2301092 Cours Fonction Publique 2007 Blog

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Leon n 1 : Lidentification du droit de la fonction publique I. Les sources du droit de la fonction publique

Les sources du droit de la fonction publique, et plus largement du droit administratif, ne sont pas figes. Elles voluent avec le temps. Ltude des sources du droit de la fonction publique met en lumire trois mouvements : tout dabord, un important dveloppement des sources constitutionnelles ; ensuite, une monte en puissance consquente des sources europennes ; enfin, un dclin indniable de la jurisprudence au profit du droit crit.

A. La constitutionnalisation du droit de la fonction publique Il est vident que la constitutionnalisation du droit de la fonction publique nest que relative. La Constitution na, en effet, pas vocation rgir lensemble du droit de la fonction publique. Lvocation dune constitutionnalisation du droit de la fonction publique tend uniquement souligner que la Constitution dtermine certains aspects du droit de la fonction publique. Les bases constitutionnelles du droit de la fonction publique concernent tout particulirement la rpartition des comptences. On voquera galement certaines rgles de fond applicables aux agents publics. 1. La constitutionnalisation des rgles de rpartition des comptences La Constitution prcise les domaines respectifs de la loi ordinaire et de la loi organique. Larticle 64 de la Constitution prvoit ainsi que le statut des magistrats judiciaires doit tre dict par une loi organique. La Constitution distingue surtout le domaine de la loi de celui du rglement. Aux termes de larticle 34, la loi fixe les rgles concernant les garanties fondamentales accordes aux fonctionnaires civils et militaires de ltat . La notion de "garanties fondamentales" est tellement floue quil est impossible den proposer une dfinition laune de laquelle on pourrait comparer les diffrentes garanties dont disposent les fonctionnaires. Mme si cela est profondment insatisfaisant on peut seulement affirmer que nest une garantie fondamentale que ce que le juge qualifie comme tel ! Il ressort de la jurisprudence que constituent notamment des garanties fondamentales : la dtermination des modes de recrutement, mais pas les modalits du choix du jury du concours ;

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le droit, reconnu tout fonctionnaire, de percevoir une rmunration aprs service fait (CE, Ass., 11 juillet 1984, Union des groupements de cadres suprieurs de la fonction publique, Rec. p. 258) ;

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le droit pension reconnu aux anciens fonctionnaires...

Larticle 34 de la Constitution fournit un autre titre de comptence au lgislateur. Ce dernier est, en effet, comptent pour dterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivits territoriales, de leurs comptences et de leurs ressources . Cette disposition a t interprte comme constituant un titre de comptence du lgislateur dans le domaine de la fonction publique territoriale . Le lgislateur sollicite lexcs cette disposition, ce qui le conduit empiter sur la comptence rglementaire. Le gouvernement pourrait toutefois ragir en recourant la procdure de dlgalisation prvue par larticle 37, alina 2, de la Constitution. Compte tenu de cette attitude du lgislateur, le domaine du pouvoir rglementaire autonome est, en pratique, trs rduit. De la mme manire, le pouvoir rglementaire dexcution des lois est gnralement assez limit. Enfin, la Constitution rpartit, dans ses articles 13, al. 2, et 21, al. 1er, la comptence en matire de nomination aux emplois civils et militaires de ltat. Dvelopper ce point ??? 2. La constitutionnalisation des rgles de fond Etant placs au service de lEtat, et donc de lintrt gnral, les fonctionnaires sont placs dans une situation distincte de celle des salaris de droits privs. Leur statut ou leur condition juridique sen ressent. Il convient de prserver un quilibre juste ou raisonnable entre les droits des fonctionnaires et les obligations qui psent sur eux. Cet quilibre varie dans le temps. Le Conseil constitutionnel a ainsi, plusieurs reprises, hiss le niveau de protection dont disposent les fonctionnaires. Pour cela, le juge constitutionnel a sollicit diffrents lments du bloc de constitutionnalit : la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen (en matire dgalit, notamment, son article 6 posant le principe dgale admissibilit aux places et emplois publics, ou encore en matire de libert dopinion et de libert de conscience) ;

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le prambule de la Constitution de 1946 : directement (en matire de libert syndicale, de participation des travailleurs ou encore de droit de grve) ou plus indirectement via les principes fondamentaux reconnus par les lois de la Rpublique (par exemple en dgageant le principe de lindpendance des professeurs duniversit) ;

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et, bien sr, le texte mme de la Constitution (en matire de pouvoir hirarchique ou propos de la neutralit des services publics par exemple).

B. Leuropanisation du droit de la fonction publique Leuropanisation du droit de la fonction publique est contraste : lincidence du droit communautaire sur le droit franais de la fonction publique est beaucoup plus importante que celle du droit europen (cest--dire du droit issu du Conseil de lEurope et forg essentiellement partir de la Convention europenne des droits de lhomme). 1. Limpact considrable du droit communautaire Cette influence apparatra de manire diffuse tout au long de ce cours. La dernire illustration de cette influence est fournie par la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire la fonction publique. Sans rentrer dans le dtail, cette influence se concrtise via deux canaux privilgis que sont le principe de libre circulation des travailleurs et le principe dgalit entre les hommes et les femmes. Le principe de non-discrimination peut ainsi jouer en faveur des hommes. La CJCE a notamment considr que le systme franais offrant en matire de retraite une bonification danciennet aux fonctionnaires mres de 3 ans et non aux pres violait le principe dgalit. 2. Lincidence limite du droit europen Linfluence du droit de la Convention europenne des droits de lhomme est moindre que celle du droit communautaire. Pour ce qui est des garanties de fond offertes par la Convention, le droit franais semble offrir un niveau de protection satisfaisant trs largement les standards europens. Le principe de non-discrimination pos par larticle 14 de la Convention a nanmoins jou et pourrait encore jouer un rle important en matire de pensions et dgalit entre les hommes et les femmes. Cest toutefois en matire de garanties procdurales que la jurisprudence est la plus 3

abondante. La Cour europenne des droits de lhomme admet dsormais trs largement lapplicabilit de larticle 6, paragraphe 1, de la Convention au contentieux de la fonction publique. Les fonctionnaires peuvent donc se prvaloir du droit un procs quitable dans le cadre des litiges qui les opposent leur employeur public. Evoquer ici Pellegrin et Eskelinen ???

CEDH, 19 avril 2007, Eskelinen / FinlandeLarrt Pellegrin [] devait fournir un concept opratoire sur la base duquel on vrifierait, au cas par cas, si compte tenu de la nature des fonctions et des responsabilits quil comportait lemploi dun requrant impliquait une participation directe ou indirecte lexercice de la puissance publique et aux fonctions visant sauvegarder les intrts gnraux de lEtat ou des autres collectivits publiques. Il fallait ensuite dterminer si le requrant, dans le cadre de lune de ces catgories de postes, occupait bien des fonctions pouvant tre considres comme relevant de lexercice de la puissance publique, cest-dire si la position de lintress dans la hirarchie de lEtat tait suffisamment importante ou leve pour que lon puisse dire quil participait lexercice de lautorit tatique. 11. Cependant, le cas despce fait apparatre que lapplication du critre fonctionnel peut en soi dboucher sur des anomalies. A lpoque considre, les requrants relevaient du ministre de lIntrieur. Cinq dentre eux taient policiers, emploi illustrant parfaitement les activits spcifiques de ladministration publique telles que dfinies ci-dessus. Leur poste impliquait une participation directe lexercice de la puissance publique et des fonctions visant sauvegarder les intrts gnraux de lEtat. Quant aux fonctions de lassistante, elles taient purement administratives, dpourvues de comptence dcisionnelle ou dexercice direct ou indirect de la puissance publique ; elles ne pouvaient donc tre distingues de celles de nimporte quelle autre assistante administrative travaillant dans le secteur public ou dans le secteur priv. [] larrt Pellegrin mentionnait expressment la police comme exemple manifeste dactivits relevant de lexercice de la puissance publique, et soustrayait ainsi toute une catgorie de personnes du champ dapplication de larticle 6. Il dcoulerait dune application stricte de l approche Pellegrin que, dans la prsente affaire, lassistante administrative bnficie des garanties de larticle 6 1 alors que ce nest assurment pas le cas pour les requrants policiers, mme si le litige est identique pour lensemble des intresss. 22. En rsum, pour que lEtat dfendeur puisse devant la Cour invoquer le statut de fonctionnaire dun requrant afin de le soustraire la protection offerte par larticle 6, deux conditions doivent tre remplies. En premier lieu, le droit interne de lEtat concern doit avoir expressment exclu laccs un tribunal sagissant du poste ou de la catgorie de salaris en question. En second lieu, cette drogation doit reposer sur des motifs objectifs lis lintrt de lEtat. Le simple fait que lintress relve dun secteur ou dun service qui participe lexercice de la puissance publique nest pas en soi dterminant. Pour que lexclusion soit justifie, il ne suffit pas que lEtat dmontre que le fonctionnaire en question participe lexercice de la puissance publique ou quil existe pour reprendre les termes employs par la Cour dans larrt Pellegrin un lien spcial de confiance et de loyaut entre lintress et lEtat employeur. Il faut aussi que lEtat montre que lobjet du litige est li lexercice de lautorit tatique ou remet en cause le lien spcial susmentionn. Ainsi, rien en principe ne justifie de soustraire aux garanties de larticle 6 les conflits ordinaires du 4

travail tels ceux portant sur un salaire, une indemnit ou dautres droits de ce type raison du caractre spcial de la relation entre le fonctionnaire concern et lEtat en question. En effet, il y aura prsomption que larticle 6 trouve sappliquer, et il appartiendra lEtat dfendeur de dmontrer, premirement, que daprs le droit national un requrant fonctionnaire na pas le droit daccder un tribunal, et, deuximement, que lexclusion des droits garantis larticle 6 est fonde sagissant de ce fonctionnaire. C. Le dclin des sources jurisprudentielles En labsence de statut gnral de la fonction publique jusquen 1946, le Conseil dEtat tait le garant traditionnel des droits des fonctionnaires. Mme sil est rest svre en matire de droit de grve, le Conseil dEtat sest progressivement affirm comme le protecteur des fonctionnaires. Dune jurisprudence quantitativement trs abondante est n une sorte de statut jurisprudentiel relativement protecteur. Ce "statut gnral non crit" portait sur les principes gnraux auxquels doivent satisfaire [] les oprations de concours, les dcisions de nomination, le rgime de lavancement, celui de la rpression disciplinaire . Ladoption du statut de 1941 et surtout celle du premier statut rpublicain en 1946 ont accru videmment la place du droit crit. La place dvolue au juge sattnue mesure que les lacunes du droit crit se rarfient. La question qui se pose dsormais est celle de la codification du droit de la fonction publique. Ladoption dun code gnral de la fonction publique est prvue, mais le projet stagne. II.

La banalisation du droit de la fonction publique

Cette ide dune banalisation du droit de la fonction publique a t mise en lumire par le professeur Jacques Bourdon dans un article paru en 2005. Lide tait dj dans lair du temps, mais cette expression sest impose en doctrine. Il parat intressant dtudier les instruments de cette banalisation du droit de la fonction publique avant den dresser le constat. A. Les instruments de la banalisation du droit de la fonction publique Dans une chronique intitule Vers la fin du droit de la fonction publique ? parue en 1947, Jean Rivero relevait que le statut gnral des fonctionnaires de lEtat rapprochait paradoxalement le droit de la fonction publique du droit du travail. La mme

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constatation est suscite par lapplication du droit communautaire au droit de la fonction publique. Les instruments de cette banalisation sont, par consquent, principalement le recours aux principes gnraux du droit et lapplication du droit communautaire. 1. Le recours aux principes gnraux du droit (les rapports du droit de la fonction publique et du droit du travail) Le Conseil dEtat recourt aux principes gnraux du droit afin de dgager des rgles applicables aux agents non titulaires et/ou aux salaris des entreprises publiques statut. Les agents non titulaires ne bnficient, en effet, ni de lapplication du statut gnral de la fonction publique, ni des dispositions du code du travail. Cest la raison pour laquelle le Conseil dEtat a repris certaines rgles protectrices du droit du travail.Le droit du travail nest pas totalement tranger aux agents publics. Par exemple, les comits dhygine et de scurit introduits dans le statut gnral de la fonction publique sont directement inspirs des mmes organismes implants dans les tablissements industriels, commerciaux ou agricoles.

Le recours accru par les personnes publiques des agents non titulaires a accentu la rfrence au droit du travail. a. La lgislation du travail, source dinspiration privilgie Lorsquil entend accrotre les garanties dont disposent les agents publics non titulaires, le juge administratif se tourne prioritairement vers le Code du travail. Le Conseil dEtat a ainsi dgag les principes suivants : linterdiction du licenciement dune femme enceinte (CE Ass. 8 juin 1973, Dame Peynet, Rec. p. 406) ; lobligation de respecter un seuil minimum de rmunration (CE Sect. 23 avril 1982, Ville de Toulouse / Mme Aragnou, Rec. p. 152) ; lobligation pour lemployeur de reclasser un salari atteint de manire dfinitive dune inaptitude exercer son emploi et, en cas dimpossibilit, de prononcer son licenciement (CE, 2 octobre 2002, CCI de Meurthe-et-Moselle, Rec. p 319). Dautres rgles non crites ont t dgages pour sappliquer aux salaris contractuels de droit priv des entreprises publiques statut : linterdiction des amendes ou autres sanctions disciplinaires (CE, Ass., 1 er juillet 1988, Billard et Volle, Rec. p. 268) ; la prohibition de discriminations lencontre de grvistes en matire de rmunrations et

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davantages sociaux ; le principe subordonnant la modification des lments essentiels du contrat de travail laccord de lemployeur et du salari (CE, Ass., 29 juin 2001, Berton, Rec. p. 296). Le juge administratif ne se rfre toutefois pas uniquement au Code du travail. Ainsi sest-il rfr, dans larrt Berton, simultanment au Code du travail et au Code civil. De mme, dans larrt CCI de Meurthe-et-Moselle de 2002, le juge administratif a sollicit les dispositions pertinentes du Code du travail mais aussi les rgles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires . b. La retenue du juge administratif dans lapprhension du droit du travail Le Conseil dEtat na jamais appliqu directement le code du travail. La nouvelle rgle quil consacre transite toujours par le canal des principes gnraux du droit dont sinspiraient les dispositions concernes du code du travail. Cette attitude tend marquer lantriorit de la rgle sa conscration textuelle dans le Code du travail. Autrement dit, la rgle en cause existait dj lorsque le lgislateur la consacre en droit du travail. Mais surtout, cette mthode permet au Conseil dEtat de ne pas tre lie par la jurisprudence dveloppe par la Cour de cassation propos de la disposition concerne. Le recours aux principes gnraux du droit dont sinspirait le Code du travail correspond donc assurment une fiction. Cette fiction permet toutefois au juge administratif de conserver une marge dapprciation importante et, le cas chant, dadapter la rgle nouvelle aux spcificits de la fonction publique. Le Conseil dEtat a dailleurs, ds larrt Dame Peynet, refus de procder un renvoi global au Code du travail. Son commissaire du gouvernement, Suzanne Grvisse, lui proposait, en effet, dadopter le principe selon lequel Lorsque les ncessits propres au service public ny font pas obstacle et lorsquaucune disposition lgislative ne lexclut expressment, les agents de ltat et des collectivits et organismes publics doivent bnficier quelle que soit la nature du lien qui les unit leur employeur, de droits quivalents ceux que la lgislation du travail reconnat lensemble des salaris . La retenue du Conseil dEtat lgard du Code du travail se manifeste aussi lorsquil refuse de consacrer de nouveaux principes gnraux du droit. Le juge administratif a notamment refus de consacrer :

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le principe excluant que ladministration puisse avoir recours des entreprises de travail temporaire en cas notamment de grve dans les services publics (CE, Ass., 18 janvier 1980, Syndicat CFDT des Postes et Tlcommunications du Haut-Rhin, Rec. p. 30) ;

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ou encore, le principe interdisant de licencier des agents publics du seul fait quils seraient en cong maladie (CE, 22 octobre 1993, Chambre de commerce de Digne, Rec. p. 579). c. Le caractre protecteur des principes gnraux du droit du travail

Le recours la thorie des principes gnraux du droit permet au Conseil dEtat de garantir une protection sociale minimum aux agents publics non titulaires. Cette protection prtorienne des agents publics en situation de prcarit est dautant plus importante qu il nexiste aucun principe gnral du droit imposant de faire bnficier les agents non titulaires de rgles quivalentes celles applicables aux fonctionnaires 1. Les garanties ainsi offertes aux agents publics non titulaires et aux salaris de droit priv des entreprises publiques statut nont cependant pas un caractre absolu. Elles peuvent, en effet, tre limites si les ncessits du service public confi lentreprise ou ltablissement lexigent. Ainsi les ncessits du service public pourraient-elles justifier lattribution dun pouvoir de modification unilatrale de certaines clauses du contrat de travail au profit de lemployeur. 2. Linfluence du droit communautaire (le jeu du principe de non-discrimination) Avec lintrusion du droit communautaire, le recours aux principes gnraux du droit utilis par le Conseil dEtat disparat. La rgle applicable aux agents publics ne dcoule plus dun principe gnral du droit mais dune rgle de droit crit manant de lautorit communautaire. En transposant les directives europennes, le lgislateur franais soit fait rfrence directement au code du travail, soit reprend les dispositions de ce dernier pour les appliquer aux fonctionnaires et aux autres agents publics. Le principe communautaire de lutte contre les discriminations produit ici des effets uniformisateurs dans la mesure o il ignore toute distinction entre agents publics et agents privs. La transposition en droit national des directives concernes conduit effacer la diffrence entre droit de la fonction publique et droit du travail. Il arrive ainsi quun rgime unique soit tabli pour tous les travailleurs quils aient la qualit dagents publics ou de salaris de droit1

CE, Avis, 30 janvier 1997, n 359.964, EDCE 1998, n 40, p. 185.

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priv. Pour dfinir la personne handicape, la loi du 11 fvier 2005 pour lgalit des droits et des chances, la participation et la citoyennet des personnes handicapes introduit dans le statut gnral des fonctionnaires un renvoi larticle pertinent du code du travail. La loi 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire la fonction publique efface les mesures de discrimination positive du droit de la fonction publique en faveur des femmes. Diffrents dispositifs lgislatifs adopts dans les annes 70 avaient introduit des drogations aux conditions dge ou de diplme pour laccs la fonction publique en faveur de certaines catgories de femmes. Ces mesures ont t juges contraires une directive communautaire2. La CJCE a condamn cette discrimination fonde sur le sexe qui nentre pas dans le champ des mesures visant promouvoir lgalit des chances entre hommes et femmes, en particulier en remdiant aux ingalits de fait 3. Se conformant au droit communautaire, le lgislateur supprime lingalit de traitement soit en tendant aux hommes les drogations dont bnficiaient seules les femmes, soit en abrogeant les dispositions concernes. Loriginalit du droit de la fonction publique dans laction positive en faveur des femmes pour lutter contre les discriminations disparat. La loi du 26 juillet 2005 harmonise avec le droit du travail le rgime des congs de maternit, de paternit et dadoption des agents publics. B. Le constat de la banalisation du droit de la fonction publique 1. Un droit autonome ? Une branche du droit est dite autonome lorsque lautorit comptente pour lgifrer est libre dy adopter des solutions spcifiques, propres cette branche. Le droit de la fonction publique stant clairement construit en opposition avec le droit du travail, lautonomie du droit de la fonction publique ne parat faire aucun doute. Il est, en effet, acquis que le code du travail nest pas applicable aux agents publics, sauf dispositions particulires (par exemple en matire de reprsentativit syndicale).2

Directive n 76/207/CEE du 9 fvrier 1976 relative la mise en uvre du principe de lgalit de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne laccs lemploi, la formation et la promotion professionnelles et les conditions de travail. Dans un avis motiv en date du 15 juin 2001 (C (2001) 1407), la Commission a estim que la loi franaise effectue une diffrence de traitement entre les candidats fminins et masculins se trouvant dans des situations similaires car elle rserve la suppression de la condition dge ainsi que de la seule condition de diplmes aux seuls candidats fminins . 3 CJCE, 30 septembre 2004, Briheche / Ministre de lIntrieur, ministre de lEducation nationale et ministre de la Justice, aff. C-319/03.

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Trois lments limitent dsormais fortement lautonomie du droit de la fonction publique. Les deux premiers tiennent lun et lautre lvolution des sources de la matire. Il sagit, tout dabord, de la constitutionnalisation du droit de la fonction publique qui limite, quelque peu, lautonomie de ce dernier. Le juge constitutionnel a ainsi tendu aux fonctionnaires le principe de participation des travailleurs issu du prambule de 1946. Le deuxime lment, beaucoup plus tangible, correspond leuropanisation du droit de la fonction publique. En effet, le droit communautaire repose trs largement sur une logique dindiffrenciation de la fonction publique et du secteur priv. Les fonctionnaires sont ainsi, comme les salaris, des travailleurs au sens du droit communautaire, bnficiant en principe de la libre circulation et des mmes droits sociaux. Cette logique europenne dindiffrenciation porte en germe ce que certains auteurs nomment la banalisation de la fonction publique. Enfin, troisime et dernier lment, lautonomie de la fonction publique semble de plus en plus conteste dun point de vue politique. La critique de loriginalit du droit de la fonction publique rencontre aujourdhui un cho plus large dans lopinion publique et la classe politique. Les salaris du secteur priv soutiennent une forte revendication dgalit au point que lgalit entre salaris du secteur priv et fonctionnaires devient un enjeu de socit. Si la prsence de rgles drogatoires au droit commun tait autrefois admise par lopinion publique au motif quil sagissait de compenser les sujtions lies laccomplissement de missions de service public, ces mmes rgles sont aujourdhui assimiles des privilges. Lexemple de la rforme des retraites en 2003 et la volont daligner le secteur public sur le secteur priv est sur ce point particulirement clairant tout comme lest aujourdhui le dbat sur les rgimes spciaux. Les syndicats nont pas manqu dexprimer leur indignation aprs que M. Fillon a dclar que le projet de rforme tait prt. Le gouvernement na, en effet, pas encore procd la moindre concertation. Tandis que les salaris contestent les avantages consentis aux fonctionnaires, les syndicats de fonctionnaires admettent de moins en moins que les rformes du droit du travail dont bnficient les salaris ne puissent tre tendues aux agents publics. On peut ainsi voir poindre un principe dquivalence entre secteur priv et fonction publique, principe qui nest pas, pour linstant du moins, une rgle juridique mais une source dinspiration pour ldiction de la rgle de droit de la fonction publique.

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Ce mouvement invite se demander si lavenir du droit de la fonction publique ne se trouve pas dans le Code du travail. Les expriences trangres montrent que mme dans les pays comme lItalie ou la Suisse qui ont tent de rduire la portion de droit public qui rgissait leur personnel, il na pas t possible de le faire totalement disparatre, notamment pour les agents exerant les activits rgaliennes de ltat. En Italie, depuis une loi du 3 fvrier 1993, 90 % des agents de lEtat sont soumis au droit du travail. Les mmes expriences montrent par ailleurs que la privatisation du droit de la fonction publique, lorsquelle est importante, donne naissance un droit hybride, sorte de droit social public ou de droit public social, drogatoire au droit ordinaire du travail. Selon le conseiller dtat Marcel Pochard, il ne sagit pas de faire basculer la fonction publique vers une sorte de banalisation. Il sagit de revenir une conception du droit de la fonction publique qui limite les spcificits de ce droit ce qui est ncessaire laccomplissement des missions de la puissance publique et qui normalise la place de la fonction publique dans la socit . 2. Un droit exorbitant ? Le droit administratif est classiquement prsent comme un droit spcial ayant ses rgles propres exorbitantes du droit civil. Ces rgles exorbitantes sont soit des prrogatives exorbitantes (prrogatives daction ou de protection), soit des sujtions exorbitantes. On insiste le plus souvent sur les prrogatives exorbitantes de ladministration et non sur ses sujtions exorbitantes. Or certaines branches du droit administratif sont probablement aussi riches de sujtions la charge de ladministration que de prrogatives son profit. Tel est le cas du droit de la fonction publique depuis 1946. En effet, ladministration dispose de moins de prrogatives exorbitantes lgard de ces agents maintenant puisque ces derniers peuvent se syndiquer, faire grve et participer par leurs reprsentants la gestion de leur carrire. On peut certainement estimer que ladministration peut exiger plus de ses agents quun employeur priv, notamment en matire dencadrement de leur libert dexpression, dobligation de neutralit, dobligation de moralit, dobligation de ne se consacrer qu ses fonctions, de devoir dobissance, de continuit du service. Cependant, ladministration est soumise nombre de sujtions exorbitantes, tels que lobligation dorganiser des concours de recrutement ou le strict encadrement des hypothses de licenciement par exemple. Dsormais, seules deux diffrences sensibles, subsistent entre droit de la fonction publique et droit du travail. En premier lieu, le droit du travail, dans la mesure o il reste fond sur le contrat, laisse un espace la stipulation contractuelle. Le droit de la fonction

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publique ignore pour linstant la contractualisation, mme si un mouvement semble se dessiner en sa faveur la fois au niveau collectif et au niveau individuel. En second lieu, la libre rupture du contrat de travail oppose la prcarit de la situation du salari la stabilit de la situation du fonctionnaire. Mais l encore, on ne saurait mconnatre que le droit du licenciement est de plus en plus strictement encadr. Le licenciement doit reposer sur une cause relle et srieuse. En outre, en droit priv, les hypothses de nullit de licenciement qui ont pour consquence une obligation de rintgration se multiplient. Ces diffrences tendent donc sestomper. Droit de la fonction publique et droit du travail sefforcent, lun et lautre, de renforcer les droits des fonctionnaires et ceux des salaris. Se forme ainsi insensiblement, lintersection du droit du travail et du droit de la fonction publique un droit commun de lemploi. Ds lors, le recours la notion traditionnelle dexorbitance parat de moins en moins justifi. Dsormais, le droit de la fonction publique et le droit du travail subissent lun et lautre linfluence harmonisante du bloc de constitutionnalit et de la Convention europenne des droits de lhomme. Il sagit en toute hypothse de concilier dun ct les droits fondamentaux du fonctionnaire ou du salari avec de lautre ct les droits de lEtat ou les droits de lentreprise. Dans la balance, il nest pas certain que les droits de lEtat psent plus lourds que les droits de lentreprise. Les jurisprudences relatives aux tenues vestimentaires en tmoignent. La Cour dappel de Saint-Denis-de-La-Runion a admis le licenciement dune employe dun magasin darticles de mode pour femme - au slogan vocateur de Et Vogue la Mode - alors que cette employe avait adopt pour des motifs religieux une tenue vestimentaire la couvrant de la tte au pied . Les impratifs de la mode ont donc les mmes consquences que le principe de la lacit ! 3. La contractualisation du droit de la fonction publique Ladoption du statut gnral au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avait assign au contrat une place modeste. Depuis 1946, le fonctionnaire est vis--vis de ladministration dans une situation statutaire et rglementaire . Cette dfinition exclut que le droulement de la carrire puisse donner lieu discussion entre lemployeur public et ses agents. Bien que thoriquement condamne, la formule contractuelle na pourtant jamais tout fait disparu de la sphre de la fonction publique.

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Sagissant de lorganisation des conditions de travail et des modalits de rmunration, des pratiques de concertation et de ngociation collectives se sont rapidement instaures entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales, conduisant pour la premire fois parler de politique de contractualisation de la fonction publique. Quant laccs la fonction publique, la conscration du principe du concours na pas abouti llimination totale du procd contractuel. Le changement tient ce que dsormais les pouvoirs publics ne dissimulent plus leur volont de sinspirer des mthodes de la gestion prive et de prendre lentreprise comme modle pour ladministration. Sagissant des procds de recrutement dans la Fonction publique, lheure est donc venue dtendre le champ des formules contractuelles. Tels est le cas avec linstauration des contrats dure indtermine dans la fonction publique avec la loi du 26 juillet 2005 ou encore avec ladoption du PACTE (parcours daccs aux carrires de la territoriale de lhospitalire et de lEtat) qui sadresse aux jeunes de 16 25 ans en situation dchec scolaire. Les rformes en cours tendent ainsi carter ou contourner les exigences statutaires. Aussi peut-on se demander si ces diverses initiatives ne vont pas nous ramener 65 ans en arrire. Ce faisant, on pourrait bien ractiver une distinction que lon croyait pourtant rvolue entre deux catgories dagents : dun ct, ceux qui exercent des tches de puissance publique qui resteraient en tant que fonctionnaires recruts par concours et assujettis au statut gnral ; et, de lautre ct, les agents effectuant des tches de gestion qui retourneraient la condition demploys des administrations, soumis un rgime contractuel de droit public. Lunification statutaire proclame en 1946 serait ainsi sacrifie. La contractualisation a connu un nouvel lan avec le dcret du 12 mars 2007. Celui-ci concerne uniquement les agents non titulaires de ltat, soit tout de mme environ 12 % des effectifs de ltat. Le texte aligne, tout dabord, la situation des agents non titulaires sur celle des fonctionnaires chaque fois que possible, notamment en matires de congs et de mobilit. Si les pouvoirs publics poussent leur logique jusquau bout, ils finiront probablement par reconnatre un jour lexistence dun principe dgalit entre non titulaires et fonctionnaires. La formation progressive depuis une vingtaine dannes, par touches progressives, de ce qui sapparente un vritable statut des agents non titulaires se rvle de plus en plus confortable

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pour ces derniers. Cette volution enlve une grande part des scrupules lAdministration lorsquelle recrute de tels agents plutt que des fonctionnaires. Le dcret de 2007 institue, en outre, les premires normes constitutives de ce qui annonce une vritable carrire des agents en CDI. Le dcret emploie les termes les plus neutres possibles afin dviter les critiques. Les agents en CDI constituent bien dsormais une catgorie part dagents non titulaires situs mi-chemin entre les agents en CDD et les fonctionnaires. La rmunration des agents employs dure indtermine sera ainsi dornavant rexaminer au minimum tous les trois ans , notamment au vu des rsultats de lvaluation . On na pas voulu crire en toutes lettres que la rmunration des agents en CDI devait tre augmente tous les trois ans. Cela aurait t reconnatre un avancement automatique lanciennet et donc consacrer juridiquement lexistence dune carrire comme pour les titulaires. Par consquent, tous les trois ans, la rmunration de lagent en CDI sera seulement thoriquement rexamine . Il est difficile de croire en pratique que ce rexamen ne donnera pas lieu systmatiquement une augmentation de rmunration, pondre le cas chant, par les rsultats de lvaluation de lagent. Autrement dit, malgr les prcautions du texte, dans la plupart des cas, la rmunration de lagent en CDI augmentera au pire tous les trois ans, probablement comme si lagent tait fonctionnaire et changeait dchelon. III. La distribution des comptences entre le lgislateur et le gouvernement Entre le lgislateur et lexcutif Au sein de lexcutif

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Leon n 2 : Les conceptions de la fonction publiqueDans son ouvrage La fonction publique dans le monde, Franois Gazier a distingu les deux grands systmes qui se partagent le monde contemporain : fonction publique de structure ouverte et fonction publique de structure ferme . Chaque organisation nationale emprunte lun des deux grands modles de fonction publique et parfois mme aux deux. Le premier modle est le systme de la carrire (ou fonction publique ferme). Il implique que lagent public consacre en principe sa vie professionnelle au service de ltat ou dune collectivit publique. Il na pas vocation quitter la fonction publique. Le second modle est le systme de lemploi (ou fonction publique ouverte). Le recrutement dun agent est limit dans ce cadre la dure ncessaire pour accomplir la mission pour laquelle il a t recrut. Il na pas vocation rester dans la fonction publique. Cette distinction apparemment rigide sattnue, sassouplit. I. Lopposition de la fonction publique de carrire et fonction publique demploi

A. Le systme de la carrire 1. Prsentation Ce modle de fonction publique de structure ferme repose sur une logique de diffrenciation entre administration et secteur priv. Comme lcrit Franois Gazier, structure ferme, cela veut dire que ladministration publique est considre comme une chose part lintrieur de la nation, qui demande des spcifications particulires et un personnel qui y consacre toute son activit professionnelle . Selon lauteur, ce modle a essentiellement pour avantage de fournir des fonctionnaires qui sont mieux adapts lesprit dune administration publique, qui ont vritablement consacr toute leur vie cette tche [et qui ont pu de ce fait] acqurir lexprience correspondante et ce quon appelle le sens du service public, qui sont sensibles aux ncessits de lintrt gnral et non seulement de la rentabilit immdiate [] . Ce systme de fonction publique repose sur une conception spcifique de lemploi public qui nest pas comparable la situation du salari dans une entreprise prive. Lide qui se trouve

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la base du systme de la carrire est la suivante : la fonction publique vhiculant des valeurs qui sont trangres la russite financire, laccomplissement des missions dintrt gnral suppose le recrutement dun personnel atypique. Ce particularisme de la fonction publique par rapport une entreprise ordinaire implique que lagent public consacre en principe toute sa vie professionnelle au service dune collectivit publique. Il est recrut jeune pour faire une carrire au sein de la fonction publique. Le corps dans lequel il est intgr lissue du concours de recrutement lui permettra, en effet, daccder diffrents emplois. Bien quil nexiste pas de cloisonnement tanche entre la fonction publique et le secteur priv, lagent public na pas vocation alterner durant sa vie professionnelle des expriences en administration et en entreprise. Lorsque sa mission arrive son terme, il sen voit confier une autre au sein de la mme administration. Le choix du systme de la carrire emporte plusieurs consquences. En premier lieu, le recrutement de lagent public sopre non en raison de la nature des tches accomplir mais en fonction dune aptitude gnrale. Cette aptitude gnrale est suppose permettre au laurat dexercer les diffrents emplois qui lui seront successivement confis au cours de sa carrire. Les fonctionnaires ont vocation passer toute leur vie professionnelle dans la fonction publique. En deuxime lieu, la garantie de la carrire permet en principe lagent de voir sa situation professionnelle voluer. Il noccupe pas indfiniment les mmes fonctions. Une progression lui est assure au moins en matire pcuniaire et, le plus souvent aussi, quant aux responsabilits quil assume. En troisime lieu, le principe de la carrire a pour corollaire limportante spcificit du droit de la fonction publique par rapport au droit du travail. Cest ainsi que la relation professionnelle quentretient lagent avec son employeur public relve non du contrat de travail mais dun rgime de droit public. Cette forte spcificit se manifeste aussi bien formellement (lagent est, en effet, dans une situation statutaire et rglementaire et non pas dans une situation contractuelle) que matriellement ( propos des droits et obligations du fonctionnaire et du droulement de sa vie professionnelle). Enfin, le systme de la carrire garantit les fonctionnaires contre larbitraire administratif en exigeant leur neutralit. Le systme de la carrire est rput permettre lagent de ne pas tre politis. Les alternances politiques ne sauraient par consquent avoir dincidence sur le droulement de la carrire du fonctionnaire.

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2. Champ dapplication Dans lUnion europenne, un nombre dsormais restreint dtats pratiquent le systme de carrire. La France, lAllemagne, lAutriche ou encore lEspagne pratiquent ce systme avec quelques amnagements. En revanche, lItalie depuis 1996 et le Portugal plus rcemment lont abandonn au profit dune fonction publique demploi. Examinons rapidement le systme allemand. LAllemagne est le premier tat europen se doter dune fonction publique dont lorganisation constitue pour ses agents une protection contre larbitraire politique (loi impriale de 1873). Cette tradition institutionnelle est aujourdhui consacre par la Loi fondamentale de 1949. Elle garantit tout dabord lgal accs de tous les Allemands toutes fonctions publiques, selon leurs aptitudes, leurs qualifications et leurs capacits professionnelles. Elle affirme ensuite : En rgle gnrale, lexercice de pouvoirs de puissance publique doit tre confi titre permanent des membres de la fonction publique placs dans un rapport de service et de fidlit de droit public . Ce principe du fonctionnariat conduit distinguer au plan juridique deux catgories dagents publics : les fonctionnaires et les employs ou ouvriers. Les fonctionnaires sont soumis un rgime statutaire et rglementaire de droit public. La Loi fondamentale prvoit que les fonctionnaires exercent des fonctions lies la puissance publique (juges, policiers, diplomates, agents des finances par exemple). Une interprtation extensive de cet article permet dinclure dans le fonctionnariat nombre denseignants, notamment ceux du suprieur. LAllemagne compte environ 1,7 million de fonctionnaires. Les employs (Angestellten) ou ouvriers (Arbeiter) sont en revanche soumis au droit commun du travail dfini notamment par voie de conventions collectives. Celles-ci sont ngocies entre les syndicats de la fonction publique et les employeurs publics. Les employs sont plus de 3 millions. Il convient toutefois de relativiser les effets de la distinction entre fonctionnaires et employs. lexception de la scurit de lemploi, les garanties accordes par la loi et les conventions sont quivalentes et laccs aux mmes emplois est souvent possible. B. Le systme de lemploi 17

1. Prsentation Ce modle repose selon Franois Gazier sur lide suivant laquelle la fonction publique est un mtier comme un autre, ladministration publique tant considre comme une vaste entreprise recrutant et grant son personnel dans les mmes conditions que toutes les autres entreprises industrielles, commerciales ou agricoles de la nation . Les avantages gnralement attachs ce systme sont la simplicit, la souplesse et lefficacit conomique ou encore la rentabilit. Ce systme repose sur labsence de diffrence entre le service de ltat et lexercice de nimporte quelle autre profession. Les emplois des administrations publiques sont, comme dans le secteur priv, dfinis et hirarchiss en fonction des tches quils impliquent, des qualifications quils requirent et du salaire quils procurent. Hormis le fait que lemploi public est rmunr sur des fonds publics, lagent public ne se distingue nullement dun employ de droit priv. Le systme de lemploi permet une grande fluidit entre la fonction publique et le monde de lentreprise. Il met en exergue la porosit qui existe entre le secteur public et le secteur priv. Il est ici de coutume dalterner les postes dans lentreprise et dans ladministration. Ce modle est beaucoup plus li au pouvoir politique. Le fonctionnaire est ici dans la situation plus prcaire dun contractuel, rgi par les dispositions du Code du travail. Le fonctionnaire est recrut certes pour ses comptences techniques, mais aussi pour sa fidlit au pouvoir en place. Le risque est alors grand de le voir faire preuve de favoritisme lgard de certains citoyens et de sacrifier quelque peu lintrt gnral, cest--dire de lintrt gnral en un intrt partisan. Ce risque est dautant plus important que la culture du rsultat est trs rpandue. Autrement dit, les promotions des fonctionnaires mais aussi leur rmunration sont lies latteinte des objectifs fixs par le pouvoir politique. Consquences. Ce systme prsente trois caractres gnraux. Il fonctionne tout dabord sur la base du principe de lemploi. Dans une fonction publique demploi, le recrutement dun agent se fait sur un emploi prcis : il repose sur ladquation entre les fonctions exercer et le profil du candidat. Lagent recrut ne dispose daucune garantie dvolution au sein de ladministration et peut tre amen intgrer ensuite le secteur priv, voire procder diffrents aller-retour entre emplois publics et privs. Lagent ne reste en principe dans ladministration que pour la dure fixe par son contrat : il na pas

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vocation y faire carrire. Lagent na ainsi nulle vocation accomplir toute sa vie professionnelle dans ladministration et y voluer de poste en poste mme si rien ne linterdit. Lagent occupe lemploi sur lequel il est recrut sans pouvoir en changer. Seul un recrutement sur un nouvel emploi ou le renouvellement du contrat peut faire voluer sa situation. Le deuxime caractre de la fonction publique ouverte est le corollaire du premier : le droit applicable aux agents publics nest que faiblement spcifique. Le systme ouvert tant conu sur une logique dindiffrenciation entre fonction publique et secteur priv, il est normal que le rgime juridique applicable aux agents publics ne se diffrencie que marginalement de celui applicable aux salaris. Comme dans le secteur priv, la relation de travail est dfinie par voie contractuelle. Enfin, la neutralit de la fonction publique ouverte serait limite ou plus exactement la structure ouverte serait un facteur de politisation. En effet, lorigine historique de ce modle, le spoil system ou systme des dpouilles) promue aux tats-Unis au XIXe sicle, illustre le fait que le principe de lemploi facilite la politisation. Et dans la logique amricaine classique les fonctionnaires sont rputs servir non pas lEtat mais le peuple et doivent donc pouvoir tre rvoqus par ce dernier ou ses reprsentants. En labsence de toute garantie demploi, lagent dune fonction publique ouverte nest pas protg contre les effets possibles des alternances politiques. Il peut perdre son emploi en cas dalternance politique. 2. Champ dapplication La fonction publique demploi trouve son origine aux tats-Unis. Elle est pratique par un nombre croissant dtats de lUnion europenne : Danemark, Italie, Finlande, Pays-Bas, Royaume-Uni et Sude. a. Les Etats-Unis De leur fondation jusquen 1883, les tats-Unis dveloppent la pratique du spoil system. C e systme des dpouilles implique lattribution des emplois publics au niveau fdral comme dans les tats fdrs selon des critres politiques. Au lendemain dune victoire lectorale, les partis politiques se rpartissent les postes dans ladministration. Le spoil system impliquait le

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renouvellement de ladministration, mme aux niveaux les plus modestes, avec larrive aux affaires dun nouveau parti politique. Selon une clbre formule du prsident amricain Jackson (1829-1837), on considrait, en effet, Il y a plus perdre en maintenant les fonctionnaires en place quil y a gagner en profitant de leur exprience . Cette pratique repose lorigine sur une conception dmocratique de la fonction publique : le spoil system permet en effet un contrle populaire sur ladministration afin dviter la formation dune caste de fonctionnaires irresponsables. partir de 1883, certains emplois fdraux sont progressivement pourvus au mrite. Lobjectif est de soustraire une petite partie des emplois publics linfluence des partis politiques. Le Pendleton Act autorise en effet le Prsident classifier par voie rglementaire les catgories demplois quil convient de pourvoir au mrite. Ce Classified Service ne cesse de crotre jusqu atteindre prs de 90 % des effectifs. Un processus comparable est observ dans ladministration des tats fdrs. Rforme permanente. Critique dans les annes 1960/1970, la fonction publique fdrale fait lobjet dune profonde rforme. La rforme conduite par le prsident Carter en 1978 (Civil Service Reform Act) tendait professionnaliser et dpolitiser la haute fonction publique. Cette rforme sest traduite par la cration du Senior Executive Service (SES). Ce service regroupe les responsables les plus importants de ladministration fdrale. Depuis cette date, ladministration fdrale se divise en trois catgories dagents : lExcepted Service runit les quelques milliers de fonctionnaires choisis sur critre politique ; le Senior Executive Service regroupe la dizaine de milliers demplois suprieurs apolitiques. Ces emplois de direction bnficient par consquent dune certaine stabilit ; et le Competitive Service dsigne les deux millions de fonctionnaires qui travaillent dans les ministres et au sein des agences gouvernementales. Les rformes dans la fonction publique fdrale sont rcurrentes. Lune des dernires date de 1993. Elle est luvre du prsident Clinton. Cette rforme a consist introduire un systme de gestion par la performance dans ladministration fdrale amricaine. Il ne cesse depuis lors dtre dvelopp.

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Les composantes du statut ainsi rpudi ensemble htrogne de dispositions rglementaires, lgislatives ou dduites de la Constitution fdrale par la Cour suprme des tats-Unis sanalysent comme une srie de garanties qui jouent pour lessentiel au stade du recrutement et du licenciement des agents. Elles sont constitutives du merit system qui regroupe, dans chacune des trois fonctions publiques tats-uniennes (fdrale, tatique et locale) les emplois publics dont lattribution est rgie par des procdures de type mritocratique. Les premiers jalons de ce systme furent poss dans le droit fdral, en 1883, par le clbre Pendleton Act. La finalit initiale du dispositif ntait pas de crer ex nihilo une fonction publique professionnalise et politiquement neutre, mais, plus modestement, de soustraire 10 % des emplois fdraux au contrle quexeraient sur eux les partis politiques dans le cadre du systme du patronage (patronage system). La loi de 1883 a toutefois permis le reflux progressif du systme des dpouilles, en accordant au Prsident des Etats-Unis la facult de classifier par voie rglementaire les catgories demplois quil lui semblait opportun dintgrer au merit system. Sans avoir t linaire, la croissance du secteur des postes protgs nen a pas moins a t continue jusquaux annes cinquante (elle atteindra son point maximum en 1952, avec 86 % demplois publics classifis ). La permanence dun large secteur demplois exempts (excepted) ou demplois discrtionnaires , ainsi que la fidlit de nombreux tats au principe de llection dune proportion parfois leve de fonctionnaires, est cet gard une caractristique notable du systme politico-administratif des tats-Unis. La neutralit politique de la fonction publique, en outre, na jamais t unanimement considre comme une valeur ou un principe fondamental. La philosophie politique sous-jacente au systme des dpouilles reste profondment ancre dans la mentalit collective : dans un pays o les fonctionnaires sont rputs servir non pas ltat mais le peuple, on se rsigne mal les voir chapper toute sanction lectorale directe ou indirecte. Lentreprise de Rinvention de ltat conue et pilote, entre 1993 et 2000, par le VicePrsident Al Gore vise construire un tat qui marche mieux et cote moins cher en crant une administration plus svelte et plus productive .

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G. CALVS, La rforme de la fonction publique aux Etats-Unis : un dmantlement programm ?, in Conseil dEtat, Perspectives pour la fonction publique. Rapport public 2003, EDCE n 54, 2003, p. 389.

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Cette rforme sest traduite par la disparition, en cinq ans, de 272 000 emplois civils (hors secteur postal) chiffre qui reprsente, en 1993, environ 12 % du volume des emplois civils fdraux. Cet objectif sera atteint et mme dpass puisque lAdministration fdrale, pour la premire fois depuis 1965, descendra ds 1996 sous la barre des deux millions dagents employs plein temps, et aura finalement perdu, en 1998, prs de 330 000 emplois. Les emplois supprims partir de 1993, dans leur trs grande majorit, correspondaient en effet des postes laisss vacants par le dpart en retraite de leur titulaire, mais aussi et surtout des postes qui avaient pu leur tre rachets (attribution dune somme pouvant aller jusqu 25 000 dollars aux employs disposs quitter le secteur public). Dans son rapport-programme de 1993, Al Gore soulignait quun objectif central de la Rinvention de ltat consistait accorder aux managers du secteur public une latitude aussi large que possible pour recruter les agents dont ils ont besoin , rcompenser ceux qui font du bon travail , mais aussi renvoyer les autres . Les fonctionnaires amricains ne sont nullement protgs contre le licenciement. Celui-ci interviendra automatiquement, si le poste occup par lagent est supprim pour des raisons budgtaires ; il pourra galement tre dcid par le chef de service, si lagent sest avr incapable datteindre les objectifs fixs par sa hirarchie, ou pour tout autre motif lgitime li la volont daccrotre lefficacit du service . La spcificit du droit de la fonction publique en matire de licenciement rside dans une srie de garanties exclusivement procdurales dgages par la Cour suprme au cours des annes soixante-dix. Leffort du mouvement de rforme de ltat a consist, dans un tel cadre, introduire des mthodes dvaluation de la performance individuelle des agents permettant dasseoir de faon plus nette la dcision de licenciement. La jurisprudence de la Cour aboutit poser que les liberts dopinion et dassociation garanties par le Premier Amendement interdisent les rvocations pour motif politique dans tous les cas o lautorit de nomination [n]est [pas] en mesure de dmontrer que lappartenance un parti politique est une condition requise pour que les fonctions considres soient accomplies de faon efficace 5. Cette solution sera tendue, en 1990, lensemble des dcisions affectant la situation juridique ou matrielle des agents.

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Branti v. Finkel, 445 U.S. 507, 1980.

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Ces solutions ont peut-tre acclr le mouvement de cration demplois dclassifis chappant lempire des rgles du merit system auxquelles sont aujourdhui soustraits plus de la moiti des agents fdraux. La forte minorit de membres de la Cour suprme qui prnent un rquilibrage des composantes politique et professionnelle de lAdministration renouent avec la vision jacskonienne dune Administration dont la composition reflte lvolution du paysage lectoral. Les juges dissidents insistent sur la fonction structurante, pour la vie politique amricaine, du principe de la rotation of office . Le patronage revt leurs yeux trois sries de fonctions. En dotant les partis politiques dun stock de postes distribuer, il leur permet dabord dappter des permanents dont il va de soi quils nacceptent dtre bnvoles qu condition de pouvoir esprer tre rcompenss un jour. En dtournant les citoyens de partis anti-systme qui ont peut-tre une philosophie politique sduisante mais peu de chances darriver au pouvoir , il consolide ensuite le bipartisme et rend ainsi possible lalternance. En offrant aux nouveaux entrants dans le champ politique la possibilit dtoffer leur clientle lectorale et de construire des alliances, le patronage ouvre enfin aux minorits ethniques la voie de lintgration conomique et sociale : tous les groupes qui ont accd au pouvoir dans une ville amricaine ont us de ce levier. Le merit system aux tats-Unis na pas t institu pour crer une Administration de type europen, mais pour lutter contre les drives dun systme des dpouilles progressivement gangren par la corruption, le gonflement artificiel du volume des emplois publics et la nomination dagents incomptents. Ladoption dun droit spcifique gouvernant le rgime des emplois publics a constitu en 1883 un pis-aller, un expdient auquel on se rsigne pour des raisons pratiques . Doit-il tre maintenu par lAmrique du XXIe sicle ? Le dveloppement de la presse, la technicisation accrue des tches et le renforcement des garanties offertes par le droit du travail comme par le droit des affaires militent peut-tre en faveur dune rponse ngative. b. LItalie6 Au dbut du XXe sicle, seuls les agents de ltat taient soumis un rgime de droit public. Lessentiel des agents des collectivits locales, et notamment les instituteurs dans les coles

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Roberto CARANTA, Point de vue sur les rformes rcentes en matire de fonction publique en Italie, EDCE n 54, 2003.

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lmentaires, taient rgis comme des salaris privs et taient lis ladministration par un contrat. Les choses vont changer de faon radicale dans les annes 20. Le rgime fasciste soumet lensemble de la fonction publique au droit public. Seuls les salaris des personnes publiques dont lactivit relevait du commerce ou de la production industrielle taient maintenus sous un rgime de droit priv. Une tude publie la fin des annes 70 par M. Giannini, alors ministre de la Fonction publique, stigmatise le rgime du droit public, auquel sont soumis les agents publics, comme lune des causes du mauvais fonctionnement de ladministration publique italienne. Do, la proposition dune rforme de ladministration et de la fonction publiques permettant lintroduction de rgles plus proches de celles du droit priv voire une privatisation substantielle du droit de la fonction publique. Aprs avoir t un moment abandonne, la question de lefficacit de ladministration redevint centrale dans les annes 90. La rforme poursuit deux objectifs : relever les dfis de lintgration europenne en hissant lefficacit de ladministration italienne au niveau de celles des autres Etats de lUnion europenne ; lutter contre une corruption jusqualors endmique.

La rforme mene entre 1993 et 2001 a fait basculer lessentiel de la fonction publique dun systme ferm au systme ouvert. Cette politique de privatisation de lemploi public a consist substituer des conventions collectives aux rgles statutaires antrieures. Dsormais, seul environ un agent de ladministration sur dix est un fonctionnaire. Le statut na t conserv qu propos de certaines activits rgaliennes : magistrats (judiciaires et administratifs), militaires, policiers, diplomates, professeurs duniversit... Les agents publics sont recruts par contrat individuel ; leurs droits et obligations sont rgls en principe par les dispositions du Code civil applicable aux contrats de travail entre particuliers. Si le concours est encore la modalit prvue gnralement pour accder aux emplois publics, on peut dsormais sen passer dans le cas demplois qui ne ncessitent aucune spcialisation de la part du travailleur. Dans cette hypothse, ladministration est tenue dengager les personnes qui ont une position prioritaire dans les listes officielles des chmeurs. Enfin, la privatisation entrane la comptence de la juridiction judiciaire.

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Le juge administratif conserve sa juridiction seulement en ce qui concerne les procdures de concours. lorigine les dirigeants du plus haut niveau de ladministration de ltat taient aussi exclus de la privatisation. La situation a chang en 1998 : les dirigeants sont aujourdhui soumis aux mmes rgles que la plupart des autres agents publics. Dsormais, en rgle gnrale, le contrat de travail des dirigeants de ladministration publique est un contrat dure dtermine (5 ans). Ces contrats sont dissous de plein droit mme avant leur chance (quatre-vingt-dix jours aprs le serment dun nouveau gouvernement). Le contrat peut tre renouvel lchance.

Du point de vue du statut, la rforme revient une privatisation. La privatisation a t avant tout une opration idologique. Sous linfluence de la pense conomique, lide que les organisations prives sont plus souples et donc plus efficaces que les organisations publiques sest rpandue. Le mrite du droit priv serait dtre plus souple que le droit public et donc plus prt sadapter pour faire face aux nouveaux dfis dune socit qui change sans cesse. On doutait de lefficacit dun droit public de la fonction publique qui avait tabli un systme qui donnait essentiellement une garantie de stabilit dans lemploi. On a donc privatis avec le but damliorer lutilisation des ressources humaines. Il est douteux que la privatisation de la fonction publique ait conduit un surcrot defficacit de laction publique. En effet, en Italie comme partout dans le continent europen, le droit (priv) du travail nest pas tellement souple. Aujourdhui, en Europe, les salaris privs jouissent eux-mmes dun rgime de stabilit substantielle. Des raisons politiques empchent presque toute forme de licenciement collectif dans la fonction publique. En ce qui concerne la plupart des agents publics, la privatisation na eu dautre effet que de rendre plus facile laccs au juge (les juges judiciaires tant beaucoup plus disperss que les juges administratifs), avec comme consquence une vritable explosion des contentieux. Il est douteux quil sagisse dun progrs. Cest plutt en ce qui concerne les dirigeants que la privatisation a eu des effets importants. Laffaiblissement substantiel du statut des dirigeants a t motiv par le souci des lus davoir des collaborateurs qui, craignant pour leur futur, soient prts mettre en uvre efficacement les politiques arrtes par les organes lus tout niveau territorial. Les proccupations defficacit lauraient donc emport sur limpartialit. Bien que les dirigeants aient tout intrt suivre les indications et suggestions qui leur viennent des lus, les agents publics que les dirigeants sont appels mobiliser jouissent dune garantie de stabilit qui na pas t atteinte par la rforme ; ces agents ne sont donc pas ncessairement trs motivs tre performants.

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En conclusion, les rformes rcentes en matire de fonction publique en Italie semblent plutt tre le rsultat redoutable de la conjonction entre le prjug selon lequel le droit priv serait dot de lefficacit plus grande et la volont mal dissimule des milieux politiques de rester les dcideurs rels mme dans les cas particuliers, et mme si cest de faon indirecte. Il est difficile donc de croire que ce modle mrite dtre suivi en Europe. Conclusion du I : Le f o n d ement de cette distinction est de nature politique et tient la rponse apporte la question suivante : peut-on (ou mme doit-on) concevoir les relations de travail dans la fonction publique de la mme manire que dans le secteur prive ? Si lon rpond positivement alors on en vient logiquement considrer que les fonctionnaires doivent tre traits comme des salaris et le systme de lemploi simpose. Si lon rpond ngativement, on est amen estimer quil convient que les fonctionnaires aient une formation et un tat desprit diffrents de ceux des salaris. Leur mission est dune essence diffrence : le service de lintrt gnral ne se confond pas avec celui des intrts privs ou particuliers. Les fonctionnaires devant tre spcialement adapts leur mission particulire, ils sont normalement destins y consacrer toute leur vie professionnelle et sont soumis des obligations spcifiques. En contrepartie de ces sujtions et afin dassurer leur neutralit et dans une certaine mesure leur indpendance, certaines garanties de stabilit et de carrire leur sont assures. II.

Lattnuation de lopposition7

A. Lintroduction de la notion demploi dans la fonction publique franaise 1. La conscration dune conception europenne de ladministration publique Larticle 39 CE consacre le principe de libre circulation des travailleurs lintrieur de la Communaut. Ce principe nest toutefois pas applicable aux emplois dans ladministration publique (art. 39, 4). Cet article se prtait deux interprtations diamtralement opposes. Selon la premire, que lon qualifie dinstitutionnelle, ladministration publique doit tre entendue dans son acception organique. Cette conception extensive de la rserve demplois dans la fonction publique conduit exclure lensemble des personnels administratifs du champ dapplication du principe de libre circulation. La seconde interprtation, dite fonctionnelle, est, quant elle, beaucoup plus restrictive. Lobjectif est videmment de rduire le champ des emplois rservs aux nationaux afin daccrotre le champ dapplication de la libre circulation.7

J. CAUDEN, Fonction publique de carrire ou demploi : un dbat dpass ?, CFP avril 2007, p. 18.

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Cette interprtation entend garantir leffet utile, cest--dire leffectivit de la libre circulation des travailleurs. La Cour de justice des Communauts europennes a videmment opt pour la seconde interprtation dans deux arrts extrmement importants : les arrts Sotgiu du 12 fvrier 1974 et Commission / Belgique du 17 dcembre 1980. Il rsulte de ces deux arrts que la notion dadministration publique est une notion autonome. Autrement dit, elle reoit une dfinition spcifique, propre au droit communautaire. Par consquent, les emplois dans ladministration publique sont uniquement ceux qui comportent une participation, directe ou indirecte, lexercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intrts gnraux de ltat ou des autres collectivits publiques . La Cour justifie le choix de ce critre par le fait que de tels emplois supposent (...) de la part de leurs titulaires, lexistence dun rapport particulier de solidarit lgard de ltat ainsi que la rciprocit des droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalit . Forte de cette dfinition, la Commission europenne a propos ladoption dune directive cense oprer, secteur par secteur, la rpartition des emplois ouverts et des emplois ferms aux ressortissants communautaires. Ne parvenant faire adopter ce projet de directive, la Commission sest rsigne dicter deux communications. Il sagit dactes dpourvus de valeur juridique. Dans sa communication de 1988, la Commission annonce quelle introduira systmatiquement un recours en manquement contre tout Etat qui empche les travailleurs des autres Etats membres daccder aux emplois de certains secteurs publics bien dtermins . La Commission inaugure ici son approche sectorielle. Selon elle, lexception de larticle 39, paragraphe 4, est notamment applicable aux emplois dans larme, les autres forces de lordre ; la magistrature ; ladministration fiscale et la diplomatie. Sont galement exclus de libre circulation, dautres activits telles que llaboration dactes juridiques, lexercice dune tutelle sur des organismes dpendants A contrario, la Commission estime que les transports publics, distribution dlectricit ou de gaz, sant, enseignement, recherche civile... doivent tre ouverts aux ressortissants des autres Etats membres. Dans une jurisprudence abondante, la Cour de justice a avalis lapproche sectorielle prconise par la Commission. Le juge communautaire a ainsi considr que nentraient pas dans ladministration publique les emplois dans les secteurs publics de la distribution deau, de gaz et dlectricit, les services oprationnels de sant publique (infirmier par exemple), les secteurs de lenseignement public, des transports maritimes et ariens, des chemins de fer, des transports publics urbains et rgionaux, de la recherche effectue des fins civiles, des postes, des tlcommunications et de la radiotlvision 27

La seconde communication, celle de 2002, se montre encore plus prcise. La Commission entend, en effet, identifier au sein des secteurs jusqualors inclus dans la rserve demplois dans ladministration publique, les postes [ qui] nimpliquent pas [] lexercice de la puissance publique et la responsabilit de la sauvegarde des intrts gnraux de ltat . La Commission affine ainsi sa dmarche initiale. Elle raisonne dsormais emploi par emploi et non plus secteur par secteur. Une telle volution semble ainsi indiquer que ds lors quun emploi auquel le membre dun corps de fonctionnaires peut prtendre nentre pas dans le champ de lexception, il convient que le corps soit ouvert aux ressortissants communautaires. Cest ainsi lorganisation de la fonction publique en corps qui se voit remise indirectement en cause ou tout au moins branle par la logique de lemploi de la Commission, logique qui heurte frontalement celle de la carrire qui sous-tend le droit franais. Il peut exceptionnellement arriver quun emploi dans ladministration publique soit occup par le salari dune personne prive. Dans cette hypothse, la conception matrielle de ladministration publique savre ainsi plus large que la conception institutionnelle ou que la conception franaise. La Cour de justice a en ce sens jug que les emplois de capitaine et de second de navires marchands peuvent sous conditions tre rservs aux nationaux sur la base de larticle 39 4.La Cour indique en effet que la circonstance que les capitaines sont employs par une personne physique ou morale de droit priv nest pas, en tant que telle, de nature carter lapplicabilit de larticle 39 4 ds lors quil est tabli que, pour laccomplissement des missions publiques qui leur sont dvolues, les capitaines agissent en qualit de reprsentants de la puissance publique, au service des intrts gnraux de ltat du pavillon . En effet, la Cour a constat que ces marins peuvent se voir confrer des prrogatives lies au maintien de la scurit et lexercice de pouvoirs de police, notamment en cas de danger bord, assorties, le cas chant, de pouvoirs denqute, de coercition ou de sanction, allant au-del de la simple contribution au maintien de la scurit publique laquelle tout individu peut tre tenu, et, dautre part, des attributions en matire notariale et dtat civil, qui ne sauraient sexpliquer par les seules ncessits du commandement du navire. De telles fonctions constituent une participation lexercice de prrogatives de puissance publique aux fins de la sauvegarde des intrts gnraux de ltat du pavillon . Toutefois, pour que de tels emplois soient qualifis demplois dans ladministration

publique, il convient que ces prrogatives soient effectivement exerces de faon habituelle par lesdits titulaires et ne reprsentent pas une part trs rduite de leurs activits (CJCE, 30septembre 2003, Colegio de Officiales de la marina mercante espanola / Asosiacion de navieros espanoles (ANA VE), JCP A, 2003, 2052, obs. O. Dubos).

Une telle solution intresse la France puisque larticle 3 du Code du travail maritime dispose qu bord des navires battant pavillon franais, le capitaine et lofficier charg de sa supplance doivent tre franais . Larticle 39, paragraphe 4, CE ne parat pas avoir vocation jouer au motif que les capitaines ne font pas un usage suffisamment frquent de leurs prrogatives de puissance publique.

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2. Les incidences de la conception europenne de ladministration publique en droit franais La rforme de 1991. La France a t condamne en 1986 pour avoir rserv ses nationaux la nomination et la titularisation dans des emplois permanents dinfirmier ou dinfirmire dans les hpitaux publics. Les pouvoirs publics franais ont ragi en insrant, par une loi du 26 juillet 1991, un article 5 bis dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Larticle 5 prcise en effet les conditions gnrales ncessaires pour prtendre avoir la qualit de fonctionnaire. La premire est la possession de la nationalit franaise sous rserve des dispositions de larticle 5 bis. Les ressortissants des tats membres de la Communaut europenne ou dun autre tat partie laccord sur lEspace conomique europen autres que la France ont accs, dans les conditions prvues au statut gnral, aux corps, cadres demplois et emplois dont les attributions soit sont sparables de lexercice de la souverainet, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte lexercice de prrogatives de puissance publique de ltat ou des autres collectivits publiques dans les mmes conditions que les nationaux. Ces corps, cadres demplois et emplois doivent tre dsigns par leurs statuts particuliers respectifs . On relvera que les termes utiliss par le lgislateur ne sont pas les mmes que ceux utiliss en droit communautaire, le lgislateur ayant opt pour la reprise dexpressions plus usuelles en droit franais. Alors que la Cour de justice exige deux conditions cumulatives (lexercice de la puissance publique et la contribution la sauvegarde des intrts gnraux de ltat ou des autres collectivits publiques), le droit franais use quant lui de deux conditions prsentes comme alternatives, celle dattributions sparables de lexercice de la souverainet ou ne comportant aucune participation lexercice de prrogatives de puissance publique de ltat ou des autres collectivits publiques. Les deux formulations peuvent nanmoins tre tenues pour quivalentes. Ce dispositif repose sur la logique du maintien dune prohibition de principe de laccs des ressortissants communautaires au statut de fonctionnaire. En effet, les corps sont rputs ferms sauf si les statuts particuliers ont prvu expressment leur ouverture. La loi du 26juillet 1991 a donc t suivie dune srie de rglements aboutissant louverture progressive des trois grandes fonctions publiques. Plus de 80 % des emplois des trois fonctions publiques sont ainsi thoriquement ouverts aux ressortissants communautaires. Les ressortissants

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communautaires la fonction publique se heurtent cependant diffrents obstacles, spcialement la barrire de la langue et lapprciation de lquivalence des diplmes et des formations8. Le dispositif issu de la loi de 1991 paraissait malgr tout insuffisant. Un principe dinterdiction, certes assorti dexceptions, ntait plus conforme aux exigences du droit communautaire. En outre, on pouvait se demander sil tait encore possible de raisonner par corps ou sil ne faut dsormais raisonner emploi par emploi. Si lon tire toutes les consquences de la position adopte par la Commission dans sa communication de 2002, alors il ne sera plus possible de fermer un corps ds lors quun seul des emplois auquel il permet daccder ne rentrera pas dans lexception de larticle 39, paragraphe 4.On aurait pu tre tent de supprimer lexigence de la nationalit franaise. Bernard Stirn a ainsi soulign que lopportunit de maintenir (...) la rserve des emplois de souverainet est discutable ds lors que le statut gnral prvoit des sanctions disciplinaires lencontre de ceux qui viendraient manquer leur obligation de loyaut .

La loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire la fonction publique renverse le principe nonc par larticle 5 bis. Dornavant, le principe nest plus celui de la fermeture des corps aux europens sauf si leur statut particulier prvoit leur ouverture. Dsormais les corps sont en principe ouverts. En outre, le lgislateur ne raisonne plus par corps mais par emplois. Ds lors, les europens auront accs aux corps, cadres demplois et emplois, sauf aux emplois insparables de lexercice de la souverainet ou qui comportent une participation lexercice de prrogatives de puissance publique par une collectivit publique. Finalement, cette rforme ressuscite la distinction agents dautorit/agents de gestion que Henry Berthlemy avait propose au dbut du XXme sicle. Berthlemy part de la distinction, courante la fin du XIXe sicle, entre les actes dautorit et les actes de gestion. Les actes dautorit sont ceux que ladministration accomplit comme dpositaire de la souverainet tandis que les actes de gestion sont les actes ordinaires de la vie civile, comme un8

Cette apprciation, encadre par le droit communautaire, est assure par des commissions administratives dassimilation. Dcret du 30 aot 1994 (fonction publique de ltat), dcret du 30 aot 1994 et arrt du 20 janvier 1999 (fonction publique territoriale) et dcret du 21 juillet 1994 (fonction publique hospitalire). Pour la constatation de la contrarit entre le dcret du 30 aot 1994 et les exigences communautaires (le dcret ne permettant pas de tenir compte des acquis de lexprience) voir CE, 4 fvrier 2004, Leseine et Warnimont (AJFP 2004, p. 68). Voir galement sur la contrarit de ces dcrets par rapport au droit communautaire CJCE, 7 octobre 2004, Commission /France, AJDA 2005, p. 1066, note Gh. Alberton).

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particulier pourrait le faire dans ladministration de son patrimoine . Et il opre alors une csure entre les agents publics suivant quils dictent des actes dautorit ou des actes de gestion. Les diffrences constates ne conduisent pas une division en suprieurs (qui commandent) et subalternes (qui excutent). Il y a, en effet, des fonctionnaires subalternes dont le rle est de ne faire que des actes dautorit : un garde champtre, par exemple. Il y a, en revanche, des suprieurs dont le rle est de ne faire que des actes dexcution, comme un ingnieur en chef. Lutilisation de la dichotomie autorit/gestion conduit Berthlemy opposer les fonctionnaires sur la base dun critre qui nest pas sans rappeler le droit europen, celui de la mise en uvre de la puissance publique, de la participation au pouvoir de commander . On ne peut que constater que le droit europen sinscrit dans la mme logique. Dailleurs Nzard considrait dans sa thse que la puissance publique ne peut tre exerce que par des nationaux ; ce principe ne sapplique pas du tout cependant aux fonctions de gestion . B. La politisation des lites administratives9 On assiste double phnomne : les lites administratives sont de plus en plus politises tandis que le personnel politique est de plus en souvent issu de cette mme lite administrative.

1. La politisation de ladministration Linterpntration des pouvoirs politico-administratifs est un trait caractristique de lactuel rgime politique franais. Ces rapports de proximit intressent essentiellement les rapports entre les lites administratives et les hauts responsables politiques. Lessentiel de ladministration franaise nentretient pas, en effet, de rapport avec la politique. En revanche, pour les fonctionnaires qui ont appartenu un cabinet ministriel, lengagement dans une carrire politique apparat comme le prolongement naturel dun apprentissage de la politique haut niveau. La question nest plus alors celle de la politisation de ladministration mais celle de la fonctionnarisation de la politique. Avant la cinquime Rpublique, les sphres administratives et politiques taient relativement impermables. Depuis la fin des annes 1870, lexcutif est peru comme un auxiliaire du parlement.

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P. JAN, La symbiose contemporaine entre lites administratives et politiques, CFP mars 2006, p. 5.

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La mise en place de nouvelles institutions en 1958 bouleverse radicalement cette situation. La restauration de lEtat passe la restauration dune administration subordonne. Ce nouvel tat desprit se traduit progressivement par une politisation accrue des emplois suprieurs de lEtat et des activits administratives. Les alternances politiques ouvrent dailleurs des priodes propices une reprise en main des leviers de commande de ltat. Cette politisation apparatra au grand jour lors de la premire alternance et de la premire cohabitation. Cette politisation offre aux gouvernants les moyens de sassurer de la loyaut des fonctionnaires dautorit placs des postes stratgiques dans lexcution des politiques gouvernementales. La politisation permet galement aux fonctionnaires dintgrer les cabinets ministriels et desprer de la sorte donner un srieux coup dacclrateur leur carrire. Dans le premier cas, la politisation intresse les emplois, dans le second, la politisation lactivit administrative elle-mme. a. La politisation des emplois suprieurs de ltat La politisation des emplois emprunte deux formes. La premire est stratgique. Il sagit pour le pouvoir excutif de placer la tte des emplois administratifs stratgiques (directeurs dadministration centrale ; prfets, recteurs...) des hommes et des femmes qualifis partageant leurs objectifs politiques et rputs fiables pour promouvoir et dfendre leurs entreprises. La fidlit politique entre videmment en jeu mais ce nest pas le critre exclusif. La politisation partisane ou de revanche (D. Lochak) conduit, en revanche, lviction des fonctionnaires placs par lquipe excutive prcdente, surtout la suite dune alternance. Laspect politique est davantage marqu. Au plan national, la banalisation des alternances politiques rgulires et la ncessit pour lEtat de disposer de managers de haut niveau relguent cette forme de politisation au second plan. Cette politisation partisane est, en revanche, plus vivace au niveau local. Lemprise du politique sur ladministration se manifeste notamment par les nominations au tour extrieur. Aprs quelques abus, il a t dcid de ne plus pourvoir quun cinquime des emplois vacants de la sorte. En outre, la dcision du politique est soumise obligatoirement lavis dune commission comptente publi au Journal officiel conjointement la dcision de nomination. Cet avis public reprsente une garantie de la comptence des personnes nommes. Les emplois la discrtion du Gouvernement constituent une autre voie de politisation administrative. Toutes les alternances politiques se concluent donc par un mouvement important sur ces emplois (2/3 des prfets et des recteurs...).

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Ce systme des dpouilles la franaise est la consquence directe dune politisation importante mais accepte des emplois stratgiques. Il emporte des consquences pratiques comme la mise au placard des lites administratives temporairement mal pensantes . b. La politisation accrue des activits administratives Laccroissement de la politisation des activits administratives se traduit par linflation des effectifs des cabinets ministriels et surtout par leur omnipotence. Les cabinets sont plthoriques. Ils sont composs de personnes souvent peu exprimentes, ce qui ne les empche pas de simposer face aux directions, pourtant plus expertes des problmatiques du ministre concern. Le cabinet matrise notamment les nominations des cadres suprieurs du ministre et des directeurs des tablissements publics sous tutelle, ce qui accrot la politisation. Les administrateurs sont dmotivs car systmatiquement coiffs par le cabinet qui a toujours le dernier mot, do aussi un renforcement du sentiment dimpuissance et de subordination excessive. Mais le ministre franais occupe un sige jectable. Il se doit de constituer autour de lui une force de frappe supplantant le pouvoir de ladministration, toujours suspecte de lenteur, de corporatisme, de rsistance mme. Aussi, les directeurs dont la nomination chappe aux ministres sont bards de conseillers techniques. Le temps politique est plus bref que le temps administratif. La construction dun projet politique pens, rflchi et port par ladministration cde devant les ncessits de lurgence des rsultats et des effets dannonce. Le passage en cabinet ouvre la porte des grands corps de ltat. Il constitue aussi une tape dcisive dans la formation politique du fonctionnaire qui est alors tent par la conqute du pouvoir politique. 2. L"litisation" administrative du pouvoir politique On observe une spectaculaire fonctionnarisation de la politique ou, plus exactement, une "litisation" administrative du pouvoir politique national. Une grande partie des personnels de la fonction publique qui accde des postes de responsabilits politiques nationales est issue de ses cadres suprieurs (administrateurs civils et enseignants notamment) ou des grands corps de ltat (Inspection des finances, Conseil dtat, Cour des comptes). Sur les dix-sept premiers ministres que la France a connus depuis 1958, quatorze sont issus de la fonction publique. En moyenne, plus de la moiti des

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membres de chaque gouvernement sont des fonctionnaires, le maximum tant atteint par le deuxime gouvernement de Lionel Jospin avec 100 % de ministres issus de la fonction publique. Autrefois domaine des professions librales, principalement avocats et mdecins, les fonctions lectives ou ministrielles sont dsormais majoritairement dtenues par les fonctionnaires10. La Ve Rpublique na pourtant pas innov dans la haute fonctionnarisation du personnel politique de haut niveau. Cependant, plus les affaires de ltat se complexifient, plus la comptence administrative est sollicite. Les prsidents franais sont issus de llite administrative civile (Pompidou, Giscard dEstaing, Chirac) et militaire (gnral De Gaulle). Seuls Franois Mitterrand et Nicolas Sarkozy sont issus du barreau. Pour ne prendre que les Etats-Unis, aucun prsident depuis 1945 nest issu de la haute fonction publique. Mme lAssemble nationale est devenue un lieu de pouvoir apprci des fonctionnaires. La figure du dput-fonctionnaire est une ralit. 40 % des dputs sont des fonctionnaires et 18 % des enseignants. En moyenne depuis 1958, un dput sur trois est issu de la fonction publique, les hauts fonctionnaires reprsentant 11 %. Cest 5 fois plus quau Canada, quaux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Mme lAllemagne qui connat pourtant une forte fonctionnarisation de son personnel politique naccorde pas une telle place son lite administrative (7 %). Cette reprsentativit dune catgorie sociale nest donc pas un phnomne propre la France, mme sil est particulirement accentu.

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Cet tat de fait est rgulirement dnonc. Dans son ouvrage Le Nud gordien, Georges Pompidou avait point du doigt la fragilit de notre systme politique : La Rpublique ne doit pas tre la Rpublique des ingnieurs, des technocrates, ni mme des savants. Je soutiendrais quexiger des dirigeants du pays quils sortent de lENA ou de Polytechnique est une attitude ractionnaire qui correspond exactement lattitude du pouvoir royal la fin de lAncien rgime... La Rpublique doit tre celle des "politiques" au vrai sens du terme, de ceux pour qui les problmes humains lemportent sur tous les autres, ceux qui ont de ces problmes une connaissance concrte, ne du contact avec les hommes, non dune analyse pseudo-scientifique de lhomme... .

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Leon n 3 : Lagent publicLa prsentation des agents publics pose un double problme de dlimitation. Il convient, en effet, en premier lieu, didentifier lagent public, cest--dire de le distinguer du salari de droit priv. Mais il importe galement, en second lieu, de distinguer au sein des agents de ladministration soumis au droit public entre diffrentes catgories, la principale dentre elles tant celle des fonctionnaires. I.

Lidentification de lagent public

En labsence de dfinition lgislative, cest au juge quest revenue la charge de dfinir lagent public. Les critres jurisprudentiels sont cependant parfois neutraliss par le lgislateur. Il convient galement dvoquer les incidences ventuelles dun changement de mode de gestion dun service public sur son personnel. A. Les critres jurisprudentiels Les critres de dfinition de lagent public sont au nombre de deux et sont cumulatifs. Lun est organique, lautre est matriel. Un agent public doit en principe tre employ par une personne publique. Cest llment organique de la dfinition (A). Il importe ensuite de prendre en considration la nature de lactivit gre par la personne publique employeur : SPA ou SPIC. Cest llment matriel de la dfinition. Si elle gre un SPA, tous ses agents sont des agents publics. Sil sagit dune personne publique grant un SPIC, seul le directeur du service (et le comptable sil a la qualit de comptable public) est un agent public (B). 1. Llment organique : lemploi par une personne publique Seule une personne publique peut employer un agent public. CE, 19 juin 1996, Syndicat gnral CGT des personnels des affaires culturelles (RFDA 1996, p. 850) : Considrant que lAssociation pour les fouilles archologiques nationales (AFAN) rgie par la loi du 1er juillet 1901, est une personne morale de droit priv ; quil suit de l qualors mme quelle concourt lexcution dun service public de ltat, et quelles que soient ses modalits de fonctionnement et de financement, les rapports entre elles et les agents quelle recrute pour son compte ne peuvent tre que des rapports de droit priv .

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De faon assez paradoxale, une telle solution vaut galement dans lhypothse o le fonctionnaire est mis disposition dune personne prive (alors mme que la mise disposition est une variante de la position dactivit puisque le fonctionnaire est rput occuper son emploi) 11 . Le critre organique est le plus souvent trs ais mettre en uvre. La qualit de personne publique de lemployeur est, en effet, gnralement facile tablir. Il suffit ensuite de vrifier lexistence dun lien de travail entre lagent et cette personne publique. Il arrive toutefois que la qualification de personne publique ne soit pas vidente. Il arrive ainsi quune personne publique use de stratagmes, notamment afin de bnficier de montages contractuels de droit priv auxquels elle ne peut prtendre. Tel tait le cas de ltat lorsquil a cherch bnficier des contrats emploi-solidarit alors mme que le code du travail le lui interdisait expressment. Il a pour cela utilis les services dassociations (donc de personnes morales de droit priv) quil chargeait de recruter des personnels sur la base dun tel contrat. Ces associations ntaient ainsi que lemployeur apparent de ces personnes dans la mesure o ces dernires taient en fait affectes dans les services de ltat et o celui-ci versait lassociation une somme correspondant leur rmunration. Cette pratique permettait de bnficier dune main duvre bon march (dans la mesure o ces contrats taient fortement aids). Le juge administratif a admis la possibilit de requalifier de tels contrats sil savrait que le vritable employeur ntait pas lassociation mais ltat12. 2. Llment matriel : le service public11

TC, 10 mars 1997, Prfet de la rgion Alsace (Rec. p. 526) : nonobstant le fait que Mme Foesser ait, dans la situation de mise disposition, continu dpendre de la communaut urbaine de Strasbourg et percevoir son traitement de fonctionnaire territorial, le contrat qui lunissait au centre europen de dveloppement rgional [association but non lucratif exerant une mission dintrt gnral] est un contrat de droit priv . 12 Le Conseil dtat a prcis quil convenait pour cela dutiliser la technique dite du faisceau dindices afin de dterminer si ltat pouvait tre dsign comme lemployeur : Ces indices pourront tre trouvs dans les conditions dexcution du contrat : affectation exclusive et permanente dans un service de ltat, tches confies relevant des missions habituelles du service... Ils pourront galement tre recherchs dans lexistence ou non dun lien de subordination vis--vis du chef de service concern : responsabilit et surveillance de ce chef de service ; directives, conditions et horaires de travail imposs par ce dernier. Ils pourront provenir, le cas chant, de lexamen des conditions dans lesquelles ltat a ddommag lemployeur apparent pour les salaires quil a vers la personne recrute sous la forme dun contrat emploi-solidarit (CE, Avis, 16 mai 2001, Joly et Padroza, AJFP 4-2001, p. 1). taient en cause dans cet avis les contrats passs par deux personnes avec un centre de formation professionnelle, structure associative, alors mme qu