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  • Un soleil presque bril lant venait de se leveravec un jour que les Parisiens sal uent avec unreste d’ insouciante gaîté , e t midi n

    ’avait pointencore sonné qu ’à chaque coin de rue uninévitable garde municipal semblait annoncer , par sa présence , qu

    ’ i l passerait une fouleT. r. 1

  • 2 M E L C H IO R .

    de masques sur les boulevar ts . Cependant,la

    tr iste e t r idicule folie de se parer d ’or ipeauxde couvri r sa figure d ’un masque infec t

    ,de

    mouches et de carmin commençait à tombertout - à -fai t en désuétude

    ,et il n ’ était déjà plu s

    permis qu ’à la mauvaise compagni e ou à laprem iere Jeunesse de s e faire ridicule pouramuser les autres . Au ss i cette jeunesse insoucieuse qui tenai t impérieusement au droitde célébrer l e mardi gras en plein vent

    ,s ’y

    l ivrait ave c toute la joie délirante e t cynique,

    quunsp ire assez souvent aux gens raisonnablesqui en sont témoins plus de dégoût

    ,que de

    sympathie .Une calèche a ttelée de quatre chevaux

    b lancs chargée de posti llons de Longjumeau , de ba tehere s , etc e tc et condui teà la Daumont , par d

    élégans j ocke is qui chancelaien t sur leu rs montures

    ,étai t arrêtée par

    la file devan t le café Anglais ; l’équipage était

    l este , soigné bri llant ; les costumes d'une

    0 Aexcess ive fra icheu r , et ceux qui les portaient,

  • MELCH IOR 3

    au milieu de leurs désor dres de tous genres,

    conservaient,l es hommes surtout

    ,une sorte

    de dist inctmn et d’hab i tude s aris tocratiques .M ais ce n ’ étai t poin t seulement la fa shiona

    b i lité et la recherche de cette voiture qui attirait l ’a ttent ion

    ,elle se fixa i t principalement sur

    un j eune homme d ’une tai lle élevée , dont le sformes étaient exactement accusées par unriche costume calabrais . L a fidélité de ce costume étonnait moins encore que la figurebelle et réguhe re de celui qui le portai tl’expression en éta it si attachante que le s r egards ne pouvaien t s

    en détourner . La couleurtranchée de la plume qui o rna it son haut feutregris chargé de rubans , e t retombai t avec unemajestueuse fierté sur son épaule , prêtait à se syeux un merveilleux éclat . Ces yeux d ’un noirde j ais eûs sent é té peut- être efl’rayans de v ivacité

    ,s i de longs cil s touflus et fins comme de la

    soie n ’ en avaient tempéré l ’éclat .C ontre l’habitude de ceux qui se déguisent ,

    l e Calabrais n ’avai t point sal i sa figure de

  • MELC H IOR .

    rouge ; elle étai t fort pâle au contraire , e t sansl e v if incarnat de ses lèvres presque t rop pro .

    noneée s on eût pu trouver qu ’elle manquaitd ’animation . Des pistole ts ri chement montésso rta ient à dem i d ’une ceinture de pourpre ;m ais ce qu ’ i l y avait de plus remarquable danscelui qui étai t revêtu de ce r iche costume , c

    ’est

    qu’

    i l ne semblai t point déguisé pour une fête .Debout

    ,au milieu de la cal èche arrêtée , le

    Calabrais promenait ses regards ennuyés e tr êveurs

    ,de la foulepressée sur les boulevar ts ,

    aux fenêtres garnies de femmes e t ne paraissai t nullement partager la joie tumultueusede ses compagnons de plaisi rs .Tout à C oup sa figure s ’éc la ira d ’un souri re ,

    e t sans attendre qu ’on lu i ouvr it la port iere,

    i l santa légérement par— dessus une de s rouesde devant et entra dans la barr iere qui règn edevan t le café Anglais . Vainement une desbatelières le rappela - t - elle

    ,en l ’ave r ti ssant

    que la calèche se remettait en marche , le C alabrais ne l

    entendit pas,ou feignit de ne pas

  • ma caron. 5

    l ’ entendre,et s ’asseyant à une table où un

    jeune homme étai t déjà placé,i l tourna l e dos

    au boule va r t , comme s’ i l étai t las de l ’ attention

    qui s ’a ttacha it à lui .Qu’e s - tu devenu depuis t rois j0urs , li a

    phael , demanda—t- i l aprés avoi r vidé une e arafe d’eau qui se trouvait devant lu i ? J ’ai envoyé chez toi chaque matin , ne pouvant yaller moi —même

    ,en est toujours venu me dire

    que tu n’y étai s pas .

    Je ne su is en effet de retour à Paris quedepuis deux heures , répondit R apheal , j e dési ra is v ivemen t te voir , mais où te t rouverdurant ces jours de fêtes et de folies .

    Est o ce que tu n ’ as pas été , est—ceq’

    ue tun iras pas une seule fois au bal ? d i t le Calabraisen demandant une seconde carafe d ’eau .R aphael secoua la tête e t fixa un tris te e t

    profond regard sur son ami .Tu me prends en pitié , n

    est-cc pas,e t

    ma vie inutile e t débauchée fait honte à tonami tié ? Tu as rai son , j e ne sa is quel mauvais

  • 6 M ELCH IOR .

    génie m e pousse à accepter de s engagemensqui m ’ennuien t mortellement Cependantqueveux - tu

    ,R aphael

    , j e ne sai s pas res ter seul , j em e sens méconten t de moi , e t j e m e fuis avectant de soin que la plus mauvaise compagniem e paraît préférable à la mienne . Je n’aimeque toi

    ,toi seul m e conviens , mais ton exis

    t enee e st s i différente de cel le queje mèneElle doit l ’ être

    ,répondit R aphael

    ,j e n’ai

    d’

    autre s îr e ssour ce s que celles que m e procuremon travail . H eureusement j ’aime peu l emonde e t

    ,sans te blâmer

    ,j e t ’avoue que je ne

    comprends pas, M elchior , le charme que tu

    peux trouver dans la vie que tu m êmes .Du charme ! interrompit assez déda i

    gneusem ent M elchior , je ne pensai s pas quetu m e crusses assez se t pour en chercher là .En parlant ainsi

    ,11 j eta négligemment le

    chapeau qui cou vrait sa tête,e t son front parut

    aux yeux de R aphael chargé de nuages,d ’en

    nuis e t de larges rides .— Tu ne

    _parais pas content

    ,reprit son

  • MELCH IOR . 7

    ami, e t l

    ’expression de ta physionomie n ’estguère d’ac cord avec ton habit de fête .

    Le diable emporte l ’habit de carnavale t les femmes .Raphael laissa échapper un sourire .Ton sourire de raillerie m e déplairai t

    singul ièrement sur la bouche d ’ un autre,con

    tinua M elchior . Tu sais que je ne sui s pas trèspatient .

    - Je sai s que tu te lai sses facilement dominer par ta violence , mais j e sai s aussi qu ’enyréfléchissant , tu sais di s tinguer l

    ’expressi on del ’amitié d’avec celle de la moquerie . Je sourisde ton découragement que j ’ai vu tant de foi scéder à une nouvelle distraction . Tu m audis lecarnaval

    ,e t personne , j

    en suis sûr,n ’y a fait

    tant de folies que toi . Tu maudis ton habit,

    et que de soins et d’étude n ’a s — tu pas appo rtés

    ,

    j ’en su is cer tain , pour qu’ i l soit auss i fidèle

    ment magnifique . Quant à tes maîtresses, j e

    ne sais pas si tu les aimes réellement , mais tusais les poursu ivre avec ardeur si tu les aban

  • 8 MELC HIOR .

    donnes avec nonchalancc . Jaloux comme unpacha

    ,généreux comme un fou , tuot

    e s faitl’ idole de ces créatures qui attirent les regardse t attristent l ’âme

    En véri té ! s e cr ia M elchior , j e ne sais

    pa s pourquo i elles m’

    a ime ra ien t ; mais qu 1mporte ! à cel les à qui j e m

    ’adresse il ne faut quedes fêtes, que des plais i rs , que des parures ,e t mon cœur n ’entre pour rien dans ce que jel eur accorde .

    Je me plai s cependant à te croire sensible

    ,dit Raphael , en fixan t ses yeux limpides

    et deux sur ceux de son ami .Je puis le penser mieux qu ’ un autre

    ,moi

    que tu as défendu , avec qui tu as voulu tou tpartager en me trouvant pauvre e t malade .

    Je t ’aime toi , R aphael , j e t’aime

    ,e tmal

    heur à qui t ’offenscra i t ! Quant à l ’amitié subite que je t ’ai montrée , elle a tenu à moncaractère qui ne peut supporter l ’ombre del ’ injustice . La prem iere foi s que je te vi s , j

    é

    tais avee deux ou trois fous comme moi au

  • ma ca ron. 9

    balcon de l ’O péra . Après avoi r regardé toutesces femmes parées , qui viennent là s e faireadmirer à jour fixe , mes yeux retombèrent eusuite sur le parterre . Je remarquai ta têteblonde e t j eune

    ,fixée sur la scène

    ,avec un

    intérêt que j e ne porte plus au spectacle ,moi déjà s i u sé pour les plaisi rs de ce genre .Dans l ’ entr ’ac te tu sortis , quand tu voulusrentrer on avai t rejeté ton gant que j e t

    ’ avaisvu déposer avec soin ; on le disputa ta place

    que tu défendis avec une nie déra t ion qui s’ al

    l iai t à la fermeté . M ais l e s lâches se mirent dixcontre toi

    , j e senti s l’ indignation rougir mon

    front,e t sans balancer je fûs à tes côt és .Exce llent ami !

    — N o me loue pas R aphael , ce que je fa isais pour toi

    ,j e l ’aurais fai t pour tout autre

    homme qu ’on aurait essayé de vexer en maprésence .

    — C’est possible ; cependant quand j e fusmalade toi si avide de plaisirs , t u ne manquas

    pas un j our de venir me voir . Tum’

    entouras

  • 10 MELCH IOR

    de soins,tu n epa rgna s rien pour me sauver .

    Je défendai s mon bien à la mort , interrompit M elchior

    ,tout insensé que j e suis , j e

    '

    savais bi en que tu m’

    a ima i s , et ce n’ est point

    auprès de ceux qui courent l e s fêtes avec moi ,

    que j’

    eus cherché un ami . Tiens , s i tu le veux ,j e vais t ’en donner la preuve ils sont éloignés ,

    j e _ vais aller qu i tter ce r idi cule dégui sement ,nous passerons le reste du jour ensemble .

    Bien des fers j e t’ai vu former un s em

    blabl e proj et , observa R aphael en secouant latête

    ,et jamais

    Il fut interrompu pa r le nom de M elchiorprononcé ou plutôt crié par plusieurs voiximpatientes e t joyeu ses . La calèche était revenue sur SC S paS .

    J e vais leur déclarer qu rls m e lassen t

    que j e veux être libre s’

    éc r ia M elchior ensortan t sans reprendre son chapeau .

    M ais cette résolution ne t int pas plus que ‘

    d ’ autres de ce genre qu ’ i l avait tant de fors r

  • BIE L C H IO R 11

    formées . R aphael ne s ’en étonna point , e t sansattendre que M elchior lu i demandât son chapeau i l l e lui tendit .

    Je te jure,dit M elchior en le prenant , que

    j ’aimerais cent fois mieux rester avec toi , maisce fat de Dor sa in avai t déjà pris m a placeauprès d ’Al ine et se vantai t j ’en sui sR aphael le salua de la main et s e loigna sansondre .

  • L e temps qui était re stémagnifique toute lamatinée

    ,se corre vers le soir de nuages noirs

    et épais qui se fondirent tout à coup dans de storrens de pl uie . Elle tombait avec un bruitmonotone et continuel qui s ’un issa i t à celui

    que M elchior produi sai t sur le parquet de sachambre qu’ i l arpentai t avec une sombre et

  • 14 MELCH IOR

    viol ente agitation . Le costume si frais qu 11avai t revêtu le matin

    ,était j eté sur un meuble ,

    ains i que le feutre gr is dont les rubans etla plume mouillés attestai ent la négligence oula précipitation avec laquelle on les a vaitexposés à la nluie .Ce désordre était tr istement éclairé par une

    seule bougre dont la lueur s e réfléta it sur lafigure al térée de M elchior .

    — M a mère ma mère ! répétait—i l avec au

    go i sse ; vous r e trcuv era i — j e ? S i cet insolent deDor sain allait m e blesser . C e n e serait rienqu ’ i l me tuât ; mais m

    ’empêcher d ’aller recevoir la bénédiction de ma mère

    ,de lu i de

    mander son pardon,vivre e t la laisser mouri r

    sans recevoir son dernier baiser .Abattu par sa torture morale e t se s fatigues

    phys iques , M elch ior tomba enfin sur un fauteu il i l y resta long - temps dans une apathique immobilité

    ,cen t fois plus pénible que

    l ’agi tation ; dans un te l accablement , la douleur qui semble extérieuremen t s ’ être calmée

    ,

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  • 16 MELCH IO R

    t inuel lcmcnt pleuré , e t pui s à côté de’

    celleimage chérie appararssart celle d

    ’un hommed ’une figure impassible e t sévère dont la voixhaute e t métall ique se mêlai t au bruit de lapluie . Le réel alors se confondait avec le fantastique , e t M e lch ior ne savait plus distinguerl’

    un de l ’autre .Il étai t en core affaissé sous cette fatigante

    v i sion , quand la porte de sa chambre s’

    ouvr it

    vivement e t lu i fi t qui tter son fauteuil enpoussant un sanglot .

    M onDi e u ! que t’

    e s t—i l donc arrivé ? s ’écria en entrant Raphael dont le s habitsimprégnés d’ eau attestaient à la fois l ’ inquiétude e t l ’empressem ent .

    C e que j’ai , j e souffre ; mais dis - moi

    d ’abord M . Galeozz i est - i l déjà arr ivé .TonCet homme n ’es t pas mon père , tu le

    sai s bienL

    a ttends - t u ?—Je te dis qu’il va venir. Et encore une fois ,

  • ma caron 17

    nous allons recommencer nos violentes diseussions .

    M elchior,revi ens à toi , apprends

    M a mère se meurt ! s ’écria M elchioren couvrant ses yeux de s es ma ins Cri spées ; eti l retomba anéanti sur son fauteui l .R aphael prit la tête de son ami sur sapoitr ine

    et la garda long— temps , avec cette touchantesollici tude que l

    ’amitié semble emprunter àla tendresse maternelle . M elchior pleura alorsamèrement . Cette secretion de la douleur lesoulagea ; mais bientôt revenu à la hauteurviolente de son caractère i l eu t comme unesorte de honte de s ’être lai ssé dominer par lafaiblesse ; i l quitta la poitrine de son ami , e ssaya de reprendre de la fermeté et secouant sachevelure en désordre i l parcourut sa chambre à grands pas . R aphael garda le silencesans cesser de s ’occuper de lu i , i l ranimale feu presque éteint e t connai ssan t 1 impress ionnab i li té de son am i aux choses extérieures ,

    T. I. 2

  • 18 ma ca ron.

    i l fit disparaî tre adroitement le déguisementqu ’avai t porté M elchior éclaira davantagel ’appartement

    ,et le prenan t doucement par le

    bras,i l le conduisi t vers un fauteuil et se plaça

    près de lui .Excellent ami ! murmura M elchior je te

    r etrouve toujours au moment du chagrin , j’

    ai

    beau te négli ge r tu ne m ’abandonne s j amais

    Puisque tu m e regardes comme ton vér itable ami

    ,interrompit R apheal confie moi

    donc ce que tu vas fai re .Partir demain ; t iens , l i s cette lettre de

    Flavie .Flavie ta cousine

    , j e croisOui j e t

    en ai peu parlé ma v ie,depui s

    que j e te connais a été si follement occupéeinsensé que j e sui sR aphael lut la lettre tout hau t pour tâche r

    de changer les réflexions de M elchior i l préféra it le ramener à la douleur à le voir abattu

    par le remords .

  • ma caron. 19

    La lettre de Flavie étai t courte elle enga

    geai t M elchior à partir à l’ instant même

    elle ne lu i cachai t pas que l’état de sa mère

    semblait dangereux . E lle ajoutait que M . Galeozz i étai t attendu de jour en j our mais

    , que

    comme de coutume,on ignorai t le moment

    précis de son arrivée .Cette lettre écrite avec une extrême sensi

    bil ité ne contena i t c ependant aucune expression exagérée de douleur c ’était précisémentce qui lui donnai t une couleur de vérité touchante qui pla t à Raphael .

    - Ta cousine ne t ’ête poin t tout espoirdit- i l d ’un ton consolant ; i l n

    ’est pas question que ton beau— père vienne à Paris pourquoi te montres —tu donc tellement effrayé

    Tu as raison de parle r*

    a insi , parce quetu ne sais pas que ma pauvre mère souffre depuis bien long— temps . Quant à la crainte devoir i ci M . Galeozzr j e conviens qu

    ’elle ne

    tient qu ’à un état d ’exc itation nerveuse a rr

    quel j e suis en proie depuis quelques mors .

  • 20 MELCH IOR .

    J ’ai re ç u cette lettre en rentran t i ci pour prendre de l ’argent le dernier qui m e reste jugequel effet elle a dû produire sur moi ; je nem

    occupa i s que de plai si rs , tandis que mam ère souffrart , qu

    ’elle meurt peut Ah !R aphael que tu dois m e méprise r .

    Je te plains mon pauvre ami car depui s un an que j e te connais je n e t

    ’ai jamaisvu véri tablemen t heureux et tu condamnest ‘r0p sincèrement te s erreurs pour que j en

    e s'

    père pas qu’ elles seront les de rm e re s .

    Tu parsJe serais deja en route , s i j e ne me battais

    au point du j ourUn duel ! s ceria tristement R aphael .

    — S i j e succombe , tu l’

    écr i ra s à Flavie,tu

    lu i diras qu’ elle cache ma mort à ma mère ;s i el le se rétabli t , elle saura assez tô t la vérité .Quant à M . Galeozz i i l ne regrettera qu ’unechose c ’est que sa vic time lui soit échappée .

    Tu parai s bien i rrité contre lui .C e t homme m ’a perdu en voulant m e

  • MELC H IO R. 21

    sauver peut- être la violence de son caractère

    a trop choqué le mien ; i l a vonlu me domine r par la force e t l ’autori té c ’es t un tyranqui n ecoute que sa volonté sous laquel le i lprétend que tout plie e t se courbe . F ie r de sahaute intelligence en affaires ce ne son t pointdes hommes qu’ i l veu t autour de lui ce sontdes machines à faire mouvoir à son gré .

    Cependant tu m ’as di t plus ieurs fois , observa R aphael , que la conduite de M . Galeozzienvers ta mère e t même envers toi

    ,avait sou

    vent été généreuse e t noble . C e souven ir n edevrait - i l pas te calmer ?

    R ien ne m e calme,R aphael , mon cœur

    est t r0p i rri té ; à vingt— cinq ans la vie m’est à

    charge , et si j’avais reçu la bénédiction de m a

    mère, j e voudrais que Dor sa in me tuât de

    main .

    A quelle heure te bats — tu ?

    A dix heures . L e fa t m ’a dit qu il ne

    pouvai t se lever plus matin.

  • 22 ara r.cnron

    — E t sans doute ce duel e s t venu à l ’occasion d ’une femm e .

    Une femme en est le prétexte , mais depuis long - temps B orsaia me déplaît , i l es t fierde ses richesses

    ,vain de sa position

    ,et une

    fois devant moi il a parlé avec mépris de ceuxqui gagnent de l ’argent dans le commerce . Jehais M . Galeozz i ,

    ‘mais j e soupçonnai queDorsa in voulait m ’offen scr , et dès ce moment

    j’

    ai cherché l ’occasion de punir ce t insolent .

    Que de contrastes dans ton carac tère ,M elchior ! comme i l est formé d ’élém ens quine peuvent s ’allier . Je crain s que tu ne soissouvent malheureux par tes passions ; essaiedonc de le s vaincre .

    Il t’est facile de parler ainsi,R aphael

    ,

    l es tiennes ne te dominent point .Tu te t rompes peu t— être beaucoup

    ,mon

    ami , mais j ’a i déjà souffer t , j ’ai vu souffri r .Élevé au milieu de privations

    ,mais soutenu

    par une rel igion éclai rée,j ’ai appris à me

    dominer . Cependant,crois moi

    ,une l iqueu r

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  • 24 rrar.cnron.

    de me connaitre , e t pr it assez d ’estim e dansmon carac tère

    ,pour se décider à me confier

    l ’ éducation de son fils qu ’ i l rappela à la m a ison paternelle l ’éducation d ’E m i le étan tfinie

    ,j e l ’ai quitté , e t j e rentre avec lui auj our

    d ’ha i plutôt comme ami que comme ins ti tuteu r . M . de Va labe r t m e traite d ’une man iere s iavantageuse e t s i honorable , qu il y aurai tfolie à moi de refuser . Avant un mois , je parsavec Émi le pour un long voyage .

    Pauvre Raphael ! soum ettre constammentsa volonté à celle d ’un autre . Vivre toujoursdans la dépendance .

    — Tous le s hommes sont dépendans , M e lchie r . C a sse donc de me plaindre , et revenonsà toi . Dis —m o i quelques mots de tes affai resi c i

    ,e t tu pourras parti r tranquill e .Tu oublies que demain la pointe d ’une

    épée ou uneTais—t oi , tais— toi . Je vais tc

    '

    qu itte r quel

    ques heures , es saie de dormi r .

    Ah! neme laisse pas seul , ta présence

  • ma ca ron 25

    me calme , songe que nou s allons nous séparer demain pour long- temps , peu t — être pourjamais .

    E h ! bien , c ’e st parce que nous allonsnous quit‘ter

    ,non pour jamais , mais pour

    long - temps,que j e te demande une entière

    confiance .Tu vas au - devant de mes désirs , B a

    phael . j e veux que tu m e connai sses tout ent ie r

    ,tu m ’ en estimeras sans doute moins , mais

    j e sui s sûr que tu ne pou rras me retirer entièremen t ton amitié ; et peut—être ta ra i son ,

    °

    tes

    consei ls m’

    apprendront—i ls à m e soumet tre ?

    Laisse - moi d’abord te parler de mon enfance ,ce souvenir me fera du bien . Ah ! pourquoi nesuis — j e pas mort alors ! M a tombe serait réchauffée par le beau solei l de ma 'patrie .’ Jereposerais auprès de mon père

    ,ma mère se

    serait consolée,en se disant qu ’ elle avait un

    ange au ciel . Aujourd ’hu i si j eDieu accueille l ’âme de l ’ innocent

    ÇOŒme son bien,’

    dit: Raphael gravement ;

  • 26 ma ca ron.

    celle du coupabl e qui se repent comme saconquêt e . M ou ri r enfant c ’ est seulementavoir repou ssé le breuvage pour n ’en pas connaître l ’amertume .

    . M elchior garda long - temps le silence,les

    yeux fixés su r la flamme du foyer , qui projetai t m rlle formes fantastiques ; R aphael selaissa dominer par la même rêverie la plui ee t le vent se faisaien t entendre , le bruittumultueux de la rue s’ étai t apaisé , cependant de m om en s e n mom ens s ’éleva ient desvoix rauques e t tumultueuses

    , qui se conv ia ient à la joie

    ,mais elles étaient bientôt

    étouffées par les élémens déchaînés, quisemblaient rire de leurs efforts pour les dominer .Tou t à coup plusieur s éclats de rire se

    firen t entendre dans l ’escal ier et t rois personnes entrèrent dans l ’appartement .

    Je vi ens te chercher , cria une belle

    femme portant le costume de batel ière ,est- ce que tu as oublié que j e t

    ’attends . L e

  • ma caron. 27

    comte Dorsa in voulai t savoi r où tu demenrais . Je l ’ai amené .

    M elchior salua froidement le comte quilu i rendi t son salu t e t s ’appuya su r le marbre de la cheminée .

    Quoi tu as quitté ton costumepri t Al ine habille - toi v ite on nous attendpour souper , et tu sais bien que j e ne peux yaller sans toi .

    M adame dit R aphael en s ’approchan td

    Al ine , M elchior a reçu d’

    inqure tan tes nouvelles de chez li l i .

    Qu’ impor te ! répondit- elle ce soi r le splaisirs demain les affai res .

    Avez—vous un e mère'

    Phut le monde en a ou en a ‘ cu reprite lle en éclatant de rire es t— ce que cela empêche de souper ?

    Celle de M elchior e st t rès malade.Sc guérira - t — e lle plus v ite parce que son

    fil s restera au coin du feir d ’ai lleurs, j e veux

    qu I l vienne,j e m e moque bien de sam èæ.

  • 28 ma caron.

    Cela se conçoi t , prononça le comte Dorsa in avec ironie i l y a troi s j ours que lavôtre est morte à l ’hôpi ta l .Aline lança un regard de courroux au

    comte e t sorti t avec sa compagne .M onsieu r , di t M elchior au comte , j e

    ne m ’attendais pas à l ’honneur de vous v oi r cesoir . Le dési r que vous avez témoigné de savoi r ma demeure vous au rai t— i l éte inspiré parla crainte que j e ne me t rouvasse point au rendez— vous .

    B ien au contrai re , M onsieur, j e sui s venuavec le désir de le prévenir . Je crois qu ’ i ln

    ’est personne au monde qui se permette dedouter de notre honneur à tous deux

    ,et un

    duel comme celu i que nous projetons , peu tnous faire passer pour des insensés . On diraque nous nous battons pour une femme perdue , et j e vous avoue que j e redoute cen t foisplus un ridicule qu ’un coup d ’épée .

    Vous savez , M onsieur , que ce n’est pas

    la

  • ma caron. 29

    On ne le dira pas moins . M on père e s tt rès souffrant dan s ce moment

    ,j e

    Et la mère de M elchior l ’attend interrompi t R aphael avec douceur . M essieursdonnez - vous la main entre braves gens unetelle affaire ne peut avoir de sui te .Le comte tendi t la sienne à M elchior e l

    di tavec beaucoup de digni téJe ne connais pas M . Galeozz i , j e n

    ’en avaisjamais en tendu parler quand je m e suiserrpr im é avec humeur devant vous à l ega rd deceux qu i t rafiquen t d

    ’argen t, j e n

    a i pu avoi raucune intention de vous blesse r ; j e venai s deperdre dans le moment une somme cons idérable confiée à l ’un d’ eux .

    Je sui s satisfait M onsieu r,interrompi t

    M e lchio r, j e reconnais que ma susceptibilité

    s ’ est alarmée mal à propos . Je vous remerciede votre noble franchise acceptezm e s excusesde m ’ être montré s i prompt à m ’oft’en se r .Le comte salua e t quitta l e s deux amis

    .

    R aphael regarda M elchior avec un mou

  • 30 ma ca ron.

    vemen t de j oie que celu i e i réprima .J’ avais une chance d’être tué

    ,s e c r ia—t - i l

    a vec découragement , et s i ce Dor sa in allai tproclamer que j

    a i bien facilement consenti àne pas me battre .

    Parle- moi de ta mère , de ton enfancede Flavie . Allons M el chior , la moitié de teschagrins n ’est— elle pas mon bien .

    Tu l e veux di t M elchior , i l fautt’

    oberr,mais depui s que j e sui s plus certain

    de la durée de ma v ie j e recule devant lapensée de jeter un coup d’œi l sur ce que j e l

    ’a ifaite .

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  • 32 ma caron.

    s es ble ssures , i l en m ourut. Je n avars queCinq a ns

    ,cependant j e me rappelle parfaite

    ment la fa tale nui t où il expira .M a mè re le soutenait dans se s bras , on m

    ’avait assis ou plutô t couché su r le bo rd de sonl i t

    ,e t sa main affa issée sur mon front

    ,sem

    blait y imprimer une dernière bénédiction .La fenêtre étai t ouverte

    ,e t de s milliers d ’é

    toile s s cinti llaient sur le c iel d ’ un azur foncé ;j e n e comprenais pas le malheur qui allaitm e frapper

    ,cependant j e pleurais , car j e

    voyais pleurer ma mère,e t tou s nos serviteurs

    étaient à genoux dans cette chambre d oréeque j e n ’avais jamais vu quitter à mon père .De s sanglots é touffés troublaien t seuls le

    silence ; quand d’une longue file de pièces

    ,

    p récédant celle où allait mourir m on père , j ev i s s

    a vance r un prêtre,tous les fronts s rn

    cl inèren t,m on père fit signe que l ’on m ’ em

    portât,j e résistai

    ,e t m e glissan t à genoux ,

    je voulus garder sa main dans la mienne . Illa retira doucement e t la j o igu i t à l

    ’autre pou r

  • ma caron. 33

    prier . Tout enfant que j etais , j e compris l epouvoir de la religion car la figure altéréede mon père dev int aussitôt calme et sere ine .M a mère était j eune quand elle dev int

    veuve ; malgré son profond chagr in , sa beautébrillai t encore d’un éclat extraordinaire

    ,et les

    l armes qui flétr i ssen t tant de jolis V i sagessemblaient aj outer aux grâces du s ien .Lorsque la première année de son veuvage

    fut écoulée, (j

    ’a i su ces circon s tances depuis),plusieurs parti s s e présentèrent : elle l e s

    re

    fusa,e t voulut se consacrer entièrement à son

    fils .’ Quelle enfance fut plu s heureuse que lamienne ! comme on eut soin de sati sfaire mesplus légères fantaisies

    ,et de m ’apprendrc que

    j e serais le maitre d’une immense fortune ! Nédans un desplu sbeauxpala is de la s trada N aviss t

    ma,mes yeux s ’ étaient ouver t s sur des lam

    bris dorés,m e s pieds n ’avaient touché que le

    m arbre'

    ou la mosaïque ; s i la mauvaise saisonm

    empêcha it de rester sous le s ombrages d’o

    rangers et de c itronniers,couverts à la fors de

    r . r. 5

  • 34 ma ca ron

    fleurs e t de frui ts , j e jouai s dans une magnifi

    que galerie ornée des po rtrai ts e t des arm esde m es ancêtres .Tout entretenait mon imagination d idées

    de grandeu r e t de puissance .J

    ’étais né fier e t hautain ; j e n’aurais pas eu

    cette disposition que la m anre re dont j e fusélevé me l ’eut donnée . Si je sortai s , ée n

    é

    tai t que dans un magnifique équipage quis’

    arrêta it aux somptueuse s vi lla s de s anciensamis de mon père . Quelles heureus es j ournéesj ’ai passées dans ces délic ieux j a rdin s , dont lesbalcons couverts de fleurs s ’ élèvent en amphithéâtre au ade ssus de la m er Avec quellejoyeuse liberté j e cueillais les plantes raresai lleurs , e t que la nature jette ave c profus ionsous ce beau c iel azuré ! La villa N eg roni étai tune de celles où j ’allais le plus souvent . Son

    propr re ta i re , homme aussi in stru it qu’

    a imable,

    m e donnai t des notion s de botanique e t d’hort icul ture

    ,seule science à laquelle j e consen

    tai s à m ’attacher , parce qu’elle m ’amusait .

  • ma ca ron. 35

    Quelquefois j e suivais m a mère au palaisd

    André Doria , palais à demi détruit , . ma isqui

    ,jusqu ’à la derni ère pierre , cons ervera sa

    magique position et l ’ empreinte de grandeur

    du maître qui éleva se s antique s murai ll e s .En parcourant, aux côtés de ; ma mère, la

    longue terrasse de marbre que baignen t lesflots

    ,elle m e r acontai t . l ’hi stoi re ' de ces puis

    sans Doria,e t quand arri vait l ’heure du soi r

    ,

    cette heure s i ‘ belle dans n05 ’ con trées, j e

    transformais les vieux ifs immobiles de ce s a llées , en graves personnages habillés de velourset d ’herm ine ; j e ne rêvai s que luxe

    e t splende ur ; jamais j e n

    ’ avais pensé que l â r i chessepût m ’échappe r ; m on excellente m ère ne lecrai gnai t pas davantage , e t j

    ’aurais plutôt ima

    giné que les flots cesseraient de battre le rivagea. leur heure accoutufi rée , que de supposerque j e cesserais d ’ê tre le plus riche

    ,le plus

    heu reux enfant de Gênes . R aphae l ,é tai s —j ebien . coupable ? personne ne m

    ’avai t apprisque la for tune e st inconstante et qu’ elle reti re

  • 36 ma c a ron

    s es faveurs aus s i aveuglément qu’ elle les accorde .J

    a tte ignis douze ans dans cette douce i rrcurie , quand un j our , au retour d

    unc j oyeuse

    promenade, je t rouvai ma mère en larmes .

    Une l ettre venai t de lui apprendre sa ruiné ;elle n’eût pas tant pleuré si cette ruine n ’eûten traîné la mienne . J ’a i toujours mal compri scomment notre immense fortune fut ainsiinopinément détruite . Sans dou te , on abusa dece qu ’ elle était femme et de ce que j e n

    ’ étaisqu ’un enfant .Au bout ’de peu de mois d

    ’efforts inutiles,

    nous quittâmes notre beau palais de marbre,

    e t fûmes nous réfugier dans un obscur logement

    ,s i tué dans une de s rues le s plu s étroite s

    de Gênes .La douceur de ma mère lu i fit supporter

    ses revers avec une angélique résignation ;mais moi

    ,R aphael , moi , gâté par une cons

    tante prospérité , j e m e l ivrai à de s emportemens qui désolèren t ma mère . M on éducation

  • ma caron. 37

    était à peine ébauchée , personne n’avai t , jus

    que là,osé s ’0ppo ser à ma volonté ; aussi n

    ’ avais-j e aucune ressource contre ma colère et

    mon ennui . Quels plaisi rs pouvais— j e accepterquand ils éta ient tous dépourvus de luxe ! Dé

    da igneux du nécessaire j’

    exigea i s les moyensde contenter des capri ces qu ’on avait jusquelà aveuglément satisfaits , e t ma bonne , m onexcellente mère s ’ impo sa it le s plu s grandssacrifices pour m e conten ter , sans réfléchir

    que c ette faiblesse augmentai t mes défauts e t

    la gêne de notre intérieur .Elle devint horrible . M a mère , s i accentu

    mée à la grandeur,au faste

    ,ne possédai t plus

    que quelques misérables chambres où le soleilne donnait jamais . Au lieu de lambri s de marbres sculptés e t couverts de tableaux de prixses yeux fatigués de larmes ne rencontrai ent

    que des muraille s nues et sombres .L e seul serviteur qui ne nous eût point

    abandonnés,mourut . M a mère le remplaça

    par une servante grossière,qui devint à la soif

  • 38 ma caron

    l ’objet de m om a ve r s ion et de m on 'dédain ;notre malheur s ’a ’ccrut de la vue du malheurd

    un autre . Une s œur de ma mère s ’était - imprudemment mariée en France

    ,elle était d e l

    vende veuve et sans for tune ; elle vint à Gênescroyant trouver un refuge dans nu

    '

    palai s,ma

    mère lu i offrit la moiti é de sa mi sère .“ E ll emourut bientô t

    ,en laissant sou s notre pauvre

    toi t une petite fille âgée de quatre ab s . Pauv re enfant chétif et doux qui semblaitn ’ être venu au monde que pour souffri r , maisqui ne souffrai t pas comme moi de la misère ,puisqu ’elle n ’avait jamais connu qu ’elle .

    -M a mère était s i bonne qu’elle nepensa pas

    un instant au surcroît de gêne que la présencede sa ni èce nous imposai t . M ais moi , j e me prisà la détester

    ,parce qu ’ i l me semblai t qu ’elle

    m e volait la moitié de la tendresse et des soinsde ma mère . Flavie étai t s i déli cate e t s i maladive qu ’ i l fallait s ’en inquiéter sans cesse . Lebonheur dont j ’avais joui m ’avait fait égorste ,

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  • 40 ma caron

    injuste en vers Flavie , et changea si ce n’es t

    en amit ie,du moins en bienveillance

    ,la ré

    pulsion qu ’ elle m ’ava i t inspire jusque là .Pour rien au monde je ne serais sorti le

    j our dans la ville, j

    eûs se craint de rencontrerquelqu ’un qui m ’eut reconnu . M ais

    ,s itô t que

    la nui t était arri vée,j e m ’élo igna i s de la m ai

    son sans être retenu par le s prières de mam ère , qu i s

    inqu iéta i t de me voir rester unepartie des nuits dehors . Pendant ces heur e s que j e passais loin d

    ’ el le,au lieu de le s

    employer à la consoler, j e montai s sur le s

    hauteurs qu i enveloppcnt Gênes , et là j e pleurais , j e me révoltais en contemplant ma villechérie ; ou bien j e m

    en ivra is du par fum desfleurs que le s jardins répandent sur la villeavec une profusion toute royale .

    D urant ce s heures , j’oubl iais parfois l ’hu

    m i lia t ion où j ’étais tombé , m e s espérances

    de fortune détruites , e t quand j e regardais lapureté du ciel , j

    ’ étais moins envieux du bon

    beur des hommes ; i l s me semblaien t si petit s

  • ma caron. 4

    en les comparant à ‘l ’ imm chsi té qui m’ entourait . e age d e mon père mourant s

    offra i t

    auss i’

    a moi comme si j e’ l ’eus s e perdu la veille ,tant le spectacle de « sa niort était encore présent à mon souven ir.Souvent la fraicheur d e J ’a i r

    ,

    la ' donceur

    de m e s émotions parvenaien t à me procurerquelques heures de sommeil . . t

    Une nu i t , j e m etai s ainsi profondémentendormi

    ,le temps était bas e t les nuages de

    plomb ; i l s s e fondirent e t la pluie tomba longtemps sans me réve i ller

    , j etais trempé e t sai s ide froid quand ouvris le s yeux ; Le point dujour al lait paraitre

    , j e me mis à courir pourregagner la maison . L e rsque j

    ÿ arrivai , j’en

    tendis la voix de : ma mère qui pleurai t .Cruel enfant , 8 e cr ia - t - elle en m

    apc rcé

    vant,quelle nuit tu m ’as fait passer !

    Je l ’ embra ssa i a ve c plu s de tendresseque de

    _

    coutume , ,et j’eus bientô t obtenu nion

    pa rdon . E lle se dis'posa seulement alors à aller

    chercher quelque . r epos ,'

    ma is avan t , elle

  • 42 ma caron

    voulut s ’assurer si Flavie était bien . Elle poussala port e du cabinet où était son petit l it

    ,e t

    j etta un cri d ’ effroi qui me fit accouri r .Flavie était étendue contre la porte e t toute

    bleu e de froid .« M elchior ! M elchior ! répétai t - clle d’une

    voix pleine de sanglots i l ne revient pas i l

    es t donc pe rdu f»Puis quand elle se fut bien assurée que

    j etais là , elle s e j e ta à genoux , avec une joie s iexpansive que j e m e senti s profondémenttouché . Elle avait s ix ans à cet âge le sommeil est un besoin s i impérieux ! Pourtant ellen ’avait pas dormi

    ,parce que j e n

    ’étais pas deretour et qu ’ il faisait de l ’orage .Cette circons tan ce peu importante

    ,te peint

    ,

    Raphael , le caractère de Flavie , et tu conccvra s ce que doit être aujourd

    ’hui un cœurcomme celui - là .Depui s ce moment j e m

    en occupai davantage

    ,e t sans l ’ aimer

    ,j e lui parlai avec

    moins de rudes se ; cependant cette dim inu

  • ma caron. 4

    tiond ’ injust ice envers cette pauvre petite , neme rendai t pasmoins coupable al ’égard de m amère

    ,

    "èt j e’nè faisai s rien pour l’aider a sup

    porter une exis tence qui devenai t tous lesjours plus intolérable .Croi s—

    '

    rf10i Raphael,j ’ai sent i plu s d’nué

    foi s que ma conduite étai t indigne ; j’ avai s

    quinze ans, j

    étars robuste , j’aurais

    dû'

    a l ler

    téndre ine ‘s brasau travail le plus dur , pl_

    1itôt

    que de vivre ainsi dans—

    une honteuse ihac £

    t ion . M ais mon caractè re se révolta i lâ la seulepensée de in’hum i lie r dansune ville où j

    étâié

    né , au milieu de la splendeur e t de l a riche s se , et mon misérable orgueil ni e r

    ‘endaitmême insensible aux deux et j u

    s te s

    reproéhe s’

    de ma mere , qui me représentait av ecbonté ,que si ce n’ étai t pour elle ce devrai t être pourmoi ; que j e devrais songer à mè

    ’ procurerquelques moyens d

    ’ existence .Loin de lu i obéir

    , j e restai s soinbré, inactifde s j ournées enti ères . Je téle répète, Raphael ,j ’étais un méprisableinsensé .

  • 44 ma caron.

    Notre malheur étai t à son comble , nousn ’ avions plus aucune ressource , quand mamère reçut une lettre . Un négociant , de P ortM aurwe , lui mandai t qu ’ i l avait appris , indir ec tement la position où elle s e trouvait ainsi

    que son fils ; qu’ i l ava it le droit de lu i offri r

    des secours puisque.

    jadis mon père lui avai trendu un service tellement essentiel quec ’étai t à ce service qu’ i l devai t la fortune qu ’ i lavait acquise que ne pouvant se rendre àl ’ instant même à Gênes i l lui envoyai t unesomme assez forte pour qu ’ elle pût l ’a ttendred ’une manière moins pénible ; i l promettai td ’ être auprès d ’e ll e aussitô t que ses affaires lelui permettraient .M a mère éprouva une vive joie de c ette

    marque 1ns 1gne que Dieu ne nous abandonnait pas ; et elle attendi t avec une vive impal ienee l ’arrivée de M . Galeozz i , car c

    ’étai t lui .Il faut que j e prenne un instant de repos

    pour te peindre cet homme,afin de bien te le

    faire connaitre . J ’e ssaye ra i de fai re taire des

  • ma ca ron. 45

    préventions in justes peut ê tre ; mais queveux — tu , j e sui s convaincu que M . Galeozz im ’a été plus funeste que n e l

    ’eut été un ennemi . Il n ’ a essayé de mc soumettre que parla crain te ; ma mère avait été tr0p faible pou rmoi i l voulut réparer ce tort par une sévéritéqui acheva de me perdre .

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  • 48 ma ca ron.

    impérieu se e t s I l s e laisse dom incr par la co1ère ses expressions sont presque toujoursbrutales e t commun es ; quand il est calme ,sa figure ne perd même point son expressionde sévéri té ; s

    ’ i l s ’ empor tc , elle devient cffrayante in5pi re de l

    épouvante au faible e tune invincible répuls ion à celui qu i est audessus de la crain te .Quand j e l ’ entend is annoncer

    ,j e sorti s de la

    chambre de ma mère et fûs me réfugier aufond du cabinet où couchait—Flavic . J ’es saya isains i de reculer de quelques mom ens une ent revue qui m rnspi ra i t de la répugnance . Ilm ’ en coûtait de voi r un homme qui connaissait e t allai t sc ruter notre misère qui se présen tait comme un protecteur e t qui nous avai tdéjà rendu un

    servi ce pécuniaire . Auss i j e m el a rs sa 1 appeler plus ieurs fois par ma mère e t

    JB gl tl l donnai même la peine de veni r m e chercher .

    Vous avez là,un for t beau garçon , lui

    d it M . Galeozz i , i l est sans doute déjà avancé

  • ma caron 49

    dans ses é tudes , l’ intelligence de sa physio

    Je ne sais rien monsieur , interrompis— j esèchement , le s malheurs de m a famille, laposition humiliante où il s nous ontC ’est une raison de plus pour travailler

    ,

    repri t— i l plus rudement,la fortune ne ré

    v ien t pas en dormant et en s e lamentant,i l

    est sage de songer à se faire un sor t quand lescirconstances ont détru it celu i qui étai t toutfait ; à la véri té il faut bien se donner un peude peine

    ,travailler avec courage

    ,mais l ’argen t

    qui reste le plus sûrement est celu i qu ’ongagne avec effort . M adame , avez— vous quelque projet pour ce jeune homme ?

    Hélas ! non,monsieur , i l m e tart diffi

    Je cohcois , je conçois . Comme j e vousl ’ai écrit

    ,comme j e vous le répète j e con

    serve une profonde reconnaissance pour votremari

    ,e t j e m

    ’offre à servir de protecteur e td’appui à votre fils .

    'r . 1.

  • 50 ma ca ron.

    Au lieu de remercier M . Galeozz i , j e réculai de quelques pas et gardai le si lence .M a mère , au contrai re , lui exprima vivemente t avec sensibili té sa grati tude .

    Je reviendrai vous voir ce soi r , lui dit - i lj e n ’ai que peu de temps à rester à Gênes .C ansez avec votre fils madame de moncôté , j e vai s réfléchir à un proje t qui lèverai tbien de s difficultés .Le soir

    ,j e le laissai seul avec ma mère

    ,

    et quand j e rentrai j’

    app r i s qu’ elle avai t ac

    cepté d’aller s ’établir à Port -M aurice chez

    M . Ga leozz i qui hab i tai t avec sa sœur ,, beaucoup plu s âgée que lui . M a mère m e reprochade m ’être montré froid e t dédaigneux devantM . Galeozz i .

    I l m e déplaît,répondis -j e avec humeur ;

    j e ne veux pas deveni r marchand je ne veuxpas qu ’ i l se croie des droits sur moi .M a m ère employa vainement sa douce pa

    t ience à me convaincre que j e ne pouvais n i‘

    ne devais rejeter le seul moyen de fortune qu

  • ma ca ron 51

    se présentât à moi elle en appela à ma tendresse e t à ma rai son mais inutilement .H uit jours après

    ,e t b ien malgré moi

    ,nous

    partîmes pour Port —M auri ce ; j e ne qu i ttaipoint Gênes sans aller adresser de tri stes e tlongs adieux à cette vi lle si chère où j e laissai stant de beaux souvenirs d ’enfance .Nous fûmes reçu s chez M . Galeozz i avec

    une hospitalité amicale ; cependant j e neme sentai s pas moins de répugnance à devenir l ’hôte d’un homme qui m ’ inspi ra it del ’éloignement e t Zdont les manières e t le tonme blessaient . Tout m e déplai sait dans cettemaison où rien de confortable ne manquai t

    ,

    mais où je ne trouvais aucune trace de cettem agnificence , de cette grandeur auxquellesseules j

    a ttaehai s l ’ idée de la richesse . M e syeux

    ,qui s ’étaient ouverts dans un palais

    ,

    se détournaient avec dédain d’une habitationseulement arrangée pour l ’utile .Quelle différence aussi d’une petite ville

    comme Port —M aurice , uniquement occupée

  • 52 ma caron.

    de commerce e t d rndus tr ie avec Gênes,—

    s ibe lle

    ,s i poétique

    ,s i dorée .

    M . Galeozz i passai t ses j ournées dansses comptoirs ou dans s és immenses maga :s ins rempl is de tenues d’huile . A chaque ins

    tant on entendait sa voix s ’élever avec viol ence pour gronder ou donner des o rdreé. L escommis qu i rempl iesaient se s bureaux sembla ien t trembler sou s sa volonté mêmesous son regard ; i l ne recevai t que des personnes qui s ’ o ccupa ien t de commerce , e tquand i l donnait quelque trêve à son activitéou aux affaires , c

    ’étai t encore des moyens des’ enrichi r qu’ i l s ’occupait .Au bout de quelques j ours , i l me de

    manda s i j e voulais rempli r la place du dern i er dc ses commis qu ’ i l al lai t renvoye r .

    Je vous propose cette dern i ere placeaj outa— t— i l , parce qué c

    c s t la moins d iffi ci leplus tard nou s verrons .

    Je ne sui s pa s en état de la rempli r,

    dis —j e froidement .

  • ma caron. 53

    Diable ce n ’est pourtant pas diffici le ,00picr des lettres , faire une facture .

    — Jc ne le saurais pas .Vous êtes donc tout à fait ignorant ?

    Oui .Alors que voulez— vous devenir ?Soldat

    ,répondi s- j e avec fermeté .

    M a mère poussa un c r i d ’angoisse .— Voilà unebel le idée , s

    éc r ia M . Galeozz i

    d’une voix de tonnerre savez—vous c e quec ’ est que ’état militaire aujourd’hui ? Pourri rdans une garn ison , se soumettre à la volontédes

    a irtres pour gagner une mauvaise nourr iture .

    M on père étai t mili tai re , c est la seulecarr iere qui

    convrenne à la rroblësse .M . Galeozz i se pri t à rire avec i ronie .

    La noblesse ! repri t - i l qu’

    e sb ce celasans argent ? Et tout marqui s que vous soyezmon pauvre garçon , ce ti tre ne vous servira arien .Il avai t ära ison , mars j e ne me sentais

  • 54 ma ca ron.

    pas moins offensé de me l’entendre dire

    a rnsi par lui .

    — Je concevrai s,poursuivi t M . Galeozz i ,

    que vous eussiez su ivi la carrière des armess i vous étiez Français

    ,e t que vous fussiez

    ‘ néquinze ans plus tôt . M ais soldat du roi de Sardaigne de Chypre et de Jérusalem !

    — Je vous croyais son sujet,monsieur .

    Nullement . Je sui s Françai s , et j e m’en

    vante . M ai s mon père a fait sa fortune ici j esu i s sage en y restant ét en suivant son exempler evenons à vous . Quoique j e vous blâme j e

    n’

    a i aucun droit de vous empêcher de su i

    vre votre volonté .

    — E t que puis —j e deveni r autre chose quesoldat ? puisque j e n

    a i ni fortune , n i éducation .

    — S i vous voulez renoncer à des chimères ,et su ivre m e s conseils e t ma volonté , j e mecharge de vous faire donner l ’une , e t de vouscondui re à l ’autre .

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  • 56 ma caron

    senti r un protecteu r , et pour moi , par l’espoir

    que j’allais acquérir les moyens de m ’ en pas

    ser . M e s progrès furent rapides . Que lqu’

    in

    convéniens que présente une éduc ation comm eneée tard quand elle s ’adresse à un suje tqui a de l ’ intelligence et de la vanité ell eavance d ’autant plus rapidemen t que l ’es

    p ri t comprend fac ilement c e qui n ’est souvent qu

    un cahos pour l ’enfance .Les prem ieres vacances

    ,ma mère me pro

    posa de veni r les passe r à Port-M aurice ; j erefusai , e t j

    agis de même durant les trois années que j e passa i à Tournon . Quoique j

    ’aim asse tendrement ma mère

    ,la répugnance

    que j’

    éprouva i s d’habiter la maiso n de M . Ga

    l eozz i l’

    empo r ta su r le bonheur que j’aurais

    r essenti à la revoir . E lle m e promettai t souvent de venir elle -même mais elle m ’écr iv i tenfin qu ’ il fallai t qu’elle y renonçât ; la sœurde M . Galeozzi venai t de mourir e t ma mèreajoutai t que se trouvan t seule maintenant

    chargée de la conduite d’une maison con

  • rrmr.cnron. 57

    s idérable i l la verrai t s eloigner avec peine .Je f us assez injuste pour faire un crime

    à ma mère d’avoir accepté une position que

    je t rouvais indigne d’ elle

    ,comme si la plus

    grande preuve de noblesse d’âme n ’ était pasd ’accepter

    ,et même d ’aller au- devant de ce

    qui peut alléger le poids de la reconnai ssance .Tu vois R aphael que je ne m e dissimule

    pas à moi —même mes torts . J ’ en eus peut - êtreun bien plus grave plu s inexcusable ; cefut de rester long—temps sans pardonner à monexcellente mère d’avoi r consenti à deven i r lafemme de M . Galeozz i.Quoique le s années e t surtout le s

    '

    chagrinseussent flé t r i la beauté de mamère

    ,i l lui restait

    ce qui conserwe le plus long- temps son empire ,une physionomie remplie de dign ité et de grâce .Elle avai t inspi ré dès le premier moment unevive pass ion à M . Galeozz i , e t quoique mamère m ’écr ivi t qu ’ elle n’accepta it sa mainque pour m ’assure r un protecteur e t une fo rtune , j

    ai toujours pensé qu ’ il ne lui déplai

  • 58 ma caron:

    sai t pas . Les femmes aiment les hommes v iolens qui apportent de la passion dans tout

    ,e t

    j ’ai r em a rqué que'

    le s plus timides ne s ’effraya ie ri t poin t de ces caractères hautains e ttyranniques qu ’elles savent dom iner mêmeplus souvent que le s faibles . Cette dominat ionflatte leur vanité

    ,e t toute parfaite que soi t ma

    mè re,elle y céda .

    Pourquoi en effet aurait- elle consen tiseulement pour mon in térêt puisque j e lu iécrivis que j

    ’étais au moment d ’avoir terminém es études ; e t en état de choisir une car :

    r rere, soi t celle d

    ’avocat,soi t celle de mé

    dec in ? Je lui rappelais que j’ avais supporté

    ,

    avec persévérance l es ennuis e t les pr ivat io rrsd ’un collège où le s élèves étaient maltraitésquoique les étude s y fussen t assez fo rtes ;

    enfin,

    j ’avai s gardé,pou r dernier argument

    ,celui

    que j e croyai s le plu s pui s sant ; j e représentai sà ma mère sa naissance e t la splendeur dunom qu ’ elle abandonnai t .Ces argumen s comme mes prre res furen t

  • ma ca ron. 59

    i nutiles et la marquise de Palmanova devintla femme du marchandGaleozz i . C e fut lui qui

    m e l’

    annonça dans une lettr e remplie j e doisl ’avouer de sentim ens généreux . Je ne répon

    dis pas, j e gardai le même silence a vec ma

    mère quoiqu’

    el le m’

    adressât souvent ïde

    doux reproches .Ta mère avait raison

    ,inte rrompit Ba

    pha€l , et jusqu’à présent mon pauvre ami

    je ne découvre que de l’

    aberra tion dans lesr a isonnem cns dont tu v eux appuyer ta conduite . M adame de Palmanova , s

    ’est montréemère auss i prudente que tendre ne devai telle rien

    ,non plus à l ’avenir de cet te

    douce et aimable petite F lavie dont tu ne meparles plus .

    Flavie grandissai t et s e fortifiai t , m ecriva i t ma mère

    ,elle profitai t aussi avec une

    admirable raison de s maîtres qu ’on lui donnait . L e charme de son caractère l ’avart renduela favorite de M . Galeo zz i

    ,qui n ’épa rgua i t rien

    pour son éducation .

  • 60 ma ca ron.

    Cette dern iere phrase fit renaître mon ancienne répugnance pour cette enfant

    ,l ’euve

    leppant dans mon injustice , j e ne répondispas davantage aux fréquentes petites lettres

    qu’ elle m ’éer ivai t .J ’avai s près de dix- neuf ans i IZéta it temps

    que j e prisse un parti . M . Galeozz i le pens acomme moi

    ,ca r i l m ’éc r iv it for t sèchement

    ,

    en m’

    annonçant qu’ i l allai t cesser de payer

    une pension qu ’ i l jugeai t désormais inu tile e t

    que j’étais libre de venir habiter sa maison .

    Je sorti s de Tournon avec l intention de nepas accepter cette invitation j e possédais seulemen t quelq ues louis reste de l ’a rgent

    que ma mèr e à} .’envoyait exac tement . Je m e

    rendis à Lyon . 5 avais é té rév olté de ne trouver à Port—M aurrc e que des êtres ne pensantqu ’à gagne r de l

    ’argent

    , j e ne le fus pas moinsen parcou rant la seconde ville de F rance

    ,de ne

    rencontrer que des occupat ions industrielles .Je fus au théâtre le parterre Il etai t qu ’une

    seconde bourse où l ’on ne parlai tque de hau sse

  • ma ca ron. 6 1

    ou de baisse de s soies,de réduire le salaire de s

    ouvriers pour augmenter l e bénéfice de s fabricans l

    âpre té du gain se li sai t sur de bellese t j cuncs figures comme sur le s plus flétr ie s

    par l’âge .

    Je fus entendre plaider ; une nuéc d’avocats

    encombraien t le prétoi re quelques — unsavaient du talen t e t beaucoup cependan t resta ient sans occupation. Que de patience et detravail il fallait pour pe rcer dans cette c arrièredéjà obstruéeJe visi tai l 'hôpital

    ,la beauté du monument

    m e plût ; mais là aus s i j e trouvai une foule dejeunes gens sans c l ien tellc quoique remplid

    a rdeur et de taleu s quelques médecinsjouissaien t à Lyon d’un beau sort maisque de temps que de c irconstance s .fâ cheuse5ils ont dû traver se r pour arriver là !M on courage recula devant tant d’ obs tacles ;

    la difficulté de la v ie se présen ta à moi commeune hydre à cent têtes que j e ne

    '

    pourra is ,j a

    mias terrasser e t m ‘en malheureux orgue il , se

  • 62 ma ca ron

    révolta de la nécessité de lutter moi qui étaisné riche

    .C’est un grand malheur de conserver

    un caractère fier join t à une fortune basse ,tou t paraî t au - dessous de soi on s ’ indigne de

    se trouver si petit , quand on se croi t fait pourmarcher s i haut et j e me sentis i rr ité commesi le sort n ’ était hostile qu a moi seul .Durant les trois ans que j

    ’avai s passés àTournon

    ,j ’avai s dépensé toute ” mon ardeur

    pour l e t ravai l , une surveillance continuellem ’avai t pour ains i dire mâté . M ais quand j e

    m e sentis l ibre , l’

    a rdeur de la jeunesse fitbouillonner mon sang

    ,et m ’ inspira ou d

    ex

    t rayagans projets ou l e s idées les plus sinist res . Tantôt j e voulais m e lais se r mourir defaim

    ,projet que j e pouvai s le plus facilemen t

    exécuter dans ma posi tion,tantô t i l m e pas

    sait par la t ête d’aller exiger à main armée,

    sur les grandes routes,une partie du superflu

    des heureux de la terre . Et j e ne suis pas eucore persuadé que ce n e soit pas un droit . J

    a

    vais beaucoup travaillé à Tournon,ma is j

    y

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  • 64 ma caron

    Un soi r j’

    entra is au théâtre ; deux jeunesgens qui en sortaient prononcè ren t hautement mon nom . Ils ne m ’avaien t pointaperçu

    ,j e les sui vi s .

    — C c M el chior , qui e s t— i l d’où vient— i l ?

    disai t l ’un .

    Il s e di t de Gênes e t marqui s .

    Beau marquis qui vi t aux dépens d ’une

    Il est assez beau garcon pour faire cemétier

    ,reprit l ’autre . Ce n e s t pas lui qui e s t

    l e plu s i rnbéc ille ; i l pa sse pou r le frère de labelle

    ,e t l

    entre teneur prend même des précautions afin de ne pas oflen se r l ’honneurde la famille .

    Ils se miren t à rire s r bruyamment qu ’ i lsn

    en tendi ren t pas d ’abord que je leur criai squ ’ i ls étaient des inso lens . Je posai ma mainsur l epaule de l ’un d ’eux .

    - Ah ! vous nous écoutiez , dit - i l en seretournant , eh bien ! que voulez—vous ?

  • ma caron. 65

    Vous di re qu 11faut que vous me rendiez raison .

    Allons donc,aquo1 cela ressemble

    A l ’action d’un brave .A l ’action d’un fou . Qu’est- cê que cela

    me — fai t à moi,qu ’un homme qui n ’ est pas

    mon ami soit trompé et que vous fassiez unv ilain métier .Je serrai son bras de m anre re à le lui casser ?

    Vous avez d ’autant plus tort , continuat - i l en se dégageant , que vous se riez un excellen t portefaix , Tudieu ! quelle pognc .

    M a main sera plus légère pou r vousappl iquer unsoufflet . Et j

    en flétrrs sa joue .- Va chercher tes pis tolets ! ’cria — t - i l à

    soncompagnon , j e t’

    a ttëndra i aux Bro tteaux.»L ’ami de mon adversai re partit sans obse r

    vations e t nous eontinuâm es notre chemin ;arrivé s sur les bords du R hône

    ,nou s nous

    arrêtâmes pour attendre les armes . Le vents ifflai t fortement dans la saulée qu i ' nous

    T. 1. 5

  • 66 ma caron.

    entourait les eaux mug i ssaient avec fureur ,l e froid étai t as sez v if. M a violence s ’ étai t peuà peu calmée ; j e n

    ’avais point perdu l ’ enviede me venger , mais une sorte d

    a ttendr is se

    ment mc gagnait e t le souvenir de ma mèrem

    étre igna i t avec un déchirant remords . Dansce moment , mon adversaire lui — même , arrêtéà quelques pas

    ,gardait le silence en pensant

    sans doute aux objets qui lui éta ient cher s .Depuis six mois ma mère i gnorait mon sort ; s i

    j e succ ombai s , ce ne serai t point seulemen t mamort qu’ elle pleurerait mais auss i le déshonneur que j

    ava is attache à mon nom . Cependant j e ne désirai s poin t d

    ’ être vainqueu r ;celu i avec qui j allais m e battre était aussi

    jeune que mo i , son exi s tenc e était peut ê treutile à sa famille

    ,e t moi j e n

    ’étais que le tour

    ment de la mienne . Il est de s ci rconstancestellement graves

    ,qu ’on n ’a point alors de juge

    plu s inexorable , plus juste que soi -même , e t j en e regrettai pas d’ être peu habile aux armes

    ,

    j e ne pensai point un in s tant que l’

    obscu

  • ma caron. 67

    rité rendrai t le combat encore plus dangereux ; ce qui m

    occupa it , c’étai t le motifmême

    de ce duel .Il n ’eut point lieu cette nu it - là . L’ami de

    mon adversaire accourut l ’ave rti r qu’ i l lui

    é tait impossible de se procu rer des pistolets ,e t que force était d

    ’attendre au jour . Nous

    p rime s he ure e t nous fûmes exacts l’un et

    l’autreDe cette fois . le sort fut jus te R aphael ,

    et je resta i su r la'

    place percé d ’une ’ bal le .M on adversaire me fit t ransporte r chez moi .Je loge ais chez de braves gens

    ,mais peufl_for

    tunés , j e manqua i s de presque tout ce qui étaitnéces sai re à mon état , et j e m

    ’ en inquiétais

    peu . Le dégoû t de l’exis tence

    ,sentiment qui

    m’

    a tte in t si fac ilement , m e tr e igna i t avec tantde force , que j e ne craignais pas la mort , ouplutôt qu ’une atonie complète s ’étai t emparé ede moi . Pour qui , en effet , aurais —j e désiré deV ivre ? était - ce pour ma mère qui avait aecepté une autre affe ction , et qui n

    ’avait trouvé

  • 68 ma caron.

    que des déceptions dans la tendresse que j e

    l ui inspirais ? étai t- cc pour lutter con tre la

    m isère ou m"en garantir par le travail ? si j e

    v ivais , i l faudrai t me soumettre à l’autor ité de

    M . Galeozz i ou désoler ma mère en m ’y soust rayant de nouveau Je m ’étais flétr i par unel iaison honteuse , avais souillé nron cŒur , et

    j e le croyais à jamais désabusé du sen timentde l ’amour , l e seul qui soutienne e t anime lajeunesse. Je ne croyai s pas ofienser Dieuf endési rant la mort

    ,car j e ne considère point le

    s uicide comme un crime , oui , j e regardele détachement de la vie comme une rés i

    gna tion .

    J ’étais en tièrement abandonné au découra‘gement

    ,quand ma mère e ntra dans ma

    chambre et se je ta dans mes bra s . Je reçus sesc aresses avec tiédeur . Elle venait ranimer uneexi s tence don t j ’avais fait le sac rifice .Cependant ses larmes réchauffèren t peu à

    peu mon âme glacée,j e me sentis do ucement

    rena ître sous l ’ influence de ses ba iscers ; j e

  • ma caron. 69

    n ’eus point la force de lui résister , e t nou spa' rtîmes pour Port— M aurice ; pour Port -M aurice 0ù j avais juré de nc j ama is retourner ; mamère n ’avait employ é que des prières pour m ’ ydéterminer

    ,ah ! que j

    eus se bien mieux fai tde n ’y point céde r

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  • 72 ma ca ron.

    j us te envers elle . Enfin , i l y avai t long - tempsque je ne m ’ étais trouvé auss i calme .L ’état de convalescen t dispose à la douceur ;

    l e cœur afl’a ibl i es t ouvert à tous les sentim en spai s ibles

    ,e t j e sui s persuadé qu

    ’à cette epoque

    ,s i M . Galeozz i l ’cût voulu , i l pouvai t me

    di riger dans une meilleure route .M ais au contraire , à son retou r , i l me tra i ta

    avec une i ronique pi tre qui m ’ cxaspéra . Loinde m ’engager à prendre un parti , i l parut meconsidérer commclun être tou t— à- fait incapab le de rien fai re d ’utile ; i l ne m

    adre ssa i t pas

    pa r ticul re rem e rrt de reproches , mars jamais i ln e manquait l ’occasion de lancer son méprissur leghomm e s qui regardent comme au -de ssou s d ’ eux le t ravail . Jusque— là , j e ne l ’avaisj amai s entendu s ’ exprimer sur la noblesseavec mépris . Dès ce moment i l ne perditpoin t une occasion de dénigrer les pretentions de s nobles e t d ’appuyer su r leurs ridicules . Tout ce qu ’ i l disai t était peut- être juste

    ,

    cependant je ne pouvais me soumettre à cette

  • ma caron. 73

    justice,parce que j e sen tai s qu’ i l ne s ’expr i

    mait ains i que pourm ’offensc r .J ’aurais donné tout au monde pour qui tter

    sa maison,e t j e l ’cusse fai t s i ma mère ne m ’ a s

    vait fai t jurer par les cendres de mon père dene point m ’élo igne r . Je résolus au moinsde prouver à M . Ga leozzi que s i la carr ière ducommerce me déplaisai t

    ,ce Il etai t point l ’ in

    tel ligence qui me manquait pour y réussir .Un matin j

    e rrt ra i dans son cabine t e t lu idemandai de l ’occupation . Je m ’ étai s p romisde la patience s rl me recevai t mal ; j

    en eusbesoin car il me répéta bien dix fois avec i ronie que ce que j e solli c it ais é tai t indigne demoi ; enfin i l cons en ti t à m e confie r un postefort peu . impor tant .Un mois ne se passa pas qu

    ’ i l ne reconnûtqu’ i l pouva i t m ’ employe r d

    ’une manre re plusu tile pou r lu i e t pour moi ; je pas sa i ain sipar tou s le s degrés de la hiérarchie comme rc ia le

    , et j e devins ass ez habile pour que ,dans ses bons jour s

    , M . Galeozzi pe rm i t

  • 74 ma caron.

    quelquefois que je le remplaçasse ; j e puismême dire qu ’au bout de peu de temps onpréférai t traiter avec moi qu ’avec lu1.Je n ’ai j amais eu de hauteur avec ceux

    qui m ’offensent sans intention ou sans discernem ent

    ,et mori orgueil ne se révolte

    que devant ceux qui se croient au— dessus demoi . Je me sens indulgent contre l ’ inférior i tésans prétent ion ' e t du momen t que j e nesuppose point arrière - pensée à la gross iereté

    ,j e la supporte comme la sui te inev i

    table d ’un manque d education . Je sui s également persuadé qu ’ i l y a “une sorte decruauté à faire peser une autorité injustesu r celu i qui ne peut s e défendre . M . Galeozz i au contraire traitait du rement les ’inférieurs qu i avaient affaire à lui ; j

    ’ en obtenai s davantage en m

    ’y prenant pol irrient ,e t quand on arrivai t au comptoir , ce n

    ’étaitplu s à lu i qu

    ’on allait d ’abord , mai s àmoi .Sans doute le t ravail auquel j e m etais

  • ma caron. 75

    a s suj éti me dép lai sait , cependant j e suis pe r

    suade que j e l’aurai s continué . s i M . Ga

    leozzi n ’ était tou t à coup devenu jaloux de la

    préférence qu ’on m ’accorda it . Son caractèreétai t tellement impérieux qu’ i l ne vous pardonnai t pas qu‘on essayât de se soustraire àson autorité

    ,quand même son intérêt s ’en

    t rouvait bien . Après m ’avoir tant reproché de

    n’être bon à rien , i l m

    ’en voulu t de ce que j epouvais le remplacer . Les affaires en souffrirent . S i je commençais une Opération product ive

    ,j ’étai s certain qu’ i l la faisait manquer

    ,

    uniquement parce que j e l’avais trouvée

    bonne . Enfin , il en arriva au point de m’

    a c cu

    se r de vouloir m e rendre maître chez lu i .Nous n ’avions jam ais eu j usque— là de s cènes

    directes ensemble ; une fois qu’ elles comm en

    '

    cèrent , elles ne s ’arrê tè rent plus . Accou tuméà faire tout plier sous sa volonté i l en rencontra une aus si apre , aus si violente que lasienne

    ,e t d ’autant plus pui ss ante,que j e se n

    tars que dans cette occasion j’avai s raison

  • 76 ma ca ron

    Quoique assurémen t j e ne pensasse pas àm

    éno rgue illi r de l’approbation de ceux qu i

    m’

    entoura ien t , j e croyais du moins qu’elle me

    donnait le dro it de lu i résister p lus ouvertement .Je ne pourra is reven ir longuement sans

    colère sur cette époque de ma vie . Ce que j epuis te dire R aphaël c ’ es t que nos scènesa vec M , Ga leozz i devin ren t s i vives e t s i fréquen te s

    , que toute la v i lle en fut info rméeon m e plaigni t , i l l

    appr i t , e t sa rage s’

    en accrut . Dans s e s empo r tem cns , i l ne s e connai ssait plus ; et ce qu i l

    exaspéra it davantage ,c ’ est que ma colè re pour ne pas ê tre moinsterrible que la s ienne , ne me faisai t jamaissorti r de s bornes d ’une bonne éducation .Plus il s e mon trai t grossie r

    ,plus j e m e m on

    t rais poli . S i dans son emportement i l brisa itun meuble , j e m e hâtais de cacher le degatqu rl faisai t pour lu i montrer que j e regardais sa conduite comme une chose inconve

    nante . La seule vengeance que j e pa sse ti rer

  • M a ca ron 77

    de cet homme était de lui prouver son infér io r i té d ’ éducation et j e ne la lui épargnais

    pas .

    Formé de contrastes M . Galeozz i vraimentgénéreux dans les occasions importantesétai t d ’une pe titesœ incxpl icable dans la viehabituelle : i l apprenait

    ,sans sourcil le r

    ,l a

    perte d ’une forte somme et rugissai t commeun l ion pour un por t de lett re final employé .Il donnait un secours considérable à un ouvr ie r malheureux e t lésinait obs tinément su run salaire de tous le s j ours .Il m ’avait à cette époque je l ’ai su depui s ,

    assuré une forte part dans son commerce, e t i l

    prétendait ne point m’

    accorde r l’

    appointe

    m ent de l ’emploi que j e rempli ssais dans samaison .

    Que te di rai— je R aphael ? notre v ie é tai tun continuel orage qui éclata it même en présence de ma mère quo iqu

    cl le eût beaucoup°

    d’

    empire sur M . Galeozz i et qu’ i l l ’a imât pas

    s ionnément ; m ais son caractère l’

    empor ta it .

  • 78 ma ca ron.

    Il comm enca i t d ’abord quand nous étionsréunis e ’ es t-à —dire à table

    ,à me lancer

    ,avec

    rronre d’

    am e r s sarcasm es su r ma prétentionà me connaître en affai res . Un regard suppliant de ma mère m e forçait au s ilence ; m aisbien loin que ce silence le calmât , i l augmentai t la colère de M . Galeozz i i l ne gardaitplus aucun ménagement

    ,e t i l m e forçai t à

    lu i faire entendre des paroles piquantes oudédaigneuses ou bien

    , j e me conten tai s desouri re avec mépris . Alors i l ne s ’ a rrêta it plus ,et i l était impossible de reconnaître l ’hommequi pos sédai t réellement en affaires le jugement i r: plus sain e t le plu s rapide .Durant ces scènes ma mère pleurait ;

    Flavie moins efl’rayée cherchait , par m rllepetits soins , à di strai re M . Galeozz i mais leschoses en vinrent enfin à un point

    ,que j e

    fus forcé de m’eloi guer de la maison,aux heures

    de s repa s . A cette époque j ’étais approuvéde tout le monde

    ,quand un hasard ma lheu

    reux me donna un tort véritable .

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  • Les plus petites villes d’Italie,possèden t un

    théâtre e t celui de Port- M aurice est assez rem arquable aussi i l arrive souven t que quelques troupes se rendant dans une des grandesv illes d ’Ital ie s ’y arrêtent pour y donner desreprésentation s .J

    a imai s beaucoup la musique quoique j eT. 1. 6

  • 82 ma caron.

    n’

    eusse reçu de leçons que de M ari etta , j echantais avec assez de goût . Aussi en apprenant l ’a rrivée d ’une t roupe italienne qui nedevai t eependantdemeure r que pe ude temps àPort - M aurice , j

    éprouva i une joie de jeunehomme

    ,dont tout autre que M . Galeozz i n

    eût

    pas même songe am e faire un tort .Il se pressa pourtant de déclarer devant

    moi qu ’ il défendai t aux personnes employéeschez lu i

    ,de mettre l es pieds au théâtre .

    Je n ’eus pas l ’ai r de m e croi re compris danscette défense qu ’ i l adressai t à ses commis

    ,e t

    l e jour même je m e hâtai d ’y aller,et pris

    place dans une des loges le plu s en ev idence .On donnait le B a rbzer

    ,ce chef— d ’œuvre s i

    Spirituel de R ossi ni . J ’oubl ia is en l ’écoutant ,m a v ie d’orages et de contrainte

    ,e t j usqu

    à

    l ’exi stence de M . Galeozz i Rosine paraît,leste

    e t brillante , d’abord j’

    he s1te , j e crois me tromper , mais elle se tourne de mon côté , j e nedoute plus , c

    ’ e st M arietta, M arie tta qui m’a

  • ma ca ron. 83

    trompé,mais qui en trompai t plus pe rfide

    ment un autre pour moi . Oui , c’est M arietta

    ,

    réellement embellie,et embellie encore par

    mon imagination . qu ’une vie de privation etd

    ennu i a exaltée mon cœur ne battit poin td ’amour

    ,mais mes artère s

    ,mes sens palpité

    r ent de cette fougue volcanique que l’on con

    fond si souvent avec lui . M arietta , dont l ’œi lquêteur cherchait dans le public des hommages et de l ’admiration le fixa sur moi et m ereconnut . Je m ’en aperçus au trouble de sesregards

    ,à l ’émotion qui changea sa voix .

    Certes,j e ne prétends pas te persuader que

    M arietta m ’a imât profondément mai s elles’étai t donnée à moi avec tout le dés in téresse ament d’une tête montée

    ,elle étai t fort jeune

    ,

    j avais été le premier qui n’eu t point mis de

    prix à s a personne , une fantai sie nouvellen ’avait point affaibli celle que j e lu i avais ins

    p irée ; enme revoyant , cette fantais ie se ranimaavec une ardeur q : e les yeux de M a r ie tta

    ,sans

    cesse fixés de m on côté,me dévo iler ent . Emne

  • 84 ma caron.

    par ma présence,amb i tieuse de me dominer

    de nouveau,e lle s e montra réel lemen t char

    m an te dans un rôle qui semblai t fai t pou r la1nu t ine r ic de sa fi gu re e t pour

    ” la légèretéde sa voix .Quand la toile se baissa , M arie lt ta m e fi t

    un signe que j e reconnus .Je me rendis à la porte des arti stes , e t peu

    de m i nutes s ’ étaien t écoulées, que son bras

    passé sou s l e mien m ’avait ramené au charmee t à l ’habitude du pas sé ! M arietta m ’appr i tqu ’ elle n ’ava it su mon duel que de la bouchede mon riva l , qu

    ’ elle avai t voulu cour i r à moi ,m ai s que sa mère 5 eta it j etée à s e s pieds ,

    qu’ elle n ’ava it osé la braver en repoussant

    l’homme généreux qui con se ri ta i t à lui pardonner

    ,u i encore moins la rédui re à la mi

    sère , non plu s que sa fah1i lle nombreusedont el le étai t le seul appui .

    « Cependan t,ajou ta M arietta

    ,i l n e fa i

    sait que m e déplaire quand j e le trompais ; j ele pris en horreur du moment qu ’ i l fit le ty

  • ma crrron. 85

    ran e t m’

    empêcha de te voi r . Tu quittasLyon sans m e donner de tes nouvelles , e tcependant j e n e t

    ’a i point oublié e t en

    acceptant un engagement pour l ’ Ital ie ou

    j espère me fortifier dans l e chant ; j’avais le

    secre t espoir de te retrouver .Je n e veux rie n te cacher , R aphael , j e

    ne pensai pa s une minute à reprocher à M ar ie t ta le rô le qu ’ elle m ’avait fait jouer ; en r ét rouvant le plaisir , j oubliai qu t l m

    ’avai tav ili .Chaque so ir j allais au theatre e t j e rentrais

    très avan t dans la nui t . La première fois avais éprouvé quelque difficulté à m e faire ouv rir la por te de lamaison ; depui s , ce fu t F laviequi m ’ introduis i t avec précaution . E lle me di tsimplement que le bruit que j

    ’ava i s été obligéde fai re avai t réveil lé ma mère

    ,e t que pou r

    évite r ce t inconvénient,elle m ’a ttendra i t elle

    même chaque nuit !Je baissa i la tête devan t son angélique i rr

    no eence , devant sa bonté si dé licate e t s i

  • 86 ma ca ron

    adroite,car elle évitait de m e rappeler l ’auto

    r ité qui pesai t su r m oi,et elle s ’ exposa it à la

    colère de M Galeozzi .M arietta m ’annonça bientôt qu

    ’ elle qu ittai t Port— M aurice le lendemain et me fi t promettre de la rej oindre à M i lan , s i j e ne pouvai sla suivre à l ’ instant même .Je te le répète Raphael mon cœur Il etait

    pour rien dans ma l iai son avec cette femmemais elle rompait l ’ennuyeuse uniformité dema vie . E n la perdant j e perdais le s plaisi rs ,dont la violence de mes sens me faisait undangereux besoin ; e t elle ne consen ti t à part irqu ’après que j e lui eus répété vingt foi s le serment de la rejoindre . rCe ne fut point cette de rn1e re nuit Flavie

    qui m ’ouv r it,mais M . Ga leozz i ; sa figure o r

    d inai rem ent colorée,était pâle et ses lèvres

    frémissantes . Je voulu s éviter de lui parlerdans un te l moment

    ,et après l ’avoir remercié

    ,

    j e rire disposais à monter chez moi quand i lm e pria , avec une i ronique politesse de lu i

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  • 88 ma caron.

    part i terminer nos comptes . Prenez la peinede vou s asseoir .

    Je restai debout . Il ou vri t un ti roi r en tiraune l iasse de papiers et repri t

    Je ne vous aurai s j amais rappelé ce quevous me devez

    ,monsieur

    ,s i j e ne savais main

    t enan t de quoi vous êtes capable . Non conten td ’avoir vécu à Lyon aux dépens d ’une femmev ous vous êtes encore plus gr re vcmen tm anquéà vous —même en renouant àvcc elle et en fe rcant une innocente enfant à deveni r la com ;

    pl ie e de vos tort s ; vous avez souffert qu’

    ellepassât

    ,à vous attendre le s nuits que vous

    perdiez dans le désordre e t la débauche .

    Cette réflexion éta it j us te je ne trouva i rienà répondre et s i M . Galeozz i s ’était arrêtépeu t - être y avait-i l e ncore quelque chance derapprochement entre nous . M ai s c ’ est unhomme dont le cœur e st généreux

    ,e t don t

    l ’ espri t ne l ’es t pas ; i l ne sait r ien ménager quand i l se c roi t un avantage z et

  • ma caron 89

    son regard vi ctorieux éteignit à l 1ns tantm ême mon repentir .

    «Vous voilà rédui t au silence,poursuivit

    i l,allons

    ,m onsieu r le bravache

    ,j e vous een

    seille de vous soumettre à toutes me s v olonte sà ce prix j e consens à vous pardonner et avous garder chez moi .

    — E t moi, j e veux en sort i r , nr cerini je ,

    j e ne prétends pas rester plus long- tempssous la domination d ’un tyran brutal .Il vint à moi la main levée j ’avais pris m a

    chirra le rn ent un canif su r le bureau en tendant lam a in comm e pour empêche rhl .Ga leozz i

    de s ’approcher de moi,c e can if s e t r ouva di

    rige vers lui .Il veut m ’a s sas s i rre r ! cria M . Galeozz i .

    A cette pa role terrible qui v ibre dans lahaute pièce où nous étions la porte s ’ouvr it e tFlavie se précipita entre nous le canif touchason bras e t lui fit une blessure assez profondepour que l e sang en jaill i t e t marquât aus sitô tde larg es taches sa robe blanche . Je pous sai un

  • 90 ma caron.

    C r i de désespoir et j etant le malheu reux canifloin de moi je portai son bras à m es lèvres e tpleurai amèrement .La colère de M . Galeozz i s etai t égalemen t

    dissipée à cette Vue,i l m ’aida à faire reveni r à

    e lle la pauvre Flavie à demi évanouie elleouvri t enfin les yeux .

    M on oncle,prononça - t elle de sa voix

    d ’ange, m

    a im é z —vous ?Si j e t ’aime tu le sais bien aussi ne

    pardori ne ra i —j e jamais aVous dites que vous m

    a iméz e t vou stourmentez M elchior ; il faut oublier à l

    ’ in stant un accident dont i l est bien i nnocent .Vous ne le connaissez pas i l a un cœur bone t généreux savez - vous qu ’une nui t que vousétiez en rou te pou r revenir de M afi dont onassurai t que la route n

    ’ étai t pas sûre,M elchior

    est part i seul pour aller au—devant de vous ; i lfaisai t un bien mauvais temps et quand i l rc

    v in t,espérant ce qui étai t arrivé que vous

    aviez pris une autre route i l me fit j urer de ne

  • ma cao rnl 9 l

    rien dire ni à vou s ni à ma tante de ce qu ’ i lavai t fait . M on oncle ! mon oncle ! vous êtesinjuste envers M elch ior .M . Galeozz i m e tendit la main .Qu’ i l ne soit plus question de rien , me

    dit- il à moitié désarmé mais souvenez — vousjeune homme qu’ i l e st des fautes dans les

    quelles i l ne faut pas retomber .Vas embrasser ta mère

    ,me di t tout bas

    la douce Flavie ne lui dis rien de ce qui s’est

    passé elle est deja a ssez inqure te car elle tesait avec mon oncle . Surtout n ’he s1te pas à luipromettre que tu ne quit teras point lamaisonJe montai chez ma mère que je trouvai tout

    en larmes et je jurai su r sa main brûlante defièvré , que j e me soumettra i s . Le sang de Flavie avait été un moment comme un baptêmede paix entre M . Ga leozz i et moi .Nous passâmes quelques mois dans des r e

    latic a s convenables ; mais si la ci catr ice de lablessure de Flavie ne devait jamais s ’efi’ace rle souvenir de l ’émotion qu’ elle avait c ausé à

  • 92 ma caron.

    M . Galeozzr , fut moins durable , c l i l repri t

    peu à pcu l rnto lérab le tyrannie de son caractère ; j c la supportai avec rés i gnatjon j e crusle désarme r en ne lu t tan t pas

    ,mais loin de

    produire l ’ effet que j’

    e spéra is , i l devin t plusexigeant à mesure que je me montrais plusdocüe .

    M a mère s ’ape rçu t que ma pa ti ence a urait nu terme qui serait l ’occasion de quelquescéne funeste ; e t , j

    ’ en sui s sûr,à force de

    p rre re s et de larmes , elle ob tint que j’

    cusse lal iberté de su ivre une carr iere qui me convînt .

    M on départ pour Paris fut résolu M . C u'

    leozz i , en me l’

    annonçan t , ne put s’ empêcher

    de mêler le sa rca smc à la générosité . Il m ereprocha amèrement le mépr i s que j e professais pour la plu s u tile et la p lus honorablecarrière ; i l me di t que j e n

    aurars de succèsdans aucune

    ,tout ce la avec une i ronie

    taquine qui dissimulai t mal son mécontentemen t de voir échapper la vic time qui mainte

  • ma caron. 93

    nait en haleine un état de co lère néce ssaire àson organ isation .Au moment de le quitte r , j e ne me trou

    va i n i le dési r n i la volonté de le heurter ; l epoids de ma chaine ne me pesait plus depuis

    que j e savais qu’ el le allait ê tre brisée ; ma

    douceur faill i t tout gâter M . Galeozz i essayade me re tenir c ri m ’ a s surant , pour la pr cm re refois , que j

    ’avais tou t ce qu’i l fallai t pour

    réuss i r dans le commerce . M aisj e le connai ssais trop bien pour ne pas être convaincu que1105 débats recommenceraient si j e cédais , àmon refus , toute son i rritat ion reparut , s

    ’ ima

    g inant s’ être abaissé en essayant de m e reten ir

    par la douceur ; et quand je le quittai , i l étai tplus mécontent que jamais .M a mère m e supplia de ne point oublier

    tous le s sacr ifices qu ’on faisai t pou r moi .Flavie fondait en larmes .Je quitta i ain s i Port -M aurice

    ,i l y a trois

    ans , pour venir à Paris commencer l ’étude dudroit .

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  • 96 ma caron.

    le moyen: même de les é riger en qualitésnous possédons cependant l ’ ins tinc t des dangers auxquel s i ls pem ent nous en traîner .Quand j e voulais réfléchi r

    ,j e ne me dissi

    m ula is pas mon attra it v iolen t pour les plais i rs le besoin cont inu el que j ’éprouve d ’êtreému par des dis t i actions nouvelles , la fierté demon carac tère , j e le sentais aussi , se raien t decontinuel s obs tacle s à ce que j e trouvasse uneca rriè re e t un sort dignes de moi .Et puis les premières impressions ne s ’efla

    cen t j ama is ; j e ne sava i s m’

    a s suj ét ir à aucuncalcul posi tif

    ,e t j e payais par la gêne oum e

    m e ttai t mon con tinuel desordre,le malheur

    d ’être né au sein de la r iehe sse . L o in de hom erm es dépenses à la pension qii e

    m e fai sait m am ère ou plutôt M . ‘ Galeozzi ; je me trouvaistoujours au— delà . Alors j e tombais dans le découragement , et j e laissais deviner mon embarras à ma mère par de sombres réflexions ,su r la vie à laquelle j ’ éta is condamné . Ellerépondait constamment à mes plaintes avec la

  • ma ca ron. 97

    même tendresse,en m ’exhortant à m ’oeen

    per sérieusement de la carrière que j’avai s

    choisi moi - même . Elle accompagnait souventse s l e ttre s d ’envois d ’argen t .Pendant une année

    ,j e méritai son indul

    gence,car je fuyais avec persévérance les

    occasions de me distraire de mes études,mais

    i l fau tque j e t’

    avoue que j ’avais peu de mériteà cette conduite . Les amis , c

    ’ est - à- di re les cam arade s qui m ’entoura ient , se trouvaient heureux de posséder d e jeunes maîtresses modestés dans leu r toile tte comme dans leurs plais irs j e ne sentais aucun attrai t pour ce genr ede liai sons; i l me fallait à moi des femmesbri llantes e t parées , et si M arietta m

    ’avai tséduit

    ,c ’est qu ’elle se revêtait chaque soir

    de — costumes magnifiques , et que: son lan

    gage s ’ étai t,pour ain si dire

    ,emprein t de cett e

    sorte d ’élégance que donne le théâtre .J ’allais souvent au spectacle

    , j’en revenais

    toujours mécontent e t plu s envieux,le luxe

    des autres excitait mon humeur e t m e rendaitl . 7

  • 98 nancnxoa .

    dédaigneux du bi en- être que j e p ossédais

    rée llement . Que veux—tu , Raphael , je suis fai ta insi , j e ne jouis de rien quand i l faut me refuser quelque chose

    ,e t la n écessité de cal

    culer trouble, tous m e s plais ir s :Une ci rconsta nce dont un autre plu s rai

    sonnahl e, j en eonv rens , eut t iré un sage parti

    m e rendi t réel lement coupable . Je dési rai sl’

    indépendance , j e l’ai tenue entre m e s mains

    e t j e l’

    ai dis sipée comme un fou .M a mère n1 e cr iv it qu ’une p ersonne qui

    a va it été une des principales causes de la pertede notre fortune

    ,vena it d ’en retrouver une

    immense . Elle joignait à sa lettre le s papiersnécessai res pour être parl é de cet homme , e tajoutait que s i j e rentra s dans cette somme

    j e pourrais su ivre avec plus de chance lacarrière d

    ’avocat à laquelle j e m e destinais .C e fut aussi mon intention , tan t que j e ne

    possédai pas ce t argent,mais dès que j ’en pus

    joui r , une sorte de folie s ’ empara de mo i .îJ’

    a

    varsnegl igémes étu le s pour su ivre cette affaire ,

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  • 100 mnr.cmon.

    En apprenan t que j’étais rentré dans la

    somme due à mon père , m a mère m e mandaque M . Gal eozz i s ’ offra it de s ’ en charger . Jelu i répondis fi èrem ent que j

    ’en avai s t rouvél ’ emploi

    ,de man iere à m e donn er en même

    temps de l ’occupation e t des bénéfices cousidérab le s . M a mère sans dou te appri t mes désordre s elle