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MARC VAN GYSEGHEM LA CHOUCROUTE JUDICIAIRE - Un plat liégeois 1 - 1 Cuire lentement, à feu doux.

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MARC VAN GYSEGHEM

LA CHOUCROUTE JUDICIAIRE- Un plat liégeois1-

1Cuire lentement, à feu doux.

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Quels livres valent la peined’être écrits, hormis les mémoires ?

André Malraux.

C’est ter-mi-né !Anne Thily.

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La lettre de Van Judith2

Novembre 93.

Monsieur l’Inspecteur principal,Voilà ! Je suis accusé de pédophilie ! Christophe B… a déposé une plainte : il m’accuse de l’avoir violé.

Vous me feriez rire si vous me disiez que je suis… présumé innocent.

Me « coincer » serait, pour vous, l’occasion d’être félicité. Pour moi… ce serait plutôt le contraire. Vous enquêtez. Je ne vous reproche pas d’enquêter… de penser que je pourrais être coupable.Mais je vous reproche de ne pas penser que je pourrais, peut-être, être innocent.

J’apprends que vous interrogez des personnes de mon entourage. Quoi de plus naturel !Mais j’apprends que vous essayez de leur faire dire ce qu’elles ne pensent pas…que vous faites pression pour qu’elles signent des déclarations qui ne sont pas conformes à ce qu’elles ont… déclaré.

Je ne suis pas content… pas du tout content. Je sens venir le temps où je vais me trouver devant un Tribunal Correctionnel où les témoins, comparaissant, n’oseront pas dire le contraire de ce qui sera mentionné dans leurs déclarations.

Que vous enquêtiez, d’accord !Que vous montiez un dossier, pas d’accord !

Depuis quatorze mois, je me sais accusé.Pourquoi ne m’interrogez-vous pas ?

2 Judith : héroïne du « livre de Judith » dont le nom signifie « la Juive », adopté ici pour symboliser les victimes de la mauvaise foi de ceux qui abusent de leurs fonctions.

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Je m’inquiète… j’ai quelque raison de me méfier d’une Justice qui n’appelle pas les parties à la cause. Non ?

Christophe B…se présente en victime.Savez-vous que, après avoir passé la nuit chez moi, il a fait sa toilette dans ma salle de bain, il s’est brossé les dents, il a fait la vaisselle, avant de « partir ».

La victime d’un agresseur sexuel ne fait pas ça !

Naturellement, vous n’êtes pas obligé de me croire, mais vous pourriez tout de même venir chez moi pour relever les…empreintes digitales qui se trouvent sur la brosse à dent et sur la vaisselle que Christophe B…a rangée dans mon bahut. Non ?

Ce ne serait pas une preuve de mon innocence, mais cela vous permettrait tout de même de dire à Christophe B… : « Expliquez-moi cela. ».

C’est la cinquième fois que je vous écris pour vous demander de m’entendre et…vous ne me répondez pas.Ainsi donc, vous prenez le risque de laisser en liberté un « dangereux violeur » alors que vous savez très bien que ce genre d’individu récidive toujours.3

Aujourd’hui, on ne réalise pas encore très bien combien il est pénible d’être accusé de pédophilie, mais, dans deux ans, lorsque éclatera l’affaire « Dutroux », vous comprendrez mieux ma situation.

3 Trois jours après, j’étais convoqué à la P.J.

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Le Juge d’instruction.

27 Novembre 1993. Midi. Fin de l’« audition ».

Voilà Monsieur Van Judith ! me dit l’inspecteur principal, j’ai vu Madame le Procureur du Roi… Elle décide de vous priver de la liberté.

C’est ainsi que je me retrouvai enfermé dans une cage d’un mètre carré, pendant six heures - c’est long ! – en attendant d’être entendu par le Juge d’instruction.

Je vous revois, mon juge, me dire avec le plus grand sérieux du monde : « Et vous trouvez NORMAL d’aller en vacances TOUT SEUL avec votre beau-père à Ténériffe ? ».

Je vous revois, mon juge, lorsque vous m’avez confronté à Monsieur Christophe B… .Je vous revois me dire avec la plus grande simplicité : « Il reconnaît avoir porté plainte contre vous POUR faire plaisir à votre fils Jean en étant bien conscient de le servir dans ses intérêts, lesquels sont de nuire à son père. ».

Dans cette affaire, il y a, au moins, un innocent !

Je vous revois, mon juge, lorsque, m’ayant convoqué sous la menace de faire intervenir la force publique pour autant que de besoin, vous me disiez en vous dandinant sur votre grand fauteuil : « Voilà... je suis ennuyé… dans les documents, ce n’est pas vous l’inculpé… on s’est trompé… c’est votre fils Jean l’inculpé… mais je vais rectifier… vous voulez bien signer ici…voilà… c’est en ordre… vous êtes devenu l’inculpé. ».

Je vous avoue, mon juge, qu’à ce moment, je ne riais pas, mais aujourd’hui…

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Madame le Procureur de Roi.

- Madame le Procureur du Roi, puis-je vous dire quelques mots ?4

- (pincée) Mais certainement, Monsieur.

- Madame le Procureur du Roi, je ne vous demande pas de bâcler l’enquête, mais… enfin… elle dure depuis plus de deux ans… ne pourriez-vous pas aller un peu plus vite…C’est important pour moi, pour ma famille…

- C’est surtout important pour la victime !

- Mais, Madame le Procureur du Roi, c’est moi la victime !

- C’est vous qui le dites !

- Madame le Procureur du Roi, puis-je savoir quand j’aurai accès au dossier ?

- Quarante-huit heures avant l’audience de la Chambre du conseil et… aux heures d’ouverture du greffe correctionnel.

- Madame le Procureur du Roi, pourrais-je prendre photocopies de certaines pièces du dossier ?

- Ah non ! C’est réservé aux avocats.De toute manière, il va me falloir des semaines pour rédiger mes réquisitions.

4 Le 26 janvier 1995.

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La Chambre du conseil.L’affaire « vint » devant la Chambre du conseil en octobre 1995.

Le Président :« Sur réquisitions de Madame le Procureur du Roi, la Chambre du conseil prononce le non-lieu. Vous pouvez aller Monsieur. ».

- Monsieur le Président, puis-je vous dire quelques mots ?

- Non, Monsieur, je n’ai pas le temps.

J’aurais dû lui répondre comme cette Romaine qui demandait à l’empereur Domitien de bien vouloir lui parler et qui s’entendit répondre : « Je n’ai pas le temps ». : « Alors, il ne faut pas être empereur de Rome ! ». Domitien l’écouta.

- Monsieur le Président, je vous en supplie… j’ai tant souffert !

- Non, Monsieur. Sortez ! Sortez !

C’est alors que le Procureur du Roi me dit : « De quoi vous plaignez-vous ?… Vous êtes blanchi ! ».

J’avais souffert, ainsi que toute ma famille, pendant trois ans. Mais… pour la Justice, qu’est-ce que cela ?

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Le dossier en… trois mots.Avant de comparaître devant la Chambre du conseil, en octobre 95, j’avais pu lire le dossier.Je m’étais rendu compte de deux choses.

Au moment où je demandais à Madame le Procureur du Roi : « Ne pourriez-vous pas aller un peu plus vite ? », au moment où elle me répondait : « C’est surtout important pour la victime ! », elle pouvait savoir – et devait savoir – que je n’étais pas coupable.

Le dossier, venant de l’Instruction, était en sa possession depuis quinze jours… depuis le 12 janvier 1995. Il indiquait, notamment, par un rapport du psychologue qui avait interrogé Christophe B… que : « la motivation de la plainte déposée par Christophe B… réside dans l’espoir d’obtenir 100.000 francs… Christophe veut gagner de l’argent… beaucoup et vite. »

Avait-on « freiné » ce dossier pour me punir d’avoir commis le crime de lèse-procureur du Roi en lui demandant « d’aller un peu plus vite » ?

Je m’en ouvris, par une lettre fort respectueuse, à Madame le Procureur du Roi.

Elle ne me répondit évidemment pas.Je dis « évidemment » parce que je pus me rendre compte, par la suite, combien le mépris du Parquet pour « les gens » est incommensurable.« On » répond, d’une façon méprisante, par le silence.

Pire !Je constatai que le Parquet aurait dû se rendre compte, dès les premières déclarations de Christophe B…, que je n’étais pas coupable.C’est alors que me vint l’idée d’écrire en me fondant sur les déclarations de Christophe B…, à l’intention des magistrats qui avaient traité le dossier, BELGICACUS.

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Belgicacus.Tragédie en un acte de … Raci-Courteli.

La pièce met en scène trois personnages :- Le Tribun Cornichus (prononcer : cus),- Le jeune Romain Christus,- L’huissier du Tribunat Minus.

L’action se passe à Rome dans la grande salle du Tribunat ; elle commence et se termine en moins de vingt-quatre heures selon les règles des tragédies classiques.

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Acte 1.

Scène 1.

(En scène, le Tribun Cornichus. Il est vêtu de la « Toge pourpre », attribut des tribuns de plus de quatre-vingts ans. Il a été nommé au Tribunat par César qui apprécie ses qualités de juriste – il connaît le droit romain par cœur qu’il récite en latin et en grec – et son grand bon sens.Sa sénilité se manifeste dans sa voix chevrotante, mais ses paroles révèlent un esprit toujours vif.La maladie de Parkinson fait vibrer son chef tout chenu.Il est assis sur une chaise curule.Ses tablettes sont posées sur ses genoux.)

Cornichus, chevrotant,

Minus, faites entrer Christus.

Minus.

Approchez-vous Christus et prenez votre place5.

Note : le rôle de Cornichus fut créé par Madeleine Renaud à plus de 75 ans ; il fut repris, par la suite, par Alice Sapritch.

5 Dans la première édition :« Approchez-vous Christus et prenez votre place »« On veut sur vos soupçons que je vous satisfasse. »C’était les deux seuls vers de la pièce tirés d’ailleurs de Britannicus.Pour paraître moins ridicule, Raci-Courteli supprima le deuxième.

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Scène 2.

Cornichus – Christus.

(Christus : jeune Romain, grand, fort, viril. Sa voix est bien timbrée ; il mesure 1 mètre 80. Il est vêtu d’une mini-toge qui lui découvre les genoux.)

Cornichus.

Ave, mon petit garçon.

Christus.

Ave, Citoyen Tribun. Puis-je prendre place ?(Il s’assied.)

Cornichus, chevrotant,

Quel âge as-tu, Christus ?

Christus.

Dix-sept ans et demi, Citoyen Tribun.

Cornichus.

Oh ! Comme tu es petit pour ton âge !

Christus.

Je mesure un mètre quatre-vingt, Citoyen Tribun.

Cornichus, toujours chevrotant,

On ne le dirait pas !Comme tu es jeune, mon enfant.

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Christus.

Dans cinq mois, je serai majeur, Citoyen Tribun.

Cornichus.

C’est pas possible !

Christus.

Si !

Cornichus.

Qu’est-ce qui t’amène au Tribunat ?

Christus.

La nuit dernière, je suis allé librement chez Marcus ; j’avais prémédité de dormir avec lui et j’ai passé la nuit dans son lit.

Cornichus.

Quel sale type ce Marcus !

Christus.

J’ai eu une relation sexuelle avec lui et j’ai connu l’extase.

Cornichus.

Quel sale type ce Marcus !

Christus.

Le lendemain matin, j’ai lavé ses verres en cristal du Val-Saint-Lambert et je les ai rangés dans son bahut en ébène de style Scipion l’Africain.Note. Raci-Courteli commet ici une erreur: le cristal du Val-Saint-Lambert n’existait pas au temps de César.

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Cornichus.

Quel sale type ce Marcus !Ainsi donc … il t’a attiré chez lui.

Christus.

Non ! J’y suis allé librement.

Cornichus.

Quel sale type ce Marcus !Ainsi donc … il t’avait proposé de dormir avec lui.

Christus.

Non ! J’avais prémédité de dormir avec lui.

Cornichus.

Quel sale type ce Marcus !Tu devais être tout bouleversé après une affaire pareille ?

Christus.

Pas du tout ! J’ai lavé ses verres en cristal sans en casser un seul.

Cornichus.

Quel sale type ce Marcus !Et … tu as connu l’extase, dis-tu. Comment était-ce ?

Christus.

Génial, Citoyen Tribun !Cornichus.

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Et … Marcus t’a bien donné quelques sesterces pour ce petit service ?

Christus.

Des clous !

Cornichus.

Je vais ordonner que Marcus soit privé de la liberté. Je suis sûr que César m’approuvera.Mais … dis-moi. Pourquoi avais-tu décidé de dormir chez Marcus ?

Christus.

Parce que mon cheval était malade.

Cornichus.

Quel sale type ce Marcus !Mais … dis-moi. Pourquoi n’es-tu pas parti quand Marcus a commencé à … Il t’a retenu par la force?

Christus.

Pas du tout ! La force n’est pas le style de Marcus.Il est plus malin que ça !

Cornichus.

C’est un rusé ! Je parie qu’il a fait usage de la ruse ! Le droit romain est formel ! La ruse est une contrainte morale équivalente à la contrainte physique.Mon pauvre petit garçon !Et … tu es venu tout seul ici au Tribunat ?

Christus.

Non ! C’est le fils de Marcus qui m’a amené.

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Cornichus.

Quel gentil garçon !Et … tu viens me raconter tout cela parce que tu as subi un préjudice moral.

Christus.

Pas du tout ! Je viens pour faire plaisir au fils de Marcus. Il m’a aidé à quitter le foyer familial. Sans lui, je n’aurais pas pu quitter mes monstrueux parents.

Cornichus.

Quel gentil garçon !Il a bien fait car tout le monde sait bien que c’est beaucoup mieux, pour un garçon de seize ans, de vivre en dehors de sa famille.N’oublie jamais la reconnaissance que tu lui dois.

Christus.

C’est pour cela que je lui rends ce petit service, Citoyen Tribun.

Cornichus.

Tu as bien raison de servir les intérêts de ton bienfaiteur qui a toujours été si gentil pour toi.

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Christus.

Oui ! Sauf une fois ! Je ne voulais pas plafonner son atrium à 9 heures du soir … il m’a dit que je pouvais faire ma valise et partir.Comme j’étais coincé, j’ai plafonné.

Note: Raci-Courteli commet ici deux erreurs:on ne plafonnait pas les murs au temps de César; les valises n’existaient pas.

Cornichus.

Quel gentil garçon !Et… dis-moi. En quoi a consisté la ruse de Marcus ?

Christus.

Marcus, qui a plusieurs maisons sur le Forum, m’a dit qu’il gagnait toujours ses procès contre ses locataires qui ne payent pas.

Cornichus.

Quel rusé !Il n’y a que lui pour utiliser un pareil procédé !Ca me dégoûte !Impressionner… que dis-je, subjuguer un petit garçon tout bête comme toi par un moyen aussi noir, c’est honteux !

Christus.

C’est honteux, Citoyen Tribun !Devant Marcus, je me suis senti comme un caporal devant Napoléon Bonaparte !

Note: Raci-Courteli fait encore une erreur, mais… vous l’aurez remarquée… .

Cornichus.

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Et… que dit le fils de Marcus ?

Christus.

Qu’il faut faire mettre ce gars-là en prison !

Cornichus, toujours chevrotant,

Il a bien raison !Qu’est-ce que César, qui voit encore plus clair que moi, va dire ?Je n’ose y penser.Mais… j’imagine que César te demandera si tu maintiens tes déclarations; tu ne vas pas te dégonfler au moins ?

Christus.

Jamais ! Même si on me le demande six fois comme Jésus-Christus avec Sanctus Petrus.

Cornichus.

C’était seulement trois fois.

Note: Décidément, Raci-Courteli n’a pas de chance !Comme dirait La Palice, Jésus-Christ n’était pas né cinquante ans avant Jésus-Christ (ni même deux heures moins le quart avant…).

Cornichus.

Va bien en paix, mon petit ange !

Note: Raci-Courteli fait ici une double erreur:1- Au temps de César, les tribuns ignoraient l’existence des

anges. Ce n’est que bien plus tard que les magistrats angélisèrent les hommes qu’ils considèrent comme “normal”.

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2- Le second concile de Nicée ne parvint pas à déterminer le sexe des anges, mais le concile de Trente décida qu’ils étaient asexués, ce qui n’est pas le cas de Christus comme on l’a vu d’après ses déclarations.

Cornichus.

Dis-toi, comme il ne s’agit pas d’une question de sesterces, que tu as ta bonne conscience pour toi et la protection des lois de Rome.

Christus.

Ave, Citoyen Tribun !

FIN.

Avant la dernière édition, Raci-Courteli voulu remanier sa pièce pour faire plaisir à la grande tragédienne Gilletta Madonna qui lui conseillait d’y introduire les idées de Sergio Dalla Piazza, mais il préféra ne pas y toucher puisqu’elle avait receuilli un immense succès, lors de sa première représentation, au Palais des Princes-Evêques de Liège.

Raci-Courteli éprouva une grande amertume lorsqu’il apprit que Gilletta Madonna refusait sèchement le rôle de Cornichus dans lequel elle avait si souvent brillé en soulevant l’hilarité d’un large public élitiste.Il s’en consola en recevant le prix du “Cercle de littérature de Boom”.

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Comprendre, oui…mais jusqu’où.Voyez-vous, mon juge, ,je veux bien comprendre que vous ne soyez pas très malin et, partant, incompétent.Je veux bien comprendre aussi que la Justice soit lente parce qu’encombrée.Je comprends que les procédures soient longues, que la Justice manque d’ordinateurs, de photocopieuses, de crayons, et d’attache-tout.Je comprends, Madame le Procureur du Roi, que, étant mal payée, vous ne soyez pas zélée.Je comprends aussi que vous soyez inhumaine.Je comprends déjà moins que vous veniez au Palais de Justice avec une jupe fendue, par devant, ,jusqu'à mi cuisse.Je ne comprends pas du tout que vous veniez, tous les jours, au Palais de Justice, avec votre petit chien.Vous voyez que je comprends, tout de même, beaucoup de choses… mais je n’admets A.B.S.O.L.U.M.E.N.T pas d’être maintenu dans l’état d’inculpé pour pédophilie alors que vous savez que je ne suis pas coupable.Qu’il ait fallu attendre vingt-sept mois pour que l’instruction soit terminée, je comprends.Qu’il ait fallu attendre neuf mois pour que le non-lieu soit prononcé par la Chambre du conseil, je ne comprends pas… je n’admets pas.Je hurle lorsque je lis la phrase écrite par le président du tribunal : « Si l’on peut s’étonner quant à la durée d’une information, puis d’une instruction qui vont durer près de trois ans, alors que, dès sa PREMIERE AUDITION, le sieur Christophe B… avait… » … avait démontré que je n’étais pas coupable.Oui, Madame le Procureur, je hurle.Je vous ai écrit, fort poliment, pour vous faire part de mon mécontentement. Vous ne m’avez pas répondu.Alors, je hurle lorsque j’entends Madame le Procureur général qui déclare, lors de l’audience solennelle de la Cour du 1er

septembre 1997 : « Il faut expliquer, être pédagogique, humain. ».Oui, Madame le Procureur, je hurle.

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Les frappes… comme en Yougoslavie.Je n’étais pas content. Je ruminais. Je sentais que je devais faire «quelque chose».Madame le Procureur général près la Cour d’appel de Liège Thily venait de faire des déclarations fracassantes : c’est TER-MI-NE… C’est terminé la justice sur la place Saint-Lambert !Je rédigeai une «lettre ouverte à Madame le Procureur général » dans laquelle je disais, notamment : «  Madame le Substitut du Procureur du Roi Leroi est une tricheuse. ».Sur le trottoir, devant la porte du Palais de Justice, je distribuai ma «lettre ouverte» à tout qui entrait dans le Palais : magistrats, greffiers, huissiers, justiciables …Survinrent deux gendarmes : « Ordre de Monsieur le Procureur du Roi Dulieu : on vous arrête. ».On m’arrêta… je fus relâché.Je récidivai.On m’arrêta… je fus relâché.Je récidivai…C’est alors qu’entrèrent dans ma vie deux femmes : l’une admirable, l’autre beaucoup moins.Vous connaissez déjà Madame Leroi (c’est un nom d’emprunt). Vous allez faire la connaissance de mes deux autres héroïnes.

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Il était une fois…Ce conte se déroule au Palais de Justice de Liège… sur le trottoir devant le grand portail, dans les couloirs et, parfois, dans les salles d’audience.C’est dans ce beau palais des princes-évêques d’Ancien Régime que sont logés la Cour d’appel et son Parquet général, le Tribunal de première instance et son Parquet du Procureur du Roi ainsi que de nombreux greffes.

- Madame Leprince, président à la Cour d’appel,

- Madame Lareine, juge d’instruction au Tribunal de première instance,

- Madame Leroi, substitut du Procureur du Roi.

Le décor étant planté, les personnages étant présentés, le conte peut commencer.

De Madame Leprince, vous devez savoir qu’il s’agit d’un magistrat honnête jusqu’au scrupule, droit, travailleur…Vous n’êtes pas obligé de me croire, mais vous auriez tort.Un jour que je distribuais mes «petits papiers qui révolutionnent le Palais » … sur le trottoir, le dos tourné vers le Palais, je sentis se poser sur l’un de mes bras une main délicate qui venait de l’arrière.Une main trop délicate pour être celle d’un gendarme qui serait venu, encore, m’intercepter.Quelle ne fut pas ma surprise de me trouver, en me retournant, devant Madame le Président Leprince !Elle était là, toute gracieuse, très droite, toute souriante, toute élégante, me regardant avec un air d’aimable dignité.

- Madame le Président !

- Je viens de lire votre «papier» … Je voudrais savoir ce qui se passe… pourquoi un homme comme vous fait une chose pareille… vous moquer de Madame le Procureur général… outrager Madame Leroi… Je voudrais que vous

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m’expliquiez… pas maintenant car je dois présider une audience, mais après… Voulez-vous venir me voir à telle heure.

- Oh oui ! Madame le Président.

Je sentis mes jambes se dérober… j’avais le cœur qui battait la chamade… Ca alors ! Madame le Président qui s’intéresse à… .Mon Dieu !Comment allais-je m’y prendre pour raconter l’essentiel sans me perdre dans les détails ?J’étais impressionné tant par le personnage que par son titre.Madame le Président me reçut… m’écouta pendant une heure sans m’interrompre et puis conclut :

- Comme vous avez dû souffrir ! … Madame Leroi ne vous a pas répondu ? Elle n’a pas essayé de vous expliquer que vous vous trompiez sur ses intentions ?Mise au courant, Madame le Procureur du Roi ne vous a pas non plus répondu ?  … Ni Monsieur le Président du Tribunal de première instance ? … Ni Monsieur le Procureur Général ?Et… vous menez cette action dans le but de vous faire citer devant le Tribunal correctionnel pour … pour pouvoir vous expliquer devant «l’Autorité» ?Au train où vous y allez, vous n’allez pas tarder à recevoir une citation à comparaître pour outrages à magistrats.

Tout cela se passait en mars 1997 et je fus cité en … février 1998.Vous pouvez constater, cher lecteur, combien c’est difficile, à Liège, de se faire citer devant le Tribunal.De Van Judith, on n’en voulait pas !« On » ne voulait A.B.S.O.L.U.M.E.N.T pas qu’il vienne déballer, en public, dans une salle d’audience, les manquements de la Justice…Non ! non ! et non !

Voici Madame Lareine, juge d’instruction !

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C’est le 12 septembre 1996 que les gendarmes m’amenèrent dans son Cabinet.Madame Lareine n’est ni froide, ni chaleureuse ; n’est ni belle, ni laide. Elle a de petits yeux qui, parfois, se cachent derrière des paupières plissées.Mais elle est fort enjôleuse.

Vous avez distribué, sur la voie publique, des papiers dans lesquels vous écrivez que Madame Leroi est une tricheuse… Vous reconnaissez les faits… Je suis obligée de vous inculper pour outrages à magistrat…De toute évidence, vous cherchez à être inculpé, mais … pourquoi ? Expliquez-moi… prenez votre temps.

Je racontai mon «histoire».De temps en temps, elle m’arrêtait : Madame Leroi et moi, nous n’exerçons pas le même métier… moi, j’instruis une affaire… je me dois de trouver la vérité.Elle cherchait à me mettre en confiance. Je lui faisais confiance. A cette époque, je n’imaginais pas ne pas pouvoir faire confiance à un juge d’instruction.En fait, son objectif était défini : il faut qu’il se livre afin que je puisse saisir les éléments qui me permettront de le neutraliser, voire de retourner la situation contre lui… il fait de «son nez», mais je vais le coincer au tournant et… il n’y verra que du feu.

- J’ai constaté que vous aimiez écrire pour …être compris. Soyez certain que je vous lirai… n’hésitez pas à m’écrire. Acceptez-vous d’être examiné par un médecin psychiatre ?

- Mais, Madame le Juge d’instruction, j’ai déjà été, longuement, examiné par un psychiatre… son rapport (qui m’était «favorable») est au dossier.

Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre fuser sa réponse !

- Un aûaûtre évidemment !

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Evidemment… un autre ; un autre qui pourrait, peut-être, dire que je n’étais pas «tout à fait équilibré».Comme cela eut été confortable !Van Judith dit des horreurs, mais elles sont sans importance… Il est un peu – ou beaucoup – fou.

Vous espériez, n’est-ce pas, Madame le Juge, qu’un jour, le Procureur du Roi serait en mesure de dire au Président du Tribunal correctionnel : Van Judith est un fou ?De telles paroles, dites publiquement, discréditeraient, aux yeux de tous et définitivement, Van Judith.Raté, Madame le Juge ! Le psychiatre n’a pas conclu de cette façon.A défaut d’atteindre cet objectif secrètement espéré, vous pensiez, connaissant le psychiatre, qu’il me remettrait sur le chemin de «la raison».Il a essayé, Madame le Juge. Il m’a dit : « vous souffrirez en prison. ». Il m’a expliqué : « Vous ne connaissez pas le système judiciaire… Moi, je le connais très bien… La Justice prend «les gens», elle les broie, elle les digère, elle les rejette… C’est ainsi ! C’est ainsi… et on ne sait rien y faire. ».

Et puis, un jour, vous avez reçu le rapport du «psy». Vous m’avez convoqué. Vous m’avez dit :

- Je ne peux pas vous en donner une copie, mais je puis vous en donner connaissance… prenez-le, je vous fais confiance – entre nous, Monsieur Van Judith, la confiance est totale – allez à la cafétéria des magistrats…lisez le rapport à votre aise… Vous viendrez me le rapporter et vous me ferez vos observations.

Quel climat idyllique ! La confiance totale !Lorsque je soulevai la question :

- La cafétéria des magistrats…Ne risque-t-on pas, lorsqu’on n’est pas magistrat, d’en être chassé ?

Superbe, vous m’avez répondu :

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- Si l’on vous dit quelque chose, vous direz que c’est MOI qui vous ai donné l’autorisation.

Mon Dieu ! Quelle autorité, me suis-je dit…Un magistrat qui se place au-dessus du règlement !Vous êtes habituée, n’est-ce pas, Madame le Juge, à voir que votre autorité n’est jamais discutée.Votre greffier m’a regardé. Il semblait vouloir me dire : « Nous, c’est ainsi ! ».Vous aviez, n’est-ce pas, le sentiment de dominer la situation.De Van Judith, vous n’en feriez qu’une bouchée !Je vous sentais cependant attentive. Il ne fallait pas qu’un froncement de votre front me mette en éveil.Cependant, un jour que j’entrais dans votre Cabinet et que je vous disais respectueusement : « Bonjour Madame le Juge d’instruction, je vous présente mes respects. », vous avez eu un mouvement d’hésitation : Votre main s’est tendue vers moi pour… me serrer la main. Mais vous avez retenu votre geste. Votre main n’a fait que le quart du chemin.J’ai compris que la confiance n’était pas aussi totale que vous vouliez me le faire croire.Dès ce moment, je me méfiai de vous…mais en secret…dans le plus grand secret.Je vous revois me dire :

Ne distribuez plus vos «petits papiers qui révolutionnent le Palais» et…en échange – vous n’avez pas prononcé le mot – je vous promets que je m’occupe de votre calomniateur.

Quel marché, Madame le Juge d’instruction !A cette époque, je n’avais pas de plus cher désir que de voir punir mon calomniateur.Quel marché ! Mais c’était un marché de dupes.Je promis… je promis de tout mon cœur.Plus tard, il me sera reproché de n’avoir pas tenu ma promesse. Evidemment, lorsque je me suis aperçu que vous ne teniez pas la vôtre, je me suis senti dégagé de la mienne.Car… votre promesse… vous ne l’avez pas tenue, n’est-ce pas ?Traître ! Traître que vous êtes !

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Vous saviez que j’avais déposé une plainte contre Christophe B… pour avoir fait une déclaration calomnieuse.Traître ! Traître que vous êtes ! Vous avez inculpé mon calomniateur pour un fait qui ne pouvait et n’aurait pu lui être reproché par un Tribunal : avoir, par des écrits, non rendus publics, mais distribués à certaines personnes, porté atteinte à l’honneur de M. Van Judith.Traître ! Traître que vous êtes !Vous saviez très bien que Christophe B… n’avait pas commis ce délit.Vous pensiez, n’est-ce pas, que je ne m’en rendrais pas compte ? Que je n’aurais la désagréable surprise de voir mon calomniateur échapper à la Justice correctionnelle que … bien plus tard… trop tard ?Vous rappelez-vous qu’un jour, je vous ai rencontrée dans le «couloir des juges d’instruction» et que je vous ai demandé :

- Avez-vous inculpé mon calomniateur ?

Vous rappelez-vous que vous m’avez répondu :

- Oui, oui… il est inculpé.

Mais, vous vous êtes bien gardée de me dire que vous l’aviez inculpé «à côté de la plaque».Traître que vous êtes !Et puis, il y a eu la séance à la Chambre du conseil.Vous vous êtes arrangée pour que mon calomniateur échappe au renvoi devant le Tribunal correctionnel.Vous rappelez-vous l’ordonnance du président de la Chambre du conseil ? « Van Judith est un énervé ! ».Je suis sûr que vous vous souvenez de cela … fort bien.Vous avez été surprise, n’est-ce pas, Madame le Juge, que je fasse appel à l’ordonnance de la Chambre du conseil ?Et… vous avez encore été plus surprise, n’est-ce pas, que la Chambre des mises en accusation de la Cour renvoie mon calomniateur devant le Tribunal correctionnel.Si ! Si ! … Ce jour là, vous étiez d’une humeur de chien.

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Pourtant, l’avocat général avait fait un long réquisitoire – 6 pages – pour soutenir le point de vue de la Chambre du conseil.Mais, la Chambre des mises en accusation composée de trois magistrats admirables – nous en reparlerons – n’a pas suivi le réquisitoire.Van Judith venait de marquer un point … un gros point.Plus tard, la presse déclara que je jubilais en signalant le fait devant le Tribunal correctionnel.Non ! Je ne jubilais pas. Je rétablissais la vérité des faits.Je continuai à distribuer, devant le Palais de Justice, mes «petits papiers qui révolutionnent le Palais».Votre traîtrise m’avait libéré de la promesse que je vous avais faite de ne plus en distribuer.Mes «petits papiers» étaient humoristiques… d’un humour mordant, j’en conviens.Le président du Tribunal correctionnel devait dire, plus tard, que mes «caricatures» provoquaient un haussement d’épaules amusé ou un sourire apitoyé.Pourtant, tout le monde n’était pas amusé et… ne souriait pas.Vous preniez, comme presque tout le monde, le «petit papier» que je présentais quiconque entrait dans le Palais de Justice.Je ne vous ai jamais vu sourire.Sans doute, le président du Tribunal correctionnel ne pensait-il pas à vous lorsqu’il parlait de sourires.Non ! Vous ne souriiez pas !Vous ne souriiez pas, mais vous preniez – volontiers ? – un exemplaire de mes «petits papiers».Comme vous deviez être ennuyée de savoir que «les gendarmes et le petit personnel des greffes» s’esclaffaient à vos dépens !C’était l’époque où vous aviez comparu devant la Commission parlementaire relative à l’affaire Dutroux.Madame le Juge d’instruction Doutrewe – Elle est sans doute à la droite de Dieu – avait eu une attitude droite… très droite… honnête devant les commissaires.Elle s’était efforcée de «n’accrocher» personne … elle avait seulement dit qu’elle ne pouvait pas dire ce qu’elle pensait de l’attitude de Monsieur le Procureur général Giet.Vous vous souvenez ?

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Monsieur Russo avait dit, devant trois cent mille personnes, que Monsieur Giet était un … menteur par omission.Quelle époque, Madame le Juge d’instruction !Vous, vous aviez été plus adroite que Madame Doutrewe. Vous aviez suffoqué d’indignation à propos de … deux gendarmes.Les gendarmes ? Puis-je vous dire, Madame le Juge d’instruction (mais je le dis surtout à l’intention de Madame le premier substitut du Procureur du Roi W…) que les gendarmes se sont toujours montrés corrects et courtois avec moi.Je n’ai jamais perçu, chez les gendarmes, la moindre tentative de déloyauté.Presque quotidiennement, je distribuais mes «petits papiers» subversifs devant la porte du Palais de Justice.Comme – presque – tout le monde, les gendarmes riaient.Ils savaient bien qu’un jour, je serais probablement – mais pas certainement – condamné pour outrages à magistrat, mais ils savaient d’une manière absolue que vous étiez discréditée.Vos collègues du Tribunal de première instance – vous savez bien : ceux qui vous font risette tous les jours – me disaient : Lareine est coulée … elle est par terre !Et puis un jour, j’ai appris que la Cour d’appel allait, politiquement, vous repêcher : la Cour allait favoriser votre promotion dans la magistrature. Nous en reparlerons.Vous rappelez-vous, Madame le Juge d’instruction, qu’un jour, vous m’avez dit, en plissant vos paupières : Personne, Monsieur Van Judith, personne ne vous poursuivra !Je distribuais mes «petits papiers», mes caricatures…devant le Palais de Justice et, effectivement, personne ne me disait rien.C’était l’épreuve de force !J’en disais plus, encore plus, toujours plus… et personne ne réagissait.La situation devenait intenable. Non ?Madame le Procureur général, qui avait succédé à notre illustre Procureur général Giet, faisait arrêter sa voiture et ordonnait à son chauffeur de prendre un des papiers que je distribuais.Elle riait… un peu jaune, mais elle riait en les lisant.

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J’égrène des souvenirs.Un jour, Monsieur le Juge d’instruction Coumanne m’a dit :

- Vous savez, M. Van Judith, l’affaire «Van Judith», ce n’est pas l’affaire du siècle.

- Non, Monsieur le Juge d’instruction, mais ce qui est l’affaire du siècle, ce sont des magistrats qui trichent.

« Personne, Monsieur Van Judith, personne ne vous poursuivra ! ».En clair : Vous n’arriverez jamais – Vous m’entendez ? – vous n’arriverez jamais à vous expliquer devant le Tribunal correctionnel ! Tout le monde sait bien que j’ai triché, mais personne ne le saura «officiellement».Vous allez mourir d’une rage impuissante …vous allez attraper une pneumonie dans le courant d’air glacial qui balaye le porche du Palais de Justice… vous allez crever de dépit et d’épuisement …votre santé psychologique va finir par flancher… vous ferez une dépression nerveuse et… et vous en mourrez.Naïve ! Naïve que vous êtes, Madame le Juge d’instruction !Je n’étais pas animé par la rage… je n’éprouvais aucune amertume… aucune rancune.La rancune est un sentiment que je ne connais pas !Ce n’était pas la vengeance qui m’animait ; c’était un idéal.J’avais la «certitude» que je devais lutter pour une grande cause… j’avais la foi… une foi immense !Vous aussi, Madame le Juge, vous aviez une certitude… celle que je n’arriverais pas à m’expliquer devant le Tribunal correctionnel.Les gendarmes ?Vous les prenez pour des imbéciles, n’est-ce pas ?Vous les avez vus, des dizaines de fois, assis devant vous, dans votre Cabinet, de chaque côté d’un prévenu … silencieux, immobiles, respectueux, obéissants…Vous pensez qu’ils ne pensent pas, n’est-ce pas ?Eh si ! Ils pensent. Ils pensent et ils comprennent.

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Pendant longtemps, ils ont obéi aux ordres du Parquet : Interceptez Van Judith… mettez le dans une cage pendant quelques heures… prenez ses déclarations… ».Et puis… et puis ils ont compris que le Parquet se moquait d’eux. Ils ont fini par ne plus accepter l’ordre d’intercepter Van Judith.Ils ont compris que je ne bravais pas leur autorité… Ils ont compris mon objectif… mon idéal.Gardez-vous de penser, Madame le Juge, que les gendarmes ne vous connaissent pas. Vos méthodes, vos manigances, ils les connaissent.Bien sûr, ils n’ont «rien à voir là-dedans»… Ils se taisent, mais ce n’est pas parce qu’ils ne disent rien qu’ils sont des imbéciles.D’ailleurs, vous voyez comme ils ont compris… bien compris.

Le temps passait…Van Judith était toujours là…planté devant la porte du Palais de Justice… distribuant ses «petits papiers»…souriant… en pleine forme.Plus tard, la Cour dira, dans son arrêt, que Van Judith est incapable d’apporter la preuve que vous m’aviez dit que «personne ne me poursuivrait».La preuve ?Mais, elle est là… elle est apportée par les faits : Personne ne m’a poursuivi !Pendant des mois, j’ai distribué mes «petits papiers outrageants» au nez et à la barbe du Parquet. Pire ! Je les remettais dans les mains du Parquet.Il faut être aveugle pour ne pas voir… la preuve.Le temps cheminait. Vint Noël 1997. Janvier 1998.Un pli soucieux était apparu sur votre front, Madame le Juge. Vous aviez constaté que je ne distribuais plus de «petits papiers»… sur le trottoir. J’étais entré dans la cour du Palais de Justice. Je venais mettre ma tête dans… la gueule du lion.Vous vous rappelez ? Chaque matin, je vous disais :  « Bonjour, Madame le Juge d’instruction ». Vous passiez raide devant moi. Les témoins de la scène souriaient.Je parlais bien haut. Je disais des choses graves… très graves… des choses qui risquent d’amener de gros ennuis à celui qui les dit.

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En février 1998, j’ai sauté le pas. Je me suis mis à hurler : « Madame le Juge d’instruction Lareine est une tricheuse et une scélérate ! ».J’ai cru que Monsieur le Président Lamoureux allait tomber à la renverse. Les substituts étaient atterrés, mais… mais ils ne bougeaient pas puisqu’on leur avait dit de ne pas bouger.Vous vous souvenez ?Pendant quinze jours, j’ai hurlé cette monstrueuse phrase devant des centaines de personnes qui se trouvaient dans la cour du Palais de Justice : Magistrats du tribunal, magistrats de la Cour, magistrats du Parquet général, greffiers, gendarmes… .Le premier jour, Madame le Procureur général m’avait averti : « Vous allez avoir des ennuis… de graves ennuis. », mais le treizième jour, elle me disait : « Vous n’êtes toujours pas inculpé ? ».Eh non, Madame le Procureur général, je ne suis toujours pas inculpé !« Personne, Monsieur Van Judith, personne ne vous poursuivra ! ».Le pensiez-vous toujours, Madame le Juge d’instruction ?Vous aviez peut-être la foi du charbonnier !Le président du Tribunal de première instance, Monsieur Bourseau, était effondré… effondré par l’immobilisme du Parquet.Le 6 février, il somma, par écrit – j’ai une copie de sa lettre – il somma le Procureur du Roi d’entamer des poursuites… . La situation, disait-il, est déplorable et risible.Oui ! Le Tribunal de première instance perdait la face.La situation était effectivement risible.En tout cas, elle faisait rire les substituts auxquels Madame le Procureur du Roi avait donné l’ordre de ne pas poursuivre.C’était risible et … déplorable!C’est à cette époque que je vous disais : “Bonjour Madame la tricheuse !”.Vous ne répondiez pas… . Je le comprends.Vous ne déposiez pas plainte. Je le comprends aussi.Vous étiez enfermée dans votre propre piège.“Personne, Monsieur Van Judith, personne ne vous poursuivra!”.

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Il fallut tout de même bien obtempérer à la “sommation” du Président.C’est ainsi que, le quinzième jour, je vis arriver un gendarme qui me dit, goguenard: “Ouf ! Ca y est ! Vous pouvez vous arrêter… vous êtes cité… j’ai VU la citation !”. Je m’arrêtai .Il m’avait fallu un an de lutte pour arriver à bout de votre : “personne ne vous poursuivra ! “ .J’étais cité à comparaître le …..devant la quatorzième chambre présidée par Monsieur Fontaine .

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LE TRIBUNAL La salle d’audience était comble : des prévenus, leurs parents et amis, des avocats, des gendarmes.L’huissier annonça: Le Tribunal !Je vis entrer le président Fontaine… Il prit place dans son immense fauteuil gothique… posa ses lunettes… passa un doigt dans son col de chemise… regarda la salle d’un œil sévère :“Vous pouvez vous asseoir !”Le Président Fontaine est très impressionnant, sévère, voire pète-sec.Vous pensez bien ! Il a déjà condamné un ministre !Le commun des prévenus – un petit Van Judith – ne l’impressionne point.J’avais pris la peine – ou la précaution – d’assister à ses audiences à plusieurs reprises.Lors de l’instruction d’audience du ministre Vanderbiest, accusé d’avoir mal géré son Cabinet ministériel, j’avais vu le président Fontaine manier l’ironie d’une manière féroce. Il avait condamné le ministre à une lourde peine6.Je ne craignais pas trop le réquisitoire. Le magistrat qui était au siège du ministère public était doux, modéré… . Ce n’était pas un aigle !Première affaire, deuxième affaire, … avant dernière affaire. Mon tour arrivait enfin.La salle d’audience s’était vidée.

- L’audience est suspendue… pour un changement de ministère public.

Il était midi trente. Le président sortit.J’allais pouvoir parler, mais… dans une salle vide.Le président revint prendre sa place.

6La Cour augmenta la peine infligée au ministre. La Cour de cassation cassa l’arrêt rendu par la Cour d’appel. Ces « Messieurs » du Tribunal et de la Cour avaient pensé pouvoir « s’asseoir » sur l’immunité parlementaire du ministre.

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Le siège du ministère public fut occupé par Madame le Premier substitut W... .Je la savais féroce… elle jetait sur moi un regard haineux, méphistophélique.J’appris, plus tard, qu’elle avait déclaré: “ J’irai MOI-MEME requérir.”.Je savais que la bataille serait rude.Les forces de gendarmerie avaient été renforcées.

“Affaire Van Judith… Monsieur Van Judith est-il dans la salle?”.Du coup, la salle d’audience se transformait en théâtre. La salle était vide… il n’y avait plus que moi, mais le président ne m’avait pas “vu”.Il m’avait vu deux cents fois auparavant, mais, ce jour-là, le président ne m’avait pas “vu”.Je m’avancai.

- Mettez-vous là… au banc !

J’étais accusé d’outrages à six magistrats dont Madame le Procureur général Thily – je fus acquitté – dont Monsieur le Président du Tribunal de première instance Bourseau – je fus aussi acquitté – dont Madame le Procureur du Roi Bourguignont – mais je fus encore acquitté.J’étais aussi accusé de faux et usage (pour me moquer de Madame Lareine, j’avais utilisé du papier à entête de son Cabinet pour écrire un de mes “petits papiers”).J’étais passible de la Cour d’assises – cela tient du plus haut comique – mais le Parquet, dans sa grande bonté, avait bien voulu correctionnaliser l’affaire compte tenu de l’absence de condamnation antérieure, à l’exception d’une condamnation pour “roulage”.Faut-il dire que je fus aussi acquitté ?Le ridicule a ses limites.

- Vous êtes bien Monsieur…, né le…, à… .

- Oui, Monsieur le Président.

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- Je vous poserai des questions. Vous répondrez quand je vous le dirai. Avant toute autre chose, je dois vous dire que j’ai reçu votre lettre par laquelle vous me demandez de vous réserver une heure trente pour présenter vos moyens de défense.Je vous dis tout de suite que c’est IM-POS-SI-BLE.Vous n’êtes pas le seul… je suis surchargé de dossiers… Il est 12 heures 45.

- Monsieur le Président, puis-je répondre ?

- (à contre cœur) Allez-y !

- Le fait que vous soyez surchargé de travail ne constitue pas une raison pour “diminuer” les droits de la défense et par ailleurs, j’ai vu, moi-même, ici dans cette salle, que vous aviez accordé trois heures à la défense du ministre Vanderbiest. Je ne vaux pas Monsieur Vanderbiest ?

- Oh mais ! Ce n’était pas du tout la même chose… C’était beaucoup plus important !

- Vous me permettrez de différer d’opinion. Je trouve qu’un magistrat qui triche, c’est aussi important qu’un ministre qui gère mal les finances de l’Etat… voire plus important. Naturellement, vous pouvez me condamner sans m’avoir permis de m’expliquer.

- Il n’est pas question de ne pas vous permettre de vous expliquer… il est question de vous empêcher de faire des considérations qui n’ont rien à voir avec les motifs de votre inculpation. Ce n’est pas le procès d’un magistrat que nous sommes en train de faire... C’est le vôtre !

- Bien sûr, Monsieur le Président, mais si je suis ici, c’est PARCE QUE un magistrat a triché et j’ai la ferme intention de le démontrer… au Tribunal.

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- Nous verrons cela ! Répondez à mes questions.Je vois dans le dossier que vous êtes ingénieur civil. Où travaillez-vous ?

- Je ne travaille plus depuis quinze ans, Monsieur le Président.

- Vous êtes chômeur…(ironique), vous émargez à la “mutuelle” ?

- Non, Monsieur le Président.

- Quels sont vos moyens d’existence ?

- Je vis de mes rentes, plus précisément des revenus des appartements que je donne en location.

- Vous avez bien de la chance d’être rentier ! Moi, je ne peux pas me le permettre.

- Je ne m’en vante pas, Monsieur le Président, mais vous m’avez demandé de quoi je vivais; je vous réponds.

- Commencez toujours l’exposé de vos moyens de défense, mais je vous préviens: si vous vous écartez du sujet, je ne le tolérerai pas.

- Monsieur le Président, j’ai entendu, moi-même, le président de la quatrième chambre de la Cour, Monsieur Drion, qui disait : “chacun a le droit de présenter sa défense comme il l’entend.”.D’ailleurs, lorsque j’ai comparu devant Lui, il m’a écouté pendant une demi heure sans m’interrompre. Il m’a écouté et… il m’a entendu: il a réformé l’ordonnance de la chambre du conseil qui…

- Ce qui se passe à la Cour d’appel ne m’intéresse pas ! Ici, c’est moi qui commande.

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- Monsieur le Président, je croyais pouvoir me référer à un avis donné par un président de la Cour.

- Je vous DIS de vous en tenir aux FAITS.

- Monsieur le Président, je voudrais tout de même pouvoir vous dire quelques mots à propos du climat dans lequel s’est déroulée cette affaire .

- Ca ne m’intéresse pas ! Le “climat”, comme vous dites, n’a aucune importance… les FAITS… les FAITS!

- Mais, Monsieur le Président, j’ai lu dans la presse les propos de Madame le Procureur général: “le climat dans lequel se déroule une affaire est très important !”. Si vous me dites le contraire, je ne m’y retrouve plus… vous me déstabilisez.

- Soit ! Je veux vous montrer que je suis TRES compréhensif. Dites-moi quel était ce “climat”.

- Monsieur le Président, j’ai vu ici des choses abominables qui sont significatives du peu de respect que l’on porte aux justiciables. Je suis effaré lorsque je vois Madame le Procureur du Roi qui montre ses cuisses au Palais de Justice et …

- Là ! Je vous arrête. Je ne VEUX pas que vous me parliez de cela. Vous avez eu une réaction violente à propos de Madame le Juge d’instruction Lareine. Parlez-moi de cela.

- Monsieur le Président, c’est vrai, mais Madame Lareine a été manifestement injuste à mon égard.Je vous ai entendu dire, ici dans cette salle, à propos d’un soldat faisant fonction de chef de peloton, qui avait frappé un de ses subordonnés et qui s’était vu critiqué violement pour ce geste manifestement injuste: “On ne peut reprocher à quelqu’un d’avoir une réaction de critique violente face à une situation manifestement injuste.”.

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Vous voyez, cher lecteur, le climat de l’audience.Le Président finit tout de même par m’écouter… m’écouter si l’on peut dire…Il regardait le plafond… il regardait le greffier… à treize heures quinze, il m’interrompit.

- Il est tard, nous en resterons là !

- Définitivement, Monsieur le Président ?

- (contenant sa colère), non ! Nous allons fixer une prochaine audience pour… vous permettre de continuer.

J’avais dit le tiers de ce que j’avais à dire.Les débats furent reportés au … semaines plus tard.

Je quittai la salle d’audience écoeuré… écoeuré par l’attitude du président qui m’empèchait de m’expliquer, qui cherchait à me déstabiliser en se fâchant.Comme j’avais fait remarquer au Tribunal que je n’étais pas dupe de la tactique qui consistait à ne m’avoir permis de parler que dans une salle d’audience vide, le président avait fixé l’affaire en priorité, à neuf heures.J’étais présent à neuf heures le … .

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La deuxième audience du Tribunal.- Madame le Procureur, vous avez la parole.

- Voilà ! Monsieur le Président… . Je vous demande de reporter l’audience à une date ultérieure, car en effet, Monsieur Van Judith a fait appel à l’ordonnance de la Chambre du conseil qui le renvoyait, lui, devant le Tribunal correctionnel pour outrages à Madame Leroi et qui ne renvoyait PAS M. Christophe B… devant le Tribunal correctionnel. Dès lors, je désire attendre la décision de la Cour d’appel en ce qui le concerne.

- Monsieur Van Judith, vous avez la parole.

- Mais... Mais, Monsieur le Président, ce n’est pas vrai ! C’est même tout à fait faux ce que dit Madame le Procureur du Roi. La Cour d’appel a rendu sa décision il y a trois mois… le 12 janvier 1998. Il s’agit de l’arrêt n°659. Et cet arrêt me renvoie devant le Tribunal correctionnel.

- Je ne trouve pas cet arrêt au dossier. Pouvez-vous me le produire ?

- Oui, Monsieur le Président, mais pas à l’instant… il est chez moi. Je l’apporterai cet après-midi à votre greffe ou donnez-moi cinq minutes, je vais aller en prendre copie au greffe pénal de la Cour.

- L’audience est reportée au … . Les débats sont clos.

Inutile de dire la jubilation du Ministère public ! “On” allait encore en peu fatiguer les nerfs de Van Judith par cette attente supplémentaire de … mois.J’étais indigné… Un coup aussi bas méritait d’être dénoncé. Derechef, je recommençai la distribution de mes “petits papiers”.

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La troisième audience du Tribunal.Il me restait à expliquer en quoi Madame Leroi et Madame Lareine avaient triché .Je m’efforçai d’expliquer que Madame Leroi était en possession de la preuve formelle de mon innocence dès le 12 janvier 1995 (le rapport du psychologue qui avait examiné Christophe B…dont “la motivation était l’espoir d’obtenir cent mille francs”) et que, malgré cela, Madame Leroi avait fait traîner l’enquête au lieu de rédiger rapidement son réquisitoire de non-lieu.Quelle preuve j’apportais ?Je ne pouvais naturellement pas produire une pièce par laquelle Madame Leroi certifiait qu’elle avait triché, mais les faits, les faits et les dates parlaient d’eux-mêmes.J’expliquai que Madame Leroi n’avait pas répondu à mes différentes lettres, n’avait rien tenté pour me faire comprendre mes “éventuelles erreurs d’appréciation” de son attitude,que… et que… et que.A contrario, j’expliquai que si Madame Leroi n’avait pas triché, elle aurait eu une autre attitude et aurait déposé plainte contre moi pour outrages à sa personne de magistrat.Son attitude d’indifférence montrait qu’elle semblait incapable de faire la distinction entre une offense à sa personne et une offense à sa fonction.Son attitude ne pouvait se comprendre que s’il s’était agi d’une offense à sa personne.Le président réalisait si bien la chose qu’il ne posa aucune question.Lorsque je parlai de la tricherie de Madame le Juge d’instruction Lareine, je me référai à deux documents.Le premier qui démontrait que Madame Lareine avait inculpé Christophe B…pour un fait qui ne pouvait lui être reproché au lieu de l’inculper pour dénonciation calomnieuse (ainsi que la Cour en avait décidé).Le deuxième – une lettre de Madame Lareine adressée au président Bourseau – qui démontrait qu’elle avait menti en affirmant qu’elle m’avait reçu “plus de cinquante fois”.Personne, personne ne pouvait croire en de pareils propos. C’était un mensonge flagrant !

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Le président me dit qu’il ne trouvait pas de traces de cette lettre au dossier. C’était réduire mon argument à zéro (le lendemain, je lui fis parvenir la copie, mais on n’en parla plus à l’audience suivante).Plus tard, dans son jugement, le Tribunal mentionna que Madame Lareine avait fait une “erreur technique”.Tout cela était d’une mauvaise foi écoeurante.Le Président :

- Madame le Procureur, vous avez la parole.

J’écoutais ahuri.

- Monsieur le Président, mes réquisitions seront brèves ! Il y a dix-huit ans, M. Van Judith a été poursuivi pour des faits qui sont aujourd’hui prescrits et qui, je ne sais pas pourquoi, n’ont jamais été jugés.

- Le fils de M. Van Judith a eu des ennuis avec la Justice militaire.Le non-lieu dont a bénéficié M. Van Judith est un demi non-lieu… il aurait pu ne pas être prononcé. Vous savez, Monsieur le Président, un non-lieu, c’est comme un verre à moitié vide ou à moitié plein.Je vous demande le maximum de la peine et le maximum de l’amende.

Ca alors !Quelle déloyauté !Un premier substitut qui fait état de faits prescrits depuis des années, qui parle des ennuis de… MON FILS avec la Justice militaire comme si j’en étais responsable.Un procureur qui remet en cause un non-lieu devenu définitif et qui résulte du propre réquisitoire de son Parquet.Je n’en revenais pas !J’en avalai mon parapluie. Si, un jour, vous me rencontrez vous verrez le manche qui me sort de la bouche.

- Monsieur Van Judith, avez-vous quelque chose à ajouter?

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- Non, Monsieur le Président.

- Les débats sont clos.

Cette phrase est sacrée.J’avais oublié de demander au président la permission de déposer le texte de mes moyens de défense.Trop tard ! Les débats avaient été déclarés clos. Mes pièces furent rejetées.

Vengeance ! Vengeance !Une pareille déloyauté devait être dénoncée publiquement.Je distribuai à nouveau mes “petits papiers”.J’avais acquis une certaine popularité… sur le trottoir du Palais de Justice. De nombreux magistrats, greffiers, gendarmes… me parlaient. Certaines personnes me demandaient deux exemplaires. On commentait le “petit papier” de la veille. C’était amusant comme tout ! On faisait des pronostics sur le jugement à venir …J’avais peu d’illusions.

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La quatrième audience du Tribunal.Le jugement !Le président avait fixé le prononcé du jugement à un mois,Il n’avait pas ménagé ses efforts… douze pages d’attendus.Un chef d’œuvre d’onction pontificale pour justifier… l’injustifiable .Je fus condamné… faut-il le dire ?

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L’intensification du combat.Le lendemain du prononcé du jugement rendu, j’étais, à nouveau, dans la cour du Palais de Justice.Je me plaçai sur le chemin que devait emprunter le président.

- Messieurs ! Monsieur le Président Fontaine… l’inventeur de l’erreur technique !

Le président perdit son sang-froid. En un éclair, son visage fut transformé par la colère. C’est alors qu’in prononça la phrase qui fut beaucoup répétée : “Je n’en ai rien à foutre, Monsieur Van Judith !”

Je me tournai vers l’assistance: Quel dommage, Messieurs, qu’un si grand homme soit si mal élevé !

Des magistrats, des avocats, des huissiers… me manifestaient leur sympathie, disant mezza voce ;

“Le président n’en a rien à foutre”.“Je vais faire une demi plaidoirie pour obtenir un demi non-lieu”.“Ma grand-mère ayant commis un vol, on va m’inculper”.“Soyons pédagogiques et humains”.“Avez-vous salué le chien de Madame le Procureur ?”.“Madame Leroi ne porte plus sa jupe fendue…”.“Le demi-procureur a requis une demi condamnation”.

J’intensifiai la production et la distribution de mes “petits papiers”.Après la distribution, j’allais m’installer dans une salle d’audience afin de juger de l’effet produit.C’est ainsi que, me trouvant à l’audience présidée par Monsieur Fontaine, je vis arriver un détenu entre deux gendarmes : un Croate ne connaissant pas un mot de français.Le président, superbe et majestueux, s’adressant à l’huissier :

- Monsieur l’huissier , faites entrer l’interprète.

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L’huissier, humble et respectueux :

- Monsieur le Président, l’interprète n’est pas arrivé.

Alors, le président, ne pouvant résister au plaisir de se moquer, publiquement, de moi :

- Je suppose qu’il n’y a personne dans la salle qui parle le serbo-croate… même pas Monsieur Van Judith ?

Piqué, j’eus instantanément la réponse :

- Non, Monsieur le Président, je ne parle pas le serbo-croate. Je ne parle que le wallon… COMME Madame le Procureur du Roi !

Des rires fusèrent dans la salle.L’anecdote fit son chemin : “Tiens ! vous ne parlez pas le serbo-croate… fi donc !”.Quelques temps auparavant, le président du Tribunal de première instance, Monsieur Bourseau, avait accordé un entretien aux journalistes auxquels il expliqua que le procureur du Roi de Bruxelles (qui avait été jugé incapable de conduire son Corps par la Commission parlementaire “Dutroux” et devait être sanctionné) serait effectivement sanctionné et non récompensé en étant “dégradé” au rang d’avocat général .L’article publié dans la presse amenait à la conclusion qu’un avocat général était “un pas grand chose” comparé à un procureur du Roi.Ces explications étaient extrêmement maladroites.Pourquoi le président donnait-il son avis sur cette question ?Dans la cour du Palais de Justice, j’accueillis les magistrats du Parquet général par un tonitruant :

- Voici les gens de peu qui arrivent… un vague avocat général. Nous autres, au Tribunal de première instance, avec Madame le Procureur du Roi, nous éprouvons de la condescendance…

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Ces flèches, décochées en public, étaient empoisonnées et …empoisonnaient les avocats généraux. Elles avaient l’avantage d’être inoffensives pour le tireur.Parfois, je variais. Téléphone portable collé sur l’oreille, je simulais une conversation imaginaire :

- Non, Monsieur le Président, ce n’est pas Madame le Procureur du Roi qui arrive… ce n’est qu’un VAGUE avocat général… un pas grand chose !

Un avocat général, excédé, m’ordonna de le suivre :

- Vous rendez-vous compte, Monsieur Van Judith, de l’effet déplorable d’un pareille phrase sur le public ?

- Mais, Madame l’Avocat général, c’est Monsieur le Président Bourseau qui…

- Mais je le sais bien ! Je le sais bien ! Faut-il être…7pour faire de pareilles déclarations à la presse !

- Faites-moi plaisir. Ne dites plus cela.

J’avais, évidemment, fait appel au jugement rendu par le Tribunal correctionnel. Pour faire bonne mesure, le Parquet en fit autant.Chacun sait que les délais de comparution devant la Cour d’appel sont longs… très longs. On sait aussi que le Parquet général est maître des fixations.

- Pourriez-vous, Madame l’Avocat général, me faire, vous aussi, plaisir ? Faire fixer “ma” cause devant la Cour dans un délai raisonnable ?

J’obtins satisfaction.Je décochai d’autres flèches.Madame le Vice-Président du Tribunal de première instance Prignon8venait d’être nommée conseiller à la Cour d’appel de

7 C’est au lecteur de placer ici le mot qui convient.

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Liège.N’allez pas croire que son “politicien de mari”, Monsieur Didier Reynders, y fut pour quelque chose.Elle accorda une interview à la presse. Interrogée sur ses loisirs, elle déclara que, comme loisir, elle se faisait faire un nettoyage de peau… de temps en temps.L’occasion était trop belle pour la laisser échapper. Je produisis et distribuai un très joli “petit papier”. Un matin,je me plaçai devant la porte d’entrée du Parquet général :

- Oh ! Madame le Procureur général, quelle belle peau bien propre vous avez ! Je parie que, comme Madame Prignon…

Madame Thily n’apprécia guère. J’accueillis les conseillers à la Cour – féminins – par le même genre de compliment. Tout le monde riait. On fit des mots :

- Monsieur le Premier Président de la Cour prie Mesdames les Conseillers de se faire nettoyer la peau avant le …

Madame le Juge d’instruction Reynders venait d’être nommée Vice-Président du Tribunal de première instance de Liège. N’allez pas croire que son “politicien de frère”, Monsieur Didier Reynders, y fut pour quelque chose. Elle était connue pour avoir, un jour, fait un “gros mensonge”.J’accueillis, le jour où la nomination fut rendue publique, les magistrats en levant la main droite :

- Moi, Danielle Reynders, juge d’instruction, je jure que je ne mentirai plus.

Et j’ajoutai, imitant le président de la Cour qui avait reçu le serment :

- Eh bien, Madame, vous voilà Vice-Président !

8 Madame Prignon, en degré d’appel, m’avait condamné pour un feu rouge brûlé… me supprimant du même coup mon beau casier judiciaire toujours vierge à… 58 ans.

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Cela faisait la joie des magistrats de la Cour et du Parquet, des gendarmes… Je devenais la bête noire des magistrats de la Cour qui seraient chargés de me juger. J’étais l’homme à abattre. En fait, c’était déjjà décidé. Le président de la sixième chambre de la Cour avait déjà fait connaître sa décision, publiquement, avant la procès.Par recoupement, je sus que mon informateur disait vrai.Fort étonné, j’en avisai le président de la Cour qui… se déporta en même temps que ses deux conseillers. Mais je ne l’appris que le jour de l’audience.J’appris aussi, le lendemain de l’audience, qu’ “on” avait composé une chambre “sur mesure”.Tois semaines avant de comparaître devant la Cour, un avocat général me demandait si je nourrissais quelqu’espoir d’être acquitté :

- Oui, Monsieur l’Avocat général, si… si je suis jugé par la quatrième chambre.

- Ah ! oui, évidemment !Monsieur Drion,Monsieur Dapsens d’Yvoir, Madame Delnoy.

Je vous avais dit que je vous parlerais de Monsieur Drion. J’en parle. Il est parfait. J’ai tout dit.Savez-vous que Monsieur Dapsens d’Yvoir porte l’honneur plus haut que tout ?On lui fit pourtant jouer un bien mauvais rôle. Ainsi que vous le pensez bien, la Cour me condamna. Pour le prononcé de l’arrêt, le président Monsieur Willems – qui m’avait jugé – était malade. Monsieur Dapsens d’Yvoir fut désigné, par ordonnance du premier président, pour prononcer l’arrêt. Voici ce qu’il commença par me dire :

- Monsieur le Président-dent Willems est empêché-ché. Je suis désigné-gné pour pro-prononcer l’arrêt, mais ce n’est pas moi… c’est Monsieur-sieur Willems. Moi, je lis-lis.

N’allez pas en déduire que Monsieur Dapsens d’Yvoir est bègue ! Je me suis laissé dire qu’à la Cour, il est surnommé Monsieur Lis-lis.

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Cette histoire de justice – ou plutôt d’injustice – est bien sérieuse. Il me semble qu’une récréation serait opportune.Voici : “Le petit monde du Père Camille”.C’est un ouvrage d’imagination. Toute ressemblance avec des magistrats passés ou présents serait purement fortuite.

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LE PETIT MONDE DU PÈRE CAMILLE.

Essai.

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Le meilleur tribunal.Un huissier majestueux ouvrit le double battant de la porte du prestigieux cabinet – Pensez donc ! Le grand salon d’un prince-évêque d’Ancien Régime – dans lequel se trouvait, seul, le procureur général Léonet.D’une belle voix grave, l’huissier annonça :« Monsieur le Président du Tribunal de première instance Bourset ».Le vieux procureur général se souleva de son fauteuil, d’une manière très étudiée afin de marquer sa politesse à son visiteur, mais de montrer aussi la différence de « rang ».Le vieux magistrat, tout chenu, mais portant beau, adoptait volontiers un ton paternel :« Mon cher Président… Je suis très heureux… asseyez-vous et causons. ».Le procureur général Léonet était un homme sans problèmes… un homme jovial… heureux. Sa politique consistait à n’en avoir aucune. Il avait horreur de ce qui était nouveau. « C’est moderne ! », disait-il avec mépris.Une de ses expressions favorites était :  « où est le problème ? ».Lorsque l’un de ses avocats généraux lui soumettait une affaire délicate, qui aurait peut-être mérité une façon un peu originale de voir les choses, il répondait invariablement :« Faites comme on a toujours fait… Suivez la tradition, vous ne sauriez vous tromper. ».A l’objection de l’avocat général : « J’avais pensé, Monsieur le Procureur général, que… », il répondait, coupant court, agacé :  « Ne pensez pas… Faites comme on a toujours fait. ».Le passé, l’héritage de cent cinquante ans d’une Justice établie une fois pour toute permettait d’éviter de penser. Lui-même pensait très peu et… les penseurs l’agaçaient.N’y avait-il pas un professeur de procédure pénale de l’université qui s’était mis en tête de réformer la procédure ?« Mais enfin, pourquoi faire ? », disait-il. « N’y a-t-il pas cent cinquante ans que la Justice fonctionne bien ? Est-ce qu’on entend parler d’erreur judiciaire ? Est-ce que les enquêtes, les instructions, les procès ne sont pas réalisés dans la plus

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grade équité ? Pourquoi réformer ce qui va bien, ce qui tourne tout seul ? ».En cela, il était le maillon fidèle d’une longue chaîne de procureurs généraux qui avaient toujours, et sans faillir, respecté la tradition, qui avaient toujours été les gardiens du code.Voilà que ce professeur de procédure pénale donnait des coups de boutoir pour modifier le code.Le ministre de la Justice, des sociaux-chrétiens, des gens qui n’y connaissent rien avaient obtenu que la Commission de la Justice de la Chambre examinât le projet de réforme alors que… alors que tous les procureurs généraux – y compris le procureur général près la Cour de cassation – y étaient opposés.

Le procureur général près la Cour de cassation… Ah la la ! Celui-là… qu’il soit bien vite parti !

En prenant ses fonctions, le procureur général Léonet s’était arrêté et il continuait à… ne pas bouger.Il ne lui déplaisait pas de prendre, à l’occasion, un ton un peu grave :« Mon cher Président, vous êtes devenu le chef de corps du plus grand tribunal de première instance parmi tous ceux qui dépendent de ma juridiction. C’est une belle place ! C’est une belle promotion ! Voilà qui va vous changer de votre Etude de notaire ! Vous aurez à diriger un grand nombre de magistrats consciencieux… consciencieux et intelligents, précis… consciencieux, mais nullement zélés.Il m’est revenu que vous aviez conservé cette – Comment dire ? – cette caractéristique de votre ancienne profession. Il faut absolument vous déshabituer du stress… Cela nuit à la Justice ! Ici, nous vivons dans le plus grand calme et… nous nous en portons bien.Hormis quelques jeunes magistrats qui traitent leurs dossiers avec un peu trop de précipitation, tout le monde vit, ici, dans la plus grande sérénité. Pour ma part, j’ai adopté la devise de Mazarin – quoique je ne sois pas catholique – et je me dis souvent : Le temps et moi !Voulez-vous écouter un homme de quelqu’expérience ? ».

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Un peu surpris par ces paroles qui semblaient l’inciter à ne point trop en faire, le nouveau chef de corps murmura d’un ton respectueux : Je vous remercie pour vos conseils, Monsieur le Procureur général.Le haut et respectable magistrat enchaîna :« Je connais bien la Justice… et je connais bien les hommes qui en font partie. Je sais qu’il faut les ménager… Qui veut voyager loin, ménage sa monture ! J’ai pensé que vous deviez être très fatigué par toutes les démarches que vous avez dû faire avant d’être nommé… je pourrais presque dire : avant d’être élu. ».Le nouveau président, qui rêvait d’une semaine au soleil, profita de cette perche tendue : « C’est vrai, Monsieur le Procureur général ! J’ai rendu plus de vingt cinq visites : Monsieur le Premier Président de la Cour, le président du Conseil de la magistrature, les présidents de la Chambre et du Sénat, le président du parti social chrétien et même le président du parti socialiste qui… qui m’a très bien reçu, ayant eu, m’a-t-il dit, une information de votre part à propos de mes mérites. ».Que de présidents ! dit le procureur général en souriant… J’ai pensé que vous aviez besoin de repos. Je vous accorde trois mois de congé. Le magistrat qui remplit votre fonction depuis le départ de Monsieur Trousset – Ah ! Quel grand homme ! Jamais une parole inquiétante… saugrenue… la tradition personnifiée – ce magistrat, dis-je, a bien voulu accepter de vous tenir la place chaude pendant encore trois mois avant de prendre ses nouvelles fonctions de conseiller à la Cour. C’est un homme qui m’est très dévoué. Je vous souhaite de bonnes vacances. Bien entendu, n’hésitez pas à venir me voir si vous avez un problème, mais… c’est assez drôle à dire… j’espère que vous ne viendrez jamais me voir.Tout à coup, comme si brusquement le procureur général se rendait compte qu’à côté de celui de la Justice, il existe un monde en pleine évolution… un monde qui pense en termes de rendement, d’objectif…, il ajouta :Je suppose que vous vous êtes assigné un objectif ? Dans le monde actuel, il est de bon ton d’avoir un objectif, de se

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donner des allures d’efficacité… surtout vis-à-vis des hommes politiques et… des journalistes.La peste soit des journalistes ! surtout des journalistes dits d’investigation. Ils fourrent leur nez partout. Heureusement, ils commettent des erreurs. Ils vont jusqu’à publier des photos volées, des documents volés. Les lecteurs gloussent de plaisir lorsqu’ils voient, dans leur journal, la photo d’un magistrat en tenue de bain… au bord d’une piscine luxueuse, mais… ils ne s’y trompent pas. Le bon sens populaire n’apprécie jamais les manœuvres déloyales. Mépris ! Mépris pour les tricheurs ! Le vieux procureur général vivait dans un monde qui regarde en arrière… dans un monde qui regarde en arrière parce que, depuis quarante ans, il lisait des textes qui dataient de plus de cent cinquante ans. Il ne viendrait jamais à l’idée d’aucun substitut de libeller son réquisitoire : « Monsieur Ygrec est inculpé pour avoir jeté, d’une façon crapuleuse, une vieille dame de quatre-vingts ans sur le sol de sa cuisine, d’avoir abusé d’elle, puis… de l’avoir étranglée ».La Justice ne parle pas comme tout le monde. La Justice reste renfermée dans de vieilles formules qu’il faut absolument respecter sous le prétexte que la loi ne permet pas qu’elles soient transgressées.A ceux qui prétendent que la Justice ne sait pas s’adapter au monde moderne, la Justice répond que, même dans les salles d’audience, elle utilise des ordinateurs – des P.C.La formule surannée qu’un juge dicte à un greffier se trouve rajeunie par le fait qu’elle entre dans un ordinateur. Voilà !Qui reprocherait aujourd’hui à Aristote – Ah ! Aristote ! – d’avoir eu des esclaves ? Qui aurait eu l’idée de dire, en 1835, qu’un juif méritait d’être jugé comme tout le monde ?En 1898, la moitié de la France, avant de penser justice, pensait : « Dreyfus est un juif ».Dreyfus ? Sans les journalistes, sans Zola, il passait à la trappe. Zola ? Une canaille ! Un marxiste ! On ne peut pas dire qu’il ait fait du tort à « l’Institution ». Non ! Non ! Mais il a fait des émules. Cent ans après, les gens en parlent encore.Pourquoi vient-on encore, à ceux qui sont les gardiens de la tradition, les serviteurs du code, l’incarnation de la loi, à ceux

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qui prononcent leurs jugements au nom du Roi, pourquoi vient-on encore parler de Zola ? Zola est mort ! Dreyfus est mort ! Voilà ! Le président du Tribunal de première instance sorti, le café et les croissants de chez Crosset – Ah ! Crosset ! – firent leur entrée dans le cabinet du procureur général Léonet.C’est le même taximan qu’hier – tradition oblige – c’est le même taximan que demain qui apporte les délicieux croissants frais.Vous connaissez Crosset ? Le meilleur ! Ah le passé ! Ah le présent ! Oh comme le temps passe vite !Monsieur le Procureur général doit encore recevoir les journalistes qui… qui ont vraiment insisté pour recueillir un avis de Monsieur le Procureur général sur l’affaire Schneider. Non ! Ce n’est pas un juif ! Schneider, c’est le nom d’un avocat général. Une affaire fâcheuse ! Un avocat général qui aurait tripoté des fonds. Un avocat général qui est incarcéré.Il y avait bien eu des rumeurs, mais de si petites rumeurs, si petites qu’on ne les entendait pas.Pourquoi les gens s’occupent-ils de cela ? Qu’ils laissent la Justice faire son boulot ! Pour Monsieur le Procureur général, l’affaire est un jeu d’enfant. Ce n’est pas trois journalistes qui vont le mettre en difficulté ! Et… toute la presse publiera le lendemain que Monsieur le Procureur général Léonet a déclaré : « Croyez bien que si j’avais été au courant des rumeurs à propos de Monsieur Schneider, magistrat ou pas, l’enquête démarrait dans le quart d’heure. ».Voilà ! Voilà ! Le procureur général n’était pas au courant.Messieurs les journalistes, laissez donc le procureur général aller retrouver ses amis de l’opéra qui… qui donnent un déjeuner en l’honneur de leur président : Monsieur Léonet.

Le président Bourset part en vacances.Le président Bourset revient de vacances.Le président Bourset prend ses fonctions.

- Quoi de neuf Monsieur le greffier ?

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- Rien, Monsieur le Président, rien… absolument rien !

- Ca ronronne quoi !

- Ca ronronne, Monsieur le Président !

Et tout ronronna pendant plusieurs années. Tout ronronna dans le meilleur Tribunal de première instance du pays.

Tout allait bien ! Les magistrats du siège étaient un peu surchargés, mais… ça allait. Le Parquet du procureur du Roi tournait rond. L’Instruction tournait rond. Ah ! L’Instruction !L’Instruction, c’est ce qui marchait le mieux ! Le doyen des juges d’instruction, Madame Reyndet, était VE-RI-TA-BLE-MENT une main de fer dans un gant de velours. Ah ! Madame Reyndet ! Le meilleur des juges d’instruction ! Là, pas de retard.Madame le Procureur du Roi ? Un chef ! Un VE-RI-TA-BLE chef ! Tout allait bien ! Vous ne connaissez pas le Tribunal de première instance. Vous savez déjà que c’est le meilleur du pays, mais… vous ne savez pas encore que c’est une grande famille. Oui ! Une grande famille ! Vous savez ce qu’est une famille, mais vous imaginez certainement, avec difficulté, cette notion de famille au niveau d’un grand Tribunal. Je pourrais vous dire dix fois, vingt fois que c’est une grande famille… vous ne seriez pas plus avancé. Dans une grande famille, tout le monde s’aime bien… tout le monde est détendu… tout le monde fait ce qu’il veut, tout le monde affiche son opinion, ses habitudes… personne ne dérange personne.

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Voyez-vous déjà un peu mieux ce que je veux dire ? Je ne voudrais pas entrer dans des détails qui risqueraient de vous ennuyer, mais c’est avec de petits détails – qui ont l’air insignifiant – qu’on peut décrire une grande famille. Vous savez… la petite-fille qui, spontanément, donne une bise à sa grand-mère… l’épouse qui porte une jupe un peu sexy… la grand-mère qui est gentille avec le toutou… Eh bien ! Au Tribunal de première instance, c’est comme ça.Au printemps – Il faut que ce soit au printemps évidemment ! – vous verrez Madame le Substitut du Procureur du Roi Gilet qui porte une longue jupe blanche, fendue par devant jusqu’à mi cuisse.Tous les jours – même en hiver, même en été – vous verrez Madame le Procureur du Roi qui arrive au Palais de Justice avec son petit chien… Il s’appelle Radis.Vous voudriez bien savoir qui sort le petit chien pendant midi. Hélas ! Je ne le sais pas. Une rumeur – mais ce n’est qu’une rumeur – veut que ce soit les cinq plus jeunes substituts qui exécutent cette mission à tour de rôle. Mais, franchement, je dois vous dire que je ne sais pas.Madame le Président du Tribunal correctionnel Prignet, elle, elle fait la bise aux avocats. Pas à tous évidemment ! Uniquement aux bâtonniers ! Madame le Premier substitut Wilwet, elle, elle fait la bise à Monsieur le Président de la Chambre du conseil Delwet. Il y a aussi un avocat qui, le lundi – par exemple – se trouve à la barre et qui, le mardi, se retrouve au siège avec Madame le Président Prignet. Madame le Procureur du Roi, elle, elle fait « sauter » les contraventions pour excès de vitesse en voiture à ses copains du body-building. Je le sais bien, j’en fus. C’est une grande famille ! Ah ! Si Monsieur le Procureur général Léonet voyait cela ! Car, il est parti Monsieur Léonet. Oui, il est parti… Il ne s’entendait plus bien avec le procureur général près la Cour de cassation. Pourquoi ? Allez savoir ! Oui, il est parti. Il est remplacé par Madame Anet. Vous avez déjà entendu parler de Madame Anet ? C’est la dame qui dit que c’est TER-MI-NE. Oui, c’est une grande famille et tout ronronne.

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Tout va bien depuis – Oh ! depuis fort longtemps. – depuis 1945. A cette époque, il y avait bien eu quelques excités qui prétendaient qu’il fallait punir les « collaborateurs », qui prétendaient que le civisme et le patriotisme étaient des valeurs fondamentales… Il y avait bien eu quelques criailleries de gens qui s’indignaient du martyr des juifs… Il y avait bien eu des marxistes, des marxiste-trotskistes… Il y avait bien eu… mais tout cela est terminé. C’est du passé.Aujourd’hui, on se tape sur l’épaule, on se fait la bise, on montre ses cuisses – Vous avez déjà vu Madame le Juge d’instruction Reyndet en minijupe ? – On est moderne… au Tribunal de première instance comme ailleurs.Evidemment, au début, on est un peu surpris, mais on s’y fait très vite.Quel est l’énergumène qui viendrait encore dire : Vive le Roi ! Certes ! Le Roi – du moins sa photographie – est présent dans les salles d’audience, mais qui viendrait rappeler que le Roi est l’incarnation de la loi ? Quel magistrat pense encore qu’il rend ses jugements au nom du Roi ? Le civisme ? Il est rangé au rayon des vieilles lunes. A la rigueur, on veut bien encore dire que la Justice est une valeur importante pour chaque individu. Je dis « à la rigueur » parce que, avant cela, il y a la pollution, le prix de l’essence, le réchauffement de la planète… Ne me croyez pas défaitiste ou nostalgique parce que j’évoque avec vous de vieux souvenirs. Non ! Je le répète, chez nous, au Tribunal de première instance, tout va bien ; on est une grande famille et on est heureux. Heu-reux ! Au fond, quand on y pense, pourquoi se forcer, pourquoi se gêner ? Croyez-vous que le président d’un tribunal qui commence ses audiences à l’heure prévue – et il y en a beaucoup – soit plus heureux que Madame le Procureur du Roi qui arrive à son cabinet à neuf heures et demie ? Croyez-vous qu’un magistrat qui arrive à l’heure prévue, après avoir conduit sa petite fille à l’école, soit plus heureux que Madame le Procureur du Roi qui amène son petit chien sur le lieu de son travail ? Certains d’entre vous qui me liront – des grincheux – penseront peut-être que tout cela ne fait pas montre d’un grand respect pour les justiciables. Je les engage,

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pour se consoler, à penser au « chagrin des juges » qui se plaignent de ne plus être honorés.

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Le cataclysme.

Monsieur le Président ! Monsieur le Président ! Il y a là, dans la cour du Palais de Justice, un énergumène qui dit, haut et clair, à quiconque veut l’entendre : « Madame le Juge d’instruction Reyndet est une tricheuse et une scélérate ! ».Il y a une heure qu’il répète cette monstruosité devant tous les magistrats, tous les greffiers, tous les justiciables qu’il rencontre… même devant les magistrats de la Cour. Il pousse même l’impertinence jusqu’à dire, après avoir énoncé sa monstrueuse phrase : « Madame le Juge d’instruction Reyndet est une tricheuse et une scélérate ! » : Bonjour, Madame le Procureur du Roi ! Et… et… et Monsieur le Président, savez-vous ce que le procureur du Roi lui répond ? Bonjour, Monsieur Van Gyseghem ! C’est affreux, Monsieur le Président. C’est affreux ! Un avocat lui a dit d’être poli… Il a répondu : Je suis poli… J’ai dit « Madame » le Juge d’instruction.Un avocat général lui a dit qu’il était un malade… Il a répondu : Oui, Madame l’Avocat général, j’ai la maladie de Zola. Un substitut lui a dit qu’il était un imbécile… Il a répondu : Oui, Madame, je suis ingénieur civil. Un autre lui a dit qu’il était un voyou… Il a répondu : Oui, Madame, je suis père de trois universitaires. Un autre lui a dit qu’il était incivique… Il a répondu : Oui, Madame, je suis sous officier de l’armée belge. Un autre lui a dit qu’il était un anarchiste… Il a répondu : Oui, Madame, j’ai été attaché au Cabinet du ministre des affaires économiques. Un autre lui a dit qu’il était un inculte… Il a répondu : Oui, Madame, je suis un ancien assistant de l’université. Un autre lui a dit qu’il était un paranoïaque dégénéré… Il a répondu : Ce n’est pas l’avis du Docteur Schouteden.

Monsieur le Président ! Monsieur le Président ! C’est affreux !

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Le pis de tout, Monsieur le Président, c’est que c’est vrai : Il est ingénieur civil, il est un ancien assistant de notre Alma Mater, Il est un ancien attaché de Cabinet du ministre des affaires économiques…

- Allons ! Allons ! Monsieur le greffier. Pas d’affolement ! Madame le Procureur du Roi et ses gendarmes vont mettre bon ordre à tout cela. A-t-on au moins des choses concrètes et précises qui permettraient de le « coincer » ?

- Oui et non, Monsieur le Président. C’est un peu complexe, un peu paradoxal. Sa mère a du sang juif dans les veines, mais son père est de pure race flamande. Il a été accusé de pédophilie, mais il a été blanchi par un non-lieu. Il est dégoûté de certains magistrats, mais il a trois amis magistrats et… tenez-vous bien, Monsieur le Président, dont un est président à la Cour d’appel. Il est catalogué comme étant socialiste, mais il va parfois à la messe. Il est rentier, mais il donne en location un de ses appartements à des Kosovars… même à des Noirs. Monsieur le Président… Sa fille a épousé un Turc ! Un Turc, Monsieur le Président ! Vous vous rendez compte ? Un Turc !

- Allons ! Allons ! Monsieur le greffier. Pas d’affolement ! Je vais en écrire à Madame le Procureur du Roi pour lui demander d’entamer des poursuites immédiates. Prenez note… avec votre ordinateur.Vous porterez ma lettre à Madame le Procureur du Roi et… demain, on n’en parlera plus !

Monsieur le Président ! Monsieur le Président ! L’énergumène -façon de parler – est toujours là… dans la cour du Palais. Il dit toujours et encore : « Madame le Juge d’instruction Reyndet est une tricheuse et une scélérate. ». Remarquez, Monsieur le Président, que les choses sont moins tragiques

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qu’on pourrait le penser. Les gens commencent à rigoler. Pas Madame le Juge d’instruction Reyndet, évidemment !

- Quoi de neuf, mon cher greffier ?

- A vrai dire, rien, Monsieur le Président. Vraiment rien ! Van Gyseghem est toujours là et… il dit toujours la même chose. On commence à s’y faire, Monsieur le Président.

- Ca ronronne quoi !

- Oui, Monsieur le Président. Ca ronronne ! Toutefois, Madame le Procureur général ne trouve pas ça à son goût.

Monsieur le Président ! Monsieur le Président ! Van Gyseghem s’est tu. Après quinze jours de ce régime, Madame le Procureur du Roi s’est décidée à citer Van Gyseghem devant le Tribunal correctionnel. Elle redoute que Van Gyseghem ne fasse usage de l’article : « L’auteur d’une calomnie ou d’une injure ne peut être privé du droit de rapporter la preuve de ses dires. ». Vous me direz que ce n’est pas notre problème.

- Allons ! Allons ! Monsieur le greffier. Monsieur le Président du Tribunal correctionnel Fontainet est un homme énergique. Il va tancer vertement Van Gyseghem – cet énervé, comme dit le président de la Chambre du conseil – et tout rentrera dans l’ordre. Une grosse peine assortie d’un sursis fera taire ce monsieur. Il n’est point bête, m’avez-vous dit… donc il réfléchira. La paix, la sérénité redescendra sur notre Tribunal.

Amen !

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Monsieur le Président ! Monsieur le Président ! Un justiciable vient d’apporter une lettre pour vous.

- Comment ça, une lettre ? Comment ça, un justiciable ? Un justiciable se permet de m’écrire ? Que dit cet impertinent ?

- Il dit que ses droits à la défense ont été bafoués parce qu’on lui a interdit l’accès au greffe de l’instruction.

- Eh bien ! Portez cette lettre à Madame le Doyen. Le greffe de l’instruction est placé sous son autorité.

- C’est que… Monsieur le Président, c’est Madame Reyndet elle-même qui a fait interdire l’accès au greffe.

- Monsieur le greffier, jetez cette lettre au panier. A-t-on jamais vu déranger un président pour une broutille pareille ?

Monsieur le Président ! Monsieur le Président ! Encore une lettre d’un justiciable !

- Que veut-il celui-ci ?

- Il dit qu’un substitut lui a dit qu’il ne pouvait pas obtenir des photocopies de certaines pièces de son dossier… que cela était réservé aux avocats.

- Mais… Mais, Monsieur le greffier, on cherche à m’indisposer. Toutes ces contrariétés… Je finirai par regretter mon Etude de notaire. Jetez cette lettre au panier.

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Monsieur le Président ! Monsieur le Président ! L’outrageur de Madame Reyndet a comparu ce matin à l’audience de Monsieur Fontainet. Il se défend comme un beau diable. Il parle de la jupe du substitut Gilet qui… qui est fendue jusqu’à mi cuisse… Il parle du chien de Madame le Procureur du Roi… il dit que Madame le Procureur du Roi fume le cigare… qu’elle faisait du body-building avec lui… Un vrai scandale, Monsieur le Président !Monsieur Fontainet a eu beau se fâcher pour le faire taire, mais l’inculpé lui a dit qu’il avait entendu le président de la quatrième Chambre de la Cour dire que chacun avait le droit de présenter ses moyens de défense comme il l’entendait.Ce qui n’a rien arrangé, Monsieur le Président, c’est que le ministère public a évoqué, dans le but de discréditer l’inculpé, un fait qui est prescrit depuis plusieurs années et qui, on ne sait pas pourquoi a dit le ministère public, n’a jamais été jugé.En plus, Monsieur le Président, le ministère public a dit qu’un non-lieu était comme un verre à moitié vide ou à moitié plein… une espèce de demi non-lieu.Le ministère public a aussi dit qu’il rejetait un arrêt rendu par la Cour.Une vraie catastrophe, Monsieur le Président !Si Monsieur Fontainet ne frappe pas un grand coup en prononçant une peine sévère…

Et Monsieur Fontainet prononça une peine sévère : trois mois de prison fermes, trois mois avec sursis, soixante mille francs d’amende.

Et le Tribunal de première instance – le meilleur du pays – ronronna à nouveau.

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Il ronronna pendant vingt-quatre heures.Monsieur le Président ! Monsieur le Président ! Le fou est à nouveau dans la cour du Palais.Il parle du réquisitoire du ministère public, il parle du demi non-lieu, de demi-procureur… tout y passe.

- Et… que fait Madame le Procureur du Roi, Monsieur le greffier ?

- Rien, Monsieur le Président ! Rien ! J’ai appris par un substitut qu’elle avait l’intention de ne rien faire, bien que… bien que le condamné l’ait prévenue qu’il passerait à la vitesse supérieure si elle refusait de donner l’ordre de le citer, à nouveau, devant le Tribunal correctionnel.

- Mais, Monsieur le greffier, c’est le monde à l’envers ! Un citoyen qui veut être inculpé ! On n’a jamais vu cela. Depuis Zola, depuis plus de cent ans, on n’a jamais vu quelqu’un qui accusait un magistrat… et encore… à l’époque, c’était des magistrats militaires. Ah ! Si Monsieur Léonet était encore procureur général… Que dit Madame le Procureur général Anet ?

- Rien, Monsieur le Président. Rien ! On chuchote même qu’elle rigole… On chuchote aussi qu’elle ne rigolera plus si le condamné fait appel au jugement rendu par le Tribunal correctionnel… parce que, devant la Cour, elle devra soutenir – ou faire soutenir par un avocat général – un réquisitoire impossible. Quant au condamné, il répand des libelles et des caricatures affreuses… tellement affreuses que Monsieur Fontainet lui a dit des gros mots.

- Des gros mots ? Monsieur Fontainet ? Vous plaisantez ?

- Non, Monsieur le Président. D’aucuns l’ont entendu. Et le condamné les cite dans ses libelles, Monsieur le Président… Monsieur Fontainet est d’une humeur de chien. Hier, à son audience, il n’a accordé que deux minutes – deux minutes, pas plus – à un inculpé qui désirait s’expliquer. Tout va mal, Monsieur le Président !

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- Mais… Mais, Monsieur le greffier, que font les gendarmes ?

- Rien, Monsieur le Président. Ils refusent d’intervenir depuis qu’ils ont compris que Madame le Procureur du Roi se moquait d’eux en leur commandant des prestations inutiles… alors qu’elle-même refuse de donner l’ordre de citer, à nouveau, le condamné à comparaître devant le Tribunal correctionnel.

- Et… Que fait Madame le Procureur du Roi, Monsieur le greffier ?

- Elle a fait afficher un nouveau règlement… en réalité, un rappel du règlement : les animaux sont interdits dans le Palais de Justice… ce qui fait rire tout le monde puisqu’elle continue à venir au Palais avec son chien. Heureusement, presque personne ne le remarque puisqu’elle arrive au Palais à 9h.30… lorsque tout le monde est déjà entré.

- Monsieur le greffier, avez-vous de l’aspirine ?

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Le Père Camille.

Le Révérend Père Camille est carme… un carme déchaussé. Entré au Carmel à vingt-cinq ans, il en est sorti quarante ans plus tard. Il en est sorti pour la simple raison que le Carmel a fermé ses portes. Le Carmel a été saisi et vendu par l’Etat… Il ne payait plus ses contributions foncières depuis de nombreuses années.Le Père Camille et le Père supérieur – ils n’étaient plus que deux dans le vieux Carmel délabré – ont quitté, le cœur lourd, le vieux monastère.Le Révérend Père supérieur – quatre-vingts neufs ans – est entré à l’hôpital.Un riche avocat général – ça existe ? – gros propriétaire foncier, a mis à la disposition du Père Camille une petite maison qui ne rapportait plus rien. Elle ne rapportait plus rien parce qu’elle est située dans un quartier de la ville envahi par les immigrés. Allez trouver des locataires dans de pareilles conditions ! Le Père Camille s’est installé dans trois meubles qui lui ont été donnés par des magistrats du « meilleur Tribunal ». Trop jeune pour prendre sa retraite – il dit avec humour : je n’aurais pas ma pension complète, mais seulement quarante quarante-cinquièmes – le Père Camille s’est mis en tête de réaliser sa marotte : rétablir le sacrement de pénitence.C’est un sacrement, dit-il avec véhémence, c’est un sacrement !Aujourd’hui, vous le savez, on communie, mais on ne se confesse plus ! « C’est moderne ! ».Toutefois, le Père Camille veut rétablir le sacrement de pénitence ARA.N’allez pas croire qu’il s’agit d’un schisme. Non !Autrefois, on disait : « Pardonnez-moi, mon Père, parce que j’ai péché. ». Le confesseur vous disait de réciter, pour votre pénitence, trois ave et… le tour était joué.Le Père Camille ne voit pas du tout les choses de cette façon. Il les voit de la manière ARA.

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A : Avouer sa faute avec une contrition parfaite ou, du moins, d’une manière telle que le confesseur puisse croire que le pénitent regrette sa faute.R : Réparer le mal causé à son prochain de la manière la plus complète possible.A : Absolution différée. Le Père Camille n’entend donner l’absolution que lorsqu’on est venu lui expliquer comment on a réparé le mal que l’on a causé.L’avocat général, Marc de Lantinet, aime beaucoup le Père Camille. Il faut dire que c’est un saint homme… le Père Camille.L’avocat général a fait une certaine « publicité » et les magistrats – je parle des magistrats chrétiens – se sont pris à réfléchir : « Effectivement, la pénitence est un sacrement. On n’a pas le droit, en conscience, de le rayer de la liste des sacrements. Naturellement, c’est le sacrement le plus incommodant… le mariage étant le plus amusant – au moment où on se le donne, bien entendu – mais cette recherche de confort de l’âme ne justifie pas le rejet d’un sacrement. ».Tant et si bien que le Père Camille a vu arriver dans sa maison, qu’il a baptisée – vous l’aurez deviné – le Carmel Saint Camille, un magistrat et puis un autre et puis encore un autre.Ce fut d’abord Madame le Substitut du Procureur du Roi Gilet :« Mon Père, j’ai péché. Je le regrette profondément. J’ai volontairement maintenu dans l’état d’inculpé pour pédophilie, pendant presque un an un homme que je savais n’être pas coupable. ».Evidemment, ceci relève du secret de la confession. Le Père Camille n’en parle à personne.Que comptez-vous faire, dit-il, pour réparer le mal que vous avez causé à votre prochain ?Et… le substitut de répondre : « Je voudrais bien faire quelque chose, mais c’est impossible, mon Père. Vous ne connaissez pas la Justice. La justice oui, mais pas la Justice ! Si j’écrivais la moindre lettre de regrets – ce qui atténuerait beaucoup la peine de « mon prochain » - je me ferais « ramasser » par le procureur du Roi. Un magistrat qui triche, ou même tout

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simplement un magistrat qui se trompe – car cela arrive… c’est humain – ne peut pas dire, avec simplicité : Je me suis trompé. Un magistrat n’est pas vraiment un homme. Dans un sens, il est un homme puisqu’il peut se tromper, mais dans un autre sens, il est un dieu puisqu’il ne peut pas le reconnaître. Voyez-vous, mon Père, ce que je veux dire ? »Non pas vraiment, déclara le saint confesseur, mais, bien entendu, je ne suis pas juriste. J’ai entendu parler – vaguement – d’une réforme de la procédure pénale. N’a-t-on pas introduit, dans cette réforme, une mesure qui permettrait à un magistrat de reconnaître, sans conséquence préjudiciable évidemment, qu’il s’était trompé ?Soit ! Je veux bien vous croire, ma Fille. S’il vous est interdit d’admettre que vous vous êtes trompée – ou que vous avez triché, ce qui est plus grave – il ne vous est pas interdit, je suppose, de dire bonjour à « votre prochain » et de lui tendre la main lorsque vous le rencontrez. « Non, mon Père, mais ce serait extrêmement dur. ».Ca, je le réalise très bien. Mais… pas de bonjour, pas de poignée de main… pas d’absolution. Allez, ma Fille !

Monsieur le Président ! Monsieur le Président ! Je viens de voir quelque chose d’extraordinaire, quelque chose de surnaturel.

- Pas une soucoupe volante tout de même ?

- Non, Monsieur le Président, non ! Mais je n’aurais pas été plus étonné. J’ai vu, de mes yeux vu – mais c’est peut-être une hallucination, un mirage – j’ai vu Madame le Substitut Gilet qui serrait la main de Van Gyseghem.

- C’est sûrement un mirage, mais si ce n’en est pas un, c’est un miracle. Madame Gilet avait-elle l’air dans un état normal ?

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- Oui, Monsieur le Président, oui ! Je l’ai suivie jusqu’à la huitième chambre. Légère, elle allait à grands pas… comme dans la fable.

- Elle n’était pas court vêtue, au moins ?

- Non, Monsieur le Président, non ! Elle avait son long manteau beige. Sous le coup de l’émotion, j’allais oublier de vous dire… Un monsieur a téléphoné pour dire qu’il vous attendait chez lui à dix-sept heures. Il s’agit d’un certain… Père Camille.

Deux femmes vivaient en paix. Le Père Camille survint. Et voici la guerre allumée !

- Vous m’avez fait quérir, Madame le Procureur du Roi ?

- Madame le Substitut, je ne suis pas d’accord… mais alors là, pas du tout d’accord.

- Pas d’accord à quel propos, Madame le Procureur du Roi ? Qu’ai-je fait ?

- Vous avez fait que… que vous serrez la main de Van Gyseghem. Et ça ! Ca ne va pas !

- Mais… Madame le Procureur du Roi, ce n’est pas un délit de serrer la main de quelqu’un.

- Je ne vous parle pas d’un délit, sacré nom d’une pipe ! Je vous dis que vous ridiculisez le Parquet en serrant la main d’un homme qui a outragé le Parquet en la personne de Madame le Premier Wilwet. Vous ne comprenez pas ça… toute seule ?

- Dans un sens, si… mais le Père Camille…

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- Je me fiche du Père Camille et de toutes vos bondieuseries !

- Mais, Madame le Procureur du Roi, c’est facile pour vous… vous n’êtes pas chrétienne.

- Pas chrétienne ! Pas chrétienne ! Comment ça, pas chrétienne ? Van Gyseghem m’a donné une gifle sur la joue droite et je tends la joue gauche. Ce n’est pas chrétien ça ?

- Oh ! Madame le Procureur du Roi, je doute que ce soit par esprit évangélique. Le Père Camille…

- Ne me parlez plus du Père Camille ! Ou plutôt, parlons en… du Père Camille. Il m’est revenu qu’un certain Christophe de dix-sept ans avait passé une nuit chez le Père Camille et qu’il avait déposé une plainte pour attentats à la pudeur contre le Père Camille. Il m’est aussi revenu que vous vous occupiez du dossier du Père Camille. N’essayez pas de le protéger votre Père Camille… Où en est cette affaire ?

- Il appert, Madame le Procureur du Roi, que Christophe aurait déposé une plainte pour faire plaisir à un de ses copains… que Christophe a demandé « un peu d’argent » au Père Camille… que le Père Camille ne lui en a pas donné… que Christophe avait demandé au Père Camille de l’héberger… que Christophe avait pris son petit déjeuner dans la cuisine du Père Camille le lendemain « des faits »… que Christophe avait fait la vaisselle du Père Camille avant de le quitter… Ce sont des éléments qui tenteraient – je dis bien : qui tenteraient – de faire penser que Christophe n’est guère « victime ».

- Je suppose que vous allez classer cette affaire sans suite ?

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- Oh non ! Madame le Procureur du Roi. Je vais faire saisir un juge d’instruction. Je ne voudrais pas qu’on puisse penser que la Justice traite ce genre de choses à la légère. La Police judiciaire du Parquet a déjà consacré cent et douze heures à cette affaire… ça vaut la peine qu’un juge d’instruction y consacre une cinquantaine d’heures.

- Mais, Madame le Substitut, vous allez faire rire de vous ! … à commencer par… le Père Camille. Qu’est-ce qu’il fera, le Père Camille, dans deux ou trois ans, lorsqu’il constatera qu’on s’est moqué de lui ? En tout cas, je vais vous dire une chose… Si le Père Camille vient crier, dans la cour du Palais de Justice, vous vous débrouillerez toute seule.

C’est ainsi que le Père Camille se retrouva devant le juge d’instruction Coumanet.

- Mon Père…Je vais vous poser une question qui va peut-être vous paraître un peu simplette, mais je la pose toujours en pareilles circonstances. Vous trouvez cela normal de vivre seul, dans un carmel, avec votre Père supérieur ? … Je sais bien qu’il a presque vingt-cinq ans de plus que vous, mais … Répondez !

- Mais, Monsieur le Juge d’instruction, je suis carme… Je ne trouve pas cela anormal… en tout cas.

- Je vous le demande par acquit de conscience. J’ai connu un Van Gyseghem qui allait en vacances, tout seul, à Ténériffe, avec son beau-père. Ne croyez pas que j’aie l’esprit mal tourné, mais on voit tant de choses ! Je vais maintenant vous confronter au plaignant. Le voilà ! Asseyez-vous, Monsieur Beerten. Voilà, mon Père : il reconnaît avoir porté plainte contre vous pour faire plaisir à son copain Jean en étant bien conscient de le servir dans ses intérêts lesquels sont de vous nuire. Qu’avez-vous à répondre ?

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- Monsieur le Juge d’instruction, vous n’avez pas une aspirine ?

Cela n’est rien ! Un beau jour – si l’on peut dire – le Père Camille reçut une convocation du juge d’instruction Coumanet qui se terminait par une formule extrêmement sévère : « A défaut de vous présenter librement à mon Cabinet, je vous ferai contraindre par la gendarmerie. Inutile de vous dire que le Père Camille n’en menait pas large. Et, au jour dit, dans le cabinet du juge, Monsieur Coumanet lui déclara : « Mon Père… Je suis un peu ennuyé – pas beaucoup, mais un petit peu tout de même – parce que je me suis trompé. (Vous voyez bien que les magistrats reconnaissent leurs erreurs !). Dans mes papiers, ce n’est pas vous l’inculpé. C’est votre frère. Je me suis trompé de prénom, de date de naissance et de lieu de naissance. Mais, rassurez-vous, vous allez devenir inculpé. Vous voulez bien signer ces deux documents et… et tout sera en ordre. Voilà ! C’est en ordre. Voilà, mon Père, je vous libère. Allez en paix ! ».En rentrant dans son «  Carmel Saint Camille », le Père grommelait : « … contraindre par la gendarmerie… pour réparer son erreur… Seigneur, pardonnez-leur. Ils ne savent pas ce qu’ils font. ».Amen !

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L’œil.

L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.Le président Fontainet classait les affaires en deux catégories : Les affaires « faciles » et les affaires « tracassantes ».Les « faciles » étaient celles qui ne touchaient pas sa conscience. L’inculpé niait avoir donné des coups de marteau à la vieille dame, mais on avait retrouvé le marteau avec, sur le manche, les empreintes de l’inculpé et, sur la tête du marteau, du sang de la victime. L’inculpé niait avoir volé les bijoux de la vieille dame, mais on avait retrouvé les bijoux au domicile de l’inculpé. C’était une affaire « tracassante », si on n’avait pas retrouvé le marteau ou… si on avait retrouvé le marteau sans trace de sang et sans empreinte digitale. Lorsqu’il avait eu à juger des affaires « faciles », le président Fontainet disait à sa femme : Ce soir, nous allons au restaurant.Si, en rentrant chez lui, il s’enfonçait dans son fauteuil, la tête entre les mains, c’est que les affaires à juger étaient « tracassantes ». Aujourd’hui était un jour à affaires « tracassantes ».

- Je crois que nous n’irons pas au restaurant, ce soir, Roger !

- Ben non !

- Qu’est-ce que c’était l’affaire d’aujourd’hui ?

- Un homme qui a outragé Madame Reyndet devant deux cents personnes.

- Ben ! C’est « facile » ça !… Les faits sont établis. Tu l’as condamné au moins ?

- Ben oui ! Trois mois fermes.

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- Je suppose qu’il s’agissait d’un jeune voyou ?

- Ben, pas vraiment ! Un ingénieur de soixante ans.

- Les maths l’ont rendu fou ?

- Pas vraiment ! Le Docteur Schouteden dit qu’il a tout son bon sens.

- Pourquoi a-t-il fait ça, ce monsieur ?

- Il dit que Madame Reyndet a triché lors de son instruction.

- Et… Elle n’a pas triché, évidemment !

- Je crois qu’elle a commis une erreur technique.

- Comment ça, une erreur technique ? … Le monsieur n’a pas vu qu’elle avait commis une erreur technique ?

- Ben si !

- Et… le monsieur n’a pas fait remarquer à Madame Reyndet qu’elle avait commis une erreur technique ?

- Ben si ! J’ai vu la lettre qu’il lui avait adressée.

- Et… Madame Reyndet n’a pas rectifié son erreur technique ?

- Ben non !

- Pourquoi n’a-t-elle pas rectifié ?

- Je crois que c’est parce qu’elle a une dent contre le monsieur… à cause de Madame Gilet.

- Qu’est-ce qu’elle vient faire dans cette affaire Madame Gilet ?

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- Le monsieur dit qu’elle a triché.

- Encore ! … et en quoi aurait-elle triché ?

- Le monsieur dit qu’elle l’a maintenu dans l’état d’inculpé pour pédophilie pendant dix mois de trop : dès janvier, elle avait les preuves qu’il n’était pas coupable et le non-lieu a été prononcé fin octobre.

- Car le monsieur a été blanchi ?

- Ben oui !

- Et pourquoi aurait-elle fait ça, Madame Gilet ?

- Parce qu’elle a une dent contre le monsieur.

- Encore ! Et… pourquoi elle a une dent contre le monsieur ?

- Parce que le monsieur lui avait demandé d’aller un peu plus vite dans son enquête.

- Elle a duré combien de temps l’enquête ?

- Trois ans !

- Faut reconnaître qu’on ne s’est pas beaucoup pressé. Ca ne doit pas être amusant d’être poursuivi pendant trois ans pour pédophilie lorsqu’on n’est pas coupable.

- Ben oui !

- T’as pas cherché à savoir si les raisons de Madame Reyndet étaient bien celles-là ?

- Ben si ! A l’audience, j’ai demandé au monsieur s’il connaissait le mobile de Madame Reyndet… il n’a pas su me répondre.

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- Mais… enfin, Roger, ce n’est pas à lui à te renseigner à ce sujet. Tu n’es pas allé trouver Madame Reyndet ?

- Ben non !

- Tu n’es pas allé trouver Monsieur Bourset ?

- Ben non !

- Et… le monsieur, qu’est-ce qu’il a dit quand il a entendu ton jugement ?

- Merci, Monsieur le Président !

- Et … que fait maintenant le monsieur ?

- Il recommence.

- Il recommence quoi ?

- A outrager Madame Wilwet.

- Madame Wilwet ? … Qu’est-ce qu’elle vient faire là-dedans, Madame Wilwet ?

- Elle représentait le ministère public… Elle a utilisé, dans son réquisitoire, un moyen déloyal.

- Dis-moi que je rêve ! Et… tu ne lui as rien dit à Madame Wilwet ? … lui dire qu’on ne peut pas faire ça ?

- Ben non !

- Mais… enfin, Roger ! Tu aurais dû lui dire ! Je ne te reconnais plus ! Pourquoi n’as-tu rien dit ?

- J’ai été pris de court.

- Ecoute ! Un monsieur de soixante ans, ingénieur, qui a son bon sens, qui explique qu’on a été injuste avec lui,

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qui… Enfin ! Pourquoi l’as-tu condamné ? Il fallait l’acquitter.

- C’était impossible ! C’était mettre Madame Reyndet dans la purée.

- Oui, bien sûr ! … mais, maintenant, je crois que vous y êtes tous… dans la purée. Je suppose que le monsieur a fait appel à ton jugement ?

- Ben oui !

- Et… tu crois que la Cour va se mettre aussi dans la purée ?

- Je ne sais pas !

- Enfin ! Roger.

- Ce qui me tracasse, c’est que le monsieur a entendu que je disais à mi-voix à Madame Wilwet : « Enfin, Madame le Procureur, c’est tout de même vrai, il a été provoqué ! ».

- Enfin, Roger ! Tu avais la raison toute trouvée pour l’acquitter… l’excuse de la provocation. Comment n’as-tu pas sauté sur l’occasion ? « Attendu qu’il a été provoqué, je l’acquitte. ». Je suppose que le monsieur se moque « un peu » de ton jugement ?

- Ben oui ! Il dit que je suis l’inventeur de l’erreur technique.

- Que lui as-tu répondu ?

- Que je n’en avais rien à foutre.

- Enfin, Roger !

- Ecoute ! Ne m’enfonce pas, hein ! Tu vois bien que je suis dans le trente-sixième dessous et…

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- Mais… je ne veux pas t’enfoncer… mais il faut faire quelque chose.

- Que veux-tu que je fasse ? Je ne peux tout de même pas écrire au monsieur pour lui dire que mon jugement ne vaut pas tripette.

- Non, bien sûr ! Le vois-tu de temps en temps le monsieur ?

- Tous les jours !

- Que te dit-il ?

- Bonjour, Monsieur le Président.

- C’est plutôt gentil… Il a l’air d’un homme poli.

- J’ai commis la gaffe d’écrire dans mon jugement que sa politesse n’était pas sincère.

- Enfin, Roger ! … Ne pourrais-tu, au moins, dire un mot aimable à ce monsieur lorsque tu le rencontreras ?

- Que veux-tu que je lui dise ?

- Ben, je ne sais pas… par exemple : Bonjour Monsieur Van Gyseghem… j’ai bien de la peine.

- Tu crois ?

- J’en suis certaine. Tiens ! pour parler d’autre chose… le Père Camille a téléphoné… il t’attend demain soir.

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La choucroute.

Convoqué, le président du Tribunal correctionnel Nombet, les yeux malicieux – ils jettent mille feux – franchit le seuil du cabinet du président du Tribunal de première instance Bourset.

- Vous m’avez convoqué, Monsieur le Président ?

- C’est un grand mot ! Disons que je désirais bavarder avec vous.

- Venez au fait, Monsieur le Président, ce sera plus simple.

- Vous avez raison. J’ai reçu une plainte de Monsieur le Bâtonnier. Vous auriez dit, lors d’une audience, à propos d’un inculpé qui vous expliquait qu’il avait failli être « descendu » par un adversaire armé : « Cela aurait été un bon débarras ! ».

- C’est exact, Monsieur le Président.

- Vous rendez-vous compte qu’un président de Tribunal correctionnel ne peut pas – ne peut pas – dire une chose pareille ? L’avocat de l’inculpé a été très indigné… très indigné !

- Je sais, Monsieur le Président, mais j’étais indigné par la mauvaise foi du prévenu qui avait crevé un œil de son adversaire à l’aide d’un tesson de bouteille. J’étais écœuré !

- Je comprends, mais un magistrat…

- Voulez-vous dire qu’un magistrat ne peut pas être un homme, Monsieur le Président ?

- Non ! bien sûr, mais tout de même…

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- Mon ami et confrère, le président Fontainet, a déclaré, lors d’une de ses audiences : « On ne peut reprocher à quelqu’un d’avoir une réaction violente face à une situation manifestement injuste. ».

- C’est vrai ! Je vous comprends. Cependant, un magistrat doit être serein pour bien juger les choses… Vous ne l’étiez manifestement plus. Seul, le droit doit primer. Vous auriez dû vous déporter.

- Mais, je l’ai fait, Monsieur le Président !

- Ah ! Je ne le savais pas. Avez-vous entendu parler de l’affaire Van Gyseghem ?

- Un peu… comme tout le monde, Monsieur le Président.

- Qu’en pensez-vous ?

- Rien, Monsieur le Président. Rien !

- Un homme comme vous qui ne pense rien… ça me fait sourire.

- Je ne connais pas le dossier, Monsieur le Président, mais ce que je peux vous dire, c’est que le Tribunal de première instance est dans la choucroute.

- Que voulez-vous dire… dans la choucroute ?

- Rien d’autre, Monsieur le Président. Dans la choucroute !Après quelques instants de silence, comme s’il avait hésité à se lancer dans de grandes considérations qui exigent un gros effort pour les expliquer, le président Bourset reprit :

- Vous avez une façon d’exprimer les choses qui n’appartient qu’à vous… je dirais : inimitable, en un sens. Ceci n’est pas une critique, mais – comment dire ? - dans nos habitudes de tradition, vous faites – comment dire ? –

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un peu « moderne »… vous faites un peu « bande à part ».

Sous le haut plafond doré du cabinet présidentiel, le discours du président s’orientait inévitablement sur « la Tradition » et sur les forces qui vont à son encontre : La démocratie, la politique et le mouvement. Ce n’était pas que le président fut anti démocrate. Non ! Non, mais il ne comprenait pas bien comment et pourquoi, tout à coup, « les gens » commençaient à poser des questions à propos de la manière dont fonctionnait la Justice. Personne, personne, jamais un justiciable, dans les décennies précédentes, n’aurait eu l’idée de lui écrire pour exprimer une opinion. Et voilà que, tout à coup, cela arrivait.La politique – les hommes politiques – intervenait, bien sûr, dans la nomination des magistrats, mais, cela étant fait, la politique ne se mêlait plus de la Justice. Il y avait comme un pacte ; l’un ignorait l’autre et l’autre ignorait l’un. C’était à la Justice de régler, en toute indépendance, les questions de justice. C’était entendu une fois pour toute et, jamais, on n’en parlait.Le mouvement ! Le mouvement de ce monde moderne qui avance comme un train qui fonce dans une ligne droite. Tout va vite de nos jours, tout avance, tout progresse, tout change. D’un côté, le monde qui avance, de l’autre, la Justice immobile. Immobile dans sa pensée, immobile dans son savoir, immobile dans sa façon de se comporter.Il y avait l’ordre immuable, la hiérarchie, la dignité, le respect de la loi et, plus encore, le respect de la procédure.Il y avait aussi le respect des mots… les mêmes mots qu’on prononçait de la même façon depuis toujours. Il y avait les mots qu’on ne prononçait jamais : la choucroute, la purée…Ces mots nouveaux risquaient de nuire aux relations hiérarchiques si bien établies. Le président avait évidemment un culte tout particulier pour « ce qu’on avait toujours fait ».C’était toutes ces notions – toutes ces valeurs – qui donnaient la solidité à l’ensemble, qui donnaient à l’édifice une dignité incomparable.

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Il y avait deux choses : la Justice était honorable ; l’armée était l’honneur.Au Te Deum du vingt et un juillet, il y avait la Cour, la magistrature et, tout autour, l’armée qui rendait les honneurs.Le président comprenait pourtant beaucoup de choses. Il y avait de jeunes substituts qui venaient au Palais à motocyclette, mais ils étaient jeunes… ils ne représentaient pas encore tout à fait « la » magistrature. Et puis, il fallait comprendre… le traitement d’un jeune magistrat était insignifiant ; dès lors, comment exiger d’eux que… enfin !

Les gens ! Ah ! Les gens !Mais enfin ce n’était encore que « les gens ».Si, tout à coup, un magistrat chevronné se mettait à agir autrement que « comme on a toujours fait », qu’allait devenir le monde, si fermé, de la Justice.Les gens ! Oui, il y avait – forcément - les gens, mais les gens n’étaient – n’avaient jamais rien été d’autre – que des justiciables. C’était l’aliment de la Justice.Le Docteur Corn n’expliquait-il pas : la Justice prend les gens, elle les broie, elle les digère et elle les rejette. C’était un peu exagéré, mais, en fait, « les gens » sont « la matière première ». Une matière traitée par les articles de la loi… un peu comme un tissu traité par une teinture. La teinture le rend rouge, noir ou jaune selon le cas.Et voilà que les choses changeaient. Il y avait des magistrats – pas très nombreux, heureusement – qui se mettaient à tenir compte des gens.Bien sûr, depuis longtemps, le milieu familial, le niveau intellectuel, la situation sociale… avaient joué un rôle dans les peines prononcées, mais on n’avait, à proprement parlé, jamais tenu compte « des gens ». Les gens n’avaient, en tout cas, jamais compté pour ce qui concerne le temps consacré à la mise au point d’un dossier.Au Palais de Justice, Monsieur Bourset vivait avec les magistrats ; chez lui, il vivait avec les magistrats et, dans le monde, il vivait encore avec les magistrats.Voyez-vous, dit-il, au président du Tribunal correctionnel Nombet qui le regardait malicieusement, il convient toujours

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de penser à ce qu’auraient fait nos prédécesseurs. Jamais, un magistrat du passé n’aurait dit, à propos d’un inculpé qui avait échappé au coup de pistolet d’un malfrat de la bande adverse : « Cela aurait été un bon débarras ! ».Nous devons ignorer cela.Tenez ! Van Gyseghem, je l’ignore !Le Tribunal de première instance ne sera « dans la choucroute », comme vous dites, que si nous accordons une attention à ce qu’il fait.Ignorons-le ! Ignorons-le !Bien sûr, c’est un petit Dreyfus, mais tant que l’opinion publique ne se rend pas compte qu’il ne mène pas son combat pour son « cas personnel », mais bien pour la manière dont la Justice traite les affaires, nous n’avons rien à craindre.Tant qu’on pense qu’il lutte pour arriver à amener son calomniateur devant le Tribunal correctionnel, nous n’avons rien à craindre. Pour nous, pour tout le monde, tant que le monde croira que nous le pensons, c’est un paranoïaque dégénéré. C’est un paranoïaque qui menace la Justice. Cette affaire ne se conçoit pas en termes d’innocence ou de culpabilité. Il s’agit d’une menace… une menace pour la Justice. Nous devons faire corps. Monsieur Fontainet l’a d’ailleurs bien compris. Van Gyseghem n’est qu’un petit citoyen qui s’attaque à trois magistrats sous le prétexte futile et dérisoire qu’on a été injuste avec lui. Il ne comprend pas – il ne comprendra jamais – qu’il a le devoir de s’effacer devant « l’Institution Sacrée ».

- Mais, Monsieur le Président, reprit Monsieur Nombet, en quoi l’Institution serait-elle menacée par le fait que deux ou trois magistrats se soient rendus coupables d’une faute grave ? Nous avons un précédent, au Parquet général, avec Monsieur Schneider.

- Oh ! Ce n’est pas du tout la même chose ! Monsieur Schneider s’est laissé corrompre. Dans le cas de Madame Reyndet, il ne s’agit pas de corruption. Elle a utilisé son pouvoir pour écraser, méchamment, quelqu’un qui lui faisait confiance et qui était, sans défense, à sa merci,

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mais il faut comprendre que son mobile était de défendre la magistrature.

- Tout le monde l’a bien compris, Monsieur le Président, mais le procédé est inadmissible. Comme le dit si bien Madame Dumortet, il est des principes qui font l’honneur de la profession.

- Mais, cher ami – le président perdait pied – le préjudice de Van Gyseghem était nul… il ne perdait pas un franc, rien… Personne ne perdait rien !

- Monsieur le Président, à partir du moment où un magistrat condamne, au nom d’un système, quelqu’un qu’il sait être innocent, il ouvre la porte aux camps de concentration nazis.

- Cher ami ! Vous exagérez ! Vous exagérez !

- Monsieur le Président, ce n’est pas moi qui le dis, c’est le président de la Cour internationale de Nuremberg.

- Cher ami, puisque vous me faites une citation, je vais aussi me permettre de vous en faire une. Le procureur général près la Cour de cassation, Madame Liekendet, a déclaré avec – croyez-moi – beaucoup de solennité : Je crains que la Belgique ne soit plus un état de droit. Elle veut dire, de toute évidence, que la Belgique ne saurait plus être un état de droit puisque la Justice n’est plus indépendante. C’est très important et… c’est très grave. Il faut, à tout prix, sauvegarder l’indépendance de la Justice.

- Certes, Monsieur le Président, certes ! Mais, à partir du moment où un procureur du Roi déclare, avec – croyez-moi – un peu moins de solennité, mais autant d’assurance : Je vais évoquer un fait qui est prescrit depuis plusieurs années et, je ne sais pas pourquoi, n’a jamais été jugé, il fait la preuve que la Belgique n’est plus un état de droit. Il donne raison à Madame le Procureur général près la Cour de cassation.

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- Mais… mais qui aurait pu dire une chose pareille ?

- Madame Wilwet, Monsieur le Président.

- Oh ! mais sa parole aura dépassé sa pensée. C’est comme vous lorsque vous disiez…

- Monsieur le Président, elle n’était pas sous le coup d’une indignation spontanée… C’était prémédité !

- Nous sommes tous au service de la Justice et Van Gyseghem lui-même, qui se réclame d’être un admirateur de la Justice, ferait bien de se considérer comme étant un soldat de la Justice.

- Mais… il l’est, Monsieur le Président. Il l’est à la manière d’un de Gaulle… disons d’un résistant, d’un maquisard… pas à la manière d’un Pétain, d’un Laval… En quelque sorte, il est un ancien combattant… il défend le drapeau… il crie : Vive le Roi !

- Oui ! Il est même venu chanter « La Brabançonne » sous les voûtes du Palais de Justice. C’est ridicule ! Evidemment, la gendarmerie ne pouvait l’arrêter, mais… ce n’en était pas moins ridicule… Chanter « La Brabançonne » ne constitue pas un délit.

Ce qui gênait le président, c’était que le « récalcitrant » était aussi – si pas plus – patriote que lui. Mon Dieu ! Comme tout cela devenait compliqué ! Le propre père du président était aussi ingénieur civil… comme Van Gyseghem.Il y avait l’armée, la Justice – l’honneur et la droiture – mais il y avait aussi les ingénieurs, les médecins, les avocats…Pourquoi ce Van Gyseghem ne se comportait-il pas comme tous ses confrères ? … des gens si convenables ! Peut-être était-ce à cause de son sang juif ? En un sens, Madame Wilwet avait raison : le non-lieu dont avait bénéficié Van

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Gyseghem n’était probablement qu’un non-lieu immérité… Une autre Chambre du conseil peut-être…

- Cher ami, pensez-vous que Van Gyseghem devait bénéficier de ce non-lieu ? Je sais bien que ce non-lieu est intervenu après trois ans d'une minutieuse enquête… minutieuse puisqu’elle a duré trois ans, mais, tout de même…

- Monsieur le Président, la question ne se pose plus… ne se pose pas… ne pourra plus jamais se poser. Le non-lieu est devenu définitif. Respectons, au moins, nos propres règles.

- Van Gyseghem devrait être bien content ! Pourquoi, après cette faveur de la Justice, vient-il nous ennuyer ? Ce n’est pas normal ! Ce n’est pas équitable ! Nous avons été si gentils avec lui. Il devrait nous être reconnaissant. Je ne comprends pas ! Quelle ingratitude !

- Mais, Monsieur le Président, un justiciable n’a pas à dire merci à la Justice d’avoir rendu un jugement juste. A la rigueur – je dis bien : à la rigueur – il peut l’en féliciter, mais… c’est encore trop. S’il le fait, c’est qu’il marque son étonnement quant au fait que la Justice rend un jugement juste… Cela devrait être normal… tellement banal que cela devrait passer inaperçu.

- Qu’a fait Van Gyseghem pour la Justice ? Rien ! J’ai passé trente ans au service de la Justice… et lui ?

- Disons qu’il est l’ouvrier de la onzième heure.

Le président perdait pied… il ne se rendait même plus compte que Monsieur Nombet se moquait de lui.

- Que me parlez-vous de l’ouvrier de la onzième heure ! C’est dans le Nouveau Testament que vous ne connaissez pas.

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- Oh ! Monsieur le Président, point n’est besoin d’être protestant pour connaître Luther, ni d’être historien pour connaître Zola.

- Si je vous comprends bien, selon vous, Monsieur Fontainet aurait commis un crime contre l’humanité en condamnant Van Gyseghem.

- Non, Monsieur le Président, pas un crime ! C’est pis qu’un crime, c’est une faute. C’est pourquoi je vous disais que le Tribunal de première instance était dans la choucroute.

- Mais… la Cour ! La Cour ne suivra pas Van Gyseghem, qui a fait appel au jugement de Monsieur Fontainet. Je connais bien la Cour… Elle ne suivra pas… Elle ne suivra pas Van Gyseghem.

- Je l’espère pour Madame Reyndet, Monsieur le Président, et… pour vous.

- Comment cela : pour moi ?

- Oh ! Je disais cela comme ça, Monsieur le Président. De toute manière, vous savez bien que nous ne risquons rien et je suis aussi persuadé que vous que Van Gyseghem payera les pots cassés. D’ailleurs, il le sait ! Zola est mort, Monsieur le Président. Rassurez-vous, il est bien mort !

C’est à ce moment que le greffier vint interrompre la conversation.

- Monsieur le Président, il est seize heures. Vous avez rendez-vous avec le… Père Camille.

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Convaincre est un art.Madame Reyndet – vous ai-je dit que Madame Reyndet était le meilleur des juges d’instruction du Tribunal de première instance ? vous ai-je dit qu’elle était le doyen des juges d’instruction ? – fit irruption dans le cabinet de Madame Coelet, juge d’instruction elle aussi.

- Simone… - vous savez bien que le Tribunal de première instance est une grande famille : tapes sur l’épaule, bises et… naturellement, usage du prénom. Naturellement, Madame le Doyen ou Madame le Procureur du Roi disent, couramment et naturellement, Simone, Martine, Fabienne, mais Fabienne, Martine ou Simone répondent : Madame le Doyen ou Madame le Procureur du Roi –

- Simone, je viens vous annoncer une bonne nouvelle !

Madame Reyndet, intelligente et diplomate, connaît l’art infini de présenter les choses… elle sait, mieux que quiconque, comment on doit manœuvrer pour atteindre un but précis.

- Simone… mon frère Didier sera ministre de la Justice dans le prochain Gouvernement.

Nous sommes à huit mois des élections et l’opinion publique n’a pas encore fait connaître, par le verdict des urnes, son avis, mais déjà – sondage oblige – on sait quel sera le parti gagnant.

- Simone… dès à présent, mon frère Didier étudie certaines mesures à prendre, certaines promotions dont le but essentiel – y en a-t-il un autre ? – est d’améliorer le fonctionnement de la Justice.

- Simone… dès à présent, mon frère Didier m’a demandé un rapport circonstancié sur les magistrats qui composent l’Instruction.

- Simone… je vous connais bien… je vous ai vue à l’œuvre.

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- Vous savez, Madame le Doyen… je me réjouis pour vous. Une qui va être contente, c’est Madame Prignet !

- Laissons cela ! Parlons de vous.

- Vous savez, Madame le Doyen, je serais déjà très contente si je pouvais avoir une place réservée dans le parking de la cour du Palais… Il est des jours où il m’arrive de tourner « en rond » pendant dix, quinze minutes avant de trouver une place pour ma voiture.

- J’en ai parlé à Monsieur le Président Bourset… il va arranger cela… Comptez sur moi et sur mon frère. J’ai un service à vous demander. Il m’est revenu que Van Gyseghem – vous connaissez Van Gyseghem…c’est un cas ! – que Van Gyseghem était en train d’écrire un roman – en fait, c’est un essai – dont l’effet serait déplorable s’il était publié. C’est un écrit subversif, tout simplement. Notre intérêt – notre intérêt à tous – est d’éviter la publication de cet ouvrage. C’est pourquoi j’ai pensé à vous demander de bien vouloir délivrer un mandat de perquisition au domicile de Van Gyseghem et… de saisir le document en question.

- Madame le Doyen, vous connaissez mon désir de vous satisfaire, mais je ne peux faire cela sans pièce, sans rapport, sans plainte… comment dire ? … sans aucune base. Naturellement, je puis donner l’ordre à la gendarmerie de… mais une fois cet ordre exécuté, comment m’expliquerai-je à propos des motifs qui ont été à l’origine du mandat ? Je ne pourrai pas dire que « quelqu’un » m’a dit que « peut-être » Van Gyseghem s’était, « tout à coup senti » une vocation d’essayiste et que son essai était « peut-être » un ouvrage subversif.

- Mais… qui vous demandera des explications ? Personne ! La presse ne s’intéresse pas à cette affaire. Vous voyez mal le président Bourset vous demander…

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- Mais, Madame le Doyen, personne ne me demandera d’explications sauf… une : Van Gyseghem. Il va crier comme un ouistiti.

- Eh bien ! C’est tout simple. Vous ordonnerez une perquisition pour saisir des cassettes pornographiques à caractère pédophilique, et, en même temps, dans le lot, vous ferez emporter le manuscrit subversif.

- Mais, Madame le Doyen, si l’on ne trouve pas de cassettes ? – Il paraît que Van Gyseghem n’a même pas la télévision, ni une vidéo – que répondrai-je ?

- Eh bien ! C’est tout simple. Vous répondrez que vous avez fait une erreur technique ou que ce sont les gendarmes qui ont mal compris… Ils sont si bêtes !

- Mais, Madame le Doyen, mon mari est gendarme !

La persévérance de Madame Reyndet avait quelque chose de grandiose et … d’effrayant. Rien ne l’arrêtait ! Elle n’avait aucune idée du moment où il fallait s’arrêter.

- Mais, c’est tout simple. Vous direz que vous connaissez bien Van Gyseghem… que vous aviez de bonnes raisons de croire qu’il détenait des cassettes à caractère pédophilique. Vous direz que vous l’avez appris parce que vous avez reçu Van Gyseghem plus de cinquante fois.

- Mais, Madame le Doyen, je ne l’ai pas reçu une seule fois !

- Mais, c’est tout simple. Vous direz que, votre cabinet étant situé juste à côté du mien – les portes étant toujours ouvertes – vous avez entendu des propos de Van Gyseghem qui vous donnaient à penser que…

- Mais, Madame le Doyen, si j’avais pu entendre les propos de Van Gyseghem, mon greffier, dont les oreilles sont plus

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près de la porte que les miennes, aurait aussi entendu – et mieux que moi – les propos de Van Gyseghem.

- Mais, c’est tout simple. Vous direz que votre greffier était allé faire des photocopies.

- Mais, Madame le Doyen, mon greffier ne fait presque jamais de photocopies… il se sert de son imprimante.

- Mais, c’est tout simple. Vous direz que l’imprimante – c’est une vieille imprimante ! – était en panne.

- Mais, Madame le Doyen, si l’imprimante avait été en panne, j’aurais demandé au greffier de faire appel au dépanneur.

- Eh bien ! C’est tout simple. Vous direz que le greffier ne vous a pas entendue puisqu’il était allé faire des photocopies.

- Mais, Madame le Doyen, si le greffier était allé faire des photocopies, il aurait vu que Van Gyseghem n’était pas dans votre cabinet puisque votre porte, devant laquelle il devait nécessairement passer, était ouverte.

- Mais, c’est tout simple. Votre greffier a « vu » Van Gyseghem dans mon cabinet.

- Oui, Madame le Doyen, mas pas cinquante fois ! Seulement sept fois !

- Eh bien ! C’est tout simple. Vous direz que les quarante-trois autres fois, il regardait les cuisses de Madame Gilet au lieu de regarder si Van Gyseghem était dans mon cabinet.

- Mais, Madame le Doyen, si la femme du greffier apprend cela, qu’est-ce qu’il va « ramasser » ?

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- C’est tout simple. Vous direz que, Madame Gilet marchant tellement vite, il n’a rien pu voir.

- Madame le Doyen, je me rends. Si je ne sais pas quoi dire, j’irai vous voir. Dès demain matin, je dicterai le mandat de perquisition à mon greffier.

- Pourquoi pas aujourd’hui ? L’ordinateur serait-il en panne ?

- Non, Madame le Doyen, mais aujourd’hui, mon greffier a pris congé pour aller chez… le Père Camille.

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Le pied de cochon.Le procureur général près la cour d’appel de Liège prie Madame le Premier substitut du Procureur du Roi de Liège Wilwet de se rendre, le 13 de ce mois à 15 heures, à son Cabinet, sis au Parquet général de Liège, pour une affaire qui la concerne.

C’est ainsi que Madame Wilwet se rendit à la convocation du procureur général. « On » allait lui parler de l’affaire Van Gyseghem. Elle fut accueillie par l’avocat général Spriesteret chargée de « l’affaire » par Madame Anet.

- Madame le Premier substitut, j’ai à vous parler d’une affaire délicate… délicate parce qu’il s’agit de votre conduite…

- Ma conduite ?

- Oh ! Je vous rassure tout de suite. Il ne s’agit pas de votre minijupe, ni de vos bottes « cuissardes ». Il ne s’agit pas non plus de la bise que vous faites à Monsieur le Président de la Chambre du conseil Delwet. Il s’agit de vos déclarations à l’audience du Tribunal correctionnel. Vous avez dit – et non pas : VOUS AURIEZ DIT, car il y a des témoins qui vous ont clairement entendue – que vous n’étiez pas d’accord avec l’arrêt de la Cour – le n° 659 – qui renvoie le calomniateur de Van Gyseghem devant le Tribunal correctionnel. Qu’est-ce qui vous permet de critiquer, officiellement, un arrêt rendu par la Cour ?

- Je ne suis pas d’accord parce que je partage l’avis de Monsieur le Procureur général délégué Vanderheydet qui s’opposait aux prétentions de Van Gyseghem qui… demandait à la Cour de renvoyer Christophe Beerten devant le Tribunal correctionnel.

- Oui, bien sûr ! Mais puisque la Cour a rendu un arrêt sur réquisitions « contraires » de Monsieur Vanderheydet, c’est que la Cour considérait que ses arguments n’étaient

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pas pertinents. A fortiori, la Cour n’admettrait pas les mêmes arguments présentés par… le Parquet que vous représentiez. On n’a jamais vu cela : un substitut qui critique la Cour. Le moins qu’on puisse dire, c’est que vous ne manquez pas de culot.

- C’est au juge de fond de décider…

- En cela, je suis bien d’accord, mais vous n’allez pas obliger la Cour à jouer au ping-pong avec le Tribunal correctionnel.

- Comment cela… jouer au ping-pong ?

- Si vous continuez à soutenir votre « avis », vous allez donc demander au Tribunal de se déclarer incompétent et de renvoyer le calomniateur de Van Gyseghem devant le Tribunal de la jeunesse. Si Monsieur Fontainet suit votre avis, il va rendre un jugement dans ce sens. Que fera Van Gyseghem… à votre avis ?

- Il fera appel au jugement rendu évidemment.

- Que fera la Cour… à votre avis ?

- Logique avec Elle-même, Elle renverra, à nouveau, le calomniateur devant le Tribunal correctionnel évidemment.

- C’est ce que j’appelle : jouer au ping-pong. Vous auriez pu vous éviter cette déclaration intempestive. Sous peine d’être ridicule, vous allez donc devoir dire à Monsieur Fontainet que, tout bien réfléchi, vous êtes d’accord avec l’arrêt «659 » de la Cour. Evidemment, Madame le Procureur général n’est pas contente et – si vous me permettez de vous le dire – moi non plus. Croyez-vous que ça me fait rire quand j’entends Van Gyseghem qui ironise, haut et clair – trop haut et trop clair – « Nous autres – nous aûaûtres – au Tribunal de première instance… les arrêts de la Cour… vous savez… C’est bien simple, on est contre. ».

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- Madame l’Avocat général, je regrette… je regrette sincèrement.

- Je vous crois, mais je suis comme le Père Camille… je ne donne l’absolution qu’à la condition que vous montriez que vous avez réparé le mal que vous avez causé.

- Comment dois-je faire ?

- C’est tout simple… Lorsque vous rencontrerez Van Gyseghem, dites-lui bonjour et serrez-lui la main.

- C’est très dur, Madame l’Avocat général, ce que vous me demandez là.

- Ca je m’en rends compte, mais… Il y a encore autre chose… Madame Anet est aussi très mécontente de vos « leçons de droit pénal ». Voilà que vous vous permettez de dire qu’un non-lieu, c’est comme un verre à moitié vide ou à moitié plein. Avez-vous perdu le sens commun ? Evidemment, Van Gyseghem se permet de vous retourner « la balle »… Madame Wilwet est-elle en traitement psychiatrique ? Car, vous lui avez posé pareille question à l’audience. Un non-lieu définitif est un non-lieu définitif ! Il n’y a plus à revenir dessus !

- Je suis dans la choucroute, Madame l’Avocat général.

- Je comprends ce que vous voulez dire, mais… il y a encore autre chose… Madame Anet est aussi très mécontente parce que vous avez utilisé un argument déloyal à l’audience de Monsieur Fontainet. Pour discréditer Van Gyseghem, vous avez évoqué un fait qui aurait pu – qui aurait pu – lui être reproché, mais qui est prescrit depuis des années. C’est in-ad-mis-si-ble ! Evidemment, Van Gyseghem ne se prive pas d’ironiser, haut et clair – trop haut et trop clair – à ce sujet. Madame Anet l’a entendu.

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- Je suis dans la purée, Madame l’Avocat général.

- La choucroute et la purée… il ne manque que le pied de cochon ! Je suis obligée de vous dire que tout ceci a un caractère officiel et que je suis tenue de consigner dans un rapport – confidentiel et secret évidemment – tous ces éléments se rapportant à votre conduite.

- Seigneur !

- Que croyez-vous que Van Gyseghem va faire lorsqu’il comparaîtra devant la Cour ? Se taire ?

- Seigneur !

- Que croyez-vous que je vais dire dans mes réquisitions contre Van Gyseghem ? Que vous avez raison ?

- Seigneur !

- Et quand bien même je vous soutiendrais, vous croyez que la Cour me suivrait ?

- Seigneur !

- A tout hasard, je vous signale qu’il y a une place libre à l’auditorat militaire…

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Nos actes nous suivent.(Paul Bourget.)

Et puis ce fut le tour de Madame le Juge d’instruction-doyen Reyndet de répondre à une convocation de Madame le Procureur général. Ce fut Madame l’Avocat général Spriesteret qui fut chargée de l’entendre.

Monsieur le Président Bourset avait beau dire – il l’avait déclaré à la presse – qu’un avocat général était « un pas grand-chose » par rapport à un procureur du Roi, chef de corps, il fallut tout de même répondre à la convocation de Madame Spriesteret.

- Madame le Juge d’instruction, Madame le Procureur général m’a ordonné d’ouvrir une enquête à votre sujet. Ce n’est pas une enquête disciplinaire… du moins, pas encore… disons que c’est une pré-enquête. Je n’ai pas voulu l’ouvrir « dans le quart d’heure » ainsi que l’aurait fait notre procureur général Léonet, car j’ai tenu à prendre des renseignements. Vous savez sans doute que Madame Anet ne nourrit aucun sentiment de sympathie pour Van Gyseghem, mais enfin… il est là… Il est même dans la cour du Palais tous les jours. C’est – comment dire – un fait… comme la pluie, le tonnerre, le gel…Il faut bien en tenir compte.

- C’est un récalcitrant, Madame l’Avocat général.

- Oui, c’est un récalcitrant, mais il n’est pas le seul. Vous aussi vous êtes une récalcitrante et … je m’explique.

- Dans une certaine affaire, la quatrième Chambre de la Cour, faisant fonction de Chambre des mises, avait ordonné la désignation d’un expert judiciaire et… le juge d’instruction n’a pas obtempéré. Le juge d’instruction, c’était vous !

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- Dans une affaire, le juge d’instruction a remis en liberté une dame qui avait tiré, à bout portant, un coup de fusil dans la tête de son mari, pour… pour empêcher la dame d’avoir accès à son dossier. Le juge d’instruction, c’était vous !

- Dans une autre affaire, le juge d’instruction a entendu, sous serment, un témoin qui était le principal suspect. Le juge d’instruction, c’était vous !

- Dans l’affaire Beerten, vous avez amené la Chambre du conseil à rendre une ordonnance qui a été réformée par la Chambre des mises. Ca commence à faire beaucoup !

- J’ai commis une erreur technique, Madame l’Avocat général.

- Certes ! Mais quand Van Gyseghem vous a fait remarquer cette erreur technique, pourquoi ne l’avez-vous pas corrigée ?

- Je n’ai pas à obéir à Van Gyseghem, Madame l’Avocat général. Je dois conserver mon indépendance.

- Certes ! Mais un juge d’instruction ne peut pas faire n’importe quoi… à sa guise… et doit faire des choses que la logique même lui impose. Savez-vous comment Elisabeth Guigou – qui n’est pas belge, mais qui est tout de même Garde des Sceaux – définit le juge d’instruction ?

- Non, Madame l’Avocat général. Vraiment pas !

- C’est, dit-elle, un chercheur de vérité. Je suppose que vous partagez cet avis ?

- Evidemment, Madame l’Avocat général !

- Mais alors, pourquoi, lorsque vous avez interrogé Monsieur Beerten qui maintenait ses accusations contre

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Van Gyseghem, pourquoi ne lui avez-vous pas dit que ses accusations n’avaient plus aucun sens puisque Van Gyseghem avait été l’objet d’un non-lieu. Il fallait expliquer à Monsieur Beerten qu’il ne pouvait plus être reproché à Van Gyseghem d’avoir commis des attentats à sa pudeur puisque Van Gyseghem avait été… blanchi par un non-lieu.

- Vous savez, Madame l’Avocat général, un non-lieu, c’est comme un verre à moitié vide ou à moitié plein…

- Ah ! Non ! Ah ! Non ! Cette chanson-là, je la connais ! Le droit pénal vu par Madame Wilwet ne m’intéresse pas. Je suis « contre » Suis-je assez claire ? Il fallait expliquer à Monsieur Beerten que ses accusations avaient été jugées sans fondement et que, ipso facto, ses accusations étaient mensongères, étaient de la calomnie. Il fallait questionner Monsieur Beerten afin de savoir pourquoi il avait fait une dénonciation calomnieuse. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? … afin de rechercher la vérité… comme dit Elisabeth Guigou.

- A vrai dire, Madame l’Avocat général, je n’y ai pas pensé. Vous savez, la vie des juges d’instruction est trépidante… Je suis surchargée de dossiers, je ne puis pas penser à tout… Vous devez comprendre.

- Mais… Je comprends très bien. Je comprends que cela ait pu vous échapper, mais… quand Van Gyseghem vous a fait remarquer votre « oubli », pourquoi n’avez-vous pas réentendu Monsieur Beerten ?

- Ben… je ne sais pas… C’était si peu de chose… Je ne savais pas combien cela était important pour Van Gyseghem.

- Mais, Madame le Juge d’instruction, Van Gyseghem vous avait écrit cinquante fois… à défaut d’avoir été reçu par vous PLUS DE CINQUANTE FOIS.

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- Mais, Madame l’Avocat général, je vous jure que j’ai reçu Van Gyseghem plus de cinquante fois.

- Mais, Madame le Juge d’instruction, si vous avez reçu Van Gyseghem plus de cinquante fois, vous avez dû vous rendre compte de l’importance qu’il attachait à cette affaire. Je suppose que Van Gyseghem n’allait pas vous voir pour parler du réchauffement de la planète !

- Je ne sais pas… je ne sais plus… que voulez-vous que je vous dise ?

- Ben ! La vérité ! Vous me dites que vous êtes surchargée de dossiers et… et vous recevez Van Gyseghem plus de cinquante fois. Je comprends que vous soyez surchargée si vous recevez vos inculpés cinquante sept fois.

- Oh ! mais ce n’est pas tous…Ce n’est qu’au bout d’une lune que je reçois plus de cinquante fois un inculpé.

- Je vais me permettre de vous demander un conseil. Quelles doivent être mes réquisitions contre Van Gyseghem ? Que dois-je dire à la Cour ?

- Ben… la même chose que Monsieur Fontainet… Que j’ai commis une erreur technique.

- C’est une idée. L’ennui, c’est qu’en refusant de corriger cette « erreur tech-ni-que », vous lui avez donné un caractère de « faute pa-ten-te ». Vous ne croyez pas que la Cour va avaler une pareille couleuvre ?

- Je ne sais pas.

- Vous ne savez pas. Eh bien ! Moi je le sais. Allons soyez sincère ! Combien de fois avez-vous reçu Van Gyseghem ?

- Sept, Madame l’Avocat général !

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- Ce n’est déjà pas si mal. En attendant, vous avez écrit : « plus de cinquante fois » dans une lettre à Monsieur Bourset.

- Je le regrette, Madame l’Avocat général. Je ne savais pas que Van Gyseghem l’apprendrait.

- Vous êtes comme le voleur qui regrette, non pas d’avoir volé, mais d’avoir été pris.

- Non ! Je regrette sincèrement.

- Ne me demandez pas l’absolution… Je ne suis pas le Père Camille.

- Le Père Camille ?

- Parlez-en à Madame Gilet… Elle vous expliquera.

- A mon tour de vous demander un conseil, Madame l’Avocat général. Que dois-je faire ?

- Rien ! Hélas ! Il n’y a plus rien à faire. Je vous recommande cependant de ne plus utiliser votre pouvoir à des fins personnelles. Vous voyez où ça conduit.

- Oui ! J’ai une idée. Si vous faisiez rédiger vos réquisitions par Madame Wilwet ?

- Non ! Merci !

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La Confession.Poursuivi pendant trois ans pour un délit de pédophilie qu’il n’avait pas commis, le Père Camille, en fin de course, bénéficia d’un non-lieu. Vous remarquerez que je devrais dire, en toute honnêteté, en toute justice et – comment dire ? – en tout respect de la personne : le Père Camille fut l’objet d’un non-lieu, mais – vous me pardonnerez d’être contaminé par le milieu de la Justice – je dis comme les magistrats du Parquet et même comme les journalistes qui, eux aussi, sont contaminés : le Père Camille « bénéficia » d’un non-lieu.Vous l’aurez compris, le mot « bénéficier » a des relents de faveurs. Il a des relents de faveurs alors qu’il ne s’agit pas du tout de faveurs. Le Père Camille fut l’objet d’un non-lieu parce qu’il y avait droit. Il y avait droit parce que, tout au long de la minutieuse enquête, on n'avait rien trouvé qui puisse prouver sa culpabilité.Quoi qu’il en soit, ce non-lieu, qui devint définitif puisque ni le Parquet, ni la partie civile ne firent appel, ce non-lieu coupait définitivement les liens qui unissaient le Père Camille à la Justice. Je devrais plutôt dire que les magistrats concernés par cette affaire recouvrèrent leur entière liberté d’attitude et de parole vis-à-vis du Père Camille. C’est ainsi que le juge d’instruction Coumanet vint, en toute liberté, chez le Père Camille pour recevoir le… sacrement de pénitence. Il aurait pu dire pour commencer : « Mon Père, j’ai été un peu maladroit à votre égard lors de mon instruction », mais la bienveillance, le regard de grande bonté du Père Camille intimidèrent – arrêtèrent – la confidence du magistrat.« Mon Père, j’ai péché. J’ai moi aussi essayé de tricher vis-à-vis de Van Gyseghem. Je l’ai fait dans le même esprit que Madame Reyndet. Je voulais empêcher Van Gyseghem d’arriver à son but – pourtant si essentiel pour une victime – lequel consistait à démasquer les auteurs de la machination dont il avait été victime. Un jour, Van Gyseghem vint « à l’Instruction » pour déposer une plainte et se constituer partie civile contre le complice de son calomniateur. Je ne le reçus point… du moins, point tout de suite. Je consultai des documents qu’il avait remis à mon greffier et… je vis qu’il portait plainte pour complicité du chef de faux témoignage,

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sous la foi du serment, en matière correctionnelle. Je vous précise, comme vous n’êtes pas juriste, que ceci correspond à un article bien déterminé du code pénal.Pendant que Van Gyseghem attendait dans le couloir, je rédigeai, avec l’aide de mon greffier, un document dans lequel je mentionnai « un autre » chef d’inculpation : diffamation… ce qui n’est pas du tout la même chose. Alors, quand mon document fut prêt, je fis entrer Van Gyseghem dans mon cabinet. Je me tenais sur le pas de la porte. Je dis trois mots à Van Gyseghem et je le priai de signer le document. Je tablais sur le fait de la vitesse et de la surprise pour que Van Gyseghem ne se rende pas compte du piège dans lequel je le faisais tomber. Cela réussit… du moins, je le crus. Je le crus jusqu’au lendemain lorsque je reçus une lettre fort sévère de Van Gyseghem qui m’indiquait qu’il avait découvert la supercherie.J’étais extrêmement gêné, blessé. Ma vanité en souffrit beaucoup. Je n’avais plus qu’une chose à faire, c’était de me faire dessaisir du dossier. C’est ce que je fis.Pour que vous perceviez bien les choses, je vais prendre une comparaison : je n’avais pas commis un assassinat, j’avais commis une tentative. Voilà ma faute, mon Père ! »Le Père Camille regardait avec tristesse, avec douleur, ce magistrat de soixante ans qui, tout à la fin de sa carrière probablement intègre et irréprochable, n’avait pas pu résister au désir de damner le pion à un justiciable qui était une victime.Le Père Camille fut tout de suite persuadé de la parfaite contrition de son pénitent. Vous vous rappelez que le Père Camille pratique la confession A.R.A. ? Avouer, Réparer, Absolution différée.

- Qu’avez-vous fait pour réparer le tort que vous avez causé à votre prochain ?

- J’ai fait deux choses. La première : je me suis arrangé pour que la saisine « tombe » sur un juge d’instruction qui soit honnête. L’avenir nous l’apprendra. Je dois reconnaître que je n’avais – du moins je le crois – que l’embarras du choix. La deuxième : je dis bonjour le plus

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aimablement possible à « mon prochain » lorsque je le rencontre. Evidemment, mon bonjour est toujours un peu embarrassé… un peu gauche, mais je crois que Van Gyseghem comprend mon regret.

- J’irai vous voir au Palais de Justice… le matin… lorsque vous rencontrez Van Gyseghem.

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Gandhi ou l’illusion perdue.C’est avec fracas que le président du Tribunal correctionnel Fontainet fit son entrée dans le cabinet doré du président du Tribunal de première instance : il renversa un fauteuil !Emu et quelque peu bouleversé, devant marque de désarroi, Monsieur Bourset s’avança pour remettre le siège en place et installer Monsieur Fontainet.

- Cher ami, je vous ai demandé de passer me voir parce que je ne sais plus à quel saint me vouer. Je suis au bord de l’exaspération. Je ne sais plus faire un pas dans la cour du Palais de Justice sans rencontrer Van Gyseghem. Chaque matin, je le vois ! Il dit aux gens qu’il rencontre qu’il attend pour pouvoir me saluer. Effectivement, il me salue. J’ai beau m’organiser pour arriver le plus tard possible, en espérant que, découragé de m’attendre, il sera parti, rien n’y fait. Ce matin, je suis arrivé à 10 heures 20… il était toujours là ! Il m’a dit : « Bonjour, Monsieur le Président ». Cela n’est rien ! Mais il a ajouté, tenant un verre dans chaque main : « Voulez-vous que je vous explique ce que c’est qu’un non-lieu ? » Je n’ai su que lui répondre : Non, merci ! je n’ai pas le temps ; mais il m’a répondu : « Si, demain, vous arrivez un peu plus tôt, je vous expliquerai. ». Pire, cher ami ! Pire ! Au moment où je franchissais la porte, j’ai entendu qu’il disait à la ronde : « mes deux verres… c’est mon matériel didactique. ». Je ne vous cacherai pas que je ne sais plus où regarder. Avant hier, il tenait à la main une plume de paon et disait, quiconque voulait l’entendre : « C’est un cadeau pour Madame le Procureur du Roi Wilwet. ». Demain, il inventera autre chose. Lorsqu’il s’attaque aux magistrats du Parquet, passe encore. Ces gens-là sont habitués à ne pas être ménagés… mais, nous ! nous, magistrats du Siège, ce n’est pas la même chose. Nous manquons de répartie… nous manquons d’habitude. J’ai pensé que nous devions faire quelque chose. N’avez-vous pas une idée ?

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- Monsieur le Président, je vous comprends si bien… si bien. Je souffre moi-même mille morts quand j’entends Van Gyseghem qui dit, devant tout le monde : « Monsieur le Président Fontainet ! L’inventeur de l’erreur technique ! ».

- Il m’est revenu, par un greffier, qui le tient de sa grand-mère, que Van Gyseghem était assez « mystique », anagogique. Ne pourrions-nous exploiter ce côté de sa personnalité ? Si, par un greffier, voire un huissier, nous lui mettions en tête de faire la grève de la faim… sous le portique de la Cathédrale… nous ne le verrions plus ! Qu’en pensez-vous ? J’irai même jusqu’à lui porter des pêches bien mûres, du raisin… Mon Dieu ! Où ai-je la tête ? Il ne les mangerait pas !

- Monsieur le Président, votre idée est excellente ! Savez-vous ce que Winston Churchill – j’ai pourtant horreur des citations historiques – a dit lorsqu’il a appris que Gandhi avait commencé une grève de la faim ? Il a dit : « Il faut le laisser mourir ! ». (sic).

- Ciel ! Je n’irai pas jusqu’à souhaiter la mort de mon prochain, mais si cela pouvait au moins lui supprimer la parole.

- C’est vrai, Monsieur le Président ! Mais, vous savez, en Inde, il n’y a pas grande différence entre quelqu’un qui fait la grève de la faim et quelqu’un qui n’a pas à manger. Van Gyseghem n’est pas d’Inde ! Il adore les moules du restaurant « Chez Léon », il salive rien qu’à l’idée de manger un turbot sauce mousseline de « L’Ecailler », il savoure les gâteaux au chocolat du salon de thé « Les Gâteaux d’Olga », il dévore la fricassée de poulet de « L’Eureye »… Je me suis laissé dire que, la semaine dernière, il n’y avait plus, à la cuisine de « L’Eureye », qu’une seule portion de fricassée de poulet et que… Madame le Procureur du Roi et Van Gyseghem s’étaient battus pour l’avoir. Evidemment, c’est Madame le Procureur du Roi qui a gagné… Elle est meilleure cliente

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et puis, on a beau dire, elle est procureur du Roi. Mais Van Gyseghem a pris sa revanche au moment du dessert. Il jetait les yeux au ciel chaque fois qu’il avalait une cuillerée de « café liégeois » et ce… au nez de Madame le Procureur du Roi qui… privée de dessert par ordre de son moniteur de body-building – il est intransigeant sur ce point – devait se contenter de fumer son cigare en silence. Elle pestait contre Dieu qui avait créé les entremets.

- Bref ! En un mot : l’idée est bonne, mais irréalisable.

- Je le crains, Monsieur le Président. Nous devrons trouver autre chose.

- A propos d’autre chose… J’ai lu, et même relu cinq fois, le jugement que vous avez rendu contre Van Gyseghem. C’est inouï… inouï… vous ne reprenez pas un seul - pas un seul – des motifs invoqués par Van Gyseghem dans ses moyens de défense. Il est tout de même impossible qu’un homme comme lui n’ait pas énoncé, en deux heures de plaidoirie, une seule chose – une seule – qui puisse être retenue comme étant pertinente.

- Monsieur le Président, tous ses motifs s’articulaient l’un à l’autre comme les maillons d’une chaîne. Si j’en avais retenu un, il fallait les retenir tous. C’était une dégringolade… J’aurais été obligé de l’acquitter.

- Eh bien ! Il fallait l’acquitter !

- Monsieur le Président, vous parlez comme ma femme ! Qu’allait devenir Madame Reyndet ?

- Dieu sait si j’apprécie Madame Reyndet ! C’est – mais ne le dites à personne – le meilleur des juges d’instruction. Je comprends bien que vous désiriez sauver Madame Reyndet, comme Moïse « sauvé des eaux », mais, en essayant de la sauver des eaux, vous nous avez tous noyés.

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- Monsieur le Président, Madame Wilwet et moi, nous avons fait, comme des scouts, de notre mieux.

- Oui ! Madame Wilwet a fait un baroud d’honneur qui… qui nous plonge dans le déshonneur. Son demi non-lieu a retenti jusqu’à Bruxelles… jusqu’à Londres. Encore heureux s’il ne retentit pas jusqu’à la Cour européenne de Justice de Strasbourg ! En ce qui vous concerne, que faites-vous quand vous rencontrez Van Gyseghem ?

- D’abord, j’évite son regard… ensuite, je presse le pas. Je prie aussi Dieu pour qu’il ne me suive pas dans les couloirs du Palais. Je ne vous cacherai pas que j’attrape des vapeurs lorsque je le vois entrer dans ma salle d’audience. Savez-vous qu’il a terminé l’exposé de ses moyens de défense en disant : « Vive le Roi ! Vive la loi ! Vive la liberté ! ».

- Si je ne vous savais le plus sérieux des hommes, je dirais que vous divaguer. « Vive le Roi ! », Ça, c’est de bon ton ! Quoi de plus normal que d’évoquer le Roi dans une salle d’audience puisque… le portrait du Roi s’y trouve. D’ailleurs, je suis patriote. Voulez-vous que je me lève et que je dise : « Vive le Roi ! » ?

- Non, Monsieur le Président, ce n’est pas nécessaire. Je vous crois.

- A cet égard, je n’ai de leçon à recevoir de personne. « Vive la loi ! », Ça, c’est extra ! Ce faisant, Van Gyseghem prêche des convertis, mais dire : « Vive la liberté », ça, non ! Non et non ! Comment Van Gyseghem a-t-il eu l’audace, l’impertinence de dire : « Vive la liberté ! » au moment où vous alliez, précisément, le priver de liberté ? Je comprends que les détenus politiques dans un camp de réfugiés crient : « Vive la liberté ! » ; je comprends que les juifs détenus dans les camps de Dachau, Ravensbrück, Büchenwald… aient crié : « Vive la liberté ! » au moment où les Américains, les Anglais, les Belges… les ont délivrés, mais je ne comprends pas,

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qu’une fois dans la rue, tous ces gens-là ne baissent pas d’un ton. La liberté ! Parler de liberté dans un Tribunal, c’est l’anarchie ! Je me demande si je ne vais pas suggérer à mon médecin de me faire un certificat de maladie jusqu’au 18 février.

- Jusqu’au 18 février ? Pourquoi le 18 février ?

- Parce que c’est le jour où Van Gyseghem comparaît devant la Cour… la sixième Chambre. Ce jour-là, nous aurons notre revanche. C’est Monsieur Joachet du Belli qui préside… Il déteste Van Gyseghem… C’est le seul président de la Cour qui ne réponde pas au salut de Van Gyseghem. Le premier conseiller, la « dame blanche », ainsi surnommée – rien à voir avec l’opéra de Boieldieu – parce qu’elle porte toujours un imperméable en toile cirée blanche, déteste Van Gyseghem. Lorsqu’elle entre dans le Palais, elle donne un bon coup d’accélérateur à sa voiture, elle serre sa gauche au maximum et, ainsi, elle « plaque » Van Gyseghem contre le mur du portail. Van Gyseghem l’appelle : « ma douce écraseuse ». Le deuxième conseiller, Monsieur Fettwet, chiffonne les « petits papiers » que Van Gyseghem distribue et les jette par terre… même qu’un gendarme lui a dressé une contravention… Mais Madame le Procureur du Roi l’a fait « sauter ».

- Avantage supplémentaire, Monsieur le Président : Monsieur Fettwet siégeait à ma droite, in illo tempore, au Tribunal correctionnel. C’est un copain ! Et… qui sera au siège du ministère public ?

- C’est Madame Spriesteret qui a été désignée, mais elle fait de l’obstruction. Aucun avocat général ne veut assumer ce « redoutable honneur ». Madame le Procureur général sera obligée de faire le coup de force. C’est dommage que la nouvelle loi ne soit pas encore passée. Ce serait Madame le Procureur du Roi Wilwet qui monterait au siège du ministère public de la Cour. Ce serait extra avec son demi non-lieu !

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- Vous croyez ?

- Que pensez-vous de mon idée ?

- Laquelle ?

- Ben… de me faire porter malade !

- Mauvaise !

- Pourquoi ?

- Parce que, votre absence étant supérieure à trois mois, c’est le plus ancien des vice-présidents qui serait désigné pour vous remplacer… c’est à dire : moi. Et… si je me fais porter malade aussi, ça semblera louche. Non ?

- Ben si ! Moi qui comptais sur vous pour nous sortir de la choucroute !

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Les mémoires d’un violeur.(A la manière de Peter Cheney.)

Un jour – c’était un soir – je me trouvais dans le meilleur des restos.Je dégustais un tournedos Rossini… un vrai… avec du foie gras… du vrai !Je sirotais un grand bordeau « Cheval blanc » because c’est mon copain Albert qui est propriétaire du vignoble… Il l’a acheté pour trois milliards.Je vois arriver à ma table une superbe créature. Je ne dis rien.Elle me dit : je m’appelle Christine.Je ne dis rien.Elle me dit : j’ai dix-sept ans.Je ne dis rien.Elle me dit : je peux m’asseoir ?Je dis oui.Elle me dit : vous voulez bien m’emmener chez vous ?Je dis oui.

A peine entrée chez moi, elle enlève sa robe et ses chaussures.Je ne dis rien.Elle enlève ses sous-vêtements.Je ne dis rien.Je voyais tout et je ne connaissais rien d’elle. Je savais que son nom commençait par W because j’avais remarqué qu’elle avait une bague à chaton gravé : « W.C. »9.C’était tout ce que je savais.Je ne dis rien, mais je lui fais le grand jeu.Après… pour me redonner des forces, je déguste un double Chivas-Régal because c’est mon copain Albert…Elle se rhabille.Je ne dis rien.Elle fait la vaisselle.Je ne dis rien.

9 Mais non, ce n’est pas la bague de Winston Churchill.

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Elle me fait un patin.Je ne dis rien.Elle part.Je ferme la porte.

Un an plus tard, je me retrouve devant le Tribunal correctionnel.C’était Madame Gilet qui était au siège du ministère public.C’était Madame Dumortet qui présidait.Le procureur du Roi Gilet se lève pour requérir.Le public retient son souffle.

« Madame le Président, les faits sont graves. Un homme de cinquante ans qui viole une enfant de dix-sept ans.Les faits sont établis tels que je viens de vous les dire.L’inculpé reconnaît les faits.Les séquelles psychologiques pour l’enfant sont graves… Elle ne va plus à l’école… Elle s’est mise à fumer du H… mais elle a arrêté.La motivation de sa plainte résulte dans l’espoir d’obtenir cent mille francs. J’espère que vous les lui ferez obtenir.La brute – il n‘y a pas d’autre mot – qui est en face de vous ne lui a pas donné un franc.Il ne regrette pas son geste… Rien ! … Aucun soupçon de regret… Pire, Madame le Président, il dit qu’en pareilles circonstances, il recommencerait. Il n’a aucune notion de ses responsabilités. C’est un véritable danger pour la société. Il opère toujours de la même façon.Il a avoué trente-six viols identiques, mais, je ne sais pas pourquoi, les trente-cinq autres victimes n’ont pas déposé une plainte.Je réclame une peine sévère : cinq ans fermes. Pas de pitié pour ce genre d’individu. ».

Le président, Madame Dumortet :« Monsieur Van Gyseghem, vous avez la parole. ».

- Vous savez, Madame le Président, ça me fait rigoler.

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- Je vous comprends et je rends un jugement « sur les bancs ». Je vous acquitte.

On ne saura jamais pourquoi.

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La prière d’un président.Seigneur tout puissant ! Je sais bien que vous donnez à chacun de vos enfants son libre arbitre, que vous laissez à chacun la liberté de faire le bien et le mal, de faire ce qu’il veut… mais je sais aussi que vous n’êtes pas insensible au chagrin d’un homme, au chagrin d’un juge.C’est pourquoi je me permets de vous supplier de m’accorder une grâce. Je suis si malheureux !Seigneur, faites que Madame Gilet ne montre plus ses cuisses au Palais de Justice… ailleurs, Mon Dieu…Seigneur, faites que Madame Reyndet ne porte plus de minijupe au Palais de Justice… ailleurs, Mon Dieu…Seigneur, faites que Madame le Procureur du Roi ne vienne plus jouer au Palais de Justice avec son chien… ailleurs, Mon Dieu…Seigneur, faites que Madame Wilwet ne fasse plus la bise à Monsieur le Président Delwet au Palais de Justice… ailleurs, Mon Dieu…Pour le reste, je vous promets – je ne veux pas dire : « donnant, donnant » - je vous promets de veiller à ce que Madame Gilet ne triche plus, à ce que Madame Reyndet n’oriente plus ses instructions (ce sera dur, je le sais, mais je ferai l’effort… je vous le jure), à ce que Madame Wilwet n’invente plus de nouveaux articles du code pénal.Seigneur, si possible – je sais bien que j’exige beaucoup, mais… - si possible, donnez à Van Gyseghem, une bonne grippe qui le cloue au lit pour trois mois… une grippe, ce n’est pas grand-chose… Ce n’est pas comme si je vous demandais de lui envoyer le choléra.Seigneur, si – ce n’est pas du marchandage – si vous faites cela pour moi, je vous promets de réciter trois ave Maria – c’est tout de même votre mère – tous les jours.Merci, Seigneur !

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Le réquisitoire de Madame Spriesteret.Monsieur le Président,Madame le Conseiller, Monsieur le Conseiller,

J’ai fait une analyse approfondie du jugement rendu par le Tribunal correctionnel contre Van Gyseghem. Je dois avouer qu’en vingt ans de carrière, je n’ai jamais vu un jugement aussi bien motivé : le Tribunal n’a rien passé sous silence… il a tout expliqué.La Cour me permettre de Lui livrer le fruit de mon analyse.

Le Tribunal a fait une analyse chronologique des faits de mœurs qui sont à l’origine de cette affaire d’outrages à magistrats. Tout y est évoqué avec le plus grand souci du détail.A titre d’exemple, le Tribunal précise – à juste titre, c’était indispensable – que cette affaire de mœurs consistait principalement en un acte de masturbation.Comment le Tribunal aurait-il pu éviter d’en parler ?Je sais bien que la Chambre du conseil a prononcé un non-lieu… ce qui veut dire que l’enquête – qui a duré trois ans – n’a pas permis de donner à penser qu’il existait des indices de culpabilité de Van Gyseghem ; je sais bien que Van Gyseghem est « blanchi » par ce non-lieu ; Je sais bien que Van Gyseghem n’a pas commis le délit qui lui était reproché, mais, un non-lieu n’étant tout de même que comme un verre à moitié vide ou à moitié plein, il nous est permis de penser que Van Gyseghem a, peut-être, fait « des choses » à Monsieur Beerten.Quelles choses ?On ne le saura jamais puisqu’il y a eu un non-lieu.Le viol est exclu ! La fellation à la Lewinski est exclue, mais la masturbation n’est pas exclue. Tout comme le Tribunal correctionnel, la Cour marquera la plus haute importance à l’aspect pornographique – voire ecclésiastique – de cet acte flétrissant.Il est même permis de penser que Monsieur Beerten, le partenaire sexuel de Van Gyseghem, ait connu l’orgasme et, en l’espèce, ait éjaculé.

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Je n’en dirai pas plus… en voilà bien assez.La Cour appréciera.

La Cour a devant Elle un appelant très poli, très bien élevé… du moins, en apparence. Je dis en apparence, parce que, comme le Tribunal correctionnel l’a si bien expliqué, la politesse de Van Gyseghem n’est pas sincère.En fait, dans le fond de son cœur – que j’ai sondé – c’est un grossier personnage : Sa famille, ses amis – dont trois magistrats – ses confrères, ses collègues du Cabinet du ministre des affaires économiques, ses anciennes élèves du Lycée Saint-Jacques, ses collaborateurs du service de Thermodynamique de l’Université – où il a été assistant – les greffiers, les gendarmes, les inspecteurs de la Police judiciaire, en un mot : tout le monde s’accorde pour dire que Van Gyseghem n’est pas poli.Sur ce point, le Tribunal correctionnel a absolument raison. C’est incontestable… bien que Van Gyseghem le conteste avec… mauvaise foi.La Cour appréciera.

La Cour doit aussi savoir que Van Gyseghem est totalement – totalement – inculte. Ses écrits sont émaillés de citations historiques et littéraires, mais, comme le fait si bien remarquer le Tribunal correctionnel en son jugement, il s’agit, en l’espèce, de simples réminiscences.La Cour pourrait être tentée de montrer de l’indulgence en pensant que Van Gyseghem est un Barrès en herbe, un Malraux, un Balzac… Non !Je dis fermement et je suis « catégorique » pour reprendre une expression devenue célèbre de Madame le Juge d’instruction Doutrewe, je suis catégorique lorsque j’affirme que Van Gyseghem est un inculte : il n’a que des réminiscences.Sur ce point encore, le Tribunal correctionnel a absolument raison.La Cour appréciera.

La Cour pourrait aussi croire que Van Gyseghem vient tout bonnement assister aux audiences des Cour et Tribunal avec

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la passivité d’une vache qui regarde passer un train. Que la Cour se détrompe !Van Gyseghem observe te réfléchit. Pire ! Il tire des conclusions.Quelle impertinence !C’est cet aspect gluant de sa personnalité que le Tribunal correctionnel a voulu mettre en évidence lorsqu’il dit, dans son jugement, que Van Gyseghem donne des bons points et des mauvais points. La Cour l’ignorait ? Eh bien ! maintenant, Elle le sait.La Cour me permettra d’étayer mes réquisitions par quelques exemples.Van Gyseghem ne se permet-il pas de dire : « Malgré les difficultés inhérentes aux affaires de mœurs traitées par son Tribunal, Madame le Président Dumortet a toujours une parfaite dignité. ».Pan ! Un bon point.Ne dit-il pas : « J’ai comparu devant la quatrième Chambre de la Cour. Quelle dignité ! Quelle écoute attentive ! Quelle courtoisie chez ces magistrats ! ».Pan ! Un bon point.A l’inverse, ne dit-il pas : « je suis blessé lorsque je vois, au Palais de Justice, un magistrat de mon pays qui y montre ses cuisses ».Pan ! Un mauvais point.Ne dit-il pas : « je suis choqué lorsque je constate qu’un conseiller à la Cour donne un coup d’accélérateur à sa voiture, tient outrageusement sa gauche pour me faire peur et pour me « plaquer » au mur du portail du Palais. ».Pan ! Un mauvais point.La Cour conviendra que des réflexions comme celles-là sont in-ad-mis-si-bles !Sur ce point encore, le Tribunal correctionnel a raison.La Cour appréciera.

Abuseur sexuel, impoli, inculte, impertinent dans ses observations, voilà ce qu’est Van Gyseghem.La Cour pensera sûrement qu’en voilà plus qu’il n’en faut pour le condamner. Toutefois, il y a pis que cela.

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Ne voilà-t-il pas que Van Gyseghem dit que Madame le Substitut du Procureur du Roi Gilet est une tricheuse sous le prétexte qu’elle l’aurait maintenu dans l’état d’inculpé alors que, dit-il – dit-il – elle avait les preuves qu’il n’était pas coupable ?Oui ! le Docteur Schouteden avait dit que la sexualité de Van Gyseghem n’était pas déviée.Oui ! le psychologue avait dit que la motivation de la plainte de Monsieur Beerten résidait dans l’espoir d’obtenir 100.000 francs.Oui ! Monsieur Beerten avait avoué qu’il voulait gagner de l’argent – beaucoup et vite.Oui ! Monsieur Beerten avait avoué qu’il avait déposé une plainte pour faire plaisir au fils de Van Gyseghem en étant bien conscient de le servir dans ses intérêts lesquels étaient de nuire à son père.Oui ! le psychologue avait souligné que Monsieur Beerten ne présentait aucun signe de traumatisme… qu’il ne présentait aucunes « séquelles psychologiques ».MAIS… qu’était-ce que tout cela ?Tranchons le mot : des broutilles !La Cour en conviendra.Ne voilà-t-il pas que Van Gyseghem se permit d’écrire à Madame Gilet pour lui dire : « ça ne va pas ! » ?Quelle outrecuidance.Ne voilà-t-il pas que Van Gyseghem se permit de dire à Madame le Juge d’instruction Reyndet qu’elle n’avait pas le droit de tenter de faire échapper Monsieur Beerten à la Justice correctionnelle… que faire une chose pareille, c’était tricher.Quelle outrecuidance… Madame Reyndet qui est si gentille.Ne voilà-t-il pas que Van Gyseghem dit à Madame le Procureur du Roi Wilwet qu’elle utilise un procédé déloyal en évoquant un fait pour lequel Van Gyseghem aurait pu être poursuivi et… qui est prescrit depuis plusieurs années.Quelle outrecuidance… Madame Wilwet qui est si gentille.La Cour appréciera.

Le Tribunal correctionnel explique – très clairement – que Madame le Juge d’instruction Reyndet a commis une erreur technique.

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Enfin quoi ! Un juge d’instruction ne peut commettre une erreur technique ?A-t-on le droit d’exiger l’infaillibilité chez les magistrats ?A part le Pape, tout le monde est faillible. Tout le monde sait cela ! Van Gyseghem semble être le seul à l’ignorer. Il l’ignore ? Tant pis pour lui ! Il n’avait qu’à se renseigner… à son âge… avec sa formation. Il n’avait qu’à faire remarquer – respectueusement – à Madame Reyndet qu’elle avait fait une erreur technique… elle l’aurait corrigée. Il ne l’a pas fait, tant pis pour lui.La Cour appréciera.

Je demande expressément à la Cour de confirmer le jugement porté par le Tribunal correctionnel concernant la « suffisance » de Van Gyseghem.C’est incontestable ! Ca crève les yeux !Van Gyseghem est suffisant. On le voit régulièrement dans la cour du Palais …costume, cravate… gants beurre-frais… un véritable snob ! Point n’est besoin d’en dire davantage.La Cour appréciera.

Abuseur sexuel, grossier, inculte, impertinent dans ses observations, outrecuidant, bête au point de ne pas comprendre que les magistrats sont faillibles, suffisant… voilà qu’en plus, Van Gyseghem avoue être rentier et avoir de nombreux loisirs.Où va-t-on ? Où va la société ?La Cour appréciera.

Mon office a bien pesé tous les éléments de cette affaire.J’affirme que, tant Madame le Substitut du Procureur du Roi Gilet, tant Madame le Juge d’instruction Reyndet, toutes deux ont fait preuve de la plus grande équité, de la plus grande conscience professionnelle et de la plus parfaite interprétation de l’esprit de la loi. Elles n’ont rien – absolument rien – à se reprocher.Je demande pour cet être abject et gluant, la peine la plus sévère : six mois de prison fermes avec… arrestation immédiate.Comme cela, nous ne l’entendrons plus.

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J’ai dit.

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Remerciements.

Le président Fontainet m’a dit un jour :« Vous n’avez rien à foutre de vos dix doigts ».

Je me suis dit : il a raison. Je vais « foutre » quelque chose de mes dix doigts.

C’est ainsi que ma « Choucroute » a vu le jour.

Qu’il soit béni ! Sans lui, cet opuscule serait resté dans les choux.

Büchenwald, le 11 novembre 98.

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