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19 Dossier Irina De Herdt Le rôle du kairos dans les „petits traités“ de Pascal Quignard Vers la fin de „Fronton“, le premier traité de Rhétorique spéculative, Pascal Qui- gnard présente sa traduction originelle de l’hypsos, le terme central du fameux traité grec Peri hypsous du Pseudo-Longin. La tradition latine l’a assimilé au „sublime“, à tort selon Quignard: La langue ordinaire dit: „Cette femme, cette chose, cet événement tombent à pic.“ C’est ce qui traduirait le mieux le mot de hypsos, bien mieux que le latin sublimis. L’à- pic est le kairos. L’à-pic est ce qui s’ouvre sous l’humain comme abîme, comme la fa- laise tombe à pic. L’humain fuit l’abîme. Le logos seul l’y ramène. 1 Par le biais de cette brillante nouvelle traduction de l’hypsos, „l’à-pic“, Quignard l’affranchit des connotations erronées que l’emploi séculaire du latinisme „sublime“ a suscitées. En fait, les enjeux de cet à-pic sont doubles: d’un côté, il instaure un réseau métaphorique, exploité notamment dans Le sexe et l’effroi, qui oppose l’abîme et la profondeur à la verticalité et à l’élévation. La critique a tendance à mettre en lumière surtout cet aspect de l’à-pic. De l’autre côté toutefois, il désigne aussi le „kairos“ ou l’instant qui „tombe à pic“. Même si Quignard ne mentionne qu’une seule fois ce terme grec, qui renvoie au temps dans une perspective quali- tative et non pas quantitative, il s’agit d’une notion particulièrement riche et intéres- sante qui mérite une analyse plus approfondie. Elle permettra en effet de circons- crire de plus près l’interprétation du sublime selon Quignard; en outre, il faudra s’interroger sur son rapport avec d’autres aspects importants de la pensée de Qui- gnard, tels que l’augmentum ou la recherche de l’origine. Et comme le kairos constitue également un concept rhétorique de premier plan, il peut aider à dégager certaines particularités de l’écriture des petits traités. 2 Le kairos se présente donc un instrument critique pertinent pour renouer tant la forme que le fond du discours de Quignard. Le kairos, l’augmentum et le sublime Tout comme l’hypsos, le kairos est un concept fondamentalement intraduisible qui renvoie au temps qualitatif: l’occasion, le moment opportun, l’instant décisif. Il s’oppose au cours quantitatif du temps, qui est exprimé par le terme de chronos. Les considérations sur la peinture romaine élaborées dans Le sexe et l’effroi s’appuient sur une opposition similaire à celle entre chronos et kairos. Car à la diffé- rence du progrès chronologique et successif d’un récit raconté ou écrit, la repré-

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    Irina De Herdt

    Le rle du kairos dansles petits traits de Pascal Quignard

    Vers la fin de Fronton, le premier trait de Rhtorique spculative, Pascal Qui-gnard prsente sa traduction originelle de lhypsos, le terme central du fameux trait grec Peri hypsous du Pseudo-Longin. La tradition latine la assimil au sublime, tort selon Quignard:

    La langue ordinaire dit: Cette femme, cette chose, cet vnement tombent pic. Cest ce qui traduirait le mieux le mot de hypsos, bien mieux que le latin sublimis. L-pic est le kairos. L-pic est ce qui souvre sous lhumain comme abme, comme la fa-laise tombe pic. Lhumain fuit labme. Le logos seul ly ramne.1

    Par le biais de cette brillante nouvelle traduction de lhypsos, l-pic, Quignard laffranchit des connotations errones que lemploi sculaire du latinisme sublime a suscites. En fait, les enjeux de cet -pic sont doubles: dun ct, il instaure un rseau mtaphorique, exploit notamment dans Le sexe et leffroi, qui oppose labme et la profondeur la verticalit et llvation. La critique a tendance mettre en lumire surtout cet aspect de l-pic. De lautre ct toutefois, il dsigne aussi le kairos ou linstant qui tombe pic. Mme si Quignard ne mentionne quune seule fois ce terme grec, qui renvoie au temps dans une perspective quali-tative et non pas quantitative, il sagit dune notion particulirement riche et intres-sante qui mrite une analyse plus approfondie. Elle permettra en effet de circons-crire de plus prs linterprtation du sublime selon Quignard; en outre, il faudra sinterroger sur son rapport avec dautres aspects importants de la pense de Qui-gnard, tels que laugmentum ou la recherche de lorigine. Et comme le kairosconstitue galement un concept rhtorique de premier plan, il peut aider dgager certaines particularits de lcriture des petits traits.2 Le kairos se prsente donc un instrument critique pertinent pour renouer tant la forme que le fond du discours de Quignard.

    Le kairos, laugmentum et le sublime

    Tout comme lhypsos, le kairos est un concept fondamentalement intraduisible qui renvoie au temps qualitatif: loccasion, le moment opportun, linstant dcisif. Il soppose au cours quantitatif du temps, qui est exprim par le terme de chronos.

    Les considrations sur la peinture romaine labores dans Le sexe et leffroisappuient sur une opposition similaire celle entre chronos et kairos. Car la diff-rence du progrs chronologique et successif dun rcit racont ou crit, la repr-

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    sentation picturale des mythes sur les fresques romaines privilgie ncessaire-ment un moment unique de la narration. Quignard sinterroge en particulier sur ce moment crucial, sur cet instant thique du mythe quil appelle laugmentum: il soutient que les fresques reprsentent toujours linstant juste avant que la catas-trophe tragique ne se produise. Ainsi, la peinture de lhistoire de Mde la montre en train de regarder ses enfants, prte les assassiner mais encore retranche dans leffrayant silence qui prcde laccs de la folie.3 De mme, les fresques dpeignent Narcisse quand il est sur le point de se pencher sur son propre reflet: Cest laugmentum. Cest linstant qui prcde la mort (SE, 274).

    Or, tout comme cet augmentum, le kairos consiste en ce moment prcis et dci-sif qui compte le plus dans une vie et que lart immobilise dans une uvre uni-que.4 A la manire des fresques romaines, il sagit trs souvent dun instant de re-connaissance ou danagnrisis tragique: The major kairos in a drama comes at the hinge point where [...] the characters recognize the nature of their destinies which their perception of a constellation of circumstances has revealed to them.5La ressemblance avec laugmentum tragique est frappante, que ce soit dans le cas de Narcisse, de Mde ou encore ddipe, quand il sarrache les yeux aprs la mise nu de son origine relle et des consquences de celle-ci (SE, 195).

    En effet, Quignard soutient que limminence de la mort ou du dnouement tragi-que sur les fresques romaines est toujours provoque par la rvlation interdite de lorigine de lhomme: dipe comprend dans quelle union pervertie il a engendr ses enfants, Narcisse se perd parce quil est fascin par le fleuve dont il est origi-naire. Quant Mde, elle est dvore par un dsir sans bornes; Quignard met en vidence les connotations sexuelles de son augmentum, son accs de folie meur-trier, en prenant appui sur les sources littraires antiques.

    En fait, il associe implicitement la notion mme daugmentum, emprunte un mdecin de lAntiquit tardive, la conception de lhomme:

    Caelius disait quil y avait quatre temps dans les maladies: lattaque (initium), laccs (augmentum), le dclin (declinatio), la rmission (remissio). Le moment de la peinture est toujours laugmentum. Leudaimonia des Grecs devint cette augmentation, cette inflatio,qui est lauctoritas solennelle romaine. Les modernes ne vivent plus le mot dinflation dans le sens de donner forme en enflant. Flare, inflare, phallos, fellare jouent autour dune mme forme [...]. Cest donner au rel une consistance excite, augmente. (SE, 98)

    A ne pas en douter, les quatre tapes de la maladie correspondent la progres-sion de la scne invisible, lacte sexuel dont la vision entrane la mort. Nan-moins, la visualisation de cet invisible est aussi lobjet principal de la qute que dveloppent la plupart des textes de Quignard.

    Ainsi, le rapprochement entre laugmentum et le kairos, en tant quinstant criti-que, situe demble la notion de kairos au cur de la pense quignardienne. Or, ce rapprochement est dautant plus justifi que laugmentum a certains traits en commun avec le sublime ou l-pic, que lauteur lui-mme a associ au kairos.

    En premier lieu, la fascinatio que suscite la scne originelle invisible est dcrite dans Le sexe et leffroi comme un mlange de terreur et de beaut sublime, ce

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    qui rappelle la conception longinienne de lhypsos comme une combinaison de peur et de merveille: Ce qui nest pas beau, ce qui est terrible, ce qui est plus beau que le beau, ce qui obsde la curiosit qui fait chercher des yeux, tel est le fascinant (SE, 332).

    En deuxime lieu, Quignard insiste sur la faon dont Longin prsente l-pic comme la recherche de la parole extatique: Le langage sa cime fait osciller le thauma (ltonnement, ladmiration) et lekstasis (lextase) (RS, 57). Or, llment extatique est aussi central dans les chapitres de Le sexe et leffroi relatifs aux mystres bacchiques des Romains, qui sont des tentatives de dvoiler le secret de la fascinatio, de lorigine invisible. Cette extase sanglante qui fonde les socits humaines (SE, 326) consiste alors en ceci que chaque mre qui met au monde un enfant, un produit de la scne invisible, le destine par le mme geste automatique-ment la mort.

    De surcrot, la dfinition de lhypsos ou du sublime comme la nudit du lan-gage (RS, 58) confirme son rle dans la qute langagire de la nudit originelle, en tant ququivalent de laugmentum dans la qute picturale. Tout comme cet ins-tant dcisif, le sublime est explicitement corrl lacte sexuel:

    Les paroles usuelles sont comme des vtements qui dissimulent: alors le langage litt-raire est le langage nu jusqu leffroi. La nudit du langage, tel est ce que Loggin nomme le sublime. Le mot latin de sublimis traduit mal le grec hypsos. Hypsi, cest le en-haut, la haute mer, lminence, ce par rapport quoi on est en dessous, ce par rap-port quoi on est loin. Le sublime est ce qui saille, ce qui tend et se tend comme lors du dsir masculin. (RS, 58)

    Le langage de l-pic ou du kairos suscite leffroi; ailleurs, Quignard explique que cet effroi est lorigine du mystre et de la fascinatio: il dsigne un tat qui sur-vient quand on tombe dans une situation prilleuse laquelle rien na pu prparer (SE, 315), une situation qui est en dautres termes proche de laugmentum. En outre, leffroi est li la surprise, qui est son tour essentielle dans le sublime longinien; une de ses caractristiques principales est en effet le paradoxon ou linattendu, comme Quignard souligne dans Rhtorique spculative. La dfinition du style -pic mme est fondamentalement paradoxale: dans sa tentative daboutir la nudit, le sublime est le logos dchirant le legein qui est sa source (RS, 65).

    Les textes rvlent donc clairement comment laugmentum, central dans Lesexe et leffroi, et le sublime, essentiel dans le trait Fronton de Rhtorique sp-culative, font cho lun lautre. Relis par leffroi, par lextase et par le retour la scne invisible de la nudit originaire, les deux notions se compltent, le kairosoprant comme la cl de vote invisible qui les relie.

    Le kairos et la sophistique

    Dans la rhtorique ancienne, le kairos vhicule deux sens opposs. Dun ct, il dsigne ce qui stylistiquement tombe pic, ayant trait lide de decorum: le style doit tre adapt au contenu.6 Cette approche typiquement classiciste ne

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    saccorde toutefois pas avec le kairos sublime que Quignard circonscrit dans Rh-torique spculative: Le style nest pas li la forme de ce qui est dit, pas plus quil nest li au contenu grandiloquent ou sordidissime de ce qui est montr. Au contraire, il est li lnergie prlinguistique quil tend dans lorganisation du plai-sir et de la douleur (RS, 65): le style de l-pic cherche la rvocation de la nudit originelle, comme il a dj t constat.

    Le kairos quignardien correspond par consquent mieux une autre concep-tion, radicalement oppose, qui est issue de la sophistique et notamment de Gor-gias, un des auteurs que Quignard admire le plus dans ses textes. Au lieu daborder le kairos comme un principe de la juste mesure, la sophistique le consi-dre comme un principe de spontanit et de crativit: le rhteur saisit les occa-sions que lui fournissent les circonstances concrtes lorsquil prononce son dis-cours. E. C. White, lauteur de Kaironomia: On the Will-to-Invent, une rflexion sur le rle du kairos dans diffrents contextes rhtoriques et philosophiques, a reli ce kairos sophistique une attitude maniriste, qui se situe loppos de tout classi-cisme.

    Ce manirisme est son tour une source du sublime: The aesthetic effect the mannerist orator seeks would be one of sublimity, a sudden shock of awe, wonder, terror, euphoria, transporting an audience beyond a traditional standpoint.7 On reconnat les lments de lhypsos de Longin (la surprise, leffroi) repris par Qui-gnard dans Rhtorique spculative et mis en vidence dans les fresques romaines dcrites dans Le sexe et leffroi. En outre, White associe ce sublime maniriste une stylistic plurality8 qui fait cho aux principes soutenus dans le trait Fronton et mis en uvre dans les traits mmes, qui sont caractriss par une grande di-versit stylistique.

    Lassociation du kairos et du sublime, dj ralise par Quignard dans Rhtori-que spculative, est en dautres termes confirme par le fonctionnement du kairosdans la rhtorique sophistique. Il semble dautant plus pertinent dappliquer la no-tion de kairos lcriture des traits que Quignard manifeste de toute faon une affinit vidente avec cette premire sophistique, notamment avec Gorgias.

    Le caractre insaisissable du kairos

    Il convient toutefois de sarrter un autre argument encore pour tayer lhypo-thse dun kairos sophistique au sein de lcriture mme. Car White souligne aussi comment le kairos chappe ncessairement toute dfinition: il serait inconsistant de le forcer dans le carcan dune dfinition troite, en raison de son caractre fonda-mentalement variable et instantan.9 Conformment cette caractristique parti-culire du kairos, lauteur refuse de reconnatre la vrit de sa propre uvre Kairo-nomia, du fait que linsistance on having the last word would foreclose the possi-bilities of invention. Il prsente par consquent son livre comme un essai meant to be read and enjoyed as dismissible speculation,10 la faon dun vritable sophiste.

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    Kaironomia sinscrit donc selon toute apparence dans la ligne de la rhtorique spculative dgage par Quignard, qui met laccent sur la nature essentiellement langagire de la pense. On notera ce propos que lattitude de White reflte en quelque sorte celle de Quignard dans les traits, galement encline mettre en vidence la gratuit de ses propres spculations.

    Ainsi, Quignard confirme la dernire page de Le sexe et leffroi, ce trsor dinterprtation spculative, que toute interprtation est un dlire (SE, 341). Il for-mule une mise en garde similaire dans La nuit sexuelle: Que celui qui me lit com-prenne bien le point de vue auquel je me place: tout ce que je dis est un men-songe.11 Ajoutons encore que le premier chapitre de Kaironomia est prcisment intitul The paradox of the liar: ce titre ne saccorde pas seulement avec le carac-tre insaisissable du kairos, mais il fait galement rfrence au livre mme. En effet, la prsentation de luvre comme une kaironomia, soumise la logique du kairos, lexclut par dfinition du cadre de la vrit, tandis que cette prsentation elle-mme correspond la vrit.12 On reconnat le paradoxe du menteur tel quil surgit aussi dans la dernire citation de Quignard: faire laveu de mentir, cest noncer une vrit qui sinscrit elle-mme sous le signe du mensonge.

    Dans La leon de musique, Quignard adresse un message similaire ses lec-teurs, en expliquant comment lorigine reste ineffable:

    Que celui qui me lit ait constamment lesprit que la vrit ne mclaire pas et que lapptit de dire ou celui de penser ne lui sont peut-tre jamais tout fait soumis. [...] La vrit de ce que nous disons est peu de chose en regard de la persuasion que nous cherchons en parlant et cette persuasion elle-mme, qui est peu, est moins encore si nous la rapportons la rptition pleine dun vieux plaisir qui se cherche au travers delle. Ce plaisir est plus ancien que la mue. Il est plus ancien que les mots mmes que la mue affecte, ou dont elle mtamorphose lapparence. Et les mots, comme ils nen portent pas la mmoire, ils ne le capturent jamais.13

    Pourtant, Quignard ne cesse paradoxalement daccumuler les mots travers ses multiples uvres, afin de dvoiler autant que possible cette nudit originaire dj mise en rapport avec laugmentum et le sublime.

    Or, dans la tentative de se rapprocher de cet ineffable, lcriture des traits se caractrise par une rhtorique particulire. Elle est alimente par une rudition re-marquable, tel point que les renvois multiples aux savoirs tymologiques et li-vresques seront considrs dans une partie suivante de lanalyse comme les ap-plications particulires du kairos sophistique. Car du trait (perdu) Peri kairou de Gorgias jusquau Will-to-Invent de White, celui-ci concerne essentiellement le principe dinventivit qui est luvre dans le discours.

    Je suis videmment consciente du danger de larbitraire qui rside dans ce transfert dun concept ancien de son contexte originel jusque dans une rhtorique moderne fondamentalement diffrente. Nanmoins, je suis convaincue que le kai-ros, remodel sur les conditions du discours daujourdhui, se prsente comme un point de dpart pertinent et fonctionnel pour mesurer le rle de linventivit dans le discours nosophistique14 et rudit dun auteur comme Pascal Quignard.

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    Les outils discursifs du kairos

    Lappropriation dun savoir rudit, sans aucune garantie de vrit, simpose comme lquivalent moderne du kairos sophistique. La dialectique des Petits trai-ts en particulier, o les fragments se confrontent de faon explicite en thses et antithses momentanes, renforce la pertinence de cette perspective.15 Les frag-ments lintrieur des traits rpondent en effet souvent une logique de linstantan: les contradictions dun fragment lautre ou entre diffrentes uvres sont frquentes, conformment lide centrale et paradoxalement unificatrice que la vrit, savoir la nudit originaire,16 est fondamentalement hors de porte.

    Nanmoins, certains moyens rhtoriques sont mis en uvre pour remdier cet loignement de lorigine: la recherche tymologique qui retrace lorigine des mots, ou encore le retour au pass par le biais de la pratique citationnelle. Dans les deux cas, on constate comment Quignard sapproprie des lments dj exis-tants selon quils saccordent avec largumentation quil dveloppe. Il ne se soucie pas dexactitude scientifique dans la reprise de ce savoir. Ainsi, ces aspects de son criture se conforment au principe du kairos sophistique en tant quindice dinventivit; de toute faon, il est caractristique de ce kairos de concerner la va-leur argumentative et non pas la vrit scientifique de largumentation.17

    Un tel principe kairique de lrudition se discerne donc en premier lieu dans la rflexion tymologique, notamment quand ltymologie vire la paronomase ou lhomophonie. Fascinus et facinus, terre et terreur, page et pige, etc.: les jeux de sonorit, lintrieur mme des recherches tymologiques, sont multiples et non ngligeables. Quand lauteur commente cette potisation des rapports pseudo-tymologiques, il souligne galement la part dinvention quelle implique:

    Toute ressemblance sonore au sein des mots dont nous avons lusage annexe aussitt son empire le territoire simplement homophone de la meute sonore qui lvoque. Quel que soit son sens il semble lui faire cho. Ou il invente la drivation quil entrane.18

    Ainsi, les jeux de sonorit constituent le kairos idal pour relier des ides et tablir des rapports. Dans le trait Jrme Fracastor qui sinterroge sur lorigine du mot syphilis, Quignard insiste galement sur le poids argumentatif des fausses ty-mologies: Le Bloch-Wartburg omet les tymologies antrieures qui, quelque anec-dotiques quelles soient, ne sont pas dnues dintrt et peut-tre, defficace (PTII, 520). Aussi la preuve par ltymologie en gnral, quelle soit correcte ou errone, est-elle faite pour [la] persuasion dun instant,19 comme observe Jean Paulhan. De cette faon, ce grand dtracteur de la rhtorique tymologisante confirme indirectement le rapprochement entre le jeu de ltymologie et la rhtori-que du kairos.

    En deuxime lieu, le kairos constitue une perspective intressante pour dcrire la pratique citationnelle, abondante dans la srie des petits traits. Dans une clas-sification des citations tablie par Antoine Compagnon, la citation de Quignard appartient selon toute apparence la catgorie des emblmes textuels, en raison

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    de la manire spcifique dont elle sapproprie les textes dorigine. Car Compagnon dfinit ainsi toute pratique de la citation qui fonctionne comme un signe transitoire, toujours rvisable en fonction de son adquation au particulier20: la lecture emblmatique prend possession du texte, en rinterprtant des signes sans autre valeur que celle de leur convenance extemporane.21 La citation-emblme se rapproche par consquent considrablement du kairos rhtorique.

    Or, lappropriation du texte lu qui sous-tend cette pratique citationnelle proche de lemblme se manifeste plusieurs niveaux dans les textes de Quignard. Quel-ques exemples montreront le bien-fond de lassociation entre la citation, lemblme et le kairos.

    Une premire observation apprend quun seul emprunt est souvent susceptible de vhiculer plusieurs ides diffrents endroits des traits, selon le contexte ar-gumentatif qui linsre. Dans le Trait sur Cordesse par exemple, Quignard re-prend Tacite lide que le cur dun ami sert de tombe un homme mort (PTI,13). Plus loin toutefois, dans les traits Les langues et la mort (PTI, 166) et La gorge gorge (PTI, 540), cette mme image de la tombe est associe la faon dont les langues vivantes contemporaines sont les spulcres des langues ancien-nes et mortes. Dans Le sexe et leffroi ensuite, lide de Tacite est introduite dans une rflexion relative la domus romaine: Le cur est la domus infernale du fantasme de celui quon aime, comme la tombe est le cur vivant o habitent les ombres (SE, 174). Ainsi, lemprunt est sujet une relle metaphora, un transfert de sens dune occasion textuelle lautre. Enfin, limage de Tacite est aussi men-tionne dans Rhtorique spculative, quand Quignard reprend une comparaison de Gorgias qui associe les vautours des tombeaux vivants:

    Lemphase consiste ici attribuer linhumation aux vautours, aux charognards qui igno-rent les tombes. Les morts sont par eux-mmes les premires imagines. [...] De mme que les Anciens, dont nous ne sommes que les survivants, viennent notre rencontre dans nos rves sous forme de phantasma, de mme nous en dressons des effigies et les promenons dans la cit [...]. Cest le cur de celui qui parle qui est la tombe vi-vante. (RS, 74)

    Notons quaussi bien les imagines, cest--dire lorigine les masques des dc-ds dans le culte des morts romain, que limage du charognard et de la tombe vi-vante sont susceptibles dvoquer la pratique citationnelle elle-mme, telle que Quignard la dcrit dans les Petits traits. Il y met en vidence la part dappropriation qui accompagne la citation:

    Citation et mort. Toute citation est en vieille rhtorique une thope: cest faire parler labsent. Seffacer devant le mort. Mais aussi bien linstant rituel selon lequel on man-geait le corps des morts, ou celui du dieu. Sacrifice pour sen prserver, pour contenir ce pouvoir en le dcoupant en morceaux et en lingrant pour partie. (PTI, 173)

    Or, cette ingestion partielle constitue la deuxime faon dont Quignard prend en possession les fragments dautres auteurs, selon cette logique de lemblme que jai rapproche du kairos. Souvent en effet, les emprunts aux auteurs du pass se

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    caractrisent dune part par des interpolations de la forme et dautre part par une extrapolation ou amplification potique22 du fond: les citations sont modifies et digres afin de mieux cadrer avec largumentation en cours.

    Je renvoie avant tout aux tudes de Gaspard Turin ou de Rmy Poignault pour des aperus plus dtaills des ces manipulations.23 En complment celles-ci, janalyserai brivement quelques citations de Marc Aurle, llve de Fronton qui joue galement un rle important dans le premier trait de Rhtorique spculative.Non seulement elles fournissent une illustration adquate de la faon dont la cita-tion tombe -pic dans largumentation des traits, elles permettent aussi de bou-cler le cercle du kairos et de relier son application rhtorique son intrt thmati-que au sein des traits.

    Les citations de Marc Aurle: le kairos de la forme et du fond

    Dans le trait Fronton on observe que Quignard escamote en grande partie la dimension philosophique des Penses de Marc Aurle. Il amplifie par contre la charge rhtorique de luvre, la manire dont il amplifie et exagre aussi la ten-dance antiphilosophique de Fronton.24 Car si indniablement riche en images que soit lcriture de Marc Aurle, elles jouent un rle plus philosophique que rhtori-que: elles cadrent plutt avec les phantasiai de la pense stocienne25 quavec les eiknes uniquement loquentes de Fronton, auxquelles Quignard les associe.

    Lcrivain soutient en effet que la forme rhtorique du discours des Penses de-vance et dpasse son fond philosophique. Tout comme dans le cas de Fronton cependant, cette faon de faire dire lauteur ce quil ne dit pas ne sobtient quau prix dune manifeste appropriation du texte. Dans le fragment suivant par exemple, on constate la contraction de deux passages non relats de Marc Aurle:

    Quest-ce que le kosmos? Les petits enfants trouvent belle leur balle (sphairion). La nature se comporte comme un joueur qui lance une balle (s o anaballn tn sphairian [sic]). Quelle souffrance prouve une bulle deau (pompholyx) crever? (RS, 53)

    Lassociation de deux fragments diffrents est dautant plus remarquable quelle repose selon toute apparence uniquement sur les formes apparentes sphairion et sphair[i]an.26 Ainsi, la balle des petits enfants apparat dans un passage des Pen-ses (VI, 57) qui a trait la fausset de certaines opinions.27 Limage du joueur par contre (VIII, 20) relve chez Marc Aurle dune rflexion relative la Nature universelle, qui rgule le cours des choses.28 Aucun rapport direct ne relie en dautres termes les deux passages, si ce nest lidentit des images et des sons similaires. Celle-ci rappelle par consquent le got marqu de Quignard pour des phnomnes dhomophonie et dhomonymie, qui a dj t prsent comme un autre aspect du kairos dans la rhtorique quignardienne.

    Un autre passage prsent comme une citation littrale de lempereur-philoso-phe subit un traitement similaire. De surcrot, il est aussi thmatiquement intres-

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    sant, du fait que linterprtation que Quignard y rattache circonscrit dj en pointill lide de l-pic et donc du kairos, proche du sublime.

    Dans le texte des Penses, le fragment repris par Quignard (III, 2) voque le phnomne stocien de la consquence ncessaire et accidentelle. Celle-ci impli-que que mme des vnements et des objets premire vue rpugnants contien-nent une certaine beaut, puisquils dcoulent de la mme cause originaire que toutes les bonnes choses. Quignard prserve quelques images qui exemplifient cette consquence accidentelle:

    Le pain par endroits en cuisant se fendille et ces fentes (diechonta) se produisent lencontre de lart du boulanger. Les figues trs mres (syka raiotata) qui sentrouvrent galent lclat de lolive pourrie. Le front des lions (to episkynion tou leontos), la tte des vieillards (gerontos), lcume qui schappe du groin des sangliers (o tn syn ek tou stomatos rhen aphros) sont loin dtre beaux et cependant prsentent un attrait (psychagogei). (RS, 49)

    De nouveau, les manipulations sont considrables. Dabord, Quignard condense le passage dans sa traduction.29 En outre, la mention de la tte des vieillards appa-rat en ralit plus loin dans le texte dorigine, dans une nouvelle image qui voque les consquences ncessaires de la Nature: Marc Aurle crit que mme chez une vieille femme et chez un vieillard, un philosophe peut apercevoir une certaine vigueur, une beaut tempestive.30

    Or cette vigueur et cette beaut tempestive traduisent les mots grecs hra etakm que Quignard mentionne dans la suite de sa rflexion, sans toutefois les identifier comme des termes originels de Marc Aurle. Du fait quils vhiculent essentiellement une ide temporelle,31 il relie alors ces deux substantifs au mot de tempestas, lquivalent latin de hra. Etant appele une maturit du temps pro-pre, cette tempestas se rapporte clairement au kairos en tant que instant de l-pic, encore quil ne soit pas encore mentionn ce point du trait. En fait, le pen-dant latin exact du kairos, la tempestivitas, apparat aussitt aprs, dans la dcla-ration que [l] attrait accidentel associe sordidissima et tempestivitas (RS, 50). Aussi les consquences ncessaires et accidentelles de la philosophie stocienne sont-elles assimiles lide typiquement quignardienne des sordidissima.

    A cette appropriation kairique du discours de lautre, qui est cit pour transmet-tre une ide propre Quignard mme, sajoute donc une rflexion sur des enjeux thmatiques trs proches du kairos ou de la tempestivit. Autrement dit, laspect rhtorique et laspect thmatique du kairos se rencontrent dans cet emprunt Marc Aurle et dans les rflexions qui lentourent.

    Qui plus est, la mort tempestive dans les images labores par Marc Aurle rappelle aussi laugmentum des fresques romaines, o la mort des hros mythi-ques tait galement imminente. De mme, la beaut particulire quimplique cette tempestivit de la mort renvoie une caractristique importante du sublime, qui repose prcisment sur la conjonction paradoxale du beau et du laid ou de leffrayant.

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    Ainsi, le sublime aussi bien que le kairos se manifestent dj indirectement dans la lecture que Quignard fait de Marc Aurle, quoique la mention explicite de ces notions ne se fasse que plus loin dans le trait.

    Ajoutons encore que le fragment des Penses est aussi lu sous le signe du retour lorigine, dans la mesure o tous ces accidents de la nature que lempereur-phi-losophe a dcrits rappellent lhumanit laccident de sa nature (RS, 50). Ils renvoient donc de nouveau lorigine de la vie humaine, qui tait aussi, on la vu, centrale dans la conception de laugmentum, du sublime et du kairos. Quant laspect spcifiquement accidentel de cette origine, le kairos est bien sr le terme idal pour lvoquer, dsignant aussi bien lopportunit momentane que linstant critique et dcisif. Cette ide de laccidentel et du hasard permettra justement de rcapituler et de conclure la rflexion sur les enjeux du kairos dans lcriture de Pascal Quignard.

    Le kairos: une philosophie et une rhtorique du hasard

    Laspect accidentel de lorigine que Quignard rencontre dans une des mditations de Marc Aurle est aussi formul dans Le sexe et leffroi:

    Toute vision est une jaculation datomes qui rebondit contre une pluie datomes dans le vide. Cest par un hasard qui se rpte chaque instant quil y a un monde. Cest par un hasard qui se rpte chaque instant que nous pensons. Cest par hasard que nous sommes. (SE, 168)

    A partir de cette origine accidentelle, le hasard interfre tous les niveaux de lexistence, de la pense et de lcriture. Lanalyse la mis en lumire: la rhtori-que spculative de Quignard sappuie sur les opportunits fournies par lrudition, qui tombe toujours pic dans le raisonnement, quelquefois au prix dune appro-priation personnelle du savoir. Cette particularit rhtorique se compose notam-ment de larticulation des traits en thses et antithses, des jeux pseudo-tymolo-giques et de la citation-emblme; elle a t associe la conception sophistique du kairos, qui se rapproche aussi des notions-cls de laugmentum et du sublime.

    On a en effet constat comment Quignard calque sa conception de la vrit sur celle, extrmement relativiste, de Gorgias et des autres sophistes: Le mens est pure mentiri. Ce nest pas moi qui ai voulu ce monde o la vrit ne peut pas tre beaucoup plus quune contre-falsification momentane.32 La dnonciation para-doxale et autodestructive de la propre pense comme un mensonge saccorde bien avec le caractre par dfinition insaisissable du kairos, dont les diverses ma-nifestations dans le discours quignardien fournissent justement des contre-falsifi-cations momentanes de lillusion de pouvoir remonter lorigine:

    Toute notre vie nous cherchons passer la source choquante (les deux nudits princi-pielles) au travers dune espce de tamis perceptif.

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    Grain grain, au travers des tamis, le monde ancien se reconstitue jusqu inventer un rcit ou former un tableau. Alors nous avons limpression de voir ce qui nest pas visi-ble. (NS, 5)

    La rhtorique du kairos a permis de considrer les citations, les tymologies, les mythes, les fresques comme les grains voqus dans cette image. Dans leur ten-tative de visualiser ce qui est fondamentalement invisible, ils sont un indice du kai-ros chez un de nos auteurs contemporains les plus remarquables, dont linventivit rudite et sophistique tombe toujours pic.

    1 Pascal Quignard, Rhtorique spculative, Paris, Folio, 1997, 68; dornavant RS.

    2 Petits traits est considr ici comme un terme gnrique; le raisonnement portera es-

    sentiellement sur le premier trait de Rhtorique spculative, sur les Petits traits et sur Le sexe et leffroi, une uvre proche du genre des petits traits.

    3 Pascal Quignard, Le sexe et leffroi, Paris, Folio, 1996, 189; dornavant SE.

    4 Cf. Gregory Mason, In Praise of Kairos in the Arts, in: Phillip Sipiora and James S.

    Baumlin (eds.), Rhetoric and Kairos: Essays in History, Theory, and Praxis, Albany, SUNY Press, 2002, 202: [G]reat artists recognize kairotic moments in life and seize them as occasions and subjects for their art; characters create meanings out of critical mo-ments in their lives.

    5 Ibid., 202. 6

    Cf. Carolyn R. Miller, Foreword, in: Sipiora and Baumlin, op. cit., xii.7

    Eric Charles White, Kaironomia: On the Will-to-Invent, Ithaca and London, Cornell Univer-sity Press, 1987, 31.

    8 Ibid., 32. 9

    White, op. cit., 20: Kairos entails a recognition of the antithetical nature of the truth, and consequently, of the provisional character of the logos of the moment. In this sense, Gor-gias would have been inconsistent ever to have codified his views on kairos.

    10 Ibid., 9.11

    Pascal Quignard, La nuit sexuelle, Paris, Flammarion, 2007, 55; dornavant NS.12

    Cf. White, op. cit., 42. 13

    Pascal Quignard, La leon de musique, Paris, Gallimard, 2002, 15.14

    Cf. la remarque de Chantal Lapeyre-Desmaison que Quignard aurait invent la troisime sophistique, justement en raison de son regard vers le pass. Chantal Lapeyre-Des-maison, Mmoires de lorigine, Paris, Galile, 2006, 317.

    15 Une remarque relative au kairos des Anciens confirme: In accordance with kairos, there-

    fore, we are compelled to maintain contrary perceptions, interpretations, and arguments: opposing arguments the dissoi logoi of sophistic rhetoric remain equally probable, and yet the mystery of kairos enables rhetors to choose one logos over another, making one and the same thing seem great or small, beautiful or ugly, new or old. Phillip Sipiora, Introduction: The Ancient Concept of Kairos, in: Sipiora and Baumlin, op. cit., 4.

    16 Cf. Chantal Lapeyre-Desmaison, Pascal Quignard le solitaire: Rencontre avec Chantal

    Lapeyre-Desmaison, Paris, Flohic, coll. Les Singuliers Littrature, 2001, 163. Quignard y dclare que sa qute va plutt dans le sens de lopposition de lhabill et du nu, que de celle du vrai et du faux.

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    17 Cf. Alonso Tordesillas, Linstance temporelle dans largumentation de la premire et de

    la seconde sophistique: la notion de kairos, in: Barbara Cassin (ed.), Le plaisir de parler. Etudes de sophistique compare, Minuit, 1986, 41.

    18 Pascal Quignard, Petits traits II, Paris, Folio, 1997, 362; dornavant PTI/II.

    19 Jean Paulhan, La preuve par ltymologie, Paris, Minuit, 1953, 63.

    20 Antoine Compagnon, La seconde main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979, 259.

    21 Ibid., 273. 22 Ibid., 55.23

    Ils se penchent respectivement sur le cycle du Dernier royaume et sur les citations de Fronton dans le premier trait de Rhtorique spculative. Gaspard Turin, Lecture et cri-ture chez Pascal Quignard: une archologie mentale, Cahier du CERACC 3, juin 2006, 1-4; Rmy Poignault, Fronton revu par Pascal Quignard, in: Rmy Poignault (ed.), Pr-sence de lAntiquit grecque et romaine au XXe sicle. Actes du colloque tenu Tours (30 novembre-2 dcembre 2000), Tours, Centre de Recherches A. Piganiol, 2002, 145-174.

    24 Rmy Poignault, art. cit., 163-169.

    25 Cf. Pierre Hadot, La citadelle intrieure: Introduction aux Penses de Marc Aurle, Paris,

    Fayard, 1992. Voir en particulier le sixime chapitre, Le stocisme des Penses. La cita-delle intrieure ou la discipline de lassentiment.

    26 On constate une petite erreur de copiste qui signale mme orthographiquement

    lattraction formelle entre les deux noms: sphairion est le diminutif de sphaira; la contami-nation sphairia est inexistante en grec.

    27 La citation de Marc Aurle est ici trs manifestement emprunte la traduction de Mario

    Meunier dans la collection Classiques Garnier (je souline): Ceux qui ont la jaunisse trouvent le miel amer; ceux qui ont t mordus par un animal enrag redoutent leau, et les petits enfants trouvent belle leur balle. Marc Aurle, Penses pour moi-mme, tra-duction nouvelle avec prolgomnes et notes par Mario Meunier, Paris, Garnier, 1933, 59.

    28 Ibid., 137: La nature na pas moins envisag la fin de chaque chose que son commence-ment et que le cours entier de sa dure. Elle se comporte comme un joueur qui lance une balle. Or, quel bien une balle trouve-t-elle monter, quel mal descendre, ou mme tre tombe? Et quel bien une bulle deau a-t-elle se former? Quel mal crever?.

    29 Dans la version de Mario Meunier (op. cit., 49) on lit: Il faut encore prendre garde ceci:

    les accidents mmes qui sajoutent aux productions naturelles ont quelque chose de gra-cieux et de sduisant. Le pain, par exemple, en cuisant par endroits se fendille et ces fentes ainsi formes et qui se produisent en quelque faon lencontre de lart du bou-langer, ont un certain agrment et excitent particulirement lapptit. De mme, les fi-gues, lorsquelles sont tout fait mres, sentrouvrent; et, dans les olives qui tombent des arbres, le fruit qui va pourrir prend un clat particulier. Et les pis qui penchent vers la terre, la peau du front du lion, lcume qui schappe de la gueule des sangliers, et beaucoup dautres choses, si on les envisage isolment, sont loin dtre belles, et pour-tant, par le fait quelles accompagnent les uvres de la nature, elles contribuent les embellir et deviennent attrayantes. Encore une fois, la citation de Quignard est manifes-tement en grande partie redevable cette traduction-ci.

    30 Ibid., 49.31 Hra dsigne toute division de temps, priode de dure; akm est en premier lieu la

    pointe, le plus haut point et de l le moment o une chose est point, le moment op-portun. Cf. Anatole Bailly, Dictionnaire grec-franais, Paris, Hachette, 2000.

    32 Chantal Lapeyre-Desmaison, Pascal Quignard le solitaire, 163.