand un maître note le travail d’un élève ? Il signifie à l’élève : « Je sais ce que vaut ton

travail ». Sous-entendu : « Toi tu ne le sais pas ». Si le maître sait évaluer les compétences de l’enfant,

contrairement à l’élève, ce dernier risque de se désengager. Il n’a pas à savoir son niveau, c’est l’autre qui va le

lui dire. Une fois le devoir passé, rares sont les élèves qui lisent attentivement là où ils ont fait des erreurs. Ils

passent vite à autre chose, surtout si l’expérience a été douloureuse (mauvaise note). D’ailleurs, ils sont

nombreux à contester systématiquement leur note, trouvant toujours que l’enseignant a retiré des points de

façon abusive. Pour résumer, l’évaluation par un maître donne à celui-ci une idée du niveau de l’élève, mais

n’informe que très peu l’élève sur ses propres compétences.

Or, on a remarqué que ce qui aidait le mieux les élèves, c’était d’identifier en détail ce qu’ils savaient faire et ce

qui leur restait à acquérir. D’où l’idée de développer l’auto-évaluation pour qu’ils regardent au plus près leurs

propres performances et manques.

Cette pratique est pourtant peu développée en France : seuls 17% des enseignants français l’utilisent contre

38% en moyenne pour les enseignants de l’enquête TALIS, et 69% au Royaume-Uni. Pourquoi l’auto-évaluation

n’est-elle pas adoubée par les enseignants ? Elle permet pourtant à l’enfant de mieux se situer, donc de mieux

apprendre. Elle n’atteint pas son estime de lui-même et évite même à l’enseignant de corriger des copies !

L’enseignant craint que l’élève ne s’évalue pas correctement, en particulier qu’il profite de cette liberté pour se

sur-noter. Les enfants qui avaient tendance à se surévaluer réussissaient mieux leurs études que les autres,

45 Sondage BVA pour Apprentis d’Auteuil, novembre 2018.

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surtout par rapport à ceux qui avaient tendance à se sous-évaluer. Ce qui souligne à nouveau qu’avoir une

bonne estime de soi ouvre toujours de meilleures perspectives.

Du côté des enseignants, le problème est plutôt par rapport aux autres élèves : l’un se sera sur-noté et aura eu

de meilleurs résultats que tel autre qui n’aura pas eu la même audace. On voit ainsi que le problème de l’auto-

évaluation disparaît si l’on supprime les comparaisons au sein de la classe. C’est pourquoi l’auto-évaluation est

tout à fait admise dans les systèmes dans lesquels chaque enfant est son propre repère.

EXEMPLE : LE CARNET DE REUSSITE

Comme le souligne Clothilde Jouzeau, enseignante à Perpignan : « Tant qu’il ne s’évalue pas, il ne peut pas

progresser, parce qu’il n’a pas conscience de ce qu’on attend de lui ». Ainsi, elle propose à ses élèves un

« carnet de réussite ». Cette modalité a été décidée par les élèves eux-mêmes au sein d’un conseil d’enfants. Le

carnet signale « ce qu’on a appris ». C’est un carnet individuel dans lequel sont cochées les cases au fur et à

mesure que les notions sont acquises.

On y trouve à chaque période un petit bilan et des propositions pour progresser. L’enfant sait à tout moment

où il en est, et il le sait de façon d’autant plus précise et efficace qu’il l’a signalé lui-même.

L’évaluation par les pairs

EXEMPLE : L’ECOLE JONATHAN AU QUEBEC

A l’école Jonathan (école primaire alternative à Montréal, Québec), on part du principe que l’autonomie « vient

de la capacité de chacun de s’évaluer ou de recevoir l’évaluation d’un tiers et de l’utiliser pour évoluer ».

En effet, « l’enfant est amené à se donner des objectifs reliés à ses projets, à ses ateliers, ou à ses aptitudes à

développer ». L’évaluation participe donc au processus de l’autonomie.

L’école Jonathan a développé l’évaluation par les pairs. Cela se pratique par exemple à l’aboutissement du

projet personnel d’un des élèves. À la fin de son projet, l’enfant le présente en réunion devant ses camarades.

Ceux-ci vont s’exprimer librement sur le travail présenté. Ainsi, l’enfant reçoit les commentaires de ses pairs.

C’est une évaluation directe, un peu comme on le vit à l’âge adulte autour d’un projet présenté à un groupe de

collaborateurs. D’une part, cette reconnaissance est globalement agréable, d’autant plus que les enfants de la

classe apprennent à faire des commentaires constructifs. Mais aussi la rétroaction peut amener les enfants à

retravailler sur le projet pour l’améliorer ou à garder ces informations pour les réutiliser dans un projet

ultérieur. Cette présentation permet également le partage des connaissances et renforce la communication

orale devant un groupe. À la fin d’un atelier également, tous les participants font un retour sur l’atelier qu’ils

ont vécu ensemble.

Evaluer en renforçant la confiance

EXEMPLE : VALORISER UNE QUALITE HUMAINE POUR CHAQUE ELEVE

A la Puy-du-Fou Académie, les enseignants sont invités à distinguer, pour chaque période, une qualité humaine

particulièrement visible chez un élève (en dehors de toute dimension scolaire). « Cela peut être la joie, le

courage, le sens du service, la capacité à ranger, l’esprit d’initiative, l’audace… », explique Philippe de

Beauregard, qui a dirigé l’école à sa création. Chaque enfant se voit ensuite remettre une carte enluminée,

avec son nom et la qualité repérée par l’enseignant. « Cela pousse à poser un regard positif sur chaque jeune,

même celui qui n’a pas forcément des résultats scolaires très probants. » La même personne qui dit à l’enfant

que ses résultats ne sont pas à la hauteur à un moment donné est aussi la personne qui va le féliciter et

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l’encourager pour une de ses qualités. » L’élève n’est ainsi par réduit à sa performance scolaire, à sa difficulté

ou à sa réussite.

EXEMPLE : LA FOURCHETTE DE NOTES QUI S’AFFINE EN FONCTION DES CORRECTIONS DE L’ELEVE

Certains enseignants rendent les copies après une première correction, avec une fourchette de notes. Par

exemple, entre 10 et 13. Le commentaire qui accompagne la fourchette propose des pistes d’amélioration et

les élèves sont invités à retravailler leur devoir en suivant ces pistes. Ils rendent ensuite leur copie retravaillée

et la note finale, à l’intérieur de la première fourchette, sera donnée en fonction des retours de l’élève.

L’enjeu est de montrer qu’une note n’est qu’une information, que l’essentiel est la maîtrise de la compétence

ou du savoir et qu’on peut s’améliorer.

EXEMPLE : L’ACCENT MIS SUR L’APPRECIATION, A L’ECOLE-COLLEGE DECROLY A SAINT-MANDE (94)

Au collège, un bulletin trimestriel est donné. Ce bulletin sans note chiffrée est composé

d’appréciations écrites. Celles-ci n’évaluent pas seulement un résultat (connaissances et savoir-faire), mais

disent aussi les intérêts de l’enfant, ses capacités à travailler seul et au sein d’un groupe, et tiennent compte de

sa démarche personnelle. Elles portent obligatoirement sur chaque matière et sur chaque module, ce

qui permet de tenir compte de l’ensemble des situations de travail proposées.

Le bulletin est unique et complété à chaque trimestre. Il permet d’avoir en fin d’année une vision à la fois

globale et progressive de l’enfant et parvient aux familles à la fin de chaque trimestre par l’intermédiaire de

l’enfant à qui il a été remis. La dernière page du bulletin regroupe, pour chaque trimestre, une synthèse des

appréciations rédigée par le professeur principal. Un espace est également réservé à l’enfant et la famille pour

qu’ils puissent signer et éventuellement commenter les remarques des enseignants.

Des rendez-vous avec l’enfant, la famille et le professeur principal (et d’autres enseignants si besoin) ont lieu

régulièrement.

F) L’ATTENTION , ÇA SE TRAVAILLE AUSS I

Jean-Philippe Lachaux, l’attention maîtrisée

« Une éducation qui développerait ces facultés [de stabiliser son attention] serait l’éducation par excellence »,

William James, un des pères de la psychologie cognitive, 1890.

Les apprentissages s’appuient sur des fonctions cognitives déterminantes dans les mécanismes d’attention et

de distraction. On le sait, certaines aires cérébrales s’activent en fonction des stimulations sensorielles,

verbales, etc., que l’on reçoit. Or, ces mécanismes échappent souvent à la volonté et à la conscience, d’où

l’inefficacité des injonctions et des reproches envoyés à l’élève pour l’inciter à se concentrer. Ainsi, on a

longtemps cru qu’on pouvait peu intervenir sur l’attention, à part par la contrainte, qui montre vite ses limites.

Pourtant, le manque d’attention et de concentration, qu’on dit « générationnel », n’est pas une fatalité. Le sens

de l’équilibre attentionnel, abîmé par un excès d’écrans et de sollicitations en tous genres, peut être éduqué.

On peut apprendre à reconnaître et à maîtriser ces mécanismes attentionnels, avec, bien sûr, de nombreux

bénéfices : faciliter la compréhension et la mémorisation, mais aussi restaurer la liberté d’être attentif ou non,

sans être assujetti à la force de dispersion. C’est ce qu’a montré Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherches

en neurosciences à l’Inserm, qui a lancé le programme Atole « ATtentif à l’écOLE ». L’idée était de trouver, puis

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de diffuser ce qui s’avèrerait le levier le plus efficace pour mobiliser l’attention des enfants. Après plusieurs

années de recherches auprès de milliers d’entre eux, il a identifié et validé précisément des techniques

efficaces pour faciliter la concentration à l’école. Est né un programme à destination des enseignants, déjà

largement diffusé. Ce programme a pour but de fournir des outils à tous les élèves afin de leur permettre de

mieux se concentrer. La progression, prévue tout au long de l’année, est destinée à les amener à découvrir ce

qu’est l’attention, d’une manière qui leur avait peut-être échappé jusqu’alors, de comprendre les différentes

forces qui les empêchent parfois d’être attentifs, de savoir les reconnaître et les nommer dans leur vie

quotidienne et à l’école, pour enfin apprendre à y réagir et ainsi re-stabiliser leur attention quand celle-ci

s’échappe.

Voici les trois axes principaux à développer en ateliers collectifs : faire comprendre aux élèves les mécanismes

biologiques de l’attention, avec leurs effets et leurs limites ; les aider à démêler la « pelote de laine » en leur

apprenant à déceler les situations de conflits attentionnels dans les processus cérébraux ; leur montrer

comment compenser les signes de distraction, notamment grâce à un meilleur ressenti des automatismes de

perception-action.

L’enseignant procède par étapes, à l’aide d’un kit pédagogique revisité chaque année (accessible librement) qui

se défend d’être un sac de « trucs » à appliquer, mais agit plutôt en accompagnement d’un engagement

personnel de l’enseignant qui est, comme chacun, un « étudiant de l’attention ». Les phases n’en sont pas

moins détaillées et claires, avec une progression en 10 étapes guidées par des fiches séquentielles précises,

dans le fond comme dans la forme.

En fin de parcours, un enfant résume à sa façon l’utilité de la méthode : « Est-ce que tu penses avoir progressé

dans ta façon de travailler grâce à Atole ? « Oui, parce que je pensais à autre chose que je devais faire, mais j’ai

réussi à ne pas la faire ».

EXEMPLE : DES VELOS-PUPITRES POUR LES ENFANTS QUI ONT LA BOUGEOTTE AU QUEBEC46

«Il y a au moins 10 % des élèves qui ont besoin de bouger en classe, que ce soit à cause d’un déficit d’attention

ou pour d’autres raisons», affirme Mario Leroux, orthopédagogue à l’école primaire des Cèdres, au Québec. Ses

recherches l’ont mené vers l’idée originale des vélos-pupitres.

«Une des plus grandes problématiques en milieu scolaire, c’est le déficit d’attention. Il y a des élèves qui ont

toujours besoin de bouger. Mais souvent, c’est dérangeant en classe. Alors je cherchais quelque chose qui leur

permette de travailler en classe tout en bougeant, sans déranger le groupe.»

Grâce à un don, quatre vélos-pupitres conçus par une entreprise américaine ont pu être achetés. Les bureaux

des écoliers sont munis, au-dessous, d’un pédalier adapté qui permet aux enfants de s’agiter en restant à leur

table. Des élèves hyperactifs avec un déficit d’attention peuvent ainsi, par exemple, pédaler en classe tout en

rédigeant leurs travaux.

De son côté, le Dr Annick Vincent, spécialiste du déficit d’attention, affirme qu’«il est fréquent que les jeunes

hyperactifs se concentrent mieux quand ils peuvent maintenir un certain degré d’activité motrice. Soutenir les

jeunes avec des outils adaptés à leurs besoins est primordial». Le docteur en neuroscience et

psychothérapeute Joël Monzée estime, quant à lui, qu’il s’agit d’une initiative qui pourrait représenter une

alternative à la prise de médicaments qui ne guérit pas le trouble à proprement parler, car « l’enfant reste avec

le même problème ». Grâce à de tels outils, l’enfant contourne son problème d’attention.

46Blog de l’EcolePositive 20 juillet 2016

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Considérer l’enfant dans sa globalité 3.

Qu’est-ce que la réussite scolaire ? Une vision souvent limitée…47

Une vision exclusivement académique de la réussite scolaire est incomplète au regard des finalités de l’éducation (SOS Villages d’Enfants). Beaucoup d’ambiguïtés entourent généralement la notion de réussite scolaire. Celle-ci renvoie en effet à différents types de normes : norme scolaire (les savoirs), norme éducative (les valeurs) et norme sociale (la position dans la société). Les indicateurs standardisés mobilisés dans les études et enquêtes portent sur l’âge à la première scolarisation, l’âge à l’entrée au CP, le positionnement des enfants dans les évaluations nationales, le taux de redoublement, le taux de réussite aux examens, le taux de fréquentation des filières d’enseignement général, les scolarisations en classe spécialisée. Ces indicateurs ne laissent aucune place aux compétences sociales et à d’autres dimensions de réussite. Pourtant, au-delà de l’enjeu d’instruction, comme le rappellent les textes de référence sur le droit à l’éducation, l’école est bien aussi un lieu dans lequel les élèves développent des capacités de résilience, d’initiative, et où ils construisent au fil des années une image d’eux-mêmes et une relation aux autres déterminantes pour leur vie d’adulte. L’enquête internationale PISA, dont l’objectif est de mesurer tous les trois ans la performance des élèves dans le monde, sert régulièrement de boussole aux gouvernements pour espérer un meilleur placement dans le tableau du classement mondial. Ce classement est parfois contesté en raison de la place centrale qu’occupe la culture scientifique dans l’évaluation des performances des élèves et de la crainte de voir les apprentissages réduits à ce qui peut être évalué. Or, dans son édition 2017 portant sur les données de 2015, l’enquête PISA propose des volets inédits sur le bien-être des élèves et sur les conditions d’exercice des enseignants. Un signal pour inviter les systèmes éducatifs à ne pas viser la seule réussite académique. Le bien-être des élèves y est défini comme les «qualités psychologiques, cognitives, sociales et physiques dont les élèves ont besoin pour vivre une vie heureuse et épanouissante ». L’accent est en effet mis sur l’épanouissement et la qualité de la vie des élèves de 15 ans et la capacité des systèmes éducatifs à développer leurs «compétences sociales et affectives» – et pas seulement leurs compétences scolaires ou académiques. Les résultats de l’enquête s’appuient sur un ensemble d’indicateurs à la fois « négatifs » (comme l’anxiété ou la faible performance) et « positifs » (l’intérêt, l’engagement ou la motivation à l’idée de réussir). Une invitation à compléter cette lecture par d’autres critères en lien avec la socialisation, l’apprentissage de la citoyenneté, l’autonomisation progressive, le rapport au savoir, les enjeux affectifs et cognitifs, et qui suppose de regarder de près les processus à l’œuvre dans la relation pédagogique.

Les éducateurs de l’école Kurmi Wasi, dans les hauteurs bolivienne, ont résumé les objectifs qu’ils fixaient à

leur école. Ils ont appelé cela le « développement global ». En voici les lignes principales48

:

- « Parvenir à un développement intégral, qui permette aux élèves de construire leur identité et leur projet

de vie à partir de leur propre culture, tout en privilégiant les échanges et l’enrichissement qu’offrent les

autres.

- Répondre aux élèves qui, au cours de leur scolarité, présentent à un moment ou un autre des besoins

éducatifs particuliers, ponctuels ou permanents.

- Parvenir à un équilibre émotionnel, physique et spirituel, fondé sur la connaissance de soi et la relation aux

pairs et à l’entourage.

- Encourager chez les élèves la curiosité en tant qu’instrument d’apprentissage autonome.

- Faire grandir l’estime de soi chez les élèves en leur faisant découvrir et apprécier leur propre richesse

intérieure, leurs capacités et leurs qualités.

47 A partir de la contribution de SOS Villages d’Enfants.

48 citées par Karine Mazevet dans « L’éducation, une stratégie pour réenchanter la vie »

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- Cultiver l’amour et le respect de la nature.

- Enrichir la formation permanente des enseignants.

- Fédérer une communauté éducative intégrée et solidaire en invitant les parents à participer activement à

la vie de l’école, et à partager leurs attentes, leurs connaissances avec les élèves. »

A) TOUTE LA PERSONNE EST EN JEU

Tous les aspects de la personnalité et de l’expérience d’une personne sont interdépendants. Toute expérience

humaine se répercute aux autres niveaux, comme l’ont profondément exploré les neurosciences, en particulier

en ce qui concerne les apprentissages. Par exemple : « Le stress dispose le cerveau en mode de survie, lui

faisant perdre la faculté de se consacrer à des choses telles que l’attention à ce que dit le professeur » (« Le

Cerveau en Construction », Sheryl Feinstein). C’est pourquoi les enfants qui vivent des situations difficiles

durables sont en risque d’échec scolaire. Tandis que ce qui favorise le bien-être et la sécurité intérieure offre

des leviers aux apprentissages.

Les travaux de Britt-Mari Barth49

, professeur émérite à la faculté d’éducation de l’Institut Catholique de Paris,

insistent sur le lien fort entre le cognitif, l’affectif et le social, là où l’école française a parfois tendance à

séparer les registres.

EXEMPLE : L’ARBORESCENCE EDUCATIVE D’APPRENTIS D’AUTEUIL

Avec le Développement Humain et Spirituel (DHS), c’est le développement plein et entier de chacun et de tous

qui est recherché. Il s’agit de prendre en compte et de contribuer à faire grandir toutes les composantes de la

personne humaine : un corps, une sensibilité, une intelligence, une volonté, un questionnement existentiel…

La démarche DHS est structurée à l’aide de deux composantes indissociables l’une de l’autre :

Une arborescence éducative qui présente un choix d’activités à proposer aux jeunes.

Les objectifs éducatifs rendent compte de l’intégralité du Développement Humain et Spirituel selon le projet

d’Apprentis d’Auteuil. Ils ont été regroupés en un ensemble cohérent autour de 3 axes éducatifs :

1/ Inscrire sa vie dans une histoire : apprendre la filiation et la responsabilité.

2/ Vivre en relation avec les autres et le monde : apprendre la fraternité et la citoyenneté.

3/ Découvrir la valeur de sa vie, de la vie : apprendre l'intériorité et la liberté.

Des temps spécifiques nommés « arrêt sur image » : ces temps de pause dont les formes peuvent varier

selon l’âge et le contexte proposent aux jeunes de relire et d’exprimer ce qu'ils ont vécu et ce qu'ils sont

devenus ensemble à travers les activités proposées autour du DHS. Ils permettent de passer du ressenti à

l’expérience et de l’expérience à la conscience sans lesquels il est difficile de devenir « sujet » de son

histoire.

Le plaisir / la curiosité

49 « L’apprentissage de l’abstraction », « Le Savoir en construction » et « Élève chercheur, enseignant

médiateur – Donner du sens aux savoirs ».

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L’idée de fond est que l’enfant apprend mieux lorsqu’il cherche à répondre à une question qu’il se pose lui-

même plutôt que quand il est passivement rassasié d’une « nourriture intellectuelle ». Quel adulte – à part

certains paléontologues - est capable de rivaliser avec la connaissance des noms des dinosaures d’un enfant de

6 ans ? Ou des différentes évolutions des centaines de figures imaginaires Pokemon ? La capacité

d’apprentissage des enfants semble sans limite, y compris pour ceux qui montrent le moins de dispositions

pour les savoirs scolaires. Pour se convaincre de la qualité de leur observation et de leur mémoire, il suffit

d’encourager trois enfants à mêler leur bac de Playmobil pendant toute une après-midi : chacun retrouvera le

soir la moindre de ses mini-tasses en plastique, sans aucune hésitation (« la mienne avait une rayure au-

dessous »).

Il y a là un réservoir de compétences prodigieux dont l’utilisation serait redoutable si elle pouvait s’appliquer

aux travaux scolaires. Certains enseignants réussissent à utiliser cette matière et éveiller l’intérêt de leurs

élèves en s’appuyant sur ce qui retient leur attention. Ils s’affranchissent, pour leur plus grand soulagement, de

toute la batterie de contraintes et punitions visant à obliger l’élève à se concentrer sur ce qui ne l’intéresse pas.

La plupart des pédagogies alternatives s’appuient sur la curiosité naturelle de l’enfant. Elles ne visent pas

d’emblée à enseigner une connaissance en particulier, mais à faciliter l’expression spontanée du besoin

d’exploration de l’enfant (de tout être humain), besoin qui lui permet d’apprendre. L’assouvissement de ce

besoin n’entraîne ni ennui ni chahut, mais au contraire joie et concentration.

EXEMPLE : LA PHILOSOPHIE EN MATERNELLE ET EN PRIMAIRE

Ariane Allemandi, professeur de philosophie en lycée, a animé des ateliers à visée philosophique auprès

d’enfants de moyenne et grande section, et d’autres de CP-CE1. A raison d’un atelier d’une heure tous les 15

jours, l’atelier se déployait pendant un trimestre, en présence de l’instituteur.

La pédagogie de l’animation s’inspirait du documentaire « Ce n’est qu’un début », et s’appuyait sur l’imagerie

des « Petits philosophes » de Pomme d’Api. Cette revue proposait une double image autour d’une question

telle que « C’est quoi la peur », « peut-on faire la fête tous les jours » ou « un ami à quoi ça sert ». La première

image proposait des questions, et la seconde des éléments de réponse. Ariane s’appuyait sur la première image

pour délier la parole.

L’idée était bien sûr que les enfants réfléchissent et s’expriment autour d’une question philosophique, mais

plus encore, de construire une réflexion commune, en étant confronté ensemble à un problème. En effet, les

enfants étaient prompts à donner leur avis spontané, mais il fallait apprendre à écouter vraiment l’autre, et à

se positionner par rapport à la parole précédente. « Je ne suis pas d’accord », oui, mais pourquoi ? Ainsi, idée

après idée, une réflexion s’enrichissait, différente de ce que chacun pensait d’emblée de son côté. Même ceux

qui restaient timidement silencieux avaient leur place, donnée par l’enseignant : « Tu ne dis rien, et tu as

raison, car c’est une question difficile qui demande de la réflexion ».

Cet échange demandait bien sûr un cadre sécurisant, afin que l’on puisse s’exprimer sans peur d’être jugé. Les

bases de l’exercice commun étaient posées au début, en règles du jeu telles que « on ne se moque pas, on ne

coupe pas la parole, on lève la main avant de parler… ».

Dans ce contexte, la parole était abondante. Les questions restaient toujours très ouvertes, les réponses parfois

étonnantes. Et les enfants étaient toujours frustrés que l’atelier prennent fin, une poignée d’enfants continuait

à vouloir échanger. L’instituteur reprenait la réflexion derrière, en demandant de faire une synthèse

personnelle, chacun avec ses outils, les plus petits dessinant, les plus grands allant jusqu’à noter plusieurs

lignes.

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EXEMPLE : APPRENDRE A COMPTER A PERCEVAL. PEDAGOGIE STEINER

Le cahier de mathématiques des élèves de CE1 est un bloc de papier blanc épais, et les outils sont une boîte de

pastels gras en forme de pavé. Les mathématiques ressemblent plus à des cours d’arts plastiques, et

l’enseignante s’en réjouit, consciente de développer plusieurs canaux complémentaires. Que dessinent les

enfants ? Des arbres où logent des écureuils, chacun possédant des gros sacs de noisettes, les verts en

contenant 100, les violets 10. Des rangées d’écureuils apparaissent au sein d’aventures racontées au gré des

pages et des opérations mathématiques. Certains perdent leurs noisettes, d’autres les rattrapent. L’enfant n’a

pas de doutes sur quel est le plus gros sac ! Les enfants n’utilisent pas indifféremment leurs pavés de couleurs.

Pour les aplats de couleur, ils utilisent la longue arrête, appelée « grand ours », la moyenne arrête est « maman

ourse », et le petit côté est « bébé ours ». Pour les tracés précis, on utilise la pointe «petit oiseau ». Aucun

risque que les enfants confondent ces notions de géométrie. La compréhension des notions mathématiques

intègre le plaisir de l’histoire et celui du dessin, dont la qualité est très valorisée.

EXEMPLE : A LA RECHERCHE DES INVRAISEMBLANCES HISTORIQUES DANS LES JEUX VIDEOS50

William Brou, enseignant en histoire géographique à Thiers (dans un établissement en REP) et youtuber fait

travailler ses élèves à partir de jeux vidéo. En observant de près les jeux vidéo auxquels ils jouent (Battlefield,

Caesar III…), les adolescents apprennent à déceler les erreurs historiques en s’appuyant sur des documents. Le

but est à la fois de connaître la période historique du programme, et d’éveiller l’esprit critique, d’avoir du recul

par rapport à ce que racontent les images.

Développer la créativité

« La création surgit du divertissement et du plaisir que l’on prend à organiser les formes et les couleurs »

(Patricia Maciulaiti, Collège Idejo, Uruguay), cité par Karine Mazevet.

On peut regretter la faible place donnée à l’art et à la culture dans les représentations. L’introduction de

l’histoire de l’art dans les programmes scolaires du primaire en 2008 a été saluée comme un progrès. Tout

comme l’accent mis par l’actuel ministre de l’Education nationale sur le chant choral, ou sa volonté de faire « la

rentrée en musique », en début d’année scolaire. Il reste que la musique, le dessin, les arts plastiques… sont

souvent perçus comme des « sous-matières » par beaucoup de familles, de jeunes et d’enseignants.

Pourtant, ils permettent le déploiement de compétences et de talents essentiels pour l’épanouissement.

Un parent expliquait ainsi : « Quand je veux savoir où en est mon enfant au collège, je prends rendez-vous avec

deux enseignants : l’un d’une matière classique – maths, français… -, l’autre de musique. Cela me donne

souvent une bonne vision des choses… »

Mieux, comme le rappelaient en 2012 Aurélie Lecocq et Bruno Suchaut, de l’Institut de Recherches sur

l’Education de l’Université de Bourgogne (IREDU)51

: « De nombreux travaux ont à présent établi le lien entre la

musique et différentes dimensions des capacités cognitives, dont les habilités verbales, la mémoire et

l’attention. Une recherche emblématique est celle conduite par Rauscher et coll. (1993) qui a mis en évidence

« l’effet Mozart ». Les résultats montrent que des étudiants obtiennent de meilleures performances aux tâches

50 La Croix, 28 août 2018

51 Rapport d’évaluation : « Stimuler les capacités cognitives pour éviter l’échec scolaire - Éléments d’analyse à

partir d’une expérimentation musicale », Ministère de l’Education nationale - Fonds d’expérimentation pour la Jeunesse, 30 mars 2012.

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de raisonnement spatio-temporel après avoir écouté une sonate de Mozart pendant dix minutes. Depuis les

travaux de Rauscher, les recherches qui ont examiné les relations entre la musique et le développement des

habiletés cognitives se sont multipliées. Les conclusions de ces études suggèrent que la musique accroît les

scores au test du QI (Schellenberg, 2004), les capacités verbales (Bolduc, 2006 ; Ho et coll., 2003), les

acquisitions des concepts mathématiques (Bamberger, 2000) et les performances en mémoire (Lee et coll.,

2007). D’autres études ont en outre montré l’impact positif de la musique sur les performances scolaires

(Mingat et Suchaut, 1994 ; Wetter et coll., 2009). Selon tous ces travaux, la musique renforcerait les capacités

de transfert des connaissances et elle agirait comme un catalyseur qui stimulerait le développement des

capacités cognitives des enfants. »

EXEMPLE : ORCHESTRE A L’ECOLE

Deux heures par semaine, des élèves d’une école sont réunis pour apprendre la pratique musicale et composer

un orchestre. A la rentrée 2018, près de 1 300 orchestres ont ainsi été formés dans des écoles françaises,

touchant plus de 33 000 élèves.

EXEMPLE : UN VIOLON DANS MON ECOLE

Initié en 2015, le programme de la Fondation Vareille, « Un violon dans mon école », a pour objectif de réduire

les inégalités face à l’enseignement scolaire, grâce à l’apprentissage intensif du violon à l’école dès le plus jeune

âge. Il s’agit de cours de violon dispensés sur le temps scolaire dès l’âge de 4 ans et pendant 4 années. Chaque

enfant dispose d’un violon et ce dispositif est aussi un moyen d’associer les familles à la vie de l’école

(concerts…).

Ce programme existe en France dans 4 écoles de REP (Réseau d’Éducation Prioritaire) du Val-d’Oise (Persan,

Sarcelles, Cergy, Garges-lès-Gonesse).

EXEMPLE : PUY-DU-FOU ACADEMIE

En 2015, le parc du Puy-du-Fou a ouvert une école primaire mettant l’accent sur la pratique artistique en lien

avec les spectacles du parc d’attraction. Des classes de 6e

ont ouvert à la rentrée 2018. Les effectifs par classe

ne dépassent pas 15 élèves. Les méthodes d’apprentissage veillent à la progression personnalisée des élèves du

concret vers l’abstrait.

Dès la maternelle, les élèves ont un tronc commun de formation artistique comprenant du théâtre, de la danse

et de l’éducation sportive. A partir de 8 ans, les enfants sont associés aux spectacles organisés par le Puy-du-

Fou.

Un lien fort est établi entre l’enseignement « général » et la formation artistique, pour « s’inscrire dans le réel »

et créer une unité qui donne du sens. Quand on travaille sur « la ligne brisée » en géométrie, on peut à la fois la

dessiner sur une feuille ou la former à plusieurs lors d’un cours de danse ou de théâtre.

EXEMPLE : LE PROJET DEMOS

Coordonné par la Cité de la Musique - Philharmonie de Paris, le projet Démos est destiné à des enfants

habitant des quartiers relevant de la Politique de la Ville, ainsi que dans des zones rurales insuffisamment

dotées en institutions culturelles. Ce projet permet d’ancrer, dès le plus jeune âge, la pratique de la musique

classique dans la vie des enfants en les faisant jouer au sein d’un orchestre symphonique.

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A l’école Vitagliano, à Marseille, ce projet musical est inclus dans le projet d’école et permet de travailler

l’écoute, le vivre ensemble, le goût de l’effort, et surtout, la fierté. «Les enfants que nous accueillons

connaissent des difficultés scolaires qui peuvent s’accompagner de difficultés sociales, familiales et de troubles

du comportement qui entravent ou ralentissent leur scolarité. Aucun enfant n’avait appréhendé la musique

auparavant. Ce projet leur donne des ailes. », dit Marie-Laure Fazi, directrice de l’école.

EXEMPLE : LA POUPEE EN TRICOT DE LAINE DANS L’ECOLE PERCEVAL DE CHATOU (78). PEDAGOGIE STEINER

« L’enfant construit son individualité, développe sa créativité propre, son initiative d’homme de demain dans le

jeu d’aujourd’hui » (Rudolf Steiner).

La pédagogie Steiner utilise et développe la créativité artistique et artisanale comme support des

apprentissages. Par exemple, en CP et CE1, les enfants sont invités à réaliser des petits objets en tricot, d’une

complexité croissante. Il y a une souris, puis un mouton, une poupée qu’on habille et enfin une balle assez

grosse. Chacun réalise à son rythme les objets, aidé par un adulte. Certains réalisent l’ensemble des figures dès

le CP, et d’autres auront besoin de plus de temps, jusqu’à deux années, selon leur temporalité. L’objectif

scolaire au sens strict est d’acquérir des notions de mathématiques. Ces dernières sont assez complexes car,

au-delà de compter les points tout en respectant les couleurs, les enfants font des diminutions et des

agrandissements qui obligent à des comptages et des multiplications précises, sans lesquels l’objet n’est pas

symétrique ! Mais, de façon plus profonde, le plaisir de créer, puis celui d’avoir fabriqué un bel objet, le temps

consacré à sa confection, la progression lente mais visible de leur talent, la compréhension des étapes de

construction s’impriment de façon positive dans le fonctionnement des enfants. Ils apprennent avec leur

doigts, leur plaisir, leur intelligence, leur fierté. L’apprentissage est complet et s’inscrit solidement dans leur

développement. Dans cette école, cette activité qui paraît récréative s’appelle « du travail » et, en effet, c’est

ce qu’elle est, profondément.

EXEMPLE : PLUME, UNE APPLICATION POUR DEVELOPPER L’ECRITURE

Aude Guéneau est une enseignante de lettres qui forme d’autres enseignants. Elle cherchait un moyen de

développer l’écriture chez les enfants de 8 à 11 ans. Elle a créé l’application « Plume » qui est notamment

proposée aux enseignants, sur abonnement.

« L’enfant choisit un univers thématique adapté à son âge et à son niveau de lecture et d’écriture. Plusieurs

histoires lui sont proposées. Le principe est simple : l’enfant reçoit le premier chapitre de l’histoire. Il se voit

ensuite confier des missions d'écriture appropriées qui lui permettent d'accéder à la suite. Chaque mission

réussie lui vaut de gagner une gratification virtuelle. Des corrections lui sont proposées afin qu'il progresse

dans son travail d'écriture. Les histoires sont programmées, sur la base d’une action quotidienne, pour ne durer

qu’une semaine. »

Comme les enfants écrivent eux-mêmes, ils sont très concentrés. Ils accordent une grande valeur à leur

production et sont particulièrement attentifs à l’orthographe, à la grammaire… Ils mobilisent leurs

connaissances pour les utiliser dans un exercice qui stimule leur imagination, et ils progressent ainsi en lecture

et en écriture.

LES EMOTIONS B)

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Longtemps on a opposé les émotions et la cognition dans le processus des apprentissages. Les études

scientifiques récentes ont remis en cause ce modèle. Il s’agit maintenant de trouver quelle stratégie mettre en

oeuvre à l’école pour que les émotions puissent bénéficier aux apprentissages au lieu d’interférer avec eux. On

sait en particulier qu’elles peuvent contribuer à favoriser l’attention, la mémoire et la réussite. En

neurosciences, on souligne le rôle de l’amygdale comme région facilitatrice de l’activité dans les systèmes

cérébraux qui sous-tendent l’attention et la mémoire.

Les émotions jouent un rôle considérable dans la vie de l’élève, en particulier à l’adolescence. Comme le

résume Sheryl Feinstein dans « Le cerveau en construction » : « Pour interpréter l’information, l’adolescent ne

sollicite pas la même région cérébrale que l’adulte. Ce dernier déduit le sens des choses avec ses lobes

frontaux, siège de la logique, de la réflexion. Pour interpréter la même information, l’adolescent, lui, recourt à

l’amygdale, le centre émotionnel du cerveau ». Grâce à la prise en compte des émotions, on peut à la fois

mieux comprendre le fonctionnement de l’adolescent et utiliser des ressources que l’on trouve en abondance

chez lui, tout en permettant à ces adultes en devenir d’apprendre à gérer les débordements émotionnels et à

utiliser plus facilement leur rationalité.

L’idée est que les émotions, qui focalisent l’attention et la mémoire vers leur objet en annihilant les autres

soient orientées de façon « utile ». Par exemple, l’intérêt, la surprise, la confusion ou l’admiration pourraient

être déclenchés chez les élèves afin de faciliter l’exploration et l’acquisition de connaissances. La curiosité est

depuis toujours considérée comme favorable aux apprentissages. Aujourd’hui, l’imagerie médicale nous

montre que la curiosité et la surprise favorisent la mémoire en activant des zones cérébrales liées aux émotions

positives.

Par ailleurs, on sait depuis toujours que des émotions négatives, par exemple liées à des situations familiales

difficiles, vont perturber les apprentissages, et même l’ambiance de la classe. Dans tous les cas, les prendre en

compte permet de les utiliser ou de les gérer au mieux afin d’optimiser l’acquisition des savoirs.

EXEMPLE : LE PROGRAMME RULER, DAVID SANDER, PROFESSEUR DE PSYCHOLOGIE, UNIVERSITE DE GENEVE

Le programme Ruler, créé par le Yale Center for Emotional Intelligence, a été adopté par plus de 1 500 écoles

dans le monde. A travers des exercices type, il vise à développer les compétences émotionnelles. Par exemple,

les enfants peuvent exprimer leurs émotions avec des graduations d’intensités et de couleurs avant d’utiliser

des mots ou avec des dessins ou des découpages. Il propose 4 items. Voici l’explication de deux d’entre eux :

1/ Le « Mood Meter » (baromètre de l’humeur) : Comment est-ce que je me sens en ce moment ?

L’idée est de savoir identifier son émotion en l’évaluant à travers le « baromètre de l’humeur ». Ainsi, chacun

devient plus conscient de la façon dont ses émotions changent tout au long de la journée et de la manière dont

elles affectent les décisions et les actions. Nous développons la conscience de nous-mêmes dont nous avons

besoin pour éclairer nos choix. Ainsi, nous acquérons un vocabulaire affectif, en précisant nos émotions de

base (« je me sens bien/mal ») par des termes plus sophistiqués (« je suis en colère, apaisé, gêné... »).

A la verticale, je mesure mon niveau d’énergie : vers le bleu, il est bas ; vers le rouge, il est haut.

A l’horizontale, je mesure mon niveau d’agrément : vers le bleu, il est bas ; vers le vert, il est haut.

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2/ Le « Meta-Moment » : Comment donner le meilleur de moi-même dans des situations difficiles ?

Le « Meta-Moment » est un bref moment de recul par rapport à une situation, où nous nous arrêtons et

pensons avant d'agir. Nous nous demandons : comment mon «meilleur moi" réagirait-il dans cette

situation ? Ainsi, le « Meta-Moment » aide-t-il à gérer des émotions fortes pour prendre de meilleures

décisions pour nous-mêmes et pour notre entourage. Avec le temps et la pratique, nous pouvons remplacer

des réponses inefficaces par des réponses productives et devenir autonomes face à des situations difficiles.

Les étapes :

1- Quelque chose se passe

2- Ressens-le

3- Arrête-toi

4- Regarde le meilleur de toi-même

5- Elabore des stratégies

6- Succès !

D’après les études de l’équipe de Yale, le Ruler est particulièrement utile dans les domaines suivants :

- Le niveau d’attention dans l'apprentissage

- La prise de décision et le jugement

- La qualité de nos relations

- La santé physique et mentale

- L’efficacité à l'école et au travail

EXEMPLE : WISDOM GAME : DES JEUX POUR APPRENDRE A GERER SES EMOTIONS EN CLASSE

Ondine Bullot, fondatrice de BetterKids, a développé des outils pour accompagner les enseignants qui

souhaitent aider leurs jeunes élèves à mieux gérer leurs émotions, en s’appuyant sur des outils numériques et

des exercices en classe. Le but est d’aider les enfants à mieux identifier leurs émotions, les nommer, les

exprimer à partir des principes de la communication non violente et à les maîtriser. Le programme s’appuie sur

une séquence avec une application numérique sur tablette, sous forme ludique (limitée à 10 minutes), suivie

d’activités en classe, avec un livret d’accompagnement pour les enseignants. Le programme, développé en

français et en anglais, est surtout utilisé dans des classes américaines, plus sensibles à cette approche.

LA PLACE DU CORPS C)

Il semble parfois que l’école française, à force d’avoir survalorisé l’intelligence spéculative, a oublié que l’enfant

n’était pas qu’un cerveau.

Un des aspects qui frappe le plus l’observateur qui découvre une classe de pédagogie alternative, c’est que

l’enfant ne s’y déplace pas de la même façon. Souvent, l’enfant travaille à même le sol, il est en chaussettes sur

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des tapis, il va librement prendre un objet ou aller aux toilettes, se rapprocher d’un camarade. Un enfant est

lové dans le coin lecture, un livre à la main, tandis que, debout, un autre termine une frise murale. Le couloir

aussi est investi, les portes sont ouvertes. L’ensemble est en général très calme. Il s’agit là de moments de

travaux « en autonomie » qui n’impliquent pas un cours à voix haute. Mais on peut remarquer que les enfants

ont choisi, chacun, la position qui leur convenait le mieux à ce moment-là pour effectuer leur travail. C’est

assez rare que cela se traduise par une position assise devant un bureau. Ils n’ont pas besoin d’évacuer la

tension accumulée par l’exigence de tenir leur corps immobile, en s’excitant, distrayant les autres, s’agitant sur

place… Donc, le stress ambiant tombe, le calme est là. Cette liberté du corps, loin de nuire à l’apprentissage,

est en fait le garant du bien-être minimal pour recevoir les enseignements.

On sait aujourd’hui que l’apprentissage, la créativité et l’intelligence ne sont pas uniquement des attributs de la

pensée mais du corps tout entier. On le voit avec le bébé : au fur et à mesure qu’il grandit et intègre de

nouveaux mouvements, son cerveau se développe en concordance, les réflexes infantiles s’intègrent par

séquences de mouvements toujours plus complexes. Ces mouvements sont « développeurs », ils permettent

un développement des connexions neurologiques. Lorsqu’une difficulté d’apprentissage survient, on évoque

rapidement un souci de connexion entre les deux hémisphères cérébraux. La communication dysharmonieuse

entre la partie majoritairement intuitive et la partie majoritairement logique du cortex est souvent mise en

cause, dans les dyslexies par exemple. On a repéré que les émotions intenses bloquaient l’accès fluide aux

lobes frontaux et que l’accès aux connaissances était coupé : c’est, par exemple, le « blanc » à l’occasion d’un

examen. Pour résumer, de façon générale, l’élève a besoin d’une fluidité au niveau du cortex pour développer

ses compétences. Tout ce que l’enseignant pourra faire afin de l’aider permet un mieux-être et un meilleur

apprentissage. C’est le principe de la « Brain Gym », développé par Paul Dennison.

EXEMPLE : LA BRAIN GYM

La Brain Gym représente un ensemble de mouvements toniques visant à développer tous les processus

mentaux nécessaires aux apprentissages : concentration, mémoire, écriture, coordination, organisation. Les

mouvements du corps coordonnés activent la production de neurotrophines qui stimulent la reproduction de

cellules nerveuses. Par les mouvements sont donc créés de nombreuses nouvelles connexions nerveuses. C’est

ainsi que l’idée s’impose à nouveau qu’il faut laisser les enfants explorer leur équilibre et s’exprimer par le

mouvement plutôt que de bloquer leurs connexions en les maintenant dans l’immobilité. L’idée générale est

que, à l’inverse du stress, le mouvement ancre la pensée. En plus de favoriser l’expression corporelle des

enfants, les mouvements codifiés par la Brain Gym sont très simples. Il s’agit par exemple de faire une « fente »

avec ses jambes, debout derrière une chaise, ou boire de l’eau dans un geste ample…

EXEMPLE : LE YOGA EN MATERNELLE

De plus en plus de classes, principalement en maternelle, proposent aux enfants des mini-séances de yoga pour

aider les élèves à prendre conscience de leur corps, pour apprendre à gérer leurs émotions, pour développer

leur intériorité et leur facilité de concentration. Depuis 2013, cette démarche est agréée par le ministère de

l’Education nationale et elle s’inscrit dans les programmes officiels qui prévoient notamment un domaine « Agir

avec son corps » en maternelle. Elisabeth Jouanne, professeur des écoles en maternelle, qui pratique le yoga

dans sa classe, a même développé avec Bayard Education (partenaire de VersLeHaut) une malette pédagogique

à destination des enseignants de cycle 1 qui souhaitent se lancer.

EXEMPLE : L’ECOLE MAININKI A HELSINKI (FINLANDE) : « ON N’OUBLIE PAS QUE CE SONT DES ENFANTS » (D’APRES LE JOURNAL DU DIMANCHE DU 2 SEPTEMBRE 2018)

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Dans une classe de CP-CE1, toutes les chaises ont des roulettes. « Il y a 20 ans, tous les élèves étaient assis en

rang, aujourd’hui on essaie de favoriser la collaboration et le mouvement ». De fait, les enfants en chaussons

circulent entre les coussins, le piano, la tablette, les Lego, avant d’être regroupés pour une séance d’algèbre.

Tel professeur d’histoire au collège utilise le dessin, telle enseignante d’anglais propose à ses élèves de

s’asseoir par terre pour un jeu de questions-réponses sur les verbes irréguliers. Par ailleurs, les enfants ont des

journées de 4 à 6 heures en primaire (incluant le temps du déjeuner), car les éducateurs estiment que les

enfants ont d’autres choses à faire que d’être à l’école. Ils doivent jouer, rêver, courir dehors… « On n’oublie

pas que ce sont des enfants ». Liberté de mouvement, liberté pédagogique, la réussite flamboyante du système

finlandais repose essentiellement sur la liberté qui se déploie à tous les échelons du système, par ailleurs

complètement décentralisé. En feront-ils des êtres libres ? Le directeur, Eero King, l’espère : «Notre but n’est

pas de former des élèves pour qu’ils réussissent aux examens, c’est de les préparer à la vie ».

EXEMPLE : LA METHODE DE SINGAPOUR LAISSE UNE PLACE AU CORPS POUR APPRENDRE LES MATHEMATIQUES

La méthode qui brille dans les classements internationaux utilise des concepts simples, comme celui de

prendre le temps d’explorer une notion mathématique avec son corps avant de passer à l’abstraction. Par

exemple, on peut voir des enfants circuler sur une bande numérique géante afin d’entrer dans l’addition. Les

enfants marchent sur le chemin : s’ils sont sur le 5, ils doivent avancer de trois pour arriver au 8. Une fois sur le

8, s’ils veulent aller au 6, ils doivent se retourner, ils comprennent bien que la soustraction est l’opération

inverse. L’abstraction vient ensuite. L’ancrage de la réalité mathématique dans le corps et dans l’espace

favorise cette réussite.

EXEMPLE : LA GRAMMAIRE « EN SITUATION »

Déplorant une vision parfois trop abstraite de l’enseignement, certains enseignants veillent à travailler la

grammaire à partir de situations vécues par les élèves, en joignant parfois le geste à la parole : « Je me lève ».

Cette approche permet, pour des élèves ayant des difficultés d’abstraction, de mieux comprendre la nature et

la fonction des mots. Il ne s’agit surtout pas de réduire l’enseignement à l’horizon limité d’un enfant et de s’en

tenir uniquement à ce qu’il a sous les yeux. Au contraire, l’enseignant doit lui ouvrir de nouveaux horizons.

Mais il est vital de ne jamais perdre de vue la question du sens : on apprend mieux ce qui fait sens.

LA PLACE DE L ’ENVIRONNEMENT D)

Comment se sentir bien dans la classe ?

La salle de classe est un enjeu plus important qu’on peut le croire. L’étude sur le vécu scolaire par

l’Observatoire International de la Violence à l’Ecole a souligné l’importance du bien-être dans les lieux

fréquentés, à commencer par la classe, dans laquelle malheureusement un quart des élèves, tous niveaux

confondus, ne se sentent pas bien.

Certaines initiatives cherchent à s’appuyer sur cet espace pour améliorer le bien-être et les apprentissages.

EXEMPLE : LA SALLE DE CLASSE DE CLOTHILDE JOUZEAU, ENSEIGNANTE EN ELEMENTAIRE, ECOLE PUBLIQUE HERRIOT DE PERPIGNAN

« Accueillir les élèves dans un espace que l’on construit avec eux me semble être la première condition pour

que l’espace classe soit un lieu dans lequel il fait bon vivre. Penser et concevoir le lieu avec les enfants, c’est

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prendre en compte leur bien-être et entendre leurs demandes. Faire en sorte qu’ils aient du plaisir à venir est

un des préalables à l’entrée dans les apprentissages. Plutôt que de penser apprentissages et postures d’élève,

je préfère penser l’espace dans lequel les enfants ont envie de devenir élève.

C’est pour cette raison que, chaque année, je minimalise le mobilier et suggère des espaces que nous allons

développer et aménager ensemble. Dans un coin, un ordinateur équipé avec Linux et des jeux pédagogiques.

Ailleurs, une table basse, des jeux de société, une chauffeuse pour lire confortablement installé, un meuble

avec du matériel d’arts plastiques et une table sans chaise autour. Des tables en îlots avec des chaises qui se

font face, un pendrillon avec des cintres à pinces récupérés. Plus traditionnel, des tables qui font face au

tableau… Cette classe de cycle 3, avec des espaces dédiés, s’inspire de ce qui se fait en maternelle. Elle est une

réponse à la diversité des élèves et permet de différencier les apprentissages qui sont adaptés aux objectifs

fixés pour chacun. Ces espaces sont utilisés tantôt comme des lieux d’apprentissage, tantôt comme des

espaces de pause, voire de récompense, ou alors, comme des sas dans lesquels un élève qui juge en avoir

besoin peut s’isoler momentanément.

L’utilisation des coins, comme des lieux d’apprentissage à part entière, avec des compétences spécifiques, me

permet d’individualiser les parcours, tout en maintenant un esprit collaboratif et coopératif entre les élèves ».

La classe est un microcosme de la société. Les élèves apprennent à vivre ensemble dans la bienveillance et le

respect de leurs différences. C’est une philosophie du quotidien qui se met en place et dont, enseignante,

je suis la garante. Pas de moquerie, mais de l’entraide, de la valorisation des réussites, même des plus petites ;

pas de honte de ne pas avoir réussi parce que les erreurs sont analysées et présentées comme formatrices. Les

élèves parlent, exposent leurs différends lors des débats et, ensemble, ils trouvent des solutions dont la classe

devient la garante. Le handicap de certains élèves est expliqué aux autres. Les aménagements sont à

disposition de tous. Ils ne sont donc pas stigmatisants.

Des exemples d’aménagements qui facilitent le quotidien et sont très faciles à mettre en place, sans protocole :

- Penser une circulation libre mais ordonnée des élèves qui utilisent les espaces dédiés présentés

précédemment.

- Prévoir du matériel adapté, comme un set de table, pour aider au rangement du matériel sur la table pour les

élèves dyspraxiques ou souffrant d’un TDHA (Trouble de l’Attention et Hyperactivité), des balles de mousse,

des bouts de tissus à tripoter sans déranger ceux qui ont besoin de silence…

- Utiliser des codes couleurs pour se repérer dans les affiches et les cahiers.

EXEMPLE : AU COLLEGE SAINT-PAUL A SAINT-PAUL-SUR-ISERE : PENSEZ LA SALLE DE CLASSE COMME

UN ESPACE EVOLUTIF ET FLEXIBLE : BOUGEZ LES TABLES !

Après plusieurs années d’expérimentation avec des tablettes numériques en classe, l’équipe a fait le constat

que l’un des plus grands changements amenés par cette pratique à l’école, c’est d’inciter les adultes à travailler

autrement. En fait, la tablette vient réinterroger les pratiques « traditionnelles » et la conception même de la

classe. Elle bouscule les représentations et invite les acteurs de l’école à moduler l’espace et le temps de la

classe. En utilisant un mobilier spécifique, des chaises à roulettes, la salle de classe peut se réaménager sur le

moment pour passer d’un grand groupe à deux grands groupes ou plusieurs petits groupes. La salle de classe

s’adapte en un instant pour aménager des espaces correspondant aux besoins. Cette souplesse favorise

l’implication et la participation des élèves ainsi que le développement des qualités de concentration et

d'adaptation des élèves.

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Une note de synthèse du Cnesco : L’aménagement des espaces a une influence sur les performances et le bien-être des élèves52

« Trois facteurs de l’aménagement des espaces influencent les performances et le bien-être des élèves : les

facteurs liés au confort (la lumière, le bruit, la température…), les facteurs permettant de satisfaire leurs

besoins cognitifs (salles clairement identifiables, personnalisées, adaptables à la pédagogie des enseignants…)

et les facteurs esthétiques (l’harmonie des couleurs, l’agencement des différents éléments en classe…).

Le bruit, notamment, a des effets négatifs sur la fatigue, le stress, la concentration, et les troubles du

comportement des élèves (Clotuche, 2014).

Bien que la question de la pérennité de la salle de classe se pose actuellement avec l’arrivée du numérique,

Musset (2017) la définit tout de même comme un « port d’attache » pour les élèves. Pour que ceux-ci se

sentent bien dans une classe (ou un espace, de manière générale), il serait nécessaire de leur laisser la

possibilité de s’approprier les lieux (Musset, 2017). »

Retrouver le contact avec la nature

De même, on ne soulignera jamais assez à quel point le contact avec les éléments naturels est un facteur

d’équilibre et de sérénité chez les jeunes, en particulier les plus en difficulté. L’air non confiné, bien sûr, mais

aussi l’environnement sonore, les odeurs, le contact des végétaux et de la terre, la présence du vivant… Toutes

ces sensations contribuent à relier la personne à son environnement, à l’asseoir dans le monde, en lui

apportant de la sérénité. Cela se vérifie à tel point que certaines classes de Suède ont même décidé de ne plus

s’installer dans des bâtiments mais en forêt, sauf en cas de fortes intempéries. En France, certaines initiatives

s’appuient sur ce constat pour développer d’autres fonctionnements.

La psychologue Sophie Marinopoulos, qui a notamment fondé l’association Les Pâtes au Beurre, insiste sur la

nécessité pour les enfants de pouvoir, dès le plus jeune âge, être en contact avec la nature : marcher pieds nus,

toucher de la terre… Un certain « hygiénisme » enferme parfois les enfants dans un univers aseptisé et

desséchant.

EXEMPLE : UNE HEURE DE COLLE AU GRAND AIR, COLLEGE PIERRE MENDES-FRANCE (75)

Au collège Pierre Mendès-France, à Paris, les élèves ne passent par leurs heures de colles dans une salle de

classe mais dans le jardin de l’établissement. C’est l’une des plus grandes fermes urbaines de Paris, avec 4 500

m2 de surface, un potager, 200 arbres fruitiers et un poulailler, gérés par l’association Veni Verdi… et par les

élèves !

Le collège REP (Réseau d’Education prioritaire), a mis en place avec l’association des « mesures de

responsabilisation » pour les élèves en difficultés scolaires ou sociales. Les sanctions sont adaptées aux profils

des élèves. « S’ils ont besoin de se défouler, nous leur faisons déplacer de la terre, par exemple »,

indique Simon Ronceray, ingénieur agronome et l’un des acteurs du projet. L’idée est loin de se résumer à une

simple « sanction », c’est surtout « de montrer aux élèves qu’ils peuvent réaliser des choses de leurs mains et

se rendre intéressants autrement que dans la provocation. Et puis certains reviennent… par plaisir. »

Depuis que cette solution a été mise en place, il y a deux ans et demi, le décrochage scolaire est en baisse et

certains élèves se découvrent des vocations pour des métiers manuels comme paysagiste, maraîcher ou

52 Cnesco – Qualité de vie à l’école : enquête sur la restauration et l’architecture scolaires – octobre 2017

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jardinier. Une quarantaine d’élèves sur les 700 que compte l’établissement y viennent même en dehors de

leurs temps scolaires pour s’occuper du jardin et du poulailler.

La ferme est également un outil pédagogique qui permet aux professeurs d’utiliser le potentiel du jardin à des

fins éducatives.

Les espaces verts attirent aussi des entreprises qui viennent y organiser des séminaires de jardinage pour

renforcer l’esprit d’équipe. Les rôles sont alors inversés, ce sont les adolescents qui prennent la place de

professeurs pour expliquer aux salariés comment bien s’occuper du jardin et soigner les poules. Une

opportunité qui redonne confiance à certains élèves (d’après une interview parue dans Le Figaro, juin 2018).

Faire pour apprendre 4.Les approches pédagogiques traditionnelles présentent souvent la chronologie suivante : il faut apprendre pour

faire ensuite. On passe ainsi de l’abstraction à la réalité. Certaines approches pédagogiques renversent cette

logique et proposent de faire pour apprendre. C’est le passage à l’action qui va faciliter l’apprentissage.

A) ENSEIGNER A DES ENFANTS « PEU SCOLAIRES » SANS BAISSER LE NIVE AU

D ’EXIGENCE : LA PEDAGOGIE DE PROJE T

La pédagogie de projet est une approche qui consiste à aborder des notions scolaires multiples en les intégrant

à un projet transdisciplinaire qui s’étend sur plusieurs semaines, voire toute l’année. Un exemple célèbre est

développé dans le film « Les Héritiers» (de Marie-Castille Mention-Schaar) retraçant l’expérience de toute une

classe de collège d’un quartier populaire découvrant la Shoah et travaillant autour de ce sujet à l’aide d’une

professeure d’histoire incarnée par Ariane Ascaride (2014).

La pédagogie de projet permet de prendre en compte la réalité d’un public qui peut avoir des difficultés à se

concentrer sur des savoirs livresques sans abaisser le niveau des exigences. Au bout de l’expérience, les savoirs

sont bien acquis, mais ils l’ont été de façon différente. C’est un vecteur de connaissance très efficace.

EXEMPLE : IANNIS RODER, COLLEGE SAINT-DENIS (93)

Professeur d’histoire en collège à Saint-Denis, Iannis Roder réussit à intéresser ses élèves et à les mettre au

travail en remplaçant un enseignement en cours magistraux par une pédagogie de projet. L’idée est de faire

acquérir les connaissances de façon détournée, sans baisser le niveau des exigences, mais en faisant

autrement. Les élèves retrouvent le sens de ce qu’ils font en étudiant un phénomène dans différentes

disciplines, de façon suivie.

Par ailleurs, Iannis Roder tente de relier les savoirs enseignés avec l’objectif sous-jacent qui est de comprendre

le monde dans lequel on vit et de le considérer avec un regard critique afin d’y vivre en adulte responsable. Par

exemple, il a projeté une vidéo de propagande soviétique tournée par Sergueï Eisenstein, sans en expliquer le

contexte. Les collégiens ont été très convaincus par l’artiste. Ils ont vu les immenses bénéfices que semblaient

apporter le régime collectiviste. D’une seule voix, ils ont adhéré à la thèse présentée, prêts à « collectiviser

Saint-Denis » ! Le professeur a effectué un travail de décryptage, de mise en relation d’informations

complémentaires, afin de démêler le faux du vrai, affrontant les problématiques des « fakes news »

d’aujourd’hui.

EXEMPLE : 6E PUBLIQUE A DUSSELDORF

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En Allemagne, et de façon très classique là-bas, une classe de CM2 de Düsseldorf s’est ainsi passée de cours de

mathématiques pendant toute une année. A la place, les élèves ont eu pour mission de construire une cabane

en bois de grande taille au milieu de la cour. Avec de vrais outils, du bois, et grâce à de nombreux calculs et une

collaboration permanente, ils ont réalisé le bâtiment, accompagnés par leur professeur. Ils ont expérimenté

avec leurs mains les théorèmes de Thalès et de Pythagore, la résistance des matériaux… et ont appris à

travailler ensemble sur le long terme, en coordonnant leurs actions, utilisant les points forts des uns ou des

autres. Au final, leur réalisation, très réussie, a été admirée par toute l’école. Ils étaient fiers, prêts à

recommencer.

EXEMPLE : « DONNONS VIE A LA FRISE HISTORIQUE », EMMA LECESNE, ENSEIGNANTE EN CM1 A MONTPELLIER (PRIX DU PUBLIC AU FORUM DES ENSEIGNANTS)

Ses élèves conçoivent de petites vidéos animant des personnages historiques. Cela permet aux enfants de

travailler l’écrit, les compétences numériques, de s’approprier un contenu numérique. Tout cela de façon assez

ludique. L’effet est très efficace.53

.

EXEMPLE : QUAND LES CLASSES CONTRIBUENT A WIKIPEDIA

L’association Wikimedia France, association à but non lucratif, a pour mission d’accroître les contenus de

l’encyclopédie en ligne Wikipedia et des autres projets Wikimedia, et d’animer les communautés de

contributeurs. Agréée par le ministère de l’Education nationale, elle propose plusieurs projets aux enseignants

et aux écoles : des interventions en classe, des formations… Elle développe des kits pour inviter des classes à

contribuer à Wikipedia. Certains enseignants d’écoles primaires mobilisent ainsi leurs élèves dans la recherche

d’informations sur leur commune, organisent des sorties pour photographier les monuments remarquables,

faire des recherches dans les archives… puis rédiger des contributions en respectant les conventions de

l’encyclopédie. C’est, par exemple, le cas d’un enseignant à Arcomps (Cher) qui a fait travailler sur ce projet les

27 élèves de 7 à 10 ans de sa classe de cycle 3 à triple niveau (CE2-CM1-CM2).

L’association organise aussi depuis 6 ans un concours à destination des lycéens, en partenariat avec le CLEMI

(Centre de Liaison de l’Enseignement et des Medias d’Information). 2 000 élèves y participent. Après

inscription, une classe a 8 mois pour contribuer. Un jury se réunit ensuite pour juger des meilleures

contributions, en tenant compte de la qualité des sources, de la qualité de la rédaction… A travers cette

pratique, les élèves développent de nombreuses compétences et développent intelligemment leur culture

numérique.

EXEMPLE : ENTREPRENDRE POUR APPRENDRE

Entreprendre pour Apprendre (EPA) est une fédération de quinze associations loi 1901 à but non lucratif dont

l’objectif est de favoriser l'esprit d'entreprendre des jeunes et de développer leurs compétences

entrepreneuriales. Dans toute la France, le réseau accompagne les élèves de 8 à 25 ans (du CM1 au post-Bac)

avec des professionnels de l’entreprise et du corps enseignant. Entreprendre pour Apprendre propose

notamment aux jeunes, dès le primaire, de lancer des projets entrepreneuriaux, avec leur enseignant, et avec

le « coaching » d’entrepreneurs locaux. C’est une belle occasion pour des jeunes de développer leur sens de

l’initiative et d’apprendre à travailler en équipe, tout en mettant en pratique les savoirs fondamentaux qu’ils

53 Forum des enseignants innovants et de l’innovatoin éducative – www.enseignants-innovants-2017.net

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ont appris. Pour faire les comptes, rédiger une présentation du projet, mieux vaut avoir bien suivi les cours de

mathématiques et de français. 27 000 jeunes suivent des programmes pilotés par EPA chaque année.

B) REHABIL ITER L ’ INTELLIGENCE DE LA M AIN ET LE CONTACT AV EC LA MATIERE

EXEMPLE : LES ECOLES DE PRODUCTION

C’est par exemple ce que proposent les Ecoles de Production, modèle éducatif original qui vient d’être reconnu

dans la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel.

Les élèves sont formés à un métier, niveau CAP ou BAC Pro, avec un tiers du temps en enseignement général et

un tiers du temps en atelier où ils sont mis en situation, accompagnés d’un maître professionnel. L’originalité

de l’approche : les élèves répondent à de vraies commandes, de vrais clients. Leur production est vendue et

sert à financer l’école.

Les résultats en termes d’insertion professionnelle et de réussite au diplôme sont très élevés, alors même que

le recrutement dans l’école se fait sur la seule base de la motivation.

EXEMPLE : L’OUTIL EN MAIN

L’Outil en Main est un réseau d’associations qui se proposent d’initier les enfants de 9 à 14 ans aux métiers

manuels, par des gens de métier, artisans ou ouvriers qualifiés, bénévoles à la retraite, avec de vrais outils au

sein de vrais ateliers. La transmission intergénérationnelle, la découverte d’un métier par la pratique et par le

contact avec la matière sont des éléments fondamentaux de cette démarche lancée en 1987, qui touche

aujourd’hui 2 000 enfants en France.

Construire avec les autres 5.L’enjeu de l’école n’est pas de réinventer le préceptorat. Dans un monde fortement marqué par

l’individualisme et la mise en compétition dans tous les aspects de la vie humaine (et pas seulement dans le

champ économique), l’éducation ne doit pas uniquement développer le « je », elle doit contribuer à consolider

le « nous ». Nos politiques éducatives évoquent souvent comme principale finalité l’accès à l’autonomie, elles

oublient parfois l’éducation à la relation. C’est pourtant un aspect fondamental pour aider les enfants à se

construire.

D’ailleurs, selon les recherches d’Eric Debarbieux qui ont abouti au calcul d’un indice de climat scolaire, un des

facteurs clés du bien-être à l’école reste la qualité des relations entre pairs.

« Certaines pédagogies, comme celles développant la coopération entre élèves (différentes de celles basées sur

la compétition) sont plus favorables à un climat de classe et d’établissement de qualité. La coopération entre

élèves est exigente en termes de mise en place et de respect de règles de travail : sous ces conditions, elle

produit un engagement, une motivation des élèves et permet de réduire l’absentéisme, le manque d’assiduité,

de travail et de participation. Les élèves sont acteurs de leurs apprentissages dans tous leurs aspects : cognitifs,

émotionnels, sociaux. Ce facteur renvoie au sentiment d’entraide, d’aide, de solidarité, de résilience. »

(Caroline Veltcheff).

EXEMPLE : LE TRAVAIL COLLABORATIF, ECOLE SAINTE-MARIE A SAINT-OMER. SELON LA PEDAGOGIE DU PERE FAURE

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En septembre 2018, toute l’équipe enseignante a été formée à « l’éducation à l’intériorité ». Au départ, c’est

une dimension travaillée prioritairement par les religieux. D’ailleurs, les enseignants ont été formés par des

Jésuites. Ces techniques sont utilisées aussi pour le développement personnel et l’efficacité scolaire. Les

enseignants ont donc expérimenté des exercices de relecture de pratiques et de vie, l’utilisation des temps de

silence, la pratique de la méditation et du yoga, la maîtrise de la respiration, la mise en scène théâtrale.

Pour mettre en pratique ces nouvelles techniques, Bénédicte Maesse a proposé à sa classe de CE1 une forme

de Scrabble géant. Tous les membres de la classe devaient inscrire leur prénom au sein d’un plateau géant.

L’enseignante a commencé par inscrire son propre prénom. Chaque enfant a réfléchi puis, quand il s’est senti

prêt, est venu trouver une place pour son prénom, les lettres s’imbriquant les unes avec les autres. Chacun a

décidé de la couleur de ses lettres et a pu expliquer aux autres les raisons de son choix. Certains se sont trouvés

plus en difficulté, et les autres leur sont venus en aide. Les personnalités se sont exprimées.

Ce temps de construction et d’apprentissage réel et symbolique du vivre ensemble a été suivi d’un temps de

relecture, c’est-à-dire un moment où chacun a pu s’exprimer sur ce qu’il avait pu ressentir au moment de

l’exercice. Les enfants ont perçu ce temps comme un travail très coopératif, des mots comme « entraide » et

« équipe » sont revenus souvent. Puis les élèves ont donné un nom au Scrabble géant de leurs prénoms qui

était comme un autoportrait. Ils l’ont appelé « L’équipe des CE1B ». Enfin, quelques élèves ont émis la

remarque suivante : « Tous nos prénoms forment un cœur ! ».

EXEMPLE : LE TUTORAT DES 6 ANS

A l’école Notre-Dame des Anges de Toulouse, le « tutorat » est mis en place dès le plus jeune âge. Les enfants

de 6 ans sont invités à lire des histoires aux enfants de 3 ans. Les classes ne sont pas perçues comme des silos

isolés les uns des autres mais comme des espaces poreux entre lesquels les échanges sont possibles.

EXEMPLE : LES GROUPES DE TUTORAT INTER-AGES AU COLLEGE CLISTHENE A BORDEAUX

Au collège Clisthène (Collège Lycée Innovateur (et) Socialisant (à) Taille Humaine (dans l’) Education Nationale

(et) Expérimental), à Bordeaux, chaque élève appartient à un groupe de tutorat qui rassemble 4 heures par

semaine une douzaine d’élèves de niveaux et de classes différents, accompagnés par un enseignant-tuteur. Ces

moments en groupe sont dédiés à de l’aide aux devoirs, à du travail collectif, du soutien mutuel, de

l’accompagnement personnalisé, des échanges sur des projets communs… Ce sont des occasions d’impliquer

les élèves dans la vie de l’établissement. Deux parents correspondants sont également associés à chaque

groupe de tutorat.

EXEMPLE : MEDIATEUR A TOUT AGE, ECOLE ELEMENTAIRE VICTOR HUGO A COLOMBES (92)

Dans chaque classe de l’école, dès le CP , deux enfants sont « médiateurs ». Cela signifie qu’ils ont un rôle de

conciliation dans la cour lorsqu’un différend apparaît entre deux élèves. Traditionnellement, une dispute entre

deux enfants menait à une plainte auprès de l’adulte de service, et l’un des enfants ou les deux restaient à côté

de l’adulte, en punition, jusqu’à la fin de la récréation. Jugeant que les enfants n’apprenaient rien et étaient

assez perdants, l’école a mis en place un système où l’on apprend à gérer les différends plutôt qu’à les éteindre

par l’autorité. Comme dans toute organisation qui veut introduire de la gestion de conflit, l’école a d’abord

formé plusieurs enseignants volontaires de façon assez approfondie (par l’association Médiacteurs de Bobigny).

Ils ont à leur tour formé, en une cinquantaine d’heures, les premiers enfants médiateurs.

Concrètement, les enfants revêtent à tour de rôle un gilet jaune qui les identifie dans la cour de récréation

comme médiateur de service. Si une dispute éclate, les enfants en conflit peuvent venir les trouver.

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Ensemble, ils vont dans une petite salle réservée à cet effet. Suivant un protocole bien établi, les médiateurs

déroulent les techniques de gestion de conflit jusqu’à trouver un terrain d’entente. Dans l’immense majorité

des cas, le conflit est résolu, et on ne doit pas passer à l’étape suivante, qui est de trouver un éducateur pour

les départager. Aujourd’hui, une cinquantaine d’élèves sont formés dans l’école. Bientôt, dix enfants plus

jeunes rejoindront les rangs. Une fois formés, ils échangent tous les mois sur leurs expériences au sein d’une

réunion de suivi.

Les actes de violence ont pour ainsi dire disparu depuis que l’école applique cette méthode. Le climat de l’école

y est particulièrement paisible, malgré une population très mélangée qui pourrait être sujette à plus de

violences qu’ailleurs.

Des parents ont rapporté que la benjamine de la famille, formée à la médiation, avait désormais ce rôle auprès

de ses grands frères qui font appel à elle lorsqu’ils sont en désaccord.

EXEMPLE : LA PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE : LIBRE PAROLE DE L’ENFANT ET MOTIVATION

Depuis plusieurs années, pour responsabiliser les enfants et les rendre acteurs de leur établissement, l’école

primaire Pier Giorgio Frassati, au Vésinet, implique les élèves dans le quotidien de l’école et de leur classe en

utilisant la démarche de la pédagogie institutionnelle. La vie scolaire fait l’objet d’une gestion participative par

le biais d’un conseil hebdomadaire. Ce lieu de parole régule la vie de classe et permet à chacun de s’exprimer,

proposer, féliciter et régler les conflits. Chaque élève participe ainsi à l’élaboration des projets, des droits, des

devoirs et des règles de vie. Chaque vendredi, les élèves se réunissent en conseil pour faire un bilan et résoudre

toutes sortes de problème. C’est l’un des multiples outils mis à leur disposition pour qu’ils prennent la parole et

influent directement sur la vie de leur école. Si l’élève perçoit le lieu école comme un endroit de repères, de

sécurité, où l’on peut régler des questions, il va progressivement prendre en charge sa vie d’écolier. Il va garder

ou retrouver le goût d’apprendre, à travers son engagement et ses initiatives.

EXEMPLE : UN WEEK-END COLLABORATIF AU COLLEGE SAINT-JEAN A SAINT-JEAN-SAINT-SULPICE (81)

Parents d’élèves, élèves, enseignants, éducateurs, artisans, designers, artistes, informaticiens,… tous ont

répondu présent à l’appel du collège et du collectif toulousain Culture Remix qui co-organisait l’événement.

Quatre groupes de 6 remixeurs aux profils variés (concepteur, médiateur, informaticien, usager du collège et

expert de l’éducation, assortis d’un facilitateur dont le rôle est d’accompagner le développement des idées),

avaient chacun un problème à résoudre.

Le groupe qui travaillait sur l’attention en classe a proposé une nouvelle configuration de la classe. Une salle

avec un mini-amphithéâtre permet la transmission des savoirs. Puis, les élèves rejoignent le « learning lab »

pour travailler en équipe sur une mission en îlots, en mettant en avant l’enseignement mutuel. Ce projet est

interdisciplinaire. Avec l’aide du Fablab, le groupe a également créé une nouvelle chaise « Comme sur des

roulettes » qui permet davantage de mobilité dans l’espace, un capteur de bruit pour maintenir un niveau

sonore acceptable et un système de sollicitation de l’enseignant.

Associer les familles 6.

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Comme le développait le rapport de VersLeHaut de juin 2017, « Soutenir les familles, le meilleur investissement

social », la plus forte implication des familles dans la scolarité est l’un des leviers les plus efficaces (et les moins

coûteux) de la réussite scolaire.

L’enfant arrive à l’école chargé d’une histoire, d’une culture propre, avec des valeurs et des repères singuliers,

qui peuvent être en résonnance ou non avec ceux portés par l’établissement. Partir de ces données permet

d’apporter une réponse plus adaptée à l’enfant qui arrive dans un milieu scolaire qui lui est plus ou moins

proche. Des chercheurs font aujourd’hui l’hypothèse que, si les garçons réussissent moins dans le système

scolaire, c’est aussi parce qu’ils y reçoivent un enseignement dispensé essentiellement par des femmes, qui

valorise des qualités plutôt féminines (comme la fluidité du langage, une moindre occupation de l’espace). Par

ailleurs, les grands gagnants des concours de l’Enseignement supérieur sont massivement des enfants

d’enseignants. Ce qui appuie l’idée que la proximité avec le milieu apprenant est un gage de réussite scolaire. A

contrario, les familles les plus éloignées du système peinent à y faire réussir leurs enfants.

Pire, comme le rappelle Marie-Aleth Grard, d’ATD Quart Monde, le risque existe d’un « conflit de loyauté »

pour les élèves de milieu populaire dont les parents n’ont pas de diplôme ou de parcours scolaire. D’une

certaine façon, réussir à l’école pourrait être perçu par ces enfants comme une trahison à l’égard de leur milieu

familial, un dénigrement implicite de leurs parents. Pour lutter contre ce conflit de loyauté, il est donc

indispensable de créer une continuité éducative forte entre les parents et l’école. Ce que certains appelent « le

triangle pédagogique » élève/parents/enseignants.

Une des façons de lutter contre cette discrimination « naturelle » est justement d’œuvrer pour rapprocher les

familles les plus éloignées de l’école.

EXEMPLE : ESPERANCE BANLIEUE, HEDWIGE HALLOPEAU, PROFESSEUR DE FRANÇAIS AU COLLEGE D’ASNIERES

L'objectif est d'apprendre à se connaître, à communiquer, à se comprendre pour parler le même langage à

l'école et à la maison. La cohérence dans l'éducation est primordiale : les mêmes messages doivent être donnés

dans les différents univers de l'enfant. Sans cela, il se sent tiraillé, perdu, en difficulté. Les enseignants doivent

comprendre les codes, les priorités, les principales activités, les us et coutumes des élèves pour pouvoir

transmettre quoi que ce soit. Les familles doivent elles aussi comprendre le système scolaire en profondeur

pour y adhérer et aider leurs enfants.

À Espérance Banlieues, depuis la création du Cours Alexandre Dumas à Montfermeil, les directeurs ont pour

habitude de faire venir la famille pour choisir avec elle la sanction adaptée pour son enfant. La décision est

donc commune, c'est un travail éducatif en coopération. Chaque école du réseau a comme priorité de travailler

le lien avec les familles.

À Marseille, le Cours Ozanam organise des randonnées en famille. En partageant une activité commune,

parents et enseignants s'apprivoisent.

À La Cordée, à Roubaix, ce sont les ateliers du soir avec les parents qui ont été choisis sur des thèmes éducatifs.

Les échanges dans la confiance, les moments gratuits (dîners de parents conviviaux parents / enseignants) sont

toujours des occasions de mieux se connaître, de mieux se comprendre pour créer un cadre cohérent et

bienveillant pour les élèves.

EXEMPLES : CLOTHILDE JOUZEAU (PERPIGNAN) INVITE LES FAMILLES

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Depuis la rentrée 2017, Clothilde Jouzeau enseigne en maternelle et travaille beaucoup avec les familles qu’elle

intègre très souvent au sein d’ateliers. Aujourd’hui, elle mène jusqu’à deux ateliers quotidiens !

Cette pratique lui a permis, depuis une vingtaine d'années qu’elle ouvre sa classe, d’abord en primaire, puis en

maternelle, d'accueillir différemment les élèves en difficulté et leurs familles, mais aussi de favoriser les

relations entre les familles qui se découvrent au cours de ces ateliers.

De même, le samedi matin, la classe est ouverte aux parents pour la leçon de lecture, en particulier pour les

non-francophones.

Les parents sont également les bienvenus pour partager leurs compétences en bricolage, en cuisine, en

calligraphie… L’idée est de valoriser le premier éducateur de l’enfant, son parent, et non pas le dévaloriser dans

sa fonction parce qu’il vient, par exemple, d’une autre culture.

EXEMPLE : L’EVALUATION TRIPARTITE DE L’ECOLE JONATHAN AU QUEBEC

Deux fois par an, une rencontre tripartite éducatrice-parents-enfant met en commun les observations. Une

copie de l’évaluation de l’école et de celle de la maison sont échangées. Ces deux évaluations sont faites

préalablement à la rencontre. Pour l’évaluation de l’école, l’éducatrice rencontre l’enfant. Ils regardent

ensemble les projets et son autoévaluation. L’éducatrice lui communique ses observations sur son

développement depuis la dernière évaluation. Elle fait un bilan écrit de ses observations qui tiendront compte

également des ateliers auxquels l’enfant a participé et de son développement global. Pour l’évaluation faite à la

maison, les parents et l’enfant font aussi un bilan écrit. Pour ce faire, une grille d’évaluation est suggérée par

l’école, offrant plusieurs thèmes à développer. On décide de choisir un ou plusieurs des thèmes proposés par

l’école ou d’en changer selon les besoins. On peut aussi s’inspirer de la grille pour développer ses propres

outils. De plus, on regarde la dernière autoévaluation, les objectifs visés, et on fait le bilan des moyens utilisés

pour les atteindre. On les poursuit ou on s’en fixe d’autres. C’est un moment de réflexion important qui permet

de prendre du recul par rapport au développement de l’enfant à la maison. Source : site internet de l’école

EXEMPLE : LES CONFERENCES POUR LES PARENTS

Beaucoup d’établissements mettent en place des réunions avec les parents pour les accompagner dans leurs

missions. Certains établissements privés rendent même obligatoires la participation des parents à au moins 3

rencontres par an. D’autres proposent des cycles facultatifs.

C’est le cas, par exemple, des établissements Charles Péguy à Paris 11° et à Bobigny qui proposent des parcours

pour les parents « Repères pour éduquer ».

Il s’agit de 3 soirées qui rassemblent 70/80 parents.

La soirée commence par un petit exposé de 20/30 minutes, suivi d’un échange entre parents par petits

groupes, puis d’un débat avec un rapporteur par groupe. A la fin de la séance, un « exercice pratique » est

proposé aux parents. A la séance suivante, un temps d’échange est prévu pour que les parents témoignent de

la portée de cet « exercice » dans leur famille.

Exemples d’exercices pratiques :

A une demande d’un adolescent qu’on refuse d’habitude, proposer de répondre : « Pourquoi pas ? », tout en

fixant un cadre.

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Des ateliers sont proposés, qui portent sur la maîtrise de la langue, le rapport à la lecture… On peut aborder

des questions simples : parler avec ses enfants, les faire parler en les laissant formuler leurs réflexions jusqu’au

bout. Des séances sur la lecture permettent aussi d’aborder certains blocages culturels.

Dans certains contextes culturels, la lecture peut être considérée comme de l’oisiveté. Une responsable

d’établissement évoquait ainsi le cas de jeunes élèves d’origine sri-lankaise à qui l’enseignante avait remis un

livre et qui lui avaient expliqué qu’elles ne pouvaient pas lire à la maison car leurs parents estimaient que

c’était une perte de temps et qu’il fallait qu’elles s’occupent à d’autres tâches plus utiles. Un échange avec les

familles sur l’utilité de la lecture avait permis de débloquer la situation.

Les échanges avec les familles peuvent aussi contribuer à « décomplexer » certains parents qui, faute de

diplômes, se sentent illégitimes pour accompagner leurs enfants dans le suivi scolaire. Christiane Conturie, qui

intervient notamment dans l’établissement Charles Péguy de Bobigny, explique ainsi comment on peut

rappeler à des parents que « l’intelligence du cœur » est un trésor qu’ils peuvent partager avec leurs enfants et

qui contribuera aussi à leur réussite scolaire. L’a priori de bienveillance et de curiosité, la capacité à se mettre à

la place des autres, le fait de montrer qu’il y a des choses intéressantes en dehors de soi sont des postures

éthiques qui favorisent le développement de l’intelligence, sans être liées à un diplôme.

EXEMPLE : LE REPAS DU VENDREDI AU COLLEGE DE LA NOUVELLE CHANCE AU MANS (72)

Le collège de la Nouvelle Chance accueille et scolarise 30 jeunes, âgés de 13 à 16 ans, déscolarisés ou en cours

de déscolarisation. Son projet est fondé principalement sur un objectif de ré-inclusion sociale et scolaire du

jeune visant à lui offrir une nouvelle chance. Conçu pour un accueil temporaire adapté (une année scolaire,

voire deux), il propose un parcours personnalisé suivi par une équipe éducative pluridisciplinaire, tout en

maintenant un lien étroit avec la famille, mais aussi un apprentissage de la vie en société et de la citoyenneté.

Le lien avec les familles se manifeste, entre autre, par l’invitation faite chaque vendredi à une famille de venir

cuisiner. Enfants et parents préparent le déjeuner pour les jeunes et les adultes du collège. Ce temps est un

moment privilégié de partage en famille dans un autre cadre que la maison. C’est aussi un moyen pour la

communauté éducative de découvrir des recettes originales.

EXEMPLE : LES PETITS-DEJEUNERS AVEC LES FAMILLES

Dans certains établissements, une fois par mois, les familles sont conviées à l’école pour un petit-déjeuner.

C’est le cas à l’école Notre-Dame des Anges à Toulouse.

Réinventer la relation enseignant/enseigné 7.

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Plus les questions d’ordre et de discipline sont tendues, plus le climat scolaire est dégradé. Selon l’enquête PISA

2011 les problèmes de discipline se sont un peu aplanis entre 2000 et 2009. La question de justice scolaire

reste centrale, au cœur des relations entre enseignants et élèves.

Des chercheurs (par exemple autour de Debarbieux) ont mis au point des enquêtes visant à établir un « climat

scolaire » en France54

. L’observatoire international de la violence à l’école a complété cette approche afin de

recueillir le ressenti des élèves et des éducateurs sur leur vécu scolaire, complétant les études classiques sur les

apprentissages. On y voit se dessiner plusieurs tendances autour de la relation enseignant/élève : d’une part, la

relation professeur/élève, bien que globalement bonne se détériore au collège ; d’autre part, il existe un

sentiment d’injustice qui croît à partir du collège, surtout chez les garçons.

A) REVOIR LA POSTURE DE L ’ADULTE

« En ce qui concerne la relation pédagogique, le choix s’oriente vers un style qui promeut la coopération et

évite les deux pièges bien connus de l’autoritarisme et du laisser-faire […]. L’adulte ne se défait pas de son rôle

de leader mais il autorise et aide l’auto-organisation du groupe et l’autodiscipline du jeune en particulier par la

négociation des règles de vie et le partage des responsabilités. » (Debarbieux, 2008).

EXEMPLE : « ELLES RENVERSENT LA CLASSE », CARINE PERRIN ET LAURENCE AVY, LYCEE PROFESSIONNEL A LYON. PEDAGOGIE CARE55

CARE signifie Coopération Autonomie Responsabilité et Efficience des élèves, et aussi « prendre soin » en

anglais. C’est une pédagogie inversée, les élèves sont aux commandes, loin de la posture verticale de

l’enseignement classique. Ils préparent le contenu des cours, partagent leurs connaissances avec les autres,

construisent leurs évaluations, donnent leur avis sur le cours… L’enseignant accompagne toutes les étapes des

apprentissages dans une attitude de bienveillance et de confiance.

CARE a été labellisée par le Ministère de l’Education nationale.

EXEMPLE : ECOLE STEINER, LA CANTINE

A l’école Perceval de Chatou (78), de pédagogie Steiner, les enfants de CE2 déjeunent dans leur classe, en

compagnie de leur enseignante Catherine. Ce sont les enfants qui s’occupent de dresser la table, distribuer les

plats, et nettoyer ensuite. Ce qui frappe l’observateur extérieur, c’est le grand calme qui règne dans le

réfectoire improvisé. Catherine, elle-même d’un calme serein, répond à chaque enfant qui s’adresse à elle sans

empressement, avec toute son attention, tout comme elle le fait durant les heures dites « scolaires ». Le

déjeuner en fait d’ailleurs partie, ce temps étant considéré comme hautement pédagogique sur le plan des

relations entre enfants, du rapport au corps et à l’aliment, de la manipulation des objets de cuisine, de la prise

en charge de l’environnement… Les enfants sont concentrés sur ce qu’ils font, ils se nourrissent tout en

échangeant tranquillement avec leurs voisins. A vingt dans une classe, avec un professeur détendu, on ne

perçoit aucune de ces excitations bruyantes qui sont le quotidien des cantines habituelles et leur lot de

tensions avec les surveillants. On ne sent aucune pression. C’est une heure de véritable détente.

54 Eric Debarbieux E., Anton N. , Astor R. A., Benbenishty R., Bisson-Vaivre C., Cohen J., Giordan A., Hugonnier

B., Neulat N., Ortega Ruiz R., Saltet J., Veltcheff C., Vrand R., 2012, Le « climat scolaire » : définition, effets et conditions d’amélioration, rapport au Comité scientifique de la Direction générale de l’enseignement scolaire, MEN-DGESCO, observatoire international de la violence à l’école. 2012 55

La Croix, 27 août 2018

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EXEMPLE : UNE CLASSE DE 6E EXPERIMENTE LA DISCIPLINE POSITIVE

Dans la classe de 6e 3 du Collège Gérard Philipe, classé en REP, dans le 18

e arrondissement de Paris, les

enseignants développent depuis la rentrée 2018 une approche inspirée par la Discipline Positive. « La Discipline

Positive propose aux parents, aux enseignants et aux éducateurs un ensemble d’outils et une méthode ni

permissive ni punitive qui permet de développer chez l’enfant l’auto-discipline, le sens des responsabilités,

l’autonomie, l’envie d’apprendre, le respect mutuel et bien d’autres qualités essentielles. » Elle s’inspire des

travaux de deux psychiatres autrichiens, Alfred Adler (1870-1937) et Rudolf Dreikurs (1897-1972) et a été

développée par les américaines Jane Nelsen et Lynn Lott.

Le projet est soutenu par le principal du collège, M. Medani et porté par deux enseignants qui se sont formés, à

titre personnel, à la Discipline Positive, avant de convaincre leurs collègues de 6e de participer à cette

démarche. Une après-midi de « formation » a été proposée pour l’ensemble des enseignants de la classe, sur

les principes de la Discipline Positive et d’autres pédagogies actives (Montessori, Freinet…). Du matériel

(principalement du mobilier) a été acheté par l’établissement dans le cadre de l’enveloppe budgétaire liée à

l’action éducative, pour organiser différemment l’espace de la classe. Le programme est le même que pour les

autres classes de 6e, mais les enseignants travaillent sur leur posture : être dans l’encouragement plutôt que

dans le compliment, éviter les sanctions, mettre l’accent sur les appréciations (même si les notes sont

conservées, notamment pour les parents qui sont demandeurs), développer la remédiation entre élèves (les

élèves se corrigent mutuellement), insister sur le fait que l’erreur est l’occasion d’apprendre, de dialoguer.... Un

temps de méditation est proposé en début ou en fin de journée, avec un travail sur les émotions. 1 heure de

vie de classe par semaine (au lieu de 10 heures par an) permet d’insister sur le collectif et la responsabilisation

de chaque jeune.

Les deux enseignants porteurs du projet souhaitaient instaurer une réunion de 40 minutes tous les 15 jours

avec l’ensemble des enseignants de l’équipe mais ce temps de concertation est difficile à mettre en œuvre

dans la mesure où rien ne peut obliger les personnels à y assister.

La relation fructueuse

Certains mécanismes psycho-sociaux en jeu dans la relation d’apprentissage ont été mis en évidence depuis de

nombreuses années par la recherche en psycho-pédagogie, comme le signale Sandrine Dottori, de SOS Villages

d’Enfants.

L’effet Pygmalion en pédagogie, aussi connu sous le nom d’effet Rosenthal & Jacobson, décrit la relation qui

existe entre les attentes, les préjugés et plus largement le potentiel qu’un enseignant prête à un élève et la

capacité de ce dernier à le révéler effectivement.

A la fin des années 60, les deux chercheurs américains ont mené une expérimentation dans une école de

Californie (Oak School, à San Francisco). Ils ont fait passer des tests de QI aux élèves à la rentrée scolaire. Puis,

au hasard, ils ont surévalués une partie des élèves et ont transmis les résultats « trafiqués » aux enseignants

qui ont alors cru pouvoir identifier qui étaient les élèves les plus doués. A la fin de l’année scolaire, un nouveau

test de QI a permis de montrer que les élèves dont le score avait été artificiellement remonté en début d’année

avaient vraiment « surperformé ».

Pour Trouilloud et Sarrazin auteurs de « Connaissances actuelles sur l’effet Pygmalion : processus, poids et

modulateurs » (Revue française de Pédagogie, n° 145, 2003), il existe désormais « suffisamment de preuves

empiriques corroborant l’influence des attentes de l’enseignant – en particulier celles portant sur les

compétences scolaires des élèves – sur les choix pédagogiques de l’enseignant, ses interactions envers les

élèves, et en retour, sur les comportements scolaires et la réussite de ces derniers ».

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Plus récemment, d’autres recherches en pédagogie ont mis en évidence le mécanisme « d’illusion

d’incompétence » permettant d’entrevoir des postures d’adultes plus ou moins favorables à la construction

d’un sentiment d’efficacité personnelle chez l’élève et, in fine, à sa réussite. Ainsi, Thérèse Bouffard note dans

l’article « Illusion d’incompétence et sentiment d’impuissance » (in « Réussir à apprendre », PUF, pp. 87-89,

2009), que « la conviction de son incompétence et de son incapacité à produire les effets recherchés, qu’elle

soit ou non fondée, met en branle une dynamique complexe marquée par l’adoption d’attitudes et de

comportements menant à de piètres résultats, qui à leur tour confirment et renforcent ainsi la conviction

d’être inefficace. Ce phénomène « d’illusion d’incompétence scolaire » peut générer chez les élèves « un

grand sentiment d’impuissance et une grave perte de motivation ».

Selon Boris Cyrulnik (Journée du refus de l’échec scolaire en 2011), « le regard porté par les adultes peut avoir

un effet stimulant alors que peu d’entre eux sont conscients de l’impact affectif qu’ils ont sur les enfants. C’est

notamment le cas des professeurs. D’autant que ce qui va compter pour l’enfant est souvent considéré comme

banal par l’adulte ». La prise de conscience de l’influence du regard porté sur l’enfant est donc indispensable

pour envisager de soutenir un enfant dans sa scolarité.

La qualité de la relation enseignant/élève compte d’autant plus que l’enfant a moins de soutien chez lui. Les

catégories les plus défavorisées sont les plus sensibles à cette donnée.

EXEMPLE : LE PILIER DE LA PENSEE DE MONTESSORI : L’EDUCATEUR EST UN « FACILITATEUR »56

La pédagogie Montessori telle qu’elle a été pensée par Maria, Montessori met au centre de l’enseignement la

posture particulière de l’adulte, loin devant le matériel ou le fonctionnement de la classe. Maria Montessori

appelait de ses vœux « un nouvel éducateur qui, au lieu de la parole doit apprendre le silence ; au lieu

d’enseigner doit observer ; au lieu de se revêtir d’une dignité orgueilleuse qui veut paraître infaillible, se revêtir

d’humilité ». L’éducateur montessorien cherche à comprendre l’enfant, et non à le modeler pour qu’il soit

conforme. La mission de l’éducateur consiste à mettre l’enfant en contact avec le matériel et le savoir, l’enfant

étant l’acteur actif et impliqué principal, tandis que lui-même garde un rôle essentiel mais discret de

« facilitateur ».

Dans la même veine, Rudolf Steiner crée, au début du XXe siècle, une école qui cherche à développer le progrès

spirituel de l’homme, en s’appuyant sur la relation qui se tisse entre l’enseignant et l’enfant. Elle vise à élever

des êtres libres qui progressent grâce aux modèles vertueux des enseignants. Ces derniers cherchent à inspirer

une autorité par l’exemplarité plutôt que par la contrainte, comme dans l’approche Montessori.

B) EXPLIC ITER

L’univers scolaire est souvent plein d’implicite, comme le rappelle Sandrine Dottori, du Département Plaidoyer

de SOS Villages d’Enfants : « Les contenus des savoirs enseignés à l’école ne vont pas toujours de soi. En effet,

dans la relation éducative peuvent surgir certains « malentendus » quant à l’activité scolaire, les élèves devant

répondre à des demandes tant explicites qu’implicites de l’école.

A ce sujet, Stéphane Bonnéry, dans une recherche portant sur la transition entre l’école primaire et le collège,

met au jour l’existence de malentendus sociocognitifs entre l’enseignant et l’élève. L’enseignant peut

présupposer la compréhension de l’élève là où celui-ci ne fait qu’exécuter des consignes. Les attitudes

d’appropriation du savoir sont ainsi confondues avec des attitudes de conformité aux consignes données. Le

chercheur souligne que le processus d’abstraction attendu de la part de l’élève n’est en fait pas inculqué par

l’école. De ce fait, les élèves des milieux les plus favorisés, dont la socialisation a permis la transmission de

56 « La pédagogie Montessori », Charlotte Poussin, Puf Que-Sais-Je, 2017

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ces procédures mentales, sont aussi plus favorisés face à l’enseignement en classe reposant sur un cadre

implicite qui échappe à toute une partie de la classe.

« La pédagogie explicite », popularisée par les travaux de John Hattie, insiste ainsi sur quelques grands principes éprouvés,

qui positionne l’enseignant comme « activateur » (plus que comme « facilitateur ») : 1. Révision journalière : les notions apprises récemment sont revues en début de cours pour réactiver la mémoire et vérifier la compréhension. 2. Présentation des nouvelles notions avec un découpage progressif (du plus simple au plus complexe, du concret vers l’abstrait), avec beaucoup d’exemples, des questions posées au fur et à mesure aux élèves, des reformulations d’explications. 3. Pratique guidée : pour mettre les élèves en activité et susciter le dialogue avec l’enseignant sur les notions. 4. « Feedback » : retour précis de l’enseignant, avec des appréciations, pour guider l’élève. 5. Travail individuel (ou pratique indépendante). 6. Révisions régulières pour favoriser la mémorisation et le développement d’automatismes.

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Et le numérique dans tout ça ? 8.

A) LA NECESSITE D ’UNE « DOUBLE CULTURE »

A l’école, les « plans numériques » se sont succédés : le dernier en date a été lancé en 2015 par François

Hollande qui avait promis que tous les élèves de 5e seraient dotés d’une tablette d’ici la rentrée 2018. On a

beaucoup investi dans l’équipement informatique à l’école, au collège et au lycée, avec les encouragements

plus ou moins discrets des industriels du secteur qui se frottent les mains. Mais il est frappant de constater

qu’on a mis « la charrue avant les bœufs » : on a encore peu de contenus pédagogiques adaptés, les

enseignants sont rarement formés et les mesures d’impact sérieuses font cruellement défaut pour une

utilisation raisonnée du numérique. Comme s’il suffisait de remplacer simplement les vieux manuels par des

tablettes numériques pour transformer l’éducation…

Certains ont prophétisé la fin de l’école avec le développement du numérique. C’est le cas de Seymour Papert,

un chercheur américain, enseignant au MIT, qui a été l’un des premiers à s’intéresser aux conséquences

révolutionnaires de l’informatique sur l’éducation, dès les années 60. En 1984, il annonçait que l’ordinateur

allait mettre fin à l’école, « comprise comme quelque chose où il y a des classes, des professeurs qui font

passer des examens, des gens classés par tranche d’âge, qui suivent un programme »57

. D’autres en viennent à

expliquer que, grâce à Internet, nous n’avons plus besoin d’acquérir des savoirs et qu’il suffit d’apprendre à

chercher l’information, notre cerveau se libérant ainsi des tâches ingrates de la mémorisation pour se

concentrer sur des missions plus nobles et créatives : « l’intelligence inventive »58

. Sans réduire la pensée de

Michel Serres à ce raccourci, c’est un peu le sentiment qu’on peut avoir en lisant « La Petite Poucette », cette

fable qui s’enthousiasme sur les potentialités des jeunes générations qui naissent avec un téléphone portable

greffé entre les mains. Mais la mémoire n’est-elle qu’un disque dur qu’on peut externaliser ? Ce que nous

apprenons par cœur ne contribue-t-il pas à forger notre cœur ? Et la figure du maître devient-elle accessoire ?

Socrate se posait déjà la question il y a quelques siècles. Au final, l’écriture a permis un immense partage des

savoirs et personne n’oserait contester ses bienfaits. Mais peut-être est-ce justement parce que certains,

comme Socrate, ont su poser les bonnes questions et remettre les choses à leur place : les techniques sont des

outils au service d’une fin qui les dépasse….

Il est évident que les potentialités offertes par le numérique sont d’autant plus faciles à exploiter qu’on a déjà

un socle de connaissances solides qui rend capable de discerner, de jauger les sources… La sociologue Monique

Dagnaud, qui a beaucoup travaillé sur ces questions et étudié le profil des acteurs du numérique59

, parle à ce

sujet de la nécessité d’une « double culture » : « Ceux qui tirent le mieux leur épingle du jeu sont ceux qui sont

aussi à l’aise avec la culture classique qu’avec la culture numérique. »

Une étude de l’OCDE, basée sur l’analyse des résultats PISA, a récemment refroidi les ardeurs technicistes :

« En moyenne, au cours des dix dernières années, les pays qui ont consenti d’importants investissements dans

les technologies de l’information et de la communication dans le domaine de l’éducation n’ont enregistré

aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l’écrit, en mathématiques et

en sciences. » Les défenseurs du numérique à l'école ont aussitôt répondu que le développement des nouvelles

technologies permettait de développer d’autres compétences que PISA ne mesure pas : l’autonomie, le travail

57 « Trying to Predict the Future », Seymour Papert, Popular Computing, 3(13), pp. 30-44, 1984.

58 Selon le terme de Michel Serres dans « La Petite Poucette ».

59 « Le modèle californien. Comment l’esprit collaboratif change le monde », Monique Dagnaud, Odile Jacob,

Paris, 2016 ; « Génération Y, les jeunes et les réseaux sociaux : de la dérision à la subversion », Monique Dagnaud, Presses de Science Po, Paris, 2011.

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collaboratif, la relation avec les parents, la formation continue des enseignants, le partage de contenus

pédagogiques entre professeurs, l’ouverture de l’école sur la société… C’est sans doute vrai, mais tout est une

question de priorité… D’autres ont complété en disant que ce constat portait sur la relation entre l’équipement

numérique et les résultats, et non pas sur une bonne utilisation de l’outil. C’est tout à fait juste. Il n’en est pas

moins vrai que, pour beaucoup de jeunes, l’école reste le seul lieu où développer des compétences et

apprendre des savoirs « classiques. »

Le numérique peut servir à mieux personnaliser le suivi des élèves, à proposer des exercices adaptés à leur

progression, à assurer en temps réel leur maîtrise. Prenons l’exemple d’un enseignant qui, après un exposé

d’une nouvelle notion, fait aussitôt passer à ses élèves un petit test sur une tablette numérique afin de voir ce

qu’ils ont compris et retenu. Les résultats sont communiqués en temps réel à l’enseignant et lui permettent

alors de revenir sur ce qui n’est pas maîtrisé, d’insister sur un point de difficulté, de s’adresser plus

particulièrement aux élèves en difficulté, pendant que les autres peuvent poursuivre d’autres exercices adaptés

à leur niveau grâce à la tablette. Certains enseignants utilisent également avec beaucoup d’intelligence les

réseaux sociaux, les blogs, les radios numériques pour faire travailler les élèves sur l’écriture et l’expression.

Par ailleurs, le numérique est aussi un outil qui peut faciliter les échanges entre l’école et les familles, même s’il

ne doit pas se substituer à des rencontres régulières. Il peut même y avoir des effets néfastes où le numérique

vient brouiller la relation parents/enfants au sujet de l’école. Ainsi, les plateformes d’échanges d’informations

entre parents et établissements scolaires donnent souvent accès direct et immédiat aux notes des élèves. Cela

prive le jeune du choix du moment où évoquer ses résultats avec sa famille. Par exemple, pour un bon résultat,

un jeune peut être fier d’annoncer lui-même une note à ses parents, au moment où il pense que cela produira

le plus d’effet. Inversement, en cas de mauvais résultat, cela prive le jeune du choix du moment et de

l’explication éventuelle. Le risque est grand de réduire l’évaluation à un chiffre sur un écran ! A tel point que

des établissements décident de « désactiver » cette fonctionnalité pour ne pas empiéter sur la relation

parents/enfants.

B) LA FRACTURE NUMERIQUE : DES USAGES DIFFERENT S QUI POURRAIENT

CREUSER L ’ECART

Un point mérite d’être souligné : la fracture numérique a longtemps été présentée comme une des principales

menaces liées au développement des nouvelles technologies. On voit qu’en matière d’équipement, elle est

presque résorbée en France. Selon l’enquête PISA de 2012, 99% des jeunes de 15 ans ont accès à un ordinateur

connecté ; 96% des élèves issus de milieux défavorisés ont accès à Internet à leur domicile. Même s’ils sont très

minoritaires, il reste des jeunes qui n’ont pas accès à ces outils. Ils sont d’autant plus exclus que l’usage du

numérique est désormais généralisé : pour chercher une formation et s’inscrire dans une école, pour chercher

un emploi… N’oublions pas ces jeunes et ces familles sous prétexte qu’ils sont peu nombreux !

Si la fracture relative à l’équipement concerne une petite minorité, elle est menaçante s’agissant des usages !

En moyenne, les enfants des classes sociales favorisées utilisent davantage le numérique pour des usages de

découverte. Ceux des classes populaires, pour le divertissement. En clair, il existe un risque que le numérique

creuse les inégalités au lieu de les résorber.

Une enquête du Centre de Recherche en Éducation de Nantes, menée en 2013 auprès de 1 600 lycéens,

montre par exemple que les usages du numérique dépendent du niveau scolaire, du sexe et de l'origine sociale.

Les chercheurs ont ainsi distingué quatre catégories d’élèves, en fonction de leur utilisation du numérique : les

productifs (20,7%), bons élèves, plutôt en filière générale, ont un usage ludique limité du numérique. Les

laborieux (23,5%) avec des résultats acceptables, et le plus souvent inscrits en filière technologique, ont un

usage ludique du numérique tout en passant plus de temps sur les réseaux sociaux. Les dilettantes (29,5%)

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travaillent peu hors de la classe, sont très connectés et passent beaucoup d’un outil à l’autre, mais ont un

regard critique sur le Net et les réseaux sociaux. Les oisifs (26,3%), plus généralement issus des classes sociales

populaires, consacrent deux fois plus de temps aux réseaux sociaux et délaissent aussi bien les outils

bureautiques que la presse numérique. S'appuyant sur ces constats, Philippe Cottier, coordinateur de l’étude,

s'inquiète du fait que, « sans éducation à ces outils, le numérique risque de creuser les écarts scolaires, donc

sociaux »60

. Au-delà de la sphère scolaire, une partie des jeunes n’a aucune idée des potentialités qu’offre le

numérique dans la recherche d’emploi et de formation. Une intervenante, qui participe à un dispositif

d’accompagnement des jeunes qui sortent de la protection de l’enfance, expliquait récemment que, parmi les

jeunes qu’elle suivait, pas un seul ne savait qu’on pouvait utiliser Internet pour trouver un travail !

Bannir purement et simplement le numérique de l’éducation serait une absurdité. Il faut au contraire

apprivoiser ces outils en se posant toujours la question : comment mettre le numérique au service de

l’éducation ? Et non l’inverse… Cela demande une certaine indépendance à l’égard des industriels du secteur :

le risque est grand pour un système public à court d’argent d’abandonner cette indépendance en cédant à

certaines sirènes sonnantes et trébuchantes.

60 « Les usages numériques des lycéens affectent-ils leur temps de travail personnel ? », François Burban,

Philippe Cottier & Christophe Michaut (CREN, Nantes), Sciences et technologies de l’information pour l’éducation et la formation (Stief), Recueil 20-2013.

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III. De la bonne initiative a

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CHAPITRE III

Des bonnes initiatives

au changement systémique

CHAPITRE III

Des bonnes initiatives au changement systémique

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Les conditions du succès et du déploiement 1.Les projets pédagogiques ambitieux sont des moteurs pour l’accomplissement des élèves, pour la motivation

des enseignants et pour le dynamisme des établissements. A partir de l’analyse des cas présentés dans le

rapport et des comparaisons internationales, on peut tenter de repérer des conditions de réussite. Nous avons

identifié 5 clés principales :

travailler en équipe ;

se former et se ressourcer en permanence ;

ne pas avoir peur d’expérimenter, de tester et, en contrepartie, d’évaluer régulièrement son action ;

s’inscrire dans la durée… tout en assurant un renouvellement ;

avoir des effectifs restreints.

Il ne s’agit pas de conditions sine qua non. Beaucoup d’enseignants arrivent à porter des projets éducatifs

ambitieux sans avoir toutes les cartes en main. C’est d’autant plus méritoire.

Au regard de ces 5 clés, nous voyons que l’organisation du système scolaire n’offre pas des conditions

optimales. Cela n’empêche pas l’innovation et l’ambition éducatives. Mais cela les rend plus difficiles. D’une

certaine façon, cela demande, de la part des enseignants et des équipes d’encadrement, un engagement

encore plus fort. A tel point qu’on a envie de parler « d’héroïsme » ! Il faudrait au contraire que le cadre soit

porteur, qu’il soit un tremplin et non un frein.

A) TRAVAILLER EN EQUIPE

L’école, c’est une communauté éducative. Pourtant, dans bien des cas, les enseignants se sentent isolés, seuls

face aux élèves. Pour le sociologue François Dubet61

, c’est un des problèmes majeurs de l’école française :

« Plus que tout, la cohérence et l’intégration des équipes éducatives peuvent renforcer les sentiments de

confiance et de sécurité émotionnelles des adultes d’abord, et des élèves ensuite… Toute la difficulté vient de ce

que notre organisation scolaire ne favorise pas la création d’équipes cohérentes et intégrées en raison du mode

d’affectation des enseignants dans les établissements et de la définition des services. Les équipes sont liées au

hasard et aux aléas des nominations et des talents. La France n’a pas une véritable culture de l’établissement

scolaire comme acteur éducatif et les injonctions récurrentes en la matière se heurtent souvent aux règles

bureaucratiques et aux habitudes. »

Comme le remarque Cécile Perrot, en charge de la recherche-action à Apprentis d’Auteuil, l’école est trop

souvent considérée comme une structure avec des compartiments cloisonnés dédiés à un niveau d’âge (les

classes). On oublie parfois que les adultes forment une équipe, avec des savoirs et des compétences variés, et

qu’ils peuvent s’organiser pour tirer le meilleur de chacun en complémentarité. C’est la conclusion d’une note

de la DEPP (Direction de l‘Evaluation, de la Prospective et de la Performance du ministère de l’Education

nationale et de la Jeunesse), tirant les principaux enseignements de l’enquête TALIS : « Enseignant en France :

un métier solitaire ? »62

.

Il est difficile pour un enseignant, surtout dans le secondaire, de porter seul un projet pédagogique. La réunion

de pré-rentrée n’est pas suffisante pour insuffler une dynamique ambitieuse. Or, les enseignants français

travaillent peu en équipe. Ainsi, si l’on regarde les résultats de l’enquête TALIS, on perçoit que 32% des

61 « Agir sur le climat scolaire », Enseignement catholique Actualités, n°368, août-septembre 2015.

62 Note d’information n°23, DEPP - Ministère de l’Education nationale, Juin 2014.

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enseignants ne participent jamais à une réunion d’équipe. Cette situation ne concerne que 9% des enseignants

dans la moyenne des pays de l’enquête. Et dans plusieurs pays, ils ne sont que 1% dans ce cas.

Dans un récent sondage OpinionWay pour la Cour des Comptes, les enseignants français disent travailler avec

leurs collègues en moyenne 2 h 27 par semaine. 36% disent cependant travailler moins de 2 h en équipe.

On note d’ailleurs que les enseignants en REP+ déclarent travailler davantage en équipe (3 h 04 / semaine).

Certains établissements mettent en place un conseil des maîtres toutes les semaines. C’est le cas, par exemple,

du groupe scolaire Concorde, à Mons-en-Barœul63

, ou du lycée horticole et paysager Saint-Jean, à Sannois.

M. Medani, principal du collège Gérard Philipe, à Paris, insiste sur le fait que les temps d’équipe ne doivent pas

seulement être consacrés au travail. La convivialité est essentielle pour faire vivre un collectif. Dans son collège,

des temps festifs sont proposés plusieurs fois par an aux équipes éducatives.

B) SE FORMER ET SE RESSO URCER EN PERMANENCE

Si les enseignants français s’estiment bien formés dans leur discipline (pour 92% d’entre eux selon l’enquête

TALIS), seuls 60% se sentent prêts à enseigner d’un point de vue pédagogique64

. En valeur absolue, on pourrait

se satisfaire de ce chiffre, même s’il montre que la situation est plus problématique pour 4 enseignants sur 10.

Mais le chiffre est encore plus inquiétant quand on regarde la situation des autres pays. La proportion monte à

89% en moyenne dans les pays de l’enquête TALIS, soit un écart de près de 30 points.

Autre sondage qui va dans le même sens, celui-ci commandé par la Cour des Comptes en 2017 : 46% des

enseignants considèrent qu’ils ne sont « pas suffisamment formés pour l'exercice de leur métier au quotidien

dans le contexte professionnel qui est le leur aujourd’hui »65.

Chez les plus jeunes (moins de 35 ans), le chiffre

monte à 54%. Il est à 53% chez les enseignants du primaire, et grimpe à 58% en maternelle. Pour les

enseignants au collège, 1 sur 3 ne s’estime pas assez formé.

De même, 96% des enseignants disent se sentir épuisés à la fin d’une journée de travail.66

Ce ressenti est

unanime, quel que soit le niveau (maternelle, primaire, collège), quelle que soit la situation de l’établissement

(en Education prioritaire ou non), quel que soit l’âge de l’enseignant. Cela ne veut pas dire que les enseignants

ne sont pas satisfaits de leur métier ou des relations avec les élèves. Ainsi, 95% d’entre eux qualifient les

relations avec leurs élèves de « confiantes », et 87% de « fructueuses ». Seule une minorité parle de relations

« agressives » (5%), « distantes » (6%) ou même « difficiles » (11%). Cela veut dire que ces métiers demandent

une énergie et une force intérieure qui doivent se renouveler en permanence. Or, ce ressourcement n’est pas

du tout prévu dans le temps de travail des enseignants. Plus globalement, la dimension « psycho-affective » et

personnelle du métier est largement sous-estimée.

DES EXEMPLES DE LIEUX DE RESSOURCEMENT

Joris Renaud, qui a cofondé EduVoices, association de micro-communautés locales permettant aux enseignants

de se retrouver pour s'inspirer et échanger sur des pratiques pédagogiques, explique que les demandes sont

particulièrement fortes sur trois points : la communication non-violente, la recherche de diversité dans le

63 Source : « Une école de la réussite pour tous. Avis du Conseil économique, social et environnemental »,

Marie-Aleth Grard, mai 2015. 64

Enquête TALIS 2012. 65

Enquête OpinionWay pour la Cour des Comptes, décembre 2017. 66

Enquête OpinionWay pour la Cour des Comptes, décembre 2017.

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rythme des séquences pédagogiques, l’utilisation du numérique comme outil de collaboration entre

enseignants.

Des platesformes, comme Etreprof.fr, développées par Synlab, offrent des espaces où les enseignants peuvent

trouver des contenus venant nourrir leurs pratiques et où ils peuvent échanger avec leurs pairs.

De son côté, l’association Public Montessori a identifié que l’isolement des enseignants était l’un des principaux

freins au déploiement de la pédagogie Montessori dans l’Education nationale. Elle propose donc à des groupes

départementaux de fédérer les enseignants qui veulent avancer sur ces sujets. A ce jour, plus de 1 000

enseignants adhèrent à l’association, répartis dans plus de 50 groupes départementaux.

Le parcours Heureux les Enseignants s’adresse à tous les enseignants (public, privé), de tous niveaux et de

toutes disciplines, expérimentés ou débutants, et leur propose un parcours de réflexion et d’échanges sur leur

métier, alliant pédagogie, éducation et spiritualité.

Selon les organisateurs, « il a pour but de plonger dans les raisons de fond pour lesquelles nombre de

professeurs ont choisi cette voie, d’enrichir la réflexion sur les enjeux éducatifs actuels, de se conforter dans la

mission et de se nourrir des conseils et des expériences pédagogiques et éducatives de tous. La mission du

professeur déborde tous les jours du cadre de son métier. Trouver ou retrouver le sens de cette mission, c’est

s’enraciner dans des convictions profondes, se nourrir de l’esprit de l’éducation et en vivre, suivre un chemin

passionnant de relations et découvrir que ce métier rend heureux.»

Concrètement, il s’agit de 7 soirées thématiques, avec des temps d’exposés, de témoignages et d’échanges,

suivis d’un repas. Des exercices pratiques sont proposés aux participants, afin de passer de la réflexion à

l’action. Les thèmes sont : la confiance (Comment exercer une autorité qui fait grandir ?) ; la force (Où puisons-

nous la force dont nous avons besoin pour bien vivre notre métier ?) ; la vérité (Comment éveiller et former la

conscience ?) ; le conseil (Comment rejoindre le désir profond d‘un jeune ?) ; l’intériorité (Quelle place pour la

parole et le silence dans nos classes ? Dans nos vies ?) ; la formation du cœur (Comment éduquer la sensibilité,

faire place aux émotions ?) ; la fraternité (Comment créer un climat fraternel dans une classe ?)…

Exemple d’exercice pratique : Demander conseil à un autre enseignant, dans la semaine qui vient, sur sa

pratique professionnel.

Il est important de pouvoir offrir aux enseignants des espaces d’échanges et de ressourcement, hors des

logiques hiérarchiques. Cela crée des solidarités, permet la diffusion de bonnes pratiques et la respiration

professionnelle… Il est essentiel de briser le risque de solitude.

C) EXPERIMENTER DANS LA CONFIANCE… ET EVALUER REGULIEREMEN T

Pour se lancer dans des projets éducatifs ambitieux, les enseignants ont besoin de la confiance de leur chef

d’établissement et du regard bienveillant du rectorat. Plus largement, c’est toute une culture de l’innovation

qui doit se déployer au sein de l’Education nationale. Cela passe par un discours politique de confiance à

l’égard des enseignants, et par une impulsion à travers des signes concrets. La création d’un laboratoire

d’innovation au sein même du ministère – le Lab 110 bis - en est un. La valorisation des innovateurs, à

l’occasion de la « Journée de l’innovation », est un autre exemple de cette dynamique, même si on peut

déplorer le faible écho donné à cet événement organisé par le ministère qui prime chaque année des projets

pédagogiques portés par des enseignants de toute la France.

Globalement, le ministère reste marqué par une culture de l’infantilisation – notamment dans les rapports

hiérarchiques - et il reste encore beaucoup à faire pour que grandisse la confiance et l’autonomie.

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Un ingrédient majeur est la confiance des parents dans les enseignants. Même si les « innovateurs »

témoignent qu’il faut prendre le temps d’échanger avec les familles lorsqu’on met en place des modes de

travail innovants, ils font rarement face à des levées de bouclier quand les enjeux et les finalités sont bien

expliqués et compris. D’ailleurs, seulement 12% des parents considèrent que les enseignants ont trop de liberté

dans le choix de leurs méthodes et de leurs pratiques.67

L’un des enjeux prioritaires pour renforcer la culture de l’expérimentation et de l’évaluation est de renforcer le

lien entre l’enseignement et la recherche, de mettre les enseignants en position de chercheurs et d’évaluateurs

permanents de leurs pratiques. Les dispositifs de recherches-actions impliquant des enseignants sont encore

trop rares dans l’école française. C’est aussi à travers ce type de démarche, qui prévoit des évaluations en

permanence, qu’on évite les expérimentations qui se prolongent, voire se déploient, même lorsqu’elles

n’apportent pas de résultats.

EXEMPLE : LABSCHOOL NETWORK

La LabSchool Paris, fondée par Pascale Haag, est un exemple de cette volonté d’associer enseignement et

recherche. Les LabSchools sont des écoles adossées à une université. Elles existent depuis la fin du XIXe siècle et

visent à favoriser la collaboration entre écoles pilotes et laboratoires de recherche. La LabSchool de Paris est le

premier établissement en France fondé sur ce modèle.

L’EXEMPLE DES CHARGES D’ANIMATION ET D’INNOVATION PEDAGOGIQUE (CAIP) DANS LES ETABLISSEMENTS SCOLAIRES D’APPRENTIS D’AUTEUIL

Au sein des établissements scolaires d’Apprentis d’Auteuil ont été créés des postes de « Chargés d’Animation

et d’Innovation pédagogique » pour des enseignants qui ont suivi un master dédié, monté en partenariat avec

l’Institut Catholique de Lille. Ce master a été interrompu faute de débouchés suffisants, mais les postes de CAIP

existent et ceux-ci continuent de recevoir une formation adaptée.

Il s’agit d’enseignants qui conservent des cours (à temps partiel) et qui, en parallèle, accompagnent les équipes

d’enseignants dans l’animation de dispositifs pédagogiques, dans l’innovation. Ils jouent notamment un rôle

dans la diffusion des bonnes pratiques, la lutte contre le décrochage scolaire…

Ces CAIP veillent à développer le travail en équipe, au sein des établissements, sous l’autorité du chef

d’établissement. Avec des décharges pour des missions de conseil, de tutorat, de coaching des jeunes

enseignants…

Proposition 4 : Développer les dispositifs de recherche-action dans les établissements scolaires, en formant les enseignants à cette pratique, pour développer la culture de l’innovation et de l’évaluation.

67 Sondage BVA pour Apprentis d’Auteuil, novembre 2018.

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D) S’ INSCRIRE DANS LA DUREE… SANS S ’ETERNISER

Pour porter un projet, il faut du temps. Le temps de comprendre les besoins des élèves, de proposer un projet

de réponse, de le valider avec d’autres, de convaincre, de le monter, de le déployer, de l’évaluer, de le

réorienter en fonction des retours… Ce temps, il manque particulièrement dans les établissements difficiles…

Dans son « Panorama des inégalités scolaires d’origine territoriale dans les collèges d’Ile-de-France », paru en

octobre 2018, le Conseil national d’Evaluation du Système scolaire (Cnesco) montre le turn-over

particulièrement fort des équipes dans les établissements des territoires les plus pauvres.

En Île-de-France, en moyenne, 26,1% des enseignants sont présents depuis au moins 8 ans dans le même

établissement. Dans les établissements qui cumulent le plus de difficultés socio-économiques, le taux baisse à

16,8%, contre 28% dans les établissements de Paris et de banlieues favorisées, ou 34,4% dans les territoires

peu denses de la grande couronne.

Commentant ces chiffres, Nathalie Mons, présidente du

Cnesco, explique la difficulté à développer des projets

pédagogiques dans ces conditions : « Lorsque vous avez la

moitié de l’équipe qui part à la fin de chaque année scolaire,

construire un projet d’établissement qui soutienne les

apprentissages est quasi impossible. Sans compter l’énergie

dépensée par les enseignants dans l’accueil, à chaque

rentrée, de nouveaux collègues – une énergie qui n’est pas

investie en classe. »68

La Cour des Comptes note que la moitié des enseignants

néo-titulaires ont été affectés en Education Prioritaire à la

rentrée 2016.

Mais le manque de mouvements n’est pas non plus favorable à la remise en cause et à l’innovation. Si certains

établissements en zone urbaine sensible ont du mal à freiner le « turn-over », dans l’ensemble, les carrières au

sein de l’Education nationale sont trop figées. Pour beaucoup d’enseignants, la mobilité consiste à atteindre

un établissement dans l’Académie de son choix et d’y rester ensuite jusqu’à la fin de sa carrière. Au bout de

30 ans de carrière, un enseignant est présent en moyenne depuis 20 ans dans son établissement !53

Des

déroulés de carrières plus stables au début et plus dynamiques dans un second temps seraient sans doute plus

propices à une culture de l’innovation pédagogique.

E) AVOIR DES EFFECTIFS R ESTREINTS

Lorsqu’on les interroge, les responsables de dispositifs innovants ont tendance à minimiser cette donnée.

Pourtant, force est de reconnaître que la question des effectifs est évidemment centrale. Dans une note de

septembre 2017, Adrien Bouguen, Julien Grenet et Marc Gurgand69

font le point sur les différentes études

68 « Le défi dans les territoires paupérisés est de stabiliser des équipes », Le Monde, Jeudi 25 octobre 2018.

69 « La taille des classes influence-t-elle la réussite scolaire ? », Adrien Bouguen, Julien Grenet et Marc Gurgand,

Les notes de l’IPP, Institut des Politiques Publiques, n°28, septembre 2017.

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françaises et internationales mesurant l’impact d’une réduction des effectifs dans les classes, en primaire et au

collège. Ils en tirent le constat global d’un impact favorable, à court terme (résultats scolaires) et à long terme

(durée d’études et niveau de rémunération). Pour eux, cet effet est favorable, même lorsqu’il n’est pas

accompagné de changements pédagogiques notables dans les classes : « Il semble que, même si les

enseignants changent peu leurs pratiques lorsqu’ils enseignent dans de plus petites classes, on y observe plus

d’engagement des élèves dans leurs tâches, moins de problèmes de discipline, plus de temps passé à

l’enseignement, davantage de prévention que de remédiation ».

De facto, la plupart des projets pédagogiques innovants portent sur des effectifs limités. La personnalisation est

plus difficile à développer dans des classes surchargées.

Dans cette perspective, le dédoublement des classes de CP et CE1, dans l’Education prioritaire, apparaît comme

un choix fort. Cela renvoie à l’ensemble de la société française la question du coût. Quel investissement

sommes-nous prêts à faire collectivement pour assurer la réussite des enfants de France, particulièrement ceux

qui sont les moins favorisés, qu’ils habitent dans les quartiers Politiques de la Ville ou en zone rurale ?

Proposition 5 : Poursuivre la politique d’abaissement du nombre d’élèves par classe en primaire pour favoriser l’approche personnalisée.

Les changements structurels pour favoriser la transition 2.éducative

Une institution qui, pour fonctionner, demande un engagement extraordinaire de ses membres, est une

institution qui dysfonctionne. Or, c’est hélas trop souvent le cas de l’Education nationale. Ce qui est en cause,

ce n’est pas l’investissement des enseignants, c’est leur capacité à déployer leurs talents pour mieux

transmettre les savoirs et les compétences, accompagner les élèves et les aider à grandir, en s’adaptant à leurs

besoins.

Il est donc indispensable de prévoir des changements structurels qui doivent faciliter le déploiement de

nouvelles approches pédagogiques. Ces changements devraient porter principalement sur :

la formation des enseignants,

la capacité des établissements à s’affirmer comme clé de voûte du système scolaire,

le mode de travail des enseignants,

la gouvernance du système éducatif70

.

A) LA REMISE A PLAT DE L A FORMATION INIT IALE ET CONTINUE DES

ENSEIGNANTS

Ancien directeur adjoint de l’Education à l’OCDE, Bernard Hugonnier, à partir des comparaisons

internationales, pointe plusieurs faiblesses de la formation française : « Les connaissances disciplinaires sont un

préalable mais un bon enseignant doit aussi apprendre comment gérer une classe, notamment les situations

difficiles ou de crise. Il doit apprendre comment travailler en équipe avec les autres enseignants ; ce qu'est le

70 Pour une approche plus détaillée des propositions, voir le rapport de VersLeHaut « Pas d’éducateur, pas

d’éducation ! », Mai 2016.

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tutorat et le coaching. Il faut aussi qu'il acquière des connaissances en neurosciences, en psychologie cognitive,

en psychologie individuelle et sociale et en science du raisonnement. Enfin, il faut qu'il maîtrise l'usage du

numérique. La formation initiale est donc cruciale mais aussi la formation continue. »

Or, on l’a vu plus haut, les enseignants français s’estiment peu formés sur un plan pédagogique. De ce manque

de formation pédagogique découle logiquement un moindre recours aux « méthodes actives ou différenciées »

par les enseignants dans les classes. Par exemple, seulement 37 % des enseignants français, contre 47 % en

moyenne TALIS, font travailler leurs élèves en petits groupes, 24 % contre 37 % les font travailler sur des

projets d’une semaine au moins. Seuls, 22% d’entre eux pratiquent une pédagogie différenciée selon le niveau

des élèves, contre 44 % en moyenne TALIS.

71 Jean-Michel Blanquer a ouvert le chantier de la formation des enseignants. Lorsqu’on les interroge sur leur

souhait de formation72

:

50% des enseignants sondés souhaiteraient avoir une formation spécifique à l'accompagnement des élèves

en difficulté,

38%, une formation à des techniques de transmission des savoirs alternatives,

31% à l’accompagnement individualisé des élèves.

Les propositions de formation disciplinaire complémentaire ont moins de succès. Seuls 13% des enseignants

sondés en demandent une.

Proposition 6 : Former davantage les enseignants aux finalités de l’éducation – dimension philosophique, anthropologique ; d’autre part, leur donner les moyens pour mieux tirer parti des enseignements de la recherche sur le développement de l’enfant (approche psycho-éducative, neuroscientifique…).

71 Source : Note de la DEPP (cf. plus haut).

72 Enquête OpinionWay pour la Cour des Comptes, décembre 2017.

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A titre d’exemple, lors des Assises de la Maternelle organisées par Boris Cyrulnik en mars 2018, une des

intervenantes regrettait que la formation des assistantes maternelles soit particulièrement inadaptée : « Dans

les manuels de préparations, il y a des paragraphes entiers sur l’appareil urinaire des enfants et si peu sur le

développement de l’enfant ».

La formation pour les enseignants en maternelle et en primaire doit être musclée : le travail sur les méthodes

d’apprentissage du français et des mathématiques permettrait sans doute de limiter la tentation de médicaliser

à outrance certains troubles d’apprentissage. Ce qui conduit à enfermer les enfants dans des cases, avec des

étiquettes. Certes, il y a des troubles médicaux réels et il convient de les dépister pour mieux accompagner les

enfants concernés mais, dans la pratique, beaucoup de troubles d’apprentissage sont liés à des méthodes

inadaptées. C’est ce que montrent les travaux d’Elisabeth Nuyts qui propose des pistes pour la remédiation des

troubles « dys » et accompagne des enseignants sur cette voie.

Au-delà de la formation initiale, la formation continue doit être revue, pour permettre le développement des

compétences des enseignants plutôt que d’être principalement le moyen de relayer la dernière réforme de la

rue de Grenelle…

Dans un référé d’avril 201573

, la Cour des Comptes notait que les enseignants français avaient en moyenne 2,5

jours de formation continue par an. La moyenne des agents de catégorie A dans la Fonction publique est de

plus de 4 jours. En 2013, la moyenne pour les enseignants des pays de l’OCDE était de 8 jours. La Cour des

Comptes déplorait au passage que la formation continue ne soit pas prise en compte dans le déroulé de

carrière des enseignants. Les magistrats de la rue Cambon signalaient d’ailleurs que la formation des

enseignants était du ressort de la Dgesco (Direction générale de l’Enseignement scolaire) et non de la DGRH

(Direction générale des Ressources humaines).

De facto, nombre d’enseignants se payent, sur leurs deniers personnels, des formations à des pratiques

alternatives. Notons au passage que la Cour des Comptes regrettait, en 2015, le fait que, en contradiction avec

les obligations légales, dans bien des cas, les dépenses de restauration, de déplacement ou d’hébergement ne

soient pas remboursées aux enseignants qui suivaient des formations.

L’association Public Montessori, qui rassemble des enseignants de l’Education nationale qui souhaitent

développer la pédagogie Montessori dans l’école publique, fait ce constat. Bien souvent, les professionnels

sont obligés de se former par eux-mêmes, sur leur temps de vacances et sur leur budget personnel, tant les

pratiques d’inspiration Montessori restent peu développées dans les plans académiques de formation : « Les

ESPE ne répondent pas vraiment aux besoins des enseignants. Du coup, soit on se forme sur le tas, soit on se

paye sa formation… ».

Des dispositifs de formation se développent pour mieux répondre aux besoins des acteurs éducatifs. L’un des

dangers, si les plans académiques de formation n’intègrent pas ces besoins exprimés par les enseignants, c’est

que des formations peu sérieuses, sans label, ni solidité scientifique se multiplient.

EXEMPLE : SAVOIR ETRE A L’ECOLE, UNE FORMATION A PARTIR D’UNE APPROCHE NEUROCOGNITIVE

L’association Savoir Etre à l’école propose des formations aux enseignants à partir d’une approche

neurocognitive et comportementale. Ses formations sont référencées dans les plans académiques de formation

de plusieurs académies (Versailles, Lyon, Paris). Elle propose également des formations dans le cadre des

propositions du CERPEP (Centre d'Études et de Recherches sur les Partenariats avec les Entreprises et les

73 « La formation continue des enseignants », Cour des Comptes, avril 2015.

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Professions). Une vingtaine de places de formation étaient proposées cette année. Plus de 450 candidatures

ont été envoyées : « Les demandes proviennent de toute la France, DOM compris ; majorité écrasante de

femmes (80%). Presque toutes les catégories de personnels sont représentées, en primaire comme en

secondaire, avec un grand nombre de professeurs–directeurs d’écoles et d’enseignants spécialisés

coordonnateurs ULIS. Beaucoup expriment une très grande motivation et font ressortir leur besoin d’aide et

leurs propres pratiques pour faire face à des situations difficiles, et leur recherche d’outils et de formations

dans le registre des applications des sciences cognitives. Certains soulignent que rien de semblable ne leur a

encore jamais été proposé. »

EXEMPLE : UN DIPLOME D’UNIVERSITE « PEDAGOGIE MONTESSORI » PORTE PAR L’ISFEC DE RENNES ET L’UCO D’ANGERS

A la rentrée 2018, pour répondre à une demande des familles et à un engouement de nombreux acteurs

éducatifs, a été ouvert un diplôme d’université « Pédagogie Montessori » pour former les enseignants du privé

sous-contrat ou du public à cette pédagogie.

Cette formation est mise en œuvre par l’Institut de Formation de l’Enseignement Catholique (ISFEC) de Rennes

– équivalent des ESPE pour l’enseignement catholique sous-contrat -, et l’Université Catholique de l’Ouest

(UCO) d’Angers.

Selon Anne Kolly, responsable du DUPM : « Cette pédagogie demande, pour être bien pratiquée et pour porter

des fruits, une formation sérieuse et complète tant en termes de contenus (environ 1 400 « présentations »

basées sur le fameux « matériel Montessori » à connaître par cœur pour pouvoir individualiser le travail) qu’en

termes de changement de posture indispensable également. La pédagogie Montessori n’est pas qu’une suite

de recettes pédagogiques et les futurs enseignants Montessori doivent avoir une solide connaissance théorique

sur les fondements pédagogiques montessoriens et sur le développement de l’enfant pour opérer cette

bascule. »

La formation propose un équilibre entre une sérieuse connaissance théorique (interventions d’universitaires)

et pratique de la pédagogie Montessori et une prise en compte des ressources pédagogiques d’aujourd’hui,

notamment avec l’intégration de la Communication Non Violente.

Depuis fin août 2018, ce sont 50 enseignants qui se sont engagés pour 3 ans de formation, à Vannes et Lyon,

afin d’acquérir les qualifications pour enseigner aux enfants de 3 à 6 ans ou de 6 à 12 ans.

EXEMPLE : UN DIPLOME D’UNIVERSITE « TRANSITION EDUCATIVE »

Le CRI (Centre de Recherches Interdisciplinaires dirigé par François Taddei) et SynLab (association fondée par

Florence Rizzo qui met en place des activités de recherche, expérimentation et accompagnement des acteurs

du monde éducatif) ont lancé avec l’Université Paris-Descartes un diplôme d’université dédié à la transition

éducative. Ce DU, sous forme de « formation/action », s’adresse aux acteurs éducatifs, particulièrement aux

cadres souhaitant porter des transformations éducatives, et leur donne des outils et des modes de travail pour

faciliter la conduite du changement dans l’univers éducatif.

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Proposition 7 : Ouvrir davantage la formation initiale et les plans académiques de formation à des approches pédagogiques innovantes, s’appuyant notamment sur les neurosciences, la psychologie cognitive.

Se pose aussi la question de l’identité des formateurs. De ce point de vue, les jeunes enseignants ont souvent

des retours très positifs des moments de tutorat, où l’accompagnement d’enseignants expérimentés et

toujours au contact des élèves leur permet de progresser dans leur pratique, avec un retour enrichissant.

Beaucoup sont plus sceptiques sur les enseignements prodigués par des universitaires qui ont parfois une

approche très théorique et abstraite de ce qui se vit dans une classe. Paradoxalement, les enseignants

souffrent, dans leur formation, de subir des approches très descendantes, parfois infantilisantes, où il y a peu

de place pour l’expérience de terrain.

Proposition 8 : Favoriser la formation par les pairs, mobilisant des enseignants expérimentés.

B) FAIRE DE L ’ETABLISSEMENT LA CLE DE VOUTE DU SYSTEME EDUCATIF

C’est au niveau de l’établissement – école, collège, lycée – que peuvent se définir et se déployer des projets

éducatifs adaptés aux besoins des jeunes et des familles. Il faut faire de l’établissement la cellule de base du

système scolaire. Et en faire une véritable communauté dans laquelle chacun a sa place et est reconnu,

valorisé. Avec, à sa tête, un chef d’établissement doté de responsabilités étendues, et pouvant s’appuyer sur

une équipe éducative soudée à ses côtés.

La question de l’autonomie est un problème récurrent. Le Syndicat national des Personnels de Direction de

l’Education nationale se plaint, par exemple, que, plus de trente ans après le décret de 1985 qui accorde en

théorie une autonomie aux établissements, les tutelles (ministère, rectorat, inspections académiques)

continuent de percevoir les établissements « comme des services déconcentrés ».

Dans la gestion de ses équipes, le chef d’établissement est dans une position délicate : il s’agit de faire « du

management sans levier », dans la mesure où le recrutement, l’évaluation, la gestion du temps de travail, le

niveau de rémunération… ne dépendent pas ou peu de lui. Il reste donc deux ressorts, selon un chef

d’établissement interrogé :

l’exemplarité – « Il faut mouiller la chemise ».

La force de conviction – « C’est uniquement par l’enthousiasme et la qualité des projets qu’on peut attirer

les bonnes volontés ».

Le renforcement de l’établissement doit porter sur la définition du projet éducatif, sur le recrutement des

équipes, sur l’animation pédagogique et sur l’évaluation.

La définition du projet éducatif

Même si la définition du projet éducatif relève déjà de l’établissement, dans la réalité, il est difficile pour une

école ou un collège de développer une approche vraiment « différente ». Certaines expérimentations sont

possibles mais elles restent largement soumises aux variations politiques ou académiques, ou à un choix parfois

arbitraire d’un inspecteur. Par exemple, le collège Clisthène, à Bordeaux, mesure à chaque rentrée que son

modèle est bien fragile et peut être remis en cause. Une variation dans les dotations horaires ou dans les

affectations peut suffire à mettre à plat des années d’engagement.

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Dans le même esprit, il est par exemple très difficile de déployer la pédagogie Montessori dans l’Education

nationale. L’une des conditions est le mélange des enfants d’âges différents (3-6 ans ; 6-12 ans). Prenons

l’exemple d’une école maternelle, il est difficile d’y organiser les classes de la sorte. Il faut par exemple que le

conseil des maîtres soit d’accord au niveau de l’école – et donc que tous les enseignants acceptent de revoir

leur organisation – et ensuite, il faut que l’inspecteur de circonscription ne s’y oppose pas. Dans la pratique, ces

conditions sont très difficiles à obtenir. L’Ecole maternelle Grands Pêchers à Montreuil avait par exemple mis

en œuvre une approche inspirée de la méthode Montessori, suivie par la CARDIE de l’Académie de Créteil.

Malgré des résultats positifs, l’instabilité de l’équipe enseignante est l’une des causes qui a conduit à la fin de

ce dispositif.

Proposition 9 : Donner aux établissements une véritable liberté pour définir des projets éducatifs différents avec, en contrepartie, une mesure d’impact rigoureuse.

Il faut noter que 3 parents sur 4 sont favorables à ce que l’on donne à l’établissement scolaire davantage de

liberté pour définir le projet et les méthodes d’enseignement74

.

Le recrutement des équipes

De même, il est difficile de construire un projet pédagogique solide sans que l’ensemble des enseignants de

l’établissement soient volontaires pour y contribuer.

Dans un sondage OpinionWay pour la Cour des Comptes de décembre 2017, on apprend que 36% des

enseignants au collège n’ont pas choisi l’établissement dans lequel ils enseignent et qui leur a été imposé. 1

enseignant sur 5 au total – en incluant maternelle, primaire, collège - s’estime dans cette situation. Il est

difficile de partager un projet éducatif dans ces conditions.

On se rappelle que Célestin Freinet a eu les pires difficultés du monde pour obtenir de l’Education nationale

une liberté de choix des enseignants, afin de s’assurer que ceux-ci soient volontaires pour s’engager dans ses

projets. Il a même dû quitter l’Education nationale pour mener à bien son projet, avant d’obtenir une

reconnaissance. Plus près de nous, les équipes du collège innovant Clisthène à Bordeaux ont notamment

dénoncé, à la rentrée 2016, une série de difficultés menaçant la réussite de leur projet innovant : « Imposez à

cette structure, à la veille de la rentrée, alors que le pari du doublement doit être gagné, des professeurs non

volontaires et qui refusent des missions spécifiques à son organisation. »75

Le recrutement sur profil devrait être systématisé, alors même qu’il reste très limité. Par exemple, dans

l’Education prioritaire, à des postes de formateurs ou de coordonnateurs de réseaux… ou sinon pour les

professeurs de classes préparatoires. Ce qu’on est capable de mettre en place pour les élèves des classes

préparatoires, on doit pouvoir le faire pour les élèves moins dotés ! Le mode de recrutement des enseignants

dans l’enseignement sous-contrat pourrait servir d’inspiration.

74 Sondage BVA pour Apprentis d’Auteuil, novembre 2018.

75 Texte relayé sur le blog de Luc Cédelle, journaliste à La Lettre de l’Education (Le Monde) : « Pourquoi l’équipe

de Clisthène n’en peut plus (et demande que ça change) », 20 octobre 2016. Luc Cédelle est par ailleurs l’auteur d’un livre portant sur ce collège : « Un plaisir de collège », Seuil, 2008.

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Proposition 10 : Donner aux établissements une véritable liberté pour le recrutement de leur équipe éducative, sur la base du projet éducatif défini.

A noter : cette proposition est largement soutenue par les familles : 8 parents sur 10 y sont favorables76

.

L’animation pédagogique : un établissement apprenant

Des enseignants qui se donnent avec bonheur entraînent les jeunes et leur permettent de révéler leur

potentiel. Entretenir l’enthousiasme et la motivation des équipes enseignantes est donc un enjeu essentiel,

sans doute la mission première du chef d’établissement. Pour cela, il faut entretenir un climat favorable au

travail en équipe, à l’écoute et au dialogue.

Le métier d’enseignant, c’est une alternance de grandes joies et de grandes frustrations. La frustration est

inévitable, l’enjeu est de savoir la gérer. Faire abstraction de la vie émotionnelle d’un enseignant, c’est passer à

côté de l’essentiel. D’où les désillusions de ceux qui tendent à réduire l’enseignement à une procédure

technique.

La responsabilité du chef d’établissement est en permanence de redonner du sens, de proposer du contenu

aux enseignants, aux coordonnateurs, aux référents. Comme l’explique Silvio Guerra, directeur du lycée Charles

de Foucauld à Paris, dans le 18e arrondissement : « Il faut alimenter les enseignants, sinon, ils sont comme des

piles qui se déchargent… ».

Il ne s’agit donc pas seulement de remettre à plat la formation initiale et continue des enseignants. Il faut aussi

que l’établissement devienne en lui-même un lieu de formation, « un établissement apprenant ».

Trouver le bon niveau est délicat : il ne faut pas laisser les enseignants isolés, il ne faut pas non plus les noyer

sous les sollicitations. D’autant qu’ils doivent aussi pouvoir se ressourcer à l’extérieur de l’établissement !

Cela passe par des réunions pédagogiques régulières qui ne soient pas seulement des occasions de

transmission de l’information, mais aussi des lieux de découverte, d’échanges, d’analyse de pratiques….

Parmi les initiatives intéressantes :

Un enseignant qui forme d’autres collègues.

Des voyages d’études, dans d’autres pays.

o Par exemple, les enseignants des écoles des réseaux Danielou/Charles Péguy ont parfois

l’occasion de faire des voyages d’études pour observer d’autres systèmes éducatifs, à Séoul, à

Abidjan…

Au moment de la pré-rentrée, la direction propose aux équipes enseignantes une série de thèmes,

avec des aspects théoriques, pratiques, des temps d’ajustement sur les pratiques, et les enseignants

choisissent.

Des interventions d’experts extérieurs lors d’ateliers de formation, de travail…

Des dispositifs de recherches-actions impliquant les enseignants et des chercheurs.

Des relectures de pratiques en équipe, à l’image de ce que font les professionnels du travail social.

76 Sondage BVA pour Apprentis d’Auteuil, novembre 2018.

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Les travailleurs sociaux ont des temps de « relecture des pratiques » au cours desquels ils peuvent confronter

leur vécu à une expérience. Certains enseignants s’essayent à ces méthodes. Cela mériterait d’être largement

développé.

Proposition 11 : Systématiser les « relectures de pratiques » entre enseignants.

L’organisation de l’établissement doit être revue pour donner plus de temps au chef d’établissement dans sa

mission d’animation pédagogique, avec l’appui d’un conseil pédagogique revitalisé.

DES CHEFS D’ETABLISSEMENT FORMES A L’ANIMATION PEDAGOGIQUE

Les chefs d’établissement se sont vus confier au fil du temps davantage de missions en termes d’animation

pédagogique. Et ils en sont satisfaits. Ainsi, dans une enquête menée en 2014 par le SNPDEN (Syndicat national

des Personnels de Direction de l’Education nationale), les chefs d’établissement se disent à 97,9% très ou

plutôt satisfaits de présider et d’animer le conseil pédagogique77

. Et, lorsqu’on les interroge sur les 3 missions

qui correspondent le plus à leur mission de direction, ils citent, parmi les priorités, l’animation pédagogique,

juste après le pilotage de l’établissement.

Cependant, ils ont peu de ressources et de temps pour exercer véritablement cette mission et reçoivent une

formation encore assez légère sur ce point.

Sylvie Charrière, députée de Seine-Saint-Denis, qui a été Principale de collège en REP+, explique que, pour se

positionner comme pilote pédagogique, le chef d’établissement doit pouvoir compter sur des équipes

opérationnelles et administratives efficaces – pour déléguer les tâches – et une ossature d’équipes

d’enseignants volontaires pour s’engager dans des projets : « Pour animer son établissement, il faut favoriser

l’ouverture sur le monde extérieur et encourager la formation continue des enseignants : ne pas hésiter à

financer des formations de qualité. »

Animer un établissement ne peut pas se résumer à diffuser aux enseignants les derniers bulletins officiels de

l’Education nationale les concernant. Il faut une capacité à assurer une veille ; à analyser les derniers textes, les

dernières réformes, les évolutions en cours ; à proposer aux enseignants des ressources pour nourrir leur

réflexion et leur pratique.

Le chef d’établissement lui-même doit pouvoir se former et se nourrir en permanence. Or, il n’est pas évident

pour lui d’avoir accès à de la veille sur les évolutions pédagogiques, ou à des sessions de formation. Dans

l’enquête TALIS, on apprend que seuls 54% des chefs d’établissement français ont participé à des

conférences/cours/voyages d’études au cours de l’année passée (contre 99% à Singapour). La France se situe

en dernière position sur ce point.

Proposition 12 : Renforcer la formation initiale et continue des chefs d’établissement a l’animation pédagogique.

DES CONSEILS PEDAGOGIQUES A REVITALISER

77 In Direction 217, Livre blanc – SNPDEN, Mai 2014.

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Le conseil pédagogique d’un établissement est un conseil sous la responsabilité du chef d’établissement qui

réunit au moins un professeur principal par niveau et un enseignant par discipline, un CPE et, le cas échéant, un

chef de travaux. « Il a pour mission de favoriser la concertation entre les professeurs, notamment pour

coordonner les enseignements, la notation et l'évaluation des activités scolaires. Il prépare la partie

pédagogique du projet d'établissement. » (Article L.421-5 du Code de l’éducation).

Il est cependant précisé que le conseil pédagogique ne peut porter atteinte à la liberté pédagogique de

l’enseignant (L 912-1-1 du Code de l’éducation).

Dans la réalité, la mission du conseil pédagogique ou des référents par discipline ou par niveau est très variable

d’un établissement à l’autre. Dans bien des cas, il s’agit hélas d’une « coquille vide », sans véritable capacité

d’impulsion, qui se réunit rarement.

Dans certains établissements privés, le chef d’établissement peut s’appuyer sur un « directeur des études »

(qui peut être un enseignant à temps partiel) qui a particulièrement en charge la coordination pédagogique des

équipes éducatives. Le « directeur des études » permet notamment de faire le lien entre les consignes

ministérielles, les programmes, les évolutions pédagogiques. Le profil idéal de ce directeur des études, selon

Christiane Conturie, des Centres Madeleine Danielou, est le suivant :

Il aime l’enseignement, et les enseignants ;

Il a une certaine expérience et est (ou a été) un enseignant reconnu ;

Il sait travailler en équipe ;

Il prend en charge la composition des emplois du temps et participe aux conseils de classe.

De même, les établissements privés peuvent souvent compter, au collège et au lycée, sur des responsables de

niveau/responsables de division/préfets qui assurent le suivi éducatif, pédagogique et pastoral, permettant une

continuité que les enseignants ne peuvent pas assurer seuls.

Proposition 13 : Développer des postes de « directeurs des études » au sein des établissements publics.

L’évaluation

L’évaluation des établissements est un sujet délicat. On connaît tous les « classements des meilleurs lycées »

qui font la Une de la presse magazine, en ordonnant les établissements scolaires selon des critères liés

principalement à la réussite aux examens. Des variables ont été introduites au fil des années pour ne pas s’en

tenir à un taux de réussite au bac et à un taux de mentions qui, souvent, en disent moins sur la performance

éducative de l’établissement que sur la sélectivité de son recrutement au départ. On intègre désormais un

critère de redressement qui tient compte de la composition des effectifs et d’un taux de réussite attendu en

fonction de la sociologie de l’établissement. Et on regarde également le taux d’accès au baccalauréat pour les

élèves de seconde, de première et de terminale, « c’est-à-dire la probabilité qu’un élève obtienne le

baccalauréat à l’issue d’une scolarité entière dans l’établissement, y compris en redoublant. »

Ces indicateurs restent malgré tout assez pauvres. Comment évaluer un établissement dans le cadre d’une

autonomie élargie ?

Les évaluations nationales portant sur les élèves seront évidemment des éléments à prendre en compte. Mais il

faudra les pondérer en fonction du profil des élèves. Et quoi qu’il en soit, ils ne seront pas suffisants. On pourra

prévoir des évaluations à 360°, en sollicitant également les enseignants, les parents, les partenaires du monde

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scolaire… et des chercheurs impliqués dans des projets de recherche-action dans les classes. Parmi les

indicateurs à intégrer : le bien-être des enseignants, le climat scolaire… L’évaluation doit être un outil de

pilotage utile pour l’équipe de direction et pour les enseignants.

Proposition 14 : Mettre en place un système d’évaluation des établissements a 360°, intégrant les résultats des élèves lors de tests nationaux, mais aussi l’avis des enseignants, des parents, des partenaires extérieurs, de chercheurs partenaires…

EXEMPLE : @UTOFOCUS, UN OUTIL D’EVALUATION ET DE PILOTAGE DANS LES ECOLES DE LA FEDERATION DES ECOLES DE LA TRANSITION EDUCATIVE (FETE)

La Fédération des Écoles de la Transition Éducative (FETE) est issue d’un groupe de travail créé en 2014 par la

Fondation Potentiels & Talents (présidée par Brigitte de Compreignac, professeur des écoles au sein de

l’Éducation nationale) qui porte le concept de « transition éducative ».

La FETE a conçu un outil qui favorise une approche réflexive sur les pratiques pédagogiques et managériales,

tant vis-à-vis des membres de l’équipe pédagogique que des parents. Cet outil, dénommé @utofocus, illustre

les valeurs énoncées dans la Charte de la FETE par des pratiques concrètes (qui s’enrichissent au fil du temps)

permettant à chacun de se situer et d’évaluer son niveau d’expertise sur chacune de ces pratiques. Chaque

membre de la FETE peut contribuer à alimenter une base de données en restant libre de l’usage qu’il fera de sa

propre auto-évaluation. Dans un second temps, l’outil peut être utilisé comme un vecteur de dialogue et

d’entraide au sein de l’équipe pédagogique d’un établissement et par la suite entre les membres (enseignants

ou écoles) de la FETE.

L’@utofocus a été conçu pour délivrer des résultats permettant à la fois à chacun de se situer par rapport aux

réponses de ses collègues (suscitant une sorte de 360° de leur part), mais aussi et surtout de favoriser le

dialogue au sein d’une équipe. Cela permet de convenir ensemble des objectifs communs, mais également

individuels, pour l’année en cours ou les années à venir (exemple : maîtriser la pratique de la « classe

inversée »). Il en résulte alors un plan de formation individuel et/ou collectif, facilitant l’incarnation concrète et

collective du projet de l'établissement.

C) LE RENOUVEAU DE LA CO NDITION ENSEIGNANTE : DU « FREELANCE » A

L ’ACTEUR RES PECTE D ’UNE COMMUNAUTE EDUCATIVE SOUDEE

EXEMPLE : L’ORGANISATION DU TRAVAIL AU COLLEGE CLISTHENE

En 2002, le collège expérimental Clisthène a été ouvert à Bordeaux pour déployer un projet pédagogique

innovant. Parmi les caractéristiques : un tiers du temps consacré aux matières générales, un tiers du temps

consacré aux approches interdisciplinaires, un tiers du temps consacré à des ateliers autour du sport, de la

culture, de la technique…

L’une des conditions de la mise en œuvre de ce projet, c’est le mode de travail très particulier des enseignants.

Tout en gardant le « statut » de l’Education nationale, les enseignants ont accepté, sur la base du volontariat,

un service très différent du service ordinaire (15 heures de cours par semaine pour un agrégé et 18 heures pour

un certifié). Au collège Clisthène, les enseignants ont 13 heures hebdomadaires d’enseignement maximum,

mais ils sont présents 24 heures par semaine dans l’établissement. Les 11 heures de plus correspondent à du

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temps pour le travail en équipe, le tutorat, l’aide personnalisée, la formation, les remplacements, la

contribution à la gestion de l’établissement…

Le temps

Le temps est souvent ce qui manque le plus aux enseignants : le temps de travailler ensemble, de se former,

d’échanger sur de nouvelles pratiques…

En REP +, les enseignants ont des décharges d’enseignement pour participer à des groupes de travail avec leurs

collègues, se former, travailler avec les familles, coordonner des réseaux d’établissements ou des disciplines…:

à l’école primaire, 18 demi-journées par an ; au collège-lycée : 1,1 heure hebdomadaire. Mais, comme le relève

la Cour des Comptes dans son dernier rapport sur l’éducation prioritaire78

, « ce temps libéré devrait être

consacré à des activités de formation, de concertation et de travail collectif, ou aux échanges avec les parents

d’élèves, mais il n’est pas mis à la disposition du chef d’établissement et les enseignants peuvent l’utiliser

comme ils l’entendent. »

Une ancienne Principale de collège en REP+, rappelait qu’il y avait dans son établissement un après-midi

banalisé (sans cours) tous les 15 jours pour favoriser le travail de concertation des équipes. Pour s’assurer de la

participation de tous les enseignants à ces temps de concertation, la mise en place d’une liste d’émargement a

été une gageure. « Les syndicats s’y opposaient », explique-t-elle.

Dans certains cas, les chefs d’établissement « s’arrangent » pour récupérer du temps en le ponctionnant sur les

heures de cours. Par exemple, en réduisant de 5 ou 10 minutes les cours qui ne durent alors plus que 50 ou 45

minutes. Le temps récupéré en cumulé permet de récupérer une demi-heure par semaine pour développer des

projets différenciés (par exemple, des ateliers de travail en petit groupe).

Proposition 15 : Annualiser le temps de travail des enseignants et y intégrer les missions hors cours devant les élèves, en échange d’une meilleure rémunération.

L’espace

On déplore souvent la faible présence des enseignants dans les collèges/lycées hors des horaires de cours –

comparée à d’autres pays qui rémunèrent les enseignants sur la base d’heures de présence et non d’heures

de cours. Cela pose problème pour le suivi et l’accompagnement des élèves, l’animation d’une véritable

communauté éducative, les liens avec les parents…

Cela est évidemment lié à des conditions statutaires qui méritent d’être revues, au moins pour les

nouveaux entrants et les volontaires… Cela est aussi lié aux conditions matérielles et immobilières qui n’ont

pas assez évolué depuis des années : le rapport Pochard rappelait en 2008 que ce constat était déjà posé en

1899 (!) par la commission Ribot dans son « Enquête sur l’enseignement secondaire » : « On s’étonne que les

professeurs ne donnent au lycée que le temps prescrit par les règlements. Mais a-t-on songé seulement à leur

réserver un cabinet de travail dans le lycée ; y a-t-il même partout des bibliothèques où ils peuvent se livrer à

des recherches personnelles ? ».

Comme le constate Edith Tartar Goddet, psychosociologue qui intervient régulièrement en lien avec

l’Education nationale, les choses évoluent sur ce point : « Dans les établissements récemment rénovés, les

78 L’éducation prioritaire, rapport de la Cour des comptes, octobre 2018

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salles des professeurs récemment refaites comportent désormais souvent un ou deux espaces fermés pour le

travail d’un enseignant ou des entretiens. »

La reconnaissance : pour une « symétrie des attentions » dans l’Education nationale

A répéter qu’il faut mettre « l’enfant » au cœur du système scolaire, on en a parfois oublié les enseignants… Les

entreprises de services redécouvrent que si elles veulent vraiment que leurs clients soient au centre des

attentions, il faut qu’elles commencent par prendre soin de leurs collaborateurs. C’est le principe de la

symétrie des attentions, synthétisé dans cette formule de Jean-Jacques Gressier, fondateur de l’Académie du

Service : « La qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est égale à la qualité de la relation de

cette entreprise avec ses collaborateurs. », et popularisé dans le best-seller de Vineet Nayar : « Employees

First, Customers Second », 2010.

Au nom de ce principe, il est vital de reconsidérer l’attention que nous portons aux enseignants.En octobre

2018, le mouvement « #Pasdevagues », sur les réseaux sociaux – en réaction à l’agression filmée d’une

enseignante par un élève en classe – a conduit beaucoup d’enseignants à témoigner des difficultés de leurs

missions et du manque de soutien de leur hiérarchie.

Il y a un enjeu de société qui doit mobiliser les responsables politiques, les médias, les administrations en

charge de l’école… et plus généralement chaque citoyen : si nous voulons transformer l’école, il faut aussi

transformer notre regard, notre discours sur les enseignants.

D) LA DYNAMIQUE D ’ INNOVATION DANS LA GOUVERNANCE DU SYSTEME

Attention à l’entre-soi des « innovateurs » :

Plusieurs acteurs jouent un rôle clé en faveur de l’innovation au sein du système scolaire :

Au niveau national, le Département de la Recherche et du Développement, de l’Innovation et de

l’Expérimentation, rattaché à la Direction générale de l’Enseignement scolaire (Dgesco) ainsi,

évidemment, que la Direction du Numérique pour l’Education.

Au niveau des académies, les CARDIE (Cellule académique Recherche, Développement, Innovation,

Expérimentation), qui ont pour mission de repérer les projets innovants dans les établissements, de

les accompagner, de diffuser la culture de l’innovation à travers des conférences, des rencontres, des

ateliers…

Plus récemment, a été lancé le lab 110 bis. C’est une initiative intéressante pour accompagner le déploiement

de nouveaux modes de travail, en lien avec les parties prenantes de l’Education nationale, des chercheurs… La

valeur ajoutée d’un tel laboratoire d’innovation publique ne porte pas sur le fond mais sur les méthodes de

travail, sur la mise en relation avec l’extérieur, la diffusion d’une nouvelle culture de l’innovation.

Des « outils » permettent aussi de diffuser l’innovation :

Des sites de référence permettent de faire connaître les expérimentations, principalement le site

Expérithèque, qui recense plus de 5 000 expérimentations menées dans les établissements scolaires.

« La Journée de l’innovation », organisée depuis 2010, pendant laquelle, à la suite d’un appel à

projets, des enseignants de toute la France peuvent présenter leurs pratiques innovantes, un prix

étant remis à l’issue de cette journée. « La Journée de l’innovation » est un temps fort, mais hélas peu

relayé et peu visible.

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Globalement, le risque majeur est de cantonner l’innovation pédagogique à une pratique de quelques

minoritaires « qui se font plaisir », « les innovateurs ». Ainsi, au lieu de diffuser une culture de l’innovation, les

structures dédiées peuvent au contraire polariser les « innovateurs » qui se retrouvent entre eux, se parlent

entre eux… et finissent même par avoir un effet repoussoir aux yeux de l’ensemble de la structure.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les innovations naissent souvent à la marge d’un système. Il est donc

souhaitable que le ministère de l’Education nationale veille à la possibilité pour des écoles hors-contrat de se

développer, non pas pour répondre à tous les besoins éducatifs, mais pour offrir des champs

d’expérimentation et d’inspiration qui viendront ensuite nourrir l’ensemble du système.

Proposition 16 : Donner beaucoup plus de visibilité a la journée de l’innovation et doter les lauréats de véritables moyens pour déployer leurs initiatives et les faire connaître.

Proposition 17 : Développer des financements pour des dispositifs éducatifs expérimentaux répondant à des besoins éducatifs exceptionnels – avec des dispositifs de mesures d’impact :

Par exemple, une école Montessori publique par Académie ; Par exemple, des mini-collèges dans les quartiers Politique de la

Ville, avec effectifs restreints, à l’image de ce que propose le réseau Esperance Banlieues.

Ces expérimentations pourraient servir de ressources pour nourrir la pratique d’autres établissements et elles

pourraient faire l’objet de mesures d’impact « grandeur réelle ».

Le positionnement des inspections : du contrôle à l’accompagnement et au conseil

Lorsqu’on interroge les enseignants sur les personnes qui les soutiennent dans l’exercice de leur fonction, ils

sont 46% à évoquer positivement l’inspecteur de l’Education nationale de leur circonscription, et 25%

l’inspecteur d’Académie ou l’inspecteur pédagogique régional.

A titre de comparaison, ils répondent positivement à 81% s’agissant de leur chef d’établissement et même à

67% à propos des parents d’élèves, alors même qu’on parle régulièrement des tensions parents/équipes

éducatives ou qu’on décrit souvent des relations tendues entre enseignants et chef d’établissement.

Il faut dire que le rôle des inspections est toujours ambigu. Entre le contrôle et le conseil. D’ailleurs, les

inspections sont elles-mêmes prises entre des réalités ambivalentes : à la fois faciliter l’application de directives

ministérielles (qui peuvent varier d’un gouvernement à l’autre) et accompagner les équipes de terrain, sachant

que les enseignants sont « inspectés » en moyenne tous les 3-4 ans en primaire, et jusqu’à tous les 7 ans dans

le secondaire.

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L’inspection, telle qu’elle est conçue actuellement, renforce la dimension individuelle de l’enseignant,

puisqu’elle est principalement fondée sur une évaluation enseignant par enseignant, discipline par discipline.

Les inspections tiennent difficilement compte du travail en équipe.

Proposition 18 : Revoir les inspections pour intégrer davantage le travail d’équipe.

Proposition 19 : Remettre à plat l’évaluation des enseignants

Au niveau individuel : impliquer davantage le chef d’établissement et l’équipe de direction ;

Au niveau collectif : développer beaucoup plus fortement l’évaluation par équipe et par projet.

Proposition 20 : Former au moins un inspecteur par Académie à des pratiques pédagogiques actives. Par exemple, un inspecteur Montessori.

Quand les projets éducatifs ambitieux dans les quartiers populaires deviennent facteurs de mixité sociale et culturelle

Dans un contexte où les inégalités sociales se retrouvent sur les cartes de nos territoires, la carte scolaire et le manque d’autonomie des établissements scolaires sont pointés du doigt : la première reproduit dans les établissements les réalités sociales et géographiques inégalitaires ; le second limite les possibilités pour les établissements de compenser ces inégalités par des projets pédagogiques adaptés. Dans le cadre actuel, deux objectifs pourtant légitimes semblent difficilement réconciliables : Répondre au désir des familles qui veulent pouvoir choisir le meilleur pour leurs enfants (le meilleur ne se limitant pas à l’excellence scolaire, mais intégrant aussi la sécurité, le bien-être, l’accès à des pédagogies ou à des options particulières…). Lutter contre la ségrégation scolaire, avec des établissements qui n’accueillent que des personnes de même profil social ou de même origine. En effet, la situation actuelle, avec le principe de la carte scolaire, mise en place en 1963, laisse très peu de marges de manœuvre aux familles, tout en reproduisant dans les établissements scolaires les inégalités territoriales. Plusieurs évolutions sont possibles :

- Un scénario bureaucratique, où la mixité est imposée par la contrainte, avec des quotas, sans évolution notable des établissements ;

- Un scénario grégaire, où l’entre-soi domine, avec une prime aux « initiés », à travers une suppression de la carte scolaire, sans évolution notable des établissements ;

- Un scénario « idéal », où les familles peuvent choisir au sein d’un secteur élargi parmi plusieurs établissements qui développent chacun des projets éducatifs « performants » et attractifs.

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La mixité sociale peut en effet progresser en renforçant l’attractivité d’établissements aujourd’hui délaissés par les classes moyennes. En donnant plus de moyens à ceux qui ont moins, en développant des projets pédagogiques innovants, on peut évoluer. Beaucoup d’exemples existent, comme en témoigne l’Avis du Conseil économique, social et environnemental, proposé par Marie-Aleth Grard, « Une école de la réussite pour tous », adopté en 2015 et qui présente nombre d’initiatives inspirantes.

EXEMPLE : LE COLLEGE RIMBAUD A AMIENS (80)79

67% des élèves du collège Rimbaud, à Amiens (Somme), sont issus de CSP défavorisées, 65% d’entre eux sont

boursiers. Une modification de secteur y a permis une plus grande mixité sociale avec l’arrivée de 80 jeunes

issus de CSP moins défavorisées, ce qui a été une force pour permettre à l’équipe éducative de développer un

projet pédagogique efficace et novateur.

- Mixité sociale et scolaire dans toutes les classes ;

- Respect mutuel entre élèves et équipes ;

- Equipe éducative soudée, attentive et réactive ;

- Cadre aux règles strictes dans lequel les jeunes jouissent d’une certaine liberté mais non exempt de sanctions

éventuelles ;

- Exigences sur le plan des apprentissages ;

- Travaux collectifs et interdisciplinaires, pensés et mis en place par l’ensemble des professeurs, en associant

des professionnels à la réflexion des élèves et en valorisant les restitutions des travaux devant les élèves et les

parents. Par ce travail collectif, tous les élèves progressent et développent leur autonomie, leur empathie et

leur sens de l’entraide ;

- Tous les élèves doivent participer aux voyages et sorties scolaires ;

79 Sources : A partir d’éléments transmis par Marie-Aleth Grard, à partir de notes prises dans le cadre de ses

travaux pour le CESE.

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- Une salle est réservée aux parents qui sont particulièrement sollicités (80 à 100% d’entre eux assistent aux

réunions parents/enseignants).

Une véritable réussite : 83% des élèves obtiennent leur brevet, 64% d’entre eux l’obtiennent avec une mention

(chiffres comparables à la moyenne nationale). Tous les éléments sont réunis pour que ces jeunes, soutenus

par leurs parents et par leurs enseignants, aient confiance en leur avenir et nourrissent des projets ambitieux.

L’attractivité d’un établissement scolaire dépend de ses résultats. C’est une évidence. Et il faut, de ce point de vue, garder des critères d’évaluation clairs pour les parents, qui permettent de vérifier que les objectifs nationaux sont atteints. En revanche, l’attractivité ne dépend pas que des résultats scolaires. La sécurité, le bien-être, la possibilité donnée aux élèves de développer leurs talents, de s’ouvrir… sont aussi des critères très recherchés par les familles. Dans cette perspective, il faut donner les moyens aux établissements, notamment ceux qui sont aujourd’hui jugés moins attractifs, de développer des projets pédagogiques particulièrement intéressants. On emploie parfois le terme « d’école-aimant » pour désigner un établissement scolaire qui, grâce à des ressources suffisamment attractives, attire des classes moyennes dans des quartiers moins favorisés.

EXEMPLE : COLLEGE GERARD PHILIPE, A PARIS 18E

Le principal du collège Gérard Philipe a ainsi à cœur de proposer des dispositifs éducatifs capables de

« fidéliser » des familles des classes moyennes qui peuvent avoir tendance à mettre leurs enfants dans le privé

ou à contourner la carte scolaire si l’établissement attribué par la procédure Afflnet ne correspond pas à leur

souhait. Le pari sur les langues, ou sur le développement d’un projet autour de la discipline positive s’inscrit

dans cette logique.

Un redécoupage de la carte scolaire, avec un secteur multi-collèges, a été l’occasion de diversifier le

recrutement des élèves et d’avoir plus de familles de milieux sociaux favorisés. Mais la condition sine qua non

pour les fidéliser et empêcher un évitement (inscription dans le privé, contournement de la carte scolaire…),

est de proposer un établissement « en sécurité », avec des projets éducatifs attractifs !

Il est alors impératif de faire confiance aux équipes éducatives locales pour trouver les réponses attractives.

Lorsque la consigne vient d’en haut, elle est parfois inadaptée à la réalité locale. Il arrive ainsi que le rectorat

demande que soit développées des options qu’on pense susceptibles d’attirer les classes moyennes ou

favorisées. Mais si cela ne correspond pas à un vrai besoin des familles, aux aspirations des équipes

enseignantes sur place, on risque l’échec.

EXEMPLE : LES MAISONS DE L’EDUCATION AU SENEGAL

Dans un tout autre contexte, l’association Futur au Présent (FAP), qui développe au Sénégal des « maisons de

l’éducation », en complément de l’école, fait le constat qu’un dispositif ambitieux et exigeant, conçu au départ

pour les enfants des familles pauvres, peut attirer dans un second temps des enfants de milieux sociaux

favorisés. Les « maisons de l’éducation » proposent entre autre des modules de rattrapage scolaire via des

pratiques pédagogiques innovantes, basées notamment sur le jeu et le numérique.

Le dispositif a été créé pour des enfants défavorisés et il reste prioritairement orienté vers ces familles. Mais,

par son excellence pédagogique, il commence à attirer d’autres publics. A terme, l’arrivée de familles plus

aisées est même un moyen de contribuer au financement de la structure qui accueille gratuitement les enfants

pauvres.

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FOCUS SUR LES ENFANTS PLACES

EN PROTECTION DE L’ENFANCE

Par Sandrine Dottori, Responsable de Projets "Études et Innovation », SOS Villages d’Enfants.

Constats Le thème des inégalités scolaires a mobilisé de nombreux travaux sociologiques depuis 40 ans, d’abord en

s’intéressant aux rapports entre l’école et les milieux familiaux et sociaux des élèves, puis en analysant la

nature des savoirs enseignés et les relations sociales au sein de l’institution scolaire. Les contextes de vie et les

contextes d’apprentissage vont donc de pair pour comprendre les trajectoires scolaires qui conditionnent en

grande partie l’insertion future sur le marché de l’emploi. De ce point de vue, les enfants placés connaissent

une situation fragile, eu égard aux difficultés qui ont conduit à les confier à un système de suppléance

parentale. La réalité statistique de leurs parcours scolaires, souvent chaotiques, ne doit pas masquer une

réalité beaucoup plus complexe dans les liens qu’entretiennent ces deux aspects de la vie des enfants placés.

A) LES ENFANTS PLACES , UNE POPULATION A RIS QUE SUR LE PLAN SCOL AIRE

L’enquête de la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et de la Statistique (DREES)80

du

ministère des Solidarités et de la Santé, a mis en évidence des écarts scolaires importants chez les enfants

placés par rapport à la population générale, largement corroborés par la littérature française et internationale :

leurs parcours scolaires sont notamment marqués par un retard à l’entrée au collège très nettement supérieur

aux jeunes de leur âge, une surreprésentation dans les classes adaptées, des fins de scolarité précoces, et des

orientations largement tournées vers l’enseignement professionnel court.

B) LES FACTEURS DE RISQU E ET DE PROTECTION IDENTIF IES PAR LA REC HERCHE

Les travaux sur la scolarité des enfants placés développés dans une approche dite « compréhensive »,

apportent des pistes d’interprétation des particularités observées sur le plan statistique. Ils ont permis

d’identifier de nombreux facteurs de risque et, en miroir, des facteurs de protection qui prennent en compte

l’expérience spécifique de ces enfants pour favoriser leur réussite scolaire.

L’impact des expériences de l’enfant avant le placement joue notamment un rôle important

Les enfants accompagnés dans le cadre d’un placement ont généralement grandi dans un climat familial

caractérisé par un manque de soins et de soutien affectif, voire de maltraitance, des relations conflictuelles ou

le manque d’interactions entre adulte et enfant, qui sont autant de freins à une entrée dans les apprentissages.

Même lorsque le placement permet d’écarter le danger, ces expériences ont des conséquences durables sur le

développement de l’enfant, sa santé physique et psychique, avec des troubles de l’attachement fréquemment

observés, ainsi que des troubles de l’anxiété. Ces troubles seront autant de facteurs de risque au regard de la

scolarité.

80 « Echec et retard scolaire des enfants hébergés par l’Aide sociale à l’Enfance », Thierry Mainaud, Etudes et résultats, n°845, juillet 2013.

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L’expérience du placement : la continuité des lieux et des liens en question

La stabilité du placement dans une continuité de lieu et de lien est identifiée par différents travaux de

recherche comme favorable au développement de l'enfant, à son intégration sociale et professionnelle, ainsi

qu’à son état de santé81.

L'instabilité des placements et son lot de ruptures est au contraire identifiée comme

un facteur entretenant les difficultés rencontrées par les enfants, et notamment les difficultés scolaires.

La contrainte temporelle

Cet enjeu de continuité doit également être replacé dans le contexte d’une prise en charge limitée à 21 ans

maximum, et s’arrêtant le plus souvent à 18 ans, ce qui réduit les perspectives en termes de scolarité et

d’études et conduit souvent à une forme d’autocensure.

C) LE POIDS DES REPRESEN TATIONS SUR LA SCOLA RITE DES ENFANTS PLA CES

La recherche menée dans les villages d’enfants SOS, « Représentations et soutien de la scolarité en villages

d’enfants SOS » (B. Denecheau, M. Gasquet. H. Join-Lambert, M.-P. Mackiewicz, P. Robin et N. Savard, 2017),

portant sur la réussite scolaire des enfants accueillis en villages d’enfants montre que les représentations sur

les enfants placés et sur la scolarité figurent parmi les éléments qui influencent le plus les pratiques

professionnelles. Selon les chercheurs, elle serait aussi tributaire des représentations et des trajectoires de

chacun ainsi que des facteurs individuels de chaque enfant. Dans le discours des professionnels, il n’est pas rare

d’entendre relativiser la priorité du scolaire en raison de causes externes à la prise en charge, notamment un

retard scolaire préalable au placement, des altérations des capacités cognitives, une stigmatisation scolaire, ou

encore des difficultés émotionnelles à certains moments du parcours. La question de l’intensité du soutien

scolaire se pose aussi pour certains, craignant une trop forte pression scolaire sur un enfant qui pourrait ne pas

y faire face.

Le rapport à l’école, et notamment les distances au monde scolaire plus ou moins prononcées des

professionnels de l’accueil, peuvent avoir des effets sur les trajectoires scolaires des enfants dont ils ont

temporairement la charge. Comme on peut l’observer dans le milieu familial, les représentations qu’ont les

suppléants familiaux de la scolarité des enfants dont ils s’occupent peuvent contribuer à la faiblesse des

attentes et des aspirations que l’on a pour eux. Cette représentation est liée au propre parcours des

intervenants, à la prise en compte par les acteurs du contexte social (et aux statistiques de réussite), et à des

effets d’anticipation de la sortie de placement. Prenant en compte cette forte incertitude, certains suppléants

familiaux peuvent rationnaliser les contraintes socio-économiques qui « pèseront » sur les jeunes, et privilégier

une orientation par le moindre risque.

Agir sur les représentations des acteurs est un aspect essentiel pour ne pas transformer des inégalités en

désavantages durables et entretenir des mécanismes d’intériorisation de l’échec.

81 « Evolution à l’âge adulte d’enfants placés en familles d’accueil », Annick-Camille Dumaret et Marthe Coppel-Batsch, La psychiatrie de l’enfant, n°39, p.613-671, 1996.

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La question des alliances éducatives dans le cadre de la protection de l’enfance

En France, la difficulté de collaboration entre l’école et les interventions socio-éducatives a été identifiée par Dominique Fablet et Michel Chauvière. Ce constat est partagé à l’international et souligne encore plus le besoin d’œuvrer à une meilleure collaboration entre les professionnels (Jackson & Cameron, 2012). Cette difficulté est d’autant plus importante en protection de l’enfance que l’efficience de la prise en charge éducative et pédagogique appelle une collaboration pluridisciplinaire étroite entre les nombreux professionnels impliqués dans l’accompagnement des enfants accueillis dans ce cadre : éducatrices et aides familiales, éducateurs, psychologue, chef de service éducatif, référents socio-éducatifs de l’ASE, responsables légaux, intervenants extérieurs spécialisés (domaines médical, médico-psychologique et de la rééducation), etc. Il en résulte souvent une difficulté dans la mise en place d’une communication suivie et efficace avec l’école. Or, la réussite scolaire passe aussi par une communication et un partenariat de qualité avec les établissements.

Recommandations dans le contexte de la protection de l’enfance

Ces recommandations sont issues du travail initié par SOS Villages d’Enfants autour de son programme de

réussite scolaire « Pygmalion » et de la recherche portant sur ses effets : « Représentations et soutien de la

scolarité en villages d’enfants SOS » (B. Denecheau, M. Gasquet, H. Join-Lambert, M.-P. Mackiewicz, P. Robin et

N. Savard, 2017).

Proposition 21 : Développer et soutenir la formation des professionnels du placement - Faire évoluer les représentations à propos de la réussite scolaire des enfants placés chez les professionnels du placement ; - Positionner la scolarité au premier rang des préoccupations de l’intervention en protection de l’enfance ; - Renforcer les professionnels du placement en matière d’accompagnement et de soutien scolaire.

Proposition 22 : Développer la fonction d’éducateur scolaire dans les établissements de protection de l’enfance

Ces fonctions sont essentielles pour renforcer le lien entre les activités culturelles et le soutien aux apprentissages scolaires pour faire des établissements de placement des lieux privilégiés d’éducation. Ils ont pour mission de développer des alliances éducatives entre les établissements scolaires et les lieux de placement. La connaissance et une reconnaissance mutuelles renforcent la coordination dans l’intérêt de l’enfant, et atténuent les effets de stigmatisation.

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Proposition 23 : Former les enseignants à la protection de l’enfance Dans son rapport 2016, le Défenseur des droits recommandait déjà « aux directeurs des services académiques de s’assurer de la réelle mise en œuvre des dispositions de l’article L. 542-1 du Code de l’éducation, qui prévoit une formation des personnels enseignants à la protection de l’enfance.

Passer du décrochage à l’accrochage82

Pistes pour l’accrochage scolaire des enfants placés - La réussite scolaire, c’est autant l’épanouissement dans un parcours formateur aboutissant à un diplôme choisi et à la confiance en soi et dans les autres, que le niveau de notes et de diplômes. - La situation des enfants placés appelle un changement de paradigme tant sur le plan des représentations que concernant les actions d’accompagnement. - Un accompagnement spécifique à la scolarité dans un contexte de protection de l’enfance permet de contrer les effets négatifs du placement et de participer à ses effets bénéfiques. - Les facteurs de protection du parcours scolaire pendant le placement reposent sur une continuité et une sécurité affective, et une posture favorable et attentive des professionnels (effet Pygmalion). - Il est possible d’agir positivement sur la scolarité des enfants placés, notamment par une meilleure communication entre les différents mondes de l’enfant : l’école, le lieu de vie et sa famille au sens large.

- Élargir les horizons culturels des enfants est nécessaire pour leur permettre d’acquérir les codes indispensables pour naviguer dans d’autres environnements. - L’ambition d’amener les enfants placés vers un parcours réussi nécessite une mobilisation soutenue des acteurs sur le long cours. - La politique à l’égard de la jeunesse et des jeunes majeurs sortant de la protection de l’enfance représente un défi pour la cohérence des parcours des enfants et des adolescents si l’on veut se montrer ambitieux pour eux aussi.

82 Extrait du Cahier SOS n° 8 : « Accrochage scolaire en situation de placement, croire au potentiel de tous les

enfants », juin 2018.

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Conclusion

A la lecture de ce rapport, certains pourraient penser qu’on « charge encore davantage la barque » de l’école

en lui demandant toujours plus !

Transmettre les savoirs et la culture, développer les compétences transversales, préparer à l’avenir, favoriser

l’insertion professionnelle, former à la citoyenneté…

Et c’est vrai qu’on lui en demande beaucoup. Mais l’école ne peut pas tout, toute seule.

Elle a besoin d’alliés !

C’est l’ensemble de la société qui doit se mobiliser en faveur des générations montantes.

Chacun à notre mesure, chacun selon notre place, nous avons une responsabilité éducative à assumer.

Et davantage que la réforme de l’école toute seule, c’est la capacité des adultes à s’engager ensemble qui

permettra de relever les grands défis de l’éducation au XXIe siècle.

Les jeunes générations ont le droit à la continuité éducative.

Nous attendons beaucoup de l’école et elle peut faire beaucoup. A condition que nous soyons à ses côtés.

A condition que nous formions tous ensemble une société éducatrice.

Nous sommes tous éducateurs !

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Annexe :

Ce qui est en jeu dans la pédagogie

par Christine Rossignol, chargée de projets à la Direction de la Stratégie d’Apprentis d’Auteuil

De quoi parle-t-on quand on parle de pédagogie ? Mot ambigu, mot valise, la pédagogie peut tout à la fois

désigner une tradition significative d’une visée éducative (la pédagogie jésuite, par exemple), comme une

pratique formalisée dans laquelle nombre d’enseignants se retrouvent (la pédagogie Freinet, par exemple),

mais aussi l’action quotidienne dans la classe, empruntant à telle ou telle approche, et cousant ensemble outils

et dispositifs.

Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre de ces propositions, trois interrogations sont au fondement de tout projet

éducatif : Quelles valeurs ? Quels savoirs ? Quelles méthodes ? Une pédagogie est la recherche d’une

articulation, d’une cohérence entre une dimension axiologique, une dimension théorique et une dimension

praxéologique.

Éléments de description d’une situation d’apprentissage 1.

Une situation d’apprentissage, c’est un ensemble de relations entre un ou des adultes et des jeunes ou

des enfants, dont le but est de permettre à chaque jeune du groupe de s’approprier des contenus (savoir,

savoir-faire, savoir-être) d’un programme défini en fonction d’une visée éducative, et organisés pour construire

un sens.

A) INVARIANTS ET

VARIABLES

Les contenus, le cadre

institutionnel, la construction sont

des invariants. L’élève, le groupe,

le type de relations sont des

variables. A chacun de ces

éléments correspond une fonction

déclinée en activités. La pédagogie,

c’est l’articulation de ces fonctions

pour créer des interactions entre

les invariants et les variables.

L’atteinte de l’objectif :

L’apprentissage des élèves suppose

une septième fonction : Réguler. Il

s’agit à la fois de recueillir de

l’information sur les acquis des élèves, de faciliter les interactions entre les différentes fonctions et de prendre

de la distance par rapport à la pratique en se situant à un niveau méta par rapport à la classe.

Figure 1 : L'hexagone d'une situation d'apprentissage

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Éléments de définition Activités (exemples) Fonctions

Contenus Maîtrise du savoir savant

Transposition didactique

Instruire

Organisation Définition d’objectifs

Élaboration d’une progression

Organiser/

Programmer/Planifier

Visée Préparation aux examens

Création d’un conseil d’élèves

Éduquer

Jeune Analyse des besoins de l’élève

Évaluation formative

Différencier

Relation Tutorat

Contrat didactique

Communiquer

Groupe Travail de groupe

Heure de vie de classe

Animer

B) L’EXTERIEUR DE L ’HEXAGONE : OBSERVER ET ANALYSER LES S ITUATIONS

PEDAGOGIQUES

Les contenus, l’élève, la relation,

le groupe, l’organisation des

apprentissages, la visée sont des

entrées pour observer l’activité

pédagogique qui, elle, se joue à

l’intérieur de l’hexagone. A l’extérieur,

les contacts entre deux domaines sont

productifs, parce qu’ils sont la mise en

synergie de systèmes. Par exemple,

l’interaction entre les contenus et la

visée institutionnelle génère les

programmes officiels. La rencontre de

l’élève et de contenus de savoir

recouvre l’apprentissage autonome,

l’autodidaxie. En revanche, à l’intérieur

de l’hexagone, la prise en compte de

deux fonctions et de deux seulement,

empêche le système de fonctionner par

exclusion des autres.

Figure 2 : Les contacts à l'extérieur de l'hexagone

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Les sciences de l’éducation se situent

à l’extérieur sur l’une des entrées.

Pour être rigoureuses, elles doivent

être centrées sur un objet, aucune

approche théorique ne peut donc

prendre en compte l’ensemble des

éléments. Il n’y a pas une science mais

des sciences de l’éducation.

Elles apportent un éclairage sur

une partie de l’activité pédagogique.

Les contenus, l’élève, la relation,

le groupe, l’organisation des

apprentissages, la visée sont des

entrées dans la réflexion. Le schéma

ci-dessous indique quelques exemples

de réflexion théorique pour chacune

des entrées.

F

Figure 3 : Quelques exemples de sciences de l’éducation

Les propositions formatives prennent en compte plusieurs de ces entrées ; les didacticiens, par exemple,

exploitent les articulations contenus/élève/organisation ; l’accompagnement du projet de l’élève s’est

intéressé aux interactions élèves/relation/visée.

Ni les sciences de l’éducation, ni les formations ne prennent en compte les variables telles qu’elles s’expriment

dans une situation particulière. Elles travaillent à partir des invariants ou de catégories de variables. C’est

pourquoi, un apport théorique, une formation ne modifient la pratique d’un enseignant que s’ils sont mis en

lien avec l’ici et maintenant des situations pédagogiques, c’est-à-dire avec la spécificité du système telle qu’elle

est en œuvre dans telle classe, telle section ou tel établissement. C’est la fonction régulation qui permet cette

connexion.

C) L’ INTERIEUR DE L ’HEXAGONE : LA PRATIQUE PEDAGOGI QUE

Faire fonctionner le système

Pour que chaque élève du groupe apprenne, il faut faire fonctionner le système, c’est-à-dire prendre en

compte l’ensemble, intérieur et extérieur. Dans la classe, toutes les fonctions existent. Si l’enseignant ne les

régule pas, soit elles sont prises en charge autrement - par exemple, l’animation du groupe classe par des

contre-leaders ou l’élève qui cherche la relation personnelle en perturbant la classe-, soit elles font

dysfonctionner l’ensemble du système et le détournent de son but - par exemple, l’absence de programmation

qui ne construit pas de compétences, les objectifs atteints ne s’articulant avec aucun autre ne sont mobilisables

que dans leur contexte d’apprentissage.

Les tensions maximum

Chaque fonction est en tension avec les autres mais il y a des couples pour lesquels cette tension est plus

grande (sur le schéma, ces couples sont placés sur les côtés opposés de l’hexagone : instruire vs animer,

différencier vs organiser, communiquer vs éduquer). C’est l’interaction la plus féconde mais, à l’inverse, c’est le

risque maximum de dérive quand on ne peut pas les tenir ensemble. Quelques exemples :

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La tension instruire/animer,

contenu/groupe, situation

courante d’activités dites

abusivement de « projet » où

l’objectif principal est de se centrer

sur le groupe sans viser

précisément des contenus.

La tension élève/organisation des

apprentissages, situation de

l’analyse par objectifs abusivement

appelée « pédagogie par objectifs »

qui confond hiérarchisation des

objectifs et démarche

d’apprentissage, modélisant le

travail cognitif individuel avec le

parcours observable d’une

taxonomie d’objectifs.

Figure 4 : Faire fonctionner le système

en s’appuyant sur différents apports externes

La tension communiquer/éduquer s’illustre, entre autre, dans l’absence de place pour une parole vraie

des élèves dans des instances de l’établissement - par exemple, le conseil de classe - ou, à l’inverse,

dans des impasses de la parole sans cadre instituant où la relation adulte/jeunes, située uniquement

dans l’interpersonnel, ne permet pas de poser une autorité.

L’objectif de la pratique pédagogique, c’est que le contact élève/contenu soit opérant. Le rôle de l’enseignant

est de créer les conditions pour que cela soit possible. Notre deuxième hypothèse est que, si la situation forme

un système, on peut agir sur l’ensemble des côtés pour que ce contact personnalisé soit possible.

Réguler

La fonction porte sur trois objets : les acquis des élèves, la régulation du système, l’interphase du système avec

d’autres systèmes, les trois étant liés.

Il faut donc se situer dans plusieurs dimensions, non seulement celle de l’apprentissage et de la situation

d’apprentissage, mais aussi celle de l’établissement, et celle de l’ensemble du système éducatif. En d’autres

termes, passer de la 2D de l’hexagone à la 3D d’un système d’hexagones. On retrouve ainsi les trois niveaux de

l’évaluation mis en évidence par Jean-Marie De Ketele : le niveau micro, celui des processus d’apprentissage ; le

niveau méso, celui de l’établissement et le niveau macro, celui du système éducatif.

A chacun de ces trois niveaux se croisent les deux tensions constitutives de l’acte d’évaluation : le contrôle et la

valorisation d’une part, l’évaluation interne et l’évaluation externe d’autre part.

Niveau micro : évaluer les apprentissages

Ainsi, évaluer les acquis des élèves, c’est mesurer l’écart avec ce qui est attendu - dimension du contrôle - et

donner de la valeur à leur apprentissage - dimension de la valorisation - dans un rapport à la construction

individuelle de l’apprentissage - dimension interne et privée de l’évaluation formative -, mais aussi en

considération avec la norme - dimension externe de l’apprentissage.

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Niveau méso : réguler le système

La régulation du système renseigne sur la prise en compte des différentes fonctions et leur articulation -

dimension du contrôle. Il est clair que chaque enseignant ne maîtrise pas également toutes les fonctions.

L’idéal n’est, d’ailleurs, pas que l’équilibre soit le même pour tous, avoir son style propre est essentiel. Utiliser

ce modèle permet d’analyser sa pratique pour voir où sont ses points d’appui et comment prendre en compte

l’ensemble, dimension de la valorisation et du développement professionnel. L’intérêt est aussi de situer les

complémentarités dans l’équipe pour bâtir une compétence collective. Repérer le style pédagogique des

collègues permet également de mieux communiquer - dimension interne. Réguler un système, c’est repérer

cequi relève des invariants et ce qui est de l’ordre des variables contingentes. ? C’est passer d’une pratique

isolée à une pratique transférable, d’une pratique réussie à une bonne pratique - dimension externe.

Niveau macro : permettre l’interphase avec d’autres systèmes

Un dispositif pédagogique est là pour répondre à des besoins, ceux du jeune, ceux du groupe de jeunes, ceux

de la société. Il ne peut donc exister sans un repérage de ces besoins. Évaluer un dispositif pédagogique, c’est

mesurer sa capacité à prendre en compte ces besoins et à réactualiser leur repérage pour que le dispositif ne

s’auto-légitime pas - dimension du contrôle. Répondre aux besoins n’a de sens que si ceux-ci sont situés dans

une dimension qui leur donne un avenir, ce qu’assure la définition d’objectifs référés à des visées extérieures à

la classe. La mesure de l’atteinte des objectifs est de l’ordre du contrôle. La mise en perspective des objectifs

confère de la valeur aux dispositifs dans la mesure où elle les inscrit dans l’interaction avec des dimensions qui

dépassent l’acquisition d’un savoir, d’un savoir-faire ou même d’un savoir-être, mais situe l’acte d’apprendre

dans une construction de la personne, dans une insertion dans le monde. Ainsi, assurant le pont entre le besoin

et la finalité, l’évaluation des dispositifs pédagogiques, et ce, d’autant plus s’ils sont innovants, suppose des

évaluateurs internes qui, seuls, peuvent définir la qualité d’un service qui est à la fois l’objet et l’objectif de leur

action. Mais, ces dispositifs se situant dans un cadre institué, leur efficience doit être mesurée à l’externe par

des experts qui les comparent avec d’autres, mis en place ailleurs.

Que nous dit ce modèle des « pédagogies innovantes » ? 2.

Remarque préliminaire : « Les pédagogies innovantes », telles qu’elles entrent dans la demande sociale

actuelle, ne sont pas des pédagogies récemment élaborées. Elles datent des années 60 pour la plus récente

(Pédagogie institutionnelle), de l’entre-deux-guerres (Pédagogie Freinet), voire du début du XXe siècle

(Pédagogie Montessori).

A) LA VISEE

La finalité de l’acte pédagogique ne réside pas dans la réalisation immédiate de l’action. Malgré ce que certains

affirment et revendiquent, enseigner c’est toujours éduquer. Pour quel après prépare-t-on des jeunes à un

examen, à un concours, à une entrée dans la vie professionnelle ? Tout pédagogue, toute pédagogie s’interroge

explicitement ou implicitement sur son but : quelle jeunesse il veut former pour quel type de société ? Être au

clair avec cette nécessité de l’action pédagogique, c’est s’inscrire dans une dimension éducative.

Pas de pédagogie sans projet de former un homme mais, tout n’est pas si simple car, et surtout actuellement,

la visée n’est pas unique. L’Etat, les parents, l’enseignant dans sa classe, la demande sociale, autant d’acteurs

qui ne s’accordent pas complètement, voire s’opposent, sur la finalité à l’action éducative et pédagogique.

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EXEMPLES DE VISEE INSTITUTIONNELLE

Dans le domaine scolaire, la visée s’exprime à travers le cadre institutionnel de l’École. L’École française est la

fille de la révolution. Elle porte en elle le souci de l’unité nationale et les espoirs du progrès des XVIIIe et XIX

e

siècles qui s’expriment dans la fameuse phrase prêtée à Victor Hugo : « Ouvrir une école, c’est fermer une

prison ». L’ambition de Jules Ferry fut de former des citoyens instruits et responsables. « Le tour de France de

deux enfants » et les manuels scolaires d’histoire de France en furent le moyen : unification de la langue et

partage d’un roman national.

L’École actuelle poursuit la même visée, à travers l’affirmation d’une recherche de méritocratie appuyée sur

l’égalité des chances, comme le formule le rapport de France Stratégie : « Quelle finalité pour quelle

École ? »83

: elle est « garante de l’égalité des chances en offrant à tous les élèves le même enseignement. C’est

la logique méritocratique à la base de notre contrat social. » Le même rapport indique aussi que, d’une part,

l’égalité des chances se réduit souvent à l’égalité des moyens et que, d’autre part, les multiples demandes

faites à l’École : formation et insertion professionnelle, vivre-ensemble, formation du citoyen, transmission des

savoirs et de la culture, bien-être et épanouissement, développement de la personnalité, lutte contre les

inégalités sociales, brouillent la dimension réellement inspirante de cette vison.

LA DEMANDE SOCIALE ET LA DEMANDE DES FAMILLES

« Le débat public sur l’École, qui se focalise sur des controverses portant sur des points techniques particuliers

du fonctionnement du système scolaire, révèle en fait des désaccords implicites mais profonds sur les priorités

qu’il faut lui fixer. Les attentes à l’égard de l’École sont tellement nombreuses que ses objectifs n’ont cessé de

s’empiler, et avec eux les injonctions contradictoires auxquelles les acteurs de terrain font face. La mobilisation

de ces derniers requiert désormais un projet politique cohérent poursuivant des finalités assumées

explicitement. » (Rapport de France Stratégie).

LA VISEE PERSONNELLE DE L’ENSEIGNANT

Tout enseignant privilégie, qu’il le veuille ou non, qu’il le sache ou non, une pédagogie en fonction de ses

propres finalités et ce d’autant que la visée portée par l’institution n’est pas claire.

EXEMPLE DE VISEES DE QUELQUES METHODES PEDAGOGIQUES

FREINET

La finalité de l’École s’articule autour de trois grandes directions :

- Une école ouverte sur la vie qui travaille sur des questions vives dans l'ordre du social, de l'économique, du

culturel, du politique, de l'historique.

- L'éducation au travail, aspiration socialiste à un travail débarrassé de l'exploitation et de l'aliénation, mais

valorisé comme une dimension essentielle des valeurs des classes populaires ou laborieuses.

- L'école populaire visant à démocratiser la réussite scolaire, dans sa double ambition

d'acquisition/élaboration de savoirs et de socialisation émancipatrice.

83 « Quelle finalité pour quelle École ? », France Stratégie, septembre 2016 (www.strategie.gouv.fr).

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MONTESSORI

La visée principale de Maria Montessori, c’est l’éducation à la Paix. L’activité de la curiosité intellectuelle et

manuelle de l’enfant lui permet de développer une paix intérieure, fondement de la paix avec les autres. Cette

visée s’inscrit dans une vision chrétienne de l’homme et de la société.

Maria Montessori milite pour les droits de l’enfant. La construction d’un monde meilleur peut venir, pour une

très large part, des enfants, car ils ont des « pouvoirs », des potentialités non encore exploités.

La pédagogie Montessori a comme objectif et moyen l’autonomie de l’enfant. C’est une éducation à la liberté,

mais une liberté dans un cadre.

LA PEDAGOGIE INSTITUTIONNELLE

Née dans le cadre du mouvement Freinet. Les fondateurs de la Pédagogie institutionnelle se réfèrent à la

« psychothérapie institutionnelle » et à ce mouvement historique de pensée qui vise à resituer l’être humain au

cœur des institutions qui fondent et règlent la société.

La « PI » est animée par un rêve de transformations appuyé sur des fonctionnements autogérés. Sa finalité est

à la fois éducative et thérapeutique.

NEIL

Le but de la pédagogie libertaire consiste à participer à l'élaboration d'un individu libre d'agir et de penser, et

capable de produire un discours critique sur ses propres choix. En cela, ce projet dépasse la simple

accumulation de savoirs - la connaissance, même si elle est indispensable, n'est pas une fin en soi - et se

propose de construire un individu capable d'analyse et de recul critiques. La finalité essentielle de la pédagogie

libertaire consiste donc en ce que l'apprenant, au fur et à mesure du travail éducatif, participe de plus en plus à

l'organisation et à la production de ses savoirs.

L’EDUCATION NOUVELLE

« L’objectif général de l’Éducation Nouvelle est de contribuer à la formation d’adultes autonomes, capables de

se prendre en charge, confiants en leurs capacités, manifestant une indépendance d’esprit et de jugement,

curieux et désireux de continuer à acquérir de nouvelles connaissances, sachant toujours avoir des

enthousiasmes et des désirs, maîtrisant les outils de la réflexion et de l’analyse, acteurs de la vie sociale, et

agissant positivement à l’égard des autres. »84

Ce focus sur les visées des méthodes pédagogiques amène plusieurs questions :

Conçus par leur fondateur comme moyens de la réalisation de leur projet d’éduquer, les outils, et surtout les

démarches, sont-ils neutres ?

Que veut dire l’utilisation d’un travail coopératif de la démarche Freinet sans finalité épanouissante du travail,

ou un apprentissage de la lecture avec les lettres rugueuses du matériel Montessori qui ne serait pas conçu

comme une expérience de paix intérieure ?

84 Extraits de la charte pédagogique de l’école nouvelle d’Antony, votée par son assemblée générale en 1991.

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Comme le note Philippe Perrenoud : « Les pédagogies nouvelles sont, historiquement, du côté des opprimés,

des défavorisés, des classes populaires. Que reste-t-il de cet ancrage historique dans une société de classes

moyennes ? »85

B) FOCUS SUR TROIS APPRO CHES

La pédagogie Freinet, la pédagogie Montessori et la Pédagogie Institutionnelle sont trois exemples de

pédagogies actives. C’est-à-dire qu’elles visent toutes les trois à rendre l’enfant acteur de ses apprentissages.

Certes, leur visée et leur fondement diffèrent - socialisme pour Freinet, vision chrétienne pour Montessori,

psychanalyse pour Oury, le fondateur de la Pédagogie Institutionnelle -, mais elles partagent la place

fondamentale de l’enfant dans le processus d’apprentissage. En cela, elles rejoignent la demande sociale

actuelle d’individualisation, même si ce terme n’a pas le même sens pour toutes les trois. C’est sans doute cela

qui leur confère un caractère « nouveau ».

Si l’on se réfère au modèle de l’hexagone, on voit que chacune d’entre elles offre une articulation privilégiée

entre l’enfant et un ou plusieurs côtés de l’hexagone.

Montessori : Articulation majeure : Individualiser, guider, organiser

Individualiser

Activités individuelles

Apprentissage expérimental

Respect du rythme de chacun

La main et les sens sont les

principaux vecteurs de

l’apprentissage

Plan de développement en

fonction de l’âge

Éducation à la concentration

(« leçon de silence »)

Guider

Il prépare l’environnement

Il observe l’enfant pour

comprendre le cheminement

et les obstacles

Il propose le matériel en

fonction de l’âge

F

i

g

ure 5 : l’articulation majeure dans l’approche

Montessori

85 « Les pédagogies nouvelles en question (s) », Philippe Perrenoud, 1997.

http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1997/1997_05.html

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Organiser

Organiser l’espace pour permettre à l’enfant

o de se mouvoir naturellement

o de choisir ses activités

Mettre à disposition de l’enfant un matériel

o adapté

o sensoriel

o isolant les difficultés

o autocorrectif

Adapter le mobilier à la taille de l’enfant pour lui laisser la liberté du lieu de son apprentissage (table

ou tapis de sol)

Freinet : Articulation majeure : Individualiser, coopérer, organiser

Individualiser

Libre expression de l’enfant

Tâtonnement expérimental

Travail fondé sur les centres

d’intérêt de l’enfant

Expérience ouverte sur le monde

Boîte à questions

Autocorrection

Coopérer

Travail de groupe

Réunions hebdomadaires de la

coopérative scolaire

Correspondance entre classes

Organiser

Plan de travail

Aménagement de l’espace

espaces collectifs

ateliers spécialisés

documentation

Classes promenades

Figure 6 : l’articulation majeure dans l’approche Freinet

Pédagogie institutionnelle : Articulation majeure : dire « je », coopérer, instituer

Dire « je »

Les 4 « L» : Lieu, Limite, Loi, Langage

Classe lieu / contenant, sécurisé

rituels

appropriation des règles

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Les lieux de parole

Le « quoi de neuf »

(passerelle entre la

maison et l’école)

Le « ça va, ça va pas »

(terminer ou

commencer une

activité, une journée,

par un ressenti)

Le conseil

Coopérer

Conseil coopératif (permet

de résoudre des problèmes

et ainsi de réguler la classe)

proposer

discuter

décider

appliquer

Figure 6 : L’articulation majeure dans l’approche

de la Pédagogie Institutionnelle

Instituer

Institutions de médiation

« Quoi de neuf »

Responsabilités

Activités de production qui rejoignent le désir de l’enfant

Ceintures de comportement

Quelques remarques sur les domaines n’entrant pas dans ces articulations

1. Les trois approches évoquées ne parlent pas explicitement des contenus.

Pour Maria Montessori, les apprentissages visés sont les apprentissages de base. Il s’agit d’entraîner l’enfant

à résoudre des problèmes.

Pour Freinet, les contenus doivent rejoindre les centres d’intérêt de l’enfant ; son désir ajoutera la Pédagogie

Institutionnelle. De plus, ces deux approches revendiquent leur inscription dans l’enseignement public donc

dans ses programmes, leur intervention visant à agir sur l’organisation pour rendre l’élève acteur.

2. Le groupe peut apparaître comme le parent pauvre de cette approche, même si la collaboration est un

élément présent dans les classes. Cette direction sera reprise par le Père Faure qui, en reprenant les

inspirations de Maria Montessori, proposera sa « pédagogie personnalisée et communautaire »

3. Le lien entre Freinet et la PI apparaît dans leur complémentarité.

Cette analyse montre qu’aucune pédagogie ne peut prétendre embrasser toutes les composantes d’une

situation d’apprentissage. Les focus différents et complémentaires de ces trois approches laissent aux

enseignants l’autonomie de bâtir leur propre assemblage. Assemblage dont l’efficience dépendra de deux

choses. D’abord, la qualité de la régulation pour que les choix se fassent en réponse aux besoins de l’enfant.

Ensuite, la clarté de l’enseignant sur la cohérence des visées de l’institution, des approches et sa propre visée.

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Quelques lectures intéressantes

Cette liste, loin d’être exhaustive, présente quelques publications intéressantes qui ont contribué à nourrir la réflexion des auteurs du rapport. « Confiance, coopération et autonomie : pour une école du XXIe siècle », Note n° 48 du Conseil d’Analyse

économique (Yann Algan, Elise Huillery et Corinne Prost – Octobre 2018) Et 3 Focus (Yann Algan, Jean Constantin, Samuel Delpeuch, Elise Huillery et Corinne Prost) :

« Données sur les compétences socio-comportementales », Focus n° 025-2018

« Plusieurs expérimentations de programmes à visées éducatives », Focus n° 026-2018

« Impact de l’évaluation par compétence », Focus n° 027-2018

« L’éducation prioritaire», Rapport d’évaluation d’une politique publique de la Cour des Comptes (Octobre 2018)

« Education et Territoires : inégalités scolaires d’origine territoriale en France métropolitaine et d’Outre-Mer », Rapport scientifique du Cnesco : (Patrice Caro – octobre 2018)

« Enseignants innovants », La Croix, Au fil de l’été… (série de 5 portraits publiés du 27 au 31/08/2018)

« Pédagogies alternatives : pour qui ? pour quoi faire ?, N’Autre école, Numéro 7

« La mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) chargées de

la formation initiale des enseignants du secteur public », Référé de la Cour des Comptes (12 mars 2018)

« L’Education nationale : organiser son évaluation pour améliorer sa performance », Enquête de la Cour des Comptes demandée par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale (Décembre 2017)

« Gérer les enseignants autrement. Une réforme qui reste à faire », Rapport public thématique de la Cour des Comptes (Octobre 2017)

« Différenciation pédagogique : comment adapter l’enseignement pour la réussite de tous les élèves ? »,

Conférence de consensus organisée par le Cnesco et l’Ifé / ENS de Lyon (Rapport de Dominique Lafontaine - mars 2017)

« La différenciation pédagogique en classe », Dossier de veille n° 113 de l’Institut français de l’Education

(Ifé) : (Annie Feyfant – Novembre 2016) « Quelle finalité pour quelle école ? », Rapport de France Stratégie : (Rapporteur : Son Thierry Ly –

Septembre 2016)

Enquête PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) menée par IEA et TIMSS & PIRLS International Study Center (2016)

« Une école de la réussite pour tous », Avis du Conseil économique, social et environnemental (Mai 2015) « Le suivi individualisé des élèves : une ambition à concilier avec l’organisation du système éducatif »,

Rapport public thématique de la Cour des Comptes (Février 2015) « Les pratiques pédagogiques efficaces. Conclusions de recherches récentes », Document de travail n°

2014-01 de France Stratégie (Pierre-Yves Cusset – Août 2014)

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Remerciements

Tout en précisant qu’elles ne sauraient être tenues responsables des propos émis dans ces pages, nous remercions toutes les personnes qui ont contribué à la réflexion de VersLeHaut, et notamment :

Les membres de son comité directeur ; Les membres de son conseil scientifique ; Les associations partenaires ; Et toutes les personnes qui ont nourri notre réflexion au cours de rencontres ou par des apports écrits :

Ariane Allemandi, Professeur de philosophie et de cinéma, Lycée Bellevue (Le Mans) André Altmeyer, Directeur général adjoint à la Direction de la Stratégie, Apprentis d’Auteuil Christophe Beslon, Directeur, Savoir-Être à l’École Laetitia Branciard, Formatrice d’enseignants sur les troubles de l’apprentissage et sur le handicap Flore Bruneau, Chef de projet pour le changement des organisations Ondine Bullot, Fondatrice de Better Kids Grégory Chambat, enseignant, collectif Questions de classe Sylvie Charrière, Députée de Seine-Saint-Denis, ancien principal du Collège Romain Rolland (REP+) (Clichy-Sous-Bois) Anne Coffinier, Déléguée générale, Fondation pour l’École Jean-Michel Coignard, Directeur, Académie de Paris Christiane Conturie, Formatrice, Réseau des Centres Madeleine Daniélou (Bobigny) Agathe Cousin, Chargée de communication et des Partenariats, France Médiation Monique Dagnaud, Sociologue, Directrice de recherche, EHESS - CNRS - Institut Marcel Mauss Patrice Fondin, Conseiller Education, formation, enseignement supérieur au cabinet de la Secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées

Charles Gardou, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2 et chargé d’enseignement à l’Institut de Sciences Politiques à Paris Marie-Aleth Grard, Vice-présidente d’ATD Quart Monde, membre du Cese Nathalie Gerrier, Présidente de Vivre et grandir à l’école et en société Philippe de Beauregard, responsable pédagogique du réseau d’écoles Espérance Banlieues Béatrice de Durfort, Déléguée générale, Centre français des Fonds et Fondations

Marie-Laure Fazi, directrice de l’école Vitigliano (Marseille) Mathieu Denel, Chargé de mission Éducation, Wikimedia France Marie Derain de Vaucresson, Secrétaire générale, Conseil national de la Protection de l'Enfance Élise Descamps, Journaliste, Faire Face Lionel Devic, Président, Fondation pour l’École Sandrine Dottori, Responsable de Projets "Études et Innovation", SOS Villages d’Enfants Lorraine Drevon, Directrice de l’École Être & Savoir (Paris 12e) Soline du Crest, Adjointe du directeur du Cours Ozanam (Marseille) Laurent Dupuis, Délégué général, Fondation Potentiels et Talents Kamel Essaied, Directeur de l’École élémentaire Victor Hugo (Colombes) Louise Gamichon, Journaliste Matthieu Gautier, Directeur général, Futur au Présent Julien Goarant, Directeur de clientèle, et les équipes de BVA Stéphane Gouraud, Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique du Morbihan Charlotte Guadet, Enseignante, Collège Gérard Philipe (Paris 18e) Aude Guéneau, Fondatrice, Plume Silvio Guerra, Directeur du Lycée Charles de Foucauld (Paris 18e) Pascale Haag, Fondatrice, Lab School et Maître de conférences, École des hautes études en sciences sociales Hedwige Hallopeau, professeur de français collège, Espérances Banlieues (Asnières) Bernard Hugonnier, Ancien directeur adjoint Éducation, OCDE Patricia Humann, Coordinatrice du Pôle "École - Petite Enfance - Jeunesse", Unaf Yanek Husianycia, Président, Public Montessori Clothilde Jouzeau, Enseignante en grande section, École maternelle Édouard Herriot (Perpignan) Anne Kolly, Responsable pédagogique et formatrice, ISFEC de Bretagne Hervé Laud, Responsable Département Prospective et Plaidoyer, SOS Villages d’Enfants Sylvie Le Loup, Responsable des Services régionaux, Enseignement catholique de Bretagne

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Rozenn Le Roux-Mion, Vice-présidente, Association Discipline Positive France Cédric Leva, Responsable Évaluation et Accompagnement au Pilotage du Projet stratégique, Apprentis d’Auteuil Agnès Maesse, directrice de l’école Sainte-Marie (Paris) Isabelle Massin, Ancien maire de Cergy Stéphanie Morel, Sociologue, Fondatrice, Le SociaLab Jean-Baptiste Munier, Directeur de communication, père de famille Ingrid Nfifi, Documentaliste de Milan Presse Jeunesse & Bayard Jeunesse Julien Pautot, Éducateur-Coordinateur, Plateforme de remobilisation scolaire, Apprentis d’Auteuil Fanny Peissik, Fondatrice-Directrice, Hub School 21 Cécile Perrot, Chargée de Mission Recherche Action-Expérimentation, Apprentis d’Auteuil Nathalie Pinson, La Place des Métiers Mathilde Poupée, enseignante en début de carrière Corentin Remond, Délégué général, Fédération nationale des Écoles de Production Joris Renaud, Co-fondateur, Edu-Voices Christine Rossignol, Directrice Scolarité et Prévention du Décrochage, Apprentis d’Auteuil Béatrice Sabaté, Fondatrice, La Discipline Positive Elisabeth Terrien, administratrice, Collège des Bernardins Marie Trellu-Kane, Co-fondatrice, Présidente, Unis-Cité, membre du Cese Marie-Claude Vié, Directrice, École maternelle et primaire Notre-Dame des Anges, Apprentis d’Auteuil (Toulouse) Bénédicte Vuillaume, Professeur-documentaliste, Institut Saint-Thomas de Villeneuve (Chaville) Jean-Claude Yadan, chercheur en biologie Samuel Yon, Enseignant, Collège Gérard Philipe (Paris 18e) Alice Zagury, Co-Fondatrice, The Family Les membres du Cercle École et Société, notamment Danièle Luccioni, Présidente, et Loïc Toussaint de Quievrécourt, Vice-président L’équipe Veille et Prospective d’Apprentis d’Auteuil : Marie Meganck, Marie-Aïda Mané, Pauline Preuss et Sophie Touvet

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Synthèse : nos 20 propositions

Retrouver le sens et la personne : quid des finalités éducatives ? Instruire ou éduquer ? Faut-il choisir ? 1. Adosser à la Constitution une « charte de l’éducation », texte précisant les finalités des politiques

éducatives dans notre pays, à l’image de la charte de l’environnement. 2. Lancer des Etats généraux de l’Education mobilisant l’ensemble de la société civile, les acteurs éducatifs, les

jeunes et les familles pour définir ensemble « ce que nous voulons pour l’éducation.

Personnaliser les parcours S’inspirer pour tous des initiatives pensées au départ pour quelques-uns 3. Proposer à chaque élève – et non pas seulement à ceux qui sont dans une situation particulière - un

« parcours personnalisé » prenant en compte ses compétences et lui fixant des objectifs adaptés. Associer les familles à ce « contrat ».

Les conditions du succès et du déploiement Expérimenter dans la confiance… et évaluer régulièrement 4. Développer les dispositifs de recherche-action dans les établissements scolaires en formant les enseignants

à cette pratique pour développer la culture de l’innovation et de l’évaluation.

Avoir des effectifs restreints 5. Poursuivre la politique d’abaissement du nombre d’élèves par classe en primaire pour favoriser l’approche

personnalisée.

Les changements structurels pour favoriser la transition éducative La remise à plat de la formation initiale et continue des enseignants

6. Former davantage les enseignants aux finalités de l’éducation - dimension philosophique, anthropologique ; leur donner les moyens de mieux tirer parti des enseignements de la recherche sur le développement de l’enfant (approche psycho-éducative, neuroscientifique…).

7. Ouvrir davantage la formation initiale et les plans académiques de formation à des approches pédagogiques innovantes, s’appuyant notamment sur les neurosciences, la psychologie cognitive.

8. Favoriser la formation par les pairs, mobilisant des enseignants expérimentés.

Faire de l’établissement la clé de voûte du système éducatif 9. Donner aux établissements une véritable liberté pour définir des projets éducatifs différents, avec en

contrepartie, une mesure d’impact rigoureuse. 10. Donner aux établissements une véritable liberté pour le recrutement de leur équipe éducative, sur la base

du projet éducatif défini. 11. Systématiser les « relectures de pratiques » entre enseignants. 12. Renforcer la formation initiale et continue des chefs d’établissement à l’animation pédagogique. 13. Développer des postes de « directeur des études » au sein des établissements publics. 14. Mettre en place un système d’évaluation des établissements à 360°, intégrant les résultats des élèves lors

de tests nationaux, mais aussi l’avis des enseignants, des parents, des partenaires extérieurs, de chercheurs partenaires…

Le renouveau de la condition enseignante : du « freelance » à l’acteur respecté d’une communauté éducative soudée

15. Annualiser le temps de travail des enseignants et y intégrer les missions hors des cours devant les élèves, en échange d’une meilleure rémunération.

La dynamique d’innovation dans la gouvernance du système 16. Donner beaucoup plus de visibilité à la journée de l’innovation et doter les lauréats de véritables moyens

pour déployer leurs initiatives et les faire connaître. 17. Développer des financements pour des dispositifs éducatifs expérimentaux répondant à des besoins

éducatifs exceptionnels – avec des dispositifs de mesures d’impact (par exemples, une école Montessori publique par académie, des mini-collèges dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, avec effectifs restreints, à l’image de ce que propose le réseau Espérance Banlieues).

18. Revoir les inspections pour intégrer davantage le travail d’équipe. 19. Remettre à plat l’évaluation des enseignants au niveau individuel en impliquant davantage le chef

d’établissement et l’équipe de direction et au niveau collectif en développant beaucoup plus fortement l’évaluation par équipe et par projet.

20. Former au moins un inspecteur par académie à des pratiques pédagogiques actives (par exemple, un inspecteur Montessori).

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10, rue Rémy Dumoncel Tél. +33 (0)1.43.21.24.84 75014 Paris [email protected] www.verslehaut.org