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1 Z Ce livre se veut l’histoire de Zellidja, une institution née en 1939, quelques semaines avant la Seconde guerre mondiale, et toujours active sept décennies plus tard. Son objectif est de distribuer des bourses de voyage à des garçons et des filles de 16 à 20 ans. Son fondateur a été un architecte de quelque notoriété, Jean Walter (1883-1957) qui, surtout, avait eu l’heur de découvrir au nord du Maroc (lieudit Zellidja, près d’Oujda), des gisements de plomb et de zinc parmi les plus importants du monde, et qui a consacré une partie de la fortune qu’il y a faite à aider des jeunes gens à forger leur caractère et perfectionner leurs connaissances dans les domaines les plus variés à l’occasion de voyages aussi lointains qu’ils le souhaitent et le peuvent. «Zellidja» c’est d’abord une pédagogie, qui n’a pratiquement pas varié en sept décennies : le candidat (ou, depuis 1979, la candidate), doit voyager seul(e), en respectant un budget, volontairement «serré», s’engage à ramener de son/ses voyage(s) – une deuxième bourse est accordée dans la foulée aux meilleur(e)s – un récit de son aventure et un rapport d’étude sur le sujet qu’il/elle a librement choisi. Des jurys régionaux et un jury national, composés pour l’essentiel d’anciens lauréats, sont juges et garants du bon déroulement des parcours des boursiers. ou 70 ANS D’AVENTURE ZELLIDJA Le livre Z ou 70 ansse propose d’abord de restituer la figure charismatique du fondateur. Figure aux facettes plus variées encore qu’il n’a déjà été dit : architecte, « mineur », Jean Walter n’est-il pas également le «deuxième homme» de la donation Walter-Guillaume, dont les 145 toiles (des Rousseau, des Renoir, des Cézanne, des Matisse, des Picasso, des Modigliani, des Derain, des Soutine...) sont exposées en permanence à l’Orangerie des Tuileries, à Paris… D’autres hommes ont également pris leur part à cette aventure. Parmi eux figure en première ligne l’inspecteur général Louis François, qui, de 1945 à 1973, fut

70 ans d'aventures Zellidja dans la cité et par le monde

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70 ans d'aventures Zellidja dans la cité et par le monde par Jean-Pierre Clerc

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Z Ce livre se veut l’histoire de Zellidja , une institution née en 1939, quelques semaines avant la Seconde guerre mondiale, et toujours active sept décennies plus tard. Son objectif est de distribuer des bourses de voyage à des garçons et des filles de 16 à 20 ans. Son fondateur a été un architecte de quelque notoriété, Jean Walter (1883-1957) qui, surtout, avait eu l’heur de découvrir au nord du Maroc (lieudit Zellidja, près d’Oujda), des gisements de plomb et de zinc parmi les plus importants du monde, et qui a consacré une partie de la fortune qu’il y a faite à aider des jeunes gens à forger leur caractère et perfectionner leurs connaissances dans les domaines les plus variés à l’occasion de voyages aussi lointains qu’ils le souhaitent et le peuvent. «Zellidja» c’est d’abord une pédagogie, qui n’a pratiquement pas varié en sept décennies : le candidat (ou, depuis 1979, la candidate), doit voyager seul(e), en respectant un budget, volontairement «serré», s’engage à ramener de son/ses voyage(s) – une deuxième bourse est accordée dans la foulée aux meilleur(e)s – un récit de son aventure et un rapport d’étude sur le sujet qu’il/elle a librement choisi. Des jurys régionaux et un jury national, composés pour l’essentiel d’anciens lauréats, sont juges et garants du bon déroulement des parcours des boursiers.

ou

70 ANS D’AVENTURE ZELLIDJA

Le livre Z ou 70 ans… se propose d’abord de restituer la figure charismatique du fondateur. Figure aux facettes plus variées encore qu’il n’a déjà été dit : architecte, « mineur », Jean Walter n’est-il pas également le «deuxième homme» de la donation Walter-Guillaume, dont les 145 toiles (des Rousseau, des Renoir, des Cézanne, des Matisse, des Picasso, des Modigliani, des Derain, des Soutine...) sont exposées en permanence à l’Orangerie des Tuileries, à Paris… D’autres hommes ont également pris leur part à cette aventure. Parmi eux figure en première ligne l’inspecteur général Louis François, qui, de 1945 à 1973, fut

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mêlé à maintes aventures de pédagogie « active » dans l’Hexagone. Ces parcours seront également reconstitués. Cet ouvrage entend encore montrer comment «l’aventure Zellidja», dont la permanence avait été confiée par le fondateur à une institution renommée, l’Académie française, qui n’a toutefois pas répondu à son attente, a su évoluer - à l’occasion d’une crise éclatée dans la foulée des événements de 1968, mais plus que tout en s’adaptant aux évolutions de la société.

Pratiquer l’ouverture, sans renier

« l’esprit des origines. »…]

De fait, tout en gardant l’«esprit» des origines, les jeunes impétrants se « réalisent » toujours par un mélange de goût pour l’aventure et de curiosité pour les modes de vie des hommes et femmes à travers les continents), les Bourses Zellidja ont su s’ouvrir à des publics plus larges. C’est ainsi que les jeunes filles, au départ exclues de la compétition - non en raison d’un machisme foncier qui y aurait présidé mais parce que tel était l’air du temps jusqu’à la fin des années 60 – représentent aujourd’hui les deux-tiers des candidats et les trois-quarts des lauréats. Quelques machos, on peut le penser - dont, dans un premier temps, l’auteur de ces lignes, avant qu’il n’approfondisse auprès des meilleurs auteurs des recherches dont il donnera le résultat - s’en sont déclarés surpris Et, d’abord, seuls les lycées classiques et les écoles normales, puis les établissements techniques, avaient été appelés à concourir – à quoi la Fondation distributrice avait décidé, en 1968 (sans effets pratiques en réalité, les temps étaient déjà trop troublés) d’ajouter les lycées professionnels et agricoles. Pour ce qui est d’une approche hors scolaire, les successifs bureaux de l’Association des lauréats des années 1969-71 avaient envisagé une collaboration avec les Maisons des Jeunes et de la Culture et les Foyers de Jeunes Travailleurs – une

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potentielle ouverture demeurée elle aussi sans suite. C’est aujourd’hui par le truchement des Bureaux d’Information Jeunesse, nous dit-on, que pourrait être concrétisée l’hypothèse d’un semblable élargissement. De façon plus conforme à l’air du temps ce sont, ces temps-ci, les banlieues « difficiles » de la région parisienne et des établissements réputées problématiques de la région Midi-Pyrénées qui font l’objet d’une prospection déterminée.

Quelque 8 500 garçons et filles ont fait un voyage Zellidja depuis 1939 – 8 500 travel writers, si l’on y songe ! Et, en 2009, parmi eux, environ 1350 sont « lauréats » ou « lauréates », pour avoir effectué deux voyages jugés satisfaisants. Parmi eux il a existé ou existe ce l’on pourrait appeler des « rois secrets » : Michel Piguet, deuxième président de l’Association, mort à vingt-sept ans dans le massif du Mont Blanc ; Daniel Pierlot, qui traîna son hyper-intelligence et sa culture dans toutes les grandes universités du monde oriental avant de mourir d’une maladie d’époque ; Pierre Lambert, dominicain de choc et musulman d’adoption ; Claude Nedjar, qui le premier d’entre nous fit le tour du monde, en 1957, fut quasiment laissé pour mort sur le terrain en Algérie (1961) puis, ramené au Val de Grâce du fait d’une campagne discrète mais résolu de quelques camarades Zellidja, se lança dans la production cinématographique où il fit faillite trois fois pour se relever quatre ; Jean-Claude Rebours, qui vécut la même année 1957 avec « trois clochards à Paris » ; Jacques Sato qui, en 1960, avoua avoir choisi sa destination de deuxième voyage en plantant une épingle sur la carte de France (ce fut Nérac) puis, de là, partit en Turquie sur les talons de la jeune fille au pair allemande d’une maison où il était logé – une affair qui, d’ailleurs, se termina mal ; Jean-Paul Dumont, Z 57, une des 2 000 personnes au monde à parler la langue des indiens Panaré, ayant vécu trois ans parmi eux au bord de l’Orénoque, auteur, à l’époque, d’un film documentaire que la Fondation fit « tourner » dans toute la France ; Etienne Panabière, Jean-Claude Gardette et Jean Aper, parce qu’ils sont, chacun pour leur part, à l’origine de l’entrée du mythique chalet de Manigod (Haute Savoie) dans notre patrimoine… on pourrait presque dire : génétique; Claude-Marie Vadrot, parce que, pour le meilleur et pour le pire, une génération, celle des soixante-huitards, s’est reconnue en lui (« le Guevara que nous avons eu », nous a dit une de ses ex-admiratrices...) Et parmi les nouveaux – nouvelles - venu(e)s, Léonie Ahrens qui osa transgresser un tabou, écrire sa sensualité dans ses comptes-rendus de voyage ; ou Clara Arnaud, tout juste rentrée, pour recevoir un Grand prix ô combien justifié, de six mois de chevauchées aux marches du Takla-Makan et du Tibet – renouant avec l’épopée des moines-pèlerins de hautes époques en quête de leur tao…

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Mais, bien sûr, aucune énumération ne saurait rendre parfaite justice. Bien d’autres « Z » ont pris des chemins de courage et d’originalité.

[Des vies ordinaires, des spécialistes reconnus,

quelques personnalités notoires…]

La vérité est que nombre d’entre les lauréats, bon nombre d’entre nous, ont eu des vies somme toute ordinaires – souvent bien remplies, mais ordinaires. Disons que Zellidja a produit pas mal d’ingénieurs, d’enseignants, d’architectes, de journalistes, de diplomates, de médecins… Quelques artistes aussi, et quelques banquiers.

Certains « Z » ont atteint à une réelle notoriété dans leur milieu professionnel. Citons Jacques Flamme, aujourd’hui décédé, qui a contribué à la mise au point de la fameuse locomotive « B.B.», qui fut aussi l’inventeur du « rail en long », grâce à quoi les nuits des voyageurs en train ne sont plus perturbées par le fameux « poum-poum-tac-tac » des roues qui pourtant enchantait Cendrars dans sa Prose du Transsibérien ; et ajoutons, pour la facile symétrie avec Flamme, Yves Nayrolles, qui a été un maître de la lutte contre le feu... Quelques lauréats sont devenus des personnalités connues en France et parfois jusqu’à l’étranger. Citons ainsi, au risque de sembler réducteur : Dominique Lapierre, Philippe Labro, Philippe Beaussant,

Gérard Régnier dit Jean Clair, Jean Baubérot, l’astronaute Jean-Jacques Favier, Serge Klarsfeld, Christian Blanc, aujourd’hui ministre (ou plutôt secrétaire d’Etat mais chargé, excusez du peu, de modeler l’avenir du grand Paris !), ou encore Daniel Meyer, qui voyage en Arts sous le nom de Daniel Buren... Peut-être que ceux-ci forment cette “dynastie” (au sens où l’entendent les séries

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télévisées américaines) que Jean Walter – disons alors : J.W. ! - n’avait, d’évidence, pas voulu créer...

Un “Z” sur dix (ce qui, pour une instance de volontaires, n’est pas mal du tout) s’active aujourd’hui, en reconnaissance de ce qu’il a lui-même reçu, jadis ou naguère, afin de divulguer ce que peut Zellidja, de sorte que son expérience serve à de nouvelles générations de jeunes voyageurs. Ce noyau reçoit l’aide discrète mais déterminée de femmes et d’hommes qui ont connu les Bourses Z comme parents out comme enseignants, le plus souvent, et qui ont eux aussi été frappés par la vertu pédagogique, au sens large, de cette expérience. L’Association regroupant les Z, qui a vocation à coordonner tous ces efforts, peut aujourd’hui se targuer d’un know how (sorry : d’un savoir-faire) certes pas unique dans l’Hexagone, mais du moins reconnu dans tous les milieux qui œuvrent pour et avec la jeunesse.

Des extraits des carnets de voyage et des rapports d’études de lauréats de 1939 à 2009 permettront de faire passer, dans la version imprimée de ce travail, la tornade de la vie, le jeu des garçons et des filles, les rudesses de la Cité et aussi les enchantements du monde. Car plus d’un, plus d’une, ne sont pas indignes des écrits de très grands aînés – et ce qui nous vient spontanément à l’esprit est ce ballet des « zibelines vierges jouant dans les plaines slaves » de Joseph Delteil (Sur le Fleuve Amour), et ce passage bouleversant du Edgar Poe, sa vie et ses œuvres de Baudelaire, où il est question de « villes orientales vaporisées par la distance ». Car « Z » c’est aussi une fabrique de travel writers : d’écrivains-voyageurs ou, plutôt, de voyageurs qui écrivent. Vingt-trois titres, à cette date, font déjà l’orgueil de la collection « Zellidja », aux éditions L’Harmattan. N.B. Des annexes accueilleront, dans le livre imprimé, des indications pratiques, faisant de Z ou 70 ans…, outre un ouvrage de divulgation d’une expérience d’une réelle originalité à destination d’éducateurs, parents ou enseignants, un guide pour les futurs candidats.

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SOMMAIRE Prologue : L’audace de l’été 39 Chap. 1 : Jean Walter, voyage à la source *Préambule : de l’icône à l’homme *Les années de formation (1883 -1905) *Les premières réussites de l’architecte (1905 -1914) *La Grande guerre (1914 –1918) *La traversée des doutes (1918 -1925) *Les débuts de Bou Beker (1925-1931) *Les années 30, retour à la plénitude *Irruption d’une certaine Domenica (1932) *La relance de Bou Beker (1936...) *La Seconde guerre mondiale (1939 –1945) *...Un temps pour récolter (1946 -1957) *Désordres post-mortem *La “Collection Jean Walter- Paul Guillaume”. Chap.2 : Sept décennies de Bourses Zellidja *1939-1974 : La Fondation Nationale (préhistoire; Louis François; apogée; tutelle de l’Académie française; déclin; arrêt de mort) *L’Association des Lauréats Zellidja : 1948-2009 (l’établissement; les bonheurs; les combats; les deux cents volontaires sur quoi tout repose) *La relance des Bourses par l’A.L.Z. (1977-2004) *La deuxième Fondation (2004-2009) *Permanence d’un esprit” par-delà une rupture *Élargissement des publics (de plus en plus d’établissements appelés à concourir ; Allez les filles !; les banlieues et “quartiers difficiles”, nouvelle frontière...) * Chap.3 : Le kaléidoscope “Z”, interviews et témoignages *8 500 boursiers, 1 350 lauréats, *De la notoriété chez les “Zellidja” : quelques lauréats fameux *“Z” d’honneur : associés, cooptés, assimilés, volontaires... *S’il est permis de dire “je” : un itinéraire Z.

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Epilogue : Zellidja toujours sur la brèche Bibliographie Annexes

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Dettes et reconnaissance

(et c’est déjà un livre !)

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Née d’une attente collective, Z ou 70 ans d’aventure Zellidja est d’abord le fruit de très nombreux apports. Tous les « Z » (comme nous disons), tous les lauréats Zellidja que j’ai sollicités, hormis trois ou quatre, ont répondu, et presque toujours avec bonne grâce, à mes demandes de rencontres, interviews, échanges de mails et/ou de lettres. Chez beaucoup, les plus âgés surtout bien sûr, je percevais, après parfois un instant d’hésitation, le plaisir qu’ils avaient de replonger jusqu’aux franges d’une jeunesse qui fut intelligemment voyageuse, et que presque tous se remémorent avec bonheur au moment des bilans généraux (Nizan, qui sait, eût peut-être lui-même réussi à aimer ses vingt ans s’il avait eu l’heur de vivre plus longtemps…) Beaucoup aussi, je crois, ont compris qu’on peut, par le labeur acharné, ressusciter une époque par la tangente, suggérer une traversée du siècle à travers ce tout bout petit de la lorgnette qu’est la vie d’une institution peu médiatisée comme la nôtre. À plus forte raison qu’on peut, en s’immergeant, parvenir à l’empathie (la sympathie c’est autre chose) avec un homme, avec quelques hommes qui ont joué un rôle dans cette histoire – chacun d’eux, chacun de nous, pouvant être tenu, on peut le croire, il faut le croire, pour un microcosme reflétant un univers. Et ces hommes et ces femmes, ces garçons et ces filles, ont conclu qu’il valait donc la peine de prendre le temps de se souvenir. Tous ceux-ci, je les remercie en bloc, car ils m’ont soutenu d’un bord à l’autre de ce travail. Ils auront été, une année durant, le cortège d’humanité qui donne sens à l’ingrate reconstitution, plus d’un m’a entendu le formuler ainsi, du dinosaure (ou de Lucy !) à partir de presque rien, une vertèbre, un crâne, des éclats d’os. À quelques rares, mais hautes, exceptions près, il en est allé de même des personnes extérieures à notre « cercle » que j’ai interrogées. Qu’elles aussi trouvent ici l’expression de ma reconnaissance.

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Mais je souhaite m’acquitter de dettes plus spécifiques.

Je le fais dans l’ordre alphabétique, qui ne blesse personne (je le dis car nulle société, pour modeste qu’elle soit, n’est exempte de quelques petites vanités !) Ma reconnaissance inconditionnelle est ainsi acquise à : -François Boudringhin, qui présida notre Association (1956-1959) en des temps agités, qui fut aussi avocat, profession rare chez les Z, ce qui fit de lui l’homme désigné pour nous tirer, individuellement ou collectivement, de certains mauvais pas juridiques, homme également à la longue mémoire et aux archives bien tenues, qui a mis l’une et les autres très libéralement à ma disposition en son délicieux castel de Barrié – sans oublier le cassoulet et autres merveilles préparées par ses soins attentifs ; -Raphaël Butruille, président en exercice de l’Association des lauréats Zellidja, qui a soutenu l’idée de ce livre et qui, en dépit d’une vie pleine à ras bord d’engagements familiaux et professionnels, a répondu (presque toujours), et toujours avec une concise précision, aux nombreuses, très diverses questions que je lui ai faites et s’est efforcé de résoudre les deux sérieux problèmes que je lui ai posés; -Paul Chaslin, très vieil ami, qui m’a donné des informations “de l’intérieur” sur l’attitude résolue, pendant la Résistance, de Louis François - que l’on peut tenir pour l’autre “père” des Bourses Z ; -Jean Crozel, le plus ancien d’entre nous à demeurer actif dans une aventure où il est entré comme boursier en 1949, devenant deux ans plus tard le premier président en titre de l’Association qui regroupe les lauréats, toujours prêt et prompt à rechercher dans ses souvenirs et ses dossiers, voire auprès d’un lauréat vivant en province - un élément du passé, lointain ou proche ;

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-Henri Delors, ce lauréat qui a sauvé de la destruction dont les menaçait l’incurie d’une prestigieuse institution publique (pourtant chargée d’entourer de ses soins l’écrit en France !) des milliers de rapports de voyage Zellidja, et qui m’en a ouvert plus d’un lors d’une amicale, printanière, journée à la campagne; -Rémy Filliozat, un des Z qui ont le plus marqué les débuts de l’Association dans les années 50 et qui, alors que ma quête de documents s’achevait, encore insuffisante, m’a ouvert la malle au trésor; -Bernard Fraigneau, mon plus ancien ami Z, qui m’a généreusement embarqué dans un « pèlerinage » aux sources de notre aventure collective : cette mine, aujourd’hui abandonnée, de Bou Beker/Zellidja, près d’Oujda, au Maroc, où il avait travaillé quelques mois comme comptable au début de sa carrière ; -Elisabeth Furgolle, connue à Rome et jamais perdue de vue depuis qui, avec méthode, science, conscience et subtilité, a relu ce manuscrit; -Paul Graindorge, qui fut plus d’un demi-siècle dans le “grand Ouest” le délégué régional, bougon mais inlassable, de notre Association, et qui, à ce titre, a accumulé sur notre aventure, belle et tourmentée, une impressionnante documentation qu’il a bien voulu, deux journées durant, mettre à ma disposition dans sa maison d’Angers, remplie de souvenirs doux et amers à la fois ; -Eric Passavant, qu’il faudra bien, un jour, faire “Z d’honneur”, auteur en 1995 d’une thèse d’Etat en sociologie intitulée “L’enchantement du monde par le voyage” (tout un programme !), dont la partie centrale, forte de cent cinquante pages, intitulée “Histoire de la Fondation nationale des Bourses Zellidja”, aura été une propédeutique à ce livre; Eric Passavant qui, d’autre part, lors d’un déplacement qu’il fit à Paris spécialement pour m’y rencontrer, a mis généreusement, à ma disposition une quantité impressionnante de documents. C’en est au point que je me suis dit ceci : si je ne pouvais pas faire le boulot jusqu’au bout - les accidents de toute nature peuvent survenir à n’importe quel âge ! - Eric pourrait prendre le relai (mais chut ! je ne le lui ai pas dit !) ; -Benali Sadequi, professeur de droit public à l’université d’Oujda, au Maroc oriental, fondateur et président de l’association Les enfants de Zellidja qui s’est donné pour tâche de réhabiliter la localité de Bou Beker devenue autant dire misérable après la fin de l’exploitation du minerai; Benali qui a, au printemps 2009, fastueusement accueilli B. Fraigneau et moi-même lors de notre voyage- pélerinage aux sources, après que j’eus échangé des douzaines de mails sur la vie et le travail à la mine, la situation politique dans le Protectorat après la 2ème Guerre mondiale, l’attitude de Jean et Jacques Walter à ce sujet, et sur la

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conditions sociale des travailleurs du plomb et du zinc. À Benali j’associe Hassan, dit “ZéroDeux”, artiste marocain à la curiosité fiévreuse, qui a établi le premier contact ; -François Schoeller, que j’ai aussi parfois maudit, pour avoir eu le premier l’idée de ce livre, esprit inventif, homme actif, qui a tant œuvré pour l’Association maintenue et la Fondation recréée en 2004 ; -Bruno de Thy, “ouvrier” de ce site (“concepteur” non : il récuse le terme, pour avoir dû trop de fois céder à mes exigences de “sens”, en général si peu conformes à la “grammaire du web” !); -Pierre Vidalainq, autre “très grand ancien”, de la génération fondatrice dite “de 1948” (Z 47, selon le comput adopté depuis lors), précis, rapide, toujours disponible, et tellement humain sous la réserve...

Mes vifs remerciements vont également à : Edwige Avice, qui m’a raconté avec modestie comment, ministre de la Jeunesse et des Sports du premier gouvernement de François Mitterrand, en 1981, elle a pu contribuer à faire passer aux Bourses Zellidja à peine relancée, un cap décisif; Etienne Avice, son mari, Z 63, pour ses mises au point nombreuses, toujours cryptées mais le plus souvent décryptables, et pour les admirables bourgognes qu’il ouvrit généreusement lors d’un dîner riche en évocations;

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Jean-Pierre Bataille, fonceur et imaginatif délégué régional pour le Midi-Pyrénées après avoir été un pilier de quelques bureaux nationaux, qui m’a accueilli chez lui, à Toulouse, une ville par ailleurs chère à mon cœur; Jean-Claude Daniel, président du Jury national Zellidja (je sais, il faut dire : “Comité de sélection”...), rigoureux et diplomate, actif et convivial; Françoise Dommanget, qui a été cooptée “lauréate” en raison de ses signalés services à l’Association de 1984 à 2002, secrétaire au départ puis très vite “bras droit” de cinq présidents, mémoire irremplaçable de près de vingt ans de vie des bourses “relancées”, et avec ça d’une générosité...; Jean-Pierre Girier et Michelle, présents à cette aventure dès ses débuts et à nouveau lors de sa renaissance; Gérard Godde, ex-grand président de l’Association des lauréats, qui m’a gentiment accueilli, et Pierrette aussi, en sa maison de Saint Marcelin-les-Vaisons, m’ouvrant à bien des arcanes de notre passé lointain et de notre présent proche; Alain Guhur, co-artisan de la relance des Bourses Zellidja à la fin des années 70, Alain dont la passion pour Z suffirait à rédimer une vie par ailleurs difficile, et dont la mémoire sur ce sujet au moins ne connaît autant dire pas d’accrocs; Daniel Hartmann, qu’indigna tellement l’hallali des Bourses en 1974 qu’il eut le culot d’aller, avec une demi-douzaine de copains de sa promo 72, en demander compte aux autorités de tutelle de l’époque, académiciens et pontes de l’Education nationale, et qui, bien qu’alors rembarré, est devenu un enseignant à la haute conscience professionnelle, comme on les aime – et je n’oublie pas non plus le rigoureux cotraducteur en français de l’œuvre complète de Freud; Rémi Heude, qui a co-préparé avec conscience les célébrations des 70 ans de Zellidja, où ce livre trouve naturellement sa place; Clémentine Maréchal, lauréate frais (fraîche) émoulue, qui s’est plongée dans des rapports et des rapports de voyage pour en extraire des passages “pénétrés de la pensée du vent”, “de grands textes épars où fume l’indicible” (Saint-John Perse), dont la publication, parsemant le texte de cet ouvrage tel qu’il sera édité in fine, lui évitera une certaine pesanteur disons “endogame”; Jacques Millet, “l’ami Jacques”, qui a puisé dans sa longue histoire de passion avec notre chalet de Manigod pour en extraire les souvenirs de trois de nos

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“expé-travaux” en 1964 (avant beaucoup d’autres, pour lui), de sorte que les lieux puissent accueillir, le 31 octobre 1965, une première assemblée générale “chez nous”; Yves Nayrolles, de tous les Z celui sans doute qui se prend le moins au sérieux, mais qui n’en remplit pas moins avec la plus grande application la tâche de faire éditer les jeunes (et moins jeunes) lauréats; Claude-Marie Vadrot, revu, après mille ans, lors d’un déjeuner à sa “cantine” du Barrio Latino, personnage à qui tant me lie et me délie, touche-à-tout infatigable, administrateur désinvolte et comptable approximatif, toujours ailleurs (on le croit dans le Caucase, et déjà il bêche son jardin des bords de Loire), passionné de quelques causes dont la survie de notre chalet, - son “utopie”, dérivée sans nul doute de son goût précoce et inlassable pour la nature, l’écologie; Vadrot égotique et généreux, anar que le pouvoir fascine, tel ce Kropotkine qui pourrait être son modèle (la géographie comme discipline, la Russie comme attache, la barbe comme signe de reconnaissance...), polygraphe doué en comparaison de l’“écrivant” besogneux que je suis; Vadrot insaisissable, déroutant, qui dès ses vingt ans a cherché “le cap ultime” de l’engagement et l’aura trouvé au Canard... enchainé; Claude-Marie Vadrot qui, à sa façon, aura marqué notre aventure plus longtemps même que Jean Walter puisqu’il sera resté “en piste”... un demi-siècle - dont neuf années, en deux séquences, à la présidence de notre Association.

J’ai aussi interviewé

en tête à tête, par mail ou téléphone tous les ex-présidents de l’Association des lauréats encore en vie (six - plus du quart, près du tiers d’entre eux, d’entre nous - ont déjà disparu) qui y ont consenti, soit onze sur treize. Outre Crozel, Boudringhin, Girier, Godde et Vadrot déjà nommés : Jean Aper, homme sage, toujours prêt à servir, dont le soutien ne m’a pas été mesuré lorsque je lui ai succédé à l’automne 1963; Jean-Pierre Garrault, qui assura un interim en mars 1967, artiste bohème et talentueux, allié à l’ample tribu bretonne des Jeanne, qui lui a laissé en alleu la délicieuse Maryvonne, peintre anche lei; Michel Helfter, précis, rapide, officieux; Paul Hunsinger, qui participa avec cœur, vision et application à la relance des Bourses au début des années 80; Jean-Paul Miroglio, dont l’humanité a su lever, pour ce qui me concerne au moins, les barrières qui nous avaient séparés lors de la crise de 1968-70; Bernard Saladin d’Anglure qui, dans la mouvance de notre Association, cofonda un “Groupe d’études” sur “les peuples hyperboréens”,

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resté nettement plus mémorable que son bref mandat de président; Denis Segrestin, auteur, à la veille des événements de 1968, d’un mémoire de sociologie (soutenu devant Raymond Aron !) sur les Bourses Zellidja dont les esprits avaient été fort marqués, qui se trouva ensuite roulé dans des tourbillons que nul n’avait vu venir et dont, pas plus que d’autres, il n’avait imaginé l’ampleur et... qu’il a totalement oubliés aujourd’hui.

J’ai également vu, entendu, lu des boursiers et lauréats “de base” :

Léonie Ahrens, dont l’intelligence, désinhibée mais inquiète, exprimée en des mails généreux, parfois torrentiels, a accompagné maints moments de ce travail, et qui m’a fait l’analyse la plus fine, la moins conventionnelle, de la façon dont Zellidja transforme filles et garçons; Clara Arnaud, dont l’épopée toute fraîche redonne du magnétisme à la terre, Clara grâce à qui la Chine n’est plus à douze heures de jet mais au bout, à nouveau, de la route de Marco Polo; Jacques Audoin, le plus âgé de nous tous (il a 84 ans comme ces lignes sont écrites), en son temps cardiologue émérite et qui, aujourd’hui, regarde le grand large depuis l’île d’Yeu où il s’est retiré;

Jean Baubérot, qui refuse de prononcer si Zellidja est une institution “protestante”, mais qui m’a fait part de ses vues de chercheur au C.N.R.S. sur l’irrésistible montée des filles dans l’Université, la vie en général et notre Association en particulier; Haneline Brel, la plus jeune lauréate à ce jour, dix-huit ans, qui exprime avec fraîcheur” des vues profondes sur notre créateur (“notre Créateur” !); Jean-Marie Breton, qui ne fut jamais ménager de son

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temps lorsque nous avons travaillé en équipe de 1963 à 65; Claude Buffet, qui fut d’un de mes “Bureaux” il y a près d’un demi-siècle et reste présent aujourd’hui encore, Claude dont je n’ai pas oublié la leçon de ski, ma première, au chalet; Bleuenn Carré Chen (je m’émerveille encore d’échanger instantanément des mails avec Shanghaï, comme cela signe ma génération !); René Chantrieux, Z 1946, grâce à qui j’ai perçu un aspect peu mis en avant de la personnalité de Jean Walter : son amour, de patriote alsacien sans doute, pour l’Union Française; Laurent Dalimier, administrateur général de la Fondation Zellidja et secrétaire général de l’Association Z; Jean-Louis Desgranges, de la mythique génération des Z 47, la seule dont les membres se sont revus avec régularité, quitte à constater mélancoliquement que leurs rangs s’éclaircissent, Desgranges chez qui deux voyages Z en Italie ont instillé une passion pour ce pays que je partage, Desgranges qui, par ailleurs, m’a donné une indication forte sur la façon dont Jean Walter savait obtenir, sans avoir l’air d’y toucher, ce qu’il voulait de “ses enfants” - en l’occurence la création d’une association qui les regrouperait; Jacques Doucet, un des rares Z dont on sache de façon certaine qu’il glissa une idée à Jean Walter : celle de l’internationalisation des Bourses, vers l’Allemagne pour commencer (ce dont la petite flamme n’est pas éteinte), et qui nous reçut, Jean Crozel et moi, dans son beau manoir XVIIIème de Selles sur-Cher; Stéphanie Doucet, qui pose les (bonnes) questions de sa génération;

Jean-Jacques Favier, qui alla aussi simplement de Strasbourg à Marrakech sur sa mob’ en 1966 qu’il fît, exactement trois décennies plus tard, à quatre cents kilomètres d’altitude, deux cent soixante-douze révolutions autour de la terre, soit onze millions de kilomètres, à bord de la navette américaine Columbia; Jean-Claude Gardette, qui ne mâche pas plus ses mots qu’il n’a mesuré sa peine, à deux reprises au moins, pour compter rigoureusement nos sous aux heures de dèche ou pire, et à qui je suis reconnaisssant d’avoir été l’un des rares à me soutenir, en 1968-70, dans un combat que l’étique cohorte des “majoritaires” jugea douteux - j’y reviendrai, bien sûr;

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Laurent Guinand, Z et fils de Z, cool et pertinent, précis – sturdy, comme on dit, je crois, à Washington où il vit; Isabelle Collombat, qui contribua, avec Gérard Godde et Raphaël Butruille, à donner leur actuelle configuration tant aux jurys Z, régionaux et national, qu’à la cérémonie annuelle de remise des prix aux nouveaux lauréats; Serge Klarsfeld, qui n’a pas à être présenté, comme on dit, et qui assure, avec son humour particulier, avoir été “le lauréat Zellidja qui a fait le moins de chemin : du 26 rue Geoffroy- L’Asnier [le premier siège de notre association, où il fut trois années rédacteur en chef de notre revue à tendance trimestrielle Espaces], au 17 de la même rue” [où est le Mémorial de la Shoah, à quoi il consacra, deux-tiers de vie durant, l’énergie que l’on sait]; Isabelle Kovacic-Le Breton, la première jeune femme officiellement lauréate Z, en 1984, et qui s’en trouva bien puisqu’elle y rencontra, entre autres delicacies... un mari; Philippe Labro, le talentueux et mal-aimé de notre Association (mais les choses vont mieux depuis 2008 !) - sans doute parce que, de son propre aveu, il ne regarde jamais en arrière (serait-ce pour éviter... de tomber une huitième fois ?); Pierre Lambert, tempestueux dominicain, pétri de culture arabo-musulmane, “marocain de cœur”, seul lauréat présent à la mise en terre de Jean Walter au cimetière de Passy en janvier 1958, parce qu’il y fallait, selon Domenica, la veuve, “une touche de spiritualité”; Dominique Lapierre, d’évidence notre plus éminente “vedette”, follement sympathique et de surcroît disponible, homme généreux (comme on le sait jusqu’à Calcutta...), et qui, octogénaire comblé de tous les succès d’édition, dit aujourd’hui encore que sans Zellidja il n’aurait pas été ce qu’il est; Roland Lazard, qui s’attaqua en 1967-68 à la lourde, impossible sans doute, tâche de réformer les Bourses telles que les avaient conçues et léguées Jean Walter, aujourd’hui chargé de trouver l’argent pour que l’aventure continue, et à qui, à ce titre, va tout mon soutien; Sylvain Lazarus, qui prépara notre colloque sur “l’aventure”, au printemps 1966 à l’abbaye de Royaumont, et qui s’est souvenu de quelques détails dudit; Serge Lemeslif, revu près d’un demi-siècle après qu’il m’eut “soufflé” le Grand Prix Zellidja – sans rancune, vraiment !; Jacques Lemire, qui m’a fait comprendre, par une description de Hénin-Liétard où il habitait en 1946, pourquoi une proposition de bourses de voyage y survenant pouvait faire le même effet qu’un metteur en scène passant dans la rue et disant : “Voulez faire du cinéma ?”; François Lethève (François, j’irai te voir, c’est promis !); Charles-Henri Marais, qui a bien voulu consulter l’historiographe que j’étais en train de devenir sur le choix des sept “parrains”

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de la promotion 2009; Anne Millet,dont les questions pertinentes, lors d’une interview, m’ont aidé à mettre en place quelques notions encore flottantes; Philippe Molle, talentueux jouteur soixante-huitard, aujourd’hui “repenti”, il l’admet, qui, dans la thébaïde tahitienne où il s’est installé, s’adonne à sa vraie passion : la plongée sous-marine - ce qui fait de lui un “hyper-Zellidja”; Philippe Mourot, délégué régional pour la Bretagne, qui m’a informé avec précision et acuité psycho-socio-intellectuelle, sur notre “public” de jeunes boursiers; Ernest Ostrowsky, dit Omar Pasha, magicien de son état, (oui, nous avons un chez nous !), champion intercontinental de l’escamotage en lumière noire, et pour qui “abracadabra” se dit : “Travaillez ! travaillez encore ! travaillez toujours !”; Etienne Pannabière, qui m’a conté comment, troufion, il a découvert notre chalet de Manigod lors d’une “fausse perm’; Alexandre Prost, qui a courageusement pris une difficile succession en Bourgogne, et dont les lacunes m’ont confirmé l’utilité d’une biographie de Jean Walter; Micie Pavis, qui fit ses voyages Z trente ans après son père, et s’aperçut – ô Freud ! - que l’un et l’autre, “athées”, avaient choisi des sujets à connotation religieuse; Soraya Ramdani, “turbulente” (elle le dit) boursière “issue de la diversité”, qui “écrit à l’arrache” (sic!), mais apte comme pas deux à saisir l’air du temps; Didier Rance, que ses curiosités “orientales”, nées avec Zellidja, ont conduit, après ses déceptions soixante-huitardes, à un engagement religieux original; Gérard Régnier dit Jean Clair, ami rare, ferrailleur impénitent, pudique, orgueilleux, “grognon” et qu’on dit “anti-moderne” (ce qui lui semble sans doute autant de compliments !) et qui, académicien désormais, m’a fait part de ses vues sur la fameuse “Collection Jean Walter-Paul Guillaume”, mobilisant ses amis latinistes pour traduire une mystérieuse inscription, digne du Da Vinci Code, placée à l’entrée de la galerie de l’Orangerie des Tuileries, où sont hébergées les cent quarante-cinq tableaux, Gérard qui se souvenait également bien de Jean Lacaze, beau-frère de Jean Walter, et avait gardé mémoire de Jean Bouret, critique d’art aux Lettres françaises, dernier compagnon de Domenica; Italo Scaravetti, longtemps “régional” de Toulouse, grâce à qui j’ai pu retrouver, dans une île anglo-normande (!), la première jeune fille, aujourd’hui femme dans son épanouissement, qui fut officiellement lauréate Zellidja; Jacques Sougy, bien connecté, toujours actif dans notre petit monde; (Simon Spivac, seul défunt de cette liste, avec qui j’ai mille fois dialogué jusqu’à 1989 - sur le Vietnam, l’Afrique, Cuba, l’avenir du Monde et du monde, du communisme, etc. -, à qui vont de spéciales pensées parce que durant nos batailles de 1968-70, il été, le seul du groupe “d’en face” à formuler qu’il ne suspectait pas mes raisons et me maintenait son amitié); André Tétaz, le Z qui a

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sans doute le mieux connu Jean Walter, pour avoir été, tout le mois d’août 1951, skipper à bord de son yacht l’Amadour, ce qui lui a permis de longs échanges avec le “pacha”, et aussi de côtoyer, entre autres célébrités dont il se souvienne, Picasso et l’Aga Khan; Paul Trouillas, neurologue de renommée internationale, Lyonnais comme moi, homme jamais en repos, généreux ami - et aussi deux de ses fils, Christophe et Alexis, lesquels ont contribué à prouver que le virus Z peut se transmettre d’une génération à la suivante; Jean-François Walter, simple homonyme de notre fondateur mais qui n’en fut pas moins des quelques ceux qui ont fait renaître les Bourses Z au tournant des années 70-80; Bertrand Wolff, le vice-président de mon premier Bureau (1963-64), garçon inquiet, à qui Zellidja sembla vite trop sage dans une France qui, sans le savoir encore, n’était plus en phase avec les anciens paradigmes; Gérard Worms, qui veille au grain sur “l’esprit Z” de son siège de président du ‘Conseil d’orientation, qui prouve à chaque instant de sa vie qu’on peut être financier et philanthrope, et auprès de qui ce livre a trouvé le plus chaleureux des encouragements.

Ma reconnaissance va encore à des personnalités

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qui toutes ont été proches, voire très proches, par la parenté ou le travail, de Jean Walter, et qui m’ont libéralement ouvert leur mémoire : Jean Bailly, ingénieur des Mines qui a travaillé sept ans à Bou Beker, dernier collaborateur vivant de Jean Walter, qu’il a souvent vu, là-bas et à Paris, et qui m’a fait comprendre (un peu !) ce qu’est l’extraction du plomb en général et ce qu’était Zellidja en particulier; Marine Frey, petite-fille de Jean Walter, fille de Jacques Walter lequel fut, trois décennies durant, le “patron” des mines à Bou Beker, Marine qui m’a ouvert des vues précieuses sur “la famille”; Catherine Lamour, petite fille de Jean Walter, connue il y a quarante ans au Monde où nous débutions l’un et l’autre, capable d’observations fulgurantes sur ses “antécesseurs”; Geneviève Lamour, dite “Ginette”, mère de la précédente, unique enfant de Jean Walter survivant(e) à l’heure où sont écrites ces lignes, veuve d’un grand commis de l’Etat, Philippe Lamour, qui aurait pu changer l’avenir de l’institution Zellidja si ses tâches publiques ne l’aveient tant absorbé; Julia Seitre, arrière petite-fille de Jean Walter, passionnée par les Bourses Zellidja à quoi elle consacre du temps entre deux reportages-photos sur des sujets ayant trait à la nature, chaleureuse, fine, dupe de rien (faite lauréate d’honneur); Jean-Jacques Walter, petit-fils de Jean, fils de Jacques, qui a décidé en 1997 d’apporter une très importante contribution aux Bourses relancées par les soins de l’Association des lauréats, et à ce titre a été nommé président de la nouvelle Fondation Zellidja, recréée en 2004, esprit aux curiosités protéiformes, parfois surprenantes, voire provocantes, mais qui assume avec crânerie.

Je n’oublie pas enfin des apports plus “techniques”, mais précieux,

pour ce qui est de la recherche de sources bibliographiques ou d’archives, de : Frédéric Bernardini, qui a veillé au “bon accueil” de ce travail sur le site de Zellidja; Sami Barkaoui, qui a préparé l’interconnecion des sites “Z” et Z; René-François Bizec, qui a travaillé à la recherche d’un éditeur; Jean-Charles Cappronnier, conservateur aux Archives nationales, qui m’a ouvert le “Fonds Jean Walter”, constitué en 1974 sur la base d’un dépot de sa veuve, Domenica;

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Myriam Denève, qui a remué la bibliothèque universitaire de Louvain-La-Neuve, en Belgique, pour y découvrir une perle sur Jean Walter et le Maroc; Clotilde de Gastines, historienne embarquée (pour une production télévisée) dans une recherche sur Jean Walter, excellente connaisseuse du Maroc des années 50, avec qui nous avons échangé plus d’une information; Frédérique Lamy, documentaliste au Monde, qui a fait pour ce livre plus d’une recherche sur des moments “chauds” de notre histoire Zellidja; Laurence Larguier, qui s’est efforcée de m’orienter parmi les (maigres) archives de l’Association; Norbert Muniglia, qui a préparé l’accueil du site « Z » par le site Z; Valérie Nonnenmacher, bibliothécaire à la Nationale, qui m’a “sorti” un précieux ouvrage où il était question de l’Inspecteur Louis François; Françoise Petot, archiviste de la ville de Montbéliard, qui a bien voulu se livrer à quelques explorations sur le jeune Jean Walter, natif de cette sous-préfecture, comme on sait; Florence Trystram, auteur de La dame au grand chapeau (Flammarion), fascinant essai sur Domenica, épouse en deuxième noce de Jean Walter, redoutable « croqueuse d’hommes », aussi flamboyante que lui était, jusqu’à elle, protestant austère - Florence Trystram qui, lors d’un long tête-à-tête à son domicile parisien, a pu me donner des précisions sur plus d’un détail rapporté dans son livre; Jean-Pierre Tuquoi, journaliste au Monde, spécialiste du Maghreb, qui m’a trouvé un ouvrage irremplaçable (3 tomes!) sur le Maroc au tournant des années 40-50; merci, enfin à Louisa Voilqué, souvent mise à contribution - dernière de cette liste, mais c’est comme si elle la signait !

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AVANT-PROPOS

« Pitié pour nos erreurs. » Guillaume Apollinaire

L ’enquête pourtant longue qui a précédé la rédaction de ce livre et lui a servi de base n’a pas permis, l’auteur en est bien conscient, de faire l’entière lumière sur un sujet pourtant d’apparence très délimité, modeste : les 70 années de vie des Bourses Zellidja. À cela plusieurs raisons. La plus banale est la dispersion des archives. Lorsque l’Association regroupant les lauréats des Bourses « Z » (ainsi abrégeons-nous parfois) - alors réduite à une douzaine de copains se retrouvant pour des petites bouffes sympa et des séjours de printemps, d’été ou d’hiver dans un vieux chalet de Haute-Savoie - a dû, le 1er mars 1973, quitter, sous menace d’huissier, les bureaux qu’elle occupait depuis vingt-et-un ans dans un hôtel particulier sis au 26, rue Geoffroy-L’Asnier, à Paris (4ème), le président de l’époque a, selon ses propres dires « trié les archives utiles », pris sous son bras deux ou trois dossiers

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- dont ce qui concernait « le chalet » que nous avions en Haute-Savoie depuis une douzaine d’années, et qui était son obsédante passion - et les a emportées chez lui; et puis, comme il arrive à tout un chacun, il a plus d’une fois déménagé et comme, selon le dicton populaire, « plusieurs déménagements valent un incendie », de cette mémoire collective il n’est à peu près rien resté... Il a donc fallu reconstituer ces archives évanouies à partir de fonds plus ou moins amples gardés ici et là, à Paris et en province, ex officio ou à titre personnel, par des lauréats plus… conservateurs. Quant à la Fondation distributrice des Bourses (qui avait son siège à dix pas de l’Association, juste de l’autre côté de la cour de cet hôtel particulier du XVIIème siècle où notre fondateur, Jean Walter, avait, en 1918, succédé à l’écrivain italien Gabriele D’Annunzio), lorsqu’elle a, de son côté, le 30 septembre 1974, mis la clé sous le porte pour des raisons qui seront soupesées plus avant, elle ne s’est pas davantage, que l’on sache, préoccupée d’archives.

[En 1974, un lauréat sauve de la poubelle

3 500 rapports de voyage écrits depuis 1939

par les boursiers Zellidja.]

C’est donc un lauréat, Henri Delors, Zellidja d’ancien granit qui, alerté par la quelque peu rigide mais parfaitement dévouée secrétaire administrative de ladite Fondation, Mlle Solange Anouilh, est spontanément venu charger dans une camionnette, avant qu’ils ne soient purement et simplement mis à la benne, à la poubelle, l’essentiel (environ 3 500) des quelque 5 000 rapports de voyage et d’étude écrits par les « Z » de 1939 à 1973-74. Aujourd’hui encore ces documents sont au domicile de notre camarade… toujours en attente d’une solution plus pérenne ! Ce trésor occupe une entière grande pièce en semi sous-sol de sa maison située en bordure de la forêt de Chantilly – à une portée de flèche du célèbre château homonyme, propriété de l’Académie française. L’Académie française, tiens, nous en reparlerons. Mais sans attendre parlons-en ! Car l’un des obstacles les plus inopinés rencontrés par l’auteur de ce livre est l’obstiné déni de coopération d’une institution de la République qui a pourtant joué, près de deux décennies durant, un rôle de premier plan dans cette aventure, avant de s’en retirer dans des conditions restées parfaitement mystérieuses : l’Académie française, précisément. Seul le silence, en effet, a répondu à nos demandes d’éclaircissements pourtant formulées de façon répétée, courtoise - et sans la moindre ambiguïté pour ce qui est de leur motivation : écrire l’histoire des Bourses Zellidja, un modeste épisode de l’Histoire de la

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deuxième moitié du XXème siècle. Ce silence est d’autant plus assourdissant qu’il émane du gardien officiel de la parole écrite en France et officieusement de la francophonie. Une telle absence de réponse est d’autant plus incompréhensible qu’elle est le fait d’une « Société » (ainsi l’Académie française aime-t-elle à se désigner) dont le plus haut représentant, le « Secrétaire perpétuel », est… une historienne.

Plus attendue était la difficulté où nous nous sommes trouvé de reconstituer dans une certaine continuité la vie du fondateur des Bourses Zellidja : Jean (Georges Henri) Walter. Absolument discret sur lui-même, en emblématique protestant culturel (on ne sache pas qu’il pratiquât) ; fuyant la publicité au point que trouver deux photos de lui hormis celles, fort convenues, qu’il avait laissé publier de son vivant aura été une gageure ; homme somme toute timide - bien qu’il en eût fait trembler plus d’un, et même de fort puissants -, au point de ne monter qu’une seule fois semble-t-il, c’était en juin 1954, à une tribune, et pour y lire un texte soigneusement écrit ; à peine mieux à l’aise dans le tête à tête, où il écoutait avant de rendre, en deux ou trois phrases lapidaires, une sentence souvent

bienveillante; entouré dès après sa mort, survenue accidentellement le 10 juin1957, d’une aura de silence – qui au moins isola sa mémoire des turpitudes où s’étaient laissé aller, autour de son héritage, des « alliés » (au sens du Code civil) - turpitudes qui firent les choux gras de la presse toute l’année 1959 ; [Jean Walter n’a guère semé

de ces cailloux blancs qui aideraient

les historiographes

à retrouver ses chemins.]

quelque peu « abstrait » par la famille qu’il avait fondée en 1906 puis avait,

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il faut le dire, mise à distance au profit tant d’une nouvelle épouse disons « spectaculaire » et « envahissante » que d’entreprises de toutes natures (agricoles, industrielles, minières, immobilières) qui l’accaparaient ; adulé par des lauréats Zellidja qu’il nommait « mes enfants » et pour qui (les plus anciens au moins), il aura volontiers représenté un père idéal, ou de substitution - au point que ses traits personnels en auront été gommés au profit de sa valeur de signe, comme il en va d’une icône ; jamais étudié comme architecte, pourtant emblématique de la construction hospitalière des années 30, sans doute parce qu’il avait trop bien réussi dans d’autres activités ; décédé peu de mois avant une République, la Quatrième, dont il avait été l’un des rois secrets (influençant même directement sa politique en une circonstance au moins, celle qui aboutit à l’Indépendance du Maroc), mais dont le parcours, avec ses forces et ses faiblesses, fut estompé par le régime qui lui succéda en 1958 : Jean Walter n’aura guère semé de ces cailloux blancs qui aideraient tellement un Petit Poucet historiographe à trouver son chemin – à retrouver ses chemins !

Étonnante aussi, l’auteur le dit avec un tremblement qui s’expliquera mieux dans le cours du livre, est cette sorte d’amnésie dont ont été frappés presque tous les protagonistes d’un épisode qui a pourtant revêtu une certaine importance dans l’histoire qui va nous occuper, au point de déboucher sur une extinction de près de dix ans (1971-1978) : la bataille, de plus en plus âpre depuis ses prodromes à l’automne 1968 jusqu’à son épilogue au début des années 70, opposant les responsables successifs des Bureaux de l’Association des lauréats à la Fondation homonyme chargée de distribuer les Bourses Zellidja, alors présidée par l’académicien Jules Romains - à qui succéda en 1972, le secrétaire perpétuel Jean Mistler, sous l’égide de qui il fut procédé à l’hallali final. Bien sûr, depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous la passerelle des Arts, et tant d’autres événements combien plus importants sont survenus dans les vies de chacun. Mais un oubli si total, un trou noir si vertigineux, voilà qui interpelle, comme l’on dit. Un retour sur « la pensée 68 », telle que l’ont contradictoirement analysée Gilles Lipovetsky, Régis Debray et Luc Ferry, Cornélius Castoriadis et Raymond Aron, ne sera pas de trop pour y jeter un peu de clarté .

[Une mise en ligne partielle

à l’occasion de la cérémonie de proclamation des nouveaux

lauréats Zellidja, le 25 juin 2009, La manifeste incomplétude, en l’état, de ce travail est l’une des raisons pour quoi l’auteur a décidé de le publier en deux temps* : une mise en ligne partielle

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sur Internet pour le 25 juin 2009 – jour de la proclamation des nouveaux lauréats de l’année, et donc le plus propre à être tenu pour celui même de « l’anniversaire » des 70 ans ; et sous la forme plus classique d’un livre en décembre prochain. (Ainsi d’ailleurs, est-il espéré, des compléments d’information pourront-ils parvenir, cet été et cet automne, à l’auteur, qu’il examinera bien entendu de la façon la plus scrupuleuse en vue de sa version définitive.)

Autre précision : l’auteur de ce travail a été désigné par ses pairs. À l’inspiration d’un de nos « grands anciens », François Schoeller, l’assemblée générale annuelle de l’Association des lauréats a décidé, au printemps 2008, du principe de cet ouvrage. Puis une réunion de travail ouverte, où était également représentée la Fondation distributrice des Bourses, a affiné les choses. Il y a été admis, en particulier, que, en dépit du caractère très spécifique de l’ouvrage, - une « commande », en somme - l’auteur y aurait ce que les metteurs en scène de cinéma appellent le final cut : le dernier mot. À ses yeux ceci n’implique certainement pas ce que l’on nomme volontiers aujourd’hui une « position de surplomb ». Il s’est mis humblement à l’écoute des gens et à la recherche des documents.

Car d’autres « Z » auraient eu de plus grands mérites à tenir la plume : Dominique Lapierre, dont les ouvrages, qu’il les aient écrits avec Larry Collins ou seul, se sont vendus à des dizaines de millions d’exemplaires ; Philippe Labro, dont la notoriété comme écrivain, et journaliste, et cinéaste est immense ; Jean Clair, dont les essais sur la peinture moderne, les monographies d’artistes contemporains et les réflexions sur l’Art et la vie lui ont valu d’être “installé” la semaine dernière à l’Académie française ; Jean Baubérot, rigoureux historien du protestantisme, des relations judéo-chrétiennes et de la laïcité; voire Philippe

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Beaussant, passionné d’art roman, historien du “Grand siècle”, “baroqueux” notoire, également membre de l’Académie française. Claude-Marie Vadrot, journaliste et auteur prolifique, bretteur émérite et donc bien en accord avec l’air du temps, de surcroît très engagé, un demi-siècle durant, dans la vie de l’Association des lauréats, a été consulté et aurait pu être retenu s’il l’avait souhaité.

Le verdict des pairs n’a désigné que le plus disponible parmi les “Z” ayant déjà quelques ouvrages à leur actif ! Un tel choix, voici qui oblige ! Alors disponible, oui. Et empathique, sûrement. Toutefois pas complaisant ! Tout cinéphile connaît certes l’ultime réplique du film de John Ford L’homme qui tua Liberty Valence, adressée à un journaliste enquêtant dans le Far West : “Si vous hésitez entre publier la vérité ou publier la légende, print the legend !” Mais ce n’est pas ainsi que l’auteur de ces lignes voit les choses ! Il est d’ailleurs autant dire dépourvu d’imagination ! L’usage seul, cependant, est l’impitoyable juge. La seule chose qu’on promet ici est que ce qui n’est que conjectural sera dit pour tel. Avoir pratiqué trois décennies au quotidien Le Monde (dont un an sous la houlette du fondateur Hubert Beuve-Méry) l’ascèse de l’objectivité y est une forte invite, d’ailleurs.

[Pour une lecture “stéréoscopique”, et donc plus ardemment critique encore,

des événements.)

Disponible, donc et objectif. Mais intéressant ? Pour tenter de captiver un public un peu plus ample que celles et ceux qui ont été directement impliqués dans l’aventure Zellidja, l’auteur a tenté d’appliquer une méthode qu’il n’a certes pas inventée (lire Jorge Semprun, par exemple), que l’on pourrait qualifier d’“itérative”, et qui consiste à aller chercher en aval des éléments donnant du lustre au présent - en se gardant toutefois de voir dans la futur le père du présent, style : sous le jeune Bonaparte déjà perçait Napoléon...

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Disponible et objectif voire intéressant, mais véridique ? L’auteur de ce livre, il s’en rend compte, est sur quelques points “soupçonnable” (comme quiconque, d’ailleurs, et à propos de tout : relire, pour ce qui touche à la chose écrite, Nathalie Sarraute...) Ainsi, d’avoir été un assez ardent protagoniste de la bataille qui, au tournant des années 1960-1970, a secoué les Bourses Zellidja lui avait valu, alors, des rancœurs dont il ne jurerait pas qu’elles sont toutes apaisées. À ce point de son “Avertissement” au lecteur, l’auteur est amené à lancer une autre action de déminage ! Lorsqu’il était président de l’Association des lauréats (1963-1965), il a été conduit à nouer des relations de travail efficaces et courtoises, mais à quoi d’aucuns objecteront sans doute, avec Jean Lacaze. Cet homme, qui était le beau-frère de notre fondateur, s’est retrouvé, à la mort de ce dernier, et après quelques épisodes qui ont défrayé la chronique, l’un des “triumvirs” du “système Zellidja”**, aux côtés de l’inspecteur général de l’Education nationale Louis François, que l’on peut quasiment tenir pour le “cofondateur” des Bourses, et de l’architecte Louis Bardury, immémorial collaborateur de Jean Walter. Or Jean Lacaze avait eu son nom mêlé, en 1959, à une “affaire” (elle sera rappelée plus avant) que la justice a pu juger “méprisable” (il lui était reproché une “tentative de subornation de témoin” au sein d’un dossier plus ample où la vie de Jean-Pierre Guillaume, fils adoptif de sa sœur, elle-même veuve de Jean Walter, avait été menacée). De cette inculpation Jean Lacaze a été blanchi, après un an et demi d’instruction (et six jours de prison préventive) - sans toutefois que la conviction de son innocence l’ait emporté dans tous les esprits. Pour certains, il resterait un peu le diable, quoi ! Avec cet homme qui s’est montré (par nature profonde ou par “politique” - après “l’affaire”, précisément ?) très généreux envers les lauréats – deux au moins nous en ont donné témoignage -, ont été nouées, dès le début des années 60, des relations profitables pour tous. Était-ce pendable ? Cela s’est dit à partir de l’automne 1968. Mais si tel est bien le cas, plus d’un se balancera au gibet car, avec Jean Lacaze, tant le prédécesseur que le successeur de l’auteur de ces lignes à la présidence de l’Association des lauréats ont eu, les archives en attestent, de bonnes, voire d’excellentes, relations de travail. Ce commerce aisé de notre association avec “la Maison d’en face”, ou “l’autre côté de la cour”, comme nous disions, autrement dit la Fondation Nationale des Bourses Zellidja, qui nous hébergeait au 26, rue Geoffroy-L’Asnier à Paris

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(4ème) a duré jusqu’à une Assemblée générale mémorable, le 29 septembre 1968, au cours de laquelle a durement été mise en cause l’origine de tous les fonds en provenance de Zellidja – moins, d’ailleurs, disons-le, la (fort coquette) subvention annuelle à l’Association, ou les aides accordées aux lauréats pour leurs études supérieures, que les Bourses de voyage elles-mêmes. Un Z qui n’était pourtant pas un perdreau de l’année, a cru devoir proclamer, ce jour de l’automne 68, entraînant dans son sillage le plus fort contingent des présents, que “l’argent de nos Bourses a[vait] été extrait à coups de fouet du dos des travailleurs marocains”. L’auteur du propos a, il est vrai, reconnu, après quatre décennies presque jour pour jour, que son expression avait nettement outrepassé sa pensée. Toutefois nous reconnaissons bien volontiers qu’il y a là un thème – le traitement réservé par Jean Walter aux hommes qui ont concouru à faire sa fortune au Maroc et, partant, à enchanter huit milliers de jeunes Français en les lançant par les chemins du monde - sur quoi ce livre devra faire porter ses vérifications les plus attentives. Les jeunes lauréats ne comprendraient pas notre abstention sur ce point.

Ecrire, après le cher Montaigne, “C’est ici un livre de bonne foi, lecteur”, ne convaincra certainement que les convaincus. Plaider que du temps a passé, lequel apaise bien des choses, voici qui semblera insuffisant. L’auteur a donc choisi de consacrer l’ultime section du quatrième et dernier chapitre de ce livre à une approche plus résolument personnelle de cette histoire. Il attend de ce procédé qu’il puisse aider à une lecture disons “stéréoscopique”, et donc plus ardemment critique encore s’il en était besoin, d’événements auxquels il a été mêlé. Et c’est parti pour 350 000 signes ! *La vérité oblige également à dire que ce travail était encore, à la fin du printemps 2009 : 1/ en attente de l’acceptation formelle d’un éditeur ; 2/ inachevé. **Jules Romains, déjà nommé, qui avait été désigné en 1957 président de la Fondation Nationale des Bourses Zellidja, a longtemps suivi l’affaire avec un intérêt où la bienveillance se mêlait à un peu de goguenardise; mais, en réalité, il ne faisait guère que donner le sceau de la respectabilité académique aux décisions du “triumvirat” Jean Lacaze-Louis François-Louis Bardury. C’est André François-Poncet qui, aura été, et de loin, le plus empathique des huit académiciens de base” membres du conseil d’administration de la FNBZ à l’endroit des lauréats.

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PROLOGUE :

L’AUDACE DE L’ÉTÉ 39

Étrange moment que l’été 1939 pour lancer des jeunes gens sur les routes de France - en esprit de paix à tout le moins – de paix et d’étude ! Mars 1938 : l’Anschluss de l’Autriche par l’Allemagne – ce qu’avait interdit le traité de Versailles moins de vingt ans plus tôt. Fin septembre 1938, Munich : la reculade de l’Angleterre et de la France, concédant à Adolf Hitler, en présence d’un Mussolini attentif, la province tchécoslovaque des Sudètes ; suite à quoi, en toute logique historique, l’armée allemande entre à Prague en mars 1939 et le 3ème Reich annexe la Bohème-Moravie. Alors, demain : l’Alsace ? Beaucoup, en Europe, en France, sont désormais convaincus qu’une nouvelle grande guerre est devenue inévitable – même si certains, usant de la méthode Coué, sont soulagés d’avoir obtenu « Encore quelques instants [de] Monsieur le bourreau ». C’était d’ailleurs depuis le 31 janvier 1933, date de l’arrivée du chef du parti nazi à la Chancellerie de Berlin, que les esprits pessimistes (ou clairvoyants) se préparent pour un avenir terrible. (Même le directeur du Louvre commence à réorganiser les réserves du musée au cas où…) De fait, l’Allemagne envahira la Pologne le 1er septembre 1939 et, le surlendemain, la France et la Grande Bretagne mobiliseront contre la grande

puissance centre-européenne, mère de musique et de philosophie, tombée en d’affreuses mains.

C’est pourtant dans ce climat lourd que cinq jeunes gens se lancent, ou plutôt sont lancés, dans une

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aventure alors peu ordinaire - malgré le « lâcher des amarres » qu’avait constitué, l’été 1936, les « congés payés » : un voyage, à bicyclette, au départ d’une des provinces françaises les plus proches de cette Allemagne de tous les dangers, la Franche-Comté. Ils sont lancés par un ancien élève de leur établissement, qui se nomme Jean Walter. Ils étaient ainsi cinq garçons du collège Cuvier de Montbéliard, âgés de 15 à 18 ans, élèves qui de « rétho » (Première) et qui de classe Terminale. Notre petite histoire a retenu leurs noms, les voici : André Choffat, Albert Jacot, Victor Kuentzann, Auguste Minazzi et Jean Richard. Ils partaient dans des conditions que leur avait précisées le principal de leur collège ou (et ?) un de leurs professeurs – conditions qui sont d’ailleurs, pour l’essentiel, celles imposées à leurs successeurs soixante dix-ans plus tard : chacun devait voyager seul, avec un pécule somme toute modeste, et avec l’obligation de faire, au retour, un compte-rendu écrit de leur expérience. Seuls les trois premiers cités, Choffat, Jacot et Kuentzmann, ont été “primés”, selon des modalités dont le détail ne nous est pas parvenu. Des deux autres jeunes voyageurs de cet été 39, Minazzi et Richard, nous n’avons pas retrouvé le rapport ; seulement sait-on qu’ils avaient voyagé de conserve vers les Alpes et la Côte d’Azur – ce qui, à la réflexion, n’a pas paru une bonne idée au fondateur des Bourses, lequel imposera ensuite l’obligation de l’aventure en solitaire. Notre revue Espaces, toutefois, a publié en juillet 1962, un court extrait de Richard relatif sa désignation comme boursier en 1939 : « Je me souviens, écrit-il, du bruit qui courait au collège Cuvier, selon lequel des bourses de voyage seraient offertes par un généreux donateur (dont je n’avais pas noté le nom) pour aider au redressement national. J’admirais le geste, mais il ne me touchait pas personnellement car je savais que je ne serais jamais désigné. Or mes camarades de classe, en ont décidé autrement, et leur choix a été ratifié par nos professeurs…. »

En revanche l’histoire, la grande Histoire, a archivé le nom de l’un d’eux, Victor Kuentzmann, qui avait voyagé en Auvergne, sur un support plus prestigieux que celui de nos annuaires d’anciens : un monument aux morts (l’auteur de ces lignes n’a pas encore découvert en quel village ou ville), car ce jeune homme a été fusillé, en 1944, par les Allemands « pour fait de résistance ». Il n’a hélas ! pas été possible de savoir où exactement l’avait conduit son voyage Zellidja, car son rapport est porté « manquant », ni quel sujet d’étude il avait retenu – sinon qu’il s’était intéressé à un thème « économique ».

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[Le modeste travail de Choffat porte l’émouvant numéro « 1 » parmi des milliers de rapports.]

Un autre de ces jeunes gens, Albert Jacot, avait d’évidence pris goût au dépaysement lors de son aventure de l’été 39 (« Voyages en zigzag au centre de la France ») puisque, devenu pasteur, il a longuement officié à Tahiti. De lui, nous avons retrouvé un texte publié par notre revue Action à l’occasion d’un colloque sur le thème de « L’aventure, moment de la vie ou tournure d’esprit ? », organisé le 24 avril 1966 à l’abbaye de Royaumont. Le pasteur Jacot de réfléchir : « L’aventure ? Il faut

constamment y entraîner son corps et son esprit, avec discipline et persévérance. Comme dans la vie, en fait, car c’est notre vie tout entière qui est une aventure. » Cet homme, qui a par ailleurs engendré une nombreuse descendance, aurait-il fini par souscrire à cette formule de Péguy qui fut plus tard reprise par le romancier Henri Queffélec : « Les pères de famille, ces aventuriers des temps modernes… » ? Malgré son modeste « Voyage fait à bicyclette en Alsace au mois d’août 1939 », André Choffat, lui aussi, avait été par la suite saisi par le démon des lointains : instituteur en Côte d’Ivoire au tournant des années 1940-50, il avait ensuite été promu inspecteur de l’enseignement primaire en AOF (Afrique occidentale française), avant de rentrer vers 1960, comme s’achevait l’aventure de « l’Union française », exercer dans l’Hexagone, puis enfin, repartir… en Guyane, pour une nouvelle affectation, toujours dans l’Éducation nationale, où il acheva sa vie active, comme nous l’a confirmé sa veuve. Son rapport (il le nomme, lui : « Compte-rendu de l’élève Choffat ») figure tout entier sur un modeste cahier d’écolier à spirale, 70 pages d’une écriture fine mais calligraphiée, à l’encre noire un peu pâlie par le temps, à quoi s’ajoutent une quinzaine de pages ; y ont été collées de petites photographies aux bords dentelés comme cela se faisait alors (« Moissonneuse en action », « Canal du

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Rhône au Rhin à Mulhouse », « Le cimetière militaire du Vieil-Armand », « Le lac Blanc » dans les Vosges, l’église - ou temple - de « Munster », ainsi qu’une dizaine de cartes postales fournies par l’administration des « Mines domaniales de potasse d’Alsace », à Mulhouse, à quoi il s’était intéressé durant son voyage, et à quoi il a consacré une étude d’une vingtaine de pages dans son cahier. Ce modeste travail porte l’émouvant numéro « 1 ». Une main qui pourrait bien être celle du fondateur lui-même, Jean Walter, a écrit en haut en à gauche de page de couverture « Assez bien seulement »… Il est le premier de milliers de rapports produits de 1939 à 1973 par cinq mille vingt-quatre boursiers, et dont un de nos « anciens » a pu, en 1974, sauver l’essentiel d’une destruction à quoi ils étaient promis après que l’Académie française se fût, de façon à ce jour restée inexpliquée, retirée de l’aventure. « Depuis mon entrée au collège, commence André Choffat, j’ai toujours passé mes vacances à la campagne, chez mes parents qui, cultivateurs, ne tiennent pas mon aide pour négligeable. » Il poursuit : « Aussi, quand par la volonté de mes condisciples [une élection a eu lieu dans chacun des cinq classes terminales du collège] et par l’assentiment de mes professeurs [le choix des élèves devait être ratifié par le corps enseignant , ainsi le prévoyait le règlement], la Bourse Walter me fut attribuée, me trouvais-je pris au dépourvu. Je n’avais aucun projet, et à ceux qui me demandaient où je dirigerais mes pérégrinations, je ne pouvais que répondre : « Je ne sais. »

[Voici que, d’emblée, l’Histoire, la grande,

talonne Zellidja.]

Choffat dit toutefois avoir songé à aller en Suisse [mais la vie y est trop chère…] ; ou dans les Alpes et/ou sur la Côte d’Azur [belles régions, mais le plaisir n’est pas tout dans la vie : il faut « le plus possible s’instruire »…] C’est dit proprio motu car, à cette première « fournée » de boursiers, il n’a pas été demandé qu’ils se livrent à une étude particulière – obligation qui, toutefois, sera imposé dès la deuxième promotion. Choffat choisira donc in fine d’aller dans une région qui a « une importance capitale pour la vie économique française] : « l’Alsace-Lorraine ». Somme toute très proche de chez lui, cette Alsace-Lorraine – alors est-ce la raison ultime, la facilité, de son choix ? Non, car André Choffat n’est visiblement pas un dilettante. Tout suggère au contraire qu’il est plutôt mû par un autre élément, semi-conscient : une fascination-répulsion pour l’Allemagne voisine : « J’étais curieux de savoir quelles empreintes avaient laissé sur le peuple et les mœurs d’Alsace un demi-siècle de domination germanique [1871-1918] ».

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À ce point, il importe d’indiquer que Jean Walter, le fondateur des Bourses Zellidja, est né de parents qui, à l’instar de beaucoup d’autres, ont quitté l’Alsace après la guerre de 1870 pour de ne pas devenir sujets allemands. Cet élément biographique était-il connu de Choffat, et celui-ci a-t-il pu s’en souvenir au moment d’expliciter les motivations de son voyage ? Dieu sait ! Ou bien, appartenait-il lui aussi à une famille qui aurait fait, deux-tiers de siècle auparavant, le même choix de l’exode (après tout la Franche-Comté est tellement proche de l’Alsace qu’on devait y trouver « à la pelle » de ces « gens du refus ») ? C’est peu probable, s’agissant d’une famille de paysans très perceptiblement bien « installée ». Les motivations les plus profondes de Choffat nous restent donc sibyllines. On sait seulement qu’elle sont empreintes de l’esprit de sérieux du lieu et du temps. Cela n’empêche pas une ou deux petites privautés. Tout d’abord une courte incursion… en Suisse (tout de même ça le tenaillait !) – ce qui, de facto, fait de Choffat, « Z » n° 1, le premier « Z » à avoir voyagé à l’étranger ! Mais ça n’a pas été simple simple car… il n’a pas de papier. « Ne t’en fais pas », lui dit alors Raymonde, « sa camarade d’enfance et d’école », sur qui on ne saura rien de plus (ces temps sont plus bridés que les nôtres…), « moi je suis en règle et je te ferai passer. » S’en suit une courte scène avec un garde-frontière helvétique qui les arrête mais finit par consentir, avec cet accent suisse revu par un Franc-Comtois : « Ah ! c’est fotre fiancé, alors che le laisse passer... » À la gare centrale de Bâle où ils se sont réfugiés pour échapper à une averse,les deux jeunes gens assistent à une scène dont ils ne comprennent d’évidence pas toute la gravité : deux femmes sont mises sur le gril par des douaniers qui vérifient le contenu de leur bagage, soit plusieurs valises… pleines de « riches étoffes ». Les sœurs Guggenheim ont beau discuter ferme, elles vont devoir s’acquitter d’une amende salée…

[On voudra bien m’excuser de la présentation de ce rapport :

fils de paysans, j’ai dû me consacrer

au travail des champs.]

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Autre léger « dérapage » : de la nuit qui suit André Choffat se réveille…en milieu de matinée. Pourquoi si tard ? On ne saura pas si cette grasse matinée a quelque chose à voir avec Raymonde (la chose n’était d’ailleurs pas si simple, alors…) : le jeune homme avoue simplement… s’être couché à 2 heures du matin. Il ajoute : « Si Monsieur Walter savait que j’ai passé la moitié de la nuit dans une salle de danse, que penserait-il de l’emploi que je fais de son argent ? Pour conclure, philosophe : « Bah ! Il y a place pour tout dans la vie, et je n’ai jamais eu l’âme d’un ascète ! »

Bagatelle ou pas, ce qui est sûr, en revanche, c’est que le jeune homme va être rejoint par l’Histoire au cours de son voyage ! Déjà l’épisode des deux sœurs juives à la gare de Bâle était une pré-interpellation, même si Choffat n’en a d’évidence pas perçu l’aspect de fuite devant la menace nazie. Mais ce n’était là qu’un début. Après qu’il eut pédalé de cols en crêtes à travers les Vosges près de trois semaines durant, Choffat arrive enfin à Strasbourg le 21 août. Là, écrit-il, « je reçois [chez un camarade de classe] une lettre de mon père me recommandant de ne pas m’éloigner de la ville en raison des événements. » Le surlendemain « l’agence Fournier [correspondant locale de Havas, ancêtre de l’Agence France Presse] annonce la signature de l’accord germano-russe » [le tristement fameux Pacte Molotov-Ribbentrop…] Et notre voyageur, la nuit suivante, est réveillé, dans la « maison bourgeoise » où il a trouvé refuge, «par le roulement de chars d’assaut et de pièces d’artillerie lourde en route pour se positionner à la frontière allemande. » Le lendemain

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matin, à la gare de Strasbourg, il assiste au départ de réservistes pour le front. En fin de journée, le 22, il décide de rentrer chez lui. Un train part à minuit pour Montbéliard. Il arrive au petit jour dans sa ville, comme des affiches rappelant plusieurs classes de soldats sont en train d’être apposées sur les murs. « Quand je suis arrivé à la maison, il est trop tard : mon père, officier de réserve, est déjà parti, rappelé la veille par un télégramme. »

C’est ainsi, soupire Choffat, que son voyage a été écourté, alors qu’il comptait encore visiter les mines de Lorraine (savait-il l’intérêt que Jean Walter portait, depuis 1925, depuis la découverte des mines marocaines de Zellidja, aux couches profondes de la terre ? Il dit par ailleurs que son père connaissait quelqu’un qui aurait pu l’aider à y mener son étude…) et terminer en beauté par la Foire européenne de Strasbourg. Et Choffat de conclure : « On voudra bien m’excuser de la mauvaise présentation de ce rapport. Fils de paysan, aîné de famille, j’ai dû consacrer la fin de mes vacances au travail des champs car, mon père parti, notre domestique également mobilisé, il m’a fallu, avant de rentrer au collège, faire toutes les moissons avec la seule aide d’une sœur âgée de 16 ans et d’un frère de 14, et ensuite effectuer encore tous les labours. » Et aux vacances de Noël sur lesquelles il comptait pour peaufiner son « compte-rendu », notre précurseur dans l’expérience Zellidja a dû « s’occuper de beaucoup de choses représentant pour une famille un intérêt supérieur à un compte-rendu de voyage. » Voici comment, d’emblée, l’Histoire, la grande, a talonné Zellidja ! L’auteur de ces lignes a aperçu André Choffat alors que, désormais sur le versant descendant de la quarantaine, il paraissait à l’une ou l’autre de nos assemblées annuelles, au début et à la fin des années 60. Une fois ou deux aussi, dans les années 50, les plus anciens lauréats Z ont pu lire un texte signé de lui, aux connotations assez exotiques, sur les « chefferies » de Côte d’Ivoire par exemple, que publiait Action, notre bulletin intérieur...

[Jean Walter est alors un homme connu dans quelques milieux professionnels, économiques

artistiques, mondains, voire politiques.]

Celui qui a projeté ainsi ces garçons somme toute ordinaires hors de leur ferme ou de l’appartement ou de la maison de ville de leurs parents, c’est un homme natif de leur région mais qui était « monté à Paris » avec sa famille, pour s’y installer avant la fin de la Première guerre mondiale.

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Cet homme si haut qu’il en paraissait mince malgré une impressionnante « carrure », le crâne lisse surmontant un visage aux sourcils fournis et aux traits nets, émaciés presque, ce quinquagénaire qui, en 1939, versait, vers la soixantaine, n’a pas d’existence pour le grand public : nulle gazette à grand tirage, qu’on sache, n’a jamais parlé de lui. Il est vrai, aussi, que l’époque, était nettement moins soumise à la pression des médias que la nôtre…) À peine deux ou trois publications spécialisées dans l’architecture lui ont-elles consacré leurs colonnes. Toutefois quelques cercles – professionnels, économiques, artistiques, mondains, voire politiques - connaissent bien son nom : Jean Walter. D’ailleurs André Choffat, dans son cahier d’écolier, parle de « Bourse Walter » - ce qui n’a certainement pas beaucoup plu à cet homme insoucieux de son « paraître ». Qu’est-ce qui a bien pu pousser l’homme Jean Walter à un acte au premier abord parfaitement philanthropique – donner 12 500 francs de l’époque (2 500 francs à chacun des cinq jeunes élus du collège Cuvier de Montbéliard), soit un peu plus de 5 000 euros de 2009 ?

Cet

architecte qui avait assuré sa réputation professionnelle en révolutionnant (avec deux ou trois confrères, soyons juste) la construction hospitalière en France. Cet homme qui, par ailleurs, cela commençait à se savoir dans les milieux industriels français, s’était discrètement lancé, en 1925, au nord-ouest du Maroc, en cette région « Orientale » qui est l’une des plus désolées du « Protectorat », dans une

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prospection minière à laquelle bien peu semblait le prédisposer, et à quoi, durant une bonne dizaine d’années, il paraît bien avoir été le seul à croire. Cet homme enfin dont les cercles mondains de la capitale se murmuraient la situation ambiguë : ne vivait-il pas « en concubinage », comme on disait alors, et pis encore, divorcé de la mère de ses trois enfants, avec une des femmes les plus « lancées » du tout-Paris et du monde des arts plastiques, la toute récente et vite consolée veuve du grand collectionneur Paul Guillaume…

En 1963, à l’Association des lauréats où l’auteur de ces lignes faisait ses débuts, et où le souvenir de Jean Walter, mort six ans plus tôt, était encore très vif, il se disait volontiers que l’institution des Bourses devait quelque chose à la volonté du fondateur d’honorer la mémoire de ses frères Georges et Pierre, morts à la guerre de 1914-18. Et cette rumeur devait bien avoir pour origine une confidence du « patron » à l’un ou l’autre… Peu avant la fin de sa vie, cependant, Jean Walter a officiellement expliqué que la création des Bourses Zellidja avait été, en somme, une projection vers l’avenir de son propre passé : ayant eu « l’occasion » (une relative audace, à vrai dire, pour l’époque), de parcourir, à bicyclette, toute la France et une notable partie de l’Europe au tournant des XIXème et XXème siècles, et attribuant à ces aventures le crédit d’avoir fait de lui ce qu’il était devenu (et non à d’hypothétiques succès scolaires et/ou universitaires) il estimait devoir en faire profiter de jeunes Français afin que, fortifiés par leur aventure, ils en tirent avantage pour leur avenir - et, partant, que cela soit au bénéfice de leur pays. Quoi qu’il en soit, parier ainsi, l’été 1939, pour la jeunesse à l’heure où s’avance la guerre, voici qui représentait indubitablement un acte fort. Mais quelle signification profonde lui accordait Jean Walter ? On ne peut que le conjecturer, à la lueur du peu qu’il en dira plus tard. Était-ce là une affirmation de « pacifisme », façon Dr Coué, comme s’y livraient certains intellectuels de l’époque (disons, pour en donner un large éventail : Romain Rolland, Stefan Zweig, Jean Giono et… Jules Romains*). Une preuve « d’ouverture sur l’humain, à contre-courant en une période de graves tensions diplomatiques », comme le suggère Bleuenn Carré Chen (Z 96) ? Ce n’est pas là l’explication la plus probable de la part de cet Alsacien d’origine que les douleurs de la Grande guerre (il y a perdu deux frères entre 1914 et 1918) ont certainement rendu plus méfiant encore envers l’Allemagne – risquons le mot : envers « les Boches ».

[En préparer quelques uns aux nouvelles configurations

qui se profilent de par le monde.]

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Plus sûrement, n’était-ce pas là une affirmation somme toute nationaliste, un refus viscéral de voir « le vieux pays » tout lâcher face à Hitler, comme on l’avait vu à Munich le 28 septembre 1938 ? Oui, on peut admettre cela. Hypothèse un peu plus subtile : considérant que cette guerre qui est en train d’advenir va nécessairement mettre fin à un certain ordre des choses en France (entendue au sens large, qui inclut, alors, l’Union française), et aussi en Europe et dans le monde, il importe d’anticiper. Et comment anticiper au mieux ? Eh ! bien en préparant sans attendre les êtres - du moins quelques êtres, disons : le plus d’êtres qu’il est possible, et d’abord des jeunes gens, sur qui reposera en priorité la reconfiguration du pays après la tourmente qu’on sait être certaine si même on n’en devine mal la forme. Dans cette perspective les cinq garçons de Montbéliard, parce qu’ils auront trempé leur caractère à l’occasion de voyages peu ordinaires pour l’époque, seront inévitablement appelés à y jouer un rôle - comme le levain dans la pâte, comme une avant-garde...

Cette interprétation prend consistance lorsque l’on sait que, vers l’automne 1938, Jean Walter avait été voir le ministre de l’Instruction publique de l’époque, le radical socialiste Jean Zay - qui avait occupé le même poste dans les deux gouvernements « de Front populaire » dirigés par Léon Blum, et à ce titre avait notamment introduit la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans - afin que les Services du 110, rue de Grenelle veuillent bien prêter la main à la distribution, dans les établissements secondaires de France, de 200 « bourses sportives ». Et sans aucun doute Jean Walter entendait-il par ce qualificatif qu’il s’agirait de faciliter non tant la pratique du sport (hormis bien sûr la bicyclette, seule activité physique un peu rude, qu’il eût lui-même jamais

pratiquée !) que des voyages « sportifs », comme nous disons aujourd’hui, c'est-à-dire exigeants, capables de projeter ceux qui s’y lancent hors des sentiers battus.

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Et, redisons-le, sur les trois « lauréats » de 1939, un, Kuentzmann, est mort pour la France en 1944, un autre, Choffat, a fait une carrière d’instituteur puis d’inspecteur de l’Éducation nationale dans des coins reculées de l’Union française jusqu’à 1960 puis, jusqu’à sa retraite, au fin fond de la France d’Outre-mer, le dernier, enfin, Jacot, a été longuement pasteur à Tahiti…

[Zellidja : une expérience dont la valeur pédagogique,

n’a, depuis un demi-siècle et plus, échappé ni à l’Education nationale,

ni à la Jeunesse et aux Sports, ni à quelques mécènes

semi-publics ou privés…]

Quoi qu’il en soit, on s’attachera donc en priorité à une exploration - par-delà la pieuse imagerie tout naturellement forgée sur Jean Walter par ceux qui ont été embarqués dans les premiers « voyages Zellidja », disons de 1939 à 1956 - des multiples facettes d’un personnage hors du commun, et dont la charge de mystère demeure forte plus d’un demi-siècle après sa mort. Et, naturellement, seront ensuite décrites les trois-quatre étapes de l’aventure, née de cet homme, vécue par les quelque 8 500 jeunes gens qui, en deux phases très distinctes ont été, ces soixante-dix dernières années, le temps d’un ou deux voyage(s), « boursiers Zellidja ». De cette aventure seront bien entendu rapportées les adaptations aux péripéties, à l’air du temps et ses nécessités. Mais l’auteur aura également à cœur de mettre en avant ses traits permanents, peu nombreux mais très forts - voyage solitaire d’un mois au moins avec peu de moyens ; et obligatoire compte-rendu écrit au retour - qui font d’elle une expérience dont la valeur pédagogique est peu surpassable. Valeur pédagogique qui n’a échappé ni en 1938-39, ni en 1945-46, ni en 2003-2004, à de successifs responsables de l’Éducation nationale, non plus qu’à telle forte personnalité de la Jeunesse et des Sports, ni davantage à des mécènes, toujours renouvelés, des secteurs semi-public ou privé - à commencer par Jean-Jacques Walter, l’un des propres petits-fils du fondateur, et son « groupe familial ».

Zellidja : une expérience, enfin, dont tous les bénéficiaires ou peu s’en faut louent les mérites par-delà le passage du temps, et que maints d’entre eux

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s’emploient, à une époque ou l’autre de leur vie, à faire connaître à leurs cadets, afin que ceux-ci en tirent bénéfice à leur tour. *Futur président de la Fondation Nationale des Bourses Zellidja, de 1957 jusqu’à sa mort en 1972, Jules Romains, l’auteur des hilarants Copains, de Knock ou la triomphe de la médecine, de Monsieur le Trouhadec saisi par la débauche, et celui, infiniment plus grave, de l’immense fresque des Hommes de bonne volonté, avait été porté lors d’un congrès réuni en 1936 à Buenos Aires, à la tête du PEN Club international sur un programme pacifiste qu’il avait plus que d’autres vigoureusement exprimé.