42739931-La-revue-antimaconnique-annee-1-11-Septembre-1911[1].pdf

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  • Premire Anne N 11 Septembre 1911

    Les ides et les faits

    H"Tg?rajANS le numro d'aot de la Revue Antimaonnique, enI EHH&I rendant compte cette place de la mutinerie du cuirassG KM?J| Numcincia, nous ajoutions qu'il existait dans la flotteifr IB%wi! espagnole un complot rvolutionnaire tendu, formen vue d'une tentative mieux concerte , lequel claterait sansdoute une chance prochaine. Mais nous ne pensions pas que lesvnements nous donneraient si promptement raison. En effet, le5 septembre, les incidents du Numancia se renouvelaient sur unautre navire de guerre espagnol, lecroiseur Reina-Regente, mais dansdes conditions qui en aggravaient singulirement la porte.

    Ce jour-l le yacht royal Giralda, ayant son bord S. M. Al-phonse XIII, excursionnait dans le golfe de Biscaye. Le Reina-Regente tait dsign pour le convoyer. Au large de Bilbao, une viveagitation se manifesta bord du croiseur : une rvolte venait d'-clater parmi les matelots, aux cris de Vive la Rpublique ! Grce l'nergie des officiers et l'attitude loyaliste de la majeurepartie de l'quipage, l'chauffoure fut de courte dure, et les mu-tins purent tre mis aux fers. Mais l'alerte avait t chaude, et l'oncomprend sans peine quelles auraient pu tre les consquences d'unevictoire des rebelles : le Reina-Regente, tomb entre leurs mains,aurait tenu sous ses canons le yacht royal, le roi d'Espagne taitprisonnier des rebelles, et cela l'heure mme o l'on prparaitdans toute la Pninsule une grve gnrale qui dure encore l'heure nous crivons.

    REVUEANT1MAONNIQUE. T. II . I

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    Comme on le voit, nous n'avions pas tort de dire que la Franc-Maonnerie est l'oeuvre dans la flotte espagnole et prpare lescroulements de demain . Cette fois encore la tentative insurrec-tionnelle a chou, cette fois encore les conseils de guerre ferontprompte justice des pauvres diables que les excitations maonniquesont pousss ce coup d'audace. Mais ni le journal militaire EjercitoyArmada (auquel nous empruntons le rcit de ces faits), ni le reste dela presse espagnole qui les a comments, ne nous annoncent qu'onsonge atteindre les vrais coupables : ceux qui peuplent les Logesde la pninsule.

    Le pril qui menace l'Espagne catholique et monarchique est ce-pendant pressant. Ce n'est pas seulement la flotte qui est travaille :l'arme de terre est soumise, elle aussi, une propagande savante,calque sur celle qui a si bien russi en Portugal. Si le corps d'offi-ciers, pris dans son ensemble, est plus loyaliste qu'il ne l'tait dansle royaume de Manol II, beaucoup de gnraux espagnols fontpartie des Loges maonniques, et, dans presque tous les rgiments,les sous-officiers sont travaills par les rvolutionnaires locaux. R-cemment, Sville, la suite d'une dmonstration rpublicaine,vingt-deux sous-officiers ont d tre arrts le mme jour. De telsfaits sont significatifs : vienne une agitation srieuse, et l'on verracertains grands chefs faire preuve d'une inertie calcule, comme lesFF. gnraux Botelho et Carvalhal Lisbonne, l'an dernier; pen-dant ce temps, la dsertion des sous-officiers disloquera les rgiments.

    Nous ne saurions trop le rpter : le salut pour l'Espagne nesaurait tre que dans l'adoption d'une politique vigoureusementantimaonnique. Il existe contre les Loges, de l'autre ct des Py-rnes, des lois prohibitives qui n'ont jamais t abroges : qu'Al-phonse XIII fasse l'effort de les appliquer, qu'il prenne la Franc-Maonnerie ibrique dans un vaste coup de filet, et son trne seraimmdiatement raffermi. Mais le souverain espagnol a pour sonministre, M. Canalejas, la mme prdilection que jadis Manol IIpour M. Texeira de Souza ; et M. Canalejas distrait le roi du prilqui menace sa couronne en l'engageant dans l'aventure marocaine,o il brchera ses rgiments les plus srs, tandis que la grve g-nrale met l'Espagne en feu. La Maonnerie peut tirer des batteriesd'allgresse...

    Elle ne se gne d'ailleurs pas pour le faire, comme en tmoignel'ordre du jour suivant (reproduit par la Correspondance de Rome du25 aot) :

    Adresse de la Grande Loge CATALANA-BALEAR S. E. don JosCanalejas.

    Les Loges maonniques, refuge de toutes les liberts et des ides progressives qui travaillent resserrer les liens fraternels entre tous les peuples sans distinction de race et de couleur, vous admirent et vous applaudissent...

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    Nous vous engageons continuer le chemin dj pris sans redouter les consquences de la lutte, et la victoire de la libert sera certaine. La Grande Loge Catalana-Balear, au nom de toutes les Puissances maonniques du monde, vous offre l'influence im- mense et universelle de leur organisation indestructible.

    Cet ordre du jour de flicitations, adress par l'organisation rvo-lutionnaire par excellence au ministre du Roi Catholique, ouvrira-t-il les yeux de ce dernier ?... Nous n'osons pas l'esprer. Etcependant, il est dangereux pour Alphonse XIII d'attendre encore, sipeu que ce soit.

    Comment ne voit-il pas que la puissance maonnique qui fliciteson premier ministre est la mme que celle-l mme qui travaille ruiner son trne ? Cette Grande Loge Catalana-Balear, c'est celle quele F.*. Ferrer reprsentait auprs du Grand Orient de France; c'estcelle qui lui fournit les moyens d'organiser l'Ecole Moderne, lecentre anarchiste o fut prpar l'attentat de la Calle Mayor ; c'estcelle qui procura le noyau dirigeant de la Solidarit ouvrire , l'as-sociation rvolutionnaire qui mit Barcelone feu et sang en octo-bre 1909.

    S'est-elle amende depuis lors?... Nullement ! Car le comit in-surrectionnel qui, sous le nom Confdration du Travail , vientde provoquer des meutes sanglantes de Valence Bilbao est com-pos des anciens membres de la Solidarit ouvrire , des amis duF.". Ferrer, au premier rang desquels le F.'. Pablp Iglesias, un desmembres les plus influents de la Grande Loge Catalana-Balear. En,sorte que le premier ministre d'Alphonse XIII est publiquement f-licit par ceux-l mmes qu'il aurait le devoir de faire incarcrercomme conspirateurs.

    Jusques quand durera cette triste comdie ?

    A l'autre bout de l'Europe, les socits secrtes maonniques etjuives viennent de frapper un coup terrible : M. Stolypine, lepremier ministre de Russie, l'homme dont l'nergie claire avaitrussi endiguer le courant rvolutionnaire, a t bless d'un coupde revolver au thtre Kieff, quelques pas du tsar. Bien que sablessure n'ait, d'abord, pas paru mortelle, il succombait quelquesjours plus tard, soit que la balle ait t empoisonne, soit que descomplications naturelles aient surgi. C'est une perte immense, nonseulement pour son pays, mais encore pour la cause de l'ordre engnral ; et si la victime a eu la consolation de mourir en pleinegloire, entoure de l'affection mue de son souverain et de tout unpeuple, on ne peut s'empcher de concevoir quelque inquitude surla manire dont elle sera remplace.

    Cet attentat n'tait pas le premier dirig contre M. Stolypine : ilY a quelques annes, un missaire du Bond Isralite (socit

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    secrte rvolutionnaire juive) essaya de le faire sauter son domicilepriv de Saint-Ptersbourg. Il ne russit qu' blesser trs grivementles deux enfants du premier ministre. Cette fois encore, l'assassinest un juif, du nom de Bogroff, avocat Kieff. Son histoire est bienfaite pour mettre en garde contre ces conversions subites d'adver-saires de nos ides que la bienveillance imprudente des antimaonsest toujours dispose accueillir.

    Bogroff, en effet, fils de juif converti l'orthodoxie, appartenaitaux milieux maonniques et rvolutionnaires russes. Il affecta, unjour, de s'en sparer et vint offrir son concours au gouvernement :on pensa ne pouvoir mieux l'employer qu' combattre ses ancienscompagnons de conspiration, et on l'attacha au service de l'okhrana(police politique). Pendant plusieurs annes, il joua parfaitementson rle et gagna la confiance de tous. C'est ce qui lui permit d'treadmis, l'autre jour, dans l'assistance trie qui entourait le tsar etM. Stolypine, et de commettre son crime coup sr. Il n'a pas faitdifficult, ensuite, pour avouer que son apparente conversion, commeson crime, lui avaient t dicts par le Bond Isralite , auquel ilne causa jamais, comme policier, que des dommages consentis d'a-vance par l'organisation rvolutionnaire. Comme jadis Azeff, Bo-groff est, en somme, une dition russe de Lo Taxil : un Lo Taxilaux mains sanglantes.

    La question la plus grave souleve par l'attentat de Kieff est cer-tainement celle des vnements dont il est le signe avant-coureur.Ce serait une erreur, en effet, de croire que la Rvolution frappe auhasard ses victimes : en 1904, quand une bombe, sortie elle aussi dulaboratoire du Bond Isralite , dchiqueta M. de Plehwe, lepremier ministre d'alors, c'est qu'on voulait faire place nette d'unhomme dont l'nergie tait connue et qui aurait pu tenir tte auxtentatives rvolutionnaires qui allaient se succder pendant trois ans.M. de Plehwe disparu, ce fut l'orgie des bombes, des prises d'armespopulaires et des mutineries de troupes qui commena. Cette fois,c'est M. Stolypine qui est frapp, en plein calme apparent : ounous nous trompons fort, ou l'anne ne s'achvera point sans quede violentes entreprises rvolutionnaires aient lieu en Russie. A nosamis russes de veiller !

    Le 8 septembre, Saint-Ptersbourg, un conseil de guerre con-damnait aux travaux forcs le capitaine d'tat-major Postnikoff, con-vaincu de livraison de secrets militaires l'Allemagne, l'Autricheet au Japon. Il n'y aurait l qu'un pisode de trahison assez banal,n'tait cette particularit rvle au procs que l'accus, pour faci-liter son commerce de documents l'tranger, avait cr en Russieun mouvement Esprantiste important, dont il tait le prsident. Sousle couvert de la propagande en faveur de la langue univer-

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    selle s'effectuaient les voyages Berlin et Vienne et avaient lieules correspondances en langage convenu, qui, autrement, n'auraient

    pu passer inaperues.Ce n'est pas la premire fois que l'Espranto se rvle comme

    servant de couverture aux trames les plus suspectes. Cette crationd'un juif, le docteur Zamenhoff, a t, il y a quelques annes, large-ment employe parles rvolutionnaires russes, et elle reoit dans tousles pays les encouragements non quivoques de la Franc-Maon-nerie et des sectes similaires. Ce sont surtout les Thosophes qui seprodiguent en faveur de l'Espranto et lui font une propagandeacharne dans toutes les parties du monde o sont tablies les 500Loges de leur association : au cours du Congrs Esprantiste qui aeu lieu Anvers, le mois dernier, ils ont vritablement conduit lestravaux, tantt dlibrant part sur les motions faire adopter,tantt se mlant aux congressistes pour agir sur eux. On conoitque cette hgmonie des fidles de Mme Blavatsky et de Mme Besantnous rassure mdiocrement sur les tendances esprantistes.

    Nous n'en dplorons que davantage le concours que beaucoup denos amis accordent un mouvement aussi suspect. Il est vrai quel'exemple vient de haut : ce Congrs d'Anvers, qui a permis deconstater les progrs du mouvement esprantiste dans le monde,n'a-t-il pas t l'objet de mesures de bienveillance exceptionnelle dela part du gouvernement belge, qui est pourtant un gouvernementcatholique r Et, au dbut de ses travaux, un reprsentant du roid'Espagne n'est-il pas venu remettre au docteur Zamenhoff les in-signes de l'ordre de Charles III ? Il est impossible de collaborer plusimprudemment l'oeuvre de l'adversaire.

    Puisque le besoin d'une langue universelle se fait, parat-il, sentir,pourquoi ne pas revenir tout simplement celle qui fut, pendantdes sicles, la langue des savants du monde entier ?... Le latin occupeencore une place considrable dans l'enseignement de toutes lesnations civilises ; il a plus ou moins concouru la formation detous les dialectes occidentaux ; son bagage littraire est incom-parable ; et il y aurait peu de chose faire pour lui assurer une pro-nonciation uniforme et complter son vocabulaire en vue del'expression des ides modernes.

    Est-ce parce que le latin est la langue de l'Eglise que son utilisa-tion comme langue universelle n'est pas envisage >

    L'heure est aux congrs maonniques. Aprs celui de l'Espranto,qui s'est tenu Anvers au milieu d'aot, et dont nous parlons plushaut voici que s'ouvre Rome un Convent maonnique interna-tional, dont l'importance parat devoir tre exceptionnelle. Presquetoutes les Puissances maonniques du monde entier y seront repr-

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    sentes, sinon officiellement, au moins officieusement ; et la person-nalit rvolutionnaire avance de beaucoup de dlgus donne cette assemble un caractre inquitant, qui fait songer aux myst-rieux conciliabules internationaux tenus par la Franc-Maonnerieavant la Rvolution franaise.

    Le personnage le plus en vue du Convent de Rome sera le fils deMazzini, le demi-juif Nathan ; et l'on remarquera dans l'assistanceles physionomies inquitantes du juif Emmanuel Carasso, de Salo-nique, le metteur en scne de la Rvolution turque, et du F.-. Ma-galhas-Lima, l'artisan le plus actif de la Rvolution portugaise.L'ombre du F .*. Ferrer planera sur les dlibrations. Quel nouveaubouleversement va sortir des travaux de ce Sanhdrin d'incendiaires,qui a choisi pour s'assembler double dfi au Saint-Sige laVille de Rome et la date du 20 septembre, anniversaire de la chutedu pouvoir temporel des Papes ?...

    Le 15 septembre devait s'ouvrir, Gnes, le Congrs europende la Socit Thosophique, et la prsidence de cette Assemble taitle prtexte apparent du voyage de Mme Annie Besant dans nosrgions. Nous apprenons qu'au dernier moment le Congrs Thoso-phique a t contremand, pour des raisons qui ne sont pas claire-ment indiques, mais que nous connatrons sans doute bientt.

    Ce Congrs de Gnes devait servir de cadre la prsentationsolennelle par Mme Annie Besant d'un personnage mystrieux, Kri-shnamourti, dit aussi Alcyone, jeune phbe indou, g de seizeans, que la prsidente des Thosophes entend faire passer pour leChrist rincarn, et qui doit, dans quelques annes, commencer saprdication parmi les nations. Cet Antchrist serait-il devenu tout coup indisponible ? C'est chose possible. Le fait certain est que leCongrs de Gnes a t supprim et que le saint Jean-Baptistefemelle de ce faux Messie va rentrer directement aux Indes.

    Nous saurons bientt quel est l'vnement imprvu qui s'est pro-duit dans le camp thosophique et a motiv ce changement desdispositions prises. En attendant, nos lecteurs trouveront plus loinle commencement d'une tude de Flavien Brenier sur cette sectethosophique qui compte parmi les ennemis les plus dangereux dela religion et de la civilisation chrtiennes.

    Rite Ecossais et Grand Orient de France tiennent leurs Conventsannuels et vont fixer souverainement le programme lgislatif quenotre Parlement maonnis feindra ensuite de discuter pendant lessessions prochaines. Nous rendrons compte de ces Convents dansnotre prochain numro:

  • agi

    Au nombre des propositions qui sont soumises au Grand Orientde France figure la Revision de la Constitution, qui est prconisepar le F .'. Lucien Victor-Meunier. Voici un abrg de son projet :

    i PARTIE ADMINISTRATIVE :A. Dcentralisation et simplification administrative ;B. Suppression du dpartement, de l'arrondissement et du canton ;C. Division de la France en vingt-cinq rgions ;D. Elargissement de la commune aux limites du canton.

    2 PARTIE POLITIQUE :A. Revision de la Constitution de l8j$ '.B. Unit du pouvoir lgislatif. Une seule Assemble compose de

    quatre cent cinquante ou cinq cents reprsentants au plus, lus par lesuffrage universel au scrutin de liste, par rgions, renouvelables partiel-lement par tiers ; le vote par correspondance tant organis ',

    Suppression de la prsidence de la Rpublique ; le prsident deVAssemble ayant fonction de reprsenter la France devant l'tranger ",

    D. Suppression du Conseil d'Etat.

    Comme il est ais de s'en rendre compte par la simple lecture,les mots de dcentralisation et de simplification administrative, lespromesses de suppression des dpartements et de retour aux pro-vinces, ne figurent dans ce projet qu'en raison de la popularit crois-sante des ides rgionalistes. On espre ainsi que cette popularitrejaillira sur le plan maonnique tout entier. Quant l'ide essen-tielle de celui-ci, c'est le retour une Assemble unique, souverainede la vie et des biens des Franais, c'est--dire au systme delConvention. La Franc-Maonnerie estime, sans doute, que sonoeuvre est assez avance en France pour qu'on puisse en revenir aurgime qui permit la Terreur.

    Qu'on ne s'imagine pas que le projet du F .'. Lucien Victor-Meunier n'est que le reflet de vues personnelles: il a dj une histoireet a fait son chemin dans les milieux maonniques. Adopt d'abord en1909 par une Loge, pris en considration par le Congrs des Logesdu Sud-Ouest tenu Angoulme en mai 1910, le projet fut pr-sent au Convent de la mme anne, qui en ordonna le renvoi l'tude de toutes les Loges de l'obdience. Parmi les avis favorablesmis depuis lors, notons celui des Loges du Sud-Ouest, qui, auCongrs de Bordeaux, en avril 1911, ont dfinitivement approuv lamotion. C'est donc avec des chances srieuses d'tre adopt que leprojet revient au Convent de 1911.

    Nous aurons l'occasion d'en reparler.

    S FRANOIS SINT-CHRISTO.

  • Une Franc-Maonnerie nouvelle :

    la Thosophie

    |A question des origines de la Franc-Maonnerie asoulev et soulvera encore de nombreuses con-troverses : des livres ont t crits pour lui donner

    "-- -1 '"' une solution, sans qu'une lumire dfinitive ait putre projete sur ce sujet troublant. C'est que les crivains detalent qui ont abord cette matire (qu'ils s'appellent leP. de Barruel, Eckert, le P. Deschamps, dom Benot, Clau-dio Jannet, Gougenot des Mousseaux, Mgr Meurin ou

    Mgr Delassus) ont manqu, pour difier leurs, thses, d'un

    tmoignage contemporain de la fondation de la secte

    maonnique. Rduits tudier des faits postrieurs cette

    fondation, raisonner sur des indices souvent contradictoires,ils ont russi dissiper bien des obscurits et tablir sur

    l'origine de la Franc-Maonnerie un ensemble de proba-bilits : ils ne pouvaient raisonnablement faire plus.

    Notre dsir, en commenant cette tude, est prcismentd'viter aux antimaons de l'avenir un pareil embarras, en

    formulant, pendant qu'il en est temps, des prcisions indiscu-tables sur les dbuts de la Thosophie, secte ne d'hier,mais dont les progrs sont si rapides qu'elle semble devoir seclasser bientt au premier rang parmi les ennemis de la

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    religion et de la civilisation chrtiennes. Plus tard, les faits

    que nous nous proposons de rapporter seront couverts par la

    brume du temps, les sources auxquelles nous allons puiserseront oublies ou disparues, et la lgende, toute de mysti-cisme et de vnration, qui commence s'laborer dans les

    milieux thosophiques sur les origines de la secte et sur sesfondateurs, aura remplac l'Histoire, l'Histoire impartiale et

    ironique. Il n'est que temps de fixer cette dernire, si nousvoulons qu'un jour ceux qui continueront notre oeuvre

    puissent rpondre par le rappel de la vrit aux men-

    songes des Thosophes.Qu'on ne soit donc pas surpris si, au cours du prsent

    ouvrage, nous entrons dans bien des dtails matriels, et

    qu'on ne nous accuse pas de cruaut si nous soulignons lescaractres sans noblesse des fondateurs de la Thosophie.Nos prfrences personnelles nous portent la critique desides plutt qu' celle des individus ; mais, dans le cas prsent,les Thosophes eux-mmes nous ont fix notre devoir : en

    s'efforant de diviniser ceux qui forgrent leur secte, ils nous

    obligent taler leur indiscutable humanit et quellehumanit 1

    D'ailleurs, la conviction o nous sommes que la Thosophieest un des grands prils qui menacent l'glise du Christ etla socit chrtienne n'enlvera rien notre impartialit.Nous nous interdirons toute accusation dont il ne nous sera

    pas possible d'administrer la preuve suffisante. Et nous nedemanderons qu' des pices authentiques, le plus souventaux crits des chefs Thosophes eux-mmes, la dmons-tration de leurs impostures ou de leur absurdit.

    I

    LES DBUTS DE Mme BLAVATSKY.

    Celle qui devait tre la fondatrice de la Thosophie,Hlna Hahn, naquit en 1831. Elle tait fille d'un officiersuprieur russe, le colonel Pierre Hahn, et d'Hlna Fadef,tous deux de bonne noblesse. Les Hahn von Rottenstein-

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    Hahn taient originaires du Mecklembourg et fixs en Russiedepuis quelques gnrations ; l'un d'entre eux, le grand-pre de l'enfant qui venait de natre, avait t lieutenantgnral (gnral de division) au service de la Russie. Luct maternel, Hlna Hahn tait de souche plus illustreencore : sa mre tait la fille d'Andr Fadeff, conseillerpriv du tsar, et de la princesse Hlna Dolgorouki ; or, onsait que les princes Dolgorouki sont les descendants deRourik, le fondateur de la monarchie russe. C'est dans cemilieu aristocratique que devait grandir une des plus farouchesrvolutionnaires des temps modernes (i).

    De bonne heure, la jeune Hlna se fit remarquer par uncaractre intraitable. Les tmoignages de ceux qui l'appro-chrent alors montrent en elle une lve'indocile, terreur de ses gouvernantes, dsespoir de ses parents, en rbellion ouverte et passionne contre toute contrainte (2) ; et satante maternelle, M" Nadejka Fadeff, qui l'aimait passionn-ment et lui conserva son indulgence toute sa vie, convient qu'elle avait montr ds sa jeunesse ce temprament excitable qui resta une de ses plus grandes caractris- tiques. Mme alors, elle tait sujette des accs de vio- lence indomptable et rebelle toute espce d'autorit et de surveillance. La moindre contradiction amenait chez elle une crise de colre et mme des convulsions (3) . On auraune ide de l'indpendance de cette nature prcocement rvol-te quand on saura qu'il fut impossible de donner HlnaHahn, malgr sa trs vive intelligence, une instruction.rgulire, et que, en dpit des efforts de ses parents, elle con-tracta ds l'ge de i5 ans l'habitude de jurer effroyablement, tout propos, qu'elle conserva ensuite toute sa vie (4).

    (1) Celle qui devait tre Mme Blavatsky se souvint toujours de cette ori-gine. Son collaborateur le colonel Olcott affirme qu'elle resta fire de sa race,mme lorsqu'elle tait le plus emporte dans le courant dmocratique. Detelles contradictions sont frquentes chez les rvolutionnaires, et il en existedes exemples bien connus. Sur la parent d'Hlna Hahn, voir une lettre dumajor gnral Rostilaw-Fadeff, secrtaire du comte Ignatieff, ministre del'Intrieur, Ptersbourg, i8-3o septembre 1881.

    (2) Olcott, Histoire authentique de la Socit Thosophique, I, p. 217.(3) Lettre de MUe Nadejka Andrewna Fadeff, M. Sinnett, Simla

    (Indes anglaises) ; Odessa, 8-20 mai 1877.(4) Elle jurait scandaliser un troupier , avoue le colonel Olcott, qui

    cherche expliquer cette particularit par l'incarnation momentane d'espritsmasculins dans le corps de Mn>cBlavatsky.

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    Les jurons d'Hlna Hahn ne devaient pas tre la faute laplus grave de sajeunesse. Elle tait loin d'tre jolie, et convientelle-mme, dans une lettre, avoir acquis une vilaine tournure,des manires d'ours et des habitudes masculines ; malgrcela, elle ne laissa pas de rencontrer certaines tentations etne sut pas y rsister. La matire est dlicate traiter ; maisil est difficile de discuter le tmoignage de l'intresse elle-mme, qui a racont ses dfaillances dans des lettres adresses un de ses correspondants russes, lequel a eu l'indiscrtionde les publier aprs sa mort, en 1892, sous le titre : Une

    prtresse moderne d'Isis. Le colonel Olcott, ne pouvantcontester l'authenticit de ces lettres, et ne voulant pasadmettre la vrit de ce qu'elles racontent, en est rduit

    supposer que les aveux qui s'y trouvent furent une purebravade de la part de sa collgue en Thosophie (1).

    Lgitimement inquiets, les parents d'Hlna Hahn n'eu-rent plus qu'une ide : celle de la marier au plus vite. Et cedsir de la voir sous la garde d'un mari leur fit choisir le

    premier prtendant qui s'offrit, bien que son ge ne ft gureen rapport avec celui d'une jeune fille de 17 ans. C'tait unseptuagnaire, le gnral Nicphore Blavatsky, sous-gou-verneur de la province d'Erivan, dans le Caucase. Lemariage bcl, et les poux partis pour leur rsidence cau-casienne, l'infortun gnral ne tarda pas tre pouvantpar la libert de langage et d'allures de sa femme. Il essayade lui imposer plus de retenue ; et, comme bien on pense, ilchoua l o avait chou avant lui la contrainte familiale. Ala premire remontrance de sa part, Mme Blavatsky entra enfureur et s'enfuit du domicile conjugal (2). Elle ne devait plusy rentrer ; et le vieillard dont elle portait le nom depuis troismois peine acheva, peu aprs, de la librer par sa mort.

    On tait alors en 1848. Mme Blavatsky, aprs son quipeextra-conjugale, ne pouvait gure songer rentrer dans safamille ; elle n'en avait d'ailleurs pas la moindre envie. L'h-ritage de sa grand'mre venait de lui choir et l'enrichissaitde 80.000 roubles (213.000 francs) ; c'tait l'indpendance,au moins momentane ; la fugitive entendait bien en jouir.Elle rsolut de voyager et partit avec une autre excentrique,dont la frquentation n'tait pas faite pour amliorer son propre

    i1

    U) Ojlcott, Hist. S. T., I, p. 16.(2) Voir : Olcott, Hist. S. T. ; Annie Besant, les Matres de la Sagesse; etc.

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    caractre : la comtesse Kiseleff. Toutes deux quittrent laRussie pour Constantinople, puis pour Athnes; elles visi-trent la Grce, passrent de l Smyrne et se lancrent dansune prgrination dos de chameau travers l'Asie Mineure.A Smyrne, les deux voyageuses avaient fait la connaissanced'un Copte, Paulos Mtamon, moiti prestidigitateur etmoiti mage, qui dbitait des oracles, vendait des horos-copes et faisait des tours. Charmes de ses talents, elles l'em-menrent dans leur randonne. Ce fut le premier contact deMme Blavatsky avec le merveilleux (1).

    Le voyage fut long et coup de stations pendant lesquellesMmo Blavatsky dissipait joyeusement l'hritage de sa grand'-mre. Aprs Constantinople, la Grce et l'Asie Mineure, cefut l'Egypte qui reut la visite de la caravane errante. De

    temps en temps, le magicien copte gayait une halte parquelques tours de son mtier, comme la nuit o il voqua, en

    plein dsert, devant les dbris d'un tombeau en ruines,l'ombre du grand prtre d'une religion disparue. A Alep, Damas, au Caire, Alexandrie, ces plaisirs de la solitudetaient remplacs par de folles quipes. Dsireuse dpasserpour quelque princesse des Mille et Une Nuits, Mmc Bla-

    vatsky s'tait compos un costume extravagant ; elle ruisselaitde bijoux, ayant aux mains jusqu' quinze bagues, et se faisaitsuivre d'un dogue norme, qu'elle tenait en laisse au moyend'une lourde chane d'or.

    Comme on le pense bien, pareil jeu, ses ressources ne

    (1) Ce Paulos Mtamon parat avoir surtout affectionn la suggestion men-tale, alors assez peu connue scientifiquement. Voir ce sujet, Olcott, Hist. S.T., p. 412 : Elle voyageait dans le dsert, et, au campement du soir, elle exprima un dsir ardent d'avoir une tasse de bon caf au lait la franaise. Mais certainement, puisque vous en avez si grande envie, dit son guide pro- tecteur. Il s'en fut vers le chameau qui portait les bagages, prit de l'eau dans l'outre et revint bientt, apportant une tasse de caf, brlant et par- fum, mlang de lait. H. P. B. (initiales de Hlna Petrowna Blavatsky), qui connaissait son compagnon pour un grand adepte, muni de pouvoirs trs tendus, pensa bien que c'tait un phnomne. Elle le remercia avec chaleur, but le caf et, ravie, dclara qu'elle n'en avait jamais got de meil- leur au Caf de Paris. Le magicien s'inclina pour toute rponse et attendit qu'elle lui rendt la tasse. H. P. B. buvait petites gorges le breuvage fu- mant tout en bavardant gament. Mais qu'est ceci ? Plus de caf, rien que de l'eau dans la tasse ! Il n'y avait jamais eu autre chose : elle avait bu et senti l'illusion du moka brlant et parfum... L'exprience, qui pouvaitalors passer pour miraculeuse, est aujourd'hui bien connue du monde scien-tifique.

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    tardrent pas s'puiser. Elle dut se sparer peu peu des

    joyeux compagnons qui l'avaient gaye et du dcor rutilantdont elle amusait les badauds. On perd tout fait sa trace

    partir de i851. Sa famille, laquelle elle ne devait pas donner

    signe de vie pendant dix annes, renona savoir ce qu'elledevenait. Sans doute, se trouvant sans ressources, songea-t-elle revoir l'Angleterre, pays qu'elle avait visit avec son

    pre l'ge de 16 ans et dont elle comprenait un peu la

    langue. C'est l qu'on la retrouve en effet, en i853, vivantobscurment dans un coin de Londres, et subsistant l'aidede quelques leons de piano (i).

    Cette anne-l se produisit un vnement qui devaitavoir des consquences considrables dans l'existence deMma Blavatsky : le souverain du Npaul(puissant tat Indou,qui formait un tampon entre les terres de la Compagnie desIndes et le Thibet, et qui, depuis, est devenu tributaire dela Couronne d'Angleterre) envoya une ambassade solennelle l reine Victoria. Cette ambassade ne comportait pas seule-ment une suite nombreuse et de riches prsents, maisencore un talage de somptuosits orientales sans prcdent.Aussi la sensation fut-elle vive dans le Royaume-Uni, ol'Inde tait loin d'tre aussi connue alors qu'elle l'est notre poque : on vint de fort loin pour contempler l'ambas-sade, et l'admiration ne fut pas moindre pour les Indous,vritables statues de bronze, qui la composaient, que pourl'attirail chatoyant dont ils se paraient (2). Mme Blavatskyfut-elle intresse, elle aussi, par ce spectacle nouveau ?...Nous avons tout lieu de le croire.

    (1) Les chefs actuels de la Socit Thosophique placent en I85I une pre-mire tentative de M>"cBlavatsky pour pntrer dans le Thibet, o elle auraitvoulu, disent-ils, s'assimiler la doctrine secrte dont elle pressentait l'existence.Ce voyage est imaginaire, comme d'ailleurs celui de i853, galement dans leThibet. Mme Annie Besant, qui donne l'itinraire de ces deux voyages, ditl'avoir trouv dans ses papiers d'une criture que je ne reconnais pas, et sans signature. Je le donne pour ce qu'il vaut (les Matres de la Sagesse).Cette formule prudente est trs justifie : Mme Blavatsky, en effet, au tmoi-gnage du colonel Olcott lui-mme, avait dissip en deux ans la totalit de sesressources, et et t fort empche aux dates indiques d'entreprendre unePareille expdition.(2) Nous avons vu rcemment quelque chose de semblable propos du cou-

    ronnement de Georges V Londres. L'enthousiasme des Londoniens, et sur-tout des Londoniennes, pour les magnifiques soldats de l'arme des IndesPrsents au couronnement fut si grand qu'on dut cantonner troitementCesguerriers trop populaires et interdire au public les abords de leur quartier.

  • 298

    En effet, Mme Annie Besant, qui est tout la fois sa bio-graphe et son successeur la tte de la Socit Thoso-phique, reconnat que c'est pendant le sjour Londres desambassadeurs du Npaul que Mme Blavatskjr fut favorise del'apparition d'un Mahatma, qui, depuis lors, veilla sur elleet inspira ses actes (i). Mme Besant ne nous dit pas sil'apparition fut purement spirituelle, et Mme Blavatsky n'estpas moins sobre de dtails sur cet vnement, tant dans sonjournal que dans ses autres oeuvres. Elle se contente de pr-ciser que la rencontre, entre elle et celui qu'elle appelle leMatre de ses rves , eut lieu le soir, prs de la Serpentine,petite rivire qui traverse Hyde Park. L'exubrante Russerevit-elle souvent l'apparition chre ? Nous avons tout lieude croire qu'elle hsita s'en sparer, car nous retrouvonsjustement l'anne suivante (1864) Mm Blavatsky au Npaul,ainsi qu'il rsulte du tmoignage du gnral (alors capitaine)Murray, qui reut sa visite dans le poste qu'il commandait la frontire et lui donna l'hospitalit pendant un mois (2).

    On sait peu de chose sur ce voyage aux Indes, le seuldont Mme Blavatsky n'ait rien dit, alors qu'elle en inventaitd'imaginaires au Thibet, avant et aprs cette date. Sansdoute son humeur instable fit-elle encore des siennes au

    (1) Nous aurons l'occasion de revenir plus loin sur les Mahtmas, quiforment la clef de vote de la doctrine thosophique. Au dire des auteurs dela secte, ce sont des adeptes de l'Occultisme que sont parvenus, par l'tudeet certains exercices magiques, s'lever fort au-dessus de la condition hu-maine. Ils habitent certaines rgions inaccessibles du Thibet (le Thibet,encore peu connu aujourd'hui, tait compltement inexplor l'poque oM"* Blavatsky inventa les Mahtmas), et se cachent tous les regards. Maiseux-mmes suivent avec attention la marche de l'Humanit et interviennentconstamment dans son existence. Ils ont, en effet, la connaissance personnelleet immdiate de ce qui s'accomplit dans le monde entier, et, quand ils le ju-gent propos, ils se manifestent instantanment sur un point quelconque duglobe, soit en apparaissant en personne, soit en envoyant simplement leuresprit s'incarner dans le corps d'un simple mortel, dont la personnalit s'abo-lit devant celle du Mahatma. Les Thosophes attribuent une valeur inspireaux actes et aux crits de Mme Blavatsky parce qu'ils admettent que soncorps fut presque constamment l'objet d'incarnations de ce genre de la partde toute une srie de Mahtmas. Tous les Thosophes ont, d'ailleurs, l'espoirde devenir un jour eux-mmes Mahtmas : pour cela il leur suffit, en effet,d'tudier la Thosophie, d'obir aveuglment jadis MmeBlavatsky, mainte-nant Mme Besant, et aprs elle ses successeurs ; moyennant quoi, aprss'tre rincarns sans trve pendant une dizaine de sicles, ils iront prendresance parmi les sages du Thibet.

    (2) Olcott, Hist. S. T., p. 255.

  • 299

    Npaul, car, en i856, elle revient en Angleterre, empruntantcette fois la route de l'Amrique centrale et faisant ainsi le

    tour du monde. De son expdition lointaine, cette voyageuseue 25 ans rapportait une connaissance superficielle des moeurset des religions indoues, ainsi que quelque teinture des dia-lectes du nord de l'Inde. Le tout devait lui tre utile plustard, quand viendrait l'heure de sa grande imposture.

    Cette heure n'tait pas encore sonne, et la grande damebohme continuait vgter obscurment Londres, aux

    prises avec de graves embarras d'argent. Dans les bas fondssociaux o elle s'garait, elle rencontrait d'autres dchus

    appartenant pour la plupart au monde rvolutionnaire detous les pays, lequel trouvait Londres un asile assur.C'est l qu'elle se lia avec des carbonari italiens et qu'ellerencontra Mazzini lui-mme, alors au fate de sa puissance,et qui, du logis misrable qu'il occupait dans la capitaleanglaise, sapait tous les trnes et tenait suspendus sur tousles souverains les poignards de ses sicaires. Elle dut leconnatre assez intimement, car le colonel Olcott nous lamontre, vingt-cinq ans plus tard, parlant familirement dugrand conspirateur avec des carbonari rencontrs' . New-York. Peut-tre faut-il fixer cette date (i 856-1858) l'affi-lition de la descendante des Dolgorouki l'association car-bonariste de la Jeune-Europe, dont elle tait certainementmembre huit ans plus tard.

    Entre temps, pour se distraire, Mma Blavatsky frquentaitles cercles spirites, qui commenaient faire fureur en Angle-terre, aprs avoir t rcemment imports d'Amrique (i).Comme tous (les incroyants elle avait fait professiond'athisme presque ds son enfance), notre hrone se sen-tait vivement attire vers le merveilleux de bas aloi. Elletrouva les mystres de la table tournante encore plus sdui-sants que les tours du magicien copte avec qui elle avait par-couru le dsert et dsira devenir elle-mme mdium. DanielHome donnait alors Paris des sances qui obtenaient ungrand succs de curiosit ; Mm Blavatsky voulut le cori-

    (0 Les premiers phnomnes spirites lurent enregistrs Rochester(Etats-Unis) en 1848. Nous raconterons, dans une prochaine tude sur leSpiritisme, comment l'organisation spirite se rpandit en quelques anness.Url'Amrique et l'Europe, grce au concours discret de la Franc-Maonne-rie.

  • 3oo

    natre et courut se mettre sous son magistre (i). En unan, elle devint presque aussi habile que son matre dans laproduction des phnomnes spirites.

    Cependant, la situation financire de H. P. B. (2) restaitlamentable. Elle finit par songer qu'aprs dix ans d'absencele ressentiment de sa famille serait un peu apais et ellecrivit son pre. Le colonel Hahn rpondit en ouvrant sesbras l'enfant prodigue. M'ne Blavatsky partit donc pour leCaucase, au commencement de i85g, et revitles siens, quipurent constater que les excentricits de la femme dpas-saient de beaucoup ce qu'avaient promis les bizarreries de lajeune fille. Nanmoins, chose incroyable, les bons rapportsdurrent prs de cinq ans entre H. P. B. et sa famille ; elleemploya ce temps se reposer, Tiflis et Odessa, desfatigues prouves et convertir son vieux pre au Spiri-tisme. Ce n'est qu'en i863 qu'elle fut reprise par le got desaventures et qu'elle disparut nouveau brusquement.

    On ne sait o elle alla tout d'abord. Peut-tre avait-ellerpondu quelque mystrieuse convocation des chefs de laJeune-Europe, car on la retrouve, en 1866, en Italie, mleau mouvement carbonariste qui menaait les tats du Saint-Sige aprs ceux des souverains italiens. Elle fait visite Garibaldi sur son rocher de Caprera ; et quand, le 23 octobre1867, le condottiere de la Rvolution pntre, la tte de4.000 volontaires, sur les terres pontificales, Mme Blavatsky,les cheveux coups court, habille en homme, la chemise'rouge au dos et le fusil la main, est au premier rang desGaribaldiens. Elle fait le coup de feu Viterbe, contre leszouaves pontificaux du gnral Kanzler, et se trouve Mentanaquand l'arrive de quelques bataillons franais, dbarqus lasemaine prcdente, met les rvolutionnaires en droute.Prise dans une charge, la volontaire Blavatsky reoit deuxballes, un coup de sabre et deux coups de baonnette et estlaisse pour morte dans un foss (3).

    Un honnte homme n'en serait pas revenu, aurait cer-tainement dit La Fontaine. Mme Blavatsky, elle, gurit par-faitement . Aprs avoir achev sa convalescence en France,

    (1) Olcott, Hist. S. T., p. 74.(2) C'tait sous ces initiales qu'elle prfrait tre dsigne. Le nom de son

    dfunt mari lui dplaisait, et c'tait l'offenser que de l'appeler madame ,depuis qu'elle avait rencontr une petite chienne qui l'on donnait ce nom.

    (3) Olcott, Hist. S. T., notamment pp. 18, 19 et 254.

  • 3oi

    elle fut tente de revoir l'Egypte, o l'appelaient, d'ailleurs,les lettres de ce magicien copte avec lequel elle, avait voyagquelque vingt ans plus tt. Elle arriva au Caire au com-mencement de 1870, et l, dans cette ville dj encombre cette poque de riches oisifs de toutes nations, elle entre-

    prit de fonder, avec l'aide de son premier professeur de

    merveilleux, un Cercle des miracles qui et servi exploi-ter la crdulit publique. Certaines des expriences tentesrussirent: c'est ainsi que Mme Blavatsky, se rappelant qu'elletait sur la terre des Pharaons, plagia, dans un clair obscurconvenable, un des miracles de Mose en faisant natre un

    serpent vivant devant les spectateurs effrays. Le magiciencopte, de son ct, usait d'un canap enchant, sur lequel il

    prenait place, puis disparaissait brusquement aux yeux del'assistance. Les deux compres, mis en got, eurent-ils l'im-

    prudence de faire appel des concours moins habiles ? C'estce qui parat probable, car le colonel Olcott avoue que leCercle fond par H. P. B. finit, en 1871, par un fiasco lamentable, qui la couvrit de ridicule, parce qu'elle n'avait pas les collaborateurs voulus (1).

    Ce fiasco laissait Mme Blavatsky sans autres ressources queles envois d'argent de sa famille, envois qui se firent vainementattendre ; le magicien copte ne devait pas tre dans unedtresse moindre ; fort heureusement pour l'aventurire, les

    poux Coulomb, propritaires de l'htel o elle tait descen-due, taient sous le charme des prtendus pouvoirs surnatu-rels de leur pensionnaire ; ils la croyaient matresse des

    esprits de l'au del et n'eussent rien voulu faire qui pt lacontrister. Aussi, non contents de lui ouvrir un crdit illimit,lui fournirent-ils de l'argent pour se rendre en Russie, o elleallait tcher de rentrer, une seconde fois, en grce auprs dessiens. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces pouxCoulomb, qui devaient jouer un rle important dans l'histoirede la Socit Thosophique (2.)

    (1) Olcott, Hist. S. T., pp. 3i, 32 et33.(2) M 6 Annie Besant (les Matres de la Sagesse) dit que M1* Blavatsky

    fut recueillie chez les poux Coulomb aprs un naufrage . Le naufragedont il s'agit doit videmment s'entendre au figur. D'ailleurs le rcit deMme Besant est plein de lourdes inexactitudes : pour ne pas effaroucher lescatholiques, elle passe sous silence l'enrlement de H. P. B. dans les trou-pes jgaribaldiennes, et dit simplement qu'en 1866 Mmo Blavatsky fit unecourite visite en Italie . Or, la bataille de Mentana, o elle fut blesse, est delafiri d'octobre 1867. Le sjour en Egypte, chez les Coulomb, est indiqu par

    REVUEANT1MA0NN1Q.UE. T. H - 2

  • 302

    A Odessa, M"'e Blavatsky refit la paix avec son pre, qui,dsesprant de la garder dsormais en Russie, voulut dumoins lui donner un compagnon de voyage pour la surveil-ler. Elle repartit donc pour Paris, au dbut de 1873, accom-

    pagne de son frre, et vint habiter rue de l'Universit, puisrue du Palais, un appartement, qu'ils partageaient avec unami, M. Lequeux, et dans lequel ils recevaient force rvolu-tionnaires et nombre de spirites parisiens connus, notam-ment M. et Mme Leymarie. Mais la surveillance fraternelle

    pesait lourdement aux paules de H. P. B., dont le passagedans les troupes de Garibaldi avait achev de'faire un phno-mne. Elle avait gard ses cheveux courts, qui masculini-saient encore son visage kalmouck ; force de s'habiller enfemme, elle portait du moins, par-dessus son corsage, lachemise rouge, qui servait d'uniforme aux soldats deGaribaldi ; dans cet quipage, fumant comme un Suisse et

    jurant faire rougir un matelot , elle faisait sensation par-tout o elle passait. Ce qui devait arriver arriva : son frre,M. Hahn, se permit des remontrances, qui furent accueillies

    par une majestueuse indignation. Le lendemain, il trouva lenid vide : Mme Blavatsky tait partie pour l'Amrique...

    Elle dbarqua New-York le 7 juillet 1873 et se trouvabientt dans un cruel embarras, ayant quitt Paris presquesans argent. Elle dut crire son pre pour le mettre aucourant de sa dtresse, et, en attendant qu'il et rpondu,se loger dans un galetas de Madison street et coudre descravates pour gagner sa vie. Un commerant juif, auquelelle s'adressa, s'intressa la rvolutionnaire et lui fit

    gagner quelque argent. Enfin, au milieu d'octobre 1873,arriva d'Odessa la rponse attendue. C'tait un chque de

    plusieurs milliers de roubles, mais la lettre tait signed'lise Hahn, la soeur de Mme Blavatsky : elle apprenait celle-ci la mort de leur pre. L'infortun colonel Hahnn'avait pu rsister l'motion que lui avait cause la dernire

    disparition de sa fille.

    Mme Besant en 1874, alors qu'il est constant que H. P. B. tait fixe auxEtats-Unis ds le 7 juillet 1873. Tout le reste est l'avenant. Voil unechronologie bien pitoyable ! EtMe Annie Besant, qui s'embrouille ce pointdans; des faits qu'elle a pu contrler par elle-mme, veut qu'on la croie quandelle nous raconte les grands vnements terrestres qui se seraient produitsil y a vingt millions d'annes ?...

  • 3o3

    Bien qu'elle n'et pas encore d'ide trs nette sur la rin-carnation, Mme Blavatsky prit, sans trop de peine, son partide cette mort et rclama l'envoi de ce qui lui revenait del'hritage. Les fortunes terriennes ralises aux tats-Unisla tentaient, et elle rsolut de risquer son nouvel avoir dansune entreprise agricole. En juin 1874, elle s'associait avecun cultivateur de Long Island pour l'exploitation d'un do-maine. Mais, soit qu'elle et mal choisi son associ, soit queson caractre querelleur et encore fait des siennes, un con-flit clata au bout de quelques mois et aboutit un procs,o elle devait perdre peu prs tout ce qu'elle avait en-gage-

    Elle en tait l, quand elle apprit par la presse que desmanifestations spirites d'une importance exceptionnelle seproduisaient dans une ferme du bourg de Chittenden, dansl'Etat de Vermont. Aussitt elle abandonna agriculture etprocs, et partit pour Chittenden. Elle y arriva par uneclaire matine d'octobre et, comme il tait prs de midi,s'tablit dans la salle manger de la maison hante.

    C'est l qu'elle fit la rencontre du colonel Olcott. ,\

    II

    Mme BLAVATSKY ET LE COLONEL OLCOTT.

    Henry Steel Olcott naquit Orange (New-Jersey) le3 aot i832. Il tait donc g de 42 ans l'poque o noussommes arrivs. Fils d'honorables cultivateurs, il fut destinpar eux l'tat d'ingnieur agronome et s'occupa de l'intro-duction aux tats-Unis de cultures nouvelles. Il avait vingt-neuf ans quand clata la guerre de Scession ; engag vo-lontaire pour sa dure, il servit si obscurment qu'on ne sait quels combats il prit part ni quels grades il reut. Peut-tre mme ne bougea-t-il pas des bureaux, car nous l'y trou-vons, la fin de la guerre, occup rechercher les fraudesqui s'taient produites dans les fournitures faites aux troupes.Toujours est-il qu'il avait servi, quelque titre que ce soit,et cela lui suffit pour prendre, la paix venue, ce titre de co-lonel! que portent, aux tats-Unis, tant de braves gens donttoutes les campagnes se sont droules la Bourse ducommerce.

  • 3o4

    Rendu la vie civile, Henry Olcott ouvrit New-Yorkune tude d'avou et partagea son temps entre ses obliga-tions professionnelles, les sances des Loges maonniques(auxquelles il avait t affili de bonne heure) et l'tude duspiritisme, qui le passionnait. Aimant le humbug, commetout vrai Yankee, ilmanquait rarementune occasion de mys-tifier les spirites novices avec lesquels la vie le mettait encontact ; il a laiss lui-mme plusieurs rcits de ces plaisan-teries, qui le mettaient dans une incroyable bonne hu-meur (i). Du moins, avant d'avoir rencontr Mrae Blavatsky,n'avait-il jamais song appliquer ses talents de mystifica-teur l'exploitation de la navet humaine.

    Entre temps, le colonel Olcott collaborait divers journaux,sans sortir des sujets qui le proccupaient particulirement.C'est ainsi qu'en 1874 il publia plusieurs articles, dans leNew-York Sun et le New-York Graphie, sur les phnomnesspirites dont la ferme des poux Eddy, Chittenden, taitle thtre. Une foule de spectres s'y matrialisaient sous l'in-fluence du fermier et de sa femme, tous deux mdiums, quitiraient bon parti des nombreuses visites de curieux queleur valaient les apparitions. Les articles du colonel Olcott,qui s'tait transport sur les lieux, eurent un certain reten-tissement, et ce fut leur lecture qui dtermina Mmo Bla-

    vatsky faire le voyage de Chittenden.Henry Olcott ne cache pas, dans son Histoire de la So-

    cit Thosophique, que la premire impression lui causepar sa future associe fut trs dfavorable. Les cheveux*courts, la chemise rouge de garibaldiehne, la face kalmouckeet les allures masculines de H. P. B. l'interloqurent tel

    point qu'il ne put s'empcher de dire haute voix : Re-gardez-moi cet chantillon !... Mmc Blavatsky ne lui envoulut pas de l'exclamation. Une demi-heure plus tard,elle lui prenait du feu pour sa cigarette et tous deux discu-taient perte de vue sur le spiritisme. Le mme soir, ellelui racontait l'histoire de sa vie, retraait ses exploits deMentana, lui faisait palper les deux balles restes l'une dansson paule, l'autre dans sa jambe, et lui montrait la cica-trice d'un coup de stylet, reu dans une circonstance resteinconnue, qu'elle portait juste au-dessous du coeur (2). La

    (1) Voir notamment : Olcott, Hist. S. T., pp. 443-444.(2) Olcott, Hist. S. T., pp. 18-19.

  • 3o5

    connaissance, noue dans de telles conditions, ne pouvaittre que durable.

    Aussi quand le colonel Olcott, son travail de journalisteachev, rentra New-York en novembre 1874, sa premirevisite fut-elle pour le n 16 de Irving place, o logeait alorsMme Blavatsky, qui le reut chaleureusement. Au cours dessoires de cet hiver-l, il revint souvent dans le salon deson amie, o se rencontraient force spirites amricains ou

    trangers, assidus faire tourner les tables. Henry Olcottet H. P. B. n'taient pas les moins heureux des mdiums

    prsents, et le colonel raconte sans rire que Mme Blavatskylui fit faire la connaissance d'un esprit des plus distingus :lame de Sir Henry Morgan, qui fut au xvne sicle, commechacun sait, un des rois des flibustiers des Antilles. L'as-sociation entres nos deux hros ne pouvait commencer sousdes auspices plus symboliques.

    Cependant, une fois de plus, la gne menaait H. P. B.,dont le procs prenait une tournure fcheuse. Au commen-cement de 1875, toujours attire parle merveilleux, elleavait tent de placer dans la presse de New-York des articlesrelatifs des sujets fantastiques, qu'elle signait Jack le

    Papous . Mais cet expdient n'avait pas donn les rsultatsattendus ; la ncessit pressait, et il fallait prendre un parti.Mme Blavatsky prit le dernier qu'on pouvait attendre d'elle :celui de se remarier. Elle tait trop l'amie du colonel Olcottpour nourrir le dessein de lier lui son existence : aussi jeta-t-elle son dvolu sur un des htes de son salon, un jeuneRusse, que les talents de mdium de H. P. B. avaientprofondment impressionn. Un matin, tous deux quittrentNew-York ensemble, et, quelques semaines plus tard, Philadelphie, un clergyman de l'glise unitairienne b-nissait leur union.

    Par malheur, le nouveau mari de notre hrone taitloin d'avoir la situation financire qu'on lui supposait gn-ralement. Comme l'observe le colonel Olcott, il ne putassurer sa femme qu'une situation des plus simples .D'autre part, d'invitables dissentiments s'levrent bienttdans le mnage. Ils eurent la conclusion habituelle :Mm", Blavatsky disparut brusquement... Elle s'tait rfugie New-York, o les hommes d'affaires de son mari la retrou-vrent, non sans peine ; ils lui signifirent une assignationen divorce. Celui-ci ne devait tre prononc que beaucoup

  • jlus tard, le 25 mai 1878. L'avocat de H. P. B. futVL Judge, qui jouera un rle important dans la suite de:ette histoire.

    Rendu sa vie de clibataire, H. P. B. voulut, dumoins, en temprer la solitude : elle migra, dans unemaison de la 34e rue, New-York (21), o le colonel Olcottvint habiter un appartement au-dessus du sien ; puis dansune maison de la 47e rue (22), o tous deux partagrentle mme appartement. C'est l que devait natre la SocitThosophique ; mais, avant d'aborder ce sujet, il nous reste donner un aperu de ce qu'tait la vie commune de cesdeux fondateurs. Le colonel Olcott, homme d'ordre, en en-

    registrait chaque jour les dtailsdansun journal qui constitueun bien prcieux document. A l'heure actuelle, o Mme Bla-vatsky est devenue pour les adeptes de la Socit Thoso-phique une espce de sainte, aurole de mysticisme etinspire en permanence par des tres plus qu'humains,il n'est pas mauvais de lui rendre son vritable caractre enfaisant appel aux notes de celui qui la connut si bien (23).

    C'est avec nergie que le colonel Olcott protesta, dans sesderniers crits, contre ceux qui voulaient diviniser les acteset les paroles de H. P. B. : d'amers souvenirs d'intimit nelui permettaient pas d'admettre cette thse, et, tout en louant tout propos les dons surnaturels de son amie dfunte,il rvle sur son caractre bien des particularits piquantes. Elle s'tait fait, nous apprend-il, un culte du mpris des convenances et n'avait pas de plus grand plaisir que de dire ou de faire des choses qui choquaient les pudi- bonds (24) . Caressante et fline quand elle voulait gagnerquelqu'un, elle tait sans attachement rel, mme pour sesintimes, se servant d'eux comme des pices d'un jeu d'-

    (1) Exactement : maison n 1433, West 34e street.(2) Maison 302, West 47e street.(3) Les Thosophes ont si bien compris le danger de ce journal, que le

    deuxime et le troisime volume des souvenirs du colonel Olcott ont t ex-purgs, aprs sa mort, par ordre du Conseil Thosophique. Heureusement,le premier volume nous reste. Pendant les dernires annes de sa vie, le co-lonel Olcott vit, d'ailleurs, ses livres boycotts par les Thosophes qui necessaient pas, cependant, de lui tmoigner le plus grand respect : il se plaintde ce boycottage dans une prface date de 1895. L'ancien collaborateur deH. P. B. n'tait videmment plus la hauteur de la mystification thoso-phique...

    (4) Olcott, Hist. S. T., p. 438.

  • : 3o7

    checs et affectionnant de trahir avec le premier venu leursconfidences les plus graves (i). Avec cela, d'une grossiretexceptionnelle, d'une violence sans borne, disant tous,sous le plus lger prtexte, des choses qui faisaient bouillir le sang . En un mot, si ingale, si capricieuse, si chan- gante, si violente, qu'il fallait un certain hrosme de patience et d'empire sur soi qui voulait vivre avec elle.

    Le colonel eut cet hrosme ; et mme, du jour o il futinstall sous le mme toit que Mme Blavatsky, il lui servitdocilement de secrtaire, de cuisinier et de bonne tout faire.Non que le mnage se passt de domestique ; mais la dou-ceur du caractre de H. P. B. ne permettait pas d'en conser-ver une au del de quelques jours : Nous avions, dit-il, une procession de bonnes qui traversait notre existence.

    Quand la dernire en date de ces malheureuses avait d-tal devant le courroux olympien de son amie, Henry Olcott,en attendant qu'on en et trouv une autre, s'installait avec

    philosophie la cuisine et prparait le dner, tandis queMme Blavatsky, environne de fume de tabac, travaillait ses ouvrages occultistes. Puis le colonel venait recopier lesfeuillets raturs de H. P. B., collationner ses citations etrectifier l'anglais fantaisiste dans lequel elle crivait, toutcela le plus modestement possible, car l'indignation de sonassocie n'attendait qu'un prtexte pour s'abattre sur luiavec l'imptuosit du simoun.

    Le soir, le salon s'ouvrait aux visiteurs, toujours nombreux,et recruts surtout dans le monde spirite et maonnique deNew-York. Un chef-d'oeuvre que ce salon, l'amnagementduquel avait prsid le got clair de Mme Blavatsky ! Aumur un immense panneau reprsentait un lphant rumi- nant prs d'une mare, tandis qu'un tigre s'lanait sur lui, et qu'un serpent norme s'enroulait autour du tronc d'un palmier. Un autre serpent,empaill celui-l, rampaitsour-noisement sur la chemine ; des petits singes taient accro-chs aux rideaux dans des positions naturelles ; un grosbabouin, orn d'un faux-col, d'une cravate blanche et d'unepaire de lunettes, se tenait debout dans un coin, le livre del'Origine des Espces sous le bras. On l'appelait le profes-seur Fiske. Un hibou se perchait sur la bibliothque, deslzards grimpaient au mur, et, dans, un coin, tait dispos

    (1) Olcott, Hist. S. T., p. 440.

  • 3o8

    un fouillis de plantes vertes et d'herbes sches formant ri-deau : une tte de lionne, si bien naturalise qu'on l'et jurevivante, en surgissait demi, avec une telle expression defrocit que la bte semblait prte bondir. C'tait un diver-tissement que de faire asseoir les nouveaux venus devantcette jungle, pour leur mnager la surprise de dcouvrir tout coup la lionne : Si la chance voulait que la visiteuse ft une vieille fille nerveuse, qui poussait un cri, H. P. B. riait de tout son coeur.

    Dans ce dcor dfilaient de hautes notabilits maon-niques, comme Albert Pike, W.-Q. Judge, le gnral Dou-

    bleday, Sotheran, etc. ; des occultistes, comme Mme Britten,Georges Felt, le Dr Seth Pancoast ; des rvolutionnaireseuropens, comme le carbonari Bruzzesi, que H. P. B. avaitconnu dans l'entourage de Mazzini, et sur lequel le colonelOlcott raconte une si trange histoire (i) ; des Juifs, comme ce mdecin mystique dont parle le journal de Mme Bla-

    (i) Ce Bruzzesi, musicien de son mtier, tait dou de grands pouvoirsmagiques, nous assure le colonel Olcott, qui raconte gravement le conte bleusuivant {Hist. S. T., pp. 67-68) :

    Je fus tmoin un soir d'automne, en 1875, juste aprs la formation de la Socit Thosophique, d'un extraordinaire phnomne accompli par lui : une pluie provoque par les esprits de l'air qu'il tenait sous sa puissance. La lune tait pleine, il n'y avait pas un nuage au ciel. Il nous fit venir, H. P. B. et moi, sur le balcon du salon de derrire, et l, me recomman- dant le calme et un silence absolu quoi qu'il pt arriver, il tira de sa poi- trine et tendit vers la lune un morceau de carton mesurant peut-tre 6 et 10 pouces et sur un des cts duquel un certain nombre de carrs, ren- fermant chacun une trange figure gomtrique, taient peints l'aquarelle. Il ne voulut pas me le laisser toucherni examiner. J'tais tout fait derrire lui et je sentais son corps se raidir comme sous l'influence de la concentra- tion intense de la volont. Tout coup, il me montra la lune et nous vmes des vapeurs, noires et denses comme des nues d'orage, ou mieux comme ces pais rouleaux de fume qui s'chappent de la chemine d'un bateau vapeur, sortir du bord oriental de notre brillant satellite et flotter vers l'ho- rizon. Je ne pus retenir une exclamation, mais le sorcier saisit mon bras comme un tau et me dit de me taire. Le noir suaire de nuages sortait de plus en plus rapidement et s'tendait jusqu' l'horizon comme une mons- trueuse plume de jais. Cela s'ouvrait comme un ventail et bientt de gros nuages de pluie parurent ici et l dans le ciel et se formrent en masses roulantes, flottantes et fuyant devant le vent. Trs vite, le ciel se couvrit, la lune disparut et une averse nous fit rentrer dans la maison. Il n'y eut ni clairs, ni tonnerre, ni vent, rien qu'une forte onde amene en un quart d'heure par cet homme mystrieux. Revenus sous la lumire du lustre, je vis sur son visage cette expression dtermine, avec les dents serres, que l'on remarque chez ses compatriotes pendant un combat. Et vraiment il

  • 3og

    vatsky : homme trange, trs trange. Il a des pressenti- ments sur ses visiteurs, sur leur mort, et une pntration spirituelle pour dcouvrir leurs maladies. Vieux, maigre, courb, les cheveux rares, fins, grisonnants, dresss tout autour de sa noble tte. Il se met du rouge sur les joues pour en attnuer la pleur surprenante. Il rejette la tte fort en arrire et regarde dans l'espace en coutant et en causant. Il a un teint de cire, la peau transparente et ex- trmement mince. Il porte des vtements d't au coeur de l'hiver. Il a l'habitude singulire de dire toujours, avant de rpondre : oui, voyez-vous, voil ! Cet Hbreu tudiaitla Kabbale depuis trente ans et il s'merveillait des dispo-sitions que Mme Blavatsky montrait pour cette science, dontils causaient ensemble des heures entires.

    La discussion, commence souvent ds le dner, quand il

    y avait des invits, ne se terminait gure avant deux heuresdu matin et sautait de la politique la philosophie, puis aumerveilleux. Alors, H. P. B., srieuse et mme augurale,annonait qu'elle allait accomplir quelque prodige' : on pr-parait, par exemple, une srie de verres, remplis diffrenteshauteurs pour leur donner une sonorit diffrente ; on les frap-pait d'un crayon, et l'lve du magicien copte reproduisaitexactement, sans mouvement apparent, le timbre qui avaitrsonn ; ou bien, elle faisait tout coup clater une sonneriequi paraissait venir de la poche d'un des spectateurs, sansque celui-ci pt trouver sur lui la raison du tintamarre (i).Ces tours, dont on peut voir l'quivalent dans n'importequelle baraque foraine, amusaient beaucoup l'auditoire ;mais il ne semble pas que celui-ci y ait vu, au dbut, autrechose qu'un passe-temps. Ce n'est qu' la longue, et quandMma Blavatsky et le colonel Olcott eurent commenc leurgrande entreprise, qu'ils prtendirent trouver dans les ph-nomnes de cet ordre la marque de pouvoirs surnaturels.

    Parfois aussi, H. P. B., que le seul mot de Catholicisme

    venait de combattre et de vaincre les hordes invisibles des lments, ce qui exige bien toute la force virile d'un homme. La Socit Thosophique est vraiment impardonnable de n'avoir pas re-

    nouvel ce phnomne de temps en temps, ces mois derniers, o la scheressea t si terrible...(i) Olcott, Hist. S. T., p. 407.

  • 3io

    mettait dans de bouillantes colres (i), employait sestalents de caricaturiste ridiculiser l'glise. Elle bclait, sousl'oeil amus de l'assistance, des dessins du genre de celui-ci,dont le colonel Olcott nous a laiss la description: Deux gros moines attabls devant une dinde, un jambonet autres dou- ceurs, tandis que des bouteilles se trouvent porte de leur main ou rafrachissent terre dans la glace. Un des rvrends pres, qui a le type le plus bestial, reoit derrire son dos un billet doux de la main d'une servante correcte en tablier et en bonnet. Parfois encore on commenaitune sance de spiritisme et les ombres des plus grands per-sonnages de l'Antiquit envahissaient le salon et venaientlire le numro de la montre des spectateurs ou leur dire cequ'ils avaient mang leur dner.

    Ce souvenir rappelait tout le monde que la nuit taitavance et que les estomacs criaient famine. On songeait improviser un th. Mais la bonne avait justement t cong-die la. veille et le colonel avait oubli d'aller faire le march.Mmc Blavatsky, pour tant d'inadvertance, le submergeait deson mpris et l'envoyait sur l'heure rveiller l'picier voisin.Malheur l'infortun guerrier quand, l'picier ayant refusde se lever, il devait revenir les mains vides 1

    Mais, mme quand les provisions ne manquaient pas,faire le th tait un problme, H. P. B. ayant des ides ori-ginales sur la manire de le prparer. Un criteau suspenduau mur donnait d'ailleurs sur cette question importante l'avissuivant :

    TH

    Les invits trouveront dans la cuisine de Veau bouillante etdu th, peut-tre mme du lait et du sucre. Prire de se servir.

    Chacun s'clipsait donc son tour pour aller se prparerune tasse de th, et cette particularit avait valu la maisonle nom de Cercle de la Cuisine .

    Nous nous sommes tendus un peu longuement sur ce

    (i) Olcott, Hist. S. T., p. 392. Ce dtail est rapprocher de l'hypocritesympathie que les Thosophes tmoignent, dans leurs dclarations officielles, toutes les religions, et au Catholicisme comme aux autres.

  • 3n

    dcor bohme. Que nos amis soient persuads que ce n'est

    pas par frivolit. Il tait ncessaire, avant de montrer l'oeuvre les acteurs de la farce thosophique, de rappeler leursantcdents et de dcrire le cadre dans lequel ils se mouvaient.Nous allons maintenant faire assister nos lecteurs la nais-sance et au dveloppement d'une des plus prodigieuses im-

    postures des temps modernes.

    (A suivre.)FLAVIEN BRENIER.

  • L'Antismitisme

    Le Problme Juif

    (Suite.)

    TAT DES JUIFS SOUS LES ROIS CAPTIENS

    Voici pos le problme Juif. Nous avons montr les Juifscherchant le solutionner l'aide de leurs puissantes so-cits de colonisation, d'enseignement, de secours de toutesorte, de leurs caisses de prts. Nous avons indiqu de quellemanire les peuples aux prises avec cette question cherchaient la rsoudre. Il nous reste maintenant tudier le problmeJuif, du point de vue franais, et, avant d'en aborder la solu-tion, d'indiquer sommairement comment les rois captiensavaient envisag le problme,en dressant un tableau succinctde l'tat des Juifs en France, depuis l'avnement de HuguesCapet jusqu' la Rvolution.

    Les nombreux dits, ordonnances, restrictions et mesurespris par nos rois, durant huit sicles, l'gard des Juifs, enmme temps qu'ils nous montrent avec quelle sollicitude lesrois de France ont toujours cherch protger leurs sujetscontre le pril Juif, sans cesse l'ordre du jour, nous sontaussi un exemple frappant de la prudence et de la sagesseavec laquelle ils ont su apporter des tempraments des lois

    parfois rigoureuses, suivant les ncessits du moment, et pour

  • 3i3

    le plus grand avantage de leur peuple, c'est--dire, de laFrance. Pendant huit sicles, le Juif a t contenu, en notre

    pays, dans des bornes qu'il ne pouvait franchir, sous peined'expulsion. A une poque o le commerce entier, et partantle numraire, tait entre les mains des Juifs, les Rois les pro-tgeaient, sans cependant commettre la faute de les faire

    participer aux emplois de l'tat. Marchands d'esclaves chrtiens et musulmans, crit B-

    gin, changeurs, trafiqueurs, brocanteurs, rpandus parmi tous les comptoirs europens, dans toutes les foires, exploitant presque seuls le domaine commercial du monde, les Juifs, au xe sicle, taient devenus tellement ncessaires que les princes les moins disposs en leur faveur se trou- vaient obligs d'abandonner les mesures extra-lgales em- ployes contre eux (i). )>

    Aussi, un de leurs historiens, Th. Reinach, en profite-t-ilpour clbrer la supriorit d'Isral : Les Juifs, qui avaient dans toutes les parties du monde des coreligionnaires, russirent brillamment dans le commerce de banque. On leur a attribu, sans doute tort, l'invention de la lettre de change. Il est certain, en tous cas, qu'ils s'en servirent de bonne heure. Mais leur vritable spcialit, leur monopole, fut le prt intrt, qu'on appelait alors usure, d'un mot latin qui signifie, simplement, l'intrt de l'argent (2). Grce cet euphmisme, Reinach confond d'un trait deplume le prt d'intrt lgal avec l'usure dont ses congnresont fait et font encore un si brillant usage.

    Leurs prts usuraires, en effet, montaient, en certains cas, 200 0/0, et taient conclus, non pour une anne, mais pourun mois, voire pour une semaine. Les rois de France durentdonc rglementer svrement leurs prts, et parfois mniesupprimer leurs crances. Ce qui amne Reinach dclarer : En dfinitive, les Juifs, en leur qualit de prteurs d'argent, ont rendu la socit chrtienne, au progrs conomique, un signal service ; mais ils en ont t bien mal rcom- penss (3). Comme on le voit, l'impudence d'Isral, l'instar de son usure, ne connat pas de limites.

    Bail, l'avocat des circoncis , est plus juste lorsqu'il

    (1) Bgin, Hist. des Juifs dans le Nord-Est de la France, p. 175.(2) Th. Reinach, Hist. des Isralites, p. 149.(3) Id., ibid- p. i5a.

  • 1 014

    avoue : Les Juifs exeraient l'usure et prenaient la terre en gage. Ds qu'un Juif s'tablissait dans un bourg, sous lapro- tectiondu chtelain, il en devenait le malttier, le vautour, le flau. L'oppression, l'exaction, le mpris, les supplices qu'il avait craindre, n'arrtaient point son avidit (i).

    Nos rois captiens, nous l'avons dit, comprirent mer-veille la question Juive, et se montrrent minemment sagesdans l'tude de sa solution. Leur bon sens reconnut que dansune socit chrtienne, et dans un royaume tel que la France,l'unit politique et l'unit religieuse taient la condition n-cessaire la paix et au dveloppement normal de leurs peu-ples, et que, dans cette socit, il ne pouvait y avoir, pour lesJuifs, de race et de religion diffrentes, libert complte deparvenir. Cette libert de parvenir ne pouvait tre forcmentpour eux qu'imparfaite et limite. Comme le dit fort bienl'abb Lmann, leur ex-coreligionnaire : La question n'tait pas de savoir si les Juifs avaient du mrite et des aptitudes incomparables, mais celle-ci : d'une part, une socit qui se forme entre diverses nations, socit uniquement et essentiellement chrtienne ; d'autre part, les Juifs ennemis dclars du nom chrtien, des lois chrtiennes. Il ne saurait y avoir, dans une pareille socit, libert pour le Juif de monter et parvenir. Par consquent, des prcautions doi- vent tre prises pour les arrtera l'entre de la socit (2).

    Les princes, comme leurs peuples, pouvaient donc avoirrecours aux Juifs en tout ce qui est services convenables rendre ou recevoir, mais ne devaient, en aucun cas, les.laisser remplir des fonctions sociales ou politiques dans les-quelles la conscience chrtienne et nationale avait s'affirmer.La meilleure preuve que les rois de France avaient raisond'appliquer cette mthode, c'est que les Juifs eux-mmesen reconnaissaient la justesse et ne s'en plaignaient pas. Etceci est si vrai que, lorsque, sur les instances de Cerfberr etde l'abb Grgoire, il fut question d'manciper les juifs deFrance et de leur accorder les droits civils et politiques,beaucoup de Juifs, et ceux de Bordeaux notamment, se re-fusrent nergiquement accepter le fameux droit commun,aujourd'hui partout rclam par Isral. Une requte fut

    envoye par les Juifs de Bordeaux au Conseil de Louis XVI,

    {1) Bail, Etat des Juifs en France, en Espagne, etc., p. 91.(2) Lmann, Entre des Isralites dans la Socit franaise, p. 158.

  • 3i5

    requte dans laquelle ils demandaient n'tre pas comprisdans l'mancipation. Dans une lettre adresse le 18 avril 1789a Dupr de Saint-Maur par leur reprsentant, David Gradis,ce dernier s'exprime en ces termes : Ce sera rendre aux Juifs de Bordeaux le plus signal service que de vouloir bien engager M. de Malesherbes de ne les comprendre en rien dans la nouvelle loi qu'il est charg de rdiger, enfaveur des Juifs d'Alsace et de Lorraine... Tout change- ment leur situation actuelle ne pourrait que nuire leurbonheur (1).

    La raison de cette opposition est fort simple : vivant dansleurs ghettos, les Juifs convervaient leurs lois, leurscoutumes, leurs privilges. Cette situation particulire, ils nedsiraient nullement y renoncer ; ils rclamaien tseulement

    plus de franchises pour leur commerce et la permission d'ac-

    qurir des biens-fonds. Si leur exclusion sociale les privaitdes droits civils et politiques, elle les exemptait, par contre,de tous les devoirs. Nous en aurons la preuve lorsque nousciterons le Mmoire prsent en l'an 1788 M. de Males-herbes par Lops-Dubec, Furtado et Fonseca, dputs par lesJuifs de Bordeaux et de Bayonne, mmoire dans' lequel ils

    prsentent le tableau de la situation des Juifs dans les diverstats de l'Europe, l'historique de leur tablissement enFrance et les voeux des syndics sur le mode de constitutionque les Juifs dsiraient obtenir. Et s'il tait besoin d'autrespreuves, nous les trouverions dans ce fait qu'aujourd'huimme, les Juifs d'Angleterre, des tats-Unis qui jouissentde l'galit des droits de citoyens dans ces pays, prtendent une situation privilgie et entendent jouir de droits spciaux,tels que de divorcer suivant la loi judaque, d'avoir des cime-tires distincts, de ne pas observer le repos dominical, dergler leurs diffrends entre eux au moyen de leur tribunaldu Beth-Din, d'abattre les animaux suivant leurs rites, etc.

    De leur tat en France, avant l'avnement de Hugues Capet,nous ne dirons que quelques mots.

    La loi Gombette ou de Gondebaud, chez les Bourguignons,la loi Gothe, la loi Salique ou des Ripuaires, quoique essen-tiellement diffrentes dans leur esprit, s'accordaient cependanttoutes asservir le peuple Juif. Les pnalits qu'elles di-taient son gard taient terribles.

    (i) Malvezin, Hist. des Juifs de Bordeaux, p. 264.

  • 3lb

    D'aprs la loi Gombette, tout Juif qui avait frapp un prtretait condamn mort et ses biens confisqus. S'il s'agissaitd'un laque, il avait le poing coup et payait 75 sols d'a-mende. (Le sou d'or, solidum romain, quivalait 14 livres6 sous tournois) (1).

    Sous les rois Sicambres de la premire race, un Juif taitrput moins qu'un homme, puisqu'il n'tait pas permis d'in-former contre celui qui l'avait tu ; il tait mme rputmoins qu'une bte, car une bte qui avait tu un homme taitadmise la composition, et lui ne l'tait pas (2).

    Ainsi que le remarque Montesquieu, la loi des Juifs futcelle des serfs mainmortables, auxquels l'vque ou le princesuccdait. Il n'tait pas plus permis d'ter un Juif son sei-gneur que de lui prendre ses manants ou ses chevaux. LesJuifs appartenaient aussi souvent au domaine de la Cou-ronne ; c'taient alors les servi fiscales. Ds le vie sicle, ilstaient fort rpandus en Provence, dans le Vivarais, le Dau-phin, la Savoie, le Bugey, la Bresse, le Lyonnais, en Bour-gogne, en Franche-Comt. On en trouvait aussi en Bretagne,en Touraine, en Champagne, Paris, Rouen, Mantes, Pontoise, Soissons, Chlons, Nmes, Arles, Narbonne etMontpellier.

    Sous les rois captiens, et avec la fodalit, l'tat des Juifschange. Non seulement ils appartiennent au seigneur, maisle seigneur hrite de leurs biens lorsqu'ils meurent. Les meubles des Juifs sont au baron , lisons-nous dans lestablissements de saint Louis. Pendant tout le moyen gejusqu' l'dit de Basville, rendu en 1394, les biens des Juifsqui se convertissaient au christianisme taient confisqus.

    Il fallait alors indemniser le baron de la perte de son

    Juif, car il y avait une me drobe l'enfer et un corps rembourser au monde .

    Expulss par Philippe Ier au xie sicle, les Juifs ne purentreparatre en France qu'en devenant tributaires des fiefs.A Paris, on les relgua hors des portes, auprs d'une grandeplace appele Champeaux, dans des rues obscures telles queles rues de la Poterie, de la Triperie, de Jean de Beausse, de la

    Chausseterie, etc.

    (1) Leg. Burgund. add., titre i5.(2) Loi des Ripuaires-, titre 46. Loi des Lombards, liv. I, ch. xxi, 3-- Montesquieu, Esprit des lois, liv. XXX, ch. xx.

  • 317

    Lorsqu'ils furent chasss par Philippe-Auguste en 1182, ils possdaient beaucoup d'immeubles qu'ils avaient amas-ce ses en forant leurs dbiteurs vendre leurs biens, tandis que d'autres, engags par serment, devenaient leurs es- claves Les historiens s'accordent dire qu'ils pr- taient de l'argent aux moines, prenaient en gage les orne- mens d'glise, les instrumens de l'artisan, les armes du soldat Inventeurs de la maltte, fermiers des impts, ils s'enrichissent par la misre publique et deviennent de plus en plus odieux... L'normit de l'usure fait dispa- ratre leurs yeux le danger de perdre la dette. Quelque- fois, ils trouvent des gens puissants qui intimident les magistrats et font taire les lois. Alors ils ne mettent plus de bornes leur avidit ; ils prennent l'usure de l'Usure ; ils vendent le temps (1). Tel est le portrait du Juif du moyen ge, trac par une main amie.

    A toutes les poques, on avait reconnu la ncessit de dis-

    tinguer le Juif d'entre les peuples parmi lesquels il taitcamp, car le Juif n'est vraiment dangereux que lorsqu'il sedissimule, ce quoi il ne manque presque jamais* Dj Pto-lme Philopator leur faisait imprimer sur la peau, avec unfer chaud, une feuille de lierre en l'honneur de Bacchus. Plustard, les califes exigeaient qu'ils portassent un morceau dedrap jaune sur leur habit. Les chrtiens les obligrent avoirune rouelle sur la poitrine, ou l'paule, ou dans le dos, porter des manches longues, un chapeau rouge ou jaune, etune corne pour les femmes. Enfin, lorsqu'ils avaient tmoi-gner contre des chrtiens, on les soumettait au serment morejuddico. Nous en donnerons, plus tard, diffrentes formules.

    De pareilles prcautions, crit leur pangyriste Bail, annoncent que leur probit tait fort suspecte... Lorsqu'ils sont condamns pour quelque crime capital, on a toujours soin de les pendre entre deux chiens, la tte en bas, selon l'usage barbare invent par les Goths (2).

    Passons rapidement en revue les professions qui furentpermises aux Juifs jusqu' la Rvolution.

    On les autorisa pratiquer tous les genres de ngoce :l'picerie, la soierie, la joaillerie ; approvisionner leroyaume. On sait qu'ils taient gnralement fournisseursI

    1(t) Bail, Etat des Juifs enFrance, etc., p. 28,25, 26.(2) Bail, op. cit., p. I5I.

    REVUEANTIMAONNIQCE. T. II 3

  • 3i8

    des armes, et qu'ils y acquirent de grandes richesses. Cerf,berr est le plus clbre d'entre eux. Ils faisaient le courtage,le colportage, fondaient des banques et des maisons de prts,ainsi que des imprimeries. Les arts et certains mtiers nondistribus en corporations leur taient permis.

    Les rois les choisissaient d'ordinaire comme collecteursou fermiers d'impts, comme procureurs fiscaux. Ils en fai-saient parfois des intendants pour leurs finances. On trouve,particulirement dans le midi de la France, l'poque des

    Albigeois, des Juifs levs aux fonctions de baillis, ce quileur donnait la haute main sur toute l'administration de 1

    justice royale.Ce furent les seigneurs albigeois qui, en Languedoc, fu

    rent cause de ce scandale (i).Enfin, la mdecine leur tait ouverte, et ils en profitaien

    largement, comme ils le font encore aujourd'hui, pour les

    avantages moraux et matriels qu'ils en retiraient. Ces derniers (les Juifs), crit Bordeu, faisaient de la mdecine une des branches de leur commerce ; voil sans doute ce qui l'avilissait entre leurs mains. Elle devenait l'objet de leur cupidit naturelle. Ils taient, par une suite de leurs principes et de leurs spculations marchandes, si on peut ainsi parler, obligs de se dfaire de toutes leurs drogues et de combiner leurs ventes avec leurs profits... Je crois que c'est en vertu de cette disposition naturelle (astuce, cautelle et malice) que les Juifs trouvaient le moyen de s'insinuer chez le peuple comme chez les grands, titre de mdecins, ce qui les mettait porte de contrebalancer les mdecins chrtiens (2).

    Par contre, il leur tait interdit d'tre droguistes et phar-maciens ; mais de cette dfense, on le comprend aisment,ils n'avaient cure.

    Parmi les interdictions qui leur taient faites, nous cite-rons, nommment, celle de remplir des emplois l'arme etd'avoir rang au Parlement et dans la magistrature. Nos roisestimaient, avec juste raison, qu'on ne pouvait confier l'hon-neur de dfendre la patrie une race d'trangers dont la de-

    (1) Beugnot, les Juifs d'Occident, Ire partie, p. 88. Bdarride, lesJuifs, p. i85.

    (2) Bordeu, Recherches sur l'histoire de la mdecine. Paris, 1818, t. H>p. 687. Il est peine besoin de remarquer que Bordeu, ainsi que tous les au-teurs non juifs cits dans cette tude, sont favorables aux Juifs.

  • - 3ig -

    vise est : Ubi bene, ibi patria ; pas plus qu'on ne pouvait con-fier la formation ou l'interprtation des lois d'un royaumechrtien des Juifs ennemis de cette religion, et, encoremoins, leur donner le droit d'examiner des causes entre chr-tiens, ou entre chrtiens et Juifs.

    De mme, il ne pouvait tre question de leur laisser tenirdes coles l'usage des chrtiens, non plus que d'enseignerdans les Universits. Mais, logiques et justes, nos rois leur

    permettaient d'avoir leurs coles et leurs acadmies.Il tait dfendu aux Juifs de possder des biens-fonds et

    d'acqurir et d'changer des proprits ; mais cette dfense,l'astuce juive se faisait un jeu de la transgresser. coutons ce

    qu'en dit Bail : Quant la dfense d'acqurir des biens-fonds, elle tait presque gnrale en Europe vers le xve sicle. Il faut, pour bien juger une lgislation, apprcier le temps et les hommes pour qui elle a t faite. Les Juifs faisaient alors tout le commerce intrieur ; ils possdaient les meil- leures terres. Placs hors la loi commune, ils envahissaient peu peu les proprits territoriales ; il tait donc ncessaire. que les lois civiles intervinssent pour rprimer cet abus : sans cela, on aurait vu s"

    1accumuler, dans les communauts

    juives,une masse de biens mainmortbles plu funeste la circulation et Vagriculture que ne le fut jamais celle pos- sde par le clerg. Aujourd'hui mme, dans les pays o ils sont admis aux droits civils, Vgalit politique, la facult illimite de possder des terres pourrait devenir abusive, car les Juifs profitent de la libert de commerce pour accrotre leurs capitaux, et ils profitent encore de la libert d'acqu- rir pour amasser des proprits qui ne sortent plus de leurs mains. Peut-tre sera-t-on forc un jour d'tablir un droit d'indemnit, semblable celui qu'on percevait autrefois^ sur les immeubles acquis par les gens de mainmorte (i). Voilce qu'crivait sur le pril Juif, et au sortir de la Rvolution,l'crivain qui se faisait un titre de gloire d'tre l'avocat descirconcis .

    De mme, les dits et ordonnances qui leur dfendaientdefaire l'usure et qui rglementaient leurs prts n'opposaientqu'une faible barrire la cupidit d'Isral. Qu'on en jugepar le tableau clbre trac par l'abb Grgoire, dont le t-

    moignage est peu suspect, puisqu'il fut dput par les Juifs

    (i) Bail, op. cit., p. 5o-5i.

  • 320

    d'Alsace l'Assemble constituante pour plaider leur cause,et que c'est grce sa tnacit qu'ils obtinrent, en grandepartie, leur mancipation :

    Habitants infortuns du Sundgau, crit le cur d'Ember- mnil, rpondez, si vous en avez encore la force : cet effrayant tableau n'est-il pas celui de l'tat auquel plusieurs Juifs vous ont rduits ? Votre contre, jadis fertile et qui enrichissait vos pres, produit peine un pain grossier une foule de leurs neveux ; et des cranciers aussi impi- toj'ables que fripons vous disputent encore le prix de vos sueurs. Avec quoi les cultiveriez-vous, dsormais, ces champs dont vous n'avez plus qu'une jouissance prcaire ? Vos bestiaux, vos instruments d'agriculture, ont t vendus pour assouvir des vipres, pour acquitter seulement une partie des rentes usuraires accumules sur vos ttes. Ne pouvant plus solliciter la fcondit de la terre, vous tes rduits maudire celle de vos pouses qui ont donn le jour des malheureux. On ne vous a laiss que des bras desschs par la douleur et la faim ; et s'il vous reste encore des haillons pour attester votre misre et les baigner de vos larmes, c'est que l'usurier Juif a ddaign de vous les arracher (i).

    Ce tableau fait comprendre combien, une fois mancipspar la Rvolution, les Juifs eurent tt fait d'accaparer tousles biens-fonds en Alsace, et pourquoi Napolon fut tenu,par son dcret du 17 mars 1808, de placer pendant dix ansles Juifs sous un rgime d'exception et d'annuler leurscrances usuraires.

    Un crit de cette poque, intitul : Quelques ides sur Vu-sure des Juifs d'Alsace, nous fait le rsum de ces usures : Les billets des seuls paysans de la province d'Alsace signs par eux aux Juifs, leurs cranciers, ayant t enregistrs, il y a quelques annes, par arrt du Conseil souverain de Col-ce mar, prsentent, dans leur totalit, des sommes dont le total fait frmir. On prtend que le tiers des possessions territoriales de cette belle province leur est hypothqu. Cependant, elles sont partages entre 5oo.ooo habitants trs actifs, trs bons cultivateurs, tandis que l'Alsace ren- ferme tout au plus 18 20.000 Juifs. Il est donc vident,

    V

    (1) Grgoire, Essai sur la rgnration physique, morale et politique desJuifs, p. 75 et seq.

  • ' 321

    par le rapport de ces deux nombres, que les Juifs, sem- blables aux frelons, pompent en grande partie le miel de cette belle ruche peuple de si laborieuses abeilles (i).

    Comment s'tonner, dans ces conditions, si depuis centvingt ans que les Juifs ont, en France, complte libert d'ac-tion, ils soient devenus nos matres ? Indpendammentde ces dfenses et de ces interdictions relatives aux Juifs, ilen existait d'autres, moins importantes, sans compter leshumiliations qui leur taient imposes. Parmi ces dfenses,nous citerons l'interdiction d'avoir leur service des servanteschrtiennes. Cette interdiction se retrouve dans d'autrespays, et nombre d'ordonnances des papes la maintenaient envigueur, pour une raison fort peu connue et dont nous trou-vons l'explication dans un rapport demand par M. deBoucher, intendant de Guyenne, M. de Puddefer, sur lesJuifs de Bordeaux, rapport remis au Chancelier du royaumele 7 fvrier 1734. Ils ont pour domestiques, crit M. de Puddefer, des Juifs de Bordeaux, de jolies paysannes qu'ils rendent enceintes pour servir de nourrices leurs enfants, et font porter ceux dont les jeunes paysannes, accouchent la bote des enfants trouvs (2).

    On ne saurait trop insister sur ce fait, caractristique de lamentalit juive.

    Citons quelques-unes des conditions humiliantes auxquellesles Juifs taient astreints :

    i Obligation pour eux de vivre dans leurs ghettos. Cesjuiveries portaient, en Provence, le nom de cam^ires.

    20 Dans certaines villes, ils devaient payer, pour leur droitde sjour temporaire, soit un florin par heure, soit un ducatpar jour (3).

    3 On les expulsait de certaines villes, notamment deStrasbourg, tous les soirs, au son de la trompe. Ce cor por-tait Strasbourg le nom de Griselhorn (4).

    40 Dfense leur tait faite de paratre en public certainsjours de l'anne, depuis le matin des Rameaux jusqu'au jourde Pques (5).

    5 Dfense leur tait faite de se baigner dans les rivires

    (1),Quelques ides sur l'usure des Juifs d'Alsace, p. 122-120.(2)';Malvezin, Hist. des Juifs ds Bordeaux, p. 179.(3);Ptition des Juifs l'Assemble nationale en 178g, p. 3b.(4)lHallez, Des Juifs en France, p. 3o5.(5) Depping, les Juifs au moyen ge, p. 56.

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    o se baignaient les chrtiens. A l'exception du vendredi,jour o les bains publics taient ouverts aux danseuses et auxprostitues, ces tablissements leur taient ferms en Pro-vence et en Bourgogne (i).

    6 Certaines promenades, places ou jardins publics leurtaient interdits. C'est le cas de citer la fameuse pancarteappose l'entre de la promenade publique de Francfort : Dfense aux Juifs et aux cochons d'entrer ici ! (2)

    70 A Toulouse, Bziers et dans d'autres villes, un Juif,dput par la communaut, venait recevoir publiquementun soufflet, le jour du vendredi saint (3). C'est ce que, dansla langue du temps, on appelait colaphiser le Juif. On citeun comte de Rochechouart qui, charg d'appliquer ce souf-flet, le donna avec une telle vigueur, que, de son gantelet defer, il fit sauter la cervelle au patient.

    8 Enfin les Juifs taient soumis au page corporel ou droit fourchu , ainsi nomm, parce qu'il les assimilait auxanimaux sur chacun desquels on percevait un droit l'entrede la ville, ou la sortie, ou encore pour passer d'une ville une autre, d'une province une autre.

    Lmann cite un document trs curieux qu'il a eu en sa

    possession. Le voici :

    Page de la terre de Malemort.

    Page : sur les radeaux qui descendent sur la Durance raison de cinqsols par rame.

    Pulvrage : sur chaque boeuf et cochon, et sur chaque Juif, un sol. Surchaque trentenier de mme btail, six sols par trentenier (4).

    Bdarride nous donne aussi un autre document du mme

    genre :

    Pancarte des droits qui se paient Chteauneuf-sur-Loire, imprime en1576, en vertu d'un arrt de la cour du i5 mars i558 qui porte :

    Item : un Juif doit 12 deniers. La Juive grosse, 9 deniers. Une simpleJuive, 6 deniers. Item : un Juif mort, 5 sols. Une Juive morte, 3o deniers (5).

    Si nous passons en revue l'tat des Juifs sous les princi-

    (1) Gantu, Histoire universelle, t. VIII, p. 25o.(2) Bail, Des Juifs au XIX* sicle ou Considrations sur leur tat civil et.

    politique en Europe, p. 28.(3) Depping, op. cit., p. 55-56.(4) Lmann, op. cit., p. 11.(5) Bdarride, les Juifs en France, p. 535-6.

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    paux rois de France, nous voyons qu'en dpit des lois res-trictives, des dits, ordonnances, qui maintenaient les Juifsdans des limites rigoureuses, ces derniers parvenaient, malgrtout, s'enrichir rapidement aux dpens du peuple et desgrands, et qu' chaque instant les rois devaient leur fairerendre gorge, voire mme les expulser, cause de leurs exac-tions qui les rendaient odieux tous. Sur ce point, tousleurs historiens sont d'accord. Bail, lui-mme, doit le rcon-natre : On est frapp de cette haine, crit-il, de ce mpris unanime des nations pour les Juifs. On en cherche lacause avec une avide curiosit. C'tait la consquence ncessaire de leur lgislation, de leurs prires maudissantes, des er- reurs de la Cabale et des superstitions duTalmud (i).

    En 1182, Philippe-Auguste s'tait vu oblig de bannir lesJuifs de ses tats et de confisquer leurs biens.

    Voici la relation du Pre Daniel : Ils faisoient presque tout le commerce, et la plus grande partie de l'argent du royaume estoit entre leurs mains. Ils avoient ruin une infinit de bourgeois, de gentilshommes, de gens de la cam- pagne par leurs usures et s'estoient mis en possession de leurs biens, surtout Paris dont ils possdoint prs de la moiti des maisons... De plus, ils recevoient en gage, pour l'argent qu'ils prestoient usure, des crucifix d'or et d'argent qu'ils profanoient jusqu' s'en servir exprs pour cela dans leurs repas... On investit leurs Synagogues, et on leur porta un ordre de la part du Roy, de remettre entre les mains de ses officiers tout leur or et leur argent monnoy et non monnoy. Il fallut obir et se dessaisir de tout ce qu'ils ne purent pas tenir cach ; et ils furent ainsi d- pouillez tout d'un coup de tout ce qu'ils avoient amass en plusieurs annes, parune infinit de crimes et d'injustices... On les empescha par l d'envoyer hors du royaume tant de richesses, comme ils n'auroient pas manqu de le faire, si l'on s'y estoit pris autrement. Quelque temps aprs, on publia un dit qui dchargeoit tous leurs dbiteurs de leur payer leurs dettes, et puis un autre, par lequel il estoit or- donn tous ceux de cette religion de sortir de Paris. Ils tentrent toutes sortes de voyes pour en empescher l'ex- cution, par les offres immenses qu'ils firent au Roy et par les prsens dont ils taschrent de corrompre l