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Dendrogramme de la classification par analyse de grappes de 72 exemplaire s céramiques des Keflia. Les principaux groupes de composition sont les suivants : 1. Céramiques faites à partir des alluvions de la Vallée du Nil; 2. Céramiques à argiles des zones /il/orales externes au delta ; 3. Sigillée chypriote ; 4. Céra- mique fine à argiles de type kaoli· ni te ou pâte réfractaire, originaire s de la région d'Assouan ; 5. Céra- mique {me ou sigillée d 'Afrique du Nord (Tunisie) ; 6. Amphore type Egloff 164 = Late Amphora /. 80 , . a ceramique tém9in des economiques par P ascale BALLET et Maurice PI CON 1 ndépendamment de son intérêt relatif à la chronologie des ermitages et à son utilisa- tion dans la vie quotidienne des moines, la céramique des Kellia nous renseigne sur les courants commerciaux de l'Egypte byzantine et des premiers temps de la présence arabe. Elle témoigne de la vitalité des échanges inter-méditerranéens et de la production des grands ateliers de potiers d' Egypte, expédiant leur fabrication aux ermitages des Kellia. Un programme de recherches, mené conjointe- ment par l'Institut Français d'Archéologie Orientale du Caire et le Laboratoire de Céra- mologie de Lyon, CNRS, tente d'aborder ces questions et de situer l'origine des principaux groupes céramiques dans les espaces méditerra- néen -et égyptien . Retrouver le quotidien Aborder la céramique des Kellia, c'est se plonger d'emblée dans Je domaine du quotidien et envisager la culture matérielle des occupants des ermitages. On est ici frappé par ce qui semble constituer un paradoxe ou une contra- diction flagrante avec ce que suggèrent les Apophtegmes des Pères du Désert : frugalité des repas, consommation peu fréquente d'ali- ments cuits qu'indiquent ces textes édifiants, contrastent avec ce qui constitue le mobilier ou les accessoires céramiques des moines. Ce fait, maintes fois observé, prend d'autant plus d'ampleur si l'on considère l 'origine géogra- phique de ces céramiques. 1 2 Une enquête, prenant comme point de départ la documentation céramique des Kellia, nous a conduits à des recherches d'ateliers dans l'ensemble de I'Egypte et à utiliser des moyens d'investigation d'un autre ordre- les analyses en laboratoire. On peut dire, tout d'abord, que les problèmes posés face à la détermination des origines de la céramique des Kellia possèdent partiellement des éléments de réponse, voire des pistes de recherches suggérées par quelques chercheurs dans leur approche archéologique des princi- paux groupes céramiques connus dans l' Egypte byzantine. Ainsi existent, outre le remarquable ouvrage de M. Egloff sur la typologie de la céramique des Kellia, des études de monogra- phies régionales comme celles de M. Rodziewicz et W. Adams. Un fait quasi certain aux Kellia, c'est l'absence de traces d'activités de potiers :ni fours à céra- miques - à distinguer des fours à pain -, ni dépotoirs d'ateliers - à distinguer des dépo- toirs domestiques -. Ce n'est sans doute pas tant la qualité de l'argile ou un manque de savoir-faire dans le domaine de la fabrication qui sont en cause que les st ructures économi- ques des ermitages. Enfin, l es sources écrites n'en fournissent éga lement aucun écho. f' . .. 3 4 5 6

a ceramique tém9in des ~changes economiques · visiteur se met sous la protection du saint. Les inférieure des murs des pièces, sur les plinthes d'enduits au tuileau, où il n'y

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Dendrogramme de la classification par analyse de grappes de 72 exemplaires céramiques des Keflia. Les principaux groupes de composition sont les suivants : 1. Céramiques faites à partir des alluvions de la Vallée du Nil; 2. Céramiques à argiles des zones /il/orales externes au delta ; 3. Sigillée chypriote ; 4. Céra­mique fine à argiles de type kaoli· ni te ou pâte réfractaire, originaires de la région d'Assouan ; 5. Céra­mique {me ou sigillée d'Afrique du Nord (Tunisie) ; 6. Amphore type Egloff 164 = Late Amphora /.

80

, . a ceramique

tém9in des ~changes economiques

par Pascale BALLET et Maurice PI CON

1 ndépendamment de son intérêt relatif à la chronologie des ermitages et à son utilisa­tion dans la vie quotidienne des moines, la céramique des Kellia nous renseigne sur les courants commerciaux de l'Egypte

byzantine et des premiers temps de la présence arabe. Elle témoigne de la vitalité des échanges inter-méditerranéens et de la production des grands ateliers de potiers d' Egypte, expédiant leur fabrication aux ermitages des Kellia. Un programme de recherches, mené conjointe­ment par l'Institut Français d'Archéologie Orientale du Caire et le Laboratoire de Céra­mologie de Lyon, CNRS, tente d'aborder ces questions et de situer l'origine des principaux groupes céramiques dans les espaces méditerra­néen -et égyptien .

Retrouver le quotidien Aborder la céramique des Kellia, c'est se plonger d'emblée dans Je domaine du quotidien et envisager la culture matérielle des occupants des ermitages. On est ici frappé par ce qui semble constituer un paradoxe ou une contra­diction flagrante avec ce que suggèrent les Apophtegmes des Pères du Désert : frugalité des repas, consommation peu fréquente d'ali­ments cuits qu'indiquent ces textes édifiants, contrastent avec ce qui constitue le mobilier ou les accessoires céramiques des moines. Ce fait, maintes fois observé, prend d'autant plus d'ampleur si l'on considère l'origine géogra­phique de ces céramiques.

1 2

Une enquête, prenant comme point de départ la documentation céramique des Kellia, nous a conduits à des recherches d'ateliers dans l'ensemble de I'Egypte et à utiliser des moyens d'investigation d'un autre ordre- les analyses en laboratoire. On peut dire, tout d'abord, que les problèmes posés face à la détermination des origines de la céramique des Kellia possèdent partiellement des éléments de réponse, voire des pistes de recherches suggérées par quelques chercheurs dans leur approche archéologique des princi­paux groupes céramiques connus dans l'Egypte byzantine. Ainsi existent, outre le remarquable ouvrage de M. Egloff sur la typologie de la céramique des Kellia, des études de monogra­phies régionales comme celles d e M. Rodziewicz et W. Adams. Un fait quasi certain aux Kellia, c'est l'absence de traces d'activités de potiers :ni fours à céra­miques - à distinguer des fours à pain -, ni dépotoirs d'ateliers - à distinguer des dépo­toirs domestiques -. Ce n'est sans doute pas tant la qualité de l'argile ou un manque de savoir-faire dans le domaine de la fabrication qui sont en cause que les structures économi­ques des ermitages . Enfin, les sources écrites n'en fournissent également aucun écho.

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La prière de lire l'inscription à haute voix est textes ne s'adressent qu 'à Dieu, pour évitertout bien conforme à la tradition égyptienne, selon soupçon d'idolâtrie, mais ce sont les saints laquelle ce genre de lecture garantissait la trans- vénérés dans ce sanctuûce qui vont intercéder formation des formules écrites, en faits réels. pour les défunts dont les noms, inscrits dans œ Dans les inscriptions des Kellia , en dehors de lieu, leur ont été ainsi signalés. Cette foi est l'expression : « ... et que Dieu ait pitié d'eux confirmée par les signatures des moines qui ont dans ce siècle et dans celui qui va venir ... », exécuté les inscriptions afin qu'une part de leur d'autres mentions de la foi des moines dans la grâce leur soit ainsi accordée. résurrection sont très rares. Le même problème Dans le domaine de l'épigraphie, il convient se pose à propos de l'article de foi concernant aussi de mentionner quelques inscriptions rué­l'intercession des Saints, dont la première roglyphiques sur des blocs pharaoniques, dont expression est apparue sur l'abside inscrite du l'une comporte un beau cartouche du roi martyrium de l'ermitage 39/ 40 des Qu~ür al- Néctanébo rer ; elle a été trouvée en 1982, ce B-igayla. Là, les invocations aux saints bloc ayant été remployé dans une installation vénérés manquent, ce qui s'explique par l'exi- hydraulique copte. Nous devons évoquer guïté de l'espace disponible, mais aussi par le encore les témoignages de la dernière phase fait qu'en se rendant sur ce lieu sacré on a déjà d'occupation et de vie du site, c'est-à-dire l'épi­demandé la grâce aux saints qui y sont vénérés. graphie arabe. Les inscriptions arabes en noir, Par la simple inscription de son propre nom, le ou les graffiti, se trouvent plutôt sur la partie visiteur se met sous la protection du saint. Les inférieure des murs des pièces, sur les plinthes

d'enduits au tuileau, où il n'y a presque jamais de textes coptes ou grecs. Pour la plupart, elles sont tracées après l'abandon du site par les moines, et en général elles ont une teneur cora­nique - la seule pratiquement lisible, vu l'absence de la vocalisation, sans laquelle letra­ducteur est souvent placé devant plusieurs pos­sibilités d'interprétation. Les inscriptions gros­sières, au charbon de bois, accompagnées par­fois de dessins, sont probablement l'œuvre des Bédouins, en sorte qu'elles ne présentent pas un

\ grand intérêt pour l'histoire de l'occupation du site. Les inscriptions coptes et grecques des ermi­tages des Kellia sont enracinées dans les tradi­tions de 1 'Antiquité tardive plus encore que dans le Moyen Age naissant, qui en Egypte, avec sa nouvelle religion que fut l'islam, obligea les ermites à recourir pour longtemps encore aux trésors légués par leur glorieux passé, celui du monachisme, père des mona­chismes chrétiens, le monachisme égyptien .

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Origine des céramiques, prol'enant de régions extérieures à I'Egypte, acheminées aux Kellia Oe trajet qu 'indiquenr les jlèchts est sim· plifié, différent des itinéraires réel­lement utilisés). 2 b. Amphore· obus, origine de Ga1.a (?); 3. Sigillée chypriote; 5. Céra· mique fine ou sigillée d'Afrique du Nord (Tunisie); 6. Amphore type Eglolf/64 = LareAmphora /.

1. Céramique fine ou sigillée d'Afrique du Nord, d'après Egloff.

2. Amphore du type Eglo/1164 ou Late Amphora 1, d'après Egloff.

spécifiques ; les compositions sont également voisines de celles d'autres sigilJées chypriotes trouvées à Chypre, en Syrie et en Turquie. On peut supposer que cette céramique fine accompagna le groupe des amphores précé­demment décrit, formant ainsi un complément de cargaison ; toutefois les zones de distribu­tion ne seraient pas tout à fait parallèles, ce qui constitue un cas rencontré ailleurs.

La céramique fine d ' Asie Mineure (Lale Roman C). Alors qu'elle est abondamment représentée en Turquie, en Syrie et en Pales­tine, la La te Roman C, dont le principal atelier se situe à Phocée, est la grande absente des céra­miques fines orientales des Kellia, à quelques exceptions près (Egloff 17-18). n est possible, vu que sa distribution en Méditerranée semble­rait liée au commerce de l'alun de Phocée, sul­fate double, astringent et caustique, utilisé en teinturerie et en médecine, que la rareté de la Late Roman C en Egypte s'explique par l'absence d'importation d'alun en Egypte, elle­même principale productrice de ce sulfate dans l'antiquité.

L a sigillée d ' Afrique du Nord. Quant à lacéra­mique provenant d'Afrique du Nord (Late Roman B = Sigillée Claire D), apparaissant aux Kellia en faible quantité, c'est bien d'ate-

82 liers tunisiens dont elle provient, ainsi que le

confirment les analyses. Bien que son origine soit connue, aucun élément ne permet de savoir par queUes routes commerciales et avec quel produit cette céramique fine rut acheminée jus­qu'aux Kellia et vers d'autres établissements égyptiens. On signalera néanmoins la présence

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Les céramiques importées de régions extérieures à l'Egypte

Les amphores de Méditerranée orientale. Sou­vent utilisées dans la construction des ermitages (tessons de calage des briques de voûtes, cols servant de tuyaux acoustiques), les amphores claires Egloff 164 (Late Amphora 1 = British Bii) possédaient plusieurs lieux probables d' ori­gine. Il faut assurément exclure une origine égyptienne, suggérée encore récemment, alors que l' hypothèse orientale s'appuie sur plusieurs points d'ancrage. D. Peacock a en effet souligné la présence de serpentine parmi les nombreuses inclusions minérales, qui forment un semis bien caracté­ristique et visible à l'œil nu ; les argiles conte­nant ce minéral ne peuvent se trouver en Egypte, mais dans d'autres régions telles que la Syrie du Nord, la Cilicie orientale, Chypre, Rhodes etc. , si l' on s'en tient aux zones les plus proches de l'Egypte. D'autre part, les pourcen­tages élevés de chrome, dans la composition des pâtes de ces amphores, contribuent également à exclure une origine égyptienne. Les analyses effectuées sur quelques exem­plaires des Kellia montrent des compositions voisines de celles des amphores caractéristiques des sites d'ateliers de Cilicie orientale, récem­ment prospectés. Lors de cette prospection

erfectuée par J. -Y. Empereur et M. Picon, d 'autres ateliers de l'amphore Egloff 164 ont également été repérés en Piérie et à Chypre. Il n'est pas exclu que si d'autres amphores kel­liotes de ce type étaient analysées, on pourrait aussi les rattacher à ces ateliers, et surtout à ceux de Chypre largement majoritaires en Egypte, si l'on en juge d 'après les exemplaires analysés trouvés sur d'autres sites égyptiens. Le problème du contenu , du transfert et de l'utilisation de ces amphores reste non élucidé. La lecture des inscriptions, raites à l'encre rouge sur l'épaule, difficile, pourrait sans doute résoudre partiellement ces questions. Les inscriptions ont sans doute été portées en Egypte, ainsi que semble l'indiquer J . Gascou dans un dossier en cours d'étude.

La sigillée chypriote. Ce sont de contrées assez similaires que provient la sigillée dite c!fypriote (Late Roman D = Cypriot Red Slip Ware), bien connue aux Kellia sous le type de l' assiette Egloff 25. Abondamment représentée à Chypre, où les ateliers n'ont cependant pas été repérés, mais aussi dans d'autres sites de la Méditerranée orientale, sa diffusion en Egypte est surtout limitée au delta, et plus particulière­ment à l'ouest. Les analyses d 'exemplaires kel­liotes montrent une grande homogénéité de composition , attestant qu' il s'agit bien de la production d ' un ou de plusieurs ateliers

Photo de gauche. Dépotoir d'atelier d'amphores brunes à Scheikh lbada!Antinoé· polis, en Moyenne-Egypte. Photo P. Ballet. Photo de droite. Dépotoir d'atelier de la céramique d'Assouan, à l'extérieur du monastère de St·Siméon. Photo P. Ball~t.

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1. Pichet à cannelures verticales excisées et à pâte calcaire, origi· naire d'Abou Mina ou de Mario· tide, d'après Egloff.

2. Amphore-obus, provenant de li1 région de Gaza (?), fouilles Kellia IF A O.

J. Céramique [me à engobe rouge et à pâte alluviale, provenant vrai· semblablement des ateliers de Moyenne-Egypte, fouilles Kellia lFAO.

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occidentales du Delta, utilisant des argiles cal­caires et diffusant leur production dans les principaux établissements de cette région. E n dehors de cette dernière, la distribution de ces produits reste limitée ; on trouve quelques­unes des amphores claires sphéroïdes en Moyenne-Egypte, en surface de Scheikh !bada/ Antinoopolis et de Deir el-Dik du bas.

Les amphores-obus : deltaïques ou palesti­niennes. Parmi les amphores des Kellia, les amphores-obus Egloff 182 (Late Amphora 4), généralement encastrées horizontalement dans l'épaisseur des murs et servant de niches, pré­sentent des compositions chimiques voisines de celles du groupe précédemment décrit. Cer­taines différences apparaissent néanmoins, mais l'ensemble de leur faciès chimique permet de conclure à 1 'utilisation d'argiles appartenant à des horizons géologiques semblables à ceux des ateliers occidentaux. Les ateliers des amphores Egloff 182 ne sont pas connus, mais de sérieux indices semblent leur attribuer une origine orientale, plus précisément palesti­nienne - de nombreux exemplaires de ce type ont été trouvés en Palestine méridionale et à Gaza -. Encore ne faut-il pas exclure l'hypo­thèse de plusieurs ateliers ayant produit ce genre de forme. (Les analyses d'amphores de « Gaza », faites en dehors des Kellia, confir­ment la multiplicité des ateliers.) Egyptienne ou palestinienne, l'incertitude de leur origine ne contredit en rien la similarité de composition des exemplaires trouvés aux Kellia avec les productions ouest-deltaïques ; en effet, la zone des argiles calcaires s'étend tant à l'ouest qu'à J'est du Delta et peut-être jusqu'en Palestine méridionale.

Les céramiques à pâte alluviale. Cet ensemble comprend aux KelJia un certain nombre de formes d'usages variées : céramique fine à engobe rouge (grou pe K = Egyptian B), amphores brunes (Egloff 173- 177 = Late Amphora 7) et mannites. Les analyses ont permis de déterminer la cohé­rence de ce groupe de céramique à pâtes rouge à brun, au cœur souvent gris-noir, fortement micacées. Les caractéristiques chimiques sont celles des argiles provenant des aJluvions ou limons de la Vallée, qui sont des dépôts récents charriés par le Nil. Cette matière première argi­leuse, « matrice »traditionnelle de la vie artisa­nale des bords du Nil, fut de tout temps large­ment utilisée par les potiers égyptiens. Relative­ment plastique, contenant à l'état naturel des inclusions - sables, micas -, elle est de qua­lité médiocre si on la compare à l'ensemble des céramiques extérieures à I'Egypte. Il paraît extrêmement difficile de caractériser les argiles selon les régions et donc a fortiori les ateliers. En fait, la recherche des ateliers sur le terrain

constitue, dans ce domaine, le seul moyen per­mettant d'aborder ce genre de problème. Une enquête menée récemment sur des sites d 'ateliers a permis d'observer les faits suivants : les principaux centres urbains de Moyenne-Egypte, ,Scheikh lllfl.çla/ Antinoo­polis, Ashmunein/ Hërmopolis Magna, Tebneh 1 Akôris, auxquels on ajoutera Zawyet el­Maïetin, possèdent d'énormes dépotoirs, cons­titués des rejets d'ateliers, se signalant soit par leur hauteur, soit par leur étendue. Les dépo­toirs d' Antinoopolis, hauts de quelques dizaines de mètres, sont sans doute les plus spectaculaires. C'est le domaine de production des céramiques à pâte alluviale, en particulier des amphores à pâte brune fortement micacée (Late Amphora 7). Parmi ceiJes-ci, un groupe, particulièrement abondant dans les ateliers

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de quelques amphores dites spatheia dans les ermitages kelliotes, type d'amphore réputé orginaire d'Afrique du Nord également, alors que manquent ici les céramiques culinaires afri­caines, souvent exportées dans le bassin médi­terranéen pour leur qualité propre de récipients de cuisson.

Les céramiques d'Egypte Face à la classification traditionnellement uti­lisée pour la céramique pharaonique- pâtes alluviales = Nile Silt, pâtes calcaires = Mari Clay-, il faut moctifier quelque peu ce schéma pour la céramique copto-byzantine d'Egypte et par conséquent pour celle du site monastique des Kellia. L'origine des principaux groupes de cérami­ques égyptiennes trouvées aux KeUia sera ici évoquée en fonction de trois types d'approches dont les résultats convergent vers la détermina­tion des origines :- ce que l'archéologie et les céramiques elles-mêmes, leurs caractéristiques,

leur répartition géographique, permettent de déduire de leur origine ; - l'apport des pros­pections en matière d'identification des ateliers et la connaissance de la géologie ; - enfin, le recours aux analyses par fluorescence X, déter­minant la composition chimique des cérami­ques et pour lesquelles on obtient des groupe­ments par affinité de composition.

Les céramiques à pâte calcaire des zones litto­rales externes au Delta. Un groupe de cérami­ques à pâte calcaire, constitué d'amphores sphéroïdes (Egloff 186) et de pichets à canne­lures verticales excisées (Egloff 227-228) était supposé avoir été produit par les ateliers d'Abou Mina, le grand centre de pèlerinages de la frange occidentale du Delta. Les analyses ont confirmé l'homogénéité de la composition chi­mique de ce groupe, dont les argiles utilisées pour leur fabrication sont effectivement carac­téristiques des zones littorales externes au Delta.

Les ateliers d'Abou Mina, dont quelques fours ont été fouillés par l'Institut Allemand et dont il existe également tout un secteur de dépotoir.<> au sud de 1a grande basilique, se spécialisèrent de surcroît dans la fabrication d'ampoules à eulogie - les fameuses ampoules de saint Ménas représentant généralement le saint encadré de chameaux-, de lampes et de figu­rines. Dans le domaine de la céramique commune, les ateliers ont exporté aux Kellia, outre les amphores et les pichets, des jattes (trouvées en nombre non négligeable à J'ermi­tage 195), qui n'ont pas fait l'objet d'analyses, mais qui se raccorderaient vraisemblablement aux exemplaires analysés. En fait, le cadre des ateliers ayant produit ces groupes de céramiques dépasse le cadre du centre cultuel où l'on vénérait saint Ménas. Les ateliers situés au sud du lac Mariout se sont éga­lement spécialisés dans ce genre de production, en particulier les amphores sphéroïdes. On a donc affaire à un ensemble d'ateliers des limites

0 50 100 150km

Amphore sphéroïde à pâte caf. caire, originaire d'A bou Mina ou de Maréotide, d'après Egloff.

Origine des principaJIX groupes de céramiques égyptiennes achemi· nées aux Kellia. Chaque partie hachurée représente une zone regroupant des ateliers de fabrica· fion homogène, recourant à un même type d'argile. Le trajet des flèches est schématisé. 1. Cérami· ques à pâte alluviale, Moyenne· Egypte; la. Céramiques à pâte calcaire, Abou Mina et Maréotide; lb. Amphore-obus, région de Gaza (?) ; 4. Céramique à pâte réfractaire, région d'Assouan.

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1. Céramique fine à pâte réfrac­taire, de la région d'Assouan, fouilles Kellia IF A O.

2. Flacon à pâte réfractaire, de la région d'Assouan, fouilles Kellia IFAO.

3. Amphore brune (Late Am­phora 7) à ptîte alluviale, ateliers de Moyenne-Egypte, fouilles Kellia TFAO.

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Les céramiques à pâte réfractaire de la région d'Assouan. Une part importante de la céra­mique fine des Kellia est constituée d'assiettes, de bols et de quelques flacons (Groupe 0 = Egyptian Red Slip A), à pâte fine, rosée, comprenant de nombreuses inclusions de petite taille, à engobe orangé à brun. Cette céramique fine est surtout connue dans les ermitages kel­liotes à partir du vne siècle. Jusqu'à présent, on supposait qu'elle était originaire de Haute­Egypte, plus précisément d'Assouan ; toute­fois les ateliers n'en avaient pas été repérés jusqu'à présent. Les analyses et les prospections menées dans cette région ont confirmé ce point : les argiles utilisées pour la fabrication de la céramique sont des argiles réfractaires, proches des kaoli­nites, caractéristiques de certains niveaux géo­logiques aux abords de la première cataracte et exploitées encore aujourd'hui dans les environs d'Assouan. Les recherches sur le terrain ont

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largement contribué à résoudre la question de la localisation des ateliers du groupe O. L'île d'Eléphantine, rapiderrtènt examinée, dont le site antique est une concession de l'Institut Allemand, possède de très importants dépo­toirs d'ateliers ; ils sont localisés au nord et au sud de la zone archéologique actuellement fouillée ; même à l'intérieur du grand temple de Khnoum, une des maisons liées à l'occupation tardive de la cour - Bas-Empire et époque byzantine -fut convertie en four à poteries. Sur la rive occidentale, des installations de potiers et des dépotoirs d'ateliers sont respecti­vement situés dans le monastère de Saint­Siméon lui-même et à l'extérieur du celui-ci. Enfin, à quelques dizaines de kilomètres au nord d'Assouan, le site de Nag' el-Hagar, occupé par un camp militaire pendant le Bas­Empire, possède également des ateliers fabri­quant de la céramique du groupe O. Bien que la céramique fine d'Assouan constitue le groupe principalement expédié en des sites éloignés comme les Kellia, l' ensemble de la pro­duction de ces ateliers concerne également de la céramique commune -jattes, marmites, gargoulettes -et des amphores. Or, ces caté­gories ont une diffusion surtout limitée à la région. Il faut donc exclure l'hypothèse d'une exportation de céramique fine accompagnant les amphores dans l'ensemble de I'Egypte. Les raisons qui expliquent la distribution de la céramique fine d'Assouan, émaillant la surface de la plupart des sites copte-byzantins d 'Egypte, du sud au nord, certes en des proportions varia­bles, sont méconnues . Représente-t-elle un envoi complémentaire d'un produit majeur de la région assouannaise ? Est-elle expédiée pour ses caractères propres de vaisselle de table, dont la qualité surpasse en effet les autres catégories de céramiques fines 'égyptiennes ? Il est peut­être plus vraisemblable de penser que, vu la place primordiale d'Assouan dans le domaine des échanges entre la Nubie et 1 'Egypte, lacéra­mique locale s ' insère dans le mouvement général du commerce transitant par Assouan.

Les grands courants commerciaux

Ainsi, les Kellia apparaissent très largement tri­butaires des approvisionnements extérieurs dans le domaine de la céramique. En cela, ce site monastique s'intègre, en tant que récep­teu r, parmi les principaux courants commer­ciaux de la Méditerranée et de l'Egypte à l'époque byzantine, courants, que définit ici la diffusion de la céramique. On peut aisément imaginer que la redrstribution "dl!$".C.éramiques

• acheminées jusq~'aux Kellia s'effectue par des places transitaires, économiquement plus importantes, telles qu'Alexandrie et Abou Mina. On mesure également le dynamisme des échanges, concernant tant les Kellia que l'Egypte toute entière. Toutefois, les ermites des Kellia reçoivent et ne paraissent pas versés dans une activité économique engendrant une diffusion . En ce sens, les Pères du Désert des Cellules restent fidèles à leur idéal de vie tradi­tionnel.

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d' Antinoopolis, en forme de carotte, de petite taille - 70 à 80 cm de hauteur -, à fond pointu, semble bien correspondre à une série d 'amphores brunes vinaires expédiées aux Kellia à partir du ye siècle. Sur ces sites de Moyenne-Egypte, la production d'amphores brunes est assortie de celle de céra­mique fine à engobe rouge, également compa­rable à la céramique fine du Groupe K (ou carmin) trouvée aux Kellia, dont on connaît aussi des exemplaires à Alexandrie. De même, les récipients de cuisson fabriqués dans ces ate­liers de Moyenne-Egypte possèdent des paral­lèles parmi les marmites des ermitages kelliotes. On peut donc avancer que l'origine de la plu­part des céramiques à pâte alluviale des Kellia est à situer en Moyenne-Egypte, en attente d'études morphologiques plus précises et d'analyses complémentaires . Le courant commercial établi entre la Moyenne-Egypte et les Kellia, même si l'on n'en connaît pas avec certitude les routes et les étapes, concerne le transport du vin contenu dans ces amphores brunes, dont les exemplaires des Kellia portent fréquemment des traces de résine sur les parois et le fond internes. La céramique fine à engobe rouge et les marmites forment vraisemblable­ment le complément de cargaison des amphores vinaires.

Les amphores égyptiennes tardives, à pâte allu­viale, d'origine inconnue. Les amphores rouges et brunes ovoïdes Egloff 187-190, introduites aux Kellia à partir du vne siècle, présentent certaines caractéristiques - l'abondance des dégraissants végétaux principalement -qui ne les rattachent à aucun autre groupe connu, bien que leur forme les apparente aux amphores d 'Abou Mina et de Maréotide. Les analyses ont permis d'y reconnaître une production égyptienne, dont la composition les rattache aux céramiques à pâte alluviale ; elles

forment néanmoins un groupe distinct et indé­pendant des productions des ateliers de Moyenne-Egypte. Ces résultats, que livrent les analyses chimiques, coïncident avec ceux obtenus lors des récentes prospections de Moyenne-Egypte ; ici, aucun atelier spécifique de ce groupe n'a été repéré : les amphore rouges tardives ne sont jamais associées aux amphores brunes dans les vastes dépotoirs signalés précédemment. L'origine de ces amphores égyptiennes reste jusqu'à présent inconnue, mais quelques indices permettent de situer peut-être leur zone de fabrication dans le Delta, ol!les argiles utili­sées par les potiers sont également de type allu­vial.

Amphore rouge tardive, à pâte alluviale, d'origine incertaine, d'après Egloff.

LA CERAMIQUE DESKELLIA

FICHE D'IDENTIFICATION

L'identification chronologique des céramiques de construction aide à la datation des bâtiments correspondants ; il faut néanmoins plusieurs centaines de tessons pour que le diagnostic soit fiable . La céramique trouvée au sol - ou niveau d'abandon-, assez abondamment représentée dans les cuisines et certaines pièces communau­taires, entre autres, rend compte de son emploi quotidien dans l'économie monastique : vais­selle de table ou céramique fine, marmites et plats de cuisson, jattes, gargoulettes et amphores de types divers.

EUe constitue la grande majorité des trouvailles du site monastique des Kellia. Elle est utilisée dans la construction des ermitages : tessons calant les briques de voûtes ; cols d'amphores/« tuyaux acoustiques» et amphores/<< niches » encastrés horizontalement dans l'épaisseur des murs, etc.

LI existe également quelques récipients à connota­tion vraisemblablement liturgique : petits pichets, calic$. à encens· li)!. brûle-parfums, ampoules à eulogie. La datatioh de l'ensemble de la céramique est comprise entre la fin du IV• siècle et la fin du VIH•/début !Xe siècle après J .-C. Les moines ne produisent pas la céramique qu'ils utilisent. Des grands ateliers égyptiens (Assouan, Moyenn~Egypte, Maréotide) est expédiée la majeure partie de la céramique des Kellia ; quant aux importations, principalement constituées de céramique fine et d 'amphores, elles proviennent d 'Afrique du Nord et de Méditerranée orientale (Chypre, Piérie, Cilicie, Palestine).

Page 9: a ceramique tém9in des ~changes economiques · visiteur se met sous la protection du saint. Les inférieure des murs des pièces, sur les plinthes d'enduits au tuileau, où il n'y

En couverture Saint Antoine dans le désert. Détail d'une peinture de Manuel Nick laus, 1520. Musée des Beaux-Arts, Berne. Photo du Musée.

Les moines des Kellia aux V Je. ve siècles 6 Aux origines du monachisme chrétien, le centre le plus important de Basse­Egypte se développe dans les déserts de Nitrie, de Scété et des Kellia (« les cellules » en grec). La vie monastique dans ces ermitages se situe dans la lignée de saint Antoine, ménageant un équilibre entre solitude et commu­nauté. Par Antoine Gui/laumont.

Les Pères du désert 14 Pour Antoine, le salut se trouve dans la fuite au désert, loin du monde et des querelles des intellectuels chrétiens. A son exemple, les anachorètes se mul­tiplient, mais ils se regroupent en cen­tres. L'exemple de l'Egypte aura sa répercussion à travers l'empire romain . Par l'Abbé Joseph Décréaux.

L'installation dans le désert 16 La bande de désert occupée par les Kellia présente des caractéristiques géologiques et hydrologiques très par-

SoMMAïRE ticulières. Les ermites ont dû appri­voiser au mieux un environnement choisi à l'origine pour son hostilité. Par Philippe Bride!.

l'apparition de nouvelles fonctions rituelles et matérielles dans les ermi­tages. Par Philippe Bride!

L'architecture L'évolution de des ermitages 20 la vie monastique --------~----------------

60 Plus de 500 bâtiments ont déjà fait l'objet de recherches. Ils permettent de tracer une évolution de 1 'architecture des ermitages, qui est avant tout une architecture de terre, avec un système de voûte particulier. Par Sébastien Favre.

L'Egypte chrétiennne

La peinture des ermitages : sa place dans l'art copte

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32 Aux Kellia, la peinture fait partie inté­grante de l'architecture. Grâce à ces fouilles, le répertoire iconographique des peintures coptes se trouve singuliè­rement enrichi. Par Marguerite Rassart-Debergh et J. Debergh.

Les bâtiments de la vie communautaire 44 Quelques bâtiments révèlent une orga­nisation complexe. Ils témoignent d'une ouverture sur le monde et de

La vie anachorétique telle qu'elle avait été conçue par les premiers ermites s'est modifiée au cours des siècles. Ces transformations révèlent une évolution du rôle des ermitages par rapport à l'ensemble de l'agglomération. Par René-Georges Coquin.

Ce que nous apprennent les inscriptions 66 Les fouilles des Kellia ont déjà permis de sauver 2 000 inscriptions, principa­lement en copte. L'épigraphie nous renseigne sur la vie des moines et sur­tout sur leur foi . Par Jan Stanislaw Party ka.

La céramique témoin des échanges économiques 80 La céramique des·~ia témoigne des courants commerciaux de J'Egypte byzântine et des premiers temps de la présence arabe. Par Pascale Ballet el Maurice Picon.

ARCHEOLOGIASil-Capita/8/0000F 25, rue Berbisey • 21000 Dijon Composl en Ffai!Ct par Trailext Imprimé en F1anct par SJPE Commission paritaire 55093

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