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8/20/2019 A Berlin, Les Citoyens Se Mobilisent Tous Azimuts Pour Les Réfugiés http://slidepdf.com/reader/full/a-berlin-les-citoyens-se-mobilisent-tous-azimuts-pour-les-refugies 1/6  Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr  1 1/6 A Berlin, les citoyens se mobilisent tous azimuts pour les réfugiés PAR AMÉLIE POINSSOT ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 13 FÉVRIER 2016 [media_asset| eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YmYzYjEyYTVjOTU5ZWQ0MjhiNDU2ZiIsInBhdGgiOiJmaWxlc1wvMjAxNlwv dépit des questions soulevées par les agressions de Cologne, la société allemande reste très active pour accueillir les réfugiés, en dehors de tout cadre institutionnel. Reportage dans une société qui bouge. Berlin (Allemagne), de notre envoyée spéciale.- La surprise apparaît dès le premier quart d'heure passé à déambuler dans le centre de la capitale allemande. En ce dimanche d'hiver, tous les musées sont gratuits. Une opération spéciale : ce jour-là, la ville de Berlin dit « Danke ». Merci à tous les Berlinois qui se mobilisent pour accueillir les réfugiés. Les journaux sont au diapason. « Merci», titre en grand le Tagesspiegel du week-end, qui ajoute : «Sans votre engagement, cela n'aurait pas marché.» Et le quotidien de tirer le portrait d'une dizaine de personnes qui, chacune à leur niveau, agissent pour intégrer les nouveaux arrivants. La capitale allemande a vu arriver quelque 80 000 personnes en 2015 –le pays dans son entier plus d'un million. La France, à côté, fait pâle figure : à peine quelques dizaines de milliers de réfugiés se sont installés l'année dernière sur le sol français (l'asile a été accordé en 2015 à près de 80000 personnes, mais certains cas peuvent correspondre à des demandes plus anciennes).[media_asset| eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YjhjNWUzYTVjOTU5ZmU0ZDhiNDU3YiIsInBhdGgiOiJmaWxlc1wvMjAxNlwvM Légèrement en retrait de la grande avenue Unter den Liden, le Maxim-Gorki Theater joue à guichets fermés. Ce soir-là, la troupe interprète son spectacle  In unserem Namen (En notre nom), au succès ininterrompu depuis l'automne. La création repose sur des textes d’Eschyle, de l'Autrichienne Elfriede Jelinek et de récents débats au Bundestag sur le droit d'asile. Le résultat est une claque. Assis sur des gradins sommaires et à même le sol tout autour de la salle, le spectateur ne comprend rien pendant les dix premières minutes : les comédiens se parlent en arabe, en turc, en serbo-croate. Il se fait apostropher, on lui demande de changer de place, il se sent perdu au milieu de la foule. Il se dit que la première expérience que vit un réfugié en arrivant dans le pays, sans doute, cela doit ressembler à ça… L'allemand et l'anglais reviennent. Des échanges fusent, souvent ironiques, respirant le vécu : la plupart des membres de la troupe ont une origine étrangère. «C'est vrai, je ne peux pas parler allemand en cinq  jours mais cela ne veut pas dire que tu es plus intelligent que moi/Nous aussi on a vu les photos de bateaux remplis de réfugiés européens pendant la Seconde Guerre mondiale», dit l'un. «Nous vivons, nous vivons, l'important, c'est que nous vivons. Il n'y a pas grand-chose de plus, après avoir quitté notre  pays», répètent-ils en chœur. Une speakerine avait prévenu, dans un cynisme absolu, en introduction du spectacle: «Ce que vous allez voir risque de vous bousculer. Mais vous avez tout à fait le droit à l'issue du spectacle de continuer à fermer les  yeux…» D'ailleurs, la pièce ne se termine pas vraiment. Après le débat parlementaire sur le droit d'asile revisité, des rebondissements cocasses et une tirade qui fera tordre la salle de rire sur l'impossibilité de nier l'immense apport de l'immigration dans l'histoire allemande, chaque comédien fait un exposé très sérieux, devant un petit groupe de spectateurs, sur un thème lié aux réfugiés. La salle se vide petit à petit, sans applaudissements.[media_asset| eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YjhjNDk1YTVjOTU5Zjcx « Je crois que c'est cela qui m'a plu le plus, explique Daniel à la sortie. On sort de cette pièce insatisfait car tout reste en suspens. En fait, la fin renvoie au début :  peut-on détourner les yeux ? Peut-on faire comme si de rien n'était ? Et on ne nous donne pas de réponse…» Daniel et ses amies Stefanie et Marin sont étudiants à la Humboldt, à quelques encablures de là. Pour eux, la question des réfugiés n'a rien d'abstrait. Depuis quelques mois, il suivent le tout nouveau cycle mis en place à la fac par le collectif d'avocats  Refugee law clinic (Clinique du droit des réfugiés): cours magistral au premier semestre, puis stage auprès d'un avocat, et séminaire au second semestre.

A Berlin, Les Citoyens Se Mobilisent Tous Azimuts Pour Les Réfugiés

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A Berlin, les citoyens se mobilisent tousazimuts pour les réfugiésPAR AMÉLIE POINSSOTARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 13 FÉVRIER 2016

[media_asset|eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YmYzYjEyYTVjOTU5ZWQ0MjhiNDU2ZiIsInBhdGgiOiJmaWxlc1wvMjAxNlwvdépit des questions soulevées par les agressionsde Cologne, la société allemande reste très activepour accueillir les réfugiés, en dehors de tout cadreinstitutionnel. Reportage dans une société qui bouge.

Berlin (Allemagne), de notre envoyée spéciale.- Lasurprise apparaît dès le premier quart d'heure passé àdéambuler dans le centre de la capitale allemande. Ence dimanche d'hiver, tous les musées sont gratuits. Uneopération spéciale : ce jour-là, la ville de Berlin dit« Danke ». Merci à tous les Berlinois qui se mobilisentpour accueillir les réfugiés. Les journaux sont audiapason. « Merci», titre en grand le Tagesspiegeldu week-end, qui ajoute : «Sans votre engagement,cela n'aurait pas marché.»  Et le quotidien de tirerle portrait d'une dizaine de personnes qui, chacune

à leur niveau, agissent pour intégrer les nouveauxarrivants. La capitale allemande a vu arriver quelque80 000 personnes en 2015 –le pays dans son entierplus d'un million. La France, à côté, fait pâle figure :à peine quelques dizaines de milliers de réfugiésse sont installés l'année dernière sur le sol français(l'asile a été accordé en 2015 à près de 80000personnes, mais certains cas peuvent correspondreà des demandes plus anciennes).[media_asset|eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YjhjNWUzYTVjOTU5ZmU0ZDhiNDU3YiIsInBhdGgiOiJmaWxlc1wvMjAxNlwvM

Légèrement en retrait de la grande avenue Unterden Liden, le Maxim-Gorki Theater joue à guichetsfermés. Ce soir-là, la troupe interprète son spectacle

 In unserem Namen  (En notre nom), au succèsininterrompu depuis l'automne. La création reposesur des textes d’Eschyle, de l'Autrichienne ElfriedeJelinek et de récents débats au Bundestag sur le droitd'asile. Le résultat est une claque. Assis sur des gradinssommaires et à même le sol tout autour de la salle, lespectateur ne comprend rien pendant les dix premières

minutes : les comédiens se parlent en arabe, en turc,

en serbo-croate. Il se fait apostropher, on lui demandede changer de place, il se sent perdu au milieu de la

foule. Il se dit que la première expérience que vit unréfugié en arrivant dans le pays, sans doute, cela doitressembler à ça…

L'allemand et l'anglais reviennent. Des échangesfusent, souvent ironiques, respirant le vécu : la plupartdes membres de la troupe ont une origine étrangère.«C'est vrai, je ne peux pas parler allemand en cinq

 jours mais cela ne veut pas dire que tu es plusintelligent que moi/Nous aussi on a vu les photosde bateaux remplis de réfugiés européens pendant la

Seconde Guerre mondiale», dit l'un. «Nous vivons,nous vivons, l'important, c'est que nous vivons. Il n'ya pas grand-chose de plus, après avoir quitté notre

 pays», répètent-ils en chœur. Une speakerine avaitprévenu, dans un cynisme absolu, en introductiondu spectacle: «Ce que vous allez voir risque devous bousculer. Mais vous avez tout à fait le droit à l'issue du spectacle de continuer à fermer les

 yeux…» D'ailleurs, la pièce ne se termine pas vraiment.Après le débat parlementaire sur le droit d'asile

revisité, des rebondissements cocasses et une tiradequi fera tordre la salle de rire sur l'impossibilitéde nier l'immense apport de l'immigration dansl'histoire allemande, chaque comédien fait un exposétrès sérieux, devant un petit groupe de spectateurs,sur un thème lié aux réfugiés. La salle se videpetit à petit, sans applaudissements.[media_asset|eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YjhjNDk1YTVjOTU5Zjcx

« Je crois que c'est cela qui m'a plu le plus, expliqueDaniel à la sortie. On sort de cette pièce insatisfait car 

tout reste en suspens. En fait, la fin renvoie au début : peut-on détourner les yeux ? Peut-on faire comme si derien n'était ? Et on ne nous donne pas de réponse…»Daniel et ses amies Stefanie et Marin sont étudiants àla Humboldt, à quelques encablures de là. Pour eux,la question des réfugiés n'a rien d'abstrait. Depuisquelques mois, il suivent le tout nouveau cycle mis enplace à la fac par le collectif d'avocats  Refugee lawclinic (Clinique du droit des réfugiés): cours magistralau premier semestre, puis stage auprès d'un avocat, etséminaire au second semestre.

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Étudiants, artistes, médecins, retraités, actifs,immigrés de plus longue date… À tous les niveaux,

la société allemande semble mobilisée, soucieuse des'adapter, consciente que le pays est en train dechanger. Au Gorki Theater, qui collecte, à chaquefin de spectacle, des dons pour les redistribuer àun collectif d'aide aux réfugiés, cette question del'immigration irrigue la programmation depuis deuxans déjà. Pour Dimitrij Schaad, qui joue dans  Inunserem Namen, il ne s'agit pas tant de se focalisersur la vague de réfugiés arrivés en 2015 que de parlerde questions d'identité universelles. «Il faut arrêter 

avec cette image de “réfugiés”: derrière ce mot, il ya d'innombrables histoires différentes! Tout le mondene vient pas pour les mêmes raisons. C'est là-dessusque nous cherchons à sensibiliser le public.»

Le jeune homme, moitié kazakh moitié allemand,est arrivé en Allemagne à l'âge de huit ans. «Uneautre époque, un autre contexte.» Mais une difficultéque d'autres connaissent aussi aujourd'hui : « J'enavais assez que l'on me renvoie l'image de celui quia survécu. Je voulais faire partie de cette société,

gagner ma vie, vivre tout simplement.» Évidemment,cela prend du temps. «La population est vraiment volontaire pour aider les nouveaux arrivants. Mais

 je sens aussi une forme d'impatience. Les genscommencent à se demander : quand est-ce qu'on vatrouver une solution à cette “crise”? Quand est-ce quetous ces gens vont s'intégrer ? Ce n'est pas si simple !On ne s'intègre pas en six mois ! Tout cela peut prendreune, voire deux décennies…»

Des mots parfois trop grands

D'après le Tagesspiegel, 78 théâtres allemands, maisaussi 71 fondations sont engagés aux côtés desréfugiés, et 10,9% des Allemands soutiennent d'unemanière ou d'une autre les nouveaux arrivants,selon un sondage réalisé par l'Institut des sciencessociales de l'Église évangélique. Le journal décompteégalement quelque 150 initiatives citoyennes dansla capitale, comme celle qui s'active autour ducentre de demandes d'asile, le Lageso – passageobligé pour les réfugiés et symbole de l'incapacité

des autorités berlinoises à gérer l'afflux. Chaque

 jour, ce collectif qui compte pas moins de 15000membres sur sa page Facebook, apporte nourriture,

eau, vêtements aux milliers de demandeurs d'asilequi attendent pour leur enregistrement dans ce centreadministratif situé à Moabit, dans les quartiers ouest.Une fois leur dossier déposé, les demandeurs d'asilesont affectés à un centre d'hébergement d'urgence–en théorie pour trois mois maximum–, à défautde pouvoir trouver une place avec un peu plus deconfort et d'intimité dans un foyer. [media_asset|eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YjhjNmZmYTVjOTU5Njg

On ne compte plus les associations nées ces derniers

mois pour répondre aux besoins créés par cettenouvelle situation. Citons-en quelques-unes, trouvéesau hasard de nos recherches : Arrivo, qui rassembledes employeurs désireux d'embaucher des immigrés;Über den Tellerrand, qui propose des cours decuisine du monde assurés par des réfugiés ; KironUniversity, qui offre aux nouveaux arrivants lapossibilité de poursuivre leur cursus universitairemême en l'absence de diplômes… Ici et là, dansdifférents quartiers, des permanences médicales,

 juridiques, sont assurées par des professionnelsbénévoles. Les collectifs d'aide aux étrangers, quiexistaient déjà avant la vague de 2015, tournentà plein régime, notamment à Kreuzberg, l'ancienquartier alternatif de Berlin-Ouest où vit toujoursune importante communauté turque. Sur Internet, cesassociations affichent systématiquement une page oùl'on peut faire des dons en ligne. De fait, en Allemagne,la société civile a toujours été très organisée ;conséquence de l'histoire, fondations et associationsont souvent occupé le terrain d'un État qu'on ne voulait

pas trop puissant… Conséquence de l'histoire, aussi,de très nombreux Allemands ont connu l'immigrationforcée au sein même de leur famille. Au lendemain dela Seconde Guerre mondiale, 12 millions de déplacésarrivent en Allemagne à la suite de la défaite nazieet des changements de frontières en Europe centrale.Beaucoup le disent : la mobilisation actuelle est lié àce vécu.

À Berlin, il n'est pas rare, au détour d'une rue,de tomber sur un café affublé d'un petit panneau

« Refugees welcome ». C'est le cas chez Varadinek,

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discret café-pâtisserie de Kreuzberg. Les réfugiéspeuvent consommer ici gratuitement… et une petite

boîte à côté de la caisse recueille les piécettes pourfaire des dons. Deux amies sont venues là passer unbout d'après-midi ensemble. Anje et Marie ne se disentpas particulièrement « mobilisées » pour les réfugiés.Elles ne sont pas pour autant restées sans rien fairedepuis l'été. La première a accompagné en août desréfugiés dans Berlin pour leur faire visiter la ville.La seconde a organisé en décembre un concert avecquelques têtes d'affiches dans l'une des salles pharesde Kreuzberg, le Lido, prêtée gracieusement pour

l'occasion. Les artistes ont joué bénévolement et lesrecettes ont été entièrement reversées à une associationd'aide aux réfugiés. «Nous avons récolté 3000 euros.»Pas de quoi pavoiser non plus pour cette jeune fillede 22 ans. L'organisation d'un concert de soutien, auxyeux de Marie, tombait comme une évidence.

Accueil, solidarité, engagement… Pour beaucoup deBerlinois, les mots sont en fait parfois trop grandspour décrire une réalité qui fait maintenant partie deleur quotidien. Florian, assistant parlementaire, habite

depuis trois mois avec Safi, arrivé d'Afghanistan ily a cinq mois. «Je ne peux pas dire que je sois particulièrement solidaire, il n'y a qu'un jour où je mesuis vraiment mobilisé en participant à la distributiond'eau à Lageso. Non, je suis tout simplement encolocation avec Safi. C'est une coloc' comme une autreet comme toutes les colocs, nous discutons de chosestrès terre-à-terre entre nous ! »

[[lire_aussi]]

En Allemagne, le système des WG  (pour

Wohngemeinschaft , colocation) est une institution.De très nombreux Allemands, étudiants ou actifs,partagent un logement à plusieurs quand ils nesont pas installés en famille. Une plate-forme crééecet été, Flüchtlinge Wilkommen, prend appui surcette pratique pour mettre en contact réfugiés etAllemands en quête de colocataire. Le nouvel arrivantest tenu de payer sa part de loyer, mais les réfugiéspeuvent bénéficier de certaines aides, et la plate-formefait appel aux dons pour financer un maximum decolocations.

C'est ainsi que Florian et Safi se sont rencontrés.Depuis deux mois, ce dernier travaille comme

interprète et aide social dans le centre d'hébergementd'urgence aménagé dans le centre international descongrès de Berlin, ce qui lui permet de s'acquitter d'unloyer. Ce chimiste de formation, ancien interprète pourl'armée américaine, passé par une première expérienced'émigration de trois ans en Suède, d'où il a été renvoyéà Kaboul, dit n'avoir rencontré que des gens « gentils »depuis qu'il est arrivé. «J'ai peut-être eu de la chancede tomber sur les bonnes personnes, mais j'ai lesentiment d'être accueilli ici, et cela fait de moi une

 personne différente. On me fait confiance, moi quiviens d'un camp de réfugiés! Cette société s'occupe demoi, je ne dors pas sous les ponts ! »

Nouer des relations

Florian est plus critique. L'échec, très visible, duLageso, explique selon lui en grande partie l'immensemobilisation des Berlinois. «On n'a pas l'habitudeen Allemagne de voir une administration qui ne

 fonctionne pas. Ces queues interminables nous ont  fait toucher le problème.» Les autorités auraient pu

éviter ce fiasco, pense-t-il ; surtout, il est temps desonger à la suite… «Il n'y a pas de plan! Il faut que les pouvoirs publics gèrent l'après ! Mais Angela

 Merkel est occupée pour l'instant à payer les Turcs pour faire le sale boulot… En fait, comme la société allemande, elle présente deux visages : celui, amical,de l'accueil. Et celui, strict, de la fermeture : celuid'AfD…  [ Alternative für Deutschland , l'alternativepour l'Allemagne, parti xénophobe et anti-européen –ndlr]» De fait, les attaques contre les foyers de réfugiés

se sont multipliées ces dernières semaines, et après lesagressions de Cologne, le débat s'est radicalisé outre-Rhin. Angela Merkel, de son côté, est en perte devitesse. Isolée au sein de son propre parti, elle a perdude son soutien auprès des électeurs.[media_asset|eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YjhjN2I3YTVjOTU5NjYy

Entre les deux colocataires, les échanges sont parfoisétonnants. Toujours enrichissants. Notre rendez-vous,prévu en soirée, a failli être annulé car Safi avaitaccepté deux choses au même moment et ne voulait

renoncer ni à l'une ni à l'autre. Florian le convaincra

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finalement d'être là pour la journaliste. «Chez nous, lenon est très négatif , explique Safi à Florian. On préfère

dire oui, même si le oui ne se réalise pas, et ce n'est  pas très grave s'il ne se réalise pas au final. Alors que pour vous, le oui est ferme. Une fois que l'on a dit oui,on ne peut pas revenir dessus !»

Avoir des échanges avec les réfugiés, s'enrichir àleur contact, nouer des relations : c'est aussi lapréoccupation de nombreux Berlinois qui ne cherchentpas tant à donner de l'argent ou des biens matériels qu'àprésenter un regard attentif et amical à ces nouveauxvenus. «La crise migratoire est un phénomène qui

nous dépasse et sur lequel nous n'avons aucune prise,explique ainsi Aryun, Berlinois d'origine indienne quidonne bénévolement, trois fois par semaine, des coursd'allemand dans des foyers de réfugiés.  Je voulais

 faire quelque chose à mon niveau sans entrer dans laradicalité des discours politiques, je me suis dit qu'il

 fallait présenter à ces gens le visage de quelqu'un quileur veut du bien.»

De fait, les réfugiés répondent présents, ce soir-là,dans le foyer de Friedrichshain, quartier de l'ex-

Berlin-Est qui regorge aujourd'hui de lieu branchés.Autour de deux enseignants amateurs, Aryun etUli, une Allemande d'une cinquantaine d'années,ils sont principalement originaires d'Érythrée, maisil y a aussi quelques Vietnamiens, un Pakistanaiset un Nigérian. La méthode ? Lecture de petitstextes, explication du vocabulaire, quelques pointsde conjugaison… Certains ont déjà un niveau trèscorrect. Voici le «meilleur élève» d'Aryun, un Syrien,arrivé il y a sept mois au terme du long périple:

Nord de la Syrie – Turquie – île grecque de Lesbos– Balkans – Hongrie – Autriche – Allemagne. Ila 26 ans, souhaite rester anonyme, mais expliquevouloir « le plus rapidement possible»  terminer sesétudes d'ingénieur mécanique à Berlin. Il lui restedeux ans à faire pour être diplômé, il suit plusieurscours d'allemand simultanément pour pouvoir bientôtreprendre le chemin de l'université.[media_asset|eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YjhjYzE1YTVjOTU5ZmU0ZDhiNDU3YyIsInBhdGgiOiJmaWxlc1wvMjAxNlwvM

Comme Aryun, ce sont souvent des étrangers quise mobilisent pour l'intégration des réfugiés arrivés

ces derniers mois en Allemagne. Berlin est uneville melting-pot, qui s'est enrichie de nombreusesnationalités depuis la chute du Mur et la réunification,en 1990. Déjà riche d'une forte communauté turque,la capitale allemande a connu dans les années 1990une importante immigration juive russe ; ensuite,il y a eu la vague des réfugiés de la guerre desBalkans, puis sont arrivés, à partir de 2004 et del'élargissement européen, de nombreux Polonais…,sans compter les migrations intérieures Est-Ouest liées

à la réunification. Au total, on estime que la moitié dela population berlinoise a changé en vingt-cinq ans.

Razan Nassreddine fait partie de ces néo-Berlinoisengagés. Syrienne passée par les meilleuresuniversités européennes avant de poser ses valises àBerlin, il y a quatre ans, elle est à l'origine du projet« Multaka » (Carrefour en arabe), qui organise depuisdécembre des visites guidées en arabe, gratuites, dansquatre des principaux musées de la capitale. L'objectif est de faire découvrir aux nouveaux arrivés l'histoire

allemande et les trésors archéologiques que recèleBerlin. Certains des tours sont même menés par desréfugiés. «Notre public, ce sont les demandeurs d'asilequi viennent d'arriver, ils sont désœuvrés, ils attendent leurs papiers et se trouvent face à un immense tempsvide qu'ils ne savent comment combler. Nous voulonsleur montrer qu'ils ont leur place en Allemagne. Pour les Irakiens et les Syriens, c'est souvent une immensesurprise : il ne s'attendent pas à avoir autant de

 patrimoine ici, à retrouver la Mésopotamie et destrésors d'architecture syrienne.»

[media_asset|eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YjhkMDc3YTVjOTU5YzI+PFwvaWZyYW1lPjxub3NjcmlwdD48c3Bhbj5OZXcgR

Devant la « Chambre d'Alep » issue d'un palais

chrétien du début du XVIIe  siècle, un bijoud'architecture intérieure en bois précieusementconservé au Musée d'art islamique, Acaria et Ala,deux Syriens arrivés il y a quelques mois à Berlin,écarquillent les yeux. Les questions fusent, Razan

y répond avec bonheur non dissimulé. «Cela me

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 fait quelque chose de voir des Syriens découvrir cet endroit, ça n'est pas pareil que d'y voir des touristes

chinois…», nous confiera-t-elle après la visite. Plusloin, c'est la « Porte de Damas », une niche intérieure

provenant d'une maison juive, datant des XVe-XVIe

siècles. Le groupe réagit : ces motifs et ces couleurs,c'est typique de Damas !, assurent-ils. A l'issue dela visite, tous repartent enchantés. Ala, archéologuede formation et ancien employé du musée d'Alep,aimerait bien participer au programme en tant queguide… Échange de coordonnées avec Razan. Ily aura peut-être une place: les visites, au départ

organisées le mercredi, sont désormais doublées lesamedi, l'affluence ayant déjà dépassé les attentes.

« Tout à coup, c'est réel, ça se passe juste àcôté de chez vous »

Gymnase d'une école de Prenzlauerberg (centre-nord),fin de matinée. Guillaume Bruère, un artiste françaisinstallé à Berlin depuis une douzaine d'années, arrivece matin-là avec son grand carton à dessins dans ce quiest, depuis début décembre, un centre d'hébergementd'urgence. Ici vivent de manière provisoire et sans

intimité quelque 200 personnes, pour la plupartoriginaires d'Iran, de Syrie et d'Afghanistan. Le peintreest à peine entré dans la pièce faisant office deréfectoire qu'un jeune Iranien, Mustafa, vient à sarencontre, tout sourire. Comme ses congénères dontGuillaume a tiré le portrait les jours précédents,Mustafa veut à son tour être le sujet de la toile. Pasde problème, le peintre s'installe, il est venu pour ça.Peindre, un à un, ces anonymes arrivés par dizainesde milliers sur le sol allemand… Les yeux rieurs et

le visage détendu, Mustafa prend la pose. Avec sonvif coup de crayon, son jeu de pastels et ses traitsd'aquarelle, Guillaume saisit un visage expressif etcoloré. Les mots sont à l'économie, ni l'un ni l'autren'ont de langue commune. Peu importe, l'essentielest ailleurs. Mustafa rayonne. Son garçon, Sepehr,se moque de lui, puis passe devant la toile à sontour, tout intimidé, concentration maximum. Aprèslui, c'est Tahereh, une femme afghane qui attendait

discrètement son tour. Pendant ce temps, à la tablevoisine, une collégienne allemande apprend l'arabe

auprès d'une Syrienne institutrice.[media_asset|eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YjhkNGYxYTVjOTU5Mm+PFwvaWZyYW1lPjxub3NjcmlwdD48c3Bhbj5OZXcgR

« Cette idée de faire des portraits de réfugiésn'était pas préméditée du tout , raconte GuillaumeBruère. Elle m'est tombée dessus lorsque j'ai rencontré quelques-uns d'entre eux dans le square du quartier où j'emmenais ma fille. Ce fut comme une révélation,un peu à la manière de la caverne de Platon : jusqu'à

 présent, tout cela était très à distance pour moi, le fait d'en entendre parler dans les médias nous rend passif,spectateurs, il y a quelque chose de très déprimant et de très lointain en même temps, on est dans lareprésentation. Et puis tout à coup, c'est réel, ça se

 passe juste à côté de chez vous et on ne peut plus rester sans rien faire.» L'artiste se dit qu'il faudrait tous lesportraiturer, ces réfugiés qui arrivent en Europe (« unseul portrait n'a pas de sens »), même si l'entrepriseest évidemment impossible. Pour l'heure, il se rend,

plusieurs fois par semaine, dans ce gymnase berlinois.«Quelqu'un qui les regarde individuellement, en face,leur fait du bien, je crois. »

Le centre d'hébergement a ouvert début décembre, « entrois heures », précise Constance Frey, la responsablecommunication de l'association Volkssolidarität(équivalent du Secours populaire français) qui gère4 des 160 foyers d'hébergement de la capitale, dontcelui-ci. « À partir du moment où nous nous sommes

 portés candidat pour gérer un centre, il a fallu ouvrir 

tout de suite.» L'élan de solidarité dans le quartier a étéimmédiat. «Le premier soir, nous avions un bénévole pour un réfugié. C'était même trop ! Il a fallu fairecomprendre à certaines bonnes volontés qu'on n'avait 

 pas forcément besoin d'elles à ce moment-là…»

[media_asset|eyJtZWRpYSI6eyJpZCI6IjU2YjhkNjBlMjRkZTNkNGQ

Sur sa page Facebook, le collectif de soutienaux réfugiés du gymnase de Prenzlauerberg compteplus de 2000 membres. Chaque jour, des messages

s'échangent afin d'organiser au mieux la solidarité,

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et les appels à bénévoles pour effectuer telle outelle tâche trouvent toujours une réponse. Depuis son

ouverture, le gymnase a recueilli en outre 16000euros de dons. C'est réjouissant… et insuffisanten même temps. «On gère encore beaucoup dansl'urgence, explique Constance Frey.  La société allemande a prouvé qu'elle était capable d'une grandegénérosité. Mais maintenant, il faut travailler sur l'après. Comment ces gens trouveront-ils leur placesur le marché du travail ? Pour l'instant, c'est compliqué et les lois changent en permanence ! Entant qu'association, nous avons par exemple essayé 

d'embaucher des immigrés sur un projet de prise encharge des personnes âgées. Nous n'avons pas obtenul'autorisation car ils étaient originaires des Balkans et devront être renvoyés… »

[[lire_aussi]]

Retour au Maxim-Gorki Theater, deux jours aprèsla représentation. Jens Hillje, le codirecteur, reçoitcôté jardin, sur un banc, sous un beau soleil hivernal.Un mot revient en permanence depuis cet été pourqualifier cette réaction sans précédent de la société

allemande: la «Willkommenskultur», la culture del'accueil (mot à mot : la culture de bienvenue). Dans

une Europe frileuse et dominée par les égoïsmesnationaux, l'Allemagne s'est-elle montrée exemplaire ?

«Nous devenons aujourd'hui ce pour quoi nous avonstoujours été destinés. Nous sommes un pays au centrede l'Europe. Le centre doit être ouvert pour recevoir ceux qui traversent.»

Mais la formule, pour Jens Hillje, a ses limites.« Je n'aime pas ce mot, Willkommenskultur , car iln'évoque que le premier moment, il ne parle pas dutout du processus qui doit suivre. Face au phénomènemigratoire, il ne s'agit pas simplement d'être gentil,encore faut-il assurer derrière les conséquences…

Cela me fait penser à un autre mot problématiquede l'histoire allemande : les Gastarbeiter [termedésignant l'immigration, en majorité turque, pendantles années 1950 à 1970 et qui signifie, mot à mot,les travailleurs invités – ndlr].  Le gouvernement lesconsidérait comme ça, c'était plus simple que de

 parler d'immigration, et eux-mêmes se considéraient comme ça ; mais avec des “invités”, on ne fait 

 pas d'intégration…»  Ceux qui sont aujourd'hui« bienvenus » outre-Rhin seront-ils demain des

immigrés intégrés ? Si certains itinéraires montrentque le processus est déjà engagé, tel est le grand défiauquel est confrontée, désormais, la société allemande.

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