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L’Encéphale, 2006 ; 32 : 875-6, cahier 4 S 875 ÉDITORIAL 4 e Rencontres de Psychiatrie : les schizophrénies aujourd’hui La pathologie schizophrénique est au centre des préoccupations des psychia- tres depuis des décennies, et de très nombreuses manifestations scientifiques lui sont régulièrement consacrées. Néanmoins, les connaissances se renouvellent vite. Ainsi, l’intuition ancienne de l’importance des interactions entre gène et envi- ronnement dans l’étiopathogénie des maladies mentales vient de connaître une avancée majeure, avec le récent travail d’A. Caspi : celui-ci a démontré, avec une très forte significativité, qu’un polymorphisme du gène de la COMT est capable de moduler le risque de psychose entraîné par la consommation de cannabis. L’interprétation des données génétiques doit ainsi prendre en compte des cor- rélations complexes gène/environnement, où non seulement la vulnérabilité géné- tique augmente le risque pathologique lors de la rencontre avec un facteur envi- ronnemental, mais où le facteur génétique peut augmenter le risque de l’exposition à l’environnement à risque. C’est désormais à la lumière de ces nouvelles données que doivent être abor- dées les recherches sur les origines des troubles psychiatriques, et en particulier de la schizophrénie. Ces progrès récents viennent réactualiser d’anciennes interrogations, comme celle de l’unicité des psychoses. L’hypothèse neuro-développementale, contrainte de prendre en compte ces interactions gènes/environnement, est depuis peu som- mée d’intégrer aussi la neuroplasticité cérébrale, dont on découvre de plus en plus l’importance. Les neurosciences cognitives, naguère cantonnées au domaine de la recherche, progressent assez vite pour qu’on discerne déjà en pratique clinique leurs implications diagnostiques et même thérapeutiques. Dans le domaine thé- rapeutique encore, la dopamine reste une fertile terre d’avenir, mais des pistes novatrices, fondées sur les systèmes neurobiologiques excitateurs ou inhibiteurs ou sur des neuropeptides tout juste identifiés, laissent entrevoir la possibilité de nouveaux traitements. La recherche d’un traitement aussi précoce que possible, capable d’endiguer le cours évolutif chronique des schizophrénies, conduit aujourd’hui à envisager des interventions préventives. La question éthique de la légitimité de traitements psychotropes lourds et stigmatisants chez des sujets qui n’auraient jamais été malades est l’une des plus lourdes auxquels les psychiatres aient eu à répondre.

4e Rencontres de Psychiatrie : les schizophrénies aujourd’hui

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L’Encéphale, 2006 ;

32 :

875-6, cahier 4

S 875

ÉDITORIAL

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e

Rencontres de Psychiatrie : les schizophrénies aujourd’hui

La pathologie schizophrénique est au centre des préoccupations des psychia-tres depuis des décennies, et de très nombreuses manifestations scientifiques luisont régulièrement consacrées. Néanmoins, les connaissances se renouvellentvite.

Ainsi, l’intuition ancienne de l’importance des interactions entre gène et envi-ronnement dans l’étiopathogénie des maladies mentales vient de connaître uneavancée majeure, avec le récent travail d’A. Caspi : celui-ci a démontré, avec unetrès forte significativité, qu’un polymorphisme du gène de la COMT est capablede moduler le risque de psychose entraîné par la consommation de cannabis.

L’interprétation des données génétiques doit ainsi prendre en compte des cor-

rélations complexes

gène/environnement, où non seulement la vulnérabilité géné-tique augmente le risque pathologique lors de la rencontre avec un facteur envi-ronnemental, mais où le facteur génétique peut augmenter le risque de l’expositionà l’environnement à risque.

C’est désormais à la lumière de ces nouvelles données que doivent être abor-dées les recherches sur les origines des troubles psychiatriques, et en particulierde la schizophrénie.

Ces progrès récents viennent réactualiser d’anciennes interrogations, commecelle de l’unicité des psychoses. L’hypothèse neuro-développementale, contraintede prendre en compte ces interactions gènes/environnement, est depuis peu som-mée d’intégrer aussi la neuroplasticité cérébrale, dont on découvre de plus en plusl’importance. Les neurosciences cognitives, naguère cantonnées au domaine dela recherche, progressent assez vite pour qu’on discerne déjà en pratique cliniqueleurs implications diagnostiques et même thérapeutiques. Dans le domaine thé-rapeutique encore, la dopamine reste une fertile terre d’avenir, mais des pistesnovatrices, fondées sur les systèmes neurobiologiques excitateurs ou inhibiteursou sur des neuropeptides tout juste identifiés, laissent entrevoir la possibilité denouveaux traitements.

La recherche d’un traitement aussi précoce que possible, capable d’endiguerle cours évolutif chronique des schizophrénies, conduit aujourd’hui à envisagerdes interventions préventives. La question éthique de la légitimité de traitementspsychotropes lourds et stigmatisants chez des sujets qui n’auraient jamais étémalades est l’une des plus lourdes auxquels les psychiatres aient eu à répondre.

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Elle se pose au moment où des travaux de recherche nombreux suggèrent qu’onpourrait peut-être ainsi éviter à certains patients cette maladie, ou en limiter la gra-vité et le retentissement. Nous devrons également déterminer ce qu’il convientéthiquement de dire à un jeune sujet si on lui reconnaît une vulnérabilité génétiquemajeure à l’exposition au cannabis.

Ces questions essentielles étaient au centre des quatrièmes Rencontres dePsychiatrie, parrainées par le laboratoire Pfizer, consacrées aux troubles psycho-tiques. La qualité et la réflexion des experts qui ont contribué à ce tour d’horizonfurent remarquables. D’autres rencontres similaires seront nécessaires pourapprofondir la question toujours ouverte des troubles psychotiques et de leursabords thérapeutiques.

Professeur Henri Lôo, Docteur Christian Spadone