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Folia Psychiatrica et Neurologica Japonica vo1.16, No. 3, 1962. A PROPOS DES PSYCHOSES ATYPIQUES ENDOGENES Par T. Miura Clinique de Neuro-psychiatrie, Facultd de Mddecine de 1’Universitd Keio, Tokyo (Directeur : Prof. T. Miura) Je voudrais participer P ce symposium comme discuteur, surtout dans la partie d’introduction, c-P-d, dans le problbme de la signification et de la delimitation des psychoses atypiques endogenes. Tout d’abord je dois dire qu’ici le mot psychoses atypiques endogenes ne vise que des troubles psychosiques tels que l’on hbite si l’on peut faire entrer ou dans la psychose maniaco-dkpressive, ou dans la schizo- phrCnie. Grossierement dite, il s’agit des cas dont les symptomatologies ressemb- lent plut6t P celles de la schizophrknie avec l’abondance des hallucinations et des dClires polymorphes, mais dont l’evolution indique dans la plupart des cas celle de psychose maniaco-depressive. Ce sont des Ctats hallucinatoires et dClirants aigus sans ancune cause dkterminante organique ou toxi-infectieuse Cvidente (donc endogene). Ilest connu depuis longtemps que de tels cas existent parfois malgrC la classification systkmatique de Kraepelin qui distinguait un peu trop thbriquement deux grands groupes des psychoses endogbnes, l’un la dCmence prCcoce et l’autre, la psychose maniaco-dkpressive. Plusieurs mots, ou termes ont CtC donnb B ces ktats pathologiques de la vie psychique. Dans la sphere de la psychiatrie alleman- de: Mischpsychose (Gaupp) , Degenerationspsychose (Kleist) , akute Schizophrenie, periodische Katatonie (Schizophrenie) , oneiroide Zustande (Mayer-Gross) etc, etc. Dans la psychiatrie francaise : folie circulaire, folie pCriodique, bouffkes dClirantes et hallucinatoires polymorphes (Magnan) etc, etc. Mais il me semble qu’on n’est arrivC P aucune conclusion ou P aucun accord dans l’interprktation de ces Ctats oneiroidesen rapport de leur dCfinition et de la nature CtiopathogCnique. On sait bien que depuis quelques a nnh un mouvement rkctificateur de la nosographie trop rigide de Kraepelin et de E. Bleuler sur les psychoses endogbnes commence avec Leonhard, Langfeld et Rumke, mhme dans le domaine limit6 de la psychiatrie germanique. Ainsi on parle de la schizophrknie genuine et la psychose schizophrk- niforme (Langfeld) , la schizophrbnie vraie et la pseudoschizophrknie (Riimke) , la phasophrknie (Leonhard) et l’oneirophrknie (Meduna) . Une chose curieuse est que dans la psychiatrie francaise le dkbat et la discussion concernant l’appartenance de ces Ctats psychosiques P telle ou telle entit6 morbide psychiatrique semblent &re moins acharnkes qu’en psychiatrie allemande, quoique de temps en temps nous voyons les articles tres interessants B ce propos, par example, celui de Rouart et de Petit. Dans le 3 eme Congrbs mondial de Psychiatrie B MontrCal il y avait un symposium sur les psychoses Accept6 pour publication, le 10 Juillet, 1962

A PROPOS DES PSYCHOSES ATYPIQUES ENDOGENES

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Folia Psychiatrica et Neurologica Japonica vo1.16, No. 3, 1962.

A PROPOS DES PSYCHOSES ATYPIQUES ENDOGENES

Par T. Miura

Clinique de Neuro-psychiatrie, Facultd de Mddecine de 1’Universitd Keio, Tokyo (Directeur : Prof. T. Miura)

Je voudrais participer P ce symposium comme discuteur, surtout dans la partie d’introduction, c-P-d, dans le problbme de la signification et de la delimitation des psychoses atypiques endogenes. Tout d’abord je dois dire qu’ici le mot psychoses atypiques endogenes ” ne vise que des troubles psychosiques tels que l’on hbite si l’on peut faire entrer ou dans la psychose maniaco-dkpressive, ou dans la schizo- phrCnie. Grossierement dite, il s’agit des cas dont les symptomatologies ressemb- lent plut6t P celles de la schizophrknie avec l’abondance des hallucinations et des dClires polymorphes, mais dont l’evolution indique dans la plupart des cas celle de psychose maniaco-depressive. Ce sont des Ctats hallucinatoires et dClirants aigus sans ancune cause dkterminante organique ou toxi-infectieuse Cvidente (donc endogene).

Ilest connu depuis longtemps que de tels cas existent parfois malgrC la classification systkmatique de Kraepelin qui distinguait un peu trop thbriquement deux grands groupes des psychoses endogbnes, l’un la dCmence prCcoce et l’autre, la psychose maniaco-dkpressive. Plusieurs mots, ou termes ont CtC donnb B ces ktats pathologiques de la vie psychique. Dans la sphere de la psychiatrie alleman- de: Mischpsychose (Gaupp) , Degenerationspsychose (Kleist) , akute Schizophrenie, periodische Katatonie (Schizophrenie) , oneiroide Zustande (Mayer-Gross) etc, etc. Dans la psychiatrie francaise : folie circulaire, folie pCriodique, bouffkes dClirantes et hallucinatoires polymorphes (Magnan) etc, etc. Mais il me semble qu’on n’est arrivC P aucune conclusion ou P aucun accord dans l’interprktation de ces Ctats oneiroides en rapport de leur dCfinition et de la nature CtiopathogCnique. On sait bien que depuis quelques a n n h un mouvement rkctificateur de la nosographie trop rigide de Kraepelin et de E. Bleuler sur les psychoses endogbnes commence avec Leonhard, Langfeld et Rumke, mhme dans le domaine limit6 de la psychiatrie germanique. Ainsi on parle de la schizophrknie genuine et la psychose schizophrk- niforme (Langfeld) , la schizophrbnie vraie et la pseudoschizophrknie (Riimke) , la phasophrknie (Leonhard) et l’oneirophrknie (Meduna) .

Une chose curieuse est que dans la psychiatrie francaise le dkbat et la discussion concernant l’appartenance de ces Ctats psychosiques P telle ou telle entit6 morbide psychiatrique semblent &re moins acharnkes qu’en psychiatrie allemande, quoique de temps en temps nous voyons les articles tres interessants B ce propos, par example, celui de Rouart et de Petit. Dans le 3 eme Congrbs mondial de Psychiatrie B MontrCal il y avait un symposium sur les psychoses

Accept6 pour publication, le 10 Juillet, 1962

A props des psychoses atypiques endogenes m

atypiques endogbnes. J'y ai assist6 et trouvk avec Ctonnement qu' aucun psychi- atre francais ne participait B ce symposium.

Quant B moi, je me suis intCressk depuis plusieurs annkes B ces sortes de psychoses aigues et apres l'observation prolongke de beaucoup de tels cas, je suis arrivks B la conclusion suivante. 1". Chez les malades de plus de trent ans, la plupart des psychoses dklirantes hallucinatoires aigues sont gukrissables trbs rapi- dement sans s6quelles soit par klectro-choc, soit par neurolkptiques. Donc on peut dire que ces malades ne montrent pas le potentiel kvolutif comme la schizophrknie banale, tandis que la rkp6tition des accbs est trbs frequente, ce qui ressemble plutdt B la psychose maniaco-dkpressive. Je voudrais par condquent skparer ce group psychosique de la schizophrknie ordinaire, malgrk la resemblance presque totale des symptomes psychiques momentanks avec ceux de la schizophrknie. I1 ne s'agit pas donc de schizophrknie atypique d'aprss mon opinion. Si l'on veut, on pourrait le faire entrer dans le genre de la psychose maniaco-dkpressive (au sens large) 2". Chez les malade de moins de trent ans, en particulier de 1'Ige entre 15 et 25 ans, le problbme de l'appartenance de telle Cpisode psychosique ?t telle ou telle catkgorie des psychoses endogsnes devient de nouveau trbs delicat. Tout le monde connait bien que la schizophrknie (hkbkphrkno-catatonique) dkbute pas ma1 de fois avec l'kpisode aigue Cvoquant la bouffke dklirante, mais apres deux ou trois crises les malades tombent dans l'ktat d'hkbktude profonde de la dkmence prkcoce authentique. C'est ce qu'on appelle la schizophrknie aigue. Je suis donc tout B fait mkfiant B porter le diagnostic ou de la bouffke dklirante ou de la schizophrknie et je dis toujours que nous allons voir. Heureusement la thkrapeutique actuelle des bouffkes dklirantes et de la schizophrknie aigue est la mbme, soit par klectro-choc. soit par neuroleptiques.

Maintenant je me demande pourquoi dans la psychiatrie allemande et frnncaise une telle diffkrence de l'interprktation de ces Ctats hallucinatoirs et dklirants en dehors de la toxi-infection ou des affections ckrCbrales organiques, subsiste encore. Dapr2s mon avis, la psychiatrie allemande, admise jusqu'ici par les psychiatres de tous les pays sauf la France et les Etats-Unis s'est construite trop artificiel- lement. Je ne dis pas que Kraepelin ktait mauvais clinicien, au contraire il ktait sans doute un des meilleurs psychiatres cliniques B son kpoque. Dailleurs son attitude de mettre en accent l'apprkciation du facteur de l'kvolution des maladies mentales est trbs juste, mdme maintenant, me parait-il. Mais sa nosographie ne s'etait-elle pas ktablie par trop de souci prktentieux de faire la psychiatrie pour ainsi dire '' formelle artificielle "? Chose plus infortunke, c'est que E. Bleuler a fait de la schizophrknie l'entitk psychopathologique. Je ne sais pas si cette these ktait vraiment l'intention de ce maitre ou non, mais il est hors de doute qu'il a Clargi trop le cadre de la schiziophrknie, en laissant B peu pres intact la nosographie radicale kraepklinienne. Une seule diffkrence est qu' avec Bleuler la schizophrknie peut Qtre gukrie 21 n'importe quel moment de son Cvolution et elle peut kclater B n'importe quel Ige.

La psychopathologie de Jaspers a renforck encore le diagnostic de schizophrknie sur l'analyse trop minutieuse et un psu articifielle des id& dklirantes primaire des schizophrkniques. De comprendre (Verstehen) ou de non-comprendre des dClires est le critbre presque absolu (au moins la plupart des psychiatres japonais croient B cela) de la non-schizophrknie ou de la schizophrknie.

204 T. Miura:

Dans tel systeme, c’est tout A fait nature1 que les cas atypiques soit dans leur symptomatologie, soit dans leur 6volution devient le but de la discussion tres vivante. Mbme en Allemagne pas tout les psychiatres ne suivirent apres Kruepelin et Bleuler. Kleist de Francfort sur le Main s’6tait oppos6 A la classification trop rigide des psychoses de Kraepelin et il h i t all6 assez loin pour distinguer plusieurs groupes, cette fois-ci un peu trop d‘apres mon avis, parmi les malades jusque-lh 6tiquet6s de la schizophrknie, de la psychose maniacodkpressive et de l’6pilepsie.

Le Prof. Suwa qui est trb au courant des problemes de l’epilepsie et de l’electro-enckphalographie a fait remarque qu’il a constat6 souvent les dysrythmies c6rkbrales rappellant les troubles de conscience parmi les malades de ce type psychosique aigu et il en a tire la conclusion que quelques uns de ces malades appartiennent au cadre de l’epilepsie, quoique les crises convulsives n’btaient pas signal6es au cours de leur vie.

Dautre part, beaucoup de psychiatres se sont demand& s’il n’y aurait pas de trouble de conscience dans ces as, car l‘observation du comportement de ces malades suggere assez souvent l’existance de trouble lCger de la conscience. Cependant le maintien de l’orientation temporo-spatiale et la bonne mCmoire des BvCnements pathologiques v6cus par eux, ont refusti l’existance du trouble de consci- ence. Ces malades ne sont pas donc oneiriques, mais oneiroides (Muyev-Gross). I1 va sans dire que cette distinction entre 6tat oneirique et oneiroide n’est pas toujours nette dans tous les cas. I1 y a mQme une transition tres floue. Dans ces Ctats de chose, il n’est pas Btonnant qu’on trouve quelques fois les trouble des ondes 6lectro-enckphalograpfiques qui dvoquent ceux de 1’6pilepsie. En r6alit6, il ne s’agit pas de l’bpilepsie proprement dite dans la plupart des cas, mais il n’indique que la perturbation de l’6tat de conscience de ces malades. Le Prof. Sawu connait bien cette chose-lA et il a tent6 de s’appuyer sur le fait que le seuil de l’activation par mktrazol 6tait 4.5 mg/kg en moyenne chez les malades manisfestants les ondes anormaux 6pileptiques. On ne pourra pas nier cette 6vantualit6, mais je crois qu’ elle soit peu fr6quente.

Or, je dois avouer ici franchement que c’ktait le livre d‘Henri Ey, Etudes psychiatriques, Tome 111, “ Structure des peychoses aigues et d&tructuration de la conscience ” qui m’a fait ouvrir les yeux A ce probleme des psychoses atypiques endogenes. De plus je comprends maintenant mieux pourquoi ce probleme n’entraine pas de trop d’enthousiasme chez les psychiatres francais. Je ne dis pas que ce problhme n’6tait pas important dans la psychiatrie francaise, au contraire en effet, mais la prise de position vis-A-vis de cette question est diffkrente sslon les psychiatres franwis ou allemands, gknkralement dite.

H. Ey met ces Ctats psychosiques, appell6s “bouff6es d6lirantes et psychoses hallucinatoires aigues ” entre la manie-d6pression et la confusion oneirique au point de vue des degrh de dktructuration de la conscience et je crois que cette these soit tres juste. L‘efficacit6 assez rapide et parfaite des traitementssoit par chocs soit neuroleptiques dans ces groupes psychosiques dkmontre bien I’authenticitC de l‘opinion d’ H. Ey.

A l’occasion de ma conference prononc6e A la Clinique des maladies mentales et de l’enckphale de St-Anne intitul6e “ Syndrome schizophrknique et la maladie schizophrknie, envisagbs dans la psychiatrie japonaise,” j’ai fait remarquer qu’au Japon le cadre de la schizophrdnie est trop 6largi et celui de la psychose maniaco-

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dkpressive est pris trop Ctroitement sous l'influence de la psychiatrie allemande. Alors dans cette perspective le probleme des psychoses atypiques endogenes est vraiment crucial, tandis que si Yon n'insiste pas sur le systsme de Kraepelin- Bleulev, ces Ctats psychosiques apparaiasent pour nous dans la perspective tout A fait diffkrente. On peut se demander mbme si ce problsme des psychoses atypiques endogsnes n'est pas le pseudo-problsme.

Les travaux d' H. Ey sur les psychoses aigues ont jktk beaucoup de clartb. Ainsi se dissippe le cauchemar des psychiatres kraepeliniene et ce probleme peut Qtre situC dans sa position naturelle et juste. Je n'entrerai pas aujourd'hui ni dans la psychopathologie, ni dans 1'Ctio-pathogknie de ces bouffkes dklirantes, mais je suis trss content d'btre donnC l'occasion de professer mon opinion perso- nelle 21 ce grand problsme des psychoses atypiques endogsnes.