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Extrait de la publication… · L'histoire conceptualisante, Paul Veyne Les voies de l'histoire avant l'écriture, André Leroi-Gourhan L'histoire des peuples sans histoire, Henri

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© Éditions Gallimard, IQ74-

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PLAN GÉNÉRAL DE L'OUVRAGE

Présentation de Jacques Le Goff et Pierre Nora

PREMIÈRE PARTIE

NOUVEAUX PROBLÈMES

L'opération historique, Michel de CerteauLe quantitatifen histoire, François FuretL'histoire conceptualisante, Paul VeyneLes voies de l'histoire

avant l'écriture, André Leroi-GourhanL'histoire des peuples sans histoire, Henri MoniotL'acculturation, Nathan WachtelHistoire sociale et idéologie des sociétés, Georges DubyHistoire marxiste, histoire en construction, Pierre VilarLe retour de l'événement, Pierre Nora

DEUXIÈME PARTIE

NOUVELLES APPROCHES

L'archéologie, Alain SchnappL'économie

Les crises économiques, Jean BouvierDépassement et prospective, Pierre Chaunu

La démographie, André Burguière

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La religion:Anthropologie religieuse, Alphonse DuprontHistoire religieuse, Dominique Julia

La littérature, Jean StarobinskiL'art, Henri ZernerLes sciences, Michel SerresLa politique, Jacques Julliard

TROISIÈME PARTIE

NOUVEAUX OBJETS

Le climat: l'histoire de la pluieet du beau temps, Emmanuel Le Roy Ladurie

L'inconscient: l'épisode de la prostituéedans Que faire? et dans Le Sous-sol, Alain Besançon

Le mythe Orphée au miel, Marcel DetienneLes mentalités: une histoire ambiguë Jacques Le GoffLa langue: linguistique et histoire, Jean-Claude ChevalierLe livre un changement

de perspective, Roger Charlier et Daniel RocheLes jeunes

le cru, l'enfant grec et le cuit, Pierre Vidal-NaquetLe corps l'homme malade

et son histoire, Jean-Pierre Peter et Jacques RevelLa cuisine: un menu au xixe siècle, Jean-Paul AronL'opinion publique: apologie

pour les sondages, Jacques OzoufLe film une contre-analyse de la société, Marc FerroLa fête sous la Révolution française, Mona Ozouf

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PRÉSENTATION

Au titre donné (en l'empruntant 1) à cet ouvrage, on compren-dra d'entrée de jeu ce qu'il n'est pas.

Il n'est pas un panorama de l'histoire actuelle. D'abord parcequ'il n'a pas l'ambition de donner un aperçu complet de la pro-duction historique ni du champ de l'histoire. Le domaine histo-rique aujourd'hui est sans limites et son expansion s'opère selondes lignes ou des zones de pénétration qui laissent entre elles desespaces épuisés ou en friche; seules nous ont retenus les avancées,déjà pratiquées par beaucoup d'historiens, dont quelques-uns seu-lement témoignent ici. Ensuite parce qu'il n'est pas non plus unregard jeté de l'extérieur sur la production historique, mais unacte engagé dans la ré flexion et la recherche des historiens.

Œuvre collective et diverse, il prétend pourtant illustrer et pro-mouvoir un type nouveau d'histoire. Non pas celle d'une équipeou d'une école. Si l'on retrouvera chez les auteurs ou dans l'espritde l'ouvrage la marque souvent de la prétendue école des « Annales »,c'est que l'histoire nouvelle doit beaucoup à Marc Bloch, àLucienF'ebvre, à Fernand Braudel et à ceux qui les continuent dans l'inno-vation, mais il n'y a ici aucune orthodoxie fût-ce la plus ouverte.

Dans un ouvrage qui cherche à fuir les limitations et les partispris, on s'étonnera de ne rencontrer à une exception prèsqui est à peine une exception que des auteurs français. Bienque les historiens français aient un rôle capital dans le renou-vellement de l'histoire et qu'ainsi notre choix soit en partiejustifié, il serait paradoxal qu'un ouvrage dont l'esprit s'efforce

i. Cf. Michel de Certeau,« Faire de l'histoire', in Recherche» de tcieneereligieuse, t. LVIII, 1g7o, pp. 48i-52o.

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Présentation

de tourner le dos à l'européocentrisme qui a trop marqué l'histoired'hier soit tombé dans le piège du nationalisme. Un souci decohérence nous a guidés. Quoique venus d'horizons divers etappartenant à des générations différentes, les membres de l'équiperéunie ici trahissent la convergence de formations, de préoccupa-tions, de visées voisines.

Dans une collection qui se réclame de l'émiettement actuel del'histoire et prend acte de la coexistence de types d'histoire égale-ment valables, on n'a cependant pas cherché ici à justifier ledisparate par la juxtaposition d'échantillons de ces diverseshistoires, on a au contraire voulu montrer les articulations entreles voies de la recherche historique aujourd'hui. Les disciplinesde base de la science actuelle connaissent une profonde mutation,les techniques intellectuelles fondamentales subissent un boule-versement décisif. La linguistique, les mathématiques vivantessont celles que l'on appelle modernes, et l'épithète étant refuséeà l'histoire parce qu'elle désigne traditionnellement une périodeet non un type d'histoire, il y a pareillement une histoire nouvelle.Celle qu'on veut présenter ici.

La nouveauté nous paraît tenir à trois processus: de nouveauxproblèmes remettent en cause l'histoire elle-même; de nouvellesapproches modifient, enrichissent, bouleversent les secteurs tra-ditionnels de l'histoire; de nouveaux objets en fin apparaissentdans le champ épistémologique de l'histoire.

Ce qui force l'histoire à se redéfinir, c'est d'abord la prise deconscience par les historiens du relativisme de leur science. Ellen'est pas l'absolu des historiens du passé, providentialistes oupositivistes, mais le produit d'une situation, d'une histoire. Cecaractère singulier d'une science qui n'a qu'un seul terme pourson objet et pour elle-même, qui oscille entre l'histoire vécue etl'histoire construite, subie et fabriquée, oblige les historiensdevenus conscients de ce rapport original à s'interroger à nouveausur les fondements épistémologiques de leur discipline.

L'histoire subit aussi l'agression des sciences sociales où laquanti fication est reine comme la démographie ou l'économie.Elle devient le laboratoire d'expérimentation des hypothèses deces disciplines. Elle doit abandonner l'impressionnisme pour larigueur statistique et se reconstruire à partir des données dénom-brables, quantifiables, de la documentation. Il ne s'agit pas pourelle, se faisant, de se détacher d'un humanisme fondé depuis leMoyen Age, sinon l'Antiquité grecque, sur le qualitatif, maisd'évaluer les pro fits et les risques d'une subordination au mesu-

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rable qui peut comporter autant d'appauvrissements et de mutila-tions que de consolidations et d'enrichissements.

L'histoire nouvelle, qui récuse plus résolument que jamais laphilosophie de l'histoire et ne se reconnaît ni en Vico, ni en Hegel,ni en Croce, ni encore moins en Toynbee, ne se contente plus,pourtant, des illusions de l'histoire positiviste et, par-delà lacritique décisive du fait ou de l'événement historiques, se tournevers une tendance conceptualisante qui risque de l'entraîner versautre chose qu'elle-même, qu'il s'agisse des finalités marxistes,des abstractions wébériennes ou des intemporalités structuralistes.

Ici perce la provocation majeure à laquelle doit répondre l'his-toire nouvelle, celle des autres sciences humaines. Le champqu'elle occupait seule comme système d'explication des sociétéspar le temps est envahi par d'autres sciences aux frontières maldé finies qui risquent de l'aspirer et de la dissoudre. L'ethnologieexerce ici l'attraction la plus séduisante et, récusant la primautéde l'écrit et la tyrannie de l'événement, tire l'histoire vers l'his-toire lente, presque immobile, de la longue durée braudélienne.Elle renforce la tendance de l'histoire à s'en foncer au niveau duquotidien, de l'ordinaire, des « petits ».

Les systèmes les plus assurés d'explication historique sontremis en cause par cette dilatation du champ de l'histoire. La plusglobale et la plus cohérente des visions synthétiques de l'histoire

au double sens du mot le marxisme, subit l'assaut desnouvelles sciences humaines. L'histoire sociale se prolonge dansl'histoire des représentations sociales, des idéologies, des menta-lités. Elle y découvre un jeu complexe d'interactions et de déca-lages qui rend impossible un recours simpliste aux notionsd'infrastructure et de superstructure.

Enfin la provocation la plus grave in fligée à l'histoire tradi-tionnelle est sans doute celle qu'ébauche la nouvelle conceptiond'une histoire contemporaine, qui se cherche à travers les notionsd'histoire immédiate ou d'histoire du présent qui, re fusant deréduire le présent à un passé inchoatif, remet en cause la défini-tion bien établie de l'histoire comme science du passé.

A côté de ces contestations majeures, l'histoire nouvelle se faitpar des approfondissements ou des enrichissements qui ne remet-tent pas en cause la problématique fondamentale de certainssecteurs historiques. Il s'agit presque toujours d'une tendancedes objets de ces histoires partielles à se constituer en totalités.L'archéologie moderne transforme la fouille en grille de lecturede systèmes d'objets. L'histoire économique se noue autour denotions comme celle de crises qui permettent de retrouver, à tra-vers la conjoncture, l'agencement et le mécanisme d'un- ensemble.Ou encore elle se dépasse par l'intégration de l'histoire économi-

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que sérielle à une globalité où interfèrent le politique, le psycho-logique, le culturel. De même, l'histoire démographique compliqueses modèles en les replaçant dans des ensembles de mentalitéset de systèmes culturels. L'histoire religieuse, l'histoire litté-raire, l'histoire des sciences, l'histoire politique, l'histoire del'art basculent également vers une histoire totale en focalisantsur des concepts globalisants le sacré, le texte, le code, le pouvoir,le monument.

Enfin, l'histoire s'affirme comme nouvelle en s'annexant denouveaux objets qui échappaient jusqu'ici à sa prise et demeu-raient hors de son territoire. La boulimie actuelle de l'histoire

aurait pu nous conduire à multiplier les exemples. Tout en regret-tant de n'avoir pu présenter des objets typiques des nouveauxappétits de l'histoire, on s'est limité à un échantillonnage signi-ficatif. Ont été donc retenus quelques objets paradoxaux soit parleur apparente intemporalité tels que le climat, le corps, le mythe,la fête; soit par leur pente vers l'histoire immobile ou enfouie: lamentalité, les jeunes; soit par leurs liens avec des sciences nouvelleset leur détournement vers l'histoire l'inconscient de la psycha-nalyse, la langue de la linguistique moderne, l'image cinéma-tographique, les sondages d'opinion publique; soit par leurtrivialité nouvellement promue à l'histoire: la cuisine, qui témoi-gne à la fois pour deux secteurs d'importance grandissante dansle champ de l'histoire, celui de la civilisation matérielle et celuides techniques; soit en fin par le scandaleux renversement d'opti-que qu'on leur inflige le livre, considéré comme un produit demasse et non comme production d'élite, exemple particulier dela révolution quantitative en histoire.

On pourrait conclure de cette brève présentation que l'histoirenouvelle est une victime des autres sciences humaines dont elle

subirait l'agression envahissante et destructrice. Y a-t-il encoreun territoire de l'historien? L'histoire fait-elle illusion parcequ'elle s'annexe par dé finition le domaine d'expérimentation del'humain, le temps?Par-delà la diversité des histoires coexis-tantes, y a-t-il encore une Histoire, l'Histoire?a

L'histoire cet ouvrage doit le manifester connaît pour-tant aujourd'hui une dilatation inouïe et, de sa confrontationavec les sciences sœurs, sort presque toujours retrouvée grâce à lasolidité de ses méthodes éprouvées, à son ancrage dans la chrono-logie, à sa réalité. Si un danger la menace, c'est plutôt de se perdredans cet aventurisme souvent trop heureux. On peut se demandersi le temps des ouvertures que cet ouvrage voudrait montrer

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dans sa triomphante conquête ne va pas céder la place à untemps du re flux et de la redéfinition discrète. Le progrès dessciences se fait par la coupure autant, sinon plus, que par l'exten-sion. L'histoire attend peut-être son Saussure.

L'histoire nouvelle, on doit le sentir ici, s'affirme en tout casdans la conscience de sa sujétion à ses conditions de production.Ce n'est pas sans raison qu'elle s'intéresse de plus en plus àelle-même et accorde une place de plus en plus grande et privilégiéeà l'histoire de l'histoire. Produit, elle s'interroge aussi sur sonproducteur, l'historien. Ce défricheur, cet aventurier, ce conqué-rant qu'est l'historien moderne est mal à l'aise dans sa peau.De plus en plus spécialisé, il n'a pourtant pas atteint une techni-cité qui, d'une part, le mette à l'abri de la promiscuité des vulga-risateurs de bas étage, des plumitifs de l'historiette, et, de l'autre,le hisse au prestige des nouveaux héros scientifiques du secondXXe siècle, ceux qui manient l'atome, la formule magique, ceuxque couronne le prix Nobel. Il ne peut plus être Michelet,modèle désespérant par le haut et par le bas, géant aux piedsd'argile; il ne peut être (encore?) Einstein. Homme de métier(Marc Bloch en a fait un programme), il est toujours trop etplus assez un homme de l'art.

Mais l'essentiel n'est pas aujourd'hui de rêver à un prestiged'hier ou de demain. Il est de savoir faire l'histoire dont aujour-d'hui a besoin. Science de la maîtrise du passé et consciencedu temps, elle doit encore se dé finir comme science du changement,de la transformation. C'est pourquoi cet ouvrage veut être pluset autre chose qu'un bilan, un diagnostic de la situation de l'his-toire au cœur de notre présent. Il veut montrer les voies où s'engageet doit s'engager l'histoire à venir. Et plus encore que la manièredont on fait de l'histoire, il ambitionne d'éclairer l'histoire à faire.

Jacques Le Goff et Pierre Nora.

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Première partie

NOUVEAUX PROBLÈMES

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L'opération historique

PAR

MICHEL DE CERTEAU

Que fabrique l'historien, lorsqu'il « fait de l'histoire »? A quoitravaille-t-il? Que produit-il? Interrompant sa déambulationérudite dans les salles d'Archives, il se détache un moment del'étude monumentale qui le classera parmi ses pairs et, sortidans la rue, il se demande Qu'est-ce que ce métier? Je m'inter-roge sur l'énigmatique relation que j'entretiens avec la sociétéprésente et avec la mort, par la médiation d'activités techniques.

Certes, il n'y a pas de considérations, si générales qu'ellessoient, ni de lectures, si loin qu'on les étende, capables d'effacerla particularité de la place d'où je parle et du domaine où jepoursuis une investigation. Cette marque est indélébile. Dansle discours où je mets en scène des questions globales, elle aurala forme de l'idiotisme: mon patois figure mon rapport à un lieu.

Mais le geste qui ramène les « idées » à des lieux est précisé-ment un geste d'historien. Comprendre, pour lui, c'est analyseren termes de productions localisables le matériau que chaqueméthode a d'abord instauré d'après ses propres critères depertinence Quand l'histoiredevient, pour le praticien,l'objet même de sa réflexion, peut-il inverser le processus decompréhension qui rapporte un produit à un lieu? Il seraitdonc un fugueur, il céderait à un alibi idéologique si, pourétablir le statut de son travail, il recourait à un ailleurs philo-sophique, à une vérité formée et reçue en dehors des voies parlesquelles, en histoire, tout système de pensée est référé à des« lieux » sociaux, économiques, culturels, etc. Pareille dichoto-mie entre ce qu'il fait et ce qu'il en dirait servirait d'ailleursl'idéologie régnante en la protégeant de la pratique effective.Elle vouerait aussi les expériences de l'historien à un somnan-

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Nouveaux problèmes

bulisme théorique. Bien plus, en histoire comme ailleurs, unepratique sans théorie verse nécessairement, un jour ou l'autre,dans le dogmatisme de « valeurs éternelles » ou dans l'apologied'un « intemporel ». Le soupçon ne saurait s'étendre à touteanalyse théorique.

Dans ce secteur, Serge Moscovici, Michel Foucault, PaulVeyne, d'autres encore, attestent un réveil épistémologique s. Ilmanifeste en France une urgence nouvelle. Mais seule est rece-vable la théorie qui articule une pratique, à savoir la théoriequi, d'une part, ouvre les pratiques sur l'espace d'une société,et qui, d'autre part, organise les procédures propres à une dis-cipline. Envisager l'histoire comme une opération, ce sera tenter,sur un mode nécessairement limité, de la comprendre comme lerapport entre une place (un recrutement, un milieu, un métier,etc.) et des procédures d'analyse (une discipline). C'est admettrequ'elle fait partie de la « réalité » dont elle traite, et que cetteréalité peut être saisie « en tant qu'activité humaine », « entant que pratique »*.Dans cette perspective, je voudraismontrer que l'opération historique se réfère à la combinaisond'un lieu social et de pratiques « scientifiquess ». Cette analysedes préalables dont le discours ne parle pas permettra de pré-ciser les lois silencieuses qui circonscrivent l'espace de l'opéra-tion historique. L'écriture historique se construit en fonctionde cet espace dont elle semble inverser l'organisation elleobéit en effet à des règles propres qui demandent à être exami-nées pour elles-mêmes, objet d'une autre étude.

I. UN LIEU SOCIAL

Toute recherche historiographique s'articule sur un lieude production socio-économique, politique et culturel. Elleimplique un milieu d'élaboration que circonscrivent des déter-minations propres une profession libérale, un poste d'obser-vation ou d'enseignement, une catégorie de lettrés, etc. Elleest donc soumise à des contraintes, liée à des privilèges, enraci-née dans une particularité. C'est en fonction de cette placeque des méthodes s'instaurent, qu'une topographie d'intérêtsse précise, que des dossiers et des questions à poser aux docu-ments s'organisent.

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L'opération historique

i. Le non-dit

Il y a quarante ans, une première critique du « scientisme »a dévoilé dans l'histoire « objective son rapport à une place,celle du sujet. En analysant une « dissolution de l'objet »(R. Aron), elle a retiré à l'histoire le privilège dont elle setarguait quand elle prétendait reconstituer la « vérité » de cequi s'était passé. L'histoire « objective maintenait d'ailleurs,avec cette idée d'une « vérité », un modèle tiré de la philoso-phie d'hier ou de la théologie d'avant-hier; elle se contentaitde la traduire en termes de « faits » historiques. Les beauxjours de ce positivisme sont bien finis.

Depuis, c'est le temps de la méfiance. On a montré que touteinterprétation historique dépend d'un système de référence;que ce système demeure une « philosophie implicite particu-lière que, s'infiltrant dans le travail d'analyse, l'organisant àson insu, il renvoie à la « subjectivité » de l'auteur. En vulgari-sant les thèmes de l' « historisme » allemand, Raymond Aron aenseigné à toute une génération l'art de pointer les « décisionsphilosophiques » en fonction desquelles s'organisent les décou-pages d'un matériau, les codes de son déchiffrement et l'ordon-nance de l'exposé 8. Cette « critique » représentait un effortthéorique. Elle marquait une étape importante par rapportà une situation française où prévalaient les recherches posi-tives et où régnait le scepticisme à l'égard des « typologies »allemandes. Elle exhumait l'inavoué et le préalable philoso-phiques de l'historiographie du xixe siècle. Elle renvoyaitdéjà à une circulation des concepts, c'est-à-dire aux déplace-ments qui, tout au long de ce siècle, avaient transporté lescatégories philosophiques dans les sous-sols de l'histoire commeen ceux de l'exégèse ou de la sociologie.

Maintenant, nous connaissons la leçon sur le bout du doigt.Les « faits historiques sont déjà constitués par l'introductiond'un sens dans l' « objectivité ». Ils énoncent, dans le langage del'analyse, des « choix » qui lui sont antérieurs, qui ne résultentdonc pas de l'observation et qui ne sont pas même « véri-fiables » mais seulement « falsifiables » grâce à un examen cri-tique 7. La « relativité historique » compose ainsi un tableau où,sur le fond d'une totalité de l'histoire, se détache une multi-plicité de philosophies individuelles, celles de penseurs quis'habillent en historiens.

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Nouveaux problèmes

Le retour aux « décisions » personnelles s'effectuait sur labase de deux postulats. D'une part, en isolant du texte histo-riographique un élément philosophique, on supposait à l'idéo-logie une autonomie: c'était la condition de son extraction. Unordre des idées était mis à part de la pratique historique. Parailleurs (mais les deux opérations vont de pair), en soulignantles divergences entre les « philosophes » qu'on découvrait sousleurs habits d'historiens, en se référant à l'insondable de leursriches intuitions, on faisait de ces penseurs un groupe isolable deleur société au titre de leur rapport direct à la pensée. Le recoursaux options personnelles court-circuitait le rôle exercé sur desidées par des localisations sociales 8. Le pluriel de ces subjecti-vités philosophiques avait dès lors pour effet discret de conser-ver à des intellectuels une position singulière. Les questions desens étant traitées entre eux, l'explicitation de leurs différencesde pensée en venait à gratifier le groupe entier d'une relationprivilégiée avec les idées. Rien des bruits d'une fabrication,de techniques, de contraintes sociales, de positions profession-nelles ou politiques ne troublait la paix de cette relation unsilence était le postulat de cette épistémologie.

R. Aron établissait dans un statut réservé tant le règne desidées que le royaume des intellectuels. La « relativité » ne jouaitqu'à l'intérieur de ce champ clos. Bien loin de le mettre en cause,en fait elle le défendait. Appuyées sur la distinction wéberiennedu savant et du politique 9, ces thèses démolissaient une pré-tention du savoir, mais elles renforçaient le pouvoir « excepté »des savants. Une place était mise hors de portée au moment oùl'on montrait la fragilité de ce qui s'y produisait. Le privilègeenlevé à des ouvrages contrôlables revenait à un groupeincontrôlable.

Les travaux les plus remarquables sur l'histoire semblent,aujourd'hui encore, se détacher difficilement de la position trèsforte que R. Aron avait prise en substituant le privilège silen-cieux d'un lieu à celui, triomphant et discutable, d'un produit.Alors que Michel Foucault dénie toute référence à la subjecti-vité ou à la « pensée » d'un auteur, il supposait encore, dans sespremiers livres 10, l'autonomie du lieu théorique où se dévelop-pent, dans son « récit », les lois selon lesquelles des discoursscientifiques se forment et se combinent en systèmes globaux.L'Archéologie du savoir (1969) marque une rupture, à cet égard,en introduisant à la fois les techniques d'une discipline et les

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