A. K. Coomaraswamy - Hindouisme et bouddhisme

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    Ananda K. Coomaraswamy

    Hindouisme et bouddhisme

    Traduit de langlais par Ren Allar et Pierre Ponsoye

    Si, malgr le soin apport la copie du texte de ce livre, il subsistequelques coquilles malignes, tu voudras bien men excuser, lecteur depassage Puisses-tu en tout cas prouver lirrpressible envie daller plus loin- si ce nest dj fait - sur la voie de la connaissance de certaine penseimmmoriale et traditionnelle ... Cest l tout ce que je souhaite !

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    Longue vie aux gueux.R. F. B.

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    HINDOUISME & BOUDDHISME

    Avertissement de l'auteur de ce livre.................................................... 3Abrviations des rfrences.................................................................. 4

    I

    LHindouisme....................................................................................................... 5Introduction........................................................................................... 8Le Mythe............................................................................................. 11Thologie et Autologie........................................................................ 16La Voie des uvres............................................................................ 27L'Ordre social...................................................................................... 35

    II

    Le Bouddhisme................................................................................................. 42Introduction......................................................................................... 44Le Mythe............................................................................................. 50

    La Doctrine.......................................................................................... 57Courte biographie de A. K. Coomaraswamy....................................... 77Ouvrages de A. K. Coomaraswamy

    traduits en franais........................................................................................ 79

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    Avertissement de l'auteur de ce livre.

    Les notes et rfrences sont loin d'tre compltes. Leur but est d'aider lelecteur dvelopper le contenu intelligible de nombreux termes qui nepouvaient tre pleinement expliqus mesure qu'ils se prsentaient, et demettre l'tudiant mme de recourir telle ou telle source. Dans le texte, lestermes palis sont donns sous leur forme sanscrite, mais dans les notes le pali

    est cit tel quel. Nous avons pris soin de collationner partout les sourcesbouddhiques et brahmaniques : peut-tre et-il t prfrable de traiter le sujetdans son unit, sans faire la distinction entre le Bouddhisme et leBrahmanisme. En vrit, le temps vient o une Somme de la PhilosophiaPerennis devra tre crite, fonde impartialement sur toutes les sourcesorthodoxes, quelles qu'elles soient.

    On a cit un bon nombre de parallles platoniciens et chrtiensimportants, d'abord afin de mieux faire ressortir, grce des contextes plusfamiliers, l'enseignement de certaines doctrines hindoues, et ensuite pourmontrer que la Philosophia Perennis (Santana Dharma, Akaliko Dhammo), estpartout et toujours identique elle-mme. Ces citations ne constituent pas une

    contribution l'histoire littraire. Elles ne prtendent pas non plus suggrer qu'ily ait eu des emprunts de doctrines ou de symboles dans un sens ou dansl'autre, ni qu'il y ait eu des sources indpendantes d'ides analogues, mais qu'ily a un hritage commun issu d'une poque bien antrieure nos textes, quesaint Augustin appelle la sagesse qui n'a pas t faite, mais qui estmaintenant telle qu'elle fut toujours et telle qu'elle sera jamais (Conf. IX.10). Comme le dit justement Lord Chalmers au sujet des parallles auxquelsdonnent lieu le Christianisme et le Bouddhisme. il n'est pas ici questiond'emprunts d'une croyance une autre ; la parent est plus profonde quecela (Buddha's Teachings, HOS. 37, 1932, p. XX).

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    Abrviations des rfrences.

    RV., Rig Vda Samhit. - TS., Taittirya Samhit (Yajur Vda Noir). AV.,Atharva Vda Samhit. - TB., PB., SB., AB., KB., JB., JUB., les Brhmanas,soit respectivement Taittirya, Panchavimsha, Shatapatha, Aitarya,Kaushtaki, Jaiminya, Jaiminya Upanishad. - AA., TA., SA., lesAranyakas, soitrespectivement Aitarya, Taittirya et Shankhyana. - BU., CU., TU., Ait., KU.,

    MU., Prash., Mund., Ish., les Upanishads, respectivement Brihadranyaka,Chndogya, Taittirya, Aitarya, Katha, Maitri, Prashna, Mundaka et Ishvsya.- BD., Brihad Dvat. - BG., Bhagavad Gt. - Vin., Vinaya Pitaka. - A., M., S.,les Nikyas, respectivement Angutara, Majjhima et Samyutta. - Sn., SuttaNipta. - DA., Sumangala Vilsin. - DH., Dhammapada. - DHA., DhammapadaAtthakath. - Itiv., Itivuttaka. - Vis., Visuddhi Magga. - Mil., Milinda Panho.- BC., Buddhacharita. HJAS., Harvard Journal of Asiatic Studies. - JAOS.,Journal of the American Oriental Society. - NIA., New Indian Antiquary.- IHQ.,Indian Historical Quarterly. - SBB., Sacred Books of the Buddhists. - HOS.,Harvard Oriental Series. - SBE., Sacred Books of the East.

    Uttishthata jgrata prpya varn nibodhata (KU. III. 14). Y sutta tpabbujjatha (Itiv., p. 41).

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    LHindouisme

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    Diu heilige schrift ruofet alzemle dar f, daz der mensche sn selbesledic werden sol. Wan als vil d dnes selbes ledic bist, als vil d dnes selbesgewaltic, und as vl d dnes selbes gewaltic bist, als vil d dnes selbes eigen,

    und als vil als d dn eigen bist, als vil ist got dn eigen und allez, daz got iegeschuof.Meister Eckhart (d. Pfeiffer, p. 598)

    La Sainte criture insiste partout sur le fait que l'homme doit se dtacherde lui-mme. C'est seulement dans la mesure o tu te dtaches de toi-mmeque tu es matre de toi. C'est dans la mesure o tu es matre de toi que tu teralises toi-mme. Et c'est dans la mesure o tu te ralises que tu ralises Dieuet tout ce qu'il cre jamais.

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    Introduction

    Le Brahmanisme ou Hindouisme est la plus ancienne des religions ouplutt la plus ancienne des disciplines mtaphysiques dont nous avons uneconnaissance complte et prcise par des sources crites et, pour les deuxderniers millnaires, par des documents iconographiques. Elle est aussi - etpeut-tre la seule - une discipline qui survit dans une tradition intacte, vcue et

    comprise aujourd'hui par des millions d'hommes, dont certains sont despaysans, d'autres des hommes instruits, parfaitement capables d'exposer leurfoi, aussi bien dans une langue europenne que dans leur propre langue.Nanmoins, bien que les crits anciens et rcents ainsi que les pratiquesrituelles de l'Hindouisme aient t tudis par des rudits europens depuisplus d'un sicle, il serait peine exagr de dire que l'on pourrait parfaitementdonner un expos fidle de l'Hindouisme sous la forme d'un dmenticatgorique la plupart des noncs qui en ont t faits, tant par les savantseuropens que par les Hindous forms aux modernes faons de pensersceptiques et volutionnistes.

    Par exemple, on remarquera d'abord que la doctrine vdique n'est ni

    panthiste, ni polythiste. Elle ne constitue pas non plus un culte despuissances de la Nature, sinon dans le sens de Natura naturans est Deus, olesdites puissances ne sont rien d'autre que les noms des actes divins. Lekarma n'est pas le sort , sinon dans le sens orthodoxe de caractre et dedestin, inhrents aux choses cres elles-mmes, qui, correctement entendus,dterminent leur vocation. My n'est pas l' illusion , mais reprsente pluttla mesure maternelle et, les moyens essentiels de la manifestation d'unmonde d'apparences fond sur la quantit, apparences par lesquelles nouspouvons tre illumins ou gars selon le degr de notre propre maturit. Lanotion de rincarnation , au sens ordinaire d'une renaissance sur la terred'individus dfunts, reprsente seulement une erreur de comprhension des

    doctrines de l'hrdit, de la transmigration et de la rgnration. Les sixdarshanas de la philosophie sanscrite postrieure ne sont pas autant de systmes s'excluant rciproquement, mais, comme le signifie leur nom,autant de points de vue qui ne se contredisent pas plus que ne font entreelles la botanique et les mathmatiques. Nous nierons galement qu'il existedans l'Hindouisme quoi que ce soit d'unique, rien qui lui soit particulier, hors lateinte locale et les adaptations sociales auxquelles on doit s'attendre ici-bas, orien n'est connu qu' la mesure du connaissant.

    La tradition hindoue est l'une des formes de la Philosophia Perennis, et,comme telle, incarne les vrits universelles dont aucun peuple ni aucunepoque ne saurait revendiquer la possession exclusive. C'est pourquoi un

    Hindou est parfaitement dsireux de voir ses critures utilises par d'autres

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    hommes titre de preuves extrinsques et valables de la vrit que cesderniers connaissent aussi. Bien plus, un Hindou soutiendrait que ces cimessont le seul lieu o un accord des diffrentes formes peut tre effectivementralis.

    Ceci dit, nous allons tenter d'tablir de faon positive les fondements dela doctrine. Non pas toutefois, comme on le fait d'habitude, d'aprs la mthode historique , qui obscurcit la ralit plutt qu'elle ne l'claire, maisen partant d'un point de vue strictement orthodoxe, tant en ce qui concerne lesprincipes que leurs applications. Nous nous efforcerons de parler avec laprcision la plus mathmatique , mais sans jamais user de termes de notrepropre cru, et sans jamais avancer une affirmation pour laquelle l'autoritscripturaire ne pourrait tre cite par chapitre et verset. De la sorte, notre faonde procder sera elle-mme typiquement hindoue.

    Nous ne pouvons tenter d'examiner l'ensemble des textes sacrs, carcela reviendrait faire l'histoire littraire de l'Inde, propos de laquelle il est

    impossible de dire o finit le sacr et o commence le profane, car les chantsdes bayadres et des bateleurs eux-mmes sont les hymnes de Fidlesd'Amour . Nos sources commencent avec le Rig-Vda (vers 1200 oudavantage avant J-C.) et ne finissent qu'avec les trs modernes traitsvaishnavas, shaivas et tantras. Nous devons cependant mentionnerspcialement la Bhagavad-Gt, qui est probablement l'uvre isole la plusimportante qui ait jamais t compose dans l'Inde. Ce livre de dix-huitchapitres n'est pas, comme on l'a dit parfois, luvre d'une secte . Il esttudi partout et souvent rcit journellement de mmoire par des millionsd'Hindous de toutes croyances. On peut le considrer comme un abrg detoute la doctrine vdique telle qu'on la trouve dans les premiers livres, Vdas,

    Brhmanas et Upanishads. tant ainsi le fondement de tous leursdveloppements ultrieurs, il peut tre regard comme le foyer mme de toutela spiritualit hindoue. On a dit justement, propos de la Bhagavad-Gt, que,de tous les textes sacrs de l'humanit, il n'en est probablement pas d'autre quisoit la fois aussi grand, aussi complet et aussi court . Il faut ajouter que lespersonnages apparemment historiques de Krishna et d'Arjuna doivent treidentifis avec l'Agni et l'Indra mythiques.

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    Le Mythe

    Comme le fait la Rvlation (shruti) elle-mme, nous devons commencerpar le Mythe (itihsa), la vrit pnultime, dont toute exprience est le reflettemporel. La validit du rcit mythique se situe hors du temps et de l'espace ;elle vaut partout et toujours. De mme dans le Christianisme les paroles aucommencement Dieu cra et par Lui toutes choses ont t faites

    reviennent dire, nonobstant les millnaires qui les sparent historiquement,que la cration a eu lieu lors de la naissance ternelle du Christ. Aucommencement (agr), ou plutt au sommet , signifie dans le principe ,de mme que, dans les contes, il tait une fois ne veut pas dire une foisseulement , mais une fois pour toutes . Le Mythe n'est pas une inventionpotique , dans le sens que l'on donne aujourd'hui ces mots. Par contre, dufait mme de son universalit, il peut tre expos et avec une galeauthenticit, selon de nombreux points de vue diffrents.

    Dans cet ternel commencement, il n'y a que l'Identit Suprme de Cet Un (tad kam)1, sans distinction d'tre et de non-tre, de lumire et detnbres, ou encore sans sparation du ciel et de la terre. Le Tout est alors

    contenu dans le Principe, que l'on peut dsigner par les noms de Personnalit,Anctre, Montagne, Dragon, Serpent sans fin. Reli ce principe comme filsou comme frre pun - comme alter ego plutt que comme principe distinct -apparat le Tueur de Dragon, n pour supplanter le Pre et prendre possessiondu Royaume, et qui en distribuera les trsors ses sides2. Car, s'il doit y avoirun monde, il faut que la prison soit dtruite et ses potentialits libres. Celapeut se faire, soit avec la volont du Pre, soit contre sa volont. Le Pre peut choisir la mort en faveur de ses enfant3 , ou bien les Dieux peuvent luiimposer la passion et faire de lui leur victime sacrificielle 4. Ce ne sont pas ldes doctrines contradictoires, mais des faons diffrentes d'exposer une seuleet mme histoire. En ralit, le Tueur et le Dragon, le sacrificateur et la victime

    sont Un en esprit derrire la scne, o il n'y a pas de contraires irrductibles,tandis qu'ils sont ennemis mortels sur le thtre o se dploie la guerreperptuelle des Dieux et des Titans5.

    1 RV., X, 129,1-3; TS., VI, 4, 8, 3 ; JB., III, 359; SB., X, 5, 3, 1, 2.2 RV., X, 124, 4.3 RV., X, 13, 4. Ils ont fait de Brihaspatile Sacrifice, Yama a rparti son propre corps aim .4 RV., X, 90, 6-8. Ils ont fait du Premier-N leur victime sacrificielle .5 Le mot dva, comme ses analogues , deus, peut tre employ au singulier pour Dieu ou au pluriel pour dieux , souvent pour Anges ou Demi-dieux , de mme que nousdisons Esprit en entendant le Saint-Esprit, alors que nous parlons galement d' esprits etnotamment d' esprits malins . Les Dieux de Proclus sont les Anges de Denys. Ceux

    qu'on peut appeler les grands Dieux sont les Personnes de la Trinit, Agni, Indra-Vyu,ditya, ou Brahm, Shiva, Vishnu, que l'on ne doit distinguer, et encore pas toujours nettement,

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    Dans chaque cas, le Pre-Dragon reste un Plrome, pas plus diminupar ce qu'il exhale qu'accru par ce qu'il inhale. Il est la Mort dont dpend notrevie6 ; la question : La Mort est-elle une ou multiple ? la rponse est Unen tant qu'il est l-bas, mais multiple en tant qu'il est ici, dans ses enfants7 . Le

    Tueur de Dragon est notre ami ; le Dragon doit tre pacifi et rendu ami8

    .La passion est la fois un puisement et un dmembrement. Le Serpentsans fin, qui demeurait invincible tant qu'il tait l'Abondance une9, est disjoint etdmembr comme un arbre que l'on abat et que l'on coupe en rondins10. Car leDragon, comme nous allons le voir maintenant, est aussi l'Arbre du Monde, et ily a l une allusion au bois dont est fait le monde par le Charpentier11. LeFeu de la Vie et l'Eau de la Vie (Agni et Soma, le Sec et l'Humide), tous lesDieux, tous les tres, les sciences et les biens, sont dans l'treinte du Python,qui, en tant que Constricteur (namuchi), ne les relchera pas tant qu'il nesera pas frapp et rduit s'entrouvrir et palpiter12. De ce Grand tre, commed'un feu abattu et fumant, sont exhals les critures, le Sacrifice, les mondes et

    tous les tres13

    , le laissant puis de ce qu'il contenait et semblable unedpouille vide14. Il en est de mme de l'Anctre quand il a man ses enfants, ilest vid de ses possibilits de manifestation, et tombe relax15, vaincu par laMort16, bien qu'il doive survivre cette preuve17. Les positions sont alorsrenverses , car le Dragon ign ne sera pas dtruit et ne peut l'tre, maisentrera dans le Hros, la question duquel : Quoi donc, me consumerais-tu? il rpond : Je vais plutt t'attiser (veiller, raviver), afin que tu puissesmanger18. L'Anctre, dont les enfants sont comme des pierres dormantes etinanimes, se dit : Entrons en eux pour les veiller ; mais, tant qu'il est un, il

    que par rapport leurs fonctions et leurs sphres d'opration. Les mixt person des entitsduelles Mitrvarunau et Agnndrau sont la forme du Sacerdoce et de la Royaut in divinis ; leurs

    sujets, les dieux multiples , sont les Maruts ou les Vents. Leurs quivalents en nous sontrespectivement le Souffle immanent et central, dsign souvent comme Vmadva, souventcomme l'Homme Intrieur ou le Soi immortel, et les Souffles, ses drivs et sujets ,autrement dit les facults de voir, d'entendre, de penser, etc., dont notre me lmentaireest un compos homogne, de mme que notre corps est compos de partiesfonctionnellement distinctes, mais agissant l'unisson. Les Maruts et les Souffles peuvent agirpar obissance au principe qui les gouverne, ou se rebeller contre lui. Tout ceci est bienentendu un nonc trs simplifi. Cf. n. 35, p. 50.6 SB., X, 5, 2, 13.7

    8 Sur l' amiti susciter entre le Varunya Agni et le Soma qui, autrement, pourraient dtruirele sacrificateur, voir AB., III, 4 et TS., V, 1, 5, 6 et VI, 1, 11.9 TA., V, 1, 3 ; MU., 11, 6 (a).10

    RV., I, 32.11 RV., X, 31, 7 ; X, 81, 4 ; TB., 11, 8, 9, 6 ; cf. RV., X, 89, 7 ; TS., VI, 4, 7, 3.12 RV., 1, 54, 5, chvasanasya... chushnasya ; V, 29, 4, chvasantam dnavam ; TS., II, 5, 2, 4,janjabhyamnd agnshomau nirakrmatm ; cf. SB., I, 6, 3, 13-15.13 BU., IV, 5, 11, mahato bhtasya... tn sarvni nihshvasitni; MU., VI, 32, etc. Car touteschoses sont issues d'un seul tre (Bhme, Sig. Rer., XIV, 74). galement dans RV., X, 90.14 SB., 1, 6, 3, 1.5, 16.15 Il est dpourvu d'attaches, vyasransata, c'est--dire non li, ou disjoint, de telle sorte que,ayant t sans jointures, il est articul, ayant t un, il est divis et vaincu, comme Makha (TA.,1, 3) et Vritra (originellement sans jointures, RV., IV, 19, 3, mais dsunis, I, 32, 7). Pour la chute et la restauration de Prajpati, voir SB., I, 6, 3, 35 et passim ; PB., IV, 10, 1 et passim ;TB., 1, 2, 6, 1 ; AA., III, 2, 6, etc. C'est par rfrence sa division que, dans KU., V, 4, ladit (dhin) immanente est dite dpourvue d'attaches (visransamna) ; car il est un en soi-

    mme, mais multiple en tant qu'il est dans ses enfants (SB., X, 5, 2, 16), partir desquels il nepeut pas facilement se runir (voir note 21).16 SB., X, 4, 4, 1.17 PB., VI, 5, 1 (Prajpati) ; cf. SB., IV, 4, 3, 4 (Vritra).

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    ne peut le faire, c'est pourquoi il se divise en pouvoirs de perception et deconsommation, et il tend ces pouvoirs depuis sa retraite secrte dans lacaverne du cur jusqu' leurs objets, travers les portes des sens, enpensant : Mangeons ces objets . Ainsi nos corps sont mis en possession

    de la conscience, l'Anctre tant leur moteur19

    . Et, du fait que ce sont les DieuxMultiples ou les Mesures Multiples du Feu dans lesquels il s'est ainsi divis, quiconstituent nos nergies et nos pouvoirs, on peut dire de la mmefaon que les Dieux sont entrs dans l'homme, qu'ils ont fait d'un mortel leurdemeure20 . Sa nature passible est devenue maintenant la ntre , et, partir de cet tat, il ne peut pas aisment se rassembler ou se restituer lui-mme, dans sa pleine et entire unit21.

    Nous sommes ds lors la pierre d'o peut tre tire l'tincelle, lamontagne sous laquelle Dieu gt enseveli, la peau de serpent cailleuse qui lecache, et l'huile pour sa flamme. Que sa retraite soit devenue une caverne ouune maison prsuppose la montagne ou les murs qui l'enclosent, verborgen

    (nihito guhym) et verbaut. Tu et Je sont la prison psycho-physique, leConstricteur o le Premier Principe a t absorb afin que nous puissionspleinement tre. Car, comme cela nous est constamment enseign, le Tueurde Dragon dvore sa victime, l'avale et la boit jusqu' la dernire goutte. Grce ce repas eucharistique il prend possession des trsors et des pouvoirs duDragon premier-n, et il devient ce qu'il tait. On peut citer, de fait, un texteremarquable o notre me composite est appele la montagne de Dieu , eto il est dit que celui qui comprendra cette doctrine absorbera de la mmefaon son propre mal, son adversaire hassable22. Cet adversaire n'est, bien

    18 TS., II, 4, 12, 6. La nourriture est, d'une faon tout fait littrale, consume par le Feu digestif.Ainsi, quand on annonce un repas rituel, on dit : Allume le Feu ... ou Viens au festin , en

    manire de benedicite. Chose digne de remarque, tandis que l'on dsigne habituellement leSoleil ou l'Indra solaire comme le Personnage dans lil droit , on peut tout aussi bien direque c'est Chushna (le Consumeur) qui est frapp et qui, lorsqu'il tombe, entre dans lil commedans sa pupille, ou que Vritra devient lil droit (SB., III, 1, 3, 11, 18). C'est une des nombreusesmodalits par lesquelles Indra est maintenant ce que Vritra tait .19 MU., II, 6 ; cf. SB., III, 9, 1, 2 et JUB., I, 46, 1-2. Celui qui meut , comme dans Paradiso, I,116. Questi nef cor mortali permotore. Cf. Platon, Lois, 898 C.20 AV., XI, 8, 18 ; cf. SB., II, 3, 2, 3 ; JUB., I, 14, 2, mayy ts sarv dvath. Cf. KB., VII, 4 impurush dvath; TS., V I, 1, 4, 5, prn vai dv... tshu paroksham juhoti ( Les Dieux danscet homme... Ils sont les Souffles... en eux il sacrifie en mode transcendant ).21 TS., V, 5, 2, 1. Prajpatih praj srishtw prnnu pravishat, tbhym punar sambhavitumnshaknot; SB., I, 6, 3, 36, sa visrastaih parvabhih na shashka samhtum.22 AA., II, 1, 8. Cf. Platon, Phdre, 250 C ; Plotin, Ennades, IV, 8, 3 ; Matre Eckhart ( hat

    gewonet in uns verborgenliche , Pfeiffer, p. 593) ; Henry Constable ( Enseveli en moi, jusqu'ce qu'apparaisse mon me ). Saint Bonaventure assimilait de mme mons et mens (De dec,preceptiis, II, ascendere in montem, id est, in eminentiam mentis) ; cette image traditionnelle,que l'on doit, comme beaucoup d'autres, faire remonter au temps o caverne et habitation taient une seule et mme chose, est sous-entendue dans les symboles familiersde la mine et de la recherche du trsor enfoui (MU., VI, 29, etc.). Les pouvoirs de l'me (bhutni,terme qui signifie galement gnmes ) au travail dans la montagne-esprit, sont les prototypesdes nains mineurs qui protgent la Blanche-Neige -Psych quand elle a mordu dans le fruitdu bien et du mal et tombe dans son sommeil de mort, o elle demeure jusqu' ce que l'rosdivin la rveille, et que le fruit tombe de ses lvres. Qui a jamais compris le Mythe scripturaire enreconnatra les paraphrases dans tous les contes de fes du monde, qui n'ont pas t crs parle peuple , mais hrits et fidlement transmis par lui ceux qui ils taient originellementdestins. L'une des erreurs majeures de l'analyse historique et rationnelle est de supposer quela vrit et la forme originale d'une lgende peuvent tre spars de ses lmentsmiraculeux. C'est dans le merveilleux mme que rside la vrit : , , Platon, Thtte, 155D. Mme pense chez Aristote, qui ajoute, Ainsi l'amoureux

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    entendu, rien d'autre que notre moi. On saisira la pleine signification du textelorsque nous aurons dit que le mot giri, montagne , drive du mot gir,engloutir. Ainsi Celui en qui nous tions prisonniers est devenu notreprisonnier ; il est l'Homme Intrieur submerg et cach par notre Homme

    Extrieur. C'est Lui maintenant de devenir le Tueur de Dragon. Dans cetteguerre de la Divinit et du Titan, livre dsormais en nous, o nous sommes en guerre avec nous-mmes23 , sa victoire et sa rsurrection serontgalement les ntres, si nous savons Qui nous sommes. C'est Lui maintenantde nous boire jusqu' la dernire goutte, et nous d'tre son vin.

    On a compris que la dit est implicitement ou explicitement une victimevolontaire. Ceci est reflt dans le Rite humain, o le consentement de lavictime, qui a d tre humaine l'origine, est toujours assur suivant lesformes. Dans l'un ou l'autre cas, la mort de la victime est aussi sa naissance,en accord avec la rgle infaillible qui veut que toute naissance ait t prcded'une mort. Dans le premier cas il y a naissance multiple de la dit dans les

    tres vivants, dans le second ils renaissent en elle. Mais, mme ainsi, il estreconnu que le sacrifice et le dmembrement de la victime sont des actes decruaut, voire de perfidie24. C'est l le pch originel (kilbisha) des Dieux,auquel tous les hommes participent du fait mme de leur existence distincte etde leur faon de connatre en termes de sujet et d'objet, de bien et de mal, etauquel l'Homme Extrieur doit d'tre exclu d'une participation directe25 ceque les Brhmanes entendent par Soma . Les formes de notre connaissance , ou plutt de notre opinion (avidy) ou de notre art (my), le dmembrent chaque jour. Une expiation pour cette ignorantiadivisiva est fournie dans le Sacrifice, o, par le renoncement lui-mme decelui qui l'offre, et par la restitution de la dit dmembre dans son intgrit et

    sa plnitude premires, la multitude des soi est rduite son Principeunique. Il y a ainsi multiplication incessante de l'Un inpuisable et unificationincessante de l'indfinie Multiplicit. Tels sont les commencements et les finsdes mondes et des individus, produits d'un point sans lieu ni dimensions, d'unprsent sans date ni dure, accomplissant leur destine, et, aprs leur tempsachev, retournant chez eux , dans la Mer ou le Vent o leur vie prit origine,affranchis par l de toutes les limitations inhrentes leur individualittemporelle26.

    des mythes, qui sont des concentrs de prodiges, est du mme coup un amoureux de

    sagesse . (Mtaphysique, 982 B). Le Mythe incarne la plus haute approximation de la vritabsolue qui puisse se traduire en paroles.23 BG., VI, 6 ; cf. S., 1, 57 = Dh., 66 ; A., 1, 149; Rm, Mathnaw, 1, 267, f.24 TS., II, 5, 1, 2 ; II, 5, 3, 6 ; cf., VI, 4, 8, 1 ; SB., I, 2, 3, 3 ; III, 9, 4, 17 ; XII, 6, 1, 39, 40 ; PB., XII,6, 8, 9 ; Kaus. Up., III, 1, etc. ; cf. Bloomfield dans JAOS., XV, 161.25 TS., II, 4, 12, 1, AB., VII, 28.26 Pour le retour des Fleuves vers la Mer o leur individualit se perd, de sorte que l'onparle seulement de la mer : CU., VI, 10, 1 ; Prashna UP., VI, 5, Mund. Up., IlI, 2, 8 ; A., IV, 198 ;Udna, 55, et de mme Lao Tseu, Tao Te King, XXXII ; Rm, Mathnaw, VI, 4052, MatreEckhart (dans Pfeiffer, p. 314), tout l'effet que Wenn du das Trpflein wist im grossen Meerenennen, Den wirst du meine Seel'im grossen Gott erkennen (Angeles Silesius, CherubinischeWandersmann, II, 15) ; e la sua volontate nostra pace ; ella quel mare, al quai tutto semove (Dante, Paradiso III, 85, 86).

    Pour le retour (en Agni), RV., I, 66, 5, V, 2, 6) ; (en Brahma), MU., VI, 22: (dans la Mer ),Prashna Up., VI, 5 ; (dans le Vent), RV., X, 16, 3 ; AV., X, 8, 16 (ainsi que Katha Up., IV, 9 ; BU,I, 5, 23) ; JUB., III, 1, 1, 2, 3, 12 ; CU., IV, 3, 1-3 ; (vers le summum bonum, fin dernire del'homme), S., IV, 158 ; Sn., 1074-6 ; Mil. 73 ; (vers notre Pre), Luc, 15, 11 f.

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    Thologie et Autologie

    Le Sacrifice (yajna) dont il s'agit est une rptition mime et rituelle dece que firent les Dieux au commencement ; il constitue la fois un pch etune expiation. Nous ne comprendrons pas le Mythe tant que nous n'aurons pasaccompli le Sacrifice, ni le Sacrifice avant d'avoir compris le Mythe. Mais, avantque nous puissions tenter de comprendre l'opration, il faut se demander Qui

    est Dieu et Qui nous sommes.Dieu est une essence sans dualit (adwaita), ou, comme certains le

    soutiennent, sans dualit mais non sans relations (vishishtdwaita). Il ne peuttre apprhend qu'en tant qu'Essence (asti)27, mais cette Essence subsistedans une nature duelle (dwaitbhva)28, comme tre et comme devenir. Ainsi,ce que l'on appelle la Plnitude (kritsnam, prnam, bhman) est la foisexplicite et non explicite (niruktnirukta), sonore et silencieux (shabdshabda),caractris et non caractris (saguna, nirguna), temporel et ternel (klkl),divis et indivis (sakalkala), dans une apparence et hors de toute apparence(mrtmrta), manifest et non manifest (vyaktvyakta), mortel et immortel(martymartya) et ainsi de suite. Quiconque le connat sous son aspect

    prochain (apara), immanent, le connat aussi sous son aspect ultime (para),transcendant29. Le Personnage qui se tient dans notre cur, mangeant etbuvant, est aussi le Personnage dans le Soleil30. Ce soleil des hommes, cetteLumire des lumires31, que tous voient mais que peu connaissent enesprit32 , est le Soi Universel (tman) de toutes les choses mobiles etimmobiles33. Il est la fois dedans et dehors (bahir antach cha bhtnm) mais

    27 KU., VI, 13; MU., IV, 4, etc.28 SB., X, 1, 4, 1 ; BU., II, 3 ; MU., VI, 15, VII, 11. On ne trouve aucune trace de Monophysismeou de Patripassianisme dans le prtendu monisme du Vdnta, la non-dualit tant cellede deux natures unies sans composition.29 MU., VI, 22 ; Prash. Up., V, 2.30

    BU., IV, 4, 22, 24; Taitt. Up., III, 10, 4 ; MU., VI, 1, 2.31 RV., I, 146, 4 ; cf. Jean, I, 4 ; RV., 1, 113, I ; BU., IV, 16 ; Mund. Up., II, 2, 9 ; BG., XIII, 16.32 AV., X, 8, 14 ; cf. Platon, Lois, 898 D.33 RV., I, 115, 1., 8 ; VII, 101, 6 ; AV., X, 8, 44; AA., III, 2, 4. L'autologie (tm-jhna) est lethme fondamental de l'criture ; mais il faut comprendre que cette connaissance du Soi diffrede toute connaissance empirique de l'objet en ce que notre Soi est toujours le sujet et ne peutjamais devenir l'objet de la connaissance ; en d'autres termes, toute dfinition du Soi ultime doitse faire par ngation.tman (racine an, respirer, cf. , ) est en premier lieu l'Esprit, principe lumineux etpneumatique, et comme tel, souvent assimil au Vent (vdyu, vta, racine v, souffler) de l'Espritqui souffle o il veut (yath vasham charati, RV., X,168, 4 et Jean, III, 8). Etant l'essenceultime de toutes choses, tman acquiert le sens secondaire de moi , compte non tenu duplan de rfrence, qui peut tre corporel, psychique ou spirituel, de sorte que, en face de notre

    Soi rel, l'Esprit en nous-mmes et dans toutes choses vivantes, il y a le moi , de qui nousparlons quand nous disons je ou tu , signifiant cet homme ou celui-ci, Un Tel. En d'autres

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    sans discontinuit (anantarama) ; il est donc une prsence totale, indivise dansles choses divises34. Il ne vient de nulle part, il ne devient qui que ce soit35,mais il se prte seulement toutes les modalits possibles d'existence36.

    Il est d'usage de traiter la question de ses noms Agni, Indra, Prajpati,

    Shiva, Brahm, Mitra, Varuna, etc., de la faon suivante : ils le nommentmultiple, lui qui, en ralit, est un37 ; tel il parat, tel il devient38 ; il prendles formes que se reprsentent ceux qui l'adorent39 . Les noms trinitaires, Agni,Vyu et ditya ou Brahm, Rudra et Vishnu, sont les plus hautespersonnifications du suprme, de l'immortel et de l'informel Brahma... Leurdevenir est une naissance l'un de l'autre, ils sont des participations un Soicommun dfini par ses diffrentes oprations... Ces personnifications sontappeles tre contemples, clbres, et, en dernier lieu, dsavoues. Carc'est par leur moyen que l'on s'lve de plus en plus haut dans les mondes ;mais, l o tout finit, on atteint la simplicit de la Personne40 . De tous lesnoms et de toutes les formes de Dieu, la syllabe monogrammatique Om, qui

    totalise les sons et la musique des sphres chante par le Soleil rsonnant, estle meilleur. La validit de ce symbole sonore est exactement la mme que celledu symbole plastique de l'icne. Ils sont l'un et l'autre des supports decontemplation (dhiylamba). La ncessit de tels supports dcoule du fait quece qui est imperceptible lil ou l'oreille ne peut tre saisi objectivement telqu'il est en lui-mme, mais seulement dans une similitude. Le symbole doit,bien entendu tre adquat, et ne saurait tre choisi au hasard. On infre(avshyati, vhayati) l'invisible dans le visible, le non-entendu dans l'entendu.

    termes, il y a les deux en nous, l'Homme Extrieur et l'Homme Intrieur, l'individualit psychiqueet physique, et la Personne vritable. C'est donc en accord avec le contexte que nous devonstraduire. Du fait que le mot tman, employ en mode rflchi, ne peut tre rendu que par

    soi , nous nous en sommes tenu partout la version soi en distinguant le Soi du soi parune majuscule, comme on le fait communment. Mais il doit tre clairement entendu que ladistinction est en ralit entre esprit () et me () au sens paulinien. Il est vraique ce Soi ultime, ce Soi immortel du soi , est identique l' me de l'me () de Philon, et l' me immortelle de Platon pose comme distincte de l' memortelle , et que maint traducteur rend tman par me ; mais, bien qu'il y ait des contexteso me est mis pour esprit (cf. Guillaume de Saint-Thierry, Epistola ad Fratres de MonteDei, ch. XV), il devient dangereusement trompeur, par suite de nos notions courantes de psychologie , de parler du Soi ultime et universel comme d'une me . Ce serait, parexemple, une trs grande mprise que de supposer que, quand un philosophe tel que Jungparle de l'homme la recherche d'une me , cela puisse avoir quelque rapport avec larecherche hindoue du Soi, ou avec ce dont il s'agit dans l'exhortation . Le soi de l'empiriste est, pour le mtaphysicien, tout comme le reste de ce qui nous entoure, non

    mon Soi .Des deux soi dont il s'agit, le premier est n de la femme, le second du Sein Divin, du feusacrificiel ; et quiconque n'est pas ainsi n de nouveau ne possde effectivement que ce moimortel n de la chair et qui doit finir avec elle (JB., I, 17 ; cf. Jean, III, 6 ; Gal., VI, 8 ; I Cor., 15,50, etc.). De l dans les Upanishads et le Bouddhisme les questions fondamentales : Qui es-tu ? et Par quel soi l'immortalit peut-elle tre atteinte ? La rponse tant : uniquementpar ce Soi qui est immortel ; les textes hindous ne tombent jamais dans l'erreur de supposerqu'une me qui a eu un commencement dans le temps puisse tre immortelle ; et, la vrit,nous ne voyons pas que les vangiles chrtiens aient mis nulle part en avant une doctrine aussiirrecevable.34 BG., XIII, 15, 16; XVIII, 20.35 KU., II, 18; cf. Jean, 3, 18.36 BU., IV, 4, 5.37

    RV., X, 145 ; cf. III, 5, 4 ; V, 3, 1.38 RV., V, 44, 6.39Kailayamlai(voirCeylon National Review, n 3, 1907, p. 280).40Nirukta, VII, 4 ; Brihad Dvat, I, 70-74; MU., IV, 6.

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    Mais ces formes ne sont que des moyens d'approche de l'informel et doiventtre cartes avant qu'il nous soit donn de nous changer en lui.

    Que nous le nommions la Personnalit, le Sacerdoce, la Magna Mater,ou de tout autre nom grammaticalement masculin, fminin ou neutre, Cela

    (tad, tad kam) dont nos facults sont des mesures (tanmtr), constitue unesizygie de principes conjoints, sans composition ni dualit. Ces principesconjoints ou soi multiples qu'on ne peut distinguer ab intra, maisrespectivement ncessaires et contingents en eux-mmes ab extra, nedeviennent des contraires que lorsqu'on envisage l'acte de manifestation du Soi(swaprakshatwam) que constitue la descente depuis le silence de la Non-Dualit jusqu'au niveau o l'on parle en termes de sujet et d'objet, et o l'onreconnat la multiplicit des existences individuelles spares que le Tout(sarvam = ) ou Univers (vishwam) prsente nos organes de perceptionphysique. Et, ds lors que l'on peut, logiquement mais non rellement, sparerla totalit finie de sa source infinie, on peut aussi appeler Cela une

    Multiplicit intgrale41

    , une Lumire Omniforme42

    . La cration estexemplaire. Les principes conjoints, tels que Ciel et Terre, Soleil et Lune,homme et femme, taient un l'origine. Ontologiquement leur conjonction(mithunam, sambhava, ko bhava) est une opration vitale, productrice d'untroisime l'image du premier et ayant la nature du second. De mme que laconjonction du Mental (manas = , , ) avec la Voix (vch =, , , ) donne naissance un concept, de mme laconjonction du Ciel et de la Terre veille le Bambino, le Feu, dont la naissancespare ses parents et remplit de lumire l'espace intermdiaire (antariksha,Midgard). Il en est de mme pour le microcosme : allum dans la cavit ducur, il en est la lumire. Il brille dans le sein de sa mre43, en pleine

    possession de ses pouvoirs44. Il n'est pas plus tt n qu'il traverse les SeptMondes45, s'lve pour franchir la Porte du Soleil, comme la fume de l'autel oudu foyer central, soit extrieur soit intrieur nous, s'lve pour franchir l'il duDme46. Cet Agni est alors le messager de Dieu, l'hte de toutes les demeureshumaines, soit bties, soit corporelles, le principe lumineux et pneumatique devie, et le prtre qui transmet l'odeur de l'offrande consume d'ici-bas jusqu'aumonde au-del de la vote du Ciel, travers laquelle il n'est d'autre voie quecette Voie des Dieux (dvyana). Cette Voie doit tre suivie, d'aprs lesempreintes de l'Avant-Coureur, comme le mot Voie47 lui-mme le suggre,

    41 RV., III, 34, 8, vishwam kam.42

    VS., V, 35 ;jyotir asi vishwarpam.43 RV., VI, 16, 35, cf. III, 29, 14. Le Bodhisattwa, galement, est visible dans le sein de sa mre,(M. III, 121). De mme, en gypte, le Soleil nouveau est vu dans le sein de la Desse du Ciel(H. Schfer, Von gyptischen Kunst, 1940, AGG., 71) : le parallle chrtien, o Jean est ditavoir vu Jsus enfant dans le sein de sa mre, est probablement d'origine gyptienne.44 RV., III, 3, 10; X, 115, 1.45 RV., X, 8, 4 ; X, 122, 3.46 Pour la Porte du Soleil, l' ascension la suite d'Agni (TS., V, 6-8 ; AB., IV, 20-22), etc., voirmon Swaymtrinn ; Janua Cli dans Zalmoxis, II, 1939 (1941).47 Mrga, Voie , de mrig = . La doctrine des vestigia pedis est commune auxenseignements grec, chrtien, hindou, bouddhiste et islamique, et forme la base del'iconographie des empreintes de pas . Cf., par exemple, Platon, Phdre, 253 A, 266 B., etRm, Mathnaw, II, 160-1. Quel est le viatique du oufi ? Ce sont les empreintes. Il poursuit

    le gibier comme un chasseur : il voit la trace du daim musqu et suit ses empreintes ; MatreEckhart parle de l'me en chasse ardente de sa proie, le Christ . Les avant-coureurs peuventtre suivis la trace par leurs empreintes aussi loin que la Porte du Soleil, Janua Cli, le Boutde la Route ; au-del, on ne peut les pister. Le symbolisme de la poursuite la trace, comme

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    par tout tre qui veut atteindre l' autre rive du fleuve de vie48 immense etlumineux qui spare cette grve terrestre de la grve cleste. Cette notion de laVoie est sous-jacente tous les symbolismes particuliers du Pont, du Voyage,du Plerinage et de la Porte de l'Action.

    Considres part, les moitis de l'Unit originellement indivisepeuvent tre distingues de diverses faons : selon le point de vue politique,par exemple, sous la forme du Sacerdoce et de la Royaut (brahmakshatrau),et selon le point de vue psychologique sous la forme du Soi et du Non-Soi, del'Homme Intrieur et de l'Individualit extrieure, du Mle et de la Femelle. Cescouples sont disparates. Et, mme lorsque le terme subordonn s'est spardu terme suprieur en vue de leur coopration productrice, il demeure dans cedernier d'une faon surminente. Ainsi le Sacerdoce est la fois leSacerdoce et le Rgne - c'est l la condition de la mixta persona du prtre-roiMitrvarunau, ou Indrgn - mais le Rgne, en tant que fonction distincte, n'estrien d'autre que lui-mme, tant relativement fminin et subordonn au

    Sacerdoce, son Gouverneur (ntri = ). Mitra et Varuna correspondent aupara et l'apara Brahma, et, de mme que Varuna est fminin par rapport Mitra, de mme Brahma, en tant que brahma-yoni, bhta-yoni, est fminin parrapport l'Anctre. La distinction des fonctions en termes de sexe dfinit lahirarchie. Dieu lui-mme est mle par rapport tout. Mais, de mme que Mitraest mle par rapport Varuna et Varuna, mle son tour par rapport laTerre, de mme le Prtre est mle par rapport au Roi et le Roi mle par rapport son royaume. De la mme manire, l'homme est sujet du gouvernementconjoint de l'glise et de l'tat, mais il dtient l'autorit au regard de sa femme,laquelle son tour administre son tat . A travers toute cette suite, c'est leprincipe notique qui sanctionne ou prescrit ce que l'harmonie accomplit ou

    vite. Le dsordre n'apparat que lorsque le second terme se laisse arracher ason allgeance normale par la tyrannie de ses propres passions, et identifie cetasservissement la libert49 .

    Tout cela s'applique de la faon la plus pertinente l'individu, homme oufemme : l'individualit extrieure et agissante d'un homme ou d'une femmedonns est fminine par nature, et soumise son propre Soi intrieur etcontemplatif. La soumission de l'Homme Extrieur l'Homme Intrieur estexactement ce que l'on entend par matrise de soi et autonomie , et dontle contraire est la suffisance . D'autre part, c'est l-dessus que se fonde ladescription du retour Dieu dans les termes d'un symbolisme rotique Demme qu'un homme embrass par sa bien-aime ne sait plus rien du Je et

    du Tu , ainsi le soi embrass par le Soi omniscient (solaire) ne sait plus riend'un moi-mme au-dedans ou d'un toi-mme au-dehors50 cause del' unit , comme le remarque Shankara. C'est ce Soi que l'homme qui aime

    celui de l' erreur (pch) en tant que manque toucher la cible , est l'un de ceux qui noussont venus des plus anciennes civilisations de chasseurs. Cf. note 5.48 Lo gran mar d'essere, Paradiso, I, 113. La traverse est la d'Epinomis, 986 E.49 Pour tout ce paragraphe, voir notre Spiritual Authority and Temporal Power in the IndianTheory of Government,American Oriental Series, XXII, 1942.50 BU., IV, 3, 21 (traduit assez librement), cf. I, 4, 3 ; CU., VII, 25, 2. Dans l'treinte de cet Unsouverain qui anantit le soi spar des choses, l'tre est un sans distinction (Evans, 1, 368).On nous dit souvent que la divinit est la fois au-dedans et au-dehors , c'est--dire

    immanente et transcendante ; en dernire analyse cette distinction thologique s'croule, et quiconque est uni au Seigneur est un seul esprit (I Cor., 6, 17). Je vis, mais non pas moi (Gal., 2, 20) : Mais si je vis, et non pas moi, ayant l'tre, toutefois pas le mien, cet un-en-deuxet ce deux-en-un, comment le dfiniront mes paroles ? (Jacoponi da Todi).

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    rellement, lui-mme ou les autres, aime en lui-mme ou dans les autres ; c'est pour le seul amour du Soi que toutes choses sont chres51 . Dans cetamour vritable du Soi, la distinction d'gosme et d'altruisme perd toutesignification. Celui qui aime voit le Soi, le Seigneur, pareillement dans tous les

    tres, et tous les tres pareillement dans le Soi seigneurial52

    . En aimant tonSoi, dit Matre Eckhart, tu aimes tous les hommes comme tant ton Soi53. Toutes ces doctrines concident avec cette parole oufi : Qu'est-ce quel'amour ? Tu le sauras quand tu seras moi54 .

    Le mariage sacr, consomm dans le cur, adombre le plus profond detous les mystres55, car il signifie la fois notre mort et notre rsurrectionbatifique. Le mot prendre en mariage (ko bh, devenir un) signifie aussi mourir , tout comme le grec veut dire tre parfait, tre mari et mourir.Quand chacun est les deux , aucune relation ne subsiste : et n'tait-ce envertu de cette batitude (nanda), il n'y aurait nulle part de vie ni de bonheur56.Tout cela sous-entend que ce que nous appelons le processus du monde, la

    cration, n'est rien qu'un jeu (krd, ll, , dolce gioco) que l'Esprit joueavec lui-mme, comme la lumire du soleil joue sur tout ce qu'elle claire etvivifie, toutefois sans tre affecte par ses contacts apparents. Nous qui jouonsle jeu de la vie si dsesprment pour les enjeux de ce monde, nous pourrionsjouer le jeu d'amour avec Dieu pour des enjeux qui les surpassent, savoirnotre soi et le Sien. Nous jouons l'un contre l'autre pour la possession desbiens, quand nous pourrions jouer avec le Roi qui joue son trne et Ce qu'Il estcontre notre vie et tout ce que nous sommes : un jeu o, plus on perd, plus ongagne57.

    Par la sparation du Ciel et de la Terre, on distingue les TroisMondes ; le Monde Intermdiaire (antariksha) produit l'espace, dans lequel

    les possibilits latentes de manifestation formelle pourront natre selon lamultiplicit de leurs natures. De la premire substance, l'ther (ksha),drivent successivement l'air, le feu, l'eau et la terre ; et de ces cinq lments(bhtni), combins en proportions varies, sont forms les corps inanims descratures58, dans lesquels la Divinit entre pour les veiller, se divisant elle-

    51 BU., II, 4, etc. Sur l' amour du Soi , voir les rfrences dans HJAS., 4, 1939, p. 135.52 BG., VI, 29 ; XIII, 27.53 Matre Eckhart, Evans, 1., 139 ; cf. Sn., 705.54 Rm, Mathnaw, Bk., II, introduction.55 SB., X, 5, 2, 11, 12 ; BU., IV, 3, 21.56 TU., 11, 7.57

    Pour tout ce paragraphe, voir ma Ll dans JAOS., 61, 1940. Tu as invent ce Je et Nous afin de pouvoir jouer le jeu d'adoration avec Toi-mme,Afin que tous les Je et les Tu deviennent une seule vie .Rm, Mathnaw, I, 1787.Per sua diffalta in pianta ed in affamoCambio onesto riso e dolce gioco.Dante, Purgatorio, XXVIII, 95, 96.58 CU., 1, 9, 1 ; VII, 12, 1 ; TU., II, 1, 1. L'ther est l'origine et la fin du nom et de la forme , i.e. de l'existence ; les quatre autres lments sont issus de lui et retournent lui comme leurprincipe. Quand il est tenu compte de quatre lments seulement, comme cela arrivefrquemment dans le Bouddhisme, on a en vue les bases concrtes des choses matrielles ; cf.Saint Bonaventure, De red. artium ad theol., 3, Quinque sunt corpora mundi simplicia, scilicetquatuor elementa et quinta essentia. Tout comme, dans l'ancienne philosophie grecque, les

    quatre racines ou lments (feu, air, terre et eau d'Empdocle, etc.) ne comprennent pasl'ther spatial, tandis que Platon mentionne les cinq (Epinomis, 981 C) et qu'Herms faitremarquer que l'existence de toutes les choses qui sont et t impossible si l'espace n'avaitexist comme une condition pralable de leur tre . (Ascl. II, 15). Il serait absurde de supposer

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    mme pour remplir ces mondes et devenir la Multitude des Dieux (vishwdvh), Ses enfants59. Ces Intelligences (jnnni, ou spirations, prnh)60, sontles htes des tres (bhtagana) ; elles oprent en nous, unanimement, titre d' me lmentaire (bhttman), ou de soi conscient61. C'est l en effet

    notre soi , mais un soi pour le moment mortel, sans essence spirituelle(antmya, antmna), ignorant du Soi immortel (tmnam ananuvidya,antmajna)62, et qu'il ne faut pas confondre avec les Dits immortelles qui sontdj devenues ce qu'elles sont par leur valeur (arhana), et que l'on dsignesous le nom d' Arhats (Dignits)63. Par le moyen des dits perfectibles etterrestres, tout comme un Roi reoit le tribut (balim hri) de ses sujets64, lePersonnage dans le cur, l'Homme Intrieur, qui est aussi le Personnage dansle Soleil, obtient la nourriture (anna, ahara), tant physique que mentale, qui luiest ncessaire pour subsister durant sa procession de l'tre vers le devenir. Enraison de la simultanit de sa prsence dynamique dans tous les devenirspasss et futurs65, on peut regarder les pouvoirs crs, luvre dans notre

    conscience, comme le support temporel de la providence (prajnna) et del'omniscience (sarvajnna) ternelles de l'Esprit solaire. Non que le mondesensible, avec ses vnements successifs, dtermins par des causesmdiates (karma, adrishta aprva), soit pour lui source de connaissance ; maisbien plutt parce que ce monde est lui-mme la consquence de la sciencequ'a l'Esprit de cette image diverse peinte par lui-mme sur le vaste canevasde lui-mme66 . Ce n'est pas par le moyen de la Totalit qu'il se connat lui-mme : c'est par sa connaissance de lui-mme qu'il devient la Totalit67. C'estle propre de notre faon inductive de connatre, que de le connatre par laTotalit.

    que ceux qui parlaient seulement de quatre lments n'avaient pas l'esprit cette notionpassablement vidente.59 MU., II, 6 ; VI, 26 ; c'est--dire apparemment ( iva) divis dans les choses divises, mais enralit non divis (BG., XIII, 16 ; XVIII, 20), cf. Herms Lib., X, 7, o les mes proviennentpour ainsi dire () du morcellement et du partage de la seule Ame Totale .60Jnnni, prajn-mtr etc. KU., VI, 10 ; MU., VI, 30 ; Kaush. UP., III, 8.61 MU., III, 2 f.62 SB., II, 2, 2, 3, 6. Cf. Notes 199, 204.63 RV., V., 86, 5 ; X, 63, 4.64 AV., X, 7, 39, XI, 4, 19 ; JUB., 23, 7 ; BU., IV, 3, 37, 38.65 RV., X, 90, 2 ; AV., X, VIII, 1 ; KU., IV, 13 ; Shwt. Up., III, 15.66 Shankarchrya, Swtmanirpana, 95. L' image du monde (jagacchitra = )

    peut tre appele la forme de l'omniscience divine, et elle est le paradigme hors du temps detoute existence, la cration tant exemplaire, cf. mon Vedic Exemplarism dans HJAS., I,1936. Un prcurseur de l'Indo-Iranien arta et mme de l'Ide platonicienne se trouve dans lesumrien gish-ghar, le contour, plan ou modle des choses-qui-doivent-tre, tabli par les Dieux la cration du monde et fix dans le ciel en vue de dterminer l'immutabilit de leur cration (Albright, dans JAOS, 54, 1934, p. 130, cf. p. 121, note 48). L' image du monde est la de Platon (Time, 29 A, 37 C), d'Herms, et l'ternelmiroir qui conduit les esprits qui regardent en lui vers la connaissance de toutes les cratures, et mieux qu'en regardant ailleurs de saint Augustin (voir Bissen, L'exemplarisme divin selonsaint Bonaventure, 1929, p. 39, note 5) ; cf. saint Thomas d'Aquin, Sum. Theol., I, 12, 9 et 10,Sed omnia sic videntur in Deo sicut in quodam speculo intelligibili... non successive, sed simul. Quand l'habitant du corps, contrlant les facults de l'me qui saisissent ce qui leur appartientdans les sons, etc., s'illumine, il voit l'Esprit (tman) dans le monde, et le monde dans l'Esprit

    (Mahbhrata, III, 210) ; Je vois le monde comme une image, l'Esprit (Siddhntamuktval,p. 181).67 BU., I, 4, 10 ; Prash., IV, 10. L'omniscience prsuppose l'omniprsence et inversement. Cf.ma Recollection, Indian and Platonic , JAOS., Supplement, 3, 1945.

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    On a dj pu se rendre compte que thologie et autologie sont une seuleet mme science, et que la seule rponse possible la question : Qui suis-je ? est : Tu es Cela68 . Car, de mme qu'il en est deux en Lui, l'Amour et laMort, de mme, toutes les traditions l'affirment de faon unanime, il en est deux

    en nous ; non pas toutefois deux de Lui ou deux en nous ; ni mme un de Luiet un de nous, mais seulement un de l'un et de l'autre. Au point o noussommes, situs entre le premier commencement et la fin dernire, noussommes diviss contre nous-mmes. L'essence est spare de la nature. C'estpourquoi nous Le voyons, Lui aussi, divis contre Lui-mme et spar de nous.Nous illustrerons cela l'aide de deux images. Dans la premire il y a deuxoiseaux associs, l'Oiseau-Soleil et l'Oiseau-Ame, perchs sur l'Arbre de Vie ;l'un voit tout, l'autre mange des fruits de l'Arbre69. Pour Celui qui comprend, cesdeux oiseaux sont un70 ; l'iconographie les reprsente, soit sous la forme d'unoiseau deux ttes, soit sous la forme de deux oiseaux aux cous entrelacs.Mais, de notre point de vue, il y a une grande diffrence entre la vie de celui qui

    regarde et la vie de ceux qui participent l'action. Le premier est sansentraves ; le second, cras par la ncessit de manger et de nicher, souffrede son manque de seigneurie (ansha), jusqu' ce qu'il aperoive son Seigneur(sha), et reconnaisse en Lui et dans Sa majest son propre Soi, dont les ailesn'ont jamais t rognes71.

    Dans la seconde image, la constitution des mondes et de l'individu estcompare une roue (chakra) dont le moyeu est le cur, les rayons nosfacults, et les points de contacts avec la jante, nos organes de perception etd'action72. Les ples que reprsentent respectivement notre Soi profond etnotre Soi superficiel, sont ici d'une part, l'essieu immobile sur lequel la rouetourne - il punto dello stelo al cui la prima rota va dintorno - la pointe de l'axe

    autour duquel tourne le premier orbe73

    , et d'autre part, la jante en contact avecla terre sur laquelle elle ragit. Telle est la roue du devenir et desnaissances (bhavachakra = ). Le mouvement communde toutes ces roues intrieures les unes aux autres - chacune tournant autourd'un mme point non spatial et constituant chacune un monde ou unindividu -est appel la Confluence (samsra). C'est dans cette tourmente duflot du monde que notre soi lmentaire (bhttman) est fatalementemport : fatalement parce que tout ce que nous sommes destins parnature accomplir ici-bas, est la consquence inluctable de l'oprationcontinue, quoique invisible, des causes mdiates, dont seul le point susditdemeure indpendant, tant dans la roue, sans doute, mais non en tant que

    partie de celle-ci.74

    Ce n'est pas seulement notre nature passible qui est engage, maisaussi la Sienne. Dans cette compatibilit de nature, Il sympathise avec nosmisres et nos dlices, et Il est soumis aux consquences des choses autantque nous . Il ne choisit pas le sein o il va natre ; Il accde desnaissances qui peuvent tre leves ou mdiocres (sadasat)75, o sa naturemortelle gote le fruit (bhoktri) du bien comme du mal, de la vrit comme de68 SA., XIII ; CU., VI, 8, 7.69 RV., 1, 164, 20.70 RV., X, 114, 5.71 Mund. Up., III, 1, 1-3.72

    BU., II, 5, 15, IV, 4, 22, Kaush. Up., III, 8, etc. Semblablement Plotin, Ennades, V I, 5, 5.73Paradiso, XIII, II, 12.74 Jacques, 3, 6, Cf. Philon, Somn., II, 44. Ici le concept est d'origine orphique.75 MU., III, 2 ; BG., XIII, 21. Paradiso, VIII, 127, non distingue l'un dall' altro ostello.

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    l'erreur76. Dire qu' Il est seul voyant, oyant, pensant, connaissant etfructifiant77 en nous, dire que quiconque voit, voit par Sa lumire78 , car Ilest dans tous les tres Celui qui regarde, c'est dire que le Seigneur est le seulqui transmigre79 . Il s'ensuit invitablement que, par l'acte mme o Il nous

    doue de conscience, Il s'emprisonne Lui-mme comme un oiseau dans lefilet , et s'assujettit au mal, la Mort80, ou semble du moins s'emprisonner ets'assujettir ainsi.

    Par l Il est soumis notre ignorance, et souffre pour nos pchs. Maisalors, qui peut tre dlivr ? et par qui ? et de quoi ? Il vaudrait mieuxdemander, eu gard cette libert absolument inconditionnelle, Qui est libremaintenant et jamais des limitations que la notion mme d'individualitimplique ? (aham cha marna cha, Moi et le mien ; kart'ham iti, Je suis untre agissant81 ). La libert est par rapport soi-mme, au Je et ses

    76 MU., II, 6, VI, 11, 8.77 AA., III, 2, 4 ; BU., III, 8, 11, IV, 5, 15.78 JUB., I, 28, 8 et semblablement pour les autres facults de l'me.79 Shankarchrya, Sur les Brahma-Stras I, 1, 5, Satyam, nshward anyah samsr: cetteaffirmation trs importante est largement appuye par les textes primitifs e. g. RV., VIII, 43, 9, X,72, 9 ; AV., X, 8, 13; BU., III, 7, 23, III, 8 11, IV, 3, 37, 38 ; Shwt. Up., II, 16, IV, 11 ; MU., V, 2. Iln'y a pas d'essence individuelle qui transmigre. Cf. Jean, III, 13. Personne n'est mont au cielsi ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'Homme qui est dans le ciel . Le symbolede la chenille dans BU., IV, 4, 3, n'implique pas le passage d'un corps un autre, d'une vieindividuelle distincte de l'Esprit Universel, mais d'une part pour ainsi dire de cet Espritenveloppe dans les activits qui occasionnent la prolongation du devenir (Shankarchrya, Br.Stra, II, 3, 43; III, 1, 1). En d'autres termes, la vie est renouvele par l'Esprit vivant dont lasemence est le vhicule, alors que la nature de cette vie est dtermine par les proprits de lasemence elle-mme (BU., III, 9, 28; Kaush. Up., III, 3, et galement saint Thomas d'Aquin. Sum.Theol., III, 32, 11). Blake dit de mme : L'homme nat comme un jardin tout plant et sem .

    Le caractre est tout ce que nous hritons de nos anctres ; le Soleil est notre Pre rel. Demme dans JUB., III, 14, 10, M. I., 265/6, et Aristote, Phys., II, 2. comme l'ont bien compris saint Thomas d'Aquin, Sum. Theol., I, 115, 3 ad 2 et Dante, Demonarchia, IX. Cf. Saint Bonaventure, De red. artium ad theologiam, 20. (Les remarques deWicksteed et Cornford dans la Physique de la Lb Library, p. 126, montrent qu'ils n'ont passaisi la doctrine).80 SB., X, 4, 4, 1.81 BG., III, 27; XVIII, 17 ; cf. JUB., I, 5, 2 ; BU., III, 7, 23; MU;, VI, 30, etc. galement S., II, 252 ;Udna, 70, etc. A l'ide du Je suis (asmimna) et du Je fais (kart'ham iti) correspond legrec = (Phdre, 92 A, 244 C). Pour Philon est l'ignorance (I, 93) ; lapense qui dit Je plante est impie (I, 53) ; je ne trouve rien d'aussi honteux que desupposer que j'exerce mon esprit ou mes sens (I, 78). Plutarque accouple et .C'est de ce mme point de vue que saint Thomas dit que, pour autant que les hommes sont

    pcheurs, ils n'existent pas du tout (Sum. Theol., I, 20, 2, ad 4) ; et, en accord avec l'axiomeEns et bonum convertuntur, satet asatne sont pas seulement l'tre et le non-tre , maisaussi le bien et le mal (Par ex. dans MU., III, 1 et BG., XIII, 21). Tout ce que nous faisons en plus ou en moins de ce qui est juste est une faute, et doit tre regard simplementcomme n'ayant pas t fait du tout. Par exemple, Dans la louange, omettre c'est ne pas louer,en dire trop, c'est mal louer, louer exactement, c'est louer effectivement (JB., I, 356). Ce quin'a pas t fait en rgle pourrait aussi bien n'avoir pas t fait du tout et n'est, strictementparler, pas un acte (akritam, unthat ), c'est la raison de l'accent redoutable mis sur lanotion d'un accomplissement correct des rites et des autres actes. Il en rsulte finalementque nous sommes les auteurs de tout ce qui est mal fait, et qui par l mme n'est pas fait dutout en ralit, tandis que, de tout ce qui est effectivement fait, l'auteur est Dieu. De mme que,selon notre propre exprience, si je fais une table qui ne tient pas debout, je ne suis pasmenuisier et la table n'est pas rellement une table ; tandis que, si je fais une vraie table, ce

    n'est pas par moi en tant qu'homme, mais par l' art qu'en ralit la table est faite, Je tantseulement une cause efficiente. De la mme faon le Soi Intrieur se distingue du soilmentaire comme le moteur (krayitri) se distingue de l'agent (kartri, MU., III, 3, etc. ).L'opration est mcanique et serve ; l'agent est libre seulement dans la mesure o sa propre

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    affections. Celui-l seulement est libre des vertus et des vices et de toutesleurs fatales consquences, qui n'est jamais devenu qui que ce soit ; celui-lseulementpeutl'tre qui n'est plus dsormais qui que ce soit ; on ne peut trelibr de soi-mme tout en demeurant soi-mme. La dlivrance du bien et du

    mal, qui semblait impossible et qui l'est en effet pour l'homme dfini commeagissant et pensant, celui qui, la question : Qui est-ce ? rpond : C'estmoi , cette dlivrance n'est possible qu' celui-l seul qui, la Porte du Soleil, la question : Qui es-tu ? peut rpondre : Toi-mme82 . Celui qui s'estemprisonn lui-mme doit se librer lui-mme, et cela ne peut se faire qu'enralisant l'affirmation : Tu es Cela . C'est aussi bien nous de le librer enconnaissant Qui nous sommes, qu' Lui de Se librer lui-mme en sachant QuiIl est. C'est pourquoi, dans le Sacrifice, celui qui l'offre s'identifie la victime.

    De l aussi la prire : Ce que Tu es, puiss-je l'tre83 , et le sensternel de la question critique : De qui sera-ce le dpart lorsque je partiraid'ici84 ? de moi-mme ou du Soi immortel , du Conducteur85 . Si l'on a

    ralis effectivement les vritables rponses, si l'on a trouv le Soi et fait toutce qu'il y avait faire (kritakritya), sans aucun rsidu de potentialit (krity), lafin dernire de notre vie est actuellement atteinte86. On ne saurait trop insistersur le fait que la libert et l'immortalit87 peuvent tre, non seulement atteintes,mais encore ralises ici-mme et maintenant aussi bien que dans unquelconque au-del. Celui qui est dlivr en cette vie (jvan mukta) ne meurt plus (napunar mriyat)88. Celui qui a compris le Soi contemplatifsans ge et sans mort, qui n'a en lui aucun manque et qui ne manque de rien,

    volont est ce point identifie celle de son matre qu'il devient son propre patron (krayitri) Ma servitude est libert parfaite .82 JUB., III, 14, etc. Cf. mon The 'E' at Delphi , Review of Religion, nov. 1941.83

    TS., I, 5, 7, 6.84 Prash. Up., VI, 3 ; cf. rponses dans CU., III, 14, 4 et Kaush. Up., II, 14.85 CU., VIII, 12, 1 ; MU., III, 2 ; VI, 7. Pour le AA., II, 6 et RV., V, 50, 1.86 AA., II, 5 ; SA., II, 4 ; MU., VI, 30 ; cf. TS., I, 8, 3, 1. Kritakritya, tout en acte correspond aupali katamkaranyam dans la formule Arhat bien connue.87Amritattwa, littralement immortalit ; dans toute la mesure o il s'agit d'tres ns, soitdieux, soit hommes, ce mot n'implique pas une dure sans fin, mais la totalit de la vie ; ondoit entendre : ne mourant pas prmaturment (SB., V, 4 ; I, 1 ; IX, 5, 1, 10; PB., XXII, 12, 2,etc.). Ainsi la totalit de la vie de l'homme (yus = aeon) est de cent ans (RV., I, 89, 9 ; II, 27, 10,etc.) ; celle des Dieux est de mille ans (XI, 1, 6, 6, 15) ou de la dure que reprsente cechiffre rond (SB., VIII, 7, 4, 9; X, 2, 1-11, etc.). Ds lors, quand les Dieux, qui, l'origine, taient mortels , obtiennent leur immortalit (RV., V, 3, 4, et X, 63, 4, ; SB., XI, 2, 3, 6, etc.), celane doit tre compris que dans un sens relatif et ne signifie pas autre chose que leur vie,

    compare celle des hommes, est plus longue (SB., VII, 3, 1, 10, Shankara. Sur les Br. Stra, I,2, 17 et II, 3, 7, etc.). Dieu seul, comme non-n ou n seulement en apparence estabsolument immortel ; Agni, vishwyus = , seul immortel parmi les mortels, Dieuparmi les Dieux (RV., IV, 2, 1 ; SB., II, 2, 2, 8, etc.). Sa nature intemporelle (akla) est celle du maintenant sans dure, dont nous, qui ne pouvons penser qu'en termes de pass et de futur(bhtam bhavyam) n'avons et ne pouvons avoir l'exprience. De Lui toutes choses procdent, eten Lui elles s'unifient (ko bhavanti) la fin (AA., II, 3, 8, etc.). En d'autres termes,l' immortalit est de trois ordres : la longvit humaine, l'viternit des Dieux, et l'immortalitsans dure de Dieu (sur l'viternit, voir saint Thomas d'Aquin., Sum. Theol., I, 10, 5).Les textes hindous eux-mmes ne permettent aucune confusion : toutes les choses sous leSoleil sont au pouvoir de la Mort (SB., II, 3, 37, X, 5, 1, 4). Pour autant qu'elle descend dans lemonde, la Divinit elle-mme est un Dieu qui meurt ; il n'y a dans la chair aucune possibilitde ne jamais mourir (SB., II, 2, 2, 14; X, 4, 3, 9 ; JUB., III, 38, 10, etc.) ; la naissance et la mortsont indissolublement lies (BG., II, 27; A., IV, 137 ; Sn., 742).On peut observer que le grec a des significations analogues ; pour l' immortalitmortelle , cf. Platon, Banquet, 207, D-208 B, et Herms, Lib., XI, I, 4a etAscl., III, 40 b.88 SB., II, 3, 3, 9 ; BU., I, 5, 2, etc. Cf. Luc, 20, 36; Jean, II, 26.

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    celui-l ne redoute pas la mort89. . tant dj mort, il est, comme le oufi, unmort qui marche90 . Un tel homme n'aime plus ni lui-mme ni les autres : il estle Soi de lui-mme et des autres. La mort soi-mme est la mort aux autres ;et, si le mort semble ne pas tre goste, ce n'est pas pour quelque motif

    altruiste, mais titre accidentel, et parce qu'il est littralement sans ego. Dlivrde lui-mme et de toutes conditions, de tous devoirs et de tous droits, il estdevenu Celui qui se meut son gr (kmachr)91 comme l'Esprit (Vyu, tmdvnm) qui va o il veut (yath vasham charati)92, n'tant plus, comme ledit saint Paul, sous la loi .

    Tel est le dsintressement surhumain de ceux qui ont trouv leur Soi : Je suis le mme dans tous les tres et il n'en est aucun que j'aime, aucunque je hasse93 . Telle est la libert de ceux qui ont rempli les conditionsexiges par le Christ de ses disciples, savoir de har leur pre et leur mre etpareillement leur propre vie terrestre94. On ne peut dire ce qu'est l'hommelibre, mais seulement ce qu'il n'est pas : Trasumanar significar per verba, non si

    potria... (Dante. Paradiso, 1, 70). Transfigurer ne se peut exprimer par desmots... Mais l'on peut dire ceci : ceux qui ne se sont pas connus eux-mmes neseront dlivrs ni maintenant ni jamais, et grande est la ruine de (ceux quisont ainsi) victimes de leurs propres sensations95. L'autologie brahmaniquen'est pas plus pessimiste qu'optimiste ; elle est seulement d'une autorit plusimprieuse que celle de n'importe quelle autre science dont la vrit ne dpendpas de notre bon plaisir. Il n'est pas plus pessimiste de reconnatre que tout cequi est tranger au Soi est un tat de dtresse, qu'il n'est optimiste dereconnatre que l o il n'y a pas d'autrui il n'y a littralement rien craindre96.Que notre Homme Extrieur soit un autre , cela ressort de l'expression : Je ne peux pas compter sur moi . Ce que l'on a appel l' optimisme

    naturel des Upanishads est leur affirmation que la conscience d'tre, bien quesans valeur en tant que conscience d'tre Un Tel, est valable dans l'absolu, etleur doctrine de la possibilit actuelle de raliser la Gnose de la DitImmanente, notre Homme Intrieur : Tu es Cela . Dans la langue de saintPaul : Vivo, autem jam non ego .

    Qu'il en soit ainsi, ou seulement qu' Il soit , ne peut se dmontrer l'cole, o l'on ne s'occupe que des choses tangibles et quantitatives. En mmetemps, il ne serait pas scientifique de rejeter a priori une hypothse dont lapreuve par exprience est possible. Dans le cas prsent, une Voie estpropose ceux qui consentiront la suivre. C'est prcisment en ce point quenous devons passer des principes l'opration travers laquelle, plutt que

    par laquelle, ils peuvent tre vrifis ; autrement dit, de la considration de lavie contemplative celle de la vie active et sacrificielle.

    89 AV., X, 8, 44; cf. AA., III, 2, 4.90 Mathnaw, VI, 723 f. La parole Mourez avant que vous ne mouriez est attribue Mohammed. Cf. Angelus Silesius, Stirb ehe du stirbst .91 RV., IX, 113, 9 ; JUB., III, 28, 3 ; SA., VII, 22; BU., II, 1, 17, 18, CU., VIII, 5, 4 ; VIII, I, 6 (cf. D,I, 72) ; Taitt. Up., III, 10, 5 (de mme dans Jean, X, 9).92 RV., IX, 88, 3 ; X, 168, 4 ; cf. Jean, III, 8 ; Gylfiginning, 18.93 BG., IX, 29.94 Luc, XIV, 26 ; cf., MU., VI, 28 : Si un homme est attach son fils, sa femme, sa famille,pour un tel homme, non jamais ; Sn., 60,puttam cha dvam pitaram cha mtaram... hitwna.

    Matre Eckhart dit de mme : Aussi longtemps que tu sais qui ont t dans le temps ton preet ta mre, tu n'es pas mort de la mort vritable (Pfeiffer, p. 462). CI. Note 17, p. 92.95 BU., IV, 4, 14 ; CU., VII, 1, 6; VII, 8, 4, etc.96 BU., I, 4, 2.

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    La Voie des uvres

    Le Sacrifice reflte le Mythe mais, comme tout reflet, en sens inverse.Ce qui tait un processus de gnration et de division devient ici un processusde rgnration et d'unification. Des deux soi qui habitent ensemble dans lecorps et qui y ont leur dpart, le premier est n de la femme, et le second duFeu sacrificiel, matrice divine o la semence de l'homme doit natre de

    nouveau, autre qu'il n'tait. Jusqu' ce qu'il soit n de nouveau, l'homme n'aque le premier soi, le soi mortel97. Offrir un sacrifice, c'est natre, et l'on peutdire qu' en vrit, il est encore non-n celui qui n'offre pas de sacrifice98 . Etencore, quand l'Anctre notre Pre a mis ses enfants et tendrement (prma,snhavachna) demeure en eux, il ne peut plus, partir d'eux, se runir Lui-mme (punar sambh)99. Aussi s'crie-t-il : Ceux-l s'panouiront qui, d'ici-bas, me rdifieront (punar chi) : Les Dieux L'ont difi, et ils se sontpanouis; ainsi celui qui offre le Sacrifice s'panouit aujourd'hui mme dans cemonde-ci et dans l'autre100. Celui qui offre le Sacrifice, en difiant l'(autel du)Feu de tout son esprit et de tout son moi101 ( ce Feu sait qu'il est venu pourse donner moi102 ), runit (samdh, samskri) du mme coup la dit

    dmembre et sa propre nature spare. Car il serait dans une grande illusion,il serait simplement une bte, s'il disait : Il est quelqu'un, et moi un autre103 .

    Le Sacrifice est d'obligation : Nous devons faire ce que les Dieux firentautrefois104 . En fait, on en parle souvent comme d'un travail (karma). Ainsi,de mme qu'en latin operare = sacra facere = , de mme dansl'Inde, o l'accent est mis si fortement sur l'action, bien faire signifie faire desactes sacrs. Seul le fait de ne rien faire - et mal faire revient ne rien faire -est vain et profane. A quel point l'acte sacr est analogue tout autre travailprofessionnel, on s'en rendra compte si l'on se souvient que les prtres ne sontrmunrs que lorsqu'ils oprent pour autrui, et que recevoir des cadeaux n'estpas licite lorsque plusieurs hommes sacrifient ensemble pour leur propre97 JB., I, 17 ; SB., VII, 2, 1, 6 avec VII, 3, 1, 12; BU., II, 1, 11 ; Sn., 160, et d'innombrables textesdistinguant les deux soi. La doctrine selon laquelle duo sunt in homine est universelle, etnotamment hindoue, islamique, platonicienne, chinoise et chrtienne. Cf. On being in one'sright mind . Rev. ot Religion, VII, 32 f.98 SB., I, 6, 4, 21 ; III, 9, 4, 23 ; KB., XV, 3 ; JUB., III, 14, 8. Cf. Jean. 3, 3-7.99 TS., V, 5, 2, 1 ; cf. SB., I, 6, 3, 35, 36 ; Shankarchrya, Br. Stra, II, 3, 46.100 TS., V, 5, 2, 1. Non seulement les desservants eux-mmes, mais la cration tout entireparticipent aux bienfaits du Sacrifice (SB., I, 5, 2, 4 ; CU., V, 24, 3).101 SB., III, 8, 1, 2.102 SB., II, 4, 1, 11 ; IX, 5, 1, 53.103 BU., I, 4, 10 ; IV, 5, 7 ; Cf. Matre Eckhart, Wer got minnet fr sinen got unde got an betetfr sinen got und im d mite lzet genegen daz ist nur als, ein angeloubic mensche (Pfeiffer,

    p. 469).104 SB., VII, 2, 1, 4.

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    compte105. Le Roi, comme suprme Patron du Sacrifice pour son Royaume,reprsente le sacrificateur in divinis, et constitue lui-mme le type de tous lesautres sacrificateurs.

    L'une des plus tranges controverses qu'offre l'histoire de l'orientalisme

    a tourn autour de l'origine de la bhakti, comme si la dvotion tait apparue un moment donn la faon d'une innovation, donc d'une mode. Bhaj, laracine de bhakti, etc., et notamment de bhikshu (mendiant religieux quidemande aux autres sa nourriture), est la fois synonyme de sv, upachar,, et exprime l'ide de servir, de donner ses soins un objet digne derespect, humain ou divin. Dans les textes anciens, c'est habituellement la Ditqui distribue aux autres des bienfaits tels que la vie ou la lumire, et que l'onappelle pour cela Bhaga ou Bhagavat, Dispensateur, son don tant une participation ou une dispensation (bhgam). Mais dj dans le Rig-Vda(VIII. 100. I), Indra est manifestement le bhakta d'Agni, et c'est l la relationnormale du Rgne au Sacerdoce ; et dans le Rig-Vda (X. 51. 8.) ceux qu'Agni

    appelle en disant Donnez-moi ma part (datta bhgam) seront ses bhaktas.Tout sacrifice comporte le don de la part (bhgam) due celui qui le reoit ; ilest dans ce sens un acte de dvotion, et, en dernire analyse, l'acte dedvotion du sacrificateur lui-mme, qui est le dvot. La dvotion impliquel'amour, car l'amour est la raison de tout don ; mais il demeure que la traductionlittrale de bhaktisera, dans certains textes, participation , et dans d'autres dvotion , plutt qu' amour , pour lequel le terme estprma.

    On a souvent fait remarquer que le Sacrifice tait conu comme uncommerce entre les Dieux et les hommes106. Mais on s'est rarement renducompte qu'en introduisant dans la conception traditionnelle du commerce desnotions empruntes nos froces transactions commerciales, nous avons

    fauss notre comprhension du sens originel de ce commerce, qui tait alorsdu type potlatsh, c'est--dire bien plus une comptition pour donner qu'unecomptition pour prendre, comme fait le ntre. Celui qui offre le Sacrifice sait,quelle que soit la raison pour laquelle il l'offre, qu'il recevra en retour pleinemesure, ou plutt mesure suprieure, car si son trsor lui est limit, celui del'autre partie est inpuisable. Il est l'Imprissable (syllabe, Om), parce qu'ildispense tous les tres, et que nul ne peut dispenser par-del Lui 107 . Dieudonne autant que nous pouvons prendre de Lui, et la mesure dpend de celledans laquelle nous nous sommes abandonns nous-mmes . Ces parolesdes hymnes sous-entendent une fidlit de faux plutt que des obligationsd'affairistes : Tu es ntre et nous sommes Toi , Que nous soyons tes

    105 TS., VII, 2, 10, 2. A une telle session rituelle (sattra) le Soi (tman, l'Esprit) est lartribution (dakshina) et c'est dans la mesure o les sacrificateurs obtiennent le Soi enrcompense qu'ils gagnent le ciel (tm-dakshinam vai sattram, dtmnam va ntw swargamlokam yanti, TS., VII, 4, 9, 1 ; cf. PB., IV, 9, 19). Dans une session, le Soi est le salaire... Queje saisisse ici mon Soi comme rtribution, pour ma gloire, pour le monde du ciel, pourl'immortalit (KB., XV, 1). Par contre, dans le cas des sacrifices accomplis pour autrui, commedans le cas d'une Messe dite pour d'autres, un salaire est d aux prtres, qui, en tant que presspirituels, permettent celui qui offre le Sacrifice de natre de nouveau du Feu sacrificiel, dusein de Dieu (SB., IV, 3, 4, 5 ; AB., III, 19, etc.). Mais, dans l'interprtation sacrificielle de la totalit de la vie , l'ardeur, la gnrosit, l'innocence et la vracit sont les salaires desprtres (CU., III, 17, 4).106 TS., I, 8, 4, 1 ; AV., III, 15, 5, 6. Cf. Rm, Mathnaw, VI, 885; et Math., 5, 12, merces vestra

    copiosa est in clis.107 AA., II, 2, 2. Lui , le Souffle (prna) immanent, . Le point noter est que la Syllabetranscendante (akshara = Om) est la source de tous les sons profrs (cf. CU., II, 23, 24),demeurant elle-mme inpuisable (akshara), rpandant mais jamais rpandue.

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    bien-aims, Varuna , Puissions-nous tre Toi pour que Tu nous donnesun trsor108 . Ce sont l les rapports de baron comte et de vassal suzerain,et non pas ceux de changeurs de monnaie. Le langage du commerce survitencore dans des hymnes aussi tardifs et aussi dvotionnels que celui de Mira

    Bai :

    C'est Kahn que j'ai achet. Le prix qu'il demandait, je l'ai donn.Certains s'crient : C'est beaucoup . D'autres raillent : C'est peu .J'ai tout donn, pes jusqu'au dernier grain,Mon amour, ma vie, mon me, mon tout.

    Si l'on se rappelle en outre que la vie sacrificielle est la vie active, onverra que la conception mme d'opration implique le lien de l'action et de ladvotion, et que tout acte accompli parfaitement a t ncessairementaccompli avec amour, de mme que tout acte mal fait l'a t sans diligence .

    Le Sacrifice, de mme que les paroles liturgiques qui le rendent valable,doit tre compris (Erlebt), si l'on veut qu'il soit pleinement effectif. Les actesphysiques peuvent, par eux-mmes, comme tout autre travail, assurer desavantages temporels. Sa clbration ininterrompue maintient en fait le courant de prosprit (vasor dhra) sans fin qui descend du ciel comme lapluie fertilisante, laquelle, passant dans les plantes et les animaux, devientnotre nourriture et retourne au ciel dans la fume de l'offrande consume.Cette pluie et cette fume sont les cadeaux de noces au mariage sacr du Cielet de la Terre, du Sacerdoce et du Rgne, mariage qui est impliqu dansl'opration tout entire109. Mais il est demand plus que les actes purs etsimples, si l'on veut raliser le dessein ultime dont les actes ne sont que les

    symboles. Il est dit expressment que ce n'est ni par l'action ni par lessacrifices que l'on peut L'atteindre (na ishtam karman nachad... nayajnaih)110, Celui dont la connaissance est notre bien suprme111. Il est en mmetemps affirm sans cesse que le Sacrifice ne s'accomplit pas seulement enmode parl et visible, mais aussi en mode intellectuel (manast)112,silencieusement et invisiblement, l'intrieur de nous. Autrement dit, lapratique n'est que le support extrieur et la dmonstration de la thorie. Ladistinction s'impose donc entre le vritable sacrificateur de soi-mme (sadyj,satishad, tmayj) et celui qui se contente simplement d'tre prsent ausacrifice (sattrasad) et d'attendre que la dit fasse tout le travail rel(dvayj)113. Il est mme dit bien souvent que quiconque comprend ces

    choses et accomplit le bon travail, ou mme s'il comprend simplement (sansaccomplir effectivement le rite), restitue la dit dmembre dans sa totalit etson intgrit114 ; c'est par la gnose, et non par les uvres, que l'on peut

    108 RV., VIII, 92, 32 (cf. Platon, Phdon, 62 B, D), V, 85, 8 (galement VII, 19, 7, Indra) et II, 11,1, cf. II, 5, 7 ; X, 12, 1, 10.109Vasor dhr, TS., V, 4, 8, 1, V, 7, 3, 2 ; SB., IX, 3, 2-3 ; AA., II, 1, 2 ; III, 1, 2 ; MU., VI, 37 ;BG., III, 10 f. etc. Cadeaux de noces, PB., VII, 10 ; AB., IV, 27 ; JB., I, 145 ; SB., I, 8, 3, 12, etc.110 RV., VIII, 70, 3.111 AA., II, 2, 3 ; Kaush. Up., III, 1.112 RV.,passim, cf. TS., II, 5, 11, 4, 5 ; BU., IV, 4, 19.113 SB., XI, 2, 6, 13, 14, cf. VIII, 6, 1, 10; MU., VI, 9. Voir aussi mon Atmayajna dans HJAS, 6,1942. Le soi est sacrifi au Soi. Le tmayajna peut tre compar la telle quel'interprte Philon, Spec., I, 248 f., Fug., 115, LA., II, 56.114 SB., X, 4, 3, 24.

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    atteindre cette ralit115. Il ne faut pas non plus perdre de vue que le rite, danslequel est prfigure la fin dernire du sacrificateur, est un exercice de mort, etpar l une entreprise dangereuse, o il pourrait perdre prmaturment la vie.Mais Celui qui comprend passe d'un devoir un autre, comme d'un courant

    dans un autre ou d'un refuge un autre, pour obtenir son bien, le mondecleste116 .Nous ne pouvons dcrire en dtail les dserts et les royaumes du

    Sacrifice, et nous considrerons seulement le moment le plus significatif del'Offrande (Agnihotra), celui o le Soma offert en oblation est rpandu dans leFeu comme dans la bouche de Dieu. Qu'est-ce que le Soma ? Exotriquement,une liqueur enivrante extraite des parties juteuses de plantes varies, mleavec du miel et du lait, filtre, et correspondant l'hydromel, au vin ou au sangdes autres traditions. Ce jus, toutefois, n'est pas le Soma mme jusqu' ce que, moyennant l'action du prtre, l'initiation et les formules, et moyennant lafoi , il ait t fait Soma trans-substantiellement117 ; et, bien que les hommes,

    pressant la plante, s'imaginent boire le Soma vritable, aucun des habitants dela terre ne gote ce que les Brhmanes entendent par Soma 118 . Les plantesutilises ne sont pas la vritable plante du Soma, qui pousse dans les rocherset les montagnes (giri, achman, adri), et auxquels il est incorpor119. C'estseulement dans le royaume de Yama, dans l'autre monde, le troisime ciel, quel'on peut avoir part au Soma proprement dit ; nanmoins, rituliquement etanalogiquement, le sacrificateur boit le Soma dans le banquet des Dieux (sadhamdam devaih somam pibati) et peut dire : Nous avons bu le Soma,nous sommes devenus immortels, nous avons vu la Lumire, nous avonstrouv les Dieux ; que pourrait contre nous l'inimiti ou la tratrise d'un mortel, Immortel120 ? .

    La pacification ou le meurtre du Roi Soma, le Dieu, est appele juste titre l'Oblation Suprme. Encore n'est-ce pas Soma lui-mme qui est tu, mais seulement son mal121 ; c'est effectivement pour le prparer sonintronisation et sa souverainet que le Soma est purifi122. C'est l unexemplaire suivi dans les rites de couronnement (rjasya), et un modledescriptif de la prparation de l'me sa propre autonomie (swarj). Car l'onne doit jamais oublier que le Soma tait le Dragon , et qu'il estsacrificiellement extrait du Dragon comme la sve vivante (rasa) est extraited'un arbre dcortiqu. Ce dveloppement du Soma est dcrit en accord avec largle selon laquelle les Soleils sont des Serpents et qui ont abandonnleurs peaux mortes de reptiles : Comme le serpent de sa peau tenace, le jet

    d'or du Soma jaillit des pousses123

    meurtries la faon d'un coursier quis'lance124 . Pareillement le processus de libration de notre Soi immortel hors

    115 SB., X, 5, 4, 16. Cf. RV., VIII, 70, 3 ; et AA., III, 2, 6 avec la note de Keith.116 SB., XII, 2, 3, 12.117 AB., VII, 31 ; SB., III, 4, 3, 13; XII, 73, 11.118 RV., X, 8, 34.119 RV., V, 43, 4 ; SB., III, 4, 3, 13. Dans le rocher , et non sur le rocher , comme on letraduit souvent de faon errone.120 RV., X, 113, VIII, 48, 3 ; TS., II, 5, 5, 5; III, 2, 5, etc. Le caractre eucharistique du rite estvident. Cf. AB., 1, 22 : Puissions-nous manger de toi, Dieu Dharma , et Math., 26, 26 : Prenez et mangez ; ceci est mon corps .121

    SB., III, 9, 4, 17, 18.122 SB., III, 3, 2, 6.123 PB., XXV, 15, 4.124 RV., IX, 86, 44.

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    de ses enveloppes psycho-physiques (kosha) est un dpouillement descorps125, comme l'on tire un roseau de sa gaine, ou une flche de son carquoispour qu'elle rejoigne sa cible, ou comme un serpent se dpouille de sa peau comme le serpent se dpouille, ainsi se dpouille-t-on de tout son propre

    mal126

    .On saisit mieux maintenant l'identification du Soma avec l'Eau de la Vie,et celle de notre me lmentaire et composite (bhttman) avec les plantes Soma d'o l'lixir royal doit tre extrait127 ; et l'on comprend comment et par qui ce que les Brhmanes entendent par Soma est consomm dans nos curs(hritsu)128. C'est le sang de vie de l'me draconnienne qui offre maintenant sespouvoirs tout quips leur souverain129. Le sacrificateur livre aux flammesl'offrande de ce qui est lui et de ce qu'il est ; vid ainsi de lui-mme 130, ildevient un Dieu131. Quand il abandonne le rite il revient lui-mme, il revient durel l'irrel. Mais, bien qu'il dise alors : Maintenant je suis ce que je suis ,ces mots mmes montrent bien qu'il s'agit l d'une apparence n'ayant qu'une

    ralit temporaire. Il est n de nouveau du Sacrifice, et il n'est pas vraimentabus. Ayant tu son propre Dragon132 , il n'est plus rellement quelqu'un.Luvre a t accomplie une fois pour toutes. Il est parvenu au bout de la routeet au bout du monde, l o le Ciel et la Terre se tiennent embrasss , etpeut ds lors travailler ou jouer son gr. C'est lui que les parolessuivantes s'adressent : Lo tuo piacere omai prende per duce... per ch'io tesopra te corono e mitrio : Prends dsormais ton plaisir pour guide... je tecouronne roi et pape de toi-mme133. Nous qui tions en guerre avec nous-mmes, nous sommes maintenant rintgrs et en paix ; le rebelle a tdompt (dnta) et pacifi (shnta), et, l o les volonts taient en conflit rgnedsormais l'unanimit134.

    125 TS., VII, 4, 9 ; PB., IV, 9, 19-22 ; JUB., I, 15, 3 f. ; III, 30, 2 ; CU., VIII, 13 ; cf. BU., III, 7, 3 f. ;CU., VIII, 12, 1. La conqute de l'immortalit dans le corps est impossible (SB., X, 4, 3, 9 ; JUB.,III, 38, 10, etc.) Cf. Phdon, 67 C : La catharsis (= shuddha karana) est la sparation de l'meet du corps dans toute la mesure o cela est possible .126 SB., II, 5, 2, 47., BU., IV, 4, 7.127 MU., III, 3 f.128 RV., I, 168, 3 ; I, 179, 5 ; cf. X, 107, 9 (antahpyam).129 Cf. Philon, LA., II, 56, rpandre en libation le sang de l'me et offrir en encens l'esprit toutentier Dieu, notre Sauveur et Bienfaiteur .130 SB., III, 8, 1, 2 ; TS., I, 17, 5, 2. Comme c'tait au commencement, RV., X, 90, 5 ; SB., III, 9,1, 2.131 Les Dieux sont vritables, ou rels (satyam), les hommes faux et irrels (anritam), AB., I, 6 ;

    SB., I, 1, 1, 4 ; III, 9, 4, 1, etc. (les universaux sont rels, les particuliers irrels). Le sacrificateuriniti est sorti de ce monde et est temporairement un Dieu. Agni ou Indra (SB., III, 3, 10, etc. Cf.Philon, Heres, 84, ce n'est pas un homme quand il est dans le Saint des Saints ) ; et, s'il nese munissait pas pour le retour au monde des hommes, il serait en danger de mourirprmaturment (TS., I, 7, 6, 6, etc.), C'est pourquoi il est pourvu la redescente (TS., VII, 3, 10,4; PB., XVIII, 10, 10 ; AB., IV, 21) ; et c'est en revenant au monde humain, au monde d'irralitet de mensonge, en redevenant cet homme-ci, Un Tel, une fois encore, qu'il dit : Maintenant jesuis celui que je suis (aham ya vsmi so'smi, SB., I, 9, 3, 23 ; AB., VII, 24) ; aveu tragiqued'tre conscient une fois encore d'une vie toujours limite, toujours corporelle et terrestre (Macdonald, Phantastes, 1858, p. 317). Car il ne peut y avoir de plus grande douleur que depercevoir que nous sommes encore ce que nous sommes (Cloud of unknowing, ch. XLIV). Iln'y a pas de plus grand crime que ton tre (Shams-i-Talviz).132 TS., II, 5, 4, 4.133

    Purgatorio, XXVII, 131, 142.134 BG., VI, 7, Jittmanah prashntasya paramtm samdhitah : Le Suprme Soi du soiindividuel est apais (samhitah = en samdhi ) quand ce dernier a t conquis etpacifi. Cf. Dh., 103-105 kam cha jyya attnam sa v sangma-juttamo... att hav jitam...

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    Nous ne pouvons faire qu'une trs rapide allusion un autre aspect trssignificatif du Sacrifice ; la rconciliation que le Sacrifice tablit constammententre les pouvoirs en conflit est aussi leur mariage. Il y a plus d'une manire de tuer le Dragon ; la flche du Tueur de Dragon (vajra) tant en fait un trait de

    lumire, et le pouvoir gnsique tant lumire , sa signification n'est passeulement guerrire mais aussi phallique135. C'est la bataille d'amour, qui estgagne quand le Dragon expire . En tant que Dragon, le Soma est identifi la Lune ; en tant qu'lixir, la Lune devient la nourriture du Soleil, qui l'avaledurant les nuits de leur cohabitation (amvsya) : Ce qui est mang estnomm du nom du mangeur, et non par son propre nom 136 ; en d'autrestermes, qui dit ingestion dit assimilation. Selon les paroles de Matre Eckhart l l'me s'unit Dieu comme l'aliment l'homme, devenant il dans lil,oreille dans l'oreille ; ainsi en Dieu l'me devient Dieu ; car je suis ce quim'absorbe, plutt que moi-mme137 . Comme le Soleil engloutit l'Aube oudvore la Lune dans le Monde extrieur et visible, chaque jour et chaque mois,

    en nous se consomme le mariage divin quand les entits solaire et lunaire delil droit et de lil gauche, Eros et Psych, la Mort et la Dame, entrent dansla caverne du cur, s'y unissent comme l'homme et la femme sont unis dans lemariage humain ; c'est l leur suprme batitude138 . Dans cette synthseextatique (samdhi), le Soi a retrouv sa condition primordiale, celle d'unhomme et d'une femme troitement embrasss139 , au-del de touteconscience d'une distinction entre un dedans et un dehors140. Tu es Cela .

    Il n'est pas tonnant alors de lire que si quelqu'un sacrifie sansconnatre cette offrande intrieure, c'est comme s'il jetait les brandons de ctet faisait l'oblation dans la cendre141 . Rien d'tonnant non plus ce que le ritene soit pas seulement saisonnier mais qu'il demande tre accompli tous les

    trente-six mille jours d'une vie de cent ans142

    , et que, pour celui qui comprendcela, tous les pouvoirs de l'me difient sans cesse son Feu, mme quand ildort143.

    n'vadvo... apajitam kayira... bhvit'attnam. Celui qui gagne cette bataille (psychomachie,jihad) est le vritable Conqurant (jina). Observer que pacifier est littralement procurer lerepos. Shnti, la paix , n'est pas pour un soi qui ne veut pas mourir. La racine sham se trouveaussi dans shamayitri, le boucher