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47717033 Etienne Gilson Le Thomisme

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  • xj^bris*

    PROFESSORJ.S.WILL

  • ^LE THOMISME

  • DU MEME AUIEUR :

    Index SCOlastico-cartsien. 1 vol. in-S" de ix et 355 pages. {Col-lection historique des grands philosophes. Paris, Alcan, 1913.)

    La libert chez Descartes et la thologie. 1 vol. in-S" de453 pages. {Bibliothque de philosophie contemporaine. Paris, Alcan

    ^

    1913.)

    tudes de philosophie mdivale. 1 vol. in-8** de vm et 291 pages.[Collection des travaux de la. Facult des lettres de Strasbourg.Strasbourg, 1921.)

    La philosophie au moyen ge. 2 vol. in-16 de 160 pages. {Collec-tion Payot, n^ 25-26. Paris, 1922.)

  • TUDES DE PHILOSOPHIE MDIVALEDirecteur : tiennk GILSON

    LE THOMISMEINTRODUCTION AU SYSTME DE SAINT THOMAS D'AQUIN

    ETIENNE GILSONCHARCe DE COURS A LA 50RB0MNE

    DIRECTEUR d'TUDESA t'itCOLK PRATIQUE DES HAUTES TUDES RELIGIEUSES

    NOUVELLE EDITION REVUE ET AUG.yfENTE

    PARISLIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN

    6, PLACE DE LA SORBONNE (V")

    1922

  • 78507/,

  • PREFACE

    L'histoire de la philosophie, telle (jii'on renseigne dans nos Univer-sits, comporte gnralement une lacune singulire. On insiste longue-ment sur les systmes des philosophes tares, et non moins longuementsur les philosophes modernes , de Descartes nos Jours. Mais tout sepasse comme si, de Plotin Jusqu' Bacon et Descartes, la pense phi-losophique aait t frappe d'une complte strilit. Il confient, pourtre exact, de faire une ej:ception en ce qui concerne certains penseursde la Renaissance, tels que G. Bruno ou Nicolas de Cusa, dont onsignale gnralement les tendances les plus caractristiques, parce qu'ona pris l'habitude de voir en eux des prcurseurs de la pense moderne.Mais il est singulier que, mme dans cette priode de renaissance, queVon considre volontiers comme assez proche de la ntre par l'esprit quil'animait, des philosophes de l'envergure de Telesio ou de Campanellasoient passs sous silence et traits exactement comme s'ils n'existaientp(is. Le fait est beaucoup plus frappant encore si nous remontons dela Renaissance au moyen ge. L'argument ontologique a sauv saintAnselme d'un complet oubli, ruais saint Thomas dAquin, saint Rona-venture, Duns Scot, Occam sont autant de noms

  • 6 PRFACE.

    mfiance que l'on voue aux philosophies mdivales, elles n'en sont pasmoins des faits historiques rels, reprsentatifs de ce que fut l'esprithumain une poque dtermine, et qui, comme tous les faits histo-riques, ont vraisemblablement conditionn ceux qui les ont suivis. Enelles-mmes et comf?ie antcdents de la philosophie moderne, les philo-sophies mdivales exigent donc que l'histoire les prenne en considra-tion. C'est sans doute le sentiment de cette ncessit qui a provoquVextrao'dinaire dveloppement des recherches historiques actuellementconsacres cette priode. Mais une seconde raison peut encore inter-venir. Il est beaucoup d'esprits qui, tout en voulant que V histoire de laphilosophie soit vritablement et avant tout de l'histoire, voient gale-ment en elle un des instruments de culture philosophique les plus effi-caces dont nous puissions disposer. Nous n'avons aucunement l'inten-tion de les contredire, on le croira sans peine, et nous estimons, au

    contraire, que ceux-l mmes pourraient trouver dans la pratique desphilosophies mdivales plus de satisfaction qu'ils n'osent en esprer.Sans doute les penseurs du moyen ge sont le plus souvent des tholo-giens; sans doute la scolastique dcadente a produit bon nombre d'uvresdont le formalisjne et l'esprit d'abstraction pousss l'e.rtrme rendentla lecture aussi peu attrayante que profitable. Mais ces thologiens sonten mme temps des philosophes; une philosophie qui cherche rejoindreune foi n en est pas moins une philosophie. Et il ne faut pas exiger dumoyen ge plus que nous n'exigeons de notre propre temps. Si l'histoirede la philosophie peut tre un instrument de culture, c'est la conditionqu'elle s'en tienne aux matres de la pense, les seuls dont la pratiqueet l'approfondissement puissent avoir une valeur ducative. Or, nous

    osons affirmer qu' celui qui le considrera sans parti pris, leXI11^ sicle n'apparatra pas comme moins riche en gloires philoso-phiques que les poques de Descartes et de Leibnitz ou de Kant et d'A.Comte. Thomas d'Aquin et Dans Scot, pour ne choisir que des exemplespeu discutables, appartiennent la race des penseurs vritablementdignes de ce nom. Ce .sont de grands philosophes, c'est--dire des philo-sophes grands pour tous les temps, et qui apparaissent tels mme au.resprits les plus fermement rsolus ne se rendre ni leur autorit ni leurs raisons.

    Aussi bien a-t-on commenc reconnatre cette valeur intrinsque desphilosophies mdivales. Sans parler de saint Augustin, dont la con-naissance est si ncessaire qui veut comprendre le moyen ge et dontle jury de l'agrgation de philosophie inscrivait rcemment .son pro-

  • PREFACE.

    ^gramme deux livres presque entiers des Confessions, plusieurs Univer-sits portaient leur programme de licence d'importants fragments duContra Gentes de saint Thomas d'Aquin. C'est dans le mme esprit quenous avons consacr nous-mme au Systme de Thomas d'Aquin uncours profess en l'anne 1913-191^ la Facult des lettres de l'Uni-versit de Lille, et c'est la matire de ce cours, complte et quilibre,que l'on trouvera dans les pages qui vont suivre. On voudra donc bientenir compte, en lisant et en jugeant ce livre, de l'usage en vue duquel ila t rdig. Son but n'est nullement un expos total ni mme un rsumcomplet de la philosophie thomiste; il prtend seulement faire aperce-voir, ceux qui n*en auraient aucune ide, ce qu'est, dans ses lignesdirectrices et dans sa structure gnrale, le systme du monde qu'a la-bor saint Thomas. Si quelque lecteur, encourag et aid par l'exposque nous apportons, se sentait ensuite plus l'aise dans l'difice com-plexe de la philosophie thomiste; si, bien mieux, il en venait trouverdans la lucidit cristalline de ses argumentations une abondante sourcede joies, nous aurions reu notre rcompense.

    Strasbourg, janvier 1920.

  • PREFACEDE LA DEUXIME DITION

    Nous avons cherch, en rditant cet ouvrage, lui conserver lecaractre d'introduction et de premire initiation que nous avions d'abordvoulu lui donner. Nous avons tenu cependant le plus grand compte desobservations souvent trs justes qui nous ont t adresses. Toutes lesexpressions qui nous ont t signales comme inexactes, par excs oupar dfaut, ont t corriges ; lorsque, au contraire, il nous a semblque nos critiques eux-mmes mritaient d'tre critiqus, nous avons sim-plement introduit dans le texte les rfrences ou les explications quinous paraissent justifier notre manire de voir. Outre de trs nom-breuses corrections et additions , nous avons ajout notre premierexpos quelques renseignements sur la vie et les uvres de saint Tho-mas (ch. I, A), les premiers lments d'une bibliographie du thomismeet les notions essentielles relativement aux habitus et aux vertus

    (ch. XIII). Nous serons toujours prts accueillir toutes les suggestionset corrections qui pourront nous tre adresses ; il n'y a inen de plus sainqu'une bonne critique : removere malum alicujus, ejusdem rationis estsicut boniim ejus procurare. Nous avons reu et nous attendons encorebeaucoup de bien de nos lecteurs.

    Melun, avril 1922.

  • LE THOMISME

    CIIAIMTKE l.

    Le problme t}iomiste.

    I>()rsqiie l'histoire de la philosophie pousse assez loin ses recherches,elle fait apparatre les grands systmes comme des tentatives de conci-liation et comme autant d'elTorts plus ou moins heureux pour harmoni-ser des tendances spirituelles divergentes. Chacune d'elles, cultivepour soi et exclusivement, serait incompatible avec les autres: elleengendrei-ait un systme fortement coordonn, mais pauvre. On ren-contre gnralement une complexit plus grande l'origirje des philo-sophics, et celle de saint Thomas ne fait pas exception la rgle. Commebeaucoup d'autres, elle est ne du conflit, dans la conscience d'unepo([ue et dans celle d'un homme, de tendances spirituelles qui cher-chaient se crer un (piilibre harmonieux. Ce conflit, c'est le problmethomiste lui-mme; il importe de le dflnii- d'abord si l'on veut com-prendre le systme qui devait en apporter la solution et de prendre aumoins une vue gnrale des conditions particulirement complexes aumilieu desquelles il s'est constitu.

    A. -- I. A VIE I:T LKS OiUVUES.

    Saint Thomas d'Aquin est n vers le dbut de l'anne 1225, au chteaude Roccasecca, prs d'Aijuino, dans la province de Naples'. A l'ge de

  • 10 LE THOMISME.

    les moines ayant d abandonner le monastre, Thomas est envoy Naples, o il tudie les arts libraux. Ses matres auraient t, pour lett'wi/im (grammaire, rhtorique, dialectique) un certain Martin, etpour le (jKadrwiuin (arithmtique, gomtrie, astronomie, musique)Petrus de Hibernia. C'est l, en 1244, qu'il entra dans l'ordre de saintDomini(jue. Au cours de la mme anne il se mit en route pour tudierla thologie l'Universit de Paris qui tait alors le centre d'tudes leplus important, non seulement de la France; mais encore de la chr-tient tout entire. C'est au cours de ce voyage que se place l'incident

    clbre au cours duquel ses frres l'assaillirent et l'enfermrent, pardpit de la dcision qu'il avait prise de se vouer la vie monastique.Aprs avoir t retenu pendant un an environ, saint Thomas fut rendu la libert vers l'automne de 1245 et put enfin se rendre Paris.

    Saint Thomas fit un premier sjour dans cette Universit de 1245 l't de 1248, et il y poursuivit ses tudes sous la direction d'Albert leGrand, dont la renomme tait dj universelle. L'emprise exerce par lematre sur l'lve fut telle que, lorsque Albert le Grand quitta Parispour aller organiser Cologne un studium gnrale (c'est--dire uncentre d'tudes thologiques pour toute une province de l'Ordre), Tho-mas le suivit et demeura auprs de lui pendant quatre nouvelles annes.On peut dire qu'en six ans environ d'un travail assidu auprs du matrele plus illustre de cette poque, saint Thomas a assimil tous les matriauxque le savoir encyclopdique d'Albert le Grand avait amasss et qu'ilallait organiser son tour en un systme philosophique et thologiquenouveau.

    En 1252, saint Thomas revint Paris, o il parcourut rgulirement lestapes qui conduisaient la matrise en thologie. Aprs avoir com-ment la Bible et les Sentences de Pierre Lombard, il devint licencien thologie au dbut de 1256, puis, bientt aprs, matre en tholo-.gie. Pendant trois annes conscutives (1256-1259), saint Thomas ensei-gna comme matre dominicain l'Universit de Paris, puis il rentra enItalie pour enseigner presque continuellement la curie pontificale,

    sous les papes Alexandre IV, Urbain IV et Clment IV, de 1259 1268.A l'automne de cette dernire anne il est rappel Paris pour y ensei-gner la thologie jusqu' Pques 1272, et c'est pendant cette priode

    des lil. Thomas vo7i Aquin, Beitrage, XXll, 1-2, Munster, 1920, et A. Birkenmayer, Klei-nere llwmasfragen, Philos. Jahib., 34 Bd., 1. H., p. 31-43. Sur ia Somme thologique enparticulier, consulter : M. Grabmann, Einfiihrung in die Summa Iheologiae des hl. Tho-mas ron Aquin, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1919; C. Amato Masnovo, Introduzione allaSomma leologica di son Tommaso, Torino, 1918.

  • LA VIE ET LES UVRES. 11

    qu'il engage la lutte d'une part contre Siger de Brabant et les aver-rostes latins, d'autre part contre certains thologiens franciscains quivoulaient maintenir intact l'enseignement de la thologie augustinienne.

    Rappel de Paris, saint Thomas rentre en Italie et, au mois de novembre1272, il reprend son enseignement thologique Naples. Sur l'invita-tion du pape Grgoire X, il quitte une dernire fois cette ville pourassister au concile gnral de Lyon ; c'est au cours de ce voyage quesaint Thomas est saisi par la maladie et qu'il meurt, le 7 mars 1274, aumonastre cistercien de Fossanuova, prs de Terracine.

    Ses uvres, dont l'tendue est extrmement considrable, surtout sil'on songe la vie si brve de leur auteur (1225-1274), sont cataloguesdans un crit de 1319 que d'autres documents du mme genre n'ontfait, pour l'essentiel, que confirmer. Il n'y a donc aucun doute avoirsur l'authenticit des grandes uvres traditionnellement attribues saint Thomas. Le problme de leur chronologie, au contraire, est encoretrs discut; c'est pourquoi nous donnons la liste des uvres princi-pales en les groupant d'abord selon la mthode d'exposition qu'ellessuivent ou la nature de leur contenu; l'ordre chronologique le plusvraisemblable est suivi dans chaque catgorie^.

    COMMEXTAIHES l'HILOSOPHIQUES.

    1 . In Boctinm de Hebdoinadihus (vers 1257-1258, M).2. /// Boeliuin de Trinitale (inachev, mme date, M).3. In Dionijsium de di\>inis nominibus (vers 1261, M).4. Sur Aristote : Physi(|ue

    j

    5. Mtaphysique 1261-1264, G.G. Ethi

  • 12 LE THOMISME.

    TuAITS THOLOGIQUES, PHILOSOPHIQUES ET POLITIQUES.

    17. In IV Ub. Sententiarum (1254-1256, Mj.18. Compendium theologiae ad He^inaldum (1260-1266, M; G).19. Summa thologien.

    Prima pars, i'mi-i2m, M.j

    Prima secundae, 1269-1270, M. 1265-1272, G.Secunda seciindae, 1271-1272, M.

    )

    renia pars, 1272-1273, M; 1271-1273, G.Inacheve; le Snpplementnm est de Reginakl de Piperiio,

    20. Summa contra gentes, 1258-1260, M; 1259-1264, G.21. De rationibus fidei contra Saracenos, (rraecos et Armenos, 1261-

    1268, M.22. Contra errores Graecorum, 1263, M; G.23. De emptione et venditione, 1263, M.24. De regimine principum ad regem Cijpri, 1265-1266, M. (Le pre-

    mier et le deuxime livre jusqu'au chap. iv compris sont seuls desaint Thomas).

    Opuscules philosophiques.

    25. De principiis naturae, 1255, M.26. De ente et essentia, 1256, M.27. De occiiltis operationibus natiirae, 1269-1272, M.28. De aeternitate mundi contra murmurantes, 1270, M ; G.29. De unitate intellectus contra Averroistas, G, 1269-1272 ; M, 1270.30. De substantiis separatis (aprs 1260, G; 1272, M).31. De mi.ttione elementorum (1273, M).32. De motu cordis (1273, M).

    Questions.

    33. Quaestiones (piodlibetales (questions disputes deux fois lan, Nol et Pques, sur des sujets quelcon(|ues).

    Lib. I-VI, Paris, 1269-1272, M; G.Lib. VII-XII, Italie, 1263-1268, M; 1272-1273, G.

    34. Quaestiones disputatae (discussions appronfondies de problmesthologiques ou philosophiques ; en principe, une par quinzaine).De veritate, 1256-1259, M ; G.Depotentia, 1259-1263, M; 1256-1259,[G.

  • LA VIE ET LES UVRES. 13

    De spirilualibus creaturis, 1269, janvier-juin, M. 1De anima, 1269-1270, M. / 1260-1268,De unione Verin incainati, 1268, sept.-nov., M. l G.De inalo, 1263-1268, M. IDe (nrtutihiis, 1270-1272, M; 1269-1272, G.

    Nous laissons de ct un certain nombre d'ouvrages authentiques, soitexgtiques, soit philosophiques, soit relatifs la politique ou la viemonastique, dont le contenu est rarement utilis dans les expositions dusystme de saint Thomas. On en trouvera l'numration dans les travauxde Mandonnet ou de Grabmann que nous avons prcdemment cits.

    ditiuns iiKS OEUVRES OE SAINT Thomas. 1 SoncH T/iomae Aquinalis D. A. Opra()}imia, Romae, Typis Riccardi Garroni, 13 vol. in-fol. actuellement publis, 1882-1918.

    I. Commentaires sur le Perihermeueias et les Seconds Analytiques.II. Commentaires sur la Physique.III. De coelo el mxDido; De generalione et corruptione ; In lib. Meteororum.IV-XII. Summa Iheologica.XIII. Summa contra Gentes, Yih. ] et II.

    Voir sur cette dition une tude magistrale de A. Peizer, L'dition lonine de la Sommecontre les Gentils, Rev. no-scolaslique de philosophie, 1920, mai, p. 217-245.

    2 Pour les uvres non emore publies dans cette dition, consulter : .S. T/iomae Aqui-nalis opern omnia, d. E. Frett cl P. Mare, Paris, Vives, 1872-1880, 3i vol. in-4*.

    3 D'un point de vue purement pratique el comme ditions courantes qu'il est ais de seprocurer, nous signalons :

    Summa iheologica, Turin, P. Marielli, 6 vol., 1894, 11* dit., 1913.Summa contra Genliles, Ibid., 1 vol., 12" d., 1909, et Paris, Lelhielleux, d. nova, s. d.Quaestiones dispulalae el quaestiones duodecim quodlibetales , nova edilio, 1914,5 vol., Turin, P. Marietti. galement chez Lethielleux, Paris, 3 vol.

    Opuscula selecta Iheologica el philosophica, Paris, Lethielleux, 4 vol., s. d.

    Bibliographies et LE.\iyuK. 1* Bibliographies : F. Ueberwegs, Grundriss der Ge-schichte der Philosophie der patristichen und scholaslischen Zeit., 10* d. par M. Baum-gartner, Berlin, E. S. Millier, 1915 (pour les ditions de saint Thomas, p. 479-482; pourles travaux sur saint Thomas, appendice bibliographique, p. 166-178). P. Mandonnet etJ. Dsirez, Bibliographie thomiste (Bibliothque thomiste, t. l, publie [r la Rev. dessciences philosophiqt(es el Ihologiques], Le Saulchoir, 1921. Point de dpart dsormaisindispensable. Celle bibliographie est tablie partir du dbut du xix* sicle. 2 Lexique :L. Schiitz, Thomaslexikon ; Sammlung, Ueberselzung und Erklnrung der in smllichenWerken d. ht. Thomas von Aquin vorkommenden Kunstausdrilcke und wissensch. Aus-sprUche, Paderlwrn, 1881 ; 2' d., 1895.

    OUVUACiES GNRAUX CONCERNANT LA PHILOSOPHIE DE SAINT ThOMAS d'AQUIN. JohaOneSa s. Thoma, Cursus philosophiae thomislicae, 3 vol. in^", Paris, 1883. Ch. Jourdain,La philosophie de saint Thomas d'Aquin, 2 vol., Paris, 1858. A.-D. Sertillanges, SaintThomas d'Aquin, 2 vol., Paris, Alcan, 1910 (Les Grands Philosophes). P. Rousselot,L'intelleclualisme de saint Thomas, Paris, 1908. M. Grabmann, Thomas r. Aquin.Eine Einfiihrung in seine Persnlichkeit und Gedankenwelt,Kemplen u. Miinchea, 1912.Trad. italienne (Profili di Santi, 1920); trad. franaise (Bloud et Gay, 1921). J. Durantel,

  • 14 LE THOMISME.

    Le retour Dieu par l'intelligence et la volont dans la philosophie de saint ThomaSy\Paris, Alcan, 1918.

    Nous indiquerons propos de chaque question un choix .des travaux les plus utiles consulter parmi ceux qui s'y rapportent.

    B. Saint Thomas et l'aiustotlisme.

    C'est une constatation banale que celle de la priode d'obscurit phi-losophique qui a succd aux derniers efforts de la spculation hell-nique. Avec Plotin s'teint la grande ligne des philosophes grecs. Sansdoute, le systme qu'il labore prsente un caractre religieux nette-ment accus, mais enfin c'est une vritable philosophie, vaste syncr-tisme o viennent se fondre des lments emprunts Platon, Aris-tote et mme aux philosophes stociens; systme moniste de l'universo nous voyons comment toutes choses procdent de l'Un et comment,par l'extase, nous pouvons remonter vers l'Un pour nous unir lui.

    Avec Porphyre, disciple de Plotin, et qui accentue encore le caractrereligieux de la doctrine du matre, s'achve dfinitivement la spcula-tion philosophique grecque.

    Nous pouvons ajouter que toute spculation philosophique disparatpour longtemps. Si l'on entend par philosophie une interprtation natu-relle de l'univers, une vue d'ensemble sur les choses prise du point de

    \ vue de la raison, il n'y aura plus de philosophie entre la fin du m sicle;aprs Jsus-Christ, qui voit mourir Porphyre, et le milieu duxiii sicle,

    i qui voit paratre la Somme contre les Gentils. Est-ce dire cependantque l'humanit ait pass par dix sicles d'ignorance et d'obscurit? C'estce que l'on ne saurait affirmer qu' la condition de confondre l'activitintellectuelle avec la spculation philosophique. En ralit, et si nous

    S y regardons de plus prs, cette priode en apparence obscure est

    Iemploye au travail fcond qui va poser les assises de la philosophie

    } mdivale. Ce qui caractrise en effet la priode patristique, c'est lasubstitution de la pense religieuse la pense philosophique. Le dogmecatholique achve de s'laborer et de s'organiser. Pour ce travail, nom-breux sont les lments emprunts aux philosophes grecs; on a vouluretrouver des traces de la culture hellnique jusque chez un saint Paul'.En tout cas, et mme pour qui ne voudrait pas remonter aussi haut, laculture hellnique est vidente chez un Origne, un Clment d'Alexan-

    1. Voir Picavt, Saint Paul a-l-il reu une ducation hellnique? dans Essais surl'hisl. (jnrale et compare des thol. et philos, mdivales, p. 116-139.

  • SAINT THOMAS ET l'arISTOTLISME. 15

    drie, un Augustin. Cependant le but que poursuivent ces penseurs n'est' pas un but philosophique. Ce qu'ils expriment en formules philoso-phiques, ce sont des conceptions religieuses, et c'est un systme tho-logique qu'ils entendent constituer. Contre les hrtiques dont l'ima-gination est inlassable, les Pres affirment et maintiennent l'existenced'un Dieu, un en trois personnes, crateur du monde, distinct de lacration comme l'Infini l'est du fini, incarn en Jsus-Christ, vrai Dieuet vrai homme, qui s'est donn au monde pour le sauver. Ils affirmentencore que la fin de l'homme est la connaissance ternelle et l'amourde Dieu pour l'ternit; amour et vision face face qui sont rservsaux lus, c'est--dire ceux qui, avec l'aide ncessaire de la grcedivine, suivront les commandements de Dieu et de son Eglise. Etablirces vrits fondamentales, les enchaner, dterminer leurs rapports, endonner les formules les moins inadquates qui soient possibles, lesdfendre contre les attaques incessantes qui leur viennent de partout,voil l'uvre que ralisent les Pres, d'Origne saint Augustin, enpassant par Athanase, Grgoire de Nysse, saint Ambroise et Cyrilled'Alexandrie. Lorsque saint Augustin meurt, nous sommes au milieudu v" sicle aprs Jsus-Christ. Les deux cents ans de spculation tho- ?"

    logique qui se sont couls depuis Plotin ont abouti au De Trinitate et /aux treize livres des Confessions, c'est--dire l'un des monuments les/plus achevs que compte la thologie chrtienne et l'un des chefs-

    \

    d'uvre de l'esprit humain.C'est alors, mais alors seulement, et pour un temps relativement

    court, qu'un arrt gnral de l'activit intellectuelle semble se produire.Entre le v sicle et les premiers balbutiements de la philosophie nou-velle, trois sicles s'coulrent, laborieusement employs refaire unecivilisation neuve sur les dbris du monde romain. La restauration del'Empire et du droit romains est la grande uvre de cette priode; et

  • 16 LH THOMISMK. J\miste, nous voyons que, dans cette priode, trois acquisitions impor-jtantes sont assures la philosophie : la dtermination des rapportsientre la raison et la loi, le conceptualisme et la mthode dite scolastique.

    Touchant les rapports de la raison et de la foi, on aboutit les fairevivre cte cte, sans permettre l'une d'toufer l'autre ou d'en arr-

    ter le lgitime dveloppement. Un tel rsultat n'est obtenu, d'ailleurs,qu'au prix de mille difficults. En face des dialecticiens qui veulentmettre le dogme et l'Ecriture sous forme de syllogismes, se dressentpar une invitable raction les matres de la vie intrieure qui consi-drent le temps employ la spculation philosophique comme ind-ment enlev l'uvre du salut. Entre Anselme le Pripatticien et saintPierre Damiani^ une voie moyenne se dessine. De plus en plus on tend admettre que la raison et la foi ne peuvent se contredire, puisque l'uneet l'autre viennent de Dieu; que, par consquent, la raison doit faire

    ' apparatre la foi comme croyable en mme temps qu'elle monti'e les vicescachs dans les arguments de ses adversaires. Fides quaerens intellec-*tum ; tel est le programme que ds ce moment on s'eforce de raliser.

    D'autre part, la longue et subtile controverse qui se poursuit sur lanature des universaux aboutit, chez Ablard et Jean de Salisbury, res-taurer la doctrine aristotlicienne de l'abstraction. Les universaux sontdes concepts : cum fitndamento in re. A l'encontre des philosophes quise rapprochent plus ou moins de la thorie platonicienne des ides, onincline penser que l'intellect abstrait des individus l'universel qui s'ytrouve contenu. Avec la dmonstration de l'origine sensible des con-cepts, la pense philosophique entre en possession d'un principe dontle systme thomiste ne sera pour une large part qu'une justificationmtaphysique et une application consquente.

    Enfin, et ce dernier progrs n'est pas non plus sans importance, lamthode d'exposition et d'argumentation scolastiques se constitue. Aprs y^des essais incomplets, tels que le Sic et Non d'Ablard, on aboutit, avec'^Alexandre de Hals, la solution dfinitive. Dans la mesure du moinso l'tat actuel des recherches permet d'en juger, c'est lui qui, le pre-|mier, utilise la forme d'argumentation devenue classique ds la secondeimoiti du XIII sicle : numrationdes arguments co/z^/'a; dveloppement/de la solution propose ; critique des objections prcdemment formules.

    Cependant, malgr ces conqutes et toutes celles qu'il serait encore

    1. Voir J.-A. Endres, Petrus Damiani und die wellliche Wissenschaf, Beitr. z. Gesch.d. Phil. d. Milt., VIII, 3, Munster, 1910. Du mme, Forschungen z. Gesch. d. frtthmiUel-alterluhen Philosophie, Ibid., XVII, 2-3, 1914.

    :

  • SAIM THOMAS ET l'aIIIS lOTKLISMK . . 17

    possible d'numrer, la spculation philosophique du xii** et du xiii" siclecommenant prsente de graves imperfections, l.a plus grave, et celle Id'o drivent toutes les autres, consiste dans son dfaut de systmatisa-tion. Ce temps, o plus d'un penseur se rvla capable d'approfondiret de discuter avec pntration certains problmes particuliers, n'a pro-duit aucun systme d'ensemble qui prtendit apporter une explicationrationnelle de l'univers. Cela tenait, sans doute, ce que la pense phi-losophique, prive des grandes uvres de l'antiquit, ne pouvait tirer deson propre fonds la matire d'une philosophie nouvelle ; mais cela tenait Iaussi, comme on l'a trs justement remar([u', ce que les scolastiques 'de cette priode utilisaient simultanment des philosophies mal inter-}[)ites et, de plus, contradictoires. Oscillant, sans parvenir se fixer,entre Aristote et Platon, dont ils n'avaient ([u une connaissance trsincomplte, comment seraient-ils parvenus dduire de ces principesdirecteurs antinomiques un systme vraiment cohrent?

    Tel est le vice interne que recle la spculation philosophicpie duxii" sicle et ([ui l'empche d'aboutir un complet panouissement.Mais une rvolution va se produire. Celte rvolution, c'est l'afflux des]o'uvi'cs philosoplii([ucs grec(|ues et arabes . lU-li7.1 Voir Dulit'in, Du temps o la scolastiiuc. Inline n connu la p.'njsique d'Arislolc,

    Rev. de philoso|thie, rJO'J, |). 16'2-178.3. De Wulf, op. cit., p. 15G.i. Sur ce point, voir .surtout Mamlonnel, siger de, lirnbnnl el iarerroisme Inliii, Les

    Iliilpsophes helges, t. VI, p. 1 63, Louvain, l'Jll; M. Grabnianu, rurschutirjan iiber dieIdlcinischcn Arislotelesilherselzinigen des XIll Jnhrhnnderls, l$eilrago, XVII, 5-0, Muns-ler, 1!1G.

    2

  • 18 LE THOMISME.

    tant plus grave que la doctrine, telle surtout qu'Averros l'entendait,^

    s'accordait mal, en plus d'un point, avec l'enseignement traditionnel de

    l'Eglise. De cette opposition entre le pripattisme et le christianismenous trouvons en saint Bonaventure le tmoin le plus clairvoyant.

    Selon ce docteur^, l'erreur fondamentale d'Aristote est d'avoir rejetla doctrine platonicienne des ides. Puisque, selon lui. Dieu ne possdepas en soi, comme autant d'exemplaires, les ides de toutes choses, ils'ensuit que Dieu ne connat que soi-mme et qu'il ignore le particulier.De cette premire errevir dcoule cette seconde, que Dieu, ignoranttoutes choses, ne possde aucune prescience et n'exerce aucune provi-dence leur gard. Mais, si Dieu n'exerce aucune providence, il s'en-suit que tout arrive par hasard ou par une ncessit fatale. Et commeil est impossible que les vnements rsultent d'un simple hasard, lesArabes en concluent que tout est ncessairement dtermin par le mou-vement des sphres, donc, par les intelligences qui les meuvent. Unetelle conception supprime manifestement la disposition des vnementsde ce monde en vue du chtiment des pcheurs et de la gloire des lus.Et c'est pourquoi nous ne voyons jamais Aristote parler du dmon nide la batitude future. Il y a donc l une erreur triple, savoir : lamconnaissance de l'exemplarisme, de la providence divine et de la dis-position de ce monde en vue de l'autre.De cette triple mconnaissance rsulte un triple aveuglement. Le

    premier est relatif l'ternit du monde. Puisque Dieu ignore le monde,comment pourrait-il l'avoir cr? Aussi bien, et tous les commentateursgrecs ou arabes sont d'accord sur ce point, Aristote n'a jamais enseignque le monde ait eu un principe ou un commencement. Ce premieraveuglement en dtermine un second. Si l'on pose, en effet, le mondecomme ternel on se voile la vritable nature de l'me. Dans une tellehypothse on n'a plus le choix qu'entre les erreurs suivantes : puisque,depuis l'ternit du monde, une infinit d'hommes doit avoir exist, ildoit y avoir une infinit d'mes; moins que l'me ne soit corruptible,ou que les mmes mes ne passent de corps en corps, ou qu'il y ait, pourtous les hommes, un seul intellect. Si nous en croyons Averros, c'est /cette dernire erreur qu'Aristote se serait arrt. Or, ce deuxime aveu-glement en entrane ncessairement un troisime; puisqu'il n'y a qu'uneseule me pour tous les hommes, il n'y a pas d'immortalit personnelle,

    1. In Uexameron, coUalio VI, Opra omnia, d. Quaracchi, 1. V, p. 3G0-36I. Maiulan-net (oj). cit., p. 157, note) renvoie galement sur ce point Henri de Gand, Qno(llibeta,'lX,qu. 14 et 15.

  • SAINT THOMAS ET l'aIUSTOTLISME. 19

    et, par consquent, il ne saurait y avoir aprs cette vie ni rcompenseni chtiment.Que ion se reprsente maintenant quel pouvait tre l'tat d'esprit des

    thologiens et des philosophes chrtiens en prsence d'une telle doc-trine. Nous pouvons laisser de ct ceux qui, par principe, taient irr-

    ductiblement mfiants l'gard de toute spculation philosophique. Cet

    tat d'esprit qui avait engendr au xi" sicle la rsistance contre lemouvement dialecticien n'tait pas moins vivace au xiii" sicle, et jamaispeut-tre il n'avait rencontr plus belle occasion de se manifester. Mais .la grande majorit des thologiens ne songeait nullement nier l'utilit (des spculations philosophiques, et, parmi ceux-l, un double courant/se manifestait. Les uns, en petit nombre, reurent du pripattismeaverroste une impression si profonde qu'ils virent dans cette doctrinela vrit dfinitive et totale. Ils l'acceptrent donc, avec toutes les cons- .quences qu'elle comportait, et l'on vit des clercs enseigner Paris qu'il

    n'y a pas de providence, que le monde est ternel, qu'il n'y a qu'un seulintellect pour l'espce humaine tout entire et ([u'il n'y a enfin pour

    ,

    l'homme ni immortalit ni libert. Tels furent Boce de Dacie et sur-tout Siger de Brabant. D'autres, en beaucoup plus grand nombre, prou-vrent une rpulsion, d'ailleurs variable selon les esprits, l'gard de

    ces innovations condamnables, et ils se retranchrent plus fortement \([ue jamais derrire la philosophie platonico-augustinienne (jui tait, ce moment, la seule philosophie traditionnelle dans l'Eglise. La person-nalit la plus remarquable (pie nous apercevions au sein de ce parti est,sans aucun doute, celle de saint Bonaventure. Nous avons vu avec quellenergie ce docteur maintenait contre Aristote l'exemplarisme platoni-cien; il maintenait encore, et toute l'cole franciscaine avec lui, la doc-trine augustinienne de l'illumination contre la doctrine aristotlicienne(le l'abstraction; contre l'unit de la forme substantielle qui semblaitcompromettre l'immortalit de l'me, il affirmait la pluralit hirar-chi([ue des formes. Ainsi, et bien que, sui- plusieurs points, la pensed'Aristote ait [)ntr malgr lui dans sa propre pense, l'attitude desaint Bonaventure son gard demeurait celle d'un opposant.

    Une troisime attitude'demeurait cependant possible. La doctrine tvd'Aristote, et cela tait vident aux yeux de tout philosophe chrtien,prsentait de graves lacunes dans la partie mtaphysique. Le moinsqu il fut possible d'en dire tait que celte philosopiiie laissait en sus-pens les deux problmes de la cration et de l'imnujrtaHt de 1 me.Par contre, la partie proprement physique et naturelle de la doctrine

  • 20 LE THOMISME. Ise prsentait comme incomparablement suprieure aux solutions frag'mentaires et peu cohrentes que les anciennes coles pouvaient propo-ser. Cette supriorit de la physique d'Aristote tait mme si crasantequ'aux yeux des esprits clairvoyants elle ne pouvait manquer d'emporterl'assentiment de la raison et d'assurer le succs final de la doctrine. Dslors, n'y avait-il pas imprudence grave h s'obstiner dans des positionsruines d'avance? Le triomphe d'Aristote tant invitable, la sagessecommandait de faire en sorte que ce triomphe, menaant pour la pen-se chrtienne, tournt au contraire son profit. C'est dire que l'uvrequi s'imposait alors consistait christianiser Aristote; rintroduiredans le systme l'exemplarisme et la cration, maintenir la providence,concilier l'unit de la forme substantielle avec l'immortalit de l'me,montrer, en un mot, que la physique aristotlicienne tant admise, lesgrandes vrits du christianisme demeurent inbranles ; mieux encore,montrer que ces grandes vrits trouvent dans la physique d'Aristoteleur soutien naturel et leur plus ferme fondement : telle tait la tchequ'il devenait urgent d'accomplir.

    La tche tait possible, mais elle tait rude. Dj Albert de Cologne,que l'on devait plus tard appeler : le Grand, difiait, sur des basesessentiellement aristotliciennes, une vaste encyclopdie de toutes lesconnaissances acquises de son temps. D'autre part, Guillaume de Mr-beke allait reprendre la traduction complte des uvres d'Aristote enprenant pour base le texte grec, et non plus des translations arabes plus

    ou moins sollicites dans le sens de l'averrosme musulman. Enfin, unsecours qui n'tait pas mprisable arrivait de l'Orient en mme tempsque le danger : le philosophe juif Mamonide avait d rsoudre djquelques-uns des problmes que l'interprtation d'Aristote posait auxthologiens catholiques, et les rsultats de son travail pouvaient ais-ment tre utiliss'.

    Mais il restait surmonter des dillcults de toutes sortes. A l'ext-rieur, il fallait vaincre la rsistance que les tenants de la philosophieaugustinienne ne manqueraient pas d'opposer; il fallait surtout main-tenir tout ce qui pouvait tre maintenu de la doctrine d'Aristote, aurisque d'tre envelopp dans la rprobation 'que les partisans d'Aver-ros allaient bientt s'attirer. A l'intrieur, il fallait raliser un systmecomplet o toutes les vrits du christianisme trouveraient leur place,

    1. Voir sur ce iioiiil J. Giillinann, Das Verhaltnis des Tliomaa von Aquino zum Jiuleii-Ifiuni, Clliii-^en, 1891 ;L. -G. Lvy, Mamonide, Les Grands Pliilosoplies, Paris, 1911,|i. 2(35-'^67.

  • SAIXT THOMAS ET l'aRISTOTLISME. 21

    liminer les questions inutiles, mettre de l'ordre au sein de celles quidemeuraient, les rsoudre par des dcisions fermes qu'il fut toujourspossible de justifier l'aide de principes premiers cohrents entre eux.Il fallait, eh un mot, s'assimiler si parfaitement la philosophie d'Aris- jtote qu'elle en vnt se rorganiser comme d'elle-mme dans le sens du |christianisme. Cette tche si lourde, c'est l'honneur de saint Thomas >'

    - i

    d Aquin de l'avoir entreprise et mene bonne fin. Attaqu par le fran- 1ciscain Jean Peckham en 1270, dclar suspect par le chapitre gnralde l'Ordre en 1282, il se voit encore envelopp dans la condamnationdes 219 articles averrostes etpripatticiensque porte, en 1277, l'vquede Paris, Etienne Tempier. Press entre deux partis contraires, nous ~~^

    le verrons toujours proccup de maintenir contre les tenants de l'au-gustinisme ce qu'il considre comme vrai dans le systme d'Aristote,et de maintenir contre les aristotliciens absolus les vrits chrtiennes(jiie le pripattismc avait ignores. Telle est l'arte troite sur laquelle Ihomas d'A([uin se jucut avec une incompai-able sret. Sans doute, /

    1 analyse de son systme nous permettra seule d'apprcier dans quellemesure le philosophe mdival a ralis le difficile programme qu'il.s tait impos. Mais nous en avons un signe extrieur dont il nous estpermis, ds maintenant, de tenir compte. Aprs six cents ans de spcu-lation philosophique et malgr des tentatives innombrables pour cons-lituoi' une apologtique sur des bases nouvelles, l'Eglise vit encore de

    |

    la pcMise de saint Thomas d'Aquin et veut continuer d'en vivre. Lej

  • \CHAPITRE II.

    Foi et raison. L'objet de la philosophie.

    Si notre analyse avait pour objet un systme philosophique moderne,la premire tche qui s'imposerait nous serait de dterminer la con-ception de la connaissance humaine adopte par notre philosophe. Iln'en est pas absolument de mme lorsqu'on aborde l'tude d'un philo-sophe thologien du moyen ge. Pour saint Thomas d'Aquin et pourtous les docteurs chrtiens (nous pourrions ajouter : pour tous les doc-teurs arabes et juifs) un problme prime celui de la connaissancehumaine : c'est le problme des rapports de la raison et de la foi. Alorsque le philosophe en tant que tel prtend ne puiser la vrit qu'auxsources de sa raison seule, le philosophe thologien reoit la vrit dedeux sources diffrentes : la raison et, puisqu'il est thologien, la foi enla vrit rvle de Dieu, dont l'Eglise est l'interprte. D'o une difi-cult pralable qu'il est impossible d'viter : quels sont les domainesrespectifs de la raison et de la foi? Devons-nous sacrifier l'une l'autre,

    ou comment pourrions-nous les accorde r ?Rien n'est plus ais que de distinguer d'un point de vue abstrait phi-

    losophie et thologie, l'une consistant dans l'investigation de la vritau moyen de la raison, l'autre partant d'un fait indpendant de la rai-son : la rvlation faite par Dieu l'esprit humain de vrits suprieures la raison, c'est--dire auxquelles la raison ne saurait atteindre par ses

    propres forces, qu'elle ne saurait mme comprendre une fois qu'elle esten leur possession, ni, par consquent, justifier. En fait, lorsqu'onaborde l'tude de saint Thomas, on se heurte des difTicults consid-rables. En prsence des mmes textes, des historiens diffrents, invits sparer le philosophique du thologique, ne retiendront ni ne laisse-ront toujours exactement les mmes points.

    C'est que deux attitudes peuvent tre adoptes, l'origine desquellesse dissimule plus ou moins habilement, sous prtexte d'histoire impar-tiale, une thse philosophique de nature proprement dogmatique.

  • CA-^-^vSkA^o**;

    FOI ET MAISON . 23

    L'une, qui est extrmement rpandue dans certains milieux, et presque cJ-3-popu'laire, consiste ngliger purement et simplement saint Thomas,parce que, ayant t aussi thologien, on en conclut que ce qu'il peut yavoir de philosophique dans son uvre doit ncessairement s'en trouvercontamin. Cette affirmation priori, fonde sur les exigences d'unrationalisme intransigeant, suppose qu'une philosophie ne peut entreren contact, ni surtout accepter une collaboration avec le thologique,sans s'en trouver par le fait mme discrdite.

    Une autre attitude, oppose la prcdente et non moins rpandue 5^peut-tre, quoique dans des milieux dilrents, consiste admettre quela philosophie de saint Thomas, en droit et en fait, existe en soi et poursoi, indpendamment de la spculation thologi{[ue la([uelle elle peutventuellement s'associer. SI le thomisme est vrai, nous dit-on, ce ne \peut tre que pour des raisons exclusivement philos(q)hi([ues avec les-(juelles le dogme n'a rien de commun. Ds que, dans un expos doctri- ,nal, on voit l'horizon poindre un dogme ou s'introduire des lmentsde l'ordre de la rvlation, lavertissement connu se fait entendre : vousmconnaissez la vraie pense de saint Thomas, vous confondez philoso-phie et thologie. Il est ais d'apercevoir, d'ailleurs, que cette deuxime (attitude, si elle est prati([uement oppose la premire, argumente '

    cependant au nom du mme principe.On pourrait peut-tre en adopter, au moins provisoirement, une ti-oi- b.

    slmi; et, laissant de cAt('; les jugements de valeur, chercher ce

  • 24 LE THOMISME. Iqu'il convient et les bien gouverner. Bien ordonner une chose et la ]>iciigouverner, c'est la disposer en vue de sa fin. C'est pour([uoi nousvoyons que, dans la hirarchie des arts, un art gouverne l'autre et luisert, en quelque sorte, de principe, lorsque sa fin immdiate constituela fin dernire de l'art subordonn. Ainsi la mdecine est un art prin-cipal et directeur par rapport la pharmacie, parce que la sant, finimmdiate de la mdecine, est en mme temps la fin de tous les remdesqu'labore le pharmacien. Ces arts principaux et dominateurs reoiventle nom d'architectoniques et ceux qui les exercent le nom de sages.Mais ils ne mritent le nom de sages qu'au regard des choses mmesqu'ils savent ordonner en vue de leur fin. Leur sagesse, portant surdesfins particulires, n'est qu'une sagesse particulire. Supposons au con-traire un sage qui ne se propose pas de considrer telle ou telle fin par-ticulire, mais la fin de l'univers; celui-l ne pourra plus tre nommsage en tel ou tel art, mais sage absolument parlant. Il sera le sage parexcellence. L'objet propre de la sagesse, ou philosophie premire, estdonc la fin de l'univers et, puisque la fin d'un objet se confond avec sonprincipe ou sa cause, nous retrouvons la dfinition d'Aristote : la phi-

    losophie premire a pour objet l'tude des premires causes'.Cherchons maintenant quelle est la premire cause ou la fin dernire

    de l'univers. La fin dernire de toute chose est videmment celle que sepropose, en la fabriquant, son premier auteur, ou, en la mouvant, sonpremier moteur. Or, il nous sera donn de voir ([ne le premier auteui'et le premier moteur de l'univers est une intelligence: la fin qu'il sepropose en crant et mouvant l'univers doit donc tre la fin ou le biende l'intelligence, c'est--dire la vrit. Ainsi la vrit est la fin dernirede tout l'univers et, puisque l'objet de la philosophie premire est lafin dernire de tout l'univers, il s'ensuit que son objet propre est lavrit-. Mais nous devons ici nous garder d'une confusion. Puisqu'ils'agit pour le |)hilosophe d'atteindre la fin dernire et, par consquent,la cause premire de l'univers, la vrit dont nous parlons ne sauraittre une vrit quelconque: elle ne peut tre que cette vrit ([ui est la

    source premire de toute vrit. Or, la disposition des choses dansl'ordre de la vrit est la mme que dans l'ordre de l'tre (sic enini estdispositio reruin in veritate siciit in esse), puisque l'tre et le vrais'quivalent. Une vrit qui soit la source de toute vrit ne peut serencontrer que chez un tre qui soit la source premire de tout tre.

    1. Cont. Gcnl., 1, 1; snin. thcol., I, 1, l., ad licsp.2. Coiil. Gciit., i, I.

  • FOI ET HAISOX. 25

    ,La vrit qui constitue l'objet de la philosophie premire serait donccette vrit que le Verbe tait chair est venu manifester au monde, selonla parole de Jean : Ego in hoc natus suin et ad hoc veni in mundnm, utteslimoniiim perhibeam veritati^. D'un mot, l'objet vritable de la mta-phvsi(|ue c'est Dieu'^.

    Cette dtermination pose par saint Thomas au dbut de la Sommecontre les Gentils n'a rien de contradictoire avec celle qui le conduit dfinir ailleurs la mtaphysique comme la science de l'tre, considrsimplement en tant qu'tre, et de ses premires causes^'. Si la matireimmdiate, sur laquelle porte la recherche du mtaphysicien, est bienl'tre en gnral, il n'en constitue pas, du moins, la vritable fin. Cevers quoi tend la spculation philosophique, c'est, par del l'tre engnral, la ca.use premire de tout tre : Ipsa prima philosophia Iotaordinatiir ad Del cognitionem sicut ad itltimuni finem; iinde et scientiadivina noniinatur. C'est pourquoi, lorsqu'il parle en son propre nom,Thomas d'Aquin laisse de cAt la considration de l'tre en tant que telet dfinit la mtaphysique du point tic vue de son objet suprme : leprincipe premier de l'tre, qui est Dieu.

    De (piels moyens disposons-nous pour atteindre cet objet? Nous dis-posons d'abord, et cela est vident, de notre raison. I^e problme est "^

    tie savoir si notre raison constitue un instrument suflisant pour atteindrele terme de la recherche mtaphysique, savoir, l'essence divine, yll'mar({uons immdiatement (jue la raison naturelle, laisse sespropres forces, nous permet d'atteindre certaines vrits relatives Dieu et sa nature. Les philosophes peuvent tablir, par voie dmons-trative, fjue Dieu existe, ({u il est un, etc. Mais il apparat trs videm-ment aussi (|ue certaines connaissances relatives la nature divineexcdent infiniment les forces de l'entendement humain; c'est l unpoint

  • 26 LE THOMISME. I

    V

    le plus profondment peut-tre dans la pense de saint Thomas se tirede la nature des connaissances humaines. La connaissance parfaite, sinous en croyons Aristote, consiste dduire les proprits d'un objeten prenant l'essence de cet objet comme principe de la dmonstration.Le mode selon lequel la substance de chaque chose nous est connuedtermine donc, par le fait mme, le mode des connaissances que nouspouvons avoir relativement cette chose. Or, Dieu est une substancepurement spirituelle; notre connaissance, au contraire, est celle quepeut acqurir un tre compos d'une me et d'un corps. Elle prendncessairement son origine dans le sens. La science que nous avons de'Dieu est donc celle qu' partir de donnes sensibles nous pouvonsacqurir d'un tre purement intelligible. Ainsi notre entendement, sefondant sur le tmoignage des sens, peut infrer que Dieu existe. Maisil est vident que la simple inspection des sensibles, qui sont les effetsde Dieu et, par consquent, infrieurs lui, ne peut nous introduiredans la connaissance de l'essence divine^. Il y a donc des vrits rela-tives Dieu qui sont accessibles la raison; et il y en a d'autres qui ladpassent. Voyons quel est, dans l'un et l'autre cas, le rle particulierde la foi.

    Constatons d'abord que, abstraitement et absolument parlant, l ola raison peut trouver prise, la foi n'a plus aucun rle jouer. End'autres termes, on ne peut pas savoir et croire en mme temps la mmechose : impossibile est quod de eodem sit /ides et scientia-. L'objetpropre de la foi, si nous en croyons saint Augustin, c'est prcismentce que la raison n'atteint pas ; d'o il suit que toute connaissance ration-nelle qui peut se fonder par rsolution aux premiers principes chappe,du mme coup, au domaine de la foi. Voil quelle est la vrit de droit.En fait, la foi doit se substituer la science dans un grand nombre denos afirmations. Non seulement, en effet, il se peut que certaines vri-ts soient crues par les ignorants et sues par les savants, mais encore ilarrive souvent qu'en raison de la faiblesse de notre entendement et descarts de notre imagination l'erreur s'introduise dans nos rechei'ches.Nombreux sont ceux qui peroivent mal ce qu'il y a de concluant dansune dmonstration et qui, en consquence, demeurent incertains tou-chant les vrits les mieux dmontres. La constatation du dsaccord([ui rgne, sur les mmes questions, entre des hommes rputs sagesachve de les drouter. Il tait donc salutaire que la providence impost

    I. Cou/. Cent., I, ;i."2. Qu. (lisp. (le VerUdle, qu. XIV, art. 9, nd Resp.

  • FOI ET HAISOX. 27

    comme articles de foi les vrits accessibles la raison, afin que tous

    participassent aisment la connaissance de Dieu, et cela sans avoir craindre le doute ni l'erreur*.

    Si nous considrons, d'autre part, les vrits qui dpassent notreraison, nous verrons non moins videmment qu'il convenait de les pro-poser l'acceptation de notre foi. La fin de l'homme, en effet, n'estautre que Dieu; or, cette fin excde manifestement les limites de notreraison. D'autre part, il faut bien que l'homme possde quelque con-naissance de sa fin, pour qu'il puisse ordonner par rapport elle sesintentions et ses actions. Le salut de l'homme exigeait donc que la rv-lation divine lui fit connatre un certain nombre de vrits incompr-hensibles pour sa raison 2. D'un mot, puisque l'homme avait besoin deconnaissances touchant le Dieu infini

  • 28 LE THOMISMK. 1religion Ghitiennc prouvent sulsamment la vrit de la religion rv-le i, il faudra bien admettre que la foi et la raison ne peuvent secontredire. Seul le faux peut tre contraire au vrai. Entre une foi vraieet des connaissances vraies, l'accord se ralise de lui-mme et commepar dfinition. Mais on peut apporter de cet accord une dmonstrationpurement philosophique. Lorsqu'un matre instruit son disciple, il faut(jue la science du matre contienne ce qu'il introduit dans l'me de sondisciple. Or, la connaissance naturelle que nous avons des principesnous vient de Dieu, puisque Dieu est l'auteur de notre nature. Cesprincipes sont donc, eux aussi, contenus dans la sagesse de Dieu. D'oil suit ([ue tout ce qui est contraire k ces principes est contraire la

    sagesse divine et, par consquent, ne saurait venir de Dieu. Entre uneraison qui vient de Dieu et une rvlation qui vient de Dieu, l'accorddoit s'tablir ncessairement-. Disons donc que la foi enseigne desvrits qui semblent contraires la raison; ne disons pas qu'elleenseigne des propositions contraires la raison. Le rustre considrecomme contraire la raison que le soleil soit plus grand que la terre,mais cette proposition semble raisonnable au savant^. Croyons demme que les incompatibilits apparentes entre la raison et la foi se con-cilient dans la sagesse infinie de Dieu.

    Nous n'en sommes d'ailleurs pas rduits cet acte de confiance gn-ral dans un accord dont la perception directe nous chapperait; biendes faits observables ne peuvent recevoir d'interprtation satisfaisante

    que si l'on admet l'existence d'une source commune de nos deux ordresde connaissance. La foi domine la raison, non pas en tant que mode deconnatre, car elle est au contraire une connaissance de type infrieur cause de son obscurit, mais en tant qu'elle met la pense humaine enpossession d'un objet qu'elle serait naturellement incapable de saisir.Il peut ilonc rsulter de la foi toute une srie d'influences et actions

    dont les consquences, l'intrieur de la raison mme, et sans qu ellecesse pour autant d'tre une pure raison, peuvent tre des plus impor-tantes. La foi dans la rvlation n'aura pas pour rsultat de dtruire la

    rationnalit de notre connaissance, mais de lui permettre au contraire

    de se dvelopper plus compltement; de mme en effet que la grce netltruit pas la nature, mais la fconde, l'exalte et la parfait, de mme lafoi, par l'intluence qu'elle exerce de haut sur la raison en tant que

    1. CoHt. Gcnl., 1, G. De Veril.. qu. XIV, arl. 10, ail. 11.'2. Conl. CeuL, I, 7.3. De Verit., qu. XIV, arl. 10, ad. 7.

  • FOI ET ItAlSON. 2'J

    telle, permet le dveloppement d'une activit rationnelle d'un ordre plusfcond'.

    Cette influence transcendante de la foi sur la raison est un fait essen- .

    tiel qu'il importe de bien interprter si l'on veut laissera la philosophietliomiste son caractre propre. Beaucoup de critiques diriges contreelle se fondent prcisment sur le mlange de foi et de raison (pie l'onprtend y dcouvrir; or, il est galement inexact de soutenir que saintThomas ait isol par une cloison tanche ou qu'il ait au contraire con-fondu les deux domaines. Nous aurons nous demander plus loin s'illes a confondus; il apparat ds prsent qu'il ne les a pas isols et(pi'il a su les maintenir en contact d'une manire qui ne le contraignitpas ultrieurement les confondre. C'est ce qui permet de comprendre ^l'admirable unit de l'cjt'uvre philosophique et de l'ouivre thologiquede saint Thomas. 11 est impossible de feindre qu'une telle pense nesoit pas pleinement consciente de son but; mme dans les commentairessur Aristote, elle sait toujours o elle'va, et elle va, l encore, la doc-trine de la foi, sinon l o elle explique, du moins l o elle complteet redresse. Et cependant on peut dire que saint Thomas travaille avecla pleine et juste conscience de ne jamais faire appel des arguments(pii ne seraient pas strictement rationnels, car si la foi agit sur sa raison,cette raison (pie soulve et fconde sa foi ne cesse pas pour autant d'ac-complir des oprations purement rationnelles et d'alfirmer des conclu-sions fondes sur la seule vidence des principes premiers communs tous les esprits humains. La crainte dont tmoignent certains inter-prtes de saint Thomas de laisser croire une contamination possiblede sa raison par sa foi n'a donc rien de thomiste; nier (pi'il ne con- .naisse et ne veuille cette bienfaisante inlhience c'est se condamner

    ,

    [)isenter comme foncirement inexplicable l'accord de fait au([uelai)outil sa reconstruction de la philosophie et de la thologie et c'estmanifester une inquitude que saint Thomas lui-mme n'et pas com-prise. L'Aquinate est trop sr de sa pense pour craindre quoi (|ue cesoit de semblable. Sa pense progresse sous l'action bienfaisante de lafoi, il le reconnat, mais il constate ([u'en repassant parle chemin de larvlation la raison trouve aislnent et, pour ainsi dire, reconnat lesvrits (pi'elle ris(|uait de mconnatre. Le voyageur qu'un guide a con-duit sur la cime n'a pas moins droit au spectacle ((ue l'on y dcouvre etla vue cpi'il en a n'est pas moins vraie parce ([u'un secours cxtcM-icnr l'y

    I. De VeriL, (iii. XIV, ail. 9, ad 8'", cl art. 10, ad 9"'.

  • 30 LE THOMISME.

    a conduit. On ne peut pratiquer longtemps saint Thomas sans se con-vaincre que le vaste systme du monde que sa doctrine nous prsentese construisait dans sa pense mesure que s'y construisait la doc-trine de la foi; lorsqu'il affirme aux autres que la foi est pour la raisonun guide salutaire, le souvenir du gain rationnel que la foi lui a faitraliser est encore vivace en lui.

    On ne s'tonnera donc pas qu'en ce qui concerne d'abord la thologieil y ait place pour la spculation philosophique, mme lorsqu'il s'agitde vrits rvles qui excdent les limites de notre raison. Sans doute,et cela est vident, elle ne peut prtendre les dmontrer ni mme les comprendre, mais, encourage par la certitude suprieure qu'il y al une vrit cache, elle peut nous en faire entrevoir quelque chose l'aide de comparaisons bien fondes. Les objets sensibles qui consti-tuent le point de dpart de toutes nos connaissances ont conservquelques vestiges de la nature divine qui les a crs, puisque l'efetressemble toujours la cause. LaYaison peut donc, ds ici-bas et grceau point de dpart que la foi lui offre, nous acheminer quelque peuvers l'intelligence de la vrit parfaite que Dieu nous dcouvrira dansla patrie i. Et cette constatation dlimite le rle qui revient la raison

    lorsqu'elle entreprend une apologtique des vrits de foi. Rien deplus imprudent que d'en assumer la dmonstration; essayer de dmon-trer l'indmontrable, c'est confirmer l'incrdule dans son incrdulit.La disproportion apparat si vidente entre les thses que l'on croit ta-blir et les fausses preuves qu'on en apporte qu'au lieu de servir la foi

    par de telles argumentations on s'expose la rendre ridicule. Mais onpeut expliquer, interprter, rapprocher de nous ce que l'on ne saurait

    prouver ; nous pouvo-ns donc conduire comme par la main nos adver-saires en prsence de ces vrits inaccessibles, nous pouvons montrersur quelles raisons probables et sur quelles autorits elles trouvent ici-

    bas leur fondement.Mais il faut aller plus loin et, recueillant le bnfice des thses que

    nous avons prcdemment poses, affirmer qu'il y a place mme pourl'argumentation dmonstrative en matire de vrits inaccessibles laraison, puis pour une intervention thologique dans les matires enapparence rserves la pure raison. Nous avons vu en effet que la

    1. Conl. GenL, ], 1 ; De Verit., qu. XIV, art. 9, ad 2'". On relrcuve ici l'cho du fides(/(((terens mlellecliim de l'cole auguslinieniie; mais, la diilrence de l'efugustinisine,

  • l'OI ET MAISON. 31

    rvlation et la raison ne peuvent se contredire; si donc il est certainque la raison ne peut dmontrer la vrit rvle, il est non moins cer-tain que toute dmonstration soi-disant rationnelle qui prtend tablirla fausset de la foi se rduit elle-mme un pur sophisme. Quelle quepuisse tre la subtilit des arguments invoqus, il faut se tenir ferme

    ce principe que la vrit ne peut pas tre divise contre elle-mme et

  • O^ LK THOMISME.

    tion de la foi, ensuite, comme nous venons de le voir, parce (jue laconnaissance naturelle peut au moins dtruire les erieurs relativesDieui.

    Telles tant les relations intimes (|ui s'tablissent entre la thologiet la philosophie, il n'en reste pas moins qu'elles constituent deuxdomaines distincts, autonomes et formellement spars. D'abord, sileurs territoires occupent en commun une certaine tendue, ils ne con-cident cependant pas. La thologie est la science des vrits ncessaire notre salut; or, toutes les vrits n'y sont pas ncessaires; c'est pourquoi il n'y avait pas lieu que Dieu nous rvlt, touchant les cratures,ce (|ue nous sommes capables d'en apprendre par nous-mmes, ds quela connaissance n'en tait pas ncessairement requise pour assurer notresalut. 11 reste donc place en dehors de la thologie pour une sciencedes choses qui les considrerait en elles-mmes et qui se subdiviseraiten parties diffrentes selon les diffrents genres des choses naturelles,

    alors que la thologie les considre sous la perspective du salut et parrapport Dieu-. La philosophie tudie le feu en tant que tel, le tholo-gien y voit une image de l'lvation divine; il y a donc place pour l'at-titude du philosophe ct de celle du croyant (^philosophus

    ,fidelis) et

    il n'y a pas lieu de reprocher la thologie de passer sous silence ungrand nombre de proprits des choses, telles que la figure du ciel oula (pialit de son mouvement; elles sont du ressort de la philosophie,qui seule a charge de nous les expliquer.L mme oi le terrain est commun aux deux disciplines, elles con-

    sel'^ent des caractres spcifiques qui assurent leur indpendance. Eneffet, elles diffrent d'abord et surtout par les principes de la dmons-tration, et c'est ce qui leur interdit dfinitivement de se confondre. Lephilosophe emprunte ses arguments aux essences et, par cons([uent,aux causes propres ds choses; c'est ce que nous ferons constammentdans la suite de cet expos. Le thologien, au contraire, argumente enremontant toujours la premire cause de toutes les choses qui estDieu, et il fait appel trois ordres diffrents d'arguments qui, dansaucun cas, ne sont considrs comme satisfaisants par le philosophe.Tantt le thologien affirme une vrit au nom du principe d'autorit,parce qu'elle nous a t transmise et rvle par Dieu ; tantt parce quela gloire d'un Dieu infini exige qu'il en soit ainsi, c'est--dire au nomdu principe de perfection; tantt enfin parce que la puissance de Dieu

    1. Conl. Cent., H, 2, et sintoul Stim. l/ieol., I, 5, ail 2"'.

    2. Cont. Genl., Il, 4.

  • FOI ET RAISON. 33

    est infinie^ Il ne rsulte d'ailleurs pas de l que la thologie soit exclue

    du domaine de la science, mais que la philosophie se trouve installesur un domaine qui lui appartient en propre et qu'elle exploitera pardes mthodes purement rationnelles. Comme deux sciences tablissentun mme fait en partant de principes diffrents et parviennent auxmmes conclusions par des voies qui leur sont propres, ainsi lesdmonstrations du philosophe, exclusivement rationnelles, diffrenttoto gnre des dmonstrations que le thologien tire toujours del'autorit.

    Une deuxime diffrence, moins profonde, rside non plus dans lesprincipes de la dmonstration, mais dans l'ordre qu'elle suit. Car dansla doctrine philosophique, attache la considration des cratures en

    elles-mmes et o l'on cherche s'lever des cratures Dieu, la consi-dration des cratures vient la premire et la considration de Dieu ladernire. Dans la doctrine de la foi au contraire, (jui n'envisage les cra-

    tures que par rapport Dieu, la considration qui vient la premire estcelle tle Dieu et celle des cratures ne vient qu'ensuite. Par quoi d'ail-leurs elle suit un ordre (jui, pris en soi, est plus parfait, puisqu'elle

    imite la connaissance de Dieu ([ui, en se connaissant soi-mme, connattoutes choses'^.

    Telle tant la situation de droit, il reste dterminer de quoi l'onparle lorsqu'on parle de la philosophie de saint Thomas. Dans aucunde ses ouvrages, en elVet, nous ne trouvons un corps de ses conceptionsphilosophiques exposes pour elles-mmes et dans leur ordre rationnel.Il existe d'abord une srie d'ouvrages composs par saint Thomas selonla mthode philosophi([ue, ce sont ses commentaires sur Aristote et unpetit nombre d'(q)uscules ; mais les opuscules ne nous permettent desaisir ([u un fragment de sa pense et les commentaires d'Aristote,attachs suivre patiemment les mandres d'un texte obscur, ne nouspermettent de souponner que bien imparfaitement ce out composer des cours de phi-losophie no-scoiaslique peut tre suivi en etlet par les philosojthes auxquels il s'adresse;mais l'historien ne saurait s'en inspirer sous peine d'aboutir une restitution purementhypothtique d'un difice qui n'a jamais exist. Il est i\ peine besoin de signaler que le

  • 34 LE THOMISME. Iune seconde, dont la Suinma thealogica est le type le plus parfait, quicontient sa philosophie dmontre selon les principes de la dmonstra-tion philosophique et prsente selon Vordre de la dmonstration tho-logique. Il resterait donc reconstruire une philosophie thomisteidale en prenant dans ces deux groupes d'ouvrages ce qu'ils con-tiennent de meilleur et en redistribuant les dmonstrations de saintThomas selon les exigences d'un ordre nouveau. Mais qui osera tentercette synthse? Et qui surtout garantira que l'ordre philosophique deldmonstration adopt par lui correspond celui que le gnie de saintThomas aurait su choisir et construire? En l'absence d'une telle syn-thse ralise par le philosophe lui-mme, il est d'une lmentaire pru-dence de reproduire sa pense selon l'ordre qu'il lui a donn et sousla forme la plus parfaite dont il l'ait revtue, celle qu'elle' reoit dansles deux Sommes.

    Il n'en rsulte d'ailleurs nullement que la valeur d'une philosophiedispose selon cet ordre soit subordonne celle de la foi qui, ds sonpoint de dpart, fait appel l'autorit d'une rvlation divine. La phi-losophie thomiste se donne pour un systme de vrits rigoureusementdmontrables et elle est justifiable, en tant prcisment que philosophie,de la seule raison. Lorsque saint Thomas parle en tant que philosophe,ce sont ses dmonstrations seules qui sont en cause, et il importe peuque la thse qu'il soutient apparaisse au point que la foi lui assigne,puisqu'il ne la fait jamais intervenir et ne nous demande jamais de lafaire intervenir dans les preuves de ce qu'il considre comme rationnel-lement dmontrable. Il y a donc entre les assertions de ces deux disci-plines, et alors mme qu'elles portent sur le mme contenu, une distinc-tion formelle absolument stricte et qui se fonde sur l'htrognit desprincipes de la dmonstration ; entre la thologie qui situe ses prin-cipes dans les articles de foi et la philosophie qui demande la raisonseule ce qu'elle peut nous faire connatre de Dieu, il y a une diffrencede genre : theologia quae ad sacram doctrinam pertinet, diff'ert secun-dum genus ab illa theologia quae pars philosophiae poniturK Et l'onpeut dmontrer que cette distinction gnrique n'a pas t pose parsaint Thomas comme un principe inefficace dont il n'y ait plus lieu detenir compte aprs l'avoir reconnu. L'examen de sa doctrine, envisagedans sa signification historique et compare la tradition augustinienne

    Contra Gnies, habituellement qualifi de Summa philosophica par opposition la SummaIheologica, ne mrite nullement ce titre si l'on s'en tient l'ordre de la dmonstration.

    1. Sum. theoL, I, 10, ad ".

  • FOI ET UAISON. 35

    dont saint Bonaventure tait le plus illustre reprsentant, montre de ^

    quels remaniements profonds, de quelles transformations incroyable-ment hardies il n'a pas hsit prendre la responsabilit pour satisfaireaux exigences de la pense aristotlicienne chaque fois qu'il les jugeaitidentiques aux exigences de la raison*.

    C'est en quoi prcisment consiste la valeur proprement philoso- '

    phique du systme thomiste et ce qui en fait un moment dcisif dansl'histoire de la pense humaine. En pleine conscience de toutes les con-squences qu'entrane une telle attitude, saint Thomas accepte simulta-nment, et chacune avec ses exigences propres, sa foi et sa raison. Sapense ne vise donc pas constituer aussi conomiquement que pos-sible une conciliation superficielle o prendront place les doctrines lesplus aises accorder avec l'enseignement traditionnel de la thologie,il veut que la raison dveloppe son propre contenu en toute libert etmanifeste intgralement la rigueur de ses exigences; la philosophiequ'il enseigne ne tire pas sa valeur de ce qu'elle est chrtienne, maisde ce qu'elle est vraie. C'est pourquoi d'ailleurs, au lieu de suivre pas-sivement le courant rgulier de l'augustinisme, il labore une nouvellethorie de la connaissance, dplace les bases sur lesquelles reposaientles preuves de l'existence de Dieu, soumet une critique nouvelle lanotion de cration et fonde ou rorganise compltement l'difice de lamorale traditionnelle. Tout le secret du thomisme est l, dans cetimmense elfort d'honntet intellectuelle pour reconstruire la philoso-phie sur un plan tel que son accord de fait avec la thologie apparaisse

    comme la consquence ncessaire des exigences de la raison elle-mmeet non comme le rsultat accidentel d'un simple dsir de conciliation.

    Tels nous semblent tre les contacts et la distinction (jui s'tablissententre la raison et la foi dans le systme de saint Thomas d'Aquin. Ellesne peuvent ni se contredire, ni s'ignorer, ni se confondre ; la raison

    aura beau justifier la foi, jamais elle ne la transformera en raison, carau moment o la foi serait capable d'abandonner l'autorit pour lapreuve elle cesserait de croire pour savoir; et la foi aura beau mouvoirdu dehors ou guider du dedans la raison, jamais la raison ne cesserad'tre elle-mme, car au moment o elle renoncerait fournir la preuvedmonstrative de ce qu'elle avance elle se renierait et s'efTaceraitimmdiatement pour faire place la foi. C'est donc l'inalinabilitmme de leurs essences propres qui leur permet d'agir l'une sur l'autre

    1. Nous avons dvelopp ce point dans nos ludes de philosophie mdivale^ Strasbourg,1921 : La signiflcalion historique du thomisme, p. 95-124.

  • 36 LK THOMISME. Isans se contaminer; un tat mixte compos d'un savant dosage descience et de croyance comme celui dont se dlectaient tant de cons-

    ciences mystiques, saint Thomas le considre comme contradictoire etmonstrueux; c'est un tre aussi chimrique que le serait un animalcompos de deux espces dillerentes. On conoit donc qu' la difF-rence de l'augustinisme par exemple, le thomisme comporte, ct d'unethologie qui ne soit que thologie, une philosophie qui ne soit que phi-

    losophie. A ce titre, saint Thomas d'Aquin est, avec son matre Albertle Grand, le premier en date, et non le moindre, des philosophesmodernes.On conoit enfin qu'envisage sous cet aspect et comme une disci-

    pline qui saisit ds ici-bas de Dieu tout ce que la raison humaine enpeut concevoir, l'tude de la sagesse apparaisse saint Thomas commela plus parfaite, la plus sublime, la plus utile et aussi la plus conso-

    lante. La plus parfaite, parce que dans la mesure o il se consacre l'tude de la sagesse l'homme participe, ds ici-bas, la vritable ba-titude. La plus sublime, parce que l'homme sage approche quelque peude la ressemblance divine. Dieu ayant fond toutes choses en sagesse.La plus utile, parce qu'elle nous conduit au royaume ternel. La plusconsolante, par ce que, selon la parole de l'Ecriture [Sap., VIII, 16), saconversation n'a point d'amertume ni sa frquentation de tristesse; onn'y trouve que plaisir et joie^.

    Sans doute, certains esprits, que touche uniquement ou surtout lacertitude logique, contesteront volontiers l'excellence de la recherchemtaphysique. A des investigations qui ne se dclarent pas totalementimpuissantes, mme en prsence de l'incomprhensible, ils prfrerontles dductions certaines de la physique ou des mathmatiques. Maisune science ne se relve pas que de sa certitude, elle se relve encorede son objet. Aux esprits que tourmente la soif du divin, c'est vaine-ment qu'on offrira les connaissances les plus certaines touchant les loisdes nombres ou la disposition de cet univers. Tendus vers un objet quise drobe leurs prises, ils s'efforcent de soulever un coin du voile,trop heureux d'apercevoir, parfois mme sous d'paisses tnbres,quelque reflet de la lumire ternelle qui doit les illuminer un jour. Aceux-l les moindres connaissances touchant les ralits les plus hautessemblent plus dsirables que les certitudes les plus compltes touchantde moindres objets^. Et nous atteignons ici le point o se concilient

    1. Cont. Gent., I, 2.

    2. Sutn. theoL, I, 1,5, ad !". Ibid., 1', 2", 66, 5, ad 3".

    n

  • FOI ET RAISON. 37

    l'extrme dfiance l'gard de la raison humaine, le mpris mme queparfois saint Thomas lui tmoigne, avec le got si vif qu'il conserva tou-jours pour la discussion dialectique et pour le raisonnement. C'est quelorsqu'il s'agit d'atteindre un objet que son essence mme nous rendinaccessible, notre raison se rvle impuissante et dficiente de toutesparts. Cette insuffisance, nul plus que saint Thomas n'en fut jamaispersuad. Et si, malgr tout, il applique inlassablement cet instrumentdbile aux objets les plus relevs, c'est que les connaissances les plusconfuses, et celles mme qui mriteraient peine le nom de connais-sances, cessent d'tre mprisables lorstju'elles ont pour objet l'essenceinfinie de Dieu. De pauvres conjectures, des comparaisons qui ne soientpas totalement inad([uates, voih'i de quoi nous tirons nos joies les pluspures et les plus profondes. La souveraine flicit de l'homme ici-basest d'anticiper, si confusment que ce puisse tre, la vision face facede l'immobile ternit.

    k

  • CHAPITRE III.

    L'vidence prtendue de l'existence de Dieu.

    On a raison de dire, affirme saint Thomas, que celui qui veut s'ins-truire doit commencer par croire son matre; il ne parviendrait jamais la science parfaite s'il ne supposait vraies les doctrines qu'on lui pro-

    pose au dbut et dont il ne peut, ce moment, dcouvrir la justifica-tion^. Cette remarque se trouve particulirement fonde en ce qui con-cerne la doctrine thomiste de la connaissance. Nous l'avons rencontreds la prcdente leon ; nous allons voir qu'elle est prsuppose partoutes les preuves de l'existence de Dieu; elle commande encore toutesles affirmations que nous pouvons porter sur son essence. Et cependantThomas d'Aquin n'hsite pas lui faire .rendre certaines de ses cons-quences les plus importantes, bien avant d'en avoir propos la moindrejustification.On est parfois tent de combler ce qui semble une lacune et de pr-

    senter, titre de prolgomnes, une thorie de la connaissance, dontle reste de la doctrine serait une simple application. Mais, si nous nousplaons au point de vue proprement thomiste, un tel ordre n'est nincessaire ni mme satisfaisant pour l'esprit. Considrer, en efet, qu'ilsoit ncessaire de situer la thorie de la connaissance au dbut du sys-tme, c'est lui faire jouer un rle que notre docteur ne lui a jamais attri-bu. Sa philosophie n'a rien d'une philosophie critique. Sans doute,l'analyse de notre facult de connatre aura comme rsultat d'en limi-ter la porte, mais saint Thomas ne songe pas lui refuser l'apprhen-sion de l'tre en lui-mme; ses rserves portent uni(|uement sur lanature de l'tre que notre raison peut apprhender immdiatement etsur le mode selon lequel elle l'apprhende. Ds lors, puisque la raisonhumaine est toujours comptente en matire d'tre, bien qu'elle ne lesoit pas galement l'gard de tout tre, rien ne nous interdit de l'ap-

    1. De Veril., (ju. XIV, arf. 10, od Rcsp.

  • l'vidence prtendue de l'existence de dieu. 39

    pliqiier d'emble l'tre infini qui est Dieu et de lui demander ce qu'ellepeut nous faire connatre d'un tel objet. En d'autres termes, la ques-tion de savoir s'il convient de dbuter par une thorie de la connais-sance ne prsente ici qu'un intrt purement didactique; il peut trecommode d'exposer d'abord cette thorie, mais c'est un ordre qui nes'impose pas. Mieux encore, il y a des raisons de ne pas l'adopter.Remarquons d'abord que si l'intelligence complte des preuves de l'exis-tence de Dieu prsuppose une dtermination exacte de notre facult deconnatre, cette dtermination elle-mme demeure impossible sansquelque connaissance pralable de l'existence de Dieu et de son essence.Dans la pense de saint Thomas, le mode de connatre rsulte immdia-tement du mode d'tre; on ne peut donc tablir quel mode de connais-sance est celui de l'homme qu'aprs l'avoir amen sa place dans lahirarchie des tres pensants. Par consquent, dans l'un et l'autre cas,il est invitable que l'on fasse jouer certaines thses avant de les avoirdmontres. Cela tant, la prfrence de saint Thomas ne peut tredouteuse; l'ordre auquel il se tient constamment est un ordre synth-tique. Il ne part pas des principes qui, du point de vue du sujet, con-ditionnent l'acquisition de toutes les autres connaissances, mais del'Etre qui, au point de vue de l'objet, conditionne la fois tout tre ettout connatre. La seule obligation que saint Thomas s'impose est de nefaire aucun usage de sa raison qui puisse apparatre comme illgitimelorsque le moment de l'analyse sera venu. Sous cette rserve, il s'ac-corde, et nous nous accorderons avec lui, le bnfice d'une thorie nonencore justifie. Procder ainsi n'est pas commettre une ptition deprincipe; c'est laisser provisoirement la raison le soin de prouverquelle est sa valeur et ([uelles sont les conditions de son activit, par larichesse et la cohrence des rsultats qu'elle obtient.

    La premire tche qui s'impose nous est la dmonstration de l'exis-tence de Dieu. 11 est vrai que certains philosophes considrent cettevrit comme vidente par elle-mme; nous devons donc examinerd'abord leurs raisons qui, si elles taient fondes, nous dispenseraientde toute dmonstration.Une premire manire d'tablir que l'existence de Dieu est une vrit

    connue par soi consisterait montrer que nous en avons une connais-sance naturelle, le connu par soi, pris en ce sens, tant simplement cequi n'a pas besoin de dmonstration ^ Et tel serait bien le cas del'existence de Dieu si la vrit nous en tait naturellement connue

    1. Co7it. Cent., I, 10.

  • 40 LE THOMISME.

    comme celle des premiers principes. Or, Jean Damascne affirme quela connaissance de l'existence de Dieu est naturellement insre dansle cur d tout homme; l'existence de Dieu est donc chose connue parsoi'. On pourrait encore prsenter l'argument sous une autre forme etdire que, le dsir de l'homme tendant naturellement vers Dieu commevers sa dernire fin, il faut que l'existence de Dieu soit connue par soi^.

    Il n'est pas malais de reconnatre les docteurs dont saint Thomasreproduit ici l'enseignement-^. Ce sont des prdcesseurs, comme Jeande la Rochelle^, ou des contemporains, comme saint Bonaventure, selonlequel toutes les autres preuves n'ont gure que la valeur d'exercicesdialectiques. Seule la connaissance intime que nous avons de l'existencede Dieu peut nous en procurer la certitude vidente : Deus praesentis-simiis est ipsi animae et eo ipso cognoscibilis^ . C'est donc aux reprsen-tants de l'cole augustinienne que, sur ce point, Thomas d'Aquin vas'opposer. 11 nie d'abord purement et simplement que nous possdionsune connaissance inne de l'existence de Dieu. Ce qui est inn en nous,ce n'est pas cette connaissance, mais seulement les principes qui nouspermettront de remonter jusqu' Dieu, cause premire, en raisonnantsur ses effets^. Nous aurons la justification de cette rserve lorsque lemoment sera venu d'tudier l'origine de nos connaissances. Et si l'ondit, d'autre part, que nous connaissons Dieu naturellament, puisquenous tendons vers lui comme vers notre fin', il faut le concder en uncertain sens. Il est vrai que l'homme tend naturellement vers Dieu,puisqu'il tend vers sa batitude qui est Dieu. Cependant, nous devonsici distinguer. L'homme tend vers sa batitnde, et sa batitude est Dieu

    ;

    mais il peut tendre vers sa batitude sans savoir que Dieu est sa bati-tude. En fait, certains placent le souverain bien dans les richesses;d'autres, dans le plaisir. C'est donc d'une faon tout fait confuse quenous tendons naturellement vers 3ieu et que nous le connaissons.Connatre qu'un homme vient n'est pas connatre Pierre, quoique ce

    1. Sum. IheuL, I, 2, 1, ad 1.2. Cont. Genl., I, 10.

    3. Pour la dtermination des adversaires auxquels saint Thomas s'oppose sur la questiondes preuves de l'existence de Dieu, consulter surtout Grunwald, Geschichte der Gottexbe-weise im Miltelaller bis zum Ausgang der Hochscholaslik, Munster, 1907; Cl. Baeumker,Witelo, ein Philosoph V7id Natnrforscher des XIII. JahrhundeHs, Miinsler, 1908. |>. 286-338.

    4. Voir Manser, Johann von RupelUi, Jahrb. f. Phil. u. spek. Theol., 1911, Bd. XXVI,H. 3, p. 304.

    5. Bonav., De mysterio Trinitalis, qaaesl., disp., IX, 1", conci. 10. Voir d'autres textes

    dans G. Palhoris, Saint Bonaventure, Paris, 1913, p. 78-84.6. De Veril., qu. X, art. 12, ad l"".7. Cf. saint Augustin, De tib. arbitr., 1. II, c. 9, n" 26; P. L., t. XXXII. col. 1254.

  • l'vidence prtendue de l'existence de dieu. 41

    soit Pierre qui vienne: de mme, connatre qu'il y a un souverain bienn'est pas connatre Dieu, quoique Dieu soit le souverain bien*.

    Aprs avoir cart les philosophes qui font de l'existence de Dieuune connaissance naturelle, nous rencontrons ceux qui la fondent surun raisonnement immdiatement vident, c'est--dire sur une simpleapplication du principe de non-contradiction. Tels sont tous les doc-teurs qui argumentent partir de l'ide de vrit. Il est connu par soi,nous dit-on, que la vrit existe, parce que nier que la vrit existe,c'est le concder. Si, en effet, la vrit n'existe pas, il est vrai que lavrit n'existe pas; mais s'il y a quelque chose de vrai, il faut que lavrit existe. Or, Dieu est la vrit mme, selon Jean : E^o sii/n ia,verilas et vita. Donc, il est connu par soi . 07-98.

  • 42 LE THOMISME.

    non-tre peut offrir matire vrit aussi bien que l'tre, puisqu'onpent dire vrai sur le non-tre comme sur l'tre. D'o il suit qu' un telmoment il y aurait eu matire vrit, mais non pas vrit. On peutdonc penser que la vrit n'a pas toujours exist. Ce n'est point par unetelle voie que nous pourrons nous lever jusqu' Dieu.Une autre voie, cependant, nous demeure ouverte. Les vrits sont

    dites connues par soi lorsqu'il suffit, pour les connatre, d'en com-prendre les termes. Si je comprends, par exemple, ce qu'est le tout etce qu'est la partie, je connais aussitt que le tout est plus grand que lapartie. Or, cette vrit que Dieu est rentre dans les vrits de cet ordre.Par le mot Dieu, en effet, nous entendons quelque chose de tel qu'onne puisse rien concevoir de plus grand. Mais ce qui existe la foisdans notre entendement et en ralit est plus grand que ce qui existedans notre entendement seul. Puis donc que, lorsque nous compre-nons ce mot : Dieu, nous en formons l'ide dans notre entendement, etqu'ainsi Dieu y existe, il s'ensuit par l mme que Dieu existe encoreen ralit. Donc, il est connu par soi que Dieu existe i. On a reconnul'argument de saint Anselme ; Alexandre de Hals paraissait l'avoirrepris son compte'^ et saint Bonaventure le dfendait encore contre lesobjections de Gaunilon-^. Ce sont donc les tenants de la philosophieaugustinienne qui vont, de nouveau, se trouver viss. Cette dmonstra-tion, si nous en croyons Thomas d'Aquin, prsente, en effet, deux vicesprincipaux.

    Le premier est de supposer que par ce terme : Dieu, tout hommeentend ncessairement dsigner un tre tel qu'on n'en puisse concevoirde plus grand. Or, beaucoup d'anciens ont considr que notre universtait Dieu et, "parmi toutes les interprtations de ce nom que nousdonne Jean Damascne, on n'en trouve aucune qui revienne cettedfinition. Autant d'esprits pour lesquels l'existence de Dieu ne sauraittre vidente a priori. En second lieu, /et mme tant accord que parle mot : Dieu, tout le monde entend un tre tel qu'on ne puisse en con-cevoir de plus grand, l'existence relle d'un tel tre n'en dcouleraitpas ncessairement. Lorsque nous comprenons par notre entendementle sens de ce mot, il n'en rsulte pas que Dieu existe, si ce n'est dansnotre entendement. L'existence ncessaire qui appartient l'tre telqu'on n'en puisse concevoir de plus grand n'est donc ncessaire quedans notre entendement et une fois la dfinition prcdente pose ; mais

    1. Sum. iheoL, 1, 2, 1, ad S"'; Coiit. Cent., 1, 10.2. Voir Grunwald, op. cil., p. 98-100.3. Sent., 1, dist. III, p. 1, qu. 1, concl. 6.

  • l'vidence prtendue de l'existence de dieu. 43

    il ne s ensuit nullement que cet tre conu possde une existence de faitet en ralit. Il n'y a donc rien de contradictoire poser que Dieun'existe pas. Tant qu'on n'a pas concd l'existence relle d'un tre telqu'on n'en puisse concevoir de plus grand, on peuttoujours concevoirun tre plus grand qu'un tre quelconque donn soit dans l'entende-ment, soit dans la ralit'. Mais comme, par hypothse, l'adversaire ennie l'existence, il nous est impossible, en suivant cette voie, de le con-traindre nous l'accotder.

    T/attitude adopte par Thomas d'Aquin en prsence de toutes lespreuves n priori cal particulirement significative; elle ne nous instruitpeut-tre que mdiocrement sur les intentions de leurs auteurs, maiselle claire vivement la conception thomiste de la preuve et nous ren-seigne sur les conditions ((ul, selon saint Thomas, sont requises pourtoute (lnionstiation valable de l'existence de Dieu. Remarquons d'abordque tous les raisonnements critiqus par notre docteur sont prsentscomme aboutissant la mme conclusion : l'existence de )ieu est unevrit connue par soi, c'est--dire une vrit qui ne requiert aucune

    dmonstration proprement dite. On conoit la possibilit d'interprteren ce sens l'aHirmation d'une connaissance inne de l'existence de Dieu.Chez un saint lionaventure, par exemple, elle ne se prsente pas tantcomnu' une preuve que comme la conlirmation dernire de toutes lespreuves; elle ajoute la certitude intime la conviction logique que lesargumentations ont engendre en nous. Mais la dmonstration prise del'ide de vrit et celle de saint Anselme se prsentent, au contraire,comme des dmonstrations proprement dites, suffisantes elles seulespour contraindre l'assentiment. Quelle raison saint Thomas peut-ilavoir de leur refuser ce caractre? C'est ju'il interprte, d'un point devue thomiste, des preuves formules d'un point de vue augustinien.Au fond des trois argumentations que nous avons rapportes se trouve

    une conception de la connaissance intellectuelle (jue saint Thomas nesaurait accepter. Le postulat sur lecpiel elles reposent est

  • 44 LE THOMISME.

    nous dcouvrons un postulat tout fait oppos, savoir (|ue toutes nosconnaissances tirent leur origine de l'intuition sensible. L'tre que

    nous atteignons directement, c'est l'ide ralise dans la matire; oncommet donc un sophisme lorsqu'on veut nous prouver que l'tre mmeque nous atteignons n'est autre que Dieu. Ainsi vide de son contenu

    raliste, la dialectique de saint Anselme cesse d'tre l'analyse d'uneessence pour devenir l'analyse d'une simple notion abstraite. Le seulproblme qui se pose alors est celui de savoir si notre notion de Dieuou de la vrit est telle qu'elle nous permette de dcouvrir le lien (jui,en 3ieu mme, unit ncessairement l'essence et l'existence. Or, selonThomas d'Aquin, elle ne l'est pas et ne peut pas l'tre.

    Admettre qu'une telle connaissance de Dieu soit, ici-bas, accessible l'homme, c'est supposer que notre raison est naturellement apte atteindre ce qui, de soi, est purement intelligible; que, d'ailleurs, plusun objet est intelligible en soi, plus il doit l'ti'e pour nous. Bonaven-ture crivait en ce sens que si les montagnes pouvaient nous donner laforce de les porter, nous porterions les hautes plus aisment que lespetites 1. Mais il y a l une illusion; l'analyse de nos facults de con-natre montre que l'apprhension du pur intelligible est impossiblepour l'tre la fois corporel et spirituel que nous sommes. L'objet quipossde en soi le plus haut degr d'intelligibilit, et c'est le cas de Dieu,puisqu'en lui l'essence et l'existence se confondent, peut donc nousdemeurer perptuellement prsent sans que nous l'apercevions jamais.Il y a disproportion', inadaptation entre notre entendement accord ausensible et un tel objet; ainsi l'il du hibou ne peut apercevoir le soleil.Que faudrait-il donc pour que l'existence de Dieu nous appart commevidente de soi? Il faudrait que, dlivrs du corps, nous puissions appr-hender ce pur intelligible qu'est son essence; nous dcouvririons aussi-tt (jue l'existence y est ncessairement inclue. Ainsi, lors([ue nouspourrons contempler l'essence de Dieu dans la vie bienheureuse, sonexistence nous sera connue par soi bien plus videmment que ne l'estactuellement pour nous le principe de non-contradiction"^.

    L'existence de Dieu n'est donc pas une vrit vidente; ceux qui lepensent sont induits en erreur par la longue habitude qu ils ont de \croire que Dieu existe, et aussi par cette illusion bien naturelle qui leurfait considrer une vrit vidente en soi comme vidente aussi pournous "^ Mais s'ensuit-il, comme d'autres l'ont pens, ([ue l'existence de

    1. Seul., I, disl. I, art. 3, ([ii. 1, ad l"'.2. Cont. GeiiL, 1, Il ; De Verit., X, 12, ad Hesp.3. ConL GeiiL, I, 11; Sum. theoL, I, 2, 1, ad Res/).

  • l'kvidexce prtendue de l'existence de dieu. 45

    3ieii soit une vrit indmontrable? Maimonide connaissait dj de cesesprits religieux qui, jugeant que cette vrit n'est ni vidente nidmontrable, prtendaient ne la tenir que de la foi'. Sans doute, cetteattitude excessive n'est pas sans excuses. Les dmonstrations de l'exis-tence de Dieu que roii entend proposer sont parfois si faibles qu'ellesincitent douter qu'il puisse en exister de bonnes. D'autre part, lesphilosophes dmontrent qu'en Dieu l'essence et l'existence se con-fondent: que, par consquent, connatre son existence revient con-natre son essence. Mais son essence nous demeure inconnaissable; ilen serait donc de mme pour son existence. Enfin, s'il est vrai, commenous l'avons suggr, que les principes de la dmonstration tirent leurorigine de la connaissance sensible, ne s'ensuit-il pas que tout ce quiexcde le sens et le sensible chappe la dmonstration 2? Mais nous.sommes assurs du contraire par la parole de l'Aptre : Invisihilia Deiper en (jnae fada snnt inlellecta conspiciuntur^. On ne saurait contes-ter, la vrit, qu'en Dieu l'essence se confonde avec l'existence. Maiscela doit s'entendre de l'existence par laquelle Dieu subsiste ternelle-ment en soi-mme; non point de cette existence laquelle s'lve notrepense finie lorsque, par voie dmonstrative, elle tablit que Dieu est.Nous pouvons donc, sans atteindre l'essence de Dieu ni la plnituded'tre inliiiie

  • CHAPITRE IV.

    Premire preuve de l'existence de Dieu.

    Les preuves thomistes de l'existence de Dieu se trouvent formulesdans la Somme thologique et dans la Somme contre les Gentils'. Dansles deux Sommes, les dmonstrations sont, en substance, les mmes;mais le mode d'exposition en est quelque peu diffrent. D'une faongnrale, les preuves de la Somme thologique se prsentent sous uneforme trs succincte et simplifie (n'oublions pas qu'elle s'adresse auxdbutants, Sum. theol. ptolog.); elles abordent aussi le problme sousson aspect le plus mtaphysique. Dans la Somme contre les Gentils,les dmonstrations philosophiques sont, au contraire, minutieusementdveloppes; on peut ajouter qu'elles abordent le problme sous unaspect plus physique et qu'elles font plus frquemment appel l'exp-rience sensible. Nous considrerons successivement chaque preuve sousl'un et l'autre de ses deux exposs.Encore que, selon Thomas d'Aquin, les cinq dmonstrations qu'il

    apporte de l'existence de Dieu soient toutes concluantes, elles ne pr-sentent pas toutes ses yeux le mme caractre d'vidence. Celle quise fonde sur la considration du mouvement l'emporte, ce point devue, sur les quatre autres^. C'est pourquoi saint Thomas s'attache a||l'claircir compltement et veut en dmontrer jusqu'aux moindres pro-^positions.

    L'origine premire de la dmonstration se trouve dans Aristote-^: elledemeura naturellement ignore aussi longtemps que la physique aris-totlicienne elle-mme, c'est--dire jusque vers la fin du xii^ sicle. Si

    1. Un opuscule commode est : E. Krebs, Scholaxlische Texte. I. Thomas von Aqiii.Texte zum Gottesbeweis, ausgewhlt und chronologisch geordnet, Bonn, 1912. Les textesdes diverses preuves thomistes y sont rassembls par ordre chronologique. mm

    2. Sum. theol., I, 2, 3, ad Resp. ^3. Phys., VIII, 5, 311 a, i et suiv.; Metaph., XII, 6, 1071 6, 3 et suiv. Voir, sur ce point,

    E. Rolfes, Die Gottesbeweise bei Thomas von Aquin und Aristoteles, Koln, 1898.

  • PREMIERE PREUVE DE L EXiSENCE DE DIEU. 47

    l'on considre comme caractristiqne de cette preuve le fait qu'elle, prend son point de dpart dans la considrati