A. Leroi-Gourhan, 1974. Les voies de l’histoire avant l’écriture_extraits

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/7/2019 A. Leroi-Gourhan, 1974. Les voies de lhistoire avant lcriture_extraits

    1/1

    Si l'on considre le document prhistorique non plus comme un calendrier mais comme un texte, l'activit essentielle de larecherche n'est plus dans la rflexion interprtative sur des objets dment rcuprs dans leur ordre stratigraphique, mais dansla lecture du document que constitue la surface dvoile par la fouille, document phmre, amalgame de poussire, de pierres,de dbris d'os dont la valeur fondamentale ne rside que dans les rapports mutuels des lments qui le composent. Le texte vautce qu'a valu le travail de prparation du manuscrit et l'interprtation vaudra ce que valait le texte ; en d'autres termes, la surfacede sol mise au jour parlera dans la mesure o le chercheur aura su la rendre lisible et, une fois le document inexorablementdtruit, on ne pourra en tirer plus que ce que la dissection minutieuse aura su mettre en tat d'tre enregistr. L'avenir de touterecherche sur un site prhistorique (invitablement ananti par la fouille) repose donc sur l'action personnelle du chercheur etsur un enregistrement qui a pour premier but d'tre exhaustif, intgral dans les trois dimensions, par consquent stratigraphiecomprise.Il n'est pas dans le prsent propos de dtailler les techniques d'enregistrement : plans, relevs photographiques intgraux, desurfaces sur lesquelles le dcapage a conduit une prsentation claire de tous les vestiges en place, moulages complets oupartiels des structures, reprage et marquage de tous les vestiges sont les moyens normaux mettre en jeu, mais c'est auchercheur qu'il revient d'improviser les procds propres ne laisser chapper aucun lment de documentation possible.Le prhistorien, par consquent, passe de la mditation verticale la mditation horizontale, il concentre son activit principalesur la recherche de l'homme dans son chez-soi vanoui. Il importe au fond assez peu qu'il s'agisse de faire revivre l'intimitdomestique d'une famille paysanne du VIe millnaire ou celle d'une famille d'Australanthropes chasseurs d'antilopes sur lesconfins du million d'annes. Il serait au mme titre aussi passionnant sur le plan de la connaissance d'ausculter les vestigesd'une maison rurale du XVIIIe sicle.Pour les temps hors de l'criture une certaine manire d'aborder les problmes peut seule autoriser une exploitation maximalede l'information enfouie, cette manire est de considrer la recherche des rapports comme plus importante que la recherche desobjets. Il serait peut-tre excessif de dire que la recherche des crnes d'anctres possibles ou celle des objets d'art et de curiositsont dnues d'intrt, mais lorsqu'on songe au massacre de l'information scientifique et la perte de signification qu'ont subiles trsors eux-mmes dans beaucoup de fouilles d'intention pourtant scientifique, on se prend rver d'une archologiequi chercherait posment sur place ce que les dbris les plus modiques veulent bien encore dire et qui recevrait les richestrouvailles comme un surcrot rehauss par la comprhension des rapports entre tout et tout.Cette recherche des rapports totaux reconduit l'excution de la fouille, l'enregistrement des surfaces mises au jour et l'exploitation des sources ainsi constitues. Mais la partie la plus personnelle des recherches d'analyse culturelle prhistoriqueporte sur les structures. C'est un domaine auquel on ne trouve accs qu' travers la dissection du sol et l'enregistrement total. Iciencore l'innovation n'est pas totale et il y a beau temps que les fouilleurs parlent de structures en place ou de tmoins insitu , c'est seulement le degr d'application qui a chang la nature des choses. Il a suffi de prendre les archologues(prhistoriques ou historiques) au mot et d'imaginer un "en place" intgral en perfectionnant d'abord la dissection qui ne peutsouffrir aucun dplacement des tmoins au cours d'un travail qui s'apparente beaucoup plus la sculpture qu'au terrassement.La premire consquence de cette position de principe a t de porter le prhistorien se poser une foule de questions qui nelui taient jamais venues l'esprit, sur la nature des traces que peut avoir laiss la prsence de l'homme aprs qu'il ait disparu,polissage lger provoqu par ses pieds la surface des cailloux, place qu'il occupait lorsqu'il taillait les bois de renne, menusindices qui dvoilent les contours de son abri. Il a t pouss prendre conscience de l'existence du caractre "en place" et parconsquent informateur du plus petit vestige. Plus encore, il a pris conscience du fait qu'au-del des structures videntes quesont les alignements de trous d'implantation de poteaux, les foyers ou les amoncellements d'ossements, il existait des structureslatentes qui ne pouvaient pas tre normalement perues au cours de la fouille et dont il fallait par consquent emmagasiner leslments pour les soumettre une analyse ultrieure.La terminologie des structures n'a jusqu' prsent presque fait l'objet que d'affirmations. En effet, les termes qui, depuislongtemps, dsignent des structures qui ne sont apparues le plus souvent au chercheur que dans ses coupes stratigraphiquessont extraordinairement pauvres et imprcis. Trou de poteau, fond de cabane, foyer, dallage, dpt rituel, silo... sont desmots qui ne correspondent qu'occasionnellement aux structures qu'ils prtendent dcrire ; on y croit plus ou moins mais ilssubsistent, bouchant l'horizon des hypothses. Un amas de matire charbonneuse peut effectivement tre un foyer, ce qui enfait le plus souvent le tmoin privilgi d'une habitation, mais il peut tre aussi le rsultat d'un balayage domestique, unepoubelle, ce qui risque de correspondre plutt un dpotoir qu' une surface de repos. Analysant le vocabulaire qui sert dfinir les structures, on s'aperoit que la premire hypothse qui surgit la pense du fouilleur traditionnel sur la fonction dela chose rencontre non seulement cristallise la curiosit du fouilleur lui-mme et le dispense de penser plus loin mais bloque peu prs compltement l'avenir de sa contribution scientifique, faute de disposer des lments de critique qui lui ont chapp.De sorte que la terminologie des structures est plutt crer qu' refondre. La confusion tient ce que le chercheur a trouvnaturel de dnommer ce qui n'tait qu'une structure encore anonyme en usant des mots qui auraient d surgir la fin du circuitd'analyse pour identifier une entit fonctionnelle. C'est pourquoi on semble depuis peu d'annes prouver la ncessit deconstituer un vocabulaire d' attente qui soit appropri la description des structures et qui rserve la possibilit de ne lescompromettre fonctionnellement que le plus tard possible. Une nappe continue de vestiges lithiques et osseux borde d'unct par un espace tmoins rarfis ne devient zone d'vacuation domestique que lorsqu'il est dmontr que soncontenu est compos de dchets et qu'elle est borde, de l'autre ct, par une unit d'habitation dont la dtermination estpasse elle aussi par toute une srie de termes d'attente et qui aura peut-tre encore patienter plusieurs annes avant que lacoordination des donnes en fasse une tente ou une hutte indiscutables.L'ide que dans un site bien choisi un mtre cube fouill exhaustivement rapporte nettement plus d'informations que centmtres cubes de terrain explors pour la rcupration des objets n'est pas encore uniformment acquise.

    A. Leroi-Gourhan, 1974. Les voies de lhistoire avant lcriture, in J. Le Goff et P. Nora (ed .), Faire de lhistoire. Nouveaux problmes . Paris, Gallimard NRF, p. 93-105. (extraits).