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Revue de sémio-linguistique des textes et discours

29 | 2010La théorie du discours.Fragments d'histoire et decritique

Sous la direction de Marie-Anne Paveau

L’analyse du discours dite française n’a de français que le nom. Il s’agit plutôt d’uneaventure théorique apatride qui a concerné des gens, des lieux, des engagements, endehors de tout effet de frontière. La théorie du discours, comme on la nommait autourde 1970, au sein d’un espace de recherche qui ignorait les étanchéités disciplinairesactuelles, a été un moment de création théorique, d’exploration pratique et derenouvellement des paradigmes. Les théories et méthodes qui font actuellementréférence dans le domaine très vaste et désormais routinisé des analyses du discours enportent l’héritage. Plutôt que de prétendre à un illusoire état des lieux de cette aventurethéorique, ce numéro en propose des fragments d’histoire et de critique. D’exilsépistémologiques en reconstructions théoriques, d’affrontements politiques enprogrammations épistémiques, il voudrait montrer que, comme tout paradigmescientifique, la théorie du discours se constitue autant de ses déplacementsgéographiques et de ses reformulations dans la succession des générations que de sespropositions théoriques et positionnements disciplinaires. C’est pourquoi, à côtéd’articles qui décrivent historiquement le moment français de la théorie du discours, lelecteur trouvera des travaux plus décentrés vers la critique des développements ethéritages de cette singulière pensée des « montages discursifs ».

Dédicace

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En janvier 2010, au moment où je mettais en forme ce numéro, plusieurs enseignants etpresque une centaine d’étudiants de la Faculté de linguistique appliquée de Port-au-Prince en Haïti sont morts sous les décombres de leurs salles de cours. J’y avais assuréen 2006 un séminaire d’analyse du discours. Mes étudiants haïtiens avaient découvertavec passion la théorie du discours d’inspiration marxiste, se montrant insatiables surl’idéologie, le pouvoir et la domination ; pourtant, en cette matière, ils en savaient bienplus que moi. C’est avec tristesse que je leur dédie ces fragments d’histoire et decritique.Marie-Anne Paveau

Marie-Anne Paveau

Présentation [Texte intégral]

Le désir épistémologique

Rencontres et voyages

Antoine Musuasua Musuasua

Analyse du discours en République démocratique du Congo : état deslieux [Texte intégral]

Carlos Piovezani et Fernando Felício Pachi Filho

« As idéias fora do lugar » : une histoire des enjeux du développement del’Analyse du Discours (française) au Brésil [Texte intégral]

Mongi Madini

Quelques « lieux de rencontre » de Jean Peytard [Texte intégral]

Aventures théoriques

Jacques Guilhaumou et Francine Mazière

« Ainsi, nous sommes qui nous sommes dans le Mississippi » [Texte intégral]

Jacqueline Léon

AAD69 : archéologie d’une étrange machine [Texte intégral]

Françoise Gadet

Enjeux de langue dans l’analyse de discours [Texte intégral]

Avenirs critiques

Thierry Guilbert

Pêcheux est-il réconciliable avec l’analyse du discours ? Une approcheinterdisciplinaire [Texte intégral]

Marie-Anne Paveau

La norme dialogique. Propositions critiques en philosophie du discours[Texte intégral]

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Revue de sémio-linguistique des textes et discours

29 | 2010 :La théorie du discours. Fragments d'histoire et de critique

PrésentationLe désir épistémologique

MARIE-ANNE PAVEAU

p. 7-14

Texte intégral

Ce numéro parle d’histoire humaine. Il décrit des idées et des théories, mais aussi desengagements, des luttes et des passions. Sa présentation s’accommoderait mal de lasécheresse objectivisante du discours de la science à la française. Je voudrais donc,avant d’en présenter le contenu, décrire ses origines humaines.

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En 1993, Daniel Delas m’a fait lire L’avenir dure longtemps, et Althusser est alorsentré définitivement dans la pile de mes livres de chevet. Personne ne sait exactementcomment les trajectoires de chacun se dessinent et elles sont sans doute largement lefruit de la sérendipité1. Mais nous pouvons tous certainement dire qui sont ceux quinous ont permis de penser, penser avec, penser contre (Noiriel 2003). Althusser est deceux qui m’ont appris à penser. C’est également lui qui m’a amenée à l’histoire etl’épistémologie des théories du discours, fil continu de mes recherches, visible ouinvisible, et parfois même insu. Mais il est également celui dont le parcours et laréception m’ont fait comprendre que l’histoire de la théorie du discours est une étrangeet difficile affaire, batailleuse, passionnée et parfois tragique. Quarante ans après, lestraces de ces batailles et passions sont encore là, et se sont même transmises : cettehistoire ne semble pouvoir se faire, mais c’est sans doute le cas de toutes les histoiresdans lesquelles il y a de l’héritage, que sur un fonds de revendication, qui va desdemandes de reconnaissance des uns aux affirmations de filiation des autres.

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C’est pour ces raisons que j’ai d’abord pensé refuser la proposition qu’AndréeChauvin-Vileno m’a faite en 2008 de coordonner un numéro de Semen sur l’histoire del’analyse du discours2 : une enquête en cours sur ce thème venait de s’arrêter3, j’avaisdéjà beaucoup arpenté ce terrain dans mes publications (Paveau 2004, 2006, 2009a, b,c, 2010b) et j’avais déjà fait, dans un autre contexte, celui des armées et des guerres,l’expérience des difficultés de tout enquêteur en contact avec les témoins vivants d’unehistoire qu’il n’a pas connue.

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Mais la sérendipité, toujours elle, qui fait sans doute mieux les choses que le hasard,et encore mieux que la filiation, m’a amenée finalement à accepter cet travail, pour troisraisons, qui sont des rencontres.

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En 2004, pendant la pause de la présentation de mon HDR, une petite dame un peupressée, que je ne connaissais pas et qui était venue informée par Jacques Guilhaumou,m’a demandé, littéralement entre deux portes, si « j’avais envie » d’un poste. Comme, àce moment précis, je n’avais envie que d’un café et de quelques minutes de détente, j’aimarmonné une réponse polie sans vraiment comprendre la question. C’était FrancineMazière et je lui ai succédé à Paris 13.

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En 2006, Guy Achard-Bayle m’a demandé de participer au jury de thèse d’AntoineMusuasua Musuasua sur « Le vocabulaire politique des leaders nationalistescongolais ». J’avais rencontré quelques années auparavant Bajana Kadima-Tshimangaqui avait défendu au début des années 1980 une thèse de lexicologie et lexicométrie surles mots blanc, noir et évolué dans l’ancien Congo belge. Je savais donc, sans en avoirune connaissance précise, qu’il avait existé un passionnant moment africain d’analysedu discours harrissienne sur des corpus de discours politiques, moment totalementtombé dans l’oubli. Il y a eu, en effet, un véritable « tournant africain », plusspécifiquement « zaïrois-congolais » de l’analyse du discours politique : par exemple en1981 dans l’un des premiers numéros de Mots, on trouve un article de Rubango NyundaYa sur le « Vocabulaire politique de la presse zaïroise contemporaine (1959-1965) », en1982, un papier du même Bajana Kadima-Tshimanga intitulé « La société sous levocabulaire : Blancs, Noirs et Evolués dans l’ancien Congo belge », et en 1983 dans lenuméro suivant un article de Kakama Mussia, « Authenticité, un système lexical dans lediscours politique du Zaïre ». Après cela, le tournant africain semble disparaître, et c’estla raison pour laquelle la thèse d’Antoine Musuasua Musuasua m’a semblé siimportante car elle renouait un fil de recherche très distendu sinon rompu.

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Enfin, en 2009, est paru l’ouvrage de Thierry Guilbert. Ce livre m’a semblé en déficitépistémologique, tenant peu compte de l’histoire des théories et en particulier de celledu discours. Intitulé Le discours idéologique ou la force de l’évidence (Guilbert 2009), ilne mentionnait Althusser que marginalement, citait deux ou trois fois le nom dePêcheux, ne prenait pas en compte l’inconscient4. J’en ai fait une lecture critique aussiprécise et informée que possible pour Langage et société, je lui ai envoyé mon texte, ill’a reçu fraîchement, me reprochant à juste titre de l’avoir désigné comme « boucémissaire » dans les travaux actuels en analyse du discours. Il est vrai que mon articleintitulé « Analyse du discours, génération 2008 » produisait cet effet-là (Paveau 2009a)et en discutant avec lui, je me suis rendu compte que j’avais moi-même approché detrop près les pièges de la légitimité et de la généalogie. Je lui ai donc proposé derépondre à mon article en participant à ce numéro, il l’a fait avec ampleur et il mesemble que la discussion que constituent désormais nos deux textes est intéressantepour l’histoire qui nous occupe ici.

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Ce sont ces trois moments qui sont à l’origine de ce numéro de Semen, parce qu’ilsont soutenu un désir épistémologique, qui est sans doute la forme universitaire etapaisée de la pulsion épistémophilique si bien décrite par Freud (qui parle aussi de« pulsion d’investigation »), ou par Bion (« pulsion à connaître » selon ses termes) quidéfinissent ainsi le désir de savoir du tout-petit. Enseignants et chercheurs,transmetteurs et passeurs, qui répondons aux « pulsions de connaître » de nosétudiants, ce désir épistémologique devrait être constamment le nôtre. La revue Semenen est traversée : c’est dans l’un de ses premiers numéros (Semen 8, 1993,« Configurations discursives ») que paraît l’article historique et épistémologique deDenise Maldidier sur le travail de Michel Pêcheux (Maldidier 1993). Les différentsnuméros consacrés à l’analyse du discours (par exemple Semen 13, 2000, « Genres de la

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presse écrite et analyse du discours », Semen 14, 2002, « Textes, discours, sujet » ouSemen 21, 2006, « Catégories pour l’analyse du discours politique ») comptent tous,plus ou moins, un moment épistémologique. Ce numéro 29 n’est donc pas sansprécédent ni prédécesseur.

Un mot du titre avant de présenter les articles. Le terme théorie du discours a étéchoisi ici plutôt que celui d’analyse du discours pour plusieurs raisons.

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Une raison simplement historique d’abord : théorie du discours est le terme quicircule dans les cercles de l’époque. Il est omniprésent chez Althusser (en particulierdans ses écrits sur la psychanalyse, Althusser 1993 [1966]), adopté par Pêcheux dès sespremiers textes et en particulier dans AAD69 (une « théorie (matérialiste) dudiscours ») et il figure régulièrement dans les Cahiers pour l’analyse par exemple, sousla plume, entre autres, de Jacques-Alain Miller. On le retrouvera dans cette livraisonchez Carlos Piovezani et Fernando Pachi, Jacques Guilhaumou et Francine Mazière,Jacqueline Léon, et dans mon propre travail.

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Une raison épistémologique ensuite : l’analyse du discours étant devenu eun « grandmassif de pratiques » qui a connu une « globalisation » au début des années 1980(Maingueneau 2005), l’objet et l’objectif du numéro se trouvent mieux identifiés parthéorie du discours. Eni Orlandi, dont le regard sur l’analyse du discours estdoublement et assez heureusement décentré, géographiquement et presquechronologiquement, puisqu’elle fait partie de ceux qui ont choisi de travailler avec lathéorie du discours telle que Michel Pêcheux l’a façonnée, a raison d’affirmer que, « enFrance, un “gouffre” sépare ces deux moments, le “nom” d’AD et la “chose”institutionnelle AD, le temps de sa fondation et le moment de son institutionnalisationacadémique » (Orlandi 2007 : 58).

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Enfin, une raison scientifique : la théorie du discours a été, au tournant des années1970… une théorie, je veux dire essentiellement une interrogation théorique spécifiqued’un champ qui se créait. On a suffisamment brocardé le « terrorisme » de la théorie deces années-là pour lui reconnaître au moins sa réalité historique.

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Le numéro s’intitule aussi Fragments : cela veut dire que sa visée n’est niencyclopédique, ni même référentielle. Il ne se présente pas comme une continuité ouun ensemble, mais plutôt comme un réseau d’éparpillements, au sens foucaldien duterme. Il y a parmi toutes les productions qui se sont rattachées et qui se rattachentencore à la théorie du discours, des zones qui m’ont semblé particulièrementintéressantes, parce qu’elles ont été concentrées et incroyablement fécondes (leséminaire de Peytard, puis de Peytard et Moirand), parce qu’elles sont oubliées etpourtant fortes de lucidités courageuses (l’Afrique lexicologique), ou encore méconnueset pourtant porteuses des recherches à venir (le travail des jeunes Brésiliensactuellement) ; parce qu’elles sont cruciales pour comprendre ce qui s’est joué entrescience et politique (le communisme), entre science et science (la sociolinguistique, lesapports de Bakhtine, les remaniements de la « génération 2008 »), entre science etmachine (AAD69). Cette livraison constitue donc un ensemble qui tient par un regard,regard qui n’est pas celui d’un panoptique avec son « omniscience invisible »(Foucault), mais qui n’est pas non plus celui d’une petite lorgnette écervelée. C’est leregard d’une recherche qui intègre à sa visée objectivisante une subjectivation de sesobjets, et qui choisit de dire que la science se fabrique aussi à partir de la réalité,ensemble de matières concrètes et vivantes souvent effacées par la théorisation etl’intellectualisation. Les imperfections, les absences et les interprétations sont doncprésentes dans ce numéro comme des données scientifiques non refoulables.

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Le numéro est articulé en trois parties, la première relevant plutôt de la sociologie etde la géographie de la discipline, la seconde plongeant dans les engagements théoriqueset politiques, la troisième se tournant vers des avenirs critiques.

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La description par Mongi Madini du séminaire de Peytard et de ce qui s’y estdécouvert, exposé et transmis, ouvre le numéro comme un exemple de lieu de rencontreet de création scientifiques. Il y en a eu d’autres, évoqués ça et là dans les autres articles,le séminaire HPP (Henry, Pêcheux, Plon), celui du groupe BCG (Bresson, Culioli, Grize),la RCP ADELA (Recherche coopérative programmée Analyse du discours et lectured’archives), le CERM (Centre d’études et de recherches marxistes). La théorie dudiscours s’est ancrée dans ces lieux et ces groupes. Ils ont essaimé : j’ai parlé plus hautdu tournant africain de l’analyse du discours, et Antoine Musuasua Musuasua donne iciune description détaillée et informée des travaux sur le discours politique qui ontaccompagné l’histoire politique de la République démocratique du Congo depuis 1970.La théorie du discours a fait, on le sait, un grand voyage transatlantique vers l’Amériquelatine, et en particulier le Brésil. On sait que « dès sa formation, la pensée scientifiquebrésilienne se développe en rapport avec la pensée européenne » (Orlandi, Guimarães2007 : 7). Mais le développement de l’analyse du discours « française » (et c’est sansdoute l’un des seuls emplois où ce terme est pertinent5) y a connu une ampleur sansprécédent, seulement comparable à celui de la psychanalyse lacanienne sur tout lecontinent latino-américain, développement qui lui est d’ailleurs lié.

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Les réflexions scientifiques et politiques que proposent Jacques Guilhaumou etFrancine Mazière au début de la deuxième partie rendent compte d’autres lieux,politiques cette fois, où se crée aussi la théorie. Ils concentrent leur propos sur la notionde formation discursive, présentée ici comme une voix. Comme le dit leur exergue, « lacouleur du ciel a changé », mais la volonté d’émancipation qu’offre la philosophiemarxiste et à laquelle s’attacha la théorie du discours, elle, reste ancrée dans les luttesactuelles. Ce qui n’a pas changé non plus, c’est la présence robuste et ineffaçable de lalangue dans les productions verbales, quelle que soit leur approche : c’est sur cettequestion que Françoise Gadet réfléchit, en décrivant le moment 1970 comme marquépar une double naissance, celle de l’analyse du discours et de la sociolinguistique. Lalangue, voilà qui était une obsession de Pêcheux le philosophe, qui entra en linguistiquepour en rendre compte mécaniquement : Jacqueline Léon retrace méticuleusementl’histoire de cette « étrange machine » que fut AAD69. Elle montre que le projetd’analyse automatique de Pêcheux, qu’une vulgate un peu rapide présente comme unetentative isolée, est profondément ancré dans un contexte complexe et international demécanisation et de traitement automatique et dans le temps long de l’automatisation.

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Le numéro se clôt sur des ouvertures critiques : j’ai parlé plus haut de l’article deThierry Guilbert, qui livre une épistémologie personnelle très clarifiante et explicativepour qui s’intéresse à la « contagion » des théories (Sperber) et aux avenirs de l’analysedu discours, dont on espère qu’ils dureront longtemps. Mon propre travail prendl’histoire par l’angle philosophique, et interroge l’héritage de Bakhtine, figurebrusquement transportée de la Russie des années vingt à cinquante au structuralismefrançais dans sa période « 70 flamboyante ». Aussitôt traduit et greffé sur les cadres dela théorie du discours, la translinguistique de Bakhtine a été très vite acclimatée et l’unde ses principaux concepts, le dialogisme, essentialisé et grammaticalisé jusqu’à entrerdans le nécessaire à couture de tout linguiste du texte et du discours. J’examine lesenjeux philosophiques de cette « industrie dialogique » et la manière dont elle configureune vision optimiste de la société implicitement portée par les travaux qui s’enréclament.

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En 1935 Ludwig Fleck mettait en rapport la progression de la science et le « style depensée » partagé par une communauté scientifique qui s’accorde sur un nouveau typede regard portant sur un nouveau type de forme. Il explique que cet accord définit lascience, à partir de la sociologie des sciences qui « établit que la connaissance passe partrois étapes de base : une découverte apparaît d’abord sous la forme d’un aviso de

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Bibliographie

Notes

1 La sérendipité désigne le fait de faire une découverte importante sans l’avoir programmée maisen l’ayant cependant permise par une sensibilité très affûtée à la réalité du monde. Le mot vientde Serendip, l’ancien nom du Sri Lanka et a été diffusé par Walpole à partir de la légende des troisprinces de Serendip, voyageant par le monde et allant de découverte en découverte.

2 Cette proposition faisait suite à des discussions en marge du colloque organisé à Besançon ennovembre 2007 sur Linguistique et littérature, Cluny 40 ans après. Nous nous étions retrouvés àplusieurs, Andrée Chauvin-Vileno, Mongi Madini, Monique Lèbre et moi-même, à évoquer lesorigines, présentes ou un peu effacées, de cette aventure théorique.

résistance faible, qui inhibe des oscillations mentales alternées dans le chaos créatif despensées. À partir de cet aviso se constitue, par le biais de la circulation sociale etstylisante de la pensée, une pensée démontrable, c’est-à-dire une pensée qui peut êtreplacée dans le système du style. Les développements ultérieurs le transforment en unepensée évidente – dans le cadre du style –, en une forme spécifique, directementconnaissable, en un “objet” que les membres du collectif doivent traiter comme un faitexistant à l’extérieur et indépendant d’eux » (2008 [1935] : 263-264). La théorie dudiscours a été cet aviso, mais n’est jamais devenu cette « pensée évidente » qui aurait pula faire entrer tranquillement dans une histoire pacifiée des théories linguistiques. C’estsans doute toute sa richesse et tout son intérêt que d’être restée à ce niveau de la« pensée démontrable ».

Althusser, L. (1993 [1966]) Ecrits sur la psychanalyse. Freud et Lacan, Paris, Le livre de poche.

Althusser, L. (1992) L’avenir dure longtemps, suivi de Les faits, Paris, Stock/IMEC.

Fleck, L. (2008 [1935]) « Observation scientifique et perception en général », dans L’histoire dessciences. Méthodes, styles et controverses, textes réunis par J. F. Braunstein, Paris, Vrin,245-272.

Guilbert, t. (2007) Le discours idéologique ou la force de l’évidence, Paris, L’Harmattan.

Maingueneau, D. (2005), L’analyse du discours. État de l’art et perspectives, « Introduction »,Marges linguistiques 9, www.texto-revue.net

Noiriel, G. (2003) Penser avec, penser contre. Itinéraire d’un historien, Paris, Belin.

Orlandi, E. (2007), « L’analyse du discours et ses entre-deux : notes sur son histoire au Brésil »,dans Orlandi, E., Guimarães, E. (2007) (dir.), 37-62.

Orlandi, E., Guimarães, E. (2007) (dir.) Un dialogue atlantique. Production des sciences dulangage au Brésil, Lyon, ENS Éditions.

Paveau, M.-A. (2004) Les cadres du discours, mémoire pour l’habilitation, Université de Paris 3Sorbonne nouvelle.

Paveau, M.-A. (2006) Les prédiscours. Sens, mémoire, cognition, Paris, Presses Sorbonnenouvelle.

Paveau, M.-A. (2009a) « Analyse du discours, génération 2008 », à propos de l’ouvrage det. Guilbert, Le discours idéologique ou la Force de l’évidence, Langage & société 127, 105-113.

Paveau, M.-A. (2009b) compte rendu de Longhi J. (2008), Objets discursifs et doxa. Essai desémantique discursive, Paris, L’Harmattan, dans Zeitschrift für französische Sprache undLiteratur 119/2,192-199.

Paveau, M.-A. (2009c) « L’éthique des paradigmes. Mémoire et démémoire scientifique », dansLa rhétorique de la critique dans le discours universitaire. Conflits, polémiques, controverses,actes du colloque international de Varsovie, (à par. 2010).

Paveau, M.-A. (2010) « Interdiscours et intertexte », dans Linguistique et littérature, Cluny 40ans après, actes du colloque international de 2007, Besançon, PUFC, 93-105.

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3 Un travail d’histoire des idées menée avec Laurence Rosier de l’ULB. Ce travail est désormaisarrêté et pour des raisons d’éthique professionnelle, son contenu a été très minutieusement etrigoureusement tenu à l’écart du présent numéro.

4 L’ouvrage de Julien Longhi, Objets discursifs et doxa, paru la même année, m’a sembléprésenter les mêmes traits, confirmant qu’il s’agit d’une évolution générale et non d’unphénomène de recherche isolé, et j’y ai consacré de même une longue analyse critique (Paveau2009b).

5 Les termes d’analyse du discours française ou d’école française qui se sont si largementdiffusés n’ont guère de sens : l’analyse du discours dont il est question ici est avant tout uneaventure théorique apatride qui a concerné des gens, des lieux, des engagements, en dehors detout effet de frontière « française ».

Pour citer cet article

Référence électroniqueMarie-Anne Paveau, « Présentation », Semen [En ligne], 29 | 2010, mis en ligne le 01 avril 2010,consulté le 19 juillet 2014. URL : http://semen.revues.org/8758

Auteur

Marie-Anne PaveauUniversité Paris 13, EA 452 CENEL

Articles du même auteur

La norme dialogique. Propositions critiques en phil osophie du discours [Texte intégral]

Paru dans Semen, 29 | 2010

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Revue de sémio-linguistique des textes et discours

29 | 2010 :La théorie du discours. Fragments d'histoire et de critiqueRencontres et voyages

Analyse du discours enRépublique démocratique duCongo : état des lieuxANTOINE MUSUASUA MUSUASUA

p. 41-52

Résumés

L’analyse du discours est introduite en République démocratique du Congo par les enseignementset les recherches de V.Y. Mudimbe à l’Université de Lubumbashi en 1970 au retour de saformation de romaniste en Europe. Trois périodes, dont la dernière ouvre l’analyse du discours àtous les domaines de la vie sociale, constituent les étapes de l’évolution de cette discipline enRépublique démocratique du Congo. La première période (1970-1980) correspond à l’initiationaux méthodes d’analyse du discours, tandis que la deuxième, qui s’étend de 1980 à 1997, estaffectée par des mutations politiques du pays.

Discourse analysis was first introduced in DRC by Professor V.Y. Mudimbe through his lectures atthe University of Lubumbashi in 1970, particularly after his romanist trip in Europe. There arethree periods, the last of which covers the analysis of discourse in all the areas of social life whichmarks the steps in the development of is study in DRC. The first period (1970-1980) correspondswhith the initiation to methods of discourse analysis, whereas the second, which goes from 1980to 1997 was characterized by politic changes in the country.

Entrées d’index

Mots-clés : Idéologie, Imaginaire Argumentation, Valeurs, Méthode praxéo-interdiscursiveKeywords : Imaginary, Argumentation, Ideology, Values, Praxeo-discursive approach

Texte intégral

Analyse du discours en République démocratique du Congo : état des lieux http://semen.revues.org/8761

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1. Introduction

2. Analyse du discours de 1970 à 1980

Dans son article intitulé « Les théories sur le vocabulaire. Eléments pour unesynthèse » (1978 : 77), Jacqueline Bastuji affirme que le Cours de linguistique généralepropose deux hypothèses d’une remarquable fécondité. D’abord la langue est unsystème synchronique dont les unités se déterminent par le seul jeu de leurs rapportsinternes. Ensuite ces rapports sont doublés pour chaque unité : les uns s’établissenthorizontalement sur l’axe syntagmatique des enchaînements, et les autres verticalementsur l’axe paradigmatique des associations, c’est-à-dire des substitutions virtuelles.

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Cette affirmation révèle l’importance de l’unité lexicale dans la structuration et/ou ladéstructuration du tissu discursif à considérer, et en configure en même temps le sens etla signification. Davantage, ceux-ci se déterminent par la distribution et les relationsd’opposition pertinente ou d’équivalence des unités lexicales. Celles-ci intéressentVumbi Yoka Mudimbe qui, pour faciliter la rédaction de sa thèse en lexicologieconsacrée au champ sémantique du mot air en latin, en grec et en français, complète saformation de romaniste en Europe par des études de linguistique et de sociologie.

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En 1970, il rentre au pays où il mène de front ses enseignements et ses recherches. Ilva donc être le pionnier de l’analyse du discours (AD) en République démocratique duCongo (RDC).

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Je voudrais parler dans ce travail de l’histoire de l’AD en RDC. Il paraît – selon lesspécialistes de la linguistique historique – que les faits linguistiques sont étudiés aussibien diachroniquement que synchroniquement. Raison pour laquelle, chaque fois queles faits le permettront, je ne manquerai pas d’évoquer la question de la disparité dansl’ensemble du tissu organique qui constitue l’AD en RDC.

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La présente étude comprend trois périodes correspondant aux différentes étapes del’évolution de l’AD dans ce pays. La première s’étend de 1970, année d’initiation desétudiants de l’Université de Lubumbashi à cette discipline sous la direction deMudimbe, à 1980, année de son exil personnel pour des raisons non révéléesofficiellement. La deuxième période va de son exil à l’année 1997. Cette année coïncideavec les mutations politiques intervenues en RDC. La troisième période enfin, part del’avènement de la Troisième République à nos jours.

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Cette étape correspond à la période d’initiation aux méthodes d’AD en RDC. Commeje l’ai dit, c’est Mudimbe qui, le premier, introduit les recherches en AD au Congo (quiest encore le Zaïre à l’époque) après sa courte formation en Europe où il soutient sathèse à l’Université catholique de Louvain sous la direction de Willy Bal. Il devient alorsprofesseur de lexicologie à l’Université Lovanium de Kinshasa, dont la Faculté desLettres sera transférée à Lubumbashi.

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En effet, les recherches sur le vocabulaire politique du Congo/Zaïre, ainsi quel’affirme Nyunda Ya Rubango (1976 : 46), sont lancées par Mudimbe à l’UniversitéLovanium de Kinshasa, au cours de l’année universitaire 1970-1971, dans le cadre d’unséminaire de 2e cycle qui réunit linguistes, politologues et psychologues. Ce qui reflètedéjà le caractère pluridisciplinaire de l’AD.

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Pendant sa formation, il s’est intéressé aux travaux du premier colloque de lexicologiepolitique de Saint-Cloud (1968) publiés dans la revue Les cahiers de lexicologie. Onpouvait y lire un article de Jean Dubois intitulé « Lexicologie et analyse d’énoncé », oùl’analyse du vocabulaire était présentée comme une partie de l’analyse des

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performances verbales, c’est-à-dire du discours, excluant la possibilité d’isoler l’analysedu vocabulaire de l’analyse des énoncés.

Ce dernier principe a beaucoup intéressé Mudimbe, qui fera du mot le pointd’ancrage de l’AD au Congo/Kinshasa. Ce qui, plus tard, suscitera un intérêt accru deschercheurs s’intéressant à la sociolinguistique : le mot, un désignatif abstrait acquiert savéritable valeur dans l’énoncé grâce au phénomène d’énonciation.

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S’inspirant des modèles des Cahiers de lexicologie, Mudimbe initie dans les années70 des recherches sémantiques et lexicales qui s’inscrivent dans la traditionphilologique. Celle-ci exige l’intelligence du texte par l’analyse des contenus formel etfonctionnel. Ce qui implique la connaissance grammaticale, lexicale, syntaxique de lalangue.

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L’on sait que son portrait intellectuel porte les marques de divers maîtres, notammentLouis Althusser qui associe le concept d’idéologie emprunté au marxisme à celuid’inconscient, objet de la psychanalyse ; Michel Foucault qui s’interroge sur les rapportsentre pratiques discursives et pratiques sociales ; et Jacques Lacan dont l’approche a lemérite d’intégrer la linguistique saussurienne dans la reprise de Freud et d’aborder lafolie, autant qu’elle permet de comprendre l’être de l’humain.

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Mudimbe s’est aussi intéressé aux travaux de Harris : la traduction française de« Discourse analysis » (1959 [1956]) a captivé son esprit. Mais, dans ses travaux, ilemprunte sa méthode à Dubois qui part des principes généraux énoncés par Harris : lasegmentation et les transformations, et il inscrit dans cette opération grammaticalel’analyse du sens.

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Il est alors intéressant de se poser des questions sur les fondements de la recherchede Mudimbe. Partant des écrits et des discours politiques des Congolais, Mudimbecherchait à savoir si le vocabulaire politique du Congo était différent de celui des autrespays francophones, en l’occurrence la Belgique et la France ; s’il était organiséautrement et s’il était influencé par les langues et les cultures congolaises.

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Mais, dans la recherche d’une originalité par rapport à ses formateurs occidentaux,Mudimbe introduit dans l’analyse du discours les techniques de l’imaginaire (études desimages significatives et des représentations) et de l’argumentation. Cette étudeanalytique avec des détails grammaticaux n’avait pas de jonction avec les enjeuxidéologiques et politiques du pays. C’est notamment le cas des articles publiés en 1973,1976 et 1978, respectivement dans les revues Linguistique et Sciences humaines, Centred’études de linguistique théorique et appliquée (Celta), et Recherche linguistique.

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Certains travaux parmi tant d’autres menés par les étudiants portaient sur l’étudeformelle du vocabulaire (champ lexical, dérivation, composition). A ce sujet, SesepN’Sial (1993 : 39) note que « la morphologie se ramène à l’étude des procédés formelsde créativité et d’enrichissement lexical ainsi du système des genres […] et que desrecherches ont prouvé que le vocabulaire ou mieux le lexique du français zaïroisprovient de diverses sources et peuvent être structurés selon plusieurs critères dont lecritère morphologique ». Aussi donne-t-il l’exemple des opérateurs nominaux verbaux,suffixés ou préfixés de quelques mots, parmi lesquels Zaïre : zaïrois, zaïroiserie,zaïriser, zaïrisme, zaïrianisme, zaïrianéité, zaïrologue, zaïriades, zaïrianiser.

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On voit déjà, à ce niveau, le manque d’intérêt de Mudimbe pour la politique active deson pays, ou son refus de s’y engager.

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Ses études se situent à cheval entre plusieurs disciplines : philosophiques,économiques et sociologiques. C’est dans ce sens que la thèse de Nyunda Ya Rubango,parmi les travaux du début, sur l’Analyse du vocabulaire politique du Zaïre(1960-1965), ouvre de nouvelles perspectives. On peut aussi citer, en 1980, la thèse deNtamunoza Mambo-Mbili, Vocabulaire et idéologie dans la chronique de la société desmissionnaires d’Afrique (1892-1900), et celle de Matumele Maliya sur l’Analyse

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Ce qui fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont tropfraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notremémoire. Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires quine nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous logerdécemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu lesironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parceque nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un noir on disait « Tu », non certescomme à un ami, mais parce que le « Vous » honorable était réservé aux seulsblancs ?Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, quine faisaient que reconnaître le droit du plus fort, nous avons connu que la loin’était jamais la même, selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir,accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avonsconnu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou, croyancesreligieuses : exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mortmême. Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiquespour les blancs et des paillotes croulantes pour les noirs : qu’un noir n’était admisni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens,qu’un noir voyageait à même la coque des péniches au pied du blanc dans sacabine de luxe.Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou les cachots oùfurent brutalement jetés ceux qui ne voulaient pas se soumettre à un régimed’injustice ?(cité dans Van Lierde J., 1963, La pensée politique de Patrice Lumumba, Paris,Présences Africaine, 198-199).

linguistique du discours politique de « Notre Kongo » (1959-1960).Les études d’AD, orientées vers l’imaginaire (la rhétorique) et la sémantique du

discours, vont attirer l’attention des chercheurs : elles montrent comment levocabulaire, les images et les figures du discours sont assumés par la langue pourexprimer les sentiments, indiquer les positions sociale et culturelle, révéler les objectifsd’un groupe. Cette voie conduit à appréhender ce que le comportement linguistique desgroupes sociaux révèle de spécifique et de particulier.

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La démarche circonscrit donc la description du langage, la découverte des valeursd’emplois marqués dont le langage est investi par le biais de certaines réalitésextralinguistiques.

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Dès lors, l’analyse fait ressortir les fonctions assignées au langage : mettre en lumièrela manière dont certaines normes socioculturelles assujettissent le langage etdéterminent le comportement linguistique. A ce sujet, Matumele étudie la spécificité dudiscours politique de Notre Kongo, une revue de l’époque coloniale, dans son originalitépar rapport au discours politique occidental. Il s’écarte de la démarche lexicologiqueclassique et prend en compte tout ce qui entre en jeu dans l’acte de communication : lesfaits de langue, les déterminations psychologiques et sociopolitiques qui influencent lelocuteur, bref le contexte dans lequel le discours est produit. C’est déjà une disparitédans le principe posé au départ, celui de la démarche lexicologique.

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Enfin, pendant cette période, les études menées dans le cadre de l’AD visaient larecherche de l’originalité du discours politique congolais. Aussi recherchait-on desmarques particulières au niveau des associations, des identifications et des oppositionsentre le vocabulaire politique et les images significatives ; des créations nouvelles aussipar rapport au vocabulaire politique de la langue française. Un extrait du discours dep. E. Lumumba prononcé le 30 juin 1960 marque l’opposition entre colonisé etcolonisateur et permet d’apprécier les spécificités du discours au niveau des associationset /ou oppositions :

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Dans ce texte, nous pouvons en effet remarquer que le blanc élevé à l’honorabilité estdésigné par « vous », le « tu » de mépris étant utilisé à l’égard des Noirs. Les mélioratifs

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3. Période de 1981 à 1997

Ainsi Paul Bolya se sent absous de son péché, car demander l’indépendance quandon appartient à un parti à la solde de l’Administration coloniale, c’est vraiment unpéché mortel (17 février 1960, p. 3).

Ironie du sort, M. Kanza est puni par où il a péché (3 avril 1960, p. 5).

sont associés au désignatif blanc et les dépréciatifs au désignatif noir. Mais lesexpressions souffrances atroces, paillotes croulantes, coque des péniches et l’adjectifinhumaine se trouvent ainsi opposés à cabine de luxe, magnifiques, cruelle.

Mais le départ de Mudimbe du pays en 1980, pour des raisons personnelles,décourage les disciples qui, sous la pression sans doute des politiques congolais, nepeuvent analyser les textes non conformes aux opinions des gouvernants. Ce quipréfigure un vide dans l’exercice de l’AD.

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Cette période est relativement peu productive de travaux en AD. C’est peut-être aussiune question de recherche de la nouveauté : on a étudié, suivant les époques, lesemprunts, les interférences, le vocabulaire politique, la grammaire générative, etc. Avecle vent de la Perestroïka, la plupart des intellectuels se lancent dans la politique active.Les chercheurs ne bénéficient pas de financements, les étudiants n’ont pas de bourse.Autant de facteurs qui expliquent a posteriori la léthargie au niveau de la rechercheuniversitaire nationale.

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Néanmoins, quelques travaux élaborés à l’étranger peuvent être cités en cette période.En 1983, à l’Université de Bordeaux III, en France, Romain Kasoro Tumbwe présenteles résultats de ses recherches sur le vocabulaire de la rébellion à l’Est du Congopendant les années 1964-1965. Dans l’analyse, il tient compte non seulement du sensdes mots dans les discours (emplois, valeur, champs sémantique et lexical, définitionsdes concepts), mais aussi de leurs fonctions discursives, de leurs rapports avecl’idéologie des discours, de l’effet de l’idéologie sur le(s) sens des mots. Il se proposeainsi de dégager le contenu idéologique de ces discours et d’en découvrir la sémantique.

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En effet, « pour apprécier des comportements ou des hommes politiques, NotreKongo se réfère soit au passé glorieux kongo, soit à la tradition, bref à la culture kongo.Celle-ci est magnifiée ; tout ce qui fait partie de la culture kongo fait l’objet d’éloge. A telpoint qu’il y a une sorte d’équation des discours de Notre Kongo : la culture kongo estbonne, donc le comportement politique des Bakongo est bon. » (Matumele Maliya,1980 : 294).On peut aussi découvrir dans Notre Kongo la valeur de manquement moralaccordée au mot « péché » :

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Encore une fois, il s’agit de la spécificité du vocabulaire politique (de la rébellion del’Est, différent des discours de leurs adversaires) ou encore du vocabulaire des groupespolitiques. Ce qui augure une disparité entre l’appartenance politique et le vocabulaireutilisé. Le vocabulaire est ainsi adapté à l’expression des besoins, des préoccupations,des objectifs ou idéaux des groupes.

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La même année, à la Sorbonne nouvelle, à Paris, Bajana Kadima Tshimanga analyseles écrits d’évolués congolais parus dans La Voix du Congolais, une revue de l’époquecoloniale de janvier 1945 à décembre 1959. Il s’agissait du vocabulaire des associationsculturelles (entre autres) ou plutôt des groupes représentés par des partis politiques.

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Dans les travaux réalisés en France, la démarche est principalement lexicologique etvise l’appréhension du sens des mots dans les productions orales et/ou écrites desgroupes sociaux et politico-militaires de la République démocratique du Congo pendant

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4. Période de 1997 à 2009

ou après la période coloniale. Le travail d’Ilunga Kandolo, présenté à Rouen, en 1994,sur le discours politique de Lumumba (1958-1961), plonge le lecteur dans une analysebasée sur le modèle de la grammaire générative et transformationnelle. On se trouve enprésence des concepts et des règles élaborés pour le fonctionnement linguistique desobjets linguistiques. L’étude s’organise ainsi autour de la syntaxe considérée comme« lieu théorique central où s’articulent les concepts de structure profonde et de structuresuperficielle » (Slakta 1971 : 62). C’est encore l’univers sociopolitique du Congo de lapériode coloniale et postcoloniale, qui est le centre de l’activité discursive.

La reprise de la coopération internationale grâce au changement de régime intervenule 17 août 1997 marque un fait déterminant pour la relance de la recherche en RDC. Desprojets sont mis à jour. L’AD se libère des carcans politiques. Elle traite de toutematière, sans limites. Les discours politiques non favorables au régime peuvent êtreanalysés sans crainte de poursuite de l’analyste par la police politique.

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Entretemps, les sociolinguistes analystes du discours congolais prennent en compteles apports de la sociologie, de la psycholinguistique, de l’anthropologie et de la sciencepolitique africaine lors des études d’AD, et ils tiennent à l’adoption d’une positioncritique vis-à-vis des réflecteurs épistémologiques et méthodologiques. Dans cette voie,s’inscrivent les travaux de François Mpamba (2002), qui, dans sa thèse sur l’Analyse dudiscours syndical en République Démocratique du Congo (1960-1986). Essai desociolinguistique praxéologique, paraît répondre à l’une des préoccupations deschercheurs sociolinguistes.

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Cette thèse, en effet, intègre dans ses réflecteurs épistémologiques etméthodologiques un procédé de la sociologie du langage, en l’occurrence la méthodepraxéo-interdiscursive initiée par Kambaji wa Kambaji (1985 et 1997) dans lapraxéologie du langage. Celle-ci considère que le discours ou toute productionlangagière est une « praxis », c’est-à-dire une action susceptible de provoquer destransformations sociales sur terrain. Cette méthode, qui, selon Kambaji wa Kambaji(2006 : 96-99), facilite la découverte du sens sociologique du discours, est unedémarche théorique et appliquée ; et elle permet de reconstituer la raison d’être devaleurs sociales et culturelles qui sous-tendent les œuvres significatives. Elle comprenddes opérations d’identification, de thématisation et de classement. La premièreopération s’intéresse aux indices syntagmatiques et paradigmatiques dans la mise enrelation des segments langagiers avec le savoir partagé d’une communauté. Lathématisation consiste dans la rétention des thèmes récurrents dans le discours ; leregroupement des séquences significatives à analyser constitue l’essentiel de l’opérationde classement. C’est finalement la reconstitution du sens sociologique ou praxéologiquedes pratiques langagières qui devient le fondement de la recherche.

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Dans cette veine, François Mpamba analyse le discours syndical congolais pluraliste(1960-1967) et unitariste (1967-1986). Le discours pluraliste constitue le reflet de lapériode du pluralisme syndical au Congo, alors que le discours unitariste représentel’espace du monolithisme syndical.

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En effet, avec l’accession du pays à l’indépendance, les structures politiques sontencore démocratiques, puisque les Assemblées provinciales continuent à siéger. Il fautattendre deux ans après le coup d’Etat militaire du 24 novembre 1965 pour voir le paystomber dans la dictature avec la création du Corps des Volontaires de la Révolution(CVR), qui sera transformé en Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), organedu futur parti-Etat.

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5. En conclusion

François Mpamba compare les deux sortes de discours du point de vuesociolinguistique et praxéologique.

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Mais la question principale est restée la même depuis 1970 : elle consiste dans larecherche des spécificités du discours (dans ce contexte, syndical pluraliste ouunitariste) congolais, leurs contrastes et leurs convergences au niveau sociolinguistiqueet praxéologique. Et l’on peut se demander si ces deux types de discours évoquent unesymbolique de libération ou une représentation de la marginalisation du peuple.

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C’est dans l’optique de la libération des Congolais qu’Alexis Matangila Ibwa travailleen 2004 sur Les enjeux de l’analyse pragmatique du discours des Eglises de réveil enRépublique Démocratique du Congo. Dans sa démarche qui est pragmatique, l’auteursubdivise d’abord le champ idéologique du christianisme en plusieurs formationsdiscursives antagonistes dont l’Eglise catholique, l’Eglise protestante, les Eglises deréveil et le kimbanguisme. Ensuite, il pose l’hypothèse selon laquelle chaque formationdiscursive détient une enveloppe spécifique de données lexicologiques, une grammaireparticulière du discours et ses propres stratégies langagières. Ses recherches ontessentiellement porté sur l’analyse du discours des Eglises de réveil grâce à une grilleanalytique ancrée dans l’énonciation et la pragmatique argumentative.

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Me conformant au modèle classique de l’AD, j’ai étudié, en 2006, Le vocabulairepolitique des leaders nationalistes congolais : de p. E. Lumumba à L.D. Kabila. J’aidécrit le contexte sociopolitique dans lequel ont évolué les leaders politiques et j’aiprésenté les conditions de production des discours avant d’en établir les genres. Puis, àpartir de la syntaxe, j’ai étudié la fonction (des mots révolution, indépendance, ennemi,libération, etc.) qui traduit le rôle des référents, et détermine le contenu idéologique desmots du discours.

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Cette démarche facilite la connaissance de l’évolution du sens des mots en Républiquedémocratique du Congo et contribue à l’histoire des idées politiques et à la connaissancedes usages linguistiques du Congo.

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Actuellement, à l’Université de Lubumbashi où V.Y. Mudimbe avait initié lesrecherches en AD, un vide s’est créé dans ce domaine ; et des chercheurs ne semblentpas s’y intéresser. Ceux-ci envisagent la pragmatique comme méthode et lasociolinguistique comme discipline. La pragmatique joue de cette manière un rôleimportant dans l’organisation de la recherche à Lubumbashi.

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En revanche, à l’Université de Kinshasa, autour de R. Kasoro Tumbwe, un laboratoires’organise et se fixe pour objectifs la constitution d’une banque de données et des corpussur le discours social et culturel congolais, la description et l’analyse de différents typesde discours produits en République démocratique du Congo et l’étude de leurs procédésinteractifs et cognitifs. Le laboratoire vise aussi l’amélioration de la connaissance desreprésentations des sociétés africaines, et croit, de cette manière, éclairer les opinions,les idées, les mentalités et les faits sociaux que véhicule le discours social.

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De son côté, Léonce Bouka mène avec des groupes d’étudiants, des rechercheséparses en statistique linguistique. Il examine les productions culturelles africaines eten évalue la valeur à partir des calculs des produits matriciels.

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L’analyse du discours en RDC s’occupe des vocabulaires politique et social. Les motssont employés dans des énoncés et se rapportent aux structures et institutionspolitiques et religieux, aux idéologies et aux formes de gouvernement. Ils sont, en fait,inséparables des constructions phrastiques auxquelles ils sont associés.

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Le triptyque « colonialisme – indépendance – nationalisme » résume ces études du44

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Bibliographie

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discours de 1970 à 1997. Les emprunts aux langues nationales et l’emploi des procédéssémantiques d’extension et de restriction de métaphore favorisent une abondantecréativité lexicale.

L’AD traite donc des spécificités du vocabulaire congolais. Elle soulève la question del’interprétation des énoncés produits ou effectivement réalisés et s’appuie notammentsur la syntaxe et la sémantique en vue de la découverte des valeurs assignées aux motset aux énoncés considérés.

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Mais les travaux réalisés à partir des années 2000 prouvent, par la diversité descontenus de leur analyse, que l’AD ressemble à une discipline carrefour de lalinguistique où la grammaire, la syntaxe, la pragmatique et la sociolinguistiqueconcourent à la véritable expression du sémantisme discursif.

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On peut aussi constater qu’en RDC, l’AD n’a pas connu une évolution systématiquedes principes méthodologiques de fond. Le cheminement s’apparente, dans la quasi-totalité des cas, aux modèles d’analyse préconisés par les différents Centres derecherches qui ont émaillé les écrits français en AD : déstructurer le texte pour rendreplus visible sa lisibilité. C’est justement ce principe contenu dans les textes de Harris(1951), repris par Dubois (1962 ; 1968) et ses disciples, et vulgarisé par Régine Robin(1973) qui conditionnent la diversité des orientations des recherches actuelles en AD enRDC.

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Actuellement, les analyses en RDC se focalisent sur le discours politique, religieux etsyndical. Sur le plan théorique, l’interaction, la sociolinguistique, la rhétorique et lasémantique constituent l’essentiel des préoccupations du groupe de l’Université deKinshasa dont les recherches visent la découverte d’une méthode à appliquer auxréalités congolaises des discours.

48

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Pour citer cet article

Référence électroniqueAntoine Musuasua Musuasua, « Analyse du discours en République démocratique du Congo :état des lieux », Semen [En ligne], 29 | 2010, mis en ligne le 01 avril 2010, consulté le 19 juillet2014. URL : http://semen.revues.org/8761

Auteur

Antoine Musuasua MusuasuaUniversité de Kinshasa – RDC

Droits d’auteur

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Revue de sémio-linguistique des textes et discours

29 | 2010 :La théorie du discours. Fragments d'histoire et de critiqueRencontres et voyages

« As idéias fora do lugar » : unehistoire des enjeux dudéveloppement de l’Analyse duDiscours (française) au BrésilCARLOS PIOVEZANI ET FERNANDO FELÍCIO PACHI FILHO

p. 53-66

Résumés

C’est à partir du présupposé selon lequel la consolidation de l’analyse du discours (AD) au Brésildémontre et reproduit d’une certaine façon la force et la faiblesse des actions et des penséesbrésiliennes et de notre propre contact avec la production scientifique nationale et française quenous avons relaté ici une version de l’histoire de quelques enjeux du développement de l’AD(française) au Brésil, depuis les années 1980. Cette histoire essaie de réfléchir sur ses dimensionsépistémologiques et institutionnelles, dans l’objectif i) de reconnaître ce qui a été fait et de garderà l’esprit ce qui reste à faire, ii) de se souvenir de nos filiations afin de ne pas céder à la séductionfacile de la nouveauté et au risque de la lassitude, et iii) de se débarrasser du poids de l’hérédité,afin de dépasser certaines limites qui ne sont déjà plus les nôtres.

Based on the assumption according to which the consolidation of Discourse Analysis in Brazilshows and reproduces, to a certain extent, the strenght and weakness of Brazilian people’s actionsand thoughts, and of our own contact with the national scientific and French production, wedescribe a version of history which shows issues related to the development of the (French)Discourse Analysis in Brazil, since the 80’s. This point in history attempts to reflect upon itsinstitutional and epistemological dimensions aiming at i) recognizing what has been done or isstill to be done, ii) recalling our relations in order not to surrender to the new and preventing therisk of lassitude and iii) gettting rid of the weight caused by inheritance, so as to avoid limitationswhich do not belong to us anymore.

Entrées d’index

Mots-clés : Analyse du discours, Brésil, Lieu théorique, Lieu institutionnel

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Keywords : Discourse Analysis, Brazil, Theoretical place, Institutional place

Notes de l’auteur(Note 1) « Les idées hors du lieu » reprend le titre d’un célèbre article du critique littéraireRoberto Schwarz, dans lequel Schwarz réfléchit sur l’étrange circulation des idées libérales auBrésil esclavagiste du XIXe siècle et sur la présence constante du faveur dans les rapports publicsentre les hommes libres à cette époque-là.

Texte intégral

1. À la recherche des lieux perdusJean-Jacques Courtine nous répète souvent un énoncé que Michel de Certeau

affectionnait : « Penser, c’est passer ». Si la pensée a pour vocation de transformer et dese transformer, alors elle ne peut ni ne devrait avoir d’unité étroite et d’identité absoluedans ses déplacements dans le temps et l’espace. L’âme des idées se matérialise dans lecorps de l’histoire, un corps qui est constitué par des relations d’entente et de conflit,par un ensemble hétérogène de pratiques et de représentations qui se modifient aucours des époques et des lieux. La constitution et la circulation du savoir n’échappentpas à cette règle. Les théories et les méthodes qui sont conçues sur le Vieux Continent etqui sont introduites dans le Nouveau Monde le montrent bien. Ainsi, les « mêmes »idées ne correspondent pas à la même pensée, que ce soit aujourd’hui ou hier, ou biende part et d’autre de l’Atlantique.

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Le développement de l’analyse du discours (AD) au Brésil le démontre. Il s’agit d’unepartie d’un tout qui se répète ici depuis longtemps et qui expose encore une fois ce quenous pouvons faire de meilleur ou de pire : d’un côté, une capacité à adapter despratiques et des pensées étrangères, à les réélaborer et les développer jusqu’à ce qu’ellesnous deviennent familières ; de l’autre, une banalisation des idées et un manque derigueur et de constance dans la mise en œuvre des procédures opérationnelles.L’observation et l’expérience montrent que chaque culture expérimente, absorbe,assimile et/ou reproduit les héritages d’autres traditions de pensée, seulement s’ilss’ajustent et s’accommodent à ses façons d’agir et de penser. L’AD et le Brésil sont nésde la même manière, selon un processus qui unit le distinct pour créer une unitédiverse, et c’est peut-être là la raison pour laquelle l’AD s’est si bien implantée dans cepays. Une fois de plus, on a instauré au Brésil un mélange plus ou moins bien réussi dedifférences, un mélange qui est à la fois fort et faible et qui nous rappelle les jambes« magiques » et pourtant tordues du joueur brésilien Garrincha, qui représenterait doncà lui seul la métaphore parfaite des plaies de notre retard et des promesses de notreoriginalité (Wisnik, 2008).

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C’est à partir de ce présupposé et de notre propre contact avec la productionscientifique brésilienne et française que nous avons l’intention de relater ici une versionbrésilienne de l’histoire des développements de l’AD au Brésil. Nous n’aurons pas laprétention d’être objectifs, car nous faisons nous-mêmes partie de cette histoire. Maisnous nous attacherons à montrer les aspects positifs et négatifs du processus deconsolidation de ce champ de savoir au Brésil. Cela ne se fera pas sans risque, car lamémoire qui imprègne l’histoire ne respecte pas toujours la chronologie, et sélectionnenos souvenirs en fonction de contingences extrinsèques et d’intérêts intrinsèques. Ainsi,le présent d’une discipline n’hérite pas du passé, mais le construit à sa manière, dans unprocessus où les dimensions épistémologiques et institutionnelles sont indissociables. Il

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va donc s’agir ici de formuler certaines réflexions sur la consolidation de l’AD au Brésil,et de faire part de nos impressions quant à ce processus.

Les chercheurs qui étudient la formation et le développement de l’AD dans le contextebrésilien ont été, et sont encore, les protagonistes de cette histoire. Même si leurs récitssont intéressants, ils n’en demeurent pas moins intéressés. Les innombrables versionsde cette histoire correspondent à un ensemble diversifié d’interprétations qui varientselon les préférences théoriques et/ou les convenances institutionnelles. À l’avenir, ilserait bénéfique de pouvoir compter sur une histoire de l’AD dans notre pays qui seraitécrite par un « autre ». Un « autre » qui s’y trouverait moins impliqué, et qui sauraitprendre en compte les spécificités de l’implantation de l’AD au Brésil, qui considèreraitles échanges avec les chercheurs français, les premiers développements, les articulationsentre les groupes de recherche et les faux et vrais changements d’idées. Pour le moment,ce sont des analystes du discours brésiliens qui font et qui racontent l’histoire de l’AD auBrésil ; nous n’y échappons donc pas, mais il serait temps de commencer à « casser lesmiroirs », puisque « Narciso acha feio o que não é espelho [Narcisse trouve laid ce quin’a pas de reflet] ». D’autres difficultés apparaissent alors : au Brésil, l’AD est une« science » sans passé qui est passée dans le sol brésilien et constitue donc unenouveauté qui séduit et fascine, ce qui explique la grande hétérogénéité des études dudiscours sur le plan national. Une hétérogénéité qui reproduit à sa manière la diversitéqui s’est créée en Europe et en Amérique du Nord.

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On sait bien que les premières « analyses » linguistiques sont apparues en Europe auVIe siècle av. J.-C. avec la mousiké des Grecs. Depuis lors, l’histoire des idéeslinguistiques a oscillé entre des continuités de longue et de moyenne durée et desdiscontinuités conjoncturelles et événementielles. C’est au XIXe siècle que surgissentdes prétentions scientifiques. Au cours de ce siècle et jusqu’au milieu du XXe, les étudeslinguistiques ont conçu différents objets théoriques, comme le changement linguistique,la langue, la compétence, la parole et la variation. À partir de la seconde moitié du XXe

siècle, des théories énonciatives, pragmatiques, textuelles et discursives sont apparues.L’objectif était d’analyser les différents aspects de l’usage linguistique. C’est cetensemble de connaissances acquises dans la longue durée qui a brusquement débarquéau Brésil. Les études du discours, à leur tour, ne commencent à circuler entre nous qu’àpartir des années 70, avec l’arrivée d’une diversité incroyable de théories et de méthodesétrangères. Fiorin (1999) souligne la présence au Brésil de cinq orientations théoriques :l’analyse du discours de tradition française2, l’analyse du discours anglo-saxonne,l’analyse de la conversation, la linguistique textuelle et la sémiotique greimassienne.L’hétérogénéité de ces courants théoriques augmente considérablement au fur et àmesure des alliances et des querelles, que ce soit entre des courants différents ou au seind’un même courant théorique.

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Dans cet article, nous traiterons seulement des développements de l’AD de« descendance » française au Brésil, et particulièrement la tradition qui suit la lignée deMichel Pêcheux et qui s’est diffusée et institutionnalisée au Brésil dans les années 80.Aussi, nous nous baserons sur certains points pris en compte directement ouindirectement par Courtine (1986, 2005), Maldidier (1990), Gregolin (2004), Ferreira(2005) et Orlandi (2005). À partir de ces auteurs, nous pouvons affirmer que leparcours des idées de Pêcheux et de son groupe est fondamentalement différent auBrésil et en France. Alors que la pensée de Pêcheux est omniprésente au Brésil, dans lamesure où elle y est une source de postulats fondamentaux, d’inspiration théorique enmême temps que de légitimation institutionnelle, elle tend à être passée sous silence enFrance et ce relativement tôt dans le processus de formulation et de reformulation del’AD. Cette citation de Maingueneau illustre de manière exemplaire la dilution oul’effacement de ces contributions :

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Il est difficile de retracer l’histoire de l’analyse du discours puisqu’on ne peut pas lafaire dépendre d’un acte fondateur, qu’elle résulte à la fois de la convergence decourants récents et du renouvellement de pratiques d’études des textes trèsanciennes (rhétoriques, philologiques ou herméneutiques) (2002, p. 41).

Je voudrais dire ici que ni Michel Pêcheux, ni ceux qui étaient avec lui à l’originedu projet d’AD, n’ont jamais employé ce terme, ou, s’ils l’ont fait, ne s’y sont jamaisreconnus. L’expression a été généralisée après-coup par ceux qui ont, peu après lemilieu des années 70, cru bon de devoir produire les premiers manuels d’AD, dontle dictionnaire cité plus haut [Charaudeau et Maingueneau, 2002] n’est que leprolongement le plus récent. Cela nous invite à distinguer, de la fin des années 60à celle des années 70, dans la phase initiale de construction d’une analyse dudiscours, deux projets qui ne sont en rien superposables, ni réductibles l’un àl’autre : celui de l’élaboration théorique et celui de la territorialisationdisciplinaire. Je voudrais à cet égard rappeler ici, d’une part, que le travail deMichel Pêcheux dans les années 70 était entièrement investi dans la constructionthéorique et l’invention méthodologique, et que les préoccupations disciplinaireset pédagogiques lui étaient entièrement étrangères ; d’autre part, que l’expression« école française d’AD » ne tenait aucun compte des contradictions quitraversaient alors le domaine. Ces divergences étaient tout d’abord conceptuelles,et méthodologiques : ceux qui, précisément, avaient inventé à l’origine le termed’« école française » étaient les tenants d’une conception contrastive des discours,dont ils pensaient l’univers en termes de typologie, ce à quoi Pêcheux, moi-mêmeet quelques autres opposions la notion de formation discursive, conçue à partir descontradictions qui faisaient des formations discursives des unités divisées,nullement réductibles à un cadre typologique. Leur « école française » n’était enrien la nôtre : elle constituait plutôt l’une des tendances contre lesquelles nousnous efforcions de bâtir une théorie du discours » (2005, p. 27).

La tentative de faire converger deux temporalités de pratiques disciplinairescollectives et absolument anonymes, à partir desquelles apparaîtrait l’analyse dudiscours, est en fait une version endogène et donc nécessairement intéressée de cettehistoire. Certains analystes français du discours, de la « seconde génération », donnentainsi plus facilement un air de nouveauté à leurs formulations en faisant abstraction desapports théoriques laissés par Pêcheux et son groupe, et par Foucault.

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Cet effacement est encore accompagné par une autre version endogène nondépourvue d’un certain anachronisme : a) les réalisations de la première génération dechercheurs sont jugées obsolètes et dépassées, dans une vision analogue à celle queportent les Modernes sur un Moyen-Âge considéré comme « l’Âge des ténèbres » ; et b)de façon contradictoire, la disciplinarisation et l’institutionnalisation actuelles sontprojetées sur les pratiques théoriques d’hier, comme si elles étaient dans la continuitéles unes des autres (Courtine, 1986). C’est la raison pour laquelle Maingueneau parled’une « École française d’analyse du discours » (2002, p. 201). Courtine acatégoriquement rejeté cette étiquette :

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Cet effort pour passer sous silence les travaux de Pêcheux et de son groupe, poureffacer leur présence n’est pas neutre : le silence et l’effacement sont aussi un mode deconstitution et de formulation du discours et, bien entendu, ils produisent du sens.Dans le discours de certains analystes français, l’œuvre de Pêcheux fonctionne ou biencomme un oubli, ce qui permet à une production scientifique contemporained’apparaître ex nihilo ou à partir d’une tradition lointaine et sans nom, ou bien commeun corps doctrinaire cristallisé et dépassé contre lequel on polémique et/ou qu’oncherche à maintenir dans l’ostracisme.

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Alors qu’en France, on a péché par omission, au Brésil, on a péché par excès. AuBrésil, Pêcheux et son groupe sont omniprésents dans l’AD : nos pratiques se fondentsur leurs idées et leurs méthodes, qui se perpétuent constamment sous la forme de

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2. Le lieu théorique

continuités relatives, d’inflexions et de reformulations. Ces apports théoriques sont eneffet reçus au Brésil de diverses manières, qui vont de simples applications commodeset passives de la théorie jusqu’aux changements et avancées qui résultent de l’effort etdu talent de certains chercheurs. C’est parmi ces ambivalences que nous croyonspouvoir mieux comprendre les enjeux du développement de l’AD au Brésil. Dans ceprocessus, l’oeuvre du groupe de Pêcheux y reçoit une juste reconnaissance. Elle est à lasource de développements incontestables, et elle légitime l’implantation et lerenforcement institutionnel de l’AD.

L’implantation et la consolidation de l’AD au Brésil s’est effectuée par le biais de laspécificité du discours en tant qu’objet théorique, à l’encontre des notions comme cellesde parole, de communication, de texte et d’interaction, par exemple. Parmi les étudeslinguistiques, alors que d’autres courants traitent des divers aspects des usages de lalangue, l’AD cherche à décrire et à interpréter la constitution, la formulation et lacirculation du sens dans la société, à travers une articulation entre la langue et l’histoirequi reste indissociable et indispensable. Dans des conditions de productiondéterminées, au sein d’alliances et de conflits politiques et sociaux, c’est l’ordre dudiscours qui contrôle le dire et qui produit les effets de sens : des paraphrases viennentpermettre et restreindre l’usage des mots, donner des limites à leur polysémie.

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L’entreprise épistémologique de Pêcheux présupposait un « changement de terrain »qui était aussi une déterritorialisation disciplinaire, critique des insuffisances de lalinguistique et des sciences sociales : l’utilisation de la langue dans l’histoire n’est ni unecombinaison d’unités formelles comme la linguistique le laisserait entendre, ni mêmeune circulation de contenus qui serait indépendante de sa formulation symboliquecomme les sciences sociales pourraient le croire. Sous l’égide du matérialismehistorique, l’articulation entre la linguistique et la psychanalyse permettait l’apparitiond’un nouveau domaine théorique où la langue, le sujet, l’histoire et le sens sont conçusdans le cadre de relations sociales dans lesquelles les savoirs et les pouvoirs ne sedissocient pas. Ces principes qui proviennent de l’AD de Pêcheux et de son groupe, ainsique des apports de Foucault, sont aujourd’hui incontournables pour l’AD qui estpratiquée au Brésil. Ils sont devenus le fondement sur lequel reposent lesreformulations et les approfondissements de nos réflexions théoriques et de nospratiques analytiques.

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En dépit des reformulations entreprises par Pêcheux et son groupe dans leurs proprestravaux et malgré les progrès réalisés par des analystes brésiliens, certains chercheursmoins expérimentés, ou d’autres plus conformistes, ont encore une prédilection pourdes postulats et des notions qui ont été conçus durant une période qui s’étend de laseconde moitié des années 60 jusqu’à la publication de Les vérités de la Palice (1975). Ils’agit d’une période au cours de laquelle le matérialisme althussérien est omniprésentchez Pêcheux. Même dans les réflexions et dans les analyses des meilleurs représentantsde notre AD, la dimension historique reste essentielle, et ce indépendamment du faitqu’elle peut y être considérée selon le matérialisme historique ou selon la généalogie deFoucault. Si ceci implique que nous sommes peut-être de nouveau en train de pécherpar excès, nous nous rachèterons grâce à l’esprit critique que l’AD au Brésil a hérité deses premiers fondements français. Quand en France, on péche une fois de plus paroubli, c’est à dire par une quasi-absence d’horizon historique et critique dans la majeurepartie des recherches actuelles.

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Au Brésil, certains travaux ont pris en compte les réflexions autour des nouvelles14

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C’est sans doute au Brésil, essentiellement à Campinas, dans des travaux dirigéspar Eni Orlandi, que la question du sujet, organisée par l’idéologie et parl’inconscient, a pu être la plus complètement explorée. Les équipes ont à la foisune excellente connaissance des textes fondamentaux de l’AD (tout a été traduit)et une double pratique de l’AD, par la critique et par la mise à l’épreuve sur descorpus diversifiés : corpus de discours civilisateurs, civilisés, censurés, instituants,institués, en contact, en conflit, dans des institutions comme les académies, lesuniversités, l’école, la rue, dans les outils linguistiques que sont les manuels, lesgrammaires, les dictionnaires, et dans une langue diverse et divisée, en portugais,en brésilien, en langue générale (tupi), à travers tous les régionalismes quiconstituent les léxiques brésiliens ou portugais (2005, p. 62).

3. Le lieu institutionnel

théories historiographiques et n’ont pas manqué d’en absorber les contributions les plusimportantes pour l’AD. Les analyses et les réflexions qui font ressortir la dimensionhistorique et/ou qui établissent des dialogues interdisciplinaires entre l’AD et lesnouvelles tendances de l’historiographie contemporaine, se sont développées de lamême manière que les études de l’AD qui entretiennent une relation avec lapsychanalyse et qui s’intéressent aux rapports entre l’idéologie et l’inconscient3. À titred’exemple, nous mentionnerons deux cas d’études brésiliennes qui thématisentl’histoire, et qui travaillent sur sa présence et sa portée dans les discours. D’abord, leprojet História das ideias linguísticas no Brasil, en cours de développement, qui réunitdes chercheurs brésiliens de l’UNICAMP, de l’USP, de l’UNESP, de l’UFRGS, de l’UFMGet de l’UFSM et des chercheurs européens, principalement du Laboratoire d’histoire

des théories linguistiques (de l’ENS Lettres et Sciences Humaines de Lyon et del’Université de Paris VII). Il s’agit en fait d’un macro-projet qui comprend quatreprojets et un ensemble diversifié de recherches qui manifestent ou présupposent desconceptions de l’histoire consistantes.

Ensuite, le second cas d’études en AD qui attise un vif débat sur le rôle joué parl’histoire dans la production et l’interprétation des discours, comprend les groupesGEADA (Grupo de Estudos de Análise do discurso de Araraquara) del’UNESP/Araraquara, et LABOR (Laboratório de Estudos do Discurso) de l’UFSCar. Ilsse distinguent par des discussions sur les bases épistémologiques de l’Analyse dudiscours, et sur la présence et la portée de l’œuvre de Michel Foucault dans l’AD. Lestravaux du LABOR ont notamment été menés à partir d’un dialogue constant avecJean-Jacques Courtine. On a cherché à partir de cet échange à approfondir la dimensionhistorique du discours, afin de prendre en compte les formulations syncrétiques desdiscursivités politiques contemporaines (cf. Piovezani, 2005, 2009 et Sargentini, 2008).Les chercheurs appartenant à ces groupes de recherche s’emploient à identifier lesprocédés discursifs de la constitution des identités brésiliennes, et concentrent leurattention sur les différents domaines de production et de circulation des sens, que cesoit le discours politique, les médias, l’histoire ou le contexte scolaire. Bon nombre deleurs travaux font apparaître directement ou indirectement des réflexions sur lesconceptions de l’histoire, sur les contributions de Foucault pour l’AD, sur lescompatibilités et les différences entre l’AD et les développements de l’historiographiecontemporaine, et sur l’opérationnalisation de cette dernière dans les études de l’AD (cf.Gregolin, 2003). Bien qu’une partie des chercheurs français ne semble pas connaître laréelle amplitude de l’AD au Brésil, ils n’ignorent pas, cependant, son existence ni mêmecertains de ses développements. Cet extrait dans lequel Mazière livre son impression,même partielle et éventuellement partiale, sur l’AD qui est pratiquée au Brésil, lemontre bien :

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Lorsque nous pensons à l’AD au Brésil, nous constatons sans peine que l’âme desidées n’existe pas sans le corps des institutions. Il faut alors réfléchir sur certainsfacteurs sociologiques qui entourent l’homo academicus et qui participent au contrôledes reprises, des résistances ou des effacements de l’œuvre de Pêcheux et de son groupe.L’écriture de l’histoire ne peut pas être dissociée d’un lieu de production socio-économique, politique et culturel. Ainsi l’histoire réclame et impose un sens à ses faitset à ses événements, à partir des conditions sociales et institutionnelles quiconditionnent la mémoire et l’oubli, la continuité et l’abandon de la pensée et du savoir.Si tout ceci est vrai quel que soit l’endroit, ici ou ailleurs, cela ne se passe peut-être pasde la même manière.

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Il faut interroger, à cet égard, les dialogues entre la France et le Brésil. Ces derniersont en effet commencé sous notre période coloniale, avec la tentative d’établir uneFrance antarctique et ils se sont intensifiés surtout au début de notre DeuxièmeRépublique. D’une certaine manière, la pensée française a formé des générationsd’intellectuels brésiliens, principalement dans le champ des sciences humaines.L’Université de São Paulo, la première du pays, fondée en 1934, a compté sur laparticipation de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss et sur celle de l’historien FernandBraudel. Tous deux y ont enseigné. Ce dialogue s’est accentué tout au long du XXe siècleavec l’expansion de l’enseignement universitaire et la formation de chercheursbrésiliens en France. En ce qui concerne les études linguistiques, au côté dustructuralisme nord-américain, la tradition française est responsable de la constitutiondes fondements et des orientations de nos recherches. Dès la fin des années 70, lorsquel’AD s’implantait au Brésil, on étudiait Pêcheux et son groupe, en disant que Saussure etles structuralistes avaient exclu le sujet, l’histoire et le sens. On cherchait alors unejustification extérieure à des luttes internes, politiques, épistémologiques etinstitutionnelles. Étudier l’AD, un champ de savoir qui articulait la linguistique et lematérialisme historique, à une époque où les descriptions linguistiques formellesinspirées du structuralisme nord-américain étaient hégémoniques au Brésil et où nousvivions sous une dictature militaire, était considéré comme un signe de résistance. L’ADa donné un second souffle et une nouvelle ampleur à cette résistance qui avait débutébien avant. En effet, des auteurs comme Althusser et Foucault étaient déjà lus dansd’autres champs du savoir, depuis au moins le début des années 70.

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Après le rétablissement de la démocratie dans les années 80, la consolidation de l’ADest survenue avec une telle force et une telle rapidité qu’elle est devenue une aired’étude hégémonique dans la linguistique brésilienne. Le dialogue avec la penséefrançaise, et particulièrement la pensée de Pêcheux, a été fondamental pour cetteconquête institutionnelle. Néanmoins, avec le temps, la réciproque existe : ledéveloppement institutionnel de l’AD au Brésil, surtout à partir de l’Unicamp, estaujourd’hui en partie responsable de la continuité de la répercussion des travaux dePêcheux et de son groupe, y compris en France.

18

En effet, si le Brésil s’est nourri de la pensée française et s’il s’en nourrit toujours, il nemanque pas aujourd’hui de l’alimenter. Nous nous nourrissons d’une interprétation del’histoire de l’AD et nous cherchons à l’appréhender, nous tentons d’en stabiliser lessens et de l’utiliser comme justification et fondement pour son propre renforcementdans l’espace brésilien. L’émergence de l’AD en tant que discipline « a promue unestabilité intitutionnelle et une production qui se sont implantées partout au Brésil »(Orlandi, 2005, p. 85).

19

Il s’agit là justement d’un autre contrepoint par rapport à ce qui se passe avec la« seconde génération » de l’AD en France : alors que certains analystes françaiss’efforcent d’effacer l’héritage du groupe de Pêcheux, certains chercheurs brésiliens dudiscours, plus orthodoxes, instaurent un véritable culte des auteurs français, en

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4. Le lieu des contrastes

particulier de Pêcheux et de Foucault. Ils réitèrent l’infaillibilité supposée de ces auteurscontre toute tentative d’interpréter ou de développer différemment leur pensée : « Ceciest/était déjà chez Pêcheux/Foucault ! ». C’est comme si une lacune quelconque dansles travaux de ces auteurs impliquait un défaut de qualité dans nos recherches et nousdiscréditait.

L’institutionnalisation de l’AD au Brésil n’est donc pas exempte de tout vice : elle peutcréer chez certains une espèce de schizophrénie académique. Mais elle instaure aussid’excellentes conditions pour le développement de recherches solides et originales.

21

Le lieu théorique et le lieu institutionnel se rejoignent dans un lieu de contrastes. Lescontradictions qui forment le Brésil se retrouvent dans le développement de l’AD. AuBrésil, l’opulence cohabite avec la misère, le progrès avec le retard, les vertus avec lesvices. Il s’agit d’une dialectique particulière, où la force de notre capacité à surmonterl’adversité et à adapter ce qui est étranger, coïncide avec la faiblesse de notre inaptitudeà ne pas reproduire nos travers. Selon Wisnik (2008), la demeure brésilienne abrite leremède et le poison. Surmonter ces difficultés présuppose l’existence et même lapermanence de ces dernières. Pour Gilberto Freyre, le mélange est la source de notreénergie, mais pour Caio Prado Júnior, il est le siège de notre fragilité. Le « Retrato do

Brasil [Portrait du Brésil] » montre aussi une de nos nombreuses ambivalences :« Numa terra radiosa vive um povo triste [Dans une terre radieuse vit un peupletriste] »4.

22

Les pratiques et les idées exogènes se sont considérablement transformées en secombinant avec nos actions et nos idées. Aujourd’hui, elles sont devenues tellementdistinctes des originales et nous sont tellement familières qu’on les considère déjàcomme les nôtres. La vie brésilienne en offre de nombreux exemples : la langueportugaise tout d’abord, qui s’est ici particulièrement transformée et dont l’usage estbeaucoup moins porté à la politesse publique qu’à la cordialité dans la vie privée5 ; lefootball, qui était une prose pure, blanche, linéaire et britannique lorsqu’il est arrivé auBrésil, est aujourd’hui une poésie métisse et imprévisible6 ; et l’AD : issue de pratiqueset d’idées de durées distinctes, car elle rassemble les anciens exercices européens decommentaires de textes, la tentative moderne et républicaine d’universalisation de lalecture et la conjonction française, décisive et contemporaine, entre une conjoncturepolitique et un contexte épistémologique, à partir de laquelle Pêcheux et son groupe ontinstauré un champ spécifique du savoir – elle est à la fois jeune, vigoureuse et déjàmature dans sa pratique brésilienne. Cependant, bien que la force des développementsthéoriques et institutionnels de l’AD soit incontestable, il ne faudrait pas oublier lafaiblesse de certains travaux.

23

Si la banalisation des postulats et des notions et les négligences dans les procédésméthodologiques se produisent très certainement lorsqu’une discipline circuleamplement, et ce indépendamment de l’endroit où cela se produit, en ce qui concernel’AD, nous observons au Brésil des facteurs qui semblent contribuer à sa vulgarisation.En outre, d’autres aspects concourent à la production de certaines pratiques perversesen AD. Dans les rencontres brésiliennes de linguistique en général, les analystes dudiscours sont invariablement en situation de majorité absolue. Des rencontresspécifiques comme le SEAD et le CIAD7 par exemple, rassemblent des centaines depersonnes. La qualité des travaux est très inégale. Si certains sont solides et originaux,d’autres se limitent à répéter le jargon de la discipline, rabâchent des formules ettentent vainement de les rendre opératoires à partir de corpus pour le moins

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Bibliographie

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discutables. La créativité et la rigueur cèdent alors le pas au côté pervers de notre« malandragem [débrouillardise] ». Il s’agit d’un aspect malheureux et bien brésiliende notre « jeitinho [façon de faire] » et qui est exprimé emblématiquement par lepersonnage Macunaíma : « Ai ! que preguiça !... [Ah ! Quelle flemme !] »

En contraste avec la force de l’AD qui est pratiquée au Brésil, deux posturesprofondément nocives existent, à savoir la consommation ingénue ou intéressée desavoirs « pasteurisés » en France et les interprétations autorisées d’auteurs français parleurs représentants brésiliens. Le paradigme de la colonisation européenne de notrepensée nationale se répète une fois de plus et se réactualise lorsque nous recevons etque nous reproduisons des pratiques et des pensées étrangères qui effacent lesfondateurs, qui disséminent une production faussement nouvelle et qui présente desprincipes et des concepts déjà vus. Les pratiques salutaires comme l’interlocutionconstante qu’un bon nombre d’entre nous entretient avec des chercheurs français, s’entrouvent dévalorisées. D’un autre côté notre « cordialité » et notre « façon de faire »font que certains chercheurs brésiliens s’octroient une sorte de pseudo-autorité et secroient seuls autorisés à interpréter certaines oeuvres et auteurs français et/ou à lesreprésenter. Voici des énoncés qui ne sont presque jamais dits explicitement, mais quisont souvent entendus : « je suis l’interprète officiel de Pêcheux », « je suis le porte-parole autorisé de Foucault » ; et plus récemment, même si Maingueneau n’aabsolument pas le même statut que Foucault et Pêcheux, on entend cela : « je suis lereprésentant personnel de Maingueneau au Brésil », etc. Le prestige dont cesinterprètes jouissent dérive d’une duperie efficace : tout penseur étranger (c’est à direeuropéen et nord-américain) est admiré au Brésil, si je suis ou si je feins d’être soninterlocuteur ou au moins son représentant, alors...

25

Pour conclure, nous modèrerons l’ascendance française qui pèse sur nous, en nousréférant aux Allemands. Dans les vers restés célèbres, Goethe disait que « Wer nicht vondreitausend Jahren/ Sich weiß Rechenschaft zu geben,/ Bleib im Dunkelunerfahren,/Mag von Tag zu Tage leben [Celui qui ne sait pas tirer les enseignements detrois mille ans vit seulement au jour le jour] ». Il ne faudrait peut-être pas aller si loinpour comprendre les formes prises par le développement de l’AD au Brésil ; néanmoins,nous ne pouvons pas, et en aucune manière, renoncer à l’histoire dans ses dimensionsépistémologiques et institutionnelles, surtout si nous prenons en compte le passé afinde mieux comprendre notre présent et afin de diminuer à l’avenir nos faiblesses. Enrespectant le principe de Nietzsche ([1874] 2003), selon lequel l’histoire doit être auservice de la vie, notre investigation sur le passé récent de l’AD tente d’écarter nonseulement l’apologie contemplative d’une « histoire monumentale » et le conservatismepassif d’une « histoire ancienne », mais aussi la rebellion sans cause d’une « histoirecritique ». En d’autres termes, la mise au point historique de la constitution et desdéveloppements de l’AD au Brésil se justifie dans la mesure où elle permet i) dereconnaître ce qui a été fait et de garder à l’esprit ce qui reste à faire, ii) de se souvenirde nos filiations afin de ne pas céder à la séduction facile de la nouveauté et au risque dela lassitude ; et iii) de se débarrasser du poids de l’hérédité, afin de dépasser certaineslimites qui ne sont déjà plus les nôtres. En procédant ainsi, nous croyons que l’histoiresera au service de la vie de ce champ de savoir dans lequel nous nous inscrivons et pourlequel l’histoire a toujours été (ou devrait être) une instance incontournable.

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Notes

2 En fait, il s’agit d’une désignation assez large étant donné qu’elle reprend différents courantsdiscursifs souvent irréconciliables. Leur identité ne semble tenir qu’à des fondements théoriquesfrançais et qu’à la dimension transphrastique de leurs analyses.

3 Sous cet aspect, on notera les travaux de Maria Cristina Leandro Ferreira, Bethania Mariani,Marisa Grigoletto et Pedro de Souza, ce dernier avec un travail qui associe des apports de lapsychanalyse à l’œuvre de Foucault.

4 Prado, p. (2000 [1928]) « Retrato do Brasil : ensaio sobre a tristeza brasileira ». In :Intérpretes do Brasil. vol. II. Rio de Janeiro, Nova Aguilar, 25-104.

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5 Holanda, S. B. (1995 [1936]) Raízes do Brasil. São Paulo, Cia. das Letras. Notre condition del’homme cordial, selon Holanda, indique aussi un certain aspect du fonctionnement dansquelques cercles institutionnels, à savoir : « Aos amigos, tudo, aos imigos, a lei ! [Pour les amis,on offre tout, pour les ennemis, la loi !] ».

6 Pier Paolo Pasolini, « Il calcio ’è’ un linguaggio con i suoi poeti e prosatori » (1971) apudWisnik, 2008.

7 Le SEAD (Seminário de Estudos em Análise do Discurso) – qui a débuté en 2003, en hommageà Michel Pêcheux – s’est de nouveau réalisé, pour sa quatrième édition, à l’UFRGS, à PortoAlegre, sous la direction de Maria Cristina Leandro Ferreira et Freda Indursky. Le CIAD(Colóquio Internacional de Analise do Dicurso) a débuté en 2006 et est toujours réalisé à l’UFScarà São Carlos. Sa seconde édition a eu lieu sous la direction de Vanice Sargentini, Carlos Piovezaniet Luzmara Curcino et a pu compter sur la participation de plus de 400 personnes venues de toutle pays.

Pour citer cet article

Référence électronique

Carlos Piovezani et Fernando Felício Pachi Filho, « « As idéias fora do lugar » : une histoire desenjeux du développement de l’Analyse du Discours (française) au Brésil », Semen [En ligne],29 | 2010, mis en ligne le 01 avril 2010, consulté le 19 juillet 2014. URL :http://semen.revues.org/8771

Auteurs

Carlos PiovezaniUniversidade Federal de São Carlos (UFSCar)

Fernando Felício Pachi FilhoUniversidade Paulista (UNIP)

Droits d’auteur

© Presses universitaires de Franche-Comté

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Revue de sémio-linguistique des textes et discours

29 | 2010 :La théorie du discours. Fragments d'histoire et de critiqueRencontres et voyages

Quelques « lieux de rencontre »de Jean PeytardMONGI MADINI

p. 17-39

Résumés

L’importante activité de direction de thèses de Jean Peytard ainsi que la continuité des séminairesqu’il a dirigés ou co-dirigés des années 70 aux années 90 à Besançon et Paris constitue un foyer del’analyse de discours enracinée dans la linguistique, la didactique et la sémiotique littéraire. Cette« analyse de discours » est marquée par la personnalité de Peytard mais aussi par la variété et larichesse des travaux qui se sont développés dans ces cercles.

Jean Peytard had a great activity of thesis’ director and he supervised or co-supervised seminarsfrom seventies to nineties at Besançon and Paris. It was really a focus of a discourse analysisrooted in linguistics, didactics and literary semiotics. This kind of discourse analysis ischaracterized by Peytard’s personality but also by the variety and richness of the works andpeople who revolved in theses groups.

Entrées d’index

Mots-clés : Transmission, Séminaire-atelier, Sémiotique altération, Évaluation HétérogénéitéKeywords : Workshop seminar, Alteration semiotics, Evaluation, Heterogeneity, Transmission

Notes de l’auteur(Note 1) Discours et enseignement du français, les lieux d’une rencontre est le titre de l’ouvragepublié par Jean Peytard et Sophie Moirand en 1992. Sophie Moirand associée initialement auprojet de cet article y est présente en filigrane.

Texte intégral

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1. Introduction

2. L’amont et l’aval

Que dire pour présenter Jean Peytard ?2 À la façon d’une notice encyclopédique, onpeut dire que c’est une personnalité qui a marqué les Sciences du langage à Besançon3,en tant que figure fondatrice4 et dominante sur une trentaine d’années, et les sciencesdu langage tout court, en tant que théoricien original autant qu’explorateur engagé dusens et des discours. À la façon de l’article nécrologique que lui a consacré M. Arrivé, onpeut signaler que c’est « l’un des professeurs de linguistique qui ont fait soutenir le plusgrand nombre de thèses »5. À la façon de la préface de Syntagmes 5 (le dernier volumed’articles rassemblés qui paraît à titre posthume en 2001), on peut lire sous sa plume etredire le « penchant » pour la didactique, « l’appétence » de la sémiotique littéraire, le« désir de linguistique »6, qui conduit à « l’interdiscursif de la parole échangée » et sathéorisation finale et intégrante de « la sémiotique de l’altération ».

1

M. Arrivé insiste sur la variété des thèses dirigées et des textes publiés sans dégagerde principe d’unité. Les préfaciers des Mélanges qui lui ont été offerts en 1993, J.Bourquin et D. Jacobi, s’y attachent, après avoir concédé : « on a toujours un peu de malà imaginer que l’un des auteurs de Linguistique et enseignement du français est aussicelui des Recherches sur la préfixation ou de Lautréamont et la cohérence del’écriture » (Mélanges : 39).Ils montrent que la trajectoire de ce linguiste, qui investit lasémiotique et la didactique, le porte du côté du discours, puisqu’il s’agit pour luid’interroger le langage « dans la concrétude des situations variées de la productiondiscursive » et de « ne pas séparer les systèmes de la langue des conditions sociales etindividuelles de leur utilisation » (Mélanges : 41).

2

Peut-on définir JP par l’analyse de(s) discours ? Comment définir l’analyse de(s)discours de JP ? Comment la définir par rapport aux autres acceptions et valeurs queprend le groupe nominal analyse du/ de/ des) discours ?7Cette dernière question quiexige une forte contextualisation historique et épistémologique n’est pas mon proposici. Afin de donner une idée de l’activité scientifique importante de JP dans le champ dutravail sur les discours et des espaces de discussion qu’il a ouvert ou contribué à ouvrir,je ne vais pas scruter les textes laissés par JP mais m’intéresser à d’autres traces de latransmission et de la construction collective de cette activité. J’évoquerai notamment lesséminaires8 en relation d’une part avec les publications auxquelles ils ont donné lieu, etd’autre part avec les thèses dirigées.

3

Les devanciers qu’il se reconnaît (Saussure, Benveniste, Jakobson, …) et son maîtredéclaré (RL Wagner) identifient JP comme linguiste9 : un linguiste de la langue conçuecomme système de différences et réseaux d’associations, mais aussi de latranslinguistique qu’initie le sémantique de l’énonciation, et de la linguistique liée à lapoétique qui ouvre sur les textes littéraires. Ce qui le mène de la langue vers le discoursce sont aussi trois facteurs : l’importance qu’il accorde à l’oral, à l’oralité, qui suppose undynamisme dans l’échange et la co-présence en contexte d’éléments plurimodaux, laconscience de la dimension sociale des énoncés et des énonciations, la problématiquedu sujet et de l’autre en relation avec la psychanalyse et l’anthropologie. Il se définitaussi par rapport (ou à l’ombre de ?) ses rivaux scientifiques (Greimas, Culioli).

4

Mais, de façon déterminante, ce sont des inspirateurs-interlocuteurs « auxfrontières » qui lui fournissent son « gréément conceptuel » (pour reprendre une de sesexpressions fétiches dans ses prescriptions aux doctorants) : d’une part la littérature et

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« didactique » et « sémiotique littéraire » une trentaine pour chaque rubrique(sur toute la durée de la carrière de JP),« linguistique épistémologie » (surtout avant 1980) et « discours sociaux,oralité » (surtout après 1980), une quinzaine chacune,« sémiotique visuelle et des médias » et « informatique, logique, textesscientifiques », une demi-douzaine chacune et dans les deux cas après 1980.

la réflexion des écrivains sur la littérature, d’autre part les sciences humaines et socialespour nourrir et étayer les sciences du langage. Les disciplines connexes (philosophie,anthropologie, sociologie et psychologie sociale, psychanalyse, logique) deviennent desressources précisément pour et vers le discours, à travers des univers de pensée(Derrida, Deleuze, Levi-Strauss, Bourdieu, Vygotski, Lacan) et dans un processus dedécouverte-transmission-réappropriation. En effet ces penseurs sont présentés etanalysés par JP à l’occasion précisément des séminaires10 et participent à l’élaborationde sa propre pensée de linguiste (-analyste) de discours. L’influence de Lacan11 pour JPn’est pas tant celle du psychanalyste que celle du structuraliste qui a utilisé Saussure etJakobson, et le retour que font les concepts dans le champ de l’analyse du langage et desdiscours. La « trajectoire des concepts linguistiques dans les champs frontaliers »assure, dit-il, un « arrière-plan épistémologique » et permet de « vérifier l’efficacité deces concepts »12 métamorphosés ou infléchis par leur traversée. Dans une séance deséminaire (Paris) de janvier 1981 intitulée « Proust, la lecture et la grammaire del’écriture » il place dans une catégorie commune, celle des « expérimentateurs », les« écrivains confrontés au travail du langage » et les penseurs des sciences humaines.

Les références majeures à Bakhtine (dont les concepts ont comme on sait uneinfluence considérable sur l’évolution théorique de JP), et Labov, ont un statutprivilégié, et se croisent autour du concept d’évaluation, intériorisée par les sujetsparlants, et articulée à la problématique du « discours relaté »13. Tout se passe comme sile fait qu’ils pratiquent respectivement – d’après JP – une sémiotique textuelle et unesocio-linguistique, les plaçait au cœur de la linguistique qui convient au discours situé.

6

Les interlocuteurs de JP ce sont aussi ses thésards. Pour mesurer la diversité et lacohérence des thèses, on peut les rapporter aux domaines d’activité ou d’intérêt de JP,tels par exemple qu’ils sont dégagés dans les Mélanges. La cinquantaine d’articles est eneffet répartie par les éditeurs en six rubriques qui correspondent à ses travaux et/oupréoccupations14. Si on croise ces rubriques avec la liste chronologique des thèses (de1971 à 1993 mais d’autres ont été soutenues après les Mélanges), on obtient :

7

Les dominantes sont nettes, et l’évolution dans le temps sensible, mais il convient denoter des doubles appartenances (sous)-disciplinaires fréquentes. L’orientation versl’analyse des discours largement entendue tient à ce qu’une grande majorité de thèsesvise une étude de corpus, et, plus strictement entendue, à ce qu’un nombre conséquentmène des réflexions théoriques et méthodologiques de fond. Leurs auteurs font autoritéet ont marqué et marquent toujours les sciences du langage dans les champs du texte etdu discours, sans se rattacher pour autant à un courant unique : J.-M. Adam, S.Moirand, M. Charolles, A. Petitjean, J.-F. Halté, D. Jacobi, M. Dabène, J.-C. Beacco…

8

Y a-t-il une identité des thèses dirigées par J. Peytard ? Elle réside sans doute dans lestyle de direction d’une personnalité autoritaire et passionnée, qui a pourtant pratiquéune véritable maïeutique, et laissé à nombre de ses doctorants des « impressions »15 trèsfortes, et une gratitude durable : des thèses dirigées fermement mais sans dirigisme,une ouverture réellement très grande dans le souci de faire accéder les thésards à lasingularité de leur projet scientifique et de leur désir d’écriture 16.

9

JP réaffirme souvent, comme dans Syntagmes 5 « n’avoir jamais désiré figurercomme un ’maître’, […] un ’condottiere’ dominant des ’disciples’ du sommet de sa

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3. Mémoire des lieux, mémoire des gens

Paris

science, mais un ’accompagnateur’ un ’partenaire de recherche’ » (Syntagmes : 15).Ceux et celles qui ont été ses thésards ne sont certainement pas des disciples, mais encela même, ils accomplissent un vœu qui reste à interroger, et aussi à mettre en relationprécisément avec les positions épistémologiques qui conviennent au(x) discours. Eneffet le refus – plus ambivalent – qu’il y ait une « école de Besançon »17, consiste àrécuser le dogmatisme, le « formatage » et l’applicationnisme. L’ambition, y compristhéorique, est donc forte : faire mieux que les modèles totalisants parce que sont prisesen compte les surfaces et les spécificités des discours.

L’ouverture que manifestent les thèses et les séminaires est évidente, notamment parrapport aux courants de l’analyse du/de/des discours. Les travaux qu’impulse ou quelaisse advenir JP se situent à la lisière de différentes écoles18, de différents courants. Àdéfaut d’avoir obéi à la structuration d’une école, thèses et séminaires ont configuré unespace de dialogue au dynamisme très important, avec des points d’aboutissement quemanifestent sans l’épuiser les publications ; et qu’ont incarné la transmission, leséchanges et les débats d’une scène de paroles.

11

Les séminaires s’inscrivent dans plusieurs lieux, des lieux d’expérimentationscientifique qui viennent d’être évoqués, des lieux d’écriture (élaboration ou ban d’essaide thèses ou de publication, soit groupées dans le cas des ouvrages ou de numéros derevue, soit plus dispersées) et des lieux matériels, Paris et Besançon pour ceux dont jepeux parler.

12

L’avant–propos de Semen 8 (numéro paru en 1993 qui reprend des contributions desannées 90-92 « sept études présentées devant le séminaire-atelier animé par SophieMoirand et Jean Peytard19 »), insiste sur l’unité et la remarquable pérennité du« séminaire –atelier » mensuel qui « n’a connu aucune interruption depuis novembre1979 ». Dans le même avant-propos « le domaine » du séminaire est désigné commecelui de « l’Analyse des discours littéraires et non littéraires ». Or dans plusieurs descontributions des Mélanges, le séminaire parisien20 de JP est désigné comme unséminaire de sémiotique littéraire. A plusieurs reprises, JP rappelle le rôle duCREDIF « lui proposant d’animer un séminaire sur « la place et la fonction du textelittéraire en classe de langue (FLE) » (Syntagmes 5 : 22)21 qui a probablement étél’amorce du séminaire-atelier de 1979. C’est à partir de 1989, et de sa double direction,qu’il porte le titre « Théories et pratiques des textes et du discours ». De fait leséminaire-atelier a connu plusieurs périodes (au fil des soutenances et des devenirs decarrière, des modalités institutionnelles avant/après les thèses d’Etat…), plusieursancrages (du quartier Mouffetard au quartier Latin), plusieurs rituels (la part essentiellede la discussion étant une constante).

13

Rue Jean Calvin

Locaux Credif

1979-1986

Rue Saint Jacques, Sorbonne Paris III

Locaux UFR Didactique du FLE

1987-1996

Séminaire-atelier

Jean Peytard UFC

Séminaire-atelier

Jean Peytard UFC

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Notre principe de travail a toujours été d’aborder des problèmes théoriques et deproduire des analyses de textes. En faisant que les deux modes de présentationalternent ou se conjoignent. Tant il est vrai qu’il est impossible de séparer l’analysed’un objet de l’appareil conceptuel qui la sous-tend et la dirige25.

Notre séminaire-atelier (post-DEA) […] entre dans sa dixième année […] Sonpublic est d’abord celui des thésards engagés dans l’élaboration d’un Doctorat […]il est séminaire parce que les intervenants y construisent des connaissances (àpartir de leur recherche) ; il est atelier parce que l’ensemble des participantstravaille sur des matériaux proposés par les intervenants. Son ambiance est faitede l’estime et du respect des travaux, des connaissances et de la parole de tous [...].Le droit à l’ignorance est reconnu à chacun […]. Sont exclus […] les effets d’école,de dogmatisme et de suffisance.

Besançon

1979-1988 Sophie Moirand22 Paris III

1988-1996

Intervenants : universitaires ; thésards« doctorat d’état » (pairs) avant et après leurdoctorat ; quelques invités

Participants : enseignants-chercheurs,doctorants

Intervenants : enseignants-chercheursBesançon et Paris III , VIII, X

+ universitaires français et étrangersinvités

Participants : enseignants-chercheurs,doctorants

Travail sur thèmes

Exposé /discussion, sur une journée

(samedi 10h-17h)

Exposé/discussion sous forme de table-ronde, généralement sur unedemi-journée

(samedi 10h-14h30)

Les intitulés des interventions montrent, outre la place des exposés consacrés au textelittéraire23, la continuité des problématiques dans un champ vaste dont le discours estbien le dénominateur commun24. Interventions et discussions relèvent de mises aupoint épistémologiques, de présentations théoriques et/ou d’analyses singulières :

14

La continuité revendiquée du séminaire s’accompagne de bilans réguliers annoncéspar les convocations de fin d’année, et au tournant de 1988, d’une présentationdéveloppée :

15

La première époque du séminaire (dit de « niveau doctorat d’État » jusqu’en 86),fonctionne sur un cercle de pairs (des enseignants-chercheurs en poste), une vingtaineenviron, dont les travaux nourrissent le séminaire et dont les thèses sont pour la plupartdirigées par JP. L’implication d’universitaires de toute la France témoigne durayonnement de ce groupe et la qualité des exposés et des débats impressionnebeaucoup les doctorants (de Besançon) invités à y assister…

16

La seconde époque est marquée par l’ouverture (des intervenants) et la systématicité(des thèmes) : des spécialistes sont conviés en fonction de la problématique de l’analysedu/de/des discours, même si le principe de présenter les travaux (collectifs) des groupesde recherche de Besançon et Paris III est maintenu. Le séminaire fonctionne davantagesur deux sphères (celle du « public », celle des interlocuteurs). La densité des exposés etla liberté des discussions sont là aussi remarquables.

17

Le séminaire de Besançon remonte au tout début des années 70, et a vocation à la fois18

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Ce volume a une histoire. Il est le résultat du travail du GRELIS, durant l’annéeuniversitaire 1980-1981. Résultat des séminaires qui regroupent étudiants etprofesseurs de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, deux fois par mois, lemercredi, dans le « Grand Salon » de l’Hôtel de la Rue Chifflet. Des séminaires qui[…] depuis plus de douze ans, ont essayé d’articuler la linguistique à l’analyse destextes littéraires. Chaque année un thème est choisi ; il y eut dans les annéesproches : ’le texte et l’histoire’, ’les grammaires de texte’, ’les problèmes de la’ description’, ’l’écriture des discours liminaires’, ’l’intertextualité’, ’le dialogismede Bakhtine’, et à l’automne 1980, le thème, ’lecture et lecteur’.

4. Pluriel des discours et pluriel desanalyses

à la formation de 3e cycle à partir du DEA26, (alors que celui de Paris se définit comme« post-DEA »), et à la recherche. Sa périodicité est bi-mensuelle, et il tend à sesubdiviser en plusieurs « branches » dans la décennie 8027. Th. Aron en partagel’animation et l’organisation, notamment à partir de la fondation du Grelis (1979),comme le suggèrent les avant-propos de Semen 1 (« Lecture et lecteur »)28 coordonnépar JP et de Semen 2 (« De Saussure aux media »), coordonné par Th. Aron même siseul Semen 1 apparaît comme directement issu du séminaire :

Les thématiques retenues, dominées par la relation au littéraire (par ex. ’le référent’, àl’initiative de Th. Aron, ’la médiacritique littéraire télévisuelle’, à l’initiative de JP…),entrent plus ou moins en intersection avec celles du séminaire de Paris avec des exposésà matière (sinon contenu) identique. L’aspect vase communicant joue aussi pour lesintervenants, au-delà du « leadership » de JP et du lien qu’il assure entre les deux. Lesconférenciers du séminaire de Besançon sont des enseignants-chercheurs ou deschercheurs rattachés à l’Université de Franche-Comté, alors que les originesgéographiques sont beaucoup plus variées à Paris, mais un nombre non négligeabled’entre eux prend la parole et/ou participe au séminaire-atelier de Paris. Unecommunauté de réflexion est ainsi active.

19

Deux caractéristiques majeures du séminaire de Besançon sont encore à noter. D’unepart une initiation aux ouvrages de linguistique, sémiotique, théorie littéraire, scienceshumaines et aux univers conceptuels de grands théoriciens (Foucault, Derrida, Labov,etc., pour JP, F. Orlando pour Th. Aron), qui donne l’impression d’être faite en « tempsréel »29. D’autre part, la collaboration effective des spécialistes de langue et littératurefrançaise et de littérature comparée (participation, discussion, présentation d’exposés,coordination de Semen 4), autrement dit une interdisciplinarité effective30. L’assistanceest nourrie, mixte, à la fois parce qu’elle mêle étudiants et enseignants (ce sont surtoutces derniers qui prennent la parole), enseignants du supérieur mais aussi du secondaireet de disciplines différentes31. Le souvenir global est celui d’avoir participé à un foyer devie intellectuelle intense, très formateur et très stimulant.

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Et l’analyse du/de/des32 discours ? Le syntagme apparaît surtout à partir des années80 dans les textes de JP, affecté des variations que l’on sait33 mais il tend aussi àcaractériser ainsi l’ensemble de ses travaux et de sa réflexion. Le séminaire-atelierPeytard-Moirand fait le point deux années durant sur l’analyse du/de/des discoursd’une manière magistrale que reflète Semen 8. La contribution de JP « L’analyse dediscours où en sommes-nous ? » (séminaire-atelier janv. 90) n’est pas reprise dans cenuméro ; lors de cette conférence, il associe logique du discours (à l’égard de laquelle ilgarde ses distances), et modèles monosémisants de l’argumentation dans la langue, des

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Bibliographie

enchaînements conversationnels et de la pertinence, alors qu’en contrepoint sontfondateurs d’une analyse de discours selon lui l’approche de la transtextualité, lesystème socio-idéologico-linguistique des variations corrélées à l’évaluation (Labov etBakhtine) et les tentatives pour penser l’hétérogénéité énonciative.

Les discussions qui ont accompagné les exposés publiés ensuite dans Semen 8 sontégalement éclairantes sur sa position, notamment par rapport à l’École française del’AD dont l’émergence et le développement sont contemporains de sa propre activitémais sans véritable rencontre semble-t-il34. Ce que JP énonce nettement, c’est unefiliation linguistique (et plurielle) de l’analyse du/de/des discours, en affirmant que leslinguistes qui s’interrogent sur le sens s’intéressent/se confrontent au discours35, et queles déclencheurs sont ceux qui ouvrent la linguistique aux textes et réciproquement. Unleit-motiv des interventions de JP dans les discussions du séminaire-atelier (commedans les textes qu’il publie dans les années 90 sur la sémiotique différentielle), c’est quel’objet de l’analyse de discours devrait aussi (surtout ?) être les variantes du discours.36

22

Pourrait-on résumer l’évolution de JP, de sa thèse d’Etat à son dernier Syntagmes, enconcordance avec un mouvement très général allant du singulier de linguistique aupluriel de sciences du langage,d’une linguistique structurale « au microscope » àl’analyse du discours ouverte à tous les vents ? Pour éclairer la spécificité de cette« montée du discursif »37, on peut comparer deux entreprises du CREDIF38 qui mettenten relation l’étude de la langue et sa diffusion (linguistique et didactique), celle duFrançais fondamental lancé par Gougenheim dans les années cinquante (classementdes mots par fréquence à partir d’enregistrements de bouts de conversation, qui a euune grande influence sur le FLE) et celle de la recherche socio-discursive sur lespratiques langagières du français des années 8039 réalisée à partir d’un corpusd’entretiens. L’enseignement de la langue et de la littérature, la didactique, sontessentiels chez JP comme l’attestent le nombre de thèses dans ce champ, le type et leslieux de publication de ses ouvrages principaux, ses liens avec le Credif. Seulement il nes’agit pas d’une didactique isolée ou instrumentalisée, mais précisément articulée à lalinguistique et en dialogue avec l’analyse de discours. La problématique de latransmission, de l’appropriation de la langue et des textes en situation (classe de FLE,groupes d’enfants migrants40…), croise la dimension sociale et idéologique queBakthine, Labov mais aussi Grize41 (avec la « schématisation » qui dépasse le conceptpsycho-social de représentation) lui permettent d’inscrire dans la réalité des formeslinguistiques.

23

Le creuset de l’analyse de discours chez JP serait triple : didactique, socio-linguistiqueet sémiotique littéraire (le fameux texte littéraire « laboratoire de langue »). Mais lavariété sémiotique et la complexité des discours ont une valeur heuristique en elles-mêmes, qu’illustrent ses analyses de discours médiatiques (le verbal de la page dejournal envisagé iconiquement avec l’aire scripturale ; les mises en scène télévisuellesde la médiacritique littéraire). Il y a une dynamique des discours mixtes comme il y aune dynamique des concepts migrateurs. Le discours, les discours sont plus uneconstante qu’une émergence, mais ce vers quoi JP va de plus en plus, et qu’il théorise,c’est le pluriel et l’hétérogénéité du sens.

24

Au-delà de ses positions et de ses travaux personnels, les thèses et les séminaires ontconstitué un foyer de rayonnement exceptionnel pour l’analyse du/de/des discours.

25

D. Ablali et M. Kastberg [2010 à par.] (éd.) Cluny 40 ans après, PUFC, Besançon.

J. Bourquin et D. Jacobi (éd.), [1993] Mélanges offerts à Jean Peytard, « Linguistique et

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Document annexe

Annexe (application/pdf – 105k)

Notes

2 Désormais JP. Comment ceux qui ont été ses thésards, ses collaborateurs, ses compagnons sereprésentent-ils aujourd’hui JP ? Comment ses anciens thésards en particulier se sont-ilspositionnés par l’appropriation, le dialogue, la confrontation ? Comment ses syntagmes et sesconcepts ont-ils fait trace et continuent-ils ou non à travailler ? Ces questions feront l’objet d’untravail ultérieur, notamment d’une campagne d’entretiens.

3 Comme le rappelle notamment J.-C. Chevalier – un des co-auteurs avec M. Arrivé, C. Blanche-Benveniste et J. Peytard de la Grammaire Larousse du Français contemporain (1964) – dans desentretiens radiophoniques en 2007 (A voix nue, France-Culture), c’est à Strasbourg (P. Imbs) puisBesançon (B. Quemada) que sont créés à la fin des années cinquante les premiers centres derecherche attachés aux universités (et non plus sous le seul monopole de la Sorbonne). ÀBesançon, (qu’il quitte en 1969), Quemada – qui créera l’INALF – fonde le CLA, et développe lesbanques de données lexicographiques. Sans évoquer ses relations avec Quemada, JP écrit dansSyntagmes 5 ( : 21) que « chargé d’enseignement » à la Faculté des Lettres de Besançon (avant d’ydevenir Professeur à partir de 1971), il forme « les étudiants à la ’grammaire et philologiefrançaise’, sous la tutelle de B. Quemada et la direction effective de H. Mitterrand » en travaillantdes textes littéraires.

4 Il a fondé deux groupes de recherche : au début des années 70, le « Centre de Recherches enLinguistique et Enseignement du Français » centré sur la recherche-action (publication LesCahiers du Crelef de 1975 à 1993 dont M. Charolles, puis p. Masselot ont été rédacteurs en chef),et à la fin des années 70, avec Thomas Aron, le « Groupe de Recherches en Linguistique,Informatique, Sémiotique » (qui existe jusqu’en 2000 et donne une part importante de son assiseà l’actuel Laseldi). Il est co-fondateur avec Th. Aron de la revue Semen dont le premier numéroparaît en 1983.

5 Plus de cent thèses (dont une vingtaine de thèses d’État) et HDR. Le bref article d’Arrivé, parudans Le Monde (23 juillet 1999), souligne qu’en dépit de son œuvre considérable, JP n’a pas« atteint la notoriété de certains de ses collègues » et qu’il a fait « toute sa carrière en province ».Il est probable qu’il n’a pas occupé la position institutionnelle et « médiatique » à laquelle il auraitpu aspirer, et à l’égard de laquelle a dû jouer une attraction/répulsion complexe, mais il convientde rappeler outre, par exemple son rôle dans l’organisation du colloque de Cluny « Linguistique etlittérature » en 1968, ce qu’écrit in memoriam, au nom du Grelis, Jacques Bourquin (1999) : il« anima plusieurs séminaires marquants à Paris et à Besançon, et de 1972 à 1986 à l’Écolefrançaise d’été de Middlebury College (USA) un cours de retentissement international » et fut

Sémiotique », PUFC, Besançon.

J. Bourquin [1999] (ed.) Ecrits linguistiques et philologiques de Proudhon, PUFC, Besançon.

J. Peytard [1986] Syntagmes 3, didactique, sémiotique, linguistique, PUFC, Besançon.

J. Peytard [1992]. Syntagmes 4,de l’évaluation et de l’altération des discours, -sémiotique,didactique, informatique-, Besançon

J. Peytard [2001]. Syntagmes 5, sémiotique différentielle de Proust à Perec, PUFC, Besançon

J. Cortès et J. Peytard (éd) Cahiers du français des années 80 n° 3 « Sociolinguistique :évaluation et analyses de discours », 1988, Didier Erudition

J. Peytard et alii [1982] Littérature et classe de langue(français langue étrangère) LAL, Credif,Hatier.

J. Peytard et S. Moirand [1992] Discours et enseignement du français. Les lieux d’unerencontre,« Références », Hachette FLE.

Semen n° 1 [1983] Lecture et lecteur, travaux du Grelis, PUFC, Besançon.

Semen n° 8 [1993] Configurations discursives, numéro coordonné par J. Peytard et S. Moirand,PUFC, Besançon.

Semen, revue de sémiolinguistique des textes et des discours, PUFC (consultable en ligne sur lesite revues.org)

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« plusieurs fois expert auprès du Ministère dans les années 80 ». Carrière en province certes maispas n’importe quelle province du point de vue de la linguistique, et forte reconnaissance àl’étranger.

6 Cf. le sous titre de Syntagmes 3, cf. notre article à A. Chauvin-Vileno et moi-même in D. Ablaliet M. Kastberg Cluny 40 ans après (2010) qui insiste sur l’interconnexion constante de ces troisperspectives disciplinaires.

7 Qu’est ce qu’on appelle analyse du/de/des discours en 70, en 80, en 90 ? Où ? Dans quelscercles ? Chez quels auteurs ? Avec quelles méthodologies ? Quels travaux fixent et modifientcela ? Quels consensus et quels conflits cela génère-t-il ? Cela est précisément le propos dunuméro 8 de Semen « Configurations discursives », 1993.

8 Je recours pour cela à différents types de documents : les mentions des séminaires dans lestextes publiés par JP, les convocations et documents de présentation des séminaires dont j’ai pudisposer, les notes prises au cours de certaines séances (merci particulièrement à H. Kohler, M.Souchon et A. Chauvin-Vileno), mes souvenirs et ceux d’autres participants. Mon propos estsubjectif mais non exhaustif, et les affirmations sont avancées sous réserve de complément ou decontradiction par d’autres témoins et acteurs directs.

9 Ainsi que, par exemple, le fait qu’il ait co-dirigé six numéros de Langue Française de 1970 à1990.

10 Par exemple trois séances du séminaire de Besançon consacrées à Lévi-Strauss en 1983s’ouvrent sur l’intitulé « Traces de la linguistique dans l’œuvre de Lévi-Strauss ». A Paris, enjanvier 86, JP consacre une séance à Bakhtine, en janvier 89 deux séances à Vygotski

11 L’accessibilité des éditions de poche des Ecrits et du Séminaire pour Lacan comme destraductions pour Volochinov-Bakthine n’est pas indifférent. L’idée qu’orateur et auditeurs lisentla même chose et viennent en discuter est bien dans l’esprit des séminaires : ce qui rend lesmaîtres « maîtres », ce n’est pas leur pouvoir mais c’est de partager le savoir et la parole.

12 Notes de janvier 1983.

13 Cf. Cahiers du français des années 80 n ° 3 « Sociolinguistique : évaluation et analyses dediscours », 1988, et Syntagmes 4 : de l’évaluation et de l’altération des discours, 1992.

14 1. Sémiotique littéraire 2. Informatique, Logique, Textes scientifiques 3. Discours sociaux,oralité 4. Sémiotique visuelle et des médias 5. Linguistique, Epistémologie 6. Didactique.

15 Cf. l’article de D. Bourgain qui porte ce titre dans les Mélanges (1993 : 735-744).

16 « Pour JP diriger une recherche consiste moins à proposer ou imposer […] qu’à permettre aunovice de mieux prendre conscience de son projet et […] de le transformer en une rechercheeffectivement réalisable » Bourquin et 1993 : 42.

17 Il faut entendre polémiquement, une école à la manière de l’école de Paris et de ses« modèle[s] pour disciples appliquants, fascinés par la logique rassurante d’opérations où des’carrés ’ supportent des règles […] au mépris de la surface » Syntagmes 5 ( :15). Si Peytard sedéfinit contre Greimas, cette opposition elle-même n’est pas sectaire et n’empêche pas parexemple D. Bertrand de publier dans l’ouvrage collectif que JP a dirigé Littérature et classe delangue (1982), un chapitre fondé sur les principes d’analyse textuelle de Greimas, p. Fresnault-Deruelle de publier dans les Mélanges ( : 527-540) un article sur l’imagerie mitterrandienne de1981 et 1988 étayé par les modèles logico-sémantique de Greimas et Floch.

Cf. l’avant–propos de Semen 8 qui fait référence au séminaire-atelier de Paris : « les chercheursparlent en ce lieu sans inquiétude : ils ne se sentent ni disciples d’un maître, ni sectateurs d’une’école’. Ils s’éprouvent comme chercheurs, tous égaux dans leur volonté d’analyser le discourspour apercevoir la complexité qui l’instaure ».

18 Par exemple J.-P. Kaminker se réclame de Peirce.

19 Les auteurs sont M. Ali Bouacha, J.-M. Adam, E. Bautier, D. Maingueneau, D. Maldidier,M.-F. Mortureux, J. Peytard.

20 Un autre séminaire intergroupes de recherches a été animé par JP entre 1983 et 1986 sur laproblématique de l’évaluation, en relation avec l’enquête du CREDIF sur « la variété des pratiqueslangagières dans le français des années quatre-vingts » ( il était conseiller scientifique pour lalinguistique). Six numéros des Cahiers du français des années 80 ont été publiés chez DidierErudition, plus deux numéros hors série (dont l’un rassemble le corpus des entretiens). Les actesdu séminaire sont publiés dans le numéro 3.

21 L’ouvrage publié en 1982, Littérature et classe de langue en est issu.

22 S. Moirand n’intervient plus comme conférencier principal à partir du moment où elle dirigele séminaire, mais elle anime les discussions et tables rondes qui suivent les exposés. JP est

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conférencier au moins une des six à huit séances de l’année, de 1979 à 1996 (sauf en 94-95).

23 Par exemple par Th. Aron, G. Haas, G. Valency, N. Gelas, L. Nathan, J.-P. Colin, E. Papo… etJP lui-même.

24 Voici mis en regard par « paires » quelques titres d’intervention et leurs dates : J.-M. Adam« Le récit politique comme stratégie illocutoire » (nov. 80) /« Les plans d’organisation du texte.Pour une théorie d’ensemble » (janv. 92) ; J. Vergnaud « La grammaire scolaire est-elleimperméable à la linguistique ? » (avr. 81) / J.-F. Halté « L’élaboration du texte en contextescolaire » (déc. 84) ; S. Moirand « Place de l’analyse de discours dans l’approche ditecommunicative » (mai 81)/« Du discours didactique au discours de la didactique deslangues »)(déc. 85) ; D. Jacobi et A. Petroff « Le discours de vulgarisation des connaissancesscientifiques » (avr. 82)/ M.- F. Mortureux sur le thème « Analyser les discours de la diffusion dessavoirs » (mars 91) ; M. Dabène et J. Mouchon « L’analyse à des fins didactiques decommunications orales et écrites : problèmes méthodologiques, recueil et traitement desdonnées » (mai 82)/D. Bourgain « Conduite(s) de la recherche scientifique : problèmes deméthodologie » (janv. 87).

25 Ces phrases extraites de l’avant-propos de Semen 1 et relatives au séminaire de Besançonvalent aussi pour celui de Paris.

26 JP est responsable du DEA de « Sciences du langage, didactique, sémiotique » à Besançon de1976 à 1992.

27 En 1988, Th. Aron met en place un séminaire intitulé « Texte littéraire et psychanalyse » et en1989, l’année qui précède celle de sa disparition, un autre séminaire, « Texte, lecture,interprétation ». Des réunions régulières de recherche et de retour sur expérimentationintervenaient également au CRELEF avec J. Bourquin, Maryvonne et Pierre Masselot.

28 Dans cet avant-propos, le nom Semen est associé à l’ensemencement mais aussi au motséminaire.

29 Lors de la discussion suivant l’exposé de D. Maldidier au séminaire-atelier (déc. 90), JP ditavoir parlé d’Analyse automatique du discours (1969) de Pêcheux en 1971, lors du premierséminaire de 3e cycle à Besançon.

30 La formation du DEA faisait intervenir quant à elle des psychologues.

31 Même si ce n’est pas dans le cadre du séminaire évoqué ici, la pratique de l’interdisciplinaritéest déterminante, y compris en direction de la logique et des statistiques avec lesinterlocuteurs-clés que sont J.-B. Grize et J.-Ph. Massonie.

32 Selon A. Collinot (séminaire-atelier mai 95), du renvoie à une conception globalisante dudiscours comme objet théorique de l’analyse, de concerne des écrits attestés en situation, descorrespond à la banalisation de pratiques hétérogènes. JP (janv 90), lui, valorise de comme priseen compte de la pluralité et de la singularité des corpus, et assigne la généralisation de du à unmodèle formalisant prétendant analyser tous les discours..

33 La quatrième de couverture de Discours et enseignement du français (1992) dit que l’ouvragepose les bases d’une « linguistique du discours » et présente JP comme « professeur delinguistique et de sémiotique des discours » (c’est moi qui souligne).

34 Son intérêt pour l’analyse informatisée du vocabulaire intervient sous l’influence de sesrelations scientifiques et amicales avec J.-Ph. Massonie, fondateur à Besançon du laboratoire« Mathématique Informatique Statistique ». JP soutient ensuite le développement des recherchestextuelles informatisées au Grelis, en relation avec l’altération des discours (exposés auséminaire-atelier dès 85 de A. Petroff, A. Pelfrêne et C. Condé sur l’ordinateur en scienceshumaines, et en 90, 93 et 94 de C. Condé avec d’autres chercheurs du Grelis).

35 Il cite alors Dubois, Guibert, Chevalier, Greimas, Culioli, Barthes, Mitterrand, Gougenheim età un autre moment Jakobson et Benveniste.

36 On pourrait comparer la manière dont JP déclare théoriser la sémiotique, alors que lasémiotique évoque prioritairement Greimas et faire de l’analyse de discours alors que celle-ciévoque prioritairement l’école française, comme s’il lui fallait s’inventer « ailleurs ».

37 Pour reprendre une expression de S. Moirand dans un titre d’exposé au séminaire-atelier.

38 Le Centre de Recherche et d’Études pour la Diffusion du Français (1959-1996), installé ausein de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, a pour premier directeur G. Gougenheim.

39 Le projet est présenté par L. Porcher dans le numéro 15 des Cahiers du Crelef en 1983.

40 Cf. le contrat de recherche du CRELEF avec la Direction des écoles sur les pratiquesinterculturelles et l’enseignement du français aux migrants (1981-1986).

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41 Cf. une séance du séminaire-atelier de juin 92.

Pour citer cet article

Référence électroniqueMongi Madini, « Quelques « lieux de rencontre » de Jean Peytard », Semen [En ligne], 29 | 2010,mis en ligne le 01 avril 2010, consulté le 19 juillet 2014. URL : http://semen.revues.org/8862

Auteur

Mongi MadiniLaseldi, université de Franche-Comté

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Revue de sémio-linguistique des textes et discours

29 | 2010 :La théorie du discours. Fragments d'histoire et de critiqueAventures théoriques

« Ainsi, nous sommes qui noussommes dans le Mississippi »JACQUES GUILHAUMOU ET FRANCINE MAZIÈRE

p. 69-88

Résumés

Au cours des années 1970, l’émergence de la notion de formation discursive au sein de l’analysede discours marque un temps fort inaugural sur les matérialités du discours, en lien avec uneréflexion théorique marxiste sur l’idéologie. Ce rappel historique permet de souligner lacontinuité des enjeux autour de cette notion en termes d’immanence et d’émancipation, donc demesurer à la fois la présence, puis le manque de la politique dans l’histoire de l’analyse dediscours. La question perdure, pensée nécessairement à partir des luttes sur le terrain, présentesdès l’avènement de l’analyse de discours dans le contexte de l’événement mai 1968, mais de nosjours éclipsée par le tournant gestionnaire et les confusions scientifiques qu’il engendre.

During the 1970s, the notion of discursive formation emerged in the field of discourse analysis. Inrelation to a theoretical Marxist reflection on ideology, it became an inaugural landmark on themateriality of discourse. This historical review wants to underline the fact that the stakes – mainlyin terms of immanence and emancipation – around this notion are still at work, and would like totake in account first the presence and then the absence of politics in the history of discourseanalysis. This issue is still there and it has to be envisaged necessarily through real life struggles.These have been accounted for since the beginning of discourse analysis in the context of the May1968 event in France, but have been put in the background by the management turn and itssubsequent scientific confusions.

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Mots-clés : Analyse de discours, Idéologie, Formation discursive, Marxisme, Politique,ÉvénementKeywords : Ideology, Discourse Analysis, Marxism, Politics, Event, Discursive formation

Texte intégral

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« Ainsi, nous sommes qui nous sommes dans le Mississippi. Et les reliques d’hier nouséchoient. Mais la couleur du ciel a changé et la mer à l’est a changé. Ô maître des Blancs,

seigneur des chevaux, que requiers-tu… »

Mahmoud Darwich « Le dernier discours de l’homme rouge », incipit, dans La terre

nous est étroite. p. 286. NRF Poésie/Gallimard 2000.

1. Introduction

2. Marxisme et formation discursive : lapart de l’événement mai 68

2.1. De l’idéologie à la formation discursive

Particulièrement sensibles à l’historicité du domaine « analyse du discours »,chantier de recherche déjà vieux d’une génération1, nous pensons que le nœud où sejoint le discursif au politique consiste dans le devenir même de la notion de formationdiscursive. Celle-ci s’est construite à partir du débat marxiste sur le concept d’idéologieau cours des années 1970 et de sa dimension superstructurelle, pour rester dans lestermes de l’époque2.

1

Sans en refaire l’histoire donc, il nous importe de montrer en quoi sa constructiondans le climat intellectuel de la fin des années 1960 et des années 1970, s’avèredirectement associée à l’insistance sur la matérialité du discours. Nous prendrons encompte l’impact d’événements (mai 1968, chute du mur de Berlin, 1989, « Appel desappels », 2009), et insisterons sur la continuité des enjeux dans un lien étroit à laconception marxiste de l’idéologie et à son impact sur la formation discursive.

2

L’impact de l’événement mai 1968, dans ce qu’il traduit du « climat marxiste », estfort important, pensons-nous, dans l’abord de la politique de l’analyse du discoursjusqu’à nos jours, en dépit des recouvrements multiples de cette réalité dérangeante.

3

La quête d’une définition marxiste de l’idéologie, et de ses sources dans « l’idéologieallemande »3 est au centre de la réflexion des intellectuels progressistes des années1970. Il apparaît ainsi que Marx, en dénonçant la fausse conscience des jeuneshégéliens, met en évidence de façon plus générale la prétention à l’universel del’idéologie bourgeoise. L’idéologie est donc dès sa naissance dotée d’un versant« bourgeois », déjà formulé à l’époque du Directoire, dans les années 1796-97, au plusprès de la pensée des Idéologues français qui sont les inventeurs de l’idéologie comme« science des idées ». Ce curieux mixte a été repris par les Idéologues allemands desannées 1840 : à ce titre, si l’idéologie marque le triomphe du réel de la bourgeoisie, ellen’en est pas moins tout aussi illusoire4. Qui plus est, dans l’histoire, chaque classe estdésormais caractérisée par une idéologie, au point de faire de l’idéologie politique unvéritable repère dans l’analyse des différences sociales.

4

Ainsi, dans notre génération, De Barthes à Lévi-Strauss, une nouvelle histoire duconcept d’idéologie se met en place : nous en restons les héritiers. La priorité estdonnée, dans l’ambiance du mouvement structuraliste des années 1960, à l’étude del’idéologie, donc des superstructures. Il revient bien sûr à Michel Foucault, dans Les

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Il était nécessaire que la théorie classique du signe se donne pour fondement etjustification philosophique une « idéologie », c’est-à-dire une analyse générale detoutes les formes de la représentation, depuis la sensation élémentaire jusqu’àl’idée abstraite et complexe5.

2.2. A propos de la formation discursive : del’immanence au matérialisme

mots et les choses (1966), de rappeler le primat de l’idée ou du signe instauré, à la fin du18ème siècle, par l’Idéologie. Ainsi il écrit :

L’idéologie a donc, dès sa première formulation notionnelle, un statut paradoxal.D’une part elle est contemporaine, en tant que « science des idées » – formule deDestutt de Tracy en 1798 –, de l’extension du champ de la connaissance moderne avecl’invention des sciences sociales au tournant du 18ème et 19ème siècles. En cela, ellerelève bien d’une théorie classique des idées et des signes. Mais d’autre part, elle est,selon Marx, en concomitance avec la révolution bourgeoise. Ce qui en faithistoriquement la dernière des philosophies classiques, consacrée au triomphe du moibourgeois6.

6

Elle est donc d’abord philosophie première du signe (politique), reprise dans satraduction par la philosophie allemande des hégéliens de gauche, dont le jeune Marx, etannonciatrice de la modernité. Mais elle est aussi pensée aliénée, au titre de la croyanceque toute pensée exprime l’idéologie d’une classe, en particulier l’idéologie bourgeoisetriomphante du 19ème siècle. Se développant à la fois du côté de la connaissance et ducôté de la politique, l’idéologie s’associe étroitement au mouvement historique del’humanité, et à l’expression de la lutte des classes en son sein.

7

Ce n’est donc pas un hasard si les sciences sociales, de développement endéveloppement, se nourrissent du concept d’idéologie. Georges Gurvitch, dans sonTraité de sociologie (1967)7, fait de l’idéologie, des « différences d’idéologies », des« limites de l’idéologie », un objet d’études à part entière pour le sociologue. Ils’interroge aussi sur l’élargissement du terme idéologie, sous la houlette du marxisme,doctrine considérée « comme idéologie et connaissance réelle très certaine ». De cettedémultiplication des sens du terme, qu’il répertorie, il ne déduit pas l’impossibilité desétudes « en elle-mêmes très justifiées », mais il propose, en rationaliste scientifique, delimiter le sens à la « connaissance politique ».

8

Quant aux marxistes althusseriens, ils inaugurent la revue Dialectiques, en février1974, par un article en-tête de Georges Labica sur « Idéologies et modes deproduction »8 où l’ambition de constituer « une théorie de l’idéologique dans le toutsocial » est clairement explicitée. Chez l’analyste de discours, l’appui sur le conceptmarxiste d’idéologie est quasi-immédiat dès les premières recherches9. Il s’agit biend’élaborer alors une théorie du discours articulée sur une « théorie des idéologies » –selon la formule alors d’usage – de facture marxiste. Par la suite, Michel Pêcheuxabandonne cette formulation trop théoriciste au profit d’un centrage encore plus net surla notion de formation discursive

9

Dans ce contexte intellectuel se détache, – nous insistons sur ce point –, la notion deformation discursive articulée sur la formation idéologique. Cette notion prend unedouble valeur, à la fois du côté de la matérialité du discours (Foucault, Pêcheux) et del’interpellation du sujet (Althusser, Lacan). Elle procède tout à la fois d’une manièreproprement configurationnelle d’analyser les discours10, et tout particulièrementl’événement discursif, et de la volonté d’y associer des valeurs liées à un intérêt

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2.3. Immanence, intérêt émancipatoire,matérialisme

émancipatoire. Tout au long de l’histoire vive de cette notion – une quinzaine d’années–, il est sans cesse affaire de déplacement, de transmission, de transvaluation à partird’une « base marxiste » jusqu’à un effacement, au cours des années 80, disons plutôtune pause, qui éclipse une notion si chargée d’histoire marxiste.

Ce qui fait donc initialement événement en analyse de discours, voire fondation, c’est,pensons-nous, la mobilisation initiale du marxisme autour de la notion de formationdiscursive articulée à la notion de formation sociale. La formation discursive ne cessealors de subir des métamorphoses dans quelque chose qui n’en est pas la négation, parle fait même de transvaluer, dans le changement même, la matérialité et lespotentialités émancipatoires initiales de l’analyse du discours elle-même.

11

Dès le départ, quelque chose existe – un intérêt émancipatoire inscrit au cœur mêmede la connaissance – et quelqu’un parle, une voix oubliée, la voix de l’acteur de mai 68en relais de la voix du porte-parole des Révolution françaises (1789, 1830, 1848, 1871,1936). Une voix qui ne cesse d’informer l’histoire en France, une voix un tempsprotagoniste de l’événement, puis qui prend nom de concept, la formation discursive.Rappelons la première formulation princeps en la matière, présente dans un numéro deLangages (N°37, mars 1975) significativement intitulé, Analyse de discours. Langue et

idéologies, selon laquelle les formations discursives « déterminent ce qui peut et doitêtre dit »11.

12

Quinze ans plus tard, au moment où le trajet de la notion de formation discursiveatteint son apogée, avant d’achever temporairement son opérativité, on peut marquerun ajout important à sa formulation princeps, toujours sous la plume de MichelPêcheux, avec l’expression de « délocalisation tendantielle du sujet énonciateur »12, quimarque bien la part d’immanence, de créativité de ce quelqu’un qui parle13. Formulation complète, étendue de la notion au seuil de son éclipse, mais toujours dansl’attente de sa future réapparition donc.

13

Il s’agit là des trois points à préciser dans cette réflexion sur le futur du concept deformation discursive hérité du marxisme et de la politique de mai 68.

14

Avec L’immanence, nous sommes dans un espace de retrait par rapport auxcertitudes du sens commun par le fait de l’expérience vécue de l’événementrévolutionnaire. Le concept de formation discursive prend alors ici consistance dans desconnexions inédites qui donnent toute sa puissance créative à l’expérimentationhistorique, sur la base fondatrice de mai 68. Cependant, l’immanence de la formationdiscursive ne se réduit pas à un « pur travail » de la pensée, certes ouvert auxpossibles. Avec le slogan « Plutôt la vie », il est aussi question, dans l’histoire d’unconcept issu de mai 68, de son vécu, défini à partir de « l’ensemble des conditionspresque négatives qui rendent possible l’expérimentation de quelque chose qui échappeà l’histoire »14.

15

Ainsi aux conditions négatives de créativité liées à la possibilité d’une pensée nonencore advenue s’associent des connexions multiples mises en évidence dans le coursdes Révolutions françaises, et qui sont l’objet de l’analyse de discours. C’est dire que sil’événement ouvre de suite des potentialités créatrices nouvelles, – c’est le point àsouligner –, il se traduit dans un devenir-autre, ce que nous sommes en train dedevenir sous ses effets, quelque chose à identifier, sans que cela soit positivement définidans son immédiateté du fait de l’ouverture des possibles. Ici l’analyse du discours peutse doter d’une éthique de l’émancipation. Chaque événement révolutionnaire, et mai 68

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2.4. En résumé….

3. D’autres événements … la formation

le plus proche, constitue le nouveau « grain de sable » dans le devenir d’une traditionrévolutionnaire française bien vivante, que nous rapportons d’abord à un intérêtémancipatoire. Ceci ne peut se faire sans une forte dimension d’agir communicationnel,théorisée au départ par Habermas dans la lignée du marxisme.

Avec L’intérêt émancipatoire, il s’agit, selon Habermas publiant en 1968 Erkenntnis

und interesse15, d’appréhender les interprétations de la réalité. Et cela s’opère par lepoint de vue de l’intersubjectivité de la compréhension entre individus dans le butd’orienter l’action. L’intérêt, c’est alors l’orientation de base, présentement l’intérêtémancipatoire lié à l’activité de l’humanité agissante et souffrante, et lié à un travail del’esprit et une interaction spécifiques. Habermas nous renvoie ici à Fichte, et à Marxlecteur de Fichte, et à leur conception d’un intérêt émancipatoire inhérent à la raisonagissante elle-même, à la part d’intuition de l’entendement sur les besoins humains16.Un tel intérêt n’existe que là où surgissent les conditions négatives de possibilité.Comme en mai 68. Une telle inscription de l’intérêt dans le langage de la vie réelledevient alors source de matérialisme.

17

Avec le nouveau matérialisme17,et l’insistance conjointe sur la part de réciprocité del’humanité sociale, – la réalité des droits avec la liberté, et sa réciprocité l’égalité –, ilest question enfin du rapport réel de la liberté au déplacement de la marge vers lecentre. Ceux qui n’ont rien, le Tiers-état en 1789, les ouvriers en 1830, 1848, 1870, 1936demandent à être tout, les sans de nos jours, donc veulent être quelque chose. A ce titreles luttes installent la marge au centre. Mai 68 relève ici de la métaphore employée parAlthusser d’un piquet qui, planté dans un fleuve incessant, tient à « un peu de terreferme ». Il s’agit donc de prendre acte de la rencontre contingente et aléatoire du sujetavec la réalité dans des situations révolutionnaires singulières. Dans cette rencontre, cequi fait sens relève de la matérialité du discours. L’analyse du discours est bien alorsexpérimentation, et non simple interprétation, comme nous l’avions souligné dans unouvrage commun aux historiens du discours18.

18

Le fait d’être communiste dans cette conjoncture – ce fut notre cas – associe ainsi unetâche politique nécessaire, concevoir de nouvelles modalités de la lutte de classes, et uneinterrogation sur ses conditions de réalisation à la fois possibles et pensables (quelque

chose existe dans l’événement émancipateur) et impossibles et impensables, doncaléatoires (la révolution tout simplement). Le langage de la vie réelle devient alors« langue de la politique de tout un peuple » pour reprendre une formulation de Marxdans L’idéologie allemande19. L’analyse du discours est donc centralement concernéepar le point de vue matérialiste : son élision ne peut qu’en affaiblir la portée.

19

Ce quelque chose qui existe, c’est la part irréductible, et particulièrement visible danstout moment révolutionnaire, du collectif, de l’engagement et de son devenir, là où touteune génération d’intellectuels s’engage dans le marxisme et y trouve matière dansl’événement de mai 68 en y puisant l’impulsion d’une créativité continuée au cours desdécennies suivantes20. Un quelque chose s’associant à quelqu’un qui en parle, en tantque sujet humain, dans sa singularité même, dans son récit de soi, ainsi que nousl’avions déjà montré sur la base de l’expression des exclus dans la parole des sans21. Unsujet humain qui porte (la) parole en identifiant le nom de ce quelque chose, sasignification ouverte au futur.

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discursive aujourd’hui

3.1. Le politique comme manque

3.2. Le tournant gestionnaire : effacement descontradictions.

La formation discursive a donc fait problème, de l’intérieur de l’AD, par sacomplexification même, et de l’extérieur par le soupçon d’entreprise idéologiquetotalitaire. Il faut alors revenir sur ce qui a permis les attaques les plus radicales del’analyse du discours des années 65-80.

21

La commande de cet article coïncide de façon heureuse avec la commémoration de lachute du mur de Berlin. Cette « fête » rappelle que les 20 dernières années se sontcaractérisées par leur façon de passer à côté du politique. Une des explications de cemanque est la « honte » d’avoir été/d’être marxiste, et surtout communiste. Jetant lebébé avec l’eau du bain, on jette l’avenir avec le passé, on recompose le savoir à partird’une position idéologique. L’effondrement du « bloc communiste » a engendré ladéferlante humaniste dont rêvaient, sans oser se l’avouer, de nombreux chercheurs ensciences humaines et sociales dérangés par le débat théorique autour du marxisme.

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À dater de ce jour, le consensus se dit « démocratique » et l'on peut crier « On agagné » sans un « contre » audible. La verte analyse de Michel Pêcheux sur la« victoire » du 10 Mai 81 fait défaut22. S’installe alors un discours dominant libéral, alliéau discours de ceux que Alain Badiou appelle les « philosophes médiatiques », tropheureux de se sentir libérés ! Être ou avoir été, ou communiste ou marxiste, ne peut (nedoit) plus se soutenir. Et ce n’est pas simplement l’oubli qu’on organise, c’est la trace,quand elle persiste, qu’on efface, comme à Berlin, où doivent disparaître des noms derue jusqu’à celui de Clara Zetkin23. Mémoire, témoignage, histoire se confondent alorsdangereusement. L’oubli sélectif du passé, en particulier l’oubli de son poids de science,installe un nouveau rapport au futur. D’où cet énoncé qui fait florès en proclamant lamort de l’histoire, et des idéologies. Il n’était plus question (et c’est peut-être encore lecas) de se hasarder à citer Althusser : « Seule une conception idéologique du monde apu imaginer des sociétés sans idéologies » (Positions)24. Le langage ordinaire s’emparede l’affaire : « C’est de l’idéologie » est jeté comme injure à toute argumentationpolitique de résistance et ouvre la voie au « tournant gestionnaire ».

23

Puisqu’il n’y a plus de politique, au sens de la lutte de terrain, puisqu’il y amondialisation de la notion de démocratie libérale, tout devient gestionnaire. On passedu gouvernement à la gouvernance, du collectif au concurrentiel, des luttes auxnégociations. Jamais sans doute, depuis 40 ans, on n’avait à ce point « vu » commentles contradictions travaillent une idéologie et comment une domination s’impose sanscoup férir. Il faut, pour mesurer l’effet de recouvrement, reprendre les positions deMichel Pêcheux sur la formation discursive au colloque de Mexico en 1978 (Remontons

de Foucault à Spinoza)25.

24

Y sont retravaillés :25

1. la « division », de la formation discursive et ses conséquences méthodologiques :« toute formation discursive doit nécessairement être analysée à la fois d’un point devue de classe et d’un point de vue régional » (le point de vue régional renvoie aux

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3.3. Le terrain, la langue et le discours

domaines : la religion, la morale, etc.) ;2. le “rapport interne qu’elle entretient avec son extérieur spécifique ”, et donc le fait

que « la formation idéologique dominante ne surplombe pas les formationsidéologiques dominées de l’extérieur – fausse contradiction, issue d’une vision statiquede l’idéologie dominée –, mais les contraintes de l’intérieur ». L’analyste doit doncs’affronter à « une domination qui se manifeste par l’organisation interne elle-même del’idéologie dominée ».

27

Or, tout se passe comme si la « chute du Mur » avait manifesté qu’une formationidéologique dominante peut effacer toute frontière, tant elle « contraint de l’intérieur »les vaincus. L’impression de porosité des discours plus encore que le détournement dediscours, ne pouvait que marginaliser les tentatives théoriques d’analyse des effetsidéologiques. Ces tentatives étaient renvoyées au passé aboli, inaudibles cardélégitimées par l’histoire.

28

Mais quand, de la porosité et de l’alliance gestionnaire, les dominants sont passés àun véritable « siphonage » (noms de personnages, comme Jaurès ou Gabriel Péri,épisode d’histoire, comme le Plateau des Glières revisité…), l’alliance imaginaire,l’échange consensuel, « entre gens libres », ont montré à la couture le détournement, lafalsification. L’interdiscours reprenait sa force. L’année 2009 a manifesté une ruptureoù on ne l’attendait pas : à l’intérieur du consensus idéologique victorieux. Lescontradictions discursives, devenant plus visibles en se spécifiant et se localisant, sontdevenues dénonçables dans un contexte de lutte. Il est redevenu permis de penserlibéralisme derrière liberté, productivisme derrière modernité. Voilà que réapparaissaitdans le langage ordinaire un sens clivé, masqué par définition mais brusquement révélédans le vocabulaire politique, ce support premier de la toute première AD. Lesconfusions, les défigurations, l’ordinaire des contradictions, en somme, pouvaient selaisser dire à travers des pétitions, grèves, manifestations, lectures, rondes….

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Cela ne signifie pas la fin des confusions. L’idéologie spontanée des SHS est toujourset constamment sollicitée. L’actuelle mise en place par Valérie Pécresse (juillet 2009) du« Conseil pour le développement des humanités et des sciences sociales » en témoigne :les SHS, sciences annexes, sont « mises au service » de l’économie afin de justifier deleur utilité et donc de leur coût. Ainsi, même si le grand consensus est fissuré, les SHSsont redéfinies comme servantes et non « poil à gratter », encore moins commeentraînement à penser l’émancipation humaine. Partie prenante des SHS, l’analyse dudiscours était précipitée, dans cette conjoncture, à perdre sa part agissante. Elle estalors devenue pour certains chercheurs, historiens, politologues, linguistes, réponse etnon moteur, boite à outils et non analyse, techniques et non expérimentations.

30

Il est certes quasi naturel d’oublier « spontanément » qu’on est sujet, et donc« parlé » comme le dit Althusser, pour se croire expert et s’attribuer cette place pourtantsi bien problématisée par le sociologue, la place de Sirius.

31

On peut se demander comment, et surtout pourquoi une interrogation plusvigoureuse est en train de faire repartir internationalement les analyses du discours,d’élargir les interrogations à partir des noyaux de résistance qui ont tenu. Cet article necitant qu’exceptionnellement, par principe, des travaux récents, c’est à grands traits quel’on peut remarquer une forme de retour aux fondamentaux : l’émancipation par lesluttes de terrain rend visibles des « portions » sociologiquement marquées (les« exclus », les « sans », les « travailleurs »…) et relance la référence à la « sémantiquediscursive », si caractéristique des années 70-80. Ce qui a changé sur le terrain, c’est

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3.4. De la conjoncture politique à la conjoncturedisciplinaire

que des « régions discursives », en reconquérant de la visibilité, ne l’ont pas maintenue« régionale », mais s’en sont servi comme base pour faire converger l’ensemble desluttes. L’appel des appels est une remarquable manifestation de la transformationnécessaire d’une formation discursive qui, partant des « régions » (Hôpital, École,Université, Justice, Service public…), s’articule sur les classes et donc se dynamise.

La lutte sur le terrain étant là, indispensable informatrice des discours, la forme desdiscours change et la langue se ré-impose aux analystes qui s’en étaient éloignés,comme le prouvent des soutenances de thèse récentes. Le plus fascinant pour unlinguiste, dans l’affranchissement des énonciateurs, c’est le poids des fragments delangage figés : proverbes, citations, locutions, collocations semblent des points d’appuide la reconquête d’un sens. Des sortes de points de capiton. Comme si la pérennité deces formes garantissait que du sens pouvait encore résister, par le fait même qu’il a étéstabilisé, préconstruit, dans une forme historiquement reconnue, qui a prouvé dans le

temps sa capacité de résistance. Ce n’est pas la poésie, ce n’est pas la chanson, c’est laforme figée qui ramasse, aujourd’hui, la controverse et le débat scientifique. Voici ques’ouvrent des avenues et certains les explorent déjà. Tout le travail sur l’hétérogénéité etla distance, initié par Jacqueline Authier, retrouve son importance, dans la mesure où ilanalyse un corpus d’usages ordinaires installés sur sites discursifs arrêtés, qu’ils soientmontrés ou tus26.

33

Encastrée dans cette conjoncture politique, une autre conjoncture a pesé sur l’AD desannées 70 : elle touche elle aussi à la tradition majoritaire mais sous forme inversée, enrésistance au consensus structuraliste sur le sens, que l’AD avait en partie assumé à sesdébuts. Ici s’est logée une première discorde, par la résistance des modes de lecturetraditionnels. Si les années 80 changent la donne du côté de l’AD (« lecturesenchevêtrés, qui contraignent à prendre en compte des niveaux opaques à l’action d’unsujet »)27, la vigueur actuelle de l’analyse textuelle, ses nouvelles inventions etpratiques, jusqu’en littérature, manifestent encore un refus clair du scandale introduitpar une analyse, « où le sujet est à la fois dépossédé et responsable du sens qu’il lit 28».

Sans doute est-ce en partie de la responsabilité des analystes du discours qui se sontdispersés à la suite du suicide de Michel Pêcheux et n’ont donc pas poursuivi sapolitique de continuels échafaudages et remises en chantier, dans une confrontationavec les travaux contemporains. De fait, « les lectures » analysées dans «AD et Lecturesd’archives », dans « AD et mémoire », textes de recherche élaborés collectivement dansla pluridisciplinarité, ont été recouvertes, et par les textualités et par une nouvelleconfiguration informatique. En lieu et place des algorithmes, ce sont les bases dedonnées, les grands corpus, en germe dès les travaux de lexicométrie du Laboratoire deSaint Cloud, qui dominent, exploités par des logiciels performants certes, mais qui,contrairement aux algorithmes, laissent intacte la question de la fabrication des corpusd’étude, et donc des hypothèses d’analyse29.

34

Les soutenances récentes disent souvent cette difficulté rencontrée d’entrée de jeu parles jeunes chercheurs : s’il leur semble impossible de se passer de ces corpusinformatisés, il leur est cependant difficile d’échapper à leurs dictats (le journal Le

Monde, numérisé, pour la presse, la littérature dans l’ensemble Frantext…). Là encore,la politique dominante, de numérisation cette fois, et de la culture, fait la loi. Lesanalyses les plus hardies semblent alors paradoxalement celles qui, faisant fi duquantitatif, osent le micro corpus qualitatif (Luca Greco, Eni Orlandi)30 ou celles qui

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3.5. La lecture politique

osent le parallèle dérangeant des résultats d’hier et d’aujourd’hui (Damon Mayaffre).Dans les deux cas, il y faut des analystes aguerris, inventifs, et/ou soutenus31. Oncomprend que l’analyse du discours se pratique souvent en équipe et que ses praticienssoient souvent déstabilisés.

La marginalisation de « l’AD canal historique »32 par la domination des grandscorpus, par la vigueur des analyses textuelles, est directement issue de sesprincipes mêmes : elle n’a pas travaillé l’intertextualité, mais l’interdiscursivité,hétérogène et non référentielle, a construit des repérages linguistiques pour lespréconstruits intratextuels, qui dérangent le texte, et elle a installé le contournement ducontexte. Or, la relation texte/discours n’exprime pas directement mais, de fait,manifeste un délaissement de l’intradiscours33. La place de l’AD est étroite dans laconjoncture disciplinaire, tant qu’elle tient les positions rappelées.

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Dans les dominations disciplinaires installées, quels sont alors les points denon-contact, qui isolent l’AD comme radicalement farouche ?

37

Pour l’AD, il y a des « gestes de lectures » et la lecture lettrée, même outillée, nes’oppose pas seulement à la lecture mécanique (primaire, utilitaire) mais aussi à lalecture politique. L’AD lit un « procès sans sujet ». Là est sans doute le pointd’achoppement le plus grave, avec trois confusions dans la postérité de Michel Pêcheux :

38

1. confusion entre discours et discours politique. Ceci résulte de la chronologie.Michel Pêcheux est mort au moment où, ayant abandonné les grands textes fondateurs,majoritairement politiques, le groupe de chercheurs autour de lui diversifiaient lescorpus et commençait à travailler les « bribes », y compris orales. Lors de la séparation,de la dispersion, chacun a gardé de l’AD dans sa valise, mais la visibilité s’en estperdue.34

39

2. Confusion entre idéologie et référence aux théories de l’idéologie (althussérisme).Cette confusion-ci n’est pas le fait de la première AD, mais du consensus qui a suivi,évoqué plus haut.

40

3. Confusion entre engagement du chercheur et orientation de la recherche (thèmeanalysé et genre analysé). Les thèmes et les corpus se sont très fortement diversifiés,mais l’engagement des chercheurs est longtemps resté réel, bien au delà de l’anecdote.Si Michel Pêcheux dénonçait l’encartement comme non probant pour réfléchir enLSH35, les chercheurs de son groupe étaient souvent membres du Parti communiste, et,même critiques, toujours marxistes. Au delà de ce groupe, il faut rappeler qu’en cestemps des cours étaient donnés à l’Université Nouvelle, les réunions au CERM (Centred’Études et de Recherche Marxiste) rassemblaient à Paris tous les mois une trentainede linguistes alors très actifs, de Rouen à Perpignan, et donnaient lieux à desdiscussions plutôt âpres à partir de tapuscrits malheureusement non publiés. Parailleurs, les articles dans les journaux politiques sont des traces non effaçables. C’estpourquoi nous publions en annexe la page « Idées » de l’Humanité du 15 octobre 1971« langue, ‘langages’, discours », signée Michel Pêcheux36.

41

Cet effet de masse a été tel qu’il a caché les affrontements théoriques, en particulierau moment de l’apparition des écrits de Bakhtine-Volochinov, ou à propos du rôle desformalismes grammaticaux, des normes, de l’enseignement de la grammaire, ou autourde la réception de Saussure, de la question émergente des SHS. Or, ces affrontementspréludaient à des séparations théoriques (par exemple, AD et sociolinguistique, rapportau cognitivisme) et à des reformulations d’objets et de méthodes (critique d’AAD 69,informatique). Les rapports de recherche au CNRS des années 82-83 (« Lecture et

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Annexe

mémoire », « fil du discours »…) interrogent tous les « contextes épistémologiques »37

de l’analyse du discours.Voilà ce que devront sans doute envisager les historiens des sciences humaines et

sociales dans quelque(s) décennie(s) : – un renoncement au rejet politique au profitd’une analyse critique, épistémologique, de ce qu’on a pu appeler l’AD française et desdébats qu’elle continue à nourrir, par son refus même de la stabilisation – l’analyse dela question de l’émancipation en continuité et aussi en discontinuité avec celle du sujetclivé, parlé par la/les formations discursives qui le font sujet. Denise Maldidier aamorcé le travail en présentant magistralement et en rassemblant des textes essentielsde Michel Pêcheux, souvent inédits, dans L’inquiétude du discours38. Il resterait,reprenant des analyses proposées aujourd’hui, des articles sectorisés et des points devue, à initier une réflexion élargie. Tout l’appelle, voire l’exige : la persistance desconfusions touchant aux sciences humaines et sociales en France, les divergencestouchant la pragmatique en Europe, la méconnaissance des travaux novateurs dunouveau monde…

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Nous avons souhaité, non pas tant republier ici un article de Michel Pêcheux que produire pourles lecteurs d’aujourd’hui une photo-témoignage de formes ordinaires d'engagement, ici dans unquotidien marqué, sous le fameux macaron "Spéciale idées", bien connu des anciens lecteurs deL'Humanité C’est pourquoi on trouvera le haut de l'article sous la forme d’un fragment de fichierJPEG, puis la suite en petits caractères.

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15-10-1971

Langue , “langages”, discoursLa linguistique est aujourd'hui à la mode. Elle joue à l'égard de beaucoup de chercheurs de disciplines assezdiverses le rôle ambigu de « science-pilote ». Nous tenterons, en nous limitant aux sciences sociales, histoireet littérature (1), d'analyser cette ambiguïté en démêlant ce qui dans ce rôle relève d'une interventionscientifique de la linguistique dans le travail scientifique d'autres sciences et ce qui relève de l’exploitationidéologique de leurs difficultés, sous couvert de leur apporter une « solution ».

Linguistique et para-linguistique

APRES avoir rapidement désigné les principales sous-disciplines qui constituent actuellement la linguistique,on donnera au lecteur une idée de

l’étendue du champ resté « à découvert » à l'extérieur de la linguistique, et sur lequel se sont développéesdes recherches para-linguistiques dont nombre de chercheurs linguistiques ou non pressentent le caractèrefrauduleux ou pseudo-linguistique du point de vue théorique (2). La question sera, dès lors, de savoir si lanature même de ce champ (envisagée du point de vue marxiste-léniniste) n'impose pas que les rapports qu'ilentretient avec la linguistique soient redéfinis dans leurs principes : si, à titre d'exemple, on considère ledomaine de la politique et celui de la production scientifique, on constate que, dans ces deux domaines, lesmots peuvent changer de sens selon les positions tenues par ceux qui les emploient. Dans ces conditions,s'agit-il encore d'un problème purement linguistique ? Sinon, comment redéfinir, à propos d'exemples de cegenre, le rapport entre la science linguistique et le domaine de l'Histoire mis a jour par Marx, dont l'explorationse poursuit aujourd'hui, théoriquement et pratiquement ?

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Phonologie, morphologie, syntaxe, sémantique

SELON les dictionnaires, la linguistique constitue l'étude scientifique du langage, entendu comme l'ensembledes langues parlées ou écrites. Pour les nécessités mêmes d'une telle étude, la linguistique a été amenée àélaborer une théorie générale de la langue permettant l'interprétation des phénomènes linguistiquesparticuliers à telle ou telle langue : la phonologie (littéralement étude des sons), la morphologie (littéralement :étude des formes) et la syntaxe (littéralement : manière de combiner les mots), tout en appartenant à cettethéorie générale, en tant que sous-partie de celle-ci, s'appliquent, en même temps, à la description spécifiquedu français, de l’anglais, de l'arabe, etc.

Ainsi dans cette théorie générale, le niveau phonologique se donne pour but de définir les élémentsphoniques caractéristiques d’une langue et les règles de combinaison selon lesquelles ces éléments formentles mots de cette langue. Par exemple, l'opposition entre les phonèmes l et r par laquelle se distinguent lesdeux mots français lampe et rampe. À cette description phonologique correspondent des règles autorisant ouinterdisant telle ou telle combinaison de phonèmes.

Le niveau morphologique porte sur l’étude des formes sous lesquelles se présentent les mots dans unelangue donnée. Soit par exemple les trois formes parlons, parlâmes et parlions considérées comme résultantde l'adjonction de trois suffixes ( -ons, -âmes, -ions) à la base « parl ». Considérons par ailleurs le termeintercalaire -er-. On voit que seuls deux des trois suffixes signalés peuvent se combiner puisque la formeparl-er-âmes qui n’est pas réalisé en français, constitue un « barbarisme », c'est-à-dire une erreur conduisantà une forme qui n'existe pas dans la langue.

Le niveau syntaxique, enfin, concerne les règles qui, dans une langue donnée, régissent la construction desphrases par enchaînement des mots. Il s'agit ici d'éviter les erreurs dans la construction de la phrase(« solécismes »). Il est à noter que la grammaticalité d'une phrase et son caractère compréhensible necoïncident nullement : une phrase comme « d'incolores idées vertes dorment furieusement » estgrammaticalement correcte, mais dépourvue de sens immédiatement saisissable, bien qu'on puisse lui enimaginer un. Par contre, « vous faire moi rigoler » est a-grammatical, mais directement compréhensible pourles lecteurs du roman de Peter Cheyney où un locuteur étranger prononce cette phrase.

Comme on vient de le voir, aucun des niveaux que nous avons caractérisés ne peut se définir de manièreisolée, il s’appuie nécessairement sur le niveau d'ordre inférieur. Il est tentant de considérer qu'il en va demême lorsque l'on aborde pour lui-même le problème de la production et l'interprétation du sens d'unephrase, c'est-à-dire la théorie sémantique. Dans ces conditions, la sémantique seraitle prolongement et lecouronnement des niveaux inférieurs de la linguistique.

La linguistique et les autres sciences humaines

IL est toutefois un indice qui montre que la question n'est pas si simple. En effet, alors que la phonologiegénérale s'applique à l'étude de la phonologie du français, de l'anglais de l'arabe, etc. (de même pour lamorphologie et la syntaxe), on voit mal ce que signifierait une sémantique du français, de l'anglais, de l'arabe,etc. : tout se passe comme si la correspondance entre théorie générale et étude particulière d'une languedonnée disparaissait au niveau de la sémantique. Pourtant, celle-ci ne se délivre pas de toute « donnéeconcrète » : simplement, elle va les chercher ailleurs ; par exemple dans la sociologie, la psychologie,l’histoire, la littérature, etc., qui lui fournissent du concret, mais découpé autrement que ne l'était le concretlinguistique d'une langue nationale donnée. On fera sans doute remarquer que ces composantes « sociales »et littéraires ne sont pas absentes des domaines phonologique (r « grasseyé » des milieux urbains/ r « roulé »encore présent dans les campagnes), morphologique (variations historiques des préfixes et suffixes,créations de mots nouveaux liées à l'apparition des chemins de fer… ou du socialisme), syntaxique (lagrammaticalité ne varie-t-elle pas, pour ses zones-frontières tout au moins, en fonction de données socio-historique ?) Il ne s’agit là cependant (sauf peut-être pour le dernier point) que de propriétés secondaires, dupoint de vue linguistique, dont la théorie générale n'a pas à rendre compte.

Le саsest tout différent pour la sémantique. En effet, le lien qui relie les « significations » d'un texte auxconditions socio-historiques de ce texte n'est nullement secondaire, mais constitutif des significationselles-mêmes : comme on l'a remarqué à juste titre, parler est autre chose que produire un exemple degrammaire. Peut-on, dès lors, espérer « prolonger » la théorie linguistique par une sémantique générale(science générale des significations), qui délivrerait la linguistique du « carcan formel » de la grammaire ?Nous allons voir maintenant comment cette entreprise a été tentée et examiner les conséquences qui enrésultent.

Linguistique et étude des « langages »

NOTONS, pour commencer, qu'il est absurde de faire reproche à la linguistique de se restreindre à son objet :toute discipline scientifique se constitue en excluant de son propre champ ce qui, jusque-là, l'obsédait, ausens propre du terme. Ainsi la linguistique a-t-elle exclu de son champ les questions du sens, de l'expressiondes significations contenues dans les textes. Or ces questions, qui n'en continuent pas moins d'être posées(actuellement, ce sont surtout les diverses « sciences sociales »citées ci-dessus qui s'en sont chargées, di-rectement ou indirectement), insistent auprès de la linguistique pour être résolues avec les moyensthéoriques dont dispose cette dernière ; et la manière dont la linguistique résiste ou cède à cette demande setraduit, en définitive, dans le rapport que cette science entretient avec son extérieur spécifique, et qu'elle

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exprime elle-même par l'opposition langue-parole. Au concept (scientifique) de langue s'oppose, en effet, lanotion de parole, représentant la manière dont chaque individu use de la langue, manière unique par laquellechaque « sujet parlant » manifeste sa liberté en disant « ce que jamais on n'entendra deux fois ». Toutefois,cette liberté apparaît aussitôt comme soumise à des lois, non seulement au sens de contraintes juridiques(limitant la liberté d'expression), mais aussi au sens de déterminations socio-historique decette liberté de laparole. On est ainsi amené à penser qu'à une époque donnée et pour un « milieu social » donné, la« parole », sous ses formes politiques, littéraires, académiques, etc., s'organise nécessairement en« systèmes » régis par des lois. Et c'est, en définitive, ce couple idéologique liberté + système que recouvrele terme de parole ; le deuxième sens du mot « langages » (au pluriel) (3), désignant l'existence d'unepluralité de systèmes (système du récit, du drame, etc.), constitue, dès lors, une tentative pour résoudre cettecontradiction, en réappliquant à la « parole » les concepts et opérations d'analyse définis pour l'étude de lalangue.

Une application métaphorique de la linguistique

IL en est résulté un nombre assez considérable de recherches, de nature et de qualité très variées. On a vuainsi apparaître, dans l'analyse littéraire, des « systèmes d'opposition » caractéristiques d'un roman ou d'unefamille de romans, des « syntaxes » du drame ou du récit, etc. Dans le domaine socio-historique, certainesétudes des « lexiques » ou des « langages » ont permis aux préoccupations idéologiques les plus diversesde se donner carrière, et de raffermir la conception idéaliste selon laquelle le malheur essentiel de notresociété réside dans la séparation des langages, réduisant ainsi la lutte des classes à la vieille idée d'un« conflit » entre des dialectes ou jargons de classe.

Cette application métaphorique de la linguistique peut, par ailleurs, dépasser le domaine de l'étude destextes, et s'étendre à l'ensemble des objets et comportements, qui tous sans exception sont susceptibles derevêtir une « structure » (langages musical, pictural, cinématographique, structure du vêtement, de l'objet etdu comportement automobile, etc.).

La linguistique sert ainsi de caution à une entreprise « d'analyse générale de l'intelligible humain » (4), c'est-à-dire à une impossible science de la réalité, à côté ou plutôtau-dessus des sciences existantes, pourcaractériser rapidement la nature impossible de cette nouvelle science des sciences, on dira qu'elle découledu rapport qui est ici établi entre le donné concret empirique, extrait de ce que les Anglo-Saxons appellent lavie quotidienne et les concepts supposés capables de les décrire.

Langue et discours

IL importe maintenant de dissiper une équivoque possible. Il ne faut pas voir dans la critique qui vient d'êtrefaite la marque d'une sorte d'intégrisme linguistique, dont le mot d'ordre serait : « au-delà de la syntaxe, pointde salut » ; les régions que nous venons d'évoquer ne sont pas vouées par nature à rester inconnues, maisleur connaissance suppose, comme nous l'indiquions en commençant, un changement de terrain dont leschercheurs éprouvent de plus en plus la possibilité et la nécessité. Dans son principe, ce changement deterrain consiste à se débarrasser de la problématique subjectiviste centrée sur l'individu, source de gestes etde paroles, point de vue sur les objets et sur le monde, et à comprendre que le type de concret auquel on aaffaire et par rapport auquel il s'agit de penser, c'est précisément ce que le matérialisme historique désignepar le terme de rapports sociaux, résultant des rapports de classe caractéristiques d'une formation socialedonnée (à travers le mode de production qui la domine, la hiérarchie des pratiques que ce mode de pro-duction nécessite, les appareils à travers lesquels se réalisent ces pratiques, les positions qui leurcorrespondent, et les représentations idéologico-théoriques et idéologico-politiques qui en dépendent).

Place d'une « théorie du discours » dans le matéria lisme dialectique

MAIS il faut aussitôt dissiper une autre équivoque possible. On ne peut déduire de ce qui vient d'être introduitque la langue comme réalité autonome disparaît, que la grammaire elle-même n'est qu'une affaire de lutte declasse ( !). En réalité, ilconvient plutôt de concevoir la langue (objet de la linguistique) comme la base parrapport à laquelle se construisent des processus ; la base linguistique caractérise, dans cette perspective, lefonctionnement de la langue par rapport à elle-même, en tant que réalité relativement autonome ; et il faut,dés lors, réserver le terme de processus discursif (processus de production du discours) au fonctionnementde la base linguistique par rapport à des représentations (cf. ci-dessus) mises en jeu dans les rapportssociaux. Cela permet de comprendre pourquoi des formations idéologiques très diverses peuvent seconstituer sur une seule base (réponse au problème : une seule langue/plusieurs cultures).

Précisons bien que le terme « base » ne doit pas être entendu au sens de base économique, par rapport àune superstructure, mais plutôtau sens où l'existence de l'animal humain social et parlant constitue leprésupposé de base de tout mode de production économique possible, ou plus précisément le support desrapports sociaux qui correspondent à ce mode de production (6).

Par ailleurs, le processus du discours ne doit pas, on le voit, être confondu avec l'acte de parole du sujetparlant individuel, notion qui devient inutile et dangereuse au fur et à mesure que l’étude des processus (noncentrés sur un « sujet parlant ») fait apparaître le caractère empirique et respectif de cette notion.

Il faut, enfin, préciser que la relation d'articulation des processus sur la base linguistique est rendue possiblepar l'existence, à l'intérieur même de cette base, de mécanismes résumés par le terme d’énonciation, par

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Notes

1 Cette sensibilité forte à l’histoire de l’analyse du discours se retrouve dans nos ouvrages :Francine Mazière, L’analyse du discours. Histoire et pratiques. QSJ 3735, 2006, et JacquesGuilhaumou, Denise Maldidier et Régine Robin, Discours et archive. Expérimentations enanalyse de discours, Bruxelles, Mardaga, 1994.

2 Nous avons retracé une part de cette histoire. Voir Jacques Guilhaumou, « Où va l’analyse dediscours ? Autour de la notion de formation discursive », Texto, rubrique « Quoi de neuf », etMarges.linguistiques N° 9, 2005. Ce texte n’a pas été publié par la suite dans une revue française,mais dans une revue brésilienne « Aonde vai a analise de discurso ? Em torno da noçâo deformaçâo discursiva », Lingua e Instrumentos Linguisticos, N° 16, 2006, Pontes éd., Campinas,Brésil, p. 9- 42.

3 Titre de Marx : L’idéologie allemande (1845), traduction française, Paris, Éditions sociales,1968, p. 41, 43 et 50. Le premier chapitre commence pas ces mots, « À en croire les idéologuesallemands.. » avec de suite un chapitre sur « L’idéologie en général et en particulier l’idéologieallemande » qui oppose à sa « phraséologie » le « langage de la vie réelle ».

4 Jacques Guilhaumou, « Le non-dit de l’idéologie : l’invention du mot et de la chose », ActuelMarx, N° 43, 2008, p. 29-41.

5 Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 81.

6 Jacques Guilhaumou, , « La temporalité historique des formes d’individuation. Les figures dumoi », in Histoire et subjectivation, sous la dir. de A. Giovannoni et J. Guilhaumou, Paris, Kimé,2008, p. 219-252.

7 Texte disponible sur Frantext.

8 Dialectiques, N° 1-2, p. 3-29. Cet article est suivi d’un article de Régine Robin sur « La naturede l’État à la fin de l’ancien régime » (p. 31-54) où la question de l’idéologie est historicisée dansune problématique de la transition, à propos de la Révolution française.

9 Jacques Guilhaumou « Idéologie, discours et conjoncture », Dialectique N° 10-11, 1975, p. 33-58 ; Régine Robin, Histoire et linguistique, Paris, Armand Colin, 1973.

10 Le terme de configuration renvoie, dans la lignée de Michel Foucault, à une façon de donnersens à une diversité d’énoncés tout à la fois divergents et convergents, énoncés attestés dansl’archive socio-historique.

11 Michel Pêcheux et Catherine Fuchs, « Mises au point et perspectives de l’analyse automatiquedu discours » in Langages N° 37, mars 1975, p. 11.

12 Expression de Michel Pêcheux dans l’ouverture du colloque Matérialités discursives, Paris,Presses Universitaires de Lille, 1981, p. 17.

13 Ajout que nous avons concrétisé historiquement par une attention particulière à la parole

lequel s'effectue la prise de position du « sujet parlant » par rapport aux représentations dont il est le support(6). Un certain nombre de linguistes et de chercheurs spécialisés dans l'étude des textes commencent àtravailler sur ce point (7), décisif pour l'avenir des relations entre la linguistique (ou théorie de la langue) et cequi, désigné ici sous le nom provisoire de « théorie du discours », constitue en droit un secteur dumatérialisme historique vraisemblablement promis à un grand développement.

Michel PECHEUX,

Attaché de recherche

au CN.R.S.

(1) Ily aurait aussi lieu d'explorer du côté des sciences de la nature (la biologie, par exemple).

(2) Soulignons, bien que cela aille de soi, que cette question, relevant de la lutte théorique, ne saurait évidemment pas être réglée par des

mesures administratives visant à contrecarrer cette direction de recherche.

(3) Voir ci-dessus dans la définition de la linguistique le premier sens donné à ce terme.

(4) Cf. Présentation du n° 4 de la revue « Communications ».

(5) Il n'y a pas de mode de production des « sociétés » animales.

(6) L'étude de ces mécanismes, qui représentent à l'intérieur de la base la condition générale de possibilité des processus, permettra

vraisemblablement de poser d'une façon adéquate, et peut-être de résoudre le problème des « rapport » entre syntaxe et sémantique ».

(7) Les travaux cités par L. Guespin et rassemblés dans le n° 9 (fév. 1971) de Langue Française, en sont un exemple.

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émancipatrice dans La parole des sans, Lyon, ENS-éditions, 1998.

14 Gille Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Les Editions de Minuit,1991, p. 106.

15 Traduction française : Connaissance et intérêt, Paris, Gallimard, 1976.

16 Ibid., p. 232.

17 Nous renvoyons ici au matérialisme aléatoire tel qu’il est précisé par Louis Althusser dans Surla philosophie, 1994. Voir aussi, dans le lien à l’immanence selon Deleuze, « La politique de GillesDeleuze et le matérialisme aléatoire d’Althusser », Actuel Marx, N° 34, 20003, p. 161-174.

18 Jacques Guilhaumou, Denise Madidier, Régine Robin, Discours et archive, op. cit.

19 Op. cit., p. 59.

20 A ce titre, l’approche pragmatique et cognitive de l’engagement du locuteur, telle qu’elle estactuellement mise en place par Louis de Saussure avec Steve Oswald constitue une ouverturemajeure pour l’analyse du discours.

21 La parole des sans. Les mouvements actuels à l’épreuve de la Révolution française, Paris,ENS/Editions, 1998.

22 Michel Pêcheux Le discours : structure ou événement ?1983, première partie. Dans Maldidier,L’inquiétude du discours, 1990, p. 306.

23 Une exposition s’est ouverte en novembre 2009 à Paris : « Berlin, l’effacement des traces ».Les commissaires, S. Combe, t. Dufresne et R. Robin y montrent à l’œuvre une véritable« politique de l’oubli » de l’histoire de la RDA. Sur les traces de ce qui est volontairement effacé,se lit « une disparition qui semble aller de soi, quelque chose à quoi l’on consent pour favoriser unavenir consensuel ». Catalogue Avant propos.

24 Pour Marx, Maspéro 1966, p. 238.

25 Publié en français dans L’inquiétude du discours, p. 245.

26 L’étude de J. Authier, « Paroles tenues à distance », a marqué le colloque « Matérialitésdiscursives », PUL 1981, avant même son article décisif « Hétérogénéité montrée et hétérogénéitéconstitutive : éléments pour une approche de l’autre dans le discours », DRLAV 26 : 91-151, 1982.

27 J.-M. Marandin et M. Pêcheux, « Informatique et Analyse du Discours », Buscila n° 1 1984 oùl’on peut lire : « Il n’y a pas de ’ready made’ du traitement textuel ».

28 Ibid.

29 On ne dira jamais assez la difficulté de la construction du corpus comme « processusco-extensif à l’analyse du discours ». Au moment où se déstabilisent pour les chercheurs les« garanties socio-historiques » des corpus, apparaissent la notion d’« états de corpus », les« déplacements de la périphérie au centre » au cours de l’analyse, la production « en spirale » desreconfigurations de corpus, par « une interaction cumulative » d’analyses linguistiques etd’analyses discursives (par algorithmes)... M. Pêcheux « Analyse du discours : trois époques »1983. Maldidier 1990, p. 299.

30 Cf. au colloque organisé en 2008 à Paris 3 par de jeunes chercheurs « Analyse de discours etdemande sociale : enjeux théoriques et méthodologiques », les interventions à paraître de LucaGréco, qui, réduisant son corpus à un énoncé syntaxique minimal de styledéfinitionnel(« GN-épithète c’est GN » ) montre « la façon dont les normes de genre sontconstruites (ou déconstruites) dans le discours » et d’Eni Orlandi qui interroge le sens d’unephrase de gamin des rues à l’aide du « glissement métaphorique » qu’autorise une phrase deCastoriadis.

31 Le cas de soutien le plus étonnant est sans doute celui du Brésil où l’équipe de Campinas,initiée par Eni Orlandi, et aguerrie par 30 ans de travail, donne un espace, par la solidité même dece travail, à tous les développements, aussi centrifuges soient-ils.

32 L’expression, heureuse, est de M.-A. Paveau.

33 J.-M. Adam et U. Heidmann Sciences du texte et Analyse de discours Slatkine éruditionGenève, 2005.

34 Rappelons les principaux secteurs ralliés par les membres dispersés : ethnométhodologie,sociolinguistique, linguistique formelle, sociologie, politologie, histoire des concepts, des idéeslinguistiques …

35 M. Pêcheux « Les sciences humaines et le moment actuel », La Pensée, 1969, p. 143.

36 Nous remercions l’Humanité et Messieurs Degoy et San-Biagio de nous avoir transmis laphoto numérique de cet article.

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37 B. Conein, J. Guilhaumou, D. Maldidier « L’analyse de discours comme contexteépistémologique ». Mots n° 9 1984 p. 25-30. A cette époque, la RCP ADELA partageait son espacede discussion en trois axes : archives socio-historiques, recherches linguistiques sur ladiscursivité, informatique et analyse du discours.

38 Michel Pécheux, L’Inquiétude du discours, textes choisis et présentés par Denise Maldidier,Paris, Éditions des Cendres, 1990.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jacques Guilhaumou et Francine Mazière, « « Ainsi, nous sommes qui nous sommes dans le Mississippi » », Semen [En ligne], 29 | 2010, mis en ligne le 01 avril 2010, consulté le 19 juillet2014. URL : http://semen.revues.org/8782

Auteurs

Jacques Guilhaumou

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Paru dans Semen, 31 | 2011

De peuple à prolétaire(s) : Antoine Vidal, porte-parole des ouvriers dans L’Echo de laFabrique en 1831-1832 [Texte intégral]

Paru dans Semen, 25 | 2008

Francine Mazière

Droits d’auteur

© Presses universitaires de Franche-Comté

« Ainsi, nous sommes qui nous sommes dans le Mississippi » http://semen.revues.org/8782

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Revue de sémio-linguistique des textes et discours

29 | 2010 :La théorie du discours. Fragments d'histoire et de critiqueAventures théoriques

AAD69 : archéologie d’uneétrange machineJACQUELINE LÉON

p. 89-90

Résumés

L’objectif de ce texte est d’appréhender le programme de recherche d’analyse automatique dudiscours (AAD69) conçu et réalisé par Michel Pêcheux, de deux points de vue, celui del’automatisation, considéré comme central, et celui de sa génèse avant sa publication en 1969.Nous montrerons qu’AAD69 a été conçu comme un dispositif automatisé devant faire pièce avecles systèmes existant d’analyse documentaire. Nous montrerons aussi que les emprunts aumodèle harrissien, au coeur du dispositif, l’ont été à travers la documentation automatique, quiont largement contribué à la réception de Harris en France. Enfin, nous montrerons que les deuxtournants linguistiques : linguistique computationnelle, et théorie linguistique du discours,arriment l’oeuvre de Michel Pêcheux au structuralisme généralisé.

This paper aims at examining Pêcheux’s research program in Discourse Analysis (AAD69) fromtwo points of view : its computarization and the genesis of the process before its publication in1969. We will show that AAD69 was conceived of as a computerized device which was to competeagainst information retrieval systems. We will also show that AAD69 borrowed elements fromHarris’s information retrieval works which largely participate to the reception of Harris’slinguistic work into French linguistics. Finally, we will show that two linguistic turns can beidentified, the turn of computational linguistics and the turn of linguistic theory of discourse,which anchored Pêcheux’s work into generalized structuralism.

Entrées d’index

Mots-clés : histoire du traitement automatique des langues, histoire du structuralisme, réceptionde Harris en FranceKeywords : History of Natural Language Processing, History of structuralism, reception ofHarris’s work in France

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Texte intégral

1. Introduction

2. AAD69 : une machine documentaire ?

Parler en 2010 de l’automatisation de l’analyse de discours dans le projet AAD691 estune affaire particulièrement complexe. Comme on le sait, ce projet, au moment mêmede son élaboration, a fait l’objet de nombreux et continuels travaux réflexifs,auto-critiques et remaniements. Une fois Michel Pêcheux disparu (désormais MP), denouveaux travaux critiques ont été publiés, les plus récents étant la présentation deDenise Maldidier en 1990 d’un ensemble de textes de MP et, en 1995, la publication enanglais d’un autre recueil de textes précédée d’une introduction à plusieurs voix dirigéepar Hak et al. (1995). Plutôt que d’ajouter une strate supplémentaire de commentaireauto-réflexif, je propose d’examiner, sur le plan historique, le contexte dans lequelAAD69 a été élaboré considérant qu’au moment de sa publication, il était certes uneesquisse, comme le signale Hak et al. (1995), qui allait être développée dans la décenniesuivante, mais qu’il constituait déjà une étape, le résultat d’un travail amorcé dans lesannées 1966-67.

1

Je partirai de l’idée qu’AAD69 n’a pas été conçu comme modèle linguistique, ni plusgénéralement comme modèle des sciences du langage, dans la mesure où celles-ci nefaisaient pas partie de l’horizon de rétrospection (Auroux 1987) de MP. Il a été conçucomme modèle du sens, machine de guerre politique, et aussi comme dispositif pratiqueà visée documentaire ; ce qui explique qu’il s’est trouvé tiraillé entre la rigueur et lacohérence exigées d’un modèle théorique (théorie du discours) et les nécessairesajustements et compromissions qui ont toujours été, et sont encore actuellement, le lotdes dispositifs de traitement automatique des langues.

2

Bien qu’il soit souvent difficile de désintriquer les trois volets de ce qui constitueAAD69, c’est à partir de la focale « automatique », c’est-à-dire à partir d’AAD69 commedispositif d’analyse automatique, que je vais orienter mon étude historique. L’histoired’AAD69 est courte, une vingtaine d’années, et je m’intéresserai particulièrement à saphase de gestation, à savoir les années 1966-1969. Probablement parce qu’elles ont misen jeu d’autres espaces que la linguistique, ces années ont peu fait l’objet de travauxcritiques. Considérant que les premiers travaux d’un auteur sont toujours très éclairantsd’un point de vue historiographique, je m’intéresserai surtout à la genèse d’AAD69 enexaminant ses versions successives : l’article du Bulletin du CERP (Pêcheux 1967a) reçuen février 1967, une version rénéotée de sa thèse datée de novembre 1967 (Pêcheux1967b), l’article de 1968 (Pêcheux 1968) et le texte publié de 19692. J’envisagerai cetteétude à partir d’un certain nombre de questions.

3

Quelle est cette machine étrange, dont les détracteurs et les concepteurs, MP lepremier, ont souligné très tôt les insuffisances ? Au carrefour d’un certain nombred’innovations technologiques et théoriques des années 1960, quelle place occupaitl’AAD en termes d’automatisation et de formalisation des sciences humaines ?Comment comprendre la représentation linguistique des énoncés du corpus soumis autraitement automatique, représentation tant décriée par les linguistes, à commencer parceux qui faisaient partie du propre groupe de recherche de MP, sachant que quasimentaucun linguiste n’a été « utilisateur » de la méthode AAD ?

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L’enjeu de cette entreprise est donc finalement de réaliser les conditions d’unepratique de la lecture, en tant que détection systématique des symptômesreprésentatifs des effets de sens, à l’intérieur de la surface discursive (1969 : 110).

2.1. Psychologie sociale, analyse de contenu etsystèmes documentaires : l’enjeu d’une machine

Pour p. Henry (1995), AAD69 est un instrument conçu à l’intérieur d’une théorie, lathéorie du discours au sein de la théorie marxiste des idéologies. Les élémentsconstituant cet instrument, et empruntés aux diverses disciplines, linguistique, logique,ou informatique vont être incorporés à la théorie qui doit se les approprier. D’où laposition « instrumentalisée » voire inféodée de ces disciplines face à la théorie dudiscours. C’est bien à la tâche définissant théoriquement cet instrument que se consacreThomas Herbert dans les années 1966-68.

5

Cet instrument a pour objectif la lecture symptômale althussérienne, que MP rappelledans la conclusion d’AAD69 :

6

L’automatisation, lieu de transformation des sciences sociales et humaines pendantles années 1960, est au coeur du projet de MP : AAD69 ne serait pas seulement uninstrument, ce sera aussi une machine, à la fois dispositif d’analyse documentaire etmachine de guerre. Ce « cheval de Troie infiltré dans les sciences sociales » (Henry,1995 : 40) doit faire pièce aux systèmes existants. Ce doit être une « machine », unprocessus implémenté sur ordinateur, avec des applications et des utilisateurs.

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Dans l’Avant-Propos de François Bresson de la publication de 1969, deux notessignées « MP » attestent de cette volonté de développer un « outil qui fonctionneeffectivement », qui a déjà fourni des « résultats opérationnels » à l’aide « d’algorithmesréalisés » au sein d’un groupe de travail ; d’où la présence massive (et parfois considéréecomme « incongrue » et inutilement « encombrante ») des algorithmes dans l’ouvrage.

8

AAD69, conçu pour l’étude des processus discursifs et comme méthode alternative àl’analyse de contenu, se trouve à la croisée de la formalisation et de l’automatisation dessciences du comportement3 et de la linguistique, en plein essor dans les années 1960. Ilva emprunter certains aspects de son automatisation aux deux grands domained’application non numérique des ordinateurs d’après la seconde guerre, la traductionautomatique et la documentation automatique. En 1966-67, années de gestationd’AAD69, c’est l’objectif de machine documentaire qui prévaut. Ce n’est que dans unsecond temps, vers 1968-69, que la nécessité d’une formalisation linguistique s’estimposée et a pris de plus en plus d’importance dans le dispositif. On peut identifierplusieurs raisons à cette évolution, dont AAD69 garde les traces.

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(i) Après l’échec de la traduction automatique sanctionné par le rapport de l’ALPACen 1966, c’est la documentation automatique qui occupe la place, soit par lareconversion des projets, soit parce que certains modèles, en particulier les analyseurs(appelés aussi parseurs) syntaxiques ont été adaptés à la documentation. Même si cetteévolution a pris des formes atténuées en France, la documentation automatique y esttout à fait florissante à la fin des années 19604.

10

(ii) MP a investi le champ de la psychologie sociale, un des domaines déjà les plusengagés dans le développement des langages documentaires.

11

(iii) Une réflexion sur les langages et représentations formels en linguistique devenaitindissociable de sa position sur le sens, d’autant plus que certains systèmesdocumentaires revendiquaient un fondement linguistique.

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On peut faire l’hypothèse qu’AAD69 a été conçu comme machine documentaire pour13

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2.2. Syntol : le défi

2.3. La critique de Syntol

faire pièce aux systèmes existants. De plus en plus implantés en sciences humaines, ilssont au cœur de la formalisation de différentes disciplines, à travers la représentation, lestockage et l’extraction d’information. Les deux plus grands systèmes sont le General

Inquirer (Stones et al. 1966) et Syntol (Gardin et al. 1964), tous deux figurant dans labibliographie d’AAD69.

La psychologie sociale, élue par MP comme champ d’application de ses recherches surl’histoire des sciences et la théorie des idéologies est une des sciences humaines(indépendamment de la linguistique) où l’automatisation est la plus avancée, pourl’analyse documentaire.

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C’est donc en psychologie sociale que MP, en parallèle avec ses activités de philosopheau sein de groupes de réflexion marxiste et althussérien, décide de développer uneréflexion épistémologique. En juillet 1964, il rédige un projet de thèse « histoire etépistémologie de la psychologie sociale » qui devait être dirigée par Daniel Lagache,fondateur (en 1952) du laboratoire de psychologie sociale de l’Université de Paris5. C’estdans ce même laboratoire, alors dirigé par Robert Pagès, que MP est recruté en 1966comme attaché de recherches au CNRS. Or le laboratoire de psychologie sociale estreconnu, dès la fin des années 1950, pour le Service de Documentation qui fait sonoriginalité. Dans son ouvrage de 1964, Gardin mentionne d’ailleurs les importantesclassifications établies par le Laboratoire de Psychologie sociale, sous la direction de R.Pagès, et son utilisation de fichiers documentaires sur cartes perforées préparantl’automatisation.

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C’est dans les revues de psychologie que MP publie ses premiers travaux (Pêcheux1967, 1968) et AAD69 sera publié chez Dunod, dans la collection « Sciences ducomportement », dirigée par deux psychologues, F. Bresson et M. de Montmollin.

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Syntol, créé par J-C. Gardin et son équipe (Cros et al. 1964) est un systèmedocumentaire, destiné à la recherche automatique de documents scientifiques analyséset indexés. Fondé sur l’idée de traduire un texte (en langage naturel) dans un langageartificiel univoque avec son lexique et sa syntaxe propre, il est constitué d’un ensemblede règles et de procédures d’enregistrement et de recherche d’informations. C’est unprojet de grande envergure qui a commencé à être développé en 1960 dans le cadre d’unprojet piloté par l’Euratom, le CNRS et l’EPHE (6ème section).

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En 1964, Syntol est déjà testé de façon expérimentale par plusieurs équipes ensciences sociales. Un certain nombre de codes (ou lexiques documentaires spécialisés),compatibles entre eux, ont été réalisés pour l’analyse des documents graphiques encartographie, pour les « films ethnographiques » du laboratoire de Jean Rouch, pourl’analyse de la bibliographie de la Préhistoire pour le centre du Musée de l’Hommedirigé par Leroi-Gourhan, pour le Centre d’Analyse Documentaire de l’Afrique Noiredirigé par Françoise Izard. Syntol, en pleine expansion, a déjà une renomméeinternationale : il est cité par le General Inquirer (1966) comme un des deux grandssystème de documentation ; l’autre étant SMART, le système de Harvard. En élaborantdes lexiques spécialisés compatibles entre eux, Gardin a pour ambition une organisation« fédérale » de la documentation en sciences humaines en investissant les centres decalcul.

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Tout système sémiologique [représenté par un discours empiriquement donné]doit être référé aux places d’où les discours correspondants peuvent êtrerespectivement prononcés et entendus, ce qui suppose une saisie psycho-sociologique des conditions de communication, mettant en évidence le systèmedes places possibles (1967a : 219-220).

Le projet de Gardin intéresse particulièrement p. Henry et MP. Syntol repose, commeles autres systèmes documentaires, sur une réduction des synonymies et des polysémiesdu langage naturel pour obtenir un lexique artificiel, le langage documentaire, dont lestermes ont un sens univoque et consensuel pour une discipline donnée. De plus, Syntolcomprend un système de renvoi entre mots, une sorte de réseau sémantique, quistructure l’information.

19

Paul Henry et Werner Ackermann dirigent en 1967 un numéro du Bulletin du CERP

entièrement consacré à l’analyse de contenu et aux systèmes documentaires. Troisarticles traitent de Syntol, en particulier un article critique de p. Henry.

20

P. Henry admet la nécessité d’un langage de la science nécessairement réduit etcomportant des invariants et des liens logiques. Par ailleurs, il reconnaît l’intérêt desexigences qu’imposent la formalisation en Syntol, obligeant le chercheur à une analyseplus rigoureuse et plus systématique. Il met toutefois en évidence les interventionssubjectives de l’analyste à plusieurs moments-clés de la procédure, en l’absence de toutcontrôle et de toutes règles. Il montre également que l’analyse effectuée à l’aide deSyntol morcelle le texte et détruit la logique de la classification proposée par le sujetpourtant légitime et naturelle, en ne gardant aucune trace des glissements de sens.

21

C’est à une question épistémologique, la constitution de codes institutionnellementdéfinis pour les sciences, que MP consacre le début de son article (Pêcheux 1967a) –repris dans le premier chapitre d’AAD69. Il interroge l’objectif de Gardin, archéologuede formation, consistant à classer des objets archéologiques, à partir de traits distinctifsunivoques capables de couvrir tous les caractères de tous les objets, de quelqueprovenance ou époque qu’ils proviennent. MP questionne « l’analyse technologiquedestinée à établir le recensement de tous les traits distinctifs nécessaires à la descriptiondes objets »… « C’est donc parce qu’il existe déjà un discours institutionnellementgaranti sur l’objet que l’analyste peut rationaliser le système de traits sémantiques quicaractérisent cet objet… le système d’analyse aura donc l’âge théorique (le niveau dedéveloppement) de l’institution qui le norme… » (1967a : 216).

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A cette norme a priori garantie par l’institution, MP oppose de prendre en compte lesprocessus de production des textes seuls susceptibles de déterminer ce sens et qu’ilconvient de théoriser :

23

A partir des concepts saussuriens qu’il développe longuement dans cet article (partieégalement reprise dans AAD69), MP adopte, contre la pratique de l’analyse de contenudans les sciences humaines, une position structuraliste constructiviste sur le sens. Cetteconception non réductionniste du langage dans l’histoire des sciences aboutira plus tardsur une réflexion sur la sémantique dans les sciences du langage.

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Il systématisera sa critique dans un article de 1968 (Pêcheux, 1968), en mettant aujour les hypothèses implicites à l’œuvre derrière les différentes pratiques d’analyse decontenu, dont l’analyse automatique documentaire de type Syntol postulant des classesd’équivalence apriori. À ces hypothèses, il oppose des contre-hypothèses fondatricesd’une « technique d’analyse du discours », première ébauche d’AAD69, où les classesd’équivalence ne sont pas données a priori mais sont des résultats : après avoir évaluéla comparabilité sémantique de deux configurations, on forme des chaînes desimilitudes sémantiques susceptibles d’être regroupées en classes d’équivalence oudomaines sémantiques.

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2.4. AAD69 : un système alternatif d’analysedocumentaire

[…] toute réduction arbitraire préalable de la surface Dxn par des techniques dutype “résumé codé” doit être évitée puisqu’elle suppose en fait la connaissance du

résultat qu’il s’agit précisément d’obtenir […] (1969 : 112).

3. Discourse Analysis de Harris : un modèlelinguistique pour l’analyse documentaire

Avec le numéro du Bulletin du CERP et l’article de 1968, les hostilités avec Syntolsont ouvertes et ne font que commencer. Dans son ouvrage Les analyses de discours,Gardin (1974) ne mentionne ni MP ni AAD69, ni d’ailleurs les travaux de Dubois. Deplus, parmi les critiques d’AAD69, on trouvera celles des collaborateurs de Gardin, (cf.§4 ci-dessous).

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L’enjeu de la documentation automatique est très présent pour AAD69. Denombreuses références bibliographiques en témoignent, et on peut en tracer diversaspects dans les différentes versions du texte. Dans la conclusion de l’article de 1968,Pêcheux signale que c’est à Jean Bouillut, un de ses collègues chercheurs du laboratoirede psychologie sociale engagé dans la fabrication d’un langage documentaire à partir deSyntol, pour la psychologie sociale et la sociologie, qu’il doit le principe de l’analyse decomparaison des relations binaires, la formation des chaînes et le regroupement enclasses d’équivalence (1968 : 117)6.

27

Il n’est donc pas étonnant que cette partie de la procédure, directement issue del’analyse documentaire, emprunte certains de ses éléments à Syntol : notamment lareprésentation d’une phrase comme graphe de relations binaires7, et l’idée de faireintervenir des pondérations dans la procédure de comparaison. C’est cette partie de laprocédure qui sera d’ailleurs très vite écrite sous forme d’algorithmes (présents dansAAD69) puis programmée.

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Dans AAD69, outre que la partie théorique se présente comme une critique del’analyse de contenu, MP continue à faire référence à la documentation automatique.Dans le tout dernier paragraphe de l’ouvrage, figure une référence au résumé codé de ladocumentation automatique, et aux connaissances a priori du sens que cette techniquesuppose :

29

Les linguistes du groupe ADELA ont été intrigués (Hak et al. 1995 :52) de la faibleimportance accordée à Harris dans AAD69. Celui-ci n’est mentionné qu’une seule fois àpropos d’une transformation mineure (ajout de la copule dans le cas d’un adjectifépithète), alors que la représentation en phrase-noyaux des énoncés élémentaires, laméthode par classes d’équivalence, et le nom même d’« Analyse du discours » lui sontdus. MP a, par la suite, fait plusieurs fois amende honorable et a reconnu sa dette enversHarris. En particulier, dans le cadre des grands remaniements présentés dans Langages

37 (1975), sont discutés deux aspects fondamentaux de la théorie harrissienne, absentsd’AAD69 parce qu’ils n’en étaient pas alors l’enjeu : la notion de paraphrase et lesquestions associées d’identité et de synonymie ; l’opposition à la conceptionharrissienne du corpus réduit à un seul texte.

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On peut avancer deux tentatives d’explication à cette singulière référence à Harris:31

1. C’est en tant que modèle documentaire que MP prend connaissance des travaux de32

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Harris.2. Au moment de la publication de AAD69, le modèle de MP est déjà en pleine

mutation concernant la représentation linguistique des énoncés élémentaires, passantdu modèle harrissien des phrases noyaux au modèle culiolien des schémas de lexis.

33

Au moment de l’élaboration d’AAD69, Harris n’est pas encore traduit en français. Lespremiers textes en français seront publiés en 1969 dans Langages 13. Auparavant, ontrouve quelques références et compte rendus épars dans des travaux de linguistique qui,selon toute évidence, ne faisaient pas partie de l’horizon de rétrospection de MP à cemoment-là. C’est par l’intermédiaire des travaux en documentation automatique qu’ilentend parler des travaux de Harris.

34

L’analyse distributionnelle harrissienne est en effet reconnue par les auteurs desystèmes documentaires comme méthode documentaire à base linguistique (Stone et al.

1966 : 53).

35

Il ne faut pas oublier qu’Harris, dans le sillage de ses travaux en traductionautomatique, a lui-même publié des textes proposant une méthode de documentationautomatique (information retrieval) et un analyseur syntaxique fondé sur sagrammaire en chaîne (Harris 1959a, 1959b). D’ailleurs, les premiers Harrissiensfrançais, Maurice Coyaud et Maurice Gross8, font partie de la Section d’AutomatiqueDocumentaire (SAD) dirigée par Gardin, que M. Gross dirigera à son tour ettransformera en LADL (Laboratoire d’Automatique Documentaire et Linguistique) en1970. L’objectif de Harris est d’utiliser les transformations pour la recherched’information dans les textes scientifiques, dans la mesure où, dans son approche, lestransformations conservent l’information dans les textes scientifiques – ce qui n’est pasle cas dans des textes littéraires. Cette approche le conduira, sur les traces de Carnap, àproposer une grammaire de l’information des sous-langages des sciences (Léon 2008).

36

Dans le numéro du CERP (1967), après avoir présenté la méthode de Harris (1952,1957), p. Henry tente de l’appliquer, de façon comparative avec Syntol sur le corpusd’Ackermann et Zigouris. Bien qu’il en repère les limites, en particulier pour l’analysed’énoncés stylistiquement complexes, il note qu’Harris ne prétend pas qu’il soit possibleen partant de l’analyse distributionnelle et des transformations d’atteindre le contenusémantique des textes analysés. Ce que p. Henry nomme la « culture de l’analyste » vadevoir intervenir au niveau de l’interprétation et de la comparaison des énoncés. Dansle même numéro, MP emprunte explicitement à Harris (1963), tout en la discutant, laméthode par classes d’équivalence puis son analyse en phrases-noyaux qu’il intégredans une esquisse de grammaire de reconnaissance. Une telle méthode permettait defournir les conditions d’interprétation du discours sans avoir recours au sens a priori

comme les systèmes documentaires.

37

On sent toutefois que MP est mal à l’aise à l’égard de Harris, et ne le cite qu’en note defaçon plutôt lapidaire. En fait, si MP adopte l’idée de classes d’équivalence pour« générer » les discours, définis comme systèmes sémiologiques, il critique la« taxinomie » effectuée par Harris pour qui les classes d’équivalence sont stables surtout le discours, ce qui ne permet pas de rendre compte des« formes de progression dudiscours ».Il propose d’ailleurs une ébauche de typologie des discours, où « la formeprésentative (rapport, récit, histoire, légende) » s’opposerait à « la forme démonstrative(preuve, justification, argumentation) » (1967a : 221). La question du discours ramené àun seul texte ne se pose pas encore.

38

Ce qui est dû à Harris, c’est la méthode documentaire de comparaison aboutissant àdes classes d’équivalence, et c’est, de fait, Bouillut qui est l’auteur du transfert desclasses d’équivalence harrissiennes vers une méthode d’analyse des processusdiscursifs9. MP emprunte également à Harris la notion de « phrase-noyau » pourreprésenter les séquences de surface, et propose une esquisse de grammaire pour les

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L’effectuation « manuelle » de ces différentes opérations est évidemment trèslourde pour une séquence dépassant quelques lignes ; notre conviction est que desprocédés analogues à ceux de la traduction automatique (transformation desphrases en « arbres » chomskiens) permettent une mécanisation des premièresopérations, et que la troisième (phase d’analyse) est également automatisable :l’essentiel est sur ce point de réduire le volume des mémoires et le temps decomparaison, donc de définir un - algorithme optimum d’analyse (Pêcheux,1967a : 223).

4. Le tournant linguistique etcomputationnel

4.1. Lexis et grammaires de reconnaissance

générer. Cette grammaire assimile des éléments de la représentation de Harris, à savoirla phrase noyau en tant que suite de classes de morphèmes, et des éléments de lagrammaire générative de Chomsky. Le résultat est assez étrange : les règles ne sont pasdes règles de réécriture, elles ne sont ni syntagmatiques, ni récursives et ne génèrentrien. Ce qui les rend assez peu « linguistiques » et en tous cas peu opérationnelles.Toutefois l’idée de grammaire de reconnaissance est là, ainsi que celle d’automatisation.Il conclut, à propos de cette ébauche de grammaire :

C’est en effet vers la traduction automatique qu’il va se tourner pour élaborer sagrammaire et fabriquer les premiers algorithmes. Mais au lieu des « arbreschomskyens », c’est la lexis culiolienne qui va devenir le modèle linguistique.

40

Le terme « grammaire de reconnaissance » apparaît dans l’article de 1968. Dans lemême paragraphe, apparaît également le terme « lexis » que MP dit devoir à A. Culioliqu’il a rencontré en été 1967 au colloque de l’AFLA à Nancy10. Dans la version ronéotéede novembre 1967, bien que Culioli ne figure pas encore dans la bibliographie, une note(qui sera reprise dans AAD69 p. 70) indique que sera fait « grand usage des distinctionset mises au point relevant de la méthodologie linguistique, que M. Culioli a eul’amabilité de nous communiquer spécialement sur les questions du mode de

détermination du SN, des marques attachés au syntagme verbal et de la lexis. » Apartir de là, les énoncés élémentaires seront présentés comme une réalisation de la lexisdans le discours : « Les énoncés élémentaires E1… Ex représentent des unitésdiscursives correspondant à la réalisation d’une lexis dans le discours » (Pêcheux, 1968 :116). Dans la pratique, les énoncés élémentaires constituent une forme mixte entrephrase-noyau (suite de catégories de surface) avec une place (la forme de l’énoncé) pourles modalités d’énonciation, forme qui ne satisfera jamais les linguistes.

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A partir de fin 1967, l’élaboration d’une grammaire de reconnaissance sur la base dela formalisation de la lexis de Culioli fait l’objet d’un groupe de travail, le « grouped’Aussois », groupe informel rassemblant des psycho-sociologues, et des linguistes etinformaticiens culioliens (dont Culioli lui-même), ainsi que les deux autres membres du« BCG », le logicien Jean-Blaize Grize et le psychologue François Bresson.

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Deux lieux institutionnels sont investis par ce groupe de travail, au sein desquels MPexpose et discute une première version d’AAD69. L’EPRASS (EnseignementPréparatoire à la Recherche Approfondie en Sciences Sociales), créé de 1965 à 1970 àl’EPHE 6e section pour former à la recherche en anthropologie, comprend, en 1967-68,quatre sections, dont une section de sémantique et linguistique, avec une sous-section

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4.2. AAD69, un système de TAL des années 1970 ?

« analyse de contenu » où MP enseigne dès septembre 1967, en compagnie dep. Henry11. Le second groupe institutionnel est l’équipe TAL (traitement automatiquedes langues) dirigée par Jacques Rouault au sein du CETA (Centre d’Etudes deTraduction Automatique) lui-même dirigé par Bernard Vauquois. Ce groupe travaille enmême temps sur une seconde version d’un analyseur (Pivot II) pour la traductionautomatique.

Deux esquisses de grammaires de reconnaissance voient le jour :44

Sophie Fisher, Catherine Fuchs et Hélène Pauchard, membres du groupe d’Aussois,élaborent, dans le cadre du CETA et d’un mémoire de l’EPRASS, une esquissed’analyseur syntaxique en 1967-68. La grammaire de reconnaissance utilise le cadreformel du CETA et est appliquée sur un corpus de phrases fournies par MP. Le parseurconstruit des regroupements binaires et des arbres de dépendance à l’aide d’automatesà états finis, selon une stratégie gauche-droite (Fisher et al. 1968).

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Un second analyseur morpho-syntaxique est envisagé en 1973 (Fuchs et al. 1973)ayant pour objectif d’associer aux unités analysées morphologiquement une descriptionconstituant l’amorce d’une reconnaissance syntaxique. Au préalable, un analyseurmorphologique est chargé de décomposer les unités en formes de base et terminaisons àpartir d’un dictionnaire de formes et de règles.

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On retrouve, à travers ces tentatives, les questionnements et tâtonnements despremiers expérimentateurs de parseurs et d’analyseurs morphologiques pour latraduction automatique des années 1950. L’analyse en bases et terminaisons,déterminée par les contraintes et les limites de la machine, mais aucunement justifiéelinguistiquement, avait suscité de nombreuses critiques de la part des linguistes qui yvoyaient, à raison, une « linguistique pour ingénieurs » (Léon 1999). Ce décalage entreles travaux américains et les tentatives du groupe d’Aussois doit être interprété commeun des nombreux aléas de la réception en France de la linguistique computationnelle,dont une des caractéristiques est le retard et le décalage français en matière deconstruction de calculatrices électroniques, puis d’expérimentations en traductionautomatique, associés à un manque de soubassement pour la réception des modèlesformels logico-mathématiques (Léon 1998).

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Le projet de grammaire de reconnaissance, resté à l’état d’ébauche et commeproblème non résolu et à résoudre pour le dispositif AAD69, resurgira dans les années1980.

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A partir de sa programmation 1971, on peut considérer AAD69 comme un véritablesystème de TAL. Au début des années 1970, les algorithmes d’AAD69 sont programméset implémentés en machine. Une version en Fortran IV, programmée en 1971 parPhilippe Duval, est implémentée sur IBM360 sur deux sites : à l’Université de Bologneet, en 1973, au Service de Calcul pour les Sciences Humaines. En 1972, une version enAlgolW programmée par Mireille Dupraz est implémentée à l’Université de Grenoble,toujours sur IBM360. Contrairement à Fortran, langage de programmation créé pour letraitement des données numériques et donc très malaisé à manipuler pour les chaînesde caractère, AlgolW, permettant de programmer la récursivité, est plus proche deslangages comme COMIT et LISP, créés au MIT pour le traitement des listes (et donc lesarborescences) à des fins d’analyse syntaxique.

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Avec le manuel d’utilisation publié par Claudine Haroche et MP dans TAInformations

en 1972 (Haroche, Pêcheux, 1972), AAD69 devenait un véritable système opérationnelpouvant concurrencer les systèmes documentaires et d’analyse de contenu. Avec le

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5. Critiques, auto-critiques, remaniements,abandons

programme mis au point par le Centre de lexicométrie de l’ENS de St Cloud, il devenaitl’un des rares « programmes d’analyse de textes » (par opposition aux traitementsnumériques), opérationnels en France. A ce titre il a fait l’objet d’une recension parDavid Hays, un des chefs de file et fondateurs de la Computational Linguistics auxEtats-Unis, qui, tout en signalant le malentendu radical concernant la grammaire deChomsky, et regrettant la pauvreté de la grammaire fournie en regard des ambitionsthéoriques – « to give so many pages to a grammar with such limited validity seemsunwise » (Hays, 1973 :1089) – salue l’apparition de l’idée d’une linguistique pourl’analyse de discours.

Le programme AAD69, pendant sa courte période d’activité (de 1971 à 1980)12, va êtreutilisé par une dizaine de doctorants et chercheurs en sciences humaines, la plupart dutemps sur des corpus de discours politiques. Ces chercheurs ne sont pas des« utilisateurs » ordinaires, de simples consommateurs de programmes, postured’ailleurs très rare à l’époque, étant donné l’investissement considérable quereprésentait l’utilisation d’une méthode automatisée. Ils participaient souvent de façontrès active aux débats sur l’analyse de discours et ses enjeux théoriques. MP lui-même aappliqué la méthode sur trois corpus, en collaboration avec des historiens et des psycho-sociologues, déterminant ainsi une typologie de corpus, archives et expérimentation,dont il avait esquissé l’idée en 196713. Une de ses applications la plus aboutie, sans douteparce qu’elle donna lieu à de nombreuses discussions, fut l’étude du rapport Mansholt,menée par MP, p. Henry et Jean-Pierre Poitou, et dont l’objectif était de rendremanifeste les lectures d’un texte ambigu idéologiquement (Pêcheux et al. 1979).

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En tant que système de TAL, AAD69 présentait un certain nombre de faiblesses duesà la technologie de l’époque (mémoire et vitesse limitées des ordinateurs, impossibleinteractivité entre l’usager et la machine, langages de programmation non adaptés autraitement des chaînes de caractère etc…), et à l’incompatibilité de la représentationlinguistique avec un modèle de linguistique formelle cohérent et un traitementcomputationnel par un parseur syntaxique. AAD69, de ce point de vue, peut êtreconsidéré comme un système de TAL « classique » avec tous les défauts, failles,imperfections, voire illusions que cela implique. Il est clair que l’idée d’un systèmecomplet de TAL à large couverture était une gageure majeure, et comme tous lessystèmes globaux des années 1960-70, il devait être abandonné au profit de systèmesplus modulaires.

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La phase suivante est davantage connue ayant déjà fait l’objet d’études critiques(Maldidier 1990, Hak et al. 1995). Elle est aussi très riche, et nous ne l’aborderons quedu point de vue qui nous occupe ici, l’automatisation et la formalisation linguistique.

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Très rapidement, les critiques d’AAD69 s’accumulèrent, les remaniements aussi. Ellesémanent de diverses sources (« ennemis », membres de l’équipe de MP, « nouveauxanalystes » du discours14). MP lui-même et son groupe de travail ont émis un certainnombre de critiques méthodologiques comme le caractère hybride des énoncésélémentaires, l’arbitraire des pondérations, ou la difficulté de comparer des structurescomplexes à l’aide des procédures algorithmiques (Pêcheux 1975). Claude del Vigna, del’équipe TAL de Grenoble, élabore une version du programme qui tente de répondre àces divers problèmes, notamment celui de comparer des chaînes de longueur variable.Interactive, 3AD7515 donne la possibilité à l’utilisateur de faire varier les pondérations

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… [ce] qui vaut à l’analyse du discours condescendance ou mépris, c’est la pratiquedu “collage théorique” (emprunt “sauvage” de notions à des corps théoriqueshétérogènes et du bricolage pratique. Voilà une donnée de départ qu’il fauttravailler (Marandin 1979 : 17).

(Del Vigna 1977).Emanant du groupe des « empirio-criticistes » proches de Gardin, la critique porte

sur la circularité entre hypothèses et interprétation (Borillo et Virbel 1973). C’estégalement la critique, démontrée à l’aide d’un exemple, que portent Fisher et Veron(1973). On la retrouve formulée de façon réflexive dans (Lecomte et al. 1984 : 153) : « Ila été maintes fois reproché à l’AD de n’être qu’un détour qui retrouve, comme résultat àla fin de l’analyse, le savoir à propos d’un extérieur du discours (condition deproduction, situation d’énonciation, histoire des idées) qu’elle a mobilisé pour clôre uncorpus ». MP a tenté d’y répondre dans Langages 37, en distinguant deuxresponsabilités, celle de la construction de corpus à partir d’hypothèses extra-discursives d’ordre socio-historique, et celle de la responsabilité de la procédure, « àsavoir la responsabilité de réaliser une lecture non-subjective […]. Sans cette distinctionentre les deux responsabilités, on est fatalement conduit à l’idée d’une circularité parlaquelle l’AAD court le risque “de retrouver comme résultat de l’analyse le contenumême introduit et organisé par cette catégorisation” » (1975 : 26 ; la citation est deBorillo et Virbel 1973).

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Un troisième ensemble de critiques provenant d’analystes du discours eux-mêmes,utilisateurs ou non d’AAD69, dénonce la discordance entre la lourdeur de la mise enœuvre de la procédure16 et la pauvreté des résultats (Ramognino 1978), entre sonapparente scientificité et la subjectivité de l’interprétation : « Tout cela concourt àdonner l’impression à l’utilisateur de l’AAD69 que les objets appelés “domaines” sontl’effet de la mystérieuse instrusion de la subjectivité lectrice dans l’objectivisationmathématique » (Bonnafous 1981 : 146). En l’absence de toute théorie de la paraphrase,le statut des équivalences produites par substitution pose problème : comment en effetévaluer les résultats de cette « machine à produire de l’identité » ? (Pêcheux et al. 1982 :119).

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Ces critiques en rejoignent une autre, maintes et maintes fois réitérée, et qui conduiraà l’abandon définitif d’AAD69 : celle de la discordance entre les exigences théoriquesd’une part, la faiblesse de la représentation linguistique et les manquements de laprocédure, d’autre part. La nécessité de rattraper l’écart qui sépare l’analyse du discoursde la théorie du discours devient urgente. Les formules sont sans appel :

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Enfin, un dernier ensemble de critiques émanent des linguistes proches de MP, quioutre la répulsion que leur inspirait la structure hybride des énoncés élémentaires,refusaient l’instrumentalisation de la linguistique par AAD69 (et plus largement l’AD),et le statut de sous-discipline qu’elle imposait. « L’AD a besoin de résultats et lalinguistique n’a besoin de rien » (Gadet, Marandin, 1984 : 20). Ceci suppose que l’objetde l’AD soit distinct de celui de la linguistique, même si, comme l’indiquait MP, « Lafrontière entre le linguistique et le discursif est constamment remise en cause danstoute pratique discursive » (1975 : 3).

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À partir de ces critiques, on peut dire qu’AAD69 a connu un second tournantlinguistique, pouvant se décliner en deux volets : l’émergence d’une théorie linguistiquedu discours17, et, pour ce qui nous intéresse ici, la réapparition de la question del’analyseur syntaxique face à l’urgence et la priorité qu’il y avait à construire unegrammaire de reconnaissance pour un nouveau dispositif d’AAD.

59

L’abandon officiel d’AAD69 en 1982 (Pêcheux et al. 1982), relayé par le texte deMarandin et Pêcheux (1984) sur la formalisation, ont clairement remis la syntaxe au

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6. Conclusion

Les références théoriques (positives et négatives), qui, à partir de 1966, ont présidéà la construction du dispositif AAD (analyse automatique du discours paru en 1969chez Dunod, premier programme informatique « opérationnel » en 1971),s’inscrivent dans l’espace du structuralisme philosophique des années 1960,autour de la question de l’idéologie et en particulier celle de la lecture des discoursidéologiques (1982 : 95).

centre de l’AD. L’hypothèse centrale est qu’aucune manipulation d’expressionslinguistiques n’est possible sans prendre en compte leur structuration syntaxique,considérant toutefois que le questionnement sur l’autonomie de la syntaxe dans lesphénomènes discursifs implique que d’autres dimensions soient prises en comptecomme l’énonciation, le lexique ou la séquence. Ainsi, la séquence et l’intra-discours etleur appréhension à l’aide « d’algorithmes syntagmatiques » se retrouvèrent légitimésau même titre que la dimension de l’énoncé, traditionnelle de l’AAD, qu’appréhendaientles « algorithmes paradig-matiques ».

Le renouveau vient alors d’Amérique… du Canada, qui fait bénéficier le projet desavancées technologiques des années 1980. Le logiciel Déredec, mis au point parp. Plante de l’UQAM permettait ces évolutions. Développé sur micro-ordinateur, enparticulier sur Macintosh, dont la convivialité de l’interface était sans commune mesureavec le MS-DOS beaucoup plus répandu en France à l’époque, le logiciel pouvait êtreutilisé par des linguistes non-informaticiens tout en permettant un travail collectif etpartagé. Ecrit en LISP, un des deux langages créés au MIT au début des années 1960pour l’intelligence artificielle et les analyseurs syntaxiques, il offrait enfin une interfaceadaptée au traitement des langues naturelles, aux représentations arborescences, àl’analyse syntaxique. On va enfin pouvoir construire la grammaire de reconnaissancesouhaitée par MP dès 1967. Un nouveau projet d’AAD, AAD80, devient alors possible.

61

Avec la disparition de MP, le projet d’AAD, de même que l’existence de l’équipe« Analyse du Discours et Lectures d’Archive » perdent tout sens. Les travaux sur lesalgorithmes séquentiels se poursuivent quelques années à partir de la reconnaissance dela matérialité du texte dans le discours (Lecomte et al. 1984 ; Léon, Marandin 1986)18 ;le projet d’analyseur syntaxique s’autonomise du projet d’AD et devient un enjeu pour lathéorie syntaxique elle-même jusqu’à ce que Marandin (1993), montrant qu’un parseursyntaxique ne peut pas être une instance d’expérimentation pour la syntaxe, remette encause la nécessité d’une interaction entre informatisation et théorie syntaxique. Leprojet d’analyseur est à son tour abandonné.

62

Même s’il est intéressant d’évaluer AAD69 en tant que système de TAL, ce qu’ilprétendait aussi être, il est bien entendu totalement réducteur de ne l’appréhender quede ce point de vue, et nous espérons que ces lignes l’ont montré. Si l’on veut envisagercette aventure qu’a été AAD69, à la fois programme de recherche et dispositifinformatisé, d’un point de vue plus global et rétrospectif, on est tenté, comme l’a faitd’ailleurs MP lui-même, de l’inclure dans le mouvement post-structuraliste :

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On sera tenté aussi de ne pas limiter cette appartenance au structuralismephilosophique comme l’ont fait Hak et Helsloot (1995) qui signalent que MP est, dans lemonde anglo-saxon, plus connu comme philosophe et théoricien des idéologies quecomme analyste de discours19. Les deux tournants linguistiques que nous avons tentésde mettre au jour, linguistique computationnelle et théorie linguistique du discours,nous semblent totalement inscrire l’oeuvre de MP dans le « structuralisme généralisé »

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Bibliographie

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(Chiss et Puech 1987 : 270). Le rapport complexe à la linguistique, devenueincontournable, l’attrait pour les horizons de formalisation, axiomatisation (Harris) etmathématisation (Chomsky) qu’elle offrait, élargissait et enrichissait sa réflexion sur lesens et plus généralement le langage. L’automatisation, qui fait lien entre les deuxthéories concurrentes à visée hégémonique des années 1960, théorie de l’information etstructuralisme, doit aussi être perçue du point de vue du structuralisme généralisé,contribuant ainsi à ce qui fait l’originalité indéniable de l’œuvre de Michel Pêcheux.

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Notes

1 On désignera par « AAD69 » le programme de recherche, l’ouvrage paru en 1969 Analyseautomatique du discours et le dispositif informatisé.

2 Je remercie vivement Sophie Fisher de m’avoir donné accès à ses archives personnelles sur legroupe d’Aussois et sur l’EPRASS, à la version ronéotée de la thèse de Michel Pêcheux (novembre1967), ainsi que pour toutes les indications précieuses qu’elle a pu me fournir sur la pré-histoired’AAD69.

3 On désignait par sciences du comportement, la sociologie, la psycho-sociologie, la psychologieet la psycho-physiologie.

4 En France, l’engagement tardif dans les projets de traduction automatique et le soutien duCNRS au sein duquel ont été créés les centres de TA, ont eu pour conséquence le maintien d’unimportant centre (le CETA) à Grenoble (voir Léon 1998).

5 Les notes de ce projet de thèse figurent dans la liste des documents publiés et non publiésétablie par Angélique Pêcheux (T64a).

6 Dans la version ronéotée de sa thèse (1967b), MP avait d’ailleurs réservé trente pages à JeanBouillut afin qu’il expose la méthode.

7 Dans Syntol « Syntagmatic Organization Language », les graphes de couples de mots-clé Mi,Mj, liés par une relation Rn sont des chaînes de « syntagmes » élémentaires, représentant lecontenu des documents scientifiques.

8 D’octobre 1964 à juillet 1965, Maurice Gross est détaché de l’Institut Blaise Pascal à l’universitéde Pennsylvanie, où il est chargé de cours et de recherches sous la direction de Z.S. Harris(sources : archives du CNRS).

DOI : 10.3406/lgge.1979.1823

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9 Aussi n’est-ce que dans l’après-coup et la réinterprétation, que l’institution de DiscourseAnalysis de Harris comme texte fondateur de l’AD française ne sera possible (Marandin 1979).

10 D’après Chevalier (2006 : 51), ce colloque organisé par Antoine Culioli et rassemblant denombreux jeunes linguistes a eu un retentissement considérable et a contribué à lancer lalinguistique formelle en France.

11 C’est à l’EPRASS qu’est mis en place le premier enseignement de linguistique formelle etmathématique (statistiques, théorie de l’information) pour tous les doctorants de linguistique,qu’ils viennent de linguistique générale ou de linguistique formelle. Des chercheurs proches dePêcheux seront diplômés de l’EPRASS, dont Catherine Fuchs et Claudine Haroche.

12 Certaines thèses ont été soutenues plus tard, mais dès 1979, les nouveaux projets n’étaientplus acceptés.

13 Geneviève Provost-Chauveau 1970, dans son compte-rendu d’AAD69, souligne la constitutiond’une typologie des discours, comme une des caractéristiques d’AAD69.

14 Je nomme ainsi les linguistes, comme Jean-Marie Marandin et Jean-Jacques Courtine, qui ontfait leur thèse en en dehors d’AAD69, mais sont devenus des acteurs cruciaux du débat et ont faitpartie de la RCP ADELA (Marandin 1979, Courtine 1981).

15 3AD75 pour « Approximation Automatique de l’Analyse du Discours » fut implémentée surIBM360/67 sous le système conversationnel CP/CMS. AAD69, en phase d’abandon, n’amalheureusement pas intégré ces innovations.

16 Ce que MP, dans son très curieux texte « L’étrange miroir de l’analyse de discours » dénoncede façon très ambigue, comme « cette laborieuse série de dispositifs artificiels de lecture » (1981 :6).

17 Il faut noter que cette problématique était déjà discutée lors de séances de la sous-section« analyse de contenu » de l’EPRASS en 1970. Il était déjà admis qu’une théorie du discoursexistait mais qu’une théorie linguistique pour le discours restait à construire.

18 D’autres projets d’AD utilisant les potentialités de Déredec comme outil de modélisationd’objets discursifs ont vu le jour dans les années 1980 (cf. Léon, Mazière 1990).

19 Ils rappellent d’ailleurs que Les Vérités de la Palice (1975) a été le seul ouvrage de MP traduiten anglais sous le titre de Language, Semantics and Ideology (1982).

Pour citer cet article

Référence électronique

Jacqueline Léon, « AAD69 : archéologie d’une étrange machine », Semen [En ligne], 29 | 2010,mis en ligne le 01 avril 2010, consulté le 19 juillet 2014. URL : http://semen.revues.org/8823

Auteur

Jacqueline LéonHistoire des Théories Linguistiques, CNRS, Université Paris-Diderot

Droits d’auteur

© Presses universitaires de Franche-Comté

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Revue de sémio-linguistique des textes et discours

29 | 2010 :La théorie du discours. Fragments d'histoire et de critiqueAventures théoriques

Enjeux de langue dans l’analysede discoursFRANÇOISE GADET

p. 111-123

Résumés

Cet article concerne les rapports entre l’analyse du discours et la sociolinguistique dans lecontexte des années 1970. La perspective adoptée est celle, volontairement générale, de la prise encompte de la langue, et qui fait l’hypothèse que quelques éléments de parallèle avec lasociolinguistique permettront un regard décentré sur l’AD. Nous nous demanderons quellesquestions sont adressées aux sciences du langage à travers des démarches qui reposent sur le faitlinguistique, en privilégiant trois de ces questions traitées dans leur entrecroisement à partir del’attention portée au matériau langagier : la relation entre lexique et syntaxe, le rapport entre oralet écrit, et le traitement quantitatif de données se présentant actuellement sous une formemassive.

This paper deals with the relationships between discourse analysis and sociolinguistics during the1970s. We voluntarily focused on how both fields take the language into account, even though it isa general perspective. Our hypothesis is that putting some elements belonging to discourseanalysis in parallel with sociolinguistics will enable a point of view from the side on discourseanalysis. With the examination of different approaches to the linguistic material, we will seek toaddress three of the main questions the sciences of language need to deal with, namely theintricacies between the relations between lexicon and syntax, the relations between oral andwritten forms, and the quantitative processing of massive data.

Entrées d’index

Mots-clés : Analyse de discours, Interdiscours, Sociolinguistique, Travail discursif, TraitementquantitatifKeywords : Discourse analysis, Interdiscourse, Sociolinguistics, Discursive work, Quantitativeprocessing

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Texte intégral

1. Introduction

2. L’analyse de discours et lasociolinguistique dans le paysage dessciences du langage

Bien qu’il soit forcément simplificateur de fixer un point d’émergence au moment oùune discipline est institutionnellement nommée et introduite dans les programmesuniversitaires, on peut dire que c’est dans les années 70, en France, que l’analyse dudiscours a émergé, parallèlement à la sociolinguistique et souvent avec les mêmesacteurs, ce qui constitue une raison pour les comparer. Les deux, parmi les disciplinesinterprétatives ayant affaire à des sujets énonciateurs et situés, ont eu à se situer parrapport à la discipline dans laquelle elles avaient émergé, la linguistique en tantqu’étude de la langue, qui tend à assigner un statut marginal à ces disciplines enémergence.

1

Les deux disciplines ont des précurseurs et des sources identifiables, ne provenantpas des mêmes traditions, comme par exemple pour l’analyse du discours (désormaisAD) la lexicologie, avec ou sans ses aspects mesurables/quantifiables (voir Mazière2005), et pour la sociolinguistique une reconfiguration de la dialectologie ou de lasociologie du langage. Elles partagent un intérêt pour les productions effectivesnaturelles (on pourrait aujourd’hui dire « écologiques »), ainsi que pour l’interprétationqu’en ont les acteurs. Parmi leurs différences, il faut déterminer lesquelles sontcruciales : un objet centré plutôt sur l’oral ou sur l’écrit, un intérêt pour les productionsquotidiennes d’acteurs ordinaires ou pour les discours de collectifs ou d’institutions,l’appui sur le fonctionnement de catégories de langue différentes. Elles partagent ainsiun clivage à propos du statut attribué à la langue, entre ceux qui pratiquent la disciplineà partir du « travail de la langue », et ceux pour lesquels seront convoquées d’autrescatégories provenant d’autres disciplines (les disciplines du texte littéraire, les sciencessociales ou de la communication, l’histoire, par exemple). On pourrait résumer cesdifférents types d’engagement en les rapportant à des maîtres-noms de précurseurs,comme Saussure d’un côté, Bakhtine de l’autre, les références à Benveniste ou àJakobson pouvant être plus ambivalentes.

2

Dans cet article, nous considérerons à un niveau un peu général l’impact de la priseen compte de la langue, en faisant l’hypothèse que quelques éléments de parallèle avecla sociolinguistique permettront un regard décentré sur l’AD. Nous nous demanderonsquelles questions sont adressées aux sciences du langage à travers des démarches quireposent sur le fait linguistique, en privilégiant trois de ces questions : la relation entrelexique et syntaxe, le rapport entre oral et écrit, et le traitement quantitatif de donnéesse présentant sous forme massive (on parlerait aujourd’hui de « grands corpus » (voirGadet à paraître).

3

Nous ne traiterons pas ces trois points en succession, car c’est leur entrecroisementdans l’attention portée au matériau langagier qui est en cause. En effet, dans lareprésentation courante des sciences du langage, un cœur de la discipline serait

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3. Langue et travail discursif : ce que nousa appris la lecture des textes

3.1. Mode de donation des acteurs, des actions, desévénements

constitué par les disciplines les plus anciennes (phonologie, morphologie, syntaxe ; lejugement sur la sémantique est déjà davantage réservé). AD comme sociolinguistiquesont alors renvoyées à la marge1, et plus souvent à l’extérieur de la discipline. Laquestion est dès lors posée de comment la discipline accueille ses couronnes :parvient-elle à sortir d’un héritage qui semble immuable, produit d’une versionrigidifiée de la pensée saussurienne qui sacralise la coupure interne/externe ? Soit,classiquement, il s’agit d’une prise en compte qui pourrait n’intervenir qu’en undeuxième temps (ou jamais), soit de l’opportunité de poser des questions majeures surla langue, en des débats de linguistique générale, en accordant de l’intérêt à ce quel’institution d’une linguistique formelle avait rejeté hors du champ : les conditionsd’emploi de la langue (voir Courtine, 1991).

L’AD cherche ainsi une voie refusant à la fois un rapport d’application (de lalinguistique au texte, par exemple, voir Rastier 2001) et une intégration pure et simple àla linguistique, de même que, parallèlement, la sociolinguistique a à récuser laco-variation entre deux ordres disciplinaires constitués indépendamment, lelinguistique et le social.

5

Nous parlerons d’abord de la manifestation de tendances discursives en desfonctionnements de langue. Nous prolongerons la réflexion en montrant le caractèrenodal de la distinction oral/écrit, dont l’impact a été lourdement sous-estimé, par lessciences du langage en général, qui revendiquent une possible neutralité de ce point devue, et tout autant par l’AD et par la sociolinguistique, bien qu’elles y aient affaire dansla façon dont du sens se forge, selon des processus qui ne sont pas les mêmes à l’oral età l’écrit.

6

Parmi les catégories grammaticales, certaines ont des caractéristiques comparablesdans toutes les langues (comme la différence entre nom et pronom dans l’établissementde la référence), d’autres diffèrent (comme les temps).En considérant le matériauqu’offre la langue et les lieux d’enjeux discursifs, on se demandera quels phénomèness’avèrent discursivement intéressants2 à un niveau global, à travers la construction decatégories, leur mise en fil de texte, et leur relation aux autres discours.

7

La donation de la référence passe d’abord par les dénominations, qui semblentprivilégier un point de vue lexical et la possibilité d’entrer dans un texte par desmot-pivots. Cette démarche se heurte aux dénominations multiples : inexistantes oulimitées à la hiérarchie pour les artefacts et les espèces naturelles (meuble, table,

guéridon ; mammifère, chien, caniche), elles sont au contraire la règle pour les entitéssociales, personnages ou concepts, envisageables selon différents points de vue sociaux(M. Jacques Chirac, l’ancien maire de Paris, l’ancien président de la République, le

mari de Bernadette, le fondateur de l’UMP…).

8

La syntaxe est alors immédiatement en jeu dans le rapport au lexique. Ainsi, le passifpermet de modifier l’équilibre entre actions des protagonistes (sujet/objet), au profitd’une marginalisation de l’agent renvoyé en fin de séquence et de son éventuelle mise à

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(1) toutes les 10 mn, en France, un homme viole une femme

(1a) une femme est violée par un homme

(1b) une femme est violée

(1c) un viol est perpétré

(1d) un viol se perpétue

(1e) il y a viol

(2) la crise du pétrole a entraîné une réorganisation des structures économiques

(3) Les marchés, rendus nerveux, nourrissent une suspicion nouvelle quant à lacapacité des États eux-mêmes à se désendetter (Le point, 18 fév. 2010).

3.2. Le fil du discours

(4) A - qu’est-ce que ça veut dire < / la forte minéralisation du paysage parisien <

l’écart par effacement (séquences de (1) à (1b). Une mise à distance progressive (de (1c)à (1e)) par nominalisation peut jouer entre présentation par un passif, un réfléchi, ou ily a :

La nominalisation permet la dissémination discursive (reprise en titre ou intégrationen séquence longue). Elle rend donc le même type de service discursif que le passif, avecl’avantage de partir sur une pré-assertion (ou assertion antérieure), comme en (2) :

10

La crise du pétrole est donné ici comme une évidence, c’est le préconstruit de Henry1977. S’il est facile de discuter sur la réorganisation, ou sur le lien entre celle-ci et lacrise du pétrole, il est discursivement plus coûteux de mettre en doute l’existence mêmed’une crise du pétrole.

11

Enfin, un effet de procès sans sujet humain peut être obtenu par la présence de nomsinanimés en position sujet (parmi d’autres, Johnstone 2002), comme en (3) :

12

Cette problématique centrée sur les fonctions linguistiques des éléments de discoursconverge avec des approches provenant d’autres problématiques, en particulier de laréflexion sur oral/écrit. Ainsi, l’effet de compactification des énoncés est un trait parlequel Halliday 1985 compare les deux ordres. Blanche-Benveniste 1993, dans uneperspective de syntaxe de l’oral, a aussi montré l’effet de « compactification » del’abondance de sujets nominaux (vs pronominaux), à laquelle elle réfère l’opacité dudiscours administratif que ressentent les usagers. Ces effets de « langue de bois » desnominalisations avaient déjà été montrés par Sériot (1982 inter alia) pour le discourspolitique soviétique. Un élargissement linguistique au rôle de la nature des sujets dansla qualification des genres discursifs et dans la probabilité d’apparition d’une forme àl’oral a fait l’objet d’un article récent de Blanche-Benveniste (2008).

13

Par leur capacité à s’inserrer dans des séquences longues, les nominalisationspermettent des constructions syntaxiques complexes, qui donnent lieu à un« empaquetage informationnel » souvent donné comme typique de l’écrit (en fait, decertains écrits). Elles jouent ainsi un rôle dans la construction de la cohésion discursive,en constituant une modalité de présentation de l’information dite « intégration » (paropposition à la « fragmentation », donnée comme typique de l’oral, passant plus par lesverbes) : empaquetage de plusieurs informations en une seule unité discursive, commele montre le démontage auquel se livre B en (4) :

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B - ça veut dire qu’à Paris / y a plus d’arbres > (cité par Gadet 2007)

(5) la forte minéralisation du paysage parisien a pour contrepartie la nécessité deprocéder à une réélaboration de la conception de l’espace

3.3. Attitudes des énonciateurs face à l’asserté

(6) vous êtes contente de ce geste commercial Madame Gadet ?

3.4. Langue et effets de sens

Les nominalisations constituent ainsi un élément de « densité lexicale » pouvantentrer dans une cascade de nominalisations, comme en (5) :

15

Cette propriété, travaillée dans les entours de la sociolinguistique par exemple parChafe 1982 ou Halliday 1985, rejoint, quoique selon des objectifs différents, lepré-asserté de Culioli ou le préconstruit de Henry 1977, repris dans Pêcheux 1981 ettravaillé par Sériot 1982. En retravaillant la notion de présupposition, ces auteurs voientdans certaines structures syntaxiques qui permettent la présentation d’éléments endehors de l’assertion d’un sujet (structures de détermination, relatives, adjectifs...) lestraces de constructions antérieures, d’éléments discursifs dont on a effacé l’énonciateur.

16

Je ne parlerai d’interdiscours que sous l’angle du tissu de discours qui se reprennentet se font écho. Ici aussi, sont concernés à la fois des termes lexicaux et desfonctionnements syntaxiques élaborés : des choix adverbiaux comme juste, sans aucun

doute, peut-être, vraisemblablement…, ou des verbes d’attitude propositionnelle (je

pense que, je suis sûr que, il me semble que…). Mais aussi les temps, comme uneformulation au présent donnant un statut atemporel à un énoncé. Si tout discours est àplusieurs voix, il est construit d’intertextualité, de référence à des discours tenusantérieurement ou supposés tenus (voir Pêcheux 1975, et sa fameuse formule « ça parletoujours avant, ailleurs et indépendamment » ; et la réflexion que l’évolution dePêcheux sur ces points suggère à Maldidier 1993).

17

Un cas d’hétéroglossie ambivalent est constitué par le jeu, spontané ou construit, del’ensemble questions/réponses. Le dialogue, outre le prototype de mise en relation dedeux voix, constitue aussi une généralisation du modèle de l’interview, de la didactiquetraditionnelle (ou plutôt du pédagogisme) ou du catéchisme. Questions rhétoriques,dialogues mis en scène, où ce n’est que pour la réponse anticipée que la question seformule, comme en (6), question d’un prestataire de service ayant annoncé, après uneplainte, un rabais dérisoire sur l’abonnement :

18

Briggs 2001 a montré le rôle, dans nos sociétés, de l’interviewet de questions dont laformulation induit la réponse, et Fairclough 1994 souligne ce que la mise en place desystèmes experts suppose d’analyse du monde dans une démarche processuelle enquestions/réponses3.

19

Le « travail » effectué par une catégorie discursive n’est jamais univoque et prévisible,et ce sont les rapports entre les discours qui lui donnent sens. Un effet discursifsemblable (qui pose d’ailleurs toute la question de l’espace entre le même et l’autre)peut ainsi être obtenu par différents moyens linguistiques, comme on l’a vu avecl’ensemble passif/nominalisation/verbe impersonnel. On peut ainsi opposer unehypothèse sémantico-pragmatique selon laquelle si on dit autrement, on dit autre chose,

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4. Un enjeu discursif : l’émergence de l’oral

4.1. Changements dans les régimes de discursivité :aspects technologiques et communicatifs

à celle qui est devenue emblématique de la sociolinguistique classique et sa notion devariable, définie comme « différentes façons de dire la même chose »4. L’enjeu est rienmoins que le débat entre formalisme et fonctionnalisme, la vieille question de saisir lalangue d’abord par sa forme ou par ses fonctions/usages.

Le jeu de l’interdiscours met aussi en cause d’autres catégories linguistiques, dedifférents niveaux, pour aboutir à de la cohérence et de la cohésion : rôle desthématisations dans le fil du discours, implication du locuteur par adverbes, adjectifs,incises, négations, emphatiques, verbes d’attitudes propositionnelles,amplificateurs/atténuateurs, mise en place de la structure interactionnelle dans desquestions, la recherche de l’assentiment ou de l’implication de l’autre… Toutes cescatégories sont bien identifiées comme des lieux d’enjeu discursif.

21

Soit l’AD dans une fonction critique à l’égard de la linguistique, interpellant le centresupposé de la discipline depuis sa périphérie, la forçant à un autre regard sur sonmatériau. Ce qui nous conduit à une question principielle quant à la fécondité de ladémarche : l’analyse du discours a-t-elle progressé sur l’étude du matériau linguistiquepour les discours ? Le champ est-il en mouvement quant au travail sur la langue ? Est-ilenfin parvenu à articuler analyse syntaxique et problématique de l’énonciation ? (voirCourtine 1991). Sans contester l’intérêt d’études qui mettent à jour les réseaux desfonctionnements de discours, est-ce que les enjeux ne sont pas aujourd’hui davantagedu côté des interprétations sociales et historiques, que du côté du matériaulinguistique ?

22

L’étude des effets linguistico-discursifs ne relève spécifiquement d’aucunesous-discipline des sciences du langage. C’est finalement essentiellement dans l’étudede la relation oral/écrit, elle non plus objet spécifique d’aucun secteur de la discipline,que se rencontrent en creux des interrogations sur l’apport communicatif des catégoriesde langue, dans des travaux de sociolinguistique ou d’anthropologie linguistique (voirJohnstone 2002). A l’opposition matérielle entre canaux (l’ensemble bouche/oreilled’un côté, main ou instrument/yeux de l’autre), stable, s’oppose la « conception »discursive, historiquement déterminée et instable selon les aires communicatives (Koch& Œsterreicher 2001). Les changements qui ont affecté les nouvelles technologies decommunication et les modalités de gestion des activités publiques soulignent lamutabilité de cette relation.

23

Les connaissances sur l’oral tel qu’il fonctionne vraiment demeurent insuffisantes5, demême que la prise en compte de comment les locuteurs construisent le sens(particulièrement à l’oral). Y a-t-il une nouvelle donne à partir des années 70, avecl’émergence de la linguistique de corpus ? Celle-ci hésite en effet entre les deux pôles deconstituer un prolongement systématiquement outillé de l’AD, et de poser leslinéaments d’une nouvelle façon de faire de la linguistique (avec des outils qui auraientdes capacités heuristiques).

24

Ce qui permet les corpus est une étape de la sensibilité manifestée par lalangue/discours aux technologies de la parole, qui ont constamment brouillé la frontièreentre oral et écrit depuis la fin du 19e siècle, et ébranlé la frontière entre parole publique

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4.2. Une opposition sociale plus que médiale

5. Conclusion : re-confronter analyse de

et privée (Gadet 1999). Le téléphone a entraîné la relation d’interlocuteurs horsproximité spatiale et particularités linguistiques locales ; la radio, le cinéma parlant, latélévision, ont confronté passivement les usagers à des accents diversifiés dans leurlangue ; le magnétophone, devenu maniable et portable vers les années 50, a permis lacollecte de grands corpus oraux6 ; le micro a eu des effets sur la rhétorique de la parolepublique, l’auditeur ayant moins besoin de balancements rhétoriques quand l’audibilitéest assurée par la technique ; internet et les SMS valident un retour de l’écrit, mais plusspécialement sous une forme travaillée. L’usage de la langue s’est vu reconfiguré à partird’effets culturels induits par ces technologies, qui toutes conduisent à réévaluer leface-à-face (Goffman 1979 pour les effets sur les places de producteur/récepteur deparole) : il pourrait ici y avoir synergie entre AD et sociolinguistique.

Mais les changements sont aussi communicatifs : les prises de parole publiques sontmoins réservées à des professionnels de la parole (démocratie locale, débats publics, vieassociative, médias). Après une longue domination de l’éloquence et de la rhétorique(l’oral), un enseignement valorisant les phrases courtes et concises et la constructionselon des stéréotypes de l’écrit fait sentir ses effets jusque dans des formes de discourspublics. De nouvelles modalités de travail et de nouveaux fonctionnements desinstitutions rendent ordinaires, pour un nombre important d’usagers, des formescommunicatives qui combinent oral et écrit.

26

La relation entre oral et écrit n’est donc ni stable, ni intemporelle, elle est située,comme l’ont montré les tenants d’une approche contextuelle pour lesquels ce sont nondes essences mais des activités conduites dans l’un ou l’autre ordre qui diffèrent (Street1995), qu’il s’agisse de parole publique, d’expertise, ou de discours ordinaires.

27

Des différents ébranlements intervenus depuis le 19e siècle, manifestes pour l’écritdans la littérature ou dans la prose journalistique, on s’arrêtera pour l’oral à ce queFairclough 1994 a nommé conversationnalisation. Le 20e siècle a en effet été le théâtred’évolutions contradictoires, d’une période dominée par la consigne de parler comme

un livre, à une période dominée par écrire comme on parle et toujours parler comme

on parle d’ordinaire, celle de la conversationnalisation. Celle-ci n’est pas sans rapportavec l’informalisation notée par Armstrong 2002, qui désigne ainsi un changementsocial convergent vers l’adoption par les locuteurs de valeurs informelles, que l’onpourrait relier à des changements politiques, à l’évolution des mentalités comme auxmutations technologiques (voir Courtine 1991). Si c’est pour l’essentiel sur le planphonique qu’Armstrong observe l’informalisation, il s’intéresse aussi à des phénomènesmorphologiques et syntaxiques classiques dans les études variationnistes, quiconcernent en général des phénomènes syntaxiques peu élaborés, étant donné lesexigences de la variable7.

28

Ici aussi, on trouve un point de comparaison entre AD et sociolinguistique. Unobstacle auquel se heurte la sociolinguistique variationniste appliquée à des textes suivisest le fait que le repérage quantitatif est ponctuel, ce qui retrouve un trait de l’ADoriginelle avec la technique des mots-pivots : l’absence de prise en considération du fildu discours comme tel, au profit d’un tronçonnage du texte renforcé aujourd’hui par lespratiques des concordanciers, qui fait que la plupart des descripteurs n’ont ni maîtriseni connaissance globale des discours de leur corpus.

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discours et sociolinguistique

Bibliographie

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La confrontation entre sociolinguistique et analyse de discours a constitué ladistinction entre oral et écrit comme un enjeu entre les deux disciplines, lasociolinguistique s’étant donné comme objet central8 l’étude de l’oral spontané. Quant àl’analyse de discours, elle s’est pratiquement sinon théoriquement scindée entre destraditions européennes travaillant surtout sur le texte et l’écrit (il n’en va plus tout à faitainsi aujourd’hui), et la tradition anglo-saxonne plus axée sur l’oral et l’analyse deconversation (Johnstone 2002).

30

Y a-t-il là des germes d’opposition décisive ? Il n’y a aucune raison, pourtant,d’adhérer trop fortement aux découpages parmi les sciences humaines, pour lesdisciplines du locuteur et du discours aussi peu qu’ailleurs. Ainsi, un courant américaincomme l’anthropologie linguistique, en s’interrogeant sur des thèmes comme l’identité,rejoint les objectifs de courants « critiques », d’anthropologie linguistique, desociolinguistique ou d’analyse de discours (voir par exemple Blommaert 1999, pour lesdébats idéologiques sur le langage et les langues). La dérive du courant majoritaire de lasociolinguistique (un peu moins en France qu’ailleurs) vers un rêve de scientificitéprêtée au chiffre et aux statistiques en constitue un exemple, ayant eu pourconséquence, selon les orientations positivistes dominantes, de marginaliser lescourants interprétatifs appuyés sur les connaissances du membre, au profit duquantifiable et de l’empiriquement mesurable, plus accessibles à un observateur externe(voir Cameron 1990 pour une critique).

31

En revanche, ce qui apparaît crucial dès que l’on sort d’oppositions illusoires commeoral vs écrit, c’est le poids des genres, au-delà des catégories traditionnelles de larhétorique ou des consignes scolaires. Ce thème, longtemps assimilé à desproblématiques littéraires (ou discursives, en fin de compte), a fait un véritable retourdepuis une vingtaine d’années. On peut l’illustrer avec le travail de Biber 1988, qui aconstitué un relevé de tous les traits ayant pu être donnés dans la littérature commetypiques de l’oral ou de l’écrit. Il établit ainsi une hiérarchie entre traits linguistiques, auterme de laquelle on ne peut que renoncer à distinguer oral et écrit, un récit oral étantplus proche d’un récit écrit que de l’oral de conversation, et le récit écrit se distinguantmaximalement de l’écrit juridique. Ce au profit de quoi la distinction s’atténue, c’est unetypologie des genres, qui ne recoupe d’ailleurs pas les genres traditionnels mais montred’autres convergences, pas toujours attendues, comme c’est aussi le cas chez Bilger &Cappeau 2004, qui font par exemple émerger un genre « récit de voyages collectifs »,sur la base de la présence de nombreux nous en position sujet, ce qui comme on le saitest rare dans l’oral ordinaire de la majorité des locuteurs.

32

Ce qui apparaît alors pertinent pour caractériser l’analyse de discours dans saconfrontation à la sociolinguistique, ce ne sont avant tout ni les objets, ni les méthodes,ni les modes d’argumentation, forcément présents mais sans vraiment constituer despoints d’enjeux, mais les options épistémologiques qu’ils engagent, comme cettequestion toujours vivante : dans quelle mesure ce qu’il y a de langue en jeu dans

les discours et dans l’usage de la langue.

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Notes

1 Cette tendance à une représentation concentrique des sciences du langage n’a pu qu’êtrerenforcée par le récent surgissement du traitement automatique des langues, qui a donné unenouvelle légitimité au supposé centre tout en bouleversant la donne traditionnelle par le statut dutexte. Voir Gadet et al 2009 pour des considérations sur l’évolution récente du champ (rapportcentre-périphérie), du point de vue de disciplines liées au social (en l’occurrence,sociolinguistique, créolistique, dialectologie et contacts de langues). D’un autre point de vue, voir

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aussi Courtine 1991, qui revient sur les fondements de l’AD et de la sociolinguistique dans lesannées 70.

2 Il y a là encore une raison pour rapprocher analyse de discours et sociolinguistique : il n’y a pasplus de prédictibilité structurelle des lieux de variation sociolinguistique que de ceux d’enjeuxdiscursifs. Si certains éléments sont de meilleurs candidats pour des raisons de fonctionnementou de place dans la structure, les lieux de variation ne se laissent pas davantage dire en systèmelinguistique que les points d’enjeux discursifs.

3 C’était aussi une interrogation récurrente chez Pêcheux, qui évoque à ce sujet le risque de labêtise (voir par exemple 1975).

4 La sociolinguistique est largement demeurée tributaire de sa naissance sous les auspices de laphonologie (Labov et les courants variationnistes), sans avoir beaucoup retravaillé le postulatd’équivalence de sens entre formes différentes en syntaxe, alors que l’AD prend au sérieux laquestion du sens, avec l’interrogation : si on le dit autrement, est-ce que l’on dit la même chose ?

5 Pauvreté vraiment, ou surtout poids demeuré considérable de l’inertie des représentations,donc des mythes ? Les préjugés sur l’oral demeurent foison.

6 C’est vers la même époque qu’ont été constitués de grands corpus dans différents pays, avec unnet retard de la France et du français (sauf à la périphérie de la francophonie, Canada et Afrique)par rapport aux autres grandes langues internationales.

7 Ces deux auteurs britanniques, dont les points de vue au départ très différents se rejoignentainsi sur une observation de changements sociaux en cours dans les sociétés occidentales,peuvent être regardés comme emblématiques, le premier de la Critical Discourse Analysis, ledeuxième de la sociolinguistique variationniste.

8 Mais une sociolinguistique de l’écrit commence à se faire jour aujourd’hui, de même qu’unesociolinguistique historique, double ouverture qui atteste que le paysage de la discipline semodifie et devrait d’ici peu renégocier sa marginalité parmi les domaines des sciences du langage.Voir Gadet et al. 2009.

Pour citer cet article

Référence électronique

Françoise Gadet, « Enjeux de langue dans l’analyse de discours », Semen [En ligne], 29 | 2010,mis en ligne le 01 avril 2010, consulté le 19 juillet 2014. URL : http://semen.revues.org/8812

Auteur

Françoise GadetUniversité Paris Ouest Nanterre la Défense & MoDyCo

Droits d’auteur

© Presses universitaires de Franche-Comté

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Revue de sémio-linguistique des textes et discours

29 | 2010 :La théorie du discours. Fragments d'histoire et de critiqueAvenirs critiques

Pêcheux est-il réconciliable avecl’analyse du discours ? Uneapproche interdisciplinaireTHIERRY GUILBERT

p. 127-139

Résumés

Cet article pose la question de l’héritage dans les travaux actuels en analyse du discours. L’auteurs’interroge, en revenant sur son propre parcours notamment, sur les raisons de la quasi-absencede M. Pêcheux, tout en posant que sa théorie du discours ne peut figurer comme sourceépistémologique unique pour l’analyse du discours, même pour la branche de la discipline quis’intéresse à l’idéologie. Ainsi l’article soutient que seule une approche interdisciplinaire permetd’appréhender cet objet complexe qu’est le discours. Grâce à quelques exemples, il montre quel’on doit cesser d’opposer les travaux essentiels de Pêcheux avec d’autres perçus à tort commeissus d’épistémologies différentes, puis il propose des pistes permettant de réconcilier etd’articuler de façon complémentaire ces travaux anciens avec les outils actuels de l’analyse dudiscours.

This article raises the question of inheritance in the current work in discourse analysis. Theauthor asks, looking back on his own path in particular, the reasons for the near absence of M.Pêcheux, while asserting that his theory of discourse can’t figure epistemological single source forthe analysis of discourse, even for the branch of the discipline that focuses on ideology. Thus thepaper argues that only an interdisciplinary approach can understand this complex subject that isdiscourse. With few examples, it shows that we must stop opposing essential works of Pêcheuxwith others mistakenly perceived as coming from different epistemologies, then it suggests waysto reconcile and to articulate complementary these ancient works with the current tools ofdiscourse analysis.

Entrées d’index

Mots-clés : Discours, Idéologie, Évidence, Interdisciplinarité, ÉpistémologieKeywords : Ideology, Evidence, Discourse, Interdisciplinary, Epistemology

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Texte intégral

1. Introduction

2. Transmission d’une mémoire enanalyse du discours

2.1. La publication d’un travail de thèse, conditio nsde production

À l’origine de cet article, il y a une discussion, avec Marie-Anne Paveau, qui porte surl’intégration d’épistémologies différentes et la transmission de la mémoire en analysedu discours ; discussion initiée lors du colloque L’interpellation1 et relancée par lecompte rendu critique (Paveau 2009) de mon ouvrage Le discours idéologique ou la

force de l’évidence (Guilbert 2007). Je saisis donc – et salue – la proposition qui m’estfaite de poursuivre ce débat et de revenir sur ma propre expérience en tant que « jeunechercheur » (qu’à 48 ans je ne représente que très imparfaitement) quant à latransmission des fondements épistémologiques de l’analyse du discours.

1

La question de l’héritage, au centre de ce débat, peut être resserrée à la compatibilitéde l’analyse du discours (idéologique) actuelle avec la théorie du discours de M.Pêcheux. Or, si l’on prend acte d’une certaine « dé-mémoire de l’analyse du discours »(Paveau 2009, 106), autrement dit si l’on admet que la théorie du discours est peu oun’est pas connue, donc que les chercheurs actuels ont recours à d’autres épistémologies,il me semble dès lors que la question peut être retournée : Pêcheux est-il compatibleavec l’analyse du discours idéologique actuelle ? La thèse, défendue ici quant àl’« actualité » de Pêcheux, est que si l’analyse du discours lui doit énormément, il nepeut figurer aujourd’hui comme son principal et unique héritage.

2

J’argumenterai cette thèse selon trois axes. Le premier est que l’oubli actuel dePêcheux et de son apport épistémologique est réel mais est à relativiser si l’on tientcompte notamment des conditions de production de la publication d’une thèse2. Ledeuxième est que l’approche de l’objet discours a tout intérêt à l’interdisciplinarité. Letroisième soutient, par l’exemple, que les travaux de Pêcheux ne sont non seulement pasincompatibles mais qu’ils sont conciliables avec d’autres épistémologies présentes dansl’analyse du discours. Enfin, en m’appuyant sur mes propres travaux, je présente enconclusion une proposition qui vise à articuler les apports de Pêcheux à l’analyse dudiscours actuelle. Il me semble d’ailleurs que c’est dans l’articulation des connaissancesépistémologiques aux travaux personnels que réside l’actualité de la réflexionépistémologique.

3

Comme tout discours, la publication d’une thèse de doctorat est le produit deconditions de production.

4

Tout d’abord, le sujet-docteur a affaire aux genres, il sait qu’il n’est pas question depublier sa thèse telle quelle : il doit corriger les défauts, supprimer quelques références,revoir le caractère trop académique... Ensuite, l’éditeur, ne souhaitant pas publier unvolume trop coûteux au regard du profit qu’il escompte en tirer, impose un certainnombre de pages – voire le titre, l’estimant plus « porteur » que le titre proposé. Le

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2.2. Une première approche de l’analyse dudiscours

2.3. La transmission des années 70

les formations politiques représentatives des groupes dominants peuvent"fonctionner à l’idéologie" : […] ne pas expliciter en interpellant en sujet lesinterlocuteurs, en provocant chez eux la "reconnaissance" (Gardin 1974, 71).

jeune docteur doit donc opérer des choix déterminés par la « place » (au sens dePêcheux) qu’il imagine occuper : nouvellement reconnu par ses pairs, il est maintenantchargé d’un statut et d’une « autorité » dont il pense qu’il va falloir les prouver. Sonchoix porte donc « tout naturellement » sur ce qu’il croit être « essentiel »,« novateur » et « personnel » : les résultats obtenus3. Il « choisit » dès lors de fairel’impasse sur un certain nombre d’éléments déjà dits, notamment dans sa thèse maiségalement bien d’autres avant lui, et qu’il estime, à tort, superfétatoires : l’aspectépistémologique peut donc en souffrir en premier lieu4.

Il serait exagéré d’en conclure que les questions épistémologiques sont de peud’intérêt pour les jeunes chercheurs en analyse du discours (dorénavant AD) ; on peutsimplement remarquer que celles-ci occupent une dimension réduite dans leurspublications car elles sont orientées vers d’autres fins5.

6

Ma propre expérience6, je l’espère, donnera à réfléchir aux processus de transmissionde l’héritage ; formation à « l’école de Rouen » à la fin des années 90 non exempted’héritages : sociolinguistique française et américaine, Goffman, Bakhtine mais aussiAustin, Benveniste ou Bourdieu (1982). Pêcheux est totalement absent. En DEA, B.Gardin me donne à lire le numéro 117 de Langages sur « Les analyses du discours enFrance » (Maingueneau 1995).

7

Je définis alors mon projet de thèse comme la recherche du fonctionnement discursifde l’idéologie (néolibérale), ma visée est d’écarter l’aspect connoté de l’idéologie et sonapproche politique scientifiquement suspecte7, sans pour autant nier sa fonctionessentielle vis-à-vis du pouvoir et en prenant acte des avancées de l’AD : les remises encause de la dichotomie saussurienne langue/parole, de la bi-univocité du rapportsignifié/signifiant ou de l’unicité du sujet-parlant me semblent définitivement actées.C’est donc la question du comment8qui s’impose : comment le discours idéologiqueparvient à se constituer sous forme d’évidence. A défaut de celle de Pêcheux, la lectured’Althusser (1970) confirmera mes intuitions quant à l’importance de l’évidence pour lefonctionnement idéologique.

8

D’anciens numéros de Langages et de Langue française9 du début des années 70complètent ces premières approches épistémologiques de l’AD : elles m’apparaissentcomme une histoire qui s’écrit à mesure que la discipline se construit. Commentsoupçonner derrière l’implicite de formules comme « théorie du discours » (Maldidieret al. 1972) ce débat violent qui produit les oublis et déformations dont parleMaldidier10 (1990) et qui oppose Pêcheux-Nanterre à l’école de Rouen ? D’autant quetous ces articles s’appuient sur la théorie althussérienne de l’interpellation :

9

Ce sont « les formes d’assujettissement idéologiques qui gouvernent les mécanismesénonciatifs » (Maldidier et al. 1972, 123).

10

Il est remarquable que Pêcheux, quand il est cité, y apparaît alors comme un nom11

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3. Pêcheux et l’analyse du discoursactuelle

3.1. Une nouvelle approche de l’analyse dudiscours

parmi d’autres, son importance n’est encore11 manifeste ni pour l’AD ni même pour lesnotions utilisées et plus ou moins définies : discours, formations discursives,préconstruit…

Cette rapide description rétrospective se résume donc à un premier brouillage desrepères et à une difficulté à se positionner. La substitution de l’analyse du discours parles analyses du discours (Maingueneau 1995) ou l’analyse de discours (von Münchow2004) est le signe d’un second brouillage avec tous les risques afférents de ruptures dedigues et/ou de dissolutions théoriques allant du général au particulier.

12

Pourquoi Pêcheux est-il l’objet d’un tel oubli12 alors que les notions qu’il a forgéessont régulièrement utilisées en AD aujourd’hui ? Sans ironie, on peut penser que ledouble processus d’oubli qu’il a conceptualisé s’applique à son propre travail : sespropositions « inquiétantes » (Maldidier 1990) seraient à la fois refoulées ou ignorées etdéformées par les reformulations13. Pourtant il serait vain et absurde de tenter de lesrestaurer, notamment parce que, pour parler comme Pêcheux, la formation discursivedans laquelle leur signification s’est originellement formée est déterminée aujourd’huipar de nouvelles conditions de production sociohistoriques. On considérera alors cesglissements de sens comme des évolutions.

13

Je reprends une réflexion de Maldidier (1990, 8) utile, me semble-t-il, pour décrirecette nouvelle approche. Le discours et la réflexion théorique dont celui-ci est l’objet –en tant que « nœud » et objet non empirique – se déroule sur un « double plan »14 queje schématise ainsi :

14

Si Pêcheux a tenté d’articuler effectivement ces deux plans, il a cherché surtout àdévelopper une théorie du discours,sans y parvenir selon ses propres dires (Mazière2005, 6).

15

Actuellement, pour des raisons multiples et complexes que je ne définirai pas ici, c’estl’approche dispositif qui semble privilégiée. Plus encore qu’une boîte à outil, l’AD estconsidérée, me semble-t-il, comme un grand atelier comportant des étagères rempliesde nombreuses boîtes à outil. Les questions que se pose le (jeune) chercheur, pour filerla métaphore, sont plus souvent « quel est l’outil dont j’ai besoin et dans quelle boîte se

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3.2. Le dialogue avec d’autres disciplines

trouve-t-il ? », « comment améliorer cet outil ? » ou « comment concevoir de nouveauxoutils ? »15 plutôt que « qui a conçu cet outil ? » et « était-il en accord avec tel autreconcepteur d’outils ? ».

Par ailleurs, cette nouvelle approche est concomitante de la « décrue » del’importance, dans les sciences humaines, du matérialisme historique qui est aufondement de l’AD comme de la théorie du discours. Il faut reconnaître que la pensée dePêcheux n’est pas exempte d’un dogmatisme en ce qu’il s’inquiète toujours de ne pass’écarter de la doctrine matérialiste16. N’est-ce pas poser à l’avance « la connaissance durésultat qu’il s’agit précisément d’obtenir » (Pêcheux 1969, 132) ? Ce dogmatismepostule un déterminisme – dont il ne s’agit pas de nier ici l’existence – qui pense avecdifficulté la créativité discursive ou l’existence de révoltes contre l’idéologie dominante(Maldidier 1990, 63).

17

Mon hypothèse est que ce matérialisme, quand il se fait dogmatique, a gêné latransmission de la mémoire de l’AD. Car en rejetant le dogmatisme, on risque de passersous silence toute une théorie du sujet qui est pourtant à la base de l’épistémologique decette discipline. Ne pas tenir compte des places des sujets-parlants ou du rôledéterminant des formations discursives ôte à l’AD toute sa spécificité. Cela étant dit etréaffirmé, ne plus penser le discours à travers une grille unique17 est une évolutionenthousiasmante de la discipline.

18

Cette nouvelle approche prend acte que l’AD est un carrefour et utilise les outils dedisciplines proches (sociologie, philosophie du langage, histoire...). L’intégration deconcepts-nomades est un risque d’éclectisme, voire de syncrétisme, mais quelquesgarde-fous peuvent être posés. On peut postuler comme le fait Darbellay (2005, 25)« qu’un processus de négociation est aux commandes du développement desconnaissances scientifiques » et que, les savoirs produits n’étant pas « des véritésrévélées a priori », ce processus est également « un espace intertextuel préconstruit eten continuelle re-co-construction ».

19

Un autre garde-fou consiste à ne pas oublier que les discours sont des pratiquessociales inscrites dans la sphère socio-idéologique et que « […] dans la société moderneet contemporaine (postmoderne), le discours a pris une importance majeure dans lareproduction et le changement socioculturels »(Fairclough 1995, 2).

20

Ces deux exemples montrent que l’AD analyse aujourd’hui encore son propredispositif, ce qui n’est pas étranger aux conceptions de Pêcheux relatives au discoursscientifique (1975, 242-244), mais en associant des notions d’auteurs différents :préconstruit, intertexte, co-construction du sens, reproduction/transformation desrapports de production.

21

D’ailleurs, depuis ses origines, l’AD postule « l’exigence d’une nouvelle formed’interdisciplinarité » (Maldidier et al. 1972, 117) ; aujourd’hui, il faut « admettre que lediscours ne p[eut] être l’objet d’une discipline unique, fût-ce l’analyse du discours »(Maingueneau 1995, 7). Darbellay propose de favoriser une « inter- ettransdisciplinarité » qui articule des concepts venus de disciplines différentes à proposd’un même objet complexe, c’est-à-dire « un processus de co-construction des savoirsqui traverse littéralement les disciplines concernées » (2005, 51). Cet « au-delà despartages disciplinaires » n’est pas la disparition des disciplines, non seulement parceque le dialogue avec les autres disciplines prolonge et enrichit l’AD (Darbellay 2005,50), mais parce qu’il me semble que l’AD est l’appui indispensable à la réflexion surl’objet complexe qu’est le discours.

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4. Utiliser Pêcheux aujourd’hui en AD

4.1. Bakhtine vs Pêcheux ?

Le processus d’oubli progressif des auteurs – dépositaires du mot d’autrui. Le motd’autrui devient anonyme, familier (sous une formeretravaillée bien entendu) ; laconscience se monologise. On oublie complètement le rapport dialogique origineldu mot d’autrui, ce rapport semble être incorporé, s’être assimilé au mot d’autruidevenu familier.

Ainsi plutôt que de fixer comme préalable une définition du discours, l’AD se présentecomme un dispositif de recherche et une méthode heuristique et interprétative(Maingueneau 1991, Mayaffre 2002, von Münchow 2004, Darbellay 2005). Méthodequi, là encore, n’est pas si éloignée du projet initial de Pêcheux (1969).

23

Prenant acte de ce qu’est l’AD actuelle, il me semble que la théorie du discours nepeut être considérée comme l’unique référence ou comme le moule servant à forger lesautres outils, et qu’il faut cesser de postuler son incompatibilité car ce dogmatisme,considéré alors comme inhérent à cette pensée, conduit à l’alternative Pêcheux/nonPêcheux, donc à son oubli.

24

Montrer par contre comment il peut être compatible avec d’autres épistémologies estsalutaire – mais, du fait de son oubli, ce travail reste à faire. Quelques points derapprochement essentiels avec Bakhtine/Volochinov et Fairclough me servirontd’exemples18 de conciliation. Il s’agit uniquement d’ouvrir quelques pistes de réflexionsépistémologiques.

25

L’« incompatibilité » de Bakhtine/Volochinov avec les travaux de Pêcheux tientbeaucoup, on le sait (Maldidier 1990, 51-53), au contentieux entre les tenants de l’écolede Rouen et ceux du « cercle de Pêcheux ». Or ma première remarque est que les deuxauteurs adossent pourtant leurs travaux au matérialisme historique et qu’ils enreprennent les principaux éléments : la lutte des classes, l’idéologie, la superstructure.

26

Ma deuxième remarque porte sur la notion de préconstruit et la conception desrelations entre pensée et langage. Pêcheux précise que « tout "contenu de pensée" existedans le langage sous la forme du discursif » et que parler d’un élément « préconstruit »signifie : « comme si cet élément s’y trouvait déjà » (1975, 194). Or Bakhtine considèreégalement que pensée et langage ne font qu’un, que « la conscience ne devientconscience qu’une fois emplie de contenu idéologique (sémiotique) » (1977, 28) ouencore qu’on utilise toujours un discours préexistant par l’intermédiaire du discoursintérieur lui-même « rempli » des « paroles d’autrui » et des « objectivations de signesidéologiques ». De même, si la « forme-sujet » n’est pas un point de départ mais un effet

pour Pêcheux, si « tout "point de vue" est le point de vue d’un sujet » (1975, 244), pourBakhtine, la conscience est le produit de l’idéologie.

27

Ma troisième remarque concerne la notion d’oubli, si singulière à la pensée dePêcheux : très schématiquement, l’interpellation et la détermination du sujet par laformation discursive, oubli 1, sont masquées au sujet (forme-sujet) par la formulation-paraphrase du préconstruit, oubli 2 (1975, 241). Or ceci n’est pas éloigné de la pensée deBakhtine (1984 [1959], 386) :

28

Certes Bakhtine, à la différence de Pêcheux, ne fait pas appel à la psychanalyse maisles rapprochements sont troublants : chez l’un comme chez l’autre, le processus

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4.2. Fairclough et Pêcheux

5. Conclusion : articuler la théorie dudiscours à l’AD

5.1. Deux remarques

idéologique est oublié par les sujets/auteurs. Les éléments déjà-là, qu’ils soientpréconstruits ou incorporés à une pensée remplie d’idéologie, sont « reformulés »,« retravaillés » en toute inconscience de leur origine idéologique et apparaissent commefamiliers et évidents. Sans vouloir assimiler la pensée des deux auteurs, on voit qu’ilexiste une base commune à partir de laquelle ils peuvent être (ré)conciliés, voirecomplémentaires.

La Critical Discourse Analysis (CDA) fournit un exemple de l’intégration de l’AD àune dimension plus large. Dès l’introduction de son ouvrage éponyme, N. Fairclough(1995, 2) pose clairement sa volonté d’« intégrer l’analyse du discours dans l’analysesociale des changements socioculturels » en lui donnant la place centrale qu’occupe lediscours « dans la reproduction et le changement socioculturels ».

30

Bien que son travail, qui se réfère à Althusser, concerne le langage, l’idéologie et lepouvoir, il considère que les « approches de l’analyse (critique) du discours qui ont unbiais idéationnel [ideational] ([…] Pêcheux 1982, van Dijk 1988) sont mal équipéespour saisir l’interaction entre cognition et pratique qui est une caractéristique crucialede la pratique textuelle »19 (1995, 6). Ce qui est une vraie divergence de fond.

31

Pourtant, Fairclough a posé deux pages plus tôt que la « texture de l’évidence » est àla fois « linguistique » et « intertextuelle » (ibid. 4-5), quand Pêcheux pose l’articulationentre le « rapport de base (linguistique) » et le « processus (discursif-idéologique) » pour l’évidence du sens : « le sens se constitue dans chaque formationdiscursive » (1975, 226) et non dans le sujet. De plus, Fairclough conclue, commePêcheux, que toute analyse du sens d’un texte doit « s’intéresser à ce qu’on pourraitappeler le contenu de la structure (ou le contenu de sa forme) » (1995, 5), c’est-à-dires’intéresser à l’implicite de l’idéologie inscrite dans la matérialité du discours. Cedispositif programmatique jette donc le doute sur une « incompatibilité » de la CDAavec Pêcheux totalement improductive pour la recherche sur l’évidence de l’idéologie.

32

En guise de conclusion, je ferai deux remarques et une proposition relatives àl’intégration de Pêcheux à l’AD actuelle, mon propre travail servira ici d’exemple. Plutôtque de sceller son oubli, je postule que Pêcheux a beaucoup à apporter à l’analyse desdiscours idéologiques, à condition d’articuler ses apports, c’est-à-dire de définir defaçon explicite la cohérence de son travail avec d’autres courants issus d’épistémologiesdifférentes.

33

Je remarque tout d’abord que décrire le fonctionnement « à l’évidence » du discoursidéologique, et ce sans renvoyer à Pêcheux, m’a permis de m’affranchir des frontières.L’« incompatibilité » de Bakhtine/Volochinov et d’Althusser vient en grande partie du« désordre chronologique » de la réception des textes. Mais on peut égalements’intéresser à leur production : lire l’ouvrage de 1929 sans le rapporter, dans un premier

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5.2. Proposition : articuler l’intégration

temps et de façon systématique, à celui d’Althusser permet d’y voir une formidableréflexion de philosophie du langage jetant les premières bases d’une analyse del’idéologie20. Althusser et Bakhtine/Volochinov n’apparaissent alors plus inconciliablesmême si le premier n’a pu avoir accès aux écrits des seconds et inversement. Leurarticulation théorique incombe aux chercheurs actuels ; il en va de même avec Reboul(1980), Bourdieu (1982, 2001) et la CDA21.

Il faudrait alors intégrer à cet appareillage le travail de Pêcheux avec lequel maproximité, c’est ma seconde remarque, ne fait aucun doute : elle se retrouve jusque dansla volonté d’analyser le fonctionnement discursif de l’idéologie : les processusdialectiques de « consentement/imposition » et de « double dissimulation »22 au sujet.Toutefois cette intégration doit être pensée dans le cadre de l’approche actuelle de l’AD,laquelle considère la pragmatique, par exemple, comme un outil complémentaire ; cequi me permet de proposer cette schématisation à deux niveaux :

35

Je propose donc de distinguer deux échelons (présents dans le schéma ci-dessus)pour l’articulation de Pêcheux à l’AD actuelle : d’une part, le fonctionnement discursif,auquel appartiennent le couple consentement/imposition et plus généralement lesformes complexes et les processus discursifs d’assujettissement, et d’autre part, lesprocédés discursifs dont l’implicite et le performatif. Ces derniers s’inscrivent dans lefonctionnement discursif général comme des « moyens de surface » auxquels a accès,au moins en partie, le sujet-parlant – les formes « retravaillées » de Bakhtine ou la« formulation-paraphrase » de l’oubli 2 de Pêcheux – et ressortissent d’autresépistémologies (énonciation, pragmatique, argumentation…), lesquelles ne remettentpas fondamentalement en question les bases épistémologiques que sont lesdéterminations sociales, la conception althussérienne du sujet, etc.23

36

Les procédés se distinguent du fonctionnement en ce qu’ils ne sont pas constitutifs dudiscours idéologique ; la présupposition, par exemple, se retrouve dans d’autres typesde discours (Ducrot 1984). Pourtant ces procédés participent à la réalisation del’évidence discursive, ainsi la présupposition est l’un des moyens utilisés par le discoursidéologique pour se dissimuler et obtenir le consensus (Guilbert 2008).

37

La théorie du discours, avec son apport psychanalytique spécifique, est donc bienl’une des approches du fonctionnement et je fais l’hypothèse que les approchesépistémologiques présentes dans l’AD actuelle lui sont complémentaires. L’analyse et lathéorisation du fonctionnement discursif global de l’idéologie – par définitioninaccessible au sujet – ne peut se satisfaire d’une approche unique et nécessite despoints de vue différents.

38

Ainsi l’épistémologie interdisciplinaire en analyse du discours peut se concevoircomme un éclectisme bien pensé, c’est-à-dire l’utilisation et/ou la constitution d’outilsvenus d’horizons divers mais qui convergent vers un objet commun, le discours, et quisont à articuler à une base épistémologique solide qui est celle de l’AD. Ce travail reste

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Bibliographie

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en grande partie à faire, les apports de Pêcheux devront y trouver leur (juste) place.

Althusser, L. (1976 [1970]) « Idéologie et appareils idéologiques d’État. Notes pour unerecherche », Positions, 67-125. Éditions Sociales.

Bakhtine, M./Volochinov, V. N., (1977 [1929]) Le marxisme et la philosophie du langage, Paris,Minuit.

Bakhtine, M. (1984 [1952]) Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard.

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et bénéficie de ses services, écrivez à : [email protected].

Notes

1 Colloque international et interdisciplinaire. L’interpellation Perspectives linguistiques etdidactiques, 16-17 mai 2008, Maison de la Recherche, Paris (actes à paraître dans la revueélectronique Corela).

2 « Ce que le sujet dit doit toujours être référé aux conditions dans lesquelles il le dit » (Pêcheux1969, 131). Les références à Pêcheux renvoient à ses textes in Maldidier 1990, bien que je donneles dates originales.

3 C’est ce qui a guidé mon choix et, me semble-t-il, celui de R. Kerzazi-Lasri (2003).

4 Ce « choix » n’est pas mécanique, ainsi von Münchow (2004) consacre une partie importantede son ouvrage aux questions épistémologiques.

5 C’est le cas de travaux récents qui semblent avoir pour but de présenter la polyphonie nordiquepour Malin Roitman (2006) ou l’orientation lexico-sémantique pour Julien Longhi (2008).

6 Ma propre expérience est bien sûr purement accessoire.

7 Maingueneau (1995, 5) souhaite une AD « ne plaçant plus le discours politique au centre de seréflexion ». Je définis alors l’idéologie a minima comme un « système d’idée à vocationprosélyte » bien qu’il me semble clair qu’« en voulant chasser l’idéologie par la porte, celle-ci s’estréintroduite par la fenêtre, notamment avec les notions de DC [discours constituants] et depositionnement » (Guilbert 2007, 105).

8 Van Dijk (2006) oppose le « show how » au « show that ». Voir aussi l’approche de Reboul(1980) et même celle de Harris (1969, 8) : étudier non pas « ce que le texte dit mais […]déterminer comment il le dit ».

9 Par exemple : Langages n° 23 et n° 24 de 1971, n° 36 et n° 37 de 1974 et Langue française n° 15de 1972.

10 Notamment à la sortie du livre de Bakhtine/Volochinov en 1977.

11 Il faudrait étudier ce qu’il en est des références à Pêcheux dans les années 80. Est-il aussiprésent que dans Orlandi (1989) qui lui reprend la notion d’oubli ?

12 Le seul nom cité dans l’avant-propos de Charaudeau et Maingueneau (2002) est celui deFoucault. L’oubli pour Pêcheux est une notion centrale, voir infra 3.1.

13 Par exemple, la notion d’« interdiscours » comme reprise d’éléments du discours d’un autre etnon de l’Autre.

14 Pour une mise en perspective, voir la distinction « sciences » vs « discours sur le discours »(Maldidier et al. 1972, 127).

15 Par exemple : les nouvelle argumentation, les interactions verbales, la critical discourseanalysis, la political discourse analysis, les méthodes quantitatives…

16 Maldidier (1990, 56). Dogmatisme très présent au début des années 70, par exemple : « àl’horizon de toute notre recherche, nous posons l’exigence d’une élaboration matérialiste etdialectique de ces problèmes » (Maldidier et al. 1972, 117).

17 En 1974, Laborit indique par son titre La nouvelle grille qu’il peut y avoir une autre grilled’analyse : la systémique. Dans Les vérités de La Palice (1975), Pêcheux reprend de nombreuxtermes de la systémique. A-t-il eu accès à cet ouvrage ?

18 Il me semble que Pêcheux (1969) a également des points communs avec les approchesquantitatives de l’AD.

19 Une seule référence à Pêcheux 1982, version anglaise de Pêcheux 1975.

20 En voici un exemple : « La conscience individuelle n’est pas l’architecte de cettesuperstructure idéologique, mais seulement un locataire habitant l’édifice social des signes

Slatka, D. (1971) « Esquisse d’une théorie lexico-sémantique : pour une analyse d’un textepolitique (Cahiers de doléances) », Langages 23, 87-134.DOI : 10.3406/lgge.1971.2051

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Von Münchow, p. (2004) Les journaux télévisésen France et en Allemagne. Plaisir de voir oudevoir de s’informer, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle.

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idéologiques » (1977, 31).

21 Travail que j’ai entrepris dans ma thèse soutenue en 2005 (voir Guilbert 2007, 70-96).

22 Voir respectivement : Avertissement p. 9, et p. 95 (Guilbert 2007).

23 Cela aussi reste à démontrer. Ainsi les « cadres primaires » de Goffman (1981) sontcompatibles avec l’étude de l’idéologie, comme l’un des moyens du fonctionnement idéologique,voire de l’assujettissement, car les cadres primaires sont culturels et idéologiques : ils permettentl’illusion, la représentation imaginaire du rôle ou de la place que le sujet s’assigne (Guilbert 2007et Guilbert à par.).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Thierry Guilbert, « Pêcheux est-il réconciliable avec l’analyse du discours ? Une approcheinterdisciplinaire », Semen [En ligne], 29 | 2010, mis en ligne le 01 avril 2010, consulté le 19 juillet2014. URL : http://semen.revues.org/8803

Auteur

Thierry GuilbertCURAPP UMR 6054, Université de Picardie

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Revue de sémio-linguistique des textes et discours

29 | 2010 :La théorie du discours. Fragments d'histoire et de critiqueAvenirs critiques

La norme dialogique.Propositions critiques enphilosophie du discoursMARIE-ANNE PAVEAU

p. 141-159

Résumés

L’objectif de cet article est de montrer que l’extraordinaire succès de la notion de dialogisme et sadiffusion en analyse du discours comme dans les sciences humaines en général est due à sonessentialisation, qui empêche désormais de penser le monologisme. On rappelle d’abord lesdonnées textuelles d’origine qui ont permis le développement de la notion de dialogisme, puis lesinterprétations linguistiques que l’AD en a faites dans l’espace français, conduisant à sagrammaticalisation. On montre ensuite en quoi le dialogisme dans sa forme actuelle est le produitde l’essentialisation d’une proposition interprétative, et le résultat d’une programmationépistémique. Des exemples de « discours sans autre » permettent ensuite d’avancer que ledialogisme tient autant d’un normativisme optimiste que d’une théorie linguistique.

The aim of this paper is to show that the extraordinary success of the notion of dialogism and itsdistribution in discourse analysis as in humanities and social sciences in general is due to itsessentialization, which now prevents to think monologism. We first recall the original text datawhich allowed the development of the concept of dialogism, and the linguistic interpretationsproposed by french discourse analysis, leading to its grammaticalization. We then shos howdialogism in its present form is the product of the essentialization of an interpretation, and theresult of an epistemic programming. Examples of "discourse without another" permit then toclaim that dialogism comes as much under an optimistic normativism as a linguistic theory.

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Mots-clés : Dialogisme, Grammaticalisation, Essentialisation, Norme dialogique, Philosophie dudiscoursKeywords : Dialogism, Grammaticalization, Essentialization, Dialogic norm, Discoursephilosophy

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Texte intégral

Nous considérerons […] d’un côté, que la critique ne prend sens que par rapport àl’ordre qu’elle met en crise, mais aussi, de l’autre, que les dispositifs qui assurent

quelque chose comme le maintien d’un ordre ne prennent tout leur sens que si l’on voitqu’ils sont adossés à la menace constante, quoique inégale selon les époques et les

sociétés, que représente la possibilité de la critique(Luc Boltanski, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation)

1. Introduction1

2. Des données russes auxinterprétations françaises

La fortune épistémique du dialogisme est un phénomène remarquable de l’histoiredes idées discursives dans le dernier tiers du 20e siècle. Elle ne se dément d’ailleurs pasau 21e, puisque les notions de « dialogalité » et de « dialogicalité » (dialogisme de lapensée, Markova 2003) se développent actuellement. Comme tous les concepts àsuccès, le dialogisme, mobilisé dans les théories du discours au début des années 1980,résout la question qu’il a contribué à poser à son entrée dans le corpus théorique del’analyse du discours (désormais AD). Cette question recèle elle-même plusieursinterrogations inséparables : conception de la subjectivité, construction du sens,frontières entre les notions de personne, d’individu et de sujet, modes de saisielinguistique du dialogisme, en langue et en discours, type de rapports entretenus par lesdiscours. La liste est ouverte, comme celle des notions affines au dialogisme, parfoisrecouvertes ou intégrées par lui : (inter)subjectivité, altérité, interdiscours, intertexte,hétérogénéité, polyphonie.

1

Je voudrais réfléchir ici, dans une perspective historique et épistémologique, auximplications philosophiques d’une telle conception mise au centre du fonctionnementdes discours. J’adopte la perspective de la philosophie du discours (Paveau 2009b,2010a et b), qui a pour objectif de rendre compte des positions philosophiquesimpliquées dans les productions discursives : quels rapports y sont construits entrediscours et monde, discours et esprit, discours et vérité, discours et conception de la viehumaine et des rapports sociaux, discours et normes/valeurs ? Mon terrain étant ici lediscours de la linguistique, cette approche en philosophie du discours se situe dans lecadre plus large de l’épistémologie des sciences humaines et sociales.

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J’examine d’abord les données textuelles qui ont permis le développement de lanotion de dialogisme, puis les interprétations linguistiques qui en ont été faites par l’ADdans l’espace français, conduisant à sa grammaticalisation. Je montre ensuite en quoi ledialogisme me semble le produit de l’essentialisation d’une proposition interprétative,et le résultat d’une programmation épistémique. Des exemples de « discours sansautre » me permettent ensuite d’avancer que le dialogisme tient autant d’unnormativisme optimiste que d’une théorie linguistique.

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Actuellement, le dialogisme est considéré comme une propriété des discours(Moirand 2004) et de la langue (Bres, Mellet (dir.) 2009). C’est une évolutionremarquable de la notion et je voudrais rappeler brièvement son statut dans les textes

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2.1. Des éléments pré- ou non linguistiques

2.2. Les ancrages philosophiques

du Cercle de Bakhtine2. Il existe en ce moment un retour épistémologique sur cestextes3 (les travaux du CRECLECO, les relectures de Nowakowska 2005, le sourçagephilosophique de Vauthier 2003, les critiques de Bota & Bronckardt 2007), qui permetun travail épistémologique qui aurait sans doute été impossible il y a dix ou quinze ans.Ma remarque est surtout valable pour l’Europe, le retour critique sur Bakhtine datant dela fin des années 1980 aux États-Unis, où la « Bakhtin industry », désignant la trèslarge application du dialogisme à de nombreux secteurs des études littéraires, a faitl’objet de sévères critiques4.

Que Bakhtine possède ou non l’entière paternité de la notion de dialogisme (Bota &Bronckardt 2007) n’empêche pas que la « programmation épistémique »5 soit faite : lanotion a, de fait, largement pénétré les disciplines du discours en France, et c’est lacritique épistémologique de ce phénomène que je voudrais proposer.

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De nombreux auteurs notent que les textes du Cercle ne définissent ni ne théorisentles notions avancées comme le dialogisme, le genre, les harmoniques, latranslinguistique elle-même. Il faut également rappeler qu’elles n’y sont pas de naturelinguistique, comme le déclarait Authier en 1982, au moment même où elle introduisaitBakhtine en théorie du discours, mentionnant « deux approches non linguistiques del’hétérogénéité constitutive de la parole et du discours : le cercle de Bakhtine et lapsychanalyse » (1982 : 100). Je reviendrai sur ce point mais j’insiste pour l’instant sur ladimension philosophique du dialogisme tel qu’il est proposé par Volochinov 1929 et1930. Dimension non seulement inscrite dans le titre de l’ouvrage (une « philosophie dulangage » est une philosophie), mais présente également dans la plupart des extraits lesplus souvent cités par les linguistes (pour un florilège représentatif, voir Moirand 2004et 2010, qui estime très justement que le dialogisme est un concept « pour penseravec »). Sériot précise quant à lui que les « harmoniques dialogiques », qui ont faitl’objet d’interprétations linguistiques, correspondent à des données sociologiques etdésignent la vie du groupe et les relations (verbales et non verbales) entre ses membres.Il montre que l’objet de Volochinov est le « groupe intermédiaire », entre la sociétéglobale et la famille. Le « dialogisme » de Volochinov est donc un groupalisme, unepropriété de la relation entre les hommes en société et non du discours, une donnéesociale et non linguistique (Sériot 2008).

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Les textes du Cercle se fondent en effet sur ce que Vauthier appelle une « basephilosophique », et se situent selon elle à un carrefour des théories philosophiques del’époque, signant une évolution de l’idéalisme kantien au matérialisme marxiste. Ellemontre que ces écrits reflètent étroitement le débat entre « la philosophie idéologiqueparce qu’historique de Dilthey, opposée à celle rigoureuse parce que scientifique ettranscendantale que cherchait à fonder Husserl à la même époque » (2003 : 239). Oncomprend que le primat donné aux relations sociales dans les écrits du Cercle s’inscritprincipalement dans un débat philosophique et non dans une discussion linguistique.

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De son côté, Sériot, plaidant pour une « recontextualisation fine du texte » et une« approche comparative », reconstruit dans les écrits du Cercle une filiation deHumboldt à Vossler et montre que le dialogisme ressortit plus à une questionépistémologique qu’à une problématisation linguistique. Il insiste également sur la

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Cette traduction française […] fait sens pour des lecteurs francophones, qui yreconnaissent l’« univers du discours ». Or, là encore on force le texte bakhtiniendans le sens foucaldien d’un discours comme ensemble d’énoncés dont on a perdula source, qui fonctionnent de façon impersonnelle et non maîtrisée. Traduire par« la parole des autres » permet d’éviter ce danger. On est bien dans l’utilisation dulangage en situation par des individus concrets à la conscience pleine, et non dansune formation sans auteur comme chez Pêcheux ou Foucault (Sériot 2007 : 13).

2.3. Les deux dialogismes

Si l’on retourne aux textes de Bakhtine, il n’est pas sans intérêt de noter que lesphénomènes de dialogisation, de dialogisation intérieure, de bivocalité, debi-accentuation, de bilinguisme, d’hétéroglossie, d’hybridation, de polylinguismene sont pas seulement convoqués pour rendre compte de phénomèneslinguistiques, ils sont aussi mis à contribution pour l’analyse des mélanges de voix,de points de vue, d’époques et de consciences dans le roman (Rabatel 2006a :63-64).

2.4. La grammaticalisation du dialogisme

dimension sociologique de la pensée de Volochinov chez qui « la société est vue commeune intrusion de l’extérieur dans l’intérieur, comme une revendication de socialitégénérale de tout ce qui avant lui était considéré comme étant du domaine del’individuel. Son anti-psychologisme repose sur un sociologisme généralisé » (2005 :212). Mais le dialogisme reste avant tout une activité humaine, et, dans la version qu’endonne Bakhtine, il est ancré dans une forme de personnalisme : l’autre est un sujet donton doit assumer la responsabilité. Sériot pense à ce propos que la traduction françaisede 1984 par « mot d’autrui » ou « discours d’autrui » est inexacte, et qu’elle produit desdéplacements interprétatifs :

Le sociologisme de Volochinov et le personnalisme de Bakhtine rejettent certes letranscendantalisme kantien, et adoptent une perspective contextualiste, mais n’enconservent pas moins l’idée d’un sujet autonome conscientisé.

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Il existe deux dialogismes assez différents et peu susceptibles d’une saisiegénéralisante, tout en étant étroitement contigus. Dans le premier recueil critique surl’usage des travaux du Cercle (Depretto (dir.) 1997), Rabaté pointe cette duplicité de lanotion : un premier dialogisme s’ancre dans la philosophie du langage (Volochinov1929, 1930), au sein d’une critique de Saussure et d’une défense de la conception socialeet sociologique du signe comme idéologie ; l’on trouve chez Bakhtine un seconddialogisme, relevant de la philosophie de la littérature (Bakhtine 1952-1953, 1959-1961,1963), qui porte plutôt sur la représentation textuelle de la subjectivité en posant lesproblèmes du point de vue et du personnage. Il est tentant d’attribuer à chaque auteurson dialogisme, mais l’on sait que Bakhtine ne cessera de reprendre les textes de sesamis après leur mort (sur la circulation des textes à l’intérieur du Cercle, voir Peytard1995).

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L’affaire se complique si l’on essaie de prendre en compte la contiguïté des deuxdialogismes, c’est-à-dire de les distinguer sans les séparer et de les faire jouer ensemblesans les mélanger. Dans le corpus du Cercle en effet, les dialogismes linguistique etlittéraire sont conjoints, comme le montre prudemment Rabatel :

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« Il ne faudra jamais laisser s’effacer de la mémoire que les écrits de Bakhtine,12

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3. Essentialisation et programmationépistémique

paraissant au grand jour de la publication, sont empreints, en eux-mêmes, du secret dusilence, un silence de trente ans », écrit Peytard dans son petit ouvrage de 1995. C’est eneffet un Bakhtine quasiment sans histoire qui arrive dans le paysage structuralistefrançais. Les passeurs, Kristeva, Jakobson et Todorov, sont aussi des interpréteurs(pour le détail voir Paveau 2010a). Les interprétations linguistiques qu’ils permettentconstituent désormais un mainstream en AD, et je me contente de les rappelerbrièvement.

Bakhtine a été présenté comme un « disciple de Benveniste » (l’expression est deSériot) et Nowakowska décrit bien les acrobaties théoriques de Ducrot : « C’est pourtantà partir du concept de polyphonie et non de celui de dialogisme que Ducrot (1984)construit sa “théorie polyphonique de l’énonciation”, en procédant à une extension (trèslibre) à la linguistique des recherches de Bakhtine sur le littéraire » (2005 : 173).

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Du côté de l’AD, le dialogisme est vite acclimaté dans le paysage théorique du débutdes années 1980, à partir d’Authier 1982. C’est elle qui l’articule avec l’interdiscours(Pêcheux) et de l’autre insu du sujet (Lacan), au sein de la notion d’hétérogénéité qu’elleinstalle dans le corpus de la linguistique6. Elle propose dans son article de 1982 de lirela notion à partir de l’interdiscursivité et de l’interlocution, combinant donc, avec desréserves importantes (reprises en 1995), les propositions du Cercle avec celles dePêcheux. Ces notions se naturalisent quasi immédiatement : interdiscursivité devient leterme qui désigne le dialogisme en AD et des expressions comme « interdiscursivitébakhtinienne » ou « les notions bakhtiniennes de dialogisme interdiscursif etinterlocutif » circulent rapidement7.

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Enfin l’interactionnisme absorbe le dialogisme comme un ingrédient naturel de soncorps théorique, la notion constituant un argument fort pour une conceptioninteractionnelle de tout discours, comme le montrent Bres et Nowakowska en 2005,dans un article reposant entièrement sur la thèse dialogale : « On pourrait dire que,dans le dialogal, les tours de parole antérieurs et ultérieurs sont in praesentia, alorsque, dans le monologal, ils sont in absentia » (2005 : 139). Cette position revient àpostuler une structure profonde, qui serait toujours dialogale, sous une structure desurface où les marques de dialogue seraient « absentes » mais non les marqueursdialogiques. Position qui a des implications fortes : on passe du dialogismephilosophique de Volochinov-Bakhtine entièrement fondé sur le discours en situation etla non-prise en compte de la langue, à la position inverse d’un dialogisme reversé dansla linguistique de la langue et doté de marqueurs repérables. On passe d’une hypothèsephilosophique qui constitue un discours sur le sujet en société à une positionlinguistique qui décrit des formes grammaticales locales. Je voudrais maintenant tenterd’expliquer cette évolution.

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Le dialogisme est partout : en linguistique et en littérature8 bien sûr, mais aussi enarchitecture (Della Casa 2008), en sociologie de l’internet (Vagaan 2006 sur l’openaccess), en épistémologie sociale (Bouvier 2002). Ce que j’appellerai l’industriedialogique a déjà été critiquée, on l’a vu, mais les raisons épistémologiques de sonsuccès n’ont pas vraiment été abordées. Elles me semblent tenir à une essentialisationde la notion et à sa programmation épistémique.

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3.1. Essentialisation et nécessité

– […] aucun discours de la prose littéraire […] ne peut manquer de s’orienter dansle « déjà dit », le « connu », l’« opinion publique », etc. L’orientation dialogique dudiscours est, naturellement, un phénomène propre à tout discours (1978 [1934] :102).

– Un énoncé ne peut pas ne pas être, également, à un certain degré, une réponse àce qui aura déjà été dit sur l’objet donné […] (1984 [1952-1953] : 300).

– L’énoncé a toujours un destinataire […]. Tout dialogue se déroule, dirait-on, enprésence du troisième (1984 [1959-1961] : 336).

3.2. Le dialogisme comme propriété naturelle.Enjeux épistémo-logiques

Récemment un doctorant en linguistique du discours littéraire me faisait part de sesdifficultés : le dialogisme ne marche pas sur mon corpus, me disait-il, je n’arrive pas àtravailler avec. Mais qui vous le demande, ai-je répondu. Sa remarque m’a faitcomprendre à quel point la nécessité du dialogisme s’était imposée dans les routines del’AD, et j’ai donc relu le corpus théorique de la notion en guettant son expression. On latrouve d’abord dans les textes de Bakhtine, sous la forme de doubles négations,d’adverbes naturalisants, d’indéfinis de la totalité, etc. (soulignés dans les extraits ; maremarque n’est valable que pour les traductions françaises) :

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Cette évidence est relayée dans la plupart des travaux d’AD : « de cela découle lecaractère foncièrement dialogique de tout énoncé ou discours […] », écrit Maingueneau(1984 : 31) ; « Il semble que, à la lecture des textes de Bakhtine, on puisse définir ledialogique comme l’orientation de tout énoncé […] constitutive et au principe de saproduction […] », lit-on chez Bres et Nowakowska (2005 : 139).

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Nulle part on ne trouve de retour critique sur la notion ; elle est « taken forgranted », dans un accord théorique et méthodologique général. La critique dudialogisme est plutôt l’apanage des littéraires, j’y reviens plus bas. Pour l’instant j’essaiede comprendre les implications philosophiques de cette essentialisation.

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L’essentialisation du dialogisme concerne deux domaines, l’activité langagière et lesproductions discursives. Dans les travaux qui resituent actuellement les textes du Cercledans leur contexte historique, et qui montrent leurs liens avec les philosophies del’activité (Vygotsky, Louria, Leontiev), le dialogisme concerne l’activité langagièrehumaine engageant la personne. Les interprétations linguistiques françaisesmainstream privilégient plutôt le dialogisme comme propriété des discours et de lalangue. Or ces deux postures sont lourdes d’implications philosophiques, qui ne sontguère explicitées par les dialogistes. Mais surtout, ce sont des options théoriques, qui, àce titre, sont à la fois justifiables et falsifiables, et non des évidences objectivesconstituantes.

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L’une des questions épistémologiques fondamentales qui traverse tout le 20e siècledans de nombreuses disciplines est la conception de l’esprit. Les réponses oscillententre les deux pôles de l’internalisme et de l’externalisme, et s’expriment de diversesmanières selon les disciplines, les époques et les approches adoptées. La question sepose aussi concernant le langage et l’on sait que Le marxisme et la philosophie dulangage reflète bien ce débat, toujours d’actualité, entre objectivisme abstrait et(inter)subjectivisme social, dont une des formes est le dialogisme. Si le dialogisme est

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Une relecture des textes de Bakhtine me permet d’avancer que, pour lui, ce ne sontpas les participants de l’interaction verbale qui interagissent (ni les personnesempiriques, ni même les « êtres discursifs » inscrits dans la matérialité textuelle),mais ce sont les discours, les énoncés et les mots eux-mêmes (Moirand 2004 :197).

le glissement du dialogisme de l’activité langagière aux productions discursivesest problématique dans la mesure où tant Volochinov que Bakhtine, pour desraisons différentes, maintiennent la notion de personne conscientisée etsubjectivisée. Le dialogisme supposant la subjectivité dans sa définition même,l’idée qu’il soit porté par les discours et non les sujets entre en conflit avec cepostulat philosophique puisque les sujets ne seraient alors que des supports.Se pose également le problème de la nature de « l’autre » : l’essentialisation dudialogisme et sa désubjectivisation écrase l’autre interne posé par Bakhtine, sous« l’autre que moi » de l’interaction.Le travail sur les marques grammaticales remplace vite, dans la traditionfrançaise, la prise en compte des situations sociales (vocabulaire du Cercle) oudes extérieurs constitutifs (vocabulaire de la théorie du discours). Le raffinementtoujours plus grand des sous-catégorisations (dialogisme interdiscursif,interlocutif, autodialogisme) concentre les efforts des analystes sur l’analyse dufil du discours plus que sur ses extérieurs.La question de la langue se pose avec une acuité particulière : lagrammaticalisation du dialogisme se fait à partir d’un postulat inverse de celui duCercle, qui posait l’absence de la langue au profit d’un tout discursif sociologique.C’est sans doute Houdebine qui repère le mieux les problèmes que pose l’anti-saussurianisme du Cercle, en se demandant comment, dans cette conception,peut se marquer, « dans les pratiques de langage d’un sujet donné », sa« singularité » : « Sous quel mode s’effectuera l’irruption en langue duhors-langue sur quoi se fonde tout sujet dans sa parole même, et qui échappe, sedérobe à la socialité langagière ? » (1977 : 170). Les réserves d’Authier font écho àcette remarque, comme son choix de la notion d’hétérogénéité plutôt que dedialogisme. À sa façon, Rabatel pose trente ans plus tard la même question queHoudebine, en mettant l’accent sur

[…] la double question du palier pertinent pour le marquage des phénomènesd’hétérogénéité qui ne relèvent pas simplement d’une grammaire, mais encore desinteractions, ainsi que la détermination des niveaux où situer l’interprétation, dèslors que l’on réfléchit aux phénomènes de langue... en discours » (2006 b : 167).

[…] ne gagn[ant] rien à s’enfermer dans une technicité déconnectée des enjeuxinterprétatifs/pragmatiques, ni à se limiter à l’analyse des énoncés isolés, parceque la polyphonie comme le dialogisme requièrent l’analyse des instances et

considéré comme une propriété de l’activité humaine, alors il s’inscrit dans une positionexternaliste, qui privilégie, dans la production langagière et l’activité de l’esprit, larelation avec l’extérieur plutôt que les compétences internes. Mais l’interprétationfrançaise fait glisser le dialogisme de l’activité langagière au produit de cette activité :

Cela implique, on l’a vu, une grammaticalisation du dialogisme qui devient unepropriété de la langue, en vertu d’un postulat propre à l’AD dite française, qui, commel’explique Sitri, « le rapporte à des marques explicites ou à des indices permettant lamise en corpus » (2004 : 183). Ce marquage linguistique pose plusieurs problèmes :

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Et c’est sans doute la réflexivité de son approche des textes par le biais de la notion depoint de vue, qui lui fait tenir à distance la grammaticalisation du dialogisme, l’analyse

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agents qui leur sont consubstantiels (2006b : 182-183 ; ital. de l’auteur).

4. Des discours sans autre

Le postulat externaliste de départ est donc chahuté par la grammaticalisation, quiinternalise la notion : si le dialogisme est marqué en langue, conséquence de sonessentialisation, alors il peut relever de la compétence des sujets parlants et n’est plusseulement inférable des échanges en situation (même si, comme le précise Moirand2004, l’analyste part des discours pour en inférer des marques). En d’autres termes, lagrammaticalisation du dialogisme entraîne sa logocentrisation, ce qui est presque unecontradiction dans les termes. Contradiction dont Moirand semble avoir pris la mesurepuisqu’elle propose désormais une définition de « l’énoncédialogique comme un énoncéqui laisse passer (à travers des sons, des mots, des constructions syntaxico-sémantiquesdiverses...) de “l’extériorité” ou de “l’altérité” discursive » (2010), évoluant d’uneconception internaliste marquée à une conception « filtrante » plus externaliste de lanotion.

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Le dialogisme, une fois essentialisé et grammaticalisé, ne semble plus questionnable.Il est au cœur d’une programmation épistémique robuste de laquelle il semble difficilede s’affranchir. Mais si l’on se souvient qu’il s’agit d’une option théorique reposant surdes choix philosophiques, et non d’une description de la nature de la productionlangagière, alors d’autres postures deviennent possibles9.

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L’essentialisation du dialogisme rend le monologisme impensable. Si le dialogisme est« constitutif », comme l’AD l’affirme désormais, alors tout énoncé, monologal oudialogal, est dialogique, et la thèse dialogiste est infalsifiable : la catégorie dumonologique disparaît purement et simplement. Or, le fait que tout énoncé soit produitpar une subjectivité en relation avec d’autres subjectivités et le fait que tout énoncéporte des marques dialogiques constituent deux phénomènes différents. Il n’est pasquestion ici de contester que l’activité langagière est située dans une interaction, quelleque soit sa forme ; mais on ne contestera pas non plus qu’il existe des discoursmonologiques qui mettent en défaut les postulats de la norme dialogique, discours où,dans la matérialité langagière, le locuteur ne rencontre pas les discours antérieurs, nes’adresse pas à un interlocuteur dans le cadre d’une compréhension responsive et n’estpas son propre interlocuteur (je reprends là les principes courants de la normedialogique). Ces discours ne constituent pas le pendant symétrique des discoursdialogiques : la « norme » dialogique est bel et bien dominante ; mais il existe ce quej’appellerai des « zones » monologiques, soit dans les pratiques verbales, soit commemoments énonciatifs dans les discours.

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Les observations empiriques de la linguistique spontanée nous enseignent que leshumains parlent seuls, ne s’entendent pas, n’entendent pas les mots des autres,choisissent le sens des mots hors des usages partagés. L’histoire des idées compteplusieurs théories « monologistes » sur le langage (l’abus des mots chez Locke,l’incompréhension chez Lewis Carroll) ; la langue abonde en expressionsanti-dialogistes : dialogue de sourds, pisser dans un violon, monologuer, parler toutseul, ne pas parler le même langage ; nous avons tous l’expérience de la surdité del’autre ou de la nôtre propre, nous nous sommes tous heurtés à l’impossibilité dedialoguer avec un autre que nous avons appelé autiste, nous avons tous été cet autiste,et nous avons peut-être même rencontré le discours pervers de la négation de l’autre.Nous avons sans doute lu le Camus de L’Étranger, le théâtre de Ionesco, de Tardieu, lestextes de Michaux, Cayrol, Blanchot. Bref, nous avons éprouvé des discours sans

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4.1. Écriture blanche, discours pervers, discourstotalitaire

Mesurée à ces textes dont elle ne veut peut-être rien savoir, la théorie dialogiquede Bakhtine peut nous apparaître curieusement optimiste, reposant sur une foiinébranlable en l’échange des consciences et la possibilité de rencontre de voixautonomes. Il y a donc, au cœur de la conception bakhtinienne, une théoriepersonnaliste de la voix qui résiste difficilement à l’épreuve de textes plus sombreset destructeurs. Si le sujet est en crise, la personne ne se porte pas beaucoupmieux... (Rabaté 1997 : 44).

Étendant les mains hors du lit, Plume fut étonné de ne pas rencontrer le mur.« Tiens, pensa-t-il, les fourmis l’auront mangé… » et il se rendormit.Peu après, sa femme l’attrapa et le secoua : « Regarde, dit-elle, fainéant ! Pendantque tu étais occupé à dormir, on nous a volé notre maison ». En effet, un ciel intacts’étendait de tous côtés. « Bah, la chose est faite », pensa-t-il.Peu après, un bruit se fit entendre. C’était un train qui arrivait sur eux à touteallure. « De l’air pressé qu’il a, pensa-t-il, il arrivera sûrement avant nous » et il serendormit.Ensuite le froid le réveilla. Il était tout trempé de sang. Quelques morceaux de safemme gisaient près de lui. « Avec le sang, pensa-t-il, surgissent toujours quantitéde désagréments ; si ce train pouvait n’être pas passé, j’en serais fort heureux.Mais puisqu’il est déjà passé… » et il se rendormit.10

adresse.Vue à partir de ces expériences discursives, l’évidence du dialogisme s’effrite et un

phénomène de laboratoire se dessine : les discours sur lesquels travaillent les dialogistespour rendre compte du dialogisme sont dialogiques (discours politique, médiatique,littéraire, interactions, confessions, interviews, débats, bref des productions conformesà la norme dialogique). Mais les discours sans autre que je voudrais présenter ici fontéchec au traitement dialogiste de la matérialité langagière.

28

Rabaté notait en 1997 que le principe dialogique s’accordait mal avec les « textessombres » du 20e siècle, Woolf, Joyce, Faulkner, Bernhard, Céline, Sarraute, Beckett :

29

Il est des textes dont le dialogisme semble en effet ne rien vouloir savoir. Parmi eux,ceux qui relèvent de « l’écriture blanche », notion proposée en 1953 par Barthes dans Ledegré zéro de l’écriture, et développée par la suite (Rabaté, Viard (dir.) 2009). Cestextes manifestent en particulier une absence énonciative et une lacune de lasubjectivité, que Blanchot appelle une « impersonnalité énonciative ». Le dialogisme sedéfinissant à partir de la subjectivité, ces textes, dans certaines de leurs zones,échappent largement à son « principe », sauf à y reverser la présence d’uneintersubjectivité en structure profonde, dans une optique générativiste qui nous ramèneà l’essentialisation. Je prends l’exemple de ce passage de Plume de Michaux :

30

Si les segments de discours direct, le cadratif en effet, la construction c’était… qui, etplus généralement les marques de subjectivité (les évaluations quantitatives enparticulier) relèvent bien d’une énonciation dialogique, d’autres zones annulent l’autreen discours : le leitmotiv « et il se rendormit », la description corporelle avant et aprèsl’accident, l’effacement du point de vue perceptif (« un bruit se fit entendre »).

31

Plus généralement, certains théoriciens estiment que le dialogisme n’est pas repérableni même présent dans tous les textes littéraires, car, comme le souligne Olsen, il « ne selaisse pas définir par des moyens linguistiques » (2002 : 2). Olsen considère en effet que« le dialogisme réalise probablement une attitude d’esprit qui […] accepte le dialogue,

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passe la parole à l’autre, etc. Il est possible, poursuit-il, que la pragmatique puissedécrire des formes ouvertes au dialogisme […] mais, et c’est un point important, dansles textes littéraires, les expressions utilisées ne constituent qu’un premier plan, le plande l’expression […] qui sert à la constitution du sens global de l’oeuvre, mais sans pourautant la déterminer » (2002 : 7). La place me manque pour aborder les théories noncommunicationnelles du récit qui constituent également de puissants obstacles à uneapproche dialogique des textes11. Il faudrait étudier de près le rapport entre leshypothèses du narrateur absent et du discours sans autre ; on y découvrirait sans doutedes conditions de révision du principe dialogique (sur le narrateur absent, voir Patron2009).

Quelque chose d’analogue à l’écriture blanche se retrouve dans le discours pervers,d’où l’autre est absent (Ballans 2007). J’entends par discours pervers, à la suite depsychanalystes comme Racamier, Aulagnier ou Rosolato, le discours de celui dont lastructure psychique est décrite comme perverse. Cela veut dire que la perversion, danscette perspective, n’est pas une déviance, et encore moins une pathologie mentale. Jel’envisage ici comme une posture discursive présente dans l’expérience de tout unchacun. Le discours pervers se constitue de paroles non adressées, puisqu’il n’y a pas depossibilité pour des êtres-sujets dans l’univers du pervers (autrui est un objet àassujettir), installant un lien référentiel direct entre le discours et la réalité (excluantdonc la représentation et la signification12), et assignant un sens contingent auxsignifiants, indépendamment des usages partagés dans une communauté des locuteurs.« Le pervers, explique Rey-Flaud, effectue ce forçage au moment où en “hallucinant lephallus”, il produit en lieu et place du signe arbitraire un signe motivé soumis à savolonté. Cette opération est bien une entreprise de subversion du langage, puisqu’elleréalise une représentation “forcée” au lieu où se perd normalement le “représentant”(non représentatif) de la représentation » (Rey-Flaud, 1994 : 298). Le « mot d’autrui »cher aux dialogistes devient alors un « mot de soi seul », outil non plus decommunication mais de sidération. Pour Klossowski, « le geste singulier du pervers vided’un coup tout contenu de parole, puisqu’il est à lui seul tout le fait d’exister » (1967 :33). Contrairement au dialogisme, la perversion expulse l’altérité hors de soi. VanHooland, travaillant sur la maltraitance langagière des enfants, souligne que dans cetype de discours, l’échange repose surtout sur des actes de langage unilatéraux (del’adulte vers l’enfant), sans retour ni reformulation possible, donc sans interprétation ;l’enfant est alors plongé dans une insécurité communicationnelle maximale, par défautde dialogisme précisément (Van Hooland 2007).

33

D’une manière plus générale, des formes langagières comme les énoncés expressifs(avec le cri comme gradient extrême de monologisme) ou certains performatifs en 3e

personne (les énoncés magiques par exemple) dessinent des zones (non)communicationnelles monologiques.

34

Ces traits « monologiques » se retrouvent dans ce que l’on appelle à la suite de Faye le« langage totalitaire ». Je passe plus vite sur ce type de discours, mieux connu etdavantage fréquenté par les linguistes que les précédents (mais rarement à propos dudialogisme), et je commente un seul phénomène, celui de l’intonation. La remarque deVolochinov est célèbre et souvent citée : « Dans l’intonation, le discours entre en contactimmédiat avec la vie. Et c’est avant tout dans l’intonation que le locuteur entre encontact avec les auditeurs : l’intonation est par excellence sociale » (dans Todorov 1981 :74). Or, notre expérience discursive nous a fait rencontrer l’atonalité de la sidération etde l’absence à soi-même et à l’autre. Les observateurs du fonctionnement du langage ensituation totalitaire rapportent aussi des phénomènes d’atonalité collective : « Duranttoute sa durée et son extension, la LTI demeura pauvre et monotone, et “monotone” està prendre aussi littéralement qu’auparavant “fixé” » (Klemperer 1996 [1975] : 45-46).

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4.2. La fonction dialogique. Rendre la réalitéacceptable

5. Conclusion

Klemperer insiste dans l’ensemble de l’ouvrage sur ces phénomènes d’homogénéité, defixation, de monosémie et de normalisation extrême, qui invalident l’hypothèse dudialogisme constitutif.

Discours sans adresse, discours sans autre, ces pratiques langagières appartiennent ànos expériences d’êtres parlants en société, même si la théorie linguistique semblevouloir dessiner des discours plus acceptables.

36

Ce sous-titre est doublement… dialogique, faisant allusion à un titre de Danblon (Lafonction persuasive) et de Boltanski (Rendre la réalité inacceptable13). Je voudraisproposer ici la synthèse des analyses précédentes et montrer que le dialogisme est aussi,et peut-être surtout, un irénisme épistémologique et philosophique.

37

La notion me semble en effet dotée d’une fonction sociale pacificatrice (ce quej’appelle la fonction dialogique) permettant d’éviter la réalité du conflit et de ladestruction du lien qui est cependant au cœur de la vie humaine. C’est en ce sens que jeparle de norme dialogique, et que j’avancerai que le dialogisme est un normativisme.Sériot repère cela déjà dans les textes de Volochinov, dont il pointe le conformisme, enparticulier dans sa conception de la famille, sa défense de la hiérarchie, et sonévaluation négative de l’homme qui se détache du groupe (Sériot 2008). Il cite enparticulier un passage de « La structure de l’énoncé » qui disqualifie l’aventureindividuelle du solitaire, celui qui « a perdu son auditeur intérieur », dont l’existence etla « conduite sociale ne sont plus dirigées que par des penchants et impulsionsabsolument contingents, irresponsables et sans principe » (p. 296 dans Todorov 1981).Le verdict est sans appel : « […] semblable arrachement de la personne au milieuidéologique qui l’a nourrie peut mener en fin de compte à une désagrégation complètede la conscience, à la folie ou à l’idiotie » (2008 : 98 ; trad. de Sériot).

38

L’essentialisation du dialogisme dans le mainstream actuel, loin de n’être qu’uneaffaire de théorie linguistique, s’inscrit dans un ensemble contemporain de normes depensée marqué par la crise de la rationalité qui est aussi une crise de la critique(Danblon 2005). Le dialogisme permet de maintenir la fiction du lien social et del’accord, et d’éviter le principe d’incertitude (Boltanski 2009). Il permet de garantir uneimage idéalisée de la relation langagière qui est déjà, selon Sériot, celle qui apparaîtdans les écrits du Cercle : « La société n’est pas traversée de conflits ou decontradictions, elle est faite de “situations” qui rassemblent des “gens” qui, tout en étanten situation d’altérité mutuelle, se rassemblent du fait de leur connaissance exacte de cequ’on doit dire et de la façon dont on doit se comporter dans chaque “situation” »(2005 : 215). La fonction dialogique est alors une fonction de régulation sociale et l’onen trouve parfois quelques traces dans les travaux des linguistes : Rabatel mentionnepar exemple en conclusion de son article sur la dialogisation les « exigences de dialogueet de compréhension à la hauteur du projet bakhtinien, dont devraient profiter lessciences humaines en général et les sciences du langage en particulier » (2006a : 74).Mais à ne plus penser la possibilité d’énoncés monologiques, on prend à mon sens undouble risque : celui de l’illusion iréniste et celui, paradoxal, de la dévalorisation parbanalisation du dialogisme, pourtant présenté comme une valeur.

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du trajet épistémologique d’une notion née dans un contexte philosophiqueexternaliste, qui, à travers les interprétations dont elle a fait l’objet, s’estinternalisée en se grammaticalisant ;d’une programmation épistémique qui impose l’idée d’un dialogisme naturel del’interaction, du discours et de la langue, rendant impensables des conceptionsalternatives ;d’une fonction sociale du dialogisme qui installe une fiction irénique permettantd’éviter le conflit et le risque de désagrégement des liens sociaux.

Bibliographie

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Dans ce travail, j’ai voulu rendre compte, sous le regard de la philosophie dudiscours :

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L’industrie dialogique est une chose étrange : elle coexiste tranquillement avec sescontestations les plus radicales, sans en sembler interrogée. Qu’il suffise de penser àtoutes les figures d’autres insupportables qui jalonnent l’histoire de l’humanité (lemonstre, le diable, la sorcière, le fou, l’alien) ; au paradigme de l’indicible et del’incommunicabilité qui traverse toute la littérature et la philosophie depuis l’Antiquité ;et simplement, à nos épreuves de langage, quotidiennement renouvelées, qui nousdisent que nos mots sont parfois désertés par la voix d’autrui.

41

Les liens internet ont été vérifiés le 23 février 2010.

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Notes

1 Je remercie vivement E. Danblon et A. Rabatel qui m’ont, par leur lecture aussi rigoureuse quegénéreuse, obligée à améliorer ce texte, en particulier dans la troisième partie.

2 Pour la question des attributions, voir les travaux du CRECLECO (Centre de recherches enépistémologie comparée de la linguistique d’Europe centrale et orientale) dirigé par Sériot àLausanne, qui ont permis d’identifier les différents auteurs au sein du Cercle :http://www2.unil.ch/slav/ling/index.html ; en particulier Agueeva 2004, Sériot 2005.

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3 Je parlerai des textes du Cercle pour désigner l’ensemble du corpus du groupe quand lesattributions personnelles ne sont pas nécessaires, et nommément de Bakhtine et de Volochinovpour référer à leurs écrits propres.

4 « You will know that age has arrived when you are no longer surprised at journals filled witharticles like "Carnivalization in the Quebecois Novel," "Dialogical Midwifery," "NuclearDialogism," "Aesopian Language in Baxtin’s Analyses of Aesop," "The Poetry of Dialogue and theDialogue of Poetry," and "The Chronotope of the Road (or the bridge, or the canal, or the square,or the city, or the bathhouse) in the works of (fill in the author’s name). » (Morson 1988 : 81).Voir également Morson, Emerson 1988.

5 Ce terme de Spivak, issu de Foucault et désormais courant dans les cultural studies désigne lamanière dont les savoirs dominants se sont construits.

6 Pour une archéologie détaillée de la notion d’interdiscours voir Paveau 2009b et 2010b.

7 Peytard est un des passeurs les plus influents de cette articulation dialogisme-interdiscours quise lit désormais dans de nombreux travaux. Dans les synthèses théoriques et méthodologiques etles deux dictionnaires d’AD (des praxématiciens en 2001, et de Charaudeau-Maingueneau de2002), les catégories de « dialogisme interdiscursif » et « interlocutif » sont intégrées oujuxtaposées à la description du dialogisme bakhtinien, sans autre attribution.

8 Pour une synthèse des places du dialogisme et de la polyphonie dans les grammaires en France,voir Rabatel 2006a.

9 La critique de la « Bakhtin industry » en littérature a déjà remis en cause la domination duparadigme dialogique/polyphonie (Malcuzynski 1984, Rabaté 1997).

10 Michaux, H. (1938), Plume, section « Un certain Plume » I, « Un homme paisible ».

11 Sur certaines formes d’énoncés non communicationnels, voir Paveau 2009a.

12 Une des formes de pensée du pervers est la pensée opératoire, une pensée concrète, sanssubjectivité ni réflexivité, qui se fixe sur des mécanismes et des opérations.

13 Boltanski, L. (2008), Rendre la réalité inacceptable. À propos de La Production de l’idéologiedominante, Paris, Demopolis.

Pour citer cet article

Référence électroniqueMarie-Anne Paveau, « La norme dialogique. Propositions critiques en philosophie du discours »,Semen [En ligne], 29 | 2010, mis en ligne le 01 avril 2010, consulté le 19 juillet 2014. URL :http://semen.revues.org/8793

Auteur

Marie-Anne PaveauUniversité Paris 13, EA 452 CENEL

Articles du même auteur

Présentation [Texte intégral]

Le désir épistémologiqueParu dans Semen, 29 | 2010

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