14

8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

Page 2: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

PEUPLE SANS FRONTIÈRESJoakim Eskildsen

La plupart du temps mal-aimés et rejetés, les 10 millions de Romseuropéens sont depuis des siècles victimes de préjugés, de malentendus et d’exclusion

sociale. En juillet 2008, par exemple, les autorités italiennes ont menédes opérations de prise d’empreintes digitales des adultes et des enfants dans des

camps. Cette politique ségrégationniste a fait d’ailleurs polémique lors du premiersommet sur les Roms, organisé par la Commission européenne à Bruxelles

le 16 septembre. Il y a eu aussi la publication de cette photo des corps de deux fillesroms, mortes noyées, sur une plage italienne, entourés de vacanciers.

Pour une fois, l’indignation est médiatisée. Pendant six ans, le photographe danoisJoakim Eskildsen, accompagné de sa femme écrivain Cia Rinne, est allé à la rencontre

des Roms sur leurs terres, souvent isolées, en marge de la société.

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 71

Page 3: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 72

Page 4: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 73

Page 5: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

74 I polka magazine #3

Double page d’ouvertureJOAKIM ESKILDSENVERIA, GRÈCE, 2003

Elmas, Giorgos, Vangelis, Maria (et lepetit Sizigos) collectent des métaux

usagés pour survivre. « Nous avons eudu mal à les rencontrer, raconte

Joakim Eskilden. Tous ignoraient leurexistence et celle de leur petit

campement près de Veria. C’est ce quenous a avoué un journaliste local

pourtant sur place depuisquarante ans! Il a d’ailleurs été

tellement révolté d’apprendre, alorsque les autorités construisaient un

“hôtel” pour accueillir les chiens desrues avant les Jeux olympiques

d’Athènes en 2004, que ces Romsn’avaient même pas d’eau courante ou

d’électricité, qu’il a alerté sesconfrères de la télévision. Grâce à leurintervention, une ONG de défense des

droits de l’homme est entrée encontact avec eux afin de les aider.»

Double page précédenteJOAKIM ESKILDSEN

KHURRA, RAJASTHAN,INDE, 2003

Tôt le matin, les femmes meenacollectent l’eau pour la journée dans

leurs pots de terre et de cuivre. Issuesd’une famille traditionnelle de

fermiers, les Meena vivent dans levillage de Khurra pendant que les

Sapera sont installés dans uncampement en dehors du village. Leschercheurs s’accordent à dire que le

romani, langue de la plupart des Roms,puise ses origines dans cette partie del’Inde, et a ses racines dans le sanskrit.

JOAKIM ESKILDSENKALAKAR COLONY,

RAJASTHAN, INDE, 2001«J’ai pris cette photo d’enfants

manganiar qui s’amusent au momentd’une tempête de sable. La plupart

du temps, les Manganiar vivent dansdes zones retirées, plutôt désertiques,

sans eau courante ni électricité.Habituellement, les jeunes n’ont pas

d’école. Sauf ici où leurs familles, desmusiciens, sont venus s’installer

pour être moins isolées. C’est sur letoit de cette école que nos amis nous

ont logés et c’est de là que j’ai priscette photo. L’école n’existe que grâce

à l’initiative de notre guide, SakarKhan, et au soutien d’une ONG locale.

Le soir, ces enfants et leurs parentsnous rejoignaient sur le toit pour jouer

leurs musiques traditionnellesque nous voulions enregistrer afin

de garder une trace sonore deleurs folklores.»

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 74

Page 6: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

novembre 2008 - janvier 2009 I 75

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 75

Page 7: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

76 I polka magazine #3

JOAKIM ESKILDSENKHURRA, RAJASTHAN, INDE, 2003

Pushpendra Pal et sa familleappartiennent à la branche des Sapera,

traditionnellement des charmeurs deserpents. En dehors des spectacles

publics qu’ils organisent, ils attrapent lesserpents venimeux qui pénètrent

dans les maisons, collectent le venin pouren faire un antidote contre leurs

morsures. Les Sapera ne gardent leurscobras pour les spectacles que trois mois

environ. Plus longtemps et le serpentdevient lent; il s’ennuie. Le « charme »

n’agit plus. Il est alors tempsde lui rendre sa liberté.

JOAKIM ESKILDSENBADKA, RAJASTHAN,

INDE, 2001«Ce matin-là, la lumière est

apparue d’un seul coup sur son visage.Elle se réveillait à peine au côté

des autres enfants qui dorment tousdehors dans ce petit village

isolé, fait de maisons de terre.»Les habitants de Badka appartiennent

à la branche des Sapera.

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 76

Page 8: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

novembre 2008 - janvier 2009 I 77

JOAKIM ESKILDSENBHIYAD, RAJASTHAN, INDE, 2001Bus public. «Comme nous voyagionsavec le strict nécessaire et un petit budget,Cia et moi nous déplacions la plupart du tempsavec les transports en commun. C’étaitégalement le meilleur moyen pourêtre en contact avec la réalité et partagerle quotidien de ces gens.»

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 77

Page 9: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

Ci-contreJOAKIM ESKILDSEN

SAINTES-MARIES-DE-LA-MER,CAMARGUE, 2004

Chaque année, tous les 24 et 25 mai, lepèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer

célèbre sainte Sarah, la patronne desGitans, aussi appelée la Vierge noire. Des

dizaines de milliers de pèlerins dontbeaucoup de Roms (surtout des Gitans,

des Manouches et des Sintis) et de gensdu voyage venus de l’Europe entière en

caravane et en roulotte se donnentrendez-vous dans ce village, qui compte à

peine 2500 âmes le reste de l’année.

A droiteJOAKIM ESKILDSEN

ÖVERBY, KIRKKONUMMI,FINLANDE, 2005

«Nos amis Ritva et Henkka Berg (aucentre et à droite) font partie de labranche des Calés, dont le métier

traditionnel était le maquignonnage.Aujourd’hui, les hommes recyclent les

métaux, revendent des voituresd’occasion qu’ils réparent et les femmes

écoulent de l’artisanat au marché. Cejour-là, je m’occupe du barbecue dans lejardin de la maison où nous avons vécu

pendant dix ans en Finlande. Ritva etHenkka, qui nous rendaient souvent visite

aussi pour nous faire rencontrer denouveaux Roms, expliquent à leur amiFeija Baltzar comment se servir de son

nouveau téléphone portable.»

78 I polka magazine #3

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:59 Page 78

Page 10: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

JOAKIM ESKILDSENASPROPYRGOS, GRÈCE, 2004Ces jeunes filles sont toutes d’uncampement de Nea Zoi (nouvelle vie)implanté dans une décharge, où viventprès de 3000 Roms grecs et albanais.Avec son pick-up, Kostas (à l’arrière-plan) emmène tous les jours unevingtaine d’enfants à l’école afin qu’ilsn’aient pas à parcourir à pied lessix kilomètres d’une route dangereuseoù roulent de nombreux poids lourds.Il part ensuite faire de la récupérationde métaux à recycler, un métiertraditionnel chez les Roms.

novembre 2008 - janvier 2009 I 79

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:59 Page 79

Page 11: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

80 I polka magazine #3

JOAKIM ESKILDSENRUE DE L’ÉTERNITÉ,VLASCA,ROUMANIE, 2002Le groupe des Calderari(forgerons) auquel cesfemmes appartiennent,décore l’intérieur desmaisons de nombreusesfresques et de peintures.

Page de droiteJOAKIM ESKILDSENRUE VIOLETTE,HEVESARANYOS,HONGRIE, 2000«De bon matin, j’allaischercher de l’eau à l’un destrois puits du village quandj’ai eu cette vision. Avec Cia,ma femme, nous avonsvraiment vécu là-baspendant plusieurs mois. Onfaisait partie des meubles.On allait chercher de l’eau,ramasser les champignons,couper le bois... On vivaitavec eux et commeeux au rythme des saisonset de la nature.»

JOAKIM ESKILDSENSTEFANESTI,ROUMANIE, 2003Zavragiu, Samir, Hariga,Rebeica, Sema et Carorosont des Lautari (musiciens).«Ils ont fabriqué lacuisinière qui chauffe toutela pièce, indispensablequand il fait –15 °C commece jour-là.» La maison aappartenu à une famillejuive. De nombreux Juifs ontémigré en Palestine après laSeconde Guerre mondiale etles Roms survivants de ladéportation ont pu acheterces habitations.

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:59 Page 80

Page 12: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

Joakim Eskildsen ne réalise pas de reportagespour la presse. Il définit son travail comme « clai-rement du documentaire ». A l’heure d’Internet etdu flux continu d’informations, il préfère le contactdirect avec la nature et gère son temps comme s’ilétait extensible. Il voyage intensément, en quête decoups de cœur pour des endroits magiques. A36 ans, il sait ce qu’il veut: «Je ne peux pas photo-graphier si je ne suis pas pris par mon sujet. »Depuis 1989, Joakim parcourt ainsi toute l’Europependant des mois. Seul au départ, puis avec sa

compagne, Cia Rinne, écrivaine finlandaise.Comme des oiseaux voyageurs, ils se posent là oùles vents les portent. En 1998, le couple atterrit enAfrique du Sud, peu après l’abolition de l’apar-theid. Plusieurs mois durant, ils partagent le quoti-dien d’une famille noire à la campagne et dans untownship. Ils en reviennent avec une image forte:

« Les différents groupes, noirs, blancs, indiens...(enAfrique du Sud, les gens se définissent en fonc-tion de la couleur de leur peau) vivaient chacundans leur monde, sans réellement se connaître touten étant voisins. De retour en Europe, nous avonspris conscience que les choses n’étaient finalementpas si différentes chez nous. Surtout, nous avonsréalisé que nous avions notre propre apartheid àl’égard des Roms. » Et cela depuis des siècles déjà.

Les premières traces écrites de l’arrivée desRoms en Europe remontent au XIVe siècle.Très tôt,

ils ont mauvaise réputation.Accusés de tous les maux, ilssont affublés des pires qualifi-catifs : pillards, criminels, por-teurs de maladies, espions...Aufil de leur enquête, Joakim etCia découvrent à quel point lesRoms ont été traités comme descitoyens de seconde zone aucours de l’Histoire. «Les gensles haïssaient. On autorisait leurassassinat. Ils étaient condam-nés à vivre en forêt ou à fuir...Toutes ces images ont progres-sivement marqué la société ci-vile et sans doute l’inconscientcollectif.» Les souverains et lepouvoir politique en général pu-nissent souvent les groupes quiéchappent à leur contrôle. Lepire peut se produire, comme cegénocide, programmé par les

nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, qui afait 500000 morts et des dizaines de milliers de dis-parus. Joakim incrimine la peur de la différence :«La méconnaissance est responsable de la persis-tance des vieux préjugés envers les Roms.»

C’est avec l’espoir de combattre les clichésque le couple s’est donné le

novembre 2008 - janvier 2009 I 81

Personne ne débarque par hasard à Hevesa-

ranyos. Les visiteurs sont bien rares. Ce vil-

lage, lové au cœur d’un paysage de collines

au fin fond du nord-est de la Hongrie, ter-

mine une route unique entourée de forêts.

L’hiver y est rude et le thermomètretombe facilement à – 20 °C. Pour-

tant, c’est bien dans cette contrée perdue que com-mence le voyage de Joakim Eskildsen sur les terresdes Roms. Rue Violette, exactement. «Je suis toutde suite tombé amoureux de cet endroit», se sou-vient-il. Le charme des lieuxest suranné. Les petites mai-sons au confort précaire offrent« juste l’essentiel ». L’eau esttirée du puits et l’on se chauffeau bois. Ce coin de campagnesemble si fragile au milieud’une nature imposante. Seshabitants vivent au rythme dessaisons. Un ami hongrois deJoakim lui a parlé de ce villagerom isolé. En janvier 2000, ill’y accompagne. L’accueil,amical, se fait chez MagdaKarolyné, autour d’un cafébrûlant. L’intérieur est sur-chauffé. Quelle n’est pas sasurprise de recevoir un photo-graphe danois chez elle... Etplus encore d’entendre qu’ilest prêt à vivre parmi eux pen-dant plusieurs mois. « Mais iln’y a rien à y faire, s’étonne-t-elle. Pourquoi vou-loir venir ici? » Joakim ressent les choses sans seles expliquer encore. Le parfum authentique de larueViolette l’envoûte. Depuis ce café chez Magda,son intérêt pour les Roms n’a cessé de grandir. Etl’idée de faire un livre s’impose comme la colonnevertébrale d’un grand projet photographique.

par D i m i t r i B e c k

>>sui te page 82

JOAKIM ESKILDSENSes images parlent de lasolidarité chez les Roms, ce que nousoublions souvent dans noscultures occidentales

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:59 Page 81

Page 13: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

temps de réaliser son pro-jet. Grâce aux soutiens financiers de différentesfondations et institutions scandinaves, ils ont, pen-dant six ans, parcouru sept pays (Hongrie, Inde,Grèce, Roumanie, France, Russie, Finlande), ren-contré des dizaines de groupes de Roms. « Dès ledépart, notre but était d’ouvrir les yeux, de surpren-dre, d’intéresser l’opinion publique au sujet desRoms.» Joakim insiste : «Ce n’est pas un travailsur les pauvres. Les gens que je photographie sontbien souvent des personnes que j’admire ou dontj’espère apprendre quelque chose». L’accent estdonné sur des groupes de gens riches de leur diver-sité et de leurs relations humaines. Dans sesimages, Joakim parle de solidarité et de cette dis-ponibilité que les Roms s’offrent entre membresd’un même groupe, «ce que nous oublions souventdans nos cultures occidentales». Optimiste de na-ture et doux rêveur à ses heures, il a la force du naïfqui ne doute pas. « J’aime croire que mon travailcontribue à ce que les gens se questionnent sur eux-mêmes, leur manière de vivre et qu’il suscite un in-térêt pour les Roms, afin de mieux les connaître, deles comprendre... et finalement de les respecter. »

En photographe averti, Joakim sait qu’il n’y apas de regard objectif. Il parle plutôt d’approchehonnête. « Il est important de suivre son cœur et deprendre son temps afin d’éviter de reproduire lesclichés. » Bien avant lui, le photographe d’originetchèque Josef Koudelka s’est imposé maître en lamatière à la sortie en 1975 de son livre «Gitans, lafin du voyage ». « Koudelka s’intéresse sincère-ment aux gens. Il ne se soucie guère de la réactiondu public. Il fait ce qu’il aime, suit ce qu’il ressentet son regard est très personnel. » Joakim est de cebois. Il ne se contente pas de photographier les pay-sages et les gens, il entre chez eux, pénètre leur in-timité. On sent qu’il y est invité. Rien n’est volé. Ilreste pudique et respectueux de ses hôtes. Ilphotographie les intérieurs, les objets personnels etles photos de famille, collecte avec délicatesse cesdétails, ces «petits riens» qui pourtant en disentbien plus, lorsque l’on s’y attarde, sur les gens eux-mêmes et leur mode de vie. En cela, la photo deJoakim se transforme en un authentique témoi-gnage sociologique à l’image de l’AméricainWalker Evans (1903-1975), père du réalisme

documentaire. A une différence près: là ou Evansconsigne avant tout un document, Joakim pousseau paroxysme l’esthétisme de ses images.

Il suffit de tourner les pages de son livre, «TheRoma Journeys» (Voyages roms) pour en prendreconscience. Des photos panoramiques en noir etblanc, poétiques, donnent le rythme des chapitres etrendent plus flatteuses et éclatantes les photos cou-leur. Le photographe Danois ne se contente pas decet effet de présentation. Il retravaille soigneuse-ment ses images dans son atelier. Encore et tou-jours, jusqu’à l’obsession. L’artiste en lui retoucheles teintes et personnalise les lumières. Une fois lesnégatifs scannés, il ne compte pas le temps passésur l’ordinateur pour obtenir le meilleur de sesphotos, «peignant» de véritables fresques. Cettemagie de la patte de l’artisan, il l’a découverte dèsl’âge de 14 ans.Avec son frère aîné, il développe ses

propres tirages en chambre noire. C’est la révéla-tion. Il prend conscience qu’il peut créer sa propreréalité, quelle lumière, quel temps, quelle personneferont partie de son monde. Plus tard, la découvertede l’école des arts et du design d’Helsinkil’enthousiasme au point qu’il s’installe en Finlande.

Joakim n’oublie pas de s’en servir sur le pro-jet des Roms. Il confectionne des carnets de cro-quis composés de dessins et de photos, comme uncarnet de voyages. «Après chaque séjour, j’en réa-lisais de nouveaux avec des photos que je sélec-tionnais et imprimais en petit format 6 cm x 7 cm.C’était à la fois un bon moyen de faire une pre-mière sélection de mon travail et de voir la réactiondes gens sur mes images. Voir leurs “cousins”d’autres pays intéressait beaucoup les Roms. Ilsnous posaient des questions sur leur manière de vi-vre. Nous devenions des ambassadeurs, des pas-seurs entre des communautés éloignées et souventétrangères les unes aux autres. Et, du coup, noshôtes nous invitaient souvent à rester chez eux.»

82 I polka magazine #3

Si les Roms bénéficiaient desmêmes droits que n’importe quel citoyen,ils s’en sortiraient très bien”

>>sui te de la page 81

Joakim Eskilden a conçu lui-même de petits carnetsde croquis avec ses photos pour montrer auxRoms son travail en cours. Ils sont devenus des objetsde curiosité pour tous ses hôtes.

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:59 Page 82

Page 14: 8lb Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 18:58 Page 70

novembre 2008 - janvier 2009 I 83

L’autre précieux sésame de Joakim s’appelleCia. Sa femme. « Elle parle onze langues dont le ro-mani qu’elle a appris sur le terrain. Elle ne les parlepas toutes parfaitement, avoue-t-il, mais assez bienpour communiquer facilement avec tous ceux quenous rencontrions en voyage. »Au-delà, «l’accueila toujours été chaleureux et les gens ouverts.» Ilsont bien eu quelques mauvaises surprises: «Dansun campement en Thrace, au nord de la Grèce, leresponsable local était furieux à l’idée que nous sa-vions qu’ils étaient roms. En fait, leur communautés’était déclarée “musulmane”, ce qui leur permet-tait de bénéficier de meilleurs traitements et dedroits dans une société grecque assez discrimina-toire à leur égard et à celle d’autres minorités.»

Les conditions de vie de certains groupes ontimpressionné le couple. En Russie, à Oboukhovo,près de Saint-Pétersbourg, des Roms venusd’Ukraine se sont établis en plein cœur de la forêt.Au lendemain de la chute du Bloc soviétique, ilsont eu le choix entre vivre sous la tente ou resterdans leur maison en dur en Ukraine sans travail ninourriture. Autre endroit, autre réalité en Grèce, àNea Zoi, près d’Athènes. Situé dans une décharge,

un campement de fortune est régulièrement rasé defaçon illégale à coups de bulldozers sur ordre de lamunicipalité, pour renaître quelques centaines demètres plus loin. Et personne ne défend ces Romslivrés à eux-mêmes, qui ignorent leurs droits. «LesGadjés [les non-Roms] pensent qu’ils aiment cemode de vie et que cela fait partie de leur culture.Mais personne ne veut vivre ainsi. Aucune culturen’a pour modèle ce mode de vie précaire. Il est lerésultat d’une politique discriminatoire générale etd’une législation anti-Roms, vieille de cinq centsans.» De la même manière, contrairement aux idéesreçues, Cia rappelle que « la plupart des maisonssont incroyablement bien rangées et propres, quel’on soit dans un appartement en Finlande, unecaravane en France ou dans une cabane en Russie.»

Le manque d’éducation et l’analphabétismecantonnent les nouvelles générations à l’exclusion.«Si les Roms bénéficiaient des mêmes droits quen’importe quel citoyen, tient à préciser le photo-graphe, ils s’en sortiraient la plupart du temps tous

très bien, comme tout le monde.» Même si Joakimet Cia font une pause après la publication de leurlivre, ils ne peuvent pas arrêter ce travail. «Etran-gement le plus dur n’est pas de continuer ce projet,confie Joakim, mais plutôt de prendre la décisionde dire: “Maintenant, ça suffit”.» •

D i m i t r i B e c kA lire: «The Roma Journeys », photos de JoakimEskildsen, texte de Cia Rinne, éd. Steidl,415 pages, 64 euros. Exposition: «The RomaJourneys», du 6 novembre au 10 décembre 2008,à l’Institut finlandais, 60, rue des Écoles, ParisVIe.Tél.: 0140518909. Entrée libre.

JOAKIM ESKILDSENPERPIGNAN, 2004Le quartier Saint-Jacques accueille l’une des plusanciennes communautés gitanes sédentariséesd’Europe, installée dans la région de façon diverse maispermanente depuis plus de quatre siècles. Elle compte6500 individus, parlant majoritairement le catalan.D’autres Gitans catalans vivaient en périphérie de laville jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ils se sontégalement sédentarisés.

JOAKIM ESKILDSENCAMPEMENT DE VODSTROY, VOLGOGRAD,RUSSIE, 2004Les Kotliar perpétuent de nombreux codes traditionnelsroms comme la façon de s’habiller. Très organisés, ilsrécupèrent des métaux et s’occupent en particulier deconstruire et de réparer les systèmes d’évacuation deseaux des habitations russes. Lorsqu’ils s’installent, ilsvivent sous la tente (à g.) et construisent de leurs mainsdes maisons confortables en bois.

Il existe au moins 15 millions de Roms àtravers le monde. Ils ne constituent pasun ensemble monolithique. Ils sontavec les Sintés et les Kalés une destrois branches des Roms (terme géné-rique) originaires du nord de l’Inde. Onles trouve essentiellement dans lesBalkans et en Europe centrale et orien-tale. Le mot « Rom » peut se traduire

par homme, mari ou artiste selon lesvariantes en romani, la langue parléepar la plupart des Roms, qui trouve sesracines dans le sanskrit.Le terme « tsigane » est perçu commepéjoratif par les Roms. Il est associé àquatre grands groupes : les Gitansd’origine espagnole, les Roms qui vien-nent d’Europe centrale, les Yéniches et

les Manouches qui ont leurs racines enAllemagne et en Europe du Nord.En France, on parle souvent de « gensdu voyage ». Ce terme administratifdésigne à la fois différentes branchesroms et des non-Roms ayant un modede vie itinérant.Source: glossaire du Conseil del’Europe, septembre 2006.

QUI SONT LES GENS DU VOYAGE?

8lb_Eskildsen:PolkaMag 9/10/08 19:00 Page 83