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490 COÏMCI—LJS I OINJ Cette recherche s'est organisée en auatre temps au cours desauels nous nous sommes'ef-forcé de mettre en évidence les enjeux psychiques de l'emprise. Nous avons d'abord essaye de faire le point sur la littérature consacrée directement ou indirectement à la question de l'emprise. En accordant une place spécifique aux travaux de I.HERMANN et J.BQWLBY nous avons voulu marquer l'enjeu épistémologique de cette problématique. Le relatif désintérêt des psychanalystes pour la question se double en effet d'une incertitude théorique. Ni I.HERMANN ni J.BOWLBY ne développent explicitement la notion d'emprise mais nous défendons l'idée que l'instinct de cramponnement et les conduites d'attachement sont directement dérivées du travail de l'emprise. P.FEDERN désigne. à travers le concept de frontières du moi, un mode d'organisation topique et économique déployé à partir des processus anpropriatifs. L'hypothèse des frontières du moi autorise en effet l'abord de la question des appartenances et des possessions. L'emprise est l'oeuvre dans l'appropriation transitive et réfléchie mais aussi et surtout dans le travail d'auto-appropriation représentatif. Elle forme le vecteur de la subjectivation. En d'autres termes, cramponnement. attachement et frontières du moi constituent les thèmes par lesquels l'emprise a été occultée dans la théorie analvtiaue.

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COÏMCI—LJS I OINJ

Cette recherche s'est organisée en auatretemps au cours desauels nous nous sommes'ef-forcéde mettre en évidence les enjeux psychiques del'emprise.

Nous avons d'abord essaye de faire le pointsur la littérature consacrée directement ouindirectement à la question de l'emprise. Enaccordant une place spécifique aux travaux deI.HERMANN et J.BQWLBY nous avons voulu marquerl'enjeu épistémologique de cette problématique.Le relatif désintérêt des psychanalystes pour laquestion se double en effet d'une incertitudethéorique.

Ni I.HERMANN ni J.BOWLBY ne développentexplicitement la notion d'emprise mais nousdéfendons l'idée que l'instinct de cramponnementet les conduites d'attachement sont directementdérivées du travail de l'emprise.

P.FEDERN désigne. à travers le concept defrontières du moi, un mode d'organisationtopique et économique déployé à partir desprocessus anpropriatifs. L'hypothèse desfrontières du moi autorise en effet l'abord dela question des appartenances et despossessions. L'emprise est 'à l'oeuvre dansl'appropriation transitive et réfléchie maisaussi et surtout dans le travaild'auto-appropriation représentatif. Elle formele vecteur de la subjectivation.

En d'autres termes, cramponnement.attachement et frontières du moi constituent lesthèmes par lesquels l'emprise a été occultéedans la théorie analvtiaue.

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I.HENDRICK est le or-emie-r .an.aly.ste àinterroger directement l'emorise dans uneperspective non pathologique mais ses travauxn'ont pas eu, à. notre connaissance. deprolongement direct.

En -focalisant notre attention sur lalittérature de langue française. nous avonsobservé un relatif désintérêt des chercheursjusqu'au début des années quatre-vingt. Mais enregardant les textes d'assez près on s'aperçoitque certains travaux interrogent l'emprise sansla nommer. Les recherches de P.MARTY et M.FAIN(1955) ou de F.LUQUET (1962) -formentd'importantes contributions à l'élaboration decette question dans la théorie psychanalytique.L'emprise est en jeu de manière centrale dansles relations d'objet et le processusidentificatoire.

R.DOREY montre, dès 1981, que les relationsd'emprise ont pour but l'annulation de toutedi-fferen.ee et la mise en oeuvre d'une forme deparasitage psychique. Toute une série derecherches envisagent l'emprise dans sonarticulation avec l'idée d'un deuil impossibleou d'une perte irreorésentable. En proposant lamise en travail du couple "emprise-maîtrise"R. DOREY ouvre la voie à. des approches centréessur les destins de l'emprise.

Les travaux respectifs de G.MENDEL etR.ROUSSILLQN oeuvrent, dans leur champ propre,dans cette direction. Que l'emprise soitdésignée comme "acteDouvoir" ou connectée aumédium malléable. sa fonction de "formant"psychique est désormais envisagée.

L'emprise est en lien avec l'altérité et ledeuil, Mais ce "déni" possède un caractèrepassionnel qui nous oriente du côté de l'originedu sujet. L'emprise serait un écho du "big bang"psychique.

La mise en oeuvre du couple"emprise-maîtrise" avancée par R.DOREY autorisel'hypothèse d'un travail de l'emprise dont les

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•fonctions psychiques couvrent des champsmultiples : .identification, savoir, création.

Il est possible. dans ces conditions, des'étonner du peu. de place accordé è. l'emprisejusqu'à ces dernières années. Trois facteurssemblent combinés pour rendre compte de cette

Le premier, connecté à l'ensemble destravaux consacrés aux nourrissons, prend encompte l'impact des recherches de J.BOWLBY. Lanotion d'attachement supplante en effet leconcept d'emprise. Mais la perspective deJ.BOWLBY se situe résolument en dehors de toutemétapsychologie. J.BOWLBY ne dit rien del'emprise et construit son système sur le flourelatif à ses enjeux théoriques.

Le second facteur est lié à la placecomplexe du concept dans 1 ' oeuvre,,de FREUD. Onpeut en effet repérer plusieurs,^ théoriesexplicites ou implicites difficiles à cerner età situer dans l'un ou l'autre des dualismespulsionnels.

Le troisième facteur, envisagé dès 1981 parR.DOREY, concerne l'histoire de la techniquepsychanalytique. Nous formons l'hypothèse que leconcept d'emprise, figure, au niveau théorique,la "mémoire" des pratiques suggestives ethypnotiques.

Nous essayons de cerner le destin duconcept d'emprise chez FREUD dans la deuxièmepartie.

Plusieurs positions explicitement variablessont repérables entre 1905 et 1929. Dès les"Trois essais" FREUD avance deux conceptions quenous désignons comme "emprise secondairementsexualisée" et "emprise sexuelle". Il propose enmême temps le concept d'anastomose qui supposeune fusion des différents courants en jeu :pulsions partielles arrimées à l'objet etautoérotismes d'une part, motions "cruelles" etmotions sexuelles d'autre part. Nous supposonsque l'emprise est d'emblée en lien avec ce que

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FREUD désigne comme cannibalisme dans leprocessus de découverte de l'objet» En d'autrestermes l'emprise est relative à la "naissancepsychique" et au processus de di-fférenciation.Cette perspective, qui accorde à l'emprise une•fonction centrale dans le développementpsychique, semble passer au. second plan dans lesrecherches ultérieures.

Nous observons toutefois son étroiteconnexion avec le champ du "savoir". Les textesintermédiaires de la période 1905-1915développent la question de l'emprise dans desdimensions variées. L'article de 1911 sur lesdeux principes présente, de ce point de vue,l'éventail des destins de 1'-emprise. L'idée decramponnement. explicitement avancée dès 1905 etreprise en 1911. problématise la question del'appareillage de l'emprise et de ses destinspsychiques tels qu'ils seront développés en 1923et 1926.

Une deuxième conception de l'emprise estrepérable è partir de 1913 et 1915 en lien avecle stade sadique-anal. Présentée comme une"poussée" contemporaine de l'analité l'empriseest un mouvement possessi-f. C'est dans cetteligne que la notion est introduite parB.GRUNBERGER. FREUD mentionne également les"services auxiliaires importants" et lesconnexions avec la sublimation. Cette fonctionnous permet d'une part de développer l'idéed'anastomose avancée en 1905 en proposant unprocessus d'auto-saisie équivalent à1'autoérotisme, et d'avancer d'autre partl'hypothèse d'un travail de l'emprise.

L'emprise apparaît donc doublementvectorisée vers le dedans et vers le dehors. Lestextes de 1907 et 1910 sur les théoriessexuelles et Léonard de VINCI, combinés à ceuxde 1915 et 1917 sur les névroses de transfert etle deuil offrent. de plus. l'occasiond'interroger l'emprise en lien avec la. notion deperte. L'emprise formerait la trace d'une perteoriginelle. Elle .-louerait un rôle important dansle travail de deuil et serait à l'oeuvre sousforme d'auta-emprise "folle" ou de "triomphe"

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dans le processus mélancolique.

FREUD bouleverse la théorie et avance laconnexion étroite entre emprise et pulsion demort en 1920. Mais "Au-delà du orincipe deplaisir" se présente aussi comme modèleparadigmatique du travail de l'emprise. Cettedouble lecture du tournant de 1920 rend comptedes travaux ultérieurs relatifs à l'emprise.

La connexion emprise-pulsion de mort estconstamment affirmée mais on observe la mise enoeuvre d'un appareillage psychique. Cettehypothèse permet d'avancer un certain nombred'arguments susceptibles de rendre compte dutraitement "latent" de la question de l'emprise.La question "traumatique" est en effet au centredu travail de l'emprise : traumatisme de laperte, de la séparation, comme dégagement del'emprise du maternel. Cette perte forme parailleurs le creuset de l'organisation psychiqueet les travaux de la période 1921-1938 semblentmaintenir, en dialectique avec la connexionemprise-pulsion de mort, une visée relative àl'objet maternel.

Les travaux de FREUD soutiennent doncl'hypothèse d'une pluralité de destinspsychiques de l'emprise et sa mise en travail auservice du principe de plaisir. Cetteperspective suppose une interrogation sur lapulsiannalité de l'emprise.

Nous abordons la question dans la troisièmepartie. En nous plaçant résolument dans la lignede 1915 nous formons l'hypothèse que l'emprisereprésente le facteur poussée de la pulsion.Elle ne désigne pas une pulsion en tant quetelle mais conditionne la réalisation du butpulsionnel. L'emprise constitue, de ce point devue, une ver i tab1e entrepr i se psych i que.

Nous proposons la mise en oeuvre du travaild'emprise sur deux plans conjoints. Emprisetransformatrice et emprise introjective.L'emprise transformatrice a pour tâ'che detransformer l'environnement de façon à réunirles conditions de la satisfaction. L'emprise

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introjective sous-tend le processusidenti -fi cataire.

L'emprise s'exerce en relation avec ladouble butée de l'objet. La première butée estrelative à l'expérience de satisfaction. Laseconde est celle d'une forme de "résistance",alliant. compacité et "refusement". Ladialectique entre le travail d'emprise et ladouble butée de l'objet organise la bouclerétroactive initiale susceptible de rendrecompte, ultérieurement. d'un certain nombre depathologies du travail d'emprise. Nous proposonsplusieurs illustrations cliniques de cesphénomènes.

La place spécifique du concept dans lathéorie psychanalytique est traitée dans unchapitre relatif d'une part à l'histoire despratiques et d'autre part au dispositif de lacure..

La dernière partie est centrée précisémentsur le travail de l'emprise et ses destins. Lalecture du premier conte publié par Guy deMAUPASSANT est l'occasion de montrer commentl'emprise organise à la fois l'appareillagepsychique et le travail d'écriture. Le texte deMAUF'ASSANT se présente comme le compte renduclinique d'une expérience de dépersonnalisation.En observant l'échec du travail d'emprise dansses fonctions de saisie et de transformation endirection de l'objet maternel nous proposonsquelques hypothèses sur le rSle joué par1'héautoscopie tant dans la vie de l'écrivainque dans son oeuvre. Ce trouble spécifique estinterprété comme une forme d'échec du. travaild'emprise introjective.

Essayons de résumer les différents facteursrencontrés au cours de cette recherche.

Nous avons proposé quatre pôles pourorganiser notre réflexion ; pratique analytique,originaire, théorie et travail. Ces "carrefours"relèvent de niveaux différents mais ilsdessinent et jalonnent la question de l'emprise.

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Commençons par la pratique. L'histoire dela psychanalyse, telle que nous l'avonsrapidement tracée à. travers les textes de FREUD,met au premier plan un renversement et unenfouissement. Les pratiques de la suggestionpuis de l'hypnose migrent et se diluent dans ledispositif de la séance d'analyse. Le regard, lamain et la bouche du praticien organisentmétaphoriquement le cadre. La. main ne toucheplus mais se déploie "dans" le divan qui porteet les murs qui contiennent. Le regard sedéplace dans une attention -flottante qui ne fixeplus mais accomode souplement. La bouche n'émetplus d'ordre. La règle fondamentale» même nonédictée explicitement. appartient désormais aucadre. Tout se passe comme si l'appareild'emprise du thérapeute, directement sollicitédans les pratiques de suggestion ou d'hypnose.se transformait d'appareil è. influencer enappareil à contenir et à interpréter. Cettesorte de dérivation implique 1'indécidabi11 té ducadre qui est autant celui de l'analyse que de1'analyste.

L'effet le plus marquant consiste, du côtédu patient, en une déflexion d'emprise. Ledipositif divan-fauteuil produit une tentativede saisie particulière de l'analyste par lepatient. L'objet dérobé de face entraîne unedépression d'emprise expérimentale. Ledésaisissement induit alors un double mouvement.Le cadre, le décor et les éléments concretsinvariants qui représentent les appartenances del'analyste sont investis. Au plan arrière lemouvement transfèrentiel qui recevra une réponseinterprétative, cherche à transformer et saisirl'analyste dans une sorte d'emprise autorisée etinduite par le cadre.

Le transfert, entendu ici comme travaild'emprise transformatrice et introjective. meten oeuvre les traces mnésiques de lasatisfaction et les représentations d'objets.Tout se passe comme si le patient cherchaitalors à saisir, à travers l'analyste en positiond'inconnu. arrière. ce qui lui fait défautau-dedans de sa réalité psychique.

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Certaines configurations n'autorisent pasla mise en travail de l'emprise étayée sur cedisposi ti-f. Le -face à face maintient l'objetd'emprise frontal et la réponse. strictementverbale dans le dispositif classique, engagedésormais les mimiques et les gestes del'analyste. Ces situations, comme celles quirelèvent du psychodrame psychanalytique, mettentau premier pian une difficulté relative à laboucle entre travail d'emprise et trace del'expérience de satisfaction.

On peut envisager certaines organisationspsychopathe!agiques comme l'anorexie mentale oules psychoses infantiles sous l'angle d'unefaillite du travail de l'emprise transformatriceet introjective en lien avec la double butée del'objet. Les discussions relatives au cadre etparticulièment à la durée de la séancepourraient également inclure la notion d'emprisenécessaire au travail psychanalytique.

L'incertitude relative du concept d'empriseau niveau, théorique relève de deux niveauxd'analyse.

Le premier, directement lié à. la pratiquepsychanalytique, suppose que l'emprise forme unetrace ou un reste des pratiques hypnotiques etde suggestion. Associée à la domination et àl'influence l'emprise formerait une sorte denoyau dur de la pratique psychanalytique, saface cachée ou sa zone d'ombre.

La place complexe de l'emprise dans lathéorie pschanalytique relève aussi d'un autrepoint de vue. Elle est le plus souvent définiecomme un avatar de la pulsion de mort. Eninterrogeant la façon dont elle est introduiteen 1920 il semble possible de problématiser leconcept de pulsion de mort à partir de 1'impenséthéorique de l'emprise. Tout se passe comme sil'incertitude relative à la place de l'emprisedébouchait sur une "fixation" dans et par lapulsion de mort. Proposer, à la suite deR.BARANDE, que la représentation de la mortvient contre-investir, au plan théorique, un

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voeu matricidaire et incestueux. constitue unepremière approche mais n'est sans doute passuffisant. Il est nécessaire d'interrogerl'emprise elle-même, ses conditions d'émergenceet ses destins psychiques, à partir des tracesmnésiques de la satisfaction.

Si on essaie d'aller au-delà descontingences personnelles relatives à l'histoirede FREUD, on ne peut qu'être frappé par le faitque le concept de pulsion de mort prendnaissance, en 1919 et 1920, sous l'emprise dumaternel. Quand on examine rapidement les deuxdualismes pulsionnels on remarque quel'introduction des pulsions d'auto—conservationfait une sorte d'avant-coup, d-ès 1905, àl'arrivée du concept de pulsion de mort. Ilsemble qu'on puisse soutenir que c'est fauted'avoir suffisamment considéré l'emprise dans sacomposante de poussée et d'actualisation quel'infléchissement de 1920 est possible.

Dans cette perspective 11 est passible derepérer dans l'oeuvre de FREUD un certain nombrede constantes relatives è "l'émergence" del'objet qui font directement ou. indirectementréférence aux relations précoces.

Cette voie nous amène à proposer desformulations qui se rapprochent des travauxkleiniens mais étayées sur la prise en compte del'emprise. On peut se demander si les fantasmesde destruction du sein ou l'envie ne sont pasformulables dans les termes de l'emprisetransformatrice et introjective. La notiond'appareil d'emprise introduite par FREUD dès1905 formerait la base d'une approche spécifiquedes premiers développements. Cette perspectivenous rapprocherait des vues de P.AULAGNIER sur1'objet-zone complémentaire. Ces hypothèses nesont qu'esquissées et mériteraient uneinvestigation spécifique. Elles étayent lanécessaire problématisation de l'emprise en luidonnant la place théorique qui lui revient.

Cette place tient aux deux derniers pôlesque nous avons examinés : le travail et1'oriqinaire.

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En proposant l'hypothèse d'un travail del'emprise nous n'avons -fait que reprendre lesindications explicites ou. implicites de FREUD.

Plusieurs éléments viennent à l'appui decette position. Le fait. d'abord, que FREUDintroduit l'emprise en 1905 en l'accolant avecun appareil. Ce terme est toujours, chez lui,connecté à l'idée de travail. L'incertitude,ensuite, relative à la pulsion d'emprise, placéetantôt du côté de l'auto-conservation et tantStdu. sexuel partiel, indique que l'emprise est àl'oeuvre aussi bien dans la relation d'objetexterne que dans la constitution de l'objetinterne. En assurant les conditions objectivesde la satis-f action et en "appareillant" lapsyché, l'emprise effectue un double travailtransformatif et introjectif. Elle qualifie unensemble vectorisé, voir, savoir et cruauté,susceptible de transformations dans le cours dudéveloppement.

En supposant que l'emprise constitue lanécessaire réalisation de l'expérience desatisfaction nous lui retirons son caractèrepulsionnel. L'emprise qualifie la poussée et lamise en oeuvre de la satisfaction. La question,dès lors, ne se pose plus de savoir si l'empriserelève de tel ou tel mode pulsionnel. Si l'on seréfère à la définition donnée par FREUD en 1915le but de la pulsion est toujours lasatisfaction c'est-à-dire l'apaisement. La tâ'chede l'emprise consiste à trouver l'objet enconsonance avec les traces mnésiques.

L'entreprise psychique qu'est l'emprisesuppose nécessairement une saisie, uneimmobilisation et une transformation del'environnement. Les transferts d'investissement"en emprise" peuvent rendre compte des processusde sublimation : les moyens sont investis auxdépens de l'objet.

Les destins psychiques de l'emprisecouvrent l'ensemble des secteursd'investissement, de l'apprentissage à lacréation. Ces destins, nous l'avons vu avec G.

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de MAUPASSANT, sont porteurs des traces, et desratés, des conditions de satisfaction premières.En proposant, à la suite de J.BUILLAUMIN, l'idéed'un opérateur négatif nous avons essayé demontrer que le travail d'emprise estinachevable. Il se donne à lui-même ses objetssous forme de projets à cerner. investiguer oucréer. Le reste ou la trace du non-mère, dans laperspective de C.LE GUEN, ou l'opérateurnégatif, dans la ligne de J.GUILLAUMIN. formentles "objets" de l'emprise. Ce sont des objets àréduire, à contrôler et à introjecter pourreprendre l'expression de S.FERENCZI.

Le médium malléable, tel que R.ROUSSILLQNle définit, forme l'objet paradygmatique dutravail de l'emprise transformatrice etintrojective. Il peut être envisagé comme objetbuté(e) dans tous les sens du terme, objetdéplacé et décalé qui échappe à l'emprise dumaternel dans la ligne de F.PASCHE.

Le jeu de la bobine, modèle princeps dutravail de l'emprise, peut alors se développer,à partir de ses précanditions nécessaires, enune série de boucles élaborâtives qui trouventleur point d'achoppement ou de butée dansl'expérience de miroir. Le déploiement desobjets de l'emprise "bien tempérée" supposealors un support frontal. un projet dont la"dé-saisie", dans le dispositif analytique pat-exemple, est tolérée.

La mise en travail de l'altérité, de cettepartie du moi qui lui échappe, nous amène audernier pôle.

La butée originaire douloureuse dépasse enintensité et en profondeur toutes les douleurssuscitées par les séparations et les deuilsultérieurs. L'emprise, comme "formant" de lapulsion, selon l'expression de P.DENIS, estfondamentalement marquée par la perte. Le coupleemprise-perte constitue un destin, au sensclassique du "fatum".

La déchirure primordiale, qui n'estréductible ni au "traumatisme de la naissance"

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ni au développement psychogénétique del'autonomie. est inscrite au. coeur même del'investissement. Ce noyau de perte formel'ombilic que l'emprise, inlassablement et partous les moyens. tente de combler. Elle est lapoussée pulsionnelle qui tend à l'abolition detoute al terité et au. retour dans le seinmaternel. Hais cette forme de "retour", au sensde J.GILLÏBERT, se présente comme un "aller". Enprojetant ses objets devant elle l'emprise viseun objet frontal passé et perdu. Porteuse destraces de sa propre satisfaction l'emprise estfondamentalement une emprise de vie. Enrecherche avide de son passé manqué elle seprésente comme une machine folle.

Parvenu au terme de ce travail un certainnombre de problématiques restent en suspens.

Nous avons effleuré la première à traversla question des auto-érotismes. Deux voiesd'approche semblent possibles pour aborder laquestion du narcissisme originaire. L'unedéplace la notion de narcissisme primaire endirection du. couple dissymétrique mère—enfant.Cette piste. ouverte par FREUD en 1911. sedéveloppe à travers les notions d'identitéprimaire proposée par P.LUQUET etd'homosexualité primaire avancée parE.KESTEMBERB. L'autre voie parcourt les travauxde D.W.WINNICOTT et peut être formulée comme"narcissisme primaire subjectif". Mais c'estdavantage la question du narcissisme secondaire,pris à l'objet. qu'interrogé la notiond'emprise.

Il serait intéressant. à partir de là, derepérer les rôles précis du. travail d'emprise etde la double butée de l'objet. Nous avonssupposé que, dans l'autisme infantile, l'emprisetransformatrice et introjective échoueradicalement dans son travail à l'égard del'objet. La forme d'emprise "auto-centrée" quien découle, proche de ce que C. et S.BDTELLAdésignent comme autoérotismes primaires, seraità interroger dans son devenir et ses destins.Nous pensons en particulier aux approches deD.MELTZER ou G.HAAG et aux formes d'évolution

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d'allure obsessionnelle de certains enfants"sortis" de l'autisme. Dans la même ligne onpourrait reprendre, beaucoup plus précisémentque nous ne l'avons fait, l'approche de P.FEDERNsur les frontières du moi en lien avec lestravaux de P.C.RACAMIER autour de la perversionnarci ssique.

Dans toutes cesinitiale entre travailde satisfaction s'avèredéfaillante. Nous proposons doncles vues de R.DOREY suremprise-maîtrise dans leproblématisation générale de la place du travaild'emprise dans les divers champsDsvchoDa.tholoaiau.es.

situations la boucled'empri se et expéri ence

profondémentde développerle couplesens d'une

'Une autre problématique concerne le travaild'emprise dans la cure. Les prooositionsavancées neapproxi mati on.d'i nterrogerl * emprise danssont peut-êtreexercées parBart i eu1ière.

constituent qu'une premièreII serait en effet nécessaire

spécifiquement les destins dedes dispositifs variés. Mais celes différentes formes d'emprisel'analyste qui méritent une étudeOn peut en effet se demander si

certaines pratiques fondées sur la dénonciationde l'emprise du cadre ne "réalisent" pasl'emprise suprême de l'analyste sur le patient.

Dans une perspective plus "historique" nousnous proposons d'interroger spécifiquement"l'invention" théorique de l'emprise en lienavec l'abandon progressif des pratiqueshypnotiques. Nous pensons pouvoir montrer, parexemple, que Dora est sous l'empriseinterprétative de FREUD et que cette relationd'emprise insuffisamment médiatisée par le cadrerend compte, en partie, de la fin prématurée dela cure.

Un dernier point, d'ordre théorique,devrait faire l'objet de réflexions ultérieures.En proposant de considérer l'emprise comme"poussée" pulsionnelle nous l'assimilons plus oumoins au "drang" freudien. Les destins de lacontrainte dans l'oeuvre de FREUD ont été

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récemment envisagés par R.KAES mais en dehors delà problématique de l'emprise. De son côté,P.DEh4IS avance l'hypothèse de deux -formantspulsionnels. l'un en emprise et l'autre ensatisfaction. Ces vues nous orientent dans troisdirections complémentaires.

La première est d'ordre théorique etconcerne l'influence directe et indirecte de lapensée de SCHOPENHAUER sur les conceptions deFREUD relatives à l'emprise. La poussée et lacontrainte. la force d'emprise et ses destinspourraient Être interrogées sous l'angle de la"volonté" et de la "représentation".

La deuxième concerne la notion de butée.Proche du. concept de "versagung" elle autoriseune approche de la conf1ictualité inhérente aupsychisme. On pourrait alors proposer un tripôleentre le "drang", la "versagung" et l'expériencede satisfaction ou "befriedigung".

La dernière piste relève de la notion de"verlust" analysée par J.BUILLAUMIN. L'emprisejoue dialectiquement avec la perte dont ellemesure les effets et forme la mémoire. Enintroduisant la notion de destin dans le titrede notre travail nous avons marqué à la fois laréférence aux destins pulsionnels envisagés parFREUD et è. l'inévitable déchirure de la pertefondatrice. C'est donc la place centrale del'expérience dépressive dans le fonctionnementpsychique qui pourrait être interrogée à partirde l'emprise et de ses destins.

L'emprise est ainsi un analyseur del'histoire du sujet et de son émergence à la viepsychique. Elle est un écho bruyant outranquille du "big bang" originaire. Connectée àla déchirure inhérente de l'être, l'emprise est,dans tous les sens du terme, l'arme de la oerte.