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Se déplacer, ça veut dire quoi pour les Français ? Ce qu’il faut savoir sur les véhicules sans conducteur Quatre scénarios pour une révolution Le magazine du débat citoyen A QUOI RESSEMBLERONT NOS VIES AVEC LES VÉHICULES AUTONOMES ? Bienvenue dans le débat citoyen !

A QUOI RESSEMBLERONT NOS VIES AVEC LES ......Les navettes autonomes de Keolis/Navya circulent depuis septembre 2016 dans le quartier Confluence de Lyon et depuis juillet 2017 à La

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Se déplacer, ça veut dire quoi pour les Français ?

Ce qu’il faut savoir sur les véhicules sans conducteur

Quatre scénarios pour une révolution

Le magazine du débat citoyen

A QUOI RESSEMBLERONT NOS VIES AVEC LES VÉHICULES AUTONOMES ?

Bienvenuedans le débat

citoyen !

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Édito

UNE MOBILITÉ PLUS SIMPLE ET PLUS FLUIDE En 2018, Toulouse est la Cité Européenne de la Science. C’est une reconnaissance de sa culture scientifique, de son écosystème dynamique et de son aptitude à innover, notamment dans la mobilité. L’agglomération toulousaine compte dans son écosystème de nombreuses entreprises et startups innovantes sur les thématiques de la mobilité comme Hyperloop TT et EasyMile, qui conçoivent et expérimentent leurs solutions sur notre territoire. A travers la démarche Smart City, amorcée dès 2015, la métropole s’est engagée à travailler à une mobilité plus simple et plus fluide pour ses citoyens. Avec Tisséo-Collectivités, de nombreuses actions sont mises en œuvre pour faciliter les déplacements, et proposer une offre de transport plus flexible et complète : la 3ème ligne de métro Toulouse Aerospace Express, le Téléphérique Urbain Sud, le développement du covoiturage urbain et de l’auto-partage. L’action s’appuie sur une forte dynamique collaborative et vise à proposer une offre de mobilité plus performante et innovante. Face à l’émergence rapide de solutions intelligentes pour la mobilité urbaine de demain, vous mobiliser autour d’un débat citoyen permet de connaître votre opinion et vos attentes pour mieux préparer les prochaines politiques publiques de la mobilité. Toulouse est terre d’innovation, heureuse d’accueillir ce débat. Elle vous remercie pour votre participation.

6. Quatre scénarios pour une révolutionDe l’idée à la réalité, comment les véhicules autonomes peuvent impacter nos vies

« Bougeons Demain » est une publication produite par Missions Publiques en partenariat avec la communauté d’agglomération de Sophia Antipolis, la communauté urbaine du Grand Paris Seine et Oise, la communauté d’agglomération La Rochelle, Toulouse Métropole, Sicoval, Rennes Métropole, le Ministère de la transition écologique et solidaire, Airbus,

Allianz, Kéolis, Léonard et le Forum des Vies Mobiles, dans le cadre du Débat Citoyen sur l’arrivée des véhicules sans conducteur dans nos vies. Avec le soutien également du Cerema et de la Fabrique des mobilités de l’Ademe. Responsable de la publication : Yves Mathieu, Missions Publiques – Coordination générale : Typhanie Scognamiglio - Rédaction : Yann Castanier, Yves Mathieu, Judith Ferrando, Typhanie Scognamiglio - Conception et coordination éditoriale : Androids & Sheep - Conception graphique et direction artistique : Denis Esnault / enodenis.com Couverture : Damien Parne - Philippe Lopparelli/Tendance Floue

12. Zoom sur votre territoireLes expérimentations en cours près de chez vous

18. PortfolioPetit tour du monde de la mobilité en 6 projets

21. Programmer l’éthiqueComment les algorithmes décideront-ils de notre sécurité ?

24. Une journée en véhicule sans conducteur Jé

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Découverte

Les 8 choses à savoir sur les véhicules sans conducteur

Mais, de quoi parle-t-on ? Lors de la conduite, vos cinq sens perçoivent l’environnement et votre cerveau l’analyse. Un véhicule autonome fait de même... à sa manière. Quatre types de capteurs lui permettent de représenter l’environnement fixe et les mouvements autour du véhicule. Une caméra « lit » les panneaux de signalisation et les lignes fixes. Un radar perçoit les obstacles et les objets en mouvement jusqu’à trois-cents mètres. Un sonar le complète

Les véhicules autonomes, ou véhicules sans conducteur, sont-ils un rêve lointain ? Une lubie d’écrivain de science-fiction, pareille à celle de la voiture volante des années soixante-dix ? Détrompez-vous. La technologie progresse vite. Les États doivent déjà adapter leur législation. À La Rochelle, les tests sont en cours depuis 2011. Rennes ouvrira son espace public aux expérimentations en mars, lors de l’événement inOut. D

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Le véhicule Waymo est issu des travaux sur la mobilité autonome lancés par Google en 2009.

Les premiers véhicules sans conducteur arrivent, sous forme d’expérimentations tout d’abord. De quoi s’agit-il ? Qui travaille sur le sujet ? Pour quels publics ? Dans quels buts ? Tour d’horizon en huit questions.

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Découverte

3. La phase expérimentale est lancéeLes expérimentations connues les plus avancées sont celles de Google et Tesla. Le modèle Waymo, l’ancienne « Google Car », roule déjà en autonomie et accumule des milliers de kilomètres de test en situation réelle aux États-Unis. Chez Tesla, les véhicules de série sont déjà dotés des équipements d’autonomie totale. Il suffira d’une simple mise à jour logicielle pour les activer le moment venu.

2. INDIVIDUELLES ET COLLECTIVES : DES APPLICATIONS POUR TOUSElles vont au-delà de la voiture individuelle : minibus sur des sites d’entreprises, navette à la demande à partir d’un dernier point de transport en commun, lignes fortes de tramway ou bus avec des amplitudes horaires élargies, livraison de colis, etc… L’ensemble des pratiques de mobilité, individuelles ou collectives, seront impactées.

4. En France égalementLes navettes autonomes de Keolis/Navya circulent depuis septembre 2016 dans le quartier Confluence de Lyon et depuis juillet 2017 à La Défense (Hauts-de-Seine). De véhicules autonomes parcourent le parking d’un centre commercial à Rambouillet. À La Rochelle, des minibus autonomes ont transporté 15 000 passagers en 2014 et 2015. En juillet 2017, la métropole de Toulouse a expérimenté à Pibrac une navette électrique sans chauffeur. À Sophia Antipolis, trois véhicules ont pu être testés en 2016.

1. Le mariage de la filière automobile et des nouvelles technologiesDeux catégories d’acteurs sont en lice avec d’une part, les principaux fabricants automobiles mondiaux et, d’autre part, les entreprises de nouvelles technologies : Tesla, General Motors, Ford (photo ci-dessus), Toyota, BMW, Mercedes, Audi, Renault, PSA-Citroën, Volkswagen, Volvo, Daimler, mais aussi Google et le Chinois Baidu. Apple, qui reste discret, aurait également un projet.

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plus finement jusqu’à dix mètres. Enfin, un système laser ou lidar – pour « light detection and ranging (1) » –, réalise une cartographie 3D en temps réel.

Ces informations sont centralisées par un « cerveau », qui reproduit l’environnement et anticipe les trajectoires. Ce cerveau transmet des instructions aux moteurs, qui dirigent le volant ou actionnent les freins, par exemple. L’infrastructure des territoires est également appelée à être plus intelligente, plus connectée pour envoyer aux véhicules les informations et consignes nécessaires pour assurer une mobilité sûre et fluide.

Une telle technologie interroge. Sa sécurité est-elle assurée ? Quels en sont les impacts sociaux et environnementaux ? Quels sont les enjeux juridiques ? Des experts se penchent sur ces questions de société qui, en réalité, nous concernent tous.

(1) Détection et estimation de la distance par laser.

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6. La mobilité pour tous ?Les publics traditionnellement exclus de la mobilité pourraient accéder au déplacement. Personnes à mobilité réduite, personnes âgées, enfants, habitants des zones périphériques ou rurales peu desservies. L’automatisation, le service à la demande et le partage permettent de répondre à des besoins jusque-là non satisfaits. Même si ces derniers ne constituent pas la motivation première de la filière.

7. La promesse d’un monde plus sûr et plus sain90% des accidents sont dus à un facteur humain, selon plusieurs études convergentes (1). Le taux d’erreur des systèmes automatisés serait plus de cinquante fois inférieur à celui de l’humain, si l’on en croit Guillaume Duvauchelle, vice-président de l’équipementier Valeo, en charge de l’innovation (2). Et une flotte 100% électrique peut être, à certaines conditions, un levier de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que des particules fines qui polluent nos villes.

8. Sur nos routes et dans les airs d’ici deux ans environLes premières mises en circulation de véhicules sans conducteur (VSC) sont prévues au tournant de 2020. Le développement du parc autonome devrait intervenir entre 2030 et 2035. Leurs promoteurs affirment que les VSC constitueront près de 100 % du parc de véhicules en circulation en 2050. À ce stade, il s’agit davantage d’une vision théorique que d’une prospective rigoureuse. La question de l’adoption massive, ou non, des VSC reste entière.

5. Six niveaux d’autonomie

Niveau 0 : aucune assistance. Le conducteur a un contrôle total sur les principales fonctions du véhicule : trajectoire, accélération, freinage.

Niveau 1 : assistance à la conduite.Le conducteur reste en charge de la conduite. Seules certaines fonctions sont assistées, par exemple le contrôle de la trajectoire ou la vitesse, via le régulateur.

Niveau 2 : automatisation partielle. Dans certaines situations simples – bouchons ou parking – le véhicule pilote seul la vitesse et la trajectoire. Si le volant et les pédales sont actionnés, le conducteur doit superviser

le fonctionnement.

Niveau 3 : automatisation avancée.La conduite est déléguée au véhicule dans des conditions complexes mais prédéfinies, sur autoroute par exemple. Quand le système reconnaît ses limites, il demande au conducteur de reprendre le contrôle.

Niveau 4 : automatisation forte.Le système prend le contrôle intégral du véhicule dans des conditions météorologiques et de visibilité précises. Contrairement au niveau 3, il peut se mettre en position de sécurité sans intervention du conducteur, dont la présence n’est pas obligatoire.

Niveau 5 : automatisation totale. Le véhicule n’a plus besoin d’aide. Il réagit aussi bien, voire mieux qu’un être humain, en toutes conditions. Ni volant ni pédales ne sont nécessaires.

(1) http://on.bcg.com/2EpUlMr(2) http://lemde.fr/2DevprX

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Interview

Quatre scénarios pour une révolution

Un peu, beaucoup, pas du tout... Plusieurs scénarios sont envisageables pour le déploiement des véhicules autonomes. Les scénarios de rupture, notamment, bouleverseraient notre mobilité quotidienne dans des proportions que nous imaginons à peine. Nous avons demandé leur éclairage à deux experts du Forum international des transports (ITF).

Embouteillages, parkings aériens : dans les grandes villes, la voiture est partout. Ici à Mexico.

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Quels sont les scénarios pour les véhicules autonomes ?Tom Vöge : Des scénarios possibles, au moins deux se détachent : le scénario progressif et le scénario de rupture. Dans le premier cas, les véhicules autonomes apparaîtront au fil de l’évolution des véhicules actuels. Atteindre un parc de 100 % de véhicules autonomes prendra des décennies. Dans le second cas, les véhicules autonomes et leurs nouveaux services apparaîtront rapidement. Posséder sa propre voiture n’aura plus d’utilité. Ce sont des scénarios que nous avons tirés d’études pour et sur certaines villes, comme Helsinki (Finlande) ou Auckland (Nouvelle-Zélande).

Qu’est-ce qui pourrait favoriser l’apparition du scénario de rupture ?Tom Vöge : Cela pourrait venir d’avancées et innovations rapides dans l’industrie de l’informatique, de services innovants liés aux véhicules autonomes, etc. Cependant, un tel scénario serait tellement rapide qu’il présenterait un risque majeur : les consommateurs pourraient vouloir leur propre voiture autonome, avec à la clé une augmentation du nombre de véhicules en circulation et une augmentation des embouteillages. Or l’objectif est bien la mobilité partagée : il faut davantage de personnes dans les véhicules et améliorer les transports publics et les transports urbains.

Quels seraient les impacts d’une généralisation des véhicules autonomes associée à une vraie mobilité partagée ?José Viegas : L’impact serait colossal. Ce scénario-là apporterait une réduction des prix, de la congestion, des émissions de pollution et des problèmes d’accessibilité. Il offrirait la possibilité d’égaliser l’accès aux emplois et aux services publics à travers toute la ville, d’une façon qui n’existe aujourd’hui que si l’on utilise un véhicule privé.

Ce type de service serait-il réellement moins onéreux que posséder sa propre voiture ? Tom Vöge : Oui. Nous n’utilisons notre voiture que 4 % de son temps d’existence : pour nos trajets quotidiens, pour faire des achats, pour aller au cinéma, etc. Si l’on remplace cela par des véhicules autonomes et partagés, ce sera plus efficace que les transports publics. Surtout si l’on imagine la co-existence de services différenciés : des minibus qu’il faut attendre un peu, un service un peu plus cher mais partagé avec moins de monde et plus direct.

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Interview

Quel serait l’impact sur les coûts avec l’utilisation de véhicules autonomes électriques ?José Viegas : L’impact serait encore plus conséquent. Le véhicule électrique autonome est plus coûteux à produire mais il est plus rentable au prix/kilomètre. Comme il peut rouler des centaines de kilomètres chaque jour, il est à terme plus rentable qu’un véhicule diésel ou à essence. Sans conducteur, le coût de revient d’un taxi est réduit de 40 à 60%. Si le véhicule est électrique, il y a une baisse de coût supplémentaire de 20%. Le véhicule autonome et électrique revient donc 80% moins cher au kilomètre !

Une telle chute des coûts n’aura-t-elle pas des effets pervers ?José Viegas : Il faut effectivement anticiper le risque que les gens acquièrent des véhicules autonomes pour un usage personnel. En effet étant donné la réduction des coûts qu’ils engendrent et leur côté attrayant, on peut assister à un doublement du nombre de voitures achetées et en circulation. Leur usage devra dont être régulé, avec des incitations fortes au partage.

Concrètement, que peuvent faire les autorités publiques ?José Viegas : On peut augmenter le coût d’un trajet lorsqu’une personne souhaite utiliser un véhicule pour elle toute seule. C’est la seule manière de réduire la congestion, les coûts et les émissions polluantes. Il faudrait que chaque usager paye un droit d’utilisation et une forme de péage plus ou moins élevé, selon que l’on partage ou non. Outre réduire le nombre de véhicules en circulation, une telle mesure permettrait de compenser les pertes pour les finances publiques. En effet, une généralisation des véhicules autonomes électriques signifie une baisse des recettes fiscales liées aux carburants. Or celles-ci constituent généralement la troisième source de recettes – en France, la quatrième – après la TVA et l’impôt sur le revenu. Cette baisse pourrait se chiffrer entre 6 et 8%. En France, ce serait une perte équivalente à 3 % du PIB, qu’il faudrait compenser. Pourquoi pas par une redevance liée à l’usage de la route, payée par les voyageurs.

Tom Vöge : Les autorités publiques devront effectivement réguler et donner un cadre au marché. Car ce dernier ne « pensera » pas et ne cherchera donc pas spontanément à atteindre les effets positifs de la mobilité partagée. Il y a donc un risque de voir un nombre de plus en plus important de

véhicules sur les routes. Pour encadrer ce risque, les autorités publiques devront utiliser un mix entre mécanismes classiques – comme la tarification routière – et des mécanismes nouveaux.

La régulation pourrait-elle aller jusqu’à une interdiction de posséder sa propre voiture ?José Viegas : Je suis contre les interdictions. Il faudrait commencer par limiter progressivement les places de stationnement. Puis, par remplacer les lignes de bus régulières par des bus à la demande, en fait des « quasi-taxis ». Les usagers s’habitueraient ainsi aux transports publics de haute qualité avec des prix très bas. L’important, c’est de changer de paradigme pour que les transports publics, les taxis et les VTC deviennent partageables. A cela, on ajoute un tarif au kilomètre qui se divise par le nombre de personnes à bord et on garantit un temps de trajet approximatif aux passagers. C’est en proposant ce type de services que les urbains finiront par se demander s’ils ont vraiment besoin d’une voiture, alors que des véhicules sont disponibles tout le temps, pour aller partout et à un prix faible.

Vos travaux portent sur de grandes villes. Qu’en est-il des campagnes ou banlieues ? Tom Vöge : C’est un sujet intéressant. Mais, en l’état actuel des choses, c’est le milieu urbain qui est le plus concerné.

Que diriez-vous aux maires des villes pour leur expliquer par où tout cela va commencer ?Tom Vöge : En France, des entreprises comme Navya testent déjà des navettes autonomes dans l’espace public. C’est l’occasion pour les autorités de se saisir de la question. Il est également possible de collaborer avec des entreprises comme Uber, qui travaille avec Volvo sur des modèles de voitures autonomes. Les autorités locales peuvent encourager le partage des véhicules, après en avoir discuté avec l’industrie. Pour que cela fonctionne, il faut des incitations économiques. Il faut aussi un service rapide et ergonomique, qui permette de ne pas attendre plus de 5 minutes et de partager D

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« Il faut davantage de personnes dans les voitures et améliorer les transports publics et les transports urbains. » TOM VÖGE

Jose Viegas a été le secrétaire général du Forum international des transports (ITF) de l’OCDE, de 2012 à 2017.

Tom Vöge est analyste politique, expert en transports publics durables pour l’ITF.

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Interview

le véhicule avec autant de personnes que souhaité.

Quels autres impacts notables vos scénarios prévoient-ils ? Tom Vöge : Les infrastructures des villes seront métamorphosées avec la mobilité partagée. Il faudra en débattre. On pourrait assister à la fin des parkings, et au recyclage d’immenses aires de stationnement en autre chose. De nouvelles infrastructures deviendront nécessaires. Aux États-Unis, on réfléchit déjà aux successeurs des traditionnels arrêts de bus : des arrêts à chaque coin de rue ou des arrêts de bus spéciaux. Il y aura aussi des plateformes de bus, du type Uber. Se pose également la question des plateformes urbaines logistiques.

Précisément, qu’en est-il du transport de marchandises via des véhicules autonomes ? José Viégas : Un camion sans conducteur est moins cher de moitié par rapport à un camion classique. Mais il y a plus fort que ça. S’il n’y avait pas de conducteur, la législation sur les heures de travail ne s’appliquerait pas et le camion pourrait rouler 24 heures sur 24. Un trajet Lisbonne-Paris pourrait se faire en vingt-cinq heures, au lieu de deux jours et demi. Il y aurait aussi beaucoup moins besoin d’entrepôts, car les déplacements seraient rapides. Certaines industries n’auraient plus besoin de stocker : les camions deviendraient des

entrepôts mobiles roulant en permanence. C’est un bouleversement total de la carte logistique du continent. La logistique urbaine devra s’y adapter.En revanche, tout cela n’a de sens que si la réception des biens transportés par les camions est automatisée elle aussi. Les façades des bâtiments qui reçoivent la marchandise iraient donc jusqu’à la voirie avec des casiers qui s’ouvriraient à partir des instructions du camion. Les marchandises seraient préparées à la source d’une manière adaptée à ce mode de livraison finale. Toute la logistique urbaine devrait changer. Le camion ne serait pas seul automatique. Toute la chaîne le serait.

L’industrie a-t-elle saisi tous les enjeux que vous nous expliquez ? José Viégas : Elle n’y pense pas encore. Elle ne réfléchit pas de manière systémique. Elle est prise par différentes considérations immédiates et proches, comme le besoin de tenir face à la concurrence. De nombreux camions de marchandises livrent alors qu’ils ne sont pas pleins et multiplient les allers et retours chez un même client dans la journée pour livrer le plus rapidement possible… Cette méthode est pensée à une échelle individuelle. Si l’on réfléchit à l’échelle globale, des évolutions considérables sont envisageables.

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Piétons, premières automobiles, chevaux : en 1909 à Paris le partage de l’espace public était déjà un enjeu.

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SE DÉPLACER, ÇA VEUT DIRE QUOI POUR LES FRANÇAIS ?

La voiture occupe une place centrale dans la mobilité des Français. Pourtant, ceux-ci aspirent à des changements, avec deux priorités : faciliter leurs déplacements et prendre en compte les enjeux environnementaux.

Et demain ?Électriques83% des Français pensent que nous pourrons rouler en voiture électrique sur de grandes distances sans problème d’autonomie des batteries, dans quinze ans.

Non grata en ville72 % des sondés pensent que l’on laissera la voiture à l’entrée des villes. D’ici là, ils se disent prêts à faire des efforts pour recourir plus souvent aux transports en commun (65%), au covoiturage ou à l’autopartage (40%). Mais ils attendent une intervention plus importante des pouvoirs publics pour favoriser l’intermodalité (73%) et l’amélioration des infrastructures.

Les flux de déplacements deviennent de plus en lus irréguliers et complexes ; les déplacements occasionnels sont de plus en plus nombreux. Le temps du métro-boulot-dodo est révolu.

Autonomes et propres52% pensent que l’on pourra rouler sur toutes les routes en véhicule sans conducteur. Leur souhait est également de rouler plus propre. 72% des sondés estiment que ces changements auront des conséquences positives sur leur vie de tous les jours. 1,6 à 1,8 c’est en moyenne le nombre de personne que transporte une voiture en France.

Sources : étude IPSOS-Boston Consulting Group sur la mobilité des Français, avril 2017; NégaWatt

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67% des Français utilisent la voiture pour aller au travail(ou études). Mais 4 déplacements sur 5 au sein d’un bassin de vie ne sont pas liés au domicile-travail.

86% pour les courses alimentaires importantes

69% pour mener les enfantsà leurs activités

27% se sententéloignés de tout

Aujourd’hui1h26 par jourTemps moyen quotidien des Français dans les transports(lundi au vendredi)

48% d’entre eux sont mal desservis par les transports en commun

75% des Françaissatisfaits du réseau

routier

Découverte

33% des ménages vivant dans les grandes villes (hors Paris) n’ont pas de voiture personnelle

58% des déplacements en France de ville à ville avec nuitée sont en lien avec les amis et la famille

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Enquête

LE MEILLEUR DES MONDES SANS CONDUCTEURMoins d’accidents, un environnement plus sain, une mobilité augmentée, du temps libéré. Les promesses des véhicules autonomes foisonnent. Mais restent du domaine de la projection.

Environnement, santé, manque d’espace et de temps, accessibilité et même... la mort. Les véhicules sans conducteur seraient la solu-tion miracle à tous les maux de notre société. Les études

prospectives fleurissent et an-noncent une vie meilleure aux usagers de ces véhicules.Cet enthousiasme invite pa-radoxalement à la prudence. Pour autant, des tendances se dessinent. La majorité des

liard de kilomètres parcourus, soit plus de cinquante fois la norme actuelle. L’Observa-toire du véhicule d’entreprise extrapole ainsi que le nombre d’accidents routiers chuterait de 5,5 millions à 1,3 million par an aux seuls États-Unis. Le nombre de morts et de blessés de la route serait lui aussi divisé par quatre envi-ron.

Moins d’accidents, moins coûteuxAu-delà de la question hu-maine, cette trajectoire, si elle était avérée, aurait un impact économique significatif. Les accidents corporels et maté-riels de la route représentent en France un coût de 50 mil-liards d’euros annuels. Ce chiffre, qui équivaut à 2,2 % du PIB, s’obtient en addition-nant la perte de production liée à la personne décédée, le coût des hospitalisations, ainsi que le coût des dégâts matériels (1). La sécurité renforcée soula-gerait par ailleurs les services hospitaliers et les forces de l’ordre, leur permettant ainsi de réallouer leurs moyens à d’autres missions.Le basculement du règne du pétrole au tout électrique automobile contribuerait également à une réduction significative des émissions de particules fines. Les émis-sions de gaz à effet de serre pourraient elles aussi chuter, à certaines conditions. La ré-duction des émissions de gaz à effet de serre par kilomètre parcouru pourrait atteindre 90 % pour un véhicule élec-trique, autonome et parta-gé, en comparaison avec un véhicule privé à propulsion essence datant de 2014 (2).

Plus de robots-taxis, moins de parkingsS’il est couplé à l’autopartage, le scénario de la voiture au-tonome conduit à une chute de trafic. Les trajets se trou-veraient optimisés grâce aux

études impute ainsi 90  % des accidents de la route à une erreur humaine. Or, ses promoteurs l’affirment, le véhicule sans conducteur vi-sera un niveau de sécurité de l’ordre d’un incident par mil-

Publicité pour de futures autoroutes électriques (États-Unis, 1965).

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Enquête

Infrastructures Vinci, acteur des infrastructures et des systèmes urbains, interroge les impacts des véhicules autonomes sur les infrastructures. Comment vont-elles contribuer à la sécurité routière et assurer des connections avec les véhicules et les passagers ? Comment la signalisation va-t-elle évoluer ? Comment satisfaire les besoins énergétiques ? Enfin, comment les formes des villes et l’espace urbain (dont les espaces de stationnement) vont-ils évoluer ?

LégislationLa législation routière actuelle repose sur la convention de Vienne du 8 novembre 1968, dont la France est signataire. Dans son article 8, il est mentionné qu’un véhicule en mouvement doit avoir un conducteur et que celui-ci doit conserver constamment le contrôle dudit véhicule. Le législateur devra donc faire évoluer la loi pour autoriser la présence de véhicules 100% autonomes sur nos routes.

Les voitures papotentUn palier supplémentaire de sécurité serait franchi grâce aux communications directes entre véhicules. Vitesse, direction, emplacement… Tout serait connu à l’avance par les véhicules sans qu’ils se « voient ». Pour cela, un réseau 5G avec un temps de transmission inférieur à la milliseconde doit être mis en place. La 5G Automotive Association (5GAA) a vu le jour fin 2016. Elle rassemble constructeurs et entreprises de communication.

systèmes embarqués, qui calculeraient le parcours op-timal en termes de temps, de distance et de consommation électrique. Moins polluants, les véhicules contribueraient à améliorer la santé de tous. Se-lon une étude McKinsey (3), une voiture demeure station-née 96 % de son « temps de vie ». Dans les villes, la moitié de l’espace public est occupé par des véhicules. Avec les véhicules autonomes parta-gés, plusieurs passagers uti-liseraient un seul robot-taxi tout au long de la journée. Désertés, certains parkings pourraient être convertis en stations de recharge ou aires de dépose pour taxis aériens.

Mobilité accrueLa mise en place de taxis-ro-bots permettrait également la prise en charge de catégories de population jusque-là ex-clues de la mobilité. Les per-sonnes âgées, les personnes à mobilité réduite, les per-sonnes isolées en situation de précarité ou encore les enfants accéderaient à des véhicules autonomes. Ces derniers leur permettraient de réaliser des activités quotidiennes jusque-là inaccessibles sans aide  : courses, recherche d’emploi, visites d’amis, loisirs. Autant de gages d’indépendance et de liberté.Par ailleurs, des espaces dé-laissés par les transports en commun – comme les zones résidentielles périphériques et rurales ou les banlieues – se trouveraient désenclavés grâce à des services de véhi-cules à la demande. Maintenir des lignes régulières, pauvres en fréquence et à la rentabilité économique impossible, et au final peu utilisées, ne serait plus nécessaire. Les livraisons rapides à l’aide de véhicules et de drones devidendraient éga-lement une réalité dans des zones reculées, en montagne ou en campagne. Dernière promesse des vé-hicules autonomes, le gain

de temps pour les citoyens pourrait être conséquent. Les transports cesseraient d’être une activité en soi. L’habitacle du véhicule serait transformé en espace modulable. Travail-ler, dormir, regarder un film : tout deviendrait possible. Les trajets de nuit pourraient être effectués dans des véhi-cules-couchettes familiaux ou individuels. Des risques ? Que la société en demande toujours plus et que ce temps libéré se trans-forme uniquement en temps

de travail. Mais aussi que la consommation électrique explose en pleine période de transition énergétique.(1) Bilan 2016 de l’Observatoire interministé-riel de la Sécurité routièrehttp://bit.ly/2xVIu9C

(2) Selon une étude des chercheurs Green-blatt et Saxena, citée par le Forum internatio-nal des transports (ITF), proche de l’OCDEhttps://www.itf-oecd.org/sites/default/files/docs/shared-automated-vehicles-bu-siness-models.pdf

(3) « Are you ready for the ressource revolution ? » https://www.mckinsey.com/business-functions/sustainability-and-re-source-productivity/our-insights/are-you-ready-for-the-resource-revolution

Les personnes âgées, les personnes à mobilité réduite, les personnes isolées en situation de précarité ou encore les enfants accéderaient à des véhicules autonomes. W

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«Rush Hours» ou la congestion urbaine vue par un simple citoyen.

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Invitation

C’EST LE MOMENT DE DÉBATTRE ! Missions Publiques est un cabinet conseil spécialisé dans la création participative, agissant au niveau national et international. Grâce à l’expertise citoyenne, notre équipe participe à la construction des politiques privées et publiques depuis 20 ans.

Elle est à l’initiative du débat sur les véhicules sans conducteurs, qu’elle réalise avec un réseau de partenaires. La méthode et les résultats de ce grand débat citoyen sont partagés avec la School for the Future of Innovation in Society de l’université d’État de l’Arizona, qui mène une démarche similaire auprès des citoyens états-uniens.Le débat citoyen français sera suivi d’un grand débat citoyen européen. Le 27 janvier, plus de 500 citoyens vont s’exprimer sur la mobilité de demain. L’arrivée du véhicule sans conducteur dans les territoires est une innovation technologique incontestable. Et si nous en profitions pour changer nos modes de vie et revoir la place des déplacements dans notre quotidien, mais aussi la forme des villes ?Si le véhicule sans conducteur permettait, comme l’arrivée du train, de l’avion, de la voiture auparavant, de profondément modifier notre vie quotidienne, que souhaiterions-nous ? En participant aux débats, ces 500 citoyens vont se faire entendre sur leurs désirs et leurs craintes pour la mobilité de demain. Leurs avis éclaireront les futures décisions politiques locales et nationales. Les résultats seront dévoilés le 16 mars à Rennes, lors de l’évenement inOut.

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Les partenaires du débat Le débat citoyen sur les véhicules sans conducteur est porté par une coalition de partenaires : collectivités territoriales accueillant les débats, partenaires privés, institutions publiques et instituts de recherche. Il est conçu et animé par Missions Publiques.

« Tout le monde a son mot à dire, tout simplement » Un citoyen

Les sites de débatTous les citoyens participants travailleront sur les mêmes questions, selon la même méthode. Les résultats pourront être analysés de manière globale, tout en tenant compte des spécificités de chaque territoire. Ils seront mis en ligne le soir-même à l’adresse suivante : debatcitoyen.fr

« Et peut-être, pourquoi pas, prendre l’avis de la population, ça serait pas mal quand même. » Une citoyenne

« Nous devons donc anticiper cette évolution pour faire en sorte que chaque citoyen puisse en bénéficier » Jean Leonetti, président de la Communauté d’agglomération Sophia Antipolis

Toulouse Metropole

Communauté d’agglomération

Sophia Antipolis

RennesMetropole

Communauté d’agglomération

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Zoom

L’agglomération toulousaine : innover au service des mobilités de demain

L’aire urbaine toulousaine constitue aujourd’hui un vaste territoire de plus de 450 communes, dont la population dépasse 1,3 million d’habitants. Au sein de cette aire urbaine, la grande agglomération toulousaine représente 1 million d’habitants. La croissance économique sur les vingt dernières années a été l’une des plus importantes de France : plus 150 000 emplois sur cette période. Malgré la crise de 2008, le territoire toulousain continue de créer des emplois. Cette croissance en fait l’un des plus dynamiques de France, avec 250 000 habitants supplémentaires attendus

L’attractivité du territoire toulousain engendre un nombre croissant de déplacements quotidiens. Les véhicules sans conducteurs sont une réponse à ce défi.

d’ici à 2030. Cependant, 70% de cette croissance démographique se fait en périphérie, où les transports alternatifs à la voiture sont les moins performants. La recherche de lien entre ville et nature conduit la population à habiter toujours plus loin du centre de l’agglomération, générant une augmentation rapide des déplacements.

500 000 déplacements quotidiens supplémentairesAinsi, à l’horizon 2025, on estime que le nombre de déplacements quotidiens sur la grande agglomération toulousaine sera de 4,5 millions,

tous modes confondus. Cela signifie la prise en compte de 500 000 déplacements quotidiens de plus qu’à ce jour. Les réseaux routiers et de transports en commun de la grande agglomération toulousaine sont aujourd’hui saturés. Malgré les politiques volontaristes menées, l’impact des déplacements des usagers n’est pas sans conséquences sur la santé publique, l’environnement et l’attrait de l’agglomération pour les entreprises et pour leurs employés. Le Sicoval et Toulouse Métropole ont initié une démarche innovante pour atténuer les impacts négatifs de D

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Zoom

Toulouse Métropole expérimente la navette autonome

En 2015, Toulouse Métropole s’est engagée dans la démarche Smart City, qui vise à rendre la vie des citoyens plus agréable et plus pratique, à l’aide des nouvelles technologies et des nouvelles pratiques participatives.

Pour inventer la ville de demain, il est nécessaire de tester les solutions innovantes qui émergent sur

Après plusieurs mois d’expérimentation à Pibrac, une navette autonome circule désormais à Toulouse. Explications.

la mobilité sur le territoire et son attractivité.Toulouse Métropole et le Sicoval ont notamment le projet d’autonomiser la mobilité dans l’agglomération toulousaine, en mettant à profit sa culture collaborative et son excellence technologique. Les technologies seront mises à profit afin d’offrir

des solutions de mobilité adaptées à chaque citoyen. Le projet favorisera la création d’un espace de coopération entre l’industrie, le secteur public, le citoyen et la science. Le projet s’exercera dans le cadre d’une vision de la gouvernance urbaine du futur, fondée sur un équilibre entre

le marché et la régulation publique. Il a pour ambition de rendre le citoyen lui-même responsable du système de mobilité dans lequelil évoluera, grâce à un processus d’échanges et de concertation moderne, s’appuyant sur les possibilités les plus avancées de la technologie.

commune de Pibrac, une navette autonome circule sur les allées Jules Guesde de Toulouse, et ce depuis le 6 décembre et jusqu’au 31 mai 2018. La navette effectue un trajet de 600 mètres à une allure moyenne de 15km/h, avec trois étapes reliant le Palais de Justice au Grand Rond.

L’expérimentation du véhicule autonome en milieu urbain a pour objectif de se concentrer sur le volet usages (appropriation et acceptabilité par les utilisateurs). La navette autonome ambitionne d’offrir de réelles solutions de mobilité pour les premiers et derniers kilomètres, et vient ainsi compléter l’offre de transport en commun déjà existante. Elle se positionne comme une solution de mobilité respectueuse de l’environnement, capable de lutter contre la congestion urbaine en amenant du transport, là où il n’y en avait pas.

nos territoires. La métropole toulousaine expérimente ainsi la navette autonome, sans conducteur, pour répondre à la problématique du premier/dernier kilomètre, en complément des solutions de transport traditionnelles.

Un complément pour l’offre de transports en commun Après cinq mois d’expérimentation sur la D

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Enquête

« Nos clients demandent un service à bord qu’aucun robot ne pourra jamais proposer. Voitures toujours propres, chauffeurs en cos-tume, petits-déjeuners, revues, accompagne-ment jusqu’à l’enregistrement. Nous ne nous soucions guère des véhicules autonomes. » Antonietta est entrepreneure indépendante dans le domaine de la Voiture de Transport avec Chauffeur (VTC). L’annonce récente, faite par le géant mondial Uber, d’une com-mande de 24 000 véhicules autonomes et de leur mise en service entre 2019 et 2021, ne

l’inquiète pas. Et pourtant, la question des conséquences sociales du déploiement des vé-hicules sans conducteur se pose. Ainsi, il est raisonnablement envisageable que le recours massif aux véhicules autonomes et partagés ait un impact sur le carnet de commandes des constructeurs automobiles classiques. Et, par voie de conséquence, un impact à la baisse sur leurs effectifs salariés. Ainsi, le Forum inter-national des transports, laboratoire d’idées lié à l’OCDE, a proposé en 2016 un scénario intégrant le recours massif à des véhicules autonomes et partagés (taxis et bus), à Lis-bonne (1). Celui-ci aboutit à une chute du nombre de véhicules en circulation de... 97% !

Adieu, chauffeurs de bus, taxi, poids lourds et auto-écolesEnsuite, la réduction du nombre des accidents conduirait à une chute de l’activité des méca-niciens, carrossiers, dépanneurs, assureurs, au-to-écoles. Les petits garages pourraient dispa-raître, l’entretien et la réparation des véhicules étant assurés par les constructeurs eux-mêmes.

Une autonomie porteuse d’interrogationsLe monde des véhicules autonomes comporte des zones d’ombre. Pertes d’emplois, augmentation de la circulation, environnement dégradé, insécurité ne sont pas à exclure.

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Les chauffeurs de bus sont une des professions directement impactées par l’arrivée des véhicules sans conducteur.

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Enquête

Puis, la révolution impacterait le monde du transport. Adieu, conducteurs de taxi, de bus, chauffeurs routiers, loueurs, livreurs. Or selon l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans les transports et la logis-tique (OPTL), la branche comptait en France plus de 75 000 entreprises et 669 000 salariés au 31 décembre 2015. De nombreuses entre-prises du transport autonome collectif, envi-sagent cependant de laisser une personne pré-sente dans les bus, au moins dans un premier temps, pour des raisons de service au client.Enfin, les revenus générés par les taxes sur l’essence, les tickets de parkings ou encore les contraventions cesseraient de constituer une manne financière pour l’État et les entreprises. Comment un tel manque à gagner pour l’État serait-il compensé ? L’emploi dans les services publics s’en trouverait-il lui aussi affecté ?

L’imprévisible facteur humainOutre les questions économiques et sociales, la survenue des véhicules sans conducteur in-terroge quant à ses conséquences écologiques et sur la sécurité des personnes. Celles-ci conservent en effet une grande part d’impré-vu, tant il faut leur intégrer le facteur humain.Sur la question écologique, par exemple, les bénéfices annoncés n’ont rien d’évident a prio-ri. Prenons le cas des transports publics. Ceux-ci pourraient être abandonnés à la faveur d’un service en porte-à-porte individuel, plus per-formant et plus confortable. En conséquence, le nombre de véhicules en circulation et la congestion automobile en ville augmenteraient fortement. Ce fait serait accentué par l’accès au transport de personnes jusqu’alors exclues de la mobilité. Non seulement la pollution ne baisserait pas mais, pire, elle pourrait croître. En effet, à supposer que les véhicules en circu-lation tournent massivement à l’électricité, rien ne dit que celle-ci proviendrait uniquement de sources peu ou pas émettrices de gaz à effet de serre, c’est-à-dire autres que le charbon ou le gaz.Par ailleurs, le désenclavement des zones pé-riphériques et isolées conduirait à un étale-ment urbain plus important. S’il est possible de travailler durant le trajet, pourquoi ne pas habiter en bordure de l’océan ou en pleine forêt, à 1h30 de votre lieu de travail ? Cette multipolarisation de l’espace entre lieux de vie,

de travail et de loisirs aurait pour conséquence une urbanisation galopante. L’artificialisation des sols, largement accélérée depuis le passage au « tout voiture » des années soixante-dix, s’intensifierait encore. Avec son lot de ruis-sellement, de disparition de puits de CO2 et d’écosystèmes.Se pose également la question de l’impact énergétique : les véhicules sans conducteur tourneront-ils ou non à l’électricité produite au charbon ? Même dans l’hypothèse d’une élec-tricité produite « proprement », cette dernière sera-telle disponible en quantité suffisante ?

Le risque du piratage informatiqueDernier point important  : la sécurité. Son surcroît, annoncé par les constructeurs, ne serait atteignable que si la quasi-totalité du parc automobile était constituée de véhicules autonomes. De fait et de l’aveu-même des experts, la période de transition, durant laquelle véhi-cules avec et sans conducteurs cohabiteraient, s’avère plus que problématique. Pourquoi ? Parce qu’un véhicule autonome ne « sait pas » comment réagir au non-respect des règles du code de la route : distance de sécurité insuf-fisante, insertion trop rapide, stop grillé. De même, il «  ignore » les regards ou les signes des conducteurs qui signifient leurs intentions.Du reste, la sécurité est aussi questionnée via la problématique du piratage informatique. Quid du hacker qui s’amuserait à prendre le contrôle de quelques, voire de plusieurs, véhicules du même constructeur ? Dans un contexte aigu de terrorisme, la prise en otage simultanée de centaines de personnes dans des navettes collectives est une des hypothèses étudiées sérieusement en termes d’intervention des forces de l’ordre...En définitive, c’est bien la question du choix des individus qui se trouve au cœur des scéna-rios prospectifs. Le Boston Consulting Group a ainsi défini quatre types d’évolution pos-sibles, de l’utilisation cantonnée à une élite du fait d’un coût élevé, jusqu’à une acceptation totale et massive du service à la demande (2). Le BCG se garde bien de se prononcer sur la probabilité de voir un des scénarios se réali-ser plus qu’un autre. En dépit des avancées technologiques, aucune machine ne parvient à prévoir les comportements humains.

(1) « Shared mobility. Innovation for liveable cities »https://www.itf-oecd.org/sites/default/files/docs/shared-mobility-liveable-cities.pdf

(2) « Véhicules autonomes, robot-taxi et la révolution de la mobilité urbaine » https://www.bcgperspectives.com/content/articles/automotive-public-sector-self-driving-vehicles-robo-taxis-urban-mobility-revolution/?chapter=2

Et les ressources mondiales ?Une certitude : on ne pourra pas aller vers un monde où chaque habitant de la planète possède sa voiture autonome personnelle. La question de la limite des ressources naturelles et énergétiques mondiales se pose. L’intensité du partage des véhicules est une des variables clefs.

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InterviewAi

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“LES VILLES VONT INTÈGRER LE TRANSPORT AÉRIEN”La réalité rejoint Blade Runner. Des prototypes de taxis-volants “circulent” en Europe ou à Dubai. Une cinquantaine de projets sont en cours dans le monde. Le constructeur aéronautique Airbus prépare son propre véhicule. Explications avec son directeur général de la mobilité urbaine aérienne, Mathias Fay Thomsen.

Qu’est-ce qui vous amène à concevoir un taxi-volant ? Quand on développe des technologies de long terme, ce qui est notre cas, on regarde de près tout ce qui peut impacter les vols. Électricité, connectivité, autonomie, nouveaux matériaux : ces sujets sont d’actualité pour nous. Et ils convergent vers de nouveaux véhicules volants : si ces derniers sont autonomes, nous pouvons les concevoir plus petits ; s’ils sont électriques, leur exploitation coûtera peu et émettra peu de gaz à effet de serre ; s’ils sont connectés, ils peuvent naviguer grâce à des systèmes numériques, sans recourir à l’habituel contrôle aérien ; s’ils sont construits avec de nouveaux matériaux, ils seront plus légers. Tout ceci nous amène à une première application : le taxi-volant. Mais en réalité c’est tout le transport

de ceux d’une voiture, et donc baisser, pour des villes qui songeraient à une exploitation à grande échelle.

Faut-il un pilote à bord, pour les situations d’urgence ?La plupart des projets le prévoient dans un premier temps, comme c’est le cas pour les métros automatiques, jusqu’à ce que le système démontre qu’il est sûr.

Même si les airs sont plus sûrs que la route, qu’arrive- t-il en cas de problème ?C’est le métier du transport aérien que d’anticiper tous les scénarios possibles, depuis trente ans maintenant. Ce savoir-faire sera transféré aux taxis-volants. Ensuite, savoir s’il faut un pilote à bord est une question d’acceptation du public.

Quelles sont les difficultés à prévoir pour faire naître une telle technologie ?Les infrastructures terrestres et aériennes sont un défi à relever. Il faut créer des routes aériennes, des procédures, etc. Pour ce faire, nous travaillons avec l’Agence européenne de la Sécurité aérienne (AESE) pour la mise en place d’un système d’exploitation numérique de l’espace aérien. Nous travaillons également avec des villes, des urbanistes pour réfléchir à l’adaptation de la forme des villes au transport aérien. Il faut que la planification des villes intègre cette perspective.

Le respect de la vie privée des habitants survolés, le bruit sont-ils des sujets que vous traitez ?Ce sont de vrais enjeux. Sur la question du bruit, nous travaillons avec des universités.

aérien qui sera impacté.

Ces taxis pourraient-ils être utilisés dans un espace rural ? Le rayon d’action de ces véhicules électriques sera limité dans un premier temps. Avec l’amélioration des batteries, ce rayon croîtra. Dès lors, transporter des passagers, des patients, ou des marchandises dans des zones isolées ou difficiles d’accès (montagnes, lacs, rivières) deviendra envisageable. En second lieu, il faut garder en tête le besoin de densité pour exploiter ce genre de machines : plus la population à transporter sera nombreuse, plus le coût d’exploitation sera faible. Ce véhicule est conçu pour transporter quatre personnes au maximum, afin de rester d’une taille propice à l’environnement urbain.

Précisément, où atterit un engin de ce type ? Dans certaines villes d’Asie, construites en hauteur, on peut envisager la construction d’héliports. Il en existe déjà à Tokyo, Hong Kong, mais aussi à Sao Paolo. Dans des villes européennes compactes comme Paris or Madrid, il faudra définir de nouveaux espaces. Les gares très fréquentées ou leurs abords seront probablement de bons endroits pour cela.

Quels seraient les prix pratiqués ?Les clients potentiels que nous avons interrogés en Europe ou aux États-Unis seraient prêts à payer deux fois à deux fois et demie le prix d’une course en taxi routier si le trajet en taxi-volant était deux fois plus rapide. Les coûts d’exploitation pourraient s’approcher

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Découverte

Portfolio. Premières expérimentations en France et dans le monde

En Allemagne, la start-up MOIA - filiale de Volkswagen - propose un véhicule électrique collectif avec l’objectif de retirer un million de voitures des villes. Démarrage en 2018 à Hambourg.

Dans les rues de Nagoya, l’entreprise japonaise ZMP teste depuis 2014 son véhicule autonome.

Dans le monde, une cinquantaine de projets de taxis volants sont recensés. Ici, le prototype Airbus.

À Lyon (quartier Confluence), Navya et Keolis exploitent une navette électrique et sans conducteur de transport collectif.

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Découverte

L’expression « véhicules sans conducteur » recouvre des réalités très différentes. Toutes sont porteuses d’évolutions majeures pour la mobilité des personnes et des marchandises. Petit aperçu d’une révolution mondiale, autour de six projets.

A Taipei (Taïwan), la navette de fabrication française Easy Mile (EZ) circule sur le campus universitaire.

Dans les États de Californie, d’Arizona et du Michigan, le constructeur automobile Ford teste une flotte de trente véhicules sans conducteur.

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Entretien

LA RÉVOLUTION, C’EST PAR OÙ ?À quelles conditions peut-on faire de l’arrivée des véhicules sans conducteur, une révolution pour notre mobilité, pour nos modes de vie, pour les citoyens ? Analyse, avec les arguments croisés de deux experts.

« En tant qu’enseignant, j’observe la fascination technologique de mes col-lègues pour les véhicules autonomes. J’essaye de leur dire que, comme beau-coup de technologies, ça peut être génial comme catastrophique », pose d’emblée Vincent Kaufmann, professeur cher-cheur à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne et directeur scientifique du Forum Vies Mobiles. Annoncé comme une révolution, le « phénomène VSC » devra faire ses preuves. Sur ce sujet, il y a ce que nous savons déjà, ou pensons savoir. « 94% des accidents aux Etats-Unis sont dus à des erreurs humaines, rappelle Dany Nguyen-Luong, directeur du département Mobilité et Transports de l’Institut d’aménagement et d’urba-nisme (IAU) d’Ile-de-France. Les expéri-mentations de la Google Car et d’Uber à Pittsburgh ont prouvé leur sécurité, alors que nous avons plus d’1,2 million de tués sur la route par an dans le monde ».

Parkings transformés en jardins et pistes cyclablesMais il y a aussi tout ce que nous ne savons pas encore. Première question, à quel horizon de temps se fera le déploie-ment de ces véhicules ? « Si l’on se donne dix à quinze ans, on est beaucoup trop optimistes, insiste Vincent Kaufmann. Personnellement je vois cela pour 2050, 2060. Car les premiers véhicules sans conducteur seront chers ».Deuxième question, quel sera l’impact sur nos villes et sur nos vies ? « Il y a aujourd’hui une totale incertitude quant à leurs impacts en termes de conges-tion, de partage, de besoins de station-nements. Dans un scénario de flottes de robots-taxis autonomes circulant en per-manence, ces espaces de parking pour-raient diminuer. L’espace libéré pourrait être transformé en jardins ou pistes cy-clables », anticipe Dany Nguyen-Luong.

Argent public... contre mobilité partagée ?La question du coût est rarement abor-

dée avec une approche systémique. Et pourtant, «  il sera significatif, prévoit Vincent Kaufmann. Pour qu’un véhicule autonome circule, il faut équiper les voi-ries en capteurs, relier les véhicules au-tonomes à des systèmes d’informations en temps réel. C’est un lourd investisse-ment ». Qui paiera ? « C’est forcément la puissance publique – État, régions et collectivités locales gestionnaires de la voirie – qui prendra la plus grande part, avec éventuellement des subventions des exploitants et autres opérateurs privés de la mobilité multimodale et des données. De nouveaux modèles d’affaires sont à inventer pour partager ces coûts », sou-ligne Dany Nguyen-Luong.Plusieurs experts estiment qu’il y a ici un levier intéressant pour les pouvoirs publics : ils pourraient s’entendre, d’un territoire à l’autre, pour conditionner ces investissements au fait que la mobilité soit réellement partagée, même si « ces questions-là ne sont pas encore à l’agen-da des villes », estime Vincent Kaufmann.

La question sociale en suspensCôté bénéfices, il faut dès à présent « ré-fléchir en termes d’usages et de diversi-té des territoires, avance Dany Nguyen LuongNguyen-Luong. Les navettes autonomes en milieu peu dense ou aux heures creuses peuvent devenir une so-lution alternative viable à l’automobile solo et aux transports collectifs tradition-nels ». Pour les habitants fragiles, c’est une chance d’accéder à la mobilité de porte à porte, pour ceux qui en étaient exclus : les sans-permis, les personnes dans l’incapacité physique de conduire, les personnes très âgées. Pour tous, c’est la valorisation du temps passé dans le véhicule autonome : il pourra être utile, de relaxation, de loisirs, voire productif. Reste une question, sans doute la plus difficile : le déploiement pourrait bou-leverser les emplois de chauffeurs de taxis, VTC, conducteurs de bus et poids lourds, d’auto-écoles, de garagistes, des assurances... « On parle de quatrième révolution industrielle, celle de l’automa-tisation. De nombreux jobs disparaissent. C’est destructeur d’emploi. Ça pose la question du revenu univer-sel. La raréfaction du travail va poser cette question. Comment on le partage et comment on en vit ? Le changement viendra de là  », estime Vincent Kauf-mann. Même si « cette révolution va aussi créer des jobs dans la robotique, l’intel-ligence artificielle, le big data », estime Dany Nguyen-Luong.

Dans les années quatre-vingt, la série télévisée K2000 met en scène une voiture contrôlée par une intelligence artificielle. R

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EnquêteC

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Programmer l’éthique, un défi bien humain

L’arrivée des véhicules autonomes et de la prise de décision par des algorithmes posent des questions éthiques. En cas de dilemme mortel, faudra-t-il tuer le piéton ou le conducteur du véhicule ?

Vous roulez tranquillement en ville en respectant les limites de vitesse. Soudain, une famille surgit et traverse à toute allure la chaussée, à la poursuite du chien qui a échappé à sa vigilance. Donnez-vous un coup de volant, au risque de vous écraser contre un mur et d’y laisser la peau, ou bien les écrasez-vous pour épargner votre vie et celle de bébé qui roupille sur la banquette arrière ? Cette question en apparence tordue est connue sous le nom du « dilemme du tramway » (lire encadré). Tous les

constructeurs l’ont remise au goût du jour depuis les premiers tours de roue de la voiture autonome. Les expériences de psychologie sociale co-menées par Jean-François Bonnefon de l’École d’Économie de Toulouse concluent qu’il est plus moral de sacrifier le conducteur pour 75% des personnes interrogées. Mais... Ce chiffre tombe à 60% lorsqu’un membre de la famille est à bord. Et 40% seulement des sondés se disent prêts à acheter un véhicule ainsi programmé. En réalité, les participants

penché sur le problème. Un rapport d’août 2017 énonce quelques principes éthiques et laisse quelques questions en suspens (1). En premier lieu, il est acté que « la protection de la vie humaine jouit d’une priorité absolue. […] Les systèmes doivent être programmés pour endommager les animaux ou les biens en cas d’incident ». En revanche, « toute distinction fondée sur des caractéristiques personnelles (âge, sexe, constitution physique ou mentale) est strictement interdite. Il est également interdit de contre-balancer la vie des victimes les unes par rapport aux autres ». Il a donc été décidé que les réactions ne pouvaient être normalisées et programmées.

De fait, ce dilemme devrait rarement surgir. Le véhicule autonome permettrait de réduire de 90% les accidents. Seule une partie des 10% restants serait mortelle. Pour atteindre ce chiffre, il faudrait toutefois que le parc automobile soit quasiment entièrement constitué de véhicules autonomes... Donc que leurs occupants se sentent protégés pour les utiliser. Certains constructeurs ont tranché : en cas d’accident mortel, le véhicule sauvera le conducteur.

(1) « Ethics commission. Automated and connected driving » http://www.bmvi.de/SharedDocs/EN/publications/report-ethics-commission.pdf?__blob=publicationFile

Dilemme éthiqueLe dilemme du tramway (en Anglais « the trolley dilemma ») a été formulé pour la première fois en 1967 par Philippa Foot. Imaginons le conducteur d’un tramway hors de contrôle qui se doit de choisir sa course entre deux voies possibles. Cinq hommes travaillent sur l’une. Un homme est situé sur l’autre. Quelle que soit la voie empruntée, le tram percutera mortellement la ou les personnes qui s’y trouvent. Que feriez-vous ?

préfèrent un véhicule qui les protège.

Priorité à la vie humaineLe ministère allemand des Transports et des Infrastructures s’est

Accident impliquant un véhicule sans conducteur (Arizona, États-Unis, 24 Mars 2017).

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Interview

« C’EST UNE RÉVOLUTION DU MÊME ORDRE QUE CELLE DE LA CALÈCHE À L’AUTOMOBILE »Les États-Unis et la Chine sont dans les starting-blocks. L’Europe semble à la traîne. C’est pourtant la question du bien commun et de l’accès à la mobilité qui est en jeu, selon Gabriel Plassat, expert en prospective, transports et mobilités à l’Ademe*.

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Quels sont les enjeux posés par l’arrivée des VSC ? L’essentiel, c’est l’équité : tout le monde pourra-t-il y avoir accès ? Cela passera-t-il par un achat de véhicule ? Paiera-t-on au trajet ? Mais aussi : quelle sera leur intégration dans le système de transports publics traditionnel ? Avec quelle ré-partition et quel maillage ter-ritoriaux ? Je vois aussi une question sur la capacité des acteurs à anticiper sa mise en œuvre.

La mobilité autonome donne lieu à des clivages et rapports de forces. Lesquels ?Il y a clivage entre opérateurs de mobilité, qui vendent du trajet, et constructeurs auto-

mobiles, qui vendent... des véhicules. Clivage, également, entre ces mêmes opérateurs et les acteurs de transport public : comment le marché de la mobilité va-t-il se répar-tir ? Quelles synergies entre la mobilité robotisée et les trans-ports publics ?Il y a clivage entre tous ces acteurs et les villes, les ter-ritoires. Ceux-ci pouront-ils mettre les nouveaux potentiels technologiques au service de l’équité territoriale, de la des-serte, du réaménagement de l’espace public avec plus de piétonisation ?

Quelle est, selon vous, la dynamique actuelle d’arrivée sur le marché ?

Les véhicules autonomes ar-rivent par la Chine, les États-Unis, le Japon. Le marché intérieur chinois est colossal. Les décisions liées au déploie-ment sont prises de manière peu démocratique et très ra-pide. Au Japon, la culture du robot est très développée. Aux États-Unis, la culture de l’ex-ploration technologique est forte. Le marché intérieur est vaste. C’est un compétiteur en pointe. Côté acteurs, les États-Unis ont Google, sans doute le plus avancé. La Chine pos-sède Baidu, qui développe le programme autopilote Apollo (photo ci-contre).

Vous n’évoquez pas les constructeurs automobiles… Ils ont pour la plupart da-vantage à perdre qu’à gagner. À l’avenir, soit on vendra le robot mobile (cher), soit on vendra la mobilité. De plus, ils ont face à eux de nombreuses «  villes du monde  », qui cherchent à mieux réglemen-ter les émissions polluantes, à réduire la congestion et pour certaines à réduire le nombre de véhicule en circulation. Et voici que des acteurs nou-veaux entrent dans leur jeu, avec des solutions de mobilité numérique qu’ils vont vendre à des constructeurs de véhi-cules électriques.

Que dire de la France et de l’Europe ?Elle ne prennent pas la me-sure. Ce qui se prépare est du même ordre que le passage de la calèche à l’automobile : l’invention d’une nouvelle industrie. Sortons de l’ima-ginaire de l’automobile, nous entrons dans une ère de « mo-bilité robotisée », qui sera un sujet stratégique pour l’État, notamment pour la maîtrise des données des véhicules en circulation.

En quoi les véhicules sans conducteur peuvent-ils améliorer nos vies ?En divisant par dix le parc

des véhicules en circulation, en faisant que ceux-ci soient mieux utilisés, qu’ils rendent l’espace aux transports collec-tifs, aux piétons et aux vélos. Par ailleurs ce scénario, cré-dible et souhaitable, est un des rares pour nous aider à diviser nos émissions de gaz à effet de serre par quatre (« facteur 4 »). Cela implique une coordina-tion entre États, territoires et acteurs de cette nouvelle mo-bilité. Les territoires doivent se mettre en réseau, coordon-ner leurs actions. Les États peuvent réinventer la fiscalité, en ajustant les incitations et les contraintes pour chaque trajet, chaque personne, en fonction des horaires, des profils, des destinations.

Quels sont les risques ?Ne pas disposer d’une indus-trie nationale ou européenne bien placée dans la chaîne de valeur. Pour les territoires, ce-lui de n’être pas outillés pour anticiper le bouleversement.

Comment aborder au mieux cette transition industrielle ? Un rapport de force doit être mis en place au niveau européen afin qu’États, col-lectivités et entreprises soient gagnantes.

Qu’en est-il pour les citoyens ?Pour que le bien commun l’emporte sur la logique de marché, il y a un chemin étroit pour l’évolution industrielle et les politiques publiques.

Prenons-nous cette direction selon vous ?Il se crée un ascendant entre les États-Unis et la Chine, tan-dis que l’Europe est absente du jeu. Si nous n’explorons pas, nous serons en retard dans l’apprentissage sur les véhicules sans conducteur et sur les bénéfices collectifs à en retirer pour les citoyens. * Gabriel Plassat, ingénieur à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), expert en énergies, prospective, transports et mobilités et président de la Fabrique des Mobilités.

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En quatre ans, le taux de jeunes de 18 à 20 ans titulaires du permis de conduire est passé de près de 75% à moins de 40%, (Le Parisien / OpinionWay). La voiture individuelle serait-elle vouée à disparaître ? Pas si vite ! Selon le sociologue Yoann Demoli, « le permis reste tout à fait banalisé parmi les jeunes classes d’âge, davantage que le baccalauréat. (...) La conduite automobile reste particulièrement appréciée et valorisée des plus jeunes ».

Comme le rappelle l’étude DAT et GFK en France (2016), 80 % des automobilistes estiment que la principale raison qui les pousse à posséder une voiture est la liberté personnelle qu’elle procure. L’automobiliste peut aller et venir sans avoir à vérifier la disponibilité d’un véhicule ou les

horaires précis d’une navette. Le gain de temps est aussi la qualité plébiscitée par 88,1% des répondants à l’étude de l’Observatoire Cetelem Automobile 2017. Cette habitude s’est muée en confort difficilement négociable. Mais cela renvoie également à une préoccupation de sécurité : en cas d’accident, il est possible de se rendre directement à l’hôpital sans attendre les secours. Surtout quand on habite loin de tout, donc loin des réseaux de transport en commun.

Performance, toujoursLe véhicule individuel est également un marqueur identitaire fort. « La voiture permet aux hommes d’affirmer leur virilité », confirme le psychanalyste Serge Tisseron. « Elle continue d’être investie comme un objet narcissique, destiné à valoriser celui qui la possède ». Par le passé, il s’agissait de mettre en avant la puissance. Esso : « Mettez un tigre dans votre moteur ». Aujourd’hui, avec BMW « Le plaisir est une énergie renouvelable ». Au final, il s’agit toujours de performance. En tout cas dans l’esprit de nombreuses agences de communication.

C’est aussi une expression sociale du statut de l’individu note Anaïs Rocci, sociologue au bureau de recherche 6T, spécialisé en mobilité urbaine. « Il paraît normal, en vieillissant, d’atteindre un niveau de confort de plus en plus élevé. » La voiture constitue en parallèle un marqueur du passage du temps. La chercheure poursuit : « L’automobile est inscrite dans le cycle de vie comme l’objet d’un rite de passage. Elle accompagne différentes étapes : entrée dans la vie étudiante, dans la vie active, changement professionnel, naissance d’un enfant, union ou séparation ».

Amour éternel ?Par ailleurs, le véhicule est une extension de notre chez nous. « Le Français aime sa voiture », souligne Jean-Marc Bailet, ex-gendarme devenu docteur en psychologie. « Elle est un prolongement de sa maison ». Il y a, enfin, osons le dire, le plaisir de la conduite ! Selon l’étude de l’Observatoire Cételem 2017, plus de 8 automobilistes sur 10 déclarent adorer prendre le volant. 9 sur 10 envisagent un nouvel achat dans les deux ans, avec un budget égal ou supérieur à celui de leur acquisition précédente. Le véhicule autonome restera-t-il au garage ?

Sommes-nous prêts à larguer Titine ?

Rouler à bord de robots-taxis fait fantasmer. Mais les comportements humains ont la peau dure. Le chemin est long avant d’abandonner la voiture individuelle.

La Ford T (ici en 1910) : aux origines de la suprématie de la voiture individuelle.

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Science-fiction

Pauline s’installe à une petite table centrale. Elle commence à rédiger des devis pour ses clients du lendemain. Au même moment, elle reçoit une notification avec photographie. L’image de ses enfants franchissant le portail de l’école.

12H30 Pauline arrive au siège de son entreprise. La tournée matinale s’achève. Le véhicule la dépose devant l’entrée du bâtiment et se stationne automatiquement. Pauline rejoint son espace de travail. Cet après-midi, une formation sur le nouveau produit-phare de la société a lieu.

18H00 La journée est finie. Pauline est épuisée. Elle appelle son véhicule qui vient la cueillir devant l’entreprise. Son domicile est à une heure de route. Elle bascule son siège en arrière puis enclenche l’obscurcissement des vitres sur l’écran tactile de la console de contrôle et se laisse glisser dans une petite sieste.

19H30 Une alerte retentit sur le smartphone de Pauline. Le véhicule sans chauffeur de SpeedMarket est devant son domicile. La livraison des courses commandées la veille est effectuée au jour et à l’heure demandés. Une heure plus tard, Pauline et son époux accueillent la grand-mère des enfants, qu’un taxi-volant dépose au sommet de l’immeuble.

8H00 Ce matin, les enfants ont eu du mal à se lever. Pauline n’est pas inquiète. Elle ne les accompagnera pas à l’école et n’arrivera pas en retard à son premier rendez-vous. Depuis son smartphone, elle commande un véhicule autonome à la demande. Le point de départ est géolocalisé par l’appareil. Pauline dicte la destination finale : « École primaire Paul Valéry ». La notification d’arrivée pour « prise en charge de mineurs non accompagnés » est activée.

8H15 Le véhicule sans conducteur partagé à la demande stationne devant le domicile familial. Les enfants endossent leur cartable. Pauline leur adresse un petit signe au moment d’embarquer. Puis, elle monte à bord du véhicule sans chauffeur. Son entreprise met à disposition de tous ses personnels commerciaux un véhicule nominatif transformé en bureau roulant. Des gains de productivité ont été réalisés. Pauline saisit l’adresse de M. Diakité, son premier client. Celui-ci semble décidé à acheter une cuisine toute équipée. C’est à une heure de route.

8H30 Le véhicule sans chauffeur de Pauline s’engage sur l’autoroute. Une fois inséré dans le trafic sur la file centrale, Pauline active le pilote automatique. Le véhicule prend les commandes. A l’arrière du véhicule,

MA JOURNÉE À BORD D’UN VÉHICULE... SANS CONDUCTEUR

Nous sommes en 2035. Pauline est une mère de famille bien occupée entre ses enfants et un travail prenant. Le véhicule sans conducteur a changé son quotidien en lui faisant gagner du temps.

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