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22 GRAND ANGLE 23 Les Dreal et Direccte sont-elles les alliées des entreprises de transports ou leurs pires ennemies ? Indéniablement, ces deux directions régionales nées en 2010 de la révision générale des politiques publiques (RGPP) contribuent à lutter contre la concurrence déloyale et le dumping social, deux fléaux régulièrement pointés du doigt par les organisations professionnelles. Pour autant, confrontées à une réglementation routière de plus en plus complexe et aux restrictions budgétaires à tous les étages, disposent-elles des moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions ? Leurs agents ont-ils conscience des difficultés rencontrées par la profession et cherchent-ils à y remédier? L’Officiel des Transporteurs - N° 2777 du 20 mars 2015 DREAL ET DIRECCTE L’Officiel des Transporteurs - N° 2777 du 20 mars 2015 © Arnaud Bouissou/MEDDE-MLETR

22 GRAND ANGLE - Collectif des journalistes …cestlest.com/philippe/fichiers/OT-Dossier-Dreal-Direccte.pdfdouane, Dreal et Direccte.«Quelques opéra - tions ont été conduites,

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Les Dreal et Direccte sont-elles les alliées des entreprises de transports ou leurs pires ennemies? Indéniablement, ces deux directions régionales nées en 2010 de la révision générale despolitiques publiques (RGPP) contribuent à lutter contre la concurrence déloyale et le dumping social, deux fléauxrégulièrement pointés du doigt par les organisations professionnelles. Pour autant, confrontées à uneréglementation routière de plus en plus complexe et aux restrictionsbudgétaires à tous les étages, disposent-elles des moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions ? Leurs agents ont-ils conscience des difficultés rencontrées par la professionet cherchent-ils à y remédier?

L’Officiel des Transporteurs − N° 2777 du 20 mars 2015

DREAL ET DIRECCTE

L’Officiel des Transporteurs − N° 2777 du 20 mars 2015

© Arnaud Bouissou/MEDDE-M

LETR

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B ras armés des administra-tions centrales dans les ré-gions, les Dreal (environ-nement, aménagement etlogement) et les Direccte(entreprises, concurrence,consommation, travail et

emploi) n’ont pas toujours bonne pressechez les transporteurs routiers. Issues d’uneréforme visant à diminuer les dépenses et àrenforcer l’efficacité de l’action publique,elles suscitent au mieux l’indifférence, aupire la défiance. L’an dernier en Aquitaine,cinq entreprises de messagerie se sontépanchées auprès de l’organisation profes-sionnelle TLF suite à plusieurs contrôles enentreprise : «Les contrôleurs ont exigé les ré-cépissés de livraison sur les douze derniersmois. C’est excessif ! Tout contrôle a un im-pact économique. Et il n’est pas négligeable

lorsqu’un à trois salariés doivent être mo-bilisés pendant deux-trois semaines pourextraire l’ensemble des documents. TLF ademandé à la Dreal de cibler davantage sescontrôles sur des périodes plus réduites : en-viron six mois », souligne Pascal Vandalle,directeur délégué au conseil de métiers« route » de TLF.

Patrice Philodeau, P-dg du groupe F2P(44) et président de l’OTRE Pays de la Loire,estime avoir été victime d’acharnement dela part d’inspecteurs du travail de la Di-reccte. Le chef d’entreprise a bâti un groupede transport diversifié en reprenant trois so-ciétés entre 2006 et 2008. «J’étais devenu unconcurrent gênant. Mais les inspecteurs n’onttrouvé aucune infraction et nous avons su ti-rer le meilleur de cette expérience en aug-mentant encore notre niveau d’exigence » ,détaille-t-il.

son activité et rebondir grâce au maintiend’un nombre suffisant de licences commu-nautaires par la Dreal Alsace.

CONTRÔLEURS EN MANQUE DE RECONNAISSANCE

Sur le terrain, les contrôleurs des transportsterrestres (CTT) des Dreal demeurent lesprécieux garants d’une concurrence loyale,du respect de la sécurité et des conditionsde travail. Mais leur profession serait soustension, car «au fur et à mesure de l’évolu-tion de la réglementation européenne, l’ad-ministration leur en demande de plus enplus », déplore Isabelle Rousseau, respon-sable nationale CFDT-Ufetam (Union fédé-rale environnement, territoires, autorouteset mer). En effet, ces experts sont habilitésà constater des infractions dans les do-maines du code de route, code des trans-ports, code du travail, code de l’environne-ment, etc. «Dans des Dreal de petite taillecomme l’Auvergne, il arrive à certaines occa-sions que les effectifs se tendent et un CTTpeut se retrouver à couvrir deux départe-ments», s’inquiète la responsable syndicale.Interrogée sur les moyens de leur directionrégionale, Béatrice Agamennone, chef duservice Transports à la Dreal Lorraine, es-time au contraire que «nous aurions lesmoyens humains et financiers de faire da-vantage de contrôles. Mais nous sommes dé-pendants des forces de l’ordre. » Actuelle-ment, chacun de ses vingt-quatre agentsréaliserait en moyenne deux journées decontrôle par semaine.

Fonctionnaires de catégorie B, les CTTsouffriraient également d’un manque de re-connaissance : absence de revalorisationstatutaire, objectifs chiffrés en hausse, ho-raires contraignants (nuits et week-ends),risques inhérents à l’exercice d’un métiersur la voie publique, etc. Par ailleurs, la fu-sion de leurs directions régionales (Équipe-ment) dans les Dreal aux côtés des Drire(Industrie) et des Diren (Environnement) apu susciter chez eux un sentiment d’isole-ment : «Dans sa communication, la Dreal atendance à mettre en avant ses missionsdans le domaine de l’environnement.

25GRAND ANGLE24 GRAND ANGLE DREAL ET DIRECCTE, LE BÂTON ET LA CAROTTE

CINQ ANS DE RÉFORME DEL’INSPECTION DU TRAVAIL2009. Les Inspections du travail destransports et de la santé fusionnentdans une Inspection du travail unique.Une demande des syndicats etassociations d'inspecteurs depuis lesannées 90. Ils souhaitaient ainsi limiterl'influence du lobby agricole et desgrandes entreprises de transports surleurs corps d'inspection respectifs.

2010. Réunion de huit administrationsdéconcentrées dans les Direccte.Celles-ci sont organisées en trois pôles : un pôle « Travail » qui intègrel’Inspection du travail, un pôle«Entreprise, emploi, économie », un pôle « Concurrence ».

1er décembre 2014. Entrée en vigueurde la réforme de l’Inspection du travail. Chaque département comptedésormais deux à trois unités decontrôle gérées par un responsabled’unité. Celui-ci a sous sa responsa -bilité huit à onze inspecteurs du travail. Une unité régionale de luttecontre le travail illégal —une prioritédu ministère du Travail— complètecette organisation.

LES DREAL JUGENT QUE LES OPÉRATIONS «COUP-DE-POING» N’ONT PAS TOUJOURS LES MOYENS DE LEURS AMBITIONS.

De plus en plus au fait des difficultéséconomiques consécutives à la crise, Drealet Direccte sauraient pourtant faire preuvede souplesse comme en témoignent lesTransports Weber (68). Au bord du dépôtde bilan en 2008, cette PME a pu poursuivre

Patrice Philodeau, dirigeant de F2P (44)estime avoir été victime d’acharnement de la part d’inspecteurs du travail de laDireccte.

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Dans les locaux de la Dreal Lorraine,Béatrice Agamennone(à g.) et Claudine Beckerresponsables au servicetransport : «Nous sommesdans une démarchebienveillante, qui vise lapérennité des entreprises».

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Th. Butzbach

Ph. Bohlinger

Ph. Bohlinger

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C’est son fonds de commerce. Par consé-quent, le travail de contrôle dans les trans-ports apparaît de moins en moins connu endehors de ses utilisateurs directs», poursuitla responsable nationale CFDT-Ufetam.

PAS DE MOYENS POUR LES «COUPS DE POING»

Pour toutes ces raisons, les Dreal peine-raient à recruter des CTT, un métier souventexercé par d’anciens inspecteurs du permisde conduire, agents de police municipale,militaires, etc. Pourtant, le besoin en profes-sionnels aguerris sur le terrain serait impor-tant. Par exemple, les organisations profes-sionnelles estiment que les contrevenantsà la réglementation sur le cabotage ne sontpas efficacement poursuivis (lire par ail-leurs dans ce dossier). Elles jugent aussi queles opérations « coup-de-poing » n’ont pastoujours les moyens de leurs ambitions.Alerté sur des pratiques frauduleuses dansle TRM, le préfet de région Aquitaine a ainsilancé en 2013 et 2014 des opérationsconjointes associant police, gendarmerie,douane, Dreal et Direccte.«Quelques opéra-tions ont été conduites, mais nous n’avonspas atteint les objectifs fixés. Pourtant, toutesles bonnes volontés étaient réunies. Mais il ya un manque de moyen difficilementavouable par les administrations concer-nées », témoigne Jérôme Bessière, déléguérégional de la FNTR en Aquitaine.

Seconde mission essentielle des Drealpour le secteur du TRM, l’inscription au re-gistre des transporteurs a fait couler beau-coup d’encre. Pourtant, si les conditions d’ac-cès ont été durcies avec l’avènement duPaquet routier (capacité professionnelle, ho-norabilité et capacité financière), de nom-

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CABOTAGE

Remonter jusqu’auxsièges des entreprisesinfractionnistesLes contrôleurs des transports terrestresdes Dreal ont-ils les moyens desanctionner les entreprises de TRM quine respectent pas la réglementation surle cabotage? Non, répond sans hésiterl’Union TLF. «Les entreprisescontrevenantes paient leurs amendes, maisles Dreal n’ont pas les ressources pourremonter jusqu’aux sièges sociaux dansd’autres États membres pour sanctionnerles multirécidivistes. Par conséquent, lesystème perdure, car le risque de subir unnouveau contrôle demeure faible», analysePascal Vandalle le directeur délégué auconseil de métiers «route» de TLF. Dansce contexte, l’amendement au projet deloi Macron qui prévoit d’imposer le Smicfrançais aux entreprises étrangèresréalisant des opérations de cabotage,apparaît comme un vœu pieux. «20000 poids lourds traversent chaquejour les Pyrénées», avertit Jérôme Bessière,délégué régional de la FNTR enAquitaine.En cas d’adoption de l’amendement,

vraisemblablement pas avant l’été, « cette règlementation ne sera pasimpossible à contrôler», tranche Marie-France Renzi, responsable du pôle Travailà la Direccte Lorraine. «Nous pouvonsobtenir des informations sur des sociétésétrangères grâce aux coopérations initiéesavec les pays frontaliers via les bureaux deliaison. Certes, les remontées de donnéesprennent du temps ; nous sommes dans lacoopération internationale. Mais c’estpossible. La véritable question est :S’intéresse-t-on à l’ensemble des infrac -tions ou à celles de grande ampleur ? »En France, sept bureaux déconcentrés

ont été créés dans les Direccte disposantd’une frontière commune avec un paysmembre de l’UE. En effet, la directiveeuropéenne de 1996 relative audétachement des salariés (directive96/71CE) prévoit pourtant la mise enplace de bureaux de liaisons entre lesadministrations des états membres. Parailleurs, les services d’inspection dutravail français devraient finaliser cetteannée de nouveaux accords decoopération rapprochée avec leurshomologues polonais et roumains, aindiqué la Commission nationale de luttecontre le travail illégal dans un rapportdu 12 février.

breuses Dreal — crise oblige — ont désor-mais une vision plus économique que régle-mentaire de la capacité financière. «Noussommes dans une démarche bienveillante,qui vise la pérennité des entreprises », résumeClaudine Becker, chef de la division régle-mentation des transports à la Dreal Lorraine.

Conséquence de cette « souplesse »,d’importantes disparités ont été observéesentre régions. Elles appartiendraient désor-mais au passé. «Les organisations profes-sionnelles ont obtenu une uniformisationdes règles. La DGITM (Direction généraledes infrastructures, des transports et de lamer) a diffusé une note aux Dreal en juillet2013 leur demandant, en cas de défaillancede la capacité financière, la mise en placed’un plan de redressement sur trois ans »,souligne le directeur délégué au conseil demétiers « route » de TLF.

TRAVAIL, CONCURRENCE ET EMPLOI

Les missions des Direccte sont moinsconnues des transporteurs à l’exceptionpeut-être de leurs volets « inspection du tra-vail ». Elles n’en sont pas moins vitales à labonne marche du secteur. On peut citerpêle-mêle le contrôle du respect des délaisde recouvrement, l’aide à la formation viales Opca Transports, la lutte contre le dum-ping social, etc. Très concrètement, ces di-rections régionales issues de la fusion dehuit organisations (lire en encadré) sont or-ganisées en trois pôles : «Travail», «Concur-rence » et « Entreprise, emploi, économie ».

Ancienne inspectrice des transports, au-jourd’hui responsable du pôle Travail à laDireccte Lorraine, Marie-France Renzi rap-pelle que « le contrôle des durées de travail

est capital dans le TRM. C’est la sécurité rou-tière qui est en jeu. Les contrôles de rémuné-rations demeurent également importants,car c’est une activité de main-d’œuvre.»

INSPECTEURS MOINS COMPÉTENTS ?

La réforme de l’Inspection du travail entréeen vigueur le 1er décembre (lire en encadré)devrait permettre aux Direccte de promou-voir le travail en équipe, de réaliser descontrôles sur des thématiques ciblées àl’échelle régionale. Autre mesure, cette foissous-tendue par l’adoption définitive de laloi Macron, les inspecteurs pourront pro-noncer des sanctions administratives (fer-metures, amendes, etc.). Mais ces derniersmaîtrisent-ils encore les réglementationsspécifiques aux transports ? La fusion del’Inspection du travail des transports dansune inspection unique en 2009 n’a-t-ellepas entraîné une perte de compétences ?« Avec cette fusion, les inspecteurs quiétaient spécialisés dans la réglementationdes transports sont devenus polyvalents. Sibien qu’aujourd’hui, dans les Dreal, lescontrôleurs des transports terrestres sententbien que le contrôle repose essentiellementsur leurs épaules. En principe chaque Di-reccte compte un référent transport, mais ce-lui-ci se contente le plus souvent d’intervenirdans son département d’affectation », dé-plore Isabelle Rousseau de la CFDT-Ufetam.Bruce Aiglehoux, délégué régional de TLFen Centre et Île-de-France, enfonce le clou,estimant qu’en amont des contrôles «les en-treprises doivent parfois faire un cours de réglementation des transports aux inspec-teurs. Cette perte de spécialisation a été unvéritable recul pour la profession ».

RESPECT DES DÉLAIS DE PAIEMENT

Malgré tout, les Direccte demeurent trèsutiles aux transporteurs notamment parcequ’elles contrôlent… les chargeurs. «Les en-treprises de transports n’en ont pas connais-sance, mais nous contrôlons leurs donneursd’ordres », remarque Hélène Courtin, direc-trice de département au pôle Concurrencede la Direccte Rhône-Alpes. Sa brigade dequatorze enquêteurs, la plus importanteavec l’Île-de-France, s’assure du respect dela loi de modernisation sociale de 2002dans les relations entre entreprises. À ce ti-tre, elle s’intéresse notamment au non-res-pect des délais de paiement, identifiés auplan national comme une cause majeure defaillites pour les entreprises.

Interrogée sur les retards de paiementdans le transport, la responsable de dépar-tement à la Direccte Rhône-Alpes sou-

Croisade contre le travail illégaldans le déménagementPostée sur www.lebon-coin.fr en Rhône-Alpes,l’offre intitulée «démé-nageur pas cher» a étémise en ligne par un en-trepreneur individueldont le code APE 9609Zcorrespond aux activitésd’astrologue, de re-cherche généalogique ouencore de tatouage... En croisade contre cetteconcurrence déloyale qui prospère grâce à in-ternet, la Chambre syn-dicale du démé nage -ment (CSD) souhaiteraitbénéficier davantage dusoutien des fonction-naires des Dreal et Direccte. Elle rappelleque les 1300 entreprisesfrançaises du déména-gement (code APE4942Z) sont soumises àla réglementation duTRM et évoque les enga-gements de la Directiongénérale du travail etson plan national de

lutte 2013-2015 contre letravail illégal. Son travailde lobbying devait dé-boucher sur la signaturedans les mois prochainsd’une convention delutte contre le travail illégal dans le déména-gement avec le secréta-riat d’État chargé destransports, le ministèredu Travail et les organi-sations représentatives des salariés. «Cetteconvention tripartite varenforcer notre collabora-tion avec les Dreal et y as-socier les inspecteurs dutravail de la Direccte. Ellepermettra à la CSD d’êtreinformée lorsque despoursuites judiciaires sont engagées à l’encontred’entreprises exerçantillégale ment l’activité dedéménagement et de nousporter partie civile. Cesderniers mois, grâce auxdirectives adressées par laDGITM (Direction géné-

rale des infrastructures,des transports et de lamer), les Dreal s’étaientdéjà montrées plus atten-tives à nos signalements:une centaine en quinzemois. Mais l’efficacité dece dispositif reste inégaleselon les régions et nousdevons parfois nous transformer en véritablesSherlock Holmes»,regrette Laurence Lechaptois, déléguée générale de la CSD. La Chambre syndicale rémunère en effet deshuissiers pour constaterles infractions (exerciceillégal de l’activité, usur-pation du logo de la CSD, etc.). Pour cettebranche du transportroutier de marchandises,c’est un travail de Sisyphe : la CSD avaitdéjà signé des conven-tions de lutte contre letravail illégal avec l’Étaten 1995 et 2005…

Utiles aux transporteurs, les Direccte contrôlent leursdonneurs d’ordres en ciblanten priorité le non-respect desdélais de paiement. (Fotolia)

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n Comment peut-on résumer vos missions auprès des entreprises régionales ?Les patrons de PME ne connaissent pas toujours les services les mieux àmême de répondre à leurs problématiques. Par exemple, la Commissiondes chefs de services financiers peut intervenir pour étaler sous certainesconditions des créances fiscales et sociales.C’est tout l’intérêt du commissaire au redres-sement productif : Il est l’interlocuteur privi-légié des entreprises locales en difficulté, ainsiqu’un point d’entrée unique dans les servicesdéconcentrés de l’État. Concrètement, je suisen contact avec des sociétés en redressementjudiciaire, en procédure de conciliation ou enmandat ad hoc (*), mais aussi avec des entre-prises pour lesquelles aucune action n’a étéengagée.

n Quelles sont les autres problématiques ? De nombreux dossiers concernent des problé-matiques de trésorerie liées à la rémunérationdes salariés, au versement des cotisations so-ciales ou au paiement des fournisseurs. Ils né-cessitent des arbitrages complexes. Nous ac-compagnons également des problématiquesde carnets de commandes, d’obtention d’au-torisations officielles (ICPE, documents fis-caux, crédit d’impôt, etc.) Enfin, je peux aidercertaines entreprises à trouver des opportuni-tés de développement. En effet, la croissancepeut être un élément vital pour la pérennitéd’une affaire.

n À quelle administration le commis-saire au redressement productif est-ilrattaché en Rhône-Alpes ?Je conjugue mon poste de commissaire au re-dressement productif avec celui de directeuradjoint de la Direccte Rhône-Alpes et respon-sable du pôle Entreprise, emploi, écono-mique, un pôle qui regroupe une centained’agents. Dans certaines régions, les commis-saires exercent leurs missions à plein-temps.Mais j’estime que cette double casquette de-meure un atout, car elle permet de faire tra-vailler mes équipes de chargés de mission sur

les dossiers. Par ailleurs, je suis par ce biaisun interlocuteur facilement identifiable del’extérieur.

n Vous êtes l’interlocuteur privilégiédes PME de moins de 400 salariés.Quelles sont vos relations avec lesentreprises de transports ?Je dois reconnaître que les dossiers quim’occupent le plus sont des dossiers dePME industrielles de 100 à 250 salariés.Nous sommes moins mobilisés sur les trèspetites entreprises parmi lesquelles il y abeaucoup de transporteurs routiers demarchandises. En Rhône-Alpes cepen-dant, les équipes de la Direccte en chargedes mutations économiques sont particu-lièrement mobilisées sur le dossier Mory-Ducros. Ses implications socio-éco-nomiques sont conséquentes. Aussi avons-nous mis en place un comité de suivi tri-mestriel des mesures décidées dans lecadre du plan de sauvegarde de l’emploi.Par ailleurs, nous sommes en contact régu-lier avec la Dreal qui est bien placée pourconnaître les difficultés financières des en-treprises de TRM. Nous avons signé en-semble un protocole d’échange d’informa-tions à l’automne dernier. Il nous a permisd’être informés de la situation d’un repre-neur en lien avec le tribunal de commerce.La Dreal, auprès de laquelle il avait sollicitéle renouvellement des licences commu-nautaires, a jugé sa capacité financière in-suffisante. Alerté, j’ai demandé à un chargéde mission de prendre contact avec luipour étudier un montage comptable quipermettrait de répondre aux exigences fi-nancières en lien avec les services fiscaux,BPI France, etc… u

Propos recueillis par PHILIPPE BOHLINGER

(*) Le mandat ad hoc est une procédure préventive derèglement amiable des difficultés qui vise à rétablir lasituation de l'entreprise avant qu'elle ne soit encessation des paiements.

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ligne que ces arriérés sont le plus sou-vent le fait de petits donneurs d’ordres quiconnaissent moins bien la loi Gayssot. Elleest rarement saisie par des transporteursrencontrant des difficultés de recouvre-ment : «Dans le TRM, nous n’avons pas plusde deux plaintes par an. La plupart dutemps, elles concernent de petits sous-trai-tants dans la messagerie qui subissent unrapport de force déséquilibré sur descontrats complexes à mettre en œuvre. Noussommes également saisis lorsq u’un don-neur d’ordres souhaite mettre fin au contratd’une entreprise de TRM sans tenir comptede l’antériorité de la relation commerciale»,poursuit-elle. À noter que le pôle Concur-rence des Direccte s’intéresse égalementaux pratiques anticoncurrentielles : ententesur les prix, abus de position dominante.

DES EUROS POUR FORMERLes Direccte peuvent également ôter leurcasquette de gendarme pour soutenir lacréation/développement d’entreprises, fa-voriser la montée en compétences des sa-lariés — capitale dans le TRM —, accompa-gner des publics spécifiques (jeunes,demandeurs d’emploi, personnes handica-pées, etc.). C’est la mission de leurs pôles« Entreprise, emploi, économie » (3E).

Par exemple, dans le Nord-Pas-de-Calais,un transporteur de fret interurbain (100 sa-lariés) a pu récemment profiter d’un dispo-sitif lancé en 2011 par l’Opca Transports etcofinancé notamment par la Direccte. Sonbudget formation était phagocyté chaqueannée par les formations obligatoires. Maisgrâce au dispositif « Compétences et em-ploi », 26 salariés ont pu suivre des pro-grammes spécifiques sur l’éco-conduite, le

CACES, Excel, la responsabilité sociétale desentreprises (RSE), au management et au lo-giciel de gestion Solid. Les coûts pédago-giques et les salaires pendant leurs 45 heuresde formation (moyenne par salarié) ont étépris en charge. Au total, ce dispositif d’unmontant de 1,4 M€ soutenu à hauteur de25 % par la Direccte et 35 % par le Fonds so-cial européen, a permis de former 316 sala-riés sur trois ans. «Nous avons pu organiserdes formations que les entreprises n’auraientpu financer par elles-mêmes dans le cadre deleur plan de formation », résume Pierre-Louis Glibert, délégué régional de l’OpcaTransports du Nord-Pas-de-Calais. «Nousavons formé des exploitants sur l’encadre-ment intermédiaire, car nous avions observédes manques sur ces compétences. Nousavons organisé des formations, de conduc-teur ou encore d'agent logistique, mais éga-lement en langues, commerciales et d’autresformations transverses qui favorisent la po-

lyvalence et l’employabilité des salariés. »Ledispositif a également permis d'organiserdes ateliers RH à destination des dirigeantsou des responsables RH/formation avec laMaison de l’Emploi de Pévèle-Mélantois-Carembault (59).

DÉMARCHES VOLONTAIRESAPPRÉCIÉES

Chargée de mission mutation économiqueau pôle 3E de la Direccte Nord-Pas-de-Calais, Marie Bouteiller, rappelle qu’habituel-lement «l’État n’accompagne pas les entre-prises sur des formations obligatoires. La spé-cificité de notre direction régionale est d’aiderles entreprises sur ces formations afin qu’ellespuissent dégager des fonds pour suivre des for-mations non obligatoires. Par ailleurs, nousconventionnons actuellement avec l’OpcaTransports pour développer une offre de ser-vice à destination des entreprises en difficulté,sans qu’elles soient pour autant en procédurecollective. L’idée est de proposer des formationsqui favorisent l’employabilité des salariés.»

Peu familière des arcanes administratifs,les entreprises du TRM devraient-elles pren-dre davantage le parti de considérer leurs in-terlocuteurs dans les Dreal et Direcctecomme des alliés soucieux de préserver lacompétitivité économique du pavillon fran-çais ? Voire aller à leur rencontre ? En la ma-tière, les organisations professionnellespeuvent jouer les facilitateurs. Délégué ré-gional de la FNTR en Lorraine, Éric Mignonrésume les enjeux dans une phrase : «plutôtque laisser des courriers sans réponse, les en-treprises ne devraient pas hésiter à se tournervers les Dreal ou vers l’Inspection du travail,car ces instances apprécient les démarchesvolontaires.»u PH. B.

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Pour acheminer colis lourds,moteurs d’éolienne et autrespasserelles, les quelque 200entreprises de transports ex-ceptionnels en France de-meurent très dépendantes dela réactivité des DDT (Direc-tions départementales terri-toriales), relais des Drealdans les départements. Or,les professionnels s’estimentpénalisés par les temps detraitement de leurs dossiers.«Toute demande d’autorisationdoit être déposée auprès de laDDT de départ du convoi. Oren France, le temps de traite-ment d’un dossier avoisine sixà huit semaines contre quatrejours en Belgique et une à deuxsemaines en Allemagne », dé-

plore Patricia Bastien, respon-sable d’exploitation de MKTSTransports exceptionnels(54). En cause, le passage del’administration des réseauxroutiers d’un mode centraliséà un mode décentralisé, maisaussi l’apparition de nou-veaux gestionnaires d’infra-structures comme SNCF Réseau (ex RFF), Voies navi-gables de France, les conseilsgénéraux, etc. «Certaines DDTtémoignent d’une bonne réacti-vité, pour d’autres c’est pluscompliqué. Il faut reconnaîtreque les délais de plus en pluscourts imposés par nos don-neurs d’ordres ne simplifientpas leur travail», poursuit laresponsable d’exploitation.

Alertés sur les implica-tions économiques de ceslenteurs administratives, lespouvoirs publics ont annoncéla refonte de la réglementa-tion des transports excep-tionnels. Objectif : simplifierles demandes d’autorisationet réduire les délais d’instruc-tion par les DDT tout en ga-rantissant un même niveaude sécurité et de préservationdu patrimoine routier. Ins-crite dans le «choc de simplifi-cation» des procédures pu-bliques publié le 17 juillet2013, cette ambition s’estconcrétisée récemment dansle Nord-Pas-De-Calais. LaDreal a démarré au 1er juillet2014 une expérimentation vi-

sant à créer des itinérairesprédéterminés, à simplifier ladescription des véhicules etde leurs chargements et àcréer le régime de déclarationpour les transports de pre-mière catégorie. Engagéepour une durée de trois ans,cette expérimentation devraitensuite être généralisée.Elle porte déjà ses fruits.

«Le Nord-Pas-de-Calais offraitles délais de traitement des dos-siers parmi les plus long du ter-ritoire. Depuis le lancement decette expérimentation nous bé-néficions de délais plus courts.Nous avons les autorisations endix à douze jours», se félicitela responsable d’exploitationde MKTS.

Le transport exceptionnel attend plus de réactivité des DDT

SIMON-PIERRE EURYCOMMISSAIRE AU REDRESSEMENT PRODUCTIF EN RÉGION RHÔNE-ALPES

«Je suis l’interlocuteur privilégiédes entreprises en difficulté»

Financé à 25% par la Direccte, le dispositif«Compétences et emploi» a permis à 316 salariés de suivre une formation dans le Nord-Pas-de-Calais sur 3 ans.

Commissaire au redressement productif en Rhône-Alpes, Simon-Pierre Eury est également directeur adjoint de la Direccte. À l’écoute des PME en difficulté, ses agentsaccompagnent actuellement le repreneur d’une entreprise de transports routiers dont la capacité financière a été jugée insuffisante.

➜ REPÈRES

Vingt-deux commissaires auredressement productif — un parrégion — ont été installés en juin2012 par Arnaud Montebourg alorsministre de l’Economie et duredressement productif. Les mis -sions de ces hauts-fonctionnaires ?Être les interlocuteurs uniques desentreprises en difficulté et animerdes cellules régionales de veilleafin d’intervenir en amont, avantque leurs situations économiqueset financières ne deviennentirréversibles. Selon le ministère del’Économie, de juillet 2012 àjanvier 2014, les équipes du redressement productif auraienttraité 1343 dossiers et réussi à préserver 170752 emplois sur 194372 emplois menacés.

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Ph. Bohlinger