61381505 Monstres Demons KAPPLER

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or-Du me:me auteur Bibliotheque historique Payot Le Monstre, pouvoirs de l'imposture. Essai sur Ie monstrueux au ~ siecJe, PUP,1980. Claude-Claire Kappler Guillaume de Rubrouck: Vt:ryage dans l'Empire Mongol, traduction et p commentaire, en collaboration avec Rene Kappler, Payot, 1985; Monstres, demons et merveilles ed. revue et augmentee, Imprimerie nationale, 1993, 1997. Apocalypses et voyages dans l'au-dela, ouvrage collectif avec la partici it la fin du Moyen Age pation et sous la direction de Claude-Claire Kappler, Cerf, 1987. nouvelle edition corrigee et augmentee xxx UN MONSTRE DANS LES MARGES qui la pratique. Tous clament sa necessite mais ceux - rares qui s'y vouent en paient Ie prix. A tout moment d'une vie de chercheur, et surtout quand elle commence, on est tributaire dans une certaine mesure de mots, de concepts, de modes qui constituent la doxa de l'epoque. II y a plusieurs de faire. Operer un tri et choisir ce qui est en affinite avec une sensibilite personneIle. Operer un tri en fonction de ce qui fait la meil leure recette dans un public determine. Les recettes sont variables selon Ie public vise. Ne s'occuper ni de la doxa ni des recettes: accepter , dans ce cas, les deficits eventuels, et savoir qu'on n'est pas pur pour autant. On use inevitablement, Ie plus souvent sans Ie savoir, de vocabulaire et de jugements qui reposent sur des presupposes implicites. Voire des prejuges. Cela fait partie de la fatalite de l'epoque et des limites de l'humain. Mais on peut y veiller. L'usage de certains mots est important car it donne, avant meme qu'elle ait commence, une certaine orientation ala recherche. lIs lui fournissent sa base de presupposes. Pour etudier les periodes anciennes ou les cultures etrangeres, mieux vaut utiliser les mots et les concepts qui sont les leurs. Toutefois, il est inutile de se crisper sur des questions de mots. L'essentiel est la methode, qui doit etre claire et revisable. La methode est largement conditionnee par Ie terrain de recherche et par l'objectif qu'on se fixe. L'ob;ectif est-il ideologique, polemique? Est-il seulement d'eclairer une question, de proposer, dans un contexte precis, des hypotheses plausibles? La logique du plausible est peu pratiquee. Parfois, Ie seul resultat plausible, dans une logique rationneIle, est un resultat limite. Accep tons-Ie. Rien n'empeche par ailleurs de poursuivre un raisonnement dans Ia logique du reve. II suffit de savoir quand on passe d'une logique al'autre, et de Ie dire. On a voulu faire de la critique litteraire une science. Mais la litt e rature reste avant tout un art. II n'est pas necessaire de tuer les peres pour tenir des discours neufs, ni de tuer ses freres pour tenir des discours autres. Premierement et uitimement, la recherche ne saurait se prendre elle meme pour but. Elle n'est qu'un cheminement, un voyage vers ... Vers quoi? A chacun de se Ie dire, pour soL Selon Marc Bloch, nous jugeons beaucoup trop [ ... ], nous ne comprenons jamais assez. [ ... JL'histoire, it condition de renoncer elle-meme it ses faux airs d'archange, doit nous

aider it guerir ce travers. EIle est une vaste experience de varietes humaines, une longue rencontre des hommes. La vie, comme la science, a tout agagner it ce que cette rencontre soit fratemeIle . Enfin, et avant tout, ce qui declenche la volonte de chercher, c'est Ie desir, c'est Ie plaisir. Le plaisir qu'on y trouve, celui qu'on atte nd. Et celui qu'on veut communiquer. Un plaisir qui a des tons et des tons graves. Car, comme en musique, il s'acheve dans I'instant qui meurt. Lorsque nair Ie silence. INTRODUCTION L'idee de ce travail a germe dans la contemplation de jerome Bosch. Son O!uvre, malgre toutes les tentatives d'interpretation, reste pour les JUOdernes un mystere. Or, tel n'etait pas Ie cas aux xv e et XVI C siecles : sa O!uvres furent achetees en grand nombre par Philippe II d'Es ,pagne, " Ie roi tres catholique , qui declara vouloir, a I'heure de sa mort, se trouver en face du triptyque des Delices. J. Bosch fut extr e ~ e n t apprecie de son vivant et sans doute compris. Voila qui refute d'emblee I'image d'un peintre diabolique, hallucine, heretique, mau Git, image qui, dans I'esprh de quelques critiques modernes, serait itsee expliquer sa creation monstrueuse. Ainsi se pose Ie pro bleme qui est a l'origine de notre recherche: ce qui est pour nous pbscur semble avoir ete, en ce temps-la, clair. Pourquoi? Si j. Bosch fut, apparemment, un artiste tres prise mais sans histoire et sans scandale, si son O!uvre fut acceptee d'une maniere toute naturelle et generalement appreciee, c'est qu'elle s'inscrivait dans un contexte qui l'eclaire et l'explique. C'est ce contexte qui nous interesse ici : il MUS interesse pour lui-mime et non en tant qU'explication dej. Bo!\Ch. Nous aimerions franchir l'ecran qui nous masque I'attitude du Moyen Age a l'egard du monstre. Les modernes ne comprennent plus Ie1 monstre Ii la maniere medievale, c'est evident. Pour eux, Ie monstre \ est mystere, scandale, engeance maudite : it est lie Ii une pathologie , J que ce soh celIe de la Nature, celie des artistes createurs ou celie de I'esprit humain en general. QU'en etait-il au Moyen Age? Comment comprenait-on Ie monstre et quel role jouait-il? Comme I'indique notre point de depart (I'O!uvre d'un peintre), notre etude a pour objet Ie monstre dans I'imagination et non Ie monstre dans la nature: cependant I'attitude adoptee it l'egard du premier, peut se trouver partiellement tributaire de celie que suscite Ie second. Ainsi ne refuserons-nous pas de recourir aux lumieres que I'on peut trouver en celie-d. Pour partir en quete du monstre nous nous sommes adressee Ii des textes litteraires ou, comme on les nomme parfois, avec circonspec 13 12 INTRODUCTION tion, para-litteraires . Nous n'avions pas d'idee quant au champ d'investigations : celui qui s'est impose est celui ou nous avons decou vert la plus forte densite de monstres, celui ou les monstres se SOo l montres Ie plus vivants )). Les monstres ne sont pas absents des

grands textes litteraires mais ils y sont tres dissemines et relative ment rares. Dans les redts de voyage, au contraire, ils apparaissent avec une frequence, une constance et un naturel qui leur conferent une existence propre. Its constituent, dans ces redIS, un ensemble dont nous n'avons pas decele ailleurs I'equivalent. lIs y trouvent un cadre concret : Ie monde des voyageurs, Ie tissu de rencontres, d'expe riences vecues, de paysages ... que sont les voyages. II existe, il est vr ai, des voyages pretendus reels qui ne sont en fait que des compilations. Ces voyages ne sont pas pour autant des voyages imaginaires ,) : composes Ii partir de voyages reels, ils sont reels dans I'esprit de tous (y compris dans celui de leur auteur). La distinction entre reel et imaginaire est d'ailleurs un artifice methodologique : on verra ce qu'i1 faut penser de cette distinction Ii propos des redts medievaux (d. ch. II, p. 64). Nous parlerons fort peu des pelerinages : ceux-c i se deroulent selon des schemas convention nels et des itineraires sans grand mystere. Les monstres vivent surtout dans les terres lointaines et peu - ou pas - connues : l'Orient et I'Afrique sont leurs patries d'election. C'est Ii I'ere des grands voyages que nous nous ad res sons : la periode du XIII'" au xV- siecle, sans negliger Ie debut du XVI'" siecle. Les redts de voyage nous ont tout naturellement orientee vers les domaines de la cosmographie et de la geographie qui en eclairent bien des aspects. Les structures de l'univers ont avec les structures mentales d'etonnantes correspondances : ces demieres sont bien souvent tributaires des premieres. Ce sont e1les qui determinent les lieux ou s'epanouit I'imaginaire. Ces travaux d'approche contribuent Ii nous renseigner sur I'etat d'esprit des voyageurs, Ie climat intellectuel des voyages et Ie climat mythique de I'epoque. II est interessant de preciser les rapports du voyage avec Ie conte et Ie my the : en eff et, nous considerons que les monstres presents dans les de voyage s'adressent Ii un certain nombre de fonctions mentales egalement sollidtees par les contes et les mythes. Ce que Bruno Bettelheim dit des contes de fees nous interesse directement : ils agissent au niveau du eonscient et de l'ineonscient [ ... ] Les ob jets qu'ils mettent en scene doivent done pouvoir s'adapter au niveau conscient, t out en evoquant des associations tres differentes de leur signification app a rente (I). Parmi ces objets figurent les monstres. Or it nous est apparo qu'it existait entre voyages, contes et mythes une affinite naturelle : \ dans chacun de ces cas est fortement stimulee. Une affinite tout aussi puissante unit Ie monstre a cette triade : non seule ment Ie monstre apparait frequemment dans ces trois cadres mais, de INTRODUCTION iI fonctionne selon les memes prindpes qu'eux. Chacun ,tt,.f.ltre eux est un moyen de cheminer selon des voies parfois obscures "..... une Verite; Ie voyage est, pour I'individu, une quete a plusieu rs : quete de connaissances sur Ie monde, sur soi-meme; quete sa veritable identite ou quete d'une Verite superieure. Le mythe (2),

.. avec moins de Force primordiale, Ie conte (l) sont, de meme, dleminements vers telle ou telle Verite. Enfin, Ie monstre offre ..-i une voie d'acces a la connaissance du monde et de soi. Le . .,onstre est enigme : il appeUe la refiexion, il reclame une on. monstre est en quelque sorte... un sphinx : il interroge

des lui soluti et se

,Jimt aux lieux de passage de toute vie humaine. Differents points de vue sur I'imaginaire se precisent ainsi dans une ,premiere partie, ch. I Ii III, ou I'on tente d'aborder Ie monsue sans Ie beurter de front. La deuxieme partie, ch. IV a VII, est une attaque 4itecte : elle s'ouvre par une mise-en-pieces du monstre. Peut-on ;elasse r les monstres comme les naturalistes classent les divers objets ,de nature? Les procedes de composition se pretent volontiers a cetle experience. Les monstres, quant aeux, ont assez de vitalite pour resis ter Ii de pareiIles tentatives qui comportent leurs propres limites. 41 Demonter Ie monstre comme une mecanique apporte des (1 40). Ces mots sont les derniers du livre d'Odoric; cela donne a son voyage un eclairage qu'it n'aurait peut-etre pas eu sans cela : vain queur de la Tentation et du Demon, celui qui a subi l'epreuve est reconnu comme un saint homme (on pense encore une fois ala fin du voyage de saint Brendan). Dieu lui a accorde une qualite et une force spirituelle reconnue par les humains du commun ... Mandeville, toujours attire par les grandes occasions de fabuler, fait de ce passage un veritable festival infernal. II transforme Ie concert de harpes qU'entendait Odoric en tintamarre de tambours, nacaires et trompettes. A I'unique visage hideux qu'aper ~ . Fig. 35 : Androgyne. 2. Une variante plus complete: il existe des etres qui ont la double aualite et usent, selon les cas, de "un ou l'autre organe pour se reprociuire. Fig. 36 Fig. 37 Et en une autre ylle y a gens qui sont homme et femme ensemble, et ont une mamelle a un coste et point a lautre. Et ont membres de generac ion domme et de femme et usent du quel quil leur plaist, une fois de lun et une fois de lautre; et engendrent enfans quant iI font lEuvres de mas\es, et quan t ilz font lEuvre de femme ilz concoivent et portent enfans (Mandeville ('4)). 146 TYPOLOGIE DU MONSTRE B. Dissociation des sexes : 1. Depuis l' Antiquite existe la h ~ g e n d e des iles masles et de s iles femes , comme les appelle Marco Polo (15). Dans ces iles, chaque sexe vit separe de I'autre : dans l'une habitent des hommes, dans I'autre des femmes. Les hommes viennent passer trois mois dans l'ile des femmes (d'apres Marco Polo: mars, avril, mai), puis repartent dans leur ile. Si les femmes mettent au monde des enfants males, elles les envoient dans l'ile des hommes. 2. Cette legende voisine avec celie des A'1'azones, bien que ni Marco Polo, ni Jourdain de Severac, ni Mandeville ne prononcent Ie mot a propos de ces femmes insulaires. Comme les Amazones, elles sont de redoutables guerrieres. Pierre Martyr relatant Ie deuxieme voyage de Colomb (16) dit que si on les poursuit, e!les se defendent avec leurs sagettes desquelles sont tres industrieuses et certaines. Colomb, en tout cas, croit fermement a cette legende, comme en temoigne ce passage (77) :

Les Indiens lui dirent qu'en continuant dans cette direction, il ne manque rait pas de rencontrer I'i!e Matinino, dont ils disaient qu'elle etait peuplee par des femmes sans hommes. L'amiral eat ete bien content d'y accoste r afin de pouvoir presenter aux Rois Catholiques une demi-douzaine de ce s femmes [...] II dit du moins qu'il est certain que ces femmes-hi exist ent vrai ment. Cette situation de segregation rappelle l'un des aspects de la legende des cynocephales : Ie parallele hommes/femmes - chiens/femmes per met peut-etre de voir en ces deux legendes un element commun, en I'occurrence une expression symbolique du systeme d'opposition nature/culture. Les cynocephales, sauvages et se nourrissant d'ali ments crus, s'accouplent periodiquement avec des femmes belles et assez civilisees (elles savent cuire leur nourriture, ce qui temoigne d'un etat plus evolue). Les enfants males naissent cynocephales, les filles naissent humaines a part entiere. Marco Polo qui a visite les iles masles et les iles femes n'y voit pas de cynocephales. II note que leurs habitants et habitantes sont cristiens batizes, et se mantient ala foy et as costumes dou vie! testame nt (,8). II ne presente pas cela comme une explication de cette etrange segre gation, mais ce pourrait en etre une et les faits sont interessants Ii rapprocher : car je vos di qe Quant sa feme est enceinte, il ne la touche puis dusqe atant qu'elle ne a enfante, encore la laisse qe ne la touche quarante jors (,9). Neuf mois de grossesse : il ne reste que trois mois de cohabitation possible! TYPOLOGIE DU MONSTRE 147 Vlll. HYBRIDATION Nous designerons sous ce terme general d'hybridation tous les etres qui sont constitues d'elements anatomiques disparates qui rompent I'aspect physique normal. Le terme d'hybridation n'est pas pris ici dans son sens strictement biologique. On appelle hybridation un croisement entre sujets differant au moins par la variete. Pratique ment, les hybrid at ions entre varietes, especes differentes, sont courantes, celles entre genres differents extremement rares (80). II est exclu, en tout cas, que la copulation d'un humain et d'un ani mal puisse etre feconde. Or les monstres hybrides les plus frequents sont precisement des etres chez qui se melent des elements humains et animaux. Cette tradition est si solidement an cree dans I'imagination que Robert ne peut s'empecher de citer ce passage de J. Carles (81) : Une legende tres repandue dans les milieux populaires explique I'origine des monstres par des hybridations fantastiques qu'attestent des recits dont la precision augmente dans la mesure Oil ils s'eloignent de leur source. Les gametes humains ne s'interessent pas plus aux gametes d'autres especes q u'a des grains de poussiere... Et ceci est vrai non seulement des animaux domes

tiques, mais aussi du singe, quoi que puissent en dire les journaux du soir. Le theme des naissances monstrueuses est de tous les temps et de toutes les cultures! Pline (Hist. Nat., VII, 2) explique la naissance de creatures mi-humaines, mi-animales par la copulation d'etres humains avec des animaux. Plutarque explique de la meme maniere la nais sance de minotaures, sylvains, aegypans, sphinx et centaures. Les naissances monstrueuses etaient un theme courant au Moyen Age et leur succes alia croissant pour atteindre son paroxysme au XVl e siecle oil elles feront les delices de Lycosthenes, d'Andre Thevet, de Conrad Gessner, de Sebastien Munster, d' Ambroise Pare et autres cosmographes ou naturalistes tres serieux. Les planches qui illustrent les ouvrages de ces auteurs representent des etres " reels qui ont, comme tout Ie monde, date et lieu de naissance. Si I'" hybrid at ion entre I'homme et I'animal est extremement frequente, celie qui s'instaure entre animaux d'especes et de genres differents a egalement connu un prodigieux succes. Ce sont ces deux methodes, poussees jusqu'a leurs plus extremes limites, auxquelles s'ajoute meme Ie melange d'objets inanimes, qui font des monstres de J. Bosch des creatures si origin ales dont les possibilites de renouve l lement sont infinies. A. Les monstres hybrides de plusieurs animaux sont extremement varies et on peut en imaginer Ii satiete : cette methode de fabrica tion etant illimitee, on ne peut guere en faire Ie tour. 149 148 TYPOLOGIE DU MONSTRE 1. II suffira, pour en donner une premiere idee, de proposer a la refiexion du lecteur un article rei eve dans un quotidien regional, en date du 18 fevrier 1974 : depuis Ie Moyen Age, Ie gO\lt n'a guere evolue en la matiere et les methodes de composition sont les memes : Un monstre qui serait un curieux et effrayant melange de lion, de leopard et de chien terrorise depuis quatre mois les habitants de la region de Bungoma, a480 kilometres Ii I'ouest de Nairobi, au Kenya. La terreur engendree par Ie monstre de Bungoma a provoque la mobi lisation des gardes forestiers dans une region agricole de 130 kilometres car res. Selon les habitants des villages, des centaines de chevres, de m outons, de veaux et de chiens ont ete la proie du monstre. Selon les descriptions des villageois, I'animal a les griffes et la f erocite du lion, les dents, Ie cou et la t!te d'un tigre, les taches ;aunes et noires du leo pard et I'instinct olfactif du chien ... Varticle se termine la : I'auteur, apparemment, n'eprouve pas Ie moindre besoin d'afficher une certaine distance a l'egard de ce fait divers et Ie dernier paragraphe pourrait avoir ete ecrit textuellemem par Pun de nos auteurs m&tievaux. 2. Leon l'Africain (82), rapportant les recits d'historiens africains (mais la recette n'est pas une exclusivite africaine), ecrit que, parfois, I'aigle s'unit a la louve; la grossesse de celle-ci est si monstrueuse, elle gonfie atel point qu'elle finit par eclater : & n'esce fuori un dragone, iI quale ha il rostro & Ie ali di ucello, la coda di

serpe, & i piedi di lupo, et il pelo pur di serpe macchiato di diuersi c olori. Et iI en nait un dragon qui a Ie bee et les ailes d'un oiseau, la queue d'un ser pent, les pieds d'un loup et une peau de serpent tachetee de diverses couleurs. II a;oute qu'il ne I'a pas vu personnellement : non dimeno e fama publica per tutta l'Africa, che si vide questo mos tro. neanmoins, it est de notoriete publique dans toute I'Afrique qu'un tel monstre existe, qu'on peut Ie voir. De composition plus sabre, mais de reputation plus internationale, Ie griffon est I'un des plus celebres de ces hybrides animaux : Aucunes gens dient quit ont Ie corps par devant demy aigle et par derriere demy lion i cerles il dient tout voir, car i1 sont de telle facon. M ais i. griffon a Ie corps plus grant et plus fort que nuls lyons, voire que VIII lyons qui s ont par de ca, et si a plus de grandece et de force que cent aigles naient (M ande ville (13. Pour cette de monstres, il est suffisant d'indiquer la recette et d'enumerer quelques celebrites, paI']l1i lesqueUes brille la Manti chora qui a une triple rangee de dents, des yeux verts, un visage et des oreilles d'homme, une couleur rouge sang, un corps de lion, une queue de scorpion, une voix qui ressemble aun concert de fiute et de tromTYPOLOGIE DU MONSTRE pette, qui est d'une grande velocite et se nourrit de preference de chair humaine (la description la plus complete se trouve chez Pline, Rist. Nat., VIII, 75). B. Quand Ie procede est reduit au minimum, les animaux se con ten tent de changer de tete : Selon Jourdain de Severac (84), les crocodiles ont comme des tetes de porc ( 109 verso. TYPOLOGIE DU MONSTRE fait pas de doute que ces betes ont visage humain. Ce n'est que sur l'interpretation qu'ils ne s'entendent pas. H. Cordier pense qu'il s'agissait d'une sorte de macaques ou de semnopitheques et rappelle que les couvents bouddhiques ont sou vent des asiles pour les animaux (102), en particulier pour les singes. Le des sin de la miniature, cependant, les apparente plus ades pourceaux qu'. des singes et, extrapolant, leur donne non plus seulement des 'fIisages humains, mais des tetes humaines. b) Monstres Ii. tronc humain : acrpbmStercioeCllijmau.EJSraao. Fig. 46 : Sphinx. Mandeville, dont I'imagination brouillonne ne recule pas devant les approximations audacieuses, donne des hippopotames une description propre ascandaliser les centaures de la pure Tradition: En ce pays iI y a moult de ypotames, ce sont bestes qui conversent aucun e fois en terre aucune foiz en eaue, et sont demy hommes et demy chev al; et manguent les gens quant ilz les peuent prendre(IOJ). Entin les sirenes Ii queue de poisson et les femmes-serpent consti tuent un theme tres riche qui a alimente la tradition populaire et les COntes pendant des siecles. Ainsi la legende de Melusine (apparentee acelie des guivres, wivres ou vouivres : elles ont au front une escar TYPOLOGIE DU MONSTRE 156 Fig. 47 : Centaure. boucle extraordinaire et convoiu!e qu'elles deposent lorsqu'elles vont se baigner, mais malheur a qui s'en approche! Elles sont u deesses des fontaines, seIon Ie vieux fonds celtique, mais illeur arrive aussi de se pourvoir d'ailes et de voler dans les airs). La legende de Melusine aurait fait son apparition pour la premiere fois sous une forme romanesque, dans La noble hystoire de Luzignen, de Jean d'Arras, vers 1392-1393, qui retrace la gem=alogie des Lusi gnan. Mais Ie theme est anterieur a ces dates: on Ie trouve deja chez Gervais de Tillbury et Vincent de Beauvais, lesquels placent cette legende dans d'autres regions. Melusine est fee: Ie sire de Lusi gnan la rencontre une nuit, aupn!s d'une fontaine; elle I'epouse et lui promet de l'enrichir ala seule condition que jamais il ne cher

chera a la voir Ie samedi. Ces conditions respectees, la fortune du heros va croissant, des enfants naissent de son union. Mais un jour, un samedi, pris d'un soup !;on, il va surprendre sa femme et la trouve au bain : c'est alors qu'il s'aper!;oit de sa nature mi-femme, mi-serpent. Des lors, c'est la chute Fig. 48 et la separation: Melusine s'enTYPOLOGIE DU MONSTRE 157 Cuit et la legende propose des fins diverses a cette histoire. H. Donten ville resume ainsi celie Jean d' Arras: Par un nouveau trait des plus touchants cependant, la damnee reprend nuitamment demi-forme humaine et vient, aI'insu de son mari desole, al lai leI" ses deux derniers nes (104) et il evoque pour nous la miniature du manuscrit Sous les arcades aux graciles colonnes, Melusine, blonde et nue, revie nt aupres d'un de ses enfants; sa longue queue d'argent et d'azur buriee s'ap puie sur un beau parquet en damier; d'une main e1le tend Ie sein au bebe, tandis qU'elle passe avec precaution I'autre bras sous I'oreiller, afin de soule ver la tete du petit. L'aniste s'inspire cependant dans son reuvre de la fe mme poisson, non de la femme-serpent (10'). Cette legende n'est pas seulement propre anotre folklore. Herodote rapporte, au livre IV des Histoires, l'origine de la nation scythe : d'une union passagere d'Hercule avec une creature mi-femme, mi serpent, rencontree dans une grotte en foret, seraient nes trois enfants, dont Ie troisieme, Scythes, sera it la souche de la nation scythe. Ces monstres a torse humain, sphinx, centaures, sirenes, melusines sont, comme les satyres, des symboles d'une sexualite forte et primi tive. Le theme est trop riche pour qu'on puisse faire plus ici que l'e f fleurer. Cette serie de monstres s'enrichit encore si on lui integre celle des lDonstres humains pourvus d'attributs animaux divers, ou tout sim plement d'un caractere sauvage et animal qui ne se traduit pas par des particularites anatomiques. Objectivement, il s'agit d'une seule et meme categorie; cependant ces monstres d'un type nouveau ne repondent plus exactement a la notion d'hybridation et, de plus, ils constituent un genre assez original et riche pour qu'on doive les etudier a part. IX. MONSTRES CARACTERISES PAR UNE ANIMALITE TOUTE-PUISSANTE (Hommes sauvages) Le theme des hommes sauvages, de l'Antiquite a nos jours, jouit d'une continuite remarquable; il alimente la legende aussi bien que Ie fait divers, la chronique ou les sciences. L'homme sauvage se definit par ses mreurs et par son physique. La premiere de ses caracteristiques est qu'il se comporte comme une hete, et ceci pour diverses raisons : A. Soit en raison de son habitat : 1. Ceci ressort nettement d'une description de troglodytes selon

Ricold (106) : habitant communiter sub terra ad modum talparum. Isti egrediuntur de cauernis terre quasi mures : Us habitent generalement sous terre comme des taupes. lis sonent de leurs cavites souterraines comme des rats. ;, j 3 -' 158 TYPOLOGIE DU MONSTRE II est remarquable que ces deux phrases s'enchainent directement : Ie caractere animal est si puissamment ressenti qu'iI s'exprime en deux images voisines, mais differentes : ceux qui habitent sous terre com me des taupes deviennent rats lorsqu'ils sortent de leurs cavernes! 2. Luc evoque dans son Evangile (VIII, 27) un homme sauvage possede des demons : Depuis longtemps il ne portait pas de vetements; il n'habitait pas non plu s dans une maison, mais dans les tombeaux. Le signe de sa guerison : I'homme etait (! assis aux pieds de jesus, vetu et dans son bon sens . La nudite n'est pas un caractere inevi table, mais il est tres frequent. B. En raison de ['absence d'organisation sociale ou religieuse : Dans la Provence d'Obscurite, selon Marco Polo (107), les jens ne ont seignor; il vivent come bestes et dans les montagnes de Pile de java Minor les gens sunt tiel como bestes et n'ont pas de religion coherente (lOB) : lis aorent diverses couses : car Quant I'en se lieve Ie mahin, la p rimere couse qe il voient, celle aorent. II est evident que ces peuples ne sont pas Ie moins du monde des hommes sauvages au sens propre du terme : ce n'est que Ie mepris des hommes plus civilises qui leur attribue un caractere de bestialite. La bestialite de ces hommes reside, pour Marco Polo, dans Ie fait qu'ils n'ont pas de loi : mes it sunt jens que ne on1 nulle loi se ne comes bestes (109) et il fait parfaitement la difference entre ces peuples et les creatur es qu'on essaie de faire passer, dans Ie meme pays, pour des hommes sauvages en empaillant des singes tres petits a face que senblent homes : il denonce sans complaisance la supercherie. C. Bien differents sont les hommes sauvages depeints par Schiltber ger, par exemple : ils som de la race de ceux qui servent de theme d'observation aux naturaIistes. Apres avoir evoque leur physique, Schiltberger precise sa description: Sie lauffen and wie andere wilde Thier in dem Gebirg umb essen nichts anderss den laub und grass und was sie ankommen (Schilt berger) (110). lis courent dans la montagne comme les autres animaux et ne se nourrissent que de feuillage, d'herbe ou de ce qu'ils peuvent trouver. lis marchent aquatre pattes et se nourrissent de feuiUages et d'herbes (comme Ie fit Nabuchodonosor 10rsqu'iJ fut reduit aPetat de bete) -T t ..... "...... . TYPOLOGIE DU MONSTRE 'it 159 et se comportent comme les autres animaux sauvages , dit Schilt

berger, qui, par ceUe expression, dasse les uns et les autres dans l a meme categorie. D. La nourriture est une reference importante : s'il y a des hommes sauvages inoffensifs et il en existe d'autres bien plus redoutables : Marco Polo (111) raconte que dans Pile de java Minor ou iI passa cinq mois, il fut oblige, avec ses compagnons, de construire une sorte de camp fortifie : et en celz castiaus demorames por doutance de celz mauvais homes bestiau s qe menuient les homes. Pigafetta (112) dit avoir entendu raconter qu'i1 y avail dans les Molucques des huomini pelosi qui s'appellent Benaian : alia ripa d'un fiume habitauano huomini pelosi & alti di statura, & valenti nel conbattere con archi, & spade di legno larghe un palmo, & come ammaz zano gli huomini, g1i mangiauano subito il cuor crudo, con succo di nara nci & Iimoni. Au bord d'un fleuve, habitent des hommes velus de haute stature. Arme s d'epees de bois larges d'une palme, ils som tres vaillants au combat. Lors qu'ils ont tue un homme, i1s lui devorent Ie creur qu'ils arrosent d e jus d'orange et de citron. Comme on voit, ces sauvages sont plus gastronomes que la moyenne. II arrive que la legende et la realite s'entremelent : ainsi Marco "010 (113) rapporte que, dans l'ile d'Agaman (eUe se trouve dans les parages de java), vivent des gens qui sont come bestes sauvajes et mangent tous les hommes qu'ils peuvent prendre. lis ont chief come chien et dens et iaus come chiens : car je voz di qu'il sunt tuit t,tmblable achief de grant chienz mastin [ ... ] ils sunt mout cruel jens; ils Iilenuient les omes tuit cil qe iI puent prandre puis qu'il ne soient de lor j ens. Les cynocephales font bon menage avec la sauvagerie et I'anthropo phagie. On Ie voit, I'homme bestial est un theme plein de ressources. E. Son physique est lui aussi su;et Ii des variantes. Selon Mandeville (114), it y a en un desert du Prchre jean : ....... moult dommes sauvages, comus et hideus, qui ne parlent point . mais groucent comme un pourcel et ailleurs, dans une ile, - y a gens qui ont pies de chevaux, et sont fors et puissans et bien courans; car iI prennent au cours les bestes sauvages et les manguent . C'est une caracteristique frequente, pour les hommes sauvages, que de rattraper a la course les animaux sauvages. Ces hommes comus et hideux et ces etres a pied de cheval seraient 8ssez proches de la famille des satyres qui, eux aussi, ont ete cons i deres comme des hommes sauvages : comus, pourvus de pieds de 160 TYPOLOGIE DU MONSTRE chevres, souvent poilus et roux, Us hantent les forets, les montagnes ou les deserts, selon les climats. Rencontrer un satyre ne va pas sans pro blemes ... , comme nous Ie verrons plus loin. Fig. 49

Fig. 50 - En fait, les creatures qui meritent, Ie plus authentiquement, Ie nom d'hommes sauvages, celles qui passeront a. la posterite sous ce nom, sont des etres velus et, souvent, dotes d'une queue. Les deux carac teres peuvent exister simultanement ou separement. TYPOLOGIE DU MONSTRE 161 .,Marco Polo aussi bien que Mandeville peuvent ouvrir Ie sujet avec _ ,constatations qui se font vis-a.-vis : / " ;,n hi a bestes des diverses faisonz e propemant singes, car il hi nia si de ver ~ t faites, qe voz dirois qe ce soit home (Marco Polo (116)). 't: Ht une autre maniere de gens il y a, qui vont sur leurs mains et su s leurs JJiIz comme bestes, et sont tOU8 velus et rampent legierement sur les arbres f .. apssi tost comme un singe (Mandeville (117)), " . i&;, $,:Ion Marco Polo, ce sont des singes qui ressemblent aux hommes, , Mandeville, des hommes qui ressemblent aux singes : les deux points de vue expriment d'emblee l'ambiguite de ce theme. Ce que les voyageurs rencontrent et qualifient d'hommes sauvages, cl'bommes a queue sont, la plupart du temps, des varietes de singes. Q:Ia ne simplifie pas du tout Ie probleme : pour les Anciens, comme pour I'homme medieval, il est difficile de tracer une frontiere nette _re J'homme et l'animal evolue qu'est Ie singe. Le singe, en eifet, Ie comporte sou vent a. I'instar de l'homme : il est l'imitateur Ie p lus proche, comme en temoigne cette gravure tiree de S. Brant. Fig. 51 Aristote (118) affirme que les singes, babouins et cynocephales ont une nature qui tient tout ala fois de celie de I'homme et de celie des quadrupedes . Ce sont donc des etres a la frontiere entre les deux natures ') et on peut les classer dans cette categorie interme Q diaire des hommes sauvages . 162 TYPOLOGIB DU MONSTRE L'homme sauvage Ie plus celebre, celui dont la representation aura Ie plus long succes et qu'on retrouvera Ii travers les ouvrages scien tifiques du XVI e siecle, se trouve pour la premiere fois (a notre connais sance) dans I'Itinerarium Hierosolymitarum de Bernhard de Breyden bach (1483) sur une gravure qui represente divers animaux curieux ou monstmeux (cf. supra, p. 63, Fig. 6) : il n'y occupe qu'une place modeste, dans Ie coin droit de la gravure, au bas de la page (119) et sa legende est encore plus modeste: non constat de nomine (*) . eet etre sans nom est une femelle chevelue, velue, pourvue d'une queue: il s'agit d'une sone de pithecantbrope dontlevisage etles paumessont depourvus de poils (detail que Mandeville signale en patlant d'une tie (j ou les gens sont tous velus fotS Ie visage et les paumes (120) )}). Pour nos voyageurs, ces etres restent des hommes : en ceste roiame a homes qe ont coe grant plus de un paum, et ne s unt pinbeust (couverts de poils) et cesti sunt tuit Ie plos, ce celz tie l homes demorent dehors as montaignes e ne pas en cite. Le coe sunt grose co me de un chien (121). C'est ainsi que se cree la legende des hommes Ii queue II : comme Ie

montre cette gravure de Mandeville, ces etres sont des hommes a part entiere dont la seule particularite est d'etre pourvus d'un etrange appendice caudal. Parmi les ties que Colomb aurait voulu visiter, l'une d'elles s'appelle Avan, et c'est la que naissent les hommes Ii queue (122) ; ces iles inexplorees prennent place, pour Colomb, parmi d'autres - qui representent autant de visites manquees : les iles ou vivent les cynocephales, celles ou vivent les cyclopes, celles ou vivent les femmes seules (ces amazones II qui n'en ont pas Ie Fig. 52 nom). Les hommes Ii queue font ainsi partie d'une serie de monstres mythiques. Dans Ie Systema Naturae de Linne, l'homme Ii queue se trouve range parmi les formes d'homo monstruosus (123) . - Les hommes sauvages figurent dans la petite histoire depuis l'An t i q u i t \ ~ . Le periple de Hannon eve siecle avo J.-C.) relate un episode de la navigation ou les marins purent s'emparer de trois femmes sauvages hideuses et entierement velues ll, sans doute des gorilles. lIs les tuerent et rapporterent leurs peaux a Carthage. Ces peaux furent considerees par la suite comme des peaux de Gorgone : elles (*) Denomination incertaine. TYPOLOGIE DU MONSTRB 163 furent deposees au temple de Saturne ou elles se trouvaient encore lors de la prise de Carthage. Plutarque (Vie des hommes illustres : Sylla), traduit par Amyot en 1567, relate qu'on trouva pres de la ville d'Apollonie, en un parc consacre aux Nymphes, un satyre endormi : Si fut mene a Sylla et interroge par toutes sortes de truchements qu i il Ctait, mais il ne repondit rien que l'on put entendre, et seulement ieta une vo ix 'pre melee du hennissement du cheval et du beuglement d'un bouc : de quo i SyUa s'emerveillant l'eut en horreur et Ie fit Oter de devant lui, comme ch ose monstrueuse (124). Colomb raconte dans la Lettera rarissima (125) un episode tres cruel, plein d'enseignements sur l'esprit de son epoque : Un arbaletrier avait blesse une bete qui ressemblait Ii un singe, mais bien plus gros et avec la figure pareille Ii celie d'un homme. I11'avait per ce d'une fteche depuis I'epaule jusqu'a la queue; et comme it ne laissait pas d'etre encore trop dangereux, it dut lui couper un pied de devant et un de de rriere. C'est alors que se deroule un evenement tres amusant }) pour les spectateurs de cette scene; Colomb lance ven; cette creature une sorte de cochon appele begare : Lorsque Ie cochon arriva pres de lui, il etait deja moribond, avec l a Heche qui Ie transpen;ait d'un bout a I'autre; il ne laissa cependant pas

de Ie frapper au groin de sa queue et de s'enrouler fortement autour de lu i, en mente temps qu'avec la patte de devant qui lui etait restee, illui empo ignait la criniere pour se battre encore avec lui. Ce combat inattendu et c e joN tableau m'ont pousse Ii en faire mention. Ce (( joli tableau qui demontre I'ignoble sauvagerie (!) du blesse mutile, reveie, par la meme occasion, que les esprits de I'epoque etaient solidement trempes et que Ie gout pour les monstruosites ou les atroches n'avait rien d'edulcore! . - Malheur aux creatures sauvages ainsi capturees par les hommes : C. Gessner rapporte qu'en 1531, on trouva dans une foret des environs de Salzburg un etre ve\u, d'un blond-roux, entierement sauvage (' celle-ci etant un poStulat du sens commun; la pensee n'attri bue-pas facilement au monstre une existence en so; alors qu'eUe l'accorde spontanement Ii ]a norme. Des lors, tout depend de la maniere dont on definit la norme. Ces notions sont rava]ees par la biologie et la gent!tique modernes au rang de la fiction : la scienc e, au xx e siecle, se refuse Ii iso]er un type ideal, acheve; chaque espece est un II reservoir de genes soumis au jeu de la combinatoire et des mutations. Si I'espece humaine presente des aspects relativement stables, cela tient en partie Ii son caract ere recent : Ie point de vue normatif est donc exclu. II n'empeche que I'homme du commun conti

nue Ii manier ces notions et que, dans Ie monde scientifique, la ter a tologie n'est pas encore lettre morte. Bien qu'on ne definisse plus I e monstre par comparaison avec un type immuable, on peut Ie carac teriser comme une exception par rapport au sort commun de la combinatoire genetique, en tenant compte des diverses modalites de celle-ci dans I'etat actuel de l'evolution biologique. Cette idee n'est pas une exclusivite du xx e siecle, elle se resume parfaitement dans une formule d'Aristote : Ie monstre est un pheno mene qui va Ii I'encontre de la generalite des cas mais non pas Ii l'encontre de la nature envisagee dans sa totalite : EUTI pap TO TEpar, TWV 7fapa qWUIV [n], 7fapa rpVUlvl)'ov 7fauav &AA& -riIv wr, br:i TO 1fOAV (IV, IV, 770 b)(l). Nous ne pouvons faire ici I'historique de la notion de monstre. Cependant nous avons choisi de faire quelques sondages dans 208 LA NOTION DE MONSTRE Ie passe afin de donner un aper&her de faire etat dessorcieres qui collectionnent parfois des virils en grand nombre (vingt ou trente) et s'en vont les depo dans des nids d'oiseaux ou les en ferment dans des boites, oil ils inuent a remuer comme des membres vivants, mangeant de I'avoine autre chose, comme d'aucuns les ont vus et comme I'opinion Ie (63). est interessant de rapprocher desdits membres les phallus ailes la tradition hellenistique que Lascault c1asse parmi les monstres p. 382 de son ouvrage deja cite) et qui, selon lui, repre peut-etre un moyen d'exorciser la crainte de la castration . on peut constater que, parmi les precautions a pendant qu'on torture les sorcieres, figure celle-ci : raser les poils sur toutes les parties du corps: [ ...Jelles ont de ces amu superstitieuses dans leurs vetements comme dans les poils du corps, et dans les endroits les plus secrets qu'on ne nomme pas (64). argument presente, cette'fois, Ie pouvoir malefique du sexe meme la sorciere. Raser les poils constitue une sorte d'ablation du sexe, substitut de castration, une revanche sur les pouvoirs castrateurs la sorciere. Une telle hantise du pouvoir offensif du sexe feminin, ce de Ie depouiller, de Ie devoiler pour exorciser son secret, de I'humi procede non seulement d'une mentalite quasiment archaique mais ftlnout d'une sexualite malade : quelques-uns des plus grands extermi nateurs de sorcieres etaient aussi des depraves sexuels qui se servaient . sorcieres pour satisfaire leurs desirs de maniaques : celles qui, ctOyant obtenir leur grace, succombaient a leur chantage, finissaient cela sous la torture ou au bucher. L'Inquisiteur H. Sprenger ttcommande fortement a ses collegues de ne pas regarder avec complai sance une sorci ere nue et sou mise au suppJice : que seule la neces site guide Ie regard de I'Inquisiteur! Quant aux bourreaux, ils sont pries de ne pas manifester un plaisir excessif lorsqu'ils re