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Supplément à votre quotidien Sud Ouest du 6/10/18 (0420 C 86477). Ne peut être vendu séparément. 33 Rencontre à Pau avec l’ancien rugbyman Julien Pierre, très engagé dans la défense de l’environnement La région autrement 6 octobre 2018 # 340 Notre série 14-18 Ces stades au nom de poilus Garonne Dans le sillage de l’alose Le géant vert

6 octobre 2018 # Le géant vert...oncle à Sumatra, en Indonésie. Il y découvre des pay-sages qui s’impriment à vie sur sa rétine. « Des kilo-mètres de pipeline le long des

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Rencontre à Pau avec l’ancien

rugbyman Julien Pierre, très engagé

dans la défense de l’environnement

La région autrement6 octobre 2018 # 340

Notre série 14-18Ces stades au nom de poilus

GaronneDans le sillage de l’alose

Le géant

vert

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| ACTUALITÉ o Rencontre |

Julien Pierre, géant vertL’ancien rugbyman international français, installé à Pau, est aussi un citoyen très engagé dans la défense de l’environnement. Il est même le président d’un fonds de dotation qui soutient des associations aux quatre coins de la planète

Un geste de dépit, accompagné d’un soupir  :

« Tu vois, ça par exemple, ça ne sert vraiment à

rien… » Julien Pierre vient de déployer son mètre

quatre-vingt-dix-sept pour se lever de sa chaise

et balance sur la table la paille en plastique qui accompa-

gnait son verre de Perrier. Autour de lui, sur la terrasse du

restaurant qui surplombe le gave de Pau, quelques regards

appuyés ou impressionnés. Le gaillard est évidemment tout

sauf un inconnu en Béarn : il vient d’y passer trois saisons

en tant que rugbyman. En mai, il a disputé son tout dernier

match au niveau professionnel. Une retraite sportive bien

méritée après quinze ans sur les pelouses de France avec

les maillots de La Rochelle, Bourgoin, Clermont et donc Pau,

récompensés par 27 sélections en équipe de France et une

finale de Coupe du monde disputée en 2011. Une décennie

et demie passée à charbonner, à déployer des montagnes

d’énergie et de muscle au fond des mines que constituent

les mêlées et les regroupements.

Texte : Vincent Romain

Photos : Sarah Pécanté

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Mais l’engagement de Julien Pierre dépasse largement

les limites des terrains de rugby. L’homme est animé

par une conscience environnementale qui trouve sa

source dans sa plus tendre enfance. Ses quinze pre-

mières années, il les a passées dans le zoo des Sables-

d’Olonnes, dont ses parents étaient les gérants.

L’endroit avait été racheté dans les années 1970 par

son grand-père, déjà fondateur du Bioparc de Doué-la-

Fontaine, en Vendée. « Notre maison était dans le zoo.

Le matin, on était réveillés au rugissement du lion  !

C’était notre terrain de jeux. Le mercredi après-midi,

personne à l’école ne se demandait ce qu’on allait

faire : on allait au zoo. »

Le jeune Julien regarde des documentaires, lit des ar-

ticles, se sensibilise aux milieux naturels et à la cause

animale. Et l’adolescent se construit en tant qu’homme

dans cet environnement. «  Je suis quelqu’un qui ob-

serve beaucoup avant de se mettre en action et, dans

Si sa carrière de rugbyman

est terminée, « Jupi »

n’en a pas fini avec

son engagement en faveur

de l’environnement

Photo Sarah Pecanté

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Julien Pierre, géant vertL’ancien rugbyman international français, installé à Pau, est aussi un citoyen très engagé dans la défense de l’environnement. Il est même le président d’un fonds de dotation qui soutient des associations aux quatre coins de la planète

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Tu te rends compte que ça ne repoussera jamais,

que c’est terminé

ACTUALITÉ | Rencontre |

la nature, il faut être comme ça, d’abord se faire dis-cret pour ensuite être accepté. Ç’a été une merveilleuse école… »Le déclic se produit en 2009, quand il accompagne son oncle à Sumatra, en Indonésie. Il y découvre des pay-sages qui s’impriment à vie sur sa rétine. « Des kilo-mètres de pipeline le long des routes, de la forêt brûlée, de la mangrove magnifique rasée au bulldozer parce qu’on veut produire de l’huile de palme, des camions d’arbres abattus pour fabriquer du papier… Quand tu arrives là-bas, tu te dis qu’il ne reste plus grand-chose. Ça fait un choc. Ces images m’ont ouvert les yeux. Tu te rends compte que ça ne repoussera jamais, que c’est terminé. »

I 30 000 euros reversés l’an dernier

Il en revient atteint du paludisme, mais surtout habité de la conviction qu’il veut faire sa part de boulot dans la défense de l’environnement. À Clermont, où il joue depuis un an, il fait la connaissance, via son oncle, des nou-veaux propriétaires du parc animalier d’Auvergne, dont Pascal Damois, qui raconte : « Au départ, on pensait au côté rugby, on ne savait pas trop à quoi s’attendre… Mais on a vu qu’il connaissait bien son sujet, qu’il avait voyagé et découvert ce qu’étaient des projets de conser-vation et de protection des animaux. On est tombés sur quelqu’un de vraiment pointu qui savait ce qu’il voulait. On s’est retrouvés dans nos valeurs respectives. »Après quelque temps passé à échanger, à tâtonner, à affiner envies et objectifs, tous trois créent leur associa-tion, vite transformée en fonds de dotation, La Passerelle conservation, qui a pour vocation de récolter des finance-ments destinés à des programmes de sauvegarde. Julien Pierre – le président – et ses comparses choisissent les associations et les programmes qui leur tiennent à cœur, à l’autre bout du monde ou en Auvergne. Et les soutiennent à l’aide des fonds récoltés dans le parc via des parrainages et des événements divers. C’est ain-si qu’en 2017, La Passerelle a reversé 30 000 euros à des programmes portant sur la panthère des neiges en Mongolie, le panda roux du Népal, le gibbon du Laos, le kulan (un âne sauvage) au Turkménistan, les girafes au

Sa riche carrière l’aura

mené à La Rochelle,

Bourgoin, Clermont,

Pau et au XV de France

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Kenya et les lémuriens à Madagascar. « On essaie de

trouver des programmes qui, en plus de protéger des es-

pèces présentes au parc animalier, mettent des choses

en place pour aider les populations locales », précise

Julien Pierre, que ses coéquipiers surnommaient d’ail-

leurs… « Chameau ».

Son départ pour Pau en 2015 aurait pu l’éloigner de son

engagement. Internet, une assiduité téléphonique et une

implication sans faille lui ont permis d’éviter cet écueil.

« Il est très impliqué, travaille beaucoup, assure Pascal

Damois, trésorier de La Passerelle. Je connais d’autres

sportifs professionnels qui se contentent d’apposer leur

image sur une bonne cause. Julien met la sienne au ser-

vice de la démarche, mais c’est avant tout un gros bos-

seur. Malgré la distance, il est l’un des acteurs de notre

fonds au quotidien. Il remonte régulièrement, participe à

toutes les réunions de travail avec les interlocuteurs que

l’on peut avoir dans la région, il gère le recrutement des

services civiques qui travaillent au sein de notre struc-

ture, son esprit fusionne en permanence pour savoir

comment faire avancer nos projets. »

L’ancien deuxième ligne a ainsi tenu un rôle majeur dans

l’ouverture, il y a un an, de la Maison de la nature auver-

gnate, pépinière qui rassemble dans un même lieu quatre

associations naturalistes. Il y a quelques mois, il a jeté un

pont entre l’Auvergne et le Béarn, puisque La Passerelle a

aidé le Fiep (Fonds d’intervention éco-pastoral, qui milite

pour des lâchers d’ours dans les Pyrénées) à confection-

ner de nouveaux panneaux d’expositions affichés dans les

écoles. Au sujet du plantigrade, Julien Pierre n’a pas d’avis

tranché mais estime que « ses détracteurs sont beaucoup

plus bruyants, mais moins nombreux que ceux en faveur

de sa réintroduction ». « Je suis allé dans une forêt à ours,

au-dessus de Laruns, sans aucun sentier, rien. C’est ça

qu’il faut protéger. Bien sûr, le pastoralisme est important

et chaque brebis tuée est un drame. Mais des endroits

naturels sont condamnés à disparaître et des espèces

comme l’ours, mais aussi le tigre et la girafe, permettent

de les protéger et de sauvegarder le côté sauvage. »

I « Nos enfants ont la vérité »

« Jupi » (son autre surnom) étale une modestie à toute

épreuve, se défend d’être « un expert » environnemental

Tu te rends compte que ça ne repoussera jamais,

que c’est terminé

Les animaux, il connaît. L’ancien

deuxième ligne a passé les quinze

premières années de sa vie

au zoo des Sables-d’Olonnes,

où ses parents étaient gérants.

Il y revient régulièrement

Photo Archives Dominique Jullian

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Page 6: 6 octobre 2018 # Le géant vert...oncle à Sumatra, en Indonésie. Il y découvre des pay-sages qui s’impriment à vie sur sa rétine. « Des kilo-mètres de pipeline le long des

ACTUALITÉ | Rencontre |

et refuse de « donner des leçons ». « Je ne suis pas ir-

réprochable. Je ne suis pas prêt à tout sacrifier et à vivre

à la bougie dans une grotte. Mais j’essaie de faire mon

maximum, de m’informer, de comprendre ce qu’on peut

faire. » Lorsqu’on l’interroge sur ce qui le révolte au quo-

tidien, le débit s’accélère : « Quand tu achètes un truc

avec 15 emballages. Ou une orange avec un film plas-

tique autour. Ce genre de trucs m’énerve. On donne un

sac en plastique pour tout ou rien. Beaucoup de choses

sont faciles, mais si on prenait un peu le temps de les

faire ? Ne pas faire le tri, aujourd’hui, pff… J’ai déjà vu,

dans ma résidence, des gens jeter des bouteilles en verre

dans la poubelle classique alors qu’il y a un conteneur à

cinq minutes à pied. »

Ces petits constats, ajoutés à des études toujours plus

alarmantes et à la démission récente de Nicolas Hulot,

le contraignent au fatalisme  : « Cet homme engagé et

convaincu admet que tout n’est pas mis en œuvre pour

sauver la planète alors que tous les voyants sont au

rouge. C’est peut-être à nous, citoyens, de faire l’effort,

mais sommes-nous prêts  ? Je ne suis pas pessimiste

car je suis persuadé que l’homme a d’immenses res-

sources, mais je suis en même temps un peu défaitiste

car on fait comme si c’était à l’autre de changer, et pas

à soi-même… »

Julien Pierre préfère donc miser sur les générations à

venir. La Passerelle termine de mettre au point un pro-

jet pédagogique qu’elle espère déployer à partir du

printemps prochain. Il mêlera escape game, courses

d’orientation et autres jeux, en classe et en forêt, applica-

tion sur smartphone ou tablette à l’appui. « Ça me tient

vraiment à cœur. Je ne sais pas ce qu’on va laisser à nos

enfants mais ils vont faire le monde de demain. Ils ont la

vérité, à nous de leur transmettre les bons réflexes. »

Sa carrière professionnelle s’est achevée le 5 mai dernier Photo Archives David Le Déodic

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